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citoyenneté aux
{ La grève étudiante
de l’hiver 2005 :
{ 50 idées
pour le Québec
et engagés airs de festival la fin du lyrisme de demain
Jeunes
{ Ils étaient 400, de toutes les régions du Québec, à l’Université
du Nouveau Monde, École d’été pour jeunes citoyens mise sur pied
par l’Institut du Nouveau Monde, en août 2004.
Jeunes
Fahmy et Antoine Robitaille
et engagés
{ Ils ont bouleversé l’ordre du jour politique à l’hiver 2005,
en déclenchant un mouvement de grève étudiante sans précédent.
{ Altermondialistes, ils militent autrement.
{ Les X, une mouvance politique ?
Dans cet ouvrage :
et engagés
JEUNES ET ENGAGÉS
{ Le récit de la première École d’été de l’Institut du Nouveau Monde.
Jeunes
et engagés
Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives Canada
Jeunes et Engagés
ISBN 2-7621-2679-7
Les Éditions Fides remercient de leur soutien financier le ministère du Patrimoine canadien,
le Conseil des arts du Canada et la Société de développement des entreprises culturelles du
Québec (Sodec). Les Éditions Fides bénéficient du Programme de crédit d’impôt pour l’édition
de livres du gouvernement du Québec, géré par la Sodec.
Jeunes et lucides
Michel Venne
Directeur général, Institut du Nouveau Monde
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Jeunes et engagés
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Introduction
aux journées de formation du groupe puyé par plus d’une trentaine de parte-
altermondialiste Alternatives. naires et dont la deuxième édition, en
Si une partie des jeunes peuvent août 2005, est encore plus courue.
avoir la tentation de tourner le dos à la Ces jeunes, nous leur avons de-
politique, comme l’exprime Raphaël mandé de formuler des propositions
Artaud McNeill, certains ont réinvesti sur la société dans laquelle ils veulent
les partis et sont, comme l’ont indiqué vivre dans vingt ans. Leurs 50 proposi-
trois jeunes députés péquistes connus tions pour le Québec de demain ont été
sous l’étiquette des trois mousque- largement diffusées au Québec. La
taires, toujours très intéressés par la démarche a même suscité de l’intérêt à
question nationale. La moyenne d’âge l’étranger.
des quatre députés élus aux élections Et que disent ces jeunes? Ils veulent,
partielles de septembre 2004 était de 30 justement une société responsable,
ans à peine, à gauche comme à droite. dans laquelle l’État joue le rôle de gar-
Nous publions les témoignages dien du bien commun sans jamais se
de Laure Waridel, cofondatrice d’Équi- substituer aux personnes et aux organi-
terre et auteure de Acheter, c’est voter et sations qui composent la société et qui
de François Rebello, du Groupe Inves- ont leur rôle à jouer dans l’atteinte
tissement responsable, qui illustrent d’une société juste, axée sur le déve-
comment s’exerce désormais l’en- loppement durable.
gagement : par des actions et des choix Ils peuvent paraître idéalistes. Ils le
responsables. C’est aussi ce qu’a révélé sont. Mais ils sont aussi très lucides. Ils
la première édition de l’École d’été de ont vu les dérives et les déceptions
l’INM. provoquées par l’échec des grandes
promesses progressistes énoncées par
Citoyens responsables leurs prédécesseurs et ils veulent du
L’Institut du Nouveau Monde a organi- concret. Ils admettent aussi qu’ils de-
sé la première édition de son École vront peut-être attendre le moment où
d’été, alors appelée Université du ils seront aux commandes pour que
Nouveau Monde, en août 2004. Nous y leurs rêves se réalisent.
avons invité les jeunes à assister à des Entre-temps, ils se préparent à pren-
conférences et à participer à des ateliers dre ou à influencer le pouvoir, plus
pendant quatre jours sur des thèmes nombreux qu’on croit, à travers des
aussi variés que la mondialisation, la dynamiques de réseaux ouverts sur le
famille ou l’environnement. reste du monde tout en gardant en tête
L’invitation a été entendue : 400 jeu- ce qui continue de compter le plus pour
nes sont venus, autant d’hommes que eux, comme l’indiquent les chercheurs
de femmes, de toutes les régions. de l’OJS : réussir à l’école, fonder une
Miriam Fahmy relate cet événement famille, trouver un bon boulot. Être
devenu une référence au Québec, ap- heureux, en somme.
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{ Première partie
Stéphane Kelly
Sociologue et essayiste
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Jeunes et engagés
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Désengagés, les jeunes ?
En fait, de nombreux désert, en décrivant l’exis- Le second salaire n’est maintenant plus
tence d’un effet de généra- un choix, mais une nécessité. Même si
aspects rapprochent tion. Son diagnostic, les familles de la classe moyenne ga-
les discours des prophétique, annonçait gnent aujourd’hui le double du revenu
qu’une bonne partie des qu’elles généraient dans les années
grévistes à la enfants nés à partir de la fin 1970, elles ne sont pas en meilleure
des des années 1950 con- posture. Le coût de la vie a tellement
sensibilité politique naissait une régression augmenté que leur marge de manœu-
de la génération X. économique par rapport vre est plus mince qu’à cette époque.
à leurs parents 2. Ils ré-
gressent parce qu’ils sont L’horizon pessimiste des
arrivés sur le marché du travail après le grévistes étudiants
party des Trente Glorieuses3. Etre un X, Une objection qu’on soulèvera sans
c’est être fragilisé par deux facteurs : doute, face à mon hypothèse, est que la
l’appartenance à une génération et l’ap- jeunesse étudiante a renoué avec des
partenanceà une classe sociale. formes d’action qui étaient privilégiées
Certes, le destin des enfants de la par la génération lyrique. Cet argument
classe moyenne n’est pas uniforme. ne tient pas, car on a nettement exagéré
Démographiquement nombreuse, cette l’apolitisme de la génération X. Son
classe se décompose en trois strates scepticisme face aux grandes utopies
distinctes : la supérieure, l’intermédi- sociales, dans les années 1980, était net-
aire et l’inférieure. La première a connu tement compréhensible. Il était au dia-
un destin fort enviable. Bénéficiant très pason de l’opinion publique de
peu de la croissance économique, les l’époque, qui constatait la crise de l’É-
deux autres strates sont aujourd’hui tat-providence et qui s’inquiétait des
hantées par le risque de dégringoler dérives totalitaires de certains mouve-
dans l’échelle sociale. De fait, pendant ments politiques. Si cette génération
que la strate supérieure a connu (depuis s’était radicalisée politiquement, dans
quinze ans) une augmentation de ses les années 1980, cette révolte aurait été
revenus supérieure à 10 %, les deux dirigée contre les lyriques. La plupart
autres strates ont complètement des X, animés par un ressentiment
stagné. générationnel, ont néanmoins refusé
L’une des stratégies de défense de la de s’engager dans une voie politique
classe moyenne, depuis les années aussi douteuse. En fait, avec le regain
1970, a été de recourir à l’ajout d’un se- du mouvement national, à la fin des an-
cond salaire pour gonfler le revenu fa- nées 1980, l’intérêt mitigé des X pour la
milial. Mais pour la plupart des mé- politique a pris fin et plusieurs ont ac-
nages, cette stratégie n’a pas empêché tivement pris part au débat sur l’avenir
la fragilisation économique. Les coûts du Québec4.
fixes d’une famille de classe moyenne De nombreux aspects rapprochent
(hypothèque de la maison, paiement de les discours des grévistes à la sensibilité
l’auto, coûts de l’instruction, des ser- politique de la génération X: 1) le senti-
vices de garde et de santé) ont aug- ment que la génération lyrique a hy-
menté plus rapidement que le revenu. pothéqué l’avenir des futures généra-
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Jeunes et engagés
tions québécoises; 2) la perception que diants plus pauvres (les plus touchés
l’avenir est bloqué pour longtemps par les coupures budgétaires).
parce que des choix collectifs mal
avisés ont été faits dans les années 1960 Un héroïsme résigné
et 1970 ; 3) la conviction qu’il vaut Le caractère défensif et pessimiste des
mieux préserver ce qui est bon dans grèves étudiantes fait écho à d’autres
l’héritage collectif plutôt que chercher signes traduisant au Québec une méfi-
à réinventer la roue; 4) l’invocation des ance face à l’optimisme progressiste,
effets négatifs d’une dette étudiante sur qu’il soit d’allégeance gauchiste ou
d’éventuels projets familiaux (argu- droitiste. On sait que la relève politique
ments réactionnaires selon les stan- au Québec, dans les partis politiques,
dards lyriques). est sensiblement plus pragmatique que
Ainsi, c’est l’horizon du pessimisme celle qui anima et remua l’âge lyrique.
historique qui rapproche le plus les Outre Gaz Bar Blues, d’autres œuvres en-
grévistes de la génération X. Si l’objec- gagées manifestent un scepticisme face
tif du mouvement étudiant avait été au progrès. On peut penser à des œu-
d’obtenir la gratuité scolaire, aucune vres comme L’Erreur boréale ou Bacon, le
association étudiante n’aurait obtenu film. On peut évoquer aussi les popu-
un mandat de grève générale illimitée. laires combats de Daniel Pinard contre
Si ces grèves ont rassemblé autant d’é- les multinationales de l’alimentation.
tudiantes et d’étudiants de conditions Ces discours politiques, qui cherchent
sociales très variables, c’est qu’elles à préserver et à conserver, qui défend-
étaient fondées sur une volonté ferme ent les « petits producteurs » contre les
de conserver un acquis social juste, multinationales, sont difficiles à faire
raisonnable et concret. entrer dans les catégories politiques
L’action politique déployée durant classiques. Bien sûr, certains accents
le conflit n’était pas fondée sur l’adop- rappellent des combats menés par la
tion d’une grande utopie sociale. Au gauche; d’autres, toutefois, évoquent
contraire, avant le début de la grève, la certains mouvements populistes de
majeure partie de la jeunesse étudiante l’époque du New Deal. Ce qui est cer-
était peu politisée. Chaque étudiant, tain, c’est que ces discours politiques
chaque étudiante a dû soupeser les contestataires avancent dans l’avenir
avantages concrets d’une grève animés par des sentiments d’inquié-
générale. Plusieurs ont conclu, au tude, de crainte et de peur.
début, que ce n’était pas à leur avantage Il serait peut-être temps de lever
de s’engager dans un affrontement notre méfiance face au pessimisme his-
avec le gouvernement. C’est durant le torique. Il y a d’autres façons de mo-
conflit, jour après jour, semaine après biliser des citoyens que d’en appeler à
semaine, que les enjeux politiques sont l’invention d’un monde radicalement
devenus manifestes aux yeux d’une ma- différent. Dans l’histoire de la démo-
jorité d’étudiants. C’est par cet exercice cratie en Occident, il y a eu plusieurs
de jugement politique que plusieurs insurrections politiques démocratiques
ont révisé leur position de départ et fondées sur une vision non progres-
conclu qu’il fallait protéger les étu- siste5. Se voulant respectueuse de la
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Désengagés, les jeunes ?
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Jeunes et engagés
Combat contre un
dégel annoncé
À droite, Pier-André Bouchard St-Amant pendant la grève étudiante de l’hiver 2005. Il était
alors président de la FEUQ.
ment étudiant. Cela lui permet en effet larité tout en activant le mouvement
d’utiliser l’argument suivant : aug- étudiant. J’étais vice-président à
menter l’endettement n’est pas si grave, l’époque. Nicolas Brisson était mon
car le mode de remboursement de la président. La FEUQ s’est alors fait re-
dette allège le tout. procher de prêter des intentions au
En somme, six mois après leur ar- gouvernement, les éditorialistes nous
rivée au pouvoir, les libéraux : a) ont traité d’enfants gâtés2 et la cam-
adoptent le projet de loi 19, b) annon- pagne n’allait pas de soi. Mais entre
cent la tenue d’une commission par- deux maux – se faire dire par le gou-
lementaire sur la qualité, l’accessibilité vernement que nous étions de mauvaise
et le financement des universités, foi et – ne rien faire et subir un dégel,
c) s’engagent à implanter un régime de nous avons préféré le premier. En bout
remboursement proportionnel au de course, nous avons atteint notre ob-
revenu. jectif. Le gouvernement avait toutefois
Or, partout ailleurs, de telles poli- coupé 103 millions dans les bourses
tiques ont mené tout droit au dégel des aux étudiants lors du budget suivant.
frais de scolarité : la seule pièce qui
manquait au puzzle entamé par le gou- La campagne sur les 103 millions
vernement du Québec. Il fallait donc continuer le combat. C’est
La FEUQ avait toute les raisons de à ce moment, en mai 2004, que je suis
croire que le plan du gouvernement n’é- arrivé à la tête de la FEUQ. Notre objec-
tait pas en faveur de la jeune génération. tif était simple : ramener les bourses au
Bref, le « build-up » annonçait le pire. niveau d’avant la coupe de 103 millions.
Toutefois, sortir dans les médias et Pour ce faire, nous avons opté pour une
dans la rue publiquement pour dénon- recette simple : créer le consensus,
cer la « grande conspiration libérale » rallier le plus de gens et diviser « l’en-
n’aurait guère attiré les sympathies, au nemi ». Il nous fallait préparer la mo-
contraire. Il fallait donc trouver un bilisation étudiante, rallier la société
vecteur de campagne plus porteur, ce civile, gagner l’opinion publique et l’ap-
que la FEUQ fit en utilisant la loi-cadre pui des partis d’opposition et diviser les
sur les frais afférents, loi destinée à em- libéraux en leur montrant que nous
pêcher l’augmentation des frais obli- pouvions influencer leur électorat.
gatoires facturés aux étudiants. Simple en théorie, plus complexe en
pratique. Nous avons profité de l’été
La campagne sur la loi-cadre pour peaufiner notre discours et notre
Notre objectif devenait alors clair: faire calendrier de campagne. Nous avons
en sorte que le premier ministre et le analysé l’agenda politique du gou-
ministre de l’Éducation disent ouverte- vernement pour réussir à lui imposer
ment, bien avant l’ouverture de la com- le nôtre.
mission parlementaire, que « tout était Pour ce qui est du discours, nous
sur la table, sauf le dégel des frais de avons eu beau jeu : le gouvernement
scolarité ».1 souhaitait parler de démographie et du
Ainsi, cela démobilisait les princi- financement des services publics, sujet
paux adversaires du gel des frais de sco- qui collait parfaitement à l’agenda des
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Désengagés, les jeunes ?
jeunes générations! Car l’enjeu démo- plines, de toutes les régions, de tous les
graphique est un problème préoccu- cégeps et universités, de toutes les orig-
pant pour les 18-25 ans et pour ceux qui ines ethniques. Ce n’est pas tous les
perçoivent les enjeux à travers les jours que l’École Polytechnique, l’École
chiffres. des technologies supérieures, l’Univer-
Nous étions résolus à mettre de l’a- sité McGill, l’Université Concordia,
vant le discours de notre génération : toutes les facultés de médecine du
maintenir l’accessibilité aux études Québec, et j’en passe, décident de
pour financer les services publics ; ne débrayer en même temps ! En 15 ans
pas baisser les impôts ; rembourser de d’existence la FEUQ demandait pour la
la dette privée (103 millions) et publique première fois à ses 170 000 membres
et favoriser une immigration massive de faire la grève.
pour financer les services publics à long Le 16 mars – à l’exception de 2005
terme. Bishop’s – toutes les universités étaient
Au-delà de la vision globale dans en grève. Plus du quart de la population
laquelle s’insérait notre revendication, entre 18 et 25 ans était en grève. Cent
il fallait sensibiliser la population au fait mille étudiants manifestaient contre la
que les compressions de l’aide finan- décision du gouvernement, contre son
cière aux études affectent les étudiants obstination à admettre ce que tous
les plus pauvres. Ainsi, le caractère in- jugeaient être une erreur, contre une vi-
juste de la décision du gouvernement sion individualiste de l’éducation qui en
apparaissait manifeste. Enfin, nous de- nie les retombées collectives. Il aura
vions éviter de tomber dans le piège de fallu qu’une génération se lève et af-
nos adversaires qui souhaitaient que les firme qu’elle ne peut pas être mise de
103 millions en compressions se trans- côté dans les choix politiques de notre
forment en 103 millions en augmenta- gouvernement, qu’on ne joue pas avec
tion de frais de scolarité, ce qui nous son avenir, notre avenir. C’est cette
aurait ramenés à la case départ. Sans détermination, conjuguée à un message
réponse argumentée et cohérente, il clair et compris de tous, qui aura donné
nous aurait été impossible de convain- les résultats.
cre les gens.
