Vous êtes sur la page 1sur 364

Université des Antilles et de la Guyane

Faculté des lettres et sciences humaines


Ecole doctorale pluridisciplinaire
Thèse pour le doctorat en sciences de l’éducation

Jacques GOTIN

Education thérapeutique du patient asthmatique bilingue


français-créole en Guadeloupe

Quels outils, quel impact ?

Sous la direction de Madame la Professeure Dominique GROUX


et de Madame la Professeure Chantal RAHERISON-SEMJEN

Soutenue le 27 février 2015 à l’Université des Antilles et de la Guyane

Jury :

Madame Dominique Groux, Professeure émérite, Université des Antilles et de la Guyane,


directrice de la thèse.
Madame Chantal Raherison-Semjen, Professeure, Université Bordeaux Segalen, co-
directrice de la thèse.
Monsieur Gabriel Langouet, Professeur émérite, Université Paris-Descartes, pré-
rapporteur.
Monsieur Roger Somé, Professeur, Université de Strasbourg, pré-rapporteur.
Monsieur Frédéric Anciaux, Maître de conférences habilité à diriger des recherches,
Université des Antilles et de la Guyane.

1
SOMMAIRE

Remerciements................................................................................................4
Résumé............................................................................................................6
Introduction générale ...................................................................................10
PREMIERE PARTIE – PRESENTATION DU CONTEXTE DE
L’EDUCATION THERAPEUTIQUE DU PATIENT ET DE L’ASTHME
BRONCHIQUE…………………………………………………………….25
1 Présentation du contexte............................................................................27
1.1 De la situation géographique de la Guadeloupe ....................................... 29
1.2 De la démographie et des activités en Guadeloupe .................................. 30
1.3 Du contexte climatique ............................................................................. 31
1.4 Du contexte sanitaire ................................................................................. 33
1.5 Du contexte historique .............................................................................. 34
1.6 Précarité et accès aux soins en Guadeloupe .............................................. 39
1.7 Genèse des registres médico-discursifs..................................................... 42
2 Présentation de l’éducation thérapeutique du patient (ETP).....................47
2.1 Définition .................................................................................................. 46
2.2 Niveau de preuve....................................................................................... 47
2.3 Les effets des recommandations de l’OMS de 1998 en France................ 50
2.4 Une priorité de santé publique fondée sur une base législative forte ....... 67
2.5 Les fondements conceptuels de l’ETP ...................................................... 71
2.6 Intérêt de l’éducation thérapeutique dans la prise en charge des maladies
chroniques en général et de l’asthme en particulier ........................................ 77
2.7 Principes et finalités de l’ETP ................................................................... 86
2.8 Les modèles psychosociaux les plus couramment utilisés en ETP .......... 88
2.9 L’éducation thérapeutique dans l’asthme en Guadeloupe ...................... 100
3 L'asthme en Guadeloupe, en France hexagonale et dans le monde.........124
3.1 La maladie asthmatique dans les racines guadeloupéennes .................... 126
3.2 Psychologie de l’asthme d’une manière générale ................................... 129
3.3 Définition de l’asthme bronchique selon l’OMS .................................... 131
3.4 Les chiffres de l’asthme en Guadeloupe ................................................. 133
3.5 L’étude des facteurs de risque de la maladie asthmatique chez les enfants
de 10/11 ans en Guadeloupe (ISAAC II) ...................................................... 138
3.6 La prévalence de l’asthme en France et dans le monde .......................... 142
DEUXIEME PARTIE-RECHERCHE……………………………………159
4 Qu’en est-il de cette société cadre de notre expérimentation ?................160
4.1 Du point de vue socio-anthropologique .................................................. 163
4.2 Du point de vue sociolinguistique ........................................................... 178
5 La question de recherche.........................................................................200
5.1 Hypothèse ................................................................................................ 203
5.2 Introduction ............................................................................................. 204
2
5.3 Population et échantillon ......................................................................... 206
5.4 Méthode................................................................................................... 206
5.5 Résultats de l’enquête ............................................................................. 208
5.6 Discussion ............................................................................................... 219
5.7 Conclusion............................................................................................... 221
6 Présentation de la deuxième étude...........................................................220
6.1 La compréhension ................................................................................... 228
6.2 Population, matériels et méthodes .......................................................... 233
6.3 Cadre conceptuel de la recherche............................................................ 236
6.4 Finalités d’une éducation séquentielle objective (ESO) ......................... 250
6.5 Exposé du déroulement de la séance du groupe français dans son cadre
conceptuel, d’« action située » ...................................................................... 251
6.6 Déroulement de la séance du groupe créole ........................................... 263
6.7 Résultats .................................................................................................. 282
6.8 Discussion ............................................................................................... 289
6.9 Conclusion............................................................................................... 291
TROISIEME PARTIE -PROPOSITIONS ………………………………...292
7 Approche didactico-médico-éducative adaptée en contexte bilingue......293
7.1 Le créole comme facilitateur de la compréhension et de la communication
en éducation du patient en Guadeloupe ........................................................ 296
7.2 Appellation, description et interprétation de lopwésion et approche
méthodologique contextualisée ..................................................................... 300
7.3 La stratégie .............................................................................................. 306
7.4 La formation des acteurs ......................................................................... 310
7.5 Les niveaux de compétences en ETP ...................................................... 316
Conclusion générale……………………………………………………......316
Table des matières………………………………………………………… 325
Bibliographie……………………………………………………………….331
Liste des tableaux et figures…………….……………………………….... 346

3
Remerciements

Je remercie tout particulièrement Madame la Professeure Dominique GROUX, pour sa


patience et son engagement à mes côtés. Elle a, sans aucune hésitation, accepté de diriger
ce travail et elle a su à chaque fois me conseiller avec tact et patience. Merci, Mme
Groux !

Un grand merci à Madame la Professeure Chantal RAHERISON-SEMJEN, pour ses


encouragements dans les moments de grandes interrogations, pour son accompagnement
et son expertise.

Je remercie les membres du jury :

- Monsieur le Docteur habilité ANCIAUX Frédéric qui a tout de suite adhéré à mon
projet,
- Monsieur le Professeur LANGOUËT Gabriel et Monsieur le Professeur SOME Roger,
pour leur expertise.

Je remercie également :

- Madame la Docteure CORDEAU Lucie, pour son accompagnement indéfectible et ses


conseils avisés du début à la fin ; merci à toi, Lucie !

- Madame BIRMAN Jacqueline, Professeure de français, langues et cultures régionales,


qui a accepté sans hésiter de prendre en charge la traduction des textes en créole.

Mes remerciements vont aussi au collège ISSAP de Sainte-Anne, à Madame la principale,


l’infirmière scolaire, l’assistante sociale, pour leur implication dans ce projet, et à
l’équipe pédagogique qui, sans difficultés, a toléré les petits retards des élèves revenant
des séances d’ETP.

Mes profonds remerciements :

- A l’équipe de l’école de l’asthme de Guadeloupe, pour son dévouement, la coordinatrice


du « Réseau Asthme » de Guadeloupe, les infirmières éducatrices, la secrétaire, les
psychologues.

- A l’URPSML, pour son concours à l’organisation de l’enquête et à la diffusion des


questionnaires auprès des médecins libéraux de Guadeloupe.

4
- A ma famille, pour sa complicité et son indéfectible soutien. Elle a su me supporter dans
les moments de doute où je n’étais pas toujours facile à vivre.

- A mes enfants, avec qui j’ai partagé mes idées, et qui m’ont encouragé à avancer même
si ce n’était pas leur domaine : Stew, Kéké, Jacky, Karl.

- A mon vieux père qui est parti trop tôt pour vivre ce moment mémorable avec moi, mais
qui, je l’espère, de là où il est, est fier de ce qu’il m’a inculqué : la persévérance et
l’excellence ; merci, Papa.

- A mes amis, Ary, Max, Brada, Danny et les autres, qui se demandaient ce que je
pouvais bien « mijoter » dans l’ombre.

- A tous ceux qui, de près ou de loin, ont contribué à l’aboutissement de cette grande
traversée ; un grand merci.

5
Auteur : Jacques Gotin

Année : 2014

Université des Antilles et de la Guyane

Langue : français

Titre : Education thérapeutique du patient asthmatique bilingue français-créole en


Guadeloupe, quels outils, quel impact ?

Résumé

Cette étude a pour missions essentielles de comprendre et d’expliquer comment le


passage d’une langue à une autre voire le mélange des deux codes langagiers qui se
côtoient au sein de la population de la Guadeloupe, département français d’outre-mer, le
français et le créole, peuvent, dans le cadre des échanges médicaux éducatifs, influencer
la compréhension des mécanismes de la maladie par le patient, son acceptation et sa
gestion.

La justification de cette étude tient du constat que la prévalence de cette maladie


chronique en Guadeloupe, l’asthme bronchique, est relativement importante, que la prise
en charge reste perfectible malgré les recommandations de bonnes pratiques édictées par
les sociétés savantes, et que certains patients ont du mal à comprendre les termes utilisés
en français par leur médecin lors de l’annonce du diagnostic, ainsi que par les éducateurs
chargés de leur apporter les outils de bonne gestion de cette maladie, ce qui n’est pas sans
incidents en termes de morbidité et de mortalité.

L’auteur décompose sa recherche autour de cinq grands thèmes :

- La description du territoire d’étude, sur le plan géographico-climatique, historico-


économique, sanitaire et social, la naissance d’une ère culturelle nouvelle générant une
langue partagée par plus de 95% de la population et transmise au sein des familles et dans
la communauté.

- La présentation de l’éducation thérapeutique, démarche considérée par la communauté


scientifique comme essentielle pour améliorer la prise en charge du patient et
l’autogestion de la maladie, les plans gouvernementaux successifs traitant de cette
matière.

6
- L’état des connaissances sur l’asthme bronchique en France, dans le monde et en
Guadeloupe plus particulièrement.

- L’impact de la langue créole dans le processus de compréhension de la maladie à travers


la relation soignant-soigné, et ses conséquences chez les natifs bilingues en termes
d’acquisitions des outils d’autogestion en comparaison à l’utilisation du français.

- La formulation de propositions de contextualisation didactique, tant en termes de


formation des professionnels de santé par la préconisation de l’utilisation de la langue
créole, par l’adaptation des outils psychopédagogiques au contexte local, que
d’encouragement du patient à utiliser sa langue maternelle dans l’expression de ses
ressentis.

La recherche montre que la langue créole, utilisée autant au cours de la consultation par le
médecin traitant et par le malade que pendant les séances d’éducation thérapeutique par
les éducateurs et le public, influence les indicateurs de gestion de cette maladie.

En conclusion, l’auteur défend l’hypothèse selon laquelle l’utilisation de la langue créole


dans les échanges médicaux éducatifs chez les adolescents asthmatiques bilingues
français-créole favoriserait la compréhension des mécanismes de la maladie asthmatique,
la prise de conscience de sa gravité et la nécessité de se soigner pour éviter les
complications, corollaire d’une bonne qualité de vie.

Mots clés :

Education thérapeutique du patient (ETP), bilinguisme français-créole, asthme,


adolescents Guadeloupe.

7
Year: 2014

Université des Antilles et de la Guyane

Language: French

Title: Therapeutic Patient Education of the asthmatic bilingual French-Creole patients in


Guadeloupe, what tools, what impact?

Abstract

In Guadeloupe, a French Overseas Territory, the population uses French and Creole
linguistic codes. The main goals of this thesis are to understand and to explain how a
better use of French and Creole, within the framework of educational medical exchanges,
can improve the understanding of the mechanisms of the disease by the patient, its
acceptance and its management.

The bronchial asthma is a chronic disease, which affects an important part of the
Guadeloupian population. In spite of the recommendations promulgated by the medical
scholars, the care of the patients can be improved in Guadeloupe. Certain patients have
difficulty understanding the terms used in French by their doctor during the
announcement of the diagnosis, as well as by the educators in charge of bringing them the
tools of good management of this disease what is not without incidents in terms of
morbidity and mortality.

The author elaborates his research around five main themes:

- The thorough description of the space studied in this thesis; the geography of the land,
the history of the population, the impact of the economic; the presentation of the social
and health care infrastructures; and furthermore the birth of a new cultural era generating
a language shared by more than 95 % of the population and passed on within families and
communities.

- The presentation of the therapeutic education, the approach considered by the scientific
community as essential to improve the management of the patient and the self-
management of the disease, the successive governmental plans dealing with this subject.

- The state of the knowledge on the bronchial asthma in France, in the world and in
Guadeloupe more particularly.

8
- The impact of the Creole language in the process of understanding of the disease within
the healthcare relationships and its consequences at the bilingual natives in terms of
acquisitions of the tools of self-management in comparison to the use of French.

- The formulation of proposals of didactic contextualization regarding the training of the


healthcare professionals; the recommendation to the healthcare workers to use the Creole
language; the adaptation of the psycho-pedagogical tools to the local context; the
encouragement to the patients to use their native language in the expression of their
feelings.

- Researches show that the Creole language used during the consultation by the regular
doctor, but also during the educational sessions therapeutics by the educators influence
the indicators of management of this disease.

In conclusion, the author defends the hypothesis according to which, the use of the
Creole language in the educational medical exchanges at the bilingual asthmatic
teenagers French-Creole would favor the understanding of the mechanisms of the
asthmatic disease, the awareness of its gravity and the necessity of looking after oneself
to avoid the complications, corollary of a good quality of life.

Keywords:

Therapeutic patient education, bilingual French-Creole, asthma, teens Guadeloupe.

9
INTRODUCTION GENERALE

10
INTRODUCTION GENERALE

« L’Homme de nos pays est douloureusement écartelé entre deux


civilisations, nous utilisons un instrument, la langue véhiculaire, qui ne
correspond pas parfaitement à ce que nous sommes. » (Glissant. E, Le discours
antillais, Gallimard, Paris, 1997, p. 563).

En Guadeloupe, le créole est la langue vernaculaire, autrement dit la langue parlée à


l’intérieur de la communauté antillaise. C’est la langue culturelle et dominée du peuple,
symbole de l’identité et partenaire des conversations privées et/ou familières. Le français
est la langue officielle, celle des situations formelles et de l’enseignement ; les
professionnels de santé de Guadeloupe sont formés en langue française. Il est ainsi
difficile pour l’éducateur de faire usage du créole dans une situation professionnelle où il
doit faire appel à son savoir scientifique appris en français, même quand il est lui-même
issu du milieu créolophone (Anciaux, 2003)1.

En 1996, dans son ouvrage L’enseignement précoce des langues. Des enjeux à la
pratique, Dominique Groux affirme la nécessité de valoriser le bilinguisme au sein du
monde éducatif. Elle recommande la mise en place d’une véritable politique éducative
s’appuyant sur le développement des compétences multilingues chez tous les enfants.
Elle défend les avantages du bilinguisme, voire du multilinguisme, en rappelant leurs
bienfaits dans le développement linguistique, cognitif et neuropsychologique de l’enfant.
Dominique Groux étend son argumentaire aux enfants issus de l’immigration. Elle
démontre l’importance d’associer la langue maternelle des enfants de migrants afin
d’éviter les conflits linguistiques entre la langue scolaire et la langue maternelle, celle de
l’affect. Cette éducation bilingue permettrait, écrit l’auteure, de réconcilier l’enfant avec
sa culture d’origine et de l’aider à vivre en harmonie avec les deux cultures. Il est
nécessaire, ajoute-t-elle, de souligner « l’imbrication » entre les symboles de la culture du
sujet et les signes de sa langue. « La langue étant un des vecteurs essentiels de la
culture. »2

1
Cet état de fait s’est vérifié chez les professionnels de santé également, aussi bien en cabinet qu’au cours
de séances d’éducation thérapeutique. F. Anciaux, L’enfant, le créole et l’EPS aux Antilles françaises, une
approche pluridisciplinaire du bilinguisme dans les apprentissages moteurs, thèse de doctorat non publiée,
Université des Antilles et de la Guyane, 2003.
2
Groux. D, L’enseignement précoce des langues. Des enjeux à la pratique (Préf. L. Porcher). Lyon :
Chronique Sociale. 1996 – 218 p.

11
Cette coexistence, dans une même communauté, de deux codes linguistiques dont les
statuts sont inégaux, comme c’est le cas à La Réunion, à la Martinique et en Guadeloupe,
se traduit par une situation de diglossie (Ferguson, 1959 ; Hazaël-Massieux, 1978 ; de
Villanova et Vermes, 2005 ; Confiant, 2007 ; Thibault, 2011, 2012), même si la définition
donnée par Ferguson ne s’applique plus véritablement en Guadeloupe (le créole a une
place officielle à l’école en tant que langue vivante régionale [LVR] et son emploi
apparaît aussi dans des situations formelles).

Dans ce contexte spécifique, les Guadeloupéens se construisent des comportements


langagiers et moteurs, des attitudes et des représentations mentales en corrélation avec le
français d’une part et le créole d’autre part. La bilingualité décrite par Hamers et Blanc,
(1983) est de type amalgamé à 7/8 ans (Dorville, 1994), conduisant à un mélange des
deux langues, aussi appelé « interlecte » (Prudent, 1981) 3 , dans l’expression verbale
mettant en œuvre « des stratégies mixtes de mélanges et de superposition du créole et du
français » (Romani, 1994, 1990).

Elle tend vers un bilinguisme coordonné à l’adolescence, permettant l’organisation d’un


système de la réalité et de l’information propre à chacune des langues (Massina et coll,
2000). Ainsi, la majorité des adolescents guadeloupéens sont bilingues, français/créole.
Toutefois, l’origine sociale (Bébel-Gisler, 1985), le genre (Labelle-Robillard, 1972 ;
Fauquenoy St-Jacques, 1988), l’âge (March, 1996 ; Romani, 1994) et l’environnement
rural et urbain sont autant de variables pouvant expliquer la disparité relevée dans la
pratique courante du créole en Guadeloupe.

En effet, les enfants issus de milieux sociaux défavorisés, les garçons, les adolescents et
les gens de la campagne en particulier, reçoivent et émettent plus de créole que les
individus de milieux favorisés, les filles, les jeunes enfants et les citadins (Anciaux, Alin,
Leher et Mondor, 2002). Malgré leur compétence bilingue, la réussite scolaire des jeunes
Guadeloupéens dépend essentiellement de leurs connaissances de la langue française.
L’occultation de ces spécificités, dans le système scolaire aux Antilles, a suscité de
nombreux travaux (Fauquenoy-St-Jacques, 1988 ; Antoine, 1998 ; Chaudenson, 1989).

3
Bernabé (1981) et Prudent (1981) s’accordent pour admettre qu’il est impossible d’élaborer une
grammaire de forme interlectale. Comme le concept de continuum linguistique, cher à Bernabé, a permis de
dépasser celui de diglossie en prenant en compte l’existence de sous-variétés linguistiques intermédiaires,
la théorie de l’intellect semble proposer un modèle d’analyse moins « figé » que celui du continuum.
Souprayen-Cavery L., L’interlecte réunionnais, L'Harmattan, déc. 2010, « Approche sociolinguistique des
pratiques et des représentations », p. 43.

12
Des études du type psycholinguistique ont analysé les effets et la fonction de la langue
vernaculaire dans le processus d’enseignement (Romani, 1994, 1997).

Elles ont mis en évidence les effets positifs d’un enseignement en créole sur les
performances scolaires d’enfants antillais (Durizot-Jno-Baptiste, 1991, 1996). Dans le
domaine de l’inhibition verbale, Chevry-Ezelin (1999) a démontré que l’apprentissage du
créole pouvait constituer un moyen performant pour résoudre des troubles langagiers. Le
recours au créole semble constituer une aide à la clarification des consignes (Vasseur,
1997), à la communication (Fauquenoy-St-Jacques, 1998), à la participation des élèves
(Giraud, Gani et Manesse, 1992), à la mise en pratique des connaissances apprises
(Gauvin, 1977), et engendre des apprentissages du type cognitif plus rapides et plus
performants (Giraud, Gani et Manesse, 1992). Mais, nous n’avons recensé à ce jour
aucune étude portant sur les processus psychologiques mis en œuvre dans l’éducation
thérapeutique en contexte bilingue en général, et dans l’apprentissage des gestes et
techniques nécessaires à la bonne maîtrise des traitements inhalés dans l’asthme
bronchique chez les patients bilingues français/créole en particulier.

D’autres études ont montré que le créole pouvait instaurer un climat de confiance,
participer à la compréhension et faciliter l’expression (Alin, 2000). Les travaux
développés par le Centre de recherche et de ressources en éducation et formation
(CRREF-EA 4538) de l’université des Antilles et de la Guyane sur l’alternance codique
(Anciaux et Delcroix, 2013, p. 9-19)4 dans un contexte d’éducation physique et sportive,
ouvrent des pistes de didactisation de l’alternance codique à destination de
l’enseignement et de la formation en contexte bilingue. Face à l’imposition des systèmes
de soins et de prise en charge de la santé, la diversité des situations objectives et
subjectives, des phénomènes de résistance se développent à l’échelon local et interpellent
les thérapeutes et les cliniciens (Douville, 2000)5.

Un individu peut se représenter des informations verbales sous une forme imagée (Denis,
1989 ; Paivio, 1986). Une expérience, conduite auprès de quatre-vingts enfants bilingues
guadeloupéens créole/français, a consisté à mesurer l’influence de la langue sur

4
A. Delcroix, T. Forissier et F. Anciaux, Vers un cadre d'analyse opérationnelle des phénomènes de
contextualisation didactique, L'Harmattan, collection « Cognition et Formation », Paris, 2013, p. 9-19.
5
O. Douville, « Notes sur quelques apports de l’anthropologie dans le champ de la clinique interculturelle »,
Evol. Psychiat., 2000, Elsevier SAS. Olivier Douville, « Pour une anthropologie clinique contemporaine »,
Revue du MAUSS permanente, site visité le 19 janvier 2012, en ligne :
http://www.journaldumauss.net/./Pour une anthropologie clinique.

13
l’exécution d’une activité motrice (Anciaux, 2003). Les résultats ont montré, d’une part,
que les mots créoles possédaient une valeur d’imagerie mentale supérieure à celle des
mots français et, d’autre part, que la langue influençait la capacité d’imagerie mentale des
sujets en fonction de l’âge (Anciaux et al., 2002). C’est ainsi que notre présent travail de
recherche s’inscrit dans la continuité de ces précédents travaux dans la mesure où les
patients asthmatiques apprennent, au cours des séances d’éducation thérapeutique du
patient (ETP), à exécuter des gestes et techniques pour la prise de leur traitement inhalé,
et que la reproduction de ces gestes et techniques nécessite la production d’images
mentales de ces gestes et techniques. D’où notre double question de recherche : l’usage
de la langue créole peut-il influencer positivement cette capacité à reproduire des images
mentales et des gestes chez des patients bilingues français-créole dans le domaine
médico-éducatif ? De même, l’autogestion de la thérapeutique en fonction des
symptômes, en cas d’exacerbation de son asthme, nécessite de la part du patient
asthmatique une visualisation mentale des différents mécanismes en cause, à savoir
l’épaississement de la paroi bronchique, réduisant sa lumière et rendant difficile le
passage de l’air, l’hypersécrétion et la bronchoconstriction. La présentation et les
commentaires de ces différents mécanismes, en langue créole, aux patients bilingues au
cours des séances d’ETP, peuvent-ils permettre une meilleure compréhension des
phénomènes, une meilleure adaptation des comportements et de la pression thérapeutique
aux ressentis du moment ?

Avant d’aller plus loin dans notre objet d’étude, nous tenons à lever toute ambiguïté sur
nos intentions, qui ne sont aucunement de remettre en cause les référentiels conceptuels
reconnus par nos pairs en ETP, que ce soit sur le plan méthodologique, pédagogique ou
même philosophique, mais bien de susciter la réflexion sur une éventuelle utilisation des
deux langues en présence, en contexte éducatif et thérapeutique auprès d’un public
bilingue, sur un possible amendement méthodologique par la prise en compte des
particularités sociolinguistiques d’une société singulière, dans une quête d’efficience.
Notre objet de recherche n’est pas non plus une quelconque revendication identitaire ou
idéologique, mais bien l’exploration d’une vision novatrice possible de l’éducation
thérapeutique de patients en contexte bilingue. Cette société antillaise et créole, par la
prise en considération de ce moyen langagier largement usité, dans l’expression de
l’asthme bronchique, sera notre terrain d’exploration.

14
Nous limitons donc notre champ exploratoire aux échanges discursifs qui ont cours dans
la relation médico-éducative au sein de cette société singulière. Nous tentons, à travers ce
travail, de mesurer, d’une part, la fréquence de l’utilisation de la langue vernaculaire dans
le colloque singulier, notamment à l’annonce du diagnostic d’asthme par le médecin
traitant, son impact sur la compréhension de la maladie par le patient et l’adhésion de ce
dernier aux traitements ; et, d’autre part, l’apport de la langue créole en matière
d’acquisitions d’objectifs d’autogestion, quand elle est utilisée en éducation thérapeutique
du patient. Nous exposons ainsi notre approche méthodologique expérimentée à l’école
de l’asthme de Guadeloupe, basée sur le transfert d’images visuelles en images mentales
couplées aux ressentis du patient, visualisation/perception/appropriation se référant au
double codage (Paivio, 1986), mais également les aide-mémoire sous forme de
mnémotechniques qui sont remis aux patients asthmatiques ayant bénéficié de cette
éducation thérapeutique. Les différentes analyses figurant dans ce travail reposent, dans
un premier temps, sur une enquête réalisée auprès de professionnels de santé, médecins
libéraux, tentant d’appréhender la fréquence de l’utilisation de la langue créole au cours
de la consultation médicale, pour en comprendre les finalités et mesurer le poids dans
l’alternance codique qu’impose le colloque singulier, prenant en compte cette situation de
bilinguisme en Guadeloupe. Mais aussi, il s’agit d’étudier les acquisitions de deux
groupes d’adolescents asthmatiques et bilingues français-créole, ayant bénéficié d’une
éducation thérapeutique comparée, dont l’un a été éduqué en langue française et l’autre
en créole guadeloupéen. Cette expérimentation s’est déroulée au sein d’un collège de la
ville de Sainte-Anne en Guadeloupe, le collège ISSAP. Compte tenu du temps disponible
en intercours pour mener à bien notre expérience, cette approche s’attache exclusivement
à l’acquisition des éléments essentiels à une bonne compréhension de la maladie, des
traitements et des plans d’actions nécessaires à l’autogestion des situations d’urgence
rencontrées par les jeunes adolescents asthmatiques dans la gestion quotidienne de leur
asthme. Pourquoi notre choix s’est-il porté sur l’amélioration de la qualité de vie des
patients bilingues souffrant d’asthme bronchique ? Parce que, tout au long de notre
parcours professionnel, nous avons été confronté à la souffrance physique ainsi qu’aux
difficultés psychosociales que générait cette maladie aussi bien chez les adultes que chez
les enfants et adolescents : mal-être, échecs scolaires, mauvaises insertions sociales,
décès... Par ailleurs, nos différentes activités de soins nous ont conduit à nous interroger
sur le devenir de nos patients entre deux hospitalisations pour crise d’asthme. Que

15
devenaient ces personnes asthmatiques, une fois rentrées chez elles, après une phase
aiguë de la maladie ? Comment avaient-elles géré cette maladie au quotidien ? Mais
davantage encore, comment cette maladie avait-elle été annoncée au patient par le
médecin ? Dans quelle langue ? Vu que le plus souvent, ce public bilingue français/créole
maîtrise mal la langue française et le lexique médical ! Toutes ces interrogations nous ont
conduit à nous interroger sur les points suivants : comment améliorer la qualité de vie des
personnes bilingues souffrant d’asthme bronchique en Guadeloupe d’une manière
générale, et des adolescents en particulier, et ainsi diminuer la morbi-mortalité induite par
cette maladie ?

Cette problématique s’est imposée à nous de manière naturelle, puisque, thérapeute


depuis plus de trente années, nous avons eu l’occasion d’assister, impuissant, à l’issue
inéluctable de la maladie pour beaucoup de nos patients, de les accompagner en fin de
vie, conscient de l’impérieuse nécessité d’une amélioration de cette prise en charge, qui
devrait prendre en compte non plus seulement le malade, mais la personne dans toute sa
dimension bio-psycho-socioculturelle et sociolinguistique et qui, à un moment de sa vie,
a rencontré un problème de santé. Pourquoi les adolescents ? Notre choix s’est porté sur
les adolescents pour plusieurs raisons.

Parce que c’est un public réputé difficile, tant sur le plan de l’acceptation de la maladie
que sur celui de l’observance aux traitements. Du latin adulescens (« qui croît, qui
grandit »), l’adolescence est la période qui précède l’âge adulte (adultus, « celui qui a
cessé de grandir, de pousser » (Alvin & Marcelli, 2005) : l’adolescence est donc une
période de transition entre l’enfance et l’âge adulte qui se caractérise par des
transformations importantes, tant biopsychologiques que sociales et émotionnelles
(Couriel, 2003) 6 . Cependant, si les spécialistes reconnaissent que l’adolescence est
« l’expérience du changement », il n’existe pas de consensus universel sur la question. A
titre d’exemple, le terme de « teenagers », aux Etats-Unis, fait référence à des jeunes
gens âgés de 13 à 19 ans, alors que d’après l’Organisation mondiale de la santé (OMS), il
s’agit de sujets de 10 à 19 ans.

Ces variations démontrent que la définition ne peut se cantonner aux seuls critères de
l’âge sans tenir compte de la maturation pubertaire, car « certains facteurs

16
psychologiques apparaissent beaucoup plus liés aux développements pubertaires qu’à
l’âge chronologique »7.

La décomposition de l’adolescence en trois stades est proposée par Alvin et Marcelli


(2005) : « un début, un milieu, une fin ».

S’agissant du début, les filles de 10-12 ans sont concernées, et également les garçons de
11-13 ans. La métamorphose physique et sexuelle ainsi qu’une attention particulière à
l’image corporelle sont les phénomènes centraux de ce stade. Tout adolescent, aussi sain
soit-il, se pose cette question récurrente : « Suis-je normal ? » En lien avec le processus
de sexualisation, cette question est encore plus importante chez les adolescents atteints
d’une pathologie chronique, car elle reflète le conflit qui les habite : le désir d’être des
adolescents comme les autres malgré une maladie qui tente de les rendre « différents »8.

Le stade de la mi-adolescence se situe en moyenne à 13-16 ans pour les filles et 14-17 ans
pour les garçons. A ce stade, partagés entre maturité physique et maturité
psychoaffective, animés de sentiments contradictoires, les adolescents cherchent à
affirmer leur personnalité (place) et à assumer un rôle nouveau en tant que sujet à part
entière 9 . La prévention du tabagisme est essentielle chez le jeune adolescent, puisque
c’est souvent à cette période qu’il fume sa première cigarette. Tabagisme actif, tabagisme
passif, les deux sont nocifs. Les enfants exposés au tabagisme, même passif, ont souvent
un asthme plus sévère. A l’inverse, l’arrêt du tabac s’accompagne d’une nette
amélioration de l’asthme !

La loi Evin précise, pour les établissements scolaires, que les lieux fréquentés par les
élèves doivent être non fumeurs. Même les espaces aérés ! Un chef d’établissement ne
peut donc autoriser les élèves et les professeurs à fumer dans la cour de récréation.
Connaissant l’impact du tabagisme sur le contrôle de l’asthme et dans le souci de
sensibiliser aux effets du tabac, il convient pour nous d’aborder tous ces aspects en ETP.
Se soigner, c’est à la fois respecter des mesures d’hygiène et prendre son traitement de
fond. Or, les adolescents sont à la recherche de leur autonomie et n’aiment pas se

6
La prise en charge des adolescents souffrant d'asthme a été largement négligée, mais les adolescents
ont des besoins particuliers qui diffèrent de ceux des enfants ou des adultes souffrant d'asthme. J. Couriel,
Avis respiratoires pédiatriques, Elsevier. Paris, 2003, p. 84.
7
Alvin et Marcelli, Médecine de l’adolescent, 2e édition, Masson, 2005, p. 7.
8
Ibid.
9
Ibid., p. 9.

17
singulariser vis-à-vis de leur groupe. Le risque ? Un déni de leur maladie, avec une
tentative de dissimulation de la maladie, le refus de se soigner correctement. Ce déni se
traduit par un refus de la réalité, l’oubli de la maladie, l’opposition à la prise en charge.
Certains se sentent gênés d’utiliser en public leur aérosol-doseur. Par ailleurs, de
nombreux enfants asthmatiques jugent les inhalateurs difficiles à utiliser et la technique
d'inhalation est, dans certains cas, mal maîtrisée, ce qui justifie la nécessité de l’éducation
thérapeutique du patient. Ces difficultés peuvent compromettre l'observance au
traitement. Les adolescents mettent en place des stratégies de coping ! Le terme de coping
fait référence à l'ensemble des processus qu'un individu interpose entre lui et un
événement éprouvant, afin d'en maîtriser ou d’en diminuer l'impact sur son bien-être
physique et psychique. En effet, les individus ne subissent pas passivement les situations
difficiles qui s'imposent à eux, mais interviennent constamment pour établir des
conditions qui leur soient propices. Cette tentative de maîtrise poursuit deux buts
essentiels : éliminer ou réduire les conditions environnementales stressantes, mais aussi le
sentiment de détresse qu'elles induisent. L'étymologie du verbe anglais « to cope »
(affronter, faire face, venir à bout, s'en tirer, etc.) trouverait son origine dans le vieux
français : coup, couper, frapper ; et au-delà, dans le latin colpus, colaphus, et le grec
kolaphos : frapper de façon vive et répétitive, en particulier avec la main (Paulhan & al.,
1995). Cela souligne le caractère actif et conscient du processus, qu'il convient donc de
distinguer des mécanismes de défense. Le terme anglo-saxon coping strategy est traduit
dans la littérature scientifique française par « stratégie de faire face » ou « stratégie
d'ajustement ». Mais, il nous semble que le terme « faire face » ne correspond pas
parfaitement, car il souligne le caractère confrontatif du processus. Or, parmi les
stratégies de coping, il en existe qui consistent à éviter le problème. Le terme
« ajustement » ne nous semble pas convenir davantage, car il n'est pour nous qu'une
forme particulière de coping, dans la finalité même de son action directe sur la situation.
Nous nous attachons donc à conserver le terme de coping pour éviter toute connotation
non appropriée. Lazarus et Folkman (1984) définissent le coping comme « l'ensemble des
efforts cognitifs et comportementaux toujours changeants, que déploie l'individu pour
répondre à des demandes internes et/ou externes spécifiques, évaluées comme très fortes
et dépassant ses ressources adaptatives »10. Dans ces stratégies de coping, il y en a qui
consistent à tenter « d’oublier la maladie » ou de la « dissimuler », « de minimiser

10
Lazarus & al., Stress et les processus cognitifs, 1984, p. 141 ; p. 63.
18
l’importance», et de se placer dans une situation de déni. Etre dans le déni, c’est refuser
la réalité et tenter de s’en distancier, mais aussi s’opposer à la prise en charge. Les
adolescents asthmatiques parlent peu de leur maladie, par peur de la stigmatisation et de
l’embarras qui en résulteraient 11 . Certains estiment même que la maladie n’est pas
gênante 12 . Rysdström et al. (2005) ont montré qu’en agissant ainsi, les adolescents
asthmatiques prennent leurs distances par rapport à la maladie et essaient de se
convaincre que ce n’est pas une maladie grave, surtout lorsqu’ils craignent de ne pas être
en mesure de gérer une situation13. Cette tentative d’oublier la maladie peut également se
traduire par un manque d’intérêt pour l’éducation thérapeutique ; les auteurs rapportent
l’agacement de certains adolescents qui vont jusqu’à quitter la salle où se déroule
l’ETP14.

S’agissant de l’opposition systématique à la prise en charge constatée chez certains


adolescents en situation de déni de la maladie, ils adoptent des attitudes oppositionnelles,
ne respectent pas les rendez-vous de bilan ou les visites de contrôle et de suivi,
« fatigués », disent-ils, d’entendre toujours les mêmes choses de leur médecin. Cette
opposition à la prise en charge de l’asthme se manifeste également par un refus de
prendre la médication de fond et le recours tardif aux traitements de secours, ce qui
conduit à des prises de risque qui peuvent conduire au décès.

« La fin de l’adolescence survient théoriquement entre 17 et 21 ans après la


consolidation des dernières étapes de l’évolution physique. C’est à partir de ce moment
qu’ils acquièrent une identité d’adulte. Le développement psychosocial se poursuivra
encore plusieurs années. »15

La prévalence de l’asthme est particulièrement élevée dans cette sous-population en


Guadeloupe : 14,1% versus 12% en France hexagonale16. Nous avons été interpellé par le
taux d’asthmes graves pouvant entraîner le décès, révélé par cette étude : 3,5% versus

11
Rhee H., Wenzel J. et Steeves Rh., « Expériences psychosociales des adolescents vivant avec l'asthme :
une étude de discussion de groupe », Journal de soins de santé pédiatriques : publication officielle de
l'Association nationale de pédiatrie Infirmière Associés et pratiquants, 2007, 21 (2), 99-107, p. 104.
12
Velsor-Friedrich, Vlasses, Moberly & Coover, 2004, p. 143.
13
Rysdström & al., Asthma quality of life for Swedish children, 2005, pp. 391-392.
14
Alvin et Marcelli, Médecine de l’adolescent, 2e édition, Masson, 2005, pp. 212-213.
15
ISAAC 1, « Etude sur la prévalence de l’asthme chez les adolescents guadeloupéens », Association Karu
Asthme, 2002-2003.
16
Saout Ch., « Pour une politique d’éducation thérapeutique du patient », Rapport présenté au ministre de
la Santé, de la Jeunesse, des Sports et de la Vie associative, septembre 2008, p. 38.

19
2,8% en France hexagonale. Ces éléments particuliers nous ont motivé à rechercher une
alternative éducative inédite pour cette population.

Mener cette expérimentation au sein d’un établissement scolaire, en composant avec les
programmes et la disponibilité des élèves en interclasse, était pour nous un défi à relever.

Ce travail de recherche, que nous présentons à travers cette thèse, s’inscrit dans le
continuum de notre mémoire de recherche en master II en 2006, qui a pris en compte
l’aspect culturel du patient en éducation thérapeutique dans l’asthme, dans le cadre d’un
réseau de santé. Ce travail préliminaire, mené en master II, a mis en évidence la plus-
value apportée par la prise en compte de cet aspect culturel et linguistique dans les
processus d’apprentissage en ETP, en matière de résultats. Depuis l’avènement de la loi
« Hôpital Patients Santé et Territoire » (HPST), loi de santé publique dite loi Bachelot du
21 juillet 2009 et de son article 8417, l’éducation thérapeutique se conjugue au présent18.
Toutefois, nos recherches bibliographiques ne nous ont pas révélé de travaux traitant
d’éventuels effets de l’utilisation de la langue régionale en contexte bilingue, en général,
et du créole en éducation thérapeutique du patient en société bilingue créole/français, en
particulier, d’où notre objet d’étude. Comment parler de soi, de son corps, de son histoire
de vie en toute quiétude, autrement qu’en utilisant sa langue maternelle ? Comment
répondre aux questions d’un thérapeute, s’ouvrir, se livrer, dans une langue dans laquelle
on ne se sent pas parfaitement à l’aise, ou que l’on maîtrise peu ou pas ? S’agissant du
professionnel de santé lui-même, comment être attentif et décrypter les croyances et
représentations du patient, teintées souvent de métaphores, quand ce dernier explique sa
maladie et utilise des expressions créoles comme lopwésion (asthme), époufman
(essoufflement), lèstomak ka kryé (sifflements dans la poitrine), et répondre de façon
adéquate aux attentes des malades, quand on ne maîtrise pas soi-même ces aspects
culturels ou quand son choix langagier se cantonne à sa langue de formation, le français ?
Le devoir de décrire sa maladie dans une autre langue que sa langue maternelle peut-il
créer chez le patient une certaine insécurité, une certaine méfiance et des

17
Annexe n° I.
18
En matière d’éducation thérapeutique, le Code de la santé publique (CSP) précise qu’elle n’est pas
opposable au malade ; il peut donc tout à fait refuser cette prise en charge ou l’ignorer, d’où la nécessité
qu’il comprenne le bien-fondé de la démarche par une explication claire dans une langue qu’il maîtrise
parfaitement. Les compétences nécessaires pour dispenser l’éducation thérapeutique du patient sont
déterminées par décret. Les programmes d’éducation thérapeutique sont mis en œuvre au niveau local,
après autorisation des agences régionales de santé. Ils sont proposés au malade par le médecin prescripteur,

20
incompréhensions dans les échanges avec son thérapeute ? Le rapport de forces entre ces
deux langues peut-il engendrer, dans ce domaine particulier, un enchevêtrement des
codes et des incompréhensions de la part des parties ? Le croisement de ces deux modes
langagiers, ou codes linguistiques, peut-il être sans conséquence sur l’acceptation de la
maladie et du traitement par le patient ? Un désintérêt pour la maladie, étant souvent
relevé chez le patient asthmatique, serait-il la conséquence des incompréhensions nées de
cet état de fait ? De manière tout à fait ambivalente, le patient peut aussi se trouver
choqué par un médecin qui s’adresse à lui d’emblée en créole, démarche qu’il peut
qualifier de familière. D’où l’impérieuse nécessité d’adapter sa posture, au cas par cas.
Cette pathologie que nous avons décidé de traiter dans notre étude, à savoir l’asthme
bronchique, nécessite une approche multifactorielle.

Souvent lié à une sensibilité particulière à l’environnement « asthme allergique », il nous


apparaît nécessaire de nous attacher, en première partie, à situer notre travail dans son
contexte géographico-climatique. Nous passons en revue le contexte sanitaire de la
Guadeloupe et abordons, à travers le contexte historique, la douloureuse naissance de
cette société particulière, fruit du choc des civilisations, qu’est la société créole. Nous
traitons ensuite de la genèse des moyens discursifs en présence et de la notion de culture
dans ses interprétations. Nous explorons l’aspect économique et l’accès aux soins,
résultant de cette remontée sociale, depuis les premiers balbutiements de cette société
jusqu’à nos jours, pour tenter d’identifier les sujets les plus précaires. Ceux-ci
représentent notre cœur de cible dans ce travail de recherche, car c’est souvent chez eux
que l’on retrouve la plus grande prévalence, et c’est souvent eux qui nécessitent un
accompagnement éducatif visant l’amélioration de leur qualité de vie. Cette première
partie nous conduit à examiner cette approche complémentaire aux soins que représente
l’éducation thérapeutique du patient en contexte bilingue dans ses fondements, de sa
genèse à nos jours, tout en explorant le concept de la qualité de vie, des différentes
dispositions édictées par les autorités successives, depuis l’avènement des
recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) de 1998, de ses
techniques de mesure, des conséquences de son altération, ainsi que les actions à mener

donnent lieu à l’élaboration d’un programme personnalisé et sont évalués par la Haute Autorité de santé
(article L. 1161-2).

21
pour son amélioration. L’éducation thérapeutique du patient doit être pluridisciplinaire19.
Ce travail de recherche a nécessité de fédérer, autour de nous, d’autres professionnels de
santé, et de constituer une équipe pilotée par un professeur d’université, enseignant-
chercheur en pneumologie, praticien hospitalier, épidémiologiste, le Pr Chantal
Raherison-Semjen, qui nous a fait l’honneur d’encadrer notre travail. La description de
cette organisation participe à la bonne compréhension de nos choix et de notre sujet
d’étude. Nous présentons cette éducation thérapeutique à travers ses principes, son niveau
de preuve, son organisation et son déroulement, tout en examinant son cadre conceptuel
et les différentes approches psychologiques qu’elle exploite. Puis, nous examinons l’état
des connaissances sur l’asthme bronchique en France hexagonale et dans le monde, et
l’expression de cette maladie dans les racines guadeloupéennes, sa prévalence et ses
facteurs de risques, à travers les études ISAAC I et II (« International Study of Asthma
and Allergies in Childhood »), menées chez des enfants et adolescents guadeloupéens.

Nous exposons, dans notre deuxième partie, le cadre conceptuel de notre recherche en
prenant en compte les modes de dénomination des symptômes de la maladie asthmatique,
des croyances et des représentations dont elle est émaillée, afin de montrer qu’il existe
bien un code langagier particulier dans cette société, souvent teinté de métaphores pour
les véhiculer. A travers l’exploration de la dimension anthropologique, nous traitons
d’abord de la genèse de cette culture antillaise et des survivances des africanismes, de la
naissance de la créolisation et des différents travaux conduits sur ce sujet.

L’accaparement de la culture du maître, comme but final de la socialisation de ces sujets


émergents, témoignera du phénomène de décréolisation, selon certains auteurs20.

19
Saout Ch., « Pour une politique d’éducation thérapeutique du patient », Rapport présenté au ministre de
la Santé, de la Jeunesse, des Sports et de la Vie associative, septembre 2008, p. 38.
20
« Le terme peu connu dans le grand public de “décréolisation” désigne un processus ayant rapport à la
perte, au délitement, à la désagrégation du créole. Cette question, qui n’est pas toujours prise au sérieux à
la mesure de ses enjeux, renvoie à une problématique que je considère comme cruciale pour l’avenir
linguistique, culturel, voire politique (au sens noble du mot) de nos pays. En effet, le mot “décréolisation”
constitue une métaphore particulièrement pertinente de la situation dans laquelle se trouvent nos pays, au
carrefour d’un consumérisme débridé et d’une productivité voisine de zéro. La langue peut, en effet, elle
aussi, être un lieu tant de consommation que de production. Il est évident que dans ce domaine, les
créolophones se situent dans une situation qui accuse une disparité entre consommation linguistique et
créativité. » Jean Bernabé, Réflexions sur la décréolisation, janvier 2012.

22
L’examen de la dimension sociolinguistique nous permet d’exposer la présence de deux
langues aux statuts inégaux sur ce territoire, qui crée indubitablement une situation
particulière de résistance identitaire qu’il nous semble nécessaire de prendre en compte,
d’autant que la parole en éducation thérapeutique est la clé du travail social. Nous partons
ensuite de l’usage des langues pour examiner les faits sociaux, les représentations
sociales de la maladie asthmatique, ainsi que les croyances qui y sont attachées et leurs
moyens d’expression au cours de la consultation chez le médecin et en éducation
thérapeutique. Au sein de cette société créole, il existe une manière, quelque peu insolite,
pour décrire les situations, en faisant appel à des métaphores qui surprennent et déroutent
les non-initiés. La maladie asthmatique n’échappe pas à ce mode d’expression, ce qui
induit inévitablement des incompréhensions.

- Un exemple d’incompréhension lors de la consultation :

Le patient : Doktè tambou an mwen ka séré ! / Mon tambour serre.

Le médecin : Aaah, vous êtes musicien ?

Le patient : Mennon, lestomak là ka crié ! / L’estomac crie !

Le médecin : Vous chantez donc ?

Le patient : Monchè tampi, lésé sa ! / Laisse tomber !

- A l’auscultation :

Le médecin : Ça siffle là-dedans !

Le patient : Lontan an ka diw sa-ou doktè ! / Je te l’ai dit depuis longtemps docteur !

Autant donc de malentendus, entraînant une certaine « frustration » de la part du patient


porteur de maladie chronique, avec des conséquences incommensurables en termes
d’altération de sa qualité de vie engendrée par une non-observance des traitements. Nous
nous employons à présenter notre recherche en deux phases : la première examine, à
travers une étude de terrain menée auprès de médecins libéraux de Guadeloupe, la
fréquence de l’utilisation de la langue créole au cours de la consultation d’annonce de la
maladie asthmatique, ainsi que le respect sur le terrain des recommandations de bonnes
pratiques édictées par les sociétés savantes régissant la spécialité et incluant une prise en
charge holistique du patient asthmatique. En effet, pour que la prise en charge d’un
patient souffrant de maladie chronique soit optimale, il convient qu’elle s’inscrive dans le

23
respect des recommandations de bonnes pratiques. Or, au vu de récentes publications
parues sur la prise en charge de la pathologie, objet de notre étude, en l’occurrence BEH
(2007), il apparaît que les hospitalisations pour asthme sont plus nombreuses en
Guadeloupe qu’en France hexagonale, en raison d’une plus grande prévalence, certes,
mais aussi d’une grande disparité dans la prise en charge. Tenant compte de ce constat,
notre démarche hypothético-déductive consiste à dire que si la prise en charge de cette
maladie est disparate en Guadeloupe, c’est que les recommandations de bonnes pratiques,
édictées par les sociétés savantes qui régissent la spécialité, ne sont pas systématiquement
appliquées sur le terrain.

La deuxième phase de notre présentation est consacrée à la comparaison des acquisitions


d’objectifs d’autogestion de deux groupes d’adolescents asthmatiques au collège ISSAP
de Sainte-Anne, dont le premier a été « éduqué » en langue française et le deuxième en
créole guadeloupéen, avec comme supports des vidéo-projections, des maquettes, des
questionnaires. Des rappels, écrits sous forme de mnémotechniques, sont remis aux
élèves « éduqués », après les séances. Pour cette deuxième phase, sachant que plus de
80% des crises d’asthme peuvent s’autogérer par le patient, notre raisonnement
hypothético-déductif est le suivant : si les hospitalisations pour asthme sont aussi
importantes dans notre région, c’est que la prise en charge de sa maladie par le patient
lui-même n’est pas optimale, ce qui dénote une certaine méconnaissance :

1- des mécanismes de cette maladie,

2- des mesures d’éviction et d’adaptation à prendre,

3- de la nécessité d’une régularité dans la prise du traitement, « observance » ;


connaissances et compétences qui ne peuvent s’acquérir qu’au sein d’un programme
d’éducation thérapeutique approprié et structuré.

Nous attendons de l’évaluation des acquisitions des élèves, après éducation, la validation
ou non de notre raisonnement.

Puis, dans la troisième partie, nous présenterons nos propositions en matière de


contextualisations didactiques aussi bien dans l’application des programmes d’ ETP et
cela dans toutes les pathologies chroniques, que dans la formation des professionnels de
santé acteurs et coordonnateurs de ces dits programmes.

24
PREMIERE PARTIE

PRESENTATION DU CONTEXTE DE
L’EDUCATION THERAPEUTIQUE DU PATIENT
ET DE L’ASTHME BRONCHIQUE

25
1 Présentation du contexte
Département français d’outre-mer, la Guadeloupe se situe dans l’espace des Caraïbes, au
cœur de processus migratoires importants, créant des problématiques d’intégration des
populations migrantes et de prise en compte des langues d’immigration (le créole haïtien,
le créole dominicain, la langue dominiquaise). Ces langues s’ajoutent à celles déjà
présentes sur son territoire, à savoir le créole guadeloupéen, parlé par plus de 97% de la
population, langue régionale reconnue toutefois par les autorités de l’éducation nationale,
et le français, langue officielle de l’enseignement. Mais, qu’en est-il véritablement de
l’utilisation de ces différents moyens d’échanges dans un processus discursif en milieu
médico-éducatif ? Comment ces différentes langues sont-elles utilisées dans l’expression
d’une maladie chronique ? Quelles en sont leurs portées ? Dispensée en langue française
chez ces populations, l’éducation thérapeutique du patient (ETP) peut-elle avoir l’impact
attendu en termes de compréhension de la maladie et de traitements mais aussi de
résultats, à savoir une meilleure autogestion de la maladie, une meilleure qualité de vie ?

Le premier regard porté sur ces populations met en évidence un bilinguisme naturel.
Mais, pour mesurer la portée de moyens discursifs déployés par les différentes
composantes dans les échanges en matière de santé, il convient de s’y pencher. Notre
champ de recherche se limitera au créole guadeloupéen. La Guadeloupe présente donc
une difficulté évidente en termes de rapports humains, qui se confrontent et s’affrontent
sur son territoire et qui engendrent des combinaisons entre monolinguisme, bilinguisme
et plurilinguisme. Dès lors, dans un rapport médical à visée éducative et avant
l’enclenchement de tout processus d’éducation thérapeutique (ETP), ne conviendrait-il
pas de détecter le registre discursif du locuteur afin d’adapter au mieux le discours à sa
réalité, à son code linguistique ? On peut légitimement s’interroger sur les motivations du
locuteur à utiliser tel code au lieu de tel autre. Quels seraient les enjeux, les
représentations de la maladie dans ce registre particulier et le rapport que le sujet
entretient avec sa maladie ainsi exprimée ? En quoi ce code serait-il le plus représentatif
pour lui dans ce contexte particulier ? Autant de questionnements auxquels nous
tenterons de répondre tout au long de ce travail. L’asthme bronchique, maladie chronique
respiratoire, est une maladie multifactorielle qui conjugue l’implication de
l’environnement géographique et climatologique, la dimension historico-culturelle, les
habitudes de vie, la dimension psycho-socio-économique des malades. Une juste

26
approche du contexte de notre objet d’étude se doit de prendre en considération ces
différentes composantes, de les explorer, afin de mieux comprendre, d’une part, les
raisons d’une prévalence aussi élevée de cette maladie dans notre pays, et, d’autre part, le
poids de chaque composante dans cette prévalence particulière. L’objectif final de ce
travail de recherche est de susciter la meilleure adhésion possible des patients aux
traitements, en adaptant nos discours et nos recommandations en situation médico-
éducative, en les plaçant au plus près des réalités du malade, en prenant en compte ses
récits et histoires de vie et son environnement tant physique que culturel. Il paraît donc
essentiel d’en décrire les acteurs ainsi que le milieu dans lequel ils évoluent. C’est
pourquoi, notre travail commence par appréhender les spécificités de la Guadeloupe, en
vue de dégager le contexte général dans lequel nous mènerons nos investigations. Ainsi,
notre première partie présente la Guadeloupe du point de vue géographique,
climatologique, sociodémographique et sanitaire, mais de manière plus large, les Antilles
françaises d’un point de vue historique, sociologique et anthropologique. Nous y
abordons successivement le phénomène de colonisation, le processus de créolisation,
puis, de manière plus spécifique, la genèse de la langue créole, afin de clarifier toutes les
spécificités de ce code linguistique. La deuxième partie retrace l’évolution de la place et
du statut des langues dans la société guadeloupéenne et à l’école, dans le but de
caractériser le contexte sociolinguistique actuel et les particularités du langage des élèves
aux Antilles françaises. Selon L.-J. , cité par A. Bououd (2011), sur le plan
sociolinguistique : « Le langage n’est pas un simple outil de communication que les
usagers peuvent utiliser de la même manière et aux mêmes fins. Il est beaucoup plus
complexe que l’on se l’imagine. Plusieurs facteurs entrent en jeu pour déterminer la
façon dont un locuteur prend la parole et dont il produit un acte langagier dans un
contexte précis. » Dans son ouvrage Linguistique et colonialisme, L.-J. Calvet souligne
l’importance de la linguistique et son rapport avec les systèmes idéologiques de la société
dominante au cours d’une période donnée et sur un territoire délimité, avec une prise en
compte du regard porté sur les communautés linguistiques et sur les relations qu’elles
entretiennent entre elles. De même, l’auteur invoque « l’impérialisme culturel de la
France »21 qui persiste au travers des structures internationales, comme la francophonie et

21
« Au-delà de la simple description des langues elles-mêmes, l'étude des langues implique un certain
point de vue sur les communautés linguistiques qui les parlent et sur les relations entre ces communautés »,
nous précise Calvet. Or, cette vision a été utilisée pour légitimer l'entreprise coloniale, tant dans sa
préparation que dans son exécution ; la langue de l'autre est dénigrée, infériorisée alors qu'évidemment

27
d’autres appareils mis en place, pour faire valoir une langue au détriment de l’autre. Dans
un autre article traitant du français parlé dans les banlieues, intitulé « Les fractures
linguistiques », Calvet souligne « le dénigrement, la stigmatisation d’une forme
linguistique au profit de la survalorisation et de la réhabilitation d’une autre et la
persistance de la variété linguistique, minorée et vernacularisée dans le temps », car, dit-
il, « derrière les mots, les variantes, les dialectes et les langues, il y a des locuteurs, des
gens et leurs mots, leurs dialectes et leur langue qui parlent d’eux ». « Cette
différenciation du parler par rapport à l’usage de la forme dite “haute”, témoigne et
s’accompagne d’une fracture sociale de plus en plus visible et reconnue22 et l’utilisation
de ce registre n’est que le versant linguistique d’un marquage identitaire dans une
société où on a du mal à se reconnaître. » Notre propos n’est pas de faire un parallèle
avec la situation des banlieues, mais bien de dire qu’il existe véritablement en
Guadeloupe une dominance institutionnalisée de la langue officielle, le français, sur la
langue créole, qui conduit à une certaine révolte linguistique froide, se traduisant par une
transmission des locuteurs à leurs enfants de cet idiome patrimonial qui, dès que
l’occasion leur est donnée, leur sert à exprimer leurs différences. L.-J. Calvet nous
rappelle que dans les pays africains et de façon générale, dans les pays plurilingues, on a
constaté que le fait de commencer la scolarisation en langue maternelle ou dans une
langue que l’on parle déjà, une langue véhiculaire locale par exemple, est un gage de
réussite. Si la survenue d’une maladie chronique est la remise en cause des projets de vie,
l’acceptation de cette maladie et l’apprentissage de son autogestion par l’éducation
thérapeutique pourraient être assimilés au début d’une scolarisation. D’où l’appellation,
en ce qui concerne notre terrain d’étude, « d’école de l’asthme ».

celle du colonisateur est valorisée. Calvet étend la notion de colonialisme à la constitution de la France
métropolitaine selon des mécanismes de nature coloniale (expansion du royaume de France au détriment
des cultures régionales et des langues associées). Calvet évoque « l'impérialisme culturel de la France »
dans « Linguistique et colonialisme » (p. 11), qui persiste, dit-il, au travers de certaines structures
internationales comme la francophonie. Les moyens de lutte contre ces formes moins apparentes de
colonialisme, pour le chercheur linguiste, résident dans un travail approfondi de description des langues
autochtones. (Le terme précis n'est pas utilisé par Calvet mais par Merlo Christian. Louis-Jean Calvet :
« Linguistique et colonialisme. Petit traité de glossophagie ». In : Revue française d'histoire d'outre-mer,
tome 62, n°229, 4e trimestre 1975, pp. 696-697.
22
L.-J. Calvet a étudié le langage des banlieues et la réaction des jeunes locuteurs face à la langue
dominante, le français normé, et parle de fracture linguistique de « français fâché ». Il précise que « ce qui
est exprimé et qui s’entend dans la langue, est commandé en réalité par le social ». L.-J. CALVET, « Les
fractures linguistiques », Bulletin suisse de linguistique appliquée © 2006, Institut de linguistique, n° 83,
2006, xx-xx • ISSN 1023-2044 Université de Neuchâtel.

28
1.1 De la situation géographique de la Guadeloupe

Figure 1 : Situation géographique de la Guadeloupe par rapport à la France hexagonale. Source Wikipédia.

Région monodépartementale de 1 628 km2, la Guadeloupe est située dans la zone caraïbe,
à environ 6 700 km de la France hexagonale, 140 km de la Martinique et 2 000 km des
Etats-Unis d’Amérique.

L’archipel de la Guadeloupe comprend deux îles principales, séparées par un étroit bras
de mer, la rivière salée : la Grande-Terre où se situe l’agglomération de Pointe-à-Pitre,
centre économique, et la Basse-Terre où se trouve la ville de Basse-Terre, chef-lieu
administratif. L’archipel compte également trois dépendances (Figure 2) :

- l’archipel des Saintes au sud de la Basse-Terre, composé des îles de Terre-de-Haut et de


Terre-de-Bas,

- la Désirade à l’est de la Grande-Terre,

- Marie-Galante au sud de la Grande-Terre.

Les « îles du nord », Saint-Martin et Saint-Barthélemy, situées au nord de la Guadeloupe,


anciennes communes, sont devenues des collectivités d’outre-mer (COM) le 15 juillet
2007.

En raison de ses caractéristiques géologiques, l’archipel de la Guadeloupe est classé en


zone de forte sismicité (zone III).

29
Figure 2. Carte de la Guadeloupe à l’échelle 1 : 128000, représentant la Grande-Terre et la Basse-Terre, les
dépendances administratives, les principaux axes routiers, les limites administratives et le relief de l’île.
Géoportail, 2011.

1.2 De la démographie et des activités en Guadeloupe


La population guadeloupéenne est estimée, selon l’INSEE, à 404 394 habitants au 1er
janvier 2010. La Guadeloupe se distingue par la jeunesse de sa population. En 2009, les
moins de 20 ans représentent 31 % de la population, contre 25 % en métropole, et l’âge
moyen est estimé à 35 ans contre 40 dans l’Hexagone.

Avec 248 habitants au km2, la Guadeloupe demeure, après La Réunion, le département


d’outre-mer le plus densément peuplé. La Figure 3 illustre la variabilité de la densité de la
population selon les zones administratives.

Le taux de chômage s’élevait à 23,8 % en 2010. Il est deux fois et demie supérieur à la
moyenne métropolitaine (9,2 % en 2010). Il s’agit de la 2e région française la plus

30
touchée par ce phénomène, après La Réunion. Les jeunes sont les premiers frappés : le
taux de chômage des actifs de moins de 30 ans était de 44,2 % en 2010.

La structure de l’économie guadeloupéenne est marquée par l’importance du secteur


tertiaire, qui concentre 85 % des emplois salariés en 2009. Les principales autres activités
sont l’agriculture (canne à sucre, banane, melon) et le tourisme. L’industrie est
relativement jeune, peu développée et concentrée sur le site de Jarry à Baie-Mahault,
véritable poumon économique de l’île.

Figure 3. Densité de population en hab. /km² selon les zones administratives. Carte réalisée avec les
données de l’INSEE pour l’année 2007.

1.3 Du contexte climatique


La prise en charge de l’asthme bronchique, très souvent allergique, nécessite la prise en
compte de l’environnement autant à l’intérieur qu’à l’extérieur. La Guadeloupe bénéficie
d’un climat tropical tempéré par les alizés. Il y a deux saisons, dont les transitions sont
plus ou moins marquées :

31
- une saison sèche, appelée carême, de décembre à mai, durant laquelle les averses sont
peu fréquentes et les alizés généralement bien établis ;

- une saison humide, appelée hivernage, de juillet à octobre, avec des périodes de pluies
fréquentes et intenses et au cours de laquelle surviennent les dépressions tropicales et les
phénomènes cycloniques.

Les précipitations moyennes annuelles sont plus importantes sur la Basse-Terre (de 1 500
à plus de 4 000 mm) que sur la Grande-Terre (moins de 2 000 mm)23. La fréquence des
pluies et le taux d’humidité relative en Guadeloupe, de l’ordre de 74% en moyenne,
engendrant la prolifération d’acariens et de moisissures dans les habitats, constituent
l’une des principales causes, entre autres, de la survenue de maladies allergiques et
asthmatiques. Une étude sur la prévalence de l’asthme, en application du protocole
international ISAAC (« International Study of Asthma and Allergies in Childhood »),
menée en 2002-2003 chez les adolescents guadeloupéens 24 , a relevé une prévalence
importante au regard de celle de la France hexagonale ; de même, le taux d’asthme grave
pouvant conduire au décès est plus élevé qu’en métropole. Il est à noter par ailleurs que
l’occidentalisation des habitats et le changement de mode de vie contribuent, pour une
bonne part, à cette prévalence élevée (présence de moquettes dans les chambres, de
tentures aux murs, habitats souvent fermés du matin au soir, activité professionnelle
oblige). Au retour à la maison le soir, la climatisation est privilégiée à la place de
l’aération naturelle, d’où l’augmentation importante de l’humidité intérieure engendrant
moisissures et acariens. La deuxième phase de cette étude conduite en 2008-2009, portant

23
Source : Météo France, novembre 2013.
24
Annexe II ; cette étude, qui concernait les collégiens âgés de 13-14 ans, a relevé une prévalence de 14,1%
versus 12% en France hexagonale ; de même qu’un taux d’asthme grave pouvant conduire au décès, de
3,5% contre 2,8% en France métropolitaine. 5 097 questionnaires ont été exploités. Près de la moitié des
adolescents (49,7 %) disent avoir déjà eu de l’essoufflement ou de lopwésion ; 29 % déclarent avoir eu des
sifflements à un moment quelconque de leur vie. Parmi les 812 adolescents disant avoir déjà eu des crises
d’asthme, le diagnostic est médicalement confirmé pour 89% d’entre eux ; 22% d’entre eux ont été
hospitalisés au moins une fois pour asthme. Parmi les jeunes ayant présenté des crises d’essoufflement au
cours des 12 derniers mois, 24% ont jugé la crise suffisamment grave pour les empêcher de dire plus d’un
ou deux mots à la suite ; la proportion de crise grave est importante, l’absentéisme scolaire est important.
La prise en charge thérapeutique est inadaptée, la connaissance du débitmètre de pointe est mauvaise
(seulement 15%). L’étude a permis de confirmer la fréquence élevée de l’asthme en Guadeloupe, avec des
indices de sévérité élevés, et de situer la Guadeloupe par rapport aux autres régions françaises ayant réalisé
ISAAC I. Elle permet également d’avoir une base de données pour apprécier les tendances évolutives
ultérieures. Par ailleurs, cette enquête a permis de souligner les proportions non négligeables de patients
non suivis médicalement et de ceux qui ne suivent pas (ou qui suivent incorrectement) les traitements
prescrits. Revue française des maladies respiratoires, Prévalence de l’asthme et des symptômes évocateurs
chez les adolescents de Guadeloupe selon l’enquête ISAAC, phase I, 2003, M.-A. Mounouchy, L. Cordeau,
C. Raherison. Rev. mal. respir. Décembre 2009 : 31(7), p. 944-951.

32
sur les facteurs de risques de ces maladies, met en cause l’exposition aux moisissures et
aux acariens, des petits asthmatiques.

1.4 Du contexte sanitaire


Pour bien situer notre sujet, il est nécessaire de décrire le paysage sanitaire de la
Guadeloupe. En matière sanitaire, la Guadeloupe dispose de certaines spécificités. Alors
que le taux de mortalité (6,9 ‰) est inférieur à celui de la France hexagonale (8,5 ‰), le
taux de mortalité infantile reste préoccupant (8,7 ‰ contre 3,6 ‰ au niveau national). Le
taux de natalité est supérieur (14,3 ‰ contre 12,9 ‰). L’offre de soins proposée par les
établissements de santé et médico-sociaux souffre d’un retard important et n’est pas
toujours adaptée aux besoins. Elle se caractérise par des densités médicales et des taux
d’équipement en grande majorité inférieurs au niveau national. En 2009, la Guadeloupe
compte 4 983 professionnels de santé ; les retards les plus significatifs concernent les
médecins généralistes et spécialistes ainsi que les chirurgiens-dentistes, mais se
distinguent par un taux plus élevé qu’en métropole pour les infirmiers diplômés d’Etat.
Les taux d’équipements en matière sanitaire sont globalement inférieurs au niveau
national, en particulier en chirurgie, soins de suite et réadaptation et psychiatrie.
L’insuffisance d’infrastructure est également très marquée pour l’activité médico-sociale
(prise en charge des personnes âgées, service de soins à domicile). Le handicap est peu
pris en charge, avec un nombre limité de structures d’accueil, tant pour les enfants que
pour les adultes25. L’espérance de vie est proche de la moyenne de la France hexagonale :
75,6 ans pour les hommes et 83,4 pour les femmes, versus 77,6 et 84,2. La Guadeloupe se
distingue par le nombre et la précocité des insuffisances rénales chroniques, des accidents
vasculaires cérébraux, de l’hypertension artérielle et du diabète. Surpoids et obésité sont
largement répandus. En outre, la Guadeloupe est la 2e région française, après la Guyane,
la plus touchée par l’infection au VIH. Drépanocytose, dengue et leptospirose sont des
maladies liées à la population ou au climat26.

25
Direction de la santé et du développement social (DSDS) de Guadeloupe, schéma régional d’organisation
sanitaire (SROS) III, 2006-2010, p. 69.
26
Agence régionale de santé (ARS) de Guadeloupe, Saint-Martin, Saint-Barthélemy.
http://www.ars.guadeloupe.sante.fr/Internet.guadeloupe.0.html. Consulté le 17 mars 2011.

33
1.5 Du contexte historique
Les premiers occupants de l’archipel guadeloupéen ont été les populations
amérindiennes. Comme la plupart des îles des petites Antilles, il a été visité dès que
l’homme a appris à naviguer, il y a entre 4 000 et 5 000 ans. Les premiers Amérindiens
connus sont des groupes dits « précéramiques » de chasseurs collecteurs, non sédentaires,
venus de l’actuel Venezuela, en passant par Trinidad. Ces petits groupes de nomades se
sont installés de préférence dans les zones de mangroves riches en coquillages et en
gibier. Une fouille archéologique réalisée à Saint-François en 1992 a permis la
découverte d’un niveau archéologique profond, contenant de nombreux restes
alimentaires et un outil rudimentaire en coquillage qui a pu être daté au radiocarbone de
1 000 ans avant Jésus-Christ. A Saint-Martin, les archéologues ont découvert plusieurs
sites précéramiques datés de 1 000 à 1 600 ans avant Jésus-Christ. Ces groupes de
chasseurs ont été suivis par une population plus organisée d’agriculteurs venus des hauts
plateaux de l’Orénoque et baptisés Huécoïdes. Ce sont les premiers agriculteurs venus
coloniser les petites Antilles. Ils ont apporté avec eux tabac, manioc et patates douces.
L’archéologie a permis de découvrir, derrière des platines à manioc, des inhalateurs et
autres amulettes dans des sépultures ornées de pierres semi-précieuses, visibles au musée
Edgar Clerc du Moule. Ils ont été suivis, au début de notre ère, par des groupes dits
Saladoïdes, également agriculteurs venus de l’est du Venezuela. Ces Saladoïdes se sont
installés de façon plus durable pendant près de cinq siècles et se sont adaptés au milieu.
Ils sont à l’origine de nombreux sites de roches gravées (pétroglyphes), de très belles
poteries ornées de mystérieuses figurines (adornos) ou colorées par des teintures
minérales. Vers les années 600 après J.-C., une nouvelle migration, originaire des côtes
de Guyane, s’installe au sud des petites Antilles et monte des expéditions guerrières vers
les îles situées plus au nord. Ces expéditions marquent la fin des groupes Saladoïdes. En
800 après J.-C., une nouvelle culture dite « Suazey » est implantée sur presque toutes les
petites Antilles. La dernière migration amérindienne est historiquement attestée : il s’agit
des Galibis de Guyane ou Kalinos kalinagos, Caraïbes, qui s’installent en Guadeloupe27.

27
L'association KARISKO de la Martinique a entrepris la reconstitution historique de la navigation
millénaire des Caraïbes entre les îles. Après avoir fait construire une « kanawa » (terme de la langue
caraïbe, à l'origine du mot « kannot » en créole), longue pirogue traditionnelle amérindienne comportant
une trentaine de rameurs, elle effectue la traversée Pointe Macouba (Martinique) – Cachacou (Dominique).
Après le succès de cette expérience, elle projette de renouer avec l'histoire, en organisant une expédition
reliant la Martinique à Porto Rico en naviguant d'îles en îles. En 2014, la traversée expérimentale de la

34
Les fouilles, menées par la région Guadeloupe, ont attesté de leur présence en 1320 et
1450, soit au moment de leur arrivée28.

1.5.1 La colonisation européenne

L’arrivée de Christophe Colomb et sa rencontre avec les Caraïbes n’ont pas été
immédiatement suivies d’une colonisation de l’île par les Européens. La Guadeloupe ne
présente pas un grand intérêt à leurs yeux, en raison de l’absence de gisement aurifère. En
revanche, elle a souvent servi d’escale aux navires venant d’Europe afin de s’alimenter en
eau et faire des provisions auprès des occupants caribéens. La rivière du Galion à Basse-
Terre aurait été l’un de ces lieux de rencontre, d’où son nom. Ce type de troc est assez
fréquent entre le moment de la découverte et l’occupation de l’île par les Français, en
1635. C’est le 28 juin 1635 que Charles Liénard de l’Olive et Jean Duplessis d’Ossoville
occupent et se partagent la partie de l’île la plus propice à la culture, cette partie de la
Guadeloupe que nous appelons aujourd’hui la Basse-Terre. Cette colonisation connaîtra
des débuts difficiles en raison d’un manque de préparation et de l’inadaptation des
Européens aux conditions climatiques locales. Des centaines de colons périront de la
famine et de maladies diverses. La mort de Duplessis, qui entretenait de bonnes relations
avec les populations autochtones, laisse le champ libre à de l’Olive pour mener à bien son
entreprise d’extermination des Caraïbes. Jusqu’en 1660, avec la signature d’un traité de
paix au fort de Basse-Terre, il concédera aux Caraïbes la partie la plus désertique de l’île.

1.5.1.1 Les débuts de l’industrie esclavagiste

Avec le savoir-faire des colons hollandais chassés du Brésil, les colons français
développeront sur l’île la culture de la canne à sucre en faisant appel à une main-d’œuvre
massive et gratuite venant d’Afrique, dès 1642. Dans De l’Esprit des lois, Montesquieu
écrit un texte satirique intitulé : « De l’esclavage des nègres » ; il y tourne en dérision les

Martinique à Antigue a été effectuée. Cette opération a été pilotée en Guadeloupe par un comité constitué
des associations suivantes : « Bitasyon Senpyè » (Port-Louis), « Bel Botiran » (Petit-Canal), « O.G.M.C. »
(Vieux-Fort), « Amis de la F.O.L. » (Base nautique de Sainte-Anne), « YO TE POU NOU SE ». Les deux
pirogues sont propulsées par les bras des rameurs. « Tel le serpent du temps de notre histoire, elle traversa
les eaux de la Guadeloupe entre le 24 et le 29 mai, en reliant les communes de Terre de Haut, de Trois-
Rivières, de Gosier et de Port-Louis, avant de filer en louvoyant jusqu’aux eaux voisines de la belle
Antigue. » KARISKO : « La KARayib, 2 500 ans d’hIStoire au KOtidien », Guadeloupe littoral, n° 26,
septembre 2014.
28
Source : site officiel de la Région Guadeloupe, consultation http://www.cr-guadeloupe.fr/archipel/,
janvier 2012.

35
justifications idéologiques et matérielles de l’esclavage négrier dans les Amériques29. En
1755, le chevalier de Jaucourt rédige des articles dans l’Encyclopédie de Diderot et
d’Alembert, demandant l’abolition de l’esclavage. Il estime que détenir un esclave, c’est
lui déclarer la guerre, légitimant sa résistance30. Français et Anglais ont alternativement
occupé l’île. Pendant leur occupation de l’île au cours de la guerre de Sept Ans, de 1756 à
1763, les Anglais fondent le port de Pointe-à-Pitre. Le traité de Paris met fin à la guerre
en 1763, et la Guadeloupe et la Martinique sont restituées à la France.

1.5.1.2 La première abolition

Entre 1789 et 1792, une grande révolte secoue la Guadeloupe et oppose les patriotes aux
aristocrates de l’assemblée coloniale. La division des libres de couleur et des patriotes
conduit à la défaite de ces derniers. En 1793, suivent deux autres révoltes, l’une servile
dirigée contre les planteurs aristocrates, l’autre des sans-culottes en revendication
d’égalités sociales ; enfin, une troisième et dernière révolte éclate en août 1793, conduite
par plusieurs centaines d’esclaves réclamant la liberté, mais elle est réprimée. Entre-
temps, les accords de Witherland sont signés le 19 février 1793 entre les colons et la
couronne britannique, permettant aux colons français de combattre les troupes
révolutionnaires françaises et favorisant l’émancipation des Noirs.

Ignace-Joseph-Philippe de Perpigna et Louis de Curt ont signé pour la Guadeloupe.


Louis- François Dubuc, président de l’assemblée coloniale, a signé pour la Martinique cet
accord de soumission à la couronne britannique. Le 6 février 1794, les Anglais entament
la reconquête militaire de l’île de la Martinique qu’ils terminent le 21 mars 1794. La
Guadeloupe est également livrée aux Anglais en avril 1794. A la suite des nombreuses
révoltes, le 7 mai 1794 marque l’arrivée, à Pointe-à-Pitre, de Victor Hugues et de ses
mille hommes, missionnés par la Convention pour rétablir l’ordre. Il ne peut cependant
défier les Anglais installés depuis deux mois, s’il n’attire pas à lui d’autres forces ; c’est
alors qu’il a l’idée de rallier à sa cause la population noire et mulâtre, son arme
secrète étant le décret du 4 février 1794, instituant l’abolition de l’esclavage, retournant le
décret à son avantage et proclamant la liberté pour tous en juin 1794. Il est alors perçu

29
Sans véritablement le condamner de manière explicite. Notre traduction.
30
Emission radiophonique diffusée sur France Inter, réalisée par Anne Kobylak puis Jacques Sigal et
documentée par Emmanuelle Fournier, Claire Destacamp, Clarisse Le Gardien et Franck Olivar. Patrice
Gélinet, Deux Mille Ans d'histoire en 365 jours, Archipel, 2007.

36
comme le libérateur et recrute trois mille hommes de couleur, appelés les « sans-
culottes », aux côtés des soldats blancs. Il chasse ainsi les Anglais de l’île en décembre
1794. La Martinique ne connaîtra donc pas cette première libération.

Figure 4 : décret d’abolition du 4 février 1794

1.5.1.3 Le rétablissement en 1802

Nous ne prendrons pas part aux débats qui opposent les spécialistes sur la question du
rétablissement de l’esclavage, ceci n’étant pas notre sujet. Nous mentionnerons juste que,
malgré le soulèvement et la résistance des patriotes, Richepance réprimera les insurgés et
rétablira l'esclavage en Guadeloupe en mai 1802, sur ordre de Bonaparte. La loi du 20
mai 1802 (30 floréal an X) est un retour sur les principes de la loi du 4 février 1794 qui
l’avait aboli.

37
Figure 5 : Loi du 20 mai 1802, proclamant le retour à l’état antérieur à 1789, relative à la traite des Noirs et
aux régimes des colonies. Source G. Debien, Les Esclaves aux Antilles françaises aux XVIIe et XVIIIe
siècles (Basse-Terre, Soc. d'hist. de Guadeloupe, Fort-de-France, Soc. d'hist. de Martinique, 1974).

Figure 6 : Décret d’abolition du 4 mars 1848. Source, Les Esclaves aux Antilles françaises aux XVIIe et
XVIIIe siècles, Basse-Terre, Soc d'histoire de Guadeloupe, Fort-de-France, Soc. d'hist. de Martinique, 1974.

1.5.1.4 La deuxième abolition

L'abolition définitive de l’esclavage est proclamée en Guadeloupe le 27 avril 1848, suivie


du déclin de la vieille société coloniale également, grâce en particulier à l'action de
l'humaniste Victor Schœlcher.

1.5.1.5 Arrivée des premiers travailleurs volontaires

Les premiers travailleurs volontaires, venus des Indes, arrivent à Saint-François en 1853.
Ils ont été recrutés afin de remplacer une main-d'œuvre devenue défaillante dans les

38
plantations. En 1880, le sucre de canne perd de sa rentabilité avec l’apparition du sucre de
betterave mais aussi avec la désertion des nouveaux libres. Dès le début du XIXe siècle,
la Guadeloupe diversifie ses axes de production, commercialise le rhum et se tourne vers
l’exploitation d’autres ressources, telles que la banane, et plus tardivement le tourisme.

1.6 Précarité et accès aux soins en Guadeloupe


Comment faire face aux exigences d’une bonne prise en charge quand on ne dispose pas
du minimum vital et quand la priorité est à la survie ? A l'occasion de la journée mondiale
du refus de la misère, le 17 octobre 2008, l'Observatoire régional de la santé en
Guadeloupe (ORSAG) a publié une étude réalisée sur ce thème et intitulée : « Approche
de la pauvreté en Guadeloupe ». Au 1er janvier 2007, 34 100 personnes percevaient le
revenu minimum d’insertion (RMI), soit 14% des personnes âgées de 20 à 59 ans ; 7 537
personnes bénéficiaient de l'allocation adulte handicapé (AAH), soit 2% des personnes de
20 ans et plus ; l'allocation personne isolée (API) concernait 5 830 personnes, soit 5% des
femmes de 15 à 49 ans ; 2 496 personnes percevaient le revenu de solidarité (RSO).

Quelle que soit l'aide considérée, la part d'allocataires en Guadeloupe est nettement
supérieure à celle de la France métropolitaine, en particulier pour le RMI et l'API. Tout
comme le travail, le logement est un déterminant majeur de l'insertion de l'individu dans
la société. Le droit au logement est au cœur de la loi Besson du 31 mai 1990, qui déclare
dans son article 1er : « Garantir le droit au logement constitue un devoir de solidarité
pour l'ensemble de la nation. Toute personne éprouvant des difficultés particulières, en
raison notamment de l'inadaptation de ses ressources ou de ses conditions d'existence, a
droit à une aide de la collectivité, dans les conditions fixées par la présente loi, pour
accéder à un logement décent et indépendant et s'y maintenir. » Or, l'accès à un logement
décent et le maintien dans celui-ci font partie des principales difficultés que rencontrent
les ménages pauvres. Au 1er janvier 2006, en Guadeloupe, on comptait plus de 28 000
logements sociaux. La légère diminution de leur effectif entre 2004 et 2005 a été suivie
par une augmentation de 12% entre 2005 et 2006. La densité du parc social en
Guadeloupe s'élève à 64 logements pour 1 000 habitants au 1er janvier 2006, contre 58
pour 1 000 habitants au 1er janvier 200531. Elle est inférieure de cinq points à celle de la
France métropolitaine. L'emploi joue un rôle déterminant dans l'entrée ou la sortie de la

31
Source : Orsag 2008.

39
pauvreté. En effet, l'absence d'emploi augmente sensiblement le risque de pauvreté. En
juin 2007, 38 000 personnes se sont déclarées au chômage, soit 22,7% de la population
active. Plus de la moitié des chômeurs le sont depuis plus de trois ans. Le chômage
concerne fortement les jeunes (55,3% de la tranche d'âge des 15-24 ans), et il touche plus
souvent les femmes que les hommes (respectivement 26,1% et 19,2%). S’agissant des
travailleurs pauvres, la catégorie des « travailleurs pauvres » est apparue en France dans
les années 1990. Depuis 2003, la réduction de leur nombre est devenue une priorité de
l'Union européenne. Pour les personnes ayant un emploi, le risque de pauvreté augmente
lorsque l'emploi est à durée limitée (intérim, contrat à durée déterminée, contrat
d'apprentissage et stage rémunéré) ou à temps partiel. Ce risque est sensiblement accru
lorsque, en plus, ces personnes vivent seules ou que le conjoint est inactif. En juin 2007,
en Guadeloupe, 10% des personnes ayant un emploi avaient un contrat à durée limitée.
Elles étaient plus nombreuses parmi les femmes et surtout les jeunes (11% et 25%). A la
même période, 15% des actifs en emploi ont déclaré travailler à temps partiel. C'est
particulièrement le cas des femmes et des jeunes32. Afin de garantir l'accès aux soins des
personnes disposant de faibles ressources, la loi n° 99-641 du 27 juin 1999 a institué une
couverture maladie universelle. Ainsi, depuis le 1er janvier 2000, elles peuvent bénéficier
d'une couverture de base (CMU) et d'une couverture complémentaire (CMU-C). Au 1er
janvier 2007, en Guadeloupe, plus de 67 000 personnes bénéficiaient de la CMU de base
(15% de la population) et plus de 130 000 de la CMU complémentaire (29% des
Guadeloupéens).

Cependant, la création de la couverture maladie universelle n'a pas supprimé tous les
problèmes d'accès aux soins des personnes les plus pauvres33.

Les centres d'examens de santé gérés par les caisses primaires d'assurance maladie
(CPAM), ou ayant passé convention avec elles, réalisent gratuitement des examens de
santé. Depuis l'arrêté ministériel du 20 juillet 1992, les personnes inactives âgées de plus
de 16 ans, les demandeurs d'emploi, les personnes préretraitées ou retraitées et les
personnes exposées à des risques menaçant leur santé, en sont les bénéficiaires. L'article
2 de cet arrêté définit cinq catégories de personnes prioritaires : les chômeurs, les

32
Source : Orsag 2008
33
En effet, certaines personnes n'ont pas recours à ce droit du fait d'un manque d'information ou de la
crainte d'être stigmatisées. D'autres se voient refuser l'accès à des consultations médicales du fait de leur
affiliation à la CMU. La précarité constitue donc un facteur limitatif d’accès aux soins en Guadeloupe.

40
bénéficiaires du RMI, les jeunes de 16-25 ans dans un dispositif d'insertion, les
bénéficiaires d'un contrat aidé et les personnes sans domicile fixe. En 2005, 7 042
examens ont eu lieu dans le centre d'examens de santé Sainte-Geneviève de Guadeloupe,
le seul représenté dans les départements d’outre-mer (DOM). La Guadeloupe a le
troisième taux de couverture le plus élevé des régions françaises. Il varie en France
métropolitaine de 20 en Corse à 170 en Champagne-Ardenne, pour une moyenne
nationale de 90. Pour le centre de santé de Guadeloupe et selon l’EPICES (évaluation de
la précarité et des inégalités de santé dans les centres d’examens de santé)34, 76% des
personnes examinées sont en situation de précarité ou de fragilité sociale. Parmi elles, la
moitié a une vision négative de sa santé. C'est particulièrement le cas des personnes
précaires : 54%, contre 37% des personnes non précaires35. Comment être véritablement
acteur de sa santé quand on ne peut être acteur de sa propre vie et quand la priorité est à
la survie ? Entre 2008 et 2011, 43% des patients ayant fréquenté le centre d’éducation
thérapeutique de Guadeloupe pour asthme étaient en situation de précarité. Tous les
aspects contextuels particuliers, cités plus haut et qui caractérisent notre terrain d’étude –
géographique et climatologique, historico-socio-économique –, s’imbriquent dans la
survenue et les complications de l’asthme bronchique. Nous relevons également une
interdépendance entre les indicateurs de précarité évoqués et la dimension psychologique
des patients asthmatiques, puisque 33% des patients ayant fréquenté notre structure
d’éducation sur la période 2008-2011 ont exprimé une souffrance psychologique en
rapport avec leur affection, mais aussi leurs conditions de vie36.

Tout ceci nous amène à dire qu’au vu de tous ces aspects multifactoriels, il est donc
nécessaire, sinon impérieux, que nos actions d’éducation thérapeutique soient les plus
efficientes possible, d’où notre proposition d’user de la langue vernaculaire des patients
pour tenter de les conduire vers une acceptation rapide de la maladie asthmatique et des
traitements, et ainsi vers une amélioration de leur qualité de vie. Mais, qu’en est-il
véritablement aujourd’hui de cette démarche complémentaire de soins ? Quelles en sont

34
Le score EPICES : l’indicateur de précarité des centres d’examens de santé de l’assurance maladie.
Rapport d’étude. Janvier 2005. Saint-Etienne : Cetaf, 2005. http://www.
cetaf.asso.fr/protocoles/precarite/precarite. Guéguen R., Sass C., the EPICES working group : : Abric L.,
Romano-Girard F., Guenot C., La Rosa E., Magnier P., Martin E., Royer B., Rubirola M. In The EPICES
score : “An individual index of material and social deprivation related to health status”. Part 1: “Setting up
the score”. 2005.
35
Source : Orsag 2008.
36
L’asthme allergique étant directement lié aux conditions d’habitat, elles sont déterminantes, pour un
« bon contrôle » de la maladie.

41
les évolutions au cours de ces vingt dernières années ? Sur quels fondements
conceptuels repose-t-elle? En quoi l’ETP en Guadeloupe devrait-elle être différente de
celle de la France hexagonale dans son approche méthodologique ?

1.7 Genèse des registres médico-discursifs


Dès l’origine de la colonisation et l’arrivée des premiers colons sur l’île de la
Guadeloupe, se sont retrouvées face à face et en interactions, des médecines et des
langues différentes. J. A. Merlande (1975) nous rapporte un récit de G. Coma-Chauca de
149437.

Du XVe au XVIIe siècle, les Européens gèrent, tour à tour, les affaires administratives de
cette île en organisant la colonisation. L’arrivée des esclaves noirs d’Afrique pour les
besoins de la culture de la canne à sucre, et la nécessité de communication entre ces
différentes composantes, dans la seconde moitié du XVIIe siècle, nous amènent de
nouvelles connaissances médicales qui s’attachent aux langages communs, tout en
gardant les représentations spécifiques de chaque communauté sur un même sujet, « la
maladie ». De la première abolition de l’esclavage de 1794 à son rétablissement par
Bonaparte en 1802, pour être définitivement aboli en 1848, les champs de canne à sucre
désertés par les Noirs libres appellent la venue de travailleurs volontaires d’Asie (Chine,
Inde). Sous toutes ces influences, la Guadeloupe se trouve au centre d’une pluralité de
médecines diverses et variées qui intègrent et enrichissent les connaissances communes,
tout en préservant toujours les représentations de chaque composante ethnique. Ici plus
qu’ailleurs, la Guadeloupe n’échappe pas aux représentations multiples et variées de la
maladie asthmatique, découlant de son identité (afro-euro-indo-siro-caribéenne).

Tous ceux qui arrivent sur cette terre se doivent d’apprendre à communiquer ; ils ont dû,
par conséquent, structurer une vie sociale autour d’une langue commune qui est la langue
créole. Les représentations de toutes les composantes culturelles précitées se retrouvent à
travers l’expression linguistique du sujet malade, mélangée à « quelques baragoins
occidentaux », pour reprendre une expression de L.-F. Prudent (1980)38, « surtout quand

37
« Les Caraïbes possédaient une langue et une certaine médecine, puisque les plantes dont ils se servaient
ont été envoyées en Europe, prescrites par les médecins du Roi, et eurent des actions bénéfiques sur les
malades et les convalescents. » J. Adélaïde-Merlande, 1975, Encyclopédie de la Caraïbe, Editions Sanoli, p.
207.
38
L.-F. Prudent, Des baragouins à la langue antillaise, Analyse historique et sociolinguistique du discours
sur le créole, Editions Caraïbes, 1980, p. 101.

42
il s’agit de maladies chroniques »39. Au sein de cette mosaïque culturelle que représente
la population guadeloupéenne, ces moyens d’échanges discursifs sont émaillés de
multiples nuances suivant l’ethnie dominante. La situation de diglossie, provoquée par la
présence de ces deux moyens discursifs que sont le français et le créole qui se côtoient,
s’entrechoquent et s’affrontent dans ces sociétés, a été l'objet de controverses. Dans sa
scrutation de la zone interlectale en 1980, Prudent, cité par Bernabé (1983), considère la
diglossie comme un concept colonial.

« Nous refusons, dit-il, de prendre en compte, sans précaution objectivale, le vieux


concept colonial de diglossie qui masque plus de problèmes qu’il n’en résout, nous nous
en tiendrons pour l’heure à la notion de zone interlectale. » J. Bernabé (1983) nuance ce
point de vue, quant à lui, et fait référence à ce qu’il qualifie de mouvement socio-
symbolique d’hypercorrections et d’hypercréolisations. Il postule que ces mouvements
agitent la zone interlectale et ne peuvent être compris en dehors de toute référence aux
pôles (basilecte et acrolecte), et participent à la structuration de la diglossie. En citant
Hymes (1972)40, l’auteur rappelle que le statut d’une parole antillaise se définit à deux
niveaux distincts :

- un niveau épilinguistique « gloto-idéologique », inscrit dans la logique interactionnelle


de la communication,

- un niveau épilinguistique relevant « d’une méta-analyse » et qui met en œuvre une


certaine abstraction et une certaine discrimination.

En résumé, « un discours tenu par un locuteur lambda sera toujours soumis à cette
procédure interactionnelle spontanée d’identification ». L’auteur n’exclut pas cependant
un blocage possible de l’identification spontanée à un code ou de la communication elle-
même, d’où la notion de « kouwòch » en Guadeloupe et de « kawo » en Martinique,
solécisme réalisé par un locuteur créolophone, maîtrisant mal la langue française, mais

39
Notre traduction.
40
En envisageant la communication dans une perspective anthropologique, Dell Hathaway Hymes a
introduit le langage en acte – verbal et non verbal – au cœur de l’analyse sociolinguistique. L’étude du
langage, envisagé comme comportement social et culturel, évolue d’une « ethnographie de la parole »
(centrée sur la variation linguistique et la dimension pragmatique) à une ethnographie de la communication.
Hymes, D.H. (1972), “On Communicative Competence”, In: J.B. Pride and J. Holmes (eds),
Sociolinguistics. Selected Readings. Harmondsworth: Penguin, pp. 269-293.

43
tenant absolument à la parler alors que l’inverse n’est point vrai41. Bernabé (1983, p. 67)
qualifie, par conséquent, la position de Prudent dans ce domaine comme essentiellement
heuristique, donc conservatoire et ouverte 42 . Sans nous immiscer dans ce débat
linguistique, nous soulignerons que ce domaine particulier qu’est le médico-éducatif est
souvent le théâtre de tels solécismes. Nous relevons également la persistance du patient à
utiliser un français mal maîtrisé au détriment du créole qu’il peut qualifier de « palé
agricol malkiltivé, palé à viénèg », « un parler agricole et mal cultivé, un parler de vieux
nègre ». « Les plus faibles se réfugient dans un maquis qui ne peut être que culturel. »43

Pourrait-on concrètement identifier aujourd’hui ces plus faibles ? Comment leur apporter
de l’aide dans le cadre de notre démarche et ainsi leur permettre de gagner en qualité de
vie ? Autant d’interrogations auxquelles nous tentons de répondre dans ce travail.

41
J. Bernabé, Fondal-natal, Grammaire basilectale approchée des créoles guadeloupéen et martiniquais,
Volume 1, p. 67, L’Harmattan, 1983.
42
Ibid., p. 34.
43
M.-A. Dufrénot, Nous fils de nos ancêtres, état des lieux, état des hommes, édition Désormaux, 2000, p.
89.

44
ETAT DES CONNAISSANCES EN EDUCATION
THERAPEUTIQUE DU PATIENT

45
2 Présentation de l’éducation thérapeutique du patient (ETP)
« Si on devait expliquer l’éducation thérapeutique à un profane, on dirait qu’il s’agit
d’apprendre au patient à devenir son propre médecin. Du moins est-ce le but idéal ? A la
vérité, les médecins ressemblent fort à leurs patients et c’est assez rassurant ! Souvent
excellents pour soigner les autres, mais ayant les plus grandes difficultés à se soigner
eux-mêmes. Que conclure ? Peut-être que… si les médecins se soignent souvent mal,
c’est que ce sont des gens normaux ? » A. Grimaldi, Onco-Théranostic n° 4, Déc. 201244

2.1 Définition
Selon les recommandations du rapport Saout destiné à l’étude et à l’élaboration de la loi
« Hôpital Patients Santé Territoire » (HPST), du 21 juillet 2009, dite loi Bachelot :
« L’éducation thérapeutique s’entend comme un processus de renforcement des capacités
du malade et/ou de son entourage à prendre en charge l’affection qui le touche, sur la
base d’actions intégrées au projet de soins. » Elle vise à rendre le malade plus autonome
par l’appropriation de savoirs et de compétences afin qu’il devienne l’acteur de son
changement de comportement, à l’occasion d’évènements majeurs de la prise en charge
(initiation du traitement, modification du traitement, événements intercurrents, mais aussi
plus généralement tout au long du projet de soins, avec l’objectif de disposer d’une
qualité de vie acceptable par lui. « Ainsi, l'éducation thérapeutique “stricto sensu” se
distingue de l’accompagnement du malade, défini comme un processus externe, veillant à
soutenir le patient et son entourage, y compris dans le cas d’un accompagnement pour
une bonne observance des traitements. »

La prise en compte de ces recommandations par le législateur français, en 2008, soit 10


ans après l’OMS (1998), montre s’il en était besoin l’évident retard dont souffre le
système de santé français dans la reconnaissance de l’ETP comme faisant partie
intégrante des soins. Mais, peut-on considérer l’ETP comme un simple transfert de

44
« L’homme est un être de raison, de besoins et de désirs parfois déraisonnables », nous dit l’auteur en
citant J. Lacan. « La ruse de la raison consiste à faire croire aux individus qu’ils savent ce qu’ils
veulent ! » « Chacun veut bien être différent, mais pas anormal, de peur d’être réduit à sa maladie, victime
de l’arrogance des gens “normaux”, et finalement se voir dévaloriser aux yeux des autres et à ses propres
yeux. » « Le médecin, prenant soin d’un patient atteint d’une maladie chronique, devrait toujours être
habité par une double conviction : “Je ne suis pas sûr qu’à sa place je ferais mieux ; mais à nous 2, on

46
connaissances et de compétences au patient ? Limiter l’ETP à ces seuls objectifs, ne
serait-ce pas réducteur ? De nombreuses études de part le monde, notamment celles
rassemblées par la Cochrane Library en 200145, portent la preuve de l’efficacité de l’ETP
structurée, comparant l’éducation thérapeutique simplifiée et l’éducation thérapeutique
structurée. La Cochrane Review, qui fait référence en matière de littérature médicale, fixe
les règles d’une ETP efficace en termes de résultats. Cette reconnaissance d’efficacité
repose précisément sur un système de gradation selon la grille des recommandations de la
Haute Autorité de santé (HAS). Cette grille prévoit trois niveaux de gradations qui
correspondent au niveau de preuve fourni par la littérature scientifique.

2.2 Niveau de preuve

Tableau 1 : Grades des recommandations en médecine factuelle. Source Revue des maladies respiratoires,
Société de pneumologie de langue française, Service des recommandations et références professionnelles
de l’ANAES, juin 2001, cahier 2, vol. 19, p. 2S9.

pourra sûrement mieux faire”. » A. Grimaldi. Paris, Correspondances en Onco-Théranostic n° 4, décembre


2012, p. 142.
45
La Cochrane Library concluait cette publication en précisant que « l’utilisation d’un plan d’autogestion
(self-management) chez l’adulte apportait un bénéfice clinique important. Cette amélioration était plus
importante en cas de plan d’action écrit et de suivi médical régulier ». « Ces interventions conduisaient à
une réduction de l’utilisation des soins et une diminution des symptômes nocturnes et de l’absentéisme
professionnel. ». Revue des maladies respiratoires, Vol. 19, Cahier 2, « Education thérapeutique du patient
asthmatique et de l’adolescent », Service des recommandations et références professionnelles, juin 2001, p.
2S49.

47
A chaque niveau de preuve correspondent un grade et des recommandations 46 . En
application des recommandations de la Haute Autorité de santé et en conformité avec sa
grille de classification, bénéficiant de l’apport scientifique le plus élevé, par la méta-
analyse de la Cochrane Library notamment, l’ETP dispose du plus haut niveau de grade
en médecine factuelle : le grade A47.

L’éducation thérapeutique fait preuve d’une efficacité démontrée sur plusieurs critères
d’évaluation du contrôle de l’asthme, en particulier les hospitalisations, les recours aux
urgences, les consultations non programmées ; ces constats relèvent du grade A.
L’éducation thérapeutique structurée est plus efficace que l’information seule 48 . Elle
comporte au minimum un apprentissage de l’autogestion du traitement par le patient
(plan de traitement écrit, appréciation des symptômes et/ou mesure du débit expiratoire
de pointe [DEP] par le patient) et nécessite un suivi régulier par le médecin au moyen de
consultations programmées (grade A). Gibson et al. 49 , dans une méta-analyse de la
Cochrane Library, ont étudié l’effet des self-management programs associés à un suivi
régulier par un médecin ou une infirmière (évaluation de l’asthme et revue du traitement)
sur l’état de santé de patients asthmatiques de plus de 16 ans.

- Effet sur l’hospitalisation


La méta-analyse de la Cochrane Library, reprenant 23 études contrôlées randomisées
(soit 2 856 patients âgés de plus de 16 ans), a retrouvé une diminution des
hospitalisations (odds ratio = 0,57 ; IC 95% : 0,38 à 0,88) pour exacerbation d’asthme
dans le groupe « éduqué ».

46
P.G. Gibson, J. Goughlan, A.J. Wilson, A. Bauman, M.J. Hensley, E.H. Walters : “Self management
education and regular pratictioner review for adults with asthma” (Cochran review) In : The Cochrane
library, Issue 2, Oxford : Update Software, 2001. « Education thérapeutique structurée versus éducation
thérapeutique simplifiée », Education thérapeutique du patient, Service des recommandations et références
professionnelles de l’ANAES, juin 2001, Société de pneumologie de langue française, Revue des maladies
respiratoires, vol. 19, avril 2002, Cahier 2, Masson, pp. 2S43-2S49.
47
Au regard de ce grade dans la littérature médicale internationale et de la méta-analyse précitée, recensant
quelque 34 études menées dans 12 pays différents, nous sommes fondé à admettre que les experts sont
unanimes à reconnaître que l’ETP apporte une amélioration immédiate et significative au patient en termes
de qualité de vie. (Notre traduction).
48
SPLF, « Education thérapeutique du patient asthmatique adulte et adolescent ». Revue des maladies
respiratoires, vol. 19, avril 2002, Cahier 2, Masson, p. 2S15-2S24.
49
Gibson, P., et al. “Self-management education and regular practitioner review for adults with asthma”,
The Cochrane Library, 2001, p. 2S49.

48
- Effet sur le recours aux urgences
Douze études se sont intéressées à l’effet des programmes éducatifs sur le recours aux
urgences pour asthme. Il existait une diminution significative (odds ratio = 0,55 ; IC
95% : 0,39 à 0,77) du recours aux urgences dans le groupe ayant eu une éducation par
rapport au groupe de suivi régulier seul.

- Effet sur les consultations non programmées


Les résultats des études concernant l’effet sur les consultations non programmées
variaient en fonction du mode d’analyse des consultations non programmées. Rapportées
au nombre de patients (quatre études), il existait une réduction significative (odds ratio =
0,57 ; IC 95% : 0,40 à 0,82) des consultations non programmées dans le groupe éduqué.
Le nombre moyen de consultations (cinq études) ne différait pas significativement entre
le groupe contrôle et le groupe éduqué.

- Effet sur l’absentéisme scolaire et professionnel


Rapporté au nombre de patients (six études, odds ratio = 0,55 ; IC 95% : 0,38 à 0,79), il
existait un effet bénéfique des programmes éducatifs sur l’absentéisme scolaire ou
professionnel. Rapporté au nombre moyen de jours d’absentéisme (sept études), l’effet
était moindre (Standardized mean difference -0,126). Toutefois, les études analysées
étaient hétérogènes en raison des différents types d’interventions proposées.

- Effet sur l’asthme nocturne


Les programmes éducatifs d’autogestion de l’asthme réduisaient (odds ratio = 0,53 ; IC
95% : 0,39 à 0,72) la proportion de sujets se plaignant de symptômes nocturnes. Cet effet
a été retrouvé tant dans les programmes d’autogestion et de suivi régulier que dans les
programmes d’éducation plus élaborés.

- Effet sur la fonction respiratoire


Parmi les sept études (dont six concernant un programme d’éducation plus élaboré)
analysant l’impact d’un programme éducatif sur le volume expiratoire maximal seconde
(VEMS), aucune n’a retrouvé de modification de ce paramètre. Les études s’intéressant
au DEP (11 études) ont observé une tendance à l’amélioration du débit expiratoire de
pointe (DEP) après un programme éducatif, à la limite de la significativité (p<0,05). De
plus, le gain étant de l’ordre de 8,4 L/min, le bénéfice clinique restait limité.

49
- Effet sur l’épargne d’une corticothérapie par voie générale
Le gain en termes d’épargne de corticoïdes, après un programme éducatif, n’a pas été
démontré, mais seulement trois études se sont intéressées à ce paramètre.

Cette analyse doit être en partie tempérée par l’imprécision des stratégies éducatives
employées (nature, durée, professionnel concerné) et par l’utilisation, dans certains
groupes contrôles, du DEP. En outre, les durées de suivi n’excédaient pas 12 mois pour
24 études sur 25. Après l’acquisition des preuves du bien-fondé de l’éducation
thérapeutique, celle-ci est devenue une priorité de santé publique par, notamment, les
orientations du plan national d’éducation à la santé (2001) et les programmes nationaux
d’actions 2002-2005. La circulaire du 12 avril 200250, relative à l’éducation thérapeutique
au sein des établissements de santé, définit les modalités d’appel d’offre national. Des
crédits devaient être délégués par les agences régionale de l’hospitalisation (ARH), repris
depuis par les agences régionales de santé (ARS).

2.3 Les effets des recommandations de l’OMS de 1998 en France


Ces recommandations, édictées à destination des pays membres, proposaient une
éducation thérapeutique pour tous les patients porteurs de maladies chroniques, ainsi
qu’une formation spécifique pour les acteurs de santé destinés à dispenser cette
discipline. S’appuyant sur ces recommandations de 1998, des acteurs de terrain ont pris le
problème à bras-le-corps et ont développé ici et là sur le territoire français, en ville
notamment, des structures d’ETP, financées le plus souvent par des fonds privés
(laboratoires pharmaceutiques entre autres). Forts de leurs expériences, ils ont pu par la
suite, pour développer leurs activités d’ETP, solliciter un fonds géré par les caisses
d’assurance maladie, destiné à financer l’amélioration de la qualité des soins de ville, le
FAQSV, à l’exemple de l’école de l’asthme de Guadeloupe créée en 2002.

50
Circulaire DHOS/DGS n° 2002-215 du 12 avril 2002 relative à l'éducation thérapeutique au sein des
établissements de santé : appel à projets sur l'asthme, le diabète et les maladies cardiovasculaires, Bulletin
officiel du ministère chargé de la santé, n° 2002/18, p. 265-271.

50
2.3.1 Mise en place d’un dispositif d’aide à l’amélioration de la qualité des
soins de ville (FAQSV)

Créé pour cinq ans par la loi de finance de la sécurité sociale de 1999, le Fonds d’aide
pour l’amélioration de la qualité des soins de ville (FAQSV) avait pour vocation de
contribuer au développement de projets innovants destinés à l’amélioration de la prise en
charge globale des patients porteurs de maladies chroniques, incluant l’équipement des
structures mais aussi le paiement au forfait des séances d’ETP, tout en assurant la
coordination des acteurs intervenant dans cette prise en charge globale. Notre but ici n’est
pas de dresser un bilan exhaustif de ce dispositif, mais de reconnaître son caractère
opportun dans le développement de l’ETP en Guadeloupe, à ses premières heures. Au
titre de la loi du 11 février 2002 (article L. 162-45), les structures innovantes pouvaient
expérimenter des actes dérogatoires, c’est-à-dire des actes non remboursés par
l’assurance maladie. En d’autres termes, ces prestations étaient destinées à solvabiliser les
patients souffrant de pathologies chroniques, en faisant intervenir dans la prise en charge
des acteurs autres que médicaux ou des acteurs conventionnés mais dispensant des
« actes résiduels »51. Ce dispositif de financement a été repris par les différents autres
fonds qui ont suivi, à savoir, la Dotation nationale pour le développement des réseaux
(DNDR), déclinée en Dotation régionale pour le développement des réseaux (DRDR) au
plan local, le Fonds d’intervention pour la qualité et la coordination des soins (FIQCS), et
qui sont maintenus aujourd’hui dans le Fonds d’interventions régionales (FIR) géré par
les ARS. L’article 65 de la loi de finance de la sécurité sociale de 2012 a mis en commun
les dotations pour la permanence des soins, aussi bien ambulatoires qu’en établissements,
et pour ceux de la modernisation des établissements de santé publics et privés, ainsi que
les crédits de prévention.

2.3.2 Le plan asthme de 2002 dit plan Kouchner

Au congrès annuel de la Société de pneumologie de langue française qui s’est tenu en


janvier 2002, B. Kouchner, alors ministre de la Santé du gouvernement Jospin, a présenté
son programme d’actions et de prévention dans la prise en charge de l’asthme, considéré

51
On entend ici par « actes résiduels », des actes ne figurant pas dans la nomenclature des actes
professionnels, mais qui ont vocation à y entrer, dès lors qu’ils apportent un enrichissement à la prise en
charge globale du patient, à l’exemple des actes de podologie, de diététique, de psychologie, et bien
entendu, des actes d’éducation thérapeutique. (Notre traduction).

51
comme une priorité de santé publique. Le nombre d’asthmatiques, connu en France à
cette époque, est d’environ 3,5 millions, et sa prévalence est en constante augmentation.
Pour le ministre, l’identification des facteurs de risque de la maladie, l’amélioration de
l’information ainsi que la prise en charge sont des priorités. Le ministre dresse un état des
lieux. Pour lui, plusieurs évidences sont à souligner. Il s’agit d’une maladie chronique qui
nécessite un diagnostic et une évaluation précoce, une organisation rationnelle des soins
et une autonomisation des patients. Sa prévalence est en constante augmentation : environ
5 à 7% chez les adultes et 10 à 15% chez les enfants ; le nombre de décès est d’environ
2 000 par an. 95% des asthmes chez l’enfant sont atopiques52.

Les facteurs de risques sont identifiés et connus de tous : allergènes, virus, tabagisme
(actif ou passif), pollution chimique, effort, stress, hormones, influences psychologiques.
Il est à noter qu’il existe une sous-déclaration des asthmes professionnels.

Nous avons relevé également une évidente difficulté à mettre en œuvre des actions
collectives, compte tenu du caractère multifactoriel de cette maladie.

Les recommandations de bonnes pratiques ne sont pas toujours très claires en la matière,
ce qui explique qu’elles ne soient pas toujours bien suivies sur le terrain.

La gestion des urgences n’est pas optimale, les hospitaliers manquent et les corticoïdes
inhalés ne sont pas suffisamment prescrits.

Les évaluations font encore défaut en matière de dépenses et de gestion de la maladie.

Les « Réseaux Asthme » 53 sont en développement et devraient permettre à la fois la


réduction des dépenses et l’amélioration des soins.

Le montant des dépenses médicales et sociales s’élève, en 2001, à 1,5 milliard d’euros.

2.3.2.1 Le renforcement de l’information sur l’asthme à tout public

Le ministre annonce la mise en place d’un numéro vert, d’un site Internet et d’une
campagne pour lutter contre le tabagisme. En ce qui concerne les personnes allergiques,
une amélioration de l’étiquetage des denrées alimentaires ainsi que la labellisation des

52
Annexe n° 6, « Programme d’actions de préventions et de prise en charge de l’asthme 2002-2005 »,
Chapitre : « Améliorer la qualité des soins », p. 11.
53
Appellation dans le monde médical des réseaux de santé, à l’exemple des réseaux diabète, des réseaux
cancers, réseaux maladies chroniques, réseaux maladies mentales, etc.

52
produits anti-acariens deviennent nécessaires. La promotion du métier de conseiller en
environnement intérieur est à faire également.

2.3.2.2 L’amélioration de la qualité des soins

Pour une diminution du nombre de décès, l’optimisation de la prise en charge aux


urgences de l’asthme aigu-grave, par la mise en place notamment de protocole précis,
doit être la priorité des priorités, ainsi qu’une éducation thérapeutique, donnée en priorité
à ces patients. Le suivi de ces patients doit être amélioré, car il s’avère que plus de 60%
des enfants asthmatiques et 45% des adultes n’ont jamais eu d’épreuve fonctionnelle
respiratoire (EFR). L’impulsion donnée aux « Réseaux Asthme » devrait permettre
l’élaboration de recommandations sur le suivi optimal du patient, la sensibilisation des
médecins généralistes, la mobilisation des PMI et l’élaboration d’un guide de bonnes
pratiques par l’Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé (ANAES). Il
apparaît très clairement que l’augmentation de la fréquence des asthmes est corrélée à un
sous-diagnostic et des traitements mal adaptés, entraînant des retards staturo-pondéraux,
un absentéisme scolaire important et une mauvaise qualité de vie.

2.3.2.3 Le développement de l’éducation thérapeutique

L’objectif visé est d’aider le patient et son entourage à comprendre sa maladie de manière
à mieux l’assumer en respectant les protocoles thérapeutiques, diminuant ainsi les
hospitalisations et les urgences. Il convient, par là même, de rattraper les inégalités
territoriales en la matière. La démarche éducative doit être une démarche construite,
étagée et renouvelée. Des moyens supplémentaires seront donnés. Nous constatons en
substance de ces déclarations du ministre un certain réalisme sur la situation de la prise en
charge de l’asthme en France, qui nécessite une remise à plat de la situation et des
mesures audacieuses de redressement, passant notamment par les réseaux de santé. Ces
dispositions annoncées par le ministre seront concrétisées par la Direction générale de
santé (DGS) au travers de la circulaire du 15 avril 200254.

2.3.3 Naissance des réseaux de santé

Les réseaux de santé sont nés de la précarité qui a fait suite aux chocs pétroliers de 1973-
1974. Ils ont permis ensuite une réponse adaptée à l’épidémie du VIH dans les années

53
1990. C’est la loi n°2002-303 du 4 mars 200255, relative aux droits des malades et à la
réorganisation du système de soins, qui assoit définitivement les réseaux sur une base
juridique solide en inscrivant leur définition dans le Code de la santé publique (CSP). Elle
pose le principe du regroupement de l’ensemble des réseaux existants, sous l’appellation
de « réseaux de santé ». Désormais, les réseaux de santé sont définis par l’article L 6321-
1 du Code de la santé publique.

2.3.3.1 Financement des réseaux de santé

Les réseaux sont financés depuis 1999 par la Caisse nationale de l’assurance maladie des
travailleurs salariés (CNAMTS), par le Fonds d’aide à la qualité des soins de ville
(FAQSV), mais c’est la loi du 12 décembre 2001 (loi de financement de la sécurité
sociale pour 2002) qui crée un financement organisé : la Dotation nationale de
développement des réseaux (DNDR), déclinée au plan régional en Dotation régionale
pour le développement des réseaux (DRDR). Les valeurs des réseaux sont en accord avec
la définition de la santé de la Charte de Bangkok signée en août 200556, qui fait suite à la
définition de la santé de l’OMS, puis de la Charte d’Ottawa : la place du patient est au
centre du système de soin, où les notions de « justice sociale » et d’« équité » doivent
s’affirmer. Le système de soin doit donner au patient les moyens d’être acteur de sa santé.
Le réseau place, selon ces principes, le patient au centre du système de santé dans toutes
ses composantes : médicale, médico-sociale, sociale, préventive et éducative. La prise en
charge en réseau s’applique au niveau local par la relation de proximité avec le patient et
permet une amélioration de l’accès au soin.

54
Circulaire DHOS/DGS n°2002/215 relative à l'éducation thérapeutique au sein des établissements de
santé : appel à projets sur l'asthme, le diabète et les maladies cardiovasculaires. Paris, 12 avril 2002.
55
A l’origine, l’ordonnance « Juppé » du 24 avril 1996 avait établi une distinction entre deux types de
réseaux, à savoir les réseaux de soins de l’article L. 6162-31-1 du Code de la sécurité sociale, qui visaient à
améliorer la coordination des soins (sous la tutelle des unions régionales des caisses d’assurance maladie ou
« URCAM »), et les réseaux de soins de l’article L. 6121-5 du Code de la santé publique, qui concernaient
le champ des installations en lits, places ou équipements matériels lourds et des activités de soins, et
associaient les établissements de santé, les médecins libéraux, d’autres professionnels de santé ainsi que des
organismes à vocation sanitaire et sociale sous la tutelle des agences régionales de l’hospitalisation (ARH).
56
Organisation mondiale de la santé (OMS). Promotion de la santé : adoption de la Charte de Bangkok
pour répondre aux enjeux de la santé mondiale. Août 2005. Annexe n° 3.

54
2.3.3.2 Le réseau de santé, berceau de la prise en charge pluridisciplinaire du
patient

De même, les notions de prévention et d’éducation sont essentielles à toute prise en


charge en réseau57. Une définition imagée et philosophique du réseau pourrait être : « un
ensemble pluridisciplinaire d’acteurs de santé qui éclaire différemment une même
problématique ». Il existait en 2005 plus de 500 réseaux en France, 700 en 2011. Ils
prennent en charge entre 150 000 et 200 000 personnes58.

2.3.3.3 Le réseau repose sur trois piliers

Trois éléments fondamentaux caractérisent le droit des réseaux59 : le réseau doit remettre
un document d’information à chaque patient pris en charge, précisant son
fonctionnement, les prestations proposées, les moyens prévus pour assurer son
information. Celle-ci détermine les caractéristiques d’une prestation individualisée. La
charte des réseaux définit les engagements des établissements et des professionnels de
santé au sein du réseau, pour répondre à l’objectif d’une prestation individualisée. La
charte doit être cosignée par chacun des membres. Elle rappelle notamment les principes
éthiques du réseau. Un rapport d’évaluation doit permettre d’apprécier, tous les trois ans,
le niveau d’atteinte des objectifs, la qualité de prise en charge des usagers, la participation
et la satisfaction des usagers et des professionnels, l’organisation, le fonctionnement et
les coûts du réseau.

2.3.3.4 Le fonds des prestations dérogatoires

L’intérêt actuel de l’action en réseau est également économique : au sein du FAQSV


institué par le décret de novembre 1999, figure un fonds destiné au financement d’actes
dérogeant au droit commun, le Fonds des prestations dérogatoires. Ce sont les actes non
codifiés qui ne figurent pas dans la nomenclature générale des actes professionnels mais
qui ont vocation à y entrer dès lors qu’ils apportent une plus-value à la prise en charge.
Ces prestations sont versées, par le réseau, aux professionnels de santé, conventionnés ou

57
Larcher P. et Poloméni P., La santé en réseaux. Objectifs et stratégies dans une collaboration ville-
hôpital, ed. Masson. 2001, Paris, p. 123.
58
Poutout G., « Réseaux de santé : créer du lien pour donner du sens ». Sociologies pratiques, 2005. 11: p.
33-54. www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/2009-08.
59
Larcher P. et Poloméni P., La santé en réseaux. Objectifs et stratégies dans une collaboration ville-
hôpital, ed. Masson. 2011, Paris, p. 47.

55
non60. Ce sont des prestations non rémunérées par le patient lui-même, qui resteraient à sa
charge, mais payées par le réseau au praticien les ayant réalisées. Le montant de cette
enveloppe est défini par la négociation annuelle, entre les financeurs et le réseau.

2.3.4 Un plan national pour l’amélioration de la qualité de vie des


personnes souffrant de pathologies chroniques (2007-2011)

A l’annonce de ce plan en 2007, les maladies chroniques touchent 15 millions de


personnes, soit 20% de la population française. Les personnes les plus sévèrement
atteintes représentent 7,5 millions de cette population. Elles disposent d’une prise en
charge en affection de longue durée (ALD). A la fin de 2011, cette population représente
9,2 millions. Avec « l’allongement de la durée de vie », la plupart de ces maladies sont en
augmentation. Pourquoi un plan pour l’amélioration de la qualité de vie des personnes
atteintes de maladies chroniques ?

Par l’avènement de ce plan, le système de santé français a franchi un cap en introduisant


dans la prise en charge de ces personnes malades une notion subjective, « la qualité de
vie ». Jusqu’à cette date, la médecine avait la primauté sur la santé. En introduisant cette
notion de qualité de vie, on confère par là au malade lui-même le pouvoir majeur
d’apprécier sa qualité de vie et de décider s’il accepte ou non d’être considéré comme
« malade », subjectivement, tout en l’étant objectivement, et d’interférer dans la prise en
charge. C’est une avancée considérable qui remet en cause les paradigmes. Les
thérapeutes doivent désormais composer avec la qualité de vie du patient, ce qui fera dire
au présentateur du plan, W. Dab, D.G.S. : « Nous sommes peu à peu passés à une
logique, où le contexte et l’environnement, l’approche sociale des populations sont
désormais profondément modifiés et où il convient plutôt de considérer une prise en
charge globale des problèmes de santé avec la qualité de vie comme indicateur
privilégié. » 61 62 . Lors des états généraux de l’asthme à Paris en 2007, P. Godard
remarque : « La médecine est un art, et cet art essaie de devenir une science, mais en y

60
Majoration d’une prestation existante ou prestation non remboursée par l’assurance maladie.
61
W. Dab, directeur général de la santé, présentation du rapport préparatoire du plan QVMC, Paris, juillet
2004.
62
W. Dab, DGS, présentation du rapport préparatoire du plan QVMC, Paris, 2004.

56
introduisant la qualité de vie cela devient du grand art. »63 Mais, peut-on concrètement
définir la qualité de vie ?

2.3.4.1 Origine du concept de la qualité de vie

La qualité de vie est un concept né il y a quelques années dans les pays anglo-saxons ;
elle réunit l’ensemble des satisfactions d’un individu ou d’un groupe de sujets à propos
de leur vie, des activités physiques et sportives, du domaine affectif et relationnel et de la
vie professionnelle. La qualité de vie en matière de santé concerne essentiellement le
vécu du malade. C’est un indicateur relativement nouveau pour les médecins, qui
travaillent plus facilement avec des concepts comme la morbidité (prise irrégulière des
médicaments, consultations non programmées, visites aux urgences, hospitalisations) et
la mortalité. En 1994, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a retenu la définition
suivante de la qualité de la vie : c’est « la perception qu’a un individu de sa place dans
l’existence, dans le contexte de la culture et du système de valeurs dans lesquels il vit, en
relation avec ses objectifs, ses attentes, ses normes et ses inquiétudes. Il s’agit d’un large
champ conceptuel, englobant de manière complexe la santé physique de la personne, son
état psychologique, son niveau d’indépendance, ses relations sociales, ses croyances
personnelles et sa relation avec les spécificités de son environnement ». Plusieurs aspects
sont imbriqués dans ce concept, à savoir psychologique, physique, social et le bien-être
matériel. C'est un concept à utiliser avec précaution, nous rappellent les auteurs de l’étude
Ipsos réalisée en 2008, car il est très subjectif. La globalité de l’approche proposée est un
frein à l’élaboration d’une définition consensuelle. La qualité de vie est ainsi synonyme
de bien-être, de perception de la santé et de satisfaction de vie, selon cette approche. Le
flou qui entoure ce concept est systématiquement souligné par les auteurs qui s'y sont
intéressés. La littérature s’accorde tout de même à considérer la qualité de vie comme un
concept multidimensionnel (Leplège, 2001 ; Rejesky et Mihalko, 2001), qui se structure
le plus souvent autour de quatre dimensions :

63
P. Godart, « Etats généraux de l’asthme », Association asthme, Paris, mars 2007.

57
Tableau 2 : Les dimensions de la qualité de vie. Inspiré de Leplège, Rejesky et Mibalko (2001).

Une qualité de vie vécue comme médiocre en Europe pourrait apparaître plus que
satisfaisante d'un point de vue du tiers-monde. Si la théorie classique postule que
consommation et qualité de vie sont liées, certaines autres théories relativisent ce
postulat. Selon l'enquête Trend Observer 200864, six Français sur dix sont d'accord avec
l'idée que pour améliorer la qualité de vie, il faut réduire la consommation. Du point de
vue du malade, c’est le fait de pouvoir pratiquer une activité sportive, de pouvoir gérer
correctement sa maladie. Pour l’asthmatique, la bonne qualité de vie est d’avoir une vie la
plus normale possible, de dormir correctement sans être réveillé par son asthme, de ne
pas se sentir fatigué au réveil, de pouvoir s’adonner à ses activités de loisir, de monter les
escaliers sans être essoufflé et de ne pas être constamment obligé de mesurer ses limites.
Il existe beaucoup d’interrogations sur la qualité de vie. Est-elle mesurable, est-elle
altérée par l’asthme ? Peut-elle être modifiée par une prise en charge adéquate ?

2.3.4.1.1 La mesure de la qualité de vie dans l’asthme

En matière de mesure de l’efficacité des traitements, il existe depuis fort longtemps des
critères objectifs reconnus, mais il faut désormais tenir compte de la composante
subjective que constitue la qualité de vie, estimée par le patient lui-même. Le point de

64
L’Observatoire Trend Observer a pour mission de détecter les tendances émergentes dans le monde, à les
hiérarchiser, en distinguant les tendances lourdes, ayant vocation à se généraliser à l’ensemble de la
population, et les « micro tendances », destinées à demeurer concentrées dans certains milieux sociaux. Son
objectif est la mise en perspective de ces tendances afin de déterminer leurs possibles incidences sur
l’évolution des modes de vie des populations. Depuis 1997, Trend Observer suit les changements de modes
de vie et de consommation dans les grands pays développés (France, Grande-Bretagne, Suède, Italie, Japon,

58
vue du patient, celui du professionnel de santé et celui de la société offrent des regards
différents sur la qualité de vie. Les préoccupations des personnels soignants et celles des
patients ne concordent pas nécessairement (Leplège, 2001). Il existe deux grandes classes
de tests de mesure de la qualité de vie.

Les instruments spécifiques sont centrés sur une pathologie ou un public particulier,
tandis que les instruments génériques sont utilisés dans le cas de pathologies variées et
évaluent de façon assez globale l’état de santé, le fonctionnement psychologique et
l’environnement social du sujet. Les cotations de type index ou profil rendent
respectivement compte d’une vision globale ou analytique de la qualité de vie. Les index
produisent un score global, tandis que les profils fournissent un score pour chacune des
dimensions explorées de la qualité de vie, sans les combiner en un score unique. Il existe
sept échelles validées en français pour évaluer cette qualité de vie (Tableau 3). Le
questionnaire d’Elizabeth Juniper est considéré comme une référence pour évaluer celle
des patients asthmatiques65.

Nom Adaptation Index / profil Approche Structure


française
ISPN Bucquet, 1990 Profil Biomédicale 38 items, 6
dimensions
QWB Kaplan, 1975 Index Psychosociale 4 sous-échelles,
pondérées
SIP Bergner, 1981 Index et Biomédicale 138 questions, 12
profil dimensions
Profil de santé de Guillemin, 1995 Profil Médico- 3 dimensions
Duke psychologique décrivant chacune
un aspect de mal-
être (INPES, 2000)
EuroQol Health Policy, Index Socio- Attribue une valeur
1990 économique sociale aux états de
santé
PQVS Guérin, 1991 Profil Biomédicale
SF36 Leplège, 1995 Index et Biomédicale 6 questions, 8
profil dimensions

Tableau 3 : Liste des échelles de mesure de la qualité de vie validées en français

USA), et détermine les axes de développement et les pistes d’innovation pour le futur. Etude « Trend
Observer 2008 » d'Ipsos, in Les Echos, 2 décembre 2008, page 19.
65
« Evaluation de la qualité de vie de l’enfant asthmatique », questionnaire Juniper, Annexe n°III,
Elizabeth Juniper, MCSP, MSc, Department of Clinical Epidemiology and Biostatistics, University
Medical Centre, Room 2C10 possible b1200 Main Street West from, Hamilton, Ontario, Canada L8N 3Z5.

59
Ce questionnaire est remis au patient au moment de la première rencontre et récupéré
avant la fin de la session. Un 2e questionnaire est adressé au patient un an après,
permettant d'analyser l'impact de l'éducation thérapeutique effectuée sur sa qualité de vie.
A ce jour, depuis l'année 2005, date du début de l'activité du « Réseau Asthme » de
Guadeloupe, les résultats montrent une amélioration significative de la qualité de vie des
patients pris en charge, dépassant les 60%. Une étude rétrospective menée sur les années
2007-2008-2009 sur une population d’asthmatiques ayant bénéficié de l’éducation
thérapeutique en Guadeloupe note un certain maintien de l’amélioration des indicateurs,
aussi bien en termes de comorbidités que de qualité de vie66. Ce type de questionnaire a
montré une certaine variabilité de la perception de la qualité de vie, pour une obstruction
donnée, d’un patient à un autre. En effet, elle peut s’avérer très diminuée chez un sujet
jeune, sportif, actif, subissant un tabagisme passif important et ayant un asthme stable
avec cependant un faible degré d’obstruction bronchique. A l’inverse, un sujet plus âgé,
plus sédentaire, peu actif, exposé au tabagisme, dont l’asthme est instable, se dira moins
gêné dans sa qualité de vie avec un même degré d’obstruction. En bref, on peut dire que
les médecins, aujourd’hui, ne peuvent plus se contenter des seuls paramètres classiques
pour apprécier la gêne respiratoire chez les asthmatiques ; ils doivent aussi tenir compte
de cette dimension qualitative. Une enquête menée en Europe et publiée par l’association
« Asthme & Allergies » en 200767 indique que 3,5 millions de Français et 30 millions
d’Européens sont touchés par cette maladie. Une des formes les plus graves est l’asthme
persistant sévère qui, s’il n’est pas contrôlé, peut être fatal pour le patient 68. En 2007, on
comptait encore 2 000 décès par an. L’EFA (European Federation of Allergy and
Airways Diseases Patients Associations) a initié l’enquête « Fighting for Breath » auprès
de 1 300 patients européens, pour évaluer l’impact de l’asthme sévère sur leur qualité de
vie et pour comparer la situation entre les cinq pays européens participants (Royaume-

66
« Evaluation of education program in asthmatic cohort in Guadeloupe », J. Gotin, in Education
thérapeutique du patient – Therapeutique Patient Education, Vol. 4 - N°2 (décembre 2012). Annexe IV.
67
« Fighting for Breath », Etude européenne initiée par l’EFA, European Federation of Allergy and
Airways Diseases Patients Associations, Asthme & Allergies, mars 2007.
68
Les admissions imprévues aux urgences pour asthme aigu constituent l’une des principales
caractéristiques de l’asthme sévère mal contrôlé. Chaque année, plus de 1 000 Français décèdent de leur
asthme. Avec le développement de l’éducation thérapeutique, ce chiffre a diminué de moitié en cinq ans, si
l’on se réfère au communiqué de presse rédigé en mars 2007 par l’association « Asthme & Allergie ».
« Fighting for Breath », Etude européenne initiée par l’EFA, European Federation of Allergy and Airways,
Diseases Patients Associations, Asthme & Allergies, mars 2007.

60
Uni, France, Allemagne, Espagne et Suède). En donnant la parole aux patients atteints
d’asthme sévère, non seulement cette enquête met en évidence leurs situations alarmantes
et leurs conditions de vie particulièrement difficiles, mais elle révèle aussi leurs attentes
en termes de prise en charge.

2.3.4.1.2 Maladie mal contrôlée, qualité de vie médiocre

La prévalence de l’asthme est en constante augmentation. Le degré de sévérité de la


maladie est variable. Dans les cas les plus graves, l’asthme est dit persistant sévère. Il
concerne 350 000 Français et six millions d’Européens. La qualité de vie des patients
asthmatiques sévères est souvent très altérée : symptômes permanents (sifflements,
essoufflement, sensation de blocage de poitrine et toux), activité physique limitée, crises
nocturnes fréquentes, importance de la variabilité du débit bronchique. Le contrôle de
l’asthme reste malheureusement insuffisant. Chaque année dans le monde, l’asthme est
fatal pour 250 000 asthmatiques. D’après l’OMS, si aucune action d’urgence n’est
entreprise, ces décès augmenteront de 20 % dans les dix prochaines années.

2.3.4.1.3 Une angoisse quotidienne

L’enquête « Fighting for Breath » révèle l’impact important de l’asthme sévère sur la vie
quotidienne : trois patients sur quatre ont un sommeil perturbé et des épisodes de
respiration sifflante au moins une fois par semaine. La survenue d’une ou plusieurs crises
limitant la capacité à parler au cours des 12 derniers mois, donc l’incapacité d’appeler les
secours, est rapportée par 70 % des patients asthmatiques sévères français et par 65 % des
patients de tous les pays ayant participé à l’étude. Un asthmatique sur cinq dit avoir eu ce
type de crise une fois par semaine en moyenne au cours de l’année écoulée. Seulement
2 % des asthmatiques sévères français estiment contrôler leurs symptômes (13 % tous
pays confondus).

Le professeur Daniel Vervloet, président de l’association « Asthme & Allergies » et


coordinateur de l’enquête en France, commente ainsi cet état des lieux alarmant : « Les
patients asthmatiques mènent une vie très stressante : plus de 30 % d’entre eux se sont
rendus aux urgences dans les 12 derniers mois, n’arrivant même plus à respirer, avec la
sensation d’avoir la corde au cou. » Plus de la moitié des personnes interrogées disent

61
souffrir d’anxiété et de stress à cause de leur asthme ; 25 % se sentent dans un état
extrêmement grave. Pire : 25 % ont le sentiment d’être en danger de mort ! En effet, les
mots le plus souvent associés à l’asthme sont : difficultés respiratoires, suffocations et
peur.

2.3.4.1.4 Un isolement social et professionnel

Les conséquences de l’asthme sévère sur la qualité de vie des patients sont
particulièrement lourdes. Les résultats de l’enquête montrent que les patients s’isolent
progressivement, ont tendance à refuser les sorties et les activités, craignant de voir
apparaître une crise. Les patients interrogés disent avoir manqué de vacances (28 %), de
sorties avec des amis (38 %), d’animaux de compagnie (49 %) et surtout d’activités
physiques (69 %). « A cause de mon asthme, mon mari et moi avons dû cesser de
nombreuses activités, nos sorties étant limitées. Les vacances en dehors de la maison
restent rares, l’irritation provoquée par les poussières et le tabac pouvant déclencher des
crises », raconte Sylvie, atteinte d’asthme sévère depuis l’enfance. Plus d’un tiers des
patients ont peur qu’une crise ne restreigne leur vie sociale, et 21 % n’ont pu saisir des
opportunités professionnelles en raison de leur asthme. En France, on estime que 15
millions de personnes, soit près de 20 % de la population, sont atteintes de maladies
chroniques. Certaines peuvent souffrir de plusieurs maladies à la fois69.

2.3.4.2 Les maladies chroniques, cibles privilégiées du plan

Selon l’OMS, les maladies chroniques sont des maladies nécessitant des soins de longue
durée, d’au moins une année, avec des répercussions sur la vie quotidienne des malades.
Il existe plusieurs types de maladies chroniques ; leur point commun est leur
retentissement sur les dimensions sociale, psychologique et économique de la personne
malade70. Il s’agit :

69
Les maladies chroniques sont des affections de longue durée qui, en règle générale, évoluent lentement.
Responsables de 63% des décès, les maladies chroniques (cardiopathies, accidents vasculaires cérébraux,
cancers, affections respiratoires chroniques, diabète...) sont la toute première cause de mortalité dans le
monde. Sur les 36 millions de personnes décédées de maladies chroniques en 2008, 29% avaient moins de
60 ans et la moitié étaient des femmes. OMS, Plan d’action 2008-2013 pour la Stratégie mondiale de lutte
contre les maladies non transmissibles, http://www.who.int/fr/.
70
OMS, Rapport 2005, « Former des personnels de santé pour le XXIe siècle, un défi des maladies
chroniques », Revue de pneumologie de langue française, Masson, 2006.

62
- des maladies comme l’insuffisance rénale chronique, les bronchites chroniques,
l’asthme, les maladies cardiovasculaires, le cancer ou le diabète, des maladies lourdement
handicapantes, comme la sclérose en plaques ;

- des maladies rares, comme la mucoviscidose, la drépanocytose et les myopathies ;

- des maladies transmissibles persistantes, comme le sida ou l’hépatite C ;

- enfin, des troubles mentaux de longue durée (dépression, schizophrénie), de la douleur


chronique, ou des conséquences de certains actes chirurgicaux comme les stomies (par
exemple, l'ablation d'une grande partie de l'intestin). Leur point commun est leur
retentissement sur les dimensions sociale, psychologique et économique de la personne
malade.

De l’asthme infantile au diabète du jeune adulte, une maladie chronique, quelle qu’elle
soit, détériore la qualité de vie. Elle peut entraîner des difficultés à suivre la scolarité ou
une formation, un risque de perte d’emploi en raison d’une inadaptation au poste de
travail, un refus d’assurance ou d’emprunt, une limitation de la pratique du sport et
d’autres activités nécessaires à l’équilibre personnel. Elle peut aussi entraîner des
handicaps, parfois lourds.

Le retentissement d’une maladie chronique sur la vie quotidienne d'une personne est
considérable. La maladie chronique crée une problématique relativement nouvelle pour le
médecin, dans la mesure où ni le diagnostic, ni la thérapeutique ne posent des difficultés
particulières, le problème étant essentiellement l’observance thérapeutique.

2.3.4.3 Les fondements législatifs du plan

Le plan d’amélioration de la qualité de vie des personnes atteintes de maladies chroniques


s’appuie sur les bases législatives suivantes :

- La loi du 9 août 2004, relative à la politique de santé publique, définit 100 objectifs
quantifiés à atteindre dans les cinq ans, dont 49 concernent des maladies chroniques. Le
présent plan est l’un des cinq prévus par cette loi.

- La loi du 13 août 2004 portant réforme de l’assurance maladie instaure la coordination


et l’organisation du parcours de soins personnalisé pour les maladies chroniques, avec la
mise en place du dispositif du médecin traitant et du dossier médical personnel.

63
- La loi du 11 février 2005 relative à l’égalité des droits et des chances, la participation et
la citoyenneté des personnes handicapées, intègre les conséquences des maladies
chroniques dans la définition du handicap71.

2.3.4.4 Les motivations du plan

Le plan est inspiré par six motivations :

- Plus le patient est impliqué dans les soins et la gestion de sa maladie, plus la prise en
charge est efficace.

- Nombre de complications peuvent être évitées, si le patient est conscient des risques
attachés à la maladie chronique dont il souffre et si on l’aide à acquérir les bons réflexes.

- Du fait de l’allongement de l’espérance de vie et des progrès de la médecine, il y a et il


y aura de plus en plus de personnes vivant de nombreuses années avec ce type de
maladie.

- Parce que notre système de santé doit s’y adapter.

- Dans bien des cas, l’on peut réduire considérablement les effets négatifs des maladies
chroniques sur la vie des patients, les incapacités qu’elles engendrent, les contraintes
qu’occasionne leur traitement.

- Parce qu'on a besoin de mieux mesurer l’impact des maladies chroniques sur la vie des
personnes qui en sont atteintes en France, et que l'on manque d’indicateurs précis. Pour
répondre donc à ces exigences, le plan s’est fixé quatre objectifs majeurs.

2.3.4.5 Ses quatre axes d’intervention

Le plan d’amélioration de la qualité de vie des personnes atteintes de maladies chroniques


a pour buts :

- d’aider chaque patient à mieux connaître sa maladie pour mieux la gérer ;

- d’élargir la pratique médicale vers la prévention ;

- de faciliter la vie quotidienne des malades ;

71
Cette loi crée, avec la mise en place des maisons départementales du handicap, les conditions d’une prise
en charge de proximité des malades chroniques avec limitation de leur autonomie. Loi n° 2005-102, du 11
février 2005, JO du 12 février 2005, page 2353, dite loi du handicap.

64
- de mieux connaître les conséquences de la maladie sur leur qualité de vie.

Préparé en étroite concertation avec les professionnels de santé, les associations de


patients et l’ensemble des partenaires institutionnels (caisses nationales d’assurance
maladie (CNAM), Haute Autorité de santé (HAS) , Institut national de prévention et
d’éducation pour la santé (INPES), Institut de veille sanitaire(INVES). Le plan comprend
15 mesures concrètes, s’articulant sur quatre axes, sur une période de cinq ans. Notre
travail de recherche se positionnera en priorité sur l’axe 2 du plan : « Elargir la médecine
de soins à la prévention » ; nous ne traiterons donc que de cet aspect.

2.3.4.6 Son financement

Il regroupe des financements d’un montant de 135,7 millions d’euros en 2007. Son coût
total sur cinq ans (2007-2011) est de 726,7 millions d’euros au titre des lois de
financement de la sécurité sociale.

2.3.4.7 Son évaluation

Ce plan a été évalué en 2012 et son évaluation finale a été confiée au Haut Conseil de la
santé publique (HCSP). Pour ce faire, il a procédé à l’analyse de la mise en œuvre des 15
mesures et a évalué les effets du plan à travers les thèmes transversaux qui le sous-
tendaient 72 . Il a cherché à proposer des solutions globales intégrant les dimensions
sanitaires, médico-sociales et sociales.

72
Outre l’évaluation mesure par mesure, le HCSP a donc identifié a posteriori des domaines dans lesquels
le plan pouvait avoir eu un effet également par la dynamique qu’il a créée. L’amélioration de la qualité de
vie par l’approche transversale des maladies chroniques est un enjeu important mais complexe, qui permet
de fixer un objectif fort d’évolution pour le système de santé. Mais, ce thème éminemment attractif et
fédérateur doit passer du stade d’objectif très général à celui d’objectif opérationnel et mesurable. Le HCSP
considère que la perception des maladies chroniques comme entité et l’effort de coordination d'actions
éparses, constituent un résultat positif du plan. Souvent invoquée comme une « approche transversale »
nouvelle, cette dynamique pourrait, si elle perdurait, être diffusée plus largement au sein du système de
santé et dans la société, et ouvrir une nouvelle page de l'organisation des soins en France. Une réflexion
globale sur la coordination des différents intervenants de la prise en charge peut permettre d’implémenter
des dispositifs qui répondent aux besoins communs des malades tout en préservant les approches.
« Evaluation du plan pour l’amélioration de la qualité de vie des personnes atteintes de maladies chroniques
2007-2011 », Comité d’évaluation du Haut Conseil de la santé publique. Rapport mai 2013. Coordination,
Brigitte Haury et Elisabeth Roche. Si l’on en croit les rapporteurs de l’évaluation, ce plan a constitué une
avancée importante dans la prise en charge des personnes atteintes de maladies chroniques. (Notre
traduction).

65
2.3.4.8 Son impact

L’évaluation de 2012 nous indique cependant que son impact a été limité, au regard des
ambitions affichées sur l’amélioration de la qualité de vie des patients. Cette période a vu
l’émergence d’une réflexion sur les maladies chroniques et d’un nouveau rôle pour le
patient. Il est à noter que les associations de patients ont été très présentes aux étapes
d’élaboration et de suivi du plan. Les dispositifs visant à l’autonomisation du patient,
comme l’éducation thérapeutique, se sont développés. Mais, force est de constater que les
maladies chroniques représentent un problème de santé mais aussi un problème sociétal
majeur pour les années à venir.

Le HCSP considère que l’effort d’adaptation du système de santé à ces enjeux et la


mobilisation engagée doivent être poursuivis. Le HCSP émet des recommandations
opérationnelles et propose des principes d’actions et des objectifs stratégiques pour un
futur plan consacré aux maladies chroniques73. Mais au-delà des vœux pieux, il serait
temps que les gouvernements prennent à bras-le-corps ce phénomène, selon les
spécialistes. Dans son numéro d’octobre 2013, la revue Egora donne la parole à A.
Cicolella, président fondateur de « Echo Environnement Santé » (EES), qui tape du poing
sur la table et interpelle le gouvernement sur l’ampleur du phénomène des maladies
chroniques en France. Il précise qu’aucune vraie disposition n’a été prise par les
gouvernements successifs, à la suite de la déclaration à l’ONU de l’OMS, en septembre
2011, sur l’épidémie des maladies chroniques, qui a cours actuellement dans le monde en
général et en France en particulier.

2.3.5 Au regard des recommandations de l’OMS

Dans son rapport de 2005 intitulé « Former des personnels de santé pour le XXIe siècle,
un défi des maladies chroniques », paru dans la Revue de pneumologie de langue
française (Masson, 2006), l’Organisation mondiale de la santé fait une priorité de
l’amélioration de la qualité de vie des personnes atteintes de maladies chroniques. La loi
de santé publique du 9 août 2004 a pris en compte cette nécessité en initiant la mise en
place d'un plan d’amélioration de la qualité de vie des personnes atteintes de maladies

73
Haut Conseil de la santé publique (HCSP), rapport sur l’évaluation du plan pour l’amélioration de la
qualité de vie des personnes souffrant de maladies chroniques 2007/2011, rédigé en mars 2013, publié en
juillet 2013.

66
chroniques. Cet objectif passe par la formation des professionnels de santé et le
développement de l’éducation thérapeutique du patient. Si le traitement et la prévention
de certaines de ces maladies ont bénéficié de mesures, de programmes ou de plans ciblés
sur des pathologies spécifiques (diabète, maladies cardiovasculaires, cancers, insuffisance
rénale chronique, maladie d’Alzheimer, maladies rares), la qualité de vie des patients
n’avait jamais fait l’objet d’un plan de santé publique, centré sur le malade et non plus
seulement sur la maladie. Cette notion subjective est étroitement liée à la bonne prise en
charge de ces pathologies, aussi bien par les professionnels que par le malade lui-même.
Cette bonne prise en charge par le malade passe par l’acceptation de la maladie,
conditionnée par une bonne compréhension des enjeux, expliqués dans une langue qu’il
maîtrise.

2.4 Une priorité de santé publique fondée sur une base législative
forte
En lui donnant un fondement légal, la loi HPST reconnaît la légitimité de l’éducation
thérapeutique du patient dans le parcours de soins et de la prise en charge globale des
pathologies chroniques. Par cette reconnaissance, cette loi de santé publique marque une
avancée significative du système de santé en matière de prévention, et tente de combler
une partie du retard accumulé. Selon l’Organisation de coopération et de développement
économiques (OCDE), en France comme dans les autres pays de cette organisation,
globalement, la qualité des soins de santé s’améliore, ce qui traduit une augmentation des
taux de survie aux maladies graves. Mais, toujours selon le panorama de la santé 2011, ce
rapport précise : « Il est cependant nécessaire d’améliorer la prévention et la gestion des
maladies chroniques comme l’asthme et le diabète, car il y a encore trop d’admissions
inutiles et coûteuses à l’hôpital. » Toujours selon ce rapport de l’OCDE, l’asthme devrait
être convenablement pris en charge dans le secteur des soins primaires. Or, trop d’adultes
sont admis chaque année à l’hôpital en raison de leur asthme. Ce constat souligne
l’importance de renforcer la prévention et la gestion des maladies chroniques et d’assurer
une offre suffisante des soins primaires.

67
2.4.1 Un cahier des charges national

L’ETP vise à aider les patients à gérer au mieux leur vie avec la maladie chronique. Par le
décret 906 du 2 octobre 201074, il est conféré aux agences régionales de santé (ARS) la
gestion des autorisations de programmes d’ETP sur leur territoire pour cinq ans, dès lors
qu’ils répondent aux priorités de santé publique et qu’ils sont conformes aux cahiers des
charges de l’HAS. Ce cahier des charges stipule que : « Pour être mis en œuvre au niveau
local, les programmes d’éducation thérapeutique du patient doivent être conformes à un
cahier des charges national. Ils doivent obligatoirement être autorisés par les agences
régionales de santé. Ils sont proposés au malade par le médecin prescripteur et donnent
lieu à l’élaboration d’un programme personnalisé (article L.1161-2) du Code de la santé
publique. » Comme l’indique ce cahier des charges : « Un programme d’ETP précise
notamment les objectifs, la population concernée, les modalités d’organisation, les
compétences des professionnels qui le réalisent, les éléments d’évaluation du
programme, les sources prévisionnelles de financement (décret n° 2010-904 du 2 août
2010 relatif aux conditions d’autorisation des programmes d’éducation thérapeutique du
patient). » Il y est précisé la nature de la coordination du programme : « Des programmes
d’éducation thérapeutique du patient peuvent être coordonnés par un médecin, par un
autre professionnel de santé ou par un représentant dûment mandaté d’une association
de patients agréée75 au titre de l’article L. 1114-1 du Code de la santé publique (décret
n° 2010-904 du 2 août 2010 relatif aux conditions d’autorisation des programmes
d’éducation thérapeutique du patient). »76

La HAS propose une grille pour faciliter l’instruction des demandes d’autorisation des
programmes par les ARS 77 . Ni les actions d’accompagnement, qui font partie de
l’éducation thérapeutique et qui ont pour objet d’apporter une assistance et un soutien aux
malades, ou à leur entourage, dans la prise en charge de la maladie (article L. 1161-3 du
Code de la santé publique), ni les programmes d’apprentissage, qui ont pour objet

74
Annexe n°V.
75
Ces nouvelles dispositions législatives relatives à l’organisation de l’ETP, édictées par la loi HPST, tout
en rassurant les acteurs de terrain quant à la place de l’ETP dans la prise en charge des maladies chroniques,
suscitent de légitimes inquiétudes de la part d’animateurs de programmes antérieurs à son avènement. En
effet, il est précisé que les programmes antérieurs à la loi bénéficieront en priorité de l’autorisation, tout en
mentionnant le caractère obligatoire pour les promoteurs d’en faire la demande. En sachant que cette
demande peut être refusée. (Notre traduction).
76
Annexe VI.
77
Annexe VII.

68
l’appropriation par les patients des gestes techniques permettant l’utilisation d’un
médicament le nécessitant (article L. 1161-5 du Code de la santé publique), ne sont
concernés par cette grille d’aide à l’évaluation de la demande d’autorisation. L’évaluation
de la demande d’autorisation de mise en œuvre d’un programme d’éducation
thérapeutique du patient (ETP) permet d’analyser le contexte et les besoins, la manière
dont le programme d’ETP est construit, et l’aide à atteindre ses objectifs, à s’assurer que
l’autoévaluation annuelle de l’activité globale et du déroulement du programme a été
prévue, à vérifier que l’évaluation quadriennale en termes d’activité, de processus et de
résultats, est organisée.

La grille est construite selon le plan du cahier des charges, d’un programme d’éducation
thérapeutique du patient, et reprend les éléments de la composition du dossier de
demande d’autorisation (décret n° 2010-904 du 2 août 2010). La grille est conforme au
décret n° 2010-906 du 2 août 2010 modifié, relatif aux compétences requises pour
dispenser l’éducation thérapeutique du patient. Au-delà de l’analyse du programme lui-
même, il appartient aux ARS de prendre en compte l’offre d’ETP régionale déjà
existante, ainsi que la réponse aux besoins prioritaires des patients, pour construire une
offre cohérente et adaptée78.

Si l’on en juge par l’intérêt que semblait lui porter Nicolas Sarkozy, alors président de la
République française, dans son discours prononcé à Bletterans le 18 octobre 2008, l’ETP,
sujet d’actualité, occupait toutes les tribunes ; aujourd’hui, elle fait l’objet de publications
de plus en plus nombreuses. Un appel à projet de recherche sur le sujet a été lancé par la
HAS sur l’ETP en 2012. Mais de quoi s’agit-il véritablement ?

L’ETP relève de l’éducation à la santé et s’inscrit dans le prolongement des actions


destinées au grand public ou mises en œuvre sur les lieux de vie, à l’école ou au travail.
Sa particularité est de s’adresser aux personnes qui requièrent des soins, qu’elles soient
porteuses d’une maladie chronique, d’un handicap ou d’un facteur de risque pour leur
santé. A juste titre, les soignants disent s’employer depuis toujours à dispenser des

78
La HAS a bâti cette grille sur la base des travaux préparatoires engagés dans le cadre de sa mission
d’évaluation des programmes d’éducation thérapeutique du patient. Cette grille d’aide à l’évaluation de la
demande d’autorisation d’un programme d’ETP a été validée par le Collège de la HAS le 21 juillet 2010.
Elle s’insère dans une collection de documents de référence concernant l’ETP, dont les premiers ont été
publiés en 2007 : le guide méthodologique de la HAS et l’Inpes, « Structuration d’un programme
d’éducation thérapeutique du patient », et les recommandations de la HAS issues de ce guide : « Définition,
finalités et organisation » ; « Comment proposer et réaliser l’éducation thérapeutique », juin 2007.

69
informations et des conseils à leurs patients pour les inciter à prendre soin d’eux-mêmes
afin de prévenir les maladies, leurs aggravations ainsi que leurs complications et leurs
récidives. Mais est-ce, pour autant, de l’éducation thérapeutique ? A ce stade, il convient
de faire la distinction entre éducation thérapeutique simplifiée et éducation thérapeutique
structurée. L’éducation thérapeutique simplifiée existe en effet depuis fort longtemps et
s’apparente à de l’information. Elle se dispense au cours de la consultation ou d’une
hospitalisation ; elle relève du bon sens et ne nécessite aucune méthodologie particulière.
A contrario, l’éducation thérapeutique structurée est une approche qui se planifie en
différentes étapes, avec des objectifs clairs, des apprentissages, une évaluation des
acquisitions du patient en termes d’autogestion et un suivi médico-éducatif. Si l’ETP jouit
aujourd’hui d’un tel intérêt, c’est parce qu’elle est liée au fait qu’il y a un nombre
important de maladies chroniques. En effet, 15 millions de personnes en France, soit un
quart de la population, souffrent de maladies chroniques. Mais, qu’est-ce qu’une maladie
chronique79 ?

D’après l’OMS (2011), les maladies chroniques sont définies par :

- des causes organiques, psychologiques ou cognitives,

- une ancienneté de plusieurs mois,

- le retentissement de la maladie sur la vie quotidienne,

- les besoins de soins médicaux ou paramédicaux, d’aide psychologique, d’éducation ou


d’adaptation80.

Leurs traitements sont parfois complexes, souvent de longue durée, et peuvent entraîner
des effets secondaires. Les médecins prennent conscience du fait que les patients
souffrant de maladies chroniques ont de grandes difficultés à suivre les prescriptions et
les conseils qu’ils leur donnent. Ils se rendent à l’évidence que leurs formations initiales
ne les préparent pas à traiter au mieux ces types de pathologies sur une longue période.

79
« Une maladie chronique est un problème de santé qui nécessite une prise en charge sur une période de
plusieurs années, voire plusieurs décennies. » OMS, 2011. Ces maladies comprennent des maladies comme
la broncho-pneumopathie chronique obstructive (BPCO), l’asthme, les maladies cardiovasculaires, les
cancers, les diabètes, les scléroses en plaque, les maladies neurodégénératives, des maladies rares, comme
la mucoviscidose, la drépanocytose et les myopathies, des maladies transmissibles persistantes, comme le
sida ou l’hépatite C, et des troubles mentaux de longue durée comme la dépression ou la schizophrénie.
80
Plan pour l’amélioration de la qualité de vie des personnes souffrant de maladies chroniques 2007/2011,
htpp//www.sante.gouv.fr MG pdf Plan 2007-2011, consulté le 27 juin 2013.

70
L’éducation dite simplifiée faite au cabinet revêt souvent un ensemble de répétitions qui
demeurent sans résultats. L’ETP, telle qu’elle est décrite par la HAS, leur propose une
démarche pédagogique structurée, reposant sur des modèles conceptuels éprouvés pour
aider le patient à acquérir véritablement les compétences d’auto-soins dont il a besoin
pour suivre son traitement et l’adapter en fonction des situations qui peuvent se présenter,
à l’exemple de notre pathologie d’étude : l’asthme bronchique.

2.5 Les fondements conceptuels de l’ETP


A l’origine, la démarche d’ETP reposait essentiellement sur le modèle biomédical : pour
une maladie dont la cause est biologique ou organique, l’intervenant principal est le
soignant qui intervient sur cette cause et, en parallèle, donne des conseils. Sa culture de
base est la maladie aiguë, car il est formé par l’hôpital pour répondre à l’urgence. Ses
référentiels sont les études épidémiologiques reposant sur des critères de morbidité et de
mortalité. Il ordonne, prescrit, démontre, conseille. Pour lui, le « bon patient » est le
patient obéissant, soumis, passif, qui applique et respecte les prescriptions. A mesure que
se développe l’ETP, apparaît comme une évidence le fait que le soignant ne peut plus se
substituer au malade, penser pour lui, faire tout à sa place. Mais, son vrai rôle est
désormais de l’aider et de l’accompagner dans son cheminement. On fait alors appel à
d’autres techniques, d’autres modèles.

2.5.1 Le modèle behavioriste

Reposant essentiellement sur le conditionnement du malade, cet enseignement délaisse le


cours magistral, précédemment utilisé, pour un cycle d’entraînement à résoudre des
situations ; l’apprentissage a alors comme finalité un changement de comportement
résultant d’une réponse à un stimulus extérieur sur l’organisme. Les premiers adeptes de
cette approche, fidèles à la vision anglo-saxonne, notamment des Américains comme
Watson (1878-1958), Skinner (1904-1990), Hulle (1884-1952) ou Tolman (1886-1959),
étaient plutôt centrés sur le respect du schéma « Stimuli = Réponses » qui sous-tend
l’idée de « conditionnement opérant », de type « réflexe de Pavlov » reposant sur deux
éléments pouvant être soit positifs, soit négatifs 81 . Toutefois, ce modèle a montré ses

81
Dans La structure du comportement, paru en 1942, M. Merleau-Ponty critique sévèrement le
behaviorisme qu’il estime exclure tout recours à l’intentionnalité. « Apprendre, ce n’est donc jamais se
rendre capable de répéter le même geste, mais de fournir à la situation une réponse adaptée par différents
moyens » (p. 106).

71
limites car ignorant l’aspect introspectif du sujet. En effet, une réorganisation de
l’existence du malade par un nouveau comportement ne peut se concevoir sans la prise en
compte de son libre arbitre. A la fin du XXe siècle, avec l’avènement d’une maladie grave
et inattendue comme le sida et les avancées technologiques, d’autres modèles ont été
expérimentés. La place du patient peu à peu s’accroît dans la démarche d’ETP, il n’est
plus considéré comme un objet docile mais comme un être doté d’intelligence et de
raisonnement, animé de sens critique. L’ère de l’informatique et de l’Internet amène la
personne malade à s’intéresser à son capital santé ; elle commence à poser des questions
qui embarrassent les techniciens de la médecine, suscite des débats dans les médias,
revendique son droit aux savoirs et participe à certains forums.

72
Modèle de réflexe condi onné de Pavlov appliqué en ETP

S muli provenant de S
l’environnement

Réponses induites
du sujet R

Figure 7 : Modèle de réflexe conditionné de Pavlov appliqué en ETP, inspiré de Golay, Lagger et Giordan
(2010).

Ces pathologies graves et inattendues de la fin du XXe siècle, à l’exemple du sida, mettent
en lumière les insuffisances du système de santé français, non préparé à faire face à de
tels fléaux. La primauté de la santé échappe alors à la seule médecine et devient une
propriété collective. L’ETP et le réseau de santé deviennent des pratiques organisées qui
participent à cette révolution citoyenne et qui placent le malade au cœur du système de
prise en charge. L’évolution de l’ETP conduit à l’introduction de modèles psychosociaux
(Lasserre, 1998) et à des approches de type cognitivo-comportemental (Fossati, 2004),
axées sur la motivation du patient (Assal, 2004 ; Sommer, 2005), avec la volonté d’aider
ce dernier à adopter de nouveaux comportements de santé. C’est l’ère de la mutation des
pratiques, reposant sur les modèles constructivistes, dits « actifs », vers des processus
continus « centrés sur l’apprenant ». La qualité de la relation avec le malade est mise en
avant et reste encore aujourd’hui l’élément essentiel à la réussite d’un programme d’ETP.

2.5.2 Le modèle constructiviste ou piagétien

A la fin du XXe siècle, apparaissent la notion de compétences et d’objectifs négociés avec


le patient pour développer son autogestion, et la notion de contrat d’éducation (David,
2007). Trois paramètres définissent ce contrat :

- le type de compétences que le patient doit posséder ;

73
- ses potentialités ;

- le respect des stratégies pédagogiques énoncées dans les sciences cognitives.

Ces pratiques prennent appui sur la structure cognitive du patient en situation


d’apprentissage et font appel aux recherches psychologiques les plus pertinentes :
Wallon, 1945 ; Kelly, 1962 ; Gagné, 1965 ; Piaget, 1966, 1967 ; Ausubel, 1968 ; Bruner,
1976. La notion de « pont cognitif » à bâtir entre le soignant et le patient, qui donne de la
signification aux messages par rapport à l’existant, est enseignée et appliquée. Dans ce
modèle, les nouvelles connaissances ne peuvent s’enraciner que si trois conditions sont
réunies :

1- Des concepts plus généraux préexistent chez le patient et se superposent


progressivement au cours de l’apprentissage.

2- « La consolidation » est nécessaire. Des informations nouvelles ne peuvent y être


ajoutées tant que les précédentes ne sont pas intégrées.

3- L’activation de « la conciliation intégrative » par la détection de ressemblances et de


différences entre les anciennes et les nouvelles connaissances est nécessaire.

Le modèle de Piaget (1966, 1967), qui repose sur l’idée d’assimilation et


d’accommodation et particulièrement sur la liaison « d’abstraction réfléchissante », est
cité dans toutes les bonnes écoles de l’asthme. Selon Piaget, l’apprenant intègre, dans sa
propre organisation cognitive, les données du monde extérieur. Les nouvelles
informations sont traitées en fonction des acquis antérieurs. En retour, il y a
« accommodation », donc modification des schèmes de pensée en place en fonction des
circonstances extérieures. Les nouvelles informations se rattachent à ce qui est déjà connu
par le patient et s’y greffent en s’appuyant sur les schèmes dont dispose le sujet. Il
apparaît fondamental, dès lors, de solliciter les connaissances antérieures du patient et de
respecter ses termes, sa vision et ses représentations en valorisant ce qu’il sait déjà, se
rapprochant le plus des connaissances attendues. « Les techniques pédagogiques doivent
prendre en compte les capacités cognitives du patient et lui proposer des activités en
rapport avec ses capacités. » (David, 2007)82. L’interactivité est le premier principe du
cadre constructiviste en apprentissage. Selon ce principe, l’interaction entre les
composantes d’une compétence donnée contribue beaucoup plus au développement de

74
cette compétence que le nombre de composantes maîtrisées de façon isolée. Ce principe
s’oppose à celui de la décomposabilité. En application de ces recommandations, dans le
cadre de notre expérimentation, nous envisageons de proposer à notre public, les
adolescents asthmatiques au collège, un rappel écrit se rapprochant du Short Message
Service (SMS), ou texto, dont ils sont friands à cet âge, des procédés mnémotechniques,
avec des mots et expressions qu’ils auront eux-mêmes choisis, en créole et en français.
Cette disposition participe à la contextualisation des connaissances apprises, représente le
deuxième principe de ce modèle et favorise l’opérabilité des savoirs. La construction
guidée représente le troisième principe de ce modèle, en complétant le savoir par un
support éducatif qui lui est familier, pour avoir participé à son élaboration.

Schéma sa on du modèle piagé en appliqué à l’ETP


Assimila on/accommoda on

Assimila on généralisatrice
(pra que ou conceptuelle)

Si échec
avec perturba on

Si succès Si échec
désintérêt
Essai
d’accommoda on

Renforcement du schéma Statu quo Si accommoda on


par feedback réussie

nouveau schéma d’assimila on

Figure 8 : Schématisation de l’expression du patient dans le cadre de l’exploitation du conflit cognitif


d’après le modèle piagétien décrit par d’Ivernois (2008).

Notre expérimentation prend appui sur les notions de double codage (Paivio, 1965). Le
patient qui se présente à son premier rendez-vous d’ETP est implicitement porteur d’un
message de gravité, et il en est conscient. Il se présente avec son savoir antérieur et ses
représentations. Ces potentialités s’expriment également dès le premier contact, au cours

82
Revue des maladies respiratoires, Vol. 24, N° 1 - janvier 2007, pp. 57-62.

75
de l’entretien servant de support au diagnostic éducatif83. Ce premier contact est donc
décisif et conditionne de manière significative la suite du programme éducatif. Selon ce
modèle, pour garantir un diagnostic éducatif, il est essentiel de répondre aux cinq
questions clés, à savoir : « Qu’a-t-il ? Que fait-il ? Que sait-il ? Qui est-il ? Et quel est son
projet ? » Les objectifs à acquérir sont ensuite négociés avec lui, et les activités
éducatives déterminées en fonction du résultat. Mais, le patient demeure l’unique auteur
de l’acte d’apprendre. Dans ce courant, l’apprentissage n’est plus une absorption, mais
une construction de connaissances cumulées qui n’a de sens que liée à l’histoire de
l’apprenant. Rien ne sert de vouloir à tout prix lui expliquer ou le pousser à faire des
activités, s’il n’en voit pas encore l’intérêt, ou si apprendre seul lui semble difficile ; il est
alors nécessaire de créer une approche et un environnement didactique appropriés en
considérant le traitement des situations spécifiques par le patient apprenant, les
interactions liées au milieu et à la sphère cognitivo-affective et émotionnelle.

Comme nous venons de le décrire dans ce modèle, un nouveau savoir n’évolue


positivement chez le patient que si les interactions entre ses activités mentales et un
environnement propice pour le faire apprendre se conjuguent. Cet environnement doit à la
fois stimuler sa soif d’apprendre et l’éloigner de tout lieu pouvant lui rappeler des
moments douloureux. Il est nécessaire que cette approche didactique interfère avec le
système de pensée du patient, pour l’amener à dépasser ses croyances et à en élaborer de
plus porteuses afin qu’il accepte de vivre avec cette maladie.

L’apprentissage en ETP n’est donc pas simple et procède, comme on peut l’imaginer, de
réorganisation, de mutation et de transformation de la pensée du sujet. Pour qu’il intègre
les nouvelles données et reconstruise sa pensée, il doit simultanément mettre en place un
processus de déconstruction des anciennes conceptions qu’il avait sur le sujet. Il ne peut
apprendre que grâce aux savoirs antérieurs (Gagné, 1962), qu’à partir de ces savoirs
(Ausubel, 1978) et qu’avec eux (Piaget, 1962, 1966). Pour utiliser un terme cher à Gaston
Bachelard, une « purge » serait nécessaire. Mais, le patient ne se dépouille pas si
facilement de ses anciens savoirs et de ses croyances, qui constituent des obstacles
évidents à un nouveau savoir mais qui, paradoxalement, sont un terreau fertile pour toute

83
« Les représentations du patient sont des constructions intellectuelles qui lui servent de grille de lecture
pour décoder la réalité ; ses comportements étant considérés comme l’expression de ses représentations, il
s’agit pour le thérapeute de les faire s’exprimer, parfois de les confronter en jouant sur le conflit cognitif. »
J.-F. d’Ivernois, Apprendre à éduquer le patient, Maloine, 2008, p. 45.

76
nouvelle acquisition. Le thérapeute doit en avoir pleinement conscience dans son
approche éducative. A titre d’exemple, des conceptions sur les effets secondaires de la
cortisone existent chez les patients asthmatiques ; il est impératif pour le thérapeute de les
appréhender pour les faire évoluer, mais les ignorer expose à la mise à l’écart du
traitement de fond de l’asthme, exclusivement à base de corticoïde inhalé, et à lui préférer
le traitement de la gêne. Pour apprendre, donc, nous rappelle D. Favre (1998),
neurophysiologiste, l’individu doit quitter ses repères habituels, ce qui provoque une crise
profonde, une dissonance qui vise le noyau dur de ses croyances de santé. D’où l’idée de
« conflit cognitif », défendue par un disciple de Piaget (B. Inhelder, 1974). Dans cette
bataille d’idées, une « rééquilibration majorante » s’opère en faveur des idées nouvelles84.

Les conflits d’idées attaquent de manière dynamique la structure cognitive, procèdent à


une « décentration intellectuelle » et conduisent ainsi à des progrès cognitifs notamment
dans les séances de groupe, l’objectif de la démarche étant d’ébranler le savoir antérieur.
Cette notion de conflit cognitif a été explorée en profondeur par l’équipe de recherche en
ETP de Genève, menée par Doise, Mugny, Perret-Clemont et Gilly et al. en 1988 ; elle
est arrivée à la conclusion que la notion de conflit cognitif en ETP ne peut être écartée.
« Ne dit-on pas qu’on peut être plus intelligent à plusieurs ? » D’où l’encouragement à
organiser des groupes pour libérer la parole ?

2.6 Intérêt de l’éducation thérapeutique dans la prise en charge des


maladies chroniques en général et de l’asthme en particulier
Selon les recommandations de la HAS, l’éducation thérapeutique structurée est plus
efficace que l’information seule. Elle comporte au minimum un apprentissage à
l’autogestion du traitement par le patient, par la remise d’un plan d’actions personnalisé

84
« L’une de sources des progrès dans le développement des connaissances se trouve dans les
déséquilibres qui obligent un sujet à dépasser son état actuel et à chercher autre chose pour se dépasser en
de nouvelles directions. Les déséquilibres constituent un facteur essentiel et motivationnel du
développement intellectuel. Ce sont les déséquilibres externes et internes qui constituent le moteur de la
recherche, sinon la connaissance demeurerait statique. Les perturbations jouent un rôle de déclenchement
et la source réelle des progrès est à chercher dans la rééquilibration amenant à l’amélioration de la forme
précédente. Sans les déséquilibres, il n’y a pas de rééquilibration majorante, c’est-à-dire rééquilibration
avec l’amélioration obtenue. » J. Piaget !, L’équilibration des structures cognitives, Paris, P.U.F., 1975, p.
18.

77
écrit à la fin de son programme d’ETP85. La mise en application de ces plans d’actions
répond à certains critères d’expertise de la part du patient, à savoir l’appréciation des
symptômes et/ou la mesure du souffle ou débit expiratoire de pointe (DEP), et elle
nécessite un suivi régulier par le médecin traitant à l’occasion des consultations
programmées ou par le pharmacien. Quelle serait la place de l’ETP dans la prise en
charge des patients asthmatiques ? Les recommandations préconisent qu’une ETP soit
proposée à tous les patients asthmatiques et renforcée lors du suivi, avec une attention
toute particulière pour les patients qui ont un contrôle insuffisant de leur asthme.

2.6.1 L’évidente nécessité de former le patient chronique à la gestion de sa


maladie

Lorsque, en 1921, l’insuline a pu être isolée et administrée aux diabétiques de type I dont
le pronostic vital était toujours engagé, une nouvelle ère de la médecine s’est alors
ouverte et avec elle le besoin d’élaborer de nouveaux paradigmes adaptés à la maladie
chronique (J.-P. Assal, 1996). En effet, pour ces patients diabétiques, la guérison n’étant
pas possible, l’administration, puis l’auto-administration, est devenue une nécessité vitale
quotidienne. Devait-on alors hospitaliser ces patients en relative « bonne santé » pour une
injection à un moment précis ? Fallait-il un médecin 24 h sur 24 pour contrôler et piloter
la thérapie ? Un certain nombre de savoirs ont dû alors être transmis au patient pour qu’il
devienne son propre soignant86. Ce réel transfert de connaissances et de compétences des
soignants vers les patients est le cœur même du changement de paradigme (Albano,
2001 ; Assal, 2003). Peu à peu, la formation des médecins et des paramédicaux a été
ajustée, mais on dénombre encore aujourd’hui trop de thérapeutes non formés à cette
approche (Holman, 2004).

2.6.1.1 L’ETP concerne également l’entourage

La famille et les proches du patient sont également concernés et peuvent être impliqués
dans le traitement. La compréhension par l’entourage de la situation du patient et des
difficultés qu’il peut rencontrer est essentielle. Le rôle de soutien de la famille et des
proches est important, en particulier chez les enfants et les adolescents. Intégrée aux

85
Annexe VIII. Recommandations HAS, INPES. Guide méthodologique. Structuration d’un programme
d’éducation thérapeutique du patient dans le champ des maladies chroniques, définition, finalités et
organisation, juin 2007, p, 45.
86
Mais plus de 50 ans ont été nécessaires pour arriver à cette conclusion, nous rappelle J.-P. Assal.

78
soins, l’ETP est centrée sur le patient ; elle s’articule sur l’axe de la compréhension, par
le patient, des finalités de la prise en charge de sa maladie, sur la prévention des
complications sur le maintien de la qualité de vie. L’ETP implique une cogestion des
décisions par le patient et le soignant. Dans cet objectif, il est nécessaire de négocier
avec le patient les compétences à développer et les moyens à mettre en œuvre pour y
parvenir.

2.6.1.2 Les professionnels impliqués à différents niveaux dans l’ETP

Il s’agit des médecins généralistes et spécialistes, des infirmières hospitalières, scolaires,


libérales, de la médecine du travail, des kinésithérapeutes, des pharmaciens, des
psychologues, des assistantes sociales, des conseillères médicales en environnement
intérieur (CMEI). Les médecins généralistes et spécialistes de ville, ainsi que les
pharmaciens, sont chargés de l’orientation des patients en ETP, mais aussi du suivi
éducatif. A la fin du programme, le patient est renvoyé vers son médecin traitant, qui se
charge d’organiser avec l’infirmière scolaire, quand il s’agit d’un enfant scolarisé, le plan
d’accueil individualisé (PAI). L’infirmière libérale constitue un maillon important de la
chaîne de prise en charge, puisqu’elle assure le rappel éducatif pour les patients âgés et
isolés, se basant sur les objectifs pédagogiques validés au cours du programme d’ETP. La
médecine du travail intervient dans l’aménagement des postes de travail et le suivi post-
éducatif lors des visites dans l’entreprise.

S’agissant du pharmacien, le renouvellement périodique de l’ordonnance est l’occasion


de procéder au rappel des fondamentaux du programme. Le kinésithérapeute est sollicité
quand se posent des problèmes de coordination de la respiration ; or, cette coordination
est indispensable pour la bonne maîtrise des techniques d’inhalation87.

La prise en charge globale du patient est enrichie d’une consultation de psychologie,


« entretien motivationnel », et en cas de besoin, un suivi psychologique peut lui être
proposé. Les patients rencontrant des difficultés d’ordre social, des problèmes de droit, de
logement, de transport, peuvent bénéficier d’un accompagnement social. Pour les patients
porteurs d’un asthme instable malgré une ETP et un traitement adéquat, la visite à

87
La plupart des traitements prescrits dans l’asthme bronchique, du nourrisson à l’adulte, sont des
traitements inhalés. La maîtrise de la technique d’inhalation est un objectif de sécurité majeur dans
l’éducation thérapeutique du patient asthmatique. Cette maîtrise de la technique d’inhalation suppose une
bonne coordination de la respiration. R. Gagnyaire, Y. Magar, J.-F. d’Ivernois, Eduquer le patient
asthmatique, Vigot, 1998, p. 96.

79
domicile d’une conseillère médicale en environnement intérieur (CMEI) est quelquefois
nécessaire.

Le patient se présentant aux urgences pour crise d’asthme bénéficie d’une séance
d’initiation à l’ETP avec comme unique objectif la maîtrise de sa technique d’inhalation
des différents traitements. L’infirmière hospitalière est chargée également d’orienter le
patient vers le centre d’ETP pour la mise en place d’un programme complet, la chronicité
de la maladie se gérant au plus près du domicile du patient. En définitive, l’ETP peut être
proposée au cours d’une consultation, au cours d’une hospitalisation, à l’officine lors de
la délivrance des médicaments, à la suite d’une visite médicale, lors de l’initiation du
traitement ou lors du renouvellement de l’ordonnance. Elle peut aussi être proposée en
milieu scolaire, ou dans le cadre d’un réseau de santé. Elle relève d’une approche
interdisciplinaire et pluriprofessionnelle en tenant compte du fait que ces professionnels
peuvent être dans des lieux différents. Cette approche spécifique pluriprofessionnelle
s’inscrit dans un esprit relationnel alliant écoute active et prise en compte des besoins du
patient et de son état émotionnel, de son vécu et de sa conception de la maladie et des
traitements. Elle rend nécessaire une mise en cohérence des informations recueillies par
chaque professionnel au cours de réunions de coordination. Cette interdisciplinarité dans
l’ETP se traduit par des finalités plurielles selon la profession et la posture du thérapeute
intervenant.

En termes d’objectifs, les médecins seront plutôt préoccupés par l’observance des
traitements, la qualité de vie et la diminution des complications. Les paramédicaux seront
portés surtout sur l’autonomisation du patient à pratiquer la modulation et l’adaptation du
traitement en fonction d’éléments objectifs comme « la mesure du souffle » mais aussi
subjectifs « ressentis », et également en fonction des modifications environnementales.
Les psychologues seront surtout préoccupés par le développement ou l’ajustement du
patient dans sa capacité à faire face à la maladie, à se reconstruire et à modifier ses
comportements.

En ce qui concerne notre pathologie d’étude, l’asthme bronchique, le rôle d’une


conseillère médicale en environnement intérieur (CMEI) n’est pas à négliger. La société
créole, cadre de notre recherche, regorge de raisons, plus surprenantes les unes que les
autres, pouvant nécessiter l’activation de ces professionnels particuliers que sont les
CMEI. La présence d’un asthme instable, surtout quand la thérapeutique est adéquate, le
fait que le patient ait bénéficié d’une éducation thérapeutique et que les résultats
80
escomptés ne soient pas au rendez-vous, tout ceci peut constituer une cause suffisante et
sérieuse pour activer ces professionnels d’un genre particulier. Leur rôle est de mener un
audit de l’habitat, à la recherche des causes pouvant être à l’origine d’un mauvais
contrôle de la maladie.

En effet, il n’est pas rare de trouver au sein de l’habitat, lors de la visite de la CMEI, des
chapelles de prière, avec bien entendu des lampes à huile allumées, nuit et jour, des
foyers à charbon de bois incandescents (« récho a chabon ») pour des fumigations, et
autres baguettes d’encens parfumant l’intérieur.

S’agissant du nettoyage des corps et des sols, il est fait souvent usage, dans cette société,
de produits particulièrement corrosifs tels que l’ammoniac « alkali » pour chasser les
mauvaises influences, et de mélanges courants ammoniac/javel pour la désinfection.
D’autres raisons peuvent justifier l’envoi de la CMEI à domicile, comme la présence dans
la chambre, surtout chez les personnes âgées, de souvenirs entassés sur l’armoire, par
exemple, la corbeille de mariage avec les fleurs de l’événement encore présentes après
plusieurs décennies ; sous les matelas de coton, des vêtements usagés entassés
(« hannyons », « viélinj ») qui remontent à plusieurs années. A l’occasion d’une visite au
domicile d’une patiente souffrant d’un asthme très sévère, nous nous sommes inquiété de
savoir les raisons de la présence de ces vieux vêtements sous le matelas. Il nous a été
répondu qu’autrefois, il n’y avait pas d’alèzes ni de change comme aujourd’hui. Quand la
personne perdait de son autonomie, « cela servait à nettoyer le malade, à le tenir propre, à
le protéger et à protéger le matelas ». Mais pour la personne asthmatique, ces
« hannyons » sont source de complications de la maladie ; ils représentent des nids à
acariens, engendrant des exacerbations fréquentes de l’asthme, et ils rendent inopérant le
traitement de fond. La prescription d’oxygène à domicile, chez ces patients dont l’issue
finale est souvent l’insuffisance respiratoire, représente même un danger mortel, sans un
audit de l’habitat réalisé au préalable par une CMEI, compte tenu de la présence de tout
ce que l’on vient d’énumérer.

Une étude menée au domicile d’un petit David de sept ans, souffrant d’un asthme
incontrôlé malgré un traitement approprié, a montré une certaine corrélation entre
l’exposition aux moisissures et aux acariens développés dans sa chambre par la

81
température et le taux d’humidité élevés, et une présence de moisissures sur les murs de
la chambre88.

Figure 9-10 : Courbes des températures et d’humidité relative en journée et corrélation en termes
d’ascension et de stabilisation et de survenue d’exacerbations.

Nous pouvons constater que, pendant cette période de mesurage, les courbes de
température et d’humidité relative ont évolué de manière identique en termes d’ascension
et de stabilisation et de survenue d’exacerbations d’asthme. Pour certains jours, tels le
samedi 2, dimanche 3, mardi 5, mercredi 6 et jeudi 7 mars 3013, les courbes d’humidité
relative ont suivi celles des températures, en rapport avec la présence des parents à la
maison, et l’absence de complication de l’asthme de David et la ventilation des locaux.
On note cependant une décroissance brutale en milieu de journée, entre 13 h et 14 h les
autres jours, marquant ainsi leur présence uniquement à ces heures.

88
Malgré une éducation thérapeutique adaptée et un traitement approprié, David continuait à faire des
crises d’asthme, au grand désespoir de sa mère. La visite d’une conseillère médicale en environnement
intérieur (CMEI) au domicile a été nécessaire pour découvrir la cause de ce mauvais contrôle : un habitat
mal aéré, entièrement clos le jour, des parents travaillant tous les deux, qui reviennent au domicile aux
environs de 19 h. Ce retour coïncide avec la mise en route de la climatisation, d’où une présence accrue de
moisissures au niveau des murs de la chambre de l’enfant, à l’origine de fréquentes exacerbations.

82
Figure 11-12 : De même que précédemment, les variations de températures sont identiques à celles de
l’hygrométrie en soirée. Nous observons une baisse progressive de la température, à partir de 20 h, due à la
mise en service de la climatisation.

S’agissant de l’extérieur de l’habitat, il est fréquemment fait usage de « boukan », brûlis


de toutes sortes, de détritus et autres emballages, contenant souvent de la matière
plastique et autres polluants. La visite d’une CMEI au domicile de ces patients instables
participe au réajustement de la thérapeutique par la compréhension du cadre de vie et de
son amélioration et, par là même, à celle de la qualité de vie d’une manière générale.

2.6.1.3 La coordination des acteurs, ou passer du plateau technique au chevet du


malade, un changement de paradigme

La médecine occidentale a forgé certaines de ses convictions dans l’Europe industrielle


du XIXe siècle. La notion de machine, que l’on peut réparer suite à des
dysfonctionnements s’enchaînant de causes à effets, fournit un modèle puissant à la
réparation du corps malade ou blessé. Pasteur a démontré, dans une logique imparable,
qu’une origine microbienne peut être directement la cause d’une infection. En
découlèrent des mesures d’hygiène et de vaccination qui bouleversèrent nombre de
pronostics. La première étude clinique sur les antibiotiques ne demanda pas de traitement
statistique complexe : 129 patients traités, 129 patients guéris d’une infection à
gonocoques (Pignarre, 2003). Le médecin aujourd’hui peut observer et piloter à distance

83
certains paramètres, notamment face à des ordinateurs, réparer et enlever des organes,
voire les remplacer par d’autres, organiques ou mécaniques.

Mais, cette médecine moderne rencontre des écueils, notamment dans son
compartimentage et son découpage en pathologie. Alors, il devient courant d’entendre
dire : mon cardiologue, mon allergologue, mon pneumologue, mon phlébologue, mon
gynécologue, etc. On serait en droit de s’interroger sur la coordination de tous ces
acteurs. Où se fait-elle précisément, si ce n’est autour du plateau technique, alors que sa
place est autour du patient dans le cadre d’une prise en charge holistique ? Dans le
premier schéma, le malade est donc exclu du processus de soins. Le vocabulaire médical
situe l’action au niveau du thérapeute, ce qui attribue une certaine passivité pour le
patient : le médecin intervient, il rédige une ordonnance au malade qui patiente ; il traite
le patient qui doit être observant, compliant, à la limite docile. Cette attitude est constatée
par Albano (2001), qui écrit : « Pour des raisons d’économie de temps mais surtout de
pouvoir, le médecin a tout le loisir de conserver toutes les informations relatives à l’état
du malade et ne pas les partager avec lui ou avec son entourage. »89

Le médecin peut même écrire son diagnostic détaillé pour lui-même ou pour ses
collègues sans en donner copie au patient ; d’ailleurs, quand il l’adresse à l’un de ses
confrères pour avis ou examen, ne prend-il pas le soin de bien protéger le secret et de
« cacheter » l’enveloppe contenant le courrier ? De plus, cette action de « cacheter » ne
renvoie-t-elle pas à l’expression « mettre en cachette », « ne pas partager » ?

Mais, que se passe-t-il vraiment dans le cas d’une affection de longue durée, quand les
résultats tant biologiques que cliniques ne sont pas au rendez-vous ? Quand le patient
disparaît pendant des mois, voire des années, après l’annonce du diagnostic ? Le médecin
mesure-t-il toujours la portée de son discours, quand il fait une annonce de maladie
chronique ?

2.6.2 La portée de l’annonce du diagnostic de maladie chronique

On parle de « minute éternelle » (Pacault, 2006). L’annonce est un acte médical difficile,
qui se manifeste souvent par un acte de parole très bref, comme l’écrit Ph. Fraisse

89
Albano, A. M., Causey, D., & Carter, B., Child Psychopathology, public par Eric J. Mash, Russell A.
Barkley, 2001, p. 309.

84
(2004) 90 . Il ajoute : « C’est un acte si court aux répercussions si longues. » La
prescription de l’ETP pour de l’asthme contient implicitement des éléments de gravité,
puisqu’elle vise à prévenir des complications ou d’une détérioration de la fonction
respiratoire, voire de la mort91.

Un psychanalyste décrit que dans son imaginaire, le malade « revoit l’image d’un de ses
proches passant ses nuits assis sur une chaise en crise d’asthme, finalement décédé, un
obus d’oxygène au pied de son lit »92. Le médecin s’appuie sur des éléments objectifs
(résultats d’examens biologiques, radiologiques) ; le patient, lui, est dans une subjectivité
absolue ; il cherche forcément quelque chose auquel se raccrocher, une référence. Le fait
d’apprendre qu’il est asthmatique, bien qu’il l’ait déjà envisagé, le renvoie à du connu. A
ce moment précis de l’annonce, le sujet et l’annonceur ne sont vraiment pas en phase, sur
le plan psychologique. D’où l’incompréhension de certains médecins qui pensent : « Et
pourtant, j’ai bien pris le temps de lui expliquer ! »

Si la loi du 4 mars 2002, dans son article 1111-2, prévoit des dispositions d’annonce pour
les maladies graves, telles que les cancers, rien n’est prévu en substance pour l’annonce
de maladies chroniques. L’annonce d’une maladie chronique à un patient entraîne
toujours un « choc psychologique » (Giraudet, 2006), « une épreuve » (Frydman, 2000),
souvent indépendante de toute souffrance physique, un « bouleversement » (Delaporte,
2001). La réaction du patient est souvent imprévisible : surprise, détresse, panique voire
soulagement. Quoi qu’il en soit, « la charge émotionnelle est violente » (Lacroix et Assal,
2003). Dans tous les cas, l’annonce a un impact important sur l’acceptation et le vécu de
la maladie. L’annonce remet en question les projets d’avenir.

Trois types d’effets sont à noter, selon ces auteurs :

- L’annonce est un acte de baptême d’une maladie (Adriansen, 2002).

90
Ph. Fraisse, « Briser les mauvaises nouvelles par le pneumologue : un processus thérapeutique », Revue
des maladies respiratoires, 2004 ; 21, p. 75-91.
91
« Tout patient se rappelle avec précision le contexte dans lequel il a appris sa maladie chronique. »
« L’annonce laisse une empreinte indélébile dans la vie et la façon de vivre du patient. » L’annonce est, en
fait, la première étape de l’information : « Annoncer, c’est faire don à l’autre, par la parole ou par l’écrit,
d’une information sur lui qu’il ne possédait pas. » « Il s’agit, en réalité, du début de la relation médecin
patient : le médecin (celui qui sait), le patient (celui qui ne sait pas). » « Le médecin est le messager de la
mauvaise nouvelle (la démarche est éprouvante pour annoncer un diagnostic grave) et pour le patient,
l’annonce de la maladie chronique est la révélation de la maladie, l’épreuve de réalité. » Ph. Fraisse, S.
Pontier, « Recommandations et plan national de la Lutte Anti-Tuberculeuse », Revue des maladies
respiratoires, Vol. 25, N° CPLF, juin 2008, pp. 109-110.

85
- L’annonce entraîne un changement d’identité : « Apprendre que l’on a une maladie
chronique, c’est aussi apprendre que l’on est malade. » (Ruszniwski, 2004).

- L’annonce nécessite enfin un travail de « deuil » de l’état de santé antérieur : il est


nécessaire de « faire le deuil de ce que l’on était » avant de « s’accepter tel que l’on est
maintenant » et de reconstruire le futur (Moley-Massol, 2004).

Ce travail de deuil de l’état de santé antérieur a été décrit par Elisabeth Kluber-Ross
(1975) ; il permet l’acceptation de la maladie chronique, c’est-à-dire l’« appropriation »
de sa maladie par le patient. Il s’agit d’une attitude qui se caractérise par le consentement
lucide à une réalité, à une situation que l’on décide d’assumer et qui permet d’envisager
un avenir avec la maladie chronique. Une carence ou une mauvaise information au début
de la maladie peuvent grever lourdement la prise en charge ultérieure (déni, refus de
soins, non-observance). Il s’agit d’un long processus de maturation 93 . Le premier
entretien servant de base au diagnostic éducatif est décisif, car il ouvre le champ des
possibles et place le patient ébranlé à la suite de l’annonce, dans une perspective nouvelle
de reconstruction. « En ouvrant cet espace d’écoute active au patient, en faisant preuve
d’empathie dans le cadre d’une éducation thérapeutique adaptée, certaines étapes du
processus de deuil peuvent être évitées, si non accélérées. Le cheminement vers
l’acceptation de la maladie peut être facilité. »94

2.7 Principes et finalités de l’ETP


En 1998, l’OMS a défini l’ETP de la manière suivante : « L’éducation thérapeutique doit
permettre aux patients d’acquérir et de conserver des compétences les aidant de manière
optimale à vivre avec la maladie. Il s’agit d’un processus permanent intégré aux soins et
centré sur le patient. L’ETP implique des activités organisées de sensibilisation,
d’information, d’apprentissage à l’autogestion de la maladie et des traitements, de soutien
psychologique, d’organisation et de comportement de santé. Elle implique des aptitudes à
coopérer avec les soignants, à maintenir et améliorer leur qualité de vie. »

92
Propos recueillis au cours d’un entretien avec H. Migerel, psychanalyste, à propos de l’annonce d’une
maladie chronique par le médecin, 9 juin 2011. Notre traduction.
93
Ibid.
94
J. Gotin, L. Cordeau, M.-A. Mounouchy, C. Raherison, “Evaluation of education program in asthmatic
cohort in a French Caribbean island”, EDP Sciences, SETE, 201210.1051/tpe/201201.

86
L’ETP s’adresse prioritairement aux patients porteurs de pathologies chroniques,
nécessitant un traitement au long cours, mais pas seulement. Elle peut également
concerner des affections à durée plus limitée, nécessitant une adhésion accrue du patient
aux diverses modalités du traitement afin d’éviter des complications95.

En 1998, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) cible une soixantaine de maladies


où l’ETP devrait jouer un rôle important, et en propose une définition. Cette définition de
1998 est une définition consensuelle, car plusieurs équipes de recherche ont participé aux
travaux. Elle a l’avantage de se démarquer de l’éducation à la santé, qui s’adresse en
priorité aux personnes non malades. Dans le cadre de cette relation affective particulière
que la personne entretient avec sa maladie, différents courants de pensée ont nourri la
recherche et les pratiques en ETP. En tout premier lieu, le conditionnement du patient est
animé par le courant behavioriste, dans le cadre notamment des gestes et techniques de
différents traitements, mais d’autres théories ont enrichi cette approche, telles que le
constructivisme dans les années 1960, l’approche par projet ou l’approche systémique
(Fourez, 2001). Selon d’Ivernois et Gagnayre (2008), l’ETP se définit en quatre étapes
d’après le schéma suivant :

95
(...) « Ce qui distingue l’ETP de l’information est la nature et le sens des connaissances que le patient
s’approprie. En ce sens, l’ETP vise à aider le sujet patient à devenir le premier acteur de ses soins. Il va
non seulement acquérir des compétences spécifiques, mais aussi apprendre à maintenir un projet de vie, à
le construire ou à le reconstruire. » P.-Y. Traynard, R. Gagnayre, Education thérapeutique, prévention et
maladies chroniques, 2e édition, Masson, 2009, « Education pour la santé et éducation thérapeutique, une
distinction importante », p. 5.

87
Les étapes éduca ves selon le modèle de d’Ivernois et al (2008)

Evalua on ini ale


Diagnos c éduca f,
recensement des besoins

Contrat d’éduca on objec fs


Evalua on pédagogique, pédagogiques à acquérir par
clinique et psychosociale le pa ent

Mise en place des méthodes


pédagogiques selon les
poten alités du pa ent

Figure 13 : Les quatre étapes de la démarche éducative selon d’Ivernois et Gagnayre (2008).

Les premières années de l’ETP ont été ponctuées plutôt d’une pédagogie transmissive,
agrémentée d’un peu d’apprentissage par conditionnement.

Les « acteurs » se sont vite rendu compte des limites de cette approche sur le plan
psychologique. Forts de ce constat, ils ont interrogé d’autres modèles psychosociaux,
avec lesquels nous travaillons encore aujourd’hui.

2.8 Les modèles psychosociaux les plus couramment utilisés en


ETP

2.8.1 La thérapie cognitivo-comportementale

L’interdisciplinarité et le changement à long terme sont souvent portés par les thérapies
cognitivo-comportementales (Golay, 2004 ; Fossati, 2004 ; Golay, 2005). Pour aider le
patient à modifier certains comportements délétères à sa santé, l’entretien motivationnel
est pratiqué (Miller, 2002 ; Lecallier, 2004 ; Sommer, 2005 ; Assal, 2004). Toutes ces
approches contribuent à l’amélioration de la qualité de vie des patients (Skinner, 1961 ;
Golay, 2004). Ces pratiques disciplinaires ne se limitent plus seulement aux seuls
changements du patient, mais visent aussi à l’accompagner dans cette nouvelle vie qui se

88
dessine désormais avec cette maladie chronique, au travers d’objectifs voulus par le
patient lui-même selon ses croyances et ses représentations (Lasserre, 1998).

2.8.1.1 La démarche centrée sur le malade

L’éducateur thérapeutique doit être attentif à la qualité de la relation qu’il établit avec le
malade ; c’est le point de départ d’une confiance qui conditionnera la suite du
programme. Carl Rogers (1996), avec sa théorie « centrée sur la personne », met l’accent
sur le vécu du malade dans sa dimension affective. Pour Rogers : « Aucun a priori
théorique, aucun impératif éthique, scientifique ou social n'a le pas sur le droit de la
personne à se déterminer elle-même. Toutes les thérapies, quels que soient leur
fondement théorique et les techniques employées où le thérapeute garde une attitude
distante et impersonnelle, ont peu de chances de produire un changement favorable chez
le client et aboutissent nécessairement à la manipulation. »

Il est évident qu'une relation susceptible de créer des changements durables chez le
patient engage profondément la personne du thérapeute. Il doit ajuster perpétuellement sa
sensibilité à celle du patient par une démarche tâtonnante qui procède par essais et
erreurs, jusqu'à ce qu'il saisisse ce que le patient veut dire. Il est impossible pour lui de
garder une position neutre, de se retrancher derrière sa profession. La communication
patient/soignant a également été décrite par Roter (1991) dans son « modèle d’échanges
réciproques ». Il propose une évaluation de cette communication qui s’articule sur deux
axes, « le contenu et la relation ».

Schéma sa on de la communica on en ETP selon Roter (1991)

La communica on avec le pa ent

Contenu Rela on

Clarté du message Manière d’être

L’évalua on de la communica on s’ar cule sur 2 axes

Inspiré du modèle de Roter , repris par laggger, Giordan et Golay (2010)

Figure 14 : Les axes de l’évaluation de la communication soignant/patient.

89
2.8.1.2 L’acceptation de la maladie chronique par le patient

Dans le cadre de l’annonce du diagnostic de maladie chronique, nous avons


précédemment mis en évidence la difficulté pour le patient d’accepter l’inacceptable en
mettant l’accent sur son impact psychosocial. Pour A. Lacroix (1998), le patient n’est pas
le seul à être impacté ; le soignant également est confronté au renoncement de guérir,
fondement même de sa formation de thérapeute. Ces modèles du rapport affectif avec la
maladie, « les stades d’acceptation de la maladie » décrits par certains auteurs (Lacroix,
Assal, 1998), sont inspirés des modèles du deuil de Freud et de Kluber-Ross. Ils les ont
appliqués à la maladie chronique. Il s’agit pour eux de rappeler que l’annonce d’une
maladie chronique entraîne des réactions émotionnelles naturelles qu’il convient de
prendre en compte dans l’approche éducative (telles la colère, la révolte, la tristesse), que
la durée de ce processus est relative, qu’elle varie d’un individu à l’autre et qu’il est
possible aussi pour le patient de nier ses émotions et de demeurer dans un état de
dépression96.

Ces auteurs précisent qu’il est tout à fait possible que ces étapes soient revisitées
plusieurs fois dans l’existence du patient, à l’occasion notamment de complications. Ils
proposent un tableau de ces différents stades avec quelques recommandations aux
professionnels de santé, pour les appréhender du mieux possible avec le patient.

96
« Le travail de deuil “normal” est une dynamique psychique où la souffrance est vécue pour être
dépassée. Tandis que son évitement résulte d’un blocage du travail psychique. » A. Lacroix, Education
thérapeutique, Prévention et maladies chroniques, Masson, 2009, p. 35.

90
Stades Réactions du Exemples Réactions Actions et attitudes
patient typiques de spontanées du recommandées aux
paroles du patient soignant soignants
Choc initial Surprise « Mon Dieu, Donner le plus Soutenir le patient et
Angoisse quelle horreur » ! d’instruction l’aider à se retrouver
possible, langage
technique
Angoisse Peur, « Je suis paralysé Chercher à rassurer, Clarifier les
sentiment de de penser que j’ai à dédramatiser émotions et la nature
menace cette maladie » ! de la menace
Déni, refus Détachement, « Ca va aller, ce Vouloir être Inspirer un climat de
banalisation, n’est pas grave, je absolument confiance, l’aider à
négation ne suis pas si persuasif, déterminer en quoi il
malade que ça » ! confrontation se sent menacé,
comprendre ses
croyances et ses
représentations
Résignation Dépression, « Je ne vois pas Motivation Comprendre et
culpabilité, du tout où ça va salvatrice du légitimer les
honte, m’amener » soignant à renforcer émotions du patient
dévalorisation la dépendance et la par un suivi
passivité du patient psychothérapeutique
, groupe de parole
avec les pairs
Révolte Agressivité, « Pourquoi moi ? Se sentir attaqué, Manifester de
accusation revendication Je refuse ce porter un jugement, l’empathie,
traitement je il est caractériel, comprendre et
préfère mourir » opposer absolument légitimer ses
son expertise sentiments, l’amener
à préciser l’objet
central de sa révolte
Capacité Tristesse, « Je me sens Se montrer détaché, Faire preuve
dépressive, prise de complètement indifférent d’écoute active et
tristesse conscience anéanti, Ravagé, réflective, l’aider
des émotions vide » à exprimer ses
ressenties, sentiments, le
pleurs rassurer, valoriser
ses compétences à
se recréer, susciter
un projet
Acceptation Sérénité « Je ne me bats Se sentir gratifié Renforcer la
collaboration plus, il y a pire, je formation du patient
me rends compte à l’autogestion,
que je peux vivre valoriser son
avec » autonomie

Tableau 4 : Les différents stades d’acceptation de la maladie par le patient et quelques recommandations
aux soignants, inspiré de Lacroix, Golay et Assal (1993).

2.8.1.3 Le centre de contrôle de la maladie ou locus of control

Depuis quelques années, autant dans la formation initiale que continue, les thérapeutes
ont acquis une notion respectueuse de la personne, la notion de « l’auto-efficacité
perçue » par le patient, en fonction de l’efficacité de la thérapeutique selon sa propre
vision. A travers cette notion, « on cherche à mesurer le degré d’implication du patient
dans l’idée qu’il se fait de lui-même et des soignants, mais aussi sa relation aux éléments
extérieurs, tels le malheur, la chance, le destin » (Wallston, 1978). Cette notion de
« locus de contrôle » a été âprement discutée dans la phase d’élaboration du plan pour
l’amélioration de la qualité de vie des personnes atteintes de maladies chroniques, où,
pour la première fois dans l’histoire du système de santé français, a été prise en compte la

91
qualité de vie du patient. Son avis « subjectif » sur la perception de ses ressentis par
rapport au traitement, son sentiment sur l’ensemble des intervenants, « son auto-
efficacité », sont pris en compte. L’auto-efficacité du patient se mesure selon la grille
élaborée par Bendura (1977)97.

Quatre critères pour mesurer l’auto-efficacité du patient selon Bendura (1977) :

- Etendue de ce sentiment dans divers domaines.


- Etendue de ce sentiment sur diverses expériences.
- Force du sentiment (probabilité de découragement).
- Durée et fréquence de perception de ce sentiment.

Tableau 5 : Grille de mesure de l’efficacité du patient dans le processus éducatif, inspirée de Bendura
(1977).

2.8.1.4 La motivation du patient en éducation thérapeutique

La littérature médicale récente a abondamment traité du concept de la motivation du


patient, indispensable à toutes démarches éducatives, que ce soit pour les apprentissages
ou pour les changements de comportement nécessaires dans la prise en charge de toutes
maladies chroniques (Rachmani, 2005 ; Delaronde, 2005 ; Burke, 2005 ; Huang, 2005).
S’agissant du diabète, quand la motivation fait défaut, cela constitue un handicap aux
apprentissages (Strömberg, 2005). C’est une clé pour le changement dans l’arrêt du tabac
(Sharp, 2005). C’est une ressource à stimuler en accentuant les interventions pour
augmenter l’adhésion aux traitements (Lisson, 2005), tout en tenant compte de l’histoire
de vie et des croyances de la personne (Jackson, 2005), de ses conceptions de la santé
(Giordan, 1998), de ses origines culturelles (Walker-Sterling, 2005), de ses peurs
(Petersen, 2004), notamment pour passer de la théorie à la mise en pratique des savoirs

97
Après avoir été initialement influencé par le courant béhavioriste, Albert Bandura s'en est détourné, en
soulignant l'importance des facteurs cognitifs et sociaux dans ses recherches. Le noyau épistémologique de
son œuvre place l’individu au cœur d’une triade d’interactions entre facteurs cognitifs, comportementaux et
contextuels. Les sujets sociaux sont, pour lui, à la fois producteurs et produits de leur environnement. Dans
ce cadre théorique, la notion d’auto-efficacité devient centrale. En désignant les croyances qu’un individu a
dans ses propres capacités d’action, quelles que soient ses aptitudes objectives, il pose le sentiment
d’efficacité personnelle comme base de la motivation, de la persévérance et d’une grande partie des
accomplissements humains.

92
(Reach, 2005 ; Gotin et al., 2012). Au vu de tous ces paramètres, l’ETP apparaît donc
nécessairement complexe et doit être structurée (Gaede, 2005), incluant une démarche
motivationnelle par un professionnel de l’écoute, reposant avant tout sur les ressources
personnelles du patient (Rohsenow, 2005). Ludwing (2005) préconise que les
professionnels de santé, dans leur formation initiale ou continue, bénéficient également
de ces approches qui leur seront utiles dans l’exercice de leur métier. Miller et Rollnick
(2002) ont avancé le concept d’entretien motivationnel, notamment dans le domaine des
addictions.

2.8.2 L’empowerment

L’empowerment désigne, selon B. Israël (cité par Ajoulat, 2002), la capacité des gens à
mieux comprendre et à mieux contrôler les forces personnelles, sociales, économiques et
politiques qui déterminent leur qualité de vie, dans le but d’agir pour améliorer celle-ci.
Quand on parle d’empowerment, on peut se référer à différents niveaux d’analyse et de
pratique, en particulier celui de l’individu, de l’organisation ou de la communauté.

L’empowerment individuel ou psychologique désigne la capacité d’un individu à prendre


des décisions et à exercer un contrôle sur sa vie personnelle.

Comme le sentiment d’efficacité ou l’estime de soi, l’empowerment met l’accent sur le


développement d’une représentation positive de soi-même (self concept) ou de ses
compétences personnelles. En plus, l’empowerment individuel inclut l’analyse et la
critique du contexte social et politique, le développement des ressources et des
compétences individuelles et collectives nécessaires à l’action sociale. Une organisation
peut être à la fois « empowering » et « empowered ».

Une organisation « empowering » est dirigée de manière démocratique : ses membres


partagent l’information et le pouvoir, utilisent des processus coopératifs pour prendre les
décisions et sont impliqués dans le choix, la mise en œuvre et le contrôle des efforts à
fournir pour atteindre des buts définis en commun. Une telle organisation contribue à
l’empowerment des individus qui participent au processus. Elle reconnaît et prend en
compte l’existence de liens variés entre ses membres : groupements d’intérêt,
groupements par statut, sous-groupes formels.

Une organisation « empowered » exerce aussi une influence sur le système plus vaste
dont elle fait partie, sur la politique et les décisions de la communauté au sein de laquelle

93
elle exerce son activité. Une communauté « empowered » est une communauté dans
laquelle les individus et les organisations utilisent collectivement leurs compétences et
leurs ressources pour satisfaire leurs besoins respectifs. Ils s’entraident, résolvent leurs
conflits et accroissent leur influence sur la qualité de vie de la communauté. Une
communauté « empowered » est en capacité d’exercer une influence sur les décisions et
les changements au sein du système social dont elle fait partie. Israël B. et al.98 écrivent
qu’il est possible de développer l’un des trois niveaux indépendamment des deux autres
mais préconisent, pour plus de cohérence et d’efficacité, d’envisager l’empowerment de
façon globale, c’est-à-dire en s’intéressant aux trois niveaux. C’est cette approche globale
qu’ils nomment « empowerment communautaire » pour la distinguer de
l’« empowerment individuel », dont il est question dans la présente recherche et qui doit
reposer impérativement sur un, voire plusieurs projets de vie. La volonté de changement,
le désir d’aller de l’avant, doivent constituer la raison essentielle pour continuer à vivre.
Faisant référence à V. Frankl, survivant du camp de concentration d’Auschwitz après
trois années de captivité, T. Janssen, dans son ouvrage La maladie a-t-elle un sens ?, fait
l’éloge de la force intérieure insoupçonnée qui habite l’individu et qui lui permet de
supporter l’insupportable99. En citant Frankl, l’auteur ajoute : « Au lieu de se demander si
la vie a un sens, l’individu doit s’imaginer que c’est à lui de donner un sens à sa vie à
chaque jour à chaque heure. » A travers sa quête de sens, l’auteur nous dit que Frankl
nourrissait sa force intérieure en méditant sur des citations édifiantes, à l’image de celle
de F. Nietzsche : « Celui qui a un “pourquoi” qui lui tient lieu de but, peut vivre avec
n’importe quel “comment”. » Mais, cette volonté d’acceptation de la maladie ne peut-elle
pas être contrariée par des croyances de santé ?

2.8.2.1 Les croyances de santé (health belief model)

Une hiérarchie très claire, en termes de portée et de conséquences entre les différents
niveaux de croyances de santé, a été définie par les adeptes de la programmation
neurolinguistique (PNL). Les croyances qui sont en rapport avec l’environnement, les
valeurs, les sentiments d’appartenance, n’auraient pas les mêmes significations, voire les
mêmes impacts sur un possible processus de changement à engager par le patient.
Rosenstock (1954, 1974), dans le health belief model, a travaillé à la compréhension des

98
Ibid.
99
T. Janssen, La maladie a-t-elle un sens, Fayard, 2008, p. 239.

94
obstacles aux changements et a exploré ces différents niveaux de croyance. Il décrit une
perception de la réalité de la maladie, de l’efficacité et du coût bénéfice/risques des
traitements. Selon ce modèle, une seule réponse négative aux quatre questions clés,
constitue un obstacle majeur à l’acceptation de la maladie et des traitements dans le cadre
d’une maladie chronique.

Souvent silencieuses, les maladies chroniques ne permettent pas au patient d’accepter


qu’il soit vraiment malade. N’étant pas convaincu de l’être, il ne prendra pas ses
médicaments, ou en fera son affaire personnelle et ne changera pas de comportement. De
surcroît, le manque de symptomatologie met en exergue les effets désagréables des
traitements. D’où l’intérêt de s’appuyer sur les modèles de croyances pour accompagner
le patient vers ce changement. Les liens entre croyances et comportements de santé dans
une société ou un groupe ont été décrits par plusieurs auteurs (Bentley, 1999 ; Nathan,
2001). Si certaines de ces représentations ne sont contraignantes que dans un champ
précis, telle la connaissance, d’autres cependant peuvent représenter une charge
émotionnelle importante, commandant d’autres représentations, et elles sont constituées
de sous-systèmes organisateurs (Doise, 1992). Il n’existe pas, véritablement, de recettes
miracles pour appréhender la complexité de ces représentations, tant elles relèvent, selon
Giordan (1987, 1996, 1998), de notre conception d’encodage des informations de toute
nature et de tout niveau que nous emmagasinons tout au long de notre vie et qui peuvent
constituer des entraves aux changements. L’essentiel en ETP est de les détecter à travers
le raisonnement du malade, sa manière d’être, et de les situer dans leur capacité à
produire du sens pour composer avec elles, sans les heurter, d’où leurs grandes influences
sur la réussite du programme d’éducation thérapeutique.

2.8.2.2 Les entraves possibles au changement en ETP

La non-observance des traitements par le patient, ou son refus d’accepter l’inacceptable,


est perçue par le thérapeute comme la manifestation d’une mauvaise volonté de sa part.
Il s’insurge aussitôt : « C’est de votre faute » ; « vous n’avez qu’à suivre les prescriptions
et les conseils que l’on vous donne ». Or, la résistance aux changements est souvent le
fruit d’interactions successives entre le patient et ses proches, son environnement et le
contexte des soins. Mais, la motivation au changement dépend étroitement de la qualité
de la relation du patient avec son thérapeute. Il se sentira prêt à changer s’il perçoit
l’importance du problème et s’il a une confiance suffisante en sa capacité à changer. Loin

95
d’être un problème insurmontable, cette résistance aux changements peut constituer une
ressource, être perçue comme un signe « d’énergie vitale du patient » (Moutet et Golay,
2006), et elle doit conduire à s’interroger sur la nature de l’alliance thérapeutique
nécessaire à instaurer pour parvenir au but final. Face à un patient qui résiste au
changement, il est nécessaire de comprendre comment, pourquoi, à quoi, ou même à qui
il résiste pour dédramatiser la situation de soin et faire tomber la mauvaise conscience du
soignant. Il faut considérer que cette résistance est absolument naturelle. Le malade
dispose au moins de cette capacité psychologique d’autonomie. Le Tableau n° 6
représente les questions déterminantes que se pose le malade selon le modèle de
croyances de santé.

Les modèles de croyances de santé

- Le patient est-il persuadé d’être atteint de la maladie que l’on veut lui imputer ?
- Pense-t-il que cette maladie peut être grave ?
- Pense-t-il que le traitement qu’on lui propose sera efficace ?
- Pense-t-il que les bienfaits du traitement contrebalancent avantageusement ses
contraintes ?

Tableau 6 : Health belief model selon Rosenstock.

Dans leur recherche, A. Golay, G. Lagger et A. Giordan notent qu’« un patient qui résiste
est un patient qui est capable d’avancer, de se dépasser », et ils ajoutent que « ces
résistances sont des refuges pour le malade »100. Pour mieux comprendre ces résistances,
le soignant devra alors s’interroger sur les raisons qui les motivent. Le malade résiste : à
qui ; à quoi ; pour qui ; pour quoi ; comment ? Dans sa théorie paradoxale du changement
de A. Beisser (1970), citée par Golay et al. (2010)101, « le changement apparaît lorsqu’un
sujet devient ce qu’il est et non ce qu’il essaie de devenir, ce qu’il n’est pas ». Il est

100
Golay A., Lagger G., Giordan. Comment motiver le patient à changer. Collection « Education
thérapeutique du patient », dirigée par J.-F.d’Ivernois, Maloine, 2010, p. 113.
101
Selon cette théorie, « trois grands ensembles de résistances peuvent être catégorisés. Celles liées au
patient lui-même dans sa compréhension et son acceptation de la maladie, celles en lien avec les attitudes
des soignants et leurs manières d’enseigner, celles en rapport avec l’entourage du patient, ses valeurs, sa
culture et l’environnement didactique d’apprentissage. Il est précisé par ailleurs que ces derniers ne sont
jamais neutres et peuvent générer nombre d’obstacles à l’apprentissage ». Motiver le patient à changer, A.
Golay, G. Lagger, A. Giordan, Maloine, 2010, p. 98.

96
évident que tous les effets des traitements et leurs complexités peuvent conduire
naturellement à des résistances.

Un patient souffrant de maladie chronique ne devient pas « un bon observant » du jour au


lendemain. Pour envisager de se traiter, il faut déjà qu’il change ses habitudes de vie, et
pour cela, il doit d’abord percevoir la nécessité de ce bouleversement, donc comprendre
et accepter ce qui lui arrive. Le franchissement de cette première étape sera en lien direct
avec l’attitude du ou des soignants et avec leur manière de lui présenter la situation.
L’entourage du patient, ses valeurs, sa culture et l’environnement didactique
conditionnent également ce désir de changement. Il est donc nécessaire de clarifier ses
croyances de santé, sa conception des traitements et du système de soins. « En matière de
maladie chronique, les résistances sont à croiser avec les phases de prise de conscience
de la maladie », écrivent E. Kluber-Ross (1975), A. Lacroix et J.-P. Assal (2003).
L’expression « à vie » revient souvent en entretien : « Donc, je devrai prendre ce
traitement à vie ? » Deux attitudes sont à noter chez les soignants : soit ils donnent trop
d’informations au patient à l’annonce du diagnostic, soit ils banalisent, au contraire, pour
ne pas l’effrayer : « Vous verrez, tout ira bien, votre vie ne devrait pas trop changer si
vous suivez le régime et la prescription ; en revanche, vous risquez gros si vous ne les
suivez pas. » Mais, comment appréhender concrètement ce changement et composer avec
ses résistances ? Quelles approches psychopédagogiques utiliser ?

2.8.3 L’approche motivationnelle

Ces dernières années ont été marquées par des interventions psychopédagogiques
multiples, mais les deux plus usitées restent l’entretien motivationnel et les thérapies
brèves. Dans le cadre de notre travail de recherche en éducation thérapeutique, chez les
patients bilingues français-créole, nous nous limiterons à la description de l’entretien
motivationnel. Développé par W. Miller et S. Rollnick dans les années 1980, dans le
domaine des addictions, l’entretien motivationnel (EM) est d’abord un état d’esprit, selon
ces auteurs, un style relationnel en opposition à un style frontal encore malheureusement
trop fréquent dans la relation soignant-soigné. L’hypothèse qui le sous-tend est que l’EM
doit conduire le patient à exprimer son désir de changement102.

102
Changer de comportement peut signifier mettre un terme au comportement primitif et en adopter un
nouveau en adéquation avec son désir d’améliorer sa santé.

97
Cette approche a été affinée au cours des années 2000 par le modèle dit « transthéorique
de changement » de J. Prochaska et C.C. Di Clemente, qui délimite six stades de
changements par lesquels passe tout individu. Le soignant devrait donc adapter sa
thérapeutique au stade de changement où se trouve son patient 103 . « L’EM est
personnalisé, centré sur le patient pour l’aider à résoudre son ambivalence. » (Prochaska
et Di Clemente, 1998). Depuis, l’EM est présenté comme l’intervention thérapeutique la
plus performante pour faire progresser les patients souffrant d’addictions liées à l’alcool
(Monti et al., 1999), au tabac (Colby et al., 2004), aux drogues (Mc Cambridge et Strang,
2004), dans la prévention de la prise de risques (Johnston et coll., 2002). L’intérêt de ce
modèle a été confirmé par diverses méta-analyses (Miller et al., 1998 ; Miller et al.,
1995 ; Noonan et Moyers, 1997) ; il a été ensuite repris en éducation thérapeutique et
utilisé dans la prévention des complications des maladies chroniques. Son efficacité a été
évaluée en matière de prise de traitements (Rosen et al., 2002), de changement de
comportement alimentaire (Berg-Smith et al., 1999), dans le diabète (Channon, Smith et
Gregory, 2003), dans l’asthme (Lehrer et al., 2002), les maladies rétrovirales (Dolorio et
al., 2003 ; Burck et al., 2006). En ETP, « le modèle transthéorique » a été renforcé par les
apports de l’école suisse (Sommer, Gache et Golay, 2004 ; Golay, 2005). Selon ces
auteurs, le patient doit percevoir la nécessité de changer et de se sentir apte à opérer ce
changement. Il est donc nécessaire de travailler sur l’estime de soi et ses croyances de
santé (Golay, Lagger et Giordan, 2007). La filiation avec l’école de psychologie de
Chicago, représentée par Carl Rogers (1962), est revendiquée par ces auteurs. Selon ce
précurseur, « l’empathie, le regard positif et inconditionnel et la congruence restent les
ingrédients essentiels à une bonne thérapie »104. Mais il est naturel, pour un patient en
situation thérapeutique, de rentrer en résistance. Souvent, cette résistance trouve sa source
dans la peur du changement.

103
A l’origine, ces stades ont été décrits pour des patients ayant des conduites addictives.
104
Selon C. Rogers (1962) : « L’empathie ou la compréhension empathique consiste en la perception
correcte du cadre de référence d’autrui avec les impressions subjectives et les valeurs personnelles qui s’y
rattachent. Percevoir avec empathie, c’est percevoir le monde subjectif d’autrui comme si on était cette
personne sans jamais perdre de vue qu’il s’agit d’une situation analogue d’où le “comme si”. La capacité
empathique implique que l’on éprouve la peine et le plaisir d’autrui comme il l’éprouve lui-même, qu’on en
perçoive la cause comme il la perçoit sans jamais oublier qu’il s’agit d’expérience et de perceptions de
l’autre. En absence de ces conditions, il ne s’agit plus d’empathie mais d’identification. » Psychothérapie
de la relation humaine, 1962, Vol. I, p. 197.

98
2.8.3.1 La peur du changement

« Quand on réduit la liberté d’agir d’un individu, sa réaction première est de résister »,
écrivent Miller et Rollnick (1991). La résistance aux changements repose sur un
mécanisme de réactance psychologique décrit par S. S. et J.W. Brehm (1981). Lorsqu’un
événement menace ou réduit sa liberté, le patient réagit aussitôt pour tenter de restaurer
ce sentiment de liberté et s’oppose à tout changement. Par définition, le renforcement du
comportement initial est souvent constaté lorsque la liberté d’agir est menacée. On parle
alors d’ambivalence. Cette ambivalence se définit comme un conflit intérieur engendré
chez l’individu entre son désir de changer pour aller mieux et celui qui s’oppose à l’arrêt
d’un comportement délétère. Rentrent alors en conflit les désirs, les besoins et les
souhaits forcément incompatibles. De ce constat, il résulte la conception d’un outil très
utilisé de nos jours en ETP, « la balance décisionnelle » (Janis et Mann, 1977). Cette
méthode d’aide à la prise de décision en ETP est à l’image d’une balance avec deux
plateaux, dans lesquels d’un côté sont entassés les avantages à ne pas changer et le prix à
payer, et de l’autre les bienfaits du changement. Dans son état initial, la balance penche
plutôt du côté des désavantages au changement. Le patient changera, quand il pourra
inverser la balance. Le rôle du soignant à ce stade est d’aider le patient à exprimer cette
ambivalence librement, dans une écoute active émaillée de recadrages ciblés.

Balance décisionnelle de Janis et Mann (1977)

Aider le pa ent à explorer son ambivalence et lui perme re de changer par lui-même

Avantages à changer

Avantages à ne pas
changer Bénéfics

Inconvénients

Le pa ent changera quand il pourra inverser la balance

Figure 15 : Balance décisionnelle, inspirée de Janis et Mann (1977).

Ces différents stades du changement ont été décrits également par Prochaska et Di
Clemente (1992).

99
Les stades du changement de comportement

Rouler avec la résistance


Soutenir le sen ment d’efficacité
personnelle
Ac on
Rechercher les obstacles
Développer la dissonance,
Main en l’ambivalence et la
Renforcer les bénéfices divergence chez le pa ent

Prépara on
Négocier les objec fs

Contempla on
Discuter les ambivalences
Priorité à l’écoute ac ve
Rechute et réflexive
Faux pas Précontempla on
Le conduire à mener une Explorer les représenta ons
réflexion compara ve
d’avant et d’après la
rechute, le déculpabiliser
Tout doit venir de l’intérieur du pa ent

Inspiré de Prochaska et Di Clemente (1992), Golay, Lagger, Giordan (2010)

Figure 16 : Les stades du changement de Prochaska et Di Clemente (1992) et Golay, Lagger et Giordan
(2010).

2.9 L’éducation thérapeutique dans l’asthme en Guadeloupe


« Lopwésion » est le nom de l’asthme en langue créole. Dans le passé, cette maladie
n’était pas considérée par la population comme une maladie grave ; elle faisait l’objet
d’une prise en charge traditionnelle, avec plus ou moins de conséquences sur le long
terme.

2.9.1 Une réponse coordonnée à l’émergence d’une problématique de


terrain

Dans les années 1990, le nombre important de cas d’asthme sévère et de décès par cette
maladie a suscité des inquiétudes auprès des professionnels de santé de Guadeloupe.
Dans le but d’améliorer la prise en charge de la maladie asthmatique dans cette région,
l’association Karu Asthme a été créée en 2000. Sous son impulsion, l’école de l’asthme
de Guadeloupe a commencé ses activités d’éducation thérapeutique en 2002, et le Réseau
Asthme a vu le jour en 2005. Dans le cadre du présent projet de thèse, nous avons
participé à divers travaux de recherche épidémiologique au sein de cette équipe, ce qui
nous a permis d’évaluer le fonctionnement de cette école de l’asthme de Guadeloupe en
termes de fréquentation, de méthodes et de résultats. Il nous a paru utile de décrire
l’approche éducative de cette structure au regard des standards nationaux, afin

100
d’apprécier, d’une part, la place de cette éducation thérapeutique dans le cadre de la prise
en charge de cette maladie asthmatique et, d’autre part, le gain économique qu’elle
procure.

ORGANISATION DU RESEAU D’ASTHME DE GUADELOUPE

Etablissements
médico-sociaux

Centre d’éduca on
Médecin à tre Représentants des usagers thérapeu que de
individuel Guadeloupe
Etablissements (CETG)
Médecine du travail HAD-SSIAD* de soins publics ASTHME BPCO SAHOS*

Etablissements
Pharmaciens
de soins privés

Collec vités Conven ons Conven on Documents


partenariales Charte Réseau
territoriales et cons tu ve d’informa on
locales

KARUASTHME
Structure juridique

Figure 17 : Organisation du Réseau de l’asthme de Guadeloupe

Cette école de l’asthme de Guadeloupe est située en milieu urbain, au sein d’un réseau de
santé, le réseau Karu Asthme. Les relations partenariales au sein du réseau facilitent
l’accès aux soins et enrichissent la prise en charge des patients grâce, notamment, aux
prestations dérogatoires qu’il dispense105.

L’éducation thérapeutique délivrée à l’école de l’asthme de Guadeloupe repose sur un


programme structuré, comprenant plusieurs niveaux d’évaluation et un suivi médico-
éducatif. Dans l’archipel guadeloupéen, en 1999, les professionnels de santé, et plus
particulièrement les pneumologues, les urgentistes et les réanimateurs, ont ressenti qu’il
était nécessaire d’améliorer la prise en charge de l’asthme au niveau local.

Ils ont en effet constaté :

105
Les prestations dérogatoires ont un caractère résiduel et concernent tous les actes ne figurant pas sur la
liste des actes professionnels mais qui ont vocation à y entrer, dès lors qu’ils apportent une plus-value à la
prise en charge. Les prestations dérogatoires représentent une enveloppe gérée par le réseau et qui sert à
solvabiliser le patient en payant à sa place les professionnels conventionnés ou non qui dispensent ces actes.
Citons comme exemples de prestations dérogatoires : les actes de podologie, de psychologie, de diététique,
les séances d’éducation thérapeutique. *Hospitalisation à domicile (HAD). *Service de soins infirmiers à
domicile (SSIAD). *Bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO). Syndromes d’apnées
hypopnées obstructives du sommeil (SAHOS).

101
- Une augmentation du nombre de cas d’asthme dans leur pratique courante, surtout sous
les formes les plus sévères.

- Une absence d’amélioration des patients malgré des traitements de plus en plus
performants.

- Un certain nombre de décès par crise d’asthme, décès que l’on aurait pu éviter, pour la
plupart, par une éducation appropriée.

- Une disparité dans la prise en charge de la part des professionnels de santé.

Dans le but d’améliorer la prise en charge de cette maladie, l’association Karu Asthme a
été fondée en 2000. Sous son impulsion, l’école de l’asthme a commencé son activité en
2002 et le Réseau Asthme a vu le jour en 2005.

Les trois objectifs fondamentaux de l’association Karu Asthme étaient les suivants :

- L’uniformisation des pratiques et la diffusion des recommandations aux médecins


généralistes.

- Le développement de l’éducation thérapeutique aux patients et aux familles par la


création de l’école de l’asthme.

- Une meilleure connaissance de la prévalence de la maladie.

Ces trois projets ont été menés simultanément. Dès 2000, des campagnes de
sensibilisation aux recommandations nationales et internationales ont été organisées sur
l’ensemble du territoire, avec en ligne de mire l’uniformisation des pratiques. Il s’est
ensuivi, en 2002, la création de l’école de l’asthme et l’offre d’une éducation
thérapeutique aux patients. En 2003-2004, la réalisation de la phase I de l’enquête ISAAC
a porté sur l’étude de la prévalence de l’asthme chez les adolescents guadeloupéens.
Structure extra-hospitalière, l’école de l’asthme est indépendante de l’hôpital ; elle est
dirigée par un éducateur spécialisé et non par un médecin, comme dans la plupart des
écoles métropolitaines. Ceci permet d’avoir une clientèle variée, venant de tous les
médecins désirant s’inscrire dans cette dynamique de prise en charge globale. De ce fait,
on évacue également la crainte du détournement de clientèle, si souvent dénoncé. Tous
les médecins qui confient leurs patients au réseau, et donc à l’école de l’asthme, les
retrouvent après éducation et assurent leur suivi médico-éducatif à leur cabinet. Ils
demeurent les médecins référents de leurs patients. C’est un lieu neutre pour le médecin
mais aussi pour le patient ; il ne rappelle pas l’angoisse de la dernière crise d’asthme,

102
comme c’est le cas pour les structures d’ETP situées à l’hôpital, non loin des urgences. Sa
situation extra-hospitalière en fait un lieu positif où l’on apprend à gérer sa maladie en
toute quiétude et en toute décontraction. L’école de l’asthme de Pointe-à-Pitre ne possède
pas de dossier papier. Elle dispose d’un logiciel informatisé permettant la gestion des
dossiers des patients. L’intérêt de ce dossier informatique est d’abord statistique. Grâce à
des tableaux de bord qui donnent une évaluation en chiffres et pourcentages de la
fréquentation de l’école, ce dossier permet une comparaison de l’état du patient avant et
après l’éducation, et donne de ce fait une estimation du coût du patient et de l’économie
réalisée en matière de santé après l’éducation. Le dossier est aussi un élément de gestion
du patient : on y trouve ses antécédents, son diagnostic ainsi que ses traitements…

2.9.1.1 L’acte d’inclusion en éducation thérapeutique pour asthme en Guadeloupe

L’acte d’inclusion en ETP, au sein d’un réseau de santé, est le premier acte que réalise un
médecin, quand il prend la décision de s’inscrire dans une dynamique de prise en charge
globale. Schématisé par la figure ci-après, il consiste en la mise en relation des ressources
nécessaires à la prise en charge de l’individu souffrant.

Assistante
sociale

Médecin Psychologue
traitant

Pneumologue
Kinésithérapeute Patient
asthmatique

Infirmier éducateur Association


thérapeutique de patients
asthmatiques

Allergologue

Figure 18 : Schéma de la prise en charge holistique du patient au Réseau d’asthme de Guadeloupe.

Le patient est inclus dans le réseau par son médecin traitant, ou son pharmacien, après
bilan et avis du pneumologue et/ou de l’allergologue. Il est pris en charge par une

103
infirmière éducatrice et il bénéficie de séances de kinésithérapie respiratoire, d’un
entretien motivationnel et, si cela s’avère nécessaire, d’un suivi psychologique. Il peut
bénéficier également d’un accompagnement social en rapport avec sa situation. A la fin
de son programme éducatif, il peut intégrer l’association de patients asthmatiques,
participer aux différentes actions de sensibilisation conduites par le réseau et devenir à
son tour un véritable acteur de la prévention. En prenant cette décision, le médecin
traitant se positionne dans une logique de pluridisciplinarité et confie son patient à
d’autres professionnels de santé, médicaux ou non, pour que soit porté un regard croisé
sur sa problématique. Arrivé au Réseau Asthme, le patient est reçu par des professionnels
qui, après lui avoir présenté le réseau, ses missions et ses objectifs, recueillent son
consentement. Au cours d’un entretien avec une infirmière éducatrice, un diagnostic
éducatif est posé. Ce diagnostic éducatif est complété par un entretien motivationnel avec
un psychologue. Si cela s’avère nécessaire, un suivi psychologique peut lui être proposé.
Il participera aux groupes de parole où il partagera son expérience avec d’autres patients.
L’objectif ici est la démystification de la maladie et des traitements.

2.9.1.2 Description de l’approche méthodologique

L’approche méthodologique à l’école de l’asthme de Guadeloupe est une approche


adaptée, parce qu’elle prend en compte la singularité de cette population et sa
bilingualité. Les outils psychopédagogiques européens sont utilisés selon une approche
personnalisée qui allie la visualisation, la perception et l’appropriation106. Les échanges
discursifs en langue créole, langue vernaculaire et maternelle de la majorité des clients, y
sont privilégiés. Après l’entretien individuel qui sert de socle au diagnostic éducatif, le
programme éducatif se décline en quatre parties avec plusieurs niveaux d’évaluation.

Le premier niveau d’évaluation se situe à l’inclusion du patient et porte sur les 12


derniers mois. Il consiste en un recueil des données initiales et se répartit en six
principaux items validés par le comité scientifique, à savoir :

106
La démarche pédagogique expérimentée à l’école de l’asthme de Guadeloupe prend appui sur la théorie
de Paivio (1971, 1986) traitant du double codage. Selon l’équipe psycho-éducative, cette approche de
visualisation, perception, appropriation, participe à une meilleure compréhension des différents
mécanismes de la maladie et à l’accélération de son acceptation. Centré sur ses ressentis appliqués aux
images qu’il visualise, ce travail d’identification peut se réaliser en groupe ou individuellement. Après cet
apprentissage, le patient devient tout à fait capable de se plonger au fond de lui-même pour rechercher, à
travers ses ressentis, même en fermant les yeux, l’image mentale qu’il doit se faire de son état et adopter le
comportement adéquat en fonction de la situation présente.

104
- le nombre d’hospitalisations sur les 12 derniers mois,

- le nombre de consultations aux urgences sur les 12 derniers mois,

- le nombre d’arrêts de travail ou d’absentéisme,

- la maîtrise de la technique d’inhalation,

- les connaissances de la maladie,

- l’observance du traitement.

Ces items seront comparés immédiatement à la fin du programme éducatif, et 12 mois


après. Cette prise en charge éducative spécifique se définit en six étapes (voir figure
suivante).

L’inclusion du patient

Le suivi éducatif Le diagnostic éducatif


À trois mois, six mois, neuf mois Recensement des besoins
et douze mois

L’évaluation Le contrat éducatif


Pédagogique, clinique,
Objectifs pédagogiques
psychosociale, qualité de vie

Le programme éducatif
adapté aux potentialités du
patient

Figure 19 : Les étapes de la prise en charge à l’école de l’asthme de Guadeloupe107.

107
Aux quatre étapes recommandées par l’OMS et préconisées par d’Ivernois et Gagnayre (2008), sont
ajoutés l’acte d’inclusion du patient réalisé par le médecin traitant ou le pharmacien, ainsi que le suivi
éducatif réalisé par le médecin traitant ou le pharmacien à l’occasion du renouvellement de l’ordonnance
qui constituent également des actes dérogatoires. Si, au cours du suivi, apparaît une insuffisance dans
l’autogestion de la maladie par le patient, il peut être réorienté, pour une reprise du diagnostic éducatif et un
complément d’objectif pédagogique. En cas d’incident majeur causé par l’absence de mise en œuvre des
plans d’actions, une reprise du programme éducatif peut être envisagée, l’éducation thérapeutique
constituant un processus continu.

105
2.9.2 Le diagnostic éducatif

Le support de l’entretien est un questionnaire inspiré du modèle de J.-F. d’Ivernois et R.


Gagnayre (2008). Pour le thérapeute éducateur, ce questionnaire se divise en trois
grandes parties :
1- Comment le patient estime connaître sa maladie, comment il appréhende
l’ancienneté de ses signes et du diagnostic et comment il décrit sa dernière crise.
2- Quelle est sa gestion de la maladie au quotidien, de son traitement ; rencontre-t-il
des difficultés à mettre en œuvre ses traitements ?
3- Quelle est l’incidence de cette gestion sur sa qualité de vie ?
Ce questionnaire permet de mieux connaître le patient et ses besoins éducatifs, mais aussi
ses potentialités.

La dimension biomédicale de la maladie est soulevée par la question : « Qu’est-ce qu’il


(elle) a ? » Derrière cette question se trouve un intime questionnement sur l’ancienneté
de l’asthme, son évolution, sa sévérité, la fréquence et les motifs des hospitalisations…

La dimension socioprofessionnelle est évoquée par la question : « Qu’est-ce qu’il (elle)


fait ? » A partir de cette question, l’éducateur aborde les loisirs, la vie quotidienne du
patient, son environnement social et familial.

La dimension cognitive est explorée par la question : « Qu’est-ce qu’il (elle) sait sur sa
maladie ? » ; mais aussi par d’autres questions : « Comment se représente-t-il (elle) la
maladie, les traitements ? » Par ces questions, on recherche l’appartenance culturelle du
patient, ses croyances et ses représentations en matière de santé, mais également ses
connaissances antérieures sur la maladie. Ce que le patient sait est composé de ce qu’il a
appris par sa propre expérience (un savoir solide, auquel il croit fermement) et de ce que
d’autres lui ont enseigné : un mélange de faits exacts, de connaissances médicales, de
croyances, de représentations.

La question : « Que croit-il (elle) ? » sous-entend d’autres questions telles que : « Quels
sont pour le patient les mécanismes de la maladie ? Quels sont pour lui les facteurs
déclenchants des crises ? Quels sont, d’après le patient, le rôle, le mode d’action, le
mécanisme et l’efficacité des médicaments ? Quelle est l’utilité de l’éducation
thérapeutique ? »

La dimension psychoaffective est explorée par la question : « Qui est-il (elle) ? » A


travers cette question, on recherche à quel stade le patient se situe dans son processus

106
d’acceptation de la maladie, selon le modèle de Freud et de Kluber-Ross (choc initial,
déni, révolte, marchandage, dépression ou acceptation). Le soignant recherche les
difficultés psychologiques et sociales du patient, attachées à ce stade, pour tenter
d’adapter son approche éducative.

« Quel est son projet ? » On peut trouver des projets très différents selon le patient : « Je
veux pouvoir lire une histoire à mon petit-fils le soir » ; ou : « Je veux partir en croisière
dans un an. » Le projet est le moteur du programme d’éducation. Il faut présenter le
projet comme réalisable grâce à l’éducation.

Ce projet constitue un point d’accroche pour renforcer la motivation à apprendre. La


réalisation du projet participe à l’évaluation de l’efficacité de l’éducation. La synthèse des
informations obtenues permet au soignant d’orienter la stratégie d’apprentissage et les
aspects sur lesquels l’éducation doit porter en priorité.

Il est à noter qu’aucune de ces questions n’est posée directement au patient. Le diagnostic
éducatif et la synthèse de l’entretien s’élaborent en interdisciplinarité.

S’agissant de la question de l’observance aux traitements, il existe souvent une différence


entre l’observance déclarée par le patient (« je prends mon traitement tous les jours
comme l’a prescrit le médecin ») et l’observance estimée par le thérapeute 108 .
L’observance estimée provient de l’analyse et des déductions faites des déclarations du
patient au cours des échanges, et de la mesure de l’échelle de Morisky. Cette analyse
procède de questions détournées. Des questions telles que : « Est-ce que vous prenez
régulièrement vos médicaments ? » sont proscrites, mais l’empathie et l’attitude
compréhensive du thérapeute participent à obtenir de bonnes réponses. Selon l’équipe, il
est préférable de demander : « Pensez-vous que vous êtes réellement asthmatique ? »,
puis, de laisser le patient réfléchir et répondre. La réponse peut être alors : « Non, je ne
suis pas asthmatique », ou : « J’ai du mal à comprendre ce que veut dire être
asthmatique », ou encore : « Je ne suis pas prêt à accepter ça. »

108
Selon Pascal Demoly (2010), le patient prend toujours son traitement correctement. Il est dans la
perfection, dans la contemplation. Entretien accordé lors d’une visite à l’école de l’asthme de Guadeloupe,
juillet 2010, notre traduction.

107
2.9.3 Le contrat d’éducation

Le contrat d’éducation à l’école de l’asthme de Pointe-à-Pitre est moral ; il n’est pas


signé. Il s’inscrit dans le cadre d’une véritable alliance thérapeutique entre un soignant
qui renforce un savoir et un patient qui met en œuvre ses connaissances pour améliorer sa
qualité de vie.

Le terme de « contrat » doit être évoqué au cours de l’entretien initial. Les objectifs
pédagogiques sont négociés avec le patient avant d’être fixés. Un certain nombre de
connaissances et d’aptitudes à acquérir doivent être définies. Ces connaissances sont
définies à partir de plusieurs éléments.

Les buts de l’éducation sont définis pour chaque patient à partir d’objectifs déjà élaborés
par la communauté scientifique pour l’ensemble des patients asthmatiques, et adaptés aux
capacités du patient ; les demandes, les attentes et les besoins des patients doivent être
identifiés à partir des six questions du diagnostic éducatif.

Les compétences à acquérir par le patient sont de trois ordres :

- intellectuelles : connaissances, interprétation de données, résolution de problèmes, prise


de décision, développement de l’esprit critique ;

- gestuelles : habileté technique ;

- verbales : communiquer avec autrui (capacité à transmettre des informations concernant


son état de santé).

Annonce du diagnos c et instaura on du traitement

Recueil de données Diagnos c éduca f

Objec fs à acquérir par le pa ent

Mise en œuvre du programme de forma on

Evalua on

Figure 20 : Schéma de l’organisation du contrat éducatif selon le processus constructiviste, inspiré de


Golay, Lagger et Giordan (2010).

108
Le contrat d’éducation comprend deux types d’objectifs :
- Les objectifs de sécurité : par exemple, savoir bien utiliser son inhalateur,
reconnaître les signes avant-coureurs d’une crise et la traiter précocement,
distinguerson traitement de fond de son traitement de crise.
- Les objectifs spécifiques à chaque patient : par exemple, ne pas effectuer de
mélange de produits ménagers pour une femme de ménage, ou encore utiliser un
masque pour le boulanger, bien s’échauffer avant le sport pour le sportif. L’éducateur
lui apprend à prendre son bêta-2 mimétique 20 minutes avant le sport et à se sécher
rapidement après.
Il existe huit objectifs de sécurité prédéfinis et validés par le comité scientifique du
réseau, à savoir :

1. Maîtriser la technique d’inhalation.

2. Connaître les signes avant-coureurs d’une crise, bien connaître son corps et être à son
écoute.

3. Connaître les facteurs déclenchants (allergènes, environnement).

4. Connaître les traitements de tous les jours (couleurs, formes).

5. Connaître les traitements de la crise (couleurs, formes).

6. Partager l’information avec l’entourage.

7. Utiliser le débitmètre de pointe pour la mesure du souffle et inscrire les scores sur le
carnet de suivi.

8. Adapter son traitement de fond aux changements de situations.

2.9.4 Le programme d’éducation thérapeutique

Le programme d’éducation thérapeutique proposé à Pointe-à-Pitre comprend des


exercices mettant en œuvre des processus de transformation. Cette démarche
intellectuelle du patient est définie, par l’équipe psycho-éducative, comme la capacité
pour le patient à réagir de manière appropriée aux situations et stimuli de tous ordres.
L’objectif de cette approche est la prise en compte de la subjectivation délétère du patient
à partir de situations relationnelles, conflictuelles ou d’impasse dans l’acte de transfert.

109
Les connaissances du patient sur un sujet ayant rapport avec sa santé relèvent souvent de
sa subjectivité (J. Garneau, 2005).

La rencontre avec un thérapeute, qui lui propose une vision différente (objective) de ce
qu’il croyait connaître, est vécue comme un événement lui permettant de changer sa
conception des choses en faisant sienne cette nouvelle vision. La confiance du patient
dans la démarche positive du thérapeute, qui a comme seul objectif de l’éclairer et de
l’aider à mieux comprendre, doit être recherchée et elle est, à tout point de vue,
nécessaire. C’est précisément sur cette confiance que repose la transformation psychique
attendue. Après cet apprentissage, le patient devient tout à fait capable de se plonger au
fond de lui-même pour rechercher, à travers ses ressentis, même en fermant les yeux,
l’image mentale qu’il doit se faire de son état, et d’adopter le comportement adéquat en
fonction de la situation présente. Selon l’équipe psycho-éducative, cette approche de
visualisation, de perception et d’appropriation participe à une meilleure compréhension
des différents mécanismes de la maladie et à l’accélération de son acceptation.

Cette approche repose sur les travaux de Paivio (1965), menés sur le double codage.
Celui-ci estime que le code imagé est d’autant plus utilisé que le sujet doit traiter des
éléments concrets. Le code verbal, certes moins dépendant du caractère concret ou non
d’une situation, est efficace dans le traitement des situations abstraites. Paivio a d’abord
montré que les mots concrets ont une plus grande probabilité de susciter une image
mentale que les mots abstraits, ce qui a permis d’établir des normes d’imagerie pour les
mots. Lorsque des sujets doivent mémoriser des mots, il apparaît que le rappel est
meilleur pour les mots concrets à forte capacité d’imagerie que pour les mots abstraits à
faible capacité d’imagerie.

Les mots concrets utilisés dans cette approche sont les mots du patient, car ils ont subi un
double codage imagé et verbal, ce qui facilite le rappel, notamment en ce qui concerne les
différentes techniques à maîtriser, à savoir la mesure du souffle par le peak flow ou débit
expiratoire de pointe (DEP) et la prise de médicaments inhalés. Comparativement aux
mots abstraits que le thérapeute pourrait utiliser et qui ne seraient codés que verbalement,
les mots du patient sont privilégiés. Les expérimentations, comparant la mémorisation des
images par rapport à la mémoire des mots, apportent des preuves supplémentaires en
faveur de cette théorie. Dans l’expérience de Ducharme et Fraisse (1965), concernant la
présentation de dessins, celle de dessins avec dénomination et celle de mots seuls ont été

110
comparées. La mémoire des sujets dans les conditions de dessins avec dénomination et de
dessins seuls, est équivalente mais supérieure à la situation de mots seuls.

Les dessins suscitent donc des mots et sont codés de façon imagée et verbale. On peut
donc légitimement penser que les images ont la plus forte probabilité d’être codées
doublement, suivies de mots concrets, alors que les mots abstraits ne seraient codés que
de façon verbale. Cette technique, utilisée par l’école de l’asthme de Guadeloupe, a
l’avantage d’aboutir à des résultats, puisque les différentes évaluations montrent une
amélioration significative de la qualité de vie des patients après éducation (J. Gotin,
2012)109.

La notion d’empowerment est ici utilisée pour passer du « savoir au savoir-faire »


(Crozet, 2007). On peut en effet noter une certaine hésitation du patient à passer à l’acte,
quand le besoin s’en fait sentir, même quand il dispose de la connaissance. Au cours de
sa première rencontre avec le patient, lors de l’entretien individuel servant de base au
diagnostic éducatif, le thérapeute récupère l’histoire du patient, analyse sa demande, ses
attentes, son fonctionnement, les causes du déclenchement de ses problèmes, pour s’en
servir comme porte d’entrée de son discours.

109
J. Gotin, L. Cordeau, M.A. Mounouchy, C. Raherison, “Evaluation of education program in asthmatic
cohort in a French Caribbean island” ETP, Therapeutic Patient Education (TPE), 2012, p. 307-313.

111
Figure 21 : Schéma de l’obstruction bronchique, visuel utilisé en ETP, suscitant l’expression émotionnelle
du patient (origine : Alliance Médicale, outil d’ETP distribué par Ipcem, Paris, 2002).

La conscience émotionnelle, ou l’habileté à reconnaître et à comprendre ses émotions,


résulte de sa capacité à nommer ses représentations et ses ressentis, sa manière d’être au
monde. Cette approche s’effectue à partir des expressions du sujet au stade de la
visualisation de l’image et son rapport à la perception des symptômes. Des difficultés à
exprimer sa souffrance, à ce stade, témoignent d’une altération possible des fonctions de
son imaginaire, se manifestant par un déficit langagier. Le patient peut se placer alors
dans une position défensive, quand la situation est ressentie comme une atteinte à son
intégrité physique ou psychique. Cette approche constitue alors une alternative à
l’impasse.

Pour l’équipe médico-psycho-éducative, grâce à la capacité du patient à rapprocher ses


ressentis d’une image « visualisation/perception », s’enclenche dans son esprit un
processus qui aboutit à l’appropriation de cette image. Le patient exprime désormais ses
propres ressentis dans l’image, une fois celle-ci appropriée. Il la fait sienne, il en parle en
disant : « Voilà ce qui se passe réellement dans mon corps quand je suis dans cet état ! » ;
ou : « C’est ce que je ressens ! »

112
En employant le « je », le patient se rend maître de la situation et il se place en véritable
acteur du scénario de sa maladie. Il atteint le health locus of control interne.

Le processus de transfert participe aux divers moyens que le patient mobilise pour faire
face à une situation menaçante (coping) comme la maladie. Cette technique permet de
superposer l’image projetée aux ressentis du patient, qui finit par se l’approprier. Pour la
population créole, selon l’équipe, le processus d’appropriation de la maladie par le « je
suis malade, mon corps est malade », est important pour asseoir l’observance
thérapeutique. Selon R. Bengoa, directeur pour la prise en charge des maladies non
transmissibles à l’OMS, il se pourrait que l’amélioration de l’observance donne de
meilleurs résultats sanitaires que l’avènement de nouvelles technologies. « C’est un
investissement rentable, qui permettra d’éviter des dépenses excessives aux systèmes de
santé, déjà à la limite de leurs capacités, et améliorera la vie des malades chroniques. »
Cette approche innovante participe à l’amélioration de l’observance des patients
asthmatiques en Guadeloupe. L’évaluation séquentielle, deuxième niveau d’évaluation de
ce programme d’ETP, consiste à tester les acquisitions du patient lors des séances
précédentes, au début de chaque nouvelle séance. Son importance est toute particulière
pour attester de cette appropriation par le patient et valider la première séance d’ETP.
Elle est complétée par d’autres questions sur les sujets traités pendant la séance
précédente, d’une manière générale dans le domaine des savoirs, des savoir-faire et du
savoir-être. Le patient peut par exemple faire la démonstration de sa manière de prendre
son traitement par aérosols-doseurs ; il peut aussi raconter ses premières actions de lutte
contre les acariens. L’évaluation sommative, quant à elle, constitue le troisième niveau
d’évaluation. Elle permet de contrôler l’autogestion du patient, sa capacité à moduler son
traitement de fond, la prise de son traitement de crise aux premiers signes de gêne. Elle
est constituée de cas concrets où le patient est mis face à des situations pratiques où il
devra prendre des décisions.

La capacité du patient à passer du plan A au plan B est alors testée, c'est-à-dire la mise en
application réelle des plans d’actions.

2.9.4.1 La première séance

La première partie du programme est consacrée à la compréhension des différents


mécanismes de la maladie ainsi qu’aux cibles des traitements. Dans le but de permettre au
patient de s’approprier sa maladie, on lui demande, à travers une projection vidéo,

113
d’identifier ses symptômes, de les nommer et d’y attacher leurs images. Ce processus de
« visualisation, perception et d’appropriation » procède d’une démarche expérimentée
depuis plusieurs années dans ce centre. Cette démarche, selon l’équipe psycho-éducative,
aurait pour finalité d’accélérer le phénomène d’appropriation de la maladie, conduisant
vers l’acceptation de celle-ci par le patient. Le patient peut aussitôt attacher une image à
ses ressentis pour mieux les identifier et mettre en place les mesures adéquates en termes
de prévention, dès l’apparition des premiers signes de gêne.

2.9.4.2 La deuxième séance

Elle est essentiellement consacrée à l’aspect sensori-moteur et concerne tout ce qui se


rapporte à la maîtrise des techniques d’inhalation et à celle du peak flow ou débit
expiratoire de pointe (DEP) 110 . Ces auto-mesures sont inscrites sur « une feuille de
souffle ». Au cours de cette deuxième séance, le patient se familiarise avec l’élaboration
de la feuille de souffle tout en découvrant ses zones personnelles. Elles sont matérialisées
par des zones de couleur verte, orange et rouge. Le patient matérialise son score par un
point sur une de ces zones. Le comité scientifique de cette structure a retenu le peak flow
comme outil de contrôle essentiel de l’asthme par le patient, mais pas seulement. A
l’exemple de certaines structures, au plan national, il s’appuie également sur les
symptômes comme critères d’évaluation de la sévérité, surtout quand la valeur du volume
expiratoire maximal par seconde (VEMS) du patient est au-dessous de 50%. Dans ce cas,
un réajustement des valeurs théoriques, quand le patient est dans sa meilleure forme, est
nécessaire pour ré-étalonner la feuille de souffle. (Figure 22).

110
Annexe XI. L’autocontrôle du souffle chez l’asthmatique est essentiel pour une bonne gestion de sa
maladie en toute autonomie à la maison. Le peak flow ou débitmètre de pointe est un appareil servant à
mesurer le souffle du patient. Notre traduction.

114
Figure 22 : Exemple de feuille de souffle élaborée par un patient, montrant l’évolution favorable du souffle
au cours des séances d’ETP.

2.9.4.3 La troisième séance

La troisième partie de ce programme d’ETP traite essentiellement des plans d’actions


personnalisés, écrits, et de leur mise en œuvre. Lors de la préparation de la mise en place
de cette structure d’ETP, une campagne de sensibilisation et de négociation a été menée
auprès des médecins généralistes sur tout le territoire de l’île. Il a été acté au cours de
cette campagne que, contrairement à ce qui se pratique en France hexagonale dans des

115
centres similaires, les plans d’actions personnalisés devraient être proposés par le centre
et étudiés par le patient au cours des séances d’ETP, jusqu’au niveau le plus élevé dans le
traitement d’une crise d’asthme, à savoir la formation du patient à l’utilisation des
glucocorticoïdes oraux. En effet, au cours de cette troisième séance, à travers des jeux de
rôle, le patient est transporté dans la situation concrète de la gestion d’une crise d’asthme
à la maison, et il est amené à utiliser, par étapes, les différents matériels et produits
destinés, d’une part, à évaluer cette crise d’asthme et, d’autre part, à l’enrayer. A la fin de
la séance, il rapporte sur sa feuille de souffle, de mémoire, les indications relatives à cette
démarche de gestion de la crise, en procédant par mots clés, par exemple : plan A,
« symptômes/images mentales/actions/contrôle », plan B, plan C, etc., et il mentionne à
chaque étape les ressentis, ainsi que les images de ses ressentis qui motivent le
déclenchement de tel plan par rapport à tel autre ainsi que les bénéfices attendus.
L’information en direction du médecin traitant est nécessaire après la mise en place de
ces plans d’actions. Une approche spéciale concernant les week-ends prolongés, tel le
week-end de Pâques, est proposée. Aux Antilles en général et en Guadeloupe plus
singulièrement, les cabinets médicaux sont fermés dès le jeudi saint, pour une réouverture
le mardi suivant ; le patient est alors dans l’impossibilité de joindre son médecin traitant
pour information et avis. Il doit donc gérer seul cette situation critique pendant au moins
cinq jours. Cette mention particulière s’appuie sur les travaux de Sommer et al. (2004) et
de Golay et al. (2004), qui postulent que la motivation du patient est la composante
essentielle qui règle son engagement à changer son mode de fonctionnement, à long
terme, surtout quand un phénomène menace ses habitudes. Or, les fêtes de Pâques aux
Antilles, et en Guadeloupe plus singulièrement, ont une forte connotation festive ; c’est
une bonne raison pour porter cette motivation. Pour Favre et al. (1982), cette volonté se
manifeste sous divers aspects, tels l’enthousiasme, l’assiduité, la persévérance.
L’obtention d’une meilleure adhésion et d’une meilleure observance, enregistrées chez
les patients fréquentant ce centre, repose précisément sur cette motivation à ne pas
sacrifier à leurs habitudes et encourage à la bonne mise en œuvre de cette gestion. Le
déclenchement des plans d’action est fonction du degré d’expertise du patient, donc de
ses capacités à gérer ces notions. Pour les patients à compréhension limitée, la gestion de
la crise d’asthme se limitera au plan A, donc à la prise des bêta-2 mimétiques de courte
durée d’action, selon le protocole éprouvé et validé par le comité scientifique de la
structure ; la suite de la gestion se fera en étroite collaboration avec le médecin traitant.

116
S’agissant du plan B, le patient ayant satisfait à l’évaluation sommative finale, réalisée
dans le cadre d’une mise en situation, pourra utiliser les glucocorticoïdes oraux en
deuxième intention, après le constat d’une non-réponse au bêta-2 mimétique du premier
niveau. Deux situations distinctes se présentent alors à lui. Ou bien il fait usage du bêta-2
selon le protocole validé et il répond à ce traitement en passant de la zone orange à la
zone verte, après contrôle de la mesure du souffle, ou bien, malgré le respect scrupuleux
du protocole et trois prises successives, le bêta-2 mimétique ne lui permet pas de sortir de
la zone orange. Dans ce cas, il déclenche ce plan B en usant des glucocorticoïdes oraux
pour renforcer le traitement de la crise. Le patient devient alors le propre expert de sa
maladie. A ce stade est abordée également la notion d’ajustement du traitement de fond
en fonction des situations qui sont examinées toujours sous la forme de jeux de rôle.
L’éducation thérapeutique apprend en effet au patient à connaître ses asthmazones et à
gérer un plan d’action111. L’interprétation des différentes zones de souffle à l’école de
l’asthme de Guadeloupe se définit comme suit :

- La zone verte correspond à une valeur comprise entre 100 et 80 % de la valeur théorique
du DEP ou de la valeur maximum du patient ; c’est la zone de stabilité, la zone de
normalité.

- La zone orange correspond à une valeur comprise entre 80 et 60 % de la valeur


théorique du DEP, ou de la valeur maximum du patient ; c’est la zone de la gêne
respiratoire, ou zone d’interrogation et d’actions (notre traduction).

- La zone rouge correspond à une valeur inférieure à 60 % de la valeur théorique du DEP,


ou de la valeur maximum du patient ; c’est la zone d’urgence, d’appel du SAMU 112 .
L’efficacité du plan d’action a déjà été prouvée. Son bénéfice, en termes de réduction du
nombre de visites en urgence, a été mis en évidence dans une étude prospective
randomisée au long cours113. Le plan d’action a été validé par le conseil scientifique de

111
Les valeurs du DEP, mesurées chez un patient, peuvent être classées en trois zones appelées
« asthmazones » ; elles permettent au patient et au médecin de gérer plus facilement le traitement et
constituent les zones du souffle. L. Réfabert, « Le plan d'action personnalisé », Revue française
d'allergologie et d'immunologie clinique, 2008, p. 232-236.
112
Usuellement, dans les écoles de l’asthme de France hexagonale, le seuil du déclenchement des secours
par l’appel au SAMU est fixé à 50% du meilleur score du patient. En Guadeloupe, tenant compte de la
configuration de l’île et de la répartition des centres de secours sur le territoire, une sécurité de 10% a été
rajoutée au protocole. Cette adaptation des valeurs limites relève de la nécessaire contextualisation des
outils psychopédagogiques.
113
J. Gotin, L. Cordeau, M.A Mounouchy, C. Raherison, “Evaluation of education program in asthmatic
cohort in a French Caribbean island”, ETP, Therapeutic Patient Education (TPE), 2012, p. 307-313.

117
l’association et négocié avec les médecins traitants. Ci-dessous, est présenté un exemple
de plan d’action complet délivré par l’école de l’asthme de Pointe-à-Pitre (Figure 23).

Figure 23 : Modèle de plan d’actions personnalisé, remis au patient après satisfaction à l’évaluation
sommative en ETP, à l’école de l’asthme de Guadeloupe.

Dans la zone verte, il faut continuer à prendre le traitement habituel ou le traitement de


fond, par exemple l’association entre le salmétérol et le fluticasone (sérétide)114. Si le

114
Le sérétide est une association fixe de propionate de fluticasone, un corticoïde qui possède une
activité anti-inflammatoire marquée sur les muqueuses, notamment celles des bronches, et
d’un bronchodilatateur (le salmétérol), qui lutte contre la contraction anormale des muscles de la paroi des

118
sujet présente des signes de toux, avec un souffle en zone orange, un essoufflement ou
des sifflements, le plan A est à déclencher selon le protocole validé, à savoir : deux
bouffées de salbutamol (Ventoline)115, jusqu’à trois fois si nécessaire, espacées de 10
minutes ; le contrôle du souffle est à faire toutes les 10 minutes et après quatre heures. En
cas de non-réponse au plan A, déclencher le plan B.

Deux situations peuvent alors se présenter au patient :

1) Ou bien son souffle redescend en zone orange, quatre heures après être remonté en
zone verte.

2) Ou bien il demeure en zone orange après avoir épuisé le plan A.

Dans les deux cas, il faut alors donner/prendre le traitement anti-inflammatoire oral :
prednisolone 116 (Solupred) : 1 mg/kg de poids ; ou bétaméthasone 117 (Célestène) : 10
gouttes/kg de poids.

- Le salbutamol (Ventoline) est à donner/prendre (deux bouffées toutes les quatre heures).
La mesure du souffle est à réaliser toutes les quatre heures également.

- Le médecin traitant doit être tenu informé de la situation et de la manière dont elle a été
gérée.

La zone intermédiaire permet donc au malade de réagir en amont, d’avoir « un coup


d’avance ». Mais, le patient peut se trouver dans une situation inattendue, inextricable, où
il doit faire vite car la crise est là et se présente comme inhabituelle.

Dans ce cas précis, le malade peut ne pas pouvoir mesurer son souffle. Il présente des
signes majeurs de la crise sévère, par exemple, « il a du mal à parler ». La démarche dans

bronches ; son action persiste au moins 12 heures. Il est utilisé dans le traitement de fond de l’asthme
bronchique. Information, Laboratoire, GlaxoSmithKline, Vidal, 2013.
115
La Ventoline est utilisée dans le traitement symptomatique de la crise d'asthme, le traitement
symptomatique des exacerbations au cours de la maladie asthmatique ou de la bronchite chronique
obstructive. Elle est aussi utilisée en prévention de l'asthme d'effort. Et aussi dans les tests de réversibilité
de l'obstruction bronchique lors des explorations fonctionnelles respiratoires. Information, Laboratoire,
GlaxoSmithKline, Vidal, 2013.
116
Le prednisolone (Solupred) est indiqué dans les asthmes persistants, de préférence en cure courte en cas
d'échec du traitement par voie inhalée à fortes doses, mais aussi en cas exacerbations d'asthme, en
particulier l’asthme aigu grave. Ce médicament est indiqué également dans le traitement des
bronchopneumopathies chroniques obstructives (BPCO) en évaluation de la réversibilité du syndrome
obstructif. Information, Sanofi-Aventis, France, Vidal, 2014.
117
Le bétaméthasone (CELESTENE) est indiqué dans les asthmes persistants, de préférence en cure courte,
en cas d'échec du traitement par voie inhalée à fortes doses. Il est fréquemment utilisé dans le traitement
des exacerbations d'asthme, en particulier l’asthme aigu grave. Information, Laboratoire, MSD, France,
Vidal, 2014.

119
ce cas est de composer le 15 ou le 112, le numéro des urgences. Mais en attendant les
secours, la consigne est de donner/prendre le prednisolone (Solupred*) ou le
bétaméthasone (Célestène*) à la même dose, s’il n’a pas été déjà donné, le salbutamol
(Ventoline*) est à prendre toutes les 10 minutes jusqu’à l’arrivée des secours.

Pour les patients ayant un VEMS au-dessous de 50%, les valeurs de DEP, attribuées aux
zones vertes, jaunes et rouges, sont très basses et très rapprochées. La marge d’action est
très faible entre les différentes zones. Le patient s’appuie alors sur ses ressentis. Sa
décision reposera sur son jugement dans le cas d’une gêne considérée comme
inhabituelle, d’où l’intérêt hautement stratégique du transfert (visualisation /perception/
appropriation) pour juger de l’urgence d’agir.

A l’école de l’asthme de Guadeloupe, ce plan d’action est étudié par le patient en séances
d’ETP, et il doit pouvoir être mis en œuvre de façon pratique. Le contrôle de cette mise
en œuvre s’effectue par des jeux de rôle avec le patient au cours de l’évaluation
sommative. A la fin de son programme, on lui remet un rappel écrit de ces plans d’action
ainsi qu’une carte d’asthmatique au format d’une carte de crédit, qu’il portera dans son
sac ou son cartable. L’évaluation sommative permet de tester la capacité d’analyse du
patient et son degré d’expertise à prendre des décisions et à agir.

2.9.4.4 La quatrième séance

A l’issue de la quatrième séance, un cas concret est exposé au patient, contenant


l’ensemble ou certains des objectifs prédéfinis. Par des jeux de scènes, il tentera de gérer
une crise d’asthme survenant lors d’un week-end prolongé, au cours d’une sortie entre
amis au bord de la rivière, ou en portant secours à un tiers au restaurant à la suite d’une
allergie alimentaire. Diverses situations sont envisagées et, à chaque fois, le patient doit
prouver sa capacité à trouver la ou les solutions pour s’en sortir ou porter secours en cas
de besoin. Ainsi, durant les jeux de rôle, il contactera son médecin traitant au téléphone,
partagera les informations avec son entourage sur sa maladie et ses mesures d’éviction,
remplira son carnet de suivi après la mesure par le débitmètre de pointe, etc. Cette
évaluation finale fait suite à une première évaluation préalable réalisée à l’inclusion du
patient, lors de l’entretien individuel préparatoire au diagnostic éducatif. Suit une
évaluation séquentielle, avant chaque nouvelle séance, portant sur les objectifs de la
séance précédente. Est effectuée également une évaluation portant sur la satisfaction des
patients et leur qualité de vie, 12 mois après l’ETP, sous forme d’enquête téléphonique.

120
L’évaluation finale se fait grâce à des cas concrets tirés de la réalité locale ; par exemple,
dans la perspective d’un environnement inconnu, le patient doit se demander :

- Que mettre dans sa trousse d’urgence ?

- Quel est le traitement de secours à prendre ?

- Comment ajuster son traitement de fond ?

- Quelle mesure prendre contre les acariens ?

- Que peut-il prendre en prévention (corticoïde oral, antihistaminique) ?

L’évaluation de la qualité de vie du patient est effectuée 12 mois après son passage à
l’école de l’asthme et concerne également sa satisfaction. Elle est faite à partir d’un
questionnaire validé. Il est bien entendu préférable de maîtriser les subtilités culturelles
de la langue créole pour éviter des incompréhensions et une interprétation erronée. Le
questionnaire final permet l’évaluation de l’efficacité du programme. La fiche de contrôle
de l’asthme est remplie par le patient à la fin du programme. Elle détermine, en fonction
des questions clés, si l’asthme est contrôlé, partiellement contrôlé ou non contrôlé.

2.9.5 Pourquoi l’asthme n’est-il pas toujours contrôlé ?

L’asthme est d’abord une maladie variable dans le temps. L’apparition des symptômes de
la crise n’est pas toujours contrôlable puisque la maladie est multifactorielle. Les
symptômes sont proportionnels à l’intensité de l’inflammation et donc, les doses de
traitement de fond, qui doivent s’adapter aux symptômes, doivent varier dans le temps.
Le contrôle de l’asthme, à la fin du programme d’ETP, a du sens dans la mesure où il
permet de savoir si le patient a pu, par exemple, adapter sa dose de traitement dans
diverses situations qu’il a pu côtoyer, pendant la période de passage en ETP. Mais, la
perception du niveau de contrôle de l’asthme peut être aussi erronée. Dans l’étude
intitulée « The Asthma Insights and Reality in Europe » (AIRE) menée en 1999, réalisée
en Europe, 2 003 patients ont répondu à un questionnaire sur la mesure du contrôle de
leur asthme. 5,3% seulement des patients avaient, selon les recommandations du Global
Initiative for Asthma (GINA)118, un asthme contrôlé. Cependant, 50% des patients, ayant

118
Pour garder le rapport GINA aussi à jour que possible, un comité scientifique a été créé pour examiner
les travaux de recherche publiés sur la gestion de l'asthme et de la prévention au plan mondial et afficher les
mises à jour annuelles sur le site Web de GINA. Vancouver (WA) : Global Initiative for Asthma (GINA) ;
Vancouver (WA) 2012, p. 110.

121
un asthme sévère persistant, considéraient leur asthme comme bien ou complètement
contrôlé. De même, cette sous-estimation de l’asthme était partagée par le médecin. La
mauvaise observance du traitement est un facteur influençant le contrôle de l’asthme. La
motivation et le désir des patients doivent être pris en compte 119 . 23,9% des patients
préfèrent jouer un rôle actif dans le processus de soins, 35,7%, un rôle de collaboration et
40,4%, un rôle passif. Le contrôle de l’asthme sera meilleur pour les patients actifs ou
collaboratifs. D’ailleurs, l’éducation thérapeutique leur sera particulièrement bénéfique.
La qualité des recommandations faites aux professionnels de santé est importante. La
simplification des recommandations sur le contrôle de l’asthme par le GINA en 2010 a
pour but d’obtenir une meilleure adaptation du traitement de fond par les professionnels
de santé. L’évaluation de la satisfaction des médecins est le cinquième niveau
d’évaluation. Elle permet de recueillir les impressions des prescripteurs sur l’impact de
l’éducation thérapeutique, sur l’observance et la compliance du patient, mais aussi sur
l’amélioration du DEP et du VEMS.

2.9.5.1 La gestion des flux

Dès la création de l’école de l’asthme, la décision a été prise de doter ce centre d’un outil
informatique pour la gestion des dossiers, ce qui a permis de fonctionner sans dossier
papier. Aujourd’hui, ce centre est entièrement géré par un serveur multi-postes qui
permet de sortir le bilan annuel d’activité automatiquement en fin d’exercice, de
transférer les comptes rendus au médecin traitant par le serveur, mais aussi aux différents
partenaires d’inclure leurs patients en ligne directement, moyennant un login et un mot de
passe. L’implication des médecins traitants, dès l’origine du projet, a facilité la montée en
charge de la fréquentation. Elle a été régulière jusqu’en 2010, où 750 patients ont été
recensés. Du fait des restrictions budgétaires imposées par l’ARS de Guadeloupe, les
objectifs ont été revus à la baisse. Le budget alloué en 2011 reposait sur la prise en charge
de 350 patients. Alors que la communauté scientifique tire la sonnette d’alarme sur la
montée exponentielle des maladies chroniques en France et dans le monde, et que la loi
HPST légitime l’ETP, paradoxalement, au plan local, la prise en charge de ces patients en

119
Caress, A., et al., “Involvement in treatment decisions: what do adults with asthma want and what do
they get? Results of a cross sectional survey”, Thorax, 2005, p. 199-205.

122
ETP est limitée120. En effet, d’après l’étude exposée dans cette thèse de médecine (M.
Delors, 2010), l’éducation à l’école de l’asthme de Guadeloupe a généré, en 2007 et 2008,
une diminution significative du nombre de passages aux urgences et d’hospitalisations :
51,9% des patients consultent aux urgences, l’année précédant l’éducation, contre 0,35%
l’année suivante ; 28,6% des patients ont été hospitalisés l’année précédant l’éducation,
contre 0% l’année d’après. Donc, en toute logique, ces actions devraient être
encouragées, voire renforcées. A la suite de cette thèse de médecine, traitant des effets de
cette prise en charge spécifique et de son approche méthodologique adaptée, nous avons
rédigé un article scientifique qui a fait l’objet d’une publication à la Société d’éducation
thérapeutique européenne (SETE) en décembre 2012121.

La prise en charge à l’école de l’asthme de Guadeloupe permet d’améliorer le contrôle de


l’asthme. Fondée sur les recommandations élaborées par l’ANAES en 2001 et la HAS et
l’INPES en 2007, l’éducation thérapeutique à l’école de l’asthme de Guadeloupe est
structurée : il ne s’agit pas seulement d’une information mais d’un véritable programme
éducatif, avec plusieurs niveaux d’évaluation et un suivi médico-éducatif réalisé par le
médecin traitant. Le patient acquiert des connaissances, des habiletés et des attitudes qui
lui permettent de mieux se prendre en charge. Outre nos activités d’ETP dans l’asthme
bronchique, au sein d’un comité scientifique composé de professionnels de santé,
œuvrant dans la discipline, nous avons coordonné plusieurs études au plan local, dont
l’une sur la prévalence de l’asthme et des maladies allergiques chez les adolescents
guadeloupéens en 2002-2003 (ISAAC I), qui a fait l’objet d’une publication dans la
Revue des maladies respiratoires en décembre 2009, et une autre sur les facteurs de
risque des maladies allergiques et les signes évocateurs (ISAAC II) en 2008-2010, dont
l’exploitation est en cours. Cette deuxième étude a fait l’objet de publications
scientifiques, soit sous forme de poster, soit sous forme de présentation orale dans des
congrès internationaux ; une soumission pour publication est en cours.

Depuis 2004, cinq plans nationaux de prévention ont été proposés, et la loi du 21 juillet
2009, dite loi HPST, prévoit également un schéma régional de prévention. L’organisation
des soins de proximité par un réseau de santé est d’autant plus importante qu’elle est

120
Une thèse de médecine réalisée (M. Delort, 2010), ainsi qu’une évaluation médico-économique externe,
ont apporté la preuve de la baisse des coûts de santé chez les patients éduqués. M. Delort, Intérêt de
l’éducation thérapeutique dans la prise en charge de l’asthme : l’expérience de l’école de l’asthme de
Guadeloupe, Université des Antilles et de la Guyane, 2010, p. 99.

123
relativement difficile en Guadeloupe. Le taux de recours aux urgences est plus important
qu’en France hexagonale : en 2004, il est de 257 pour 100 000 habitants, contre 237 pour
100 000 habitants au niveau national122. En effet, les consultations en ambulatoire sont
difficiles d’accès en raison d’une densité médicale plus faible en Guadeloupe. On y
observe un nombre de plus en plus important de patients bénéficiant de la CMU. Au 31
décembre 2011, 65 767 Guadeloupéens bénéficiaient de la CMU de base et 96 414 de la
CMU complémentaire, versus 2 191 858 en France hexagonale pour la CMU de base et
4 315 316 pour la CMU complémentaire. On peut légitimement se questionner sur la
prise en charge de ces malades, sachant que de nombreux médecins refusent l’accès aux
soins aux bénéficiaires de la CMU, 10% selon l’étude des Médecins de France (ORSAG
2007).

S’agissant de la pathologie cible de notre recherche, à savoir l’asthme bronchique, il nous


paraît nécessaire, pour la bonne compréhension de notre démarche méthodologique, de
présenter cette maladie dans sa définition scientifique, ses mécanismes, son aspect
épidémiologique, son impact économique, ainsi que sa prise en charge. Mais avant tout, il
convient de comprendre son statut culturel dans les racines guadeloupéennes, ou la
manière dont cette maladie est perçue au plan local par les malades eux-mêmes.

121
Annexe n° X.
122
Chen E., Chim L. S., Strunk R. C., & Miller G. E. (2007). “The Role of the Social Environment in
Children and Adolescents with Asthma”. American Journal of Respiratory and Critical Care Medicine,
176, 644-649.

124
ETAT DES CONNAISSANCES SUR L’ASTHME
BRONCHIQUE

125
3 L'asthme en Guadeloupe, en France hexagonale et dans le
monde
L’asthme est l’une des maladies chroniques les plus fréquentes dans le monde : 300
millions de personnes sont asthmatiques et on en prévoit 100 millions de plus d’ici à
2025123. En moyenne, 250 000 personnes meurent chaque année dans le monde du fait de
l’asthme. Si aucune action d’urgence n’est entreprise, les décès augmenteront de 20%
dans les dix prochaines années124.

3.1 La maladie asthmatique dans les racines guadeloupéennes


Avant d’aborder une maladie dans une population particulière, il convient d’étudier
l’histoire qui a façonné la société qui régit les hommes. « L’histoire des Antilles est
douloureuse dans son émergence et son étude permet de comprendre certains
comportements du sujet antillais face à la maladie chronique. »125

3.1.1 Une identité culturelle affirmée

Lors de son deuxième voyage aux Amériques, en 1493, Christophe Colomb découvre
l’archipel guadeloupéen peuplé par les Indiens Caraïbes, qui eux-mêmes ont succédé aux
Arawaks. « Ils possédaient dans leur culture une certaine médecine et se servaient
d’échantillons de plantes pour se soigner. »126 Du XVe au XVIIIe siècle, les Européens
(Espagnols, Anglais, Français) ont géré tour à tour les affaires administratives de ces îles.
L’arrivée massive d’esclaves noirs d’Afrique, pour les besoins de la culture de la canne à
sucre, amène une nouvelle culture et une nouvelle médecine. De l’abolition de
l’esclavage par la Convention en 1794 à son rétablissement par Bonaparte en 1802 et à
son abolition définitive en 1848, la production sucrière périclite. Pour pallier la crise de
main-d’œuvre, l’immigration volontaire de travailleurs d’Asie (Chine, Inde) amène
d’autres composantes ethniques, d’autres cultures, d’autres médecines. Si disparate dans

123
Global Burden of asthma - Report May, 2004, p. 1.
124
Gina 2008NIH/NHBLI. Global Initiative for Asthma uptated 2008, from NHBLI/WO World Report,
Global Strategy for asthma management and prevention. Issued, july 2008, p. 1.
125
J. Gotin, mémoire de master II, Analyse de la prise en charge d’une maladie chronique dans un réseau
de santé avec l’éducation thérapeutique comme vecteur d’une plus-value pour le patient, l’exemple du
réseau asthme de la Guadeloupe. Université Paris-Est Marne-la-Vallée, 2006, p. 16.
126
J. Adélaïde-Merlande, 1975, Encyclopédie de la Caraïbe, Editions Sanoli, p. 207.

126
sa composition ethnique (européenne, africaine, indienne, syro-libanaise, chinoise), la
Guadeloupe possède une pluralité de médecines traditionnelles, et la maladie asthmatique
n’échappe pas aux croyances et représentations particulières découlant de cette mosaïque
identitaire. L’être créole s’est enrichi du mélange de toutes ces composantes culturelles.
La langue véhiculaire, le créole, moyen d’expression métissé par excellence, se décline
ainsi en une multitude de nuances suivant l’ethnie dominante.

Marie Delors écrit, en 2010 : « L’homme créole, de par sa multipolarité, est capable
allègrement de jeter une passerelle entre vérité scientifique et magico-religieux. »127

Agée seulement d’un siècle et demi, cette société antillaise surprend et déroute, par son
particularisme et sa complexité, tous ceux qui prétendent transposer méthodes et
techniques venues d’ailleurs, « même éprouvées », sans adaptation préalable. Au regard
de la richesse de la littérature sur le sujet, impliquer le patient porteur de maladie
chronique dans une démarche nouvelle de prise en charge de sa maladie, est en soi un
exercice difficile ; et cela se complique davantage quand il s’agit de patients bilingues
français/créole. Cette expression, « en ka fait rimèd a medecin » (« je fais les remèdes du
médecin »), nous en dit long sur les croyances du sujet créole face à la maladie. Le
remède qui lui est prescrit reste celui du médecin, sans que de lui-même il ne se
l’approprie. Pour cela, il faut décrypter les causes réelles de la non-observance du
traitement, nous dit H. Migerel (2000), démasquer les représentations du sujet qui font
obstacle à l’acceptation de la maladie, celles qu’il a de son corps et de la santé d’une
manière générale, de la sienne en particulier, mais aussi de la maladie et des traitements,
selon sa propre culture. Les ethnopsychiatres expliquent que pour que le patient adhère à
la prise en charge, il convient « d’orienter le discours vers les fresques du passé lui
rappelant son appartenance, l’emmener à se ré-identifier au groupe comme par le
passé »128.

La modernité encourage l’individualité. Les échanges de case à case ne se font plus


comme autrefois dans cette société. « Ces échanges simples et humains permettaient de
partager les moments de convivialité, de confidence, d’écoute de conseils avisés entre

127
Marie Delort, Intérêt de l’éducation thérapeutique dans la prise en charge de l’asthme, l’expérience de
l’école de l’asthme de Guadeloupe, thèse de médecine, Université des Antilles et de Guyane, 2010, p. 3.
128
Hélène Migerel, Mots de morne en miettes, Editions Jasor, 2000, p. 27.

127
générations et ils organisaient l’évolution des mentalités et des représentations. »129 Cette
individualité grandissante fixe les croyances et les représentations, d’où l’intérêt de
revenir à l’antériorité culturelle en privilégiant « l’écoute active », de préférence dans sa
langue maternelle, ce qui permet au patient de dévoiler plus facilement ses attentes et ses
difficultés. Cette écoute active permet de mieux comprendre le patient et assure une
meilleure efficacité de la prise en charge. Ces réseaux ou liens sociaux tissés dans la
famille ou le voisinage, tant utiles autrefois, doivent être réintroduits dans cette jeune
société lâchée à bride abattue sur les boulevards de la modernité130.

Le réseau de santé est à l’image de cette ancienne organisation sociétale antillaise, où


l’accueil du patient est au centre des préoccupations des thérapeutes. Les professionnels
qui travaillent au sein du Réseau d’a sthme de la Guadeloupe recréent ce lien social et
rétablissent la communication, gage d’une confiance attendue par le patient. Les moyens
utilisés sont le renforcement, l’empathie, la confiance et l’écoute du récit du sujet. Ce
récit peut s’orienter vers des survivances spirituelles, ou croyances inattendues, n’ayant à
première vue aucun rapport avec les attentes du thérapeute. Il demeure souvent la base de
la non-compliance et de la non-observance. Quand c’est le cas, loin d’aller contre, il doit
servir de tremplin aux messages scientifiques du professionnel.

3.1.2 Une appropriation difficile de la maladie

Dans cette société, il est courant que le malheur ou la maladie soient attribués à des
facteurs extérieurs, écrit H. Migerel (2000) : « L’histoire collective des Antilles est une
histoire biopsychique ; elle a laissé des traces qui ont marqué durablement la mémoire
sociale, dont chaque individu en porte les sédiments, soit lisiblement, soit
obscurément. »131

Le corps de l’esclave, d’abord arraché à sa terre d’origine, puis déporté et assujetti, ne lui
appartient plus. Devant le maître, l’esclave n’est plus une personne, il est dépossédé de
son corps : « C’est comme si (Je) était un autre », écrit H. Migerel 132 . Comment
construire des défenses, faire preuve d’une stratégie de coping face à ce sentiment
d’étrangeté à soi-même ? Le locus (ou positionnement de la maladie) demeure externe au

129
Ibid., p. 31.
130
Ibid. p. 23.
131
Ibid., p. 76.
132
Ibid., p. 20.

128
malade. La maladie du corps de l’homme créole peut-elle véritablement être la sienne ?
Peut-il la contrôler ? Dans les racines profondes guadeloupéennes, survivent des bribes
culturelles africaines qui parlent de monde invisible133, des morts et des esprits, un monde
qui échappe au contrôle de la volonté et de la pensée (mofwasé… soucougnan, Zomby) et
peuple cet imaginaire134.

Certaines maladies peuvent paraître d’ordre surnaturel135. En effet, le savoir traditionnel


médical africain ne s’attache pas à l’étude des symptômes et ne comporte que de rares
corrélations de cause à effet, car les causes sont d’action surnaturelle ou d’ordre moral,
sans expression physique caractéristique. Le guyon, par exemple, malédiction provenant
d’un ancêtre fautif, est cause de maladie dans l’imaginaire guadeloupéen. C’est un
malheur attribué à des facteurs extérieurs. Comment alors contrôler son corps et sa
maladie, quand on l’attribue à des causes surnaturelles ? Il est aussi courant, selon E.
Nuissier (2010), d’entendre dire par le patient asthmatique guadeloupéen, s’il est en
confiance, « qu’on lui a volé son souffle » : pour lui, la maladie résulte alors d’un
sortilège. Cette crainte de « perdre son souffle » peut s’ajouter à l’anxiété provoquée par
la crise d’asthme136.

3.2 Psychologie de l’asthme d’une manière générale


L’asthme est aussi une maladie anxiogène. Il a en effet été prouvé, sur une étude faite en
2000 sur 82 enfants et adolescents asthmatiques versus témoins, que, parmi les désordres
affectifs retrouvés dans cette population, l’anxiété 137 était le principal phénomène en
cause. Selon E. Nuissier (2010), l’angoisse anticipe la crise d’asthme, mais aussi survient
après : « Est-ce que je vais aller mieux ? Cela ne risque-t-il pas de recommencer ? »
Enfin, pendant la crise, l’asthmatique a une angoisse de mort. Il est également attribué à
l’asthme en Guadeloupe, comme ailleurs, une part dite psychosomatique. Cependant,
l’asthme reste une maladie multifactorielle, c’est-à-dire que les crises d’asthme résultent
de nombreux facteurs (microbiens, immunoallergiques, endocriniens, ORL,

133
Voir aussi : Lesne C., Cinq essais d'ethnopsychiatrie antillaise, ed. L’Harmattan, 1990.
134
Ibid., p. 68.
135
Nollet-Clemencon C., et al. « Etude clinique des troubles du comportement, des compétences sociales et
de l'estime de soi dans une population d'enfants et d'adolescents asthmatiques », Journal of Affective
Disorders, 2000.
136
M. Delort, thèse de médecine, Université des Antilles et de la Guyane. Intérêt de l’éducation
thérapeutique dans la prise en charge de l’asthme, l’expérience de l’école de l’asthme de Guadeloupe.
2010, p. 4.

129
environnementaux et psychologiques). Le stress peut déclencher une crise d’asthme.
L’anxiété entrave la respiration lors de phénomènes tristes ou de la survenue de
mauvaises nouvelles. La crise d’asthme peut être interprétée également comme un refus
de respirer, dans l’objectif inconscient de vouloir exprimer un sentiment refoulé.

L’asthme peut être interprété comme un refus d’air 138. L’asthmatique pourrait vouloir
dire : « Respirer est vital mais je me priverai de cette respiration pour dire quelque chose
qui pour moi est essentiel ». L’expression ne passe pas, alors, par des mots, mais par des
efforts d’expulsion ou d’expression que sont les sifflements expiratoires.

« Il n’y a pas de paroles pour certains états. Alors ce sont des organes, dont ce
n’est pas la fonction, qui sont obligés de recevoir ces efforts impuissants
d’expression, d’expulsion. » Paul Valéry, extrait de Tel quel, Gallimard, avril
1996.

3.2.1 La maladie du malade

La maladie intimement vécue par le malade comporte un ensemble de croyances, de


représentations sous forme d’images et de pensées originales que les malades donnent à
leur propre maladie. Cette maladie du malade est désignée dans la littérature sous les
termes de « théories profanes », de « théories naïves » ou de « théories subjectives »139.
Ce qui est considéré comme « la maladie vécue par le malade » représente souvent un
grand écart avec les tableaux cliniques de la médecine. Souvent contradictoire, ce type de
discours est rapidement évacué ou écarté par les médecins, qui se consacrent à des
éléments objectifs de la consultation tels les résultats biologiques ou radiologiques. Une
analyse du discours permet de décrypter la composition de ces représentations, qui sont à
la fois descriptions et explications de la maladie enrichie de données sociales et
culturelles. L’analyse du discours relève que ces images de la maladie sont souvent
teintées de métaphores, pour expliquer les maux pour lesquels on ne dispose pas toujours
de mots.

3.2.2 Aux Antilles plus singulièrement

Aux Antilles et en Guadeloupe plus singulièrement, une grande pudeur se manifeste à


l’égard de la vie sentimentale et familiale ; il existe beaucoup de non-dits, il convient que

137
Ibid.
138
Porot M., Psychologie des maladies, ed. Masson, 1997.
139
Pédinielli J.-L., « Psychologie du somatique ; la maladie du malade », Cliniques méditerranéennes,
1993 ; 37 :121-137.

130
la vie affective reste cachée, secrète, qu’elle soit devinée par l’interlocuteur dans un mode
de communication tel qu’il ne peut pas être toujours véhiculé par des mots. Ce
phénomène est exacerbé chez la personne asthmatique. Après l’abolition de l’esclavage,
le Noir est devenu libre par décret, mais toutes les terres sont restées la propriété du
maître. L’esclave, désormais libre mais démuni, a dû être sain de corps pour travailler dur
afin d’acquérir un patrimoine et se faire une place dans cette nouvelle société. Une
remontée sociale farouche s’est alors instaurée, avec le désir des aînés de voir leurs
enfants sortir des conditions ancestrales de travailleurs de la terre. Les études coûtent cher
et l’enfant doit supporter le poids du sacrifice des parents. L’enfant doit être en parfaite
santé afin d’assumer l’amélioration de la qualité de vie de son clan140. L’asthme, pouvant
être une maladie grave, peut être considéré, pour le malade et sa famille, comme une
sanction divine ou une entrave à l’ascension sociale. L’enfant asthmatique doit prouver
son courage face à la maladie et résister au « souffle coupé » pour accomplir le destin
familial. L’asthme demeure, au XXIe siècle, une maladie taboue en Guadeloupe,
inacceptable pour beaucoup, car porteuse de désespoir. Ceci explique encore aujourd’hui
que la primauté de la prise en charge de lopwésion (nom de l’asthme en créole) soit
donnée à la médecine traditionnelle, plus apte selon les intéressés à résoudre ce type de
problème de santé, entraînant de facto une médicalisation tardive du sujet. Mais, qu’en
est-il véritablement de cette maladie ?

3.3 Définition de l’asthme bronchique selon l’OMS


L’asthme est une maladie inflammatoire chronique des voies respiratoires caractérisée
par une hyper-réactivité des muqueuses bronchiques et dont l’étiologie est encore mal
connue 141 . Il se manifeste par des symptômes variables, le plus souvent par des
sifflements, une gêne respiratoire ou bien par une toux, qui surviennent plus volontiers la
nuit et peuvent être causés ou déclenchés par de nombreux facteurs : caractère
héréditaire, facteurs de risques endogènes (hormonaux, psychologiques, digestifs) et
exogènes (allergènes, exercice physique, pollution atmosphérique, tabagisme, facteurs
météorologiques, infections virales ou bactériennes).

140
J. Gotin, Mémoire de Master II, Analyse de la prise en charge d’une maladie chronique dans un réseau
de santé avec l’éducation thérapeutique comme vecteur d’une plus-value pour le patient, l’exemple du
réseau asthme de la Guadeloupe. Université de Marne-la-Vallée, 2006, p. 31.
141
Pr Chantal Raherison-Semjen – Pneumologue / Université Bordeaux Segalen U897, Institut de Santé
Publique d’épidémiologie et de développement – CHU Bordeaux.

131
142
L’OMS, en 2002 , retient une définition qui se rapporte plutôt aux notions
fonctionnelles de la maladie : « L’asthme relève d’un désordre inflammatoire chronique
des voies aériennes dans lequel de nombreuses cellules et éléments cellulaires jouent un
rôle très important. L’inflammation chronique est responsable d’une augmentation
d’hyper-réactivité bronchique (HRB), qui entraîne des épisodes d’oppression thoracique
et de toux, particulièrement la nuit ou au petit matin. Ces épisodes sont habituellement
marqués par une obstruction bronchique, variable, souvent intense, généralement
réversible sans ou sous l’effet d’un traitement. »

3.3.1 Le diagnostic de l’asthme

Une prise en charge adéquate repose sur le diagnostic de certitude avec une mesure de la
fonction respiratoire (C. Raherison, 2013). Outre l’importance du diagnostic de certitude,
elle est également basée sur l’évaluation du contrôle de la maladie, comme l’ont souligné
les dernières recommandations sur la prise en charge de l’asthme datant de septembre
2004, sous l’égide de l’Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé
(ANAES), devenue depuis, Haute Autorité de santé (HAS), et de la Société de
pneumologie de langue française (SPLF)143.

3.3.1.1 La notion de contrôle

Le contrôle de l’asthme apprécie l’activité de la maladie sur quelques semaines (une


semaine à trois mois). Il est évalué sur des critères cliniques : la fréquence des
symptômes diurnes, des symptômes nocturnes, le retentissement de l’asthme sur l’activité
physique, l’absentéisme scolaire ou professionnel, la fréquence des exacerbations, la
fréquence du recours aux bronchodilatateurs de courte durée d’action, et des critères
fonctionnels, tels que la mesure de la fonction respiratoire 144 . Cependant, 66 % des

142
L’asthme est une maladie chronique dont la gravité et la fréquence varient d’une personne à l’autre et
qui se caractérise par des crises récurrentes où l’on observe des difficultés respiratoires et une respiration
sifflante. Lors d’une crise d’asthme, la paroi des bronches gonfle, ce qui entraîne un rétrécissement de leur
calibre et réduit le débit de l’air inspiré et expiré. On n’a pas encore complètement élucidé les causes de
l’asthme. Les facteurs de risque pour le développement de l’asthme comptent l’inhalation de substances de
déclenchement, comme les allergènes, la fumée du tabac et les produits chimiques irritants. L’asthme ne se
guérit pas, mais une bonne prise en charge permet de juguler le trouble et de donner au patient asthmatique
une bonne qualité de vie. Organisation mondiale de la santé, Département des Maladies chroniques et
promotion de la santé, affections respiratoires chroniques, http://www.who.int/respiratory/fr/, consulté le 21
juin 2013.
143
Pr Chantal Raherison-Semjen – Pneumologue / Université Bordeaux Segalen U897, Institut de Santé
Publique d’épidémiologie et de développement – CHU Bordeaux, intervention HAS, Paris, 12 avril 2013.
144
Ibid.

132
asthmatiques auraient un asthme partiellement contrôlé à non contrôlé, et seuls 12 %
auraient eu une mesure de la fonction respiratoire récente145.

3.3.2 La stratégie de prise en charge de l’asthme

La stratégie de prise en charge thérapeutique est basée sur l’évaluation du contrôle de la


maladie asthmatique, avec une recherche de la dose minimale efficace, et sur l’évaluation
des facteurs environnementaux, sans oublier la place importante de l’éducation
thérapeutique, ainsi que nous le rappelle l’auteur. Les recommandations concernant le
suivi de l’asthme de l’adolescent et de l’adulte sont actuellement en cours de
réactualisation sous l’égide de la Société de pneumologie de langue française (SPLF) et
de la HAS, et seront publiées en janvier 2014. Le traitement de l’asthme a pour objectif la
suppression ou la réduction des symptômes et repose sur une prise en charge globale du
malade, associant l’éviction des facteurs déclenchant les crises, la prise de médicaments
de manière quotidienne (traitement de fond en cas d’asthme persistant) ou seulement à la
demande (en cas d’asthme intermittent), et sur l’éducation thérapeutique.

3.4 Les chiffres de l’asthme en Guadeloupe

3.4.1 Le taux de mortalité pour asthme en Guadeloupe

La mortalité par asthme aigu, grave, est très importante en Guadeloupe par rapport à la
France hexagonale. Selon l'ORSAG, entre 2001 et 2003146147, le nombre de décès par
asthme est de sept, soit 11% des décès par maladie respiratoire en Guadeloupe. Le chiffre
élevé de l’indice comparatif de mortalité indique que le taux de décès par asthme est
largement plus élevé qu’en métropole. Les taux d’hospitalisation pour asthme étaient plus
élevés dans les départements d’outre-mer qu’en métropole, en rapport avec une
prévalence plus élevée, mais également avec un moins bon contrôle de la maladie148.

145
Ibid.
146
Observatoire régional de la santé en Guadeloupe, ORSAG, « Les maladies respiratoires en
Guadeloupe ». Juillet 2007, Fiche 11.
147
ORSAG, « Les maladies respiratoires en Guadeloupe », 2007, Observatoire régional de la santé de
Guadeloupe.
148
BEH N°1314, 12/04/2011, p. 168-171. « Asthme et BPCO : taux d'hospitalisation et de mortalité dans
les départements d'outre-mer et en France métropolitaine », p. 168.

133
3.4.2 La prévalence de l’asthme chez les adolescents guadeloupéens
(ISAAC I)

L’asthme est la maladie chronique la plus fréquente chez l’enfant. Première cause
d’absentéisme scolaire, elle peut être à l’origine de retard ou d’échec scolaire et source
d’une mauvaise insertion professionnelle. Avant l’étude ISAAC, il n’y avait eu qu’une
seule étude sur la prévalence parcellaire de l’asthme en Guadeloupe, réalisée en 1993 par
un pédiatre, le Dr Ninot, dans le cadre d’un diplôme en santé publique, étude qui a
concerné un échantillon de 1 355 enfants âgés de 6 à 12 ans d’un secteur sanitaire
regroupant 10 communes de la région de Basse-Terre.

La prévalence de l’asthme a été estimée à 13,6%. Par ailleurs, ce travail a souligné la


proportion non négligeable de formes graves d’asthme et de diagnostics méconnus. Face
à cette situation, l’association Karu Asthme, regroupant de nombreux professionnels de la
santé, a estimé nécessaire d’évaluer de façon représentative la prévalence de l’asthme et
des maladies allergiques chez les adolescents sur l’ensemble du territoire de la
Guadeloupe, afin d’effectuer des comparaisons avec d’autres pays, ou d’autres régions de
France, en prenant comme modèle le protocole international ISAAC.

3.4.2.1 Population d’étude et résultats

D’après le nombre d’élèves inscrits en classes de 5e et de 4e dans les collèges tirés au sort,
le taux de participation était de 79%. 5 120 questionnaires ont été recueillis, 5 097 ont été
exploités. On a dénombré 2 556 garçons (50,1%) et 2 515 filles (49,3%). Les adolescents
étaient âgés en moyenne de 12,9 ans (écart-type : 0,97). Selon cette étude (« International
Study of Asthma and Allergies in Childhood » - ISAAC), la prévalence des crises graves,
entraînant une gêne à la parole parmi les jeunes de 13 à 14 ans, s’élevait à 3,5%. La
prévalence était significativement plus importante (p=0,004) qu’en France hexagonale.
L’étude ISAAC a permis de faire des comparaisons de prévalence de l'asthme au niveau
national. Pour l’ensemble des adolescents de 13-14 ans soumis à cette enquête, le taux de
prévalence de l’asthme en Guadeloupe était de 14,1%. Ce taux était significativement
(p=0,004) plus élevé que la moyenne de la France métropolitaine (12,9%). Toutefois, il
faut noter que l’enquête française, réalisée dans cinq régions avec des échantillons
représentatifs, avait montré des disparités nord/sud. Aussi, les comparaisons effectuées
montraient que la prévalence de l’asthme en Guadeloupe ne différait pas de celle des
régions du sud-ouest, notamment le Languedoc-Roussillon (14,4%), l’étang de Berre

134
(14,8%) et Bordeaux (14,8%), contrairement à celle des régions situées plus au nord :
Strasbourg (10,4%) ou le département de la Marne (10,9%). La prévalence de l’asthme en
Guadeloupe ne différait pas non plus de celle retrouvée en Martinique (16,3%), lors d’une
enquête par sondage en grappe réalisée sur un échantillon représentatif d’élèves scolarisés
en classe de quatrième.

3.4.2.2 Sifflements et asthme

Parmi les enfants ayant présenté des crises de sifflements au cours des 12 derniers mois,
24% ont jugé une crise suffisamment grave au point de les empêcher de dire plus d’un ou
deux mots à la suite, sans différence significative selon le sexe. Sur l’ensemble de la
population d’étude, la proportion de crises graves est importante : 3,5%. Parmi les 812
enfants disant avoir déjà eu des crises d’asthme, le diagnostic d’asthme est médicalement
confirmé pour 721 d’entre eux (89%).

Au total, sur l’ensemble de la population enquêtée, un diagnostic médical d’asthme est


porté pour 14,1% des adolescents, avec une différence significative (p=0,03) selon le
sexe : 15,1% parmi les garçons et 13,1% parmi les filles.

Fréquence des sifflements et de l’asthme

Fréquence Total = 5 097 Filles Garçons


N =2 515 N =2 556

Sifflements au cours de N = 1 478 soit 29% de l’effectif


la vie

Sifflements au cours des N = 768 soit 15,1% de l’effectif 59% 43%


12 derniers mois

Asthme au cours de la N = 812 soit 15,9 % de l’effectif 15% 17%


vie

Tableau 7 : Fréquence des sifflements et de l’asthme au cours des 12 derniers mois précédant l’enquête
ISAAC en Guadeloupe 2003-2004.
Parmi les 812 enfants disant avoir déjà eu des crises d’asthme, le diagnostic d’asthme est
médicalement confirmé pour 721 d’entre eux (89%).
Au total, sur l’ensemble de la population enquêtée, un diagnostic médical d’asthme est porté pour
14,1% des adolescents, avec une différence significative (p=0.03) selon le sexe: 15,1% parmi les
garçons et 13,1% parmi les filles.

135
3.4.2.3 Les facteurs aggravants

Figure 24 : Facteurs aggravant les crises de sifflements selon les enfants : proportion de réponses positives
parmi les enfants ayant présenté des crises de sifflements au cours des 12 derniers mois.

3.4.2.4 Traitements « anticrises » cités par les adolescents

Au cours des 12 derniers mois, 46% (N=335) des adolescents asthmatiques déclarent
avoir pris des médicaments contre les crises d’asthme. Seuls 275 citent le nom d’au
moins un médicament, tandis que sept enfants mentionnent uniquement des noms de
tisanes ou thés divers :

-1) les bronchodilatateurs β2, stimulants d’action brève utilisés par la majorité d’entre
eux (97%) ;
- 2) les corticoïdes : 28% ;
-3) des anti-histaminiques sont cités par 17% des enfants asthmatiques ;
-4) les bronchodilatateurs β2, stimulants d’action prolongée : 6% ;
-5) des chromones sont prises par deux enfants et des anti-leucotriènes par un enfant.

136
Comparaison des prévalences des principaux symptômes asthmatiques
lors des enquêtes ISAAC en France métropolitaine et en Guadeloupe

Etude ISAAC France métropolitaine 1993/1995 (n=18 555) Guadeloupe


Prévalence de… 2003/2004
(n=5 097)

Bordeaux Etang Languedoc- Ouest Strasbourg Ensemble


Roussillon
de Berre Marne France

Asthme au cours 15,0 14,8 14,4 10,9 10,4 12,9 14,1


de la vie
(p=0,004)*

Sifflements à
l’effort au cours
des 12 derniers 19,3 25,4 26,1 20,6 18,8 21,7 9,3
mois (p<10-6)*

Toux sèche
nocturne au cours
des 12 derniers 24,3 9,1 30,4 26,0 27,5 27,5 8,7
mois (p<10-6)*

Crise grave au
cours des 12
derniers mois 1,8 2,8 4,2 2,9 2,4 2,8 3,5
(p=0,004*)

* : Degré de significativité statistique de la différence entre la France métropolitaine et la Guadeloupe

Tableau 8 : Comparaison des principaux symptômes asthmatiques relevés lors des enquêtes ISAAC
réalisées en France hexagonale et en Guadeloupe.

3.4.3 Conclusion de l’étude

L’étude épidémiologique ISAAC I, menée auprès d’un échantillon représentatif de 5 097


adolescents scolarisés, nous donne des estimations de prévalences de l’asthme en
Guadeloupe. Tout en étant descriptive, elle permet :

- de confirmer le constat des différents professionnels de santé, à savoir une fréquence


élevée de l’asthme avec des indices de sévérité élevés ;

- de situer notre région grâce à la comparaison des prévalences obtenues dans d’autres
régions de France ayant effectué cette même étude ;

- d’avoir une base de données pour l’appréciation des tendances évolutives ultérieures.

On peut s’étonner du nombre peu élevé d’asthmatiques qui déclarent avoir pris des
médicaments au cours des 12 derniers mois, de ceux qui connaissent le peak flow ou

137
« débitmètre de pointe » et de ceux qui avouent n’être pas du tout suivis médicalement.
Ces nombres contrastent avec la proportion élevée de ceux qui disent avoir raté des
journées d’école au cours des 12 derniers mois, à cause des sifflements ou de l’asthme.

Par ailleurs, cette enquête a permis de souligner les proportions non négligeables de
patients non suivis médicalement et de ceux qui ne suivent pas (ou qui suivent
incorrectement) les traitements prescrits. Ces éléments doivent être pris en compte par les
médecins, les différents professionnels de santé, les jeunes patients et leurs familles.
Maintenant, il convient d’étudier les différents facteurs étiologiques impliqués dans
l’asthme, qu’ils soient climatiques, allergéniques ou environnementaux, comme le prévoit
la phase II de l’étude internationale.

3.5 L’étude des facteurs de risque de la maladie asthmatique chez


les enfants de 10/11 ans en Guadeloupe (ISAAC II)

3.5.1 Justification de l’enquête

Une récente étude a révélé que le risque d’hospitalisation pour asthme était 1,9 fois plus
élevé en Guadeloupe-Martinique, en comparaison avec la France métropolitaine
(RR=1,9) (1,8 ; 2,0), chez les enfants âgés de 2 à 14 ans en 2005-2007. Cette même étude
a également montré que le risque de mortalité par asthme chez les adultes, âgés de 45 ans
et plus, était 2,4 fois plus élevé en Guadeloupe-Martinique, par rapport à la France
métropolitaine (RR=2,4) (1,9 ; 3,0). Tous ces éléments ont justifié la nécessité de mettre
en place en Guadeloupe le volet 2 de l’étude ISAAC.

3.5.2 Objectifs de l’enquête

L’objectif principal de cette étude phase II était d’étudier les facteurs de risque de
l’asthme et des maladies allergiques chez l’enfant en Guadeloupe. L’objectif secondaire
était d’évaluer l’impact de la pollution atmosphérique chronique, à l’intérieur et à
l’extérieur des locaux, sur la prévalence des manifestations allergiques (asthme, rhinite
allergique et eczéma), de l’hyperréactivité bronchique et de l’atopie. Elle a aussi permis
de comparer les mesures de pollution fournies par le réseau de surveillance de la qualité
de l’air (macro-environnement) avec celles des tubes passifs placés dans les salles de
classe (micro-environnement).

138
3.5.3 Schéma et population de l’enquête

Il s’agit d’une étude épidémiologique d’observation transversale. La population d’étude


était constituée d’élèves scolarisés en classe de CM1 et CM2 dans les établissements de
la Guadeloupe (Grande-Terre et Basse-Terre) pendant l’année scolaire 2008-2009. La
base de sondage était la liste des établissements du premier degré avec des effectifs
d’élèves scolarisés en classes de CM1 et de CM2 correspondant à ceux fournis par le
service statistique de l’académie de la Guadeloupe. L’échantillon d’étude de 2 000
élèves, prévu par le protocole international du volet 2 de l’étude ISAAC, a été obtenu par
un sondage aléatoire simple des établissements scolaires.

3.5.4 Caractéristiques médicales de l’enquête

Concernant les caractéristiques médicales, nous avons constaté que 16,2 % des enfants
avaient déjà souffert d’asthme au cours de leur vie ; 25,0 % étaient atopiques, 3,0 %
présentaient des signes de dermatite atopique lors de la visite, 27,1 % étaient nés
prématurément, 25,4 % avaient au moins un de leurs parents qui déclarait avoir des
antécédents d’asthme, d’eczéma et/ou de rhume allergique, et 5,1 % avaient pris un
médicament contre l’asthme le jour de l’examen. Notons que, parmi les enfants, 20,8 %
étaient obèses et 8,0 % étaient en insuffisance pondérale.

3.5.4.1 Les données macro et micro-environnementales

L’association de la surveillance de la qualité de l’air en Guadeloupe (Gwad’air) a fourni


les concentrations de proximité de NO2 et d’O3 pour chacune des écoles participant à
l’étude. Ces concentrations ont été déterminées à l’aide de tubes passifs posés dans les
salles de classe et au niveau des préaux, sur une période proche de celle où l’examen
médical a été réalisé. Ces données ont été fournies avec le détail des concentrations par
tube ainsi que les dates de pose et de dépose. Concernant la pollution de fond, Gwad’air
nous a transmis un fichier contenant, pour la période du 01/12/2008 au 31/12/2009, les
moyennes quotidiennes des concentrations maximales horaires, observées pour le SO2, le
NO2 et l'O3, ainsi que les moyennes des concentrations journalières, observées pour les
PM10. Notons que les données de pollution de fond ont été obtenues à l’aide des stations
fixes de Pointe-à-Pitre, d’Abymes et de Baie-Mahault, qui forment le réseau de mesure de
l’indice ATMO. D’après Gwad’air, nous pouvons émettre l’hypothèse que ces données
sont attribuables aux écoles situées dans l’agglomération pointoise (écoles situées aux

139
Abymes, Baie-Mahault, Gosier et Pointe-à-Pitre). Pour les autres écoles, nous n’avons pu
utiliser ces données, du fait que la pollution se comporte différemment en zone rurale et
périurbaine.

Tableau 9 : Répartition des enfants selon les caractéristiques médicales, ISAAC II, Guadeloupe 2008-2009.

3.5.4.2 Les données de pollution étudiées

Les concentrations moyennes de proximité intérieure et extérieure de NO2 étaient


respectivement en moyenne de 5,3 ± 4,3 μg/m3 et 5,3 ± 3,5 μg/m3 et s’étendaient
respectivement de 0,9 à 21,5 μg/m3 et de 0,9 à 15,3 μg/m3. Quant aux concentrations
moyennes de proximité intérieure et extérieure d’O3, elles étaient respectivement en
moyenne de 49,5 ± 14,8 μ g/m et 55,3 ± 16,4 μ g/m et s’étendaient respectivement de
23,6 à 33 80,1 μg/m3 et de 21,1 à 90,9 μg/m3. Les concentrations moyennes de fond, qui
concernent uniquement les écoles situées dans l’agglomération pointoise, sont également
décrites dans le Tableau 10.

140
Tableau 10 : Moyenne, écart-type et étendue des concentrations moyennes de proximité (intérieure et
extérieure) ISAAC II, Guadeloupe 2008-2009.

Les concentrations de pollution de proximité intérieure et extérieure étaient fortement


corrélées (coefficient de Spearman : 0,6784 pour l’O3 et 0,8790 pour le NO2). A
l’inverse, les concentrations de pollution, de proximité et de pollution de fond, n’étaient
pas corrélées.

3.5.5 Résultats et discussions

Les analyses présentées dans ce rapport ont permis de révéler que la concentration
moyenne d’O3 de proximité, relevée à l’extérieur de l’établissement scolaire, diminuait de
façon significative le débit de pointe mesuré lors d’un examen médical chez les enfants
guadeloupéens ayant participé à l’étude (β=-0,32[-0,61 ; -0,03] ; p=0,03), ajusté sur le
sexe, l’âge, l’IMC, la prématurité, la saison des pluies, la température extérieure,
l’humidité relative, l’atopie, l’asthme et le fait d’être scolarisé dans l’agglomération
pointoise. Cette étude a également montré que la prévalence de l’asthme, dans
l’échantillon analysé, était de 16,2 %. L’objectif de l’analyse présentée dans ce rapport
était d’étudier l’impact de la pollution atmosphérique sur la santé respiratoire des enfants.
L’étude ISAAC est une étude épidémiologique transversale, prospective, menée dans de
nombreux pays, dont le protocole est reconnu par de nombreux professionnels de santé.
Le volet 2 de cette étude, menée en Guadeloupe sur 1 713 enfants, est une première en
milieu tropical. En effet, les conditions climatiques telles que le vent, la température,
l’ensoleillement, la pression atmosphérique, l’humidité ou encore les précipitations ont
une réelle influence sur les mesures relevées des différents polluants. D’après
l’association de la qualité de l’air en Aquitaine (AIRAQ), une augmentation de la

141
température de 2 à 4°C augmente la formation de l’ozone. Toute chose étant égale par
ailleurs, nous pouvons donc postuler que les concentrations d’ozone plus importantes
relevées l’été en France hexagonale, sont valables toute l’année en Guadeloupe. La
prévalence d’enfants asthmatiques dans l’échantillon d’étude était de 16,2 %. Notons que
lors du premier volet de l’étude menée en Guadeloupe chez des adolescents en 2002-2003,
la prévalence était de 14,0 %, alors que la prévalence annuelle de l’asthme en France est
comprise entre 10 et 15 % chez les enfants et les jeunes adultes. L’effet de l’ozone sur le
débit de pointe observé chez les enfants conforte les résultats obtenus dans de précédentes
études réalisées en Europe ou encore aux Etats-Unis149. Ces valeurs sont en dessous des
seuils d’alerte150. Elles correspondent en effet aux sous-indices « 1 - Très bon » à « 4 -
Bon » pour l’ozone dans le calcul de l’indice ATMO, et étaient pourtant
significativement associées à une diminution du débit de pointe.

3.5.6 Conclusion

Au vu de ces résultats, cela nous amène à conclure que malgré un air relativement de
bonne qualité toute l’année en moyenne en Guadeloupe, confirmé par l’indice atmo
publié par Gwad’air, les petits asthmatiques souffrent d’une diminution de leur capacité
respiratoire due au taux élevé d’O3 ambiant. La pollution persistante, due aux incessantes
brumes de sable provenant du Sahara, augmente également le risque d’exacerbation et de
dégradation de la fonction respiratoire de ces patients.

3.6 La prévalence de l’asthme en France et dans le monde

3.6.1 En France

Une étude, réalisée par l’assurance maladie en 2007, souligne la répartition très inégale
en France, selon les régions, des patients traités par anti-asthmatiques. Ainsi, le nord et
toute la façade atlantique sont particulièrement touchés, avec une prévalence supérieure à
la moyenne nationale, à l’inverse de la façade est. Ces variations géographiques
s’expliquent au travers de plusieurs facteurs : les données climatiques (l’humidité et

149
Pénard-Morand C. et al., « Long-term exposure to background air pollution related to respiratory and
allergic health in schoolchildren” Clin. Exp. Allergy. 2005 oct. ; Sousa SIV. et al., “Spirometric tests to
assess the prevalence of childhood asthma at Portuguese rural areas: influence of exposure to high ozone
levels”. Environ Int. 2011 févr.
150
Soulignons le fait que les concentrations moyennes d’ozone, pour la pollution de proximité extérieure,
étaient comprises entre 21 et 91 μg/m.

142
l’influence maritime notamment) jouent un rôle important, tout comme l’exposition aux
allergènes et à la pollution atmosphérique, ainsi que le tabagisme.

Figure 25 : Taux de prévalence des patients régulièrement traités par anti-asthmatiques en France en 2007,
chez les patients de 5 à 44 ans. Source IRDES, 2006.

En 2006, selon l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (IRDES),


6,25 millions de personnes en France hexagonale déclarent avoir souffert d’asthme à un
moment quelconque de leur vie et, parmi elles, 4,15 millions continuent à en souffrir, soit
6,7 % de la population. Les hommes sont globalement autant touchés que les femmes. En
revanche, il existe des variations lorsque l’on tient compte de l’âge. Chez les moins de 15
ans, l’asthme prédomine chez les garçons, avec près de 10 % d’asthmatiques chez les 5-
10 ans, alors que les filles du même âge ne sont que 6 % à être concernées. Au-delà de cet
âge, les femmes déclarent plus fréquemment souffrir d’asthme que les hommes. La
prévalence diminue jusqu’à 50 ans pour s’élever de nouveau à 7,8 % chez les 65 ans ou
plus. Cette même tendance, avec inversion de sex-ratio vers la puberté, avait été observée
en 1998, sans augmentation toutefois aussi nette chez les plus âgés. Depuis 1988,
l’Enquête santé protection sociale (ESPS) interroge les Français sur leur état de santé,
leur recours aux soins et leur couverture maladie. En 2006, l’ESPS a interrogé 8 100
ménages et 22 000 individus.

143
Figure 26 : Prévalence de l’asthme actuel et cumulatif. Evolution de 1998 à 2006, données enquête ESPS,
source IRDES, 2006.

3.6.1.1 Le poids social et économique de l’asthme en France

Conduite par l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (IRDES),


l’Enquête santé protection sociale (ESPS) est un outil pluridisciplinaire de recueil qui
permet d’étudier, au niveau de l’individu, les relations entre l’état de santé, l’accès aux
services de santé, l’accès à l’assurance publique et privée et le statut économique et
social. Sa périodicité bisannuelle, sa dimension longitudinale et l’étendue de ses
questionnements lui permettent de participer à l’évaluation des politiques de santé, de
traiter les problématiques d’équité du système ou de santé publique. De plus, son lien
avec les données de prestation de la sécurité sociale rend possibles des analyses fines des
déterminants du recours aux soins. En 2006, l’ESPS a interrogé plus de 8 000 ménages et
22 000 individus. En comparant le coût de l’asthme dans différentes régions, on obtient
les conclusions suivantes : le coût de l’asthme dépend du niveau de contrôle individuel de
l’asthme et de l’importance avec laquelle les exacerbations sont évitées151 :

- Les traitements d’urgence sont plus chers que les traitements planifiés à
l’avance152 153.

151
Willems D., et al., “Cost-effectiveness of self-management in asthma: a systematic review of peak flow
monitoring interventions”. International Journal of Technology Assessment in Health Care, 2006 (4): p.
436-442.
152
Colice G., et al., “Use of inhaled corticosteroids and healthcare costs in mild persistent asthma”. Journal
of Asthma, 2007, p. 479-483.
153
Colice G., et al., “Use of inhaled corticosteroids and healthcare costs in mild persistent asthma”. Journal
of Asthma, 2007, p. 479-483.

144
- Les coûts non médicaux sont considérables154.
- Les familles peuvent souffrir du poids financier du traitement de l’asthme155.

Bien que le coût du contrôle de l’asthme semble élevé pour la famille et pour la société,
ne pas traiter l’asthme revient plus cher156.

3.6.2 Dans le monde

En 2009, 300 millions de personnes environ souffrent d’asthme dans le monde, selon
l’OMS157. Cette prévalence augmente et l’on prévoit encore 100 millions d’asthmatiques
en plus en 2025 158 . L’urbanisation a entraîné une augmentation de la prévalence de
l’asthme dans les pays en voie de développement 159 . Des travaux ont montré que la
prévalence de l’asthme induit par l’exercice, en Ethiopie, est passée de 5 % en 1979 à
15 % en 1999160, avec une différence entre milieux urbain et rural. Aux Etats-Unis, la
mortalité et la morbidité pour asthme ont augmenté chez les enfants proportionnellement
dans les milieux urbains économiquement défavorisés 161 . Il a été remarqué, dans une
étude mondiale du type ISAAC III, cinq ans après l’étude ISAAC I, que dans les pays à
prévalence élevée de l’asthme (par exemple à l’ouest de l’Europe), celle-ci se stabilise,
contrairement aux pays à prévalence faible où elle augmente (Afrique ou Amérique
latine) pour les enfants de 13-14 ans, notamment 162 . Le coût global de la maladie
asthmatique a fait l’objet de plusieurs études dans les pays industrialisés. Aux Etats-Unis,
ce coût est estimé à 5,8 milliards de dollars en 1997 dont 5,1 milliards de coût direct163.
En France, l’asthme touche 3,5 millions de personnes et son coût global est estimé à 1,5
milliard d’euros en 2002. L’hospitalisation est responsable de plus de la moitié des coûts,

154
Franco R., et al., “Cost-effectiveness analysis of a state funded programme for control of severe asthma”.
BMC Public Health, 2007. Vol. 7, n° 1, p. 82.
155
Sannino N., et al, « L’éducation thérapeutique du patient asthmatique suivi en médecine de ville vaut-
elle le coût ? » BDSP, n° 59, 2007/06, page 9.
156
Ibid, 14.
157
Organisation mondiale de la santé (OMS), WHO Media centre, Observatoire de la santé mondiale,
novembre 2013.
158
Bousquet J., et al., “Management of chronic respiratory and allergic diseases in developing countries.
Focus on sub-Saharan Africa”. Allergy, 2003. 58, p. 265-283.
159
Bousquet J., et al., “Management of chronic respiratory and allergic diseases in developing countries.
Focus on sub-Saharan Africa”. Allergy, 2003. 58, p. 265-283.
160
Asher M., et al., “Worldwide time trends in the prevalence of symptoms of asthma, allergic
rhinoconjunctivitis, and eczema in childhood: ISAAC Phases One and Three repeat multicountry cross-
sectional surveys”. The Lancet, 2006. 368(9537), p. 733-743.
161
Raherison C., « Epidémiologie », in Revue des maladies respiratoires, 2006, p. 2S15-2S20.
162
Eggleston P., et al., “The Environment and Asthma in U.S. Inner Cities”. Environmental Health
Perspectives, 1999. 107, p. 439-450.
163
Asthma and Allergy Foundation of America. www.aafa.org/display.cfm?id=8&sub=42#_ft nref18.

145
et 10 % des patients sont responsables de 50 % des coûts164. Cette étude, comme d’autres,
a également corrélé ces dépenses à la sévérité de la maladie asthmatique et à la qualité du
contrôle médical, montrant clairement qu’une partie importante des coûts est due à un
contrôle sub-optimal de la maladie165. Les patients ayant un asthme moins contrôlé ont
une consommation plus importante de soins et un recours plus fréquent à l’hospitalisation.
Selon le modèle de Markov et Chouaid, les actions les plus réductrices de coûts sont
celles réalisées en ambulatoire pour la prévention primaire ou secondaire des crises. Il
s’agit d’actions d’éducation thérapeutique visant à améliorer l’observance, à permettre un
traitement médicamenteux optimal avec plan de soins personnalisé, en particulier pour la
gestion des crises. Les actions centrées sur l’amélioration de la qualité de prise en charge
à l’hôpital, sur la pertinence et la durée de l’hospitalisation, ont montré leur efficacité,
mais elles ont un impact économique moins important. L’amélioration de la qualité de la
prise en charge augmente les coûts ambulatoires. Ainsi, un suivi médical par un
pneumologue, la mise en place de programmes d’éducation thérapeutique personnalisés
et une meilleure prescription de glucocorticoïdes inhalés sont responsables des surcoûts,
estimés dans une étude à 44 %, essentiellement par une augmentation de 75 % du poste
médicamenteux. Mais, cela s’accompagne d’une diminution de plus de 25 % des recours
à l’hôpital selon cette même étude.

3.6.3 Les outils d’évaluation de l’asthme bronchique

3.6.3.1 Le débit expiratoire de pointe

Le diagnostic de l’asthme est usuellement basé sur la présence de symptômes


caractéristiques. Pourtant, la mesure de la fonction respiratoire procure une estimation de
la sévérité de la limitation du débit de l’air et de sa réversibilité. Deux méthodes fiables
sont très répandues chez les patients de plus de cinq ans : le débit expiratoire de pointe
(DEP) et le volume expiratoire maximal seconde (VEMS) 166 . Le débit expiratoire de
pointe est un examen simple à réaliser, soit par le patient à son domicile dans le cadre

164
Chouaid C., et al., « Coûts de l'asthme en France : modélisation médico-économique par un modèle de
Markov ». Revue des maladies respiratoires, 2004 (483-9).
165
Bahadori K., et al., “Economic burden of asthma: a systematic review”. BMC Pulmonary Medicine,
2009, p. 1-16.
166
Le suivi du débit expiratoire de pointe (DEP) aide au diagnostic de l’asthme, s’il met en évidence une
variabilité de plus de 20%. Cependant, la mesure du DEP n’est utilisée qu'à titre indicatif. Les écarts-types
sont relativement larges. Dans l'idéal, chaque appareil de mesure du DEP devrait avoir ses normes. GINA,
« Global strategy for asthma management and prevention », 2011.

146
d’un suivi, soit par le médecin traitant à l’initiation d’un traitement ou dans le cadre d’un
dépistage. Le débit expiratoire de pointe donne une valeur en litre par minute d’air expiré.
Une variabilité diurne ou hebdomadaire d’au moins 20% des valeurs prédites est
suffisante pour confirmer le diagnostic d’asthme.

Figure 27 : Modèle de courbe de débit expiratoire de pointe, chez un patient asthmatique, notion de
variation entre le matin et le soir, inspirée d’EMC Pneumologie. N° 187, octobre 2013, p. 9.

Il existe des outils d’interprétation de la mesure du DEP avec comme critères l’âge, le
sexe et la taille pour les adultes et uniquement la taille pour les enfants. Mais, le principal
examen pour la mise en évidence d’un asthme bronchique est d’abord la spirométrie,
particulièrement la mesure du volume expiratoire maximal par seconde (VEMS) ou
forced expiratory volume (FEV), et la mesure de la capacité vitale forcée (CVF) ou
forced vital capacity (FVC).

3.6.3.2 La spirométrie

Elle est destinée à mesurer la fonction respiratoire et plus particulièrement le volume


expiratoire maximal sur une seconde. Cette indication permet de détecter une éventuelle
obstruction des bronches distales ou proximales. Les valeurs prédictives du VEMS, de la
CVF et du DEP ont été obtenues à partir d’études de populations. Elles ont été
régulièrement améliorées et adaptées et elles sont utiles pour savoir si la valeur obtenue
est normale ou non au regard des paramètres populationnels. Le terme de réversibilité167
est généralement appliqué à de rapides améliorations du VEMS ou du DEP, mesuré

147
pendant les minutes qui suivent l’inhalation du bronchodilatateur d’action rapide, par
exemple : 200 à 400 microgrammes de salbutamol. L’amélioration du VEMS (ou du
DEP) au long cours, peut apparaître plusieurs jours ou semaines après l’introduction d’un
traitement de fond efficace à base par exemple de glucocorticoïde inhalé.

Figure 28 : Modèle de courbe débit-volume en exploration fonctionnelle respiratoire (EFR), inspiré de


//www.mediflux.fr/mesure-du-souffle.html, consulté le 17 décembre 2013.

Bien que la spirométrie soit la méthode préférée pour documenter la limitation du débit
expiratoire, la mesure du peak flow permet également d’affirmer la réversibilité168 s’il y a
une amélioration après bronchodilatateur de plus de 20%169 par rapport à la mesure avant
bronchodilatateur. La variabilité fait référence soit à une amélioration, soit à une
dégradation des symptômes et de la fonction respiratoire au cours du temps170.

3.6.3.2.1 La variabilité des valeurs

La variabilité peut être expérimentée : c’est alors la variabilité diurne, d’un jour à l’autre,
d’un mois à l’autre, ou d’une saison à l’autre, qui sera comparée. L’histoire de la
variabilité est un composant essentiel de l’estimation de l’asthme. Des mesures ont été
faites, utilisant un débitmètre de pointe, et peuvent être d’une aide importante dans le
contrôle de l’asthme. Des appareils portables modernes et en plastique de mesure du débit

167
B. Sposato, S. Mariotta and A. Ricci, “When should a reversibility test be performed on patients with
early stages of asthma and normal spirometry?” Journal of Asthma, 2008, p. 479-483.
168
GINA, “Global strategy for asthma management and prevention”, 2006.
169
Levy M., et al., “International Primary Care Respiratory Group (IPCRG): Diagnosis of respiratory
diseases in primary care”. Primary Care Respiratory Journal, 2006, p. 20-34.
170
GINA, “Global strategy for asthma management and prevention”, 2006, p. 2.

148
de pointe existent. Ils permettent, tous les jours à la maison, des mesures de la limitation
des débits. Pourtant, les mesures du peak flow ne sont pas interchangeables avec d’autres
mesures de la fonction respiratoire comme le VEMS, que ce soit chez l’adulte ou chez
l’enfant171.

Le peak flow peut sous-estimer le degré de limitation des débits d’air, particulièrement
quand les débits expiratoires sont limités et que la quantité d’air capturée est plus
importante. Comme les valeurs du peak flow varient selon le débitmètre et que les valeurs
prédictives sont trop larges, les mesures du débit de pointe devraient préférablement être
comparées aux propres mesures maximum du patient, en utilisant toujours son propre
débitmètre. Les meilleures mesures de référence sont obtenues quand le patient est
asymptomatique ou en plein traitement. Elles servent de référence pour le contrôle de
l’efficacité d’un changement de traitement. Les instructions, données par le soignant,
doivent être précises, pour une mesure fiable du débit de pointe. En effet, les mesures du
peak flow des efforts dépendants, plus communément, les mesures du débit de pointe,
sont faites le matin au réveil, avant la prise du traitement, quand les valeurs sont proches
de leur minimum, et le soir, quand elles sont habituellement les plus élevées.

La mesure du peak flow est cependant fiable et utile pour :


- Améliorer le contrôle de l’asthme, particulièrement chez les patients ayant une
perception pauvre de leur asthme. La prise en charge sous forme de plans a amélioré les
résultats en incluant un contrôle, par le patient lui-même, des symptômes ou du débit de
pointe pour le traitement des exacerbations172. Il est plus rapide de discerner les réponses
au traitement à partir du plan ou « charte » qu’à partir d’un agenda, à condition que la
même charte soit utilisée à chaque fois173.

- Identifier les causes environnementales de l’asthme (incluant le travail). Ceci implique


le contrôle par le patient du débit de pointe chaque jour ou plusieurs fois par jour pendant
les périodes d’exposition aux facteurs de risque, à la maison ou au travail, ou bien lors
d’un exercice ou autre activité qui peut provoquer le symptôme.

171
Ibid., p. 4.
172
Gibson P. and H. Powell, “Written action plans for asthma: an evidence-based review of the key
components”. Thorax, 2004, p. 94-99.
173
Meuric S., et al., « Observance et acceptabilité d’un nouveau débitmètre de pointe électronique, le PiKo-
1 ». Revue des maladies respiratoires, 2005, p. 935-941.

149
Un nouvel appareil permet de mesurer à la fois le DEP et le VEMS, le Piko-1174. La
conduite à tenir est indiquée directement sur l’appareil. Le niveau de gravité est donné en
zones de couleur.

3.6.4 Classification de l’asthme bronchique

3.6.4.1 La notion de sévérité de l’asthme

Il y a encore quelques années, pour prendre en charge l’asthme bronchique au cabinet, la


classification selon la sévérité était nécessaire pour permettre une estimation initiale afin
de déterminer le premier traitement adéquat.

Intermittent

Fréquence des symptômes, inférieure à une fois par semaine


Crises brèves
Fréquence nocturne des symptômes, inférieure ou égale à deux fois par mois
 VEMS ou peak flow supérieurs ou égaux à 80% de la valeur théorique
 Variabilité du VEMS ou du peak flow inférieure à 20%

Persistant léger

Fréquence des symptômes, supérieure à une fois par semaine mais inférieure à une fois par jour
Crises pouvant affecter l’activité et le sommeil
Fréquence nocturne des symptômes, supérieure à deux fois par mois

 VEMS ou peak flow supérieurs ou égaux à 80% de la valeur théorique


 Variabilité du VEMS ou du peak flow inférieure à 20 à 30%

Persistant modéré

Fréquence journalière des symptômes


Crises pouvant affecter l’activité et le sommeil
Fréquence nocturne des symptômes supérieure à une fois par semaine
Utilisation journalière des bêta-2 mimétiques inhalés
 VEMS ou peak flow entre 60 et 80% de la valeur théorique
 Variabilité du VEMS et du peak flow supérieure à 30%

Persistant sévère

174
Annexe XI.

150
Fréquence journalière des symptômes
Crises fréquentes
Symptômes nocturnes fréquents

 VEMS ou peak flow inférieurs ou égaux à 60%


 Variabilité du VEMS ou du peak flow supérieure à 30%
Tableau 11 : Classification de la sévérité de l’asthme selon l’examen clinique avant traitement, selon le
Global Initiative for Asthma (GINA 2011).

Il est cependant important de reconnaître que la sévérité de l’asthme implique à la fois la


sévérité de la maladie sous-jacente et sa réponse au traitement. De plus, sa sévérité n’est
pas fixe pour un individu asthmatique, mais elle peut changer au cours des mois, voire
des années. Selon ces considérations, la classification de la sévérité de l’asthme, qui est
basée sur une opinion d’expert et non sur des preuves scientifiques avérées, n’est plus
recommandée comme base pour les décisions de prise en charge. Elle doit reposer
désormais sur les niveaux de contrôle de l’asthme.

3.6.4.2 Les buts du contrôle de l’asthme bronchique

Le contrôle complet de l’asthme est normalement réalisable grâce au traitement, dont le


but est de permettre un contrôle à long terme175.

Contrôlé Partiellement contrôlé


Caractéristiques de
(Tous les items (Au moins un item Incontrôlé
l’asthme
suivants) suivant)

Fréquence des Deux fois ou moins Plus de deux fois par


symptômes par semaine semaine

Limitation des
activités Non Oui Trois ou plus de trois
items de l’asthme
partiellement contrôlés
Symptômes nocturnes chaque semaine
Non Oui
Réveils

Besoin d’un traitement Plus de deux fois par


Non
de crise semaine

175
Bateman E., et al., “Can guideline-defined asthma control be achieved? The Gaining Optimal Asthma
ControL study”. American Journal Respiratory and Critical Care Medecine, 2005, p. 1060.
Malot, L., et al., « Comparaison de l’utilisation des dispositifs d’inhalation par les enfants asthmatiques en
pratique de ville », Archives de pédiatrie, 2007, p. 1190-1195.

151
Fonction respiratoire : Inférieurs à 80% de la
Normale
peak flow ou VEMS théorique ou personnelle

Exacerbations Non Plus d’une par an Une par semaine

Tableau 12 : Les niveaux de contrôle de l’asthme bronchique

Pour atteindre ce but, on doit tenir compte de l’efficacité du traitement, des potentiels
effets secondaires et du coût du traitement requis. Selon l’assurance maladie (2008), le
suivi de cette pathologie est centré sur son contrôle. On estime que les malades souffrant
d’asthme intermittent représentent environ 50% des asthmatiques, contre 30% pour ceux
qui souffrent d’asthme persistant léger. Environ 20% des cas sont des asthmes persistants
modérés et sévères. Insuffisamment contrôlé, l’asthme se caractérise par des crises
fréquentes, une altération de la qualité de vie (absentéisme, réduction des activités
physiques), et parfois des hospitalisations voire des décès. D’après l’Enquête santé
protection sociale (ESPS), réalisée par l’Institut de recherche et documentation en
économie de la santé (IRDES) depuis 1998, chez six asthmatiques sur dix, le niveau de
contrôle des symptômes est insuffisant : partiellement contrôlé dans 46 % des cas et
entièrement non contrôlé dans 15 %. Parmi ces derniers, un quart ne prend pas de
traitement de fond. D’abord annuelle, puis bisannuelle à partir de 1998, cette enquête a
interrogé en 2006 environ 8 100 ménages, soit 22 000 personnes. L’enquête a mis en
évidence la mauvaise prise en charge des patients ayant un asthme partiellement ou
totalement non contrôlé. 57,5% et 23,9% des patients partiellement et totalement
contrôlés ont seulement un traitement à la demande.

3.6.5 Les traitements de l'asthme bronchique

Le traitement de l’asthme de l’adulte et de l’adolescent peut être administré de différentes


façons – inhalé, oral, parentéral (par voie sous-cutanée, intramusculaire ou intraveineuse).

Le principal avantage de la thérapie inhalée est sa délivrance dans les voies aériennes,
produisant de hautes concentrations avec un risque moins significatif d’effets
systémiques176.

176
Maspero J., et al., “Efficacy and Tolerability of Salmeterol/Fluticasone Propionate Versus Montelukast
in Childhood Asthma: A Prospective, Randomized, Double-Blind, Double-Dummy, Parallel-Group Study”.
Clinical Therapeutics, 2008, p. 1492-1504.

152
Figure 29 : Classification et types de traitements : traitement à la demande, traitement de fond d’intensité
croissante en relation avec le niveau de contrôle de l’asthme.

3.6.5.1 Les traitements inhalés

Les traitements inhalés existent sous de nombreuses formes : inhalateur pressurisé, avec
valve doseuse (IPVD), utilisé soit seul, soit avec une chambre d’inhalation avec ou sans
valve ; inhalateur pressurisé avec valve doseuse déclenchée par l’inspiration (IPVDI) ;
inhalateur de poudre sèche (IPS), nébulisation. Dans toutes les recommandations pour le
traitement de l’asthme, les thérapies inhalées apparaissent en première intention. Un
groupe d’experts internationaux est arrivé à la conclusion que si les patients respectaient
les consignes des fabricants, quant à l’utilisation de leurs inhalateurs, les doses de
médicament prescrites seraient efficaces et produiraient les effets escomptés. « En réalité,
nous disent ces experts, beaucoup de patients utilisent mal ces inhalateurs, soit parce
qu’on ne leur a jamais appris ou qu’ils ont modifié l’utilisation au fil du temps. »177 Les
traitements disponibles sous forme d’inhalateurs pressurisés, type aérosols-doseurs qui
peuvent être administrés par chambre d’inhalation, sont ceux en poudre sans gaz
propulseur, ou ceux en doses pour nébuliseurs.

177
Malot L., et al., « Comparaison de l’utilisation des dispositifs d’inhalation par les enfants asthmatiques
en pratique de ville », Archives de pédiatrie, 2007, p. 1190.

153
3.6.5.1.1 Les poudres sèches sans gaz propulseurs

L’avènement de nouvelles spécialités arrivant sur le marché des médicaments rend


fluctuante la liste des produits disponibles. Ceux qui sont disponibles au moment de notre
relevé sont de types178 :

- Turbuhaler.
- Easyhaler.
- Novolizer.
- Clickhaler.
- Diskus.
- Aerolizer.

3.6.5.1.2 Les dispositifs pressurisés de type aérosol-doseur

Ils sont destinés à délivrer la dose utile de médicament pour une pression. Au moment où
nous rédigeons, ils sont au nombre de deux : l’Autohaler et le spray.

3.6.5.2 Les techniques d’administration des traitements

Les appareils pour inhalation diffèrent selon la dose efficace délivrée dans les voies
respiratoires basses ; la dose dépend donc de l’appareil utilisé, de la présentation du
médicament, de la taille de la molécule, de la vitesse de diffusion de l’aérosol et de la
facilité avec laquelle l’aérosol est utilisé par la majorité des patients. L’utilisation de
l’aérosol-doseur nécessite un entraînement et une habileté pour coordonner l’activation
de l’inhalateur et l’inhalation. Les chambres d’inhalation peuvent être utiles pour les
patients qui ont des difficultés avec l’usage des aérosols-doseurs (presser puis inhaler).
Les appareils contenant des poudres sans gaz propulseur sont généralement d’utilisation
plus facile179 ; ils nécessitent un débit inspiratoire minimal. Toutefois, ils peuvent être
difficiles d’utilisation pour certains patients.

Le traitement inhalé est également le traitement de référence pour l’enfant. Chaque âge
requiert un inhalateur différent. On doit prendre en compte le coût, la facilité

178
Malot, L., et al., « Comparaison de l’utilisation des dispositifs d’inhalation par les enfants asthmatiques
en pratique de ville », Archives de pédiatrie, 2007, p. 1192.
179
Ibid.,, p. 1192.

154
d’administration, la convenance personnelle180. Pour les enfants de moins de quatre ans,
on choisira une chambre d’inhalation avec un masque adapté pour un aérosol-doseur.
Pour les enfants de quatre à six ans, on prendra une chambre d’inhalation avec un embout
buccal adapté pour un aérosol-doseur. Pour les enfants de plus de six ans, on pourra
choisir une poudre d’inhalation, un aérosol-doseur, avec ou sans chambre d’inhalation.

3.6.5.2.1 Les chambres d’inhalation

Les chambres d’inhalation sont des appareils destinés à faciliter la prise des traitements.
Destinées à certains publics comme les personnes âgées ou les jeunes enfants, elles
permettent de supprimer la coordination main - poumons nécessaire à certains dispositifs
comme les sprays et les manipulations qui peuvent être compliquées pour ces publics.
Une respiration normale est cependant préconisée pour bénéficier de leur efficacité. Au
moment où nous rédigeons, elles sont représentées par :

 Aérochamber.
 Aérosol Could Enhancer, ACE.
 Nébuhaler
 Nespacer.
 Vortex…

3.6.5.2.2 Les traitements de fond

Selon le collège des enseignants en pneumologie (CEP 2013), l'asthme est une maladie
inflammatoire chronique des voies aériennes qui se caractérise par des symptômes de
brève durée spécifiques à chaque patient, spontanément réversibles ou sous l’effet d’un
traitement, et des exacerbations potentiellement graves. Le syndrome ventilatoire
obstructif réversible et/ou l’hyper-réactivité bronchique définissent l’asthme au plan
fonctionnel. La prise en charge, en dehors des symptômes ou des exacerbations, repose
sur la notion de contrôle de l’asthme (recherche de symptômes de brève durée et
exacerbations) et sur sa sévérité ; le traitement de fond repose sur la prescription d’une
corticothérapie inhalée.

180
Ibid., p. 1192.

155
3.6.5.2.2.1 LES CORTICOÏDES INHALES
3.6.5.2.2.1.1 Indication et limite d’efficacité
Les corticoïdes inhalés sont habituellement le traitement anti-inflammatoire le plus
efficace de l’asthme persistant181. Cependant, ils ne guérissent pas l’asthme et quand ils
sont administrés de façon discontinue, il s’ensuit une détérioration du contrôle clinique,
de semaine en semaine, pour une certaine proportion de patients. Les corticoïdes inhalés
diffèrent en puissance et en biodisponibilité. Il existe une relation dose-réponse peu
élevée dans l’asthme. L’efficacité des produits varie selon l’appareil d’administration. La
plupart des bénéfices des corticoïdes inhalés sont acquis avec des doses relativement
faibles182. L’augmentation des doses procure de petits bénéfices en termes de contrôle
mais augmente le risque d’effets secondaires. Cependant, la réponse individuelle est
variable et l’observance des patients est faible, d’où l’augmentation fréquente des doses
pour obtenir un bénéfice. De plus, la fumée de tabac diminue la réponse aux corticoïdes
inhalés et entraîne également l’usage de plus fortes doses.

3.6.5.2.2.1.2 Effets secondaires


Les effets secondaires locaux des corticoïdes inhalés comprennent la candidose
oropharyngée, la dysphonie et occasionnellement la toux due à l’irritation des voies
aériennes supérieures. Pour les aérosols-doseurs, l’importance de ces effets peut être
réduite par l’utilisation de chambres d’inhalation. Le lavage de la bouche, après
inhalation, peut réduire la candidose orale (rincer avec de l’eau, se gargariser, et
recracher).

3.6.5.2.2.2 LES BETA -2 MIMETIQUES D’ACTION DE LONGUE DUREE


Les bêta-2 mimétiques inhalés de longue durée d’action, incluant le formotérol et le
salmétérol, ne devraient pas être utilisés en monothérapie dans l’asthme car ces
traitements n’influencent pas l’inflammation des voies aériennes supérieures 183. Ils sont
plus efficaces quand ils sont associés à un glucocorticoïde inhalé.

181
GINA, “Global strategy for asthma management and prevention”, 2012, p. 2.
182
Powell H. and P. Gibson, “Inhaled corticosteroid doses in asthma: an evidence-based approach”, Thorax,
2004, 59:94–99.
183
Dolovich M. et al., Device selection and outcomes of aerosol therapy: Evidence-based guidelines:
American College of Chest Physicians/American College of Asthma, Allergy, and Immunology. Chest, 2006,
p. 1388-1389.

156
Cette combinaison est le traitement idéal au long terme quand la dose moyenne de
corticoïdes inhalée seule est inefficace pour permettre le contrôle de l’asthme. Elle
permet :

- l’amélioration des symptômes, de l’asthme nocturne, du nombre d’exacerbations et de


la fonction respiratoire184 ;

- une diminution de l’utilisation de bêta-2 mimétique de courte durée d’action ;

- un meilleur contrôle de l’asthme, plus rapidement et à des doses plus faibles de


corticoïdes inhalés185.

Les bêta-2 mimétiques de longue durée d’action préviennent également le


bronchospasme induit par l’exercice et procurent dans ce cas une meilleure protection
que les bêta-2 mimétiques de courte durée d’action186.

3.6.5.2.3 Les traitements de la crise


3.6.5.2.3.1 LES BETA -2 MIMETIQUES DE COURTE DUREE D’ACTION
C’est le traitement de choix pour lever le bronchospasme pendant la crise d’asthme187. Il
est utilisé aussi pour prévenir le bronchospasme induit par l’exercice. Il peut être à base
de salbutamol ou de terbutaline. L’utilisation croissante et journalière de ce type de
traitement est un signal de la détérioration du contrôle de l’asthme. Il indique la nécessité
de reconsidérer le traitement de fond ou de revoir la maîtrise de la technique d’inhalation
ou l’observance du patient. De la même manière, l’échec pour obtenir une réponse
correcte et rapide aux bêta-2 mimétiques de courte durée d’action, pendant une crise
d’asthme, peut indiquer la nécessité d’un traitement par corticoïde oral, pendant une
courte durée, pour lever l’inflammation188.

3.6.5.2.3.2 LES CORTICOÏDES ORAUX

Ils occupent une place importante dans le traitement des crises d’asthme189 sévères parce
qu’ils permettent :
 de prévenir l’aggravation de la crise,

184
Ibid., p. 1389.
185
Girodet P., et al., “Real-life Use of Inhaler Devices for Chronic Obstructive Pulmonary Disease in
Primary Care”. Therapie, 2003, p. 499.
186
Ibid., p. 501.
187
GINA, “Global strategy for asthma management and prevention”, 2012, p. 4.
188
Ibid., p. 4.
189
Ibid.

157
 de prévenir la rechute après le traitement d’urgence,
 de réduire la morbidité de la maladie.

Les effets principaux des corticoïdes oraux, pendant la crise d’asthme, sont évidents après
quatre à six heures. La thérapie orale est préférée à la forme injectable 190 : Elle est aussi
efficace et moins agressive pour le patient. Quand les symptômes se sont calmés et que la
fonction pulmonaire a retrouvé sa meilleure valeur, le traitement par bêta-2 mimétique
peut être arrêté, à condition que le traitement par corticoïdes inhalés soit déjà instauré.

A ce niveau de la prise en charge, l’éducation thérapeutique est l’élément clé, car elle
contribue à l’apprentissage de la maîtrise de ces différentes techniques d’inhalation. Pour
que le patient bénéficie de cette prise en charge éducative, il est important que son
médecin traitant s’inscrive dans une dynamique de prise en charge globale. La prise en
charge globale de l’asthme bronchique est préconisée par les recommandations de bonnes
pratiques qui régissent la spécialité. Elle comprend l’inclusion du patient dans un
programme d’ETP. Ce programme d’ETP vise l’autogestion de la maladie par le patient ;
il doit être adapté aux potentialités du patient, contextualisé en prenant en compte les
aspects socioculturels de la maladie : croyances, représentations… Pour atteindre ce
niveau d’autogestion, la bonne compréhension des explications sur les mécanismes de la
maladie, sur les cibles des différents traitements (traitement de fond, traitement de crise),
est nécessaire. Le patient devra apprendre à moduler son traitement en cas de
changements survenant dans son environnement. Cela suppose un apprentissage dispensé
dans un registre langagier qu’il maîtrise parfaitement. Pour cela, l’utilisation de sa langue
maternelle nous semble la plus indiquée.

Nous avons cité, dans nos précédentes parties, plusieurs apports linguistiques et
sociolinguistiques, soulignant le potentiel facilitateur et la plus-value de la langue créole
dans l’acte d’apprendre (Romani, 1994, 1997 ; Durizot-Jno-Baptiste, 1991, 1996 ;
Vasseur, 1997 ; Fauquenoy-St-Jacques, 1998 ; Giraud, Gani et Manesse, 1992 ; Gauvin,
1977). Toutes choses étant égales par ailleurs, nous sommes fondé à croire aux bénéfices
possibles de l’utilisation de cet idiome dans la relation soignant-soigné, autant au cours
de la consultation d’annonce du diagnostic que dans les séances d’ETP.

190
Ibid., p. 4.

158
Mais, comment mesurer le degré d’utilisation de cet outil langagier par le médecin
traitant au cours de la consultation, notamment dans l’annonce du diagnostic et
l’explication de la maladie qu’il livre au patient ? Selon les recommandations de bonnes
pratiques édictées par les sociétés savantes, l’ETP fait partie intégrante de la prise en
charge des patients souffrant de pathologies chroniques d’une manière générale et de
l’asthme en particulier. Comment les dites recommandations sont-elles appliquées au
plan local par ces médecins libéraux ? La langue maternelle, à savoir la langue créole,
est-elle utilisée au cours de la consultation et principalement au cours de l’annonce du
diagnostic ? Pour cela, nous avons jugé utile, dans une première étude, de les interroger
sur leurs pratiques, ainsi que sur le respect de ces recommandations en matière de prise
en charge de l’asthme bronchique en Guadeloupe. Dans une deuxième étude, nous
comparons les acquisitions d’autogestion de deux groupes de jeunes patients
asthmatiques dont l’un a été éduqué en langue créole et l’autre en langue française. Mais,
avant de présenter ces études dans leur déroulement, leurs méthodologies et leurs
résultats respectifs, il nous appartient, dans notre deuxième partie, d’exposer les
fondements conceptuels qui servent de cadre à notre projet, autant dans sa dimension
culturelle que méthodologique. Comment cette culture créole, qui conditionne les
individus dans ces territoires, a-t-elle émergé, et quelles sont ses composantes
originelles ?

159
DEUXIEME PARTIE - RECHERCHE

160
4 Qu’en est-il de cette société cadre de notre expérimentation ?
Dégager des idées sur le registre discursif des locuteurs dans une démarche médico-
éducative en contexte bilingue, pour tenter d’expliquer la préférence du patient pour un
code linguistique par rapport à un autre dans l’expression de ses ressentis, relève d’une
volonté de comprendre comment ces différents codes sont transmis et véhiculés au sein
des familles et d’examiner les références culturelles présentes au sein de ces sociétés. La
situation insulaire de la Guadeloupe a permis pendant très longtemps que le mode
d’apprentissage de la vie se fasse selon les représentations sociales de chacun, au moyen
de deux langues, le français et le créole. Ce mode de transmission des apprentissages a
été profondément modifié par la progression de l’urbanisation, engendrant une
modification de cette société depuis une cinquantaine d’années. L’usage de la langue
créole, les danses traditionnelles, le son du « Ka », « tambour » les gestes particuliers qui
caractérisent cette société, très nettement différente de la tradition française, ont ainsi
favorisé l’émergence de thèmes culturels propres aux Guadeloupéens. En effet, les mots
et expressions, les métaphores pour désigner la maladie, « l’estomac en mwen ka krié kon
mammitagaz » (« mon estomac crie comme une marmite à gaz »), « an a l’éto » (« je suis
comme dans un étau »), « lopwésion », nom créole de l’asthme, ses symptômes,
« époufé », « être essoufflé » en créole, « séré », resserré, « chèché lè », « rechercher
l’air », sont bien la preuve d’un code langagier particulier et contribuent à renforcer cette
hypothèse. Ces indices verbaux nous orientent vers un acquis langagier personnel,
intrinsèque, originellement présent, quelquefois caché, puisque le sujet, suivant son
appartenance sociale, l’utilise plus ou moins pour s’exprimer mais reste souvent sous-
entendu. Dans tous les cas, le sujet créole témoigne d’un certain écho à son appartenance
culturelle en la côtoyant. En réalité, la survivance des pratiques anciennes, telles que la
médecine par les plantes, et les pratiques et autres rites symboliques utilisés, « les bains
démarrés » 191 , sont le reflet de la persistance de ces pratiques ancestrales. Nous ne
pouvons cependant considérer ces différents concepts sans tenir compte du fait qu’ils
appartiennent à la culture dont le sujet est issu, faisant appel à des histoires de vie
personnelle.

191
Bains de feuillages pratiqués en Guadeloupe, avant un événement important de la vie personnelle,
comme un accouchement, ou social, pour le Nouvel An.

161
La culture, c'est la manière de vivre d'un groupe (Maquet, 1949) ; elle peut être
considérée comme cette part de l'environnement qui est la création de l'homme
(Kluckhohn, 1949)192.

Notre problématique sera donc d’explorer l’impact de cette culture originelle, acquise par
la société guadeloupéenne créolophone, issue d’une population d’esclaves venue
d’Afrique, d’une part, mais aussi d’immigrés venus d’Asie, d’autre part, afin de
questionner les représentations engendrées par toutes ces appartenances et leurs impacts
dans l’expression d’une maladie chronique telle que l’asthme bronchique. L’objectif de
ce travail est de montrer que l’utilisation de la langue originelle du locuteur, que ce soit
pour exprimer sa souffrance ou pour accéder à la connaissance, a pour lui du sens et
contribue à une meilleure résonance du discours, une meilleure compréhension des
messages, une meilleure attention, une meilleure restitution, de meilleures acquisitions.
Tout ceci participe à une organisation de la pensée liée à une différence entre l’ensemble
des représentations sociales et des lois qui expliquent que tel comportement ou tel
discours est significatif selon la pensée symbolique de chacun. Selon Edward Twitchell
Hall, « sans qu’on ait besoin de remonter aux sociétés de fourmis ou autres insectes
sociaux, il est bon de rappeler que les sociétés humaines se perpétuent dans et par la
communication interpersonnelle entre générations ». Il est regrettable de constater que la
fascination contemporaine pour les nouveaux médias amène à négliger les plus vieux
médias du monde : le corps, les gestes et la parole.

Dans Democracy and Education, le philosophe John Dewey écrivait en 1916 : « La


société ne continue pas seulement à exister par la transmission et par la communication,
mais on peut exprimer avec assurance, qu’elle continue d’exister dans la transmission,
dans la communication. » « Il y a plus qu’un lien verbal entre les mots “commun”,
“communauté”, et “communication”. » « Les hommes vivent en communauté en vertu

192
Blanchet (2004) écrit qu’une culture est un ensemble de schèmes interprétatifs, c’est-à-dire un ensemble
de données, de principes et de conventions qui guident les comportements des acteurs sociaux et qui
constituent la grille d’analyse sur la base de laquelle ils interprètent les comportements d’autrui
(comportement incluant les comportements verbaux, c’est-à-dire les pratiques linguistiques et les
messages). Philippe BLANCHET, L'approche interculturelle en didactique du FLE, Cours d’UED de
Didactique du Français Langue Étrangère, Université Rennes 2 Haute Bretagne, 2004-2005.

162
des choses qu’ils ont en commun ; et la communication est la façon par laquelle ils en
viennent à posséder des choses en commun. »193

Notre projet de recherche se positionne dans des cadres conceptuels distincts et


complémentaires. Le premier nous amène tout d’abord à aborder et à définir la notion de
culture d’une manière générale sur le plan socio-anthropologique et, de manière plus
spécifique, à aborder les problématiques théoriques dans lesquelles les différents travaux,
sur les formes et les pratiques culturelles aux Antilles françaises, ont été traités.

Le deuxième nous conduit à présenter la problématique générale des échanges langagiers


entre les locuteurs au sein de ces sociétés, en parlant de la dimension psycho-
sociolinguistique, du traitement de l’information (perception et interprétation) et des
interactions entre ces processus ainsi que les comportements verbaux, mais aussi
moteurs, qui en découlent, s’agissant des gestes et techniques dont la maîtrise est
nécessaire à une bonne prise en charge de la maladie asthmatique notamment, notre
pathologie d’étude.

Nous évoquerons en troisième lieu l’utilisation de la langue créole dans le cadre médico-
éducatif, entre les professionnels de santé et les patients souffrant de pathologies
chroniques, ainsi que les interactions engendrées par ces rapports. La langue créole étant
une langue métaphorique par excellence, notre troisième approche nous conduira à
aborder la notion philosophique de la métaphore comme moyen d’expression de la vie en
général et de la maladie, plus particulièrement en Guadeloupe, permettant au sujet malade
non seulement de donner du sens à l’inexplicable, mais aussi, à l’inverse, de se
déculpabiliser pour « justifier de sa non-participation à l’avènement de sa maladie »194.

4.1 Du point de vue socio-anthropologique


L’anthropologie de la Caraïbe est nourrie du débat permanent entre africanité, indianité,
européanité des faits de culture de ces sociétés.

193
Pour Yves Winkin (2001), ces propos peuvent apparaître simplistes. Ils jouent en fait finement sur
l’étymologie du mot « communication » et sur les deux grandes traditions sémantiques qui en ont découlé,
tant en anglais qu’en français. Y. Winkin, Anthropologie de la communication, Seuil, Paris, 2001,
Encyclopédie Universalis (en ligne), www.universalis.fr, site consulté le 3 juin 2013.
194
H. Migerel, Mots de mornes en miettes, éditions Jasor, 2001, p. 115.

163
4.1.1 La naissance de l’ère culturelle antillaise

A la découverte de la Harlem Renaissance grâce, entre autres, aux écrits de Zora Neal
Hurdson, en 1938, Melville Herskovits, fondateur de l’américanisme noir, a été le
premier anthropologue américain à avoir compris que les Amériques noires constituaient
un ensemble anthropologique propre ayant au départ une même situation : le système de
plantation coloniale qui a constitué un ensemble particulier. Aucun anthropologue
n’avait, jusque-là, étudié les Noirs américains pour eux-mêmes. La question noire était
alors considérée comme une question sociologique. Les sociologues pensaient que la
question noire n’avait pas grand intérêt pour l’anthropologie en l’absence d’existence
d’une structure propre. L’œuvre de Herskovits a été de déconstruire cette vision
exclusivement sociologique, basée entre autres sur les écrits de Robert Park de l’école de
Chicago. Mais, ayant étudié la sociologie et la philosophie à Berlin puis à Strasbourg
(alors ville allemande), sous la direction de Georges Simel et Willelm Windelband en
1903, Robert Park écrivait en 1909 : « Le bagage des traditions africaines est très léger
et il est difficile de trouver chez les Noirs quoi que ce soit qui se rattache directement à
l’Afrique. » 195 La situation contextuelle du lieu et de l’époque justifiait peut-être ces
déclarations. Melville J. Herskovits fait partie du courant culturaliste en anthropologie,
avec Lindon Malinoski et d’autres... Pour lui, la culture est la caractéristique distinctive
de l’être humain par rapport aux autres espèces animales : « La culture est ce qui, dans le
milieu, est dû à l’homme ; par sa dimension spatiale, l’homme appartient au milieu
naturel ; par sa dimension temporelle, il appartient au milieu culturel historique. Issue
du milieu naturel, la culture le transforme et s'en distingue. » 196 A cette époque, la
reconnaissance de l’humanité des descendants de ces êtres chosifiés (les esclaves noirs)
passait par la caractérisation des faits de cultures et une meilleure compréhension des
origines de cette culture afro-américaine et caribéenne. Les travaux de M.J. Herskovits et
notamment cet article publié en 1930, où il proclame l’existence d’une culture afro-
américaine non assimilée à la culture dominante, posent les prémices d’une anthropologie
qui s’attachera par la suite à comprendre les conditions et les « process » de créolisation
qui ont permis l’élaboration de pratiques et de savoirs différents de ceux des traditions

195
Suzie Guth, « De Strasbourg à Chicago : Robert E. Park et l'assimilation des Noirs américains », Revue
des sciences sociales, n° 40, 2008, p. 62-73.
196
Melville J. Herskovits, Les Bases de l'anthropologie culturelle, Paris, Payot, 1967, p. 6. Petite collection
Maspero n°106, édition électronique réalisée par Jean-Marie Tremblay, 2001.

164
antérieures à la traite, puis leurs interactions au sein des groupes sociaux qui composent
ces sociétés. Considérée comme l’embryon de toute humanité, cette société de culture
afro-américaine aboutit à la dignité, aujourd’hui reconnue par la société dominante, de
ces descendants d’esclaves. Dans The myth of the negro past, ouvrage fondateur des
études afro-américaines, l’objectif de M.J. Herskovits était de battre en brèche les idées
entretenues par la classe dominante, qui consistaient à dépeindre les Afro-Américains
comme un peuple déstructuré, en démontrant la force historique d’une culture en Afrique
antérieure à l’esclavage et son prolongement dans les Amériques au sein des
communautés afro-américaines. Un autre courant intellectuel mené par E. Franklin
Frazier, à cette même époque, pensait que c’était en mettant en avant la capacité
d’adaptation des Afro-Américains à la société dominante que l’intégration était possible,
si les conditions socio-économiques étaient favorables. Les adeptes de ce courant
d’adaptation refusaient de prendre en compte la présence des traits d’origine africaine par
crainte qu’elle ne soit utilisée comme preuve d’une mentalité barbare. Ces différents
courants en matière de prolongements et d’adaptation ont engendré des sensibilités
politiques, telles que « la différence culturelle » qui a été reprise par le mouvement Black
Power et une majorité de la gauche afro-américaine, pas dans l’optique d’une intégration
mais pour justifier un retour vers l’Afrique ou la création d’un Etat noir indépendant.

4.1.1.1 Le prolongement des africanismes dans la Caraïbe, naissance de la


créolisation culturelle

Au fil des années, s’est élaborée une certaine compréhension de ces sociétés dans leurs
structurations et leurs organisations, non dans l’étude de leurs relations avec celles dont
elles dépendent mais pour elles-mêmes. Cette compréhension clarifie leurs productions
culturelles. Mais, comment et en quoi ces sociétés sont-elles des sociétés créoles, ayant
produit des modèles originaux d’organisations sociales ? Comment s’est organisé
l’ancrage de ces migrants arrivés sur ces terres contre leur gré ? L’historicité de ces
peuples, que l’on a longtemps considérés sans histoires, est démontrée par la distribution
spatiale des traits de culture africanistes. M. Herskovits a été le premier anthropologue à
conduire un travail de terrain à la fois aux Etats-Unis, en Afrique et dans la Caraïbe. Son
œuvre, à partir des années trente et jusqu’à sa mort, a consisté à analyser les différences
entre les groupes noirs et blancs dans le cadre des théories culturalistes et diffusionnistes

165
de Boas197. Il s’est attaché à démonter que les différences des traits de cultures d’origine
africaine entre les divers groupes afro-américains des Amériques relevaient de degrés
différents d’africanismes 198 . La notion de réinterprétation et celle de rétention ont été
utilisées pour expliquer les phénomènes ayant perduré plusieurs siècles après leur
importation. D’autres théories, concernant les faits de cultures, se sont développées à la
fin des années 1950.

G. Smith préconisait la prise en compte de la forme en précisant que seule la forme


pourrait éviter l’erreur de filiation. Georges E. Simpson et Peter B. Hammond
préconisaient plutôt le niveau inconscient, en proposant de traiter à la fois de la forme du
sens et de la fonction pour s’assurer de la continuité d’un trait culturel. Cette distinction a
été réutilisée dans l’analyse du cadre social, engendrant quelques critiques sur les travaux
de M. Herskovits par l’école britannique qui, selon elle, s’appliquerait au symbolisme
mais non au fonctionnement social. Selon M.G. Smith, qui s’emploiera à étudier d’abord
l’Afrique puis les Caraïbes, M. Herskovits n’aurait pas suffisamment tenu compte de la
situation esclavagiste, des rapports maîtres-esclaves, ni véritablement étudié le
phénomène de réinterprétation. Dans une publication dirigée par Suzie Guth, une
sociologie des identités est-elle possible ? B. Chérubini 199 s’appuie sur les travaux de
M.G. Smith de 1960, 1965, 1967 et 1984 et sur sa théorie sur les sociétés plurales pour
décrire l’organisation de la société guyanaise et sa pluriethnicité. Il postule que ces
collectivités sont divisées en catégories et groupes en fonction de facteurs tels que la
langue, l’appartenance ethnique, la communauté de départ ou d’origine, la religion, les
institutions spécifiques ou la culture. Il explore les modes de coexistence des groupes
culturels différents et leurs interactions, à l’exemple de la Guyane française. Ce sont les
processus de changement ou de continuité plus que la permanence des éléments qui y
sont étudiés. Si l’on se réfère aux travaux de R. Bastide (1971), s’appuyant sur l’échelle
des africanismes de M. Herskovits pour classer les sociétés, africaines et nègres, on note
que celles où les modèles africains l’emportent sur les modèles du milieu seraient plus

197
Franz Boas (1858-1942), est l’un des pères fondateurs de l’anthropologie scientifique : sociologie-
anthropologie.blogspot.com/p/le-diffusionnisme.html.
198
Melville J. Herskovits, The myth of the Negro Past, 1941, traduction française L’héritage du Noir, mythe
et réalité, Paris, Présence Africaine, 1966.
199
« Une sociologie des identités est-elle possible ? » Sous la direction de Suzie Guth, Actes de sociologie,
N° IV, L’Harmattan, 1994 ; B. Chérubini, « La régulation quantitative et qualitative des situations
interculturelles des modèles guyanais », p. 107.

166
africaines. Bien que s’adaptant pour se faire accepter du milieu, à l’exemple du vaudou
haïtien, celles dans lesquelles la pression du milieu environnant a été plus forte que les
bribes de la mémoire collective, usées par des siècles de servitude et un
assimilationnisme exacerbé mené par le colonisateur, seraient moins porteuses
d’africanismes. Dans ce cas, les Noirs ont dû inventer de nouvelles formes de vie en
société, en réponse à leur isolement.

Le paradigme du bricolage emprunté à Claude Lévi-Strauss dans La pensée sauvage a été


utilisé pour illustrer cette construction. Claude Lévi-Strauss, dans La pensée sauvage,
écrit : « Le propre de la pensée mythique comme du bricolage sur le plan pratique, est
d’élaborer des ensembles structurés, non pas directement avec d’autres ensembles
structurés, mais en utilisant des résidus et des débris d’événements, témoins fossiles de
l’histoire d’un individu ou d’une société. »200

R. Bastide, dans son ouvrage Le prochain et le lointain 201 , propose de dresser un


référencement de ces transformations qui, en fonction des situations sociales,
engendreraient des règles et des lois spécifiques qui viendraient « rapiécer », pour
employer un terme de l’auteur, les pensées et les éléments empruntés. Dans d’autres
situations sociales, il y aurait émergence de nouvelles cosmogonies. Ces paradigmes ont
été appliqués à l’étude des religions au Brésil et au « vaudou ». Le strict respect de ces
paradigmes a conduit à qualifier d’autres religions comme celles des petites Antilles
comme étant culturellement assimilées aux religions européennes. D’autres auteurs ont
mis l’accent sur la différence entre structures profondes et structures de surface pour
qualifier la fabrication des faits de cultures et des sociétés. Ainsi, S. W. Mintz et E. Wolf
(1992) ont défini la culture comme un ensemble de « ressources » et la société comme
une « arène » où elle se déploie.

Ces auteurs postulent que les faits de cultures ne peuvent s’analyser indépendamment de
l’organisation sociale qui les sous-tend202. Pour ces auteurs, une culture n’existe pas sans

200
C. Lévi-Strauss, La pensée sauvage, 1962, p. 32.
201
Le prochain et le lointain de R. Bastide regroupe des articles et conférences, cours parus entre 1950 et
1965 en français, portugais et anglais, auxquels l’auteur ajoute deux chapitres originaux : « L’acculturation
formelle », 2e partie, chapitre 1, et « Mythe et Utopie », 3e partie, chapitre 1, ainsi que quelques textes de
liaison. Ce livre s’articule autour du concept d’acculturation auquel il consacrera un livre original :
Anthropologie appliquée (1971).
202
S. W. Mintz, R. Price, proposent de réexaminer le modèle de la rencontre entre les deux groupes
d’origines africaines et européennes, afin d’analyser les conditions de leur maintien et de déterminer s’il y a
continuité ou non avec l’Afrique. The Birth of afro American Culture. An Anthropological Perspective.

167
institution, l’institution caractérise le groupe. Ils postulent aussi que les esclaves ne sont
pas arrivés sur ces terres en tant que groupes (« groups ») mais « comme des foules
d’hommes (crowds) » ; la seule chose que les esclaves partageaient, c’était leurs
conditions d’esclaves. Pour ces auteurs, « pour qu’une communauté puisse exister, il faut
que des modèles de conduite se mettent en place dans des interactions sociales et des
institutions ». Ils rappellent que les sciences sociales ont qualifié la culture africaine de
deux manières différentes : soit comme une culture globale identique pour tous les
Africains de l’Ouest et de l’Afrique centrale, partagée par tous les Africains des
Amériques ; soit comme la culture d’un groupe d’esclaves pour lequel, à l’exemple d’une
île en particulier, l’on pourrait déterminer l’origine ethnique et culturelle.

En ce qui concerne la deuxième hypothèse, l’étude des similitudes lexicales notamment


ne permet pas d’identifier de manière formelle le rattachement de telle ou telle
communauté de la même époque, puisque les cultures africaines se sont, elles aussi,
transformées. Par ailleurs, la diversité ethnique dans une même colonie était plus grande
que l’on ne pouvait l’imaginer (Curtin, 1969).

« Les origines ethniques du peuplement noir des Antilles sont complexes. » « La traite ne
s'est pas méthodiquement développée en commençant par la pointe occidentale de la côte
d'Afrique, s'étendant vers le fond du golfe de Guinée, puis atteignant le Congo, puis
l'Angola. »203

(...) « Dès le milieu du XVIIe siècle, à côté d'esclaves tirés des bords du
Sénégal, on trouve des Aradas venant du Dahomey, des mines du Ghana et
beaucoup d'Angola. Brunetti, dans son mémoire de 1660, écrit qu'on achetait
les esclaves “au royaume d'Angola” et le long de la côte de Guinée, et le P.
Pelleprat précise la complexité ethnique des esclaves. »

(...) « Les nègres, qu'on transporte aux îles, sont de diverses nations d'Afrique,
d'Angola, du Cap Vert, de la Guinée, du Sénégal et de quelques autres terres
voisines de la mer. On compte dans les îles jusqu'à treize nations de différentes
langues. » « Mais, sans jamais cesser de fournir des esclaves au XVIIIe siècle,
Bambaras, Tacouas, Cotocolis, Coromantins, Judas, Ayos et Nagos de l'Est et
Ibos de l'Ouest du bas Niger, ce furent par de très grands groupes qu'arrivèrent
des Aradas puis après 1770 les Congo, achetés surtout par les planteurs
caféiers. Ce ne sera qu'après 1774, qu'apparaîtront des Mozambiques. Vinrent-
ils plus de 40 000 ? Ils ne seront jamais très nombreux dans les ateliers, peu

Trouillot Michel-Rolph, « La région des Caraïbes : une frontière ouverte dans la théorie
anthropologique » Annual Review of Anthropology, 1992, p. 19-42.
203
Collection « Histoire des Antilles et de la Guyane », sous la direction de Pierre Pluchon, éditions Privat,
1982, pages 141 à 161.

168
appréciés au reste à cause de leur petite taille, de leur constitution plutôt faible
et de leur tendance au marronnage. »

Dans un extrait de l’ouvrage Histoire des Antilles et de la Guyane, sous la direction de


Pierre Pluchon (1982), G. Debien met l’accent sur l’étroitesse des sources quand on parle
des esclaves, car, dit-il, les esclaves, eux, sont à peu près silencieux. Il précise que du
temps des colonies, presque personne n’a observé leur vie, et que ce sont toujours des
Blancs, colons ou gérants de plantations, administrateurs coloniaux, et de rares
voyageurs, qui ont apporté quelques renseignements sur eux. Il écrit que toutes ces
ethnies sont de la côte et que seuls venaient des terres lointaines les Bambaras par le
fleuve Sénégal, les Haoussas du haut Nigeria et quelques individus des ethnies de la
boucle du Niger. Si l'on s'en rapporte à leurs noms, peu d'entre eux sont musulmans ; ils
ne paraissent pas avoir constitué dans nos îles des groupes particuliers. Assez tôt, la
proportion des créoles, c'est-à-dire des esclaves nés dans la colonie, fut importante. En
Guyane en 1678, à la sucrerie Noël qui compte 104 esclaves, un tiers d’entre eux sont
créoles ; en 1760, à la sucrerie Rochalard, sur 212 esclaves, les deux tiers sont créoles. Il
est loin d'en être ainsi au sein de toutes les plantations, mais c'est beaucoup plus qu'une
tendance générale, surtout dans les sucreries. Par conséquent, nos auteurs pensent que,
plus que des traits de culture qui auraient voyagé, c’est le porteur qui, sous la pression du
démantèlement social, aurait donné du sens au contenu. La patrie africaine et les
principes qui structurent la réalité sociale ont occupé alors une place plus importante dans
l’imaginaire profond des expatriés. Pour étayer leur hypothèse, les auteurs ont pris à titre
d’exemple certaines productions artistiques, comme les structures sur bois des Saramaka
du Surinam qui n’ont été créées qu’au cours du XIXe siècle ; on se souvient que les
groupes marrons figuraient sur l’échelle des africanismes de M. Herskovits, au niveau
profond de l’inconscient des individus, pour expliquer les similitudes de création
retrouvées de ce côté-ci de l’Atlantique.

4.1.1.2 La créolisation, fruit d’une dépossession et d’une assimilation organisée

Le mot « créolisation » vient de la linguistique et y est utilisé pour désigner le processus


de formation des langues créole 204 . Le terme fut repris par des sociologues et
anthropologues pour être appliqué à certaines configurations du contact culturel. Il existe

204
G. Létang, Créolisation et créolité à la Martinique ; essai de périodisation, potomitan.info/ travaux/
créolisation. Php.

169
de nombreuses définitions et usages du concept de créolisation culturelle, de Sydney
Mintz à Edouard Glissant, en passant par Edward Kamau Brathwaite, Jean Benoist, Ulf
Hannerz, écrit G. Letang. L’auteur indique que c’est le processus d'interaction et
d’hybridation de traits culturels déterritorialisés, adoptés/adaptés, hérités et inventés en
contexte plantationnaire, qui justifie la formation des langues créoles. Plus qu’ailleurs,
dans les sociétés créoles, la genèse culturelle s'est effectuée en situation de
déterritorialisation de tout ou partie des populations initiales, la plantation ayant agi
comme un accélérateur d'adaptation et d'interaction ; et cette culture spécifique a été
coulée dans ce moule original.

Au cours de son intervention au séminaire du CRILASH en Martinique (2011), J. Benoist


met en garde contre une manière de penser la créolisation : « Sur le plan conceptuel,
même si la mode peut laisser penser qu’ils viennent d’émerger, en réalité, ni le terme, ni
le concept de créolisation tels qu’on les entend dans les pays créoles ne sont
nouveaux. »205 « Colons et esclaves, tous ceux qui sont nés sur ces terres lointaines et qui
y ont été fixés par le hasard de l’histoire, ont vite apparu comme étant différents de leurs
proches ancêtres et de tous ceux qui étaient restés sur les continents d’origine et ils en
avaient clairement conscience. »206

Le linguiste guadeloupéen Hector Poullet, en réaction à un propos du secrétaire d'Etat aux


DOM-TOM de l'époque qui avait évoqué la « Francité des Créoles », donne alors au n° 2
de la revue Mouchach, qu'il publie avec Gérard Lauriette, le sous-titre de Bulletin de la
créolité en 1975. Dans Eloge de la créolité, en 1989, Jean Bernabé, Patrick Chamoiseau
et Raphaël Confiant théorisent le terme. Selon ces auteurs, la créolité serait « l’agrégat
interactionnel ou transactionnel, des éléments culturels caraïbes, européens, africains,
asiatiques et levantins, que le joug de l'Histoire a réunis sur le même sol »207. Le terme
« créole » cependant est apparu très tôt ; il ne signifiait pas seulement le fait d’être né
dans les Amériques mais impliquait ce changement dans la manière d’être, de faire et de
penser et l’enracinement dans des nouvelles terres. Le terme de « créolisation », quant à
lui, est destiné à désigner le processus qui conduit à devenir créole et à s’interroger sur les
forces qui conduisent à ces changements. Le terme semble dater de 1884, nous dit J.

205
J. Benoist, intervention orale, De la créolisation culturelle, Archipélies, n° 3-4, coordination, G. Letang,
CRILLASH, UAG, 2011.
206
Ibid., p. 20.

170
Benoist, en parlant d’un anthropologue de cette époque (de Quatrefages), qui aurait
étudié les transformations des populations fixées en Amérique208. Le mot « créolisation »,
employé dès cette époque pour désigner l’ensemble des modifications qui surviennent
chez toute personne implantée dans ces contrées, semble approprié et a été adopté. Ces
changements caractéristiques constatés chez ces hommes transplantés seraient dus à trois
types de facteurs, selon ces chercheurs : le climat, qui serait différent du climat d’origine,
le changement culturel et le métissage. Ces trois éléments représenteraient les trois piliers
de la créolisation. Ce qu’il nous semble essentiel de retenir à ce stade, c’est que cette
créolisation dans les Amériques est étroitement liée à un territoire et une histoire
particulière. L’emploi du concept de « créolisation » dans le langage des sciences sociales
pose plusieurs questions et s’accompagne de certaines dérives, nous rappelle J. Benoist
dans son intervention à la conférence sur la « Créolisation culturelle en Martinique en
2011 ». Trois niveaux de lecture doivent être pris en compte. Le premier concerne le
processus spécifique à certaines des sociétés nées de l’expansion européenne des XVIe et
XVIIe siècles, essentiellement en Amérique. Le deuxième concerne les facteurs
heuristiques et idéologiques qui ont poussé à la généralisation du concept. Et enfin, on
recentre la créolisation dans la dynamique générale de l’évolution des sociétés ; elle
apparaît alors comme un mécanisme temporaire de recomposition identitaire. L’auteur
poursuit en disant que ce processus de créolisation n’est pas une fin en soi, un
aboutissement de cette histoire, mais qu’il en est seulement une phase qui prend une
fonction : celle qui se dégage des valeurs anciennes pour s’ouvrir à d’autres matériaux
qui permettront la construction d’une nouvelle société. Plusieurs théories se sont
âprement affrontées sur le sujet.

Nous retiendrons le concept de « société des plantations », développé par Charles Wagley
(1957) et repris par Jean Benoist (1975), qui propose des aires culturelles de l’Amérique,
constituée de l’Euro-Amérique, de l’Indo-Amérique et de l’Amérique des plantations,
théorie qui a favorisé celle de la dépossession. L’auteur circonscrit trois zones culturelles

207
Bernabé, Chamoiseau, Confiant, Eloge de la créolité, 1989 : 26, cité par G. Létang :
http://www.potomitan.info/travaux/creolisation.php, consulté le 13 janvier 2013.
208
Ibid., p. 20. En citant l’anthropologue de Quatrefages, J. Benoist écrit : « Je suis arrivé à reconnaître à
première vue un Blanc né aux Antilles de parents blancs ; de même pour le Noir né en Amérique de parents
africains. » « Nous assistons au début de la formation de races nouvelles », poursuit J. Benoist. La notion
de race à cette époque renvoyait plutôt à la population et englobait l’ensemble des caractéristiques
physiques, culturelles et sociales d’une population, et non pas seulement le caractère restrictif et
étroitement biologique qu’on lui prête aujourd’hui.

171
du Nouveau Monde qui puissent servir de trame de référence à l'étude des sociétés et des
cultures contemporaines des Amériques. Sous ces trois aires culturelles américaines209,
qui sont désignées ici sous les expressions d’Euro-Amérique, Indo-Amérique et
Amérique, des plantations se distinguent les unes des autres par des séries de différences
interdépendantes engendrées par le contexte original du Nouveau Monde. Les facteurs
qui semblent avoir agi sur la formation de ces zones, nous dit l’auteur, sont les suivants :
la nature de l'environnement physique, la densité de la population indigène, le niveau de
complexité des sociétés et des cultures indigènes, les sources de l'immigration, les formes
de l'implantation européenne depuis l'an 1500 et divers événements historiques locaux.
De ces facteurs diversement combinés, ont résulté des types de société distincts d'une
zone à l'autre.

Afin de ne pas nous éloigner de notre sujet, tout en gardant une certaine cohésion dans
notre développement, nous n’évoquerons ici que brièvement deux de ces zones
culturelles, car ce n'est que la troisième, l'Amérique des plantations, qui intéresse
directement notre recherche. Ces aires culturelles ne sont pas des unités politiques,
géographiques ou linguistiques, quoiqu'elles s'insèrent dans une étendue géographique
généralement continue. Dans l'Amérique des plantations, toutes les langues d'origine
européenne du Nouveau Monde sont représentées. Géographiquement partagée en deux
grandes aires situées aux extrémités du continent, la sphère euro-américaine est loin de
former un continuum spatial. Le concept d'aire culturelle dans le Nouveau Monde, tout en
ne niant pas l'influence culturelle des pays européens qui ont colonisé et administré divers
territoires, ne s'appuie pas sur ce facteur. Les trois types de zones culturelles ne sont pas
classés en fonction d'un seul critère, mais selon un ensemble de différences qui
proviennent de divers facteurs reliés entre eux notamment par des facteurs
d’appartenance.

4.1.2 L’Euro-Amérique

Elle couvre les extrémités nordique et méridionale du Nouveau Monde. Politiquement,


elle est formée d'une part par le Chili, l'Argentine, l’Uruguay et le Sud du Brésil, et
d'autre part par le Nord des Etats-Unis et le Canada. On peut certes relever de grandes
différences entre les influences espagnole et portugaise qui s'exercent au Sud et les

209
L’auteur traduit « cultural sphere » par « aire culturelle » (N.d.T.).

172
influences anglaise et française au Nord. Cependant, au-delà des différences dans les
langues, les institutions et les comportements hérités de l'Europe, il existe dans cette aire
une importante série de traits communs déterminés par des caractéristiques qui tiennent
au Nouveau Monde lui-même ; et ces traits ont produit un type de société et de culture
que l'on retrouve dans les deux zones nord et sud de l'aire culturelle euro-américaine. Ces
deux régions de l'aire euro-américaine se situent dans un milieu tempéré, voire semi-
arctique. Dans l'une et l'autre, la population indigène était clairsemée et son niveau
culturel n'avait pas dépassé celui d'horticulteurs débutants, ou même de peuples
chasseurs-cueilleurs. Les ressources habituellement recherchées par les Européens à
l'époque coloniale y étaient rares ; il n'y avait là ni or ni argent. On ne pouvait espérer de
riches récoltes d’épices ou de sucre. Cependant, le terrain et le climat convenaient à
l'agriculture mixte européenne. Peu à peu, le front des immigrants européens a repoussé
les aborigènes. Aussi ces régions devinrent-elles essentiellement européennes par leur
population et leur civilisation. Au cours du XIXe siècle, leur économie s'est développée et
elles ont reçu des millions d'immigrants européens : aujourd'hui, l'Argentine, le Chili,
l'Uruguay, le Sud du Brésil, le Nord des Etats-Unis et le Canada sont les zones les plus
hautement industrialisées du Nouveau Monde. La population est surtout blanche (malgré
une certaine émigration de Noirs américains vers le Nord), et ses traits culturels sont
presque exclusivement d'origine européenne.

4.1.3 L’Indo-Amérique

La deuxième aire culturelle américaine, l’« Indo-Amérique », est celle que John Gillin a
nommée « Amérique métisse » (« Mestizo-America »). Elman Service a par la suite
distingué, dans cette zone, deux aires qu'il a désignées sous les noms de « Mestizo-
America » et d’« Indo-Amérique ». Mais quel que soit le terme retenu, il est clair que
dans cette aire culturelle, l'Amérique a joué un rôle important dans la genèse biologique
et culturelle de la population et des civilisations modernes. Dans la région qui s'étend du
Mexique au Nord du Chili, au long de la Cordillère des Andes, les Espagnols
rencontrèrent des millions d'Amérindiens civilisés ; la société coloniale y fut modelée par
les institutions qui gouvernaient cette masse indigène et qui contrôlaient son travail. Peu
après l'an 1500, les populations indiennes furent fermement insérées dans la vie coloniale,
puis nationale, et devinrent culturellement des « mestizos », des « ladinos » ou des
« cholos ». Elles perdirent partout leur identité indienne, et les Indiens devinrent des

173
Mexicains, des Guatémaltèques, des Péruviens ou des Boliviens 210 ; mais ce processus
n'est pas achevé. Dans plusieurs de ces pays existent encore de vastes groupes qui parlent
leurs langues indigènes, qui se considèrent comme distincts des autres citoyens de leur
pays et qui suivent un mode de vie où se combinent les traditions indigènes et les
coutumes espagnoles des seizième et dix-septième siècles. Mais, même là où les Indiens
ont été assimilés, leur passé a largement contribué à la formation de la culture nationale
contemporaine.

4.1.4 L’Amérique des plantations

La troisième grande aire culturelle du continent américain est nommée « Amérique des
plantations » en raison de l'influence prépondérante de cette institution sur son histoire et
sur sa société. Cette aire culturelle part de la moitié nord de la côte du Brésil et s'étend
vers les Guyanes, au long de la côte et de l'archipel caraïbe, et pénètre aux Etats-Unis.
Elle est presque exclusivement côtière jusqu'au XIXe siècle ; le mode de vie de la
plantation n'a pas pénétré dans l'arrière-pays, et depuis, il ne l'a fait qu'au Brésil et aux
Etats-Unis. Cette zone (sauf le Sud des Etats-Unis) se situe toujours sur des terres basses,
en milieu tropical. Par rapport aux régions montagneuses de l’Indo-Amérique, la
population indigène de ces régions était faible lors de la première venue des Européens,
au XVIe siècle. De plus, les Européens n'y trouvèrent pas de riches gisements minéraux,
mais ils découvrirent vite que les sols argileux étaient riches et pouvaient produire du
sucre, denrée qui leur apporterait une richesse comparable à celle que donnaient l'or et
l'argent des hautes terres. Cette production commerciale de canne à sucre exigeait une
abondante force de travail. Les populations aborigènes furent rapidement décimées par
les maladies, la guerre et l'esclavage, si bien que les Européens cherchèrent cette force de
travail en Afrique. Aussi, la production de sucre par le système des plantations, basé sur
le travail d'esclaves africains, devint le trait fondamental caractérisant l'origine de cette
aire culturelle de l'Amérique des plantations. Les autres cultures, telles que le cacao, le
café, et plus tard le coton, se développèrent dans les mêmes conditions. Avant de
présenter certaines de ses institutions actuelles et quelques-uns de ses traits culturels,
nous faisons remarquer que cette aire culturelle est à la fois une aire géographique et un
type de société directement basé sur un processus historique.

210
Jean Benoist, Les sociétés antillaises, 1975, p. 28. Textes choisis et présentés par Jean Benoist, version

174
Au début du XVIIe siècle, le cœur de la société de plantation, et donc de l'aire culturelle
en question, se situait sur la côte nord-est du Brésil. Au XVIIIe siècle, cette zone a
englobé la Caraïbe à mesure que la production de sucre prenait de l'importance et que
croissait la population d'esclaves. Au XIXe siècle, elle s'étendit à Cuba, et, après
l'introduction du coton, au Sud des Etats-Unis. De même, le système de plantation se
répandit sur les terres basses de la côte Pacifique et dans le Nord de l'Argentine, autour
du Tucuman. La société des plantations prit des formes diverses, certes. Elle s'ajusta aux
influences socioculturelles de pouvoirs coloniaux ou nationaux, à diverses conditions de
milieu, à des facteurs tenant aux diverses variétés de plantes cultivées et à des époques
historiques aux caractéristiques différentes. Il est certain, par exemple, que l'habitation
sucrière du XVIIe siècle au Brésil ne ressemble pas, sous bien des aspects, aux plantations
de coton établies au XIXe siècle dans le Sud des Etats-Unis. Et, évidemment, le régime
colonial perpétué au XXe siècle dans les Antilles britanniques donne à celles-ci des traits
différents du Brésil qui est devenu indépendant au XIXe siècle.

Il y a donc d'importantes variations au sein de cette aire culturelle, comme dans les deux
autres, mais partout où les plantations et l'esclavage ont été les institutions originelles, un
certain mode de vie s'est dessiné, qui a entraîné, à travers toute cette aire, de nombreux
problèmes similaires et a déterminé de nombreuses caractéristiques culturelles générales.
Cette unité a été soulignée par de nombreux chercheurs. M.G. Smith (1965) a constaté :
« Des conditions historiques générales désignent les régions qui s'étendent du Brésil aux
Etats-Unis, comme le contexte dans lequel doit être étudiée l'aire antillaise. » 211 Le
Brésilien Gilberto Freyre (1933), auteur du classique Casa Grande eSenzala, traduit par
R. Bastide (1952), note : « Tout chercheur, qui s'intéresse au régime patriarcal et à
l'économie esclavagiste du Brésil doit être familier avec le deep South des Etats-Unis. »
« Les mêmes influences, nées des techniques de production et de travail, c'est-à-dire de la
monoculture et de l'esclavage, se sont combinées dans cette région d'influence anglaise
de l'Amérique du Nord, comme aux Antilles et en Jamaïque, et ont produit des structures
sociales comparables à celles qui sont observées chez nous (au Brésil). » « Parfois elles

numérique, M. Bergeron, collection « Les classiques des sciences sociales », dirigée par Jean-Marie
Tremblay, Bibliothèque, P-É-B. Université du Québec, Chicoutimi : http://classiques.uqac.ca/.
211
Werner J. Cahnmann, cité par J. Benoist, conférence CRILLASH, « De la créolisation culturelle », UAG,
2011, définit la région caraïbe comme celle « où un peuplement dense d'anciens esclaves africains est
établi ». « En fait ce peuplement correspond aux basses terres exploitées par le système économique des
plantations. »

175
sont si semblables que les seules différences portent sur des traits secondaires : langue,
races, formes religieuses. »212

Freyre discuta des ressemblances dans les modes de vie associés à la plantation dans le
« Vieux Sud » des Etats-Unis et dans le « Vieux Nord » du Brésil. Mais, quels sont donc
ces traits communs aux diverses régions de l'aire culturelle nommée Amérique des
plantations et qui ont frappé les observateurs de tant de pays ? Nous pouvons d'abord
dégager les caractéristiques fondamentales de l'Amérique des plantations en tant qu'aire
culturelle. L’habitation demeure un espace où les modalités de résidence et de travail sont
régies par une pression coercitive farouche. Cette coercition est subie par les esclaves et
est organisée au profit de l'Etat français, des importateurs français de sucre et de la classe
locale dominante des Blancs créoles ou békés ; les premiers Européens passèrent par le
système d’engagement, pour la plupart d’entre eux, système assez semblable à
l'esclavage. D’ailleurs, c'est dans ce premier creuset insécuritaire qu’Européens et
Africains malaxèrent les premiers ingrédients de la créolisation qui donna naissance à la
langue créole. Après l’époque du défrichement des terres, la monoculture spéculative de
la canne permet aux békés survivants de l'engagement d’accéder à la propriété foncière et
de devenir, à leur tour, des maîtres.

4.1.4.1 Le mouvement de reniement du créole par l’accaparement de la culture du


maître

Dans « ces sociétés d’habitation »213, la solidarité du début sera remplacée peu à peu par
des actes de révoltes dus à l’arrivée de nouveaux esclaves et à la demande de plus en plus
forte de main-d’œuvre pour la surproduction de sucre. L’insoumission engendrera des
répressions violentes conduisant à une dégradation du climat. Après l’abolition de
l’esclavage en 1848, l’aspiration profonde qui animait les nouveaux libres était de se
rapprocher le plus possible de la culture du maître en reniant jusqu’à leur origine ; il
s’ensuivit une certaine « créolophobie »214.

212
Febvre Lucien, Gilberto Freyre, Maîtres et esclaves, Annales. Economies, Sociétés, Civilisations, 1953,
vol. 8, n° 3, pp. 409-410. « (....) l’essence de cette Œuvre est bien la fusion progressive de l’intime mélange
de trois grandes masses humaines au bout de quoi cette réussite que représente le Brésilien est un chef-
d’œuvre tant psychologique qu’historique de complication raciale et mentale épanoui sous les tropiques. »
213
« Société d’habitation », terme proposé par P.J. Roger en 1980, préféré par J. Bernabé, 1983, à la place
de celui de « société de plantation » utilisé par Herskovits, 1941, Benoist, 1972, 1975.
214
(...) « L’école longtemps refusée aux hommes de couleurs devint le vecteur essentiel de l’émancipation. »
Les lois de 1881 sur l’école laïque obligatoire encouragent l’abandon du créole et de tout ce qui se rapporte

176
4.1.4.2 L’apport de l’immigration indienne

Après l’abolition de l’esclavage en 1848, et pour faire face à la désertion des plantations
par les Noirs libres, les autorités coloniales ont fait appel à une main-d’œuvre bon
marché, venue de l’Inde, dont la première arrivée en Guadeloupe date de 1854. Par ce
nouvel apport populationnel, le maître jouait sur la différence de race et de langue des
Indiens pour faire cause commune avec eux, tout en espérant éviter tout rapprochement
avec les Noirs215. Parmi ces Indiens, engagés pour cinq ans, peu d’entre eux ont eu les
moyens de regagner leur pays d’origine ; malgré les désillusions et les humiliations
rencontrées, ils n’ont pas eu d’autres choix que de rester aux Antilles et de s’y enraciner.
Leur implication dans le processus de créolisation s’est faite dans la douleur. Mais, les
petits-fils d’immigrants indiens ont bénéficié d’une évolution favorable. Ils font
aujourd’hui partie intégrante du peuple guadeloupéen, citoyens français à part entière.
Pour reprendre une citation de Singaravélou (1975) : « La situation des Indiens de
première génération se caractérise par une monoglossie, où seul le créole appris au
contact des autochtones est parlé, les langues indiennes étant réservées aux rituels
ésotériques. » « Cette mutation linguistique étant la résultante d’une rétention culturelle
de nature religieuse chez l’Indien aux Antilles françaises, faisait du tamoul une langue
morte mais sacrée, utilisée au cours des cérémonies et des veillées sacrées. Mais
paradoxe, même ceux des plus anciens qui savent réciter de longs versets en tamoul n’en
connaissent pas le sens. »216

La perte du modèle culturel originel, à l’exemple des premiers Indiens, est la preuve de la
condition essentiellement nécessaire à une créolisation totale. Mais une fois créolisés à

aux conditions antérieures, telles les valeurs paysannes, pour se rapprocher davantage des modèles
métropolitains, qualifiés par F. Fanon « d’aliénation culturelle et de deuxième reniement du créole ».
« Endossant à leur propre compte les contenus idéologiques induits par les esclavagistes pour justifier
leurs forfaitures dans les années 1680, ce sont les petits-fils d’esclaves eux-mêmes qui consomment la
deuxième rupture symbolique de l’histoire de la Guadeloupe et de la Martinique en portant la Loi sur la
départementalisation de ces deux colonies en 1946 qui fait de ces deux territoires des Départements
d’Outre Mer (DOM). » Portée par les députés communistes de la Martinique, Aimé Césaire et Léopold
Bissol, « cette Loi de “départementalisation”, écrit l’auteur, n’est que la consécration officielle d’un
mouvement historique antérieur à 1848, à fondement raciologique à la recherche d’une fusion sociale
orchestrée par la classe des Noirs nantis et celle des mulâtres ». J. Bernabé, 1983, Fondal-Natal,
Grammaire basilectale approchée des créoles guadeloupéen et martiniquais, 1983, L’Harmattan, vol. 1, pp.
44-45.
215
Lugsor, 1980 : 39, cité par Gerry L’Etang (2000), « VINI WÈ KOULI-LA ». Anthropologie d'une
chanson créole, version numérique, Jean-Marie Tremblay, « Les classiques des sciences sociales »,
Bibliothèque Paul-Emile Boulet. Université du Québec à Chicoutimi. Site Web pédagogique :
http://www.uqac.ca/jmt-sociologue/ www. indereunion. net/IREV/ /koulia2.html, visité le 4 mars 2012.

177
leur tour, ils n’ont pu échapper à ce grand mouvement de remontée sociale impérieuse
pour tenter d’échapper à leurs conditions miséreuses. Comment y arriver, si ce n’est par
l’instruction ? Pouvait-on honnêtement accepter ces conditions difficiles ? Malgré le fort
degré d’instruction de certains, ils restaient attachés à la tradition, la langue créole était
toujours pratiquée en famille et dans la communauté ; on trouvait un certain plaisir à la
pratique de la cuisine traditionnelle. « L’être créole » restait donc prégnant au sein de
cette communauté. Cet héritage est aujourd’hui revendiqué par une société qui affirme
son opposition à l’assimilation totale à la culture dominante et qui, à la recherche
d’hétérogénéité en contexte d’identification, incorpore ce qu’elle rejetait jadis. Cette
intégration trouve aussi son fondement dans l’évolution du complexe culturel général, par
la dynamique même d’un processus de créolisation qui, en dépit du mépris dont l’Indien
était l’objet, fit de ce dernier, à la longue, un acteur du fait créole, un coproducteur de
cette culture. Lors de la célébration du 150e anniversaire de l’arrivée des premiers Indiens
en Guadeloupe, dans son discours d’introduction, Ernest Moutoussamy, maire de Saint-
François, rend hommage aux premiers Indiens de cette époque, qui ont entamé ce
processus « d’ascension sociale »217.

4.2 Du point de vue sociolinguistique


Bien que l’Indien ne découvrît le modèle culturel français que plus tard par rapport aux
descendants d’esclaves qui, eux, l’ont côtoyé très tôt dans les villes et à l’école,
l’apprentissage du créole était un passage obligé pour comprendre les rouages du système

216
Singaravélou, Les Indiens de la Guadeloupe, Deniau, Bordeaux, 1975, p. 105.
217
(...) « Je veux particulièrement ajouter Louis Vingarassamy, un illustre Guadeloupéen né le 28 août
1880 à Capesterre-Belle-Eau qui, après son baccalauréat de l’enseignement secondaire, fut diplômé de
l’école coloniale quelques années avant Félix Eboue. Il débuta sa carrière de haut fonctionnaire comme
administrateur stagiaire des colonies le 14 janvier 1905 et la termina le 4 novembre 1936 avec le grade
d’Administrateur en chef. Fait gouverneur honoraire le 9 avril 1937, Louis Vingarassamy exerça ses
fonctions exclusivement en Afrique équatoriale et occidentale française. Nommé en juin 1936 secrétaire
général intérimaire à la Martinique, il renonce à cette désignation qui le mettait sous un gouverneur
intérimaire qui avait son grade et moins d’ancienneté. La carrière de Louis Vingarassamy fut de toute
évidence marquée par le préjugé de couleur. Ce fonctionnaire hautement apprécié par ses supérieurs
hiérarchiques, considéré comme “un sujet d’élite” avec une “connaissance très étendue”, “une excellente
culture générale”, qualifié “d’esprit éclairé”, et dont on soulignait le caractère “irréprochable”, ne fut
jamais nommé gouverneur colonial car, comme l’écrivait le Député de Toulouse le Docteur David, “l’idée
de confier un poste de commandement à un homme de couleur” effrayait. Aussi, malgré l’interpellation
collective du Groupe interparlementaire colonial comprenant notamment Satineau, Lagrosillière, Candace,
Bloncour, Bérenger, Monnerville... le Ministre des Colonies Marius Moutet n’accepta de réparer ni
l’injustice ni l’oubli. » Discours de Ernest Moutoussamy lors de l’hommage aux aînés et aux fidèles des
traditions, une pensée particulière à ces bienfaiteurs pendant le semblani de la mémoire. Dubédou Saint
François, 18 janvier 2004.

178
et tendre très vite vers ce qui lui paraissait être la réussite suprême, le modèle culturel du
maître218. Cette situation d’ascension sociale s’est caractérisée par le passage du créole au
français autant pour les descendants d’anciens esclaves que pour les Indiens. Avant de
retracer la situation glottopolitique du créole à travers les travaux de certains auteurs
antillais natifs, nous nous attacherons à examiner les principaux textes fondateurs de la
créolistique des années 1850-1930 et nous verrons comment, à partir de 1930, la
prégnance structuraliste s’est divisée et cristallisée à travers des études approfondies qui
font encore référence aujourd’hui.

L’abolition de l’esclavage entraîne un bouleversement social difficilement imaginable de


nos jours, avec des conséquences économiques incommensurables, causées par la
désertion des esclaves des plantations. L’urgence de ce désastre économique pousse les
maîtres à inventer une nouvelle forme de traite plus sournoise. L’arrivée massive de
travailleurs asiatiques, pour remplacer les nègres dans la production, transforme la société
esclavagiste en une mosaïque raciale. Cette réorganisation sociale n’est pas sans
conséquence pour la linguistique créole, eu égard à la problématique de la scolarisation
des descendants d’esclaves. Le créole est pris en compte par quelques intellectuels
antillais et quelques chercheurs européens de terrain avant-gardistes de l’époque. En
1869, le Trinidadien J.J. Thomas, fils d’esclave, sera le premier Noir de la Caraïbe à
mener une réflexion profonde et originale sur son patois, eu égard à la problématique du
monolinguisme rencontré dans son parcours professionnel. Ce fut le premier travail de
recherche mené par un natif. Quoique très largement critiqué pour son manque de
rigueur, ce travail donne une image assez précise de la langue créole de l’époque. De ce
travail de recherche, sortira la première grammaire créole destinée à l’utilitaire et à la
pédagogie. Les critiques acerbes dont il a fait l’objet, notamment par M. Goodman (1964)
et G. Aub-Buscher (1969), témoignent du racisme ambiant de l’époque. Auguste de
Saint-Quentin, jeune et riche intellectuel guyanais, rédige en 1872 une notice
grammaticale et philosophique sur le créole de Cayenne. Bien que ces travaux
comportent de nombreuses imperfections, ils furent quand même accueillis par la
communauté scientifique avec bienveillance, à l’exemple de Goodman qui avait été très
critique sur les travaux de Thomas, et qui la qualifie « d’excellente grammaire ». Le point
commun de tous ces travaux, nous dit L.-F. Prudent, se résume à l’axiome : « Le créole

218
Singaravélou, Les Indiens de la Guadeloupe, Deniau, Bordeaux, 1975, p. 101.

179
est le français corrompu des nègres. »219 Il était largement admis, par les intellectuels
chercheurs de cette époque, que « le nègre était doté d’une incapacité génétique de parler
correctement une langue européenne ». Les travaux de L. Adams (1883), étudiant les
langues amérindiennes de Guyane, apportent une nouvelle grille de lecture des
mécanismes de la langue guyanaise, permettant une meilleure compréhension de cette
composition. Bien qu’elle ait été assez longuement étudiée pour l’époque, on assiste alors
à une transposition du racisme, qui passe d’un racisme contre le nègre à un racisme
contre la langue créole, qui ne sera jamais enseignée dans les universités.

La démarche structuraliste, qui prédomine au début du siècle, conduit les chercheurs, de


façon quasi unanime, à la conclusion qu’une langue provient toujours principalement
d’une seule mère et que le créole doit toujours être rangé dans une famille ou catégorie :
germanique pour le pidgin asiatique, le beach-la-mar, le taki-taki ; romane pour les
créoles haïtien, antillais et réunionnais. Nous assistons alors à une contribution assez
faible des savants européens au cours des années 1930-1970, empreinte encore d’une
forte connotation raciste, à l’exemple de Meillet (1914) ou Bruno (1935), qui parlent du
créole comme étant « un français négrifié » en comparaison des apports américains et
natifs. L’analyse structurale du créole guyanais de M. Saint-Jacques Fauquenoy, le
lexique du parler créole de La Réunion de R. Chaudenson en 1974 et le créole français de
Ioana Vintila-Radulescu en 1976, s’écarteront résolument de cet esprit romanesque
ambiant de l’époque par l’entame d’un travail sociolinguistique conséquent.

Les apports de S. Sylvain à la créolistique en 1936 ont contribué à l’émergence d’une


vision plus africaniste de la question sociolinguistique. Bien qu’étant issue de la
bourgeoisie, elle a décrit de manière claire et documentée, et par une méthode rigoureuse,
l’apport africain dans la structuralisation du créole haïtien, sans jamais renier pour autant
les racines françaises dans la composition du créole. Sa posture, sa prise de position
claire, son militantisme pour une intégration plus réelle du créole dans la matrice
africaine ont participé à la mouvance africaniste de l’époque. La prise de position de M.
Alleyne en 1968 dénonce l’inféodation scientifique de la recherche créoliste et rejette les
deux hypothèses génétiques classiques des créoles et la provenance systématique des
créoles de pidgin. Elle émet l’hypothèse d’un brassage linguistique autour des comptoirs

219
L.-F. Prudent, Des baragouins à la langue antillaise, Editions Caribéennes, 1999, p. 52.

180
et autres forteresses, par une culture africaine venant à la rencontre des cultures
européennes, en avançant que le créole devrait être analysé plus comme un syncrétisme
ou un alliage entre la culture africaine et la culture européenne. Elle défend un certain
continuum d’un créole francisé pour certains, par opposition à un créole brut pour
d’autres. Dans sa thèse, en 1974, R. Chaudenson produit un volumineux travail de
recherche où il décrit, dans un premier temps, le lexique réunionnais de façon
traditionnelle, avant de conduire, dans un deuxième temps, une réflexion lexicologique
qui l’amènera à classer les créoles de l’océan Indien « parmi les parlers romans »220. Ce
travail de linguistique interne, particulièrement conséquent, mené par ce chercheur, l’a
conduit à une réflexion sociolinguistique et historique aboutissant à la conclusion que le
créole réunionnais s’est forgé à partir d’un contact des populations essentiellement
européennes et minoritairement indo-portugaises et malgaches 221 . Cette forte présence
d’une étymologie française, signalée par Chaudenson dans le parler créole réunionnais,
nous amène à nous interroger sur la situation lexicale aux Antilles françaises.

G. Hazaël Massieux (1977), dans sa description des êtres et des classes en présence en
Guadeloupe, traduit dans son ouvrage Les recherches sur le français parlé, un champ
lexical spécifique et traite des termes nègres, blancs, créoles par des recours aux
dictionnaires spécialisés.

A l’opposé, J. Bernabé (1977), dans La recherche sur le créole spécifique , traitant de la


structuration linguistique et de l’anatomie, défend la notion de langue déviante et avance
l’idée qu’à côté des termes directement empruntés au français, existent des constructions
et dérivations propres au créole. Cette prise de position est à rapprocher de celle de D.
Bébel-Gisler dans sa dénonciation de caractéristiques idiomatiques que la grammaire
traditionnelle a soigneusement évitées ou niées, et qu’elle a dénommées « Reine-sans-
nom ».

4.2.1 La diglossie

L’idée générale de la diglossie, développée par C. Ferguson en 1959, est que dans chaque
communauté étudiée, à savoir l’ensemble des pays arabes, la Suisse alémanique, la Grèce
et Haïti, deux variétés d’une même langue sont réparties fonctionnellement et s’utilisent

220
Ibid., p. 79.
221
Ibid., p. 80.

181
selon les paramètres situationnels précis. L’auteur prône une certaine stabilité de la
diglossie et semble s’accommoder à la situation coloniale du moment. L’examen de la
situation sociolinguistique d’Haïti, prise en exemple dans l’étude de Ferguson, laisse
apparaître la minorité de la langue dite haute puisqu’elle n’est réellement parlée que par
10% de la population, alors que les 90% restants sont créolophones. Haïti constituerait
donc un mauvais exemple se limitant aux situations institutionnelles en ignorant les lieux
populaires, les marchés, les cours d’écoles. La coexistence de deux langues sur les
territoires antillais et l’usage du français et du créole, dont les statuts sont inégaux, se
traduisent par cette situation sociolinguistique spécifique nommée « diglossie » (Saint-
Pierre, 1972 ; Chaudenson, 1989 ; Bernabé, 1997 ; Anciaux, 2003). Dans son ouvrage
Interlecte et pédagogie de la variation en pays créoles, du plurilinguisme à l’école
(2005), L.-F. Prudent écrit : « L’approche canonique de la diglossie fait d’un créole une
langue populaire qui cohabite avec une langue standard dont elle est issue. »222 D’un
point de vue épistémologique, la notion de diglossie nous renvoie aux travaux de Prudent
(1981), qui a historicisé le concept. Il situe Ferdinand de Saussure, père de la linguistique
structurale, à l’origine de la chaîne dont il précise par ailleurs que « le structuralisme
saussurien se déploie à partir d’une vision harmonieuse et conciliatrice de l’évolution
des systèmes »223.

Dans son analyse conceptuelle de la diglossie, P. Ottavi (2011) appelle à une veille
critique permanente face aux réalités mouvantes et complexes du terrain d’analyse, en
incluant tous les acteurs, et contre un processus de substitution par le fait des locuteurs
eux-mêmes. En citant J.-B. Marcellesi, il dit avoir enregistré un processus par lequel les
locuteurs des langues dominées considèrent comme une bonne chose pour eux, allant
dans le sens de leurs intérêts matériels et/ou culturels, la prééminence accordée à un
système autre que le leur224. Le français constitue la langue officielle, institutionnelle et
dominante. C’est la langue de l’école, de l’instruction et des situations formelles. Le
créole, quant à lui, représente la langue régionale et vernaculaire, autrement dit, la langue
parlée à l’intérieur de la communauté antillaise. C’est la langue culturelle et dominée du
peuple, symbole de l’identité et partenaire privilégié des conversations privées et

222
Lambert Félix Prudent, Interlecte et pédagogie de la variation en pays créoles, du plurilinguisme à
l’école, vers une gestion coordonnée des langues en contextes éducatifs sensibles, édition Peter Lang, 2005,
p. 359.
223
L.-F. Prudent (1981), « Diglossie et interlecte », Langages, n° 61, p. 13-38.
224
P. Ottavi, « Regard sur le concept de diglossie à l’épreuve du terrain corse », Lidil, 44, 2011, 111-124.

182
familières. L’absence de cette dernière dans le système éducatif français a suscité l’intérêt
de nombreux chercheurs, donnant lieu à deux sortes de travaux. Une première catégorie
de recherches, d'ordre sociolinguistique et politique, a conféré au créole un statut d’objet
de revendication. Ces études dénoncent l'imposition culturelle de l'institution scolaire
française, la dévalorisation et l’interdiction de l’usage du créole à l’école. Elles mettent
en évidence le phénomène d’acculturation et d’assimilation qui « s’acharne à peindre le
vécu des Antillais aux couleurs de l’ailleurs » (Bernabé, Chamoiseau, Confiant, 1989, p.
18) en considérant les enfants aux Antilles comme semblables à ceux de la métropole
(Romani, 1994 ; Chaudenson, 1989).

Elles comparent les méthodes nationales d'apprentissage à des stratégies « d'éradication


du créole » (Gauvin, 1977), de « dépossession de soi » (Bébel-Gisler, 1981) ou
« d'impérialisme et de colonialisme français » (Brossat et Maragnes, 1981). Les seconds
travaux, de type psycholinguistique et didactique, moins nombreux que les précédents,
ont étudié, d’une part, l’influence du créole sur les apprentissages et les performances
scolaires de type cognitif (Clairis-Gauthier, 1986) et, d’autre part, l’usage et les fonctions
de la langue vernaculaire dans le processus d’enseignement (Romani, 1994, 1997 ; Ebion,
1997). Ils ont mis en évidence des effets positifs d’un enseignement en créole sur les
performances scolaires d’enfants antillais (Durizot-Jno-Baptiste, 1996, 1991).

L’apprentissage du créole constitue également un moyen performant en vue de résoudre


des troubles langagiers, tels que l’inhibition verbale (Chevry-Ezelin, 1999). D’autres
recherches ont relevé que l’usage du créole en classe pouvait offrir à l’enseignant une
aide à la clarification des consignes (Vasseur, 1997), à la communication (Fauquenoy St-
Jacques, 1988), à la participation des élèves (Giraud et Manesse, 1990), à la mise en
pratique des connaissances acquises (Gauvin, 1977), à la discipline, à l’humour, à
l’instauration d’un climat de confiance, ou encore à la résolution de difficultés de
compréhension et d'expression (Alin, 2000 ; Anciaux, 2003). Au regard des conclusions
de toutes ces études, spécifiant les effets additifs du créole dans les apprentissages,
différentes perspectives d’aménagements linguistiques ont été envisagées et instaurées
dans les établissements scolaires.

Aujourd’hui, l’on soutient haut et fort que les créoles sont des langues à part entière, mais
l’ambivalence culturelle demeure cependant, il faut en être conscient. Nous sommes
fondé à penser que le choix d’une langue par rapport à une autre, en situation de
diglossie, est un choix délibéré du locuteur, une démarque certaine d’un certain standard.
183
Aller vers les gens en situation réelle, pour tenter de comprendre les raisons de ce choix,
telle est notre volonté affirmée à travers ce travail. Ces constats justifient cet espace
d’investigation qu’est la langue dans le processus d’enseignement et d’apprentissage. En
revanche, peu de travaux se sont intéressés à l’impact du créole sur les apprentissages de
type médico-éducatif aux Antilles françaises. Il n’existe pas, à notre connaissance, de
recherches concernant l’influence de la langue créole et sa capacité à améliorer la
compréhension des différents mécanismes de la maladie chronique, les cibles des
différents traitements qui y sont proposés ainsi que les stratégies pour parvenir à
l’amélioration de la qualité de vie des patients porteurs de ces maladies. En d’autres
termes, il s’agit de gagner du temps face aux problèmes de santé publique que
représentent ces pathologies chroniques, pour éviter les complications qui peuvent être
graves. Nous postulons que le passage par cet idiome peut constituer une plus-value. Les
résultats en termes d’acceptation et de bonne gestion de ces pathologies sont fonction de
l’efficacité de l’approche méthodologique adoptée par les thérapeutes dans le cadre d’une
éducation thérapeutique adaptée. Au vu du nombre de porteurs de cette pathologie
respiratoire (environ 3,5 millions en France suivant l’Institut de recherche et
documentation en économie de la santé - IRDES, 2011), 16% chez les 10/11 ans et 14,1%
chez les collégiens de Guadeloupe, cible de notre recherche, il convient, sans renier les
approches méthodologiques éprouvées, de proposer une nouvelle approche, un nouveau
canal pour irriguer ce champ de la santé que représente l’éducation thérapeutique du
patient auprès de cette sous-population.

Compte tenu du contexte de notre étude et du choix de notre population (les adolescents
asthmatiques au collège), le choix de la langue créole ainsi que de la méthode de
présentation des éléments-clés du programme sous forme de mnémotechnique à ce public
particulier, nous a semblé pertinent. Il s’agit de tendre vers un maximum de réussite dans
un minimum de temps et/ou d’énergie chez une population particulière, majoritairement
bilingue, « réputée difficile »225. C’est justement à ce manque que répond notre travail.
Mais éduquer, c’est d’abord écouter et parler.

Cette évidence mérite que l’on s’y attarde. En dehors du choix du locuteur d’utiliser tel
code linguistique par rapport à tel autre, pour exprimer sa souffrance et ses attentes, se

225
Reportage lycée climatique et sportif de Font-Romeu (Pyrénées-Orientales), Marjolaine BILLEBAULT,
juin 2011.

184
pose à nous d’emblée la question suivante : qu’est-ce que parler et à quoi cela sert-il ?
Pour les travailleurs sociaux que nous sommes, que représente l’acte de parler ?

Qu’en est-il du phénomène de « transfert » dans cette pratique qu’est la relation


d’entretien et qui représente « le cœur du travail social »226 ? A titre d’exemple, nous
citerons la prévention du tabagisme qui demeure essentielle chez le jeune adolescent,
puisque c’est souvent à cette période qu’il fume sa première cigarette. Tabagisme actif,
tabagisme passif, les deux sont nocifs. Les enfants exposés au tabagisme, même passif,
ont souvent un asthme plus sévère (M. Eisner, 2005 ; Maritta S. Jaakkola et al., 2004 ; P.
Duroux, 2006). A l’inverse, l’arrêt du tabac s’accompagne d’une nette amélioration de
l’asthme ! La loi Evin précise, pour les établissements scolaires, que les lieux fréquentés
par les élèves doivent être non fumeurs, et même les espaces aérés. Un chef
d’établissement ne peut donc autoriser les élèves et les professeurs à fumer dans la cour
de récréation. Il est cependant difficile de se plier à la règle. Se soigner, c’est à la fois
respecter des mesures d’hygiène et prendre son traitement de fond. Or, les adolescents
sont à la recherche de leur autonomie et n’aiment pas se singulariser vis-à-vis de leur
groupe. Le risque est un déni de leur maladie et un refus de se soigner correctement.
Certains se sentent gênés d’utiliser en public leur aérosol-doseur. Par ailleurs, de
nombreux enfants asthmatiques jugent les inhalateurs difficiles à utiliser et la technique
d'utilisation est dans certains cas mal maîtrisée, ce qui justifie la nécessité de l’éducation
du patient. Ces difficultés peuvent compromettre l'observance du traitement : 58 %
d’entre eux respectent la dose de corticoïdes inhalés (Lamouroux, A., Magnan, A.,
Vervloet, D., 2008). Les heures prévues des prises, quant à elles, seraient respectées dans
seulement 32 % des cas. Le rôle de l’ETP, à cet âge, n’est pas seulement d’expliquer la
maladie mais bien de faire en sorte que l’adolescent soit conscient de la nécessité de se
soigner pour éviter cette singularisation.

4.2.2 Le sens de la parole en éducation thérapeutique du patient

Dans ses nombreuses conférences sur l’acte de parler, J. Lacan a souvent pris position
pour expliquer le sens de la parole et de l’écoute active en psychanalyse, en précisant :

226
En hommage au poète Jean Tardieu (Ce que parler veut dire ou le patois des familles) et au sociologue
Pierre Bourdieu (Ce que parler veut dire : l’économie des échanges linguistiques). Le poète fait pétiller les
ressources de la langue, dit-il, tandis que le sociologue situe les enjeux de l’interlocution en fonction des
places symboliques de pouvoir. Article, J. Rouzel, Fes, Montpellier, janvier 2011.

185
« Il n’est pas de parole sans réponse, même si elle ne rencontre que le silence
pourvu qu’elle ait un auditeur. »227

J. Rouzel, dans son article « Ce que parler veut dire », fixe les règles inhérentes à la
formation sur les « techniques d’entretien ». L’entretien, dit-il, met en jeu non seulement
les ressources et les lois de la parole, mais aussi le lien social, au sens où il ne saurait y
avoir d’échange humain sans transfert. Tenir compte de ces évidences exige d’en faire
l’épreuve, ce qui l’emporte sur toute accumulation de savoir. En effet, le travailleur social
en formation, initiale ou continue, qui entend se former aux « techniques d’entretien », ne
saurait s’y préparer sans l’expérimenter lui-même. Et, en citant le poète Antonio
Machado, il conclut par : « Le chemin se fait en marchant. »

Notre postulat de départ prévoit, dans un premier temps, une fonction sociale et
identifiable du créole au sein des situations de communication dans les pratiques médico-
éducatives. Chaque langue est envisagée dans ce travail comme un système de
représentations qui organise les données de l’expérience, de la pensée et du réel de
manière particulière. Elle nous présente le monde selon ses structurations et, de ce fait,
influence nos représentations, nos mentalités (Houdebine-Gravaux, 1989). La langue
française et la langue créole, ayant deux codes linguistiques différents (Chaudenson,
1992 ; Massina et coll., 2000 ; Fioux et Marimatou, 2001), constituent donc, à ce titre,
deux systèmes de représentations distincts. Dans un second temps, nous supposerons que
le fait de faire varier la langue ne sera pas sans effet sur les apprentissages médicaux
éducatifs, auprès d’une population bilingue. Un impact spécifique de chaque code
pourrait se situer au niveau de la compréhension des consignes, notamment en matière de
plan d’action personnalisé. On entend ici, par plan d’action personnalisé, l’ensemble des
consignes et recommandations formulées par le thérapeute dans la relation éducative et
qui a pour objectif de conduire le patient à l’autogestion de sa maladie, mais aussi, à
l’élaboration de représentations mentales et à l’utilisation de connaissances antérieures,
sur le plan de l’exécution motrice des gestes et techniques en rapport avec les techniques
d’inhalation. La plupart des traitements prescrits dans l’asthme sont des traitements
inhalés, et l’absence de maîtrise de ces techniques constitue une erreur majeure en
matière d’efficacité de ces traitements. Les effets de langues seraient variables en

227
Fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse. Rapport du Congrès de Rome tenu à
l’Istituto di Psicologia della Universitá di Roma les 26 et 27 septembre 1953 par Jacques Lacan, paru
dans La psychanalyse, n° 1, 1956, Sur la parole et le langage, pages 81-166.

186
fonction des individus, des compétences linguistiques, de l’âge d’acquisition ou des
modalités d’apprentissage des langues, mais aussi en fonction de facteurs linguistiques,
sociaux, psychologiques, culturels ou encore cognitifs.

Nous prendrons en considération, tout au long de ce travail, l’origine sociale (Benoist,


1972 ; Bébel-Gisler, 1985), le sexe (Labelle-Robillard, 1972 ; Fauquenoy St-Jacques,
1988), l’âge (March, 1996 ; Romani, 1994) et l’environnement rural ou urbain (Giraud,
Gani et Manesse, 1992) en tant que variables susceptibles d’expliquer la disparité
constatée au niveau de l'emploi du créole en Guadeloupe dans la relation médico-
éducative, autant du côté des professionnels de santé, pour lesquels nous avons évalué la
pratique au regard des recommandations de bonnes pratiques, que de celui des patients
dans le cadre de nos expérimentations. Les personnes issues de milieux défavorisés, les
garçons, les adolescents et les adultes, ainsi que les gens de la campagne, reçoivent et
émettent plus de créole que les individus de milieux favorisés, les filles, les jeunes
enfants et les citadins. Dès lors, l’influence de chaque code sur les apprentissages
d’individus bilingues serait dépendante de multiples facteurs que nous essaierons
d’identifier et d’expliquer.

Ainsi, notre postulat de départ envisage, d’une part, une utilisation spécifique des deux
langues au cours des pratiques médico-éducatives en Guadeloupe et, d’autre part, un
impact différent de chaque code sur les processus psychologiques mis en jeu dans ces
apprentissages selon les caractéristiques sociolinguistiques et individuelles des
apprenants. Mais avant toute chose, il nous paraît essentiel de bien cerner l’acte de parler.

4.2.2.1 En quoi consiste véritablement l’action de parler ?

Selon J. Rouzell (2011), pour « tout être humain dans la pratique du parler, que ce soit
dans sa vie privée ou professionnelle, toutes les paroles échangées sont affectées de
malentendus, d’équivoques »228. L’auteur écrit que de la psychanalyse à la linguistique de
Saussure en passant par Jakobson, le langage chez les humains est un espace de
représentations, représentation d’une absence.

Selon la formule de Lacan (1975) : « Le signifiant représente un sujet pour un autre


signifiant, autrement dit, le sujet de la parole que chacun de nous est, n’apparaît jamais

228
Ce que parler veut dire, Article, titre en hommage à J. Tardieu et P. Bourdieu. J. Rouzel, Fes,
Montpellier, janvier 2011, p. 2.

187
que représenté. » « Parler nous coupe donc en deux : d’un côté le signifiant, une parole
et de l’autre un sujet qui reste dans l’ombre, une énigme vivante. » 229 Il illustre ses
propos par la formule suivante : « Un patient présente au professionnel qui le reçoit un
corps douloureux, simultanément, il développe un discours en rapport avec ses
conditions de vie ; la douleur du corps, cause ou conséquence de celle de l’esprit qui,
elle, est demeurée en silence ? » (Lacan, 1975) 230 . « Le sujet se divise en deux par
l’opération de la parole », dit Lacan. « L’être humain tel que le biologiste L. Bolk231 le
définit dans son enseignement de la “néoténie”, ne naît pas fini, il est incomplet. »
« C’est cette incomplétude qu’impriment dans le corps du petit homme les lois du
langage, nous dit J. Rouzel, ce qui fait de l’être parlant un être fabriqué à partir d’un
manque structural. »232 Cette matière sonore que nous échangeons à longueur de temps
offre quelques caractéristiques sur lesquelles il nous paraît essentiel que le travailleur
social ait acquis un minimum de connaissances. Tout d’abord, nous dit J. Rouzel en citant
Ferdinand de Saussure : « La parole est frappée d’équivoque, alors que le langage
animal est univoque, un signal, qu’il soit olfactif, sonore ou gestuel est univoque, renvoie
pour un congénère à un message unique. A contrario, dans le langage humain, le
signifiant renvoie toujours à une pluralité de signifiés. A l’image du signifiant : Pierre ?
Que peut-il représenter ? Un caillou ? Un prénom ? Rentre-t-il dans une formule
mathématique ? (PiR) Renvoie-t-il à un sens sous-jacent ? La pie erre ? » 233 A
l’opposition de la langue créole et du français, le mot « avocat » évoque-t-il un fruit
comestible, bien connu aux Antilles, ou un homme de droit ? Et celui de « case » ? Est-ce
un espace à cocher ou une habitation ? On pourrait ainsi en énumérer à l’infini, des mots
qui, suivant l’appartenance ethnique, la culture du sujet, le lieu géographique, procèdent
d’un sens différent, d’une signification différente. Partant de ce constat, et afin de
déterminer le registre discursif dominant de nos sujets, au préalable de notre expérience,
nous avons soumis notre population cible à un test de capacité d’imagerie en choisissant

229
Expression présente dans de nombreux écrits de J. Lacan, notamment, Le Séminaire XX, Encore, Le
Seuil, 1975, p. 129.
230
Conférence donnée par J. Lacan dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne le 16 juin 1975, à
l’ouverture du symposium international James Joyce. Cette formule célèbre de Lacan retrace bien sa pensée
sur la complexité du malade exposant sa souffrance au thérapeute.
231
L. Bolk (1866-1930), anatomiste et biologiste néerlandais, établit une théorie sur la foetalisation et
l’immaturité inhérente à l’espèce humaine (la néoténie). Des psychanalystes, tel J. Lacan, se sont souvent
servis de cette théorie pour étayer leur discours.
232
Rouzel Joseph, « “Ce que parler veut dire” », Le sociographe 1/2012 (n° 37), p. 53-62,
URL : www.cairn.info/revue-le-sociographe-2012-1-page-53.htm. DOI : 10.3917/graph.037.0053.
233
Ibid., p. 3.

188
une liste de mots ayant des sens différents en français et en créole ; aucun mot n’ayant un
sens unique véritablement. Il y a donc, dans toute parole émise, ignorée ou non du
parleur, volontaire ou involontaire, à la fois du manifeste et du latent ; on ne sait pas
toujours ce qu’on dit et bien entendu, on ne peut en mesurer toutes les conséquences.
Cette dimension de représentation d’un sujet, à travers l’équivoque de son langage, est
essentielle dans le travail social d’une manière générale, et dans l’entretien en éducation
thérapeutique en particulier. Au-delà des énoncés, le sujet qui s’exprime dans la peau de
l’usager nous laisse entendre ce qu’il vit, ce qu’il ressent, ce qu’il éprouve ; encore faut-il
que sa parole émise soit perçue et comprise à son juste sens.

4.2.2.2 De la langue au fait social

Dans son ouvrage Ce que parler veut dire, l’économie des échanges linguistiques,
consacré aux rapports entre la linguistique et la sociologie, P. Bourdieu se demandait
alors « s’il était permis à un sociologue de se mêler de linguistique ». La réponse qu’il
donnait à cette question, écrit Y. Chudzinska234, n’a pas varié aujourd’hui. C’est toujours
« parce que la linguistique est une discipline souveraine, qu’elle exerce son emprise sur
l’ensemble des sciences sociales et que la sociologie n’échappe pas à cette domination,
que le sociologue s’autorise à soumettre la linguistique saussurienne à la critique
sociologique »235. Il s’agissait pour le sociologue d’étudier les effets sociologiques que
produisaient les concepts de langue et de parole, de compétence et de performance
lorsqu’ils s’appliquent au terrain et hors du terrain du discours. En critiquant ce qui fonde
la linguistique, sa souveraineté même, où Saussure sépare la linguistique interne de la
linguistique externe, W. Doroszewski écrit, en citant Durkheim : « La linguistique a pour
unique et véritable objet la langue envisagée pour elle-même et en elle-même » ; en
excluant au passage « le caractère interne de la linguistique », la nature sociale de la
langue. Mais, la nature sociale de la langue est ici conçue comme un fait social236. II est
évident que la langue, qui sert à plus d'un individu, a par là même un caractère nettement
et éminemment social. Mais que serait la vraie définition du sens utilisé ici, qualifié de

234
Chudzińska Yasmine, « A propos de ce que parler veut dire. », Etudes de communication, 2/1983, A30-
A37, p. 155.
235
Chudzińska Yasmine, Pierre Bourdieu, « Ce que parler veut dire. L'économie des échanges
linguistiques ». In : Mots, octobre 1983, N°7. « Cadrage des sujets et dérive des mots dans l'enchaînement
de l'énoncé », pp. 155-161.
236
W. Doroszewski : « Quelques remarques sur les rapports de la sociologie et de la linguistique :
Durkheim et F. de Saussure », Journal de psychologie normale et pathologique, 1933, n° 1-4, p. 82-91.

189
sens durkheimien ? II s'agit surtout d'analyser le « fait social » qui sert de qualificatif à la
« langue », et qui occupe la place centrale dans la doctrine de Durkheim. Cité par
Doreszewski, Durkheim écrivait que « la psychologie collective, c'est la sociologie tout
entière » 237 . Il est donc manifeste que la sociologie de Durkheim conservait avec la
psychologie des rapports intimes, voire indissolubles, et ceci, en raison du caractère de
certaines définitions initiales.

Puisque la vie collective est faite de représentations, c'est l'analyse des représentations qui
conduira le sociologue à la constitution du « fait social » devant servir de base et de point
d'appui à toutes ses recherches. Parmi les représentations, Durkheim distinguait deux
catégories fondamentales. L'une est constituée par les représentations qui ont pour
substrat les consciences particulières des membres du groupe social : ce sont les
« représentations individuelles », opposées par Durkheim aux « représentations
collectives ». Voici ce que constatait Durkheim, en rapport avec la première de ces deux
238
catégories (cité par W. Doroszewski). Les psychologues Huxley et Maudsley
considéraient « que la vie psychique de l'homme n'est qu'un “épiphénomène”
accompagnant les modifications d'intensité et de qualité que subit incessamment la
matière nerveuse ». Durkheim s'élevait avec force contre cet « épiphénoménisme » qui
aboutit, selon lui, « à la négation de l'existence de la vie psychique proprement dite »239.
Si les représentations n'existaient qu'en fonction des modifications physiologiques des
cellules cérébrales, nous dit-il, elles ne seraient rien par elles-mêmes. Et pourtant,
soutient Durkheim, « notre vie psychique ne s'anéantit pas à mesure qu'elle s'écoule »240,
« il y a une mémoire proprement mentale qui assure l'existence, en quelque sorte
autonome des représentations ». « Les représentations sont indépendantes des cellules
d'un cerveau particulier, à preuve qu'elles peuvent réapparaître à la surface de la
conscience après en avoir été absentes pendant un certain temps. » Si le phénomène

237
Durkheim E., article « Représentations individuelles et représentations collectives », 1924, p. 47.
Ibid., p. 13.
238
La conception psychologique de Huxley et de Maudsley, qui réduit la conscience à n'être qu'un
épiphénomène de la vie physique, ne compte plus guère de défenseurs ; ils considéraient que la conscience
est un simple reflet des processus cérébraux sous-jacents, une lueur qui les accompagne, mais ne les
constitue pas. Mais une lueur n'est pas un néant, répond E. Durkheim, « c'est une réalité et qui atteste sa
présence par des effets spéciaux ». Emile Durkheim, « Représentations individuelles et représentations
collectives », Les cahiers de psychologie politique (en ligne), numéro 8, janvier 2006. Chapitre 1.
239
Durkheim E., Sociologie et philosophie, Paris, Alcan, 1924, p. 13.
240
Durkheim E., Sociologie et philosophie, Paris, Alcan, 1924, article « Représentations individuelles et
représentations collectives », p. 48. R.E. Lacombe, La méthode sociologique de Durkheim, Etude critique,
Paris, 1926, p. 16.

190
du « ressouvenir » peut se produire, c'est que les représentations, durant le temps où elles
n'étaient pas présentes à la conscience de l'individu, ont mené une existence indépendante
des cellules cérébrales dans lesquelles elles ne peuvent être localisées. « Indépendante »
veut dire « extérieure » aux cellules, et ainsi, on est amené à constater que les
représentations « individuelles » ont ce trait fondamental d'être indépendantes des
cellules d'un cerveau particulier et d'être extérieures à ces cellules. Après avoir caractérisé
les représentations « individuelles », Durkheim fait cette comparaison, cette analogie, qui
le transportent d'un coup dans le domaine des « faits sociaux » : « De même que les
représentations “individuelles” sont extérieures aux cellules d'un cerveau particulier, de
même certaines représentations sont extérieures aux cerveaux de tous les membres d'un
groupe social. »241 C'est cette deuxième catégorie de représentations qui intéresse surtout
le sociologue. Ce sont les représentations « collectives » qui constituent les « faits
sociaux » par excellence. Elles sont foncièrement différentes des représentations
individuelles et ne peuvent être en quelque manière comparables à celles-ci. Les
représentations collectives sont « d'une autre nature » que les représentations
individuelles, et l'analyse de ces dernières ne nous est utile qu'en tant qu'elle nous aide à
comprendre de quelle manière les faits sociaux sont extérieurs aux individus. Il nous
apparaît important, à ce stade de notre étude, d’explorer l’aspect des représentations des
individus composant cette communauté créole ; mais avant toute chose, il serait légitime
en effet de définir le concept des représentations selon plusieurs auteurs.

4.2.2.3 Les représentations sociales

Pour Abric (1987) et Jodelet (1989) : « La représentation sociale est le produit d’une
activité mentale par laquelle un individu ou un groupe reconstitue le réel auquel il est
confronté et lui attribue une signification spécifique. Les représentations sociales sont
des systèmes d’interprétation régissant notre relation au monde et aux autres qui
orientent et organisent les conduites et les communications sociales. » 242 « C'est une
forme de connaissance, socialement élaborée et partagée, ayant une visée pratique et
concourant à la construction d'une réalité commune à un ensemble social. Egalement
désignée comme “savoir de sens commun” ou encore “savoir naïf.” » 243 Le concept

241
Ibid., p. 2.
242
Abric. J.-.C., Coopération, compétition et représentations sociales, Del.val : Cousset-Fribourg, 1987, p.
64.
243
Jodelet Denise, Les représentations sociales, Paris, PUF, 1994, p. 36.

191
durkheimien (1898) abandonne la notion de représentation collective pour s’intéresser
aux représentations sociales en cherchant en quoi la production intellectuelle des groupes
sociaux joue un rôle dans la pratique sociale. Les problèmes d’ordre sociologique dans
une société donnée, pourraient s’expliquer en examinant ses représentations sociales. Plus
qu’un simple groupe d’individus, une société serait une entité originale générant ces
représentations aux moyens de règles sociales et morales, imposant aux individus qui la
composent leurs manières d’être, de penser et de faire. La pensée durkheimienne admet
une prédominance des éléments sociaux, donc collectifs, sur l’individuel. Pour Moscovici
(1961, cité par Sein, 1889, p. 243) : « Il s’agirait avant tout de savoirs naturels
développés au sein d’un groupe social, voués à organiser les conduites, les attitudes et
les comportements de ses membres ainsi que les communications qui les justifient. » Dans
son ouvrage intitulé La psychanalyse, son image et son public, S. Moscovici écrit que
« la représentation sociale serait construction mentale de l’objet du réel ». « Un système
de valeurs, des idées et des pratiques dont la vocation est d’établir un ordre qui
permettra aux individus de s’orienter et de maîtriser leur environnement matériel, de
faciliter la communication entre les membres d’une communauté en leur procurant un
code pour désigner et classifier les différents aspects de leur monde et de leur histoire
individuelle ou de groupe. » Dans sa théorie des représentations sociales, il postule
l’existence de liens étroits entre les images et les croyances collectives : « Dans le réel, la
structure de chaque représentation nous apparaît dédoublée, elle a deux faces aussi peu
dissociables que le sont le recto et le verso d’une feuille de papier : la face figurative et
la face symbolique. Nous écrivons que : Représentation = Figure/signification, entendant
par là qu’elle fait correspondre à toute figure un sens et à tout sens une figure. »244 En
faisant référence à la théorie élaborée par Moscovici, J.-C. Abric écrit qu’on appelle
représentations, « les produits et les processus d’une activité mentale par laquelle un
individu ou un groupe reconstitue le réel auquel il est confronté et lui attribue une
signification spécifique ». Pour Erwin Charlier (1989) : « Si la représentation est avant
tout une élaboration personnelle, elle puise ses sources dans le social et le quotidien. La
représentation découle de la pratique sociale, puisqu’elle se constitue à travers
l’expérience qui a permis la mise en place du système cognitif qui l’a produite et prend

244
S. Moscovici, La psychanalyse, son image et son public. Paris : Presses Universitaires de France. 1961,
(2e édition, 1976), cité par P. Moliner, « Représentations sociales et iconographie », Communication et
organisation, 34/2008, 12-23.

192
forme grâce aux codes verbaux ou non verbaux dont l’origine est aussi sociale. » En
examinant tous ces concepts qui décryptent les représentations sociales d’une manière
générale, se pose à nous la question du fondement de l’inobservance des traitements
médicamenteux prescrits par les médecins dans le cas de maladies chroniques des
membres de cette société particulière qu’est la société créole, société orale par excellence.
Nous avons le sentiment, à ce stade de notre exposé, de toucher le cœur du problème, qui
à notre avis repose sur des incompréhensions, des malentendus, des interprétations
différentes souvent, entre les thérapeutes et les malades. N’est-ce pas là le cœur de notre
réflexion ? Notre problématique expose une perte de qualité de vie des patients porteurs
de maladies chroniques dans une société socialement malmenée. L’expression du social
dans la langue vernaculaire des usagers, se manifestant dans la désignation des ressentis
et dans la caractérisation de la maladie chronique à l’exemple de « lopwésion », nom
créole de l’asthme, nous conforte dans cette thèse.

4.2.3 Expression des représentations du patient au cours de la consultation

Afin d’approfondir notre compréhension de la genèse de ce malentendu supposé entre le


patient porteur de cette pathologie chronique et son thérapeute, nous avons souhaité
savoir comment cet aspect de la langue était pris en compte par ce dernier au cours de la
consultation. Nous avons donc effectué une enquête de terrain afin de déterminer le
pourcentage de médecins susceptibles d’utiliser la langue créole au cours de leur
consultation, le pourcentage de ceux qui l’utilisent réellement, mais aussi la réalité en
termes de respect des recommandations de bonnes pratiques dans la prise en charge de
cette pathologie, notamment en ce qui concerne l’orientation des patients en éducation
thérapeutique du patient, quand ils ne sont pas en mesure d’initier eux-mêmes la
démarche. L’utilisation de métaphores et paraboles par le patient pour désigner sa
maladie, aux Antilles d’une manière générale et en Guadeloupe plus singulièrement, en
langue créole de surcroît, décourage plus d’un thérapeute qui ne maîtrise pas cette culture
et ces représentations.

N’est-ce pas là précisément la source des incompréhensions ? Les détours de la parole et


les euphémismes empruntés pour signifier et renforcer des vérités faisaient de la parole
des esclaves déjà une parole détournée, énigmatique, qui changeait le sens des mots et
expressions en leur attribuant des sens moqueurs, ironiques et incompréhensibles pour
des non-initiés. Leur parole teintée de métaphores trouve son prolongement dans cette

193
réalité. Tous les auteurs antillais transcrivent l’éloquence traditionnelle des paysans,
fermiers, agriculteurs, pêcheurs, conteurs, sorciers, toutes ces couches humaines qui
composent ou qui ont composé les sociétés antillaises. Ils mentionnent, dans la structure
des textes, des images orales sous forme d’associations inattendues de mots, d’analogies
qui peuvent surprendre les non-initiés et qui laissent entrevoir un sens mystérieux des
expressions créoles. La langue créole de départ, langue métaphorique, ne porte pas en elle
les mêmes moyens expressifs de la langue d’arrivée qu’est le français, nous enseigne E.
Glissant (1997). L’utilisation des métaphores et autres proverbes pour désigner la maladie
ainsi que ses symptômes, relève d’une haute stratégie linguistique, élaborée depuis
l’origine de cette société par les premiers arrivants africains venus d’horizons divers. « Il
fallait cohabiter sur ces territoires entre ethnies différentes, organiser ensemble l’espace
pour l’intérêt du plus grand nombre. Autant de défis dont on n’a pas aujourd’hui
conscience et que les esclaves devaient relever au quotidien. » « Qu’à l’intérieur d’une
même race, l’ethnie majoritaire devait gérer les origines multiples de ses membres, chose
pas facile quand on n’a pas les mêmes pratiques culinaires, rituelles, etc. » 245 , nous
rappelle M. Bélaise (2006) dans son ouvrage Le discours éthique de la langue
proverbiale créole246. En réplique à ses détracteurs l’accusant de défendre ces nègres, V.
Schoelcher fit remarquer que « les nègres tout stupides qu’on les dise font grand cas de
l’esprit dans leurs conversations, en utilisant ces formes de langages ». A cet effet, le
linguiste J.-C. Ascombe, dans Langages (n° 139, 2000, p. 3), nous dit que « les
métaphores font bien partie de la langue en tant que système et non en tant que
manifestations d’un quelconque folklore marginal ». Il est intéressant pour nous de les
considérer dans notre quête d’efficience en éducation à la santé, et même de les utiliser.

Ces indices verbaux nous orientent vers un acquis langagier personnel, intrinsèque,
originellement présent, quelquefois caché, puisque le sujet, suivant son appartenance
sociale, l’utilise ou non pour s’exprimer. Le travailleur social se doit de tenir compte de
ce particularisme et de se l’approprier pour mieux appréhender le registre discursif de son
locuteur. En réalité, la survivance des pratiques ancestrales, telles que la médecine par les

245
M. Bélaise, 2006, Le discours éthique de la langue proverbiale créole, p. 29.
246
« L’on compte dans les îles, jusqu’à treize nations différentes de ces infidèles qui parlent toutes de
différentes langues. » D’où l’utilisation de ces phrases génériques, proverbes et autres métaphores pour
mieux se comprendre. Témoignage de jésuite dans : Nos Antilles, 1935, p. 335, cité par M. Bélaise, Le
discours éthique de la langue proverbiale créole, p. 2.

194
plantes, le recours au « gadedzafè »247, les pratiques et autres rites symboliques utilisés
avant l’accouchement, ou tout autre événement marquant, comme « les bains
démarrés » 248 , avant les concours et examens, sont le reflet de la persistance de ces
pratiques ancestrales et représentent une certaine manière d’être au monde qui caractérise
cette population.

Nous ne pouvons considérer ces différents concepts sans tenir compte du fait qu’ils
appartiennent à la culture dont le sujet est issu, faisant appel à des histoires de vie
personnelle. C’est en effet à partir des thèses anthropologiques que sont posées de
manière rationnelle, mais à des fins scientifiques, les problématiques relatives à la culture
et à sa définition anthropologique. Les recherches contemporaines de la notion de culture
sont issues de cette base théorique qui rend possible la volonté d’établir un savoir des
peuples. Il est entendu que les divergences d’approches et de points de vue vont
s’exprimer à partir de l’angle d’observation de l’objet d’étude. Les pays et les peuples
colonisés sont les sources de documentation privilégiée de l’anthropologie sociale et
culturelle, car diffusionniste ou structuraliste, elle prône une définition de la culture prise
in situ, et pour elle-même, dans l’intérêt évident du chercheur. Dans Les structures
élémentaires de la parenté, l’anthropologie structurale de Claude Lévi-Strauss apporte
une contribution à la compréhension et à l’aboutissement des analyses dont l’objectif est
de produire une approche rigoureusement formalisée de productions culturelles et
symboliques des représentations des sociétés. Les théories en présence que connaissent
les sciences sociales sont en fait le reflet de ces divergences d’angles de vue, engendrant
les premières critiques de ce type d’approche anthropologique venant tout
particulièrement de spécialistes de la discipline voisine qu’est la sociologie.

Déjà, dans Les règles de la méthode sociologique, Emile Durkheim 249 insistait sur la
possibilité de réaliser une analyse scientifique sur des objets qui relèvent de la
construction historique et des représentations, en rupture avec les considérations
théoriques qui ne puisent pas dans la réalité sociale. Il précisait que « le social doit
s’expliquer par le social ». Au regard de tous les travaux menés en sociologie, cette

247
« Gadedzafè », appellation de tradipraticien, quimboiseurs et autres « séanciers », susceptibles, selon les
croyances populaires, de dire l’avenir, de conduire à la réussite et au dénouement des situations
inextricables.
248
Bains de feuillages pratiqués avant un événement important de la vie personnelle, comme un
accouchement, ou social, comme le Nouvel An, pour se défaire des malheurs passés.
249
E. Durkheim, Les règles de la méthode sociologique, Ed. PUF, Paris, 1900, p. 64.

195
affirmation résonne comme un appel à une analyse qui doit prendre en considération la
dynamique historique et socio-économique d’une société afin de rendre compte de telle
ou telle forme d’expression culturelle, politique ou symbolique.

Une des théories marquantes et contestataires est bien celle de P. Bourdieu, qui propose
de parler de « stratégies matrimoniales » plutôt que de « règles de parenté ». Les
différents travaux d’anthropologie et de sociologie de la culture populaire menés en
France, d’une manière générale, nous permettront de mieux appréhender les concepts
théoriques qui s’y sont développés. L’approche anthropologique de la culture et la prise
en compte des notions de comportements et de représentations apportent un éclairage
nouveau dans ce domaine. Cela a pour finalité de permettre au chercheur d’appréhender
les peuples non occidentaux en fonction de leurs pratiques et de leurs manières de penser
et de se comporter. Ainsi, l’anthropologie de la culture ouvre des perspectives en termes
d’analyses des pratiques populaires, mais reste tout de même dépendante des prémices de
la discipline qui isole les productions culturelles de la stratégie des effecteurs et des
contraintes socio-historiques qui les sous-tendent, point d’achoppement principal entre
les théories anthropologiques et sociologiques. Exposer l’abord du problème culturel par
la sociologie, c’est distinguer trois paradigmes de l’analyse de la culture et plus
précisément de la culture populaire.

Là où l’anthropologie, à travers Michel Isard et Pierre Smith, parle de « fonction


symbolique » pour saisir et analyser les activités humaines, la sociologie, quant à elle,
privilégie les rapports sociaux et l’analyse des groupes sociaux à travers les notions de
vie sociale, de sociabilité et de socialité. Dans La distinction, critique sociale du
jugement, P. Bourdieu 250 développe une analyse de la culture en fonction des rapports
sociaux qui définissent les comportements et les représentations des individus
appartenant à cette culture, et met en évidence une logique qui instaure un rapport de
force entre les classes supérieures et des classes dominées (classes moyennes et classes
populaires). Il est fait état ici, par l’auteur, des notions de « capitaux » (capital
économique, culturel, social) ; ces différents capitaux dépendent eux-mêmes de la place
qu’occupe l’individu dans l’espace social qui, lui-même, est défini par des champs
économiques de pouvoir et a sa trajectoire sociale. L’auteur nuance toutefois sa théorie

250
Bourdieu Pierre, « La distinction, critique sociale du jugement », Revue française de sociologie, 1980,
vol. 21, n° 3, pp. 444-448.

196
par des sous-secteurs qui caractérisent et déterminent chaque espèce de capital, mais aussi
selon l’appartenance.

Ainsi, il peut faire référence à la fraction dominée de la classe supérieure, de la petite


bourgeoisie en ascension... La part essentielle de cette théorie développée par Bourdieu
repose sur l’importance du volume de capital économique qui confère une position
stratégique au niveau des champs de pouvoir. En traitant de la question du goût, l’auteur
démontre que celui-ci est socialement déterminé et explique comment l’appartenance
sociale détermine un style de vie par l’intermédiaire d’un « habitus ». Théorie qui, soit dit
en passant, est critiquée par des sociologues contemporains tel A. Parienty.

Notre but n’est pas de participer aux débats mais bien de faire un inventaire des concepts
qui ont nourri cette approche.

Notre problématique sera donc d’explorer l’impact de cette culture originelle, acquise par
la société guadeloupéenne créolophone, issue d’une population d’esclaves venue
d’Afrique, d’une part, mais aussi d’immigrés venus d’Asie, d’autre part, afin de comparer
les représentations de ces appartenances aux représentations issues de la culture
occidentale. L’objectif de ce travail comparatif est de montrer que l’utilisation de la
langue originelle du locuteur, que ce soit pour exprimer sa souffrance ou pour accéder à
la connaissance, a pour lui du sens et participe par une meilleure résonance au discours,
une meilleure compréhension des messages, une meilleure attention, une meilleure
restitution, de meilleures acquisitions. Tout ceci conduit à une organisation de la pensée
liée à une différence entre l’ensemble des représentations sociales et des lois qui
expliquent que tel comportement ou tel discours est significatif selon la pensée
symbolique de chacun.

Il nous apparaît important d’explorer, à ce stade de notre étude, l’aspect des


représentations des individus composant cette communauté créole ; mais avant toute
chose, il serait légitime en effet de définir le concept des représentations selon plusieurs
auteurs. Déjà, en 1898, Emile Durkheim exprimait le caractère spécifique de la pensée
collective par rapport à la pensée individuelle. Il affirmait ainsi que les représentations
collectives sont l’un des moyens par lesquels s’affirme la primauté du social sur
l’individu. Selon S. Moscovici, dans son ouvrage intitulé La psychanalyse, son image et
son public, de 1961, la représentation sociale est une construction mentale de l’objet du
réel. Elle constitue l’un des instruments par lesquels l’individu ou le groupe appréhende

197
son environnement. En faisant référence à la théorie élaborée par Moscovici, J.-C. Abric
explique qu’on appelle représentations, « les produits et les processus d’une activité
mentale par laquelle un individu ou un groupe reconstitue le réel auquel il est confronté
et lui attribue une signification spécifique » 251 . Explorer les fondements des codes
linguistiques en présence dans cette société créole, dans leur nouvel agencement, porteur
d’usages anciens, impose ainsi des modifications du système dans lequel ils s’intègrent.

Dans son ouvrage Le prochain et le lointain, R. Bastide conforte cette théorie en


précisant que l’usage ou le sens ancien finit par l’emporter sur la catégorie de pensée
empruntrice, tout en précisant qu’il devrait être possible cependant d’établir une
typologie de ces transformations qui, à côté des lois générales et de celles des
manipulations, mettraient en évidence des lois spécifiques dictées par la diversité. Dans
certaines situations, certains rapports sociaux bien spécifiques, on constaterait le maintien
de catégories de pensées africaines que les éléments empruntés viendraient « rapiécer »,
pour utiliser le même terme que Bastide, alors que dans d’autres, il y aurait émergence de
nouvelles cosmogonies 252 . Partant de situations sociales ayant un rapport à la langue
vernaculaire et à son rôle dans l’expression des ressentis des malades et la caractérisation
de la maladie chronique, à l’exemple de lopwésion, nom créole de l’asthme, notre projet
de recherche se positionne donc dans des cadres conceptuels distincts et
complémentaires.

Le premier nous a permis d’aborder et de définir la notion de culture d’une manière


générale sur le plan socio-anthropologique et, de manière plus spécifique, d’aborder les
problématiques théoriques dans lesquelles les différents travaux sur les formes et les
pratiques culturelles aux Antilles françaises ont été traités. Le deuxième nous a conduit à
examiner la problématique générale des échanges langagiers entre les locuteurs en
présence, en étudiant la notion de créolisation et son approche par différents spécialistes.
Le caractère spécifique du vécu de la maladie à travers sa désignation, avec la manière
pour le patient de l’appréhender, nous a semblé utile à examiner. Dans cette dernière
partie de notre contexte, nous approcherons la dimension des échanges discursifs sur le
plan médico-éducatif des patients souffrant de maladies chroniques, et des rapports entre
soignants et soignés. La langue créole étant une langue métaphorique par excellence,

251
C. Abric et D. Jodelet, Les représentations sociales, Ed. Presses Universitaires, Paris, 1989, p. 64.
252
R. Bastide, « Mémoire collective et sociologie du bricolage », L’année sociologique XX, p. 65-108.

198
c’est l’occasion pour nous d’aborder également la notion philosophique de la métaphore
comme moyen d’expression de la vie et de la maladie, permettant au sujet malade de
donner un sens à l’inexplicable pour continuer à avancer. D’une manière plus générale,
l’art de bien nommer les choses, d’exprimer avec élégance des vérités, peut être considéré
comme l’apanage des sociétés orales uniquement.

Les détours de la parole et les euphémismes empruntés pour signifier et renforcer des
vérités dans la langue créole, donnent un double, voire un triple sens aux mots et
expressions quelquefois moqueurs, ironiques et incompréhensibles pour des non-initiés ;
c’est une parole teintée de métaphores253. Cela pose d’emblée la question du sens de la
maladie et de la souffrance et, très souvent, c’est au travers des palabres et de ces
métaphores qu’elles peuvent le mieux s’exprimer. Dès lors, en abordant le problème du
sens de la maladie, le patient trouve, à travers ces métaphores, un moyen d’expression
qui, ou bien le déresponsabilise, « an ka fè rimed à mèdcin » (« je fais le remède du
médecin »), auquel cas, il ne se sent pas particulièrement concerné par le médicament qui
lui est administré, ou bien lui permet de faire face à la situation, « la vie sé on komba sé
goumé kini » (« la vie est un combat »), « coq à tè sé pou bat » (« je suis prêt à me
battre »), et dans ce cas, il est disposé à prendre les bonnes mesures pour vaincre la
maladie et/ou la gérer au mieux. Cela pose à ce stade la question du « corps sujet » et du
« corps objet » : « avoir une maladie ou être malade » ? Telle est la question que se pose
T. Janssen (2008) dans son ouvrage La maladie a-t-elle un sens ?

Pour H. Migerel (2001), la notion de « corps krazé » « renvoie à la fatigue physique


mêlée à la souffrance de l’âme »254. S’agissant de la déresponsabilisation du patient face
à la maladie chronique, H. Migerel écrit : « L’histoire collective est une histoire
biopsychique ; elle laisse des traces qui marquent durablement la mémoire sociale dont
chaque individu porte les sédiments, soit lisiblement, soit obscurément. »255

4.2.3.1.1 Des métaphores dans la description d’une crise d’asthme

Voici quelques exemples de métaphores :

253
M. Bélaise, Le discours éthique de la langue proverbiale créole, p. 39.
254
H. Migerel, Mots de morne en miettes, la Guadeloupe l’âme à nu, Editions Jasor, 2001, p. 19.
255
Ibid., p. 19.

199
- An santi on chalè monté en lestomac en mwen (j’ai ressenti une chaleur monter dans ma
poitrine).

- An té pri adan on léto (j’étais comme dans un étau).

- An santi tambou an mwen ka séré (j’ai cru ma dernière heure venue).

- An té ka toufé (j’étouffais).

- An wouvè finet là pou chèché lè (j’ai ouvert la fenêtre pour chercher l’air).

Ce discours ne peut être plus explicite pour qui possède cette culture créole
métaphorique. Comme nous l’explique Z. Kövecsses, professeur de linguistique au
département des études américaines de l’université Eötvös Lorand à Budapest, « les
métaphores permettent de mettre deux concepts en relation. L’un des deux est plus
concret que l’autre, plus abstrait. Cette relation est établie afin de faire comprendre le
concept le plus abstrait dans des termes plus concrets »256.

Si les héritiers de cette tradition se félicitent de ces paroles métaphoriques dans


l’expression des ressentis des malades, ne serait-il pas judicieux pour le thérapeute
d’utiliser ces mêmes canaux linguistiques pour véhiculer son discours ? Se pose d’emblée
la question du sens de la métaphore dans ce registre particulier d’expression de la maladie
chez le patient bilingue. Elle aurait permis aux plus anciens d’élaborer une certaine
« résilience », en faisant le deuil des éléments constitutifs de leur être laissé en Afrique.
L’homme n’aurait-il pas les ressources pour surmonter les plus cruelles défaites ?
L’expression du mal-être par la métaphore en dit long sur les représentations qu’a le
malade de lui-même et de son corps. « Ainsi notre langage verbal surgit de notre pensée,
et la pensée naît dans les perceptions du corps. » (T. Jenssen, 2008)257. En décrivant les
sensations physiques accompagnant ses émotions, le discours permet au malade de faire
comprendre à l’autre la nature de ses ressentis. « An ka santi tète amwen ka pété » (« je
sens que ma tête éclate ») ; « lestomak amwen ka krié kon chat » (« ma poitrine crie
comme un chat »). A travers la réalité de l’expérience corporelle, on peut tous se
représenter des concepts abstraits d’une manière concrète, car nous comprenons tous ce
que signifie une douleur dans la poitrine, une difficulté à respirer, une lourdeur sur

256
Kövecsses Z, Métaphores and émotion, langage culture, and body in humain feeling, Cambridge
University Press, 2003, p. 4.
257
T. Janssen, 2010, « La maladie a-t-elle un sens ? », p. 179.

200
l’estomac ou une sensation de charge sur le dos. Evoquer les fonctions naturelles de nos
organes est donc un bon moyen de traduire nos sentiments, mais les évoquer dans la
langue maternelle constitue un choix hautement stratégique d’appartenance. Recevoir ce
choix de la part du thérapeute et le valider par un retour dans le même code, procède
d’une bonne réception du message et favorise la confiance si utile à l’instauration de
l’alliance thérapeutique.

Après avoir approché l’expression des représentations individuelles et sociales et leurs


traitements par divers auteurs, mais également celle de la souffrance du corps au sein de
cette culture guadeloupéenne, le plus souvent dans la langue maternelle du sujet malade,
nous nous proposons, de présenter notre recherche qui s’articule sur deux études.

La première étude porte sur l’évaluation de la vision créoliste de la maladie asthmatique


et l’annonce de son diagnostic par le médecin traitant au cours de la consultation. Dans
cette première étude, nous analysons les motivations du choix de la langue qu’utilise le
médecin pour effectuer cette annonce, son avis sur les recommandations de bonnes
pratiques, ainsi que ses attentes et remarques sur les dites recommandations.

Dans la deuxième étude, nous comparons les acquisitions des adolescents asthmatiques
ayant bénéficié d’une éducation thérapeutique en langue française versus langue créole.
Nous expliquons notre choix du sous-groupe de la population asthmatique que
représentent les collégiens adolescents ainsi que de celui du collège ISSAP de Sainte-
Anne, puis nous exposons le déroulement de notre recherche dans ses différentes phases,
son échantillonnage, sa méthodologie ainsi que ses résultats.

201
5 La question de recherche
La question principale que nous nous poserons est la suivante : quelle(s) langue(s) nous
faut-il utiliser en éducation thérapeutique en Guadeloupe et aux Antilles françaises ?
Quelles connaissances et quelles compétences peut-on attendre de cette éducation
thérapeutique délivrée en langue créole ? Les langues ont-elles un impact différent sur la
compréhension de la maladie et l’habileté des gestes dans la prise des traitements en
situation de bilinguisme ? Les investigations que nous présentons à travers ce travail de
recherche ont pour principaux objectifs d’analyser la fréquence d’utilisation des codes
linguistiques en présence au sein de cette société, dans le cadre de la relation entre
soignant et soigné, mais aussi d’étudier l’influence de la langue sur les différents
processus nécessaires à une bonne prise en charge de la maladie chronique par le patient,
le conduisant à l’amélioration de sa qualité de vie. Plus généralement, notre démarche est
d’analyser, chez des sujets bilingues français/créole, les effets de l’utilisation d’une
langue par rapport à une autre, notamment à l’annonce du diagnostic d’asthme par le
médecin traitant au cours de la consultation, mais aussi au cours des séances d’éducation
du patient sur le niveau de compréhension des mécanismes de la maladie, des cibles des
différents traitements et de leur utilité, de la maîtrise des techniques d’inhalation des
médicaments et de la mesure du souffle avec le débitmètre de pointe, de ses variations à
l’approche d’exacerbations. Nous avons cité, dans nos précédentes parties, différentes
études qui ont souligné les effets de l’utilisation du créole sur les apprentissages scolaires
de type cognitif, sur l’intégration et la réussite scolaire des élèves antillais (Clairis-
Gauthiers, 1986 ; Durizot-Jno-Baptiste, 1996). Une étude s’intéressant à la pratique des
gestes professionnels aux Antilles chez les enseignants d’EPS formés par le système
français et à leurs accommodations aux spécificités socioculturelles et linguistiques de
leurs élèves, révèle que le français est la langue de « l’utilitaire, de l’économique et de
l’information », alors que le créole serait la langue « de l’expression, de l’émotion, et de
la communication ». Aux dires des enseignants interrogés, les langues ne semblent pas
remplir les mêmes fonctions en EPS. Les auteurs identifient cinq cas où l’enseignant

202
d’EPS aux Antilles françaises peut utiliser le créole au sein de la relation éducative (Alin,
2000 ; Anciaux, 2003)258 :

- le recours à la détente par l’humour,

- la volonté de maintenir une discipline,

- la recherche d’un contact dans une atmosphère de confiance ou d’écoute,

- la compréhension d’un savoir, d’un savoir-faire,

- une action dans l’urgence.

Indéniablement, des dispositions réglementaires ont situé le créole au cœur du système


éducatif en instaurant un CAPES créole, ainsi qu’une option « langue et culture
régionale » au baccalauréat ; cependant, il reste encore dévalorisé et connoté
négativement (Dorville, 1994).

Ainsi, comme en EPS, le créole est présent au sein de la relation médico-éducative en


Guadeloupe et constitue, à travers son utilisation, un moyen puissant d’échange dans
l’explication et la compréhension de la maladie. La langue vernaculaire joue un rôle non
seulement au niveau de la confiance, mais aussi en termes d’impact sur le comportement
des apprenants. Cependant, force est de constater que nous ne disposons pas d’éléments
suffisants sur cette utilisation et d’éventuelles retombées dans ce domaine précis, d’où
l’intérêt de notre travail.

A travers une première étude clinique de type exploratoire, nous tentons d’identifier la
place de la langue créole dans la consultation médicale et le respect des recommandations
de bonnes pratiques par les médecins, mais aussi l’utilisation qui est faite de ce moyen
langagier dans le cadre de l’annonce du diagnostic d’asthme.

5.1 Hypothèse
Si la prise en charge de cette maladie est disparate en Guadeloupe, c’est que les
recommandations de bonnes pratiques édictées par les sociétés savantes, qui régissent la

258
Anciaux, F. L’enfant, le créole et l’éducation physique et sportive aux Antilles françaises : une
approche pluridisciplinaire du bilinguisme dans les apprentissages moteurs. Thèse de doctorat non publiée,
Pointe-à-Pitre. Université des Antilles et de la Guyane, 2003.

203
spécialité, ne sont pas systématiquement appliquées sur le terrain par les médecins
traitants.

L’objectif de cette première étude sera de valider ou de réfuter la présente hypothèse.

5.2 Introduction
Par sa prévalence élevée, en particulier chez l’enfant, et les coûts engendrés par cette
maladie, l’asthme constitue une priorité de santé publique en France259. Selon la Société
française de médecine générale (SFMG), l’asthme représenterait 2,56 % des consultations
en médecine générale. Le principal objectif du traitement est l’obtention d’un bon
contrôle de la maladie afin de permettre aux patients d’obtenir et/ou de maintenir une
bonne qualité de vie. Avec un traitement simple associant anti-inflammatoires et
bronchodilatateurs, un contrôle acceptable de la maladie peut être obtenu chez deux tiers,
voire trois quarts des patients, et un contrôle optimum chez un tiers des patients 260 .
Pourtant, en pratique, la situation est loin d’être aussi satisfaisante ; plusieurs études
s’accordent sur le constat que l’asthme reste insuffisamment contrôlé, entraînant des
répercussions importantes sur le plan clinique, la qualité de vie des patients et sur les
coûts directs et indirects de la maladie. Une enquête de grande envergure, réalisée par
l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (IRDES) en 2008, a
montré que 61 % des asthmatiques français sont insuffisamment contrôlés261. La sous-
utilisation d’un traitement de fond constitue une des causes principales de cet état de fait,
avec un taux d’observance moyen de 50 %, aussi bien chez l’enfant que chez l’adulte ;
taux estimé déjà dans un rapport de l’OMS publié en 2003 262 . Les raisons de cette
mauvaise prise en charge sont imputables au patient lui-même, et sont multiples :
méconnaissance du caractère chronique de la maladie et de l’intérêt du traitement,
accoutumance à un état respiratoire altéré, considérant qu’il est normal d’avoir des
symptômes occasionnels ou une gêne respiratoire à l’effort, réticence par rapport à la
prise de corticoïdes inhalés, mais aussi par rapport aux médecins traitants, non-

259
M.-C. Delmas, C. Fuhman, Groupe épidémiologie et recherche clinique de la SPLF, Revue des maladies
respiratoires, 2010, 27, 151-159.
260
Afrite A et al., « L’asthme en France en 2006 : prévalence et contrôle des symptômes ». Questions
d’économie de la santé. 2008, 138:1-8.
261
Afrite A et al., « L’asthme en France en 2006 : prévalence et contrôle des symptômes ». Questions
d’économie de la santé. 2008, 138:1-8.
262
“Adherence to long term therapies. Evidence for action”, WHO Library Cataloguing-in- Publication
Data, World Health Organization 2003.

204
application des recommandations nationales et internationales, refus d’utilisation de
corticoïdes par certains généralistes entraînant une hétérogénéité dans la prise en charge
médicale. Une étude du BEH fait ressortir qu’entre 2005 et 2007, les taux
d’hospitalisations pour asthme étaient plus élevés dans les départements d’outre-mer
(DOM) qu’en France hexagonale, en rapport avec une prévalence plus élevée, certes,
mais également un moins bon contrôle de la maladie263264. Une étude épidémiologique
réalisée en Guadeloupe en 2002-2003 selon le protocole ISAAC (« International Study of
Asthma and Allergies in Childhood ») a montré une prévalence de l’asthme de 14,1%
chez les adolescents de 13/14 ans, avec un taux d’asthme grave de 3,5% versus 2,8%
dans l’Hexagone265. La deuxième phase de cette étude, menée en 2008-2009 et portant
sur les facteurs de risque de la maladie, a confirmé ce taux de prévalence élevé chez les
10/11 ans, à 16,9%266. Outre cette prévalence élevée, cette étude a mis en évidence une
certaine méconnaissance de la maladie asthmatique par le patient et sa famille, une
disparité dans la prise en charge de la part des professionnels de santé au regard des
recommandations nationales et internationales, notamment, en termes de classification et
de pression thérapeutique adaptée. Au vu de ce constat et afin de bien cerner ce nœud
gordien, il était important pour nous, dans le cadre de ce travail de recherche :

- de recueillir la perception des professionnels de santé (PS) libéraux de Guadeloupe sur


ces recommandations, garants de la prise en charge optimale incluant, entre autres,
l’éducation thérapeutique du patient ;

- de mesurer leur applicabilité au plan local ;

- de recenser les difficultés d’application rencontrées par ces PS et leurs propositions.

L’objectif de cette enquête est, d’une part, de comprendre les raisons qui justifient cette
disparité dans la prise en charge de cette maladie au plan local et, d’autre part, d’évaluer
la prise en compte des éléments culturels du patient, notamment par l’utilisation, au cours
de la consultation, de la langue créole, langue vernaculaire susceptible de renforcer

263
BEH N°1314 12/04/2011. « Asthme et BPCO : taux d'hospitalisation et de mortalité dans les
départements d'outre-mer et en France métropolitaine », p 168-171.
264
BEH N°1314 12/04/2011. « Asthme et BPCO: taux d'hospitalisation et de mortalité dans les
départements d'outre-mer et en France métropolitaine », p. 168-171.
265
M.-A. Mounouchy, L. Cordeau, C. Raherison, « Prévalence de l’asthme et des symptômes évocateurs
chez les adolescents guadeloupéens ». Revue des maladies respiratoires, 2009. 26, p. 944-951.
266
ISAAC II Guadeloupe 2008/2009, Ass. Karu Asthme, ISPED, « Prévalence de l'asthme chez les élèves
scolarisés de 10/11ans », p. 65.

205
l’attention du patient, de faciliter sa compréhension de la maladie, de susciter son
adhésion au traitement, mais aussi et enfin d’estimer le pourcentage de médecins
adressant leurs patients en ETP pour asthme en application desdites recommandations, et
d’évaluer leur degré de satisfaction par rapport à la démarche.

5.3 Population et échantillon


La population cible de notre enquête est estimée à 250 médecins généralistes libéraux
répartis sur l’ensemble de l’archipel guadeloupéen. Les spécialistes susceptibles d’être
impliqués dans cette thématique sont peu nombreux et estimés à une dizaine sur
l’ensemble de l’archipel. Dans le cadre d’une convention partenariale, l’Union régionale
des professionnels de santé médecins libéraux de Guadeloupe (URPSMLG) s’est chargée
de la diffusion des questionnaires auprès des PS. Après concertation avec l’URPSMLG,
un échantillon représentatif des médecins libéraux a été retenu, soit 110 généralistes et 20
spécialistes.

5.4 Méthode
Il s’agit d’une enquête par questionnaires adressés aux médecins libéraux de
Guadeloupe267 entre le 15 novembre 2012 et le 31 janvier 2013. Cette enquête descriptive
est destinée à évaluer la pratique des médecins libéraux de terrain, au regard des
recommandations nationales de l’ANAES (Agence nationale d’accréditation et d’étude en
santé) de 2004 sur l’asthme, concernant les modalités de suivi médical, sur une longue
période, des patients asthmatiques, et du Global Initiative of Asthma (GINA). Ce guidline
est destiné à adapter la pression thérapeutique en fonction du niveau de contrôle de la
maladie, à définir les critères de suivi des patients asthmatiques, à évaluer la place des
examens complémentaires au cours du suivi (débit expiratoire de pointe [DEP],
exploration fonctionnelle expiratoire [EFR], gaz du sang, examens biologiques et
radiologiques), et à déterminer également les patients à haut risque d’asthme aigu/grave
et de mort par asthme.

267
Annexe n° XII.

206
Profil du répondant et zone d’activité 5 questions
Perception et application des recommandations 5 questions
Adressage des patients en ETP et degré de 4 questions
satisfaction
Prise en compte de la culture du patient et 2 questions
utilisation du créole au cours de la consultation
Objectifs Questions à choix multiples
Suggestions 2 questions
Tableau 13 : Items du questionnaire enquête médecins libéraux Guadeloupe

Pour mener à bien cette enquête et toucher le plus grand nombre de médecins libéraux, un
partenariat avec l’Union régionale des professionnels de santé médecins libéraux de
Guadeloupe (URPSMLG) a été mis en place. Avant l’élaboration et la passation du
questionnaire, une rencontre exploratoire par entretien a été réalisée auprès du bureau
exécutif de l’URPSMLG. Cette rencontre nous a permis de finaliser le questionnaire, et à
la demande des dirigeants, d’insérer un lien de renvoi aux recommandations de bonnes
pratiques en ligne afin de mieux orienter les thématiques à questionner. Il s’agissait
ensuite d’obtenir la validation du contenu. Le questionnaire reposait sur le protocole
élaboré au préalable par nos soins, expliquant le cadre de notre recherche, notre démarche
méthodologique ainsi que les items retenus. Les objectifs de la démarche ont été
explicités et validés. Le questionnaire comprend 16 questions (Tableau 13), soit 13
questions préformées à choix simples ou multiples et trois questions ouvertes à doubles
champs libres, destinées à recueillir les suggestions des répondants. Le questionnaire a
été testé auprès des membres du centre d’accueil, le centre d’éducation thérapeutique de
Guadeloupe. A la suite de ce test, certaines questions ont été clarifiées. Les neuf
questionnaires du pré-test n’ont pas été inclus dans les résultats de l’enquête.

5.4.1 Mode de diffusion et recueil

L’enquête s’est déroulée sur un délai de 12 semaines, du 15 novembre 2012 au 31 janvier


2013. Cette période de fin d’année a été peu propice à notre enquête, ce qui peut
expliquer en partie notre faible taux de réponse (59). Après contact téléphonique avec le
secrétariat de l’URPSMLG, le questionnaire a été envoyé par courrier électronique pour
être diffusé auprès des professionnels de santé, le remplissage devant se faire en ligne. La
collecte s’est faite par un serveur informatique qui a comptabilisé et classé les données
recueillies. Celles-ci ont été comptabilisées sur tableur Excel et validées par double
vérification. Les données quantitatives seront illustrées soit en pourcentage, soit en valeur
207
absolue. S’agissant des questions ouvertes et des commentaires, les réponses pourront
être classées par unité de sens. L’analyse catégorielle des contenus sera faite par
dichotomisation : pour/contre, avantages/inconvénients, satisfait/non satisfait,
applicable/non applicable.

5.4.2 Les objectifs de l’enquête

Nous attendons de cette enquête une meilleure compréhension de la prise en charge du


patient asthmatique en médecine libérale quant au respect des recommandations édictées
par les sociétés savantes régissant la spécialité, incluant la mise en place d’un programme
d’éducation thérapeutique, les motifs justifiant l’éventuel non-respect de ces
recommandations, mais aussi leur degré de satisfaction pour ceux qui adressent leur
patient en ETP. S’agissant de l’utilisation de la langue vernaculaire au cours de la
consultation, notamment à l’annonce du diagnostic d’asthme chez les patients bilingues
français/créole, nous souhaitons connaître, pour ceux qui en font usage : leur tranche
d’âge, leur appartenance culturelle ainsi que leur secteur géographique d’activité, leurs
attentes par rapport à l’utilisation de ce code d’échange.

5.5 Résultats de l’enquête

5.5.1 Plan d'analyse

Exploration et préparation de la base de données

Cette étape a consisté à vérifier le codage des variables, à identifier les valeurs aberrantes
et à repérer les données manquantes.

5.5.1.1 Analyse descriptive (tri à plat)


268
L’ensemble des variables principales du questionnaire a été analysé . Les
caractéristiques des participants ont été décrites. La moyenne et l'écart type SD (Standard
Deviation) ont été calculés pour la variable quantitative (âge) ainsi que les fréquences
pour les variables catégorielles.

La variable d'intérêt (application des recommandations concernant l'asthme) a été


dichotomisée. Les recommandations ont été considérées comme applicables lorsque les

268
Annexe n° XIII.

208
répondants ont mentionné qu'elles n'étaient « pas du tout difficiles à appliquer / pas
vraiment difficiles à appliquer », et comme non applicables lorsqu'ils ont répondu qu'elles
étaient « tout à fait difficiles à appliquer / plutôt difficiles à appliquer ». Il a été constaté,
cependant, que même parmi ceux qui les trouvent applicables, elles ne sont pas
systématiquement appliquées.

5.5.1.2 Analyse univariée

Les variables qualitatives ont été comparées à l’aide d’un test de Chi² ou du test exact de
Fisher, et la seule variable quantitative (âge) à l’aide du test non paramétrique de
Kruskall-Wallis. Dans cette partie, les relations entre l'application des recommandations
et certaines variables ont été étudiées. Etant donné que la variable « usage du créole au
cours de la consultation » est une variable importante, notamment pour l'annonce du
diagnostic et la bonne compréhension de la maladie par le patient, nous avons également
recherché les éventuelles associations entre cette variable et les autres variables
principales de l'étude.

5.5.1.3 Analyse multivariée

Toutes les variables associées à la variable d’intérêt, avec un seuil de significativité


inférieur à 0,20 dans l'analyse univariée, ont été introduites dans un modèle de régression
logistique multiple, pas à pas descendante, afin de rechercher les facteurs associés à
l'application des recommandations dans l'asthme. Les odds ratio alpha ajustés (ORa) ont
été calculés avec leurs IC à 95%. Le logiciel Stata V. 12 a été utilisé pour les analyses.

5.5.2 Présentation et commentaires des résultats

5.5.2.1 Caractéristiques personnelles

Dans l'enquête sur la perception des recommandations nationales et internationales


concernant l'asthme et leur application sur le terrain par les médecins libéraux de
Guadeloupe, 59 médecins d'âge moyen, de 42,8 ± 7,6 ans avec des extrêmes allant de 27
à 63 ans, ont répondu au questionnaire et ont été par conséquent inclus dans l’étude. 52
d'entre eux, soit 88,1%, étaient de sexe féminin ; les hommes ne représentaient que 11,9%
de la population étudiée. La grande majorité de ces médecins, 54, soit 91,5%, étaient
généralistes vs 5, soit 8,5%, spécialistes de l'asthme. 71,2% (42/59) étaient bilingues ; en
grande proportion, 32,2% (19/52), ils exerçaient dans la zone centre. Dans leur

209
consultation pour l'asthme, 52,5% (31/59) des médecins inclus dans l'étude font usage du
créole principalement pour permettre une meilleure compréhension de la maladie et de
son traitement (55,9%), et pour susciter la motivation des patients (50,8%). Ces
paramètres sont exposés dans le Tableau 14.

210
*Plusieurs réponses possibles par sujet.
Tableau 14 : Caractéristiques des 59 médecins libéraux de Guadeloupe et leur point de vue sur les
recommandations dans l’asthme bronchique, 2012-2013.

211
5.5.2.2 Perception des recommandations dans l'asthme

Concernant la perception des recommandations dans l’asthme, ils sont 25,4% (15/59) à
les trouver tout à fait pertinentes et 35,6% plutôt pertinentes (21/59). Au total, la majorité
des médecins interrogés (36/59, soit 61%) trouvent les recommandations pertinentes. A
contrario, 10,2% (6/59) des répondants déclarent que ces recommandations sur la prise
en charge des patients asthmatiques ne sont pas pertinentes en médecine libérale.
Globalement, 47,5% (28/59) des médecins libéraux ayant répondu à cette enquête
admettent ne pas appliquer les recommandations concernant l'asthme sur le terrain,
puisqu’elles sont considérées comme non adaptées pour 66,1% (39/59), et comme plutôt
difficiles à appliquer pour 32,2% (19/52). Au regard du nombre de médecins trouvant ces
recommandations pertinentes (61%, 36/59) et de ceux qui affirment ne pas les appliquer
(47,5%, 28/59), nous constatons un certain désintérêt, même chez les premiers, à les
mettre en œuvre concrètement. Nos remarques sont illustrées dans le Tableau 15.

Tableau 15 : Déterminants de l’application des recommandations dans l’asthme, chez 59 médecins libéraux
de Guadeloupe, 2012-2013.

212
Pour améliorer l'application des recommandations sur le terrain, 62,7% (37/59) des
médecins interrogés estiment qu'il faut tenir compte de cette réalité du terrain ; pour
56,7% (21/37) de ceux-là, il serait souhaitable de leur permettre d’apporter des
amendements à ces recommandations, ce qui n’est pas le cas. Certains trouvent que ces
recommandations, émises dans des bureaux loin de la médecine réelle, de la vraie vie,
manquent de réalisme et d’humanité ; 46,0% (17/37) estiment qu'il faut rendre ces
recommandations plus digestes. Les suggestions pour pallier les difficultés d’application
de ces recommandations sont mentionnées dans le Tableau 16.

Suggestions faites pour minorer les difficultés d'application

Plus digestes 17 (28,8)

Faire des amendements 21 (35,6)

Tenir compte de la réalité 37 (62,7)


Tableau 16 : Suggestions faites par les médecins enquêtés pour l’amélioration de ces recommandations.

S'agissant de l'éducation thérapeutique du patient (ETP) dans l'asthme, la grande majorité


des médecins interrogés, soit 76,3% (45/59), adressent leurs patients asthmatiques en
ETP qui, selon leurs déclarations, aboutit pour 68,3% d’entre eux (28/41) à l'amélioration
de l'état du patient. Cette ETP est jugée tout à fait pertinente par 41,0% (16/39) des
médecins libéraux interrogés. Pour l'amélioration de l'ETP, les médecins interrogés ont
fait plusieurs suggestions : 33,9% suggèrent des échanges plus étroits avec le centre ;
30,5% proposent que le centre prenne en charge le coût du transport des patients, ainsi
que les traitements pour 22,0% ; certains suggèrent un travail en interdisciplinarité
(20,3%) et la reprise des patients une fois par an (13,6%). L’étude approfondie de notre
base nous révèle en fait que ces remarques viennent des médecins qui méconnaissent le
fonctionnement du centre d’ETP : par nature, l’éducation thérapeutique dispensée dans ce
centre est une éducation thérapeutique pluridisciplinaire, et les patients sont revus en
suivi post-éducatif. L’amélioration cumulée de l’état du patient et de sa qualité de vie
après l’ETP montre un taux de 95,1%. Le Tableau 17 illustre les suggestions faites par les
médecins pour améliorer l’offre d’ETP.

213
*Plusieurs réponses possibles par sujet.
Tableau 17 : Pertinence de l’ETP dans l’asthme, adressage et suggestions pour l’amélioration du service.

5.5.3 Liaison entre les principales variables

5.5.3.1 Analyses univariées

Concernant l'application des recommandations dans l'asthme (Tableau 18), l'analyse met
en évidence une association statistiquement significative entre l'application des
recommandations et le groupe d'âge : les médecins âgés d'au moins 45 ans appliquent
plus les recommandations dans l’asthme que leurs collègues de moins de 45 ans : 72,7%

214
vs 40,5% (p= 0,017). L’association est également significative entre l’application des
recommandations et le fait d'être bilingue : les médecins parlant le français et le créole
appliquent mieux les recommandations concernant l'asthme que ceux qui ne parlent que
le français : 64,3% vs 23,5% (p= 0,005) ; applicabilité des recommandations, N (%) ou
moyenne ± Sd.

Tableau 18 : Déterminants de l’application des recommandations dans l’asthme selon 59 médecins


libéraux de Guadeloupe, 2012-2013. N (%) ou moyenne ± Sd.

S'agissant de l'usage du créole au cours de la consultation (Tableau 19), il est


significativement influencé, en dehors bien évidemment du fait d'être bilingue, par la

215
zone d'activité : les praticiens exerçant dans la zone urbaine/semi-urbaine de la
Guadeloupe font moins usage du créole dans leurs consultations que ceux de la zone
rurale : 66,7% vs 40,6% (p= 0,046).) Il est également influencé par l’orientation des
patients en ETP pour asthme : les médecins qui utilisent le créole dans leurs consultations
adressent beaucoup plus leurs patients en ETP que ceux qui ne l'utilisent pas : 60,0% vs
28,6% (p= 0,040).

Parmi les 42 médecins bilingues (Tableau 20), 31, soit 73,8%, utilisent le créole en
consultation et notamment pour l’annonce du diagnostic d’asthme. Bien que dans la zone
urbaine/périurbaine, la plus grande proportion des médecins bilingues utilisent le créole
dans leurs consultations, la différence avec la zone rurale n'est pas significative : 81,8%
en zone rurale versus 65,0% pour la zone urbaine (p= 0,216). La tranche d'âge
n'influence pas non plus l'usage du créole en consultation chez les médecins bilingues :
78,6% pour les ≥ 45 ans vs 71,4% pour les < 45 ans (p= 0,723).

Tableau 19 : Liaison entre l'usage du créole en consultation et les principales caractéristiques étudiées chez
59 médecins libéraux de la Guadeloupe (novembre 2012 - janvier 2013) : N =59.

216
Tableau 20 : Usage du créole en consultation chez 42 médecins libéraux bilingues de la Guadeloupe
(novembre 2012 - janvier 2013) : N = 42.

Tableau 20 bis : Usage du créole au cours de la consultation pour 42 médecins de Guadeloupe.

217
5.5.3.2 Analyses multivariées

Après ajustement sur certaines variables, il ressort de l'analyse multivariée que les
déterminants de l'application des recommandations concernant l'asthme chez les
médecins libéraux interrogés sont le groupe d'âge : les médecins âgés d'au moins 45 ans
appliquent environ 11 fois plus (ORa=10,5 avec IC à 95%= 2.0- 56.6) les
recommandations de bonnes pratiques en matière de prise en charge de l'asthme que ceux
du groupe de référence représenté par les médecins de moins de 45 ans. Le fait d'être
bilingue multiplie la probabilité d'application des recommandations d'environ 28 fois
(ORa= 27,5 avec IC à 95%= 3.6- 208.4) par rapport aux non-bilingues. Concernant
l'adressage des patients en ETP asthme, les médecins qui adressent leurs patients en ETP
asthme appliquent plus de huit fois (ORa= 8,5 avec IC à 95%= 1.3- 56.9) les
recommandations en comparaison de ceux qui n’envoient pas leurs patients en ETP.

Tableau 21 : Déterminants de l’application des recommandations concernant l’asthme bronchique chez 59


médecins de Guadeloupe, 2012-2013. N = 59.

218
5.6 Discussion
Cette enquête descriptive de terrain, menée par questionnaires semi-directifs auprès de
médecins libéraux de Guadeloupe, interrogeant leur pratique de ville, nous apporte des
réponses précises quant à nos interrogations et à nos hypothèses formulées pour savoir si
les recommandations de bonnes pratiques sont appliquées concrètement sur le terrain.
Elle nous permet de voir quels sont les profils des médecins et dans quelle zone d’activité
ils exercent. Plus encore qu'en médecine hospitalière, le contact singulier qui s'établit
entre le médecin de ville et son patient est déterminant pour la suite de la gestion de la
maladie chronique qui, elle-même, est étroitement liée à l’acceptation de celle-ci et des
traitements par le malade, garant de l’amélioration de sa qualité de vie, mais aussi de
toutes les décisions qui seront prises par l'une et l'autre des deux parties dans la gestion
future de cette maladie.

Cette enquête nous révèle également un avantage du médecin bilingue français/créole à


utiliser la langue maternelle des malades pour leur faire comprendre les termes
spécialisés, utilisés notamment dans l’annonce du diagnostic d’asthme, dans la
description des mécanismes de la maladie, ce qui permet une meilleure acceptation de
celle-ci. Il convient de noter l’intérêt de l’utilisation de l’outil ETP pour renforcer cette
annonce et compléter la prise en charge. En adoptant cette démarche d’adressage du
patient en ETP, le médecin traitant prend une option de prise en charge holistique pour
son patient, dans le respect bien entendu des recommandations de bonnes pratiques. Nous
relevons cependant la prégnance de l'interaction entre patient et médecin, où les
contingences de satisfaction pèsent de tout leur poids dans l’alliance thérapeutique, ce qui
impacte de manière significative le respect des recommandations. Cette étude nous
apporte des éclaircissements sur les raisons possibles d’un non-respect strict de ces
recommandations sur le terrain, comme leur inadaptation aux conditions d’exercice en
cabinet. Ceci nous pousse à nous interroger : un médecin généraliste de ville peut-il
appliquer les recommandations de bonnes pratiques (RPC) au pied de la lettre ? N'est-il

219
pas inévitable de rencontrer des adaptations différenciées, selon les caractéristiques des
médecins et des patients269 ?

Les médecins qui ont accepté de répondre à notre enquête sont en majorité de sexe
féminin. Cet élément pourrait constituer un biais de sélection et affecter notre échantillon,
dans la mesure où la parité homme/femme n’a pas été strictement respectée. En adoptant
ce procédé d’enquête par questionnaire, nous pouvons difficilement contrôler les retours
et la sélection sur un aussi petit échantillon. Nous admettons que la nature même de
l’enquête, portant sur l’analyse des pratiques des médecins libéraux, a pu générer
quelques réticences. Ils ont pu également rencontrer des difficultés à rédiger les champs
de commentaires par manque de temps. On ne peut exclure un biais de sélection du fait
que les questionnaires ont été adressés aux seuls médecins libéraux disposant d’une
adresse électronique dans les fichiers de l’URPS. Au vu du nombre de réponses obtenues,
il apparaît de manière assez explicite que cette période festive de fin d’année était peu
propice à notre enquête. Le fait d’avoir omis de préciser la date butoir du retour des
réponses dans le mail d’accompagnement pourrait expliquer, en partie, le faible taux de
participation. Toutefois, les résultats de cette étude confirment notre hypothèse selon
laquelle les recommandations de bonnes pratiques, dans la prise en charge de l’asthme,
sont peu appliquées par les médecins libéraux de Guadeloupe. Une assez large majorité
des répondants (64,4%) en reconnaissent la pertinence, alors que 35,6% se positionnent
d’emblée contre, en les trouvant compliquées à appliquer. 66,1% des répondants les
trouvent inadaptées au terrain. En procédant au croisement des deux variables, nous
concluons que même parmi ceux qui en reconnaissent la pertinence, en majorité, ils ne les
mettent pas en application dans leur pratique. Idéalement, au vu de ces résultats, nous
pouvons conclure que les recommandations de bonnes pratiques (RBP) jouissent d’un
préjugé défavorable en termes d’applicabilité chez les médecins libéraux de Guadeloupe,
car elles sont jugées non adaptées au terrain pour ce même pourcentage de répondants. La
question sur les motifs de non-application était à choix multiples. Les principaux motifs

269
A ce propos, les points de vue des étudiants en stage de médecine générale montrent comment le travail
médical, caractérisé par les compromis et l'adaptation aux contraintes, peut être interprété de manière quasi
opposée. Apparenté pour les uns à « une forme de bricolage fait de compromis mous effectivement adaptés
aux contraintes de la satisfaction du patient, mais qui ne saurait prétendre à une valeur scientifique
propre », il sera validé par d'autres qui y verront plutôt « une démarche intellectuelle spécifique, qui peut
conduire au cas par cas à s'éloigner d'une norme en toute connaissance de cause, pour gagner en
pertinence et en efficacité dans l'abord d'un patient donné ». G. Bloy, « La transmission des savoirs
professionnels en médecine générale : le cas du stage chez le praticien », Revue Française des Affaires
Sociales, n° 1 - 2005, p. 103-125.

220
cités sont : le manque de temps pour 57,6%, l’absence de formation pour 60,6% ;
l’isolement intervient pour 30,4%, ainsi que la lourdeur des textes pour 33,3%. Cette
étude nous a permis également de tisser le lien avec notre 2 e hypothèse, sur la prise en
compte de la bilingualité du patient dans le processus éducatif. Notre premier constat
porte sur le nombre de praticiens qui disent utiliser la langue créole au cours de la
consultation : 57,9% des répondants (N = 33/57). Au regard du nombre de bilingues
déclaré à la question n° 4, 69,5% (N = 41/59), nous concluons que même certains
praticiens qui se déclarent bilingues ne font pas systématiquement usage de la langue
créole au cours de la consultation. Là encore, au vu de ces résultats, l’utilisation de la
langue créole au cours de la consultation demeure insuffisante au regard du nombre des
PS bilingues. Nous avons souhaité connaître les raisons pour lesquelles cet outil n’était
pas utilisé. En croisant les données âge / utilisation du bilinguisme, une tendance se
confirme chez les plus jeunes médecins, les moins de 30 ans et quelques-uns dans la
tranche des 40-50 ans : bien qu’ils se déclarent bilingues, ils utilisent plutôt leur langue
de formation, le français, au cours de la consultation, alors que les plus âgés sont les plus
nombreux à faire usage du créole.

5.7 Conclusion
En conclusion, cette enquête nous a permis de mettre en lumière l’hétérogénéité des
pratiques de prise en charge des patients asthmatiques par les médecins libéraux de
Guadeloupe. Les motifs évoqués pour la non-application des RBP ont été classés en
quatre grandes familles : le temps, la lourdeur des textes, l’absence de rémunération du
temps consacré, ainsi que l’isolement. Les PS installés en zone rurale disent parer au plus
urgent, avant de s’inquiéter d’aller voir ce que disent telles ou telles recommandations sur
le sujet. En termes de résultats positifs, cela confirme notre hypothèse, sur la non-
application ressentie préalablement à cette étude et exposée dans les publications
précédentes, faisant état d’une prise en charge perfectible, additionnée d’une prévalence
élevée d’asthme en Guadeloupe, mais aussi, sur l’utilisation effective de la langue créole
au cours de la consultation d’annonce du diagnostic d’asthme. Sont exposés également, à
travers cette étude, les motivations de cette utilisation et les objectifs visés. Par ailleurs, il
appartiendra aux études futures d’éclairer plus en détail les motivations et l’attitude de
ces professionnels de santé par rapport aux RBP édictées par les sociétés savantes,

221
notamment en ce qui concerne leur inscription dans une dynamique de prise en charge
globale, mais aussi les raisons qui expliquent les difficultés rencontrées par les jeunes
médecins à utiliser la langue créole au cours de leurs consultations, même quand ils se
déclarent eux-mêmes bilingues français/créole.

6 Présentation de la deuxième étude


Hors de la classe et plus particulièrement dans une activité étrangère au programme
scolaire, nous sommes fondé à penser à une utilisation plus libre du créole chez les
collégiens pour exprimer leurs ressentis dans le cadre notamment de la description de
cette pathologie particulière qu’est l’asthme bronchique. Nos présuppositions reposent,
pour une grande part, sur le fait que l’idiome est encore largement pratiqué au sein des
familles, dans les campagnes et les mornes, et qu’il est considéré comme un objet de
revendication identitaire et donc ancré dans l’éducation des enfants.

Notre recherche d’ordre historico-culturel se positionne dans le modèle conceptuel et la


pensée de Vygotski, élaborés et défendus sans son dernier ouvrage, Pensée et
langage, paru après sa mort en 1934, synthétisant son œuvre au cours des dix dernières
années de sa vie. Vygotski s’évertua, au cours de sa vie, à construire les cadres théoriques
susceptibles de nous permettre de comprendre la formation du psychisme humain.

Elaborée par Vygotski et son équipe dans les années 1930, cette théorie fera l’objet de
nombreuses publications sur la défectologie ou étude du handicap de la déficience
mentale sur les apprentissages scolaires, et notamment sur le concept de zone proximale
de développement.

Dans les années 1990 est apparue en sciences cognitives la notion d’approche « située »
de la cognition, en envisageant comme indissociables les processus cognitifs, l’activité et
la situation, dont les éléments physiques, artefactuels autant que sociaux, offrent des
ressources signifiantes pour l’action des sujets. Par rapport au cadre théorique de la
psychologie cognitive classique, l’accent est déplacé de l’étude des mécanismes internes
vers celle de l’espace de vie des acteurs.

Eu égard à la diversité des conceptions, trois courants fondamentaux, souvent combinés à


des degrés divers, semblent se partager la généalogie des formes d’actions situées.

222
Il s’agit de « l’action située » originelle, enracinée dans l’« ethnométhodologie » de H.
Garfinkel (1950, 1970), qui privilégie l’étude des raisonnements sociologiques pratiques
ou ethnométhodes et qui considère la connaissance comme une construction locale
(situated).

Le courant de l’« apprentissage situé » est le prolongement du courant de la psychologie


interculturelle (Cole, 1996), faisant référence aux invariants cognitifs face à la diversité
des situations.

Le courant de la « cognition distribuée » trouve ses origines dans la sociologie de la


connaissance et de l’école russe de psychologie et de l’approche historico-culturelle de la
cognition (Vygotski, Léontiev, 1930, 1975). Cette troisième voie constitue notre base
théorique privilégiée pour appréhender notre démarche.

L’expression « actions situées », dans son acception originelle, recouvrait un aspect


spécifique de la recherche en analyse conversationnelle par des chercheurs formés à
l’ethnométhodologie, que représentait L. Suchman (1987, 1988).

Le princeps de « l’action située » a pour objectif d’évaluer l’aspect de la planification,


notion centrale dans les sciences cognitives classiques, en y introduisant la prise en
compte de l’environnement de l’activité, se référant à « l’analyse des fins et des moyens »
(Miller, Gallanter, Pribram, 1960).

Privilégiant la théorie de l’action plutôt qu’un modèle du sujet connaissant, Suchman


insiste sur la complexité changeante des situations et l’auto-organisation nécessaire de
l’activité, la réactivité opportuniste des acteurs face aux contingences environnementales,
s’appuyant au fur et à mesure de l’accomplissement de la tâche sur des indices
contextuels, une improvisation circonstancielle. Il est alors nécessaire, comme le souligne
Kirsh (1990), de coordonner « les contraintes locales » et les contraintes globales quand
on change de contexte.

Au regard de ces modèles conceptuels et notamment des différents travaux de Carraher et


Schliemann (1985), montrant des différences stratégiques arithmétiques professionnelles
chez les enfants vendeurs de rue, nous privilégions, dans notre approche, des heuristiques
personnelles adéquates à leur objet par opposition à l’algorithmique conventionnelle.

Cette recherche d’ordre ethnométhodologique se positionne dans la théorie de l’action


située, ce qui nous semble une base théorique convenable. En effet, « l’idée qu’il existe

223
des structures typiques d’action et de communication propres à un groupe social donné
est développée par les recherches en ethnométhodologie sous le concept
d’ethnométhodes ». « Entre membres d’un groupe social, c’est partager un langage
commun avec les autres membres du groupe auquel on appartient. » (Durand, 1998)270.
L’objectif de ce travail est de comprendre, d’identifier et d’expliquer ce langage commun
susceptible de faciliter la relation, la compréhension et l’adhésion des jeunes patients
dans ce domaine particulier qu’est la relation médico-éducative. Cette démarche suppose
que l’on repère les ethnométhodes en présence, procédés, histoires, signification de ses
actions, c’est-à-dire « le langage commun qui est mis en pratique dans un type ou un
ensemble de situations données »271. Le programme de « l’action située » est au carrefour
de la sociologie de l’action, de l’anthropologie, des sciences de la cognition et du
langage. Cette démarche rejoint ainsi une tradition de recherche francophone qui s’est, de
longue date, donné pour objectif l’analyse du « travail réel » ou de l’activité au travail
(Amalberti, Montmollin et Theureau, 1991 ; Durand, 1996 ; Leplat, 1997 ; Ombredane et
Faverge, 1955).

L’action est considérée comme une intervention dans le but de modifier un état de
choses ; cette intervention consiste, soit à initier une transformation, soit à arrêter une
transformation en cours, soit à empêcher une transformation qui risquerait de se produire
si on n’intervenait pas (Montmollin, 1995).

Qualifiée « d’anthropologie de la cognition située », la signification et l’action du point


de vue de l’acteur sont indissociables (Saury, Durand et Theureau, 1997). Chaque action
et chaque acte de langage est doté d’une signification pour l’individu.
L’ethnométhodologie est, dans un sens plus ou moins anthropologique, l’étude des
méthodes quotidiennes ordinaires de l’action et du raisonnement pratique.

L’ethnométhodologie réévalue l’acteur comme membre de la société, doué de


compétences et de rationalité propre. Cette rationalité de l’acteur échappe à la description
conduite en prenant la « rationalité scientifique » (la rationalité, moyen - fin le plus
raisonnable) comme « critère d’interprétation des actions humaines » (Amiel, 2007)272.

270
Durand, M. L’enseignement comme action située. Eléments pour un cadre d’analyse. Actes de la
Biennale de l’Education et de la Formation. Paris. 1998, Cédérom.
271
Ibid. Cédérom.
272
Philippe Amiel, Ethnométhodologie appliquée. Eléments de sociologie praxéologique. Edition
augmentée. Paris : Presses du Lema (Laboratoire d’ethnométhodologie appliquée), 2010, p. 18.

224
Partant de ce principe théorique, les actions et les choix de langage d’un individu sont
considérés comme des choix stratégiques. Dans le domaine de l’enseignement, par
exemple, les études ethnométhodologiques permettent la compréhension des actions qui
structurent les activités, qui elles-mêmes ordonnent leurs échanges. Elles permettent
également d’aider éventuellement les acteurs peu familiarisés avec l’enseignement
d’apprendre les manières de faire typiques dans ce domaine. Après l’analyse de ces
stratégies en présence, en termes de choix de langage et de comportements, nous
envisageons de proposer aux intervenants, dans les pratiques médico-éducatives en
situation bilingue, une approche pédagogique et didactique adaptée au contexte
situationnel de ces populations. A ce propos, D. Bébel-Gisler écrit : « Imposer à
quelqu’un une langue, c’est l’éloigner de son corps, tenter de lui faire tourner le dos à
son identité. »273

Les deux langues parlées dans cette société, à savoir la langue officielle, le français, et la
langue vernaculaire, le créole, sont toutes deux présentes dans la relation médico-
éducative. Notre première enquête, menée auprès d’un échantillon représentatif de
médecins libéraux de Guadeloupe, nous indique que l’utilisation de la langue créole au
cours de la consultation médicale, notamment dans l’annonce du diagnostic et
l’explication des mécanismes de la maladie en langue créole par des médecins bilingues,
favorise la compréhension et l’acceptation de la maladie par le patient. S’agissant des
échanges verbaux au cours des séances d’éducation thérapeutique, la langue la plus
couramment utilisée demeure le français, langue officielle de formation du thérapeute. De
par les spécificités clairement identifiées de la langue créole et le bilinguisme français-
créole de la population, et dans un souci d’efficience, nous pressentons qu’une place plus
importante devrait être faite à cet idiome dans la relation soignant/soigné. Par ailleurs, la
démarche comparative que nous utilisons dans notre expérimentation s’inspire des écrits
de D. Groux et L. Porcher (2003), qui postulent que « la démarche comparative participe
à l’explication des phénomènes culturels prélevés dans différents contextes et à leur
meilleure compréhension »274.

Nous postulons qu’une plus grande fréquence des phrases courtes et des métaphores en
langue créole favoriserait une meilleure compréhension du patient des différents

273
D. Bébel-Gisler, Les Enfants de la Guadeloupe. Paris, L'Harmattan, 1985, p. 31.
274
Groux D., Porcher L., L’altérité, 2003, L’Harmattan, Collection « Cent mots pour », p. 52.

225
mécanismes de la maladie asthmatique, des différents facteurs déclenchants et des
mesures d’éviction à prendre, mais aussi des gestes et techniques destinés à la bonne
maîtrise des traitements inhalés et du débitmètre de pointe, outil de contrôle de la
maladie. Il ne s’agit pas pour nous de promouvoir des hypernormes créoles dans
l’expression de la maladie et la dispensation des séances d’éducation thérapeutique,
exclusivement en langue créole, ni de prôner un dogmatisme normatif dans ce domaine,
mais bien de tenir compte du positionnement du discours dans un registre interlectal
susceptible de faciliter l’adhésion des locuteurs et la compréhension des messages des
thérapeutes dans cette démarche particulière qu’est la relation éducative. P. Bourdieu
(2001, cité par L.-F. Prudent 2008) 275 , rappelle qu’apprendre un langage, « c’est
apprendre en même temps que ce langage sera payant dans telle ou telle situation »276.
C’est aussi valoriser l’identité à la fois spécifique et ouverte de cette population.
Cependant, pour tenir compte de l’aspect disparate de l’utilisation de la langue créole
dans la population, ce choix devrait prendre en compte les caractéristiques
sociolinguistiques des apprenants, le thérapeute adaptant son langage en fonction de la
situation.

Les objectifs du millénaire, fixés par l’UNESCO pour 2000-2015, mettent la santé en
bonne place en passant par l’utilisation de la langue maternelle pour faire diminuer les
maladies chroniques et les comorbidités dans les pays en voie de développement. « Les
langues sont en fait des éléments essentiels pour l’identité des groupes et des personnes
ainsi que pour leur coexistence pacifique. Elles représentent un facteur stratégique de
progrès vers un développement durable et une relation harmonieuse entre le monde et le
contexte local. Elles sont de la plus grande importance pour atteindre les six objectifs de
l’Education pour Tous et des Objectifs du Millénaire pour le Développement adoptés aux
Nations unies en 2000. »

Au Canada d’une manière générale et en Ontario plus précisément, une grande campagne
est en cours sur le maintien des populations en bonne santé, avec un slogan phare :
« Chaque personne compte »277 . Les centres de santé communautaires en Ontario ont

275
L.-F. Prudent, Normes endogènes et plurilinguisme, 2008, p. 113.
276
C. Bavoux, S. Wharton, L.-F. Prudent, 2008, Normes endogènes et plurilinguisme, Aires francophones,
aires créoles, Editions ENS, 2008, p. 114.
277
Les centres de santé communautaires en Ontario ont cette manière originale de garder les Ontariens et
Ontariennes et les collectivités où ils vivent en bonne santé. Réseaux locaux d’intégration des services de
santé de l'Ontario, 2008, mise à jour : 01/26/2014.

226
cette manière originale de garder les Ontariens et Ontariennes et les collectivités où ils
vivent en bonne santé. Chaque personne qui vit dans cette province peut bénéficier des
services et des programmes dans sa langue maternelle. Pourquoi en serait-il autrement en
Guadeloupe singulièrement et aux Antilles plus généralement ? Quand on sait en effet
que la gestion de la maladie par une bonne observance thérapeutique est directement liée
à la compréhension de la maladie et du traitement et que l’utilisation de la langue
maternelle peut améliorer cette compréhension, cela nous conforte dans notre démarche
d’adaptation.

Selon la revue Santé de l’homme (n° 392), la langue peut être un obstacle pour le patient
atteint de maladie chronique à la prise en charge de sa maladie. En France, le Comité
médical pour les exilés (COMEDE) propose des consultations d'éducation thérapeutique
en langue étrangère pour le patient non francophone et non anglophone atteint de diabète,
d'hypertension artérielle ou d'asthme. Ces consultations sont dispensées par
l'intermédiaire des professionnels ou d'un interprète en dix langues : français, anglais,
russe, arabe, bengali, hindi, peul, ourdou, soninké et tamoul. D’après le COMEDE, ces
consultations se veulent soit une éducation initiale (et c’est souvent le cas), soit un
renforcement et/ou un suivi éducatif dans la mesure où les patients concernés ont en
général déjà accès à des services hospitaliers, des consultations de médecins spécialistes,
de diététiciennes. Mais, là aussi, se pose le problème de l’utilisation de la langue
maternelle du patient par le thérapeute annonçant le diagnostic de maladie chronique,
pouvant conduire à une bonne compréhension de celle-ci. La consultation en langue
maternelle, avec un interprète professionnel si nécessaire, permet au patient de se confier
et d'approfondir un entretien médical.

Notre propos ici n’est pas de qualifier toute la population créolophone guadeloupéenne
d’exilée, mais bien de considérer, en plus des créolophones guadeloupéens « pure
souche », pour lesquels cette démarche est utile, qu’il existe un pourcentage non
négligeable d’exilés (haïtiens, dominicains, dominiquais) au sein de notre population, qui
pourront en bénéficier. Ainsi, nous pourrions tenir compte de ce particularisme pour
dispenser notre programme dans un registre familier à cette communauté créolophone
élargie. A la lumière de ces dispositions, nous pouvons considérer que l’utilisation de la
langue maternelle participe activement à la compréhension d’un énoncé, fût-il en rapport
avec la maladie. Mais, comment se définit concrètement la compréhension en
psychologie cognitive ?

227
6.1 La compréhension
Le cadre théorique de la psychologie cognitive établit une passerelle entre la réception
sensorielle d’un signal acoustique et l’élaboration d’une représentation mentale
correspondant à l’interprétation du message reçu (Segui, 1989)278. La théorie du dialogue
contribue à expliquer ce passage par la mise en évidence d’une étape intermédiaire et
d’une fonction fondamentale, principale et autonome dans le langage : l’écoute. Aussi, il
s’agit de distinguer les représentations sémantiques issues du traitement de l’information
par le système verbal des représentations cognitives, analytiques ou analogiques,
élaborées par la mise en jeu de processus cognitifs. Le processus de compréhension peut
être envisagé sous la forme d’une série d’étapes et d’opérations de réception, de
codification, d’interprétation, de représentation et de transformation de l’information
verbale permettant aux êtres humains de comprendre « les énoncés de leur langue en
identifiant les unités lexicales à partir de connaissances et en les intégrant dans une
structure significative » (Segui, 1989)279. La notion de « modèle mental » proposée par
Philip N. Johnson-Laird (1993) illustre cette succession d’opérations dans le processus de
compréhension, en vue de construire une représentation interne de la réalité décrite par
l’énoncé. Cette construction mentale d’un état des choses reflète sur le plan interne la
compréhension du sujet, construite essentiellement sur l’inférence (Al Faraj-Tomeh,
1996). Elle procède de l’interprétation du message par le sujet en fonction de ses
connaissances ou d’événements antérieurs. A ce propos, Durand (2000) écrit :
« L’inférence est une compréhension spontanée, un processus cognitif non logique de
formation d’hypothèses par lequel les individus attribuent un sens aux évènements qu’ils
rencontrent par inférence ou analogie à d’autres évènements. » (Durand, 2000).

Dans la construction d’un modèle mental à partir d’un énoncé, chaque entité du texte est
représentée par un élément correspondant. Les propriétés des entités sont représentées par
les propriétés des éléments. Et les relations exprimées dans le texte, qui unissent les
entités, sont représentées par les relations entre les éléments. « L’interprétation d’une
phrase consiste en la construction d’une représentation permettant de manipuler
l’information qu’elle transmet. » (Cavazza, 1993).

278
J. Segui, La parole et son traitement automatique, Coll. « Technique et scientifique », CNET/ENST,
Paris, Masson, 1989, p. 207.
279
Ibid., p. 224.

228
Pour comprendre un énoncé, les individus se construisent progressivement un modèle de
la situation décrite. Dans le cas d’un texte qui décrit une configuration spatiale, l’imagerie
mentale peut être considérée comme une activité cognitive qui facilite la représentation
des informations nécessaires à la compréhension. On peut aussi considérer que son
efficacité évolue avec l’âge, selon les individus et selon les situations. Les représentations
cognitives des sujets-lecteurs ou auditeurs d’un texte sont alors analysées comme des
constructions mentales nécessaires à l’élaboration des significations, et donc aux
processus qui aboutissent à la compréhension du texte (Gallina, 1998 ; Barbazan, 2010 ;
Pigache, 2012 ; Cavazza, Charles, 2013).

6.1.1 La théorie du double codage

La théorie du double codage de Paivio (1971) abonde dans ce sens, et l’on peut donc
distinguer deux types de représentations dans le traitement de l’information : les
représentations verbales et les représentations imagées. Génétiquement, l’homme
développe une capacité de représentation mentale de sa rencontre avec le monde, à partir
d’une pluralité de modes de représentations et de traitements de l’information (Binet C.
A., 2001). « Il peut se créer des figurations cognitives des entités absentes. » (Denis et
De Vega, 1993, p. 80).

La représentation est définie comme un processus psychologique, visant à faire parvenir à


la conscience une réalité absente du champ perceptif de l’individu. Elle est aussi définie
comme le produit de ce processus. Elle peut être de type analogique (images mentales ou
modèles mentaux) ou analytique (représentations propositionnelles ou sémantiques).
Ainsi, deux systèmes de représentations semblent se distinguer : le codage imagé et le
codage verbal. La théorie du double codage de Paivio (1971, 1986 ; Lieury, 2011, 2013)
prévoit l’existence d’une interrelation entre un système verbal et un système imagé,
fonctionnellement indépendants dans le traitement de l’information (L. Morand, 2009).

De récents travaux en psychologie cognitive confirment l’hypothèse qu’un mot d’une


langue peut susciter, chez un individu maîtrisant cette langue, la formation d’une image
mentale (Denis, 1979 ; Denis & Cocude, 1992). Ainsi, le système cognitif de l’individu
opère sur des représentations verbales issues des processus langagiers et sur des
représentations imagées élaborées par les processus d’imagerie mentale. L’ensemble des
représentations mentales est susceptible d’être inscrit en mémoire à long terme ou
d’exister temporairement en mémoire de travail. La représentation mentale d’un objet, en

229
l’absence de perception immédiate, est activée en mémoire à long terme et se caractérise
par le recouvrement en mémoire à long terme de la représentation correspondante. Deux
types de représentations peuvent alors être distingués. A ce propos, M.-F. Ehrlich, H.
Tardieu et M. Cavazza écrivent en 1993 : « Les représentations cognitives transitoires
correspondent aux événements particuliers, et les représentations cognitives permanentes
aux savoirs acquis par l’individu et qui existent à l’état de potentialité en mémoire. »280

Les représentations, qu’elles soient éphémères ou inscrites dans la mémoire à long terme
de l’individu, constituent les composantes de l’activité cognitive au sein de la mémoire de
travail (Baddeley, 1988). Selon le modèle de Baddeley (1988, 1993), la mémoire de
travail est constituée d’un contrôleur central qui a pour fonction de répartir les ressources
cognitives de type verbal (boucle articulatoire) et imagé (calepin visuo-spatial) pour
traiter et mémoriser l’information (Terauchi et Hyodo, 1993). R. Rigal, citant Pearson et
Logie (2003), définit la mémoire de travail « comme un ensemble de systèmes cognitifs
dont chacune des composantes remplit une fonction spécialisée ».

Pour Baddeley (1992), une des composantes de l’ensemble, le calepin visuo-spatial, est
un système temporaire de stockage pour les informations visuelles et spatiales. Une
deuxième composante, la boucle phonologique, offre un stockage temporaire au matériel
verbal, les deux mécanismes de stockage étant coordonnés par une troisième composante
conçue comme un processeur central exécutif281. « Ce processeur central est impliqué
dans la planification, la prise de décision, la résolution de problème, et certains aspects
de la compréhension du langage. »282

6.1.2 Rapport entre langage et motricité, s’agissant des techniques


d’inhalation dans les traitements de l’asthme bronchique

Dans le champ d’apprentissage de gestes et techniques nécessaires à une bonne maîtrise


des traitements dans l’asthme bronchique, la compréhension d’une consigne verbale
spécifiant une conduite motrice donnerait lieu à l’activation en mémoire de travail d’une
représentation sémantique de l’énoncé ainsi que d’une représentation imagée de l’action,
qui correspondraient au recouvrement en mémoire à long terme des représentations

280
M.-F. Ehrlich, H. Tardieu, M. Cavazza, Les modèles mentaux, Masson, Paris, 1993, p. 47.
281
Baddeley, A.D., La mémoire humaine : Théorie et pratique. Presse Universitaire de Grenoble, 1999.
282
Pearson et Logie, cités par R. Rigal, Motricité humaine, fondement et applications pédagogiques, Tome
2, Presses Universitaires du Québec, 2003, p. 317.

230
permanentes de type verbal et imagé, associées au matériel verbal. Il s’agit de distinguer
les représentations verbales et imagées et les processus responsables de leur construction.
La compréhension d’une consigne peut être évaluée strictement sur le plan verbal et
refléter une habileté verbale particulière du sujet. Pour Denis (1975) et Baddeley (1993),
celle-ci peut éventuellement s’appuyer ou donner lieu à l’élaboration d’images mentales,
mais ce processus est d’ordre cognitif, alors que le premier est langagier.

« Etudier la compréhension de textes ou d’énoncés, c’est identifier les processus de


traitement des formes linguistiques qui, en interaction avec les connaissances du sujet,
contribuent à la construction d’une représentation cohérente de ce qu’expriment les
textes. »283

Nous nous intéressons plus spécifiquement, dans ce travail, à la capacité d’un individu à
réaliser un geste, une technique, après avoir entendu une consigne verbale et visualisé une
image. Selon la théorie du double codage chez le bilingue de Paivio (1986), chaque
système verbal fonctionne de manière autonome et en interrelation. Les performances
verbales d’un individu bilingue dans deux langues distinctes mettent en jeu des systèmes
verbaux spécifiques, et la capacité à restituer les informations principales d’une consigne
pourrait varier d’une langue à l’autre. Le processus de compréhension peut être envisagé
sous la forme d’une série d’étapes et d’opérations de réception, de codification,
d’interprétation, d’objectivation, de représentation et de transformation de l’information
verbale permettant aux êtres humains de comprendre « les énoncés de leur langue en
identifiant les unités lexicales à partir de connaissances et en les intégrant dans une
structure significative »284.

6.1.3 La théorie du dialogue

La théorie du dialogue met l’accent sur l’importance de l’écoute, définie par l’auteur
comme « la fonction muette du langage ». La non-préméditation et la non-consignation
de la chaîne parlée constituent, dans cette théorie, les deux propriétés fondamentales du
langage, et elles impliquent l’écoute autant de la part du sujet parlant que de celui à qui il
s’adresse. La première propriété « interdit d’associer le parlant à une volonté antérieure

283
M.-F. Ehrlich, H. Tardieu, M. Cavazza, Les modèles mentaux, Masson, Paris, 1993, p. 72.
284
J. Segui, La parole et son traitement automatique, Coll. « Technique et scientifique », CNET/ENST,
Paris, Masson, 1989, p. 224.

231
constructive et consciente »285. La seconde ne considère pas la conservation de ce qui a
été dit comme « nécessaire à la compréhension du discours »286. « La non-préméditation
de la chaîne parlée prive de support toute théorie cognitive fondée sur une partition
esprit pensant/langage instrument. »287 Cette position accorde au langage une autonomie
vis-à-vis des processus cognitifs et distingue, chez un individu, les fonctions langagières
des fonctions cognitives. « Inscrite dans chaque sujet de langage, la langue travaille
toute seule. » 288 La théorie du dialogue envisage donc le langage comme une activité
autonome, c’est-à-dire comme une activité automatisée qui ne requiert pas, en général,
une construction ou une organisation consciente de la part des interlocuteurs vis-à-vis de
la langue. Chaque code linguistique structure et organise l’information dans un sujet de
langage lorsqu’il parle ou écoute. Ainsi, cette théorie définit l’activité langagière comme
un système autonome qui s’évertue, à travers une langue, à donner du sens à ce qu’on dit
ou entend.

6.1.4 Hypothèse

L’utilisation de la langue créole en éducation thérapeutique de l’adolescent asthmatique


en Guadeloupe influence de manière significative les processus d’apprentissage sur le
plan cognitif, analytique et sensori-moteur, et constitue une plus-value en matière
d’acquisition.

6.1.5 Introduction

Notre seconde étude, de type expérimental, se situe dans le champ de la psychologie


cognitive et étudie plus spécifiquement l’influence de la langue sur les processus verbaux,
cognitifs mais aussi moteurs. Il s’agit de la maîtrise des techniques d’inhalation, pour la
prise des traitements dans cette pathologie, chez des collégiens guadeloupéens, dans le
cas précis d’une éducation thérapeutique réalisée en milieu scolaire. Une investigation de
ce type nous semble pertinente dans la mesure où elle tente de relever l’usage du créole
dans l’ensemble des situations de communications dans ce domaine précis et par
l’ensemble des acteurs concernés, afin de tenter d’en tirer le meilleur profit pour une prise
de conscience rapide, par le malade, de la nécessité de se soigner. A travers une première

285
J. Courcil, La fonction muette du langage, Ibis rouge, 2000, p. 21.
286
Ibid., p. 27.
287
Ibid., p. 99.
288
Ibid., p. 21.

232
étude clinique de type exploratoire, nous avons identifié la place de la langue créole dans
la consultation médicale et le respect des recommandations de bonnes pratiques par les
médecins, mais aussi l’utilisation qui est faite de ce moyen langagier dans le cadre de
l’annonce du diagnostic d’asthme. « Ravin ka suiv coulé » (« La ravine suit la
crevasse ») : cette métaphore destinée à la population bilingue français/créole est souvent
utilisée en ETP pour définir la prédisposition familiale dans les maladies allergiques. Elle
a le mérite de fixer une fois pour toutes la notion de durabilité de la maladie et de
répondre à la question : dois-je prendre ce traitement à vie ? Pour comprendre un énoncé,
les individus se construisent progressivement un modèle de la situation décrite. Dans le
cas d’un texte qui décrit une configuration spatiale, l’imagerie mentale peut être
considérée comme une activité cognitive qui facilite la représentation des informations
nécessaires à la compréhension. On peut aussi considérer que son efficacité évolue avec
l’âge, selon les individus et selon les situations. « Les représentations cognitives des
sujets - lecteurs ou auditeurs d’un texte - sont alors analysées comme des constructions
mentales nécessaires à l’élaboration des significations, et donc aux processus qui
aboutissent à la compréhension du texte. »289

Au niveau sociolinguistique, certaines études soutiennent cette hypothèse et révèlent que


la langue créole est considérée, dans les sociétés antillaises, comme une langue imagée ou
faite d’images (Michelot, 2000 ; Anciaux, 2003). Sachant que différentes variables
socioculturelles telles que l’âge, le genre, le milieu social, peuvent influencer la
connaissance et la pratique du créole, elles ont été contrôlées afin d’empêcher leur
influence sur nos résultats ; notre analyse a pris en compte chacune d’elles. Certaines
études ont montré que les garçons, les adultes, les individus de milieu défavorisé et les
personnes vivant à la campagne pratiquaient davantage le créole que les filles, les enfants,
les individus de milieu aisé et les citadins. Ces caractéristiques sont donc prises en
considération.

6.2 Population, matériels et méthodes


Pour mener à bien notre recherche, notre choix s’est porté sur une sous-population de
patients asthmatiques, les adolescents au collège. Pourquoi avoir choisi ce type de public,
et le collège ISSAP de Sainte-Anne précisément ? Comme nous avons eu l’occasion de

289
Gallina J.-M., Les représentations mentales, Editions Dunod, 2006, p. 115.

233
l’exposer précédemment, la prévalence de l’asthme représente 14,1% au sein de cette
sous-population, et le taux d’asthme grave pouvant conduire au décès 3,5%, contre 12%
et 2,8% en France hexagonale (ISAAC I, 2002-2003). De plus, il a été souligné par
plusieurs études le taux élevé d’inobservance dans cette couche de la population en
France (J. Deblic, P. Boucot, D. Huas, P. Godard, 2007 ; I. Aujoulat, D. Doumont, 2009).
Une étude multicentrique africaine préconise le renforcement de l’éducation
thérapeutique pour améliorer l’observance chez les jeunes patients souffrant de maladies
chroniques (Adoubi K.A, Diby K.F., Yangni-Angate K.H., Nguetta R., Adoh A.M.,
2006)290. L’observance thérapeutique a été évaluée au Canada ; les chercheurs se sont
penchés sur la question de l’apport de la psychologie sociale sur le comportement des
patients (P. et E. Garnier, 2010 ; R.H. Thaler, C.R. Sustein, 2008)291. Pour Lecocq (1993)
et Démont (2001), sur le plan psychocognitif, l’enfant n’acquiert la conscience
phonémique de différenciation des suites lexicales dans une langue donnée, qu’une fois
confronté à l’apprentissage de l’écriture. La « conscience linguistique », ou la capacité
de l’enfant à établir les connexions nécessaires entre langage oral et langage écrit,
l’amène à une prise de conscience des spécificités de chacun d’eux (Demont, Nithart et
al., 2010)292.

L’auteur privilégie une approche cognitive de l'apprentissage de la lecture et de ses


difficultés. Il s’intéresse au développement et au rôle respectif de différentes composantes
phonologiques chez des enfants apprentis-lecteurs et des enfants présentant des difficultés
en lecture, mais aussi au développement et au rôle des compétences métalinguistiques
lors de l’apprentissage de la lecture en contexte bilingue. Un des principaux apports de
ces programmes de recherche a été la mise en évidence du rôle de la mémoire de l’ordre,
lors des toutes premières étapes de l’apprentissage de la lecture. L’auteur écrit :
« Lorsque l’enfant apprend à lire et à écrire son système cognitif procède à un recodage

290
Adoubi K.A., Diby K.F., Nguetta R., Yangni-Angate K.H., Adoh A.M., « Facteurs de la mauvaise
observance thérapeutique de l'hypertendu en Côte d'Ivoire ». Revue Internationale des Sciences Médicales.
Vol. 8, n° 2, 2006, p. 18-22.
291
E et P. Garnier, Revue du médecin du Québec, volume 45, N° 3, mars 2010. Thaler RH, Sustein CR,
Nudge : Improving decusions about healt wealth and happiness. New Haven : Yale University Press, 2008,
p. 294.
292
Demont, E., Nithart, C., & Metz-Lutz, MN. (2010). « Mémoire de l’ordre et apprentissage de la
lecture. Approche Neuropsychologique des Apprentissages chez l’Enfant », 22 (107-108), 159-165.

234
symbolique de l’information et à l’élaboration d’une nouvelle voie d’accès à la
signification. »293

Ainsi, apprendre à écrire et à lire une langue, c’est apprendre une nouvelle manière de
coder, de présenter et d’organiser l’information verbale, entraînant certaines
modifications dans l’organisation cognitive du système verbal de l’individu. Dans le cas
d’individus bilingues qui n’ont appris à écrire qu’une seule des deux langues parlées, on
peut supposer que cette situation aura des conséquences spécifiques sur l’organisation
cognitive du traitement de l’information verbale et sur le développement des compétences
linguistiques dans chacun des deux codes linguistiques.

L’apprentissage d’une langue apprise de manière informelle, spontanée et naturelle dans


des situations de communication reposant uniquement sur le mode oral, pourrait
engendrer la construction d’un système de représentations particulier et un traitement
spécifique de l’information verbale comparativement au système de représentations
élaboré à partir d’une langue apprise de manière formelle et structurée. Dans sa thèse en
2003, F. Anciaux écrit : « L’apprentissage d’une langue à l’oral susciterait chez
l’individu l’élaboration d’un système de représentation du monde plus concret que
l’apprentissage d’une langue à l’écrit qui constituerait un passage à un degré
d’abstraction plus élevé dans la langue. » (Anciaux, 2003)294.

6.2.1 Présentation et choix du collège Issap de Sainte-Anne

A travers ce chapitre, nous expliquons le choix de la commune de Sainte-Anne et du


collège Issap du bourg comme théâtre de notre expérimentation. Notre préoccupation
première était d’éviter de privilégier la pratique d’une langue par rapport à l’autre, en
choisissant une commune qui soit à la fois rurale et balnéaire : Sainte-Anne en
Guadeloupe correspond à cette attente.

La ruralité nous garantit une pratique langagière plus axée sur le créole ; la dimension
balnéaire, par l’apport extérieur qu’elle engendre, assure une pratique langagière plus
axée sur la langue française. Une troisième composante n’est pas à négliger : c’est celle
de l’immigration haïtienne et dominicaine, très présente dans le commerce et d’autres

293
Demont, E. (2001). « Contribution de l’apprentissage précoce d’une deuxième langue au développement
de la conscience linguistique et à l’apprentissage de la lecture ». International Journal of
Psychology, 36 (4), 274-285.

235
services de cette commune où la langue créole est très usitée. Partant de ces critères et
dans un souci d’équilibre, le choix du collège du bourg de Sainte-Anne, point de
convergence de toutes ces communautés, s’est fait naturellement, par opposition à celui
du collège de Douville, situé dans l’arrière-pays des Grands Fonds à forte dominante
créole. Les 1 071 élèves du collège Issap de Sainte-Anne sont répartis en 47 classes dont
deux unités localisées pour l’inclusion scolaire (ULIS) pour 16 élèves (il s’agit d’élèves
dont le handicap ne permet pas d’envisager une scolarisation dans une classe ordinaire de
manière continue), 12 classes de 6e dont deux sections d’enseignement général et
professionnel adapté (SEGPA), 11 classes de 5e dont deux SEGPA, 11 classes de 4e dont
deux SEGPA et 11 classes de 3e dont deux SEGPA.

6.2.2 Descriptif de l’étude et critères d’inclusion

Destinée à comparer les acquisitions des jeunes patients asthmatiques après des séances
d’éducation thérapeutique dans l’asthme bronchique, notre étude vise deux groupes
d’adolescents, un groupe éduqué en langue française et un autre groupe en langue créole
guadeloupéenne. Pour mener à bien ce projet, nous avons été obligé de composer avec le
programme scolaire et la disponibilité des élèves en intercours. Ce programme d’ETP
s’est déroulé en quatre séances d’une heure, dont la première était destinée à sélectionner
les élèves et à constituer les groupes. Un questionnaire est proposé aux élèves, dans
lequel ils indiquent leur préférence pour l’une des deux langues dans l’expression de leurs
ressentis et la description de leur maladie. Le choix d’une langue par rapport à l’autre a
aussi pour objectif de déterminer leur appartenance culturelle, plutôt francophone ou
plutôt créolophone. Une mesure du souffle a été effectuée par chaque élève au cours de
cette première séance également. Dans un souci de clarté, nous exposons chaque séance à
travers son déroulement, son analyse et ses résultats.

6.3 Cadre conceptuel de la recherche


Nous adoptons dans cette démarche un cadre d’analyse issu de l’ergonomie cognitive qui
fait référence à différents courants de la cognition située en neuroscience et intelligence
artificielle (Hutchins, 1995 ; Kishner et Whitson, 1997) et de l’ergonomie cognitive en
analyse de travail. L’analyse de ce travail se fera dans le cadre de sa réalisation

294
F. Anciaux, L’enfant, le créole et l’EPS aux Antilles françaises, une approche pluridisciplinaire du
bilinguisme dans les apprentissages moteurs, thèse de doctorat non publiée, UAG, 2003.

236
(Amalberti, Montmoullin et Theureau, 1991 ; Durand, 1996 ; Leplat, 1997 ; Ombredane
et Faverge, 1955). Ce cadre conceptuel propose différentes démarches permettant de
décrire et d’analyser l’activité afin notamment de concevoir des dispositifs de formation
pour ce travail (Pinski, 1992 ; Theureau, 1992). En utilisant le terme d’« activité de
travail », l’accent est mis sur la personne, l’acteur, vu comme un agent intelligent qui
possède certaines habiletés et partage des pratiques développées durant son expérience
avec autrui, qui a la capacité de contrôler, réguler, coordonner et de construire sa conduite
afin d’atteindre un but. Le but poursuivi par notre intervention est d’initier une
modification de comportement chez un public particulier, visant un aspect particulier,
« l’observance thérapeutique », afin d’éviter des complications susceptibles de se
produire en l’absence de cette intervention (Montmoullin, 1995). Cette expérimentation
se situe dans un contexte donné, dans ses composantes matérielles, sociales et historiques
qui fournissent des ressources mais qui définissent aussi des contraintes. « Simultanément
ce contexte est affecté par l’expérience de vie du sujet et ainsi constamment révisé et
réinvesti. » (Béguin2007) 295 . Cette expérience reflète en effet notre vécu, depuis une
douzaine d’années, à la tête de ce centre d’éducation thérapeutique de Guadeloupe où
nous avons pu tester et adapter notre approche méthodologique.

Dans le cas présent, l’action étudiée est l’action réellement réalisée au collège Issap de
Sainte-Anne en Guadeloupe, avec les adolescents asthmatiques bilingues français-créole,
par l’équipe éducative de l’école de l’asthme de Guadeloupe. Il s’agit d’une relation
pragmatique entretenue avec le contexte spatial, temporel et social de la classe. Cette
activité de travail ainsi analysée est une activité cognitive de production de sens et de
signification, une expérience professionnelle unique. Nous pensons que « cette
expérience “située” une fois décrite et analysée peut servir de support de formation pour
les acteurs de cette discipline, mais aussi pour la conception d’outils de formation pour
les futurs acteurs » 296 , en l’occurrence les éducateurs thérapeutiques de Guadeloupe.
Ainsi, la cognition en action est représentée comme un processus par lequel l’acteur
construit dans et par l’action une signification personnelle de la situation qu’il vit et décrit
(Dreyfus, 1984 ; Varela, 1989 ; Winograd et Flores, 1989). L’analyse de cette activité
réalisée est significative dans la mesure où elle est démontrable, racontable et

295
Béguin, P. (2007). « Prendre en compte l’activité de travail pour concevoir ». @ctivités, 4 (2), pp. 107-
114, http://www.activites.org/v4n2/v4n2.pdf.

237
commentable à tout instant de son déroulement, à n’importe quel interlocuteur ou
297
observateur . Pour cette description, nous nous référons au cadre d’analyse
sémiologique de l’action (Pinski, 1992 ; Theureau, 1992 ; Theureau et Jeffroy, 1994). La
définition de l’objet théorique du cours d’action repose sur le postulat que le niveau de
l’activité qui est racontable par l’acteur est un niveau d’organisation relativement
autonome par rapport à d’autres niveaux de l’activité et qu’il peut faire l’objet
d’observations, de descriptions et d’explications valides (Theureau, 1992). Ainsi, une
approche dite « située » de l’action des enseignants (Brown, Collins et Duguid, 1989 ;
Durand, 1998a, 1998b, 2000a ; Rovegno, 1994) peut être qualifiée selon cinq traits
principaux :

- la codétermination de l’action et de la situation ;

- la construction de signification pour l’action ;

- le rôle des objets comme artefacts cognitifs ;

- la configuration de l’action par couplage avec l’action des élèves ;

- les structures archétypes dans l’organisation de l’action.

A travers notre présentation, nous définissons chacun de ces traits en les illustrant par des
extraits de comptes-rendus du déroulement de l’action. Notre veille bibliographique ne
nous a pas révélé d’exemples de travaux similaires menés en éducation thérapeutique
chez les adolescents asthmatiques bilingues français-créole. Pour conduire notre
expérimentation, nous avons donc eu recours à la méthode heuristique.

L’action est un accomplissement contextualisé et porte l’empreinte du contexte dans


lequel elle s’inscrit, en l’occurrence le collège. Dans cette démarche, la codétermination
de l’action et de la situation est évidente. Plusieurs chercheurs avancent l’idée d’une
élaboration mutuelle de l’action et de la situation, en plus de son inscription dans un
contexte singulier (Suchman, 1987 ; Varela, 1989). Le positionnement de l’élève dans un
registre discursif par son choix d’une langue par rapport à une autre participe à cette

296
A. Durny, Arbitrer et juger des activités de construction de la décision, F. Dosseville et S. Laborde,
Editions publiques, Université, Recherches, sport et santé, 2011, p. 345.
297
J. Theureau et F. Jeffroy, Ergonomie des situations informatisées. La conception centrée sur le cours
d'action de l'utilisateur, Toulouse, Octarès Editions, 1994, p. 19.

238
codétermination. Cette action est donc construite par les acteurs et n’a pas d’existence
indépendante de son contexte. L’action et la situation se définissent l’une et l’autre dans
un processus continu tout au long de son déroulement. Ce travail est le fruit de la
combinaison de l’action et de la situation.

Nos critères d’inclusion portaient sur des adolescents asthmatiques diagnostiqués,


bénéficiant d’un projet d’accueil individualisé (PAI) enregistré au cours de l’année
scolaire 2012-2013 298 . Le relevé des PAI pour asthme par l’infirmière scolaire fait
apparaître un nombre de 63 dossiers, soit un taux de 5,88% de l’effectif total du collège.
Une demande d’autorisation d’inclusion à l’étude a été remise à chaque élève 299 . 59
autorisations ont été obtenues et 59 inclusions ont été effectuées pour 18 filles (âge
moyen 12-14 ans) et 41 garçons (âge moyen 12-14 ans). Des élèves asthmatiques, connus
par les infirmières scolaires mais non bénéficiaires de PAI, ont intégré les groupes pour
pouvoir bénéficier de cette ETP, mais n’ont pas été pris en compte au titre de l’étude ; ils
étaient au nombre de huit.

Afin de mesurer la vision « créoliste » de la maladie asthmatique dans cette sous-


population, et de dresser le profil des participants, un questionnaire, portant sur la
connaissance, l’expression et la gestion de la maladie (QCEG)300, a été rempli par chaque
élève. Ce questionnaire anonyme a été passé en prétest auprès d’un échantillon de 18
élèves d’un autre collège et validé par le comité scientifique de Karu Asthme. Outre le
numéro d’identification de l’élève, un premier volet individuel a permis d’obtenir des
informations personnelles sur chaque sujet afin de déterminer ses caractéristiques
sociales : genre, lieu de naissance, pays d’origine des parents, catégorie
socioprofessionnelle (CSP) ; ceci afin de déterminer le milieu social de l’enfant.

Un deuxième volet de notre QCEG comportait 17 questions en rapport avec la langue


couramment utilisée pour décrire la maladie de l’enfant et exprimer son appartenance à
une communauté. En effet, s’intéresser au bilinguisme nécessite de prendre en
considération le niveau de maîtrise de la deuxième langue (Demont, 2001). Ainsi, un test
de compétence linguistique en créole a permis de connaître le niveau de chacun des
individus en langue créole. Ce test s’appuie sur les travaux d’identification et de

298
Annexe n° XIV.
299
Annexe n°XV.
300
Annexe n°XVI.

239
compétences perçues par l’individu en rapport avec sa compréhension et ses productions
en créole (Poullet et Telchid, 1990), sur le degré de son biculturalisme. Le sujet écoute un
texte en créole en rapport avec une situation spécifique et caractéristique du milieu
culturel créolophone, en l’occurrence une veillée mortuaire, puis il répond à cinq
questions portant sur le texte d’une part et sur la traduction d’autre part, et enfin, il
répond à cinq phrases créoles en français et à cinq phrases françaises en créole. De
manière plus spécifique, 11 questions sur la connaissance de la maladie asthmatique lui
sont posées, en rapport avec cette gestion et les incidents pouvant découler de cette
gestion. L’analyse de ce questionnaire exploite des variables telles que : l’origine et la
CSP des parents, le sexe, l’âge et le lieu de naissance de l’enfant, la première langue
parlée, l’usage du créole à travers sa compréhension et son utilisation, la préférence de
l’enfant pour une langue par rapport à l’autre pour exprimer ses ressentis et parler de sa
maladie. Au cours de la première séance, un contrôle de la mesure de son souffle est
également effectué.

Sur le plan du contrôle de la maladie, des questions qui portent sur les incidents ayant
émaillé les 12 derniers mois précédant l’enquête lui sont posées. Ceux qui ont connu des
gênes respiratoires le jour de l’enquête, ainsi que ceux qui sont facilement gênés en sport
ou lors de l’effort, ou qui utilisent fréquemment un médicament de secours, sont
identifiés. Ces derniers paramètres seront comparés à l’évaluation après l’éducation
thérapeutique afin de mesurer l’écart entre l’avant et l’après-éducation et le maintien des
acquisitions après l’éducation.

6.3.1 Déroulement de la recherche

La prise de contact avec les élèves sélectionnés a débuté par la présentation de l’étude en
langue française et en langue créole guadeloupéenne et après la passation de la narration -
test de biculturalisme. Il s’agissait pour nous, dans un premier temps, de constituer deux
groupes d’élèves destinés à recevoir cette éducation thérapeutique dans ces deux registres
langagiers.

Cette phase d’organisation du temps et de l’espace nous a permis de répartir les élèves et
de procéder à leur anonymisation en leur attribuant à chacun un numéro. Le temps passé
à cette phase d’organisation est de 25 minutes. Pour faciliter la remise des questionnaires,
les animateurs eux-mêmes se sont déplacés, mais en ne stationnant pas pendant plus
d’une minute auprès de chaque élève. Ils ont effectué deux rotations auprès des élèves

240
pour une séance de 65 minutes. Les interactions verbales avec les élèves ont été réparties
comme suit : 18% du temps total d’interaction en direction du groupe, 21%
individuellement. Ils ont procédé au remplissage du questionnaire sans supervision
pendant 58% du temps. L’ordre dans lequel les éducateurs s’adressaient aux élèves était
prévisible car étant au nombre de deux, ils avaient partagé la salle en deux parties.
Chaque éducateur ne s’adressait en particulier qu’aux élèves situés dans sa partie. Le
ramassage des questionnaires a été réalisé par les éducateurs sur les 3 % de temps restant,
chacun pour sa partie respective. Ces élèves ont vécu cette action organisée et structurée
par le superviseur et sous son expertise : temps imparti pour chaque phase, prise de
connaissance, remplissage, ramassage.

L’organisation de la séance n’a pas été imposée au superviseur. La mise en scène a été
construite et conduite par lui. Son action a sélectionné et utilisé les éléments pertinents du
contexte, puisqu’elle se déroulait dans une salle initialement destinée aux cours
audiovisuels, et il a donc su tirer profit de son organisation spatiale et temporelle. En
contrepartie, la participation des élèves et leur implication ont laissé une empreinte dans
l’action du formateur. Cet espace de travail du formateur et des élèves définit l’action, qui
se qualifie elle-même comme étant celle du formateur ainsi décrite. Cela engendre une
codéfinition due à la nécessité de l’analyse et à la présentation du récit de l’action. Pour la
réalisation de l’action, l’intentionnalité du formateur a mis en relation singulière un
« contexte et une situation ». Cette action n’est donc compréhensible et analysable que
dans la situation au regard de laquelle elle se déploie. Les différents couplages qui ont été
nécessaires à la réalisation de l’action sont adaptatifs, dynamiques et globaux. Toutefois,
la dynamique de l’action participe à la mouvance d’adaptation au contexte nécessaire à
son déroulement, en excluant tout effet extérieur à l’action qui est en train de s’accomplir.
L’action, en tant que couplage auto-organisé, se dote de sa propre dynamique. Les
variables constituées par la stimulation de l’environnement ou l’adaptation au milieu
participent à la configuration de l’action selon ce processus de codétermination. « Dans le
cas où des facteurs extérieurs viendraient à perturber ce couplage dans son déroulement,
ils s’intégreraient dans la situation et deviendraient des variables extrinsèques mais
intrinsèquement significatives. » (Varela, 1989)301.

301
(....) « Les questions pertinentes qui surgissent à chaque moment de notre vie ne sont pas prédéfinies
mais énactées, on les fait émerger sur un arrière-plan et les critères de pertinence sont dictés par notre

241
Comme nous l’avons dit plus haut, Sainte-Anne étant une ville balnéaire, il existe en effet
un pourcentage non négligeable d’enfants, dans cette population, qui ont comme langue
d’expression courante le français ; mais c’est aussi une ville rurale du sud de la
Guadeloupe, avec une population bien implantée dans la tradition à travers les Grands
Fonds et les mornes. Par souci d’équilibre entre les deux groupes et pour une bonne
répartition des sujets, nous avons jugé utile de tester la capacité des enfants à s’inscrire
dans un registre discursif ou dans un autre, en choisissant de répondre à un énoncé
phonologique selon que cet énoncé a, pour eux, plus de sens en créole ou en français. En
d’autres termes, il s’agissait d’activer le lexique « interne » des enfants (Dubois et al.,
1993).

Le terme linguistique de « lexique » est utilisé ici pour désigner toutes unités signifiantes
non essentiellement grammaticales représentant l’ensemble des unités formant la langue
d’une communauté, d’une activité ou d’un locuteur. Ces unités lexicales étant « inscrites
dans le code de notre mémoire », on parle alors de lexique « interne », ou « subjectif »,
ou « mental », suivant les auteurs : Segui, Mehler, Fraueufelder, Morton (1982) 302, B.
Gordon et A. Caramazza (1985)303. Il est courant cependant de parler tout simplement de
lexique sans systématiquement définir explicitement ces termes304.

L’accès au lexique oral consiste donc en la récupération de la représentation


phonologique du mot stocké dans le lexique mental à partir d’un stimulus d’évocation
(conversation, fluences) (Le Cocq et Segui,1989). Les modèles d’accès au lexique oral
s’appuient, pour la plupart, sur la production de mots isolés lors de tâches de
dénomination orale ou d’images (Alario, 2001)305.

sens commun d'une manière toujours contextuelle. » Varela F.J., Autonomie et connaissance, Seuil, Paris,
1989, p. 90.
302
J. Segui, U. Fraueufelder, J. Mehler, J. Morton (1982), « The word frequency affect and lexical access »,
Neuropsychologia, 20, 1982, p 615-628.
303
Gordon B., & Caramazza A. (1985). « L'accès lexical et la sensibilité de fréquence : la saturation des
fréquences et ouvert / fermé équivalence de classe ». Cognition, 21, 95-115. P. Marquer, L’organisation du
lexique mental, éditions L’Harmattan, 2005, p. 6.
304
« Il existe dans la tête de tout parleur, tout être doué de raison, un ensemble d’entités cognitives dont
chacune est constituée d’au moins un signifiant, d’au moins un signifié et au surplus de règles d’usage (par
définition non sémantique) que l’on peut qualifier de syntaxiques. » Le Cocq et Segui (1989), In M. Pernon,
P. Gatignol, L’accès au lexique oral chez l’adolescent au collège, Glossa, 2011 ,p. 13-25.
305
Alario, F.X. « Aspects sémantiques de l’accès au lexique au cours de la production de parole ».
Psychologie française, 46 (1), 2001. p17-26.
http://gsite.univ-provence.fr/gsite/Local/lpc/dir/alario/papers/2001-Alario-PsyFr.pdf. Consulté le 10 mai
2011.

242
En effet, la dénomination offre la possibilité de contrôler l’influence de la langue
première de l’enfant sur les items proposés par des variables psycholinguistiques, et
d’identifier à quel niveau de traitement ces dernières exercent leur effet (Bonin, 2002). Il
est admis que l’enfant acquiert l’essentiel du système linguistique de sa langue maternelle
(les bases phonologiques, lexico-sémantiques, morphosyntaxiques, pragmatiques) entre
un et quatre ans (Berman, 2004 ; Grossmann et al., 2005). De récentes études insistent,
entre autres, sur la poursuite du développement lexical (Nippold, 1998 ; Lord Larson,
McKinley, 2003 ; Berman, 2004 ; Grossmann et al., 2005). Berman (2004) note ainsi que
devenir un locuteur « natif » est un processus rapide et hautement efficient, tandis que
devenir un locuteur très compétent (« proficient speaker ») constitue un processus
beaucoup plus long. De fait, les travaux menés en neurosciences, ces dernières années,
nous indiquent que le cerveau de l’adolescent est unique, hautement malléable, et qu’il
présente des potentialités de maturation exponentielle et ce, jusqu’à l’âge de 25 ans
environ (Giedd, 2008 ; Whitford et al., 2007). Giedd (2008) met ainsi en évidence à
l’adolescence un pic ré-organisationnel au niveau cérébral, caractérisé par une réduction
de la substance grise et un gain en substance blanche. Cette dernière démultiplie la vitesse
de conduction du signal nerveux, l’augmentation de la vitesse des processus de traitement
pouvant en être le reflet chez l’adolescent (Byrnes, 2003), dont la spécialisation cérébrale
va, par ailleurs, croissant (Mabbott et al., 2006 ; Shaw et al., 2008). Ces modifications
sous-tendraient le développement des habiletés cognitives (langagières, exécutives)
durant cette période, les régions frontales et pariétales connaissant les plus grands
changements (Whitford et al., 2007). Ainsi, les troubles du langage oral peuvent perdurer
ou même émerger durant l’adolescence (Reed, 2005), période dont nous choisirons ici de
situer l’entrée aux alentours de 10-13 ans (Braconnier, Marcelli, 1998), âge
correspondant aux premières années du collège. Rappelons cependant que les définitions
de l’adolescence abondent, dépendant du point de vue adopté. Cette période reste de
manière générale caractérisée par d’importantes transformations somatiques, physiques,
par des changements profonds d’ordre psychologique, cognitif, social, familial.

L’acquisition lexicale à l’adolescence semble continue et plus lente que celle qui a lieu
lors de l’enfance et concerne davantage le langage élaboré. Un accroissement parallèle
des lexiques actif et passif est relevé sur le plan quantitatif. Au niveau qualitatif, la vitesse
d’accès lexical est grandissante et présente une précision accrue en tâches de
dénomination et de fluences (Nippold, 1998) ; ceci est sans doute le reflet des

243
changements neurobiologiques mentionnés plus haut. Le lexique élaboré, abstrait,
évoluerait particulièrement pendant la scolarité au collège (Lord Larson, McKinley,
2003)306.

Il devient également plus facile d’utiliser les mots en tant que concepts (Lord Larson,
McKinley, 2003), d’organiser et de réfléchir sur le sens des mots. Ces compétences sont
qualifiées de « méta-lexicales », concernant la capacité à isoler le mot, à l’identifier
comme élément du lexique et à pouvoir accéder intentionnellement au lexique interne, et
de « méta-sémantiques », se référant, quant à elles, à la capacité à reconnaître le système
de la langue comme un code conventionnel et arbitraire et à manipuler les mots
(Gombert, 1990).

Ces compétences « méta-lexicales » et « méta-sémantiques » sont, selon Nippold (2000)


et Berman (2004), parmi celles qui évolueraient le plus durant le développement
langagier tardif. Par ailleurs, le développement lexical demeure fortement influencé par le
niveau socio-économique et socioculturel de l’entourage de l’adolescent (Rondal et al.,
2000 ; Lord Larson, McKinley, 2003 ; Dockrell, Messer, 2004). De manière générale,
plus le niveau socio-économique et/ou socioculturel est élevé, plus la diversité lexicale
est importante et plus les interactions verbales sont lexicalement riches. Le niveau
socioculturel, socio-économique s’avère ainsi prédictif du développement lexical, ce qui
est en rapport avec les données de la littérature chez des sujets du même âge ou plus
jeunes (Granboulan et al., 1995 ; Rondal et coll., 2000).

Mais, le contexte influe sur le lexique de l’individu, autrement dit, des éléments
provenant du lexique sont combinés avec des éléments extérieurs (Rosch, 1973, 1976 ;
Mervis et Rosch, 1981 ; Dubois, 1983)307.

Notre population d’étude était constituée de 18 filles et de 41 garçons. Une liste de 64


mots leur a été présentée phonologiquement, mais quatre mots ont été retirés de la liste
pour manque de sens ; il s’agit de : bise, traitement, pile, banc. 60 mots ont donc été
proposés à l’interprétation.

306
Lord Larson, V., Mc Kinley, N.L., 2003. “Communication solutions for older students assessment and
intervention strategies”. Eau Claire, WI : Thinking Publications, cité par Michaela Pernon et Peggy
Gatignol, Accès au lexique oral chez l’adolescent au collège, Glossa n° 110, 2011p. 16.
307
De nombreux travaux, menés sur l’organisation du lexique, soulignent l’ambiguïté lexicale en mettant
en avant des notions de typicalité et de prototype. Mervis et Rosch, 1981, « Catégorisation d’objets
naturels », Annual Review of Psychology. DOI : 10.1146/an -nurev.ps.32.020181.000513. Chemlal S., &

244
Cette liste de mots comportait un tiers de mots à double sens, créant une instabilité dans
le processus de codification du sujet, l’obligeant à faire un choix et à s’inscrire dans un
registre linguistique communautaire. Les mots ont été livrés phonologiquement aux
élèves. Il s’agit de mots tels que « cannes, lac, fos, pays, figue, loto, poirier, convoi, tôle,
pige, poêle, filé, canari, coq, chômage, sucre, cabane, case, bo, filon ».

En plus du choix que le sujet devait faire dans son interprétation du mot, il devait
mentionner, à côté de son numéro, ce que cela représentait pour lui en matière d’image
mentale et quelle expression idiomatique pouvait en découler. A titre d’exemple, le mot
case phonologiquement prononcé, pouvait représenter un « espace à cocher » pour un
enfant davantage ancré dans une communauté à dominante française, et à l’inverse une
« habitation » pour un autre enfant plus influencé par le créole ; l’expression idiomatique
française prédictive pourrait être : « il t’en manque une », et à l’inverse en créole : « a
kaz, kaz anmwen », (« chez moi »), « ti kaz an mwen » (« ma maison petite maison »).
Nous tenons cependant à considérer, dans nos hypothèses, les caractéristiques
sociolinguistiques des individus, car elles sont à l’origine de la construction d’un
bilinguisme et d’un biculturalisme aux Antilles françaises. La capacité des sujets à
susciter des images mentales différentes devrait être plus marquée chez les sujets
largement ancrés dans la ruralité. C’est pour cela que l’étude des mots se fera en fonction
des variables comme le genre du milieu social d’origine, et de l’environnement de
résidence de l’enfant, car ces facteurs traduisent un niveau plus élevé de connaissances et
d’utilisation du créole. Après « anonymisation » par l’attribution d’un numéro à chacun
des enfants, nous avons procédé à l’analyse des données en fonction de l’âge, du genre et
du milieu socioprofessionnel d’origine. L’analyse statique des données a consisté d’abord
à homogénéiser notre population et à valider le jugement des enfants par les réponses
émises, et ensuite à étudier leurs réponses en fonction de leur appartenance linguistique et
leur référence idiomatique. Nous rappelons certains points :

- Seuls les sujets ayant un niveau de compétence et de maîtrise suffisant sont


sélectionnés, comme capables d’intégrer le groupe créole. Ainsi, seuls les sujets qui ont
inscrit leur réponse à plus ou moins 5 points de l’écart type bénéficient du programme
créole.

Cordier F., 2006. « Structures conceptuelles, représentation des objets et des relations entre les
objets ». Canadian Journal of Experimental Psychology, 60, 7-23.

245
- Les mots dont la moyenne de réponse est trop proche de la moyenne type ne sont pas
pris en compte. Ainsi, ne sont retenus que les mots dont le pourcentage se détache
nettement de la moyenne.

- Concernant la fréquence d’usage, seuls seront pris en compte les mots dont la fréquence
moyenne dépasse la moyenne générale de plus ou moins 5 points.

- La fidélité intrajuge est vérifiée par la réévaluation de 12 mots pour chaque juge. Une
ANOVA à un facteur a permis de vérifier la stabilité de jugement de notre population308.

- La fidélité interjuge : seule la valeur d’imagerie des mots en français sortis dans notre
étude est comparée à ceux qui sont sortis dans d’autres études en langue française ; elle
permet de vérifier la fidélité des jugements interjuges en langue française. Les données
comparatives n’existent pas pour le créole.

- Les variables dépendantes sont la capacité d’imagerie visuelle des mots et leur
inscription au choix, dans la langue préférée du sujet (créole ou français) ; les variables
indépendantes sont le genre, l’âge et le milieu socioprofessionnel d’origine.

Total
exprimé
MOTS NR % Créole % Français % %/N
nombre

pays 1 1,75% 27 48,21% 29 51,78% 56 98,24%


figue 6 10,53% 43 84,32% 8 15,68% 51 89,47%
loto 3 5,26% 39 72,23% 15 27,77% 54 94,73%
bal 3 5,26% 32 59,25% 22 40,74% 54 94,73%
trace 5 8,77% 27 51,92% 22 48,08% 52 91,22%
port 4 7,01% 27 50,94% 26 49,06% 53 92,98%
terre 5 8,77% 29 55,76% 23 44,24% 52 91,22%
poirier 6 10,53% 31 60,78% 20 39,22% 51 89,47%
convoi 2 3,50% 27 49,10% 28 50,90% 55 96,49%
fruit 9 15,78% 30 62,50% 18 37,50% 48 84,21%
derrière 16 28,08% 17 41,46% 24 58,53% 41 71,92%
lac 7 12,28% 29 58,00% 21 42,00% 50 87,72%

308
Le terme ANOVA (pour : ANalysis Of VAriance) est un test statistique de l’analyse de la variance,
permettant de vérifier que plusieurs échantillons sont issus d’une même population. Ce test s’applique
lorsque l’on veut mesurer un ou plusieurs facteurs de variabilité, leurs différentes modalités étant parfois
appelées « niveaux », qui peuvent avoir de l'influence sur la distribution d'une variable continue à expliquer.
Notre traduction.

246
tôle 10 17,55% 27 57,45% 20 42,55% 47 82,45%
pige 8 14,04% 31 63,27% 18 36,73% 49 85,96%
poêle 6 10,53% 30 58,82% 21 41,18% 51 89,47%
estomac 8 14,04% 32 65,30% 17 34,70% 49 85,96%
cal 6 10,53% 32 62,75% 19 37,25% 51 89,47%
voie 6 10,53% 32 62,75% 19 37,25% 51 89,47%
terrine 9 15,79% 26 54,17% 22 45,83% 48 84,21%
lotion 9 15,79% 23 47,92% 25 52,08% 48 84,21%
filer 7 12,28% 22 44,00% 28 56,00% 50 87,72%
canari 7 12,28% 20 40,00% 30 60,00% 50 87,72%
course 7 12,28% 19 38,00% 31 62,00% 50 87,72%
coq 5 8,77% 14 26,92% 38 73,07% 52 91,23%
quartier 3 5,26% 23 42,59% 31 57,41% 54 94,74%
chômage 4 7,02% 20 37,74% 33 62,26% 53 92,98%
avocat 4 7,02% 23 43,40% 30 56,60% 53 92,98%
pièce 8 14,04% 19 38,77% 30 61,23% 49 85,96%
sucre 9 15,78% 21 43,75% 27 56,25% 48 84,22%
arbre 8 14,04% 21 42,86% 28 57,14% 49 85,96%
charrette 8 14,04% 25 51,02% 24 48,98% 49 85,96%
mal 9 15,78% 20 41,67% 28 58,33% 48 84,22%
cristal 3 5,26% 27 50,00% 27 50,00% 54 94,73%
bonbon 6 10,53% 26 50,98% 25 49,02% 51 89,47%
maison 10 17,55% 37 78,72% 10 21,28% 47 82,45%
figure 8 14,04% 36 73,47% 13 26,53% 49 85,96%
cabane 10 17,55% 25 53,19% 22 46,81% 47 82,45%
case 11 19,30% 29 63,04% 17 36,96% 46 80,70%
vase 10 17,55% 20 42,55% 27 57,45% 47 82,45%
couche 7 12,28% 26 52,00% 24 48,00% 50 87,72%
boule 10 17,55% 23 48,94% 24 51,06% 47 82,45%
valet 7 12,28% 29 58,00% 22 42,00% 50 87,72%
bau 9 15,78% 29 60,42% 19 31,58% 48 84,22%
filon 8 14,04% 31 63,27% 18 36,73% 49 85,96%
po 5 8,77% 20 38,46% 32 61,54% 52 91,23%
beignet 7 12,28% 31 63,27% 19 36,73% 50 87,72%
canne 11 19,30% 33 71,74% 13 28,26% 46 80,70%
bouche 7 12,28% 24 48,00% 26 52,00% 50 87,72%
fer 13 22,81% 26 59,09% 18 40,91% 44 77,19%
patate 11 19,30% 28 60,87% 18 39,13% 46 80,70%
fruit 11 19,30% 31 67,39% 19 32,61% 46 80,70%
légume 10 17,55% 35 74,47% 12 25,53% 47 82,45%
So 6 10,53% 36 70,59% 15 29,41% 51 89,47%
boulé 8 14,04% 35 71,43% 14 28,57% 49 85,96%
fée 17 29,82% 26 65,00% 14 35,00% 40 70,18%
jardin 17 29,82% 31 77,50% 9 22,50% 40 70,18%

247
arbre 17 29,82% 30 75,00% 10 25,00% 40 70,18%
manœuvre 11 19,30% 35 76,09% 11 23,91% 46 80,70%
Fos 14 24,56% 33 76,75% 10 23,25% 43 75,44%
Ont été supprimés de la liste : bise, traitement, banc, pile.

Tableau 22 : Liste de mots proposés à interprétation aux adolescents asthmatiques ayant participé à l’étude.
Collège ISSAP de Sainte-Anne, Guadeloupe.

Le traitement des données de cet exercice montre que certains mots ont très nettement
départagé les candidats sur le plan du choix linguistique et du registre langagier dans
lequel ils l’inscrivent et le sens qu’ils leur donnent. 27 mots ont permis la constitution du
groupe créole (voir Tableau 23) :

Mots proposés Image mentale Réponses créoles Taux de


phonologiquement créole prédictive répondants dans
le registre
Figue jaune Banane, poyo 84,32%
Fos Deux poings qui se Bye foss là 76,75%
touchent
loto véhicule voiture 72,23%
bal danse Soirée, fête, