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Jeunes { Une école de

citoyenneté aux
{ La grève étudiante
de l’hiver 2005 :
{ 50 idées
pour le Québec
et engagés airs de festival la fin du lyrisme de demain

Désengagés, les jeunes ?

Jeunes
{ Ils étaient 400, de toutes les régions du Québec, à l’Université
du Nouveau Monde, École d’été pour jeunes citoyens mise sur pied
par l’Institut du Nouveau Monde, en août 2004.

Jeunes
Fahmy et Antoine Robitaille
et engagés
{ Ils ont bouleversé l’ordre du jour politique à l’hiver 2005,
en déclenchant un mouvement de grève étudiante sans précédent.
{ Altermondialistes, ils militent autrement.
{ Les X, une mouvance politique ?
Dans cet ouvrage :
et engagés

JEUNES ET ENGAGÉS
{ Le récit de la première École d’été de l’Institut du Nouveau Monde.

Sous la direction de Miriam


{ Les 50 propositions des jeunes pour le Québec de demain. Sous la direction de
Miriam Fahmy
{ Des extraits des conférences de Riccardo Petrella, Jacques Attali, et Antoine Robitaille
Roméo Dallaire, Amir Khadir, Michaëlle Jean, Pascale Navarro,
Pierre Fortin, Omar Aktouf, Nancy Neamtan et plusieurs autres.
{ Des textes de Pier-André Bouchard St-Amant, Stéphane Kelly,
Laure Waridel, François Rebello, Raphaël Artaud-McNeill,
Marie-Ève Homier, Madeleine Gauthier, Milcea Vultur, Gilles Pronovost,
Pierre-Luc Gravel et Jean-Philippe Perreault.
Supplément de
En collaboration avec
L’annuaire
L’Observatoire Jeunes et Société. du
ISBN 2-7621-2679-7
Quebec
Une collection dirigée par Une collection dirigée par
9,95 $ • 9 e Michel Venne Michel Venne
Une école de La grève étudiante Des idées
citoyenneté aux de l’hiver 2005 : pour le Québec
airs de festival La fin du lyrisme de demain
SOUS LA DIRECTION DE
M I R I A M FA H M Y
E T A N T O I N E R O B I TA I L L E

Jeunes
et engagés
Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives Canada

Vedette principale au titre :

Jeunes et Engagés

« Supplément de L’annuaire du Québec ».


Publ. en collab. avec : Institut du Nouveau Monde.

ISBN 2-7621-2679-7

1. Jeunesse - Québec (Province) - Conditions sociales.


2. Jeunesse - Québec (Province) - Activité politique.
3. Mouvements étudiants - Québec (Province).
4. Valeurs sociales - Québec (Province).
I. Fahmy, Miriam.
II. Robitaille, Antoine.

HQ799.C32Q8 2005 305.235’09714 C2005-941461-82

Dépôt légal : 3e trimestre 2005


Bibliothèque nationale du Québec
© Éditions Fides, 2005

Les Éditions Fides remercient de leur soutien financier le ministère du Patrimoine canadien,
le Conseil des arts du Canada et la Société de développement des entreprises culturelles du
Québec (Sodec). Les Éditions Fides bénéficient du Programme de crédit d’impôt pour l’édition
de livres du gouvernement du Québec, géré par la Sodec.

IMPRIMÉ AU CANADA EN AOÛT 2005


{ Jeunes et engagés
SOMMAIRE
6 Jeunes et lucides
Michel Venne
Jeunes et Engagés est le deuxième titre de la collec- PREMIÈRE PARTIE : DÉSENGAGÉS, LES JEUNES ?
tion des suppléments de L’Annuaire du Québec. 10 La fin de l’âge lyrique au Québec
Ce livre rend compte des débats tenus lors de Stéphane Kelly
l’Université du Nouveau Monde, la première édition 17 Combat contre un dégel annoncé
de l’École d’été de l’Institut du Nouveau Monde (INM) Pier-André Bouchard St-Amant
tenue du 19 au 22 août 2004 à Montréal. Il propose 22 La jeunesse québécoise s’engage différemment
également des réflexions sur l’engagement et les valeurs Madeleine Gauthier et Pierre-Luc Gravel
des jeunes Québécois en 2005. L’Annuaire du
24 Acheter, est-ce vraiment voter?
Québec est un ouvrage de référence annuel publié
Entretien avec Laure Waridel
aux Éditions Fides en collaboration avec l’INM. Anne-Marie Aitken
Directeur de la collection 29 L’investissement responsable, du Suroît à Wal-Mart
Michel Venne François Rebello
Codirecteurs de l’ouvrage
DEUXIÈME PARTIE : UNE ÉCOLE D’ÉTÉ POUR CHANGER LE MONDE
Miriam Fahmy, Antoine Robitaille
Transcription, édition et révision 36 Formuler des projets pour changer le monde
Sophie Breton-Tran, Denis Desjardins, Miriam Fahmy
Marc-André Girard et Sylvie Cloutier 40 Attention! Rêveurs sur le chantier!
Rédaction Marie-Ève Homier
Anne-Marie Aitken, Raphaël Artaud McNeill, 42 50 propositions pour le Québec de demain
Pier-André Bouchard St-Amant,
54 Pour une société responsable
Madeleine Gauthier, Pierre-Luc Gravel,
Une analyse des 50 propositions
Marie-Ève Homier, Stéphane Kelly,
Michel Venne
Jean-Philippe Perreault, Gilles Pronovost,
François Rebello, Milcea Vultur 57 Une mosaïque de perspectives
Direction artistique Extraits des conférences
Gianni Caccia TROISIÈME PARTIE : ÊTRE JEUNE AU QUÉBEC EN 2005
Illustration de la couverture 74 La tentation d’en finir avec la politique
Philippe Béha Raphaël Artaud McNeill
Mise en pages
79 Être jeune, c’est vieillir
Gaétan Venne
Les défis de la construction du sens
Les Éditions Fides Jean-Philippe Perreault
358, Lebeau
Saint-Laurent (Québec) H4N 1R5 84 Comment se forment les valeurs des jeunes
Gilles Pronovost
L’Institut du Nouveau Monde
209, rue Sainte-Catherine Est 86 La suréducation des jeunes au Québec
C.P. 8888, succ. Centre-ville Milcea Vultur
Montréal (Québec) H3C 3P8 94 L’Institut du Nouveau Monde
Introduction

Jeunes et lucides

Michel Venne
Directeur général, Institut du Nouveau Monde

Personne ne peut parler au nom « des Le gouvernement a mis le feu aux


jeunes ». Ceux-ci sont aussi différents poudres en décidant de modifier le pro-
les uns des autres que le sont leurs gramme d’aide financière aux études de
parents. Entre les adeptes de la télé- manière à augmenter l’endettement et
réalité, les nerds abonnés aux blogues à réduire le montant des bourses ac-
et les écolos aspirant à pratiquer la cordées aux étudiants les plus démunis.
simplicité volontaire, il y a des univers Il épargnait ainsi 103 millions de dollars.
de différences. Il faut toujours se mé- Les grévistes se recrutaient dans
fier des généralisations. tous les secteurs de la société. Autant
Or, depuis quelques années, il est de les futurs médecins, ingénieurs et
bon ton d’affirmer que « les jeunes » ne comptables que les aspirants socio-
Michel Venne
s’intéressent plus à la politique. Qu’ils logues ont pris la rue, brandi des pan-
sont plus individualistes que leurs par- cartes et exprimé leur refus d’une poli-
ents, se détournent des institutions, ne tique qui avait pour conséquence
votent pas aux élections, ont perdu foi d’augmenter le fardeau financier des
dans les mouvements sociaux. Il y a étudiants les plus pauvres.
sûrement du vrai mais aussi une part de Cette grève fut exemplaire. D’abord,
préjugés dans ces affirmations fausse- elle a été déclenchée par une injustice: la
ment englobantes. décision de faire payer par les plus pau-
Ce livre est publié quelques mois vres les réductions budgétaires en édu-
après la plus importante mobilisation cation. Ensuite, elle a été menée par al-
de jeunes Québécois depuis les années truisme : la plupart des grévistes n’ont
1960. Durant l’hiver 2005, quelque pas droit à l’aide financière aux études
200 000 étudiants ont fait la grève, cer- mais ont néanmoins pris le risque de
tains pendant plusieurs mois, et fait mettre en jeu leur semestre printanier
reculer le gouvernement du Québec par solidarité avec leurs collègues
après avoir acquis l’appui largement moins fortunés afin de préserver leur
majoritaire de la population. accès à l’éducation.

6
Jeunes et engagés

Photo : Frank Desgagnés


Des participants discutent à l’Université du Nouveau Monde.

Enfin, sauf quelques incidents l’État providence hérité de la Révolution


mineurs que Québec a utilisés pour tranquille).
marginaliser le groupe d’étudiants le Au sortir de la grève, Québec a rem-
plus revendicateur (réunis sous les aus- ballé sa politique. À cet égard, les étu-
pices de la CASSÉE), on ne signale au- diants ont gagné. Nous publions
cune violence. Des votes de grève l’analyse de l’un des acteurs-clés de
étaient repris régulièrement et la par- cette crise, le président sortant de la
ticipation aux assemblées générales Fédération étudiante universitaire du
était impressionnante. Québec (FEUQ), Pier-André Bouchard
L’esprit était « manifestif », les St-Amant. Les représentants de la
marches et les rassemblements étant CASSÉE, qui estiment au contraire que
menés au rythme des tam-tam et sous les jeunes ont été floués, ont décliné
le signe du fameux carré rouge, bout de notre invitation.
chiffon coupé au carré, épinglé sur un Cette grève aura-t-elle donné nais-
tee-shirt, un blouson, un sac ou un cha- sance à une nouvelle génération en-
peau, servant de macaron universel à gagée ? La question est posée et nous
une cause bien plus large que les 103 verrons dans dix ans. Nous savons
millions réclamés au gouvernement. maintenant que le non-engagement des
jeunes est un mythe. Leur engagement
Le mythe du non-engagement est réel et se traduit d’ailleurs de nom-
Le sociologue Stéphane Kelly montre, breuses manières, comme l’ont cons-
dans un brillant essai publié dans ce taté les chercheurs de l’Observatoire
livre, comment cette grève marque la Jeunes et Société (OJS).
fin de l’âge lyrique au Québec. Il Les jeunes, par exemple, viennent
dépeint une jeunesse non pas désen- à la politique par l’environnement, le
gagée – bien que pessimiste – mais social, l’international. Ils sont présents
prompte, comme l’a indiqué la grève de dans les forums jeunesse régionaux. Ils
l’hiver 2005, à défendre les bienfaits de assistent par centaines, chaque année,

7
Introduction

aux journées de formation du groupe puyé par plus d’une trentaine de parte-
altermondialiste Alternatives. naires et dont la deuxième édition, en
Si une partie des jeunes peuvent août 2005, est encore plus courue.
avoir la tentation de tourner le dos à la Ces jeunes, nous leur avons de-
politique, comme l’exprime Raphaël mandé de formuler des propositions
Artaud McNeill, certains ont réinvesti sur la société dans laquelle ils veulent
les partis et sont, comme l’ont indiqué vivre dans vingt ans. Leurs 50 proposi-
trois jeunes députés péquistes connus tions pour le Québec de demain ont été
sous l’étiquette des trois mousque- largement diffusées au Québec. La
taires, toujours très intéressés par la démarche a même suscité de l’intérêt à
question nationale. La moyenne d’âge l’étranger.
des quatre députés élus aux élections Et que disent ces jeunes? Ils veulent,
partielles de septembre 2004 était de 30 justement une société responsable,
ans à peine, à gauche comme à droite. dans laquelle l’État joue le rôle de gar-
Nous publions les témoignages dien du bien commun sans jamais se
de Laure Waridel, cofondatrice d’Équi- substituer aux personnes et aux organi-
terre et auteure de Acheter, c’est voter et sations qui composent la société et qui
de François Rebello, du Groupe Inves- ont leur rôle à jouer dans l’atteinte
tissement responsable, qui illustrent d’une société juste, axée sur le déve-
comment s’exerce désormais l’en- loppement durable.
gagement : par des actions et des choix Ils peuvent paraître idéalistes. Ils le
responsables. C’est aussi ce qu’a révélé sont. Mais ils sont aussi très lucides. Ils
la première édition de l’École d’été de ont vu les dérives et les déceptions
l’INM. provoquées par l’échec des grandes
promesses progressistes énoncées par
Citoyens responsables leurs prédécesseurs et ils veulent du
L’Institut du Nouveau Monde a organi- concret. Ils admettent aussi qu’ils de-
sé la première édition de son École vront peut-être attendre le moment où
d’été, alors appelée Université du ils seront aux commandes pour que
Nouveau Monde, en août 2004. Nous y leurs rêves se réalisent.
avons invité les jeunes à assister à des Entre-temps, ils se préparent à pren-
conférences et à participer à des ateliers dre ou à influencer le pouvoir, plus
pendant quatre jours sur des thèmes nombreux qu’on croit, à travers des
aussi variés que la mondialisation, la dynamiques de réseaux ouverts sur le
famille ou l’environnement. reste du monde tout en gardant en tête
L’invitation a été entendue : 400 jeu- ce qui continue de compter le plus pour
nes sont venus, autant d’hommes que eux, comme l’indiquent les chercheurs
de femmes, de toutes les régions. de l’OJS : réussir à l’école, fonder une
Miriam Fahmy relate cet événement famille, trouver un bon boulot. Être
devenu une référence au Québec, ap- heureux, en somme.

8
{ Première partie

Désengagés, les jeunes ?

Photo : Jacques Nadeau


Désengagés, les jeunes ?

La fin de l’âge lyrique au Québec


«Pourquoi s’inquiéter du sort des nouvelles générations, destinées à
connaître un sort forcément meilleur au nôtre?»
- Georges Sorel, Les illusions du progrès.

Stéphane Kelly
Sociologue et essayiste

Il y a peu de temps de cela, je n’étais Dylan. La magnifique chanson The


pas la personne la plus disposée à en- Times They Are A-Changin’ annonçait
tendre les griefs du mouvement étu- qu’un mouvement irréversible allait
diant. Ayant été très impliqué dans le bouleverser le monde et qu’il était inu-
journalisme étudiant au milieu des an- tile de s’y opposer :
nées 1980, j’avais connu nombre de « Vous les pères et les mères de tous les
carriéristes, d’opportunistes et de co- pays/ Ne critiquez plus car vous n’avez pas
quins dans les cercles de la politique compris/ Vos enfants ne sont plus sous votre
étudiante. Il m’était difficile de con- autorité/ Sur vos routes anciennes les pavés
cevoir qu’un fils de la bourgeoisie paie sont usés/ Marchez sur les nouvelles ou bien
les mêmes frais de scolarité pour son restez cachés/ Car le monde et les temps
cours en médecine qu’un étudiant de changent. »
condition modeste pour son cours en
philosophie ou en histoire de l’art. Ces paroles, si elles étaient aussi un
Pourtant, spontanément, dès le pre- appel à vivre dans un monde plus juste,
mier jour de grève cet hiver, dans le n’en sont pas moins bien étrangères à
collège où j’enseigne, j’ai manifesté l’esprit de notre époque et au sens du
mon appui aux étudiants grévistes. Les combat mené par les jeunes manifes-
raisons de cet appui, qui étaient à ce tants dans les derniers mois. Dans les
moment intuitives, sont devenues années 1960, en plein cœur des Trente
depuis plus objectives. Je les expose Glorieuses, la ligne tracée pour che-
brièvement dans les lignes miner vers un monde plus juste et so-
«La grève générale qui suivent. lidaire apparaissait de façon nette. Elle
de l’hiver dernier consistait à accélérer le mouvement de
Les temps changent l’histoire, un mouvement qui semblait
confirme la fin de Il y a déjà quarante ans, la tendre vers le progrès. Ce mouvement
jeunesse américaine criait avançait de façon beaucoup trop lente
l’âge lyrique au sa révolte en citant les aux yeux de la jeunesse et des forces
Québec.» paroles de son idole, Bob progressistes. Néanmoins, l’avenir se

10
Jeunes et engagés

présentait sous la forme d’un horizon grandes réalisations humai- Intuitivement,


accueillant. La vague du futur suscitait nes et qui envisage le futur
de l’optimisme, de l’enthousiasme et avec un enthousiasme con- plusieurs X ont
de l’espoir. Aujourd’hui, il soulève des tagieux1. L’imaginaire des X acquis avec les
doutes, des craintes, des peurs. Les est marqué par une forte dose
manifestations dont le Québec a été té- de pessimisme historique. Il années la conviction
moin récemment doivent beaucoup à retient du passé les multiples
ce rapport inquiet et torturé face à dérives des grands desseins
qu’au soir de la vie,
l’avenir. Contrairement à ce qui a été politiques et il s’alarme des ils auront connu un
souvent dit dans les médias, les mani- périls qui pointent à nos
festations étudiantes étaient loin de portes. Pour simplifier, les
destin moins
l’esprit des années 1960. Pour bien lyriques voient l’avenir en prospère et heureux
saisir cela, il faut se pencher sur la sen- rose, les X en gris….
sibilité politique de la génération post- Qu’il y ait une telle diver- que leurs parents.
baby boom, celle qu’on nomme la gence dans le regard porté sur
génération X. le monde s’explique aisément. Cela
tient moins à l’écart dans la réussite
Les lyriques et les X : deux nations matérielle qu’à la façon dont les deux
Pour comprendre mon argument, il générations sont entrées dans le monde
faut comparer la trajectoire sociale de des adultes et ont cheminé au sein de
la génération lyrique à celle de la géné- celui-ci par la suite. Revoyons briève-
ration X. Comparer ces deux cohortes ment comment les choses se sont
ne relève pas d’un choix arbitraire. Ces passées. Les lyriques sont nés, pour la
deux générations, l’une née dans les an- plupart, dans des familles de conditions
nées 1940, l’autre dans les années 1960, modestes. Enfants, ils ont connu de
ont connu des destins historiques et
existentiels fortement contrastés. Ils
représentent aujourd’hui deux façons
de lire le passé québécois et d’imaginer
les voies de l’avenir. On pourrait même
dire à la blague, en reprenant le mot
célèbre de lord Durham, que ce sont
« deux nations en lutte au sein d’un
même État ».
Aujourd’hui, être un X ou un lyrique
renvoie plus qu’à une simple date de
naissance. Ces deux imaginaires
générationnels désignent une signature
Photo : Jacques Nadeau

sur le monde, dont le style est façonné


par le rapport au passé et à l’avenir.
L’imaginaire des lyriques est fondé sur
une foi quasi aveugle dans le potentiel
de l’avenir. C’est un regard progressiste
sur le monde, qui retient du passé les Des jeunes manifestent pendant la grève.

11
Désengagés, les jeunes ?

multiples privations et ont appris le ble parfaitement confirmée par le beau


sens du sacrifice. Mais ils ont bénéficié film de Louis Bélanger, Gaz Bar Blues. Ce
durant le reste de leur vie d’une amélio- film évoque avec brio de quelle façon le
ration pratiquement continue de leur destin générationnel est lié à la crise de
niveau de vie. Le destin de beaucoup de la classe moyenne. Il relate la vie d’une
X a suivi une trajectoire presque con- modeste famille québécoise (mono-
traire. De leur propre aveu, les X ont parentale, la mère étant décédée) de
connu une enfance et une adolescence quatre enfants. À l’instar des autres du
relativement heureuses, marquées par quartier, cette famille vit une profonde
l’abondance, la sécurité et le bonheur. insécurité économique. Celle-ci est
Mais un grand nombre ont frappé un nourrie par la mondialisation, où les
mur au moment de l’entrée dans la vie gros mangent inexorablement les pe-
adulte. Un mur fait de privation, de tits (le père, François Brochu, exploite
frustration, de désillusions et de rêves avec ses trois garçons une petite sta-
brisés. Intuitivement, plusieurs ont ac- tion-service, qui ne fait plus d’argent
quis avec les années la conviction qu’au mais qui demeure un lieu de convivia-
soir de la vie, ils auront connu un destin lité pour les gens du quartier). Cette in-
moins prospère et heureux que leurs sécurité économique se double d’une
parents. Et que leurs aînés les auront insécurité sociale. Les gens du quartier
bien mal préparés à s’insérer dans un sont exposés à la délinquance, au
monde où les opportunités étaient rares crime, à la pauvreté, à la toxicomanie…
ou difficiles à exploiter. Contexte économique oblige, les en-
Cette entrée laborieuse dans la vie fants de la famille Brochu, pourtant
adulte, au tournant des années 1980, a bien éduqués et scolarisés, ont mis
sédimenté des passions et des émo- leurs aspirations sur la glace. Ils ga-
tions particulières face à la vie, face au gnent leur vie sans enthousiasme, dans
destin, face au monde. Le tout a résulté l’entreprise familiale, en espérant un
en une posture réactive, sceptique, pes- jour s’adonner à autre chose que des
simiste. Ce pessimisme, précisons-le, petits boulots, mal payés, qui ont perdu
est moins une adhésion à une philoso- la dignité d’antan. Le fils aîné, Réjean,
phie politique qu’une humeur qui illustre parfaitement bien mon hy-
cherche, de façon prudente pothèse sur la génération X. Bien qu’il
Cette hypothèse mais improvisée, à con- soit un travailleur intègre, un fils loyal,
server des morceaux de il peine à contenir son ressentiment et
que je viens sécurité, de bonheur et sa révolte face aux forces qui fragilisent
d’esquisser me d’humanité goûté dans son milieu, ainsi qu’à l’égard de la
l’enfance, mais que le des- lâcheté de ses contemporains. Comme
semble parfaitement tin générationnel a fragilisé les autres habitants du quartier, il ne fait
confirmée par le ou fait voler en éclats. plus confiance au «système» et compte
sur ses propres moyens pour préserver
beau film de Mur de Berlin, Mur du un minimum de décence et de justice.
Québec Au milieu du film, toutefois, Réjean
Louis Bélanger, Cette hypothèse que je met en suspens son négativisme. Excité
Gaz Bar Blues. viens d’esquisser me sem- par la chute du Mur de Berlin, il décide
12
Jeunes et engagés

de participer à ce grand événement his- changer. Si les changements ne font


torique. Il prend l’avion pour aller pho- pas ton bonheur, t’es pas obligé de
tographier les célébrations entourant la jouer leur game. »
chute du Mur. À peine quelques jours Il est intéressant de noter, dans cet
suffisent pour éteindre l’excitation du échange, que le père et le fils s’enten-
jeune homme : « C’est rendu fou ici. Le dent sur le constat suivant : le mouve-
monde pense juste au criss’ de cash. La ment étourdissant des sociétés,
réunification de l’Allemagne est orga- présenté sous les apparats du progrès,
nisée comme une vente de garage. » ne sert pas le bien commun. Le mouve-
Réjean est dégoûté par l’attitude des ment n’a que faire des « petits », des
Berlinois de l’Ouest. À ses yeux, ce sont gens de condition modeste, du monde
des parvenus qui ne cherchent qu’à ex- ordinaire. Ce constat est prononcé
ploiter cupidement l’événement. Sa dé- d’une façon imagée, dès le début du
ception tourne en colère, puis en révolte film, par Monsieur Savard, cet employé
violente. Dans un geste symbolique, il traditionnel, bourru et sévère, mais
fait un coup d’éclat, afin d’inciter les aussi sociable et généreux. En faisant la
Berlinois de l’Est à reconstruire le Mur: leçon à la fille de la famille (qui se vante
«On est décevant l’être humain des fois. de posséder une petite voiture eu-
La chute du Mur veut peut-être rien ropéenne très écologique...), il exprime
dire… Faut que je trouve une passe le sentiment d’impuissance des classes
pour que rien bouge. M’a tout’ figer ça populaires devant le système et son
là. » Ainsi, le geste d’éclat de Réjean supposé progrès humain :
traduit une volonté d’arrêter le mouve- « Maudit que t’es naïve la jeune !
ment de l’histoire. Expulsé d’Allema- C’est des histoires pour nous fourrer.
gne, le jeune révolté, de retour au pays, C’est comme quand y ont changé pour
tente d’expliquer le geste à son père. les litres. Faut que tu fasses des divi-
Une conversation entre le fils et le père sions du verrat juste pour savoir com-
révèle que le pessimisme historique ment ça fait en gallons… Fais-toi z’en
de Réjean est une forme résignée pas qu’y ont pas enlevé le système im-
d’héroïsme. périal pour rien. Ça fait leur affaire
Réjean : « Regarde Pa’ : Berlin c’est qu’on comprenne plus rien. Hey ! On
une station-service. À l’Ouest, c’est le s’en câlisse-tu de la pollution entre toé
libre-service moderne, pis à l’Est…Ben, pis moé ? Vous autres les enfants du
c’est broche-à-foin, comme ton gaz boss, vous avez ben de l’éducation.
bar. Pis, c’est les gros libre-service qui Mais pas de jugement pan’ toute ! »
vont gagner. Tu comprends-tu ? »
Le père : « Tu me prends-tu pour un Le blues de la classe moyenne
imbécile ? Tu prends tout’ ces détours- fragilisée
là pour finir par me dire ça ? Le monde Pour parler en sociologue, on dira que
est en train de changer, pis moi j’ai de la le mérite de Gaz Bar Blues est de montrer
misère à suivre. Penses-tu que je le sais la convergence entre le malaise géné-
pas ce qui me pend au bout du nez ? » rationnel et le conflit de classes. Il y a
Réjean: «Moi ce que je dis, c’est qu’il déjà plus de dix ans, le sociologue
n’y a pas de honte à ne pas vouloir Simon Langlois avait prêché dans le
13
Désengagés, les jeunes ?

En fait, de nombreux désert, en décrivant l’exis- Le second salaire n’est maintenant plus
tence d’un effet de généra- un choix, mais une nécessité. Même si
aspects rapprochent tion. Son diagnostic, les familles de la classe moyenne ga-
les discours des prophétique, annonçait gnent aujourd’hui le double du revenu
qu’une bonne partie des qu’elles généraient dans les années
grévistes à la enfants nés à partir de la fin 1970, elles ne sont pas en meilleure
des des années 1950 con- posture. Le coût de la vie a tellement
sensibilité politique naissait une régression augmenté que leur marge de manœu-
de la génération X. économique par rapport vre est plus mince qu’à cette époque.
à leurs parents 2. Ils ré-
gressent parce qu’ils sont L’horizon pessimiste des
arrivés sur le marché du travail après le grévistes étudiants
party des Trente Glorieuses3. Etre un X, Une objection qu’on soulèvera sans
c’est être fragilisé par deux facteurs : doute, face à mon hypothèse, est que la
l’appartenance à une génération et l’ap- jeunesse étudiante a renoué avec des
partenanceà une classe sociale. formes d’action qui étaient privilégiées
Certes, le destin des enfants de la par la génération lyrique. Cet argument
classe moyenne n’est pas uniforme. ne tient pas, car on a nettement exagéré
Démographiquement nombreuse, cette l’apolitisme de la génération X. Son
classe se décompose en trois strates scepticisme face aux grandes utopies
distinctes : la supérieure, l’intermédi- sociales, dans les années 1980, était net-
aire et l’inférieure. La première a connu tement compréhensible. Il était au dia-
un destin fort enviable. Bénéficiant très pason de l’opinion publique de
peu de la croissance économique, les l’époque, qui constatait la crise de l’É-
deux autres strates sont aujourd’hui tat-providence et qui s’inquiétait des
hantées par le risque de dégringoler dérives totalitaires de certains mouve-
dans l’échelle sociale. De fait, pendant ments politiques. Si cette génération
que la strate supérieure a connu (depuis s’était radicalisée politiquement, dans
quinze ans) une augmentation de ses les années 1980, cette révolte aurait été
revenus supérieure à 10 %, les deux dirigée contre les lyriques. La plupart
autres strates ont complètement des X, animés par un ressentiment
stagné. générationnel, ont néanmoins refusé
L’une des stratégies de défense de la de s’engager dans une voie politique
classe moyenne, depuis les années aussi douteuse. En fait, avec le regain
1970, a été de recourir à l’ajout d’un se- du mouvement national, à la fin des an-
cond salaire pour gonfler le revenu fa- nées 1980, l’intérêt mitigé des X pour la
milial. Mais pour la plupart des mé- politique a pris fin et plusieurs ont ac-
nages, cette stratégie n’a pas empêché tivement pris part au débat sur l’avenir
la fragilisation économique. Les coûts du Québec4.
fixes d’une famille de classe moyenne De nombreux aspects rapprochent
(hypothèque de la maison, paiement de les discours des grévistes à la sensibilité
l’auto, coûts de l’instruction, des ser- politique de la génération X: 1) le senti-
vices de garde et de santé) ont aug- ment que la génération lyrique a hy-
menté plus rapidement que le revenu. pothéqué l’avenir des futures généra-
14
Jeunes et engagés

tions québécoises; 2) la perception que diants plus pauvres (les plus touchés
l’avenir est bloqué pour longtemps par les coupures budgétaires).
parce que des choix collectifs mal
avisés ont été faits dans les années 1960 Un héroïsme résigné
et 1970 ; 3) la conviction qu’il vaut Le caractère défensif et pessimiste des
mieux préserver ce qui est bon dans grèves étudiantes fait écho à d’autres
l’héritage collectif plutôt que chercher signes traduisant au Québec une méfi-
à réinventer la roue; 4) l’invocation des ance face à l’optimisme progressiste,
effets négatifs d’une dette étudiante sur qu’il soit d’allégeance gauchiste ou
d’éventuels projets familiaux (argu- droitiste. On sait que la relève politique
ments réactionnaires selon les stan- au Québec, dans les partis politiques,
dards lyriques). est sensiblement plus pragmatique que
Ainsi, c’est l’horizon du pessimisme celle qui anima et remua l’âge lyrique.
historique qui rapproche le plus les Outre Gaz Bar Blues, d’autres œuvres en-
grévistes de la génération X. Si l’objec- gagées manifestent un scepticisme face
tif du mouvement étudiant avait été au progrès. On peut penser à des œu-
d’obtenir la gratuité scolaire, aucune vres comme L’Erreur boréale ou Bacon, le
association étudiante n’aurait obtenu film. On peut évoquer aussi les popu-
un mandat de grève générale illimitée. laires combats de Daniel Pinard contre
Si ces grèves ont rassemblé autant d’é- les multinationales de l’alimentation.
tudiantes et d’étudiants de conditions Ces discours politiques, qui cherchent
sociales très variables, c’est qu’elles à préserver et à conserver, qui défend-
étaient fondées sur une volonté ferme ent les « petits producteurs » contre les
de conserver un acquis social juste, multinationales, sont difficiles à faire
raisonnable et concret. entrer dans les catégories politiques
L’action politique déployée durant classiques. Bien sûr, certains accents
le conflit n’était pas fondée sur l’adop- rappellent des combats menés par la
tion d’une grande utopie sociale. Au gauche; d’autres, toutefois, évoquent
contraire, avant le début de la grève, la certains mouvements populistes de
majeure partie de la jeunesse étudiante l’époque du New Deal. Ce qui est cer-
était peu politisée. Chaque étudiant, tain, c’est que ces discours politiques
chaque étudiante a dû soupeser les contestataires avancent dans l’avenir
avantages concrets d’une grève animés par des sentiments d’inquié-
générale. Plusieurs ont conclu, au tude, de crainte et de peur.
début, que ce n’était pas à leur avantage Il serait peut-être temps de lever
de s’engager dans un affrontement notre méfiance face au pessimisme his-
avec le gouvernement. C’est durant le torique. Il y a d’autres façons de mo-
conflit, jour après jour, semaine après biliser des citoyens que d’en appeler à
semaine, que les enjeux politiques sont l’invention d’un monde radicalement
devenus manifestes aux yeux d’une ma- différent. Dans l’histoire de la démo-
jorité d’étudiants. C’est par cet exercice cratie en Occident, il y a eu plusieurs
de jugement politique que plusieurs insurrections politiques démocratiques
ont révisé leur position de départ et fondées sur une vision non progres-
conclu qu’il fallait protéger les étu- siste5. Se voulant respectueuse de la
15
Désengagés, les jeunes ?

mémoire et de la quand on prête attention aux débats


continuité his- publics, on note que l’horizon lyrique
torique, elles cher- et progressiste n’est plus reçu avec
chaient avant tout sérieux. Le pessimisme historique
Photo : Jacques Grenier

à préserver des des X n’a pas seulement contaminé le


droits acquis et langage de nos élèves, mais aussi celui
des coutumes ho- de beaucoup de lyriques, restés ou non
norables. le cœur à gauche. Cette armistice devra
La grève géné- reconnaître que, si la génération lyrique
Louis Bélanger, réalisateur du film rale de l’hiver der- a des torts, les problèmes du Québec
Gaz Bar Blues
nier confirme la contemporain ont des causes beaucoup
fin de l’âge lyrique au Québec. On a plus profondes.
beau vouloir rassurer nos élèves qu’ils Dans Gaz Bar Blues, Réjean a trouvé
auront les jobs des baby boomers une dignité à s’opposer, de façon sym-
quand ils seront diplômés, ils ne sont bolique mais courageuse, au mouve-
pas dupes. Ces élèves ont des X dans ment de l’histoire. Cet héroïsme
leur entourage, des oncles ou des résigné avait toutes les apparences d’un
tantes, des frères ou des sœurs plus geste fou et stérile. On ne peut pas en
âgés, qui ont un jour ou l’autre frappé dire autant de celui de nos élèves…
un mur. Ces élèves, lorsqu’on les inter-
roge sérieusement, ne croient pas que Stéphane Kelly
leur sort sera meilleur. Ils doutent Sociologue et essayiste, Stéphane Kelly
même que leurs propres enfants auront enseigne la sociologie au Cégep de Saint-
accès à un système public de santé ou Jérôme. Il a notamment publié La petite loterie.
un régime de pension similaire à celui Comment la Couronne a obtenu la collaboration du
de leurs grands-parents. Canada français après 1837, Montréal, Boréal,
Si l’âge lyrique du Québec est ter- 1997 et Les Fins du Canada, selon MacDonald,
miné, il serait peut-être temps d’envi- Laurier, Mackenzie King et Trudeau, Montréal,
sager une armistice. De toute façon, Boréal, 2001.

1 François Ricard, La génération lyrique, Montréal, Boréal, 1992.


2 Voir le texte de Langlois sur l’effet de génération dans le livre collectif dirigé par Gérard Daigle,
Le Québec en jeu, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 1992.
3 Les travaux du sociologue Louis Chauvel sur la France confirment la thèse de Langlois. Voir Le
destin des générations. Structure sociale et cohortes en France au XXe siècle, 2e édition, Paris, PUF, 2002.
4 La saga du Lac Meech, qui changea le cours récent de l’histoire du Québec, a eu une grande am-
pleur politique à cause de la détermination et du caractère des jeunes turcs du Parti libéral du
Québec qui entouraient le premier ministre Bourassa. L’acharnement de ceux-ci a forcé le parti
à se radicaliser sur la question nationale. Pour nuancer l’hypothèse de l’apolitisme de la généra-
tion X, il faut relire les deux livres de Jean-François Lisée consacrés au second règne de Robert
Bourassa, Le Naufrageur et Le Tricheur, Montréal, Boréal, 1994.
5 Hannah Arendt a fait cette démonstration pour la Révolution américaine et John Pocock pour la
Révolution anglaise. Hannah Arendt, Essai sur la révolution, Paris, Gallimard, 1967. J.G.A. Pocock,
L’ancienne constitution et le droit féodal, Paris, PUF, 2000.

16
Jeunes et engagés

Combat contre un
dégel annoncé

Pier-André Bouchard St-Amant


Candidat à la maîtrise en économie à l’Université du Québec à Montréal

Photo : Pedro Ruiz

À droite, Pier-André Bouchard St-Amant pendant la grève étudiante de l’hiver 2005. Il était
alors président de la FEUQ.

Quelques parallèles financement des universités. Alors que


En 2002, le Parti libéral de la Colombie- le NPD avait maintenu les frais gelés
Britannique, avec Gordon Campbell à pendant ses deux mandats, le rapport
sa tête, remportait l’élection et succé- de la commission parlementaire était
dait ainsi au Nouveau Parti démocra- sans équivoque : il fallait doubler les
tique, au pouvoir depuis huit ans. Les frais de scolarité.
libéraux s’étaient engagés à geler les En Ontario, même scénario :
frais de scolarité, mais seulement la lorsqu’ils prirent le pouvoir en 2003,
première année de leur mandat, suivi les libéraux de Dalton McGuinty s’é-
de la tenue d’une commission par- taient engagés à geler les frais les deux
lementaire pour étudier la question du premières années de leur mandat après
17
Désengagés, les jeunes ?

quoi suivrait une commission par- Le puzzle libéral


lementaire sur le financement des uni- En septembre 2003, le gouvernement
versités. Une fois qu’elle s’est tenue, de Jean Charest déposait le projet de loi
quelle fut la conclusion de cette com- 19 qui modifiait la façon dont les prêts
mission? Le dégel des frais de scolarité. et bourses sont attribués. Cette loi
Au Québec, maintenant. En 2003, comporte trois éléments essentiels.
avant l’adoption de son nouveau pro- D’une part, les étudiants reçoivent leurs
gramme officiel, le chef libéral Jean bourses uniquement à la fin de leur
Charest s’engageait à geler les frais année scolaire, ce qui est source de
pour la première année de son mandat confusion pour ces derniers. On en
et par la suite, à tenir une commission vient à se demander si les compres-
parlementaire qui étudierait le fi- sions dans leurs bourses (les fameux
nancement des universités. Mais, grâce 103 millions) sont attribuables à la
à une résolution du président de la réforme. Est-ce réellement une « cou-
Commission jeunesse du parti, Steeve pure » ? Difficile de trancher avant la
Leblanc, l’engagement devint : « le gel fin de l’année. Bref, les cartes étaient
des frais de scolarité pour la durée du brouillées.
mandat. » L’idée de tenir, après un an D’autre part, a modifié le mode de
au pouvoir, une commission par- calcul du montant de prêt étudiant.
lementaire pour examiner le finance- Avant le projet de loi, ce montant était
ment des universités est toutefois de- fixe. Le reste du montant total était
meurée. Des libéraux qui délogeant du versé en bourses. Avec la modification,
pouvoir le Parti québécois qui a, pen- le montant du prêt accordé est calculé
dant huit ans, gelé les frais de scolarité : en fonction des frais de scolarité. Du
les parallèles avec le scénario de la coup, s’il y avait une augmentation des
Colombie-Britannique sont évidents. frais de scolarité, l’étudiant verrait ses
prêts augmenter, mais pas ses bourses.
Finalement, le dernier indice dans
le programme des libéraux était le pro-
gramme de remboursement propor-
tionnel au revenu. Le principe ? Que le
remboursement de la dette par l’étu-
diant soit étalé en fonction de son
revenu dans le but d’« alléger » le
fardeau de cette dette. Mais en pra-
tique, dans tous les pays où un tel pro-
gramme a été implanté (à l’exception
de l’Irlande), c’est un dégel massif des
Photo : Jacques Nadeau

frais de scolarité qui a suivi. Ces mesu-


res n’ont absolument pas produit les
effets escomptés. Sur le plan politique,
en revanche, une telle annonce permet
au gouvernement de justifier une aug-
Jean Charest mentation draconienne de l’endette-
18
Jeunes et engagés

ment étudiant. Cela lui permet en effet larité tout en activant le mouvement
d’utiliser l’argument suivant : aug- étudiant. J’étais vice-président à
menter l’endettement n’est pas si grave, l’époque. Nicolas Brisson était mon
car le mode de remboursement de la président. La FEUQ s’est alors fait re-
dette allège le tout. procher de prêter des intentions au
En somme, six mois après leur ar- gouvernement, les éditorialistes nous
rivée au pouvoir, les libéraux : a) ont traité d’enfants gâtés2 et la cam-
adoptent le projet de loi 19, b) annon- pagne n’allait pas de soi. Mais entre
cent la tenue d’une commission par- deux maux – se faire dire par le gou-
lementaire sur la qualité, l’accessibilité vernement que nous étions de mauvaise
et le financement des universités, foi et – ne rien faire et subir un dégel,
c) s’engagent à implanter un régime de nous avons préféré le premier. En bout
remboursement proportionnel au de course, nous avons atteint notre ob-
revenu. jectif. Le gouvernement avait toutefois
Or, partout ailleurs, de telles poli- coupé 103 millions dans les bourses
tiques ont mené tout droit au dégel des aux étudiants lors du budget suivant.
frais de scolarité : la seule pièce qui
manquait au puzzle entamé par le gou- La campagne sur les 103 millions
vernement du Québec. Il fallait donc continuer le combat. C’est
La FEUQ avait toute les raisons de à ce moment, en mai 2004, que je suis
croire que le plan du gouvernement n’é- arrivé à la tête de la FEUQ. Notre objec-
tait pas en faveur de la jeune génération. tif était simple : ramener les bourses au
Bref, le « build-up » annonçait le pire. niveau d’avant la coupe de 103 millions.
Toutefois, sortir dans les médias et Pour ce faire, nous avons opté pour une
dans la rue publiquement pour dénon- recette simple : créer le consensus,
cer la « grande conspiration libérale » rallier le plus de gens et diviser « l’en-
n’aurait guère attiré les sympathies, au nemi ». Il nous fallait préparer la mo-
contraire. Il fallait donc trouver un bilisation étudiante, rallier la société
vecteur de campagne plus porteur, ce civile, gagner l’opinion publique et l’ap-
que la FEUQ fit en utilisant la loi-cadre pui des partis d’opposition et diviser les
sur les frais afférents, loi destinée à em- libéraux en leur montrant que nous
pêcher l’augmentation des frais obli- pouvions influencer leur électorat.
gatoires facturés aux étudiants. Simple en théorie, plus complexe en
pratique. Nous avons profité de l’été
La campagne sur la loi-cadre pour peaufiner notre discours et notre
Notre objectif devenait alors clair: faire calendrier de campagne. Nous avons
en sorte que le premier ministre et le analysé l’agenda politique du gou-
ministre de l’Éducation disent ouverte- vernement pour réussir à lui imposer
ment, bien avant l’ouverture de la com- le nôtre.
mission parlementaire, que « tout était Pour ce qui est du discours, nous
sur la table, sauf le dégel des frais de avons eu beau jeu : le gouvernement
scolarité ».1 souhaitait parler de démographie et du
Ainsi, cela démobilisait les princi- financement des services publics, sujet
paux adversaires du gel des frais de sco- qui collait parfaitement à l’agenda des
19
Désengagés, les jeunes ?

jeunes générations! Car l’enjeu démo- plines, de toutes les régions, de tous les
graphique est un problème préoccu- cégeps et universités, de toutes les orig-
pant pour les 18-25 ans et pour ceux qui ines ethniques. Ce n’est pas tous les
perçoivent les enjeux à travers les jours que l’École Polytechnique, l’École
chiffres. des technologies supérieures, l’Univer-
Nous étions résolus à mettre de l’a- sité McGill, l’Université Concordia,
vant le discours de notre génération : toutes les facultés de médecine du
maintenir l’accessibilité aux études Québec, et j’en passe, décident de
pour financer les services publics ; ne débrayer en même temps ! En 15 ans
pas baisser les impôts ; rembourser de d’existence la FEUQ demandait pour la
la dette privée (103 millions) et publique première fois à ses 170 000 membres
et favoriser une immigration massive de faire la grève.
pour financer les services publics à long Le 16 mars – à l’exception de 2005
terme. Bishop’s – toutes les universités étaient
Au-delà de la vision globale dans en grève. Plus du quart de la population
laquelle s’insérait notre revendication, entre 18 et 25 ans était en grève. Cent
il fallait sensibiliser la population au fait mille étudiants manifestaient contre la
que les compressions de l’aide finan- décision du gouvernement, contre son
cière aux études affectent les étudiants obstination à admettre ce que tous
les plus pauvres. Ainsi, le caractère in- jugeaient être une erreur, contre une vi-
juste de la décision du gouvernement sion individualiste de l’éducation qui en
apparaissait manifeste. Enfin, nous de- nie les retombées collectives. Il aura
vions éviter de tomber dans le piège de fallu qu’une génération se lève et af-
nos adversaires qui souhaitaient que les firme qu’elle ne peut pas être mise de
103 millions en compressions se trans- côté dans les choix politiques de notre
forment en 103 millions en augmenta- gouvernement, qu’on ne joue pas avec
tion de frais de scolarité, ce qui nous son avenir, notre avenir. C’est cette
aurait ramenés à la case départ. Sans détermination, conjuguée à un message
réponse argumentée et cohérente, il clair et compris de tous, qui aura donné
nous aurait été impossible de convain- les résultats.
cre les gens.
Au bout du compte, il aura fallu huit Car ils y sont, les résultats :
mois de représentations, deux mi- • les étudiants récupèrent les 103 mil-
nistres, 73 % d’appui des Québécois, lions dès la deuxième année du pro-
des publicités télévisées, des appels sys- gramme ;
tématiques aux députés, des actions aussi • ils obtiennent l’abolition du pro-
spontanées que diversifiées, le travail de gramme de remboursement propor-
l’opposition (unanime) à l’Assemblée na- tionnel au revenu ;
tionale, l’appui des éditorialistes et une • ils forcent le gouvernement à retirer
visibilité médiatique sans précédent. de la loi 19 la méthode de calcul des
Mais plus encore, il aura fallu écrire prêts et bourses en fonction des frais
une page d’histoire : que 200 000 étu- de scolarité.
diants se mettent en grève. Des étu- En somme, tous les éléments su-
diants provenant de toutes les disci- sceptibles de conduire à un dégel des
20
Jeunes et engagés

frais de scolarité ont été éliminés. Des leçons doivent être Des leçons doivent
Parions qu’après un tel dégel, le gou- tirées : trois jeunes sur qua-
vernement ne se risquera pas à toucher tre ne votent pas aux élec- être tirées : trois
aux étudiants… avant le prochain man- tions. Cela réduit consi- jeunes sur quatre ne
dat. Michel Venne a eu raison d’écrire : dérablement l’importance
« Hé les jeunes ! Vous avez gagné ! » que nous accordent les par- votent pas aux élec-
tis politiques. Si notre gé-
La génération 103 nération n’a pas l’avantage
tions. Cela diminue
En mai 2005, mon mandat s’est ter- du nombre pour mettre de considérablement
miné et après deux années à la FEUQ, l’avant de telles politiques,
j’entame des études de maîtrise. La elle devra compenser par la
l’importance que
bataille de l’accessibilité à l’éducation qualité de ses interventions nous accordent les
a donné des résultats. Mais il est sur la place publique, par la
navrant de voir que le gouvernement a force de ses recherches et partis politiques.
traité la question démographique par son réseau. Après tout,
comme les chaînes de fast-food traitent nous sommes la génération la plus
la santé : un axe de marketing, tout au scolarisée!
plus. Or, la dette publique n’est pas En regardant l’énergie déployée
quelque chose qui disparaît à coup de pour conserver une part représentant
dépliants. Plus généralement, les moins de un pour cent du PIB con-
bouleversements démographiques que sacrée aux prêts et bourses, il est perti-
nous traversons dépassent les débats nent de se questionner sur ce qui sera
politiques ou les jeux électoraux. nécessaire pour mettre en place ces im-
Rendre l’éducation accessible, ac- portantes politiques. Peut-être est-il
cueillir davantage d’immigrants, com- temps que nous cessions d’être en réac-
mencer à rembourser la dette pu- tion à un ordre du jour qui n’est pas le
blique, ne pas baisser les impôts : tels nôtre, que nous prenions davantage
ne sont pas des luxes, mais des néces- d’espace dans les débats publics, dans
sités. Nous devons penser plus loin l’arène politique et que ce soit nous qui
également : que voulons-nous en créions les débats, les orientations et,
matière d’environnement, de solidarité en définitive, prenions les décisions qui
sociale, d’économie ou de développe- nous concernent. Celles qui façon-
ment des régions ? Quelle devrait être neront toutes les facettes de notre vie.
la stratégie du Québec sur l’échiquier Entendez-vous ? Qu’attendons-nous ?
international ?

1 Citation exacte de M. Reid à l’ouverture de la commission parlementaire.


2 À cet effet, il est amusant de consulter une étude statistique faite par Mathieu Lachance qui
affirme que depuis 10 ans, 92% des éditoriaux sur les frais de scolarité sont en faveur d’un dégel…

21
Désengagés, les jeunes ?

La jeunesse québécoise s’engage différemment


Photo : Jacques Nadeau

Madeleine Gauthier et Pierre-Luc Gravel américains et français dont s’abreuvent les Québécois,
Observatoire Jeunes et Société tant journalistes que chercheurs ? […]
INRS Urbanisation Culture et Société
Des manifestants sans âge
« Les jeunes se désintéressent de la politique. Ils sont
individualistes. » Voilà des expressions que l’on n’ose Les manifestations récentes autour d’enjeux interna-
plus remettre en question. Mais des manifestations tionaux ont vu la mise en scène de leaders jeunes et de
récentes, en particulier à l’occasion de questions participants jeunes sans que ces derniers ne se définis-
d’ordre international, ainsi que la création de nouveaux sent comme jeunes. Ils ne sont en effet pas les seuls
organismes de participation des jeunes à la chose à se rendre à Porto Alegre, à déambuler par les moins
publique comme les Forums jeunesse régionaux et le 20º Celsius dans les rues de Saint-Georges, de Rivière-
bilan de la vie associative des jeunes, contredisent du-Loup tout autant que dans celles de Québec ou de
pourtant cette image d’apathie souvent véhiculée par Montréal contre la guerre en Irak, mais ils sont proba-
les médias, à l’occasion de tribunes téléphoniques ou blement majoritaires. Des militants «altermondialistes»
même de colloques scientifiques. […] Quelle définition – nouveau vocable à connotation moins négative
donne-t-on de la participation sociale et politique ? Se qu'« anti-mondialisation » – à qui nous avons posé la
résume-t-elle à la démarche d’aller voter ? Se pourrait- question ont refusé de se définir par l’âge. Leurs reven-
il que les jeunes Québécois fassent montre d’un in- dications n’étant pas propres à leur âge, ils préfèrent les
térêt particulier pour certaines questions qu’ignore la alliances qui transcendent la notion d’âge.
recherche internationale, en particulier les travaux

22
Jeunes et engagés

Ces revendications concernent, selon les circonstances, milieu d’origine pour aller vivre ailleurs au Québec –
l’environnement : pollution atmosphérique, partage de les migrations au Québec sont moins interprovinciales
l’eau potable, maintien de forêts qui protègent l’atmo- que pour les autres provinces canadiennes – mais ces
sphère, contrôle de l’agriculture sous une trop forte jeunes adultes ont franchi les frontières internationales
intrusion des progrès techniques (recherches bio- pour les études, des années « sabbatiques », le voyage.
logiques, pesticides). Si ces questions ont été forte- Parce qu’ils sont libres de leurs mouvements, n’étant
ment discutées au cours de la dernière décennie, ce pas encore attachés à un emploi, à une résidence fixe,
sont les progrès sociaux, souvent liés aux questions à une famille, les jeunes sont les champions des
précédentes, qui attirent maintenant l’attention : formes contemporaines de nomadisme, ce qui leur
subventions à l’agriculture qui détruisent les possibilités confère une sensibilité internationale que toutes les
de production agricole du tiers-monde, promotion des générations précédentes n’ont pas eue.
droits des femmes et de l’éducation, vente des pro-
duits pharmaceutiques génériques pour résoudre le pro- L’univers médiatique a aussi initié les jeunes aux réa-
blème du sida mais aussi Les maladies tropicales. lités internationales. À cela, il faut ajouter l’intégration
de l’écologie dans les programmes scolaires dès l’école
La guerre en Irak a éveillé nombre de citoyens au rôle primaire. Pour ne donner qu’un exemple, la prise de
international que joue ou pourrait jouer l’Organisation conscience, à cet âge, que la pollution de l’eau et de
des nations unies dans le maintien de la paix et la l’air a des répercussions que nul gouvernement terri-
promotion de la démocratie. Si les réunions interna- torial ne peut contrôler à lui seul n’est pas sans éveiller
tionales comme celle de la Zone de libre-échange des plus tard, à l’adolescence ou au début de l’âge adulte,
Amériques, du G8 ou de l’Organisation mondiale du une certaine sensibilité à l’interdépendance des na-
commerce (OMC) rassemblent les manifestants sur les tions. C’est alors que se fait sentir le besoin de règles
lieux mêmes des réunions, la question de la paix a internationales plus justes pour tous les peuples de la
permis de voir se lever des populations parmi les plus terre et la réclamation de mécanismes internationaux
éloignées des grands centres urbains. Ce sont parfois neutres dans les conflits qui continuent d’affliger
des enfants qui ont pris la tête de mouvements de plusieurs parties de la planète. […]
contestation : ce fut le cas d’enfants de dix ans à
Rivière-du-Loup, par exemple. Ils ont réussi à entraîner
leurs parents. Références
www.obsjeunes.qc.ca
Pourquoi retrouve-t-on tant de jeunes lors des mani- Baudelot, Christian et Roger Establet,
festations ? Si, pour cette jeunesse, la référence aux Le niveau monte, Paris, Éditions du Seuil, 1990.
institutions politiques et sociales a des airs de « sys- Conseil permanent de la jeunesse, Répertoire des
tème naturel » qui leur préexiste, l’éclatement des fron- organismes jeunesse, Québec, Gouvernement du
tières fait aussi partie de leur paysage familier. Plus Québec, 2003.
de 50 % des jeunes ont quitté à un moment ou l’autre Gauthier, Madeleine et Pierre-Luc Gravel, « Une
leur région (Groupe de recherche sur la migration des génération apathique ? » dans Cahiers du 27 juin,
jeunes, 2002). Non seulement sont-ils sortis de leur vol.1, no 1, 2003.

Extraits d’un texte publié dans L’Annuaire du Québec 2004 sous le titre « Les nouvelles formes d’engagement de la
jeunesse québécoise »

23
Désengagés, les jeunes ?

Acheter, est-ce vraiment voter ?


Entretien avec Laure Waridel

Anne-Marie Aitken
Revue Relations
Photo : Jacques Grenier

Laure Waridel, cofondatrice d’Équiterre

Cofondatrice d’Equiterre (www.equiterre.org), auteur de plusieurs livres dont


Acheter, c’est voter. Le cas du café, (Montréal, Équiterre et les Éditions Écosociété,
2005), Laure Waridel milite en faveur d’une alimentation responsable. Elle
promeut des solutions de rechange aux circuits de production et de consomma-
tion contrôlés par les multinationales.

Relations:Le slogan « acheter, c’est voter » Laure Waridel : Je pars du principe


vous suit partout. Selon vous, en quoi le que l’argent mène le monde.
choix de ce que nous mettons dans notre L’économie joue en effet un rôle très
assiette est-il un geste politique? influent, notamment sur la politique.

24
Jeunes et engagés

Je me demande comment nous pou- gagement politique des Nos choix de


vons, comme citoyens, jouer un rôle citoyens.
dans le marché. Je crois que c’est consommation ont
d’abord en exerçant notre pouvoir de Ensemble de petits gestes des conséquences
consommateurs. Voilà pourquoi je Pensez-vous que ce pouvoir des
vois dans nos choix de consomma- consommateurs puisse changer politiques.
tion un geste que l’on peut qualifier le système économique ?
de politique. Je ne dis pas que voter, Un des grands avantages du com-
c’est acheter, je dis bien qu’acheter, merce équitable, des solutions alterna-
c’est voter. L’action sur la consom- tives et de la consommation respon-
mation ne remplace en rien les autres sable est de contribuer à des
leviers de pouvoir politique qui sont changements à relativement court
entre nos mains : aller voter tous les terme. Je pense aux petits producteurs
quatre ans, prendre part aux organi- de café avec qui j’ai vécu au Mexique. Je
sation démocratiques qui nous en- revois la dignité qu’ils avaient dans leurs
tourent, écrire à nos députés, etc. Il yeux, fiers de pouvoir envoyer leurs en-
faut cesser de voir la consommation fants à l’école, d’avoir une meilleure
comme un geste purement individuel. maîtrise sur leur santé, grâce à la mise
C’est un acte collectif. en place d’une coopérative de café
Nos choix de consommation ont équitable. Je crois à la multiplication des
des conséquences politiques. Chaque petits gestes pour faire des grands
fois que nous choisissons de boire tel changements. Beaucoup de gens con-
café plutôt que tel autre, de manger sidèrent que c’est utopique. Mais plein
telles céréales ou tels fruits plutôt que de choses qui ont semblé être des
tels autres, nous encourageons la utopies à une époque ont fini par faire
chaîne de production et de transfor- évoluer les situations. À l’échelle de la
mation des aliments, le système planète, nous en sommes là sur les
économique qui a été utilisé avant que plans environnemental et social. Nous
le produit n’arrive dans notre assiette. avons tous des comportement qui font
Nous sommes en lien avec ceux qui en sorte que les écosystèmes sont con-
cultivent, récoltent, transforment, taminés. Le fait de nous sensibiliser da-
emballent, transportent et vendent ce vantage et de réaliser quel est le pouvoir
qui aboutit dans nos paniers. Nous de chacun de nos gestes fait en sorte que
avons donc un pouvoir et une re- nous allons arriver à des changements
sponsabilité à l’égard de ces person- structuraux plus globaux.
nes. Certains me disent : « on est en- À long terme, il est sûr que cela ne
core une fois en train de réduire le suffit pas. Il faut une action d’ordre
pouvoir du citoyen à un pouvoir de politique pour mieux répartir les
consommateur… » richesses et contrer les inégalités. La
Ce n’est pas mon propos. Je dis, au consommation responsable est un outil
contraire, que le geste politique n’a de sensibilisation et d’action citoyenne
pas seulement lieu tous les quatre ans qui permet d’amorcer cette action.
quand nous allons voter ! Nous de- J’utilise en somme l’individualisme
vons reconsidérer le sens de l’en- pour contrer l’individualisme! Nous
25
Désengagés, les jeunes ?

avons une responsabilité quand nous coup, en partie parce que les coûts du
entendons parler d’enfants au Brésil, transport ne sont pas inclus dans le
en Côte-d’Ivoire, qui travaillent dans prix. Si nous payions le vrai coût envi-
des plantations et qui sont dasn des ronnemental du pétrole, la pomme qui
conditions d’esclavage. Nous ne pou- vient de Nouvelle-Zélande coûterait
vons pas simplement nous fermer les plus cher que la pomme du Québec.
yeux. Nous devons réagir. Pour l’ins- Pour l’instant, ce n’est pas le cas. Ces
tant, nos gouvernements ne sont pas aberrations sont dues à un système
prêts à agir parce que ce sont des ques- économique qui ne tient pas compte
tions nationales. Comme consomma- des coûts environnement aux et
teurs, si nous achetons ces produits-là, sociaux.
nous endossons ces pratiques. Per- Le « Naturel » affecte la transforma-
sonnellement, je ne voudrais pas que tion des aliments et de l’agriculture. On
mes enfants vivent dans l’esclavage. Je parle beaucoup de la « mal bouffe »,
ne vois pas pourquoi je l’accepterais mais on devrait parler aussi de la « mal
pour les enfants des autres. agriculture » avec les pesticides, les
OGM… Naturel signifie que les ali-
3 N-J ments sont cultivés de manière aussi
Dans le choix des aliments, vous prônez les écologique que possible. Aujourd’hui,
3N-J. Qu’entendez-vous par là ? des produits chimiques interviennent
Ce sont des aliments nus, non loin, dans la transformation des aliments
naturels et justes. Le «Nu» concerne les pour les conserver le plus longtemps
déchets: l’emballage et le compostage. possible. Cela est en partie dû à
Quarante pour cent de notre sac de l’éloignement et à la préservation. On
déchets est constitué de matières or- pourrait aussi parler des risques liés à
ganiques qui, une fois dans un site l’irradiation des aliments, etc.
d’enfouissement, contribuent aux Le « Juste » est peut-être ce qui est le
émissions de gaz à effet de serre via le plus difficile à obtenir. Il s’agit là de
méthane, mais qui, compostés, sont un l’emprise des compagnies multina-
engrais formidable pour le jardin et tionales sur notre système agroalimen-
pour l’écosystème. taire. Lorsque nous allons à l’épicerie,
Le « Non loin » concerne l’achat nous avons l’impression d’avoir le
local. Là, nous touchons à la question choix enre des centaines de produits,
de la mondialisation des marchés. Les mais en fait, ils sont commercialisés
aliments parcourent en moyenne 2600 par quelques transnationales : princi-
kilomètres avant d’arriver chez notre palement Nestlé, Altria (propriétaire
marchand. Ceci a des conséquences notamment de tous les produits Kraft
non seulement sur l’écosystème à et Nabisco), Unilever, Procter &
cause des gaz à effet de serre via le CO2 Gamble, Sara Lee, Pepsi Co., Coca-
mais aussi sur le transport et sur les Cola, etc. Celles-ci détiennent souvent
communautés locales. Par exemple, au des actions dans des compagnies inter-
Québec, nous produisons des venant dans des secteurs connexes tels
pommes; nous en exportons certes, l’agrochimique et le pharmaceuthique,
mais nous en importons aussi beau- concernés par le brevetage du vivant.
26
Jeunes et engagés

Nous assistons à une prise en otage de familles qui font partie des projets d’a-
notre système alimentaire. Ils ne nous griculture soutenus par la communauté
vendent pas des aliments pour nous - moyen très concret d’avoir des pro-
nourrir, ils nous vendent des aliments duits biologiques moins chers - n’ont
pour faire du profit. Il faut donc nous pas beaucoup d’argent. Ce sont souvent
réapproprier notre alimentation en des familles qui s’inquiètent des résidus
achetant à de petites entreprises, à des de pesticides qu’ils trouvent dans l’ali-
coopératives, à des entreprises d’é- mentation de leurs enfants.
conomie sociale et en promouvant le Nous sommes dans une situation
commerce équitable... paradoxale. Les agriculteurs les plus
riches, propriétaires de méga porcheries
Bien nantis, bien nourris ? et de grandes fermes industrielles, sont
Le risque n’est-il pas de développer une nour- ceux qui produisent des aliments bon
riture pour les riches, qui seuls pourront se marché destinés à la masse, tandis que les
payer les produits du terroir, et de creuser les gens plus fortunés achètent des aliments
écarts sociaux ? biologiques cultivés par des agriculteurs
Comparativement à la majorité des qui tirent le diable par la queue parce qu’ils
habitants de la terre, proportionnelle- ne bénéficient pas d’un soutien à l’agri-
ment à nos revenus moyens, nous culture biologique et aux petites produc-
payons notre panier d’épicerie très bon tions du terroir. Cela illustre à quel point
marché. Car nous ne payons pas les les prix sont artificiels comparativement
coûts sociaux et environnementaux aux véritables coûts et aux véritables con-
qu’il implique. Ceci dit, bien que l’on séquences de tels choix. j’espère que les
trouve beaucoup d’aliments bon produits biologiques et les aliments du ter-
marché, un certain nombre de person- roir vont se développer davantage.
nes n’ont pas suffisamment à manger. Rappelons-nous qu’il n’y a pas si long-
Beaucoup de foyers sont dans des situ- temps, tout le monde mangeait des
ations socioéconomiques tellement dif- produits du terroir et des aliments bio.
ficiles que de leur demander d’acheter
des produits biologiques du terroir est Le café équitable nous réveille
irréaliste. Il faut donc travailler sur la Revenons à l’exemple du café, qui est un des
structure économique du partage des aliments que vous connaissez le mieux.
ressources et sur la capacité des per- Je me suis intéressée au café parce
sonnes à avoir un plus grand contrôle que je m’intéressais aux questions
sur leur alimentation, en cuisinant par d’inégalité entre les pays du Nord et les
exemple. pays du Sud. On dit toujours que le
Au delà des revenus, c’est le niveau colonialisme est terminé. En fait, le
d’éducation qui est déterminant. Les néo-colonialisme est encore bien
gens les plus scolarisés, les plus présent. Ce ne sont plus des pays, mais
éduqués, les plus sensibilisés sont ceux des compagnies, ou un système, qui
qui, en général, font les choix les permettent à une minorité d’exploiter
meilleurs pour la santé. Non seulement une majorité. Dans le cas du café, ceux
leur santé, mais la santé de la société et qui font la majorité du travail reçoivent
la santé des écosystèmes. Plusieurs des une toute petite part du prix qui est payé
27
Désengagés, les jeunes ?

Le commerce par le consommateur. Les garantir un commerce qui favorise des modes
petits producteurs du Sud, de production et de consommation respon-
équitable n’est qu’un dans le fond, subvention- sables à l’échelle internationale?
outil qui contribue à nent notre alimentation. Il faut admettre que nous vivons
Avec la détérioration des dans une économie qui est mondialisée
politiser les gens. termes de l’échange qui a et dans laquelle les États ont de moins
prévalu depuis les années en moins de pouvoir, en partie parce
Mais il faut aller 1970, la valeur réelle des qu’ils l’ont abdiqué. Il y a un problème
plus loin. produits a l i m e n t a i r e s au niveau de l’organisation politique.
d i m i n u e . L’exemple du les gouvernements devraient se res-
café est intéressant de ce point de vue. ponsabiliser en donnant priorité aux
Le marché du café est contrôlé par droits humains et aux droits environ-
quelques grandes compagnies. Son nementaux sur les droits économiques.
prix est déterminé aux bourses de Ils pourraient ainsi arrêter de se
Londres et de New York, des pays qui soumettre à l’OMC et à l’ALÉNA, par
ne produisent absolument pas un grain exemple. Mais l’idéologie actuelle ne va
de café... les répercussions de la chute pas dans ce sens. Les gouvernements
des prix, comme celle qui s’est produite parlent beaucoup de « développement
récemment, se font sentir dans les 80 durable ». Si celui-ci peut être comparé
pays et touchent 20 millions de per- à un tabouret à trois pieds formé de
sonnes. Une telle chute des cours du l’environnement, de la société et de l’é-
café a eu lieu parce que la Banque mon- conomie, nous nous apercevons que le
diale a encouragé le Viêt-Nam à pro- développement économique a un très
duire du café. Celui-ci, avec son grand pied et que les deux autres sont
économie centralisée, s’est mis à en de plus en plus courts. En fait, on est en
produire au point d’inonder le marché. train de les scier complètement.
De là, la chute des prix et tous les autres Il faut que les politiques locales,
problèmes qui ont suivi. provinciales, nationales et interna-
J’aurais pu parler du sucre, de la ba- tionales changent. Pour cela, les
nane et de produits dans l’industrie du citoyens doivent faire bouger les gou-
vêtement. Ce qui est intéressant avec vernements. Si nous continuons à
les produits alimentaires, c’est que suivre les États-Unis comme nous le
nous les consommons. Ils entrent en faisons dans de nombreux dossiers,
nous. Le café que nous buvons le nous ne serons pas avancés. Nous ou-
matin sert à nous réveiller. Ne pour- blions que l’économie est un outil pour
rait-il pas servir aussi à nous ouvrir les le bien des individus et des sociétés, et
yeux sur les inégalités du système non une fin en soi. Le commerce
économique mondial ? équitable n’est qu’un outil qui con-
tribue à politiser les gens. Mais il faut
Mesures politiques au Canada aller plus loin.
Quels types de mesures politiques seraient à
instaurer au Canada et dans le monde pour

Cet entretien a été publié dans l’édition de juin 2005 de la revue Relations. Nous remercions la revue et
Laure Waridel d’avoir autorisé l’INM à le reprendre ici.
28
Jeunes et engagés

L’investissement responsable,
du Suroît à Wal-Mart

François Rebello
Groupe Investissement Responsable

«22 congrégations opposées au Suroît»:


cette manchette de La Presse du 5 février
2004 illustre selon moi de belle manière
les progrès récents de la notion d’in-
vestissement responsable (IR).
Qu’est-ce que l’IR ? On sait que les
communautés religieuses comme les
caisses de retraite placent leur argent
pour faire face aux besoins qui se feront
sentir à mesure que leurs membres
vieillissent. Cet argent est habituelle-

Photo : Jacques Nadeau


ment investi dans des titres obliga-
taires, qui constituent en fait des prêts
aux entreprises rapportant des intérêts
réguliers. Certains investisseurs faisant
face à un horizon de plus long terme ac-
Beaucoup de Québécois étaient opposés au Suroît et ont manifesté
cepteront de supporter un risque plus leur opposition.
élevé dans l’espoir d’obtenir un rende-
ment plus élevé : ceux-ci deviendront Quakers, Viêt-Nam et apartheid
actionnaires des entreprises. Ce statut Cette stratégie a quelque deux cents
leur donne le droit de participer à ans: à la fin du XVIIIe siècle, les Quakers
l’assemblée annuelle qui élit les mem- avaient déjà comme politique de ne pas
bres du conseil d’administration et qui investir dans les armes et l’esclavage.
adopte les règlements de l’entreprise. La préoccupation des communautés re-
Il s’agit donc d’utiliser ce pouvoir pour ligieuses face à l’éthique de leurs in-
amener les dirigeants des entreprises à vestissements s’est toutefois dévelop-
voir à plus long terme en intégrant des pée davantage depuis la campagne
préoccupations de bonne gouvernance contre l’intervention américaine au
et de responsabilité sociale. Viêt-Nam.
29
Désengagés, les jeunes ?

L’Interfaith Center for Corporate battant leur campagne contre le Suroît,


Responsibility fut créé en 1971 à New les communautés religieuses regrou-
York pour coordonner les efforts des pées au sein du RRSE ont décidé d’in-
communautés religieuses américaines tervenir.
qui refusaient d’investir dans l’arme- Après une réflexion sérieuse inclu-
ment servant à cette guerre. Dans les ant la consultation d’un expert en éner-
années 80, ce mouvement a été très gie, le conseil de la coalition décide
actif avec la campagne contre l’apartheid d’écrire à André Caillé, le président et
en Afrique du sud. L’exemple a porté : chef de la direction d’Hydro-Québec de
les universités et même des caisses de l’époque, pour lui demander de justi-
retraite publiques se sont mises à se fier la pertinence de la filière du gaz na-
préoccuper de ces questions et ont re- turel en comparaison avec d’autres
fusé de financer l’apartheid. Aussi, c’est avenues plus vertes comme celle de
à cette période qu’ont été créés les pre- l’énergie éolienne ou de l’efficacité
miers fonds mutuels éthiques intégrant énergétique.
plusieurs critères pour exclure les titres Le contenu et le ton de la lettre,
d’entreprises impliqués dans certaines notons-le, ne sont pas ceux de mili-
activités comme la production d’armes. tants écologistes, mais bien de créan-
Au Québec, bien que nos institu- ciers craignant pour la valeur éventuel-
tions se soient aussi engagées dans la le de leur investissement. Le risque
campagne contre l’apartheid et que les financier était réel. Dans le contexte où
années 80 aient été le berceau du Fonds le prix du gaz naturel ne cesse d’aug-
de solidarité FTQ destiné à investir dans menter, comment Hydro-Québec pou-
les PME québécoises, le premier fonds vait–elle prévoir que cette filière serait
éthique dans la lignée des précédents plus rentable que celle de l’éolienne
américains a été créé au début des an- actuellement très légèrement plus
nées 90 par Desjardins, le Fonds chère que celle du gaz ? Habituelle-
Environnement. Pour leur part, les ment, tous reconnaissaient l’impact
communautés religieuses québécoises environnemental négatif d’une cen-
ont commencé à s’organiser sérieuse- trale au gaz naturel. Mais cette fois-ci,
ment en ce domaine à la fin des années une nouvelle réalité s’est imposée.
90 en mettant sur pied le Regroupement Considérant d’un côté le prix du gaz
pour la responsabilité sociale des entreprises croissant sans arrêt et de l’autre, les
(RRSE), qui rassemble maintenant 22 progrès accomplis en énergie éolien-
communautés religieuses québécoises, ne, la position d’Hydro-Québec pour
notamment les Sœurs grises, la con- le Suroît avait l’air idéologique et dic-
grégation de Notre-Dame, les Capucins tée par un entêtement très éloigné de
et les Oblats. la recherche du bien commun.
En demandant ainsi des comptes au
Suroît patron d’Hydro-Québec au nom des
C’est vraiment l’intervention contre le titres obligataires qu’elles détiennent
Suroît qui a fait souffler le vent dans les dans leurs portefeuilles de placement,
voiles du regroupement. Alors que les les religieuses ont ébranlé les colonnes
groupes écologistes menaient tambour du temple. « La stratégie d’Hydro-
30
Jeunes et engagés

Québec à l’égard les changements cli- besoins peuvent être satisfaits par les
matiques et sa participation au marché énergies renouvelables » (avril 2005).
des crédits de CO2 ne nous semblent
pas claires », osaient-elles affirmer. Wal-Mart et la proposition
« De plus, nous croyons que la contro- d’actionnaire
verse soulevée par le Suroît pourrait Galvanisées par le succès de leur cam-
nuire à la réputation d’Hydro-Québec pagne contre le Suroît, les religieuses
auprès des investisseurs, tant au récidivèrent en juin 2005. Cette fois, ce
Canada qu’à l’étranger. » fut au tour de Wal-Mart de goûter à leur
Quelques jours après leur interven- médecine. Réagissant à l’affront de la
tion, le gouvernement Charest battait fermeture du magasin de Jonquière, des
en retraite. Bien sûr, l’initiative des communautés religieuses québécoises
communautés religieuses s’ajoutait à et américaines ont décidé d’allier leurs
une campagne bien organisée des forces. Elle firent campagne ensemble
groupes écologistes. Il n’en demeure en faveur d’une proposition d’action-
pas moins que la stratégie des re- naire qui exigeait un rapport sur le
ligieuses a surpris par son efficacité. Le développement durable, incluant une
contexte était aussi idéal : Jean Charest révision des pratiques sociales de l’en-
faisait face au Conseil général du Parti treprise. Ces communautés réussiront
libéral du Québec. Pressurisé aussi par même à obtenir le soutien d’importants
ses militants, Charest annoncera à la investisseurs institutionnels.
fin de cette réunion que le projet était Notons que la stratégie de la
placé sur une voie de garage. « proposition d’actionnaire » (ou de
La force politique des intervenants l’engagement) utilisée dans le cas de
ayant pris position a eu raison du pro- Wal-Mart a aussi été celle privilégiée par
jet. Hydro-Québec n’a pas eu à tenir le Robin des banques, Yves Michaud,
compte du seul risque financier relié à fondateur de l’Association de protec-
l’intervention des religieuses. Alors que tion des épargnants et investisseurs du
tous les grands gestionnaires de porte- Québec (APÉIQ). Elle diffère de celle
feuilles gèrent des fonds pour des com- utilisée traditionnellement par les fonds
munautés religieuses, ceux-ci allaient- éthiques, qui consiste davantage en une
ils se départir des titres obligataires approche dite « du filtre ». On passe les
émis par Hydro-Québec pour ne pas dé- investissements au crible en fonction
plaire à leurs clients? Dans le contexte de critères précis qui permettent d’ex-
où le prix du financement est directe- clure les entreprises jugées « non
ment lié à la liquidité de celui-ci, Hydro- éthiques ». C’est là deux façons dif-
Québec n’aurait probablement pas férentes de réagir face à une allégation
voulu courir ce risque. de pratiques condamnables: on vend le
Aujourd’hui, le contraste est frap- titre ou alors plutôt on intervient
pant entre ce que nos amis d’Hydro- comme propriétaire auprès des
Québec disaient à l’automne 2003 et ce dirigeants.
qu’affirme Thierry Vandal, le nouveau Pour plusieurs raisons, la deuxième
président et chef de la direction approche est celle qui progresse le plus.
d’Hydro-Québec : « Tous nos nouveaux D’abord, l’intervention est plus nu-
31
Désengagés, les jeunes ?

Le syndicat des ancée que celle qui consiste révélateur de l’efficacité de la stratégie.
à exclure. En effet, une en- Après que des scandales d’exploitation
TUAC accuse treprise n’est jamais par- d’enfants aient éclaté, le fonds des
l’entreprise d’avoir faitement « éthique » ; en méthodistes, une communauté re-
revanche, elle n’est habi- ligieuse américaine, a soumis une
recours à des tuellement pas non plus à proposition demandant à Nike de s’as-
« boycotter » entièrement. surer que ses sous-traitants respectent
pratiques de travail Les entreprises se situent les normes internationales du travail.
déloyales habituellement dans une Soumise lors de l’assemblée des ac-
zone grise. Certaines de tionnaires de 1994, la proposition a re-
leurs pratiques pourraient cueilli 3,4%. Petit pourcentage! Mais
être améliorées. Par exemple, les suffisant pour que la proposition soit
grandes banques sont continuellement soumise à nouveau l’année suivante. Il
placés devant des choix « éthiques » : n’en fallait pas plus pour que Nike s’as-
vont-elles offrir des comptes dans des soie avec les proposeurs pour les in-
paradis fiscaux à leurs clients ? vont- timer de ne pas soumettre leur propo-
elles exiger le respect de normes envi- sition de nouveau. À la suite de ces
ronnementales élevées aux entreprises discussions, Nike décida de se conver-
qu’elles financent ? Vont-elles encadrer tir et a accepté d’adopter un code de
leurs gérants de succursales pour s’as- conduite basé sur les normes interna-
surer que les clients plus démunis ne tionales combiné à un système de véri-
seront pas victimes de discrimination ? fications indépendantes.
Vont-elles garder leurs taux sur les Mais revenons à Wal-Mart. En avril
cartes de crédit plus ou moins élevés 2005, la fermeture du magasin de
que ceux de leurs concurrents ? On Jonquière, premier établissement de
comprend aisément qu’il serait difficile l’entreprise à avoir obtenu une accrédi-
de se lancer dans une campagne de tation syndicale en Amérique du Nord,
boycott à chaque fois qu’une entreprise a provoqué beaucoup de réactions
n’agit pas sur ces questions. Il est selon négatives de la part, non seulement du
nous beaucoup plus aisé et efficace syndicat des Travailleurs et travailleuses
d’intervenir par une approche d’en- unis de l’alimentation et du commerce
gagement. (TUAC), mais aussi des médias et de la
Même si les propositions d’action- population d’une manière générale.
naire à portée sociale n’obtiennent pas L’entreprise a justifié cette fermeture en
le soutien de la majorité des action- prétextant, entre autres, des problèmes
naires, elles recueillent souvent un de rentabilité vécus par le magasin. Le
pourcentage suffisant pour démontrer syndicat des TUAC accuse l’entreprise
qu’une partie importante des action- d’avoir recours à des pratiques de tra-
naires est sensible à ces questions et vail déloyales et de mener une cam-
qu’en cas d’insatisfaction, ces action- pagne d’intimidation contre l’ensem-
naires pourraient décider de vendre leur ble des travailleurs des magasins de
titre, ce qui aurait comme conséquence Wal-Mart qui chercheraient à se syndi-
de faire chuter la valeur boursière de quer. Wal-Mart a d’ailleurs décidé de
l’entreprise. L’exemple de Nike est fermer son magasin une semaine avant
32
Jeunes et engagés

la date du 6 mai, initialement prévue,


alors que la Commission des relations
du travail du Québec (CRT) devait en-
tendre la requête syndicale visant à em-
pêcher la fermeture du magasin
jusqu’à ce qu’elle ait évalué une série
de plaintes déposées par les TUAC
contre l’entreprise pour pratiques de
travail déloyales.
Cette fermeture sauvage a provoqué
une vague anti-Wal Mart au Québec.
Même l’ancien premier ministre du
Québec et chef du PQ, Bernard Landry,

Photo : Jacques Nadeau


a annoncé son intention de boycotter
personnellement Wal-Mart. Consé-
quemment, les communautés re-
ligieuses québécoises se sont associées
à des consœurs américaines (Sœurs de
la Charité de Cincinnati, Sœurs Domi- La fermeture du Wal-Mart à Jonquière a provoqué une vague anti-Wal-Mart
au Québec.
nicaines de Springfield, Illinois) pour
signer une lettre publiée dans les jour-
naux dénonçant la fermeture de «big box stores». Aux yeux des action-
Jonquière et demandant à Wal-Mart de naires, la difficile croissance du nombre
publier un rapport démontrant le res- des établissements de Wal-Mart n’est pas
pect des droits fondamentaux du tra- étrangère à la performance financière dif-
vail. En effet, les conventions de ficile de l’entreprise depuis un an (-5%
l’Organisation internationale du travail en date du 8 julllet 2005).
intègrent le droit à la syndicalisation. En référant à une violation du droit
Cette lettre annonçait un appui à une international, cette proposition a même
proposition d’actionnaire amenée par pu recevoir le soutien de gros investis-
une autre communauté, les Métho- seurs institutionnels comme la Caisse
distes, les mêmes qui avaient fait de la Ville de New York et la Caisse de
bouger Nike il y a une dizaine d’années. dépôt et placement du Québec. En effet,
La proposition s’appuyait sur des argu- c’est depuis qu’elle vient d’adopter une
ments d’ordre financier, comme la plus politique d’investissement responsable
grande fréquence des refus exprimés dans laquelle elle affirme adhérer « aux
par les communautés d’autoriser l’éta- principes de l’Organisation interna-
blissement d’un nouveau Wal-Mart. En tionale du travail » que la Caisse sou-
effet, les citoyens de villes américaines tient ce genre de propositions d’action-
importantes comme Los Angeles et naires. En le faisant, elle devient la
canadiennes comme Vancouver votent première grande caisse canadienne à af-
de plus en plus en référendum contre un firmer aussi explicitement son engage-
Wal-Mart. De nombreux États améri- ment en faveur d’un meilleur com-
cains ont même adopté des lois anti portement social des entreprises.

33
Désengagés, les jeunes ?

Des étudiants qui L’épargne pour changer qui siègent sur ces comités, les man-
les choses dataires, ceux qui gèrent les porte-
s’engagent pour faire Le Québec se distingue de feuilles, n’ont pas le choix d’ajuster
pression afin que ses voisins d’Amérique du leurs flûtes. On pourrait également
Nord par la propriété plus souligner le Fonds de solidarité FTQ,
leur institution collective de ses épargnes. le premier fonds axé sur le développe-
Grâce au Mouvement ment des PME locales dans le monde
fasse des achats Desjardins créé dès le qui dépasse maintenant les quatre mil-
responsables. début du siècle, les coo- liards d’actif.
pératives occupent 70 % Le contrôle collectif de nos
du secteur des services épargnes nous protège d’une part con-
bancaires, ce qui est fort différent de tre de brusques mouvements de capi-
la situation qui prévaut dans le reste de taux, mais nous donne surtout les
l’Amérique de Nord. moyens d’intervenir comme action-
Alors que les Américains et les naires pour que les grandes multina-
canadiens anglais ont choisi, jusqu’à tionales respectent davantage les
tout récemment, de ne pas capitaliser grands principes de solidarité, en par-
leur régime de retraite public, le ticulier ceux qui ont été précisés par le
Québec, lui, a commencé dès le milieu droit international.
des années 60 à confier les cotisations La préoccupation pour que les in-
de la Régie des Rentes du Québec vestissements et la consommation se
(RRQ). Cette décision, qui visait fassent de manière responsable tran-
surtout à favoriser une indépendance scende les générations et les partis. Là,
économique, a eu comme belle con- ce sont les religieuses qui exercent
séquence de réduire le déficit démo- leurs droits d’actionnaires. Dans un
graphique du régime. Aujourd’hui, la même esprit, les universités, notam-
Caisse qui gère principalement l’ar- ment les étudiants, qui s’engagent
gent du RRQ et celui du Régime de re- pour faire pression afin que leur insti-
traite des employés du secteur public tution fasse des achats et des in-
est le plus gros investisseur institu- vestissements responsables. Qu’on
tionnel du Canada. pense, à l’UQAM, au Collectif étudiant
Le taux de syndicalisation qui dé- pour la consommation responsable
passe les 40 % au Québec a contribué à et les investissements éthiques,
forgé de nombreuses caisses de re- (CÉCRIÉ) et à la Surveillance pour la
traite où l’influence des travailleurs est consommation responsable universi-
de plus en plus grande. De plus, la taire et des transactions éthiques, la
«Loi sur les régimes complémentaires» SCRUTÉ, liée à la FAÉCUM. Il y a aussi
se distingue par le fait qu’elle impose la Student Society of McGill University
une représentation des travailleurs sur à McGill.
le comité qui gère chaque régime. C’est là une autre manière pour les
Comme les syndicats offrent de plus jeunes de s’engager et de construire des
en plus de formation aux travailleurs solidarités à l’heure de la mondialisation.

34
{ Deuxième partie

Une école d’été pour


changer le monde
50 propositions pour le Québec
de demain

Photo : Valérie Sisso


Une école d’été pour changer le monde

Formuler des projets pour


changer le monde

Miriam Fahmy
Chargée de projet et rédactrice, Institut du Nouveau Monde

Le concept de l’École d’été est né dans que le Québec ait jamais vu. C’est ainsi
l’esprit de Michel Venne il y a plusieurs qu’est née l’Université du Nouveau
années déjà. Mais c’est en réunissant Monde, une école de citoyenneté aux
une équipe de jeunes talentueux, créa- airs de festival.
tifs et prêts à relever le défi qu’il a enfin Sous le thème « Apprendre, pour
pris forme à l’été 2004. rêver le Québec», 400 jeunes de tous les
Le mandat que le directeur de l’INM horizons se sont réunis pendant quatre
donnait à son équipe : organiser jours à Montréal en août 2004.
l’événement jeunesse le plus trippant Ensemble, ils ont imaginé un monde
meilleur à l’image de leurs valeurs et de
leurs aspirations.

Devenir des artisans de demain


Depuis rebaptisée École d’été (ÉÉ), cette
activité annuelle est déjà devenue un point
de repère important dans l’espace public
québécois. Mobilisés autour d’une ambi-
tion commune, celle de devenir de
meilleurs citoyens, des centaines de jeu-
nes Québécois se réunissent à l’École
d’été pour passer ensemble quelques
jours d’exception. En compagnie d’une
centaine de spécialistes, d’artistes, de
figures publiques, d’hommes et de
femmes politiques et de citoyens engagés,
ils cheminent dans une réflexion com-
mune sur leur avenir.
Être citoyen québécois renvoie
L’équipe de l’UNM 2004 cependant à quelque chose de précis.

36
Jeunes et engagés

L’École d’été offre donc un programme d’une soixantaine


de développement des connaissances d’activités au choix.
et des compétences citoyennes afin que Les sujets abordés
ses participants deviennent des citoyens lors des conférences
intéressés aux affaires de la Cité, en- et des tables rondes
gagés dans leur communauté, dans la couvrent un vaste
société. Elle contribue à stimuler leur éventail de théma-
imaginaire autour de projets communs tiques s’attaquant
en leur donnant un espace où s’initier aux grandes questions de l’heure, des
à l’engagement. En somme, l’École questions qui nous préoccupent collec-
d’été vise six objectifs : tivement et qui détermineront l’évolu-
tion de notre société. Des ateliers per-
• stimuler l’intérêt des jeunes pour les mettent, quant à eux, de mettre en
grands enjeux sociaux, pratique les notions abordées dans les
économiques, politiques et culturels cours d’initiation à la citoyenneté. Lors
auxquels le Québec est confronté ; de ces ateliers, les participants ac-
• transmettre aux participants les quièrent les compétences nécessaires à
connaissances et les compétences l’exercice d’une citoyenneté active.
nécessaires à la citoyenneté active. Toutes ces activités sont présentées par
Favoriser l’échange entre les des citoyens engagés, des conférenciers
décideurs de la société et les prestigieux et des figures publiques du
participants ; Québec et d’ailleurs.
• développer leur esprit critique afin Au cœur de ces journées d’activités,
qu’ils puissent mieux s’exprimer sur le Projet citoyen constitue l’expression
les questions qui les concernent ; la plus aboutie et concrète des objec-
• soulever leur intérêt pour l’engage- tifs ayant présidé à l’élaboration de la
ment social ; programmation de l’École d’été.
• créer une communauté réunissant Conçu pour permettre aux participants
les participants au-delà de de vivre concrètement l’expérience de
l’événement; la démocratie et de s’exprimer sur des
• favoriser le dialogue intergénéra- problématiques actuelles, le Projet
tionnel. citoyen est un travail d’équipe qui s’é-
tend sur les quatre jours de l’ÉÉ. Les
« Informer, débattre, proposer » participants y sont appelés à faire
Pour atteindre ces objectifs, l’École preuve de créativité et d’organisation
d’été emprunte un chemin à trois voies. en privilégiant l’intérêt commun et en
La première voie est celle de l’appren- se souciant davantage du long terme
tissage. Les sessions d’initiation à la que du court terme. Ainsi, le second
citoyenneté sont des séances de forma- axe de la formule « École d’été » est
tion présentant les différentes facettes celui du débat, du dialogue. Lors du
de l’engagement. Elles sensibilisent les Projet citoyen, les participants doivent,
jeunes aux divers modes de participa- en petits groupes puis en assemblées,
tion civique et de militantisme. L’ÉÉ débattre de sujets controversés,
offre également un programme de plus défendre les idées qu’ils ont à cœur et
37
Une école d’été pour changer le monde

justifier leurs positions, bref, argu- ment à caractère et culturel tel que du
menter, négocier, délibérer. cinéma, du théâtre, des expositions
Enfin, l’École d’été est une tribune. d’œuvres d’art, de l’impro, des specta-
La démarche du Projet citoyen offre cles d’humour et de musique. Ces ac-
l’occasion unique aux jeunes Québécois tivités contribuent à l’apprentissage au-
d’exprimer leurs opinions, de proposer tant qu’à l’esprit de convivialité.
des idées et des projets concrets. Ce Le versant pédagogique de l’ÉÉ ne
troisième volet de la formule de l’École serait pas aussi réussi s’il n’alliait pas
d’été leur donne la parole. au sérieux de son programme la détente
et le divertissement, qui sont autant
Créatifestif d’occasions de faire des rencontres.
L’arme secrète de l’École d’été est sa
joyeuse désinvolture. Participer à l’ÉÉ Les voies du possible
ne signifie surtout pas s’enfoncer dans L’École d’été, cet espace d’apprentis-
une lourdeur inutile, un trop-plein de sage et d’échanges, est avant tout un
sérieux. Au contraire. À l’ÉÉ, tout con- rassemblement. Les centaines de
court à construire une ambiance de jeunes qui participent à l’ÉÉ sont âgés
ludisme, à commencer par le pro- de 15 à 30 ans et proviennent de tous
gramme, qui comporte de nombreuses les horizons. Ce sont des étudiants
occasions d’expression artistique : les universitaires, du cégep ou du secon-
participants peuvent faire du théâtre, daire, des travailleurs autonomes ou
participer à des jeux de rôles, monter salariés, des citoyens engagés, des
des projets de création. Le souci de parents, des militants,des globe-trot-
divertir n’est pas le seul objectif à l’o- ters, des rêveurs ; ils sont dynamiques,
rigine de ce choix. Nous avons compris curieux, inquiets, ingénieux. Ils pro-
que l’engagement, et l’apprentissage viennent de toutes les régions du
de l’engagement, peuvent prendre Québec; l’ÉÉ accueille même plusieurs
plusieurs formes, des plus tradition- dizaines d’ambassadeurs des pays de
nelles aux plus éclatées. la Francophonie.
En ce sens, l’École d’été offre aussi Ayant le souci d’offrir un espace où
une panoplie d’activités de divertisse- tisser des liens intergénérationnels,
l’École d’été ne regroupe pas unique-
ment des jeunes. Elle rapproche ces
futurs bâtisseurs de la société des plus
importants acteurs d’aujourd’hui.
Figures d’engagement, penseurs, em-
pêcheurs de tourner en rond, ils sont
pour les jeunes des exemples du pos-
sible. En présentant leurs idées et leurs
Photo : Valérie Sisso

propres projets, les invités de l’ÉÉ in-


citent les participants à la réflexion et
les invitent à agir en leur révélant des
voies d’engagement.
Spectacle d’impro à l’UNM 2004

38
Jeunes et engagés

De l’idée à l’action :
le Projet citoyen 2005
L’École d’été ouvrira à nouveau ses
portes le 18 août 2005 afin d’accueillir

Photo : Valérie Sisso


des centaines de jeunes désireux de
cultiver le citoyen en eux.
Cette année, le Projet citoyen réunira
tous les participants autour d’un même
objectif: concevoir des projets concrets Des participants de l’UNM 2004
d’engagement afin de changer le
monde. Les participants, réunis selon Se renouveler pour durer
leurs affinités, travailleront en équipes L’École d’été crée un intérêt auprès des
de dix sur un projet commun s’ins- participants pour les enjeux d’ordre
crivant dans une approche qu’ils auront public, mais aussi, par extension,
choisie: politique, communautaire, hu- auprès de leurs proches, de leurs amis,
manitaire, économique et coopérative, de leurs collègues d’étude ou de travail
internationale ou artistique. et des communautés auxquelles ces je-
L’École d’été devient ainsi un trem- unes appartiennent. Plus l’École d’été
plin pour ses participants qui repartent mûrira, plus ses étudiants – actuels et
la tête et le cœur remplis de projets et anciens – seront nombreux. Un réseau
d’ambitions. composé de milliers de jeunes sera créé.
Mais ça ne s’arrête pas là. L’Institut Ils resteront en contact avec l’Institut du
du Nouveau Monde, se fait ensuite le Nouveau Monde, avec le réseau de cen-
porte-voix des participants et de leurs tres de recherche dont il fait partie et
idées. Il relaie les résultats du Projet avec les experts, conférenciers et acteurs
citoyen au plus grand nombre, à com- sociaux qui collaborent avec lui.
mencer par les membres les plus in- L’objectif à long terme de l’École d’été
fluents de la société. L’INM s’engage est de former des générations de jeunes
auprès des participants à porter leurs qui prendront acte et conscience de leur
idées pour qu’elles vivent bien au-delà rôle de citoyen tout au long de leur vie
des quatre jours de l’événement. et dans chacune de leurs réalisations.
Cette section du livre sur les jeunes L’ÉÉ aura ainsi contribué à augmenter
et l’engagement se veut un relais de les compétences civiques de milliers de
l’UNM 2004. Elle relate en textes et en Québécois et à rehausser le niveau d’en-
images les grands moments de cet gagement social et politique des
événement ayant marqué la jeunesse citoyens.
québécoise et qui, nous l’espérons, Nous espérons que l’École d’été sera
continuera de le faire dans les années à toujours à la hauteur des attentes de ses
venir. Ponctué des commentaires de participants, qu’elle réussira à nourrir
quelques dizaines de participants, ce et à renouveler leur intérêt pour la chose
recueil brosse le portrait des aspira- publique. Cette démarche, unique au
tions de 400 jeunes qui ont imaginé Québec, catalyseur de l’énergie des
ensemble une carte du Québec de jeunes, promet d’être une aventure qui
demain. durera.
39
Une école d’été pour changer le monde

Attention ! Rêveurs sur


le chantier !

Marie-Ève Homier
Participante de l’Université du Nouveau Monde 2004

Depuis l’université, où sionnelle et de citoyenne a été marquée


j’ai découvert les travaux par l’engagement. J’étais déjà une per-
de think tanks comme le sonne active, mais l’UNM m’a fouetté
Groupe de Lisbonne, je le sang. J’ai voulu m’engager davan-
rêvais de prendre part tage, non plus seulement après mes
moi aussi à un tel effort heures de travail, mais dans toute ma
concerté de réflexion vie. Question de cohérence avec soi-
sur la société et le même, car faire le grand écart entre les
monde. Je croyais ce- valeurs qu’on professe et la vie qu’on
pendant qu’il me fau- mène, cela épuise et crée de l’anxiété.
Photo : Norm Edwards

drait attendre l’appari- Comment, avec mes talents, mes


tion des cheveux gris et connaissances, ma formation, être au
l’obtention d’une plé- service de ma collectivité et de toute per-
thore de diplômes uni- sonne que je croise ? J’ai puisé à l’UNM
versitaires. Eh bien, une partie de l’impulsion nécessaire
Marie-Ève Homier non ! Fort heureuse- pour changer de carrière.
ment, il y eut l’Université du Nouveau Oui, je porte le désir d’édifier un
Monde (UNM), faite expressément par monde fondé sur les valeurs uni-
les jeunes, pour les jeunes. verselles de paix, de solidarité et de
liberté, une « civilisation de l’amour »
L’UNM, un tremplin selon l’expression de Jean-Paul II ! Mes
J’ai faim et soif de comprendre le aînés liront assurément ceci le sourire
monde dans lequel je vis et d’y apporter en coin… mais si on ne rêve pas à la
une part d’espérance, de lumière, de vingtaine, commencera-t-on jamais ?
joie, de bonté et de beauté, et ce projet La conscientisation appelle à l’ac-
m’a fait vivre intellectuellement et in- tion, et les lieux d’engagement abon-
térieurement. dent. L’UNM en a révélé d’autres que
Une année s’est écoulée depuis j’ignorais. Mes horizons se sont ouverts
l’UNM. Une année où ma vie profes- davantage… à un tel point que, pour un

40
Jeunes et engagés

temps, cette abondance de choix m’a dre à connaître autrui, le travail en


posé problème ! équipe n’a pas son équivalent.
Il n’est pas toujours aisé de trouver Ce ne sont pas tant des connais-
un lieu d’implication où l’on se sente sances que j’ai reçues à l’UNM – com-
véritablement à sa place. À L’UNM, non ment en effet acquérir dans un atelier
seulement les jeunes étaient les bien- de quelques heures la maîtrise de sujets
venus, mais on nous demandait de nous aussi vastes que la mondialisation, la
exprimer! On voulait entendre ce que protection de l’environnement ou en-
nous avions à dire. core les enjeux éthiques de la finance
internationale? C’est surtout une sti-
Notre pouvoir : les idées novatrices mulation de mon intérêt pour les
Que d’audace dans les 50 propositions grands courants qui façonnent ma
pour le Québec de demain ! Même si les société et le monde.
valeurs qui les sous-tendent se sont par- L’UNM n’assenait pas un enseigne-
fois perdues dans le débat « réaliste ou ment rigide sur ce qu’il convient de
pas», l’exercice de dessiner les contours penser, de dire, ou sur la façon d’agir.
d’un avenir inspirant a transformé Plutôt, elle laissait l’espace nécessaire
l’UNM en un projet actif, pas seulement pour que notre réflexion prenne son
discursif. Cet appel à construire, ce rôle envol, nous ouvrant une multitude
de « rêveurs-bâtisseurs » qu’on nous a d’horizons. Pour certains participants,
donné, conférait à l’UNM une part l’UNM fut une rampe de lancement
de sa crédibilité, mais plus encore, sa pour devenir des citoyens avertis, actifs
pertinence. et impliqués ; pour d’autres, une op-
Étonnamment, cette école citoyenne portunité de plonger plus profondé-
s’est faite à la fois la voix, le cri du cœur ment dans leur engagement social.
et le cri de ralliement d’une jeunesse en-
gagée. Il est vrai que le pouvoir exécutif Un formidable pied de nez au cynisme
ne repose pas encore entre nos mains. Un ami professeur au cégep me confiait
Nous avons cependant énoncé claire- récemment son inquiétude quant au
ment et précisément ce que la jeune cynisme que, selon lui, on cultive chez
génération désire. À bon entendeur, les jeunes. « On veut leur inculquer un
salut ! esprit critique, mais ils n’ont pas
d’abord l’amour de la vie. Critiquer
Aucun homme n’est une île1 sans aimer la vie et sans s’y inscrire soi-
Comme j’ai été nourrie ! Que de ren- même, c’est vide, c’est même dan-
contres enrichissantes ! L’UNM a fait gereux, ça se retourne contre soi. On
prendre conscience à ses participants devient cynique, destructeur, amorphe.
qu’ils ne sont pas seuls à porter leurs On ne croit plus en rien. » L’UNM a of-
idéaux. Appartenir à un réseau de gens fert un formidable remède à cette
engagés, en particulier de jeunes, cela apathie : rien de plus qu’une simple in-
donne des ailes! De plus, pour appren- vitation à… oser rêver !

1 « No Man Is An Island », expression tirée d’une œuvre de John Donne, poète anglais du 17e siècle.

41
Une école d’été pour changer le monde

50 propositions pour le Québec


de demain
Apprendre, pour rêver le Québec

Du 19 au 22 aoûtHomier
Marie-Ève 2004, 400 jeunes venus fructueux. Les participants se sont retrou-
de partout au Québec se sont réunis à vés en compagnie de Québécois de toutes
Montréal pour participer à l’Université les régions et d’âges variés. Au dire même
du Nouveau Monde, la première édition des participants, ce mélange a permis
de l’École d’été de l’Institut du Nouveau d’ouvrir leurs horizons et a mené à des
Monde. Ensemble, ils ont formulé rencontres enrichissantes.
50 propositions pour le Québec de La délibération en équipe a également
demain, en se penchant sur cinq thé- obligé les participants à appuyer leurs
matiques particulières. propositions sur des arguments solides
Ces propositions sont le résultat d’un et à surmonter leur peur de la confronta-
processus démocratique mené au sein tion. Elle leur rappelle que le débat est
de cinq groupes de 80 participants, qui une étape essentielle de la démocratie.
se sont partagé la tâche de penser Ce processus a mené à la construction
l’avenir du Québec. Vous trouverez les d’une vision commune de l’avenir du
50 propositions dans ce document.1 Québec qui a le souci du bien commun.
L’exercice du vote est le passage obligé
Le processus d’une citoyenneté active. À l’Université
Regroupés en équipes de dix, les partici- du Nouveau Monde, il a rappelé aux par-
pants étaient appelés à réfléchir au thème ticipants que voter est l’expression la plus
qui leur était assigné, à en débattre et fondamentale de leurs droits et respon-
enfin à rédiger trois propositions. sabilités en tant que citoyens.
Ensuite, les 80 participants ayant travaillé
sur le même thème ont retenu les dix Les 50 propositions
meilleures propositions parmi toutes Appelés à faire preuve de créativité et
celles que les équipes avaient rédigées. d’organisation, en privilégiant l’intérêt
Enfin, les dix propositions de chaque commun et en se souciant davantage du
thème ont été présentées à l’assemblée long terme que du court terme, les par-
des 400 participants, en présence du ticipants ont relevé le défi du projet
ministre de l’Éducation, Pierre Reid, et citoyen avec brio. Les 50 propositions
de représentants de la société civile. pour le Québec de demain témoignent
Dans la composition des équipes, de l’intérêt des jeunes pour la chose
l’Université a favorisé la diversité afin que publique et du niveau élevé de leurs con-
les échanges des participants soient naissances. Elles accordent un rôle cen-

42
Jeunes et engagés

tral à l’État comme gardien du bien com- L’Université du Nouveau Monde a été pour moi une expérience très enrichissante.
mun, aux organisations de la société Cette activité m’a permis de m’exprimer, de faire valoir mes opinions tout en
civile, à l’école et aux citoyens afin d’as- sachant qu’elles étaient prises au sérieux. L’ouverture au changement et aux
surer un avenir juste, démocratique et nouvelles idées que chacun contribuait a créé un climat propice au question-
nement, au débat et à la quête de solutions. Il va sans dire que c’est avec grande
pluraliste de la société québécoise. Les
joie que je me suis mis à discuter avec tous les autres membres de mon groupe.
jeunes participants del’Université du Première leçon tirée de cette expérience: les groupes sont rarement homogènes et
Nouveau Monde insistent lourdement pour avoir un consensus sur des propositions concrètes et intelligentes en quelques
sur la notion de responsabilité indivi- heures, il faut éviter de «pelleter des nuages» et mettre beaucoup d’eau dans son
duelle et sociale. vin. Mais c’est précisément cette diversité qui a fait du Projet citoyen une expérience
Nous vous invitons à les considérer extrêmement intéressante. Deux autres événements m’ont marqué, les conférences
avec autant de rigueur que celle dont ont de Riccardo Petrella et d’Amir Khadir. Ils reprenaient à leur façon le même thème:
ils revendiquaient le droit de rêver un monde meilleur, tout en démontrant la
fait preuve les participants en les élabo-
viabilité de ces «utopies». Je trouve que ces deux conférences représentent bien
rant. Elles sont le portrait des aspirations l’INM, car elles reprennent le même credo: un autre Québec est possible, il ne reste
de plusieurs centaines de jeunes qui plus qu’à le réaliser!
croient fermement en la possibilité d’at- Alexandre Cayla-Irigoyen
teindre l’idéal qu’elles représentent.
gramme parascolaire de ligues sportives
Éducation, travail, famille et le financement de sport amateur de
1. AIDE AUX ÉTUDES masse par le biais d’associations in-
Nous proposons que le gouvernement du dépendantes. Finalement, qu’il crée une
Québec réaffirme l’universalité du droit à campagne publicitaire de sensibilisation
l’éducation en facilitant la réinsertion à la vie sportive.
socioprofessionnelle par l’éducation et en
réinvestissant dans le système des bourses 3. LA SEMAINE DE QUATRE JOURS
d’études dans le but de réduire l’endette- Nous demandons au gouvernement du
ment étudiant. Nous suggérons aussi qu’il Québec, particulièrement au ministère
rembourse les dettes d’étude dans les cas de l’Emploi, de la Solidarité sociale et de
suivants : enfants à charge, travail en ré- la Famille, de s’entendre avec les em-
gion, travail dans les domaines où il y a ployeurs et les syndicats afin de créer une
pénurie de main-d’œuvre et implication loi instituant la semaine de temps plein à
bénévole durant les études. Afin de fi- 30 heures (4 jours). Nous leur proposons
nancer ces mesures, nous proposons que que le coût de cette mesure soit partagé
le gouvernement reconnaisse la res- en parts égales entre le gouvernement,
ponsabilité financière des entreprises en l’employeur et l’employé.
matière d’éducation.
4. ÉDUCATION À LA CITOYENNETÉ:
2. POLITIQUE NATIONALE DU SPORT À L’ÉCOLE D’ABORD
Nous proposons que le gouvernement Nous proposons que le gouvernement
du Québec adopte une politique na- du Québec, plus particulièrement le
tionale du sport, qui impliquerait entre ministère de l’Éducation, de concert avec
autres l’augmentation du nombre les centrales syndicales, les intervenants
d’heures d’éducation physique à l’école du milieu, les parents (et les enfants) fa-
primaire et secondaire, le maintien des cilite l’éducation à la citoyenneté de deux
cours au cégep, la création d’un pro- façons: d’abord, en développant un pro-
43
Une école d’été pour changer le monde

gramme de bénévolat hebdomadaire, au 6. UNE JOURNÉE D’ACTION CITOYENNE


sein d’organismes locaux, régionaux, na- Nous proposons que le gouvernement
tionaux et internationaux dont la durée instaure, en concertation avec les entre-
progresse en fonction des 5 cycles (3 au prises (à travers le Conseil du patronat),
primaire et 2 au secondaire) allant de 30 les centrales syndicales, les familles et les
minutes à deux heures par semaine. commissions scolaires, un jour d’action
Ensuite, en introduisant un cours d’édu- citoyenne consacré à la création,
cation à la citoyenneté au deuxième cycle l’amélioration ou l’entretien d’un bien
du secondaire qui servirait à consolider commun, par l’action collective de tous
les apprentissages faits et les connais- les membres de cette communauté sur
sances, compétences et expériences ac- un pied d’égalité, indépendamment de
quises dans l’optique de la réforme leur statut professionnel ou social. Un
actuelle (cours obligatoire à l’obtention processus de démocratie locale établira
du Diplôme d’études secondaires une liste des biens communs à sauve-
[DES]ou Diplôme d’études profession- garder et un plan d’action à long terme
nelles [DEP]). qui établira des objectifs annuels. Ce jour
d’action citoyenne sera rémunéré comme
5. SOUTIEN AUX AIDANTS NATURELS tout jour de travail normal.
Nous proposons que le ministère de
l’Emploi, de la Solidarité sociale et de la 7. UN CONSEIL DES SAGES
Famille, de concert avec les organismes Nous proposons que la société civile
sociaux et communautaires, soutienne initie la création d’un Conseil des sages
financièrement les parents et les aidants au Québec. Ce Conseil, dont les moda-
naturels pour leur travail à domicile par lités de fonctionnement demeurent
des mesures d’aide et par un réseau de largement à déterminer, serait totale-
soutien. ment indépendant des gouvernements
et des intérêts privés et regrouperait en
son sein des femmes et des hommes
ayant fait la preuve de leur intégrité et
de leur dévouement à la recherche du
L’implication sociale, lorsqu’on est jeune et que tous nos horizons sont ouverts,
n’est pas nécessairement une chose qui vient naturellement. Je crois que c’est en bien commun par une vie d’engage-
partie parce que les groupes dans lesquels nous pourrions nous impliquer ont ment et de service envers la collectivité
tendance à nous placer, idéologiquement parlant, dans une petite boîte. québécoise. Issus d’origines et d’hori-
Je m’implique dans tel groupe de pression et hop, je suis contre le néolibéralisme! zons divers, tels que les milieux artis-
Je m’implique dans telle organisation, tiens, maintenant je dois me réclamer du tiques, communautaires, culturels, sci-
libertarisme! Ce parti m’intéresse, mais on doit être souverainiste! entifiques, spirituels, universitaires,
Pour un jeune intéressé à en apprendre sur le Québec d’aujourd’hui et à
etc., ces femmes et ces hommes au-
s’exprimer sur ce qu’il voudrait pour le Québec de demain, l’École d’été de l’INM fait
tomber les barrières idéologiques et permet une pensée à l’extérieur des cadres raient pour fonction première de
habituels. Je crois que c’est ce qui a fait son succès en 2004 et j’espère que cela représenter les plus hauts intérêts de
se perpétuera à l’avenir. Réunir la jeunesse de tous horizons autour de grands l’humanité au Québec. Véritable con-
enjeux du futur et les faire entrer en contact avec des experts de plusieurs science éthique du Québec, ces sages
domaines d’activité et d’idéologies toutes aussi variées : voilà ce qui a fait recette modernes pourraient mettre à profit
et qui continuera, je l’espère, à être de mise dans les années à venir. leur expérience afin d’inspirer et de
Tommy Bureau
guider la population québécoise et ses
Jeunes et engagés

dirigeants à travers les défis que pose le Apprendre, écouter, réfléchir, imaginer, échanger, discuter, débattre,
monde d’aujourd’hui. proposer. Voici ce que je réponds lorsqu’on me demande ce que j’ai
fait durant ces quatre jours passés à l’Université du Nouveau Monde
8. LA FORMATION EN RÉGION (UNM). Ces verbes d’action pourraient se résumer en un seul : rêver.
Si j’ai appris une seule chose durant ces quatre journées d’été, c’est
Nous proposons que le ministère de l’É-
que le premier devoir d’un citoyen engagé est de rêver.
ducation soutienne les programmes de Rassembler 400 jeunes de moins de 30 ans pour leur apprendre à
formation générale en région et qu’en rêver le Québec et le monde de demain est un défi que l’UNM a réussi
collaboration avec le ministère du à relever avec brio. Contrairement à une idée reçue, rêver n’est pas
Développement économique et régional facile et ne concerne pas les fainéants et les indifférents. C’est qu’il y a
et de la Recherche, il mette en place et fi- plusieurs façons de rêver. Grâce au projet citoyen, j’ai appris à rêver
nance les cégeps et les acteurs régionaux activement et avec méthode, c’est-à-dire en poursuivant des objectifs
clairs et précis et en amenant des propositions concrètes. Les
publics et privés des programmes de for-
magnifiques rencontres et les échanges que j’ai eus avec des jeunes
mation collégiale reliés à l’activité de ma génération m’ont appris qu’il faut aussi rêver collectivement.
économique régionale ou unique au J’ai appris aussi que le rêve est contagieux. Grâce au contact avec
Québec. des personnalités qui rêvent avec passion, persévérance et acharne-
ment, j’ai retrouvé le goût de rêver. Impossible de ne pas être entraînée
9. SÉLECTION ET FORMATION DES EN- par la fougue d’un Riccardo Petrella, l’humanisme d’un Roméo Dallaire
SEIGNANTS et la passion passion de Michaëlle Jean. Ces rêveurs ont transmis une
chose essentielle aux jeunes participants de l’UNM : le rêve est le
Nous proposons que le ministère de l’É-
moteur de l’action et pour cette raison, notre génération doit oser rêver.
ducation sélectionne minutieusement Ruba Ghazal
les professeurs selon des critères
comme la motivation et les capacités
pédagogiques. Cette sélection pourrait
se faire par le biais d’entrevues. Nous Mondialisation et éthique
proposons que les enseignants suivent 11. L’AIDE PUBLIQUE AU
une formation générale et culturelle de DÉVELOPPEMENT
façon continue. Nous proposons que nos gouvernements
consacrent 0,7 % de leur Produit intérieur
10. ADAPTER LES NORMES brut (PIB) à l’aide publique au développe-
DU TRAVAIL AU MONDE ment, tel que proposé par l’ONU et qu’ils
D’AUJOURD’HUI fassent pression sur les autres États pour
Nous proposons que le gouvernement qu’ils agissent ainsi. Que cette aide soit
du Québec, plus particulièrement le mi- versée dans des projets structurants et
nistère du Travail et les syndicats et le pa- durables dans des domaines prioritaires
tronat travaillent de concert pour réviser tels que l’éducation et la mobilité des jeu-
la loi sur les Normes du travail pour éten- nes, la construction d’infrastructures de
dre les mesures de protection sociale aux développement d’institutions démocra-
travailleurs atypiques et favoriser la con- tiques, la santé, notamment la lutte au
ciliation du travail et de la famille par une VIH. Nous demandons que cette aide
adaptation du travail à la famille avec, par soit versée sous forme de subventions
exemple, des congés parentaux, une cou- et d’expertise davantage que sous forme
verture à la Commission de la santé et de de prêts, et ce, sans conditions d’achat
la sécurité du travail (CSST), et l’accès à de produits nationaux en retour. Nous
l’assurance-emploi pour tous. souhaitons que les pays bailleurs de
45
Une école d’été pour changer le monde

fonds assurent le suivi approprié de principes suivants (définis par les


l’aide versée. Nations unies dans le Pacte global) :
respect des droits humains ; respect de
12. L’ÉCONOMIE SOCIALE ET la dignité humaine; droits d’association
LES COOPS et de négociation collective; élimination
Nous proposons que le gouvernement du travail des enfants; élimination du
du Québec, particulièrement le minis- travail forcé ; élimination de toutes
tère du Développement économique et formes de discrimination; principe de
régional et de la Recherche, travaille en précaution environnementale ; promo-
partenariat avec les acteurs du milieu de tion de la responsabilité environ-
l’économie sociale à la poursuite et à la nementale ; développement et encour-
bonification du plan de développement agement des technologies moins
de ce secteur afin notamment de sensi- polluantes; travail constant pour élimi-
biliser la population et en particulier les ner toutes les formes de corruption.
jeunes à la vie coopérative et à l’entre-
preneuriat collectif. On pourrait no- 15. UN MINISTÈRE DE LA
tamment augmenter l’aide aux centres CONSOMMATION
locaux de développement (CLD) pour Nous proposons la création au sein des
favoriser la création d’entreprises gouvernements du Québec et du
coopératives. Canada d’un ministère de la Consom-
mation dont la mission sera d’amener
13. LIEN INTERGÉNÉRATIONNEL les citoyens, par des moyens éducatifs,
Nous proposons la tenue d’une incitatifs et réglementaires, à consom-
Université du Nouveau Monde qui mer de façon responsable, moyen di-
s’adresserait à tous les acteurs ayant rect de diriger l’économie en dehors de
entre 31 et 110 ans qui sont cités dans l’impasse vers laquelle mène l’éco-
nos propositions. Deux jeunes de nomie de marché.
chaque thème issus de la première édi-
tion de l’UNM y participeraient afin de 16. RESPECT DE LA VIE
représenter la première cohorte et ainsi Nous proposons l’adoption par les gou-
créer un échange. Cela permettrait vernements du Québec et du Canada et
d’élargir nos connaissances des enjeux par les membres de la communauté in-
réels et d’établir un système de men- ternationale de lois en faveur des droits
torat qui rendrait disponibles les outils et libertés de l’humanité et de la
nécessaires à la mise en action de nos biosphère, afin de favoriser le respect de
propositions pour, en finalité, assurer la diversité naturelle, ethnoculturelle, so-
une bonne transition d’une génération cioculturelle et personnelle à l’échelle
à l’autre. planétaire.
14. PRINCIPES FONDAMENTAUX DES 17. RELATIONS HUMAINES
TRAITÉS INTERNATIONAUX Nous soulignons la nécessité que les or-
Nous proposons l’introduction à l’in- ganisations gouvernementales et non
térieur des traités signés par le Québec gouvernementales, les regroupements
et le Canada de normes ou de principes de citoyens et les représentants des dif-
qui donneraient force de loi aux férentes communautés et générations
46
Jeunes et engagés

travaillent ensemble à la multiplication et humains en améliorant et développant


des événements, à l’exemple de les infrastructures publiques (piscines,
l’Université du Nouveau Monde, qui parcs, bibliothèques, etc.), en multipli-
seront autant de lieux de rencontre et ant les espaces verts, en favorisant le
d’échange permettant de mieux com- développement et l’utilisation des trans-
prendre et de mieux vivre ensemble la di- ports en commun, en diminuant l’utili-
versité ethnoculturelle, socioculturelle et sation de l’automobile, notamment en
personnelle à l’échelle de la société créant des secteurs piétonniers et en
québécoise. freinant l’étalement urbain (en donnant
priorité à l’utilisation d’espaces bâtis exis-
18. LE QUÉBEC DANS LE MONDE tants et inutilisés, en restreignant les
Nous proposons que les citoyens du changements de zonage dans les zones
Québec prennent les moyens de s’af- périphériques des municipalités et en
firmer sur la scène mondiale et de par- sensibilisant la population aux consé-
ticiper pleinement aux instances inter- quences de l’étalement urbain).
nationales pour l’influencer en fonction
des idéaux qui lui sont propres. 22. POUR UNE PROTECTION
DE L’EAU
19. L’OBSERVATOIRE QUÉBÉCOIS DE Nous proposons d’adopter une Charte
LA MONDIALISATION qui définisse l’eau comme patrimoine
Nous proposons que le ministère des collectif essentiel à la vie et que le gou-
Relations internationales et le ministère vernement provincial nationalise l’ex-
de la Culture travaillent de concert avec traction de l’eau potable sur tout le terri-
la société civile et les différentes instances toire par le biais d’une société d’État qui
gouvernementales afin de rétablir de régulerait l’embouteillage et la distribu-
façon permanente l’Observatoire québé- tion de l’eau potable. La société a l’obli-
cois de la mondialisation. gation de publier l’état des réserves d’eau
et est redevable à l’Assemblée nationale.
20. ÉTIQUETAGE DES OGM
Nous proposons que le gouvernement
du Québec adopte l’étiquetage obliga- Ce fut un véritable plaisir de me retrouver entouré d’autres jeunes enthousiastes et
toire des OGM afin d’assurer le bien-être éclairés, et combien diversifiés!
de la société actuelle et des générations Des gens de différents milieux et de différentes régions du Québec, de différents
futures. âges, genres, cultures et opinions politiques.
Des vies si distinctes et pourtant liées par un même désir de s’impliquer,
Environnement et territoire d’apprendre et d’échanger.
C’est cette variété qui, je crois, faisait la force de notre rassemblement, l’apport de
21. L’AMÉNAGEMENT URBAIN chacun enrichissant nos échanges. D’être parmi ces gens qui avaient tous comme
Nous proposons que le gouvernement objectif, pendant une fin de semaine, de partager leur rêve pour le Québec de
du Québec, particulièrement les minis- demain fut pour moi une expérience extraordinaire et très stimulante. Un excellent
tères des Transports, de l’Environnement remède contre le cynisme!
et des Affaires municipales, ainsi que les Sans négliger l’importance du dévouement des organisateurs et des bénévoles et
municipalités et les organismes s’occu- l’excellence des conférenciers, je crois que ce qui a fait de l’UNM une si belle
réussite est en grande partie nous, les participants!
pant d’urbanisme et de transport, fassent
Jérémie Gravel
des villes des cadres de vie plus agréables

47
Une école d’été pour changer le monde

Comment expliquer le fait que, tout en venant d’horizons différents, nous soyons sceau certifié « Québec durable » et étant
ressortis de ces quatre jours de discussions intensives, emplis d’une même énergie en partie déductible d’impôt afin d’inciter
mobilisatrice? Parce qu’à l’Université du Nouveau Monde, nous n’étions pas des le citoyen à encourager cette mesure.
spectateurs ou des visiteurs : nous avons construit l’événement. Chacun à sa
manière, à titre de citoyen et d’acteur social, a contribué à la richesse de l’échange.
25. GESTION DES RESSOURCES
En ce sens, l’UNM a permis d’appréhender la citoyenneté par tous ses aspects,
traditionnels autant que novateurs.
NATURELLES
Au-delà du lieu d’échange de connaissances, d’alternatives de vie et de pensée Nous proposons que les gouverne-
qu’a constitué l’UNM, ce fut un moment suspendu dans le temps. Une parenthèse- ments du Québec et du Canada, ainsi
clé pour notre génération, au cours de laquelle, tous ensembles, riches de notre que les ministères et industries con-
diversité et de nos idées, nous nous sommes rassemblés afin de penser qui nous cernés, s’assurent que le niveau d’ex-
sommes, de construire notre identité collective. Pour un instant – qui doit de se traction des ressources non renouve-
reproduire – nous avons été portés par l’énergie de tous et avons quitté l’événe-
lables soit stabilisé et que ces
ment avec la conviction que le travail ne faisait que commencer.
Julie Medam et Antoine Roy Larouche
ressources non renouvelables soient
graduellement remplacées par le recy-
clage ou des ressources alternatives.
Qu’ils veillent aussi à ce que les
23. LE TRANSPORT EN COMMUN ressources renouvelables soient ex-
GRATUIT ploitées de manière à garantir la con-
Nous proposons de mettre en place pro- servation de la biodiversité et le main-
gressivement, d’ici 20 ans, le transport tien des fonctions écosystémiques
en commun gratuit et accessible à tous québécoises et que soit instauré un pro-
dans le but de réduire considérablement gramme d’éducation permanent per-
les émissions de gaz à effet de serre. Les mettant à l’ensemble des Québécois de
trois paliers de gouvernement ainsi que comprendre d’où proviennent les pro-
certains organismes communautaires duits de consommation et comment
doivent agir pour que le transport soit sont utilisées les ressources naturelles
considéré comme un service public gra- de leur territoire.
tuit, au même titre que la santé, car il est
évident qu’il constitue une solution de 26. UN PLAN DE RECYCLAGE
rechange viable, efficace et économique Nous proposons la mise en place d’une
à la voiture. politique de protection de l’environ-
nement obligeant les entreprises et or-
24. UN SCEAU « QUÉBEC DURABLE » ganisations à définir, avec l’aide d’experts
Nous proposons que le gouvernement reconnus par le gouvernement pour leur
du Québec, particulièrement le ministère expertise en la matière, leur potentiel de
du Développement économique et ré- récupération des matières recyclables. Le
gional et de la Recherche de concert avec gouvernement établirait également le
le Conseil du patronat du Québec et la montant de la cotisation de chaque en-
Fédération des chambres régionales de treprise qui permettrait au gouvernement
commerce et l’Office de la protection du d’assurer la cueillette et l’utilisation (le
consommateur, instaure un programme recyclage) des produits de cette cueillette.
d’identification de produits fabriqués en Les entreprises recevraient une certifica-
région et répondant à des normes de tion gouvernementale pour la réalisation
durabilité et de qualité identifiées par un de leur plan de recyclage.
48
Jeunes et engagés

27. TAXE VERTE SUR LES VÉHICULES jusqu’à l’élimination des déchets (« du
Nous proposons de remplacer les deux berceau au tombeau»).
taxes de vente par une taxe verte pro-
gressive sur tous les véhicules récréatifs et 29. L’EFFICACITÉ ÉNERGÉTIQUE ET LES
commerciaux. Un comité d’experts serait ÉNERGIES ALTERNATIVES
chargé de déterminer l’empreinte Nous proposons que la Régie de l’éner-
écologique «acceptable» d’un véhicule gie, le ministère de l’Environnement,
en fonction des critères tels que le niveau Hydro-Québec, les centres de recherche
d’émission de particules polluantes, la sur les énergies alternatives et les
consommation de carburants, la dura- organismes non gouvernementaux s’in-
bilité, etc. Aux véhicules dont l’empreinte téressant à la question favorisent le
écologique correspondrait au seuil ac- développement des énergies alternatives
ceptable serait imposée une taxe équiva- et la production locale d’énergie (par ex-
lente aux deux taxes de vente actuelles. emple le solaire, le géothermique, etc.);
Les véhicules qui se classeraient au- qu’ils subventionnent des programmes
dessus de cette norme seraient exemptés d’efficacité énergétique (par exemple un
de toutes taxes, tandis que les véhicules programme d’éducation aux niveaux pri-
qui se trouveraient en-dessous de ces maire et secondaire pour inculquer le
normes seraient soumis à une surtaxe souci de l’économie d’énergie, et un pro-
proportionnelle à leur éloignement des gramme permettant aux ménages de
normes fixées. Nous proposons de trans-
férer les fonds au développement des
Rêver d’un monde nouveau, plus beau, plus juste… Chacun imagine un jour
moyens de transport plus écologiques,
comment il refaçonnerait le monde. Hors, ces élans s’évanouissent souvent devant
aux énergies alternatives (biodiesel, l’immensité de la tâche à accomplir. L’Université du Nouveau Monde, c’était pour
hydrogène, électricité) et à la conscienti- moi une occasion de rêver en groupe durant quatre jours, d’aller voir ce qui anime
sation populaire pour accroître leur ma génération, de quoi les autres ont envie.
utilisation. Tout au long des activités, il était impressionnant de constater notre profession-
nalisme et notre capacité à nous concentrer sur les objectifs ciblés. De plus,
28. GESTION ÉCOLOGIQUE DES chacun était à l’écoute, ouvert, respectueux et soucieux des autres, peu importe si
l’on était d’accord ou non avec les propos tenus. La présence des notions de
PRODUITS MANUFACTURIERS partage et de justice avait de quoi rendre fière.
Le gouvernement du Québec, parti- C’est en parlant avec les conférenciers et panélistes que j’ai été convaincue de
culièrement le ministère de l’Environ- l’importance de nos gestes, aussi petits soient-ils. Chacune de ces personnes
nement, conjointement avec les organis- contribue avec dévouement et persévérance à faire du Québec un endroit meilleur
mes de recherche, les universités, les pour ses citoyens. Ce contact avec les invités de l’UNM a ainsi éteint le peu de
entreprises privées et les sociétés d’État, passivité qu’il restait en moi et m’a motivée à rester impliquée socialement et à
toujours tenter d’aller au bout de mes idées.
devra élaborer et mettre en œuvre un plan
La lecture des 50 propositions était prenante. À la fois porteuse de rêve et de
d’action 2004-2020 sur la gestion du concret, elle nous a fait passer par plusieurs émotions. La fébrilité de la salle était
cycle de vie des produits et services dans palpable. Sans doute aurions-nous tous voulu rester encore quelques heures,
le but d’amener les entreprises privées et question de planifier un peu comment nous comptions réaliser tout ça…
les sociétés d’État à prendre la respons- L’UNM aura été pour moi un événement déconcertant tant il aura fait vibrer ma corde
abilité des impacts environnementaux de de citoyenne ! C’est encore en pensant à mon expérience à l’UNM et à toutes les
chaque étape du processus de produc- personnes formidables rencontrées là-bas que je trouve la motivation et le plaisir de
bâtir un peu chaque jour le Québec de 2024 : il est au bout de nos doigts.
tion d’un produit ou d’un service et ce,
Kim McGrath
de l’extraction des matières premières
49
Une école d’été pour changer le monde

mieux comprendre comment écono- Identité: universalisme et


miser l’énergie); qu’ils créent une légis- particularismes
lation pour que toutes les compagnies 31. PROTECTION DE LA CULTURE
soient à la fine pointe de l’efficacité éner- Nous proposons que soient exclus des
gétique; qu’ils intègrent aux normes traités commerciaux internationaux tout
de construction et de rénovation des ce qui concerne l’identité d’une nation,
bâtiments des exigences d’efficacité tel que l’éducation, la culture, la con-
énergétique. naissance ainsi que toutes les formes
d’expression artistique.
30. UN PROGRAMME DE SENSIBILISA-
TION À L’ENVIRONNEMENT 32. L’EMPLOYABILITÉ DES
Nous proposons avec conviction l’inclu- IMMIGRANTS
sion dans la présente réforme d’un pro- Nous proposons que le gouvernement,
gramme de sensibilisation à l’environ- le Conseil du patronat et les centrales
nement obligatoire à tous les élèves des syndicales du Québec travaillent de con-
niveaux primaire et secondaire. Le gou- cert avec les ordres professionnels dans le
vernement devrait impliquer dans l’éla- but de faciliter la reconnaissance des ac-
boration et la mise en place de ce quis des immigrants. En ce sens, il est es-
programme les enseignants, les commis- sentiel de se doter de stratégies et d’outils
sions scolaires, les associations de tels que des formations de mise à niveau
parents, les élèves et les organismes en- accessibles et des examens d’équivalence
vironnementaux. Ce programme devra équitables afin de permettre aux immi-
inclure, entre autres, la tenue d’une se- grants de faire valoir leurs compétences
maine verte et d’une expo-écolo, ainsi professionnelles et individuelles. Cet ef-
que la formation des enseignants à la fort concerté faciliterait l’obtention et la
protection de l’environnement dans les rétention d’emplois de qualité pour les
facultés d’éducation. immigrants.

33. L’ÉDUCATION À LA CITOYENNETÉ


Les quatre jours de l’Université du Nouveau Monde ont été pour mois des plus Nous proposons que le gouvernement
mémorables. J’ai pris grand plaisir à tout remettre en cause: mes opinions du Québec et les groupes sociaux, par le
politiques fondamentales, mes idéologies sociale et économique, ma vision du biais du ministère de l’Éducation, intè-
monde moderne, ma compréhension de mes pairs, en plus de mon propre grent un volet d’éducation à la citoyen-
entendement de moi-même. Un grand brassage d’opinions où la différence entre neté au programme d’études secon-
une bonne et une mauvaise idée ne constitue qu’une divergence d’opinion; où daires. Ce programme intégrera une
l’allégeance partisane est un joug dont on se libère allègrement au profit d’un
débat probe, éveillé et générateur de consensus; où les différences régionales ne
partie théorique sur les institutions, les
sont pas des obstacles mais des plus-values qui ne font que décupler les pistes de procédures démocratiques et la partici-
solutions avant-gardistes. pation citoyenne à la vie communautaire
L’Université du Nouveau Monde m’a effectivement redonné l’inspiration, le goût, et sociale, ainsi qu’une partie pratique,
l’élan d’un retour à un certain degré d’engagement civique. Donner de soi par où le jeune sera invité à réaliser un projet
intérêt pour le bien commun, la chose publique, les affaires de la cité, c’est ce que et à prendre part à des activités l’impli-
je retrouve en l’Institut du Nouveau Monde: un remarquable forum de débat et de
quant dans la communauté et la société
discussion où je peux partager mes valeurs démocratiques.
civile. Le programme viserait à mieux in-
Carlos A. Godoy L.
tégrer des jeunes à la vie sociale.

50
Jeunes et engagés

34. UNE CONSTITUTION POUR ment, particulièrement le ministère des


LE QUÉBEC Relations avec les citoyens et de
Nous proposons que l’Assemblée na- l’Immigration, le ministère de la Culture
tionale enclenche un processus démo- et des Communications, le ministère des
cratique direct pour doter le Québec Affaires municipales, du Sport et des
d’une constitution d’ici 2010. Nous es- Loisirs et le ministère du Développement
pérons voir enchâssée la Charte des économique et régional et de la Recher-
droits et libertés de la personne du che travaillent de concert avec les groupes
Québec et la Charte de la langue française communautaires et les immigrants pour
et les principes suivants : la reconnais- mettre en place des réseaux régionaux de
sance des Premières Nations comme solidarité. Ceci permettrait aux habitants
peuple fondateur, la résolution pacifique des localités d’accueil d’être sensibilisés
des conflits et la neutralité militaire, la aux enjeux et aux réalités de ses immi-
primauté des droits de la collectivité sur grants, susciterait chez les nouveaux ar-
ceux des entreprises, la préservation des rivants un sentiment d’acceptation et
biens communs que sont les ressources d’intégration et favoriserait le dévelop-
naturelles, la valorisation de la diversité pement du potentiel socioéconomi-
culturelle, la proportionnalité régionale que/culturel des régions.
dans le mode de scrutin.
37. PRIMAUTÉ DU DROIT CIVIL
35. UN RÉSEAU DE CARREFOURS SUR LE DROIT RELIGIEUX
CITOYENS Nous proposons que les gouvernements
Nous proposons que le ministre du Canada et du Québec s’assurent de
délégué à la réforme des institutions dé- façon claire et ferme de faire respecter les
mocratiques institutionnalise un con- droits civils en prenant toutes les dispo-
tre-pouvoir local par la création d’un sitions politiques et légales afin d’em-
réseau de carrefours citoyens, c’est-à- pêcher la création de cours d’arbitrage
dire un lieu physique qui permette aux parallèles fondées sur des principes de
individus d’exercer leur citoyenneté en droit religieux.
participant aux enjeux locaux, na-
tionaux et internationaux lors de con- 38. UNE TAXE SUR LA PUB
férences, de débats, etc. Ce serait une Nous proposons que le gouvernement
institution qui, d’une part, propose des du Québec, particulièrement le ministère
projets de loi aux élus et, d’autre part, de l’Éducation, intègre et considère
permet aux élus de recenser la position comme essentiel dans le programme
des citoyens par rapport aux projets de éducatif québécois le développement de
loi débattus à l’Assemblée nationale et l’esprit critique et les notions de con-
aux décisions politiques par l’entremise sommation responsable et d’éthique afin
de l’utilisation plus fréquente de de valoriser l’émergence d’une identité
référendums. de citoyen averti et outillé pour faire face
aux pressions mercantiles. Afin de
36. LES IMMIGRANTS EN RÉGION financer cette initiative, nous proposons
Nous proposons que les municipalités qu’une taxe de 1 % soit imposée aux
ainsi que tous les paliers de gouverne- dépenses publicitaires des entreprises.
51
Une école d’été pour changer le monde

39. RÉINVESTIR DANS LES MÉDIAS mette en place les structures et l’exper-
PUBLICS tise nécessaires au maintien des médias
Nous proposons un réinvestissement publics et à l’implantation de médias
majeur de la part des gouvernements communautaires, pour favoriser la com-
dans les médias publics (télévision et munication entre les citoyens, permettre
radio). Cette proposition s’inscrit dans la diffusion d’idées variées et l’expression
un cadre où les produits culturels seraient culturelle.
davantage adaptés aux réalités linguis-
tiques et culturelles québécoises et agi- 43. L’ÉDUCATION AUX MÉDIAS
raient en tant que promoteurs de la Nous proposons l’éducation populaire
langue, de la culture et d’un espace aux médias par une collaboration au sein
public du Québec contemporain. des établissements scolaires entre les
écoles primaires et secondaires et les mé-
40. UNE JOURNÉE DES VOISINS dias locaux dans le but de développer le
Nous proposons que le gouvernement sens critique et de stimuler le jugement
du Québec déclare une journée des des jeunes citoyens. Nous proposons la
voisins qui inviterait les habitants d’une mise en place d’un portail de ressources
rue, d’un quartier ou d’une communauté en ligne significatif sur le sujet; l’exper-
à échanger entre eux en s’organisant un tise développée devrait être accessible à
repas communautaire et des activités l’ensemble des groupes sociaux et com-
au choix. munautaires par le biais d’ateliers et de
formations diverses. Nous exigeons que
Art, médias et espace public les professeurs du primaire et du se-
41. L’ENSEIGNEMENT DE L’ART, condaire reçoivent une formation appro-
DU PRIMAIRE JUSQU’AU CÉGEP priée sur le sujet.
Nous proposons que le gouvernement
du Québec, en particulier le ministère de 44. L’EXCLUSION DE LA CULTURE DES
l’Éducation et le ministère de la Culture et TRAITÉS INTERNATIONAUX
des Communications, travaillant de con- Nous proposons que le ministère de la
cert avec les commissions scolaires, le Culture et des Communications, de con-
Conseil des arts, les milieux artistique et cert avec le ministère des Relations inter-
communautaire, préserve et bonifie l’en- nationales et appuyé par l’Assemblée na-
seignement de l’art à partir du primaire tionale, mette tout en œuvre afin que
jusqu’au cégep pour favoriser le soient exclus des traités de libre-échange
développement d’un esprit créatif et cri- les biens et services culturels, en assurant
tique chez les jeunes, notamment par la primauté d’une convention interna-
l’intervention en classe d’artistes profes- tionale sur la protection de la diversité
sionnels et d’intervenants du milieu. culturelle, laquelle devra intégrer un
mécanisme obligatoire de règlement des
42. LES MÉDIAS COMMUNAUTAIRES ET différends.
PUBLICS
Nous proposons que le ministère de la 45. LA CULTURE: UNE COMPÉTENCE
Culture et des Communications, avec le PROVINCIALE
CRTC et l’ensemble de la société civile, Nous proposons que le Québec rapatrie
52
Jeunes et engagés

la totalité des pouvoirs en matière de cul- Plusieurs observateurs ont constaté avec la plus récente grève étudiante qu’une
ture et de communications et reçoive les nouvelle génération politique était née. Un événement comme l’Université du
budgets correspondants. Nouveau Monde aura agi comme catalyseur pour que les 15-30 ans prennent
pleinement confiance en leurs moyens collectifs d’action politique. Réunis pendant
quatre jours, 400 jeunes issus de toutes les régions du Québec ont alors eu
46. LE FINANCEMENT DES MÉDIAS
l’occasion de participer à un immense forum où ils ont pu débattre des principaux
PUBLICS enjeux actuels et ainsi affiner la nature de leur engagement citoyen.
Nous interpellons le ministère de la Ce fut pour moi l’occasion de constater avec soulagement que beaucoup de
Culture et des Communications et le jeunes partageaient mon désir de s’impliquer pour changer les choses et bâtir un
CRTC afin que les médias publics et monde meilleur. Inspirés par des valeurs de justice, de respect, de solidarité et de
communautaires québécois soient fi- démocratie, les participants ont eu l’audace, au terme de l’exercice citoyen, de rêver
nancés davantage, notamment en ré- un Québec à la hauteur de leurs aspirations. Pourtant, malgré les défis immenses
auxquels nous sommes aujourd’hui confrontés (démographie, finances publiques,
gion, afin d’assurer une variété d’espaces
ressources naturelles, etc.), un fossé ne cesse de se creuser entre notre projet de
publics pour la diffusion culturelle pro- société et nos préoccupations, et la gestion comptable à saveur électoraliste de nos
pre au Québec. dirigeants. Mais je conserve de l’espoir. Les rêves partagés pendant l’Université du
Nouveau Monde sont rapidement devenus des idées. Et il n’appartient qu’à nous
47. DES ESPACES PUBLICS de transformer toutes ces idées en projets à réaliser. Parce que je ne veux jamais
GRATUITS avoir à faire un choix déchirant entre la santé de mes parents vieillissants et
Nous demandons aux différents conseils l’éducation de mes enfants grandissants.
Éric Norman Carmel
municipaux des régions du Québec et au
ministère de la Culture et des Commu-
nications la création d’espaces publics
gratuits et accessibles dans chaque lo-
calité, afin de permettre la libre expres- faire, ils ouvriront gratuitement les insti-
sion de tous. tutions à leurs concitoyens.

48. RÉSEAU CULTUREL 50. L’ART POUR CONTRER


INTERRÉGIONAL L’EXCLUSION
Nous proposons de mettre en place un Nous proposons que l’utilisation de l’art
réseau permanent de diffusion et de pro- comme moyen d’intégration sociale et de
motion culturelle et artistique interré- croissance du capital personnel soit
gionale pour contrer la « montréalisa- soutenue par le ministère de la Culture et
tion » de l’espace public québécois. des Communications et le ministère de
l’Emploi de la Solidarité sociale et de la
49. DES ESPACES DE DISCUSSION ET Famille. Les organismes culturels et
DE DÉBAT OUVERTS communautaires visant entre autres les
Nous proposons que les élus de tous les jeunes délinquants et les itinérants
paliers gouvernementaux mettent sur doivent avoir les moyens de mettre leurs
pied des espaces de discussion et de dé- ressources en commun pour favoriser la
bats ouverts à tous les citoyens de tous prise en charge personnelle et l’intégra-
les secteurs de la société civile. Pour ce tion sociale des exclus.

1 Nous vous les présentons ici dans leur forme brève. La liste des propositions dans leur intégralité est
disponible sur le site Internet de l’INM au www.inm.qc.ca, rubrique École d’été, Édition 2004.

53
Une école d’été pour changer le monde

Pour une société responsable


Une analyse des 50 propositions

Michel Venne
Directeur général, Institut du Nouveau Monde

Lorsque les jeunes parlent de politique assumer leurs responsabilités à l’égard


aujourd’hui, c’est pour sauver la planète. des autres, et aussi à l’égard d’eux-
Les enjeux qu’ils abordent sont mon- mêmes. Ils prônent la consommation
diaux. Leurs solutions sont, par contre, responsable, une éthique environ-
ancrées dans leur réalité nationale. nementale, une alimentation saine, la
Les participants à l’Université du pratique individuelle du sport et d’acti-
Nouveau Monde, organisée par l’INM en vités physiques, l’instauration de car-
août 2004, ont adopté 50 propositions refours citoyens dans chaque région du
pour le Québec de demain. Québec, d’une journée des voisins pour
Une cohérence réunit ces proposi- favoriser les échanges entre concitoyens
tions autour de certaines valeurs: et d’une «journée d’action citoyenne»,
• l’humanisme; un nouveau congé férié, mais consacré à
• la responsabilité; «la création, l’amélioration ou l’entretien
• le dialogue intergénérationnel; d’un bien commun».
• la sauvegarde de l’environnement; La sauvegarde de l’environnement est
• la conscience d’une identité distincte l’une de leurs grandes préoccupations. À
en Amérique; ce sujet, ils préconisent l’imposition de
• la volonté de maîtriser la limites à l’étalement urbain. Ils vou-
mondialisation; draient que l’eau soit considérée et à ce
• le renforcement du lien social; titre protégée comme « patrimoine
• le souci des régions; collectif essentiel».
•un État agissant comme gardien du Et ils proposent la gratuité du trans-
bien commun. port en commun dans vingt ans!

Une société responsable L’État gardien du bien commun


Ces jeunes veulent, avant toute chose, L’État lui-même doit jouer, selon eux, un
vivre dans une société responsable, dans rôle crucial. Ils veulent un État qui as-
laquelle les citoyens ne sont pas seule- sume ses responsabilités comme gardien
ment titulaires de droits, mais doivent du bien commun.

54
Jeunes et engagés

Ils veulent que le gouvernement utilise Ils suggèrent que les écoles publiques
son pouvoir législatif et réglementaire pour offrent un programme d’éducation à
amener les acteurs sociaux et économiques la consommation responsable. Ce pro-
à agir de manière responsable, en imposant gramme serait financé par une taxe
une taxe verte sur les véhicules à moteur sur les dépenses publicitaires des
énergivores, par exemple. entreprises…
L’État doit également, à leurs yeux, Mais l’éducation n’est pas restreinte
agir comme chef d’orchestre. La vieille à l’école. Ainsi, ils proposent plusieurs
notion de concertation, souvent associée mesures visant l’éducation des citoyens
au fameux «modèle québécois», revient en général, notamment un investisse-
en force dans leurs propositions. Dans la ment dans les médias publics et com-
plupart des cas, ils demandent qu’un munautaires.
ministère ou un organisme public « de
concert avec» les syndicats, le patronat, L’humanisme
les municipalités, les régions, les asso- Leurs propositions sont empreintes
ciations communautaires, agissent en- d’humanisme. Ils demandent d’inclure
semble pour résoudre un problème ou dans les traités sur le commerce des
produire une innovation. Ils ne veulent principes comme le respect des droits
aucunement d’un État autoritaire et cen- humains, l’élimination du travail des en-
tralisateur. Plusieurs de leurs proposi- fants et de toute forme de discrimination.
tions, au contraire, favorisent la décen- Au niveau local, ils veulent que les
tralisation vers les régions. autorités «fassent des villes des cadres
de vie plus agréables et humains » en
L’éducation sous toutes ses formes améliorant les infrastructures publiques
Ils demandent au ministre de l’Éducation (piscines, bibliothèques, parcs), en mul-
d’augmenter les bourses d’études et de tipliant les espaces verts, en favorisant le
réduire l’endettement afin de continuer transport en commun et en diminuant
à favoriser l’accès le plus large aux études l’étalement urbain.
supérieures. Ils lui demandent aussi de Leur ouverture à l’Autre, à l’immi-
veiller à ce que les enseignants reçoivent grant, est implicite dans plusieurs de
une formation adéquate, et ce, tout au leurs propositions sur la langue, les arts,
long de leur carrière. Ils souhaitent la la culture, les médias, l’espace public.
consolidation des cégeps. Par contre, ils refusent que la religion
Mais ils veulent aussi des cours des uns devienne la loi de tous et s’op-
d’éducation à la citoyenneté dès l’école posent à ce que des tribunaux religieux
primaire assortis d’un programme de puissent trancher des affaires relevant du
sensibilisation à l’environnement. Ils droit civil. Ils sont les enfants des chartes
voudraient qu’à l’école, les jeunes soient des droits et libertés, auxquelles ils
soumis à un programme d’éducation aux ajouteraient volontiers un chapitre sur les
médias afin de développer leur sens responsabilités.
critique et de stimuler leur jugement. Ils Le lien social se tisse également entre
préconisent l’enseignement des arts à les générations. Nous n’avons pas affaire
l’école pour permettre l’éclosion d’une ici à des jeunes égoïstes tournés unique-
pensée libre, autonome, critique. ment vers leurs propres besoins. Les
Une école d’été pour changer le monde

propositions énoncées jusqu’ici le dé- des participants semblaient préoccupés


montrent. Mais ils ne cherchent pas non par la nécessité de passer outre la pola-
plus, comme l’ont fait depuis des années risation que suscite le débat national afin
leurs prédécesseurs de la génération X, à de donner plus de visibilité et d’impor-
s’opposer aux générations antérieures. tance aux autres enjeux évoqués ici.
Au contraire, ils appellent au dialogue et Cela étant, ils semblent pleinement
à la collaboration. Ils expriment une de- conscients de l’identité particulière du
mande de transmission du savoir, des Québec en Amérique. Ils ont notamment
connaissances, de l’histoire et de l’ex- réclamé le rapatriement à Québec de tous
périence de leurs aînés. Ils suggèrent les pouvoirs en matière de culture et de
également de s’appuyer mutuellement communications. Ils ont aussi proposé
pour faire progresser la société dans le que «le Québec prenne tous les moyens
sens voulu. de s’affirmer» au sein des instances in-
ternationales pour influencer le monde
Un Conseil des sages dans le sens de ses propres intérêts et de
Ainsi, et de façon assez étonnante, ces ses convictions propres. Ils demandent
jeunes ont proposé que la société civile également l’adoption d’une constitution
prenne l’initiative de créer un «Conseil québécoise.
des sages». Indépendant des gouverne-
ments et des intérêts privés, ce conseil ***
serait formé «de femmes et d’hommes Le contenu de ces propositions méri-
ayant fait la preuve de leur intégrité et de terait bien sûr d’être analysé. Certaines
leur dévouement à la recherche du bien ont déjà trouvé écho dans des décisions
commun par une vie d’engagement et de gouvernementales récentes, notamment
service envers la société québécoise ». celle d’augmenter la part de l’énergie
Leur fonction première serait toutefois éolienne dans la production d’Hydro-
de «représenter les plus hauts intérêts de Québec. D’autres pourraient relativement
l’humanité au Québec » de manière à aisément être appliquées. Il appartient
«inspirer et guider la population et ses désormais aux chefs de file de la société
dirigeants». québécoise de reprendre ces proposi-
Ils voudraient que l’INM organise une tions et de mettre en pratique certaines
université d’été… pour les 31 à 110 ans, d’entre elles.
à laquelle seraient délégués des jeunes Une société a besoin de leaders. Parmi
participants de l’édition 2004 afin de les jeunes participants à l’Université du
créer des ponts entre les générations. Nouveau Monde, il y avait certes des lea-
ders de demain. Ceux-ci appellent les
Conscience nationale leaders d’aujourd’hui à leur rencontre.
Les jeunes n’ont pas retenu de proposi- Jacques Grand’Maison a déjà dit que ce
tions portant sur la souveraineté ou le dont la société a besoin aujourd’hui, c’est
fédéralisme. Plusieurs d’entre eux avaient d’adultes qui se tiennent debout. Eh bien,
une opinion sur le sujet. Mais la majorité le temps est venu de se lever.

Une version plus longue de ce texte a paru dans L’Annuaire du Québec 2005.

56
Jeunes et engagés

Une mosaïque de perspectives


L’École d’été de l’INM est un lieu de rapprochements intergénérationnels. Des centaines de jeunes viennent y faire le
plein d’idées et de projets en rencontrant des figures publiques inspirantes du Québec et d’ailleurs. Ces conférenciers,
invités à partager leurs connaissances, leur vision d’avenir et leurs expériences du monde, contribuent à nourrir la réflexion
des participants et à façonner leur esprit critique. La multitude des points de vue présentés traduit la volonté de pro-
duire un débat fécond et mûri sur un ensemble d’enjeux sociaux, importants pour les jeunes.
Nous vous présentons ici de courts extraits de quelques-unes des conférences les plus marquantes de l’Université du
Nouveau Monde 2004. Chacune des conférences illustre un enjeu important, incitant les citoyens à penser le Québec
de demain en s’engageant aujourd’hui. Vous pouvez consulter des versions plus longues sur le site Internet de l’Institut
au www.inm.qc.ca.
Nous remercions chaleureusement tous les conférenciers – ils étaient près de 90 – qui ont contribué à faire de
l’Université du Nouveau Monde 2004 un succès retentissant.

Des chantiers d’action pour le


bien commun
Riccardo Petrella
Essayiste

Qu’est-ce que le bien commun? Qu’est- L’impôt nous a permis de devenir une
ce qu’un monde bon? Je dirais que c’est société relativement juste. L’impôt est re-
une société basée sur une convention distribué en pensions de vieillesse, en al-
faisant en sorte que personne ne soit locations pour les familles, en services
pauvre, que tous aient le droit de vivre, pour les gens sans emplois, etc. Sans
de vivre ensemble. Qu’est-ce que cela l’impôt, nous serions demeurés des bar-

Photo : Frank Desgagnés


signifie d’être citoyen? Être citoyen est bares aristocratiques. Mais depuis vingt-
d’abord une reconnaissance de l’autre; cinq ans, nous sommes en train de dé-
savoir que l’autre est là et que sa manteler ce système. Nous sommes en
présence est importante pour la société. train de dire aux gens qu’ils doivent dé-
Être citoyen, c’est également partager un sormais composer avec leurs problèmes
Riccardo Petrella
ensemble de ressources communes; de tout seuls. […]
l’eau, des savoirs, de l’énergie, etc. Des
ressources communes employées dans Sept chantiers d’action
un dessein commun. Enfin, être citoyen Bien des gens sentent que quelque chose
implique un éventail de moyens comme ne tourne pas rond, mais peu savent
l’impôt, les finances, les ressources comment contrer de tels phénomènes.
financières. Je me permets de vous proposer une
57
Une école d’été pour changer le monde

série de chantiers qui sont autant de y a dix ans, une étude allemande inti-
voies d’action pour un monde nouveau. tulée Le Facteur quatre démontrait
Le mot « chantier » connote l’idée de qu’en réduisant du quart l’ensemble
cheminement, il s’agit donc d’élaborer des éléments utilisés pour produire
des projets, de penser le devenir de notre notre richesse, la qualité de la vie sur
société, c’est-à-dire de faire en sorte d’in- la planète quadruplerait.
fléchir notre destinée collective vers ce 6 Revoir les objectifs de l’éducation.
que nous désirons vraiment. […]
1 Changer l’ordre du jour, les règles du 7 Finalement, le septième chantier se
jeu. Si le jeu n’est pas en votre faveur, rapporte à la beauté. La beauté des
exigez que les règles soient modi- villes, de nos quartiers, de nos rues,
fiées, en tant que joueur ; c’est votre de nos écoles, de nos édifices, de
droit. […] notre musique, de nos arbres. Nous
2 La reconnaissance de l’humanité en devons apprendre à produire de la
tant que sujet juridique et politique. beauté, c’est-à-dire à valoriser la joie
Nous avons accompli l’autodétermi- d’être ensemble, la créativité de ceux
nation des peuples, il faudrait qui rêvent, de ceux qui travaillent à
réaliser l’autodétermination de l’hu- découvrir des alternatives, des
manité. En ce moment, l’humanité moyens de faire plus et mieux en-
existe, mais elle n’est pas reconnue. semble. Soyez heureux lorsqu’on
[…] vous dit que vous rêvez. Il faut com-
3 La nécessité de rendre la pauvreté mencer par rêver.
illégale. Au même titre que l’esclava-
ge, la pauvreté est une négation de Le Nouveau Monde ne se construit pas
l’être humain. Tant qu’il y aura des tout seul, et personne ne le fera pour
pauvres, il y aura offense à l’huma- vous. Il n’est pas nécessaire de réussir à
nité. […] court terme, l’important est d’être sur le
4 Réinventer la primauté du politique chantier, de mettre en branle des projets
sur la finance. […] pour un monde meilleur. L’histoire nous
5 Cesser de vivre comme des préda- montre que vivre ou rêver tout seul est
teurs, des producteurs d’inégalités, utopique, en revanche, rêver ensemble
et passer à un mode de vie durable. Il c’est le début du changement.

Pour en finir avec l’inadmissible


Un appel à l’engagement dans le monde

Roméo Dallaire
Lieutenant-général à la retraite et ancien commandant des forces de maintien de la paix au Rwanda

Nous sommes entrés dans une ère Une perspective nouvelle s’est présen-
nouvelle avec la fin de la Guerre froide. tée à nous : celle de peut-être pouvoir
58
Jeunes et engagés

œuvrer à l’amélioration du sort de à l’Europe qui durait depuis des siècles


l’humanité. Sortir les pays du Tiers et qu’on souhaitait enfin résoudre. En
Monde de la pauvreté, de l’esclavage, même temps, dans un pays d’Afrique
de leur dépendance à l’égard des pays où beaucoup plus de monde s’entretu-
développés, c’est permettre à 80 % de ait, personne n’est venu. Personne
la planète de vivre humainement au n’est venu au Rwanda parce que les

Photo : Frank Desgagnés


lieu de fermer les yeux sur le fait que Rwandais ne comptaient pas. L’être
20 % des êtres humains continuent à humain en Afrique n’avait pas la
abuser de ce qu’il reste des ressources même valeur que l’être humain en
naturelles de la planète tout en faisant Europe.
semblant que l’humanité progresse. Dix ans plus tard, nous nous ap- Roméo Dallaire
[...] Aujourd’hui, la rage présente prêtons à assister à un autre génocide,
dans l’humanité, cette rage face à l’iné- celui du Soudan, et nous restons
galité criante, nous rend vulnérables muets. [...]
même chez nous. Les événements du La seule solution qui s’offre à nous
11 septembre 2001 n’étaient qu’un dans l’immédiat – et pour moi l’im-
avertissement. Si nous, pays riches, ne médiat, c’est dans les décennies qui
prenons pas une position beaucoup s’en viennent – c’est celle des ONG,
plus active et dynamique dans l’a- des organisations non gouvernemen-
vancement des droits humains, dans tales.
l’avancement de la sécurité et de la paix [...] Allez sur le terrain, vous
dans le monde entier par l’entremise comme individu, comme Québécois,
d’instances comme les Nations unies, comme Canadien. Allez dans ces pays
nous ne serons jamais en sécurité. constater par vous-même la complexi-
Une question est devenue fonda- té de la situation. Réalisez qu’il ne
mentale après l’expérience du Rwanda : s’agit pas de simples tensions tribales,
est-ce que tous les humains sont hu- mais bien que les problèmes de ces so-
mains ? Ou est-ce qu’il y en a qui ciétés très développées exigent de la
comptent plus que d’autres ? Est-ce patience, des solutions nuancées, une
possible qu’il y ait des êtres humains atmosphère de sécurité, de la nourri-
que nous choisissions de sauver et ture, de l’éducation, la fin de la pau-
d’autres que nous allons tout simple- vreté. Il n’y a pas de meilleur moyen
ment abandonner ? Je vous ramène à pour comprendre ce dont il est ques-
1993-1994 en ex-Yougoslavie. Il y avait tion. Entre-temps, joignez-vous à des
la guerre civile, des massacres. Le ONG, sautez de l’une à l’autre jusqu’à
monde développé a choisi de déployer, ce que vous en trouviez une qui con-
par l’entremise des Nations unies et de vienne à vos intérêts et à vos objectifs.
l’OTAN, des milliers et des milliers de Joignez-vous à des organisations qui
soldats et de diplomates, pour tenter travaillent à faire avancer les droits de
de rectifier une problématique interne la personne, de l’humanité.

59
Une école d’été pour changer le monde

La voie humaine
Échange entre Jacques Attali et Jacques Godbout 1

Jacques Godbout – Suite à la publication le marché produit fait que chacun se


de son dernier ouvrage, La Voie humaine, détermine plus de façon individualiste
certains ont qualifié Attali d’utopiste, que de façon collective. […]
Photo : Frank Desgagnés

utopiste parce qu’il propose dans ce livre J.G. – Vous ajoutez aussi que, finale-
« une société meilleure demain qu’au- ment, les citoyens sont plus consom-
jourd’hui dans une économie de marché mateurs que citoyens et qu’ils se détour-
avec un haut niveau de protection so- nent de la politique, qu’ils considèrent
ciale, une bonne qualité de services que les élections ne sont plus qu’une es-
Jacques Attali publics, le tout dans un respect ir- pèce de rituel un peu vide, que les chefs
réprochable de l’humanité». Est-ce que politiques prennent des postures, se
vous êtes un utopiste de naissance? contentent d’avoir l’air saint, ou à peu
Jacques Attali – Je ne saurais pas dire près, à la télévision mais qu’il n’y a plus
si c’est de naissance mais j’ai du mal à du tout ce véritable échange que la poli-
ne pas inscrire ce que j’écris tant dans le tique exige.
long terme que dans le passé, pour es- J.A. – Si le marché l’emporte sur la dé-
sayer de comprendre les racines de ce mocratie, naturellement le consommateur
que nous faisons. Je crois que nous l’emporte sur les électeurs et même, on peut
sommes un chaînon d’une longue his- dire que la politique devient un sujet de con-
toire. La politique consiste à essayer de sommation.
faire en sorte que la société soit légère- Une des caractéristiques majeures de
ment moins mal après notre passage sur la liberté individuelle, une des dimen-
cette planète qu’avant et donc, à inscrire sions fondamentales de cette valeur est
la société dans une conception du moins que la liberté est fondée sur le principe
mal, c’est-à-dire une conception du bien. de la réversibilité. C’est une banalité
Donc forcément, dans une conception mais elle est fondamentale. Si je suis
utopiste. libre, c’est que j’ai le droit de changer
J.G. – Est-ce que le politique a encore d’avis et que, comme consommateur,
des prises sur le réel ou nous échappe- j’ai le droit de changer de produit en tout
t-elle ? temps. L’autre nom de la liberté c’est
J.A. – Aujourd’hui, la nation a de donc la réversibilité, mais c’est égale-
moins en moins d’influence sur ceux qui ment l’autre nom de la précarité. Ainsi,
l’habitent parce que beaucoup d’éléments la précarité des emplois, par exemple,
du destin de chaque nation sont déter- est non pas un effet secondaire de nos
minés par des événements planétaires, sociétés mais bien un phénomène in-
parce que l’interdépendance des gens est hérent aux racines de notre système. Il
de plus en plus grande, parce que la mon- faut assumer le fait que l’autre nom de la
dialisation sur laquelle on aura à revenir liberté est la précarité et que nos sociétés
est absolument déterminante sur la vie de de marché et de démocratie sont des
tous et parce que l’individualisation que machines à produire de la précarité
60
Jeunes et engagés

parce que nous préférons la précarité à échelles locales, de tenter de la construire


son inverse, qui est la cristallisation dans la démocratie. […]
durable des situations acquises. Suivant La capacité à réussir cette mondiali-
la même logique, en politique, les sation avec tout l’enchaînement qui est
électeurs, citoyens ou consommateurs nécessaire au niveau de chaque nation,
voient les hommes politiques comme au niveau des continents, dépend de la
des objets qu’il faut changer, tout capacité de chaque Nation à rééquilibrer
comme les objets de consommation. le marché de la démocratie en donnant
J.G. – Mais, malgré le cynisme ou le plus de priorité au savoir, davantage de
scepticisme que nous pouvons avoir responsabilités en maintenant la gratui-
vis-à-vis des hommes politiques, la poli- té des services publics et en étendant le
tique reste-t-elle importante? champ du gratuit, en faisant que l’acti-
J.A. – Je pense que nous sommes à vité de services privés à titre non lucratif,
un moment où la politique conserve en- ce que nous appellons les ONG, se
core sa force et sa raison d’être, elle peut développe de façon massive pour que
jouer dans le bon sens. Le bon sens c’est les gens trouvent davantage de plaisir à
d’imaginer une société idéale tant à rendre service plutôt qu’à utiliser les
l’échelle planétaire qu’aux différentes services des autres.

1 Jacques Attali est ancien conseiller du président de la République française et premier président de la
Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD). Jacques Godbout est essayiste,
romancier et cinéaste..

L’information de l’autre côté de la caméra


Michaëlle Jean
Journaliste

Dans le tourbillon de l’appareil média- mation en déployant, façon CNN, des


tique, à l’heure des chaînes d’informa- ressources en direct et en continu. Une
tion continue, le travail du journaliste se formidable aventure quand on y pense.
transforme. La compétition pour les [...]
cotes d’écoute côtoie les dépêches de Cette formidable machine pourrait
dernière minute et les déclarations être utilisée à un meilleur profit et à la
Photo : Frank Desgagnés

chocs. Quel espace reste-il pour la hauteur des exigences des téléspecta-
recherche, la critique, le recul... bref, teurs parmi les plus intelligents qui
pour le travail du journaliste? croient en la télévision publique mais qui
L’arrivée du Réseau de l’information a commencent à la déserter. Ils vont vers
élargi les possibilités de faire. Le pari de les chaînes spécialisées parce qu’ils ont
Michaëlle Jean
RDI a été d’être partout là où cela se le sentiment que nous avons vendu notre
passe et d’élargir le spectre de l’infor- âme et notre identité à la tentation de

61
Une école d’été pour changer le monde

niveler par le bas, dans le bal de la con- et conviction, pas dans la médiocrité et
currence avec les chaînes privées avec pas dans le mépris de ceux qui aiment
lesquelles nous partageons la même penser et réfléchir. Pourquoi la télévision
assiette de commanditaires. Le nerf de publique ne serait-elle pas un espace de
la guerre est là, l’État nous ayant as- lutte et de résistance contre l’ignorance,
sommé de compressions, il nous faut surtout à une époque où l’amnésie et
vendre du temps d’antenne pour tenir. l’indifférence sont si répandues ?
Les marchands sont entrés dans l’arène Pourquoi vouloir calquer le privé? C’est
et nos possibilités sont liées à leur ap- nous déposséder de notre capacité d’in-
port, et leur mesure est le bassin de con- nover. Pourquoi la télévision publique ne
sommateurs à l’écoute, donc la cote... serait-elle pas un espace pour rêver d’un
Ce bien commun – pour utiliser l’ex- monde différent et pour la beauté.
pression chère à Riccardo Petrella – Pourquoi la télévision publique ne se
qu’est la télévision publique a reculé face donnerait-elle pas pour mandat de pro-
à ses engagements et sa vocation, au mouvoir l’envie d’une citoyenneté agis-
nom d’une rentabilité marchande. Recul sante et pensante ? Pourquoi la télévision
face à la culture au sens large, recul face publique ne serait-elle pas la bonne
à la création audacieuse pas forcément adresse pour découvrir des têtes
grand public ou téléromans à succès, chercheuses, des visionnaires, une télévi-
recul dans la production de documen- sion qui fait sens et qui donne avant tout
taires d’auteur... On privilégie la pro- dans la pertinence ? Pourquoi la télévi-
grammation dite grand public : du di- sion publique ne serait-elle pas un es-
vertissement qui rapporte, du bruit, une pace de dialogue entre les générations et
télé qui distrait, une mise en spectacle à parts égales ? C’est cette télévision-là
du monde et des événements, la télé qui m’inspire et qui me donne envie de
marchande et à la carte. On a désacralisé m’y engager. [...]
la réflexion en balançant partout et à tout Et il y a urgence que le citoyen se
moment de la publicité qui donne en- manifeste et soit partie prenante de cette
core une fois préséance aux marchands, télévision qui lui appartient comme ser-
la télé comme objet de consommation... vice publique et qu’il exige, qu’il réclame
Or, ce bien commun se doit d’être qu’elle soit à la hauteur des exigences qui
d’abord un instrument de pertinence, un sous-tendent sa raison d’être... Si nous
outil de qualité qui nous enrichit l’esprit ne faisons rien, si nous ne disons rien,
et qui n’est pas qu’un chantier de car- si nous ne le faisons pas savoir, nous
rières... La formule gagnante n’est pas à n’aurons que ce que nous méritons, une
mon avis le nivellement par le bas: c’est coquille de plus en plus vide.
plutôt de se distinguer avec intelligence

62
Jeunes et engagés

Les États nationaux face au phénomène


de la mondialisation

Pierre Fortin Est-ce qu’il y a encore place pour


Économiste l’action souveraine des États dans ce
monde nouveau, plus interconnecté ?
La mondialisation, c’est tout simple- Une gestion intérieure libre de la cul-
ment le phénomène de l’interconnexion ture, de l’économie, de la politique so-
croissante des diverses parties de notre
ciale est-elle encore possible malgré
planète.
l’augmentation très rapide des
Il y a de bonnes comme de mauvaises
échanges internationaux, malgré la
conséquences de la mondialisation.
mondialisation ? Il est tout à fait clair
Certaines des mauvaises conséquences
que la mondialisation est loin d’être
qui sautent aux yeux sont les guerres
mondiales, les récessions économiques rendue à un point où elle peut inhiber
mondialisées, la diffusion planétaire des l’action intérieure des États. [...]
maladies, la pollution des mers, le Observez, par exemple, les domaines
réchauffement de la planète, les pra- de la santé, de l’éducation, de la sécu-
tiques condamnables de certaines en- rité et du revenu, des inégalités entre
treprises plurinationales. riches et pauvres, de la taxation. Dans
Mais la mondialisation a aussi eu des tous ces champs de l’action souveraine
conséquences positives. La mondialisa- des États, les écarts entre le Canada et
tion a permis d’enrichir beaucoup de les États-Unis sont demeurés im-
gens de façon assez largement diffusée menses depuis 50 ans. La mondialisa-
dans de nombreux pays, notamment tion n’a pas empêché la politique so-
dans plusieurs pays d’Asie. Ces derniers ciale de diverger entre ces deux pays.
ont, après plusieurs décennies de pro- [...]
tectionnisme, pris un essor considérable Il y a des problèmes dans la mondia-
en grande partie fondé sur la promotion lisation. Mais l’interconnexion crois-
des exportations. sante de la planète est un phénomène
Également, les migrations, les échan- qui est absolument incontournable. [...]
ges et les voyages entre les populations Il faut s’assurer, avec toute l’énergie dont
des divers pays du monde découlent du nous sommes capables, d’identifier et
fait que la planète est de plus en plus de solutionner les problèmes que la
connectée. Les moyens de communica- mondialisation engendre. [...] Ceux et
tion et de transport coûtent beaucoup celles qui, hier et aujourd’hui encore, ont
moins cher qu’autrefois, ce qui facilite fait un épouvantail du mot « mondiali-
la création de coalitions entre les États sation » ont causé beaucoup plus de tort
ou les groupes organisés. Le mouvement que de bien. Ils ont nui au débat raisonné
altermondialiste lui-même bénéficie à qui doit avoir lieu sur cette question
plein de la diffusion des idées par fondamentale de l’interconnexion de
Internet. notre terre.

63
Une école d’été pour changer le monde

Omar Aktouf actuelle : la baisse des revenus de 5 %


Professeur de gestion des plus pauvres est de 25 % depuis les
dix dernières années; la hausse de 5 %
Qu’est-ce que la mondialisation ? Tout des plus riches a été de 12 %. Sur 100
le monde sait maintenant qu’il s’agit dollars de commerce mondial, trois
d’un système international d’échanges.
dollars vont aux pays du Tiers Monde.
Photo : Frank Desgagnés

On se rend progressivement compte,


Parallèlement, le revenu moyen des
cependant, que ce modèle n’est pas
CEO américains est passé de 20 fois le
soutenable. Chaque acteur de la mon-
salaire ouvrier en 1980, à 85 fois le
dialisation tire toujours un peu plus sur
salaire ouvrier en 1990, puis à rien de
la couverture des ressources naturelles,
Omar Aktouf matérielles et humaines. Cette couver- moins que 531 fois le salaire ouvrier en
ture, telle une peau de chagrin, ne cesse 2000. [...]
au contraire de s’amenuiser. Au Québec, entre 1989 et 2001, un
Lorsque le gâteau des richesses bond du taux de productivité de 21 %
mondiales a cessé de grossir, comment s’est traduit par une hausse salariale de
a-t-on fait pour maintenir la part de seulement 9 %. Des villes entières ont
gâteau qui nous revient ? On a appris à été fermées. Murdochville a été sacri-
« utiliser nos avantages compétitifs », fiée. Boisbriand a perdu 10 000 em-
c’est-à-dire à ravir la part des autres. plois. Depuis quand un chef d’État
On s’en tire en prétendant que les pau- laisse-t-il une compagnie fermer toute
vres, les chômeurs, les vieux, les plus une région ? [...]
faibles, les jeunes, les populations qui Nous en sommes venus à croire que
se meurent, les malades vivent dans la « mondialisation » connote le mouve-
misère parce qu’ils ne savent pas ment, la marche ininterrompue de l’é-
utiliser leurs avantages compétitifs! conomie. Mais ce n’est pas un mouve-
Aux États-Unis, on le fait depuis ment naturel auquel il faudrait
longtemps; cela s’appelle le managé- s’adapter, comme certains se plaisent à
rialisme, qui croit au même rythme que le dire. La mondialisation a été créée,
la mondialisation. Le managérialisme à fabriquée, organisée de toutes pièces à
l’américaine, c’est le développement partir de la Seconde Guerre mondiale
d’une complicité entre les politiciens pour servir les intérêts des multina-
et les « chief executive officers » (CEO), tionales et des plus riches. La mondia-
les haut dirigeants des grandes entre- lisation c’est également un moyen de
prises, complicité faisant primer la fi- minimiser l’impact de l’essoufflement
nance sur l’économie, l’industrie sur la de la croissance des richesses mondia-
politique. Les cas des Enron, Parmalat les. Aujourd’hui, la planète n’arrive
et West Management ne sont que plus à maintenir le rythme, nous la
quelques exemples des scandales fi- détruisons maintenant plus vite qu’elle
nanciers auxquels ce type d’entrepre- ne se régénère.
neuriat donne lieu. [...]
Les statistiques mondiales illustrent
mieux que tout autre cas la situation

64
Jeunes et engagés

La part de rêve
Amir Khadir
Médecin

Chaque année, nous fermons le pont parlant de son rêve, celui d’une nation
Jacques-Cartier pour les feux d’arti- américaine à la hauteur du credo chré-
fices, il n’y a là rien de nouveau. On en- tien d’égalité de tous les hommes. Il a
voie des pétards en l’air et on s’émer- marqué l’imaginaire des hommes et
veille. Plus de 20 000 d’entre nous y constitué un mouvement de change-
assistons. Les finales de football ou de ments sociaux.

Photo : Frank Desgagnés


hockey rassemblent elles aussi des mil- Bien des choses qui sont du do-
liers de gens dans les rues. En fait, maine des possibilités ne sont cer-
beaucoup d’activités, d’événements qui tainement pas des chimères et mérit-
n’ont pas d’utilité en soi créent une eraient qu’on en rêve un peu, qu’on
solidarité spontanée chez les gens, prenne le temps de concevoir leur réal-
Amir Khadir
alors qu’il faut des mois et des mois isation. Aujourd’hui, nous vivons dans
pour mobiliser 10, 15, 20 000 person- un monde traversé de problèmes qu’il
nes pour un enjeu politique ou social. est possible de résoudre. Nous avons
Pourquoi ? Parce que les feux d’arti- les moyens d’enrayer la plupart des
fices, les joutes sportives et les autres maladies infantiles, d’alphabétiser la
événements nous font rêver. planète, d’éliminer la pauvreté, mais
Je me suis donc interrogé sur la part pour le moment, nous n’en rêvons pas
du rêve en politique, la part du rêve assez, alors la volonté d’agir est encore
dans toutes les décisions qui président déficiente. Le rêve est une étape cru-
à notre destinée. J’en suis venu à la ciale dans le développement d’une so-
conclusion que chaque nouveau rêve ciété, l’étape préliminaire de la réali-
est une remise en question de l’ordre sation de projets collectifs.
existant. En effet, si nous ressentons Nous pouvons rêver de change-
le besoin de rêver à des réalités autres, ments pour nous, pour l’humanité ou
c’est bien parce que quelque chose ne pour la civilisation. Nous pouvons
nous plaît pas. Souvent, nous parlons rêver des rapports sociaux que nous
de rêve au sens d’utopie, c’est-à-dire comptons privilégier. Nous pouvons
de quelque chose d’irréalisable. Et rêver de la terre, de ce que nous
pourtant, plusieurs utopies ou rêves se voulons en faire, de ses richesses et de
sont concrétisées ; pensons entre sa préservation. Nous pouvons aussi
autres aux progrès technologiques per- rêver du monde de façon plus générale,
mettant aujourd’hui la transmission mais il faut surtout que nos gestes
quasi instantanée d’informations, le traduisent ces rêves, les nourrissent,
dépistage de maladies génétiques ou les mettent en action.
l’envoi d’hommes dans l’espace.
Martin Luther King a énergisé la
communauté noire comme jamais en
65
Une école d’été pour changer le monde

Les PME et l’économie sociale au Québec


Nathaly Riverin cela qui connaissent des entrepreneurs
Centre de vigie sur le développement de la puisque dans le reste du Canada, la
culture entrepreneuriale même question générait des résultats de
l’ordre du 40%. La seconde variable ser-
Créer une entreprise, c’est se prendre en vant à évaluer la culture entrepreneuriale
main, mais c’est aussi rendre service à la d’un pays porte sur les capacités et les
société en répondant à une demande inas- compétences entrepreneuriales de la
souvie. Les jeunes Québécois sont dix fois population. Quarante-sept pour cent des
moins actifs en entrepreneuriat que les Québécois considéraient avoir les com-
jeunes du reste du Canada. L’entrepre- pétences requises au démarrage d’une
neuriat est la voie de l’avenir pour apporter entreprise. Ce chiffre, s’il peut sembler
des changements dans le milieu du travail. de prime abord élevé, nous place cepen-
Déjà, chez les entrepreneurs âgés de 18 à dant derrière le Canada et les États-Unis.
24 ans, les hommes et les femmes sont
présents à parts égales, alors que pour le
Nancy Neamtan
reste du milieu entrepreneurial, on
Chantier de l’économie sociale
compte deux fois plus d’hommes. Nous
n’avons pas encore de programme pour L’économie québécoise est une éco-
aider les femmes entrepreneures et les nomie plurielle. Elle est composée de
mères, mais si les jeunes s’impliquent, des l’économie publique (les sociétés d’É-
changements sont réalisables. De nou- tat et les services publics), de l’écono-
velles valeurs et de nouvelles façons de mie privée, de l’économie sociale
faire sont possibles. (coopératives et entreprises collectives).
Les PME au Québec, ce sont 175 000 Lorsqu’il est question d’économie so-
employeurs, 302 300 entreprises sans ciale, on traite de l’ensemble des or-
employés et 484 900 travailleurs au- ganisations qui produisent des biens et
tonomes. Mais conclure, à partir de ces des services sous une forme de pro-
seuls chiffres, que la culture entrepre- priété collective et qui obéissent à cer-
neuriale québécoise se porte bien est tains principes : un processus déci-
peut-être un peu hâtif. En fait, deux sionnel démocratique et une gestion
variables servent à évaluer la vitalité de la des surplus visant à redonner à la col-
culture entrepreneuriale d’un pays. La lectivité plutôt qu’à des actionnaires.
première, concernant les modèles sup- L’attrait principal de l’économie so-
pose qu’une nation ayant des modèles ciale réside dans le fait qu’elle est à même
d’entrepreneur valorisés et connus sera de satisfaire des besoins que les
plus susceptible de favoriser la création économies publique et privée ne sont pas
d’entreprises. Au Québec, en 2002, toujours à même de combler : fournir des
25 % des gens disaient connaître per- emplois aux déficients intellectuels, créer
sonnellement un entrepreneur, ce pour- des médias communautaires ou offrir
centage augmenta à 33% en 2003. C’est des services financiers à une petite com-
donc dire qu’il n’y a pas tant de gens que munauté du Nord.
66
Jeunes et engagés

Au Québec, la question des partena- membres, mais nous devons nous


riats public-privé (PPP) est devenu une impliquer dans les conseils d’admi-
préoccupation importante. Force est de nistration, être proactifs dans la créa-
constater cependant que l’économie tion de coopératives. Il y a au Québec
sociale au Québec fait face à plusieurs ob- 3500 coopératives comptant 7,5 mil-
stacles dont le premier est certainement lions de membres et 79 000 emplois
le manque de reconnaissance. Avez-vous pour un actif global de 90 milliards
entendu parler de parteneriats public- de dollars. Parmi les dix plus impor-
collectif (PPC)? En effet, la création d’en- tants employeurs de la province, on
treprises collectives, parce qu’elle n’a pas dénombre deux coopératives occu-
pour objectif premier l’engrangement de pant respectivement le premier et le
profits, est souvent perçue comme l’é- septième rang : la Coopérative des
conomie des pauvres. Toutefois, l’é- Caisses Desjardins et la Coopérative
conomie sociale et les entreprises collec- Fédérée du Québec. La coopération
tives sont souvent mieux à même de est un milieu très fertile, elle permet
prendre en compte d’autres types de ren- de réunir à la fois le citoyen engagé,
dement, le rendement social et le rende- le travailleur et le consommateur.
ment environnemental par exemple. Ces C’est un lieu de rencontre qui hu-
autres formes de rendement ne sont pas manise et fait de l’économie un
évalués par les outils d’investissement que moyen d’atteindre nos objectifs de so-
nous utilisons actuellement. ciété. Un projet collectif de change-
ments qui soit porteur de sens pour
Maxime Lavoie les jeunes peut définitivement passer
Conseil de la coopération du Québec par la coopération.

Les jeunes dans le milieu coopératif


sont impliqués à la base, comme

Les jeunes et la pauvreté


Père Emmett Johns
Aumônier des sans-abri

La pauvreté des jeunes est un problème se dire qu’on peut faire quelque chose.
énorme qui ne concerne pas seulement On calcule qu’il y a 2500 jeunes sans-abri
Montréal, mais toutes les villes du à Montréal; ce sont quelquefois des en-
Photo : Frank Desgagnés

monde. Je suis venu vous parler parce fants de huit, neuf, dix ans. Il y quarante
que je crois que vous pouvez faire ans, on n’avait pas de jeunes sans-abri.
quelque chose. Lorsque j’ai commencé On avait des itinérants, des gens d’un
mon projet, j’avais soixante ans. Vous, certain âge, qui allaient et venaient. On se
vous avez encore beaucoup de temps de- disait à l’époque qu’ils étaient dans la rue
vant vous. Il faut changer le monde, il faut par choix, que c’étaient des ivrognes, qu’il Père Emmett Johns

67
Une école d’été pour changer le monde

n’y avait rien à faire avec eux. Aujourd’hui, rait pas tant de problèmes. Nous avons
on compte de plus en plus de jeunes dans collectivement la responsabilité de les
la rue, et bien souvent on les juge plutôt aider. Ici, un enfant pauvre qui se fâche et
que de les aider. qui casse un carreau, par exemple, se
Il y a un proverbe africain qui dit que fera étiqueter « enfant en difficulté »
ça prend un village pour élever un en- et sera placé sur la liste de la DPJ.
fant. Chaque membre du village a un Pourquoi ? Parce qu’il s’est fâché ! On
rôle à jouer. Le gouvernement doit aussi met ces enfants-là dans des familles
s’investir dans l’éducation des enfants, d’accueil où le mot d’ordre est de ne pas
pas seulement pour satisfaire les pro- s’impliquer avec l’enfant. On dit à ceux
fesseurs, les chauffeurs d’autobus ou les qui dirigent des familles d’accueil: «l’en-
syndicats, mais pour s’assurer que les fant n’est avec vous que de façon tem-
besoins de tous les enfants sont poraire, alors ne vous impliquez pas».
comblés. Les besoins alimentaires, Que fait-on avec un enfant si on ne s’im-
financiers, affectifs, intellectuels, etc. plique pas ? Au Bon Dieu dans la rue,
Ces jeunes grandissent et peuvent être notre devise c’est l’amitié et le respect.
écorchés par la vie, mais fondamentale- Les enfants ont souvent besoin d’être
ment, ce sont des jeunes comme les écoutés, jamais d’être jugés. Chez nous,
autres. Ce ne sont pas des monstres. Si on traite les jeunes comme des amis et
on les traitait comme les autres, si on fai- non comme des clients.
sait notre travail comme il faut, il n’y au-

Les Premières Nations et la démocratie


Michèle Audette
Secrétariat à la Condition féminine

Aujourd’hui, je ne pourrais pas dire qu’il est évacué. C’est seulement par le biais
y a une démocratie dans la plupart des de gens de ma communauté qui, par la
communautés autochtones. Je ne peux tradition orale, m’ont appris qu’il y a
pas dire que la vie associative est en avait une certaine harmonie. On avait
santé. Il y a une force incroyable et une des systèmes politiques, une forme de
volonté d’avancer, mais aussi un lourd gouvernance, des leaders, nos vies et nos
héritage dont nous vivons encore les sociétés étaient très organisées.
conséquences aujourd’hui. Les peuples L’arrivée des Européens et toutes les
autochtones ont leur propre histoire, ils mesures qui ont suivi ont progressive-
ont en fait plusieurs histoires. Mais cette ment affaibli les communautés au-
histoire, personne ne me l’a apprise. On tochtones. Elles ont subi des tentatives
ne m’a pas enseigné à être fière d’être répétées d’assimilation qui les ont lente-
Innue ou d’être autochtone. Dans les ment dépossédées de leurs racines cul-
livres d’histoire, le récit des autochtones turelles. Puis, la crise d’Oka est survenue

68
Jeunes et engagés

et on a mis sur pied une Commission de l’Assemblée des Premières Nations.


d’enquête pour faire un constat de la Depuis ce jour, nous tentons de cons-
situation des autochtones au Canada. truire une culture autochtone, des
Dans le premier paragraphe du rapport manières de faire qui nous soient pro-
de cette commission, il est clairement pres, qui nous représente. Il est primor-
précisé que la Loi sur les Indiens dé- dial que les autochtones travaillent à re-
coulait d’une politique d’assimilation, bâtir leur vie associative. Idéalement, il
politique dont le but non avoué était de faudrait deux systèmes mais dans un
rayer graduellement de la carte des Au- cadre démocratique universel. Deux
tochtones. La loi sur les Indiens fut très gouvernements autonomes, des gou-
dommageable pour les autochtones ; vernements mettant de l’avant les façons
en empêchant toute forme de mobilisa- de faire propres à chacune des nations
tion, elle eut pour effet de réduire québécoise et autochtone. Les au-
grandement la vie associative des com- tochtones ne se reconnaissent pas dans
munautés. C’est seulement en 1960 qu’il les partis politiques actuels, leurs
y eut un amendement à la Loi sur les valeurs, leurs principes de vie ne sont pas
Indiens pour nous redonner le droit pris en compte. Il devient alors difficile
d’association. On a alors créé l’ancêtre de participer.

Cinq idées reçues sur la langue (au Québec)


Benoît Melançon
Professeur de littérature française

En 1988, Marina Yaguello publiait aux 1. Il y a des langues meilleures que


Éditions du Seuil son Catalogue des idées d’autres. L’anglais serait dorénavant une
reçues sur la langue. Elle y rappelait une langue universelle parce qu’elle serait
vérité indispensable: la langue est un do- plus simple que les autres. Corollaire: le
maine où les idées reçues pullulent. En français est trop compliqué. C’est
cette matière, chacun y va de sa petite évidemment faux. Depuis les années
opinion, fondée ou pas, on n’hésite pas 1920 circulent plusieurs versions d’un
à répéter à l’infini toute sortes de lieux poème intitulé « The Chaos », qu’il est
communs, les préjugés ne sont jamais maintenant facile de lire dans Internet,
loin. Cela s’explique: on peut très bien souvent sous le titre «English Is Tough
vivre sans avoir le moindre avis sur le vol- Stuff». Son but? Montrer que, sur le plan
ley-ball de plage; on ne peut pas ne pas de la prononciation, l’anglais est une
réfléchir à sa langue. Il n’y a donc rien langue plus complexe qu’on ne le dit.
d’étonnant à ce qu’on trouve de telles Des mots s’écrivent de la même façon,
idées reçues au Québec. En voici cinq, mais se prononcent de façon différente;
choisies parmi un ensemble beaucoup d’autres s’écrivent de façon différente,
plus considérable. mais se prononcent à l’identique.

69
Une école d’été pour changer le monde

Exemple (à lire à haute voix) : « I will vraies, aucun francophone ne pourrait


teach you in my verse / Sounds like lire les textes du passé : le français lui
corpse, corps, horse, and worse. / […] serait devenu une langue étrangère.
Leeches, breeches, wise, precise, / Dans certains domaines, les progrès
Chalice, but police and lice.» Le pouvoir sont réels depuis quelques années (ter-
d’attraction de l’anglais ne dépend pas minologie, médias écrits) ; le niveau
de sa prétendue «nature», mais d’autres monte. Dans d’autres (médias électro-
facteurs (économiques, militaires, etc.). niques, langue des humoristes), c’est
C’est le cas de l’anglais au XXIe siècle ; beaucoup moins sûr. Il faut nuancer.
avant, ce fut celui de l’italien ou du 4. Une langue qui change est une
français. langue menacée. Il n’y a que les langues
2. La question linguistique est récente mortes qui ne changent pas. Comme le
au Québec. Elle est constamment dans faisait remarquer Marina Yaguello, «on
l’actualité depuis quarante ans, souvent n’a jamais arrêté l’évolution d’une
sous la forme de débats juridiques, et on langue, sauf en cessant de la parler». Le
a tendance à penser qu’on ne s’intéres- français, langue vivante, évolue, au
sait guère à la langue auparavant. Dans Québec comme ailleurs. Trop ? Une
les faits, c’est la plus vieille question langue ne change jamais trop; elle crée
québécoise: elle remonte aux récits des selon ses besoins. Pour le meilleur? En
premiers voyageurs. Charlevoix, au matière de francisation des vocabulaires
début du XVIIIe siècle : « Nulle part techniques et scientifiques, oui. Pour le
ailleurs on ne parle plus purement notre pire? On dit souvent que la langue des
Langue. On ne remarque même ici jeunes s’appauvrit; on se trompe. Il est
aucun Accent.» Ça ne s’est jamais arrêté, vrai, en revanche, qu’elle est faite de
et trop fréquemment dans les mêmes mots de passe qui ne cessent de se trans-
termes : pureté, accent, rapport à la former. C’est vrai de n’importe quelle
France, dépendance envers l’anglais, langue, à n’importe quelle époque.
liaison du linguistique, du national et du Avant de jeter la première pierre aux jeu-
religieux, etc. Chantal Bouchard, elle, a nes, les critiques auraient intérêt à se rap-
étudié le discours de l’hypercorrection, peler leur propre jeunesse.
de la pureté à conserver, dans La langue 5. Langue et nationalisme sont néces-
et le nombril. Une histoire sociolinguistique du sairement liés. La défense du français a
Québec (1998 et 2002). longtemps été rattachée au Québec à
3. Le niveau baisse. « Les futurs en- celle de la religion et, surtout, à celle de
seignants maîtrisent mal le français », la nation (canadienne, puis canadienne-
titrait le quotidien La Presse en octobre française, québécoise enfin). À partir des
2004. Un mois plus tôt, l’hebdomadaire années soixante, cette défense a pris une
français Marianne écrivait «L’autre défi: forme juridique : nombre de lois, tout
nos enfants ne savent plus parler particulièrement la loi 101 de 1977 (la
français.» Or on trouve de pareilles dé- «Charte de la langue française»), ont eu
plorations dès le… XVIIe siècle. (Jean- pour objectif d’assurer la survie du
Marie Klinkenberg en a recensé plu- français au Québec; elles ont toutes été
sieurs dans son ouvrage La langue et le votées par des partis prônant, encore
citoyen, paru en 2001.) Si elles étaient qu’à des degrés divers, une forme de na-
70
Jeunes et engagés

tionalisme. Il est pourtant parfaitement Michel Vacher ont essayé de le démon-


légitime d’imaginer une défense du trer, chacun à sa manière, notamment
français qui soit liée à d’autres consi- en distinguant nationalisme et indépen-
dérations, moins frileuses, fondées sur dantisme ou en opposant défense de la
la langue elle-même, plutôt que sur la langue et maîtrise de la langue. Ils n’ont
politique. André Belleau et Laurent- pas été entendus.

Les défis du féminisme aujourd’hui


Pascale Navarro
Journaliste

Les idées reçues ont la vie dure. On doit femmes, on comprend qu’elles ploient
s’en méfier. La participation croissante sous le poids des responsabilités mais aux
des hommes au débat sur les sexes dé- hommes, il sera plus difficile de déplorer
montre que les hommes se sentent de leurs conditions de travail. Dans ce con-
plus en plus concernés, qu’ils craignent texte, je crains que l’on remette à l’ordre
moins le dialogue et surtout, qu’ils du jour une nouvelle mystique de la mère

Photo : Frank Desgagnés


souhaitent se remettre en question. Ce au foyer. J’ai peur qu’on redonne encore
qui me paraît très important aujourd’hui aux femmes, le saint rôle de civilisatrice.
c’est de sortir de la logique de guerre: au On aura toutes les bonnes raisons de
lieu de se lancer la balle et savoir qui a vouloir se contenter de sa maison et de sa
tort ou a raison, il faut parvenir à in- famille c’est une vie formidable que d’éle-
Pascale Navarro
téresser citoyens, hommes et femmes, ver ses enfants et de faire plaisir à ceux
au même débat. C’est l’un des défis ma- qu’on aime. [...]
jeurs du féminisme. Inclure les hommes Quand je parle de féminisme, je sais
dans les débats mais également dans les que ce mot peut déplaire. Pour parvenir
actions et les solutions. [...] à l’égalité, équilibrer les relations entre
Sur le plan du travail, les hommes ont hommes et femmes, il faudra peut-être
peut-être commencé à faire leur part et revoir les définitions, le vocabulaire, la
s’interrogent davantage sur leur impli- dynamique de notre communication.
cation au foyer. Mais, les patrons, les S’il faut dire «égalitarisme» au lieu de
PDG, les directeurs – et cela peut inclure féminisme, pourquoi pas? Je me dis que
des femmes, bien sûr – ont-ils fait la vous avez sans doute des idées pour réin-
leur? Sont-ils de leur temps ? venter les formes, trouver des nouvelles
Les hommes n’ont peut-être pas la formules ; c’est à vous de vous appro-
double tâche aussi lourde que leur con- prier ces idées. À vous de trouver com-
jointe, mais la pression sociale les oblige à ment parvenir à rejoindre les femmes et
ne pas se plaindre et à préférer la partie de les hommes, car il est évident pour moi
golf avec les collègues ou les futurs clients que les femmes seules se heurtent
au cours de natation de leurs enfants. Des actuellement à un mur.

71
Une école d’été pour changer le monde

L’engagement social des immigrants


Christine Ebrahim
Centre de développement pour l’exercice de la citoyenneté

Née en Égypte, j’immigre au Canada à pées par les enjeux politiques qui les
l’âge de quatre ans et demi avec mes entourent.
parents. Je suis donc une immigrante de Deuxièmement, le réseau de contact,
première génération. Il m’est donc sou- est un autre des obstacles majeurs à la
vent arrivé de me demander pourquoi je participation des immigrants. Lorsqu’on
fais partie de ces rares personnes issues regarde le système politique actuel, on
des minorités culturelles et de l’immi- ne peut que constater à quel point le
gration qui s’impliquent au sein de la réseau de contact, est le nerf de la guerre.
société québécoise. Pour les immigrants de première géné-
La complexité des termes politiques, ration, ce réseau de contact, n’existe pra-
le réseau de contacts, le peu d’impor- tiquement pas.
tance accordé à la religion et les intérêts Enfin, la religion constitue encore un
ou obligations personnels différents tabou au Québec. On préfère ne pas en
sont tous des obstacles que rencontrent parler publiquement, car c’est considéré
les nouveaux arrivants dans leur société comme une question relevant de la
d’accueil, le Québec. sphère privée. Mais pour beaucoup
En premier lieu, l’un des obstacles d’immigrants, et moi y compris, la reli-
majeurs à la participation des immi- gion fait partie de la culture publique des
grants, du moins dans les institutions pays d’où l’on émigre. Ainsi, l’attache-
formelles québécoises, est la complexi- ment à l’implication religieuse sera plus
té des termes politiques. La langue grand que celui aux instances publiques.
française constitue souvent un obstacle Pour plusieurs, les établissements re-
important à la participation des immi- ligieux constituent souvent le premier
grants à la vie sociale québécoise. Et en lien d’attache à la communauté.
plus, force est de constater que peu de Il existe à mon avis des pistes de so-
personnes, quelle que soit leur origine, lutions afin d’attirer les immigrants à
saisissent le vocabulaire politique. Alors participer à la vie sociale québécoise. Il
pour l’immigrant moyen, il s’agit d’un incombe d’abord aux Québécois « de
univers beaucoup trop difficile à cerner. souche» d’aller chercher les gens issus
Le discours politique doit être vulgarisé des communautés culturelles dans leur
si la société québécoise souhaite inté- milieu et de les inviter à participer à la vie
grer à ses institutions une pluralité de sociale du Québec. De plus, l’éducation
gens qui seront à l’image de la société à la citoyenneté devient essentielle dès
multiculturelle qu’elle forme. Et si ce un très jeune âge, dans les écoles.
n’est pas pour une implication formelle Donnons enfin les outils aux jeunes pour
de la part des minorités culturelles qu’ils aient le goût de construire un nou-
aux affaires politiques, du moins pour veau monde : celui où toutes les com-
que ces dernières se sentent préoccu- munautés seront de la partie!

72
{ Troisième partie

Être jeune au Québec


en 2005

Photo : Jacques Nadeau


Être jeune au Québec en 2005

La tentation d’en finir


avec la politique

Raphaël Artaud McNeill


Candidat au doctorat en science politique à Boston College

«L’Action démocratique du Québec est-


elle vraiment le parti de la jeunesse ? » :
telle était la question posée par la revue
Argument à quelques jeunes intellectuels
en 2003, alors que ce parti trônait en
tête dans les sondages.

***

Pour répondre à la question qui m’est


posée, il faut tout d’abord définir la
« jeunesse » en question.
Le portrait de la Ensuite, il sera possible de
comparer ses caractéristiques
jeunesse qui se à ce que défend l’ADQ.
Comment esquisser un
dégage de Québec- portrait générationnel de ceux
Montréal (2002) et qui, aujourd’hui au Québec,
ont entre 18 et 30 ans, ces
de La moitié gauche filles et fils de boomers? Je me
fait que le portrait qui s’en dégage tend
du frigo (2000) propose d’emprunter l’acuité à faire ressortir une dépolitisation de la
«visuelle» de deux jeunes réa- génération qui y est dépeinte; dépoliti-
semble indiquer une lisateurs québécois, Ricardo
sation, c’est-à-dire absence ou refus de
tendance à la dépoli- Trogi et Philippe Falardeau, et préoccupations politiques.
de présenter une interpréta- Dans Québec-Montréal, le thème de la
tisation, c’est-à-dire tion sommaire de leurs films préoccupation politique brille par son
absence ou refus de respectifs, Québec-Montréal
(2002) et La moitié gauche du
absence. Évidemment, dira-t-on, car tel
n’est pas le propos du film. Certes.
préoccupations frigo (2000). Bien qu’il s’agis- Mais en mettant en scène l’état des re-
politiques. se de deux œuvres très
réussies, je veux insister sur le
lations amicales et amoureuses d’une
génération, et surtout les illusions,
74
Jeunes et engagés

caprices et désirs sexuels qui minent La moitié gauche…


ces dites relations amoureuses et ami- La moitié gauche du frigo, qui fait cette fois
cales, ce film en donne long à penser de la préoccupation politique un thème
sur l’état d’esprit général de ces jeunes central, vient compléter le portrait en le
adultes. Les protagonistes s’y définis- raffinant. Ce film raconte le destin de
sent à peine par leur travail et rarement Christophe, jeune Québécois de 30 ans,
par leur famille. Ce qui les occupe et ingénieur de formation et en recherche
préoccupe, c’est la complication de d’emploi, qui décidera finalement de
leurs rapports « amoureux » et « ami- tout abandonner pour s’installer à
caux ». Essayant de survivre dans ce Vancouver. Là, un modeste boulot de
contexte, ces jeunes adultes ont déjà vendeur ambulant lui permettra de vivre
épuisé toutes leurs forces avant même sereinement ses fins de semaine
d’envisager quelque chose comme une comme membre d’un petit groupe de
communauté politique. Comprenons- jazz. Ce choix de Christophe est aussi à
nous, ces jeunes adultes ne sont pas comprendre sous le thème de la rési-
anarchistes ou nihilistes, ils sont gnation, ou peut-être du refus: rési-
plutôt retournés à un état pré-poli- gnation aux « faits », au contexte et aux
tique, un état où les questions poli- conjectures politico-économiques qui
tiques parviennent difficilement à être le dépassent, voire le transcendent, et
formulées, car la survie affective et refus de s’en dire la victime ou le com-
émotionnelle dans cette guerre char- plice. Refuser de se dire la victime du
nelle de tous contre tous occupe toute contexte politico-économique, c’est,
l’avant-scène. Autrement dit, comme dans le cas de Christophe, refuser de se
ces jeunes échouent à construire des joindre à ce groupe d’avocats qui
relations amoureuses ou amicales qui défend les chômeurs en leur four-
ne soient pas seulement d’ordre nissant les outils juridiques pour une
« pragmatico-hédoniste », on serait revendication active de leur droit à un
bien gêné de leur demander leurs emploi correspondant à leurs compé-
opinions concernant la nation, par tences si durement acquises sur les
exemple. Et si l’on s’y risquait, fort est bancs d’école. Mais refus également de
à parier que le constat s’apparenterait se dire le complice de la situation
à leur opinion sur les choses de politico-économique, car Christophe
l’amour : des luttes de vanités et de refuse de se faire un cas de conscience
belles intentions qu’il vaudrait mieux des discours dénonciateurs de son
ramener à leur véritable socle, l’argent colocataire Stéphane, selon lequel tra-
ou l’économie. En peignant les préoc- vailler pour une multinationale, c’est
cupations « amoureuses » d’une géné- s’aliéner, c’est consentir à leurs « poli-
ration et à quel point celles-ci acca- tiques » ou « philosophies » capitalo-
parent toute son âme, Québec-Montréal néolibérales, qui font des synonymes
donne à penser ce qu’il en est de la de «mondialisation» et de «profit». À la
politique: un souci très secondaire qui limite, Christophe refuse tout simple-
doit être abordé, peut-on penser, avec ment de se sentir impliqué en quoi que
résignation, voire désillusion, comme ce soit par la situation politico-
il en est pour l’amour. économique, il s’y résigne. Sa résigna-
75
Être jeune au Québec en 2005

tion n’est possible que par son senti- reuses, travail), auxquels elle croit de-
ment de non-implication. voir se résigner. Ces filles et fils de
Penchons-nous un peu cette rési- boomers peuvent sentir confusément,
gnation. Elle signifie premièrement que parfois, que ces problèmes ont peut-
ce qu’on nomme la situation économi- être une racine politique, mais cette
que a quelque chose d’inéluctable. racine paraît si enfouie et si étendue
S’opposer à celle-ci serait donc vain. Si sous la surface du globe que leur plus
l’art sert encore à quelque chose dans fort sentiment est que la solution à tous
ce contexte, il ne servira pas, comme le leurs désirs, difficultés, craintes et an-
croit le personnage de Stéphane, à des goisses ne sera pas politique.
fins politiques et révolutionnaires. L’art
– c’est ce que découvre Christophe à la L’ADQ
suite d’Odile –, s’il doit encore servir Le programme proposé par l’ADQ peut
quelque fin, c’est, pour ainsi dire, en être compris comme l’expression poli-
tant que porte de sortie du monde tique de la sensibilité qui vient d’être
politico-économique, une porte de sor- décrite, pour autant que celle-ci se prête
tie égoïste, ou privée si l’on préfère, qui à une telle expression. L’objectif de
n’a comme seule prétention que de per- l’ADQ est d’accroître la force économi-
mettre à l’artiste de vivre quelques mo- que du Québec en libérant l’économie
ments de bonheur. Autrement dit, l’art québécoise des obstacles constitution-
ne sert plus la communauté, mais nels et étatiques qui freinent son dé-
l’artiste et le bonheur qu’il permet n’est ploiement : le débat sur la souveraineté
plus collectif, mais indi- d’une part et de l’autre, les dédales d’un
À la limite, le viduel, ou à tout le moins appareil étatico-bureaucratique lent et
Christophe de La privé. La résignation à lourd. Autrement dit, l’objectif du parti
l’inéluctabilité économique politique de Mario Dumont est de
moitié gauche du permet à Christophe de se libérer le Québec de ses préoccupations
frigo refuse tout détourner des luttes poli-
tiques, d’accepter un petit
politiques afin de permettre une
meilleure gestion de son économie.
simplement de se emploi qui, s’il lui donne C’est à la suite d’une discussion
sentir impliqué en les allures d’un bourgeois
de huit à cinq, lui permet
houleuse avec un futur partisan de
l’ADQ que j’ai mieux compris ce désir
quoi que ce soit par toutefois d’être libre, c’est- d’en finir avec la politique qui motive
à-dire artiste, les soirs et ce parti. En cherchant à comprendre ce
la situation politico- week-ends. qui distinguait le Parti libéral de l’ADQ,
économique, il s’y Combinés, ces deux l’on me répondit que le Parti libéral ac-
films nous renvoient le cordait encore une trop grande impor-
résigne. Sa résigna- portrait d’une génération tance à la question constitutionnelle en
tion n’est possible retournée à son individua- se positionnant fortement contre la
lité, accaparée par ses souveraineté. Paradoxalement, mon in-
que par son problèmes personnels, terlocuteur se reconnaissait dans la per-
sentiment de voire ses insatisfactions ou sonne de Mario Dumont, parce que
ses frustrations person- celui-ci affirmait que les Québécoises
non-implication. nelles (relations amou- et les Québécois ne se reconnaissent
76
Jeunes et engagés

pas dans les enjeux politiques des deux


dernières décennies, au premier rang la
question de la nation et de l’identité
québécoise; en somme, la question de
la meilleure constitution autour de
laquelle doit se structurer le Québec.
Selon les termes de l’ADQ : « la propo-
sition de paix constitutionnelle » signi-
fie que « le succès du Québec dans le
contexte économique d’aujourd’hui
dépend d’abord de nous, de nos entre-
prises et de nos communautés, pas de
l’État ». L’État, et cela signifie ici l’État-
nation, n’est plus ce qui préoccupe les
Québécois ; ce ne l’est plus et, affirme
l’ADQ, ce ne doit plus l’être. Les préoc-
cupations qui habitent et doivent
habiter les Québécois sont d’ordre
économique, c’est-à-dire d’ordre indi-
viduel et privé, et ce, pour le bien-être
de tous.
On aura compris qu’un tel pro-
gramme s’accorde avec, voire con-
solide, ce que j’ai tenté de peindre plus Xxx
tôt comme l’évacuation progressive des
préoccupations politiques de l’âme des économie prospère, afin de ne pas
filles et fils des boomers. Même s’il est ajouter à leurs inquiétudes, et de les
tout à parier que Ricardo Trogi et laisser enfin à eux seuls, à leurs préoc-
Philippe Falardeau s’opposeraient à cupations personnelles, à leurs petits et
toute récupération de leur film par grands bonheurs, leurs petits et grands
l’ADQ, ils n’en partagent pas moins une malheurs.
idée commune : celle du désintéresse-
ment politique. Au fond, qu’est-ce que L’économie réglera tout
répondrait un partisan adéquiste aux L’on rétorquera alors que l’une des pre-
protagonistes que j’ai examinés, sinon mières actions à poser pour aider ces
qu’en oubliant les enjeux traditionnels jeunes adultes en matière économique,
de la politique québécoise et en se con- c’est d’opposer une fin de non-recevoir
centrant quasi exclusivement sur la aux clauses « orphelin », sans oublier
bonne santé de l’économie, l’ADQ est d’ajouter que Mario Dumont représente
le seul parti apte à comprendre que le seul parti qui a l’audace d’une telle
leurs préoccupations ne sont pas poli- action. Ce qui est vrai. La tentation d’en
tiques ? L’ADQ est consciente que le finir avec la politique n’est donc pas à
plus qu’elle peut faire pour ces jeunes comprendre sous le seul paramètre
adultes, c’est de leur assurer une d’une mollesse d’âme ou d’un égoïsme

77
Être jeune au Québec en 2005

mesquin de la part de la génération critique est l’économie. On ne peut


montante, mais aussi comme le résul- évidemment pas en finir pour de bon
tat compréhensible de certains excès avec les questions politiques, car celles-
institutionnels qui se sont traduits en ci semblent toujours nous échapper en
une confrontation intergénérationnelle. partie, de sorte qu’elles réapparaissent
Compréhensible donc, la tentation in- toujours à gauche ou à droite. Mais en
carnée par l’ADQ de régler une fois faisant de l’économie l’article premier
pour toutes les questions politiques de son programme, l’ADQ tend à nous
d’institutions, de constitution, et conforter dans notre propension à ou-
autres, de les régler par un seul mot : blier que ce sont des choix politiques qui
l’économie. structurent notre vie de tous les jours.
*** L’économie est certes une partie impor-
C’est étrangement en rappelant ce qui tante de la politique, mais c’est une er-
est peut-être le point le plus intéressant reur de croire que celle-ci se réduit à
de l’ADQ que j’ai entrepris sa critique. celle-là, une erreur que commet l’ADQ.
Le cas des clauses « orphelins » révèle
en effet que derrière ce phénomène Beau, la politique ?
économique résident des choix poli- Dans un portrait de Mario Dumont
tiques et que ces choix politiques sont présenté par l’émission Le Point à la
irréductibles à l’économie. Il n’y aurait télévision de Radio-Canada, le chef de
aucune raison de critiquer les politiques l’ADQ disait vouloir rappeler à ses
syndicales si ces dernières étaient en- membres que l’engagement politique
tièrement conditionnées par des con- est « quelque chose de beau ». Et il avait
jectures économiques. Quand, autour raison. Mais la beauté d’une action poli-
des années 1985 à 1990, la situation tique ne peut briller que si l’économie
économique obligea les différents syn- n’éclipse pas toutes les questions, en
dicats à réviser leur convention collec- particulier celle si importante, dans un
tive, ils pouvaient choisir d’assumer en- contexte de mondialisation, où l’é-
semble le ralentissement de l’économie conomie tend à abolir toutes les fron-
ou d’en faire porter tout le fardeau aux tières de la nation. En faisant de l’é-
employés engagés après une certaine conomie l’article premier de son
date. Ce choix est politique en ce qu’il programme, l’ADQ affirme que la plus
implique une conception de ce qui est grande action politique en est une de
juste et de ce qui ne l’est pas. En criti- subordination à l’égard de l’économie.
quant le choix que firent certains syn- Ainsi, l’ADQ contribue à la destruction
dicats, notamment ceux de la fonction de ce qui fait la grandeur et la beauté de
publique, et l’impassibilité des gou- l’action politique, car elle refuse de re-
vernements au pouvoir face à de tels connaître dans l’action et le choix poli-
choix, l’Action démocratique du tiques une volonté de structurer la vie
Québec fait de la politique. Mais au commune d’un groupe, d’un peuple.
même moment où l’ADQ fait cette cri- Une telle affirmation est non seulement
tique, il affirme que ce qui motive cette contradictoire, elle est fausse.

Texte publié dans la revue Argument, le 1er mars 2003. (Voir www.revueargument.ca.)

78
Jeunes et engagés

Être jeune, c’est vieillir…


Les défis de la construction du sens

Jean-Philippe Perreault
Étudiant-chercheur, sciences des religions, Université Laval et membre-étudiant,
Observatoire Jeunes et Société, INRS-UCS

Hier encore, de nombreux observateurs


reconnaissaient la croissance, depuis
les années 1980, d’un intérêt pour le

Photo : Jacques Nadeau


spirituel après une période de rejet de
l’héritage religieux chrétien (Grand’-
Maison et al., 1995). Les quêtes des
Québécois ont emprunté depuis toutes
sortes de voies, ont été marquées par
une recherche d’autonomie et ont été Quels enjeux spirituels pour les jeunes ?
Xxx
appréhendées dans une claire distinc-
tion – pour ne pas dire opposition – au allant même jusqu’à parler de désécu-
religieux traditionnel confessant. Je ne larisation ou de réenchantement du
suis pas religieux, disait-on, mais j’ai monde (Berger, 2001). En fait, il ne
une spiritualité ! s’agit pas tant de la réapparition du re-
S’il était alors possible de mettre de ligieux, mais du simple constat qu’il n’a
côté la religion pour s’intéresser da- jamais vraiment disparu.
vantage au spirituel dans une commode Ce retour de la question religieuse
ambiguïté et flexibilité du terme, il en force à réinvestir la question afin de
va désormais autrement. Plusieurs comprendre l’inusité et l’imprévu de la
événements récents, souvent étrangers situation actuelle. À une époque où l’on
les uns des autres et parfois même para- considère les jeunes comme étant à la
doxaux, ont propulsé à l’avant-scène le proue du progrès et de l’innovation, on
phénomène religieux dans toute sa se tourne spontanément vers eux en se
complexité et sa persistance. À telle demandant si « Dieu a un avenir ». Les
point que certains protagonistes de la jeunes sont-ils (encore) religieux ?
théorie de la sécularisation – théorie Quelle est la place de la spiritualité et
phare des années 1950-1970 selon de la religion dans leurs engagements?
laquelle la religion était appelée à dis- Comment interpréter les manifesta-
paraître ou à ne se réfugier que dans la tions religieuses contemporaines?
sphère de la vie privée – se font aujour- À la suite de quelques observateurs
d’hui critiques de leurs propres travaux, (notamment : Lemieux, 1998; Grieu,

79
Être jeune au Québec en 2005

2003), n’est-il pas possible d’offrir à la qu’ont les jeunes de leur propre situa-
réflexion une perspective qui miserait tion (Hamel, 1999) et nous demander à
sur l’expérience même d’être jeune quoi peut bien correspondre cet âge de
pour tenter de dégager, avant tout ques- la vie. Partant de là, il sera par la suite
tionnement sur l’état de la religion, les possible de dégager les enjeux spirituels
enjeux spirituels de cet âge de la vie ? et les défis de construction du sens qui
Trois temps sont ici proposés. s’y trouvent.
D’abord, nous adopterons un angle par-
ticulier pour observer et appréhender la Épanouissement
jeunesse afin de cerner, par la suite, ce Aujourd’hui, on constate que l’épa-
qu’il en est de l’expérience d’être jeune nouissement personnel détrône désor-
et finalement, d’en arriver à dégager mais le mariage comme principale
sous quelles modalités se pose aux jeu- cause du départ du nid familial (Molgat,
nes le défi de la construction du sens. 2003). Aussi, parmi les principales
raisons qui poussent les jeunes à mi-
Définir la jeunesse grer de la région vers les grands cen-
La jeunesse, comme tous les groupes tres, ce désir « d’aller vivre sa vie »
d’âge, est une construction sociale ma- (Gauthier et al., 2001). Même l’occupa-
nipulable (Bourdieu, 1980). La défini- tion de leurs temps libres, fortement
tion de « qui est jeune » et de « ce qu’est marquée par des activités culturelles, a
être jeune» repose sur des observations, pour corollaire cette quête et ce désir
des conditions et des significations d’expérimentation (Boily, 2003).
relevant de différentes institutions et de La jeunesse peut en somme être con-
différents acteurs sociaux, inculturés à sidérée comme une expérience de…
un contexte social et historique parti- vieillesse, en regard de la structuration
culier. Ainsi, non seulement les repères de l’identité, de l’inscription sociale et
permettant de délimiter la jeunesse de la définition d’un rapport singulier
sont mouvants, mais la signification de au monde qui se jouent à cette période
ce qu’est « être jeune » varie d’une de la vie. Jeunesse et vieillesse : l’asso-
époque, d’une culture et d’un coin du ciation semble paradoxale mais elle
monde à l’autre. tombe sous le sens. Nous vieillissons,
Cela dit, on se doute bien qu’en deçà mais nous ne « jeunissons » pas.
des discours qui circulent au sujet de la Contrairement à la vieillesse, la jeu-
jeunesse et qui contribuent à la définir, nesse est, dans le vocabulaire comme
il y a des individus qui font actuellement dans la réalité, orpheline d’action.
l’expérience d’être jeune. L’attention à De toute évidence, l’enfant, l’adulte
cette « jeunesse-vécue » semble incon- et le vieillard vieillissent, tout autant
tournable si nous désirons comprendre qu’ils construisent, à intensité variable,
les sérieuses mutations qui s’opèrent, leur identité. La singularité de la jeu-
notamment dans le champ religieux, et nesse tient au fait que ce vieillissement
qui sont difficilement saisissables à s’enracine dans une prise de conscience:
l’aide des repères mis de l’avant celle du temps qui passe et, surtout, du
jusqu’ici. Il nous faut donc être à l’é- temps qui ne reviendra pas ; celle, ter-
coute de la connaissance pratique rorisante, de la mort. Être jeune, c’est
80
Jeunes et engagés

précisément la fin de l’insouciance. temps / On se dira que l’on était finale-


C’est quitter le processus de vieillisse- ment…que des étoiles filantes. »
ment encadré de l’enfance et de l’ado- (« Les étoiles filantes », album La
lescence pour entrer dans l’expérience grand-messe, 2004).
subjective et consciente de vieillir.
Vieillir, au-delà de la dimension bio- Le défi de la construction du sens
logique, c’est accéder à un groupe so- Se demander ce qui va rester de nous
cial et à un temps de vie déterminés par après « avoir existé pour gagner du
les représentations collectives que nous temps », tel est l’appel de sens vécu par
en avons. Comme l’écrit Raymond les jeunes. Certes, il s’agit de questions
Lemieux, vieillir, «c’est essentiellement dont ils n’ont en rien l’exclusivité.
changer de rôles et par là, changer d’i- Toutefois, le contexte actuel dans lequel
dentité. Cela se traduit normalement se trouve posé le défi de la construction
par une crise dans la relation de l’indi- du sens est relativement inédit. Nous
vidu au système de valeurs qui préside à tenterons ici de le cerner à l’aide de
ses conduites. Il doit rejeter ce qui trois propositions.
jusque-là le faisait vivre pour apprendre
à vivre autrement» (Lemieux, 1990 page 30). La jeunesse : passage ou impasse ?
Si vieillir c’est se redéfinir et Plusieurs raisons nous conduisent à
s’adapter, ceci implique un certain nous demander si ce passage ne serait
nombre de deuils et de ruptures : deuil pas devenue une impasse. Face à…
de certaines aspirations dans la ren- • l’allongement de la jeunesse,
contre avec le « pays réel » ; rupture de • dans le brouillage des limites
relations qui ont donné corps à l’en- générationnelles,
fance et à l’adolescence, époques pour • avec la dissémination des rituels
lesquelles on éprouve parfois de la nos- permettant le passage à l’âge adulte,
talgie avant même d’avoir vingt-cinq • dans un contexte économique ne
ans. Survivre aux deuils et aux ruptures, favorisant guère la stabilité et
c’est vivre avec la mort, « vieillir, dès • à une époque où la culture de masse
lors, c’est être questionné sur le sens de s’empare de la juvénilité
sa propre vie» (Lemieux, Ibid.), tant sur … il convient de se demander s’il est
la signification de ce qui a été vécu que encore possible de vieillir et de devenir
sur la direction qu’il faut désormais adulte? Plus encore, pourquoi le devenir
prendre... Et le groupe québécois Les alors que les adultes eux-mêmes, au
Cowboys Fringants de chanter : prix de travestissements de toutes
« Si je m’arrête un instant / pour te parler sortes, ne cherchent qu’à rajeunir ?
de ma vie / Juste comme ça tranquillement / Qu’est-ce qu’être adulte à une époque
Dans un bar rue St-Denis / J’te raconterai les où la quête de soi nous autorise à vivre
souvenirs bien gravés dans ma mémoire / De plusieurs vies amoureuses, familiales
cette époque où vieillir / Était encore bien et professionnelles ? S’en trouvent
illusoire questionnés non seulement le modèle
Mais au bout du chemin dis moi c’qu’y va « adulte », mais aussi la jeunesse
rester / De notre p’tit passage dans ce monde comme voie d’accès à l’adultéité (de
effréné ? / Après avoir existé pour gagner du Singly, 2000). Conséquemment, l’in-
81
Être jeune au Québec en 2005

conclusion de la jeunesse, pour repren- culturelle : chaque sujet particulier est


dre l’idée de Michel Parazelli, « a pour en quelque sorte assujetti à l’Individu
effet de travestir ou de banaliser la fonc- abstrait » (Bajoit, 2003 page 97). L’indi-
tion sociale transitoire » de la jeunesse vidu, responsable à la fois de sa réus-
« en la rendant quasi permanente et site, de ses échecs et du sens à leur don-
pose la question de sa légitimité so- ner, se trouve constamment poussé au
ciosymbolique » (Parazelli, 1999 page retour sur soi, à trouver explication «en
59). La recherche d’issues sera ardue lui-même », à se redéfinir (Gaudet,
pour certains. Elle empruntera toutes 2001). Cette perspective ne se limite pas
sortes de voies, notamment les con- au strict univers individuel, mais mar-
duites à risque (Le Breton, 2002). Elle que profondément les structures des
posera de manière fondamentale et ur- sociétés en modernité avancée. « Nous
gente la question du sens, en des ter- vivons dans un monde entièrement
mes non pas métaphysiques mais prag- structuré par l’application réflexive du
matiques, liés au risque quotidien savoir, écrit Anthony Giddens, mais où
d’échapper à sa propre vie. en même temps nous ne pouvons ja-
mais être sûr que tel ou tel élément de
L’individu soumis à lui-même ce savoir ne sera pas remis en cause »
Cette quête de sens des jeunes ne pour- (Giddens, 1994 page 46).
rait faire l’objet d’autant de discussions C’est donc dire que cette structura-
si nous n’habitions pas une époque où tion de l’identité doit désormais né-
l’individu a désormais la responsabilité gocier avec des normes et obligations
de faire sens. Le sens de la vie, de la qui forcent les jeunes à établir de nou-
souffrance et de la mort, autrefois ins- veaux liens sociaux et de nouveaux rap-
titutionnalisé par les religions confes- ports au monde. En définitive, les iden-
santes, est aujourd’hui entre les mains tités ne sont plus héritées, elles se
de chacun. À certains égards cela ac- gagnent dans la performance, elles sont
croît la liberté individuelle. Mais cette tributaires d’individus isolés par la
liberté relative est au prix d’une an- compétition comme des participants
goisse existentielle qui n’est en rien re- d’une implacable télé-réalité.
posante. Je dois trouver et donner un
sens à ma vie. Cette sommation s’intè- Pluralisme des propositions
gre à des injonctions normatives, telles et des sources de sens
que l’autoréalisation de soi, la Il serait risqué d’assimiler cette res-
recherche du plaisir et l’épanouisse- ponsabilité individuelle de construire le
ment dans le travail, le contrôle de sa sens à un renfermement de l’individu
destinée, la performance, la prise de sur lui-même. Être l’ultime respons-
risque, etc. Le sociologue Guy Bajoit able du sens à donner à sa vie ne veut
parlera de l’ «Individu abstrait» comme pas dire qu’il soit possible de produire
principe de sens auquel l’humain croit du sens de toutes pièces, à partir de
désormais. « Ainsi, dira-t-il, chacun est rien. Les jeunes ont à leur disposition
appelé à être plus réflexif, à être plus une panoplie de propositions de sens,
sujet de sa participation sociale, mais d’explications du monde et de la vie
cet appel est lui-même une injonction auxquelles ils peuvent se référer. Ce
82
Jeunes et engagés

pluralisme des sources de sens est pour l’individu qui est l’ultime juge de
directement lié à la sécularisation de la la crédibilité et de la cohésion de son
société qui permet que l’humain puisse propre univers. Toute quête religieuse
se penser et penser le monde à l’extérieur vise à combler l’absence (ou ab-sens).
des traditions religieuses. Ce n’est en rien Ici, l’absence n’est pas provoquée par
la fin du religieux. Il s’agit plutôt de la fin une pénurie de propositions, mais par
du monopole d’une religion (si tant est la raréfaction des repères permettant de
que ce monopole ait existé). faire des choix dans la surabondance
La recension et l’analyse de ces des produits du marché du sens.
« foyers de sens » et de leurs proposi-
tions font actuellement défaut. Cela dit, Conclusion
il est possible, pour donner à penser, Considérer les jeunes comme de vérita-
d’identifier les plus évidents: la science, bles acteurs exige que nous partions de
l’engagement social, politique et éco- leur expérience de « jeunesse-vécue »
logiste, le marché et la consommation, pour poser la question de leurs rapports
les religions confessantes. De ces au religieux. Ce faisant, il devient pos-
sources, l’individu soutirera les maté- sible de mettre en lumière les enjeux qui
riaux nécessaires à l’échafaudage d’un émergent de cette expérience de vieil-
univers de sens personnel et utile – d’un lesse. Lorsque l’on opte pour cette pers-
cosmos sacré pour reprendre la défini- pective, on ne peut que s’intéresser
tion de la religion de Peter Berger – autrement aux préoccupations ex-
duquel découlent les valeurs présidant primées en introduction. Tant l’indif-
à ses choix de vie et à ses décisions. férence à l’égard des religions confes-
Bien qu’il soit nécessairement cohérent santes que la montée de cellules
– c’est le préalable pour qu’il fasse sens ultra-conservatrices sont des phéno-
– la configuration de cet univers est mènes qui trouvent leur explication
marquée par la circulation et la mou- dans la situation sociale actuelle. L’un
vance. Il semble en effet que face aux et l’autre sont des réponses à l’absence:
« instances productrices de sens », par manque de crédibilité, les uns
plusieurs jeunes soient sans domiciles cherchent ailleurs que dans la religion
fixes. Ils vont de l’une à l’autre, ils de leurs grands-parents tandis que par
squattent, s’installent un temps et besoin de repères clairs et rassurants,
reprennent la marche. Nous ne les autres prétendent y avoir tout trouvé.
sommes plus dans le registre de l’adh- Et voilà que la leçon d’Émile
ésion ou du rejet à un prêt-à-porter re- Durkheim nous est rappelée: la religion
ligieux. Nous sommes dans la dy- est une chose éminemment collective,
namique de l’itinérance, si bien qu’il qui a pour source la société. Consé-
devient possible de participer à la quemment, il y a encore et toujours de
Journée Mondiale de la jeunesse organi- la religion. De surcroît, il y a des jeunes
sée par l’Église catholique, de croire en qui, en toute légitimité et avec les
la réincarnation et de s’inscrire sociale- moyens du bord, cherchent à rendre
ment par la consommation d’objets- signifiant ce « p’tit passage dans ce
signes de la société de marché. Et s’il monde effréné ». En chemin, seront-ils
semble y avoir paradoxe, il n’en est rien seuls ou accompagnés ?
83
Être jeune au Québec en 2005

Comment se forment les valeurs des jeunes


Gilles Pronovost on affirme être de plus en plus sélectif, au point que dans
Université du Québec à Trois-Rivières certains cas, les valeurs d’amitié priment sur l’amour.

Au sortir de l’enfance, un jeune a consacré des milliers Ces valeurs relationnelles semblent très fortement et
d’heure à regarder le petit écran, il a déjà passé très spontanément exprimées, le vocabulaire pour en
plusieurs années à la garderie et à l’école, il vit dans un parler s’est élargi, on ne manque pas d’exemples ou de
milieu familial qui s’est peut-être transformé. Comment situations pour expliciter ses idées. Les conceptions de
parviendra-t-il à se forger une certaine identité, sur quoi l’amitié et de la sociabilité ont changé. L’importance
s’appuiera-t-il pour décider de ce qui est important affirmée des « amis » chez un grand nombre d’entre eux
dans la vie ? Comment construira-t-il un système de ne doit pas être confondue au discours que tenaient les
valeurs qui lui est plus ou moins propre ? […] plus jeunes. Il ne s’agit plus de chercher explicitement
à diversifier ses univers de vie, de prendre parfois le
L’objet de ce texte est moins de décrire le contenu du relais de la socialisation familiale, mais de retrouver
système des valeurs (famille, travail, école, amis, etc.), chez un petit nombre de personnes choisies, ces
que d’aborder le processus par lequel un tel système valeurs relationnelles perçues ou vécues comme un
se construit et se dé-construit. Pour ce faire, je vais microcosme de la vie en société.
m’appuyer sur un corpus d’entrevues en analysant la
situation de jeunes à l’entrée dans l’adolescence (âgés Car il faut ajouter que de purement « relationnelles »,
entre 14 et 16 ans), des adolescents plus âgés (entre ces valeurs prennent une connotation « sociale », de
17 et 19 ans). […] « vie en société », dans la mesure où elles ne se con-
fondent plus uniquement à la nature des rapports
La société souhaités entre deux personnes, entre soi et ses amis,
mais semblent bien faire l’objet de certaines générali-
Pour la majorité de nos informateurs de 17 à 19 ans,
sations à l’ensemble de la vie en société.
ce que l’on peut appeler « la société » renvoie très sou-
vent à l’identification de valeurs relationnelles. En com- La genèse des problèmes sociaux
paraison du corpus des plus jeunes, où l’univers ex-
térieur peut être perçu comme hostile, peu nuancé, où À tout cela se superpose l’identification de questions
la personnalité se construit sur fond de refus ou d’af- sociales dans une proportion substantielle de notre
firmation identitaire, dans un horizon temporel en con- corpus des jeunes de 17 à 19 ans. Ainsi, la volonté de
struction, ici on est frappé par l’abondance des termes respect, l’accent mis sur l’honnêteté, s’accompagnent
et des expressions pour dénoter les choses importantes de la demande explicite d’une certaine « ouverture aux
de la vie. L’honnêteté, le respect des différences, la autres » et de la reconnaissance de la diversité.
vérité des rapports sociaux, la confiance, la reconnais-
sance du caractère unique de chacun constituent sou- Même s’ils sont minoritaires, on voit poindre des cas
vent les valeurs premières mentionnées, au point d’engagement social, ce que l’on peut appeler « une
d’ailleurs que ces notions se retrouvent autant dans certaine conscience politique ». La « société » fait net-
des choix de valeurs plus générales que dans ce qui est tement l’objet de représentation, souvent en termes de
attendu de l’amitié et de l’amour. De même en est-il « problème », par le biais de l’identification d’injustices
pour les amis ; les valeurs de sociabilité sont loin d’être sociales, par l’appel à la solidarité collective et même
absolues, on déclare explicitement choisir ses amis, par une vision internationale des questions sociales.

84
Jeunes et engagés

Changement social, conscience politique À mesure que le temps passe, les expériences de vie
sont plus ou moins intégrées dans une vision rétros-
Quant au politique, si on le refuse de manière généra- pective et prospective de l’avenir. De plus en plus ca-
lisée, si la perception négative qu’on en avait plus pables de prendre recul par rapport à l’école et à la
jeune, perdure, on perçoit malgré tout des premiers famille, tout particulièrement, les jeunes parviennent
cas de « conscience politique », dans la mesure où cer- généralement à insérer ces deux univers dans « une vi-
tains affirment être allés voter, d’autres identifient cer- sion d’ensemble » à laquelle ils donnent sens.
tains rôles pour l’État, d’autres enfin déclarent certains
engagements politiques et sociaux. Quant au travail, d’abord essentiellement lié à l’accès
autonome à la consommation, petits boulots sub-
Cette notion de la « société » se construit encore à par- sumés sous forme d’une expérience positive, on le voit
tir de la reconnaissance de l’histoire et du changement être progressivement intégré au monde scolaire, dont
social. Certains jeunes expriment en effet le sentiment il serait le prolongement, dont l’école ne serait que la
aigu qu’ils ont changé, que leurs valeurs ont changé, phase mal-aimée. Il est notable par exemple que le
dans un mouvement de décentration qui a souvent été discours des jeunes de 17 à 19 ans mette beaucoup
évoqué. moins l’accent sur leurs expériences actuelles de tra-
vail, vues sous l’angle du support aux études dans
Chez certains étudiants, minoritaires, s’affirme claire-
cette phase de leur cycle de vie, que sur leur carrière
ment une reconnaissance du rôle du politique dans la
projetée, dont les caractéristiques les plus recherches
société, de la place de l’État.
sont… un bon salaire, la qualité du milieu social et la
S’ajoute enfin la dimension internationale des ques- possibilité de réalisations personnelles.
tions sociales. Pour un petit nombre d’entre eux, soit
L’émergence d’une certaine notion de « la société » ne
que l’on exprime clairement la portée des questions
semble possible que dans la mesure où le jeune prend
internationales, que l’on se dise sensible aux pro-
conscience de l’historicité de sa situation, dont il se
blèmes du tiers monde, soit que l’on envisage cer-
forge une image inscrite dans la durée, dans la mesure
taines formes d’engagement international, comme ce
donc où il se libère partiellement de sa quête identi-
jeune qui rêve d’aller travailler pour l’ONU en Afrique !
taire pour prendre acte de l’importance de la nature
Conclusion des relations à autrui. Les « amis » deviennent aussi,
peu à peu, une sorte d’autrui généralisé, les rapports
Les analyses qui précèdent laissent clairement en- qu’il entretient avec eux préfigurent une certaine image
trevoir que le système de valeurs d’un jeune ne se de la vie en société. C’est à cette condition que peu-
construit pas indépendamment de son contexte. À la vent surgir des formes de représentation de ce que
limite, on peut dire que le système de valeurs des je- l’on pourrait appeler « les structures sociales » : con-
unes se superpose au contexte familial, scolaire et de science de la présence et du rôle de l’État, sensibilité
sociabilité, sans compter les rapports au travail. Les aux rapports de pouvoir et aux conséquences qui en ré-
jeunes expriment des valeurs qui très souvent sultent, volonté d’engagement social et quête de
épousent leurs expériences de vie familiale, scolaire et changements plus ou moins radicaux, sensibilité aux
d’amitié. questions internationales.

1 Ce texte est un extrait d’un rapport de recherche sur les valeurs des jeunes remis au ministère de la Famille, des «Aînés et
de la Condition féminine». Une série d’entretiens semi-dirigés qui ont été menés auprès de 34 jeunes âgés de 14 à 19
ans, des régions de Montréal et de Trois-Rivières, en 2003.

85
Être jeune au Québec en 2005

La suréducation des jeunes au


Québec : brève radiographie d’un
phénomène en mouvement

Mircea Vultur
Professeur, Institut national de la recherche scientifique
Observatoire Jeunes et Société

Comment peut-on parler de « surédu- suffit pour tenter, de manière assez


cation » à l’heure de l’économie du brève, de circonscrire le phénomène,
savoir et dans un environnement social d’établir son étendue, ses causes et ses
dominé par le discours sur la pénurie effets1.
de jeunes travailleurs qualifiés ? Se
pencher sur ce phénomène s’impose Qu’est-ce que la suréducation et
toutefois, ne serait-ce qu’à cause de la comment mesure-t-on ce
connotation normative qu’implique le phénomène ?
terme de suréducation. Suggère-t-il De manière générale, la suréducation
qu’on investit trop dans l’éducation des (que l’on désigne également sous les
nouvelles générations ? Laisse-t-il sup- termes de surqualification ou déclasse-
poser l’existence d’une mauvaise allo- ment) se définit comme la situation qui
cation des ressources ou que l’expan- caractérise un individu dont le niveau
sion de la scolarisation est allée trop de formation dépasse celui normale-
loin? Seule l’existence de ces questions ment requis pour l’emploi occupé. À
véhiculées par le discours économique titre d’exemple, une secrétaire qui dé-
tient un diplôme de baccalauréat est
suréduquée au sens où elle n’a pas be-
soin des ses connaissances acquises à
l’université pour accomplir les tâches
qui lui reviennent et elle ne sera pas
plus productive dans son travail qu’une
secrétaire moins qualifiée. Les compé-
tences requises pour l’emploi occupé
sont donc inférieures à celles certifiées
Photo : Jacques Nadeau

par le diplôme. La littérature sur le sujet


fait ressortir deux méthodes princi-
palement utilisées pour mesurer la
suréducation.
a) La méthode subjective (WA- worker
Xxx self-assesment) qui repose sur le senti-
86
Jeunes et engagés

ment des individus à l’égard de leur em- trent que, au Québec, le phénomène de
ploi. C’est le travailleur lui-même qui suréducation est loin d’être marginal.
spécifie le niveau d’éducation requis Le tableau 1 fait état des pourcenta-
pour remplir une fonction. En deman- ges de diplômés suréduqués selon le
dant au travailleur de préciser si par rap- niveau de scolarité au Québec. Les taux
port à son propre niveau d’éducation, de suréducation vont de 27 % à 48 %
un niveau de scolarité plus élevé ou pour les titulaires d’un diplôme d’é-
moins élevé est requis pour accomplir tudes collégiales, d’un baccalauréat ou
les tâches de son travail, on peut iden- d’un doctorat. Les taux les plus élevés
tifier si un individu se perçoit comme de surqualifiés s’observent dans le cas
suréduqué ou non. des titulaires de maîtrise qui s’étendent
b) La méthode objective des concor- de 55 % à 79 % et s’appliquent à
dances réalisées (RM – realised matches) l’ensemble des cohortes. Par exemple,
utilise un seuil statistique de la suréd- 62 % des diplômés masculins ayant
ucation. L’éducation requise est établie obtenu un grade de maîtrise en 1990
à partir de niveaux moyens atteints par étaient, cinq ans après l’obtention de
les travailleurs occupant un poste ou ex- leur diplôme, surqualifiés par rapport
erçant une profession. La surqualifica- à leur emploi. Pour les femmes de la
tion est ainsi définie à partir d’une même cohorte, cette proportion était de
comparaison entre les années de qua- 55 %. La meilleure situation s’enreg-
lification acquises par l’individu et le istre au baccalauréat où le taux de
niveau de qualification moyen à l’in- surqualification était, toujours pour la
térieur de la profession du travailleur. cohorte de 1990, de 28 % pour les
femmes et de 23 % pour les hommes.
Aperçu de la suréducation au Québec La variable sexe indique que, dans le
Les données tirées de l’Enquête na- cas des diplômés d’études collégiales
tionale auprès des diplômés et du Suivi et de maîtrise, les hommes sont sus-
de l’enquête nationale auprès des ceptibles d’être plus surqualifiés que les
diplômés exploitées par Frenette (2000) femmes, tandis que pour les diplômés
selon la méthode subjective (WA), mon- du baccalauréat et du doctorat, la ten-

TABLEAU 1 Pourcentage des diplômés suréduqués pour leur emploi principal selon le sexe,
cohortes de 1982, 1986 et 1990, Québec
Cohorte de 1982 Cohorte de 1986 Cohorte de 1990
1984 1987 1988 1991 1992 1995

Études collégiales 35 32 39 41 37 37 27 31 39 40 37 36
Baccalauréat 29 32 25 28 36 47 29 41 28 31 23 28
Maîtrise 79 71 72 63 68 67 62 67 64 57 62 55
Doctorat 44 – 43 – 35 45 37 39 24 31 26 30
– :Échantillon trop petit pour présenter les données.
Source: «Enquête nationale auprès des diplômés» dans Marc Frenette (2000).
Données compilées par l’auteur.

87
Être jeune au Québec en 2005

dance est inverse (les femmes sont plus pour les diplômés en génie et informa-
susceptibles d’être surqualifiées que les tique, en droit et en sciences médicales.
hommes). Les données exploitées par Au niveau de la maîtrise, les diplômés
Frenette indiquent également une forte en éducation affichent des taux élevés
surqualification chez les diplômés du de surqualification, alors que la surqua-
collégial en arts et sciences humaines, lification est relativement faible chez les
en sciences de la santé, en sciences na- diplômés des sciences de la santé.
turelles et zootechnie, en services de Montmarquette et Thomas (2003),
protection, en services de secrétariat et à partir des données des recensements
en services aux entreprises. En re- de 1991 et de 1996, ont utilisé l’ap-
vanche, la surqualification est faible proche objective des concordances réal-
chez les diplômés en soins infirmiers isées (RM) pour analyser le phénomène
et en technologies médicales. Chez les de la suréducation. Les auteurs ont ainsi
diplômés universitaires, la surqualifi- mesuré l’étendue et l’évolution du
cation est élevée pour les titulaires d’un phénomène de surqualification au
diplôme en beaux-arts et sciences hu- Québec à l’intérieur des catégories so-
maines et dans les sciences sociales, cioprofessionnelles et la proportion de
ainsi que pour les diplômés de sexe personnes surqualifiées à l’intérieur des
masculin en économie et en sciences domaines d’études.
agricoles et biologiques. À l’inverse, les Les données du tableau 2 nous in-
taux de surqualification sont faibles diquent que les professions qui exigent
un degré de scolarité plus élevé sont
celles où la surqualification est la moins
TABLEAU 2 La suréducation par catégories socioprofessionnelles, forte. À l’inverse, dans les professions
Québec , 1991 et 1996 (en%). qui requièrent un plus faible taux de
Catégories socioprofessionnelles 1991 1996 scolarité, on retrouve les plus forts taux
de surqualifiés, ce qui peut signifier que
Professionnels 38.8 0.0
les jeunes diplômés préfèrent occuper
Cadres supérieurs 18.8 21.7
un emploi pour lequel ils sont surqual-
Semi-professionnels 10.5 12.4 ifiés plutôt que de ne pas avoir d’em-
Cadres-intermédiaires 14.2 16.7 ploi. De 1991 à 1996, la surqualification
Personnel administratif 37.2 5.7 a diminué fortement pour les catégories
Personnel de bureau 35.9 5.7 «personnel administratif et de bureau»,
Surveillants 33.4 8.6 « surveillants » et « travailleurs qualifiés
Personnel intermédiaire 31.6 37.6 » et a augmenté pour toutes les autres
Personnel spécialisé 33.3 36.2
catégories. En termes de niveau d’é-
tudes, pour la même période, les don-
Travailleurs qualifiés 36.1 23.5
nées exploitées par Monmarquette et
Contremaîtres 19.1 26.5 Thomas indiquent une diminution de
Autre personnel 33.9 40.5 69 % du taux de surqualification pour
Travailleurs manuels 39.5 43.0 le niveau universitaire et de 28% pour le
Autres travailleurs 40.7 41.8 niveau collégial. Par contre, la surqual-
TOTAL 31.9 22.1 ification a augmenté de 7 % pour le
Source: Montmarquette et Thomas (2003). Données compilées par l’auteur. niveau secondaire.
88
Jeunes et engagés

En ce qui a trait aux domaines d’é- tive augmente indépendamment de la


tudes, les données du tableau 3 mon- demande de force de travail. La forte
trent que les jeunes qui détiennent un tendance à l’allongement des études
diplôme du secteur post-secondaire s’est traduite par une élévation du
(lettres, commerce, sciences) sont plus niveau moyen de formation au fil des
susceptibles d’être surqualifiés que générations et par un afflux de plus en
ceux qui n’en détiennent pas et que les plus important de diplômés, notam-
diplômés en sciences et en commerce ment du postsecondaire, sur le marché
sont moins surqualifiés que les du travail. Ainsi, on constate que depuis
diplômés du domaine des lettres. De les années 1970, les taux de diploma-
même, de 1991 à 1996, la surqualifica- tion et le nombre de diplômés au
tion diminue fortement dans tous les Québec ont considérablement aug-
domaines, sauf pour la catégorie des menté, c’est-à-dire que de plus en plus
non-diplômés du postsecondaire pour de personnes obtiennent un diplôme et
qui l’amplitude de la variation est plus le niveau de scolarité atteint est de plus
faible. On constate donc une évolution en plus élevé. Le taux d’obtention d’un
vers une meilleure adéquation entre le grade de bachelier est passé de 14,9 %
profil des diplômés et la nature de la de- en 1976 à 29 % en 2001. Pour la
mande de qualification sur le marché maîtrise, le taux d’obtention d’un
du travail, ce qui n’est pas sans lien avec diplôme s’est accru de près de cinq
les éléments d’une conjoncture écono- points de pourcentage entre 1976 et
mique favorable et une meilleure infor- 2001, ce qui signifie une multiplication
mation sur le marché du travail acquise par trois du nombre annuel de
par les jeunes à travers les divers dis- diplômes émis. Le taux d’obtention
positifs publiques d’aide à l’insertion, d’un doctorat est également en hausse,
les services d’orientation des écoles et passant de 0,4% à 1% pour cette même
les mécanismes de publicité et de période. En termes absolus, en 2001,
recherche de compétences mis en place 814 160 personnes de 15 ans et plus re-
par les entreprises. censées au Québec détenaient un
diplôme universitaire. Structurelle-
Quelles sont les causes et les effets ment, l’offre de main-d’œuvre juvénile
de la suréducation ? devient, d’année en année, plus diplômée.
Plusieurs facteurs macroéconomiques
ou liés à l’agrégation des comporte-
ments individuels des jeunes peuvent TABLEAU 3 Pourcentage des personnes suréduquées selon le
être considérés à la source du phéno- domaine d’étude, 1991 et 1996, Québec, en %
mène de suréducation. Domaine d’études 1991 1996
Sur le plan macroéconomique, un
Lettres 54,6% 32,7%
des facteurs explicatifs de la suréduca-
Commerce 52,2% 26,2%
tion est la hausse de certification de
l’offre de travail, qui est due au renou- Sciences 44,5% 30,0%
vellement démographique. La simple Aucun diplôme du postsecondaire 15,5% 13,6%
action du temps fait en sorte que le Total dans la population 31,9% 22,1%
niveau de diplôme de la population ac- Source : Montmarquette et Thomas (2003). Données compilées par l’auteur.

89
Être jeune au Québec en 2005

Devant cette situation d’abondance alors à un processus qu’on appelle


relative des diplômés, la suréducation « inflation des diplômes » qui fait en
émerge comme résultat des relève- sorte qu’un employeur demande un
ments quantitatifs de la demande de niveau de diplôme supérieur à celui
qualification des entreprises envers les qu’il aurait exigé auparavant sans que
jeunes. D’une part, comme les emplois la nature du poste ait changé. Il arrive,
sont de plus en plus exigeants en ter- par exemple, que les employeurs exi-
mes de compétences interactives (prin- gent officiellement un diplôme de
cipalement les capacités de communi- niveau baccalauréat à l’embauche, mais
cation, d’analyse et de résolution des qu’il soit nécessaire de détenir une
problèmes, de composer avec les maîtrise pour avoir des chances
changements qui interviennent dans le d’obtenir le poste. Une telle situation
milieu du travail, etc.), les employeurs est plus fréquente dans les PME où l’on
revoient à la hausse les exigences en rencontre une plus forte probabilité
matière de formation, en vertu du pré- pour les jeunes d’être suréduqués, tan-
supposé que la probabilité de détenir dis que dans les grandes entreprises,
ces compétences augmente avec le avec une structure des qualifications
niveau de diplôme. Les employeurs mieux définie, la suréducation semble
sont donc plus enclins à embaucher des être d’une plus faible ampleur.
jeunes avec un niveau d’instruction L’interaction entre la dynamique
supérieur à celui qu’ils auraient aupar- propre du système d’enseignement et
avant exigé. Par ces façons de recruter, les stratégies individuelles des jeunes
les entreprises se prémunissent contre cause également un désajustement et
« la pénurie de compétences interac- une séparation entre le processus de
tives ». La suréducation apparaît ainsi qualification et la demande sur le
comme le résultat d’une inadéquation marché du travail. Ainsi, le comporte-
entre les besoins en compétences in- ment des jeunes lors du choix de la fi-
teractives des entreprises et l’offre du lière d’enseignement dépend souvent
système éducatif qui produit essen- des gains escomptés.
tiellement des compétences cognitives. En effet, l’affectation des étudiants
Selon certains employeurs interrogés dans les différentes filières de forma-
dans le cadre d’une recherche que je tion ou facultés est, en partie, fonction
mène à l’Observatoire Jeunes et Société du rendement relatif de ces derniers en
(VULTUR, 2005), les compétences co- matière de salaires anticipés et de
gnitives (principalement le niveau d’é- débouchés dans les secteurs profes-
ducation) ont connu une augmentation sionnels correspondants. Dans ces
forte au cours des dernières décennies, conditions, un effet d’attraction se
dépassant le rythme de croissance des manifeste pour certaines filières
compétences interactives qui sont, d’enseignement lorsqu’un déficit ap-
elles, de plus en plus demandées par le paraît dans divers secteurs profession-
système économique. D’autre part, les nels. Une fois le déficit comblé, l’effet
relèvements de la demande de qualifi- d’appel continue en raison du retard de
cation par les entreprises sont dus à un la perception de la situation par les je-
effet de l’offre de diplômes. On assiste unes générations, ce qui conduit à une
90
Jeunes et engagés

situation de surproduction relative des


diplômés dans les domaines respectifs.
La suréducation est également le
produit des comportements individuels
des jeunes placés dans un système so-
cial d’interdépendance. Sur ce plan,

Photo : Jacques Nadeau


pour un jeune, la suréducation peut être
une situation temporaire, résultat de la
conjoncture économique (insuffisance
globale de la demande de force de tra-
vail) ou d’une information imparfaite
sur le marché du travail susceptible d’a- Xxx
justement dans le temps. Ainsi, dans
des périodes de rareté relative des em- pas le cas de tous les jeunes. Les don-
plois, les jeunes sont susceptibles d’ac- nées présentés dans le tableau 1 mon-
cepter plus fréquemment des emplois trent qu’une proportion non négli-
sous leur qualification, faute de trouver geable d’entre eux restent suréduqués
des emplois adaptés à leur formation. même cinq ans après être sortis avec un
Dans ce cas, la croissance économique diplôme du système d’enseignement.
soutenue peut être le meilleur remède à La suréducation peut être, dans leur
la suréducation. Dans une perspective cas, un état permanent. Ces jeunes
basée sur la théorie du capital humain, seront ainsi moins bien payés que leurs
la suréducation peut résulter aussi d’un pairs présentant le même niveau de for-
choix délibéré, dans la mesure où l’em- mation et ayant trouvé un emploi cor-
ploi de bas niveau offre une bonne oc- respondant à leurs compétences. Les
casion d’investissement. Étant donné recherches indiquent que plus un jeune
l’importance de la formation sur le tas est suréduqué, plus ses revenus sont
(learning by doing) comme indicateur de faibles, le salaire diminuant d’environ
compétence ainsi que de l’expérience 12 % pour chaque augmentation de
comme critère de sélection de la main- valeur du niveau de suréducation. Les
d’œuvre, certains jeunes acceptent con- jeunes suréduqués ont également une
sciemment un emploi sous leur qualifi- position économique relative plus
cation certifiée afin de pouvoir basse que leurs prédécesseurs des
accumuler de l’expérience profession- générations antérieures, des attentes
nelle et bonifier ainsi leur formation ini- relatives au travail inaccomplies (en
tiale. La suréducation peut ainsi offrir matière de salaire, par exemple) et leurs
aux jeunes des avantages futurs en rai- compétences éducationnelles ne sont
son de l’expérience acquise en cours utilisées que partiellement. Ces situa-
d’emploi et leur permettre de progresser tions peuvent entraîner des effets né-
vers des postes de niveau supérieur. gatifs sur les plans des attitudes par
On peut être ainsi porté à penser que rapport au travail (insatisfaction), du
la suréducation n’est qu’une situation comportement (absentéisme, manque
temporaire et un tremplin vers le bon d’implication), de la santé psychique ou
emploi. Cependant, cette situation n’est de la performance au travail.
91
Être jeune au Québec en 2005

Sur le plan social, en plus de cons- Cette tendance semble en effet s’ob-
tituer une forme de sous-utilisation de server dans la forte croissance relative
la main-d’œuvre potentielle et donc un des effectifs de deuxième cycle univer-
«gaspillage» des ressources investies, sitaire depuis les années 1990 et dans
la suréducation est l’indicateur d’un la multiplication des formations com-
processus plus large de dépréciation plémentaires que l’on se donne pour
des diplômes. La production accrue de devenir un candidat plus intéressant
titres scolaires et l’hétérogénéité des aux yeux de l’employeur.
filières au sein de chaque niveau de for-
mation a réduit la confiance que les dif- Conclusion
férents acteurs portent dans le système Dans son plan stratégique 2002-2003,
de certification scolaire. Chez les jeu- le ministère de l’Éducation du Québec
nes, le diplôme « générique » n’est plus a fixé pour tous les niveaux d’en-
perçu comme un passeport automa- seignement des cibles à atteindre d’ici
tique pour l’emploi, ce qui peut expli- 2010. Pour le secondaire, le taux d’ob-
quer les taux élevés de sortie sans tention des diplômes est fixé à 85 %
diplôme de l’enseignement secondaire (dans le cas des jeunes de moins de 20
et collégial (43,1 % au secondaire pro- ans), alors que le taux réalisé en 2001
fessionnel, 31,4 % au collégial préuni- était de 68,3 %. La cible se situe à 60 %
versitaire et 42,7 % au collégial tech- pour le collégial, à 30 % pour le bac-
nique, en 2001). Les jeunes semblent calauréat et à 1,3% pour le doctorat.
rechercher de nouvelles « cartes » de Sans aucun doute, ces objectifs se
signalisation des compétences autres trouvent en adéquation les ressources
que le diplôme. Les effets de l’expéri- investies (le Québec dépense 7,6 % du
ence viennent, par exemple, concur- PIB en éducation), avec l’impératif
rencer de plus en plus les effets du d’un développement économique et
diplôme. Ainsi, beaucoup de jeunes social durable et avec le nécessaire ac-
Québécois sortis sans diplôme de l’en- croissement de la capacité de s’ajuster
seignement secondaire ou collégial, in- aux évolutions imprévues d’une
terrogés dans le cadre d’une recherche économie mondialisée. Il est toutefois
menée à l’Observatoire Jeunes et indispensable de veiller au développe-
Société (Gauthier, Hamel, Molgat, ment des emplois qui demandent de
Trottier et Vultur, 2004) estiment que le telles qualifications certifiées et d’as-
taux de rendement d’une année d’é- surer les conditions de l’insertion pro-
tudes supplémentaire est moindre que fessionnelle des diplômés, sans quoi
celui obtenu en travaillant et en acquer- la performance en matière de forma-
rant ainsi de l’expérience. Au pôle op- tion peut alimenter des phénomènes
posé, pour éviter les difficultés d’inser- indésirables comme la suréducation.
tion attribuables à un niveau de Une augmentation de la diplomation
diplôme jugé insuffisant, les jeunes sans égard aux conditions du marché
prolongent les études en espérant ainsi du travail conduit au gaspillage de
se démarquer sur le marché du travail, ressources intellectuelles et peut con-
ce qui en fin de compte, ne fait qu’ac- duire à une détérioration de la position
centuer le phénomène de dépréciation. des moins qualifiés dans le système
92
Jeunes et engagés

d’emploi, se traduisant par le phéno- s’il est vrai que «plus on éduque, mieux
mène du crowding out, c’est-à-dire que c’est», il importe cependant de voir com-
les moins diplômés seront conduits ment on forme et à quoi. Les jeunes ne
vers des franges inférieures du marché doivent pas seulement être bardés de
du travail. diplômes mais posséder également les
Ces constatations ne devraient compétences demandées par le marché
surtout pas nous conduire à penser qu’il de l’emploi qui leur permettent de s’é-
y a trop de diplômés au Québec. L’exis- panouir et d’entretenir un rapport «ex-
tence de la suréducation ne remet pas en pressif » avec le travail. L’expansion de
question les bénéfices du système d’éd- l’enseignement doit se poursuivre avec
ucation en général mais les bénéfices de une attention accrue portée à son con-
l’éducation à l’intérieur du marché du tenu afin d’éviter les deux risques clas-
travail. Il est sans conteste qu’elle génère siques diamétralement opposés : d’un
des externalités positives pour l’ensem- côté, celui de dépendre du monde des
ble de la société et nous devons éviter de entreprises et d’être façonnée par les exi-
la justifier exclusivement en raison de gences conjoncturelles du marché et, de
son effet sur la productivité de la main- l’autre, celui d’être orientée par des in-
d’œuvre. L’éducation est le moyen privi- erties internes qui l’éloignent des be-
légié pour enrichir la vie des jeunes et en soins socioéconomiques auxquels elle
faire de meilleurs citoyens. Néanmoins, doit répondre.

Références
Marc Frenette «Les employés surqualifiés? Les diplômés récents et les besoins de leurs em-
ployeurs», Revue trimestrielle de l’éducation, 2000, produit no. 81-003 au catalogue de Statistique
Canada, 7, 1 page 7-21.
Madeleine Gauthier, Jacques Hamel, Marc Molgat, Mircea Vultur, « L’insertion profession-
nelle et le rapport au travail des jeunes qui ont interrompu leurs études secondaires ou col-
légiales en 1996-1997. Étude rétrospective », 2004, rapport de recherche, Institut national
de la recherche scientifique, Québec.
Claude Montmarquette et Laure Thomas, « Surqualification et sous-qualification des tra-
vailleurs sur le marché du travail : le cas du Québec et de l’Ontario en 1991 et 1996 », 2003,
Rapport de projet, CIRANO, Montréal.
Mircea Vultur, « Le rôle du diplôme et des filières de formation dans l’insertion profes-
sionnelle des jeunes. Critères d’évaluation des compétences et nouvelles formes de qua-
lification », projet de recherche CRSH, (en cours), 2005, Institut national de la recherche
scientifique, Québec.

Pour une analyse du rapport entre diplôme et marché du travail en général et de la suréducation en particulier,
voir : Mircea Vultur (avec la collaboration de Mélanie Gagnon), «Diplôme et marché du travail. La dynamique
de l’éducation et le déclassement au Québec», Recherches sociographiques (à paraître).

93
L’Institut du Nouveau Monde

L’Institut du Nouveau Monde


L’Institut du Nouveau Monde est né le 22 et à l’animation des débats publics au
avril 2004. À l’été 2005, il compte quelque Québec. L’INM veut inspirer l’émergence
800 membres, de toutes les régions du de solutions novatrices aux problèmes du
Québec et de toutes les générations. Québec contemporain dans un contexte de
En août 2004, il accueillait à Montréal mondialisation marqué par l’incertitude et
400 jeunes pour la première édition de son le changement.
École d’été. L’Université du Nouveau Retrouver le goût de l’avenir, relancer
Monde a donné lieu à la publication de 50 l’imaginaire, aider les décideurs à décider
propositions pour le Québec de demain. mieux, dessiner les contours du Québec
L’École d’été de l’INM devient en 2005 un dans lequel nous voulons vivre demain,
événement annuel. La deuxième édition a déterminer ce qui doit être fait pour
lieu du 18 au 21 août. répondre aux aspirations d’une société
Afin de poser un diagnostic sur le progressiste, juste, démocratique et plu-
Québec d’aujourd’hui et de faire émerger raliste : voilà l’essence de la mission de
les idées nouvelles dans le cadre d’un dia- L’INM.
logue entre citoyens et experts, l’INM or- L’INM croit que le renouvellement des
ganise une série de rendez-vous stra- idées passe par la participation des
tégiques. Le premier portait sur la santé. citoyens. Par ses actions, l’INM encou-
Le suivant portera sur l’économie. Cinq rage la participation des citoyens, con-
Rendez-vous sont déjà prévus entre 2005 tribue au développement des compé-
et 2007. Les autres permettront d’aborder tences civiques, au renforcement du lien
l’éducation et la culture, le territoire et la social et à la valorisation des institutions
population, l’État et le citoyen. démocratiques, de manière à susciter et à
L’INM publie, en collaboration avec les nourrir l’intérêt des citoyens et citoyennes
Éditions Fides, L’annuaire du Québec, ouvrage pour la chose publique, le bien commun.
de référence annuel sur le Québec con- L’INM œuvre dans une perspective de
temporain, et une nouvelle collection de justice sociale, dans le respect des valeurs
Suppléments thématiques de L’annuaire du démocratiques, et dans un esprit d’ou-
Québec. verture et d’innovation. L’INM adopte le
L’INM anime, en collaboration avec la Québec comme territoire de référence.
firme Conceptis Technologies, un site Toutefois, il cultive une approche compa-
Internet (www.inm.qc.ca). Ses membres rative, tenant compte des liens anciens
sont regroupés en Cercles régionaux qui du Québec avec l’Europe, de son appar-
organisent des débats et des conférences tenance à la francophonie, et du nouveau
sur une base locale dans diverses régions contexte continental dans lequel il évolue,
du Québec. L’INM compte sur la contribu- incluant son insertion dans l’espace
tion de plus de 200 bénévoles. Président du canadien.
CA : Conrad Sauvé. Directeur général :
Michel Venne. Pour information ou devenir membre:
L’INM est un institut indépendant, non www.inm.qc.ca
partisan, voué au renouvellement des idées (514) 934-5999
94
FORMULAIRE D’ADHÉSION À L’INSTITUT DU NOUVEAU MONDE
RENSEIGNEMENTS PERSONNELS
❑ Monsieur ❑ Madame
Prénom : Nom :
Société :
Adresse postale :
Ville : Province : Code postal :
Région :
Téléphone : ( ) Courriel :

À des fins statistiques seulement :


Occupation : Année de naissance :

CHAMPS D’INTÉRÊT ET PARTICIPATION (facultatif)


❑ Oui, j’ai du temps à donner à l’INM :
❑ À titre de personne-ressource, conférencier-ère, animateur-rice
❑ Au sein des comités de l’Institut : ❑ Au sein de mon collectif régional ❑ Tâches administratives
❑ Autre (spécifiez) :
Mes champs d’intérêt sont :

TYPE D’ADHÉSION
Les membres reçoivent la Lettre d’information mensuelle de l’INM et jouissent de privilèges (primeur, tarif réduit...) à l’occasion
des activités ou sur les publications de l’Institut. Seuls les membres peuvent participer aux comités de l’INM. Seuls les membres
individuels ont droit de vote à l’assemblée générale et sont éligibles au conseil d’administration.
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de l’année de votre choix: 2005 ou 2006. La cotisation est valable pour un an après la date d’émission de la carte de membre.
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comme un organisme de bienfaisance. En retour du paiement de votre cotisation de 125 $ vous recevez un reçu aux fins
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Téléphone : (514) 934-5999 • Télécopieur : (514) 934-6330 • www.inm.qc.ca

Déjà paru dans la collection des suppléments de L’Annuaire du Québec
100 idées citoyennes pour un Québec en santé
Jeunes { Une école de
citoyenneté aux
{ La grève étudiante
de l’hiver 2005 :
{ 50 idées
pour le Québec
et engagés airs de festival la fin du lyrisme de demain

Désengagés, les jeunes ?

Jeunes
{ Ils étaient 400, de toutes les régions du Québec, à l’Université
du Nouveau Monde, École d’été pour jeunes citoyens mise sur pied
par l’Institut du Nouveau Monde, en août 2004.

Jeunes
Fahmy et Antoine Robitaille
et engagés
{ Ils ont bouleversé l’ordre du jour politique à l’hiver 2005,
en déclenchant un mouvement de grève étudiante sans précédent.
{ Altermondialistes, ils militent autrement.
{ Les X, une mouvance politique ?
Dans cet ouvrage :
et engagés

JEUNES ET ENGAGÉS
{ Le récit de la première École d’été de l’Institut du Nouveau Monde.

Sous la direction de Miriam


{ Les 50 propositions des jeunes pour le Québec de demain. Sous la direction de
Miriam Fahmy
{ Des extraits des conférences de Riccardo Petrella, Jacques Attali, et Antoine Robitaille
Roméo Dallaire, Amir Khadir, Michaëlle Jean, Pascale Navarro,
Pierre Fortin, Omar Aktouf, Nancy Neamtan et plusieurs autres.
{ Des textes de Pier-André Bouchard St-Amant, Stéphane Kelly,
Laure Waridel, François Rebello, Raphaël Artaud-McNeill,
Marie-Ève Homier, Madeleine Gauthier, Milcea Vultur, Gilles Pronovost,
Pierre-Luc Gravel et Jean-Philippe Perreault.
Supplément de
En collaboration avec
L’annuaire
L’Observatoire Jeunes et Société. du
ISBN 2-7621-2679-7
Quebec
Une collection dirigée par Une collection dirigée par
9,95 $ • 9 e Michel Venne Michel Venne

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