Au bout du compte, il aura fallu huit Car ils y sont, les résultats :
mois de représentations, deux mi- • les étudiants récupèrent les 103 mil-
nistres, 73 % d’appui des Québécois, lions dès la deuxième année du pro-
des publicités télévisées, des appels sys- gramme ;
tématiques aux députés, des actions aussi • ils obtiennent l’abolition du pro-
spontanées que diversifiées, le travail de gramme de remboursement propor-
l’opposition (unanime) à l’Assemblée na- tionnel au revenu ;
tionale, l’appui des éditorialistes et une • ils forcent le gouvernement à retirer
visibilité médiatique sans précédent. de la loi 19 la méthode de calcul des
Mais plus encore, il aura fallu écrire prêts et bourses en fonction des frais
une page d’histoire : que 200 000 étu- de scolarité.
diants se mettent en grève. Des étu- En somme, tous les éléments su-
diants provenant de toutes les disci- sceptibles de conduire à un dégel des
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Jeunes et engagés
frais de scolarité ont été éliminés. Des leçons doivent être Des leçons doivent
Parions qu’après un tel dégel, le gou- tirées : trois jeunes sur qua-
vernement ne se risquera pas à toucher tre ne votent pas aux élec- être tirées : trois
aux étudiants… avant le prochain man- tions. Cela réduit consi- jeunes sur quatre ne
dat. Michel Venne a eu raison d’écrire : dérablement l’importance
« Hé les jeunes ! Vous avez gagné ! » que nous accordent les par- votent pas aux élec-
tis politiques. Si notre gé-
La génération 103 nération n’a pas l’avantage
tions. Cela diminue
En mai 2005, mon mandat s’est ter- du nombre pour mettre de considérablement
miné et après deux années à la FEUQ, l’avant de telles politiques,
j’entame des études de maîtrise. La elle devra compenser par la
l’importance que
bataille de l’accessibilité à l’éducation qualité de ses interventions nous accordent les
a donné des résultats. Mais il est sur la place publique, par la
navrant de voir que le gouvernement a force de ses recherches et partis politiques.
traité la question démographique par son réseau. Après tout,
comme les chaînes de fast-food traitent nous sommes la génération la plus
la santé : un axe de marketing, tout au scolarisée!
plus. Or, la dette publique n’est pas En regardant l’énergie déployée
quelque chose qui disparaît à coup de pour conserver une part représentant
dépliants. Plus généralement, les moins de un pour cent du PIB con-
bouleversements démographiques que sacrée aux prêts et bourses, il est perti-
nous traversons dépassent les débats nent de se questionner sur ce qui sera
politiques ou les jeux électoraux. nécessaire pour mettre en place ces im-
Rendre l’éducation accessible, ac- portantes politiques. Peut-être est-il
cueillir davantage d’immigrants, com- temps que nous cessions d’être en réac-
mencer à rembourser la dette pu- tion à un ordre du jour qui n’est pas le
blique, ne pas baisser les impôts : tels nôtre, que nous prenions davantage
ne sont pas des luxes, mais des néces- d’espace dans les débats publics, dans
sités. Nous devons penser plus loin l’arène politique et que ce soit nous qui
également : que voulons-nous en créions les débats, les orientations et,
matière d’environnement, de solidarité en définitive, prenions les décisions qui
sociale, d’économie ou de développe- nous concernent. Celles qui façon-
ment des régions ? Quelle devrait être neront toutes les facettes de notre vie.
la stratégie du Québec sur l’échiquier Entendez-vous ? Qu’attendons-nous ?
international ?
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Désengagés, les jeunes ?
Madeleine Gauthier et Pierre-Luc Gravel américains et français dont s’abreuvent les Québécois,
Observatoire Jeunes et Société tant journalistes que chercheurs ? […]
INRS Urbanisation Culture et Société
Des manifestants sans âge
« Les jeunes se désintéressent de la politique. Ils sont
individualistes. » Voilà des expressions que l’on n’ose Les manifestations récentes autour d’enjeux interna-
plus remettre en question. Mais des manifestations tionaux ont vu la mise en scène de leaders jeunes et de
récentes, en particulier à l’occasion de questions participants jeunes sans que ces derniers ne se définis-
d’ordre international, ainsi que la création de nouveaux sent comme jeunes. Ils ne sont en effet pas les seuls
organismes de participation des jeunes à la chose à se rendre à Porto Alegre, à déambuler par les moins
publique comme les Forums jeunesse régionaux et le 20º Celsius dans les rues de Saint-Georges, de Rivière-
bilan de la vie associative des jeunes, contredisent du-Loup tout autant que dans celles de Québec ou de
pourtant cette image d’apathie souvent véhiculée par Montréal contre la guerre en Irak, mais ils sont proba-
les médias, à l’occasion de tribunes téléphoniques ou blement majoritaires. Des militants «altermondialistes»
même de colloques scientifiques. […] Quelle définition – nouveau vocable à connotation moins négative
donne-t-on de la participation sociale et politique ? Se qu'« anti-mondialisation » – à qui nous avons posé la
résume-t-elle à la démarche d’aller voter ? Se pourrait- question ont refusé de se définir par l’âge. Leurs reven-
il que les jeunes Québécois fassent montre d’un in- dications n’étant pas propres à leur âge, ils préfèrent les
térêt particulier pour certaines questions qu’ignore la alliances qui transcendent la notion d’âge.
recherche internationale, en particulier les travaux
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Jeunes et engagés
Ces revendications concernent, selon les circonstances, milieu d’origine pour aller vivre ailleurs au Québec –
l’environnement : pollution atmosphérique, partage de les migrations au Québec sont moins interprovinciales
l’eau potable, maintien de forêts qui protègent l’atmo- que pour les autres provinces canadiennes – mais ces
sphère, contrôle de l’agriculture sous une trop forte jeunes adultes ont franchi les frontières internationales
intrusion des progrès techniques (recherches bio- pour les études, des années « sabbatiques », le voyage.
logiques, pesticides). Si ces questions ont été forte- Parce qu’ils sont libres de leurs mouvements, n’étant
ment discutées au cours de la dernière décennie, ce pas encore attachés à un emploi, à une résidence fixe,
sont les progrès sociaux, souvent liés aux questions à une famille, les jeunes sont les champions des
précédentes, qui attirent maintenant l’attention : formes contemporaines de nomadisme, ce qui leur
subventions à l’agriculture qui détruisent les possibilités confère une sensibilité internationale que toutes les
de production agricole du tiers-monde, promotion des générations précédentes n’ont pas eue.
droits des femmes et de l’éducation, vente des pro-
duits pharmaceutiques génériques pour résoudre le pro- L’univers médiatique a aussi initié les jeunes aux réa-
blème du sida mais aussi Les maladies tropicales. lités internationales. À cela, il faut ajouter l’intégration
de l’écologie dans les programmes scolaires dès l’école
La guerre en Irak a éveillé nombre de citoyens au rôle primaire. Pour ne donner qu’un exemple, la prise de
international que joue ou pourrait jouer l’Organisation conscience, à cet âge, que la pollution de l’eau et de
des nations unies dans le maintien de la paix et la l’air a des répercussions que nul gouvernement terri-
promotion de la démocratie. Si les réunions interna- torial ne peut contrôler à lui seul n’est pas sans éveiller
tionales comme celle de la Zone de libre-échange des plus tard, à l’adolescence ou au début de l’âge adulte,
Amériques, du G8 ou de l’Organisation mondiale du une certaine sensibilité à l’interdépendance des na-
commerce (OMC) rassemblent les manifestants sur les tions. C’est alors que se fait sentir le besoin de règles
lieux mêmes des réunions, la question de la paix a internationales plus justes pour tous les peuples de la
permis de voir se lever des populations parmi les plus terre et la réclamation de mécanismes internationaux
éloignées des grands centres urbains. Ce sont parfois neutres dans les conflits qui continuent d’affliger
des enfants qui ont pris la tête de mouvements de plusieurs parties de la planète. […]
contestation : ce fut le cas d’enfants de dix ans à
Rivière-du-Loup, par exemple. Ils ont réussi à entraîner
leurs parents. Références
www.obsjeunes.qc.ca
Pourquoi retrouve-t-on tant de jeunes lors des mani- Baudelot, Christian et Roger Establet,
festations ? Si, pour cette jeunesse, la référence aux Le niveau monte, Paris, Éditions du Seuil, 1990.
institutions politiques et sociales a des airs de « sys- Conseil permanent de la jeunesse, Répertoire des
tème naturel » qui leur préexiste, l’éclatement des fron- organismes jeunesse, Québec, Gouvernement du
tières fait aussi partie de leur paysage familier. Plus Québec, 2003.
de 50 % des jeunes ont quitté à un moment ou l’autre Gauthier, Madeleine et Pierre-Luc Gravel, « Une
leur région (Groupe de recherche sur la migration des génération apathique ? » dans Cahiers du 27 juin,
jeunes, 2002). Non seulement sont-ils sortis de leur vol.1, no 1, 2003.
Extraits d’un texte publié dans L’Annuaire du Québec 2004 sous le titre « Les nouvelles formes d’engagement de la
jeunesse québécoise »
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Désengagés, les jeunes ?
Anne-Marie Aitken
Revue Relations
Photo : Jacques Grenier
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Jeunes et engagés
avons une responsabilité quand nous coup, en partie parce que les coûts du
entendons parler d’enfants au Brésil, transport ne sont pas inclus dans le
en Côte-d’Ivoire, qui travaillent dans prix. Si nous payions le vrai coût envi-
des plantations et qui sont dasn des ronnemental du pétrole, la pomme qui
conditions d’esclavage. Nous ne pou- vient de Nouvelle-Zélande coûterait
vons pas simplement nous fermer les plus cher que la pomme du Québec.
yeux. Nous devons réagir. Pour l’ins- Pour l’instant, ce n’est pas le cas. Ces
tant, nos gouvernements ne sont pas aberrations sont dues à un système
prêts à agir parce que ce sont des ques- économique qui ne tient pas compte
tions nationales. Comme consomma- des coûts environnement aux et
teurs, si nous achetons ces produits-là, sociaux.
nous endossons ces pratiques. Per- Le « Naturel » affecte la transforma-
sonnellement, je ne voudrais pas que tion des aliments et de l’agriculture. On
mes enfants vivent dans l’esclavage. Je parle beaucoup de la « mal bouffe »,
ne vois pas pourquoi je l’accepterais mais on devrait parler aussi de la « mal
pour les enfants des autres. agriculture » avec les pesticides, les
OGM… Naturel signifie que les ali-
3 N-J ments sont cultivés de manière aussi
Dans le choix des aliments, vous prônez les écologique que possible. Aujourd’hui,
3N-J. Qu’entendez-vous par là ? des produits chimiques interviennent
Ce sont des aliments nus, non loin, dans la transformation des aliments
naturels et justes. Le «Nu» concerne les pour les conserver le plus longtemps
déchets: l’emballage et le compostage. possible. Cela est en partie dû à
Quarante pour cent de notre sac de l’éloignement et à la préservation. On
déchets est constitué de matières or- pourrait aussi parler des risques liés à
ganiques qui, une fois dans un site l’irradiation des aliments, etc.
d’enfouissement, contribuent aux Le « Juste » est peut-être ce qui est le
émissions de gaz à effet de serre via le plus difficile à obtenir. Il s’agit là de
méthane, mais qui, compostés, sont un l’emprise des compagnies multina-
engrais formidable pour le jardin et tionales sur notre système agroalimen-
pour l’écosystème. taire. Lorsque nous allons à l’épicerie,
Le « Non loin » concerne l’achat nous avons l’impression d’avoir le
local. Là, nous touchons à la question choix enre des centaines de produits,
de la mondialisation des marchés. Les mais en fait, ils sont commercialisés
aliments parcourent en moyenne 2600 par quelques transnationales : princi-
kilomètres avant d’arriver chez notre palement Nestlé, Altria (propriétaire
marchand. Ceci a des conséquences notamment de tous les produits Kraft
non seulement sur l’écosystème à et Nabisco), Unilever, Procter &
cause des gaz à effet de serre via le CO2 Gamble, Sara Lee, Pepsi Co., Coca-
mais aussi sur le transport et sur les Cola, etc. Celles-ci détiennent souvent
communautés locales. Par exemple, au des actions dans des compagnies inter-
Québec, nous produisons des venant dans des secteurs connexes tels
pommes; nous en exportons certes, l’agrochimique et le pharmaceuthique,
mais nous en importons aussi beau- concernés par le brevetage du vivant.
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Jeunes et engagés
Nous assistons à une prise en otage de familles qui font partie des projets d’a-
notre système alimentaire. Ils ne nous griculture soutenus par la communauté
vendent pas des aliments pour nous - moyen très concret d’avoir des pro-
nourrir, ils nous vendent des aliments duits biologiques moins chers - n’ont
pour faire du profit. Il faut donc nous pas beaucoup d’argent. Ce sont souvent
réapproprier notre alimentation en des familles qui s’inquiètent des résidus
achetant à de petites entreprises, à des de pesticides qu’ils trouvent dans l’ali-
coopératives, à des entreprises d’é- mentation de leurs enfants.
conomie sociale et en promouvant le Nous sommes dans une situation
commerce équitable... paradoxale. Les agriculteurs les plus
riches, propriétaires de méga porcheries
Bien nantis, bien nourris ? et de grandes fermes industrielles, sont
Le risque n’est-il pas de développer une nour- ceux qui produisent des aliments bon
riture pour les riches, qui seuls pourront se marché destinés à la masse, tandis que les
payer les produits du terroir, et de creuser les gens plus fortunés achètent des aliments
écarts sociaux ? biologiques cultivés par des agriculteurs
Comparativement à la majorité des qui tirent le diable par la queue parce qu’ils
habitants de la terre, proportionnelle- ne bénéficient pas d’un soutien à l’agri-
ment à nos revenus moyens, nous culture biologique et aux petites produc-
payons notre panier d’épicerie très bon tions du terroir. Cela illustre à quel point
marché. Car nous ne payons pas les les prix sont artificiels comparativement
coûts sociaux et environnementaux aux véritables coûts et aux véritables con-
qu’il implique. Ceci dit, bien que l’on séquences de tels choix. j’espère que les
trouve beaucoup d’aliments bon produits biologiques et les aliments du ter-
marché, un certain nombre de person- roir vont se développer davantage.
nes n’ont pas suffisamment à manger. Rappelons-nous qu’il n’y a pas si long-
Beaucoup de foyers sont dans des situ- temps, tout le monde mangeait des
ations socioéconomiques tellement dif- produits du terroir et des aliments bio.
ficiles que de leur demander d’acheter
des produits biologiques du terroir est Le café équitable nous réveille
irréaliste. Il faut donc travailler sur la Revenons à l’exemple du café, qui est un des
structure économique du partage des aliments que vous connaissez le mieux.
ressources et sur la capacité des per- Je me suis intéressée au café parce
sonnes à avoir un plus grand contrôle que je m’intéressais aux questions
sur leur alimentation, en cuisinant par d’inégalité entre les pays du Nord et les
exemple. pays du Sud. On dit toujours que le
Au delà des revenus, c’est le niveau colonialisme est terminé. En fait, le
d’éducation qui est déterminant. Les néo-colonialisme est encore bien
gens les plus scolarisés, les plus présent. Ce ne sont plus des pays, mais
éduqués, les plus sensibilisés sont ceux des compagnies, ou un système, qui
qui, en général, font les choix les permettent à une minorité d’exploiter
meilleurs pour la santé. Non seulement une majorité. Dans le cas du café, ceux
leur santé, mais la santé de la société et qui font la majorité du travail reçoivent
la santé des écosystèmes. Plusieurs des une toute petite part du prix qui est payé
27
Désengagés, les jeunes ?
Le commerce par le consommateur. Les garantir un commerce qui favorise des modes
petits producteurs du Sud, de production et de consommation respon-
équitable n’est qu’un dans le fond, subvention- sables à l’échelle internationale?
outil qui contribue à nent notre alimentation. Il faut admettre que nous vivons
Avec la détérioration des dans une économie qui est mondialisée
politiser les gens. termes de l’échange qui a et dans laquelle les États ont de moins
prévalu depuis les années en moins de pouvoir, en partie parce
Mais il faut aller 1970, la valeur réelle des qu’ils l’ont abdiqué. Il y a un problème
plus loin. produits a l i m e n t a i r e s au niveau de l’organisation politique.
d i m i n u e . L’exemple du les gouvernements devraient se res-
café est intéressant de ce point de vue. ponsabiliser en donnant priorité aux
Le marché du café est contrôlé par droits humains et aux droits environ-
quelques grandes compagnies. Son nementaux sur les droits économiques.
prix est déterminé aux bourses de Ils pourraient ainsi arrêter de se
Londres et de New York, des pays qui soumettre à l’OMC et à l’ALÉNA, par
ne produisent absolument pas un grain exemple. Mais l’idéologie actuelle ne va
de café... les répercussions de la chute pas dans ce sens. Les gouvernements
des prix, comme celle qui s’est produite parlent beaucoup de « développement
récemment, se font sentir dans les 80 durable ». Si celui-ci peut être comparé
pays et touchent 20 millions de per- à un tabouret à trois pieds formé de
sonnes. Une telle chute des cours du l’environnement, de la société et de l’é-
café a eu lieu parce que la Banque mon- conomie, nous nous apercevons que le
diale a encouragé le Viêt-Nam à pro- développement économique a un très
duire du café. Celui-ci, avec son grand pied et que les deux autres sont
économie centralisée, s’est mis à en de plus en plus courts. En fait, on est en
produire au point d’inonder le marché. train de les scier complètement.
De là, la chute des prix et tous les autres Il faut que les politiques locales,
problèmes qui ont suivi. provinciales, nationales et interna-
J’aurais pu parler du sucre, de la ba- tionales changent. Pour cela, les
nane et de produits dans l’industrie du citoyens doivent faire bouger les gou-
vêtement. Ce qui est intéressant avec vernements. Si nous continuons à
les produits alimentaires, c’est que suivre les États-Unis comme nous le
nous les consommons. Ils entrent en faisons dans de nombreux dossiers,
nous. Le café que nous buvons le nous ne serons pas avancés. Nous ou-
matin sert à nous réveiller. Ne pour- blions que l’économie est un outil pour
rait-il pas servir aussi à nous ouvrir les le bien des individus et des sociétés, et
yeux sur les inégalités du système non une fin en soi. Le commerce
économique mondial ? équitable n’est qu’un outil qui con-
tribue à politiser les gens. Mais il faut
Mesures politiques au Canada aller plus loin.
Quels types de mesures politiques seraient à
instaurer au Canada et dans le monde pour
Cet entretien a été publié dans l’édition de juin 2005 de la revue Relations. Nous remercions la revue et
Laure Waridel d’avoir autorisé l’INM à le reprendre ici.
28
Jeunes et engagés
L’investissement responsable,
du Suroît à Wal-Mart
François Rebello
Groupe Investissement Responsable
Québec à l’égard les changements cli- besoins peuvent être satisfaits par les
matiques et sa participation au marché énergies renouvelables » (avril 2005).
des crédits de CO2 ne nous semblent
pas claires », osaient-elles affirmer. Wal-Mart et la proposition
« De plus, nous croyons que la contro- d’actionnaire
verse soulevée par le Suroît pourrait Galvanisées par le succès de leur cam-
nuire à la réputation d’Hydro-Québec pagne contre le Suroît, les religieuses
auprès des investisseurs, tant au récidivèrent en juin 2005. Cette fois, ce
Canada qu’à l’étranger. » fut au tour de Wal-Mart de goûter à leur
Quelques jours après leur interven- médecine. Réagissant à l’affront de la
tion, le gouvernement Charest battait fermeture du magasin de Jonquière, des
en retraite. Bien sûr, l’initiative des communautés religieuses québécoises
communautés religieuses s’ajoutait à et américaines ont décidé d’allier leurs
une campagne bien organisée des forces. Elle firent campagne ensemble
groupes écologistes. Il n’en demeure en faveur d’une proposition d’action-
pas moins que la stratégie des re- naire qui exigeait un rapport sur le
ligieuses a surpris par son efficacité. Le développement durable, incluant une
contexte était aussi idéal : Jean Charest révision des pratiques sociales de l’en-
faisait face au Conseil général du Parti treprise. Ces communautés réussiront
libéral du Québec. Pressurisé aussi par même à obtenir le soutien d’importants
ses militants, Charest annoncera à la investisseurs institutionnels.
fin de cette réunion que le projet était Notons que la stratégie de la
placé sur une voie de garage. « proposition d’actionnaire » (ou de
La force politique des intervenants l’engagement) utilisée dans le cas de
ayant pris position a eu raison du pro- Wal-Mart a aussi été celle privilégiée par
jet. Hydro-Québec n’a pas eu à tenir le Robin des banques, Yves Michaud,
compte du seul risque financier relié à fondateur de l’Association de protec-
l’intervention des religieuses. Alors que tion des épargnants et investisseurs du
tous les grands gestionnaires de porte- Québec (APÉIQ). Elle diffère de celle
feuilles gèrent des fonds pour des com- utilisée traditionnellement par les fonds
munautés religieuses, ceux-ci allaient- éthiques, qui consiste davantage en une
ils se départir des titres obligataires approche dite « du filtre ». On passe les
émis par Hydro-Québec pour ne pas dé- investissements au crible en fonction
plaire à leurs clients? Dans le contexte de critères précis qui permettent d’ex-
où le prix du financement est directe- clure les entreprises jugées « non
ment lié à la liquidité de celui-ci, Hydro- éthiques ». C’est là deux façons dif-
Québec n’aurait probablement pas férentes de réagir face à une allégation
voulu courir ce risque. de pratiques condamnables: on vend le
Aujourd’hui, le contraste est frap- titre ou alors plutôt on intervient
pant entre ce que nos amis d’Hydro- comme propriétaire auprès des
Québec disaient à l’automne 2003 et ce dirigeants.
qu’affirme Thierry Vandal, le nouveau Pour plusieurs raisons, la deuxième
président et chef de la direction approche est celle qui progresse le plus.
d’Hydro-Québec : « Tous nos nouveaux D’abord, l’intervention est plus nu-
31
Désengagés, les jeunes ?
Le syndicat des ancée que celle qui consiste révélateur de l’efficacité de la stratégie.
à exclure. En effet, une en- Après que des scandales d’exploitation
TUAC accuse treprise n’est jamais par- d’enfants aient éclaté, le fonds des
l’entreprise d’avoir faitement « éthique » ; en méthodistes, une communauté re-
revanche, elle n’est habi- ligieuse américaine, a soumis une
recours à des tuellement pas non plus à proposition demandant à Nike de s’as-
« boycotter » entièrement. surer que ses sous-traitants respectent
pratiques de travail Les entreprises se situent les normes internationales du travail.
déloyales habituellement dans une Soumise lors de l’assemblée des ac-
zone grise. Certaines de tionnaires de 1994, la proposition a re-
leurs pratiques pourraient cueilli 3,4%. Petit pourcentage! Mais
être améliorées. Par exemple, les suffisant pour que la proposition soit
grandes banques sont continuellement soumise à nouveau l’année suivante. Il
placés devant des choix « éthiques » : n’en fallait pas plus pour que Nike s’as-
vont-elles offrir des comptes dans des soie avec les proposeurs pour les in-
paradis fiscaux à leurs clients ? vont- timer de ne pas soumettre leur propo-
elles exiger le respect de normes envi- sition de nouveau. À la suite de ces
ronnementales élevées aux entreprises discussions, Nike décida de se conver-
qu’elles financent ? Vont-elles encadrer tir et a accepté d’adopter un code de
leurs gérants de succursales pour s’as- conduite basé sur les normes interna-
surer que les clients plus démunis ne tionales combiné à un système de véri-
seront pas victimes de discrimination ? fications indépendantes.
Vont-elles garder leurs taux sur les Mais revenons à Wal-Mart. En avril
cartes de crédit plus ou moins élevés 2005, la fermeture du magasin de
que ceux de leurs concurrents ? On Jonquière, premier établissement de
comprend aisément qu’il serait difficile l’entreprise à avoir obtenu une accrédi-
de se lancer dans une campagne de tation syndicale en Amérique du Nord,
boycott à chaque fois qu’une entreprise a provoqué beaucoup de réactions
n’agit pas sur ces questions. Il est selon négatives de la part, non seulement du
nous beaucoup plus aisé et efficace syndicat des Travailleurs et travailleuses
d’intervenir par une approche d’en- unis de l’alimentation et du commerce
gagement. (TUAC), mais aussi des médias et de la
Même si les propositions d’action- population d’une manière générale.
naire à portée sociale n’obtiennent pas L’entreprise a justifié cette fermeture en
le soutien de la majorité des action- prétextant, entre autres, des problèmes
naires, elles recueillent souvent un de rentabilité vécus par le magasin. Le
pourcentage suffisant pour démontrer syndicat des TUAC accuse l’entreprise
qu’une partie importante des action- d’avoir recours à des pratiques de tra-
naires est sensible à ces questions et vail déloyales et de mener une cam-
qu’en cas d’insatisfaction, ces action- pagne d’intimidation contre l’ensem-
naires pourraient décider de vendre leur ble des travailleurs des magasins de
titre, ce qui aurait comme conséquence Wal-Mart qui chercheraient à se syndi-
de faire chuter la valeur boursière de quer. Wal-Mart a d’ailleurs décidé de
l’entreprise. L’exemple de Nike est fermer son magasin une semaine avant
32
Jeunes et engagés
33
Désengagés, les jeunes ?
Des étudiants qui L’épargne pour changer qui siègent sur ces comités, les man-
les choses dataires, ceux qui gèrent les porte-
s’engagent pour faire Le Québec se distingue de feuilles, n’ont pas le choix d’ajuster
pression afin que ses voisins d’Amérique du leurs flûtes. On pourrait également
Nord par la propriété plus souligner le Fonds de solidarité FTQ,
leur institution collective de ses épargnes. le premier fonds axé sur le développe-
Grâce au Mouvement ment des PME locales dans le monde
fasse des achats Desjardins créé dès le qui dépasse maintenant les quatre mil-
responsables. début du siècle, les coo- liards d’actif.
pératives occupent 70 % Le contrôle collectif de nos
du secteur des services épargnes nous protège d’une part con-
bancaires, ce qui est fort différent de tre de brusques mouvements de capi-
la situation qui prévaut dans le reste de taux, mais nous donne surtout les
l’Amérique de Nord. moyens d’intervenir comme action-
Alors que les Américains et les naires pour que les grandes multina-
canadiens anglais ont choisi, jusqu’à tionales respectent davantage les
tout récemment, de ne pas capitaliser grands principes de solidarité, en par-
leur régime de retraite public, le ticulier ceux qui ont été précisés par le
Québec, lui, a commencé dès le milieu droit international.
des années 60 à confier les cotisations La préoccupation pour que les in-
de la Régie des Rentes du Québec vestissements et la consommation se
(RRQ). Cette décision, qui visait fassent de manière responsable tran-
surtout à favoriser une indépendance scende les générations et les partis. Là,
économique, a eu comme belle con- ce sont les religieuses qui exercent
séquence de réduire le déficit démo- leurs droits d’actionnaires. Dans un
graphique du régime. Aujourd’hui, la même esprit, les universités, notam-
Caisse qui gère principalement l’ar- ment les étudiants, qui s’engagent
gent du RRQ et celui du Régime de re- pour faire pression afin que leur insti-
traite des employés du secteur public tution fasse des achats et des in-
est le plus gros investisseur institu- vestissements responsables. Qu’on
tionnel du Canada. pense, à l’UQAM, au Collectif étudiant
Le taux de syndicalisation qui dé- pour la consommation responsable
passe les 40 % au Québec a contribué à et les investissements éthiques,
forgé de nombreuses caisses de re- (CÉCRIÉ) et à la Surveillance pour la
traite où l’influence des travailleurs est consommation responsable universi-
de plus en plus grande. De plus, la taire et des transactions éthiques, la
«Loi sur les régimes complémentaires» SCRUTÉ, liée à la FAÉCUM. Il y a aussi
se distingue par le fait qu’elle impose la Student Society of McGill University
une représentation des travailleurs sur à McGill.
le comité qui gère chaque régime. C’est là une autre manière pour les
Comme les syndicats offrent de plus jeunes de s’engager et de construire des
en plus de formation aux travailleurs solidarités à l’heure de la mondialisation.
34
{ Deuxième partie
Miriam Fahmy
Chargée de projet et rédactrice, Institut du Nouveau Monde
Le concept de l’École d’été est né dans que le Québec ait jamais vu. C’est ainsi
l’esprit de Michel Venne il y a plusieurs qu’est née l’Université du Nouveau
années déjà. Mais c’est en réunissant Monde, une école de citoyenneté aux
une équipe de jeunes talentueux, créa- airs de festival.
tifs et prêts à relever le défi qu’il a enfin Sous le thème « Apprendre, pour
pris forme à l’été 2004. rêver le Québec», 400 jeunes de tous les
Le mandat que le directeur de l’INM horizons se sont réunis pendant quatre
donnait à son équipe : organiser jours à Montréal en août 2004.
l’événement jeunesse le plus trippant Ensemble, ils ont imaginé un monde
meilleur à l’image de leurs valeurs et de
leurs aspirations.
36
Jeunes et engagés
justifier leurs positions, bref, argu- ment à caractère et culturel tel que du
menter, négocier, délibérer. cinéma, du théâtre, des expositions
Enfin, l’École d’été est une tribune. d’œuvres d’art, de l’impro, des specta-
La démarche du Projet citoyen offre cles d’humour et de musique. Ces ac-
l’occasion unique aux jeunes Québécois tivités contribuent à l’apprentissage au-
d’exprimer leurs opinions, de proposer tant qu’à l’esprit de convivialité.
des idées et des projets concrets. Ce Le versant pédagogique de l’ÉÉ ne
troisième volet de la formule de l’École serait pas aussi réussi s’il n’alliait pas
d’été leur donne la parole. au sérieux de son programme la détente
et le divertissement, qui sont autant
Créatifestif d’occasions de faire des rencontres.
L’arme secrète de l’École d’été est sa
joyeuse désinvolture. Participer à l’ÉÉ Les voies du possible
ne signifie surtout pas s’enfoncer dans L’École d’été, cet espace d’apprentis-
une lourdeur inutile, un trop-plein de sage et d’échanges, est avant tout un
sérieux. Au contraire. À l’ÉÉ, tout con- rassemblement. Les centaines de
court à construire une ambiance de jeunes qui participent à l’ÉÉ sont âgés
ludisme, à commencer par le pro- de 15 à 30 ans et proviennent de tous
gramme, qui comporte de nombreuses les horizons. Ce sont des étudiants
occasions d’expression artistique : les universitaires, du cégep ou du secon-
participants peuvent faire du théâtre, daire, des travailleurs autonomes ou
participer à des jeux de rôles, monter salariés, des citoyens engagés, des
des projets de création. Le souci de parents, des militants,des globe-trot-
divertir n’est pas le seul objectif à l’o- ters, des rêveurs ; ils sont dynamiques,
rigine de ce choix. Nous avons compris curieux, inquiets, ingénieux. Ils pro-
que l’engagement, et l’apprentissage viennent de toutes les régions du
de l’engagement, peuvent prendre Québec; l’ÉÉ accueille même plusieurs
plusieurs formes, des plus tradition- dizaines d’ambassadeurs des pays de
nelles aux plus éclatées. la Francophonie.
En ce sens, l’École d’été offre aussi Ayant le souci d’offrir un espace où
une panoplie d’activités de divertisse- tisser des liens intergénérationnels,
l’École d’été ne regroupe pas unique-
ment des jeunes. Elle rapproche ces
futurs bâtisseurs de la société des plus
importants acteurs d’aujourd’hui.
Figures d’engagement, penseurs, em-
pêcheurs de tourner en rond, ils sont
pour les jeunes des exemples du pos-
sible. En présentant leurs idées et leurs
Photo : Valérie Sisso
38
Jeunes et engagés
De l’idée à l’action :
le Projet citoyen 2005
L’École d’été ouvrira à nouveau ses
portes le 18 août 2005 afin d’accueillir
Marie-Ève Homier
Participante de l’Université du Nouveau Monde 2004
40
Jeunes et engagés
1 « No Man Is An Island », expression tirée d’une œuvre de John Donne, poète anglais du 17e siècle.
41
Une école d’été pour changer le monde
Du 19 au 22 aoûtHomier
Marie-Ève 2004, 400 jeunes venus fructueux. Les participants se sont retrou-
de partout au Québec se sont réunis à vés en compagnie de Québécois de toutes
Montréal pour participer à l’Université les régions et d’âges variés. Au dire même
du Nouveau Monde, la première édition des participants, ce mélange a permis
de l’École d’été de l’Institut du Nouveau d’ouvrir leurs horizons et a mené à des
Monde. Ensemble, ils ont formulé rencontres enrichissantes.
50 propositions pour le Québec de La délibération en équipe a également
demain, en se penchant sur cinq thé- obligé les participants à appuyer leurs
matiques particulières. propositions sur des arguments solides
Ces propositions sont le résultat d’un et à surmonter leur peur de la confronta-
processus démocratique mené au sein tion. Elle leur rappelle que le débat est
de cinq groupes de 80 participants, qui une étape essentielle de la démocratie.
se sont partagé la tâche de penser Ce processus a mené à la construction
l’avenir du Québec. Vous trouverez les d’une vision commune de l’avenir du
50 propositions dans ce document.1 Québec qui a le souci du bien commun.
L’exercice du vote est le passage obligé
Le processus d’une citoyenneté active. À l’Université
Regroupés en équipes de dix, les partici- du Nouveau Monde, il a rappelé aux par-
pants étaient appelés à réfléchir au thème ticipants que voter est l’expression la plus
qui leur était assigné, à en débattre et fondamentale de leurs droits et respon-
enfin à rédiger trois propositions. sabilités en tant que citoyens.
Ensuite, les 80 participants ayant travaillé
sur le même thème ont retenu les dix Les 50 propositions
meilleures propositions parmi toutes Appelés à faire preuve de créativité et
celles que les équipes avaient rédigées. d’organisation, en privilégiant l’intérêt
Enfin, les dix propositions de chaque commun et en se souciant davantage du
thème ont été présentées à l’assemblée long terme que du court terme, les par-
des 400 participants, en présence du ticipants ont relevé le défi du projet
ministre de l’Éducation, Pierre Reid, et citoyen avec brio. Les 50 propositions
de représentants de la société civile. pour le Québec de demain témoignent
Dans la composition des équipes, de l’intérêt des jeunes pour la chose
l’Université a favorisé la diversité afin que publique et du niveau élevé de leurs con-
les échanges des participants soient naissances. Elles accordent un rôle cen-
42
Jeunes et engagés
tral à l’État comme gardien du bien com- L’Université du Nouveau Monde a été pour moi une expérience très enrichissante.
mun, aux organisations de la société Cette activité m’a permis de m’exprimer, de faire valoir mes opinions tout en
civile, à l’école et aux citoyens afin d’as- sachant qu’elles étaient prises au sérieux. L’ouverture au changement et aux
surer un avenir juste, démocratique et nouvelles idées que chacun contribuait a créé un climat propice au question-
nement, au débat et à la quête de solutions. Il va sans dire que c’est avec grande
pluraliste de la société québécoise. Les
joie que je me suis mis à discuter avec tous les autres membres de mon groupe.
jeunes participants del’Université du Première leçon tirée de cette expérience: les groupes sont rarement homogènes et
Nouveau Monde insistent lourdement pour avoir un consensus sur des propositions concrètes et intelligentes en quelques
sur la notion de responsabilité indivi- heures, il faut éviter de «pelleter des nuages» et mettre beaucoup d’eau dans son
duelle et sociale. vin. Mais c’est précisément cette diversité qui a fait du Projet citoyen une expérience
Nous vous invitons à les considérer extrêmement intéressante. Deux autres événements m’ont marqué, les conférences
avec autant de rigueur que celle dont ont de Riccardo Petrella et d’Amir Khadir. Ils reprenaient à leur façon le même thème:
ils revendiquaient le droit de rêver un monde meilleur, tout en démontrant la
fait preuve les participants en les élabo-
viabilité de ces «utopies». Je trouve que ces deux conférences représentent bien
rant. Elles sont le portrait des aspirations l’INM, car elles reprennent le même credo: un autre Québec est possible, il ne reste
de plusieurs centaines de jeunes qui plus qu’à le réaliser!
croient fermement en la possibilité d’at- Alexandre Cayla-Irigoyen
teindre l’idéal qu’elles représentent.
gramme parascolaire de ligues sportives
Éducation, travail, famille et le financement de sport amateur de
1. AIDE AUX ÉTUDES masse par le biais d’associations in-
Nous proposons que le gouvernement du dépendantes. Finalement, qu’il crée une
Québec réaffirme l’universalité du droit à campagne publicitaire de sensibilisation
l’éducation en facilitant la réinsertion à la vie sportive.
socioprofessionnelle par l’éducation et en
réinvestissant dans le système des bourses 3. LA SEMAINE DE QUATRE JOURS
d’études dans le but de réduire l’endette- Nous demandons au gouvernement du
ment étudiant. Nous suggérons aussi qu’il Québec, particulièrement au ministère
rembourse les dettes d’étude dans les cas de l’Emploi, de la Solidarité sociale et de
suivants : enfants à charge, travail en ré- la Famille, de s’entendre avec les em-
gion, travail dans les domaines où il y a ployeurs et les syndicats afin de créer une
pénurie de main-d’œuvre et implication loi instituant la semaine de temps plein à
bénévole durant les études. Afin de fi- 30 heures (4 jours). Nous leur proposons
nancer ces mesures, nous proposons que que le coût de cette mesure soit partagé
le gouvernement reconnaisse la res- en parts égales entre le gouvernement,
ponsabilité financière des entreprises en l’employeur et l’employé.
matière d’éducation.
4. ÉDUCATION À LA CITOYENNETÉ:
2. POLITIQUE NATIONALE DU SPORT À L’ÉCOLE D’ABORD
Nous proposons que le gouvernement Nous proposons que le gouvernement
du Québec adopte une politique na- du Québec, plus particulièrement le
tionale du sport, qui impliquerait entre ministère de l’Éducation, de concert avec
autres l’augmentation du nombre les centrales syndicales, les intervenants
d’heures d’éducation physique à l’école du milieu, les parents (et les enfants) fa-
primaire et secondaire, le maintien des cilite l’éducation à la citoyenneté de deux
cours au cégep, la création d’un pro- façons: d’abord, en développant un pro-
43
Une école d’été pour changer le monde
dirigeants à travers les défis que pose le Apprendre, écouter, réfléchir, imaginer, échanger, discuter, débattre,
monde d’aujourd’hui. proposer. Voici ce que je réponds lorsqu’on me demande ce que j’ai
fait durant ces quatre jours passés à l’Université du Nouveau Monde
8. LA FORMATION EN RÉGION (UNM). Ces verbes d’action pourraient se résumer en un seul : rêver.
Si j’ai appris une seule chose durant ces quatre journées d’été, c’est
Nous proposons que le ministère de l’É-
que le premier devoir d’un citoyen engagé est de rêver.
ducation soutienne les programmes de Rassembler 400 jeunes de moins de 30 ans pour leur apprendre à
formation générale en région et qu’en rêver le Québec et le monde de demain est un défi que l’UNM a réussi
collaboration avec le ministère du à relever avec brio. Contrairement à une idée reçue, rêver n’est pas
Développement économique et régional facile et ne concerne pas les fainéants et les indifférents. C’est qu’il y a
et de la Recherche, il mette en place et fi- plusieurs façons de rêver. Grâce au projet citoyen, j’ai appris à rêver
nance les cégeps et les acteurs régionaux activement et avec méthode, c’est-à-dire en poursuivant des objectifs
clairs et précis et en amenant des propositions concrètes. Les
publics et privés des programmes de for-
magnifiques rencontres et les échanges que j’ai eus avec des jeunes
mation collégiale reliés à l’activité de ma génération m’ont appris qu’il faut aussi rêver collectivement.
économique régionale ou unique au J’ai appris aussi que le rêve est contagieux. Grâce au contact avec
Québec. des personnalités qui rêvent avec passion, persévérance et acharne-
ment, j’ai retrouvé le goût de rêver. Impossible de ne pas être entraînée
9. SÉLECTION ET FORMATION DES EN- par la fougue d’un Riccardo Petrella, l’humanisme d’un Roméo Dallaire
SEIGNANTS et la passion passion de Michaëlle Jean. Ces rêveurs ont transmis une
chose essentielle aux jeunes participants de l’UNM : le rêve est le
Nous proposons que le ministère de l’É-
moteur de l’action et pour cette raison, notre génération doit oser rêver.
ducation sélectionne minutieusement Ruba Ghazal
les professeurs selon des critères
comme la motivation et les capacités
pédagogiques. Cette sélection pourrait
se faire par le biais d’entrevues. Nous Mondialisation et éthique
proposons que les enseignants suivent 11. L’AIDE PUBLIQUE AU
une formation générale et culturelle de DÉVELOPPEMENT
façon continue. Nous proposons que nos gouvernements
consacrent 0,7 % de leur Produit intérieur
10. ADAPTER LES NORMES brut (PIB) à l’aide publique au développe-
DU TRAVAIL AU MONDE ment, tel que proposé par l’ONU et qu’ils
D’AUJOURD’HUI fassent pression sur les autres États pour
Nous proposons que le gouvernement qu’ils agissent ainsi. Que cette aide soit
du Québec, plus particulièrement le mi- versée dans des projets structurants et
nistère du Travail et les syndicats et le pa- durables dans des domaines prioritaires
tronat travaillent de concert pour réviser tels que l’éducation et la mobilité des jeu-
la loi sur les Normes du travail pour éten- nes, la construction d’infrastructures de
dre les mesures de protection sociale aux développement d’institutions démocra-
travailleurs atypiques et favoriser la con- tiques, la santé, notamment la lutte au
ciliation du travail et de la famille par une VIH. Nous demandons que cette aide
adaptation du travail à la famille avec, par soit versée sous forme de subventions
exemple, des congés parentaux, une cou- et d’expertise davantage que sous forme
verture à la Commission de la santé et de de prêts, et ce, sans conditions d’achat
la sécurité du travail (CSST), et l’accès à de produits nationaux en retour. Nous
l’assurance-emploi pour tous. souhaitons que les pays bailleurs de
45
Une école d’été pour changer le monde
47
Une école d’été pour changer le monde
Comment expliquer le fait que, tout en venant d’horizons différents, nous soyons sceau certifié « Québec durable » et étant
ressortis de ces quatre jours de discussions intensives, emplis d’une même énergie en partie déductible d’impôt afin d’inciter
mobilisatrice? Parce qu’à l’Université du Nouveau Monde, nous n’étions pas des le citoyen à encourager cette mesure.
spectateurs ou des visiteurs : nous avons construit l’événement. Chacun à sa
manière, à titre de citoyen et d’acteur social, a contribué à la richesse de l’échange.
25. GESTION DES RESSOURCES
En ce sens, l’UNM a permis d’appréhender la citoyenneté par tous ses aspects,
traditionnels autant que novateurs.
NATURELLES
Au-delà du lieu d’échange de connaissances, d’alternatives de vie et de pensée Nous proposons que les gouverne-
qu’a constitué l’UNM, ce fut un moment suspendu dans le temps. Une parenthèse- ments du Québec et du Canada, ainsi
clé pour notre génération, au cours de laquelle, tous ensembles, riches de notre que les ministères et industries con-
diversité et de nos idées, nous nous sommes rassemblés afin de penser qui nous cernés, s’assurent que le niveau d’ex-
sommes, de construire notre identité collective. Pour un instant – qui doit de se traction des ressources non renouve-
reproduire – nous avons été portés par l’énergie de tous et avons quitté l’événe-
lables soit stabilisé et que ces
ment avec la conviction que le travail ne faisait que commencer.
Julie Medam et Antoine Roy Larouche
ressources non renouvelables soient
graduellement remplacées par le recy-
clage ou des ressources alternatives.
Qu’ils veillent aussi à ce que les
23. LE TRANSPORT EN COMMUN ressources renouvelables soient ex-
GRATUIT ploitées de manière à garantir la con-
Nous proposons de mettre en place pro- servation de la biodiversité et le main-
gressivement, d’ici 20 ans, le transport tien des fonctions écosystémiques
en commun gratuit et accessible à tous québécoises et que soit instauré un pro-
dans le but de réduire considérablement gramme d’éducation permanent per-
les émissions de gaz à effet de serre. Les mettant à l’ensemble des Québécois de
trois paliers de gouvernement ainsi que comprendre d’où proviennent les pro-
certains organismes communautaires duits de consommation et comment
doivent agir pour que le transport soit sont utilisées les ressources naturelles
considéré comme un service public gra- de leur territoire.
tuit, au même titre que la santé, car il est
évident qu’il constitue une solution de 26. UN PLAN DE RECYCLAGE
rechange viable, efficace et économique Nous proposons la mise en place d’une
à la voiture. politique de protection de l’environ-
nement obligeant les entreprises et or-
24. UN SCEAU « QUÉBEC DURABLE » ganisations à définir, avec l’aide d’experts
Nous proposons que le gouvernement reconnus par le gouvernement pour leur
du Québec, particulièrement le ministère expertise en la matière, leur potentiel de
du Développement économique et ré- récupération des matières recyclables. Le
gional et de la Recherche de concert avec gouvernement établirait également le
le Conseil du patronat du Québec et la montant de la cotisation de chaque en-
Fédération des chambres régionales de treprise qui permettrait au gouvernement
commerce et l’Office de la protection du d’assurer la cueillette et l’utilisation (le
consommateur, instaure un programme recyclage) des produits de cette cueillette.
d’identification de produits fabriqués en Les entreprises recevraient une certifica-
région et répondant à des normes de tion gouvernementale pour la réalisation
durabilité et de qualité identifiées par un de leur plan de recyclage.
48
Jeunes et engagés
27. TAXE VERTE SUR LES VÉHICULES jusqu’à l’élimination des déchets (« du
Nous proposons de remplacer les deux berceau au tombeau»).
taxes de vente par une taxe verte pro-
gressive sur tous les véhicules récréatifs et 29. L’EFFICACITÉ ÉNERGÉTIQUE ET LES
commerciaux. Un comité d’experts serait ÉNERGIES ALTERNATIVES
chargé de déterminer l’empreinte Nous proposons que la Régie de l’éner-
écologique «acceptable» d’un véhicule gie, le ministère de l’Environnement,
en fonction des critères tels que le niveau Hydro-Québec, les centres de recherche
d’émission de particules polluantes, la sur les énergies alternatives et les
consommation de carburants, la dura- organismes non gouvernementaux s’in-
bilité, etc. Aux véhicules dont l’empreinte téressant à la question favorisent le
écologique correspondrait au seuil ac- développement des énergies alternatives
ceptable serait imposée une taxe équiva- et la production locale d’énergie (par ex-
lente aux deux taxes de vente actuelles. emple le solaire, le géothermique, etc.);
Les véhicules qui se classeraient au- qu’ils subventionnent des programmes
dessus de cette norme seraient exemptés d’efficacité énergétique (par exemple un
de toutes taxes, tandis que les véhicules programme d’éducation aux niveaux pri-
qui se trouveraient en-dessous de ces maire et secondaire pour inculquer le
normes seraient soumis à une surtaxe souci de l’économie d’énergie, et un pro-
proportionnelle à leur éloignement des gramme permettant aux ménages de
normes fixées. Nous proposons de trans-
férer les fonds au développement des
Rêver d’un monde nouveau, plus beau, plus juste… Chacun imagine un jour
moyens de transport plus écologiques,
comment il refaçonnerait le monde. Hors, ces élans s’évanouissent souvent devant
aux énergies alternatives (biodiesel, l’immensité de la tâche à accomplir. L’Université du Nouveau Monde, c’était pour
hydrogène, électricité) et à la conscienti- moi une occasion de rêver en groupe durant quatre jours, d’aller voir ce qui anime
sation populaire pour accroître leur ma génération, de quoi les autres ont envie.
utilisation. Tout au long des activités, il était impressionnant de constater notre profession-
nalisme et notre capacité à nous concentrer sur les objectifs ciblés. De plus,
28. GESTION ÉCOLOGIQUE DES chacun était à l’écoute, ouvert, respectueux et soucieux des autres, peu importe si
l’on était d’accord ou non avec les propos tenus. La présence des notions de
PRODUITS MANUFACTURIERS partage et de justice avait de quoi rendre fière.
Le gouvernement du Québec, parti- C’est en parlant avec les conférenciers et panélistes que j’ai été convaincue de
culièrement le ministère de l’Environ- l’importance de nos gestes, aussi petits soient-ils. Chacune de ces personnes
nement, conjointement avec les organis- contribue avec dévouement et persévérance à faire du Québec un endroit meilleur
mes de recherche, les universités, les pour ses citoyens. Ce contact avec les invités de l’UNM a ainsi éteint le peu de
entreprises privées et les sociétés d’État, passivité qu’il restait en moi et m’a motivée à rester impliquée socialement et à
toujours tenter d’aller au bout de mes idées.
devra élaborer et mettre en œuvre un plan
La lecture des 50 propositions était prenante. À la fois porteuse de rêve et de
d’action 2004-2020 sur la gestion du concret, elle nous a fait passer par plusieurs émotions. La fébrilité de la salle était
cycle de vie des produits et services dans palpable. Sans doute aurions-nous tous voulu rester encore quelques heures,
le but d’amener les entreprises privées et question de planifier un peu comment nous comptions réaliser tout ça…
les sociétés d’État à prendre la respons- L’UNM aura été pour moi un événement déconcertant tant il aura fait vibrer ma corde
abilité des impacts environnementaux de de citoyenne ! C’est encore en pensant à mon expérience à l’UNM et à toutes les
chaque étape du processus de produc- personnes formidables rencontrées là-bas que je trouve la motivation et le plaisir de
bâtir un peu chaque jour le Québec de 2024 : il est au bout de nos doigts.
tion d’un produit ou d’un service et ce,
Kim McGrath
de l’extraction des matières premières
49
Une école d’été pour changer le monde
50
Jeunes et engagés
39. RÉINVESTIR DANS LES MÉDIAS mette en place les structures et l’exper-
PUBLICS tise nécessaires au maintien des médias
Nous proposons un réinvestissement publics et à l’implantation de médias
majeur de la part des gouvernements communautaires, pour favoriser la com-
dans les médias publics (télévision et munication entre les citoyens, permettre
radio). Cette proposition s’inscrit dans la diffusion d’idées variées et l’expression
un cadre où les produits culturels seraient culturelle.
davantage adaptés aux réalités linguis-
tiques et culturelles québécoises et agi- 43. L’ÉDUCATION AUX MÉDIAS
raient en tant que promoteurs de la Nous proposons l’éducation populaire
langue, de la culture et d’un espace aux médias par une collaboration au sein
public du Québec contemporain. des établissements scolaires entre les
écoles primaires et secondaires et les mé-
40. UNE JOURNÉE DES VOISINS dias locaux dans le but de développer le
Nous proposons que le gouvernement sens critique et de stimuler le jugement
du Québec déclare une journée des des jeunes citoyens. Nous proposons la
voisins qui inviterait les habitants d’une mise en place d’un portail de ressources
rue, d’un quartier ou d’une communauté en ligne significatif sur le sujet; l’exper-
à échanger entre eux en s’organisant un tise développée devrait être accessible à
repas communautaire et des activités l’ensemble des groupes sociaux et com-
au choix. munautaires par le biais d’ateliers et de
formations diverses. Nous exigeons que
Art, médias et espace public les professeurs du primaire et du se-
41. L’ENSEIGNEMENT DE L’ART, condaire reçoivent une formation appro-
DU PRIMAIRE JUSQU’AU CÉGEP priée sur le sujet.
Nous proposons que le gouvernement
du Québec, en particulier le ministère de 44. L’EXCLUSION DE LA CULTURE DES
l’Éducation et le ministère de la Culture et TRAITÉS INTERNATIONAUX
des Communications, travaillant de con- Nous proposons que le ministère de la
cert avec les commissions scolaires, le Culture et des Communications, de con-
Conseil des arts, les milieux artistique et cert avec le ministère des Relations inter-
communautaire, préserve et bonifie l’en- nationales et appuyé par l’Assemblée na-
seignement de l’art à partir du primaire tionale, mette tout en œuvre afin que
jusqu’au cégep pour favoriser le soient exclus des traités de libre-échange
développement d’un esprit créatif et cri- les biens et services culturels, en assurant
tique chez les jeunes, notamment par la primauté d’une convention interna-
l’intervention en classe d’artistes profes- tionale sur la protection de la diversité
sionnels et d’intervenants du milieu. culturelle, laquelle devra intégrer un
mécanisme obligatoire de règlement des
42. LES MÉDIAS COMMUNAUTAIRES ET différends.
PUBLICS
Nous proposons que le ministère de la 45. LA CULTURE: UNE COMPÉTENCE
Culture et des Communications, avec le PROVINCIALE
CRTC et l’ensemble de la société civile, Nous proposons que le Québec rapatrie
52
Jeunes et engagés
la totalité des pouvoirs en matière de cul- Plusieurs observateurs ont constaté avec la plus récente grève étudiante qu’une
ture et de communications et reçoive les nouvelle génération politique était née. Un événement comme l’Université du
budgets correspondants. Nouveau Monde aura agi comme catalyseur pour que les 15-30 ans prennent
pleinement confiance en leurs moyens collectifs d’action politique. Réunis pendant
quatre jours, 400 jeunes issus de toutes les régions du Québec ont alors eu
46. LE FINANCEMENT DES MÉDIAS
l’occasion de participer à un immense forum où ils ont pu débattre des principaux
PUBLICS enjeux actuels et ainsi affiner la nature de leur engagement citoyen.
Nous interpellons le ministère de la Ce fut pour moi l’occasion de constater avec soulagement que beaucoup de
Culture et des Communications et le jeunes partageaient mon désir de s’impliquer pour changer les choses et bâtir un
CRTC afin que les médias publics et monde meilleur. Inspirés par des valeurs de justice, de respect, de solidarité et de
communautaires québécois soient fi- démocratie, les participants ont eu l’audace, au terme de l’exercice citoyen, de rêver
nancés davantage, notamment en ré- un Québec à la hauteur de leurs aspirations. Pourtant, malgré les défis immenses
auxquels nous sommes aujourd’hui confrontés (démographie, finances publiques,
gion, afin d’assurer une variété d’espaces
ressources naturelles, etc.), un fossé ne cesse de se creuser entre notre projet de
publics pour la diffusion culturelle pro- société et nos préoccupations, et la gestion comptable à saveur électoraliste de nos
pre au Québec. dirigeants. Mais je conserve de l’espoir. Les rêves partagés pendant l’Université du
Nouveau Monde sont rapidement devenus des idées. Et il n’appartient qu’à nous
47. DES ESPACES PUBLICS de transformer toutes ces idées en projets à réaliser. Parce que je ne veux jamais
GRATUITS avoir à faire un choix déchirant entre la santé de mes parents vieillissants et
Nous demandons aux différents conseils l’éducation de mes enfants grandissants.
Éric Norman Carmel
municipaux des régions du Québec et au
ministère de la Culture et des Commu-
nications la création d’espaces publics
gratuits et accessibles dans chaque lo-
calité, afin de permettre la libre expres- faire, ils ouvriront gratuitement les insti-
sion de tous. tutions à leurs concitoyens.
1 Nous vous les présentons ici dans leur forme brève. La liste des propositions dans leur intégralité est
disponible sur le site Internet de l’INM au www.inm.qc.ca, rubrique École d’été, Édition 2004.
53
Une école d’été pour changer le monde
Michel Venne
Directeur général, Institut du Nouveau Monde
54
Jeunes et engagés
Ils veulent que le gouvernement utilise Ils suggèrent que les écoles publiques
son pouvoir législatif et réglementaire pour offrent un programme d’éducation à
amener les acteurs sociaux et économiques la consommation responsable. Ce pro-
à agir de manière responsable, en imposant gramme serait financé par une taxe
une taxe verte sur les véhicules à moteur sur les dépenses publicitaires des
énergivores, par exemple. entreprises…
L’État doit également, à leurs yeux, Mais l’éducation n’est pas restreinte
agir comme chef d’orchestre. La vieille à l’école. Ainsi, ils proposent plusieurs
notion de concertation, souvent associée mesures visant l’éducation des citoyens
au fameux «modèle québécois», revient en général, notamment un investisse-
en force dans leurs propositions. Dans la ment dans les médias publics et com-
plupart des cas, ils demandent qu’un munautaires.
ministère ou un organisme public « de
concert avec» les syndicats, le patronat, L’humanisme
les municipalités, les régions, les asso- Leurs propositions sont empreintes
ciations communautaires, agissent en- d’humanisme. Ils demandent d’inclure
semble pour résoudre un problème ou dans les traités sur le commerce des
produire une innovation. Ils ne veulent principes comme le respect des droits
aucunement d’un État autoritaire et cen- humains, l’élimination du travail des en-
tralisateur. Plusieurs de leurs proposi- fants et de toute forme de discrimination.
tions, au contraire, favorisent la décen- Au niveau local, ils veulent que les
tralisation vers les régions. autorités «fassent des villes des cadres
de vie plus agréables et humains » en
L’éducation sous toutes ses formes améliorant les infrastructures publiques
Ils demandent au ministre de l’Éducation (piscines, bibliothèques, parcs), en mul-
d’augmenter les bourses d’études et de tipliant les espaces verts, en favorisant le
réduire l’endettement afin de continuer transport en commun et en diminuant
à favoriser l’accès le plus large aux études l’étalement urbain.
supérieures. Ils lui demandent aussi de Leur ouverture à l’Autre, à l’immi-
veiller à ce que les enseignants reçoivent grant, est implicite dans plusieurs de
une formation adéquate, et ce, tout au leurs propositions sur la langue, les arts,
long de leur carrière. Ils souhaitent la la culture, les médias, l’espace public.
consolidation des cégeps. Par contre, ils refusent que la religion
Mais ils veulent aussi des cours des uns devienne la loi de tous et s’op-
d’éducation à la citoyenneté dès l’école posent à ce que des tribunaux religieux
primaire assortis d’un programme de puissent trancher des affaires relevant du
sensibilisation à l’environnement. Ils droit civil. Ils sont les enfants des chartes
voudraient qu’à l’école, les jeunes soient des droits et libertés, auxquelles ils
soumis à un programme d’éducation aux ajouteraient volontiers un chapitre sur les
médias afin de développer leur sens responsabilités.
critique et de stimuler leur jugement. Ils Le lien social se tisse également entre
préconisent l’enseignement des arts à les générations. Nous n’avons pas affaire
l’école pour permettre l’éclosion d’une ici à des jeunes égoïstes tournés unique-
pensée libre, autonome, critique. ment vers leurs propres besoins. Les
Une école d’été pour changer le monde
Une version plus longue de ce texte a paru dans L’Annuaire du Québec 2005.
56
Jeunes et engagés
Qu’est-ce que le bien commun? Qu’est- L’impôt nous a permis de devenir une
ce qu’un monde bon? Je dirais que c’est société relativement juste. L’impôt est re-
une société basée sur une convention distribué en pensions de vieillesse, en al-
faisant en sorte que personne ne soit locations pour les familles, en services
pauvre, que tous aient le droit de vivre, pour les gens sans emplois, etc. Sans
de vivre ensemble. Qu’est-ce que cela l’impôt, nous serions demeurés des bar-
série de chantiers qui sont autant de y a dix ans, une étude allemande inti-
voies d’action pour un monde nouveau. tulée Le Facteur quatre démontrait
Le mot « chantier » connote l’idée de qu’en réduisant du quart l’ensemble
cheminement, il s’agit donc d’élaborer des éléments utilisés pour produire
des projets, de penser le devenir de notre notre richesse, la qualité de la vie sur
société, c’est-à-dire de faire en sorte d’in- la planète quadruplerait.
fléchir notre destinée collective vers ce 6 Revoir les objectifs de l’éducation.
que nous désirons vraiment. […]
1 Changer l’ordre du jour, les règles du 7 Finalement, le septième chantier se
jeu. Si le jeu n’est pas en votre faveur, rapporte à la beauté. La beauté des
exigez que les règles soient modi- villes, de nos quartiers, de nos rues,
fiées, en tant que joueur ; c’est votre de nos écoles, de nos édifices, de
droit. […] notre musique, de nos arbres. Nous
2 La reconnaissance de l’humanité en devons apprendre à produire de la
tant que sujet juridique et politique. beauté, c’est-à-dire à valoriser la joie
Nous avons accompli l’autodétermi- d’être ensemble, la créativité de ceux
nation des peuples, il faudrait qui rêvent, de ceux qui travaillent à
réaliser l’autodétermination de l’hu- découvrir des alternatives, des
manité. En ce moment, l’humanité moyens de faire plus et mieux en-
existe, mais elle n’est pas reconnue. semble. Soyez heureux lorsqu’on
[…] vous dit que vous rêvez. Il faut com-
3 La nécessité de rendre la pauvreté mencer par rêver.
illégale. Au même titre que l’esclava-
ge, la pauvreté est une négation de Le Nouveau Monde ne se construit pas
l’être humain. Tant qu’il y aura des tout seul, et personne ne le fera pour
pauvres, il y aura offense à l’huma- vous. Il n’est pas nécessaire de réussir à
nité. […] court terme, l’important est d’être sur le
4 Réinventer la primauté du politique chantier, de mettre en branle des projets
sur la finance. […] pour un monde meilleur. L’histoire nous
5 Cesser de vivre comme des préda- montre que vivre ou rêver tout seul est
teurs, des producteurs d’inégalités, utopique, en revanche, rêver ensemble
et passer à un mode de vie durable. Il c’est le début du changement.
Roméo Dallaire
Lieutenant-général à la retraite et ancien commandant des forces de maintien de la paix au Rwanda
Nous sommes entrés dans une ère Une perspective nouvelle s’est présen-
nouvelle avec la fin de la Guerre froide. tée à nous : celle de peut-être pouvoir
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Jeunes et engagés
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Une école d’été pour changer le monde
La voie humaine
Échange entre Jacques Attali et Jacques Godbout 1
utopiste parce qu’il propose dans ce livre J.G. – Vous ajoutez aussi que, finale-
« une société meilleure demain qu’au- ment, les citoyens sont plus consom-
jourd’hui dans une économie de marché mateurs que citoyens et qu’ils se détour-
avec un haut niveau de protection so- nent de la politique, qu’ils considèrent
ciale, une bonne qualité de services que les élections ne sont plus qu’une es-
Jacques Attali publics, le tout dans un respect ir- pèce de rituel un peu vide, que les chefs
réprochable de l’humanité». Est-ce que politiques prennent des postures, se
vous êtes un utopiste de naissance? contentent d’avoir l’air saint, ou à peu
Jacques Attali – Je ne saurais pas dire près, à la télévision mais qu’il n’y a plus
si c’est de naissance mais j’ai du mal à du tout ce véritable échange que la poli-
ne pas inscrire ce que j’écris tant dans le tique exige.
long terme que dans le passé, pour es- J.A. – Si le marché l’emporte sur la dé-
sayer de comprendre les racines de ce mocratie, naturellement le consommateur
que nous faisons. Je crois que nous l’emporte sur les électeurs et même, on peut
sommes un chaînon d’une longue his- dire que la politique devient un sujet de con-
toire. La politique consiste à essayer de sommation.
faire en sorte que la société soit légère- Une des caractéristiques majeures de
ment moins mal après notre passage sur la liberté individuelle, une des dimen-
cette planète qu’avant et donc, à inscrire sions fondamentales de cette valeur est
la société dans une conception du moins que la liberté est fondée sur le principe
mal, c’est-à-dire une conception du bien. de la réversibilité. C’est une banalité
Donc forcément, dans une conception mais elle est fondamentale. Si je suis
utopiste. libre, c’est que j’ai le droit de changer
J.G. – Est-ce que le politique a encore d’avis et que, comme consommateur,
des prises sur le réel ou nous échappe- j’ai le droit de changer de produit en tout
t-elle ? temps. L’autre nom de la liberté c’est
J.A. – Aujourd’hui, la nation a de donc la réversibilité, mais c’est égale-
moins en moins d’influence sur ceux qui ment l’autre nom de la précarité. Ainsi,
l’habitent parce que beaucoup d’éléments la précarité des emplois, par exemple,
du destin de chaque nation sont déter- est non pas un effet secondaire de nos
minés par des événements planétaires, sociétés mais bien un phénomène in-
parce que l’interdépendance des gens est hérent aux racines de notre système. Il
de plus en plus grande, parce que la mon- faut assumer le fait que l’autre nom de la
dialisation sur laquelle on aura à revenir liberté est la précarité et que nos sociétés
est absolument déterminante sur la vie de de marché et de démocratie sont des
tous et parce que l’individualisation que machines à produire de la précarité
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Jeunes et engagés
1 Jacques Attali est ancien conseiller du président de la République française et premier président de la
Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD). Jacques Godbout est essayiste,
romancier et cinéaste..
chocs. Quel espace reste-il pour la hauteur des exigences des téléspecta-
recherche, la critique, le recul... bref, teurs parmi les plus intelligents qui
pour le travail du journaliste? croient en la télévision publique mais qui
L’arrivée du Réseau de l’information a commencent à la déserter. Ils vont vers
élargi les possibilités de faire. Le pari de les chaînes spécialisées parce qu’ils ont
Michaëlle Jean
RDI a été d’être partout là où cela se le sentiment que nous avons vendu notre
passe et d’élargir le spectre de l’infor- âme et notre identité à la tentation de
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Une école d’été pour changer le monde
niveler par le bas, dans le bal de la con- et conviction, pas dans la médiocrité et
currence avec les chaînes privées avec pas dans le mépris de ceux qui aiment
lesquelles nous partageons la même penser et réfléchir. Pourquoi la télévision
assiette de commanditaires. Le nerf de publique ne serait-elle pas un espace de
la guerre est là, l’État nous ayant as- lutte et de résistance contre l’ignorance,
sommé de compressions, il nous faut surtout à une époque où l’amnésie et
vendre du temps d’antenne pour tenir. l’indifférence sont si répandues ?
Les marchands sont entrés dans l’arène Pourquoi vouloir calquer le privé? C’est
et nos possibilités sont liées à leur ap- nous déposséder de notre capacité d’in-
port, et leur mesure est le bassin de con- nover. Pourquoi la télévision publique ne
sommateurs à l’écoute, donc la cote... serait-elle pas un espace pour rêver d’un
Ce bien commun – pour utiliser l’ex- monde différent et pour la beauté.
pression chère à Riccardo Petrella – Pourquoi la télévision publique ne se
qu’est la télévision publique a reculé face donnerait-elle pas pour mandat de pro-
à ses engagements et sa vocation, au mouvoir l’envie d’une citoyenneté agis-
nom d’une rentabilité marchande. Recul sante et pensante ? Pourquoi la télévision
face à la culture au sens large, recul face publique ne serait-elle pas la bonne
à la création audacieuse pas forcément adresse pour découvrir des têtes
grand public ou téléromans à succès, chercheuses, des visionnaires, une télévi-
recul dans la production de documen- sion qui fait sens et qui donne avant tout
taires d’auteur... On privilégie la pro- dans la pertinence ? Pourquoi la télévi-
grammation dite grand public : du di- sion publique ne serait-elle pas un es-
vertissement qui rapporte, du bruit, une pace de dialogue entre les générations et
télé qui distrait, une mise en spectacle à parts égales ? C’est cette télévision-là
du monde et des événements, la télé qui m’inspire et qui me donne envie de
marchande et à la carte. On a désacralisé m’y engager. [...]
la réflexion en balançant partout et à tout Et il y a urgence que le citoyen se
moment de la publicité qui donne en- manifeste et soit partie prenante de cette
core une fois préséance aux marchands, télévision qui lui appartient comme ser-
la télé comme objet de consommation... vice publique et qu’il exige, qu’il réclame
Or, ce bien commun se doit d’être qu’elle soit à la hauteur des exigences qui
d’abord un instrument de pertinence, un sous-tendent sa raison d’être... Si nous
outil de qualité qui nous enrichit l’esprit ne faisons rien, si nous ne disons rien,
et qui n’est pas qu’un chantier de car- si nous ne le faisons pas savoir, nous
rières... La formule gagnante n’est pas à n’aurons que ce que nous méritons, une
mon avis le nivellement par le bas: c’est coquille de plus en plus vide.
plutôt de se distinguer avec intelligence
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Jeunes et engagés
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Une école d’été pour changer le monde
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Jeunes et engagés
La part de rêve
Amir Khadir
Médecin
Chaque année, nous fermons le pont parlant de son rêve, celui d’une nation
Jacques-Cartier pour les feux d’arti- américaine à la hauteur du credo chré-
fices, il n’y a là rien de nouveau. On en- tien d’égalité de tous les hommes. Il a
voie des pétards en l’air et on s’émer- marqué l’imaginaire des hommes et
veille. Plus de 20 000 d’entre nous y constitué un mouvement de change-
assistons. Les finales de football ou de ments sociaux.
La pauvreté des jeunes est un problème se dire qu’on peut faire quelque chose.
énorme qui ne concerne pas seulement On calcule qu’il y a 2500 jeunes sans-abri
Montréal, mais toutes les villes du à Montréal; ce sont quelquefois des en-
Photo : Frank Desgagnés
monde. Je suis venu vous parler parce fants de huit, neuf, dix ans. Il y quarante
que je crois que vous pouvez faire ans, on n’avait pas de jeunes sans-abri.
quelque chose. Lorsque j’ai commencé On avait des itinérants, des gens d’un
mon projet, j’avais soixante ans. Vous, certain âge, qui allaient et venaient. On se
vous avez encore beaucoup de temps de- disait à l’époque qu’ils étaient dans la rue
vant vous. Il faut changer le monde, il faut par choix, que c’étaient des ivrognes, qu’il Père Emmett Johns
67
Une école d’été pour changer le monde
n’y avait rien à faire avec eux. Aujourd’hui, rait pas tant de problèmes. Nous avons
on compte de plus en plus de jeunes dans collectivement la responsabilité de les
la rue, et bien souvent on les juge plutôt aider. Ici, un enfant pauvre qui se fâche et
que de les aider. qui casse un carreau, par exemple, se
Il y a un proverbe africain qui dit que fera étiqueter « enfant en difficulté »
ça prend un village pour élever un en- et sera placé sur la liste de la DPJ.
fant. Chaque membre du village a un Pourquoi ? Parce qu’il s’est fâché ! On
rôle à jouer. Le gouvernement doit aussi met ces enfants-là dans des familles
s’investir dans l’éducation des enfants, d’accueil où le mot d’ordre est de ne pas
pas seulement pour satisfaire les pro- s’impliquer avec l’enfant. On dit à ceux
fesseurs, les chauffeurs d’autobus ou les qui dirigent des familles d’accueil: «l’en-
syndicats, mais pour s’assurer que les fant n’est avec vous que de façon tem-
besoins de tous les enfants sont poraire, alors ne vous impliquez pas».
comblés. Les besoins alimentaires, Que fait-on avec un enfant si on ne s’im-
financiers, affectifs, intellectuels, etc. plique pas ? Au Bon Dieu dans la rue,
Ces jeunes grandissent et peuvent être notre devise c’est l’amitié et le respect.
écorchés par la vie, mais fondamentale- Les enfants ont souvent besoin d’être
ment, ce sont des jeunes comme les écoutés, jamais d’être jugés. Chez nous,
autres. Ce ne sont pas des monstres. Si on traite les jeunes comme des amis et
on les traitait comme les autres, si on fai- non comme des clients.
sait notre travail comme il faut, il n’y au-
Aujourd’hui, je ne pourrais pas dire qu’il est évacué. C’est seulement par le biais
y a une démocratie dans la plupart des de gens de ma communauté qui, par la
communautés autochtones. Je ne peux tradition orale, m’ont appris qu’il y a
pas dire que la vie associative est en avait une certaine harmonie. On avait
santé. Il y a une force incroyable et une des systèmes politiques, une forme de
volonté d’avancer, mais aussi un lourd gouvernance, des leaders, nos vies et nos
héritage dont nous vivons encore les sociétés étaient très organisées.
conséquences aujourd’hui. Les peuples L’arrivée des Européens et toutes les
autochtones ont leur propre histoire, ils mesures qui ont suivi ont progressive-
ont en fait plusieurs histoires. Mais cette ment affaibli les communautés au-
histoire, personne ne me l’a apprise. On tochtones. Elles ont subi des tentatives
ne m’a pas enseigné à être fière d’être répétées d’assimilation qui les ont lente-
Innue ou d’être autochtone. Dans les ment dépossédées de leurs racines cul-
livres d’histoire, le récit des autochtones turelles. Puis, la crise d’Oka est survenue
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Jeunes et engagés
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Une école d’été pour changer le monde
Les idées reçues ont la vie dure. On doit femmes, on comprend qu’elles ploient
s’en méfier. La participation croissante sous le poids des responsabilités mais aux
des hommes au débat sur les sexes dé- hommes, il sera plus difficile de déplorer
montre que les hommes se sentent de leurs conditions de travail. Dans ce con-
plus en plus concernés, qu’ils craignent texte, je crains que l’on remette à l’ordre
moins le dialogue et surtout, qu’ils du jour une nouvelle mystique de la mère
71
Une école d’été pour changer le monde
Née en Égypte, j’immigre au Canada à pées par les enjeux politiques qui les
l’âge de quatre ans et demi avec mes entourent.
parents. Je suis donc une immigrante de Deuxièmement, le réseau de contact,
première génération. Il m’est donc sou- est un autre des obstacles majeurs à la
vent arrivé de me demander pourquoi je participation des immigrants. Lorsqu’on
fais partie de ces rares personnes issues regarde le système politique actuel, on
des minorités culturelles et de l’immi- ne peut que constater à quel point le
gration qui s’impliquent au sein de la réseau de contact, est le nerf de la guerre.
société québécoise. Pour les immigrants de première géné-
La complexité des termes politiques, ration, ce réseau de contact, n’existe pra-
le réseau de contacts, le peu d’impor- tiquement pas.
tance accordé à la religion et les intérêts Enfin, la religion constitue encore un
ou obligations personnels différents tabou au Québec. On préfère ne pas en
sont tous des obstacles que rencontrent parler publiquement, car c’est considéré
les nouveaux arrivants dans leur société comme une question relevant de la
d’accueil, le Québec. sphère privée. Mais pour beaucoup
En premier lieu, l’un des obstacles d’immigrants, et moi y compris, la reli-
majeurs à la participation des immi- gion fait partie de la culture publique des
grants, du moins dans les institutions pays d’où l’on émigre. Ainsi, l’attache-
formelles québécoises, est la complexi- ment à l’implication religieuse sera plus
té des termes politiques. La langue grand que celui aux instances publiques.
française constitue souvent un obstacle Pour plusieurs, les établissements re-
important à la participation des immi- ligieux constituent souvent le premier
grants à la vie sociale québécoise. Et en lien d’attache à la communauté.
plus, force est de constater que peu de Il existe à mon avis des pistes de so-
personnes, quelle que soit leur origine, lutions afin d’attirer les immigrants à
saisissent le vocabulaire politique. Alors participer à la vie sociale québécoise. Il
pour l’immigrant moyen, il s’agit d’un incombe d’abord aux Québécois « de
univers beaucoup trop difficile à cerner. souche» d’aller chercher les gens issus
Le discours politique doit être vulgarisé des communautés culturelles dans leur
si la société québécoise souhaite inté- milieu et de les inviter à participer à la vie
grer à ses institutions une pluralité de sociale du Québec. De plus, l’éducation
gens qui seront à l’image de la société à la citoyenneté devient essentielle dès
multiculturelle qu’elle forme. Et si ce un très jeune âge, dans les écoles.
n’est pas pour une implication formelle Donnons enfin les outils aux jeunes pour
de la part des minorités culturelles qu’ils aient le goût de construire un nou-
aux affaires politiques, du moins pour veau monde : celui où toutes les com-
que ces dernières se sentent préoccu- munautés seront de la partie!
72
{ Troisième partie
***
tion n’est possible que par son senti- reuses, travail), auxquels elle croit de-
ment de non-implication. voir se résigner. Ces filles et fils de
Penchons-nous un peu cette rési- boomers peuvent sentir confusément,
gnation. Elle signifie premièrement que parfois, que ces problèmes ont peut-
ce qu’on nomme la situation économi- être une racine politique, mais cette
que a quelque chose d’inéluctable. racine paraît si enfouie et si étendue
S’opposer à celle-ci serait donc vain. Si sous la surface du globe que leur plus
l’art sert encore à quelque chose dans fort sentiment est que la solution à tous
ce contexte, il ne servira pas, comme le leurs désirs, difficultés, craintes et an-
croit le personnage de Stéphane, à des goisses ne sera pas politique.
fins politiques et révolutionnaires. L’art
– c’est ce que découvre Christophe à la L’ADQ
suite d’Odile –, s’il doit encore servir Le programme proposé par l’ADQ peut
quelque fin, c’est, pour ainsi dire, en être compris comme l’expression poli-
tant que porte de sortie du monde tique de la sensibilité qui vient d’être
politico-économique, une porte de sor- décrite, pour autant que celle-ci se prête
tie égoïste, ou privée si l’on préfère, qui à une telle expression. L’objectif de
n’a comme seule prétention que de per- l’ADQ est d’accroître la force économi-
mettre à l’artiste de vivre quelques mo- que du Québec en libérant l’économie
ments de bonheur. Autrement dit, l’art québécoise des obstacles constitution-
ne sert plus la communauté, mais nels et étatiques qui freinent son dé-
l’artiste et le bonheur qu’il permet n’est ploiement : le débat sur la souveraineté
plus collectif, mais indi- d’une part et de l’autre, les dédales d’un
À la limite, le viduel, ou à tout le moins appareil étatico-bureaucratique lent et
Christophe de La privé. La résignation à lourd. Autrement dit, l’objectif du parti
l’inéluctabilité économique politique de Mario Dumont est de
moitié gauche du permet à Christophe de se libérer le Québec de ses préoccupations
frigo refuse tout détourner des luttes poli-
tiques, d’accepter un petit
politiques afin de permettre une
meilleure gestion de son économie.
simplement de se emploi qui, s’il lui donne C’est à la suite d’une discussion
sentir impliqué en les allures d’un bourgeois
de huit à cinq, lui permet
houleuse avec un futur partisan de
l’ADQ que j’ai mieux compris ce désir
quoi que ce soit par toutefois d’être libre, c’est- d’en finir avec la politique qui motive
à-dire artiste, les soirs et ce parti. En cherchant à comprendre ce
la situation politico- week-ends. qui distinguait le Parti libéral de l’ADQ,
économique, il s’y Combinés, ces deux l’on me répondit que le Parti libéral ac-
films nous renvoient le cordait encore une trop grande impor-
résigne. Sa résigna- portrait d’une génération tance à la question constitutionnelle en
tion n’est possible retournée à son individua- se positionnant fortement contre la
lité, accaparée par ses souveraineté. Paradoxalement, mon in-
que par son problèmes personnels, terlocuteur se reconnaissait dans la per-
sentiment de voire ses insatisfactions ou sonne de Mario Dumont, parce que
ses frustrations person- celui-ci affirmait que les Québécoises
non-implication. nelles (relations amou- et les Québécois ne se reconnaissent
76
Jeunes et engagés
77
Être jeune au Québec en 2005
Texte publié dans la revue Argument, le 1er mars 2003. (Voir www.revueargument.ca.)
78
Jeunes et engagés
Jean-Philippe Perreault
Étudiant-chercheur, sciences des religions, Université Laval et membre-étudiant,
Observatoire Jeunes et Société, INRS-UCS
79
Être jeune au Québec en 2005
2003), n’est-il pas possible d’offrir à la qu’ont les jeunes de leur propre situa-
réflexion une perspective qui miserait tion (Hamel, 1999) et nous demander à
sur l’expérience même d’être jeune quoi peut bien correspondre cet âge de
pour tenter de dégager, avant tout ques- la vie. Partant de là, il sera par la suite
tionnement sur l’état de la religion, les possible de dégager les enjeux spirituels
enjeux spirituels de cet âge de la vie ? et les défis de construction du sens qui
Trois temps sont ici proposés. s’y trouvent.
D’abord, nous adopterons un angle par-
ticulier pour observer et appréhender la Épanouissement
jeunesse afin de cerner, par la suite, ce Aujourd’hui, on constate que l’épa-
qu’il en est de l’expérience d’être jeune nouissement personnel détrône désor-
et finalement, d’en arriver à dégager mais le mariage comme principale
sous quelles modalités se pose aux jeu- cause du départ du nid familial (Molgat,
nes le défi de la construction du sens. 2003). Aussi, parmi les principales
raisons qui poussent les jeunes à mi-
Définir la jeunesse grer de la région vers les grands cen-
La jeunesse, comme tous les groupes tres, ce désir « d’aller vivre sa vie »
d’âge, est une construction sociale ma- (Gauthier et al., 2001). Même l’occupa-
nipulable (Bourdieu, 1980). La défini- tion de leurs temps libres, fortement
tion de « qui est jeune » et de « ce qu’est marquée par des activités culturelles, a
être jeune» repose sur des observations, pour corollaire cette quête et ce désir
des conditions et des significations d’expérimentation (Boily, 2003).
relevant de différentes institutions et de La jeunesse peut en somme être con-
différents acteurs sociaux, inculturés à sidérée comme une expérience de…
un contexte social et historique parti- vieillesse, en regard de la structuration
culier. Ainsi, non seulement les repères de l’identité, de l’inscription sociale et
permettant de délimiter la jeunesse de la définition d’un rapport singulier
sont mouvants, mais la signification de au monde qui se jouent à cette période
ce qu’est « être jeune » varie d’une de la vie. Jeunesse et vieillesse : l’asso-
époque, d’une culture et d’un coin du ciation semble paradoxale mais elle
monde à l’autre. tombe sous le sens. Nous vieillissons,
Cela dit, on se doute bien qu’en deçà mais nous ne « jeunissons » pas.
des discours qui circulent au sujet de la Contrairement à la vieillesse, la jeu-
jeunesse et qui contribuent à la définir, nesse est, dans le vocabulaire comme
il y a des individus qui font actuellement dans la réalité, orpheline d’action.
l’expérience d’être jeune. L’attention à De toute évidence, l’enfant, l’adulte
cette « jeunesse-vécue » semble incon- et le vieillard vieillissent, tout autant
tournable si nous désirons comprendre qu’ils construisent, à intensité variable,
les sérieuses mutations qui s’opèrent, leur identité. La singularité de la jeu-
notamment dans le champ religieux, et nesse tient au fait que ce vieillissement
qui sont difficilement saisissables à s’enracine dans une prise de conscience:
l’aide des repères mis de l’avant celle du temps qui passe et, surtout, du
jusqu’ici. Il nous faut donc être à l’é- temps qui ne reviendra pas ; celle, ter-
coute de la connaissance pratique rorisante, de la mort. Être jeune, c’est
80
Jeunes et engagés
pluralisme des sources de sens est pour l’individu qui est l’ultime juge de
directement lié à la sécularisation de la la crédibilité et de la cohésion de son
société qui permet que l’humain puisse propre univers. Toute quête religieuse
se penser et penser le monde à l’extérieur vise à combler l’absence (ou ab-sens).
des traditions religieuses. Ce n’est en rien Ici, l’absence n’est pas provoquée par
la fin du religieux. Il s’agit plutôt de la fin une pénurie de propositions, mais par
du monopole d’une religion (si tant est la raréfaction des repères permettant de
que ce monopole ait existé). faire des choix dans la surabondance
La recension et l’analyse de ces des produits du marché du sens.
« foyers de sens » et de leurs proposi-
tions font actuellement défaut. Cela dit, Conclusion
il est possible, pour donner à penser, Considérer les jeunes comme de vérita-
d’identifier les plus évidents: la science, bles acteurs exige que nous partions de
l’engagement social, politique et éco- leur expérience de « jeunesse-vécue »
logiste, le marché et la consommation, pour poser la question de leurs rapports
les religions confessantes. De ces au religieux. Ce faisant, il devient pos-
sources, l’individu soutirera les maté- sible de mettre en lumière les enjeux qui
riaux nécessaires à l’échafaudage d’un émergent de cette expérience de vieil-
univers de sens personnel et utile – d’un lesse. Lorsque l’on opte pour cette pers-
cosmos sacré pour reprendre la défini- pective, on ne peut que s’intéresser
tion de la religion de Peter Berger – autrement aux préoccupations ex-
duquel découlent les valeurs présidant primées en introduction. Tant l’indif-
à ses choix de vie et à ses décisions. férence à l’égard des religions confes-
Bien qu’il soit nécessairement cohérent santes que la montée de cellules
– c’est le préalable pour qu’il fasse sens ultra-conservatrices sont des phéno-
– la configuration de cet univers est mènes qui trouvent leur explication
marquée par la circulation et la mou- dans la situation sociale actuelle. L’un
vance. Il semble en effet que face aux et l’autre sont des réponses à l’absence:
« instances productrices de sens », par manque de crédibilité, les uns
plusieurs jeunes soient sans domiciles cherchent ailleurs que dans la religion
fixes. Ils vont de l’une à l’autre, ils de leurs grands-parents tandis que par
squattent, s’installent un temps et besoin de repères clairs et rassurants,
reprennent la marche. Nous ne les autres prétendent y avoir tout trouvé.
sommes plus dans le registre de l’adh- Et voilà que la leçon d’Émile
ésion ou du rejet à un prêt-à-porter re- Durkheim nous est rappelée: la religion
ligieux. Nous sommes dans la dy- est une chose éminemment collective,
namique de l’itinérance, si bien qu’il qui a pour source la société. Consé-
devient possible de participer à la quemment, il y a encore et toujours de
Journée Mondiale de la jeunesse organi- la religion. De surcroît, il y a des jeunes
sée par l’Église catholique, de croire en qui, en toute légitimité et avec les
la réincarnation et de s’inscrire sociale- moyens du bord, cherchent à rendre
ment par la consommation d’objets- signifiant ce « p’tit passage dans ce
signes de la société de marché. Et s’il monde effréné ». En chemin, seront-ils
semble y avoir paradoxe, il n’en est rien seuls ou accompagnés ?
83
Être jeune au Québec en 2005
Au sortir de l’enfance, un jeune a consacré des milliers Ces valeurs relationnelles semblent très fortement et
d’heure à regarder le petit écran, il a déjà passé très spontanément exprimées, le vocabulaire pour en
plusieurs années à la garderie et à l’école, il vit dans un parler s’est élargi, on ne manque pas d’exemples ou de
milieu familial qui s’est peut-être transformé. Comment situations pour expliciter ses idées. Les conceptions de
parviendra-t-il à se forger une certaine identité, sur quoi l’amitié et de la sociabilité ont changé. L’importance
s’appuiera-t-il pour décider de ce qui est important affirmée des « amis » chez un grand nombre d’entre eux
dans la vie ? Comment construira-t-il un système de ne doit pas être confondue au discours que tenaient les
valeurs qui lui est plus ou moins propre ? […] plus jeunes. Il ne s’agit plus de chercher explicitement
à diversifier ses univers de vie, de prendre parfois le
L’objet de ce texte est moins de décrire le contenu du relais de la socialisation familiale, mais de retrouver
système des valeurs (famille, travail, école, amis, etc.), chez un petit nombre de personnes choisies, ces
que d’aborder le processus par lequel un tel système valeurs relationnelles perçues ou vécues comme un
se construit et se dé-construit. Pour ce faire, je vais microcosme de la vie en société.
m’appuyer sur un corpus d’entrevues en analysant la
situation de jeunes à l’entrée dans l’adolescence (âgés Car il faut ajouter que de purement « relationnelles »,
entre 14 et 16 ans), des adolescents plus âgés (entre ces valeurs prennent une connotation « sociale », de
17 et 19 ans). […] « vie en société », dans la mesure où elles ne se con-
fondent plus uniquement à la nature des rapports
La société souhaités entre deux personnes, entre soi et ses amis,
mais semblent bien faire l’objet de certaines générali-
Pour la majorité de nos informateurs de 17 à 19 ans,
sations à l’ensemble de la vie en société.
ce que l’on peut appeler « la société » renvoie très sou-
vent à l’identification de valeurs relationnelles. En com- La genèse des problèmes sociaux
paraison du corpus des plus jeunes, où l’univers ex-
térieur peut être perçu comme hostile, peu nuancé, où À tout cela se superpose l’identification de questions
la personnalité se construit sur fond de refus ou d’af- sociales dans une proportion substantielle de notre
firmation identitaire, dans un horizon temporel en con- corpus des jeunes de 17 à 19 ans. Ainsi, la volonté de
struction, ici on est frappé par l’abondance des termes respect, l’accent mis sur l’honnêteté, s’accompagnent
et des expressions pour dénoter les choses importantes de la demande explicite d’une certaine « ouverture aux
de la vie. L’honnêteté, le respect des différences, la autres » et de la reconnaissance de la diversité.
vérité des rapports sociaux, la confiance, la reconnais-
sance du caractère unique de chacun constituent sou- Même s’ils sont minoritaires, on voit poindre des cas
vent les valeurs premières mentionnées, au point d’engagement social, ce que l’on peut appeler « une
d’ailleurs que ces notions se retrouvent autant dans certaine conscience politique ». La « société » fait net-
des choix de valeurs plus générales que dans ce qui est tement l’objet de représentation, souvent en termes de
attendu de l’amitié et de l’amour. De même en est-il « problème », par le biais de l’identification d’injustices
pour les amis ; les valeurs de sociabilité sont loin d’être sociales, par l’appel à la solidarité collective et même
absolues, on déclare explicitement choisir ses amis, par une vision internationale des questions sociales.
84
Jeunes et engagés
Changement social, conscience politique À mesure que le temps passe, les expériences de vie
sont plus ou moins intégrées dans une vision rétros-
Quant au politique, si on le refuse de manière généra- pective et prospective de l’avenir. De plus en plus ca-
lisée, si la perception négative qu’on en avait plus pables de prendre recul par rapport à l’école et à la
jeune, perdure, on perçoit malgré tout des premiers famille, tout particulièrement, les jeunes parviennent
cas de « conscience politique », dans la mesure où cer- généralement à insérer ces deux univers dans « une vi-
tains affirment être allés voter, d’autres identifient cer- sion d’ensemble » à laquelle ils donnent sens.
tains rôles pour l’État, d’autres enfin déclarent certains
engagements politiques et sociaux. Quant au travail, d’abord essentiellement lié à l’accès
autonome à la consommation, petits boulots sub-
Cette notion de la « société » se construit encore à par- sumés sous forme d’une expérience positive, on le voit
tir de la reconnaissance de l’histoire et du changement être progressivement intégré au monde scolaire, dont
social. Certains jeunes expriment en effet le sentiment il serait le prolongement, dont l’école ne serait que la
aigu qu’ils ont changé, que leurs valeurs ont changé, phase mal-aimée. Il est notable par exemple que le
dans un mouvement de décentration qui a souvent été discours des jeunes de 17 à 19 ans mette beaucoup
évoqué. moins l’accent sur leurs expériences actuelles de tra-
vail, vues sous l’angle du support aux études dans
Chez certains étudiants, minoritaires, s’affirme claire-
cette phase de leur cycle de vie, que sur leur carrière
ment une reconnaissance du rôle du politique dans la
projetée, dont les caractéristiques les plus recherches
société, de la place de l’État.
sont… un bon salaire, la qualité du milieu social et la
S’ajoute enfin la dimension internationale des ques- possibilité de réalisations personnelles.
tions sociales. Pour un petit nombre d’entre eux, soit
L’émergence d’une certaine notion de « la société » ne
que l’on exprime clairement la portée des questions
semble possible que dans la mesure où le jeune prend
internationales, que l’on se dise sensible aux pro-
conscience de l’historicité de sa situation, dont il se
blèmes du tiers monde, soit que l’on envisage cer-
forge une image inscrite dans la durée, dans la mesure
taines formes d’engagement international, comme ce
donc où il se libère partiellement de sa quête identi-
jeune qui rêve d’aller travailler pour l’ONU en Afrique !
taire pour prendre acte de l’importance de la nature
Conclusion des relations à autrui. Les « amis » deviennent aussi,
peu à peu, une sorte d’autrui généralisé, les rapports
Les analyses qui précèdent laissent clairement en- qu’il entretient avec eux préfigurent une certaine image
trevoir que le système de valeurs d’un jeune ne se de la vie en société. C’est à cette condition que peu-
construit pas indépendamment de son contexte. À la vent surgir des formes de représentation de ce que
limite, on peut dire que le système de valeurs des je- l’on pourrait appeler « les structures sociales » : con-
unes se superpose au contexte familial, scolaire et de science de la présence et du rôle de l’État, sensibilité
sociabilité, sans compter les rapports au travail. Les aux rapports de pouvoir et aux conséquences qui en ré-
jeunes expriment des valeurs qui très souvent sultent, volonté d’engagement social et quête de
épousent leurs expériences de vie familiale, scolaire et changements plus ou moins radicaux, sensibilité aux
d’amitié. questions internationales.
1 Ce texte est un extrait d’un rapport de recherche sur les valeurs des jeunes remis au ministère de la Famille, des «Aînés et
de la Condition féminine». Une série d’entretiens semi-dirigés qui ont été menés auprès de 34 jeunes âgés de 14 à 19
ans, des régions de Montréal et de Trois-Rivières, en 2003.
85
Être jeune au Québec en 2005
Mircea Vultur
Professeur, Institut national de la recherche scientifique
Observatoire Jeunes et Société
ment des individus à l’égard de leur em- trent que, au Québec, le phénomène de
ploi. C’est le travailleur lui-même qui suréducation est loin d’être marginal.
spécifie le niveau d’éducation requis Le tableau 1 fait état des pourcenta-
pour remplir une fonction. En deman- ges de diplômés suréduqués selon le
dant au travailleur de préciser si par rap- niveau de scolarité au Québec. Les taux
port à son propre niveau d’éducation, de suréducation vont de 27 % à 48 %
un niveau de scolarité plus élevé ou pour les titulaires d’un diplôme d’é-
moins élevé est requis pour accomplir tudes collégiales, d’un baccalauréat ou
les tâches de son travail, on peut iden- d’un doctorat. Les taux les plus élevés
tifier si un individu se perçoit comme de surqualifiés s’observent dans le cas
suréduqué ou non. des titulaires de maîtrise qui s’étendent
b) La méthode objective des concor- de 55 % à 79 % et s’appliquent à
dances réalisées (RM – realised matches) l’ensemble des cohortes. Par exemple,
utilise un seuil statistique de la suréd- 62 % des diplômés masculins ayant
ucation. L’éducation requise est établie obtenu un grade de maîtrise en 1990
à partir de niveaux moyens atteints par étaient, cinq ans après l’obtention de
les travailleurs occupant un poste ou ex- leur diplôme, surqualifiés par rapport
erçant une profession. La surqualifica- à leur emploi. Pour les femmes de la
tion est ainsi définie à partir d’une même cohorte, cette proportion était de
comparaison entre les années de qua- 55 %. La meilleure situation s’enreg-
lification acquises par l’individu et le istre au baccalauréat où le taux de
niveau de qualification moyen à l’in- surqualification était, toujours pour la
térieur de la profession du travailleur. cohorte de 1990, de 28 % pour les
femmes et de 23 % pour les hommes.
Aperçu de la suréducation au Québec La variable sexe indique que, dans le
Les données tirées de l’Enquête na- cas des diplômés d’études collégiales
tionale auprès des diplômés et du Suivi et de maîtrise, les hommes sont sus-
de l’enquête nationale auprès des ceptibles d’être plus surqualifiés que les
diplômés exploitées par Frenette (2000) femmes, tandis que pour les diplômés
selon la méthode subjective (WA), mon- du baccalauréat et du doctorat, la ten-
TABLEAU 1 Pourcentage des diplômés suréduqués pour leur emploi principal selon le sexe,
cohortes de 1982, 1986 et 1990, Québec
Cohorte de 1982 Cohorte de 1986 Cohorte de 1990
1984 1987 1988 1991 1992 1995
Études collégiales 35 32 39 41 37 37 27 31 39 40 37 36
Baccalauréat 29 32 25 28 36 47 29 41 28 31 23 28
Maîtrise 79 71 72 63 68 67 62 67 64 57 62 55
Doctorat 44 – 43 – 35 45 37 39 24 31 26 30
– :Échantillon trop petit pour présenter les données.
Source: «Enquête nationale auprès des diplômés» dans Marc Frenette (2000).
Données compilées par l’auteur.
87
Être jeune au Québec en 2005
dance est inverse (les femmes sont plus pour les diplômés en génie et informa-
susceptibles d’être surqualifiées que les tique, en droit et en sciences médicales.
hommes). Les données exploitées par Au niveau de la maîtrise, les diplômés
Frenette indiquent également une forte en éducation affichent des taux élevés
surqualification chez les diplômés du de surqualification, alors que la surqua-
collégial en arts et sciences humaines, lification est relativement faible chez les
en sciences de la santé, en sciences na- diplômés des sciences de la santé.
turelles et zootechnie, en services de Montmarquette et Thomas (2003),
protection, en services de secrétariat et à partir des données des recensements
en services aux entreprises. En re- de 1991 et de 1996, ont utilisé l’ap-
vanche, la surqualification est faible proche objective des concordances réal-
chez les diplômés en soins infirmiers isées (RM) pour analyser le phénomène
et en technologies médicales. Chez les de la suréducation. Les auteurs ont ainsi
diplômés universitaires, la surqualifi- mesuré l’étendue et l’évolution du
cation est élevée pour les titulaires d’un phénomène de surqualification au
diplôme en beaux-arts et sciences hu- Québec à l’intérieur des catégories so-
maines et dans les sciences sociales, cioprofessionnelles et la proportion de
ainsi que pour les diplômés de sexe personnes surqualifiées à l’intérieur des
masculin en économie et en sciences domaines d’études.
agricoles et biologiques. À l’inverse, les Les données du tableau 2 nous in-
taux de surqualification sont faibles diquent que les professions qui exigent
un degré de scolarité plus élevé sont
celles où la surqualification est la moins
TABLEAU 2 La suréducation par catégories socioprofessionnelles, forte. À l’inverse, dans les professions
Québec , 1991 et 1996 (en%). qui requièrent un plus faible taux de
Catégories socioprofessionnelles 1991 1996 scolarité, on retrouve les plus forts taux
de surqualifiés, ce qui peut signifier que
Professionnels 38.8 0.0
les jeunes diplômés préfèrent occuper
Cadres supérieurs 18.8 21.7
un emploi pour lequel ils sont surqual-
Semi-professionnels 10.5 12.4 ifiés plutôt que de ne pas avoir d’em-
Cadres-intermédiaires 14.2 16.7 ploi. De 1991 à 1996, la surqualification
Personnel administratif 37.2 5.7 a diminué fortement pour les catégories
Personnel de bureau 35.9 5.7 «personnel administratif et de bureau»,
Surveillants 33.4 8.6 « surveillants » et « travailleurs qualifiés
Personnel intermédiaire 31.6 37.6 » et a augmenté pour toutes les autres
Personnel spécialisé 33.3 36.2
catégories. En termes de niveau d’é-
tudes, pour la même période, les don-
Travailleurs qualifiés 36.1 23.5
nées exploitées par Monmarquette et
Contremaîtres 19.1 26.5 Thomas indiquent une diminution de
Autre personnel 33.9 40.5 69 % du taux de surqualification pour
Travailleurs manuels 39.5 43.0 le niveau universitaire et de 28% pour le
Autres travailleurs 40.7 41.8 niveau collégial. Par contre, la surqual-
TOTAL 31.9 22.1 ification a augmenté de 7 % pour le
Source: Montmarquette et Thomas (2003). Données compilées par l’auteur. niveau secondaire.
88
Jeunes et engagés
89
Être jeune au Québec en 2005
Sur le plan social, en plus de cons- Cette tendance semble en effet s’ob-
tituer une forme de sous-utilisation de server dans la forte croissance relative
la main-d’œuvre potentielle et donc un des effectifs de deuxième cycle univer-
«gaspillage» des ressources investies, sitaire depuis les années 1990 et dans
la suréducation est l’indicateur d’un la multiplication des formations com-
processus plus large de dépréciation plémentaires que l’on se donne pour
des diplômes. La production accrue de devenir un candidat plus intéressant
titres scolaires et l’hétérogénéité des aux yeux de l’employeur.
filières au sein de chaque niveau de for-
mation a réduit la confiance que les dif- Conclusion
férents acteurs portent dans le système Dans son plan stratégique 2002-2003,
de certification scolaire. Chez les jeu- le ministère de l’Éducation du Québec
nes, le diplôme « générique » n’est plus a fixé pour tous les niveaux d’en-
perçu comme un passeport automa- seignement des cibles à atteindre d’ici
tique pour l’emploi, ce qui peut expli- 2010. Pour le secondaire, le taux d’ob-
quer les taux élevés de sortie sans tention des diplômes est fixé à 85 %
diplôme de l’enseignement secondaire (dans le cas des jeunes de moins de 20
et collégial (43,1 % au secondaire pro- ans), alors que le taux réalisé en 2001
fessionnel, 31,4 % au collégial préuni- était de 68,3 %. La cible se situe à 60 %
versitaire et 42,7 % au collégial tech- pour le collégial, à 30 % pour le bac-
nique, en 2001). Les jeunes semblent calauréat et à 1,3% pour le doctorat.
rechercher de nouvelles « cartes » de Sans aucun doute, ces objectifs se
signalisation des compétences autres trouvent en adéquation les ressources
que le diplôme. Les effets de l’expéri- investies (le Québec dépense 7,6 % du
ence viennent, par exemple, concur- PIB en éducation), avec l’impératif
rencer de plus en plus les effets du d’un développement économique et
diplôme. Ainsi, beaucoup de jeunes social durable et avec le nécessaire ac-
Québécois sortis sans diplôme de l’en- croissement de la capacité de s’ajuster
seignement secondaire ou collégial, in- aux évolutions imprévues d’une
terrogés dans le cadre d’une recherche économie mondialisée. Il est toutefois
menée à l’Observatoire Jeunes et indispensable de veiller au développe-
Société (Gauthier, Hamel, Molgat, ment des emplois qui demandent de
Trottier et Vultur, 2004) estiment que le telles qualifications certifiées et d’as-
taux de rendement d’une année d’é- surer les conditions de l’insertion pro-
tudes supplémentaire est moindre que fessionnelle des diplômés, sans quoi
celui obtenu en travaillant et en acquer- la performance en matière de forma-
rant ainsi de l’expérience. Au pôle op- tion peut alimenter des phénomènes
posé, pour éviter les difficultés d’inser- indésirables comme la suréducation.
tion attribuables à un niveau de Une augmentation de la diplomation
diplôme jugé insuffisant, les jeunes sans égard aux conditions du marché
prolongent les études en espérant ainsi du travail conduit au gaspillage de
se démarquer sur le marché du travail, ressources intellectuelles et peut con-
ce qui en fin de compte, ne fait qu’ac- duire à une détérioration de la position
centuer le phénomène de dépréciation. des moins qualifiés dans le système
92
Jeunes et engagés
d’emploi, se traduisant par le phéno- s’il est vrai que «plus on éduque, mieux
mène du crowding out, c’est-à-dire que c’est», il importe cependant de voir com-
les moins diplômés seront conduits ment on forme et à quoi. Les jeunes ne
vers des franges inférieures du marché doivent pas seulement être bardés de
du travail. diplômes mais posséder également les
Ces constatations ne devraient compétences demandées par le marché
surtout pas nous conduire à penser qu’il de l’emploi qui leur permettent de s’é-
y a trop de diplômés au Québec. L’exis- panouir et d’entretenir un rapport «ex-
tence de la suréducation ne remet pas en pressif » avec le travail. L’expansion de
question les bénéfices du système d’éd- l’enseignement doit se poursuivre avec
ucation en général mais les bénéfices de une attention accrue portée à son con-
l’éducation à l’intérieur du marché du tenu afin d’éviter les deux risques clas-
travail. Il est sans conteste qu’elle génère siques diamétralement opposés : d’un
des externalités positives pour l’ensem- côté, celui de dépendre du monde des
ble de la société et nous devons éviter de entreprises et d’être façonnée par les exi-
la justifier exclusivement en raison de gences conjoncturelles du marché et, de
son effet sur la productivité de la main- l’autre, celui d’être orientée par des in-
d’œuvre. L’éducation est le moyen privi- erties internes qui l’éloignent des be-
légié pour enrichir la vie des jeunes et en soins socioéconomiques auxquels elle
faire de meilleurs citoyens. Néanmoins, doit répondre.
Références
Marc Frenette «Les employés surqualifiés? Les diplômés récents et les besoins de leurs em-
ployeurs», Revue trimestrielle de l’éducation, 2000, produit no. 81-003 au catalogue de Statistique
Canada, 7, 1 page 7-21.
Madeleine Gauthier, Jacques Hamel, Marc Molgat, Mircea Vultur, « L’insertion profession-
nelle et le rapport au travail des jeunes qui ont interrompu leurs études secondaires ou col-
légiales en 1996-1997. Étude rétrospective », 2004, rapport de recherche, Institut national
de la recherche scientifique, Québec.
Claude Montmarquette et Laure Thomas, « Surqualification et sous-qualification des tra-
vailleurs sur le marché du travail : le cas du Québec et de l’Ontario en 1991 et 1996 », 2003,
Rapport de projet, CIRANO, Montréal.
Mircea Vultur, « Le rôle du diplôme et des filières de formation dans l’insertion profes-
sionnelle des jeunes. Critères d’évaluation des compétences et nouvelles formes de qua-
lification », projet de recherche CRSH, (en cours), 2005, Institut national de la recherche
scientifique, Québec.
Pour une analyse du rapport entre diplôme et marché du travail en général et de la suréducation en particulier,
voir : Mircea Vultur (avec la collaboration de Mélanie Gagnon), «Diplôme et marché du travail. La dynamique
de l’éducation et le déclassement au Québec», Recherches sociographiques (à paraître).
93
L’Institut du Nouveau Monde
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Jeunes
{ Ils étaient 400, de toutes les régions du Québec, à l’Université
du Nouveau Monde, École d’été pour jeunes citoyens mise sur pied
par l’Institut du Nouveau Monde, en août 2004.
Jeunes
Fahmy et Antoine Robitaille
et engagés
{ Ils ont bouleversé l’ordre du jour politique à l’hiver 2005,
en déclenchant un mouvement de grève étudiante sans précédent.
{ Altermondialistes, ils militent autrement.
{ Les X, une mouvance politique ?
Dans cet ouvrage :
et engagés
JEUNES ET ENGAGÉS
{ Le récit de la première École d’été de l’Institut du Nouveau Monde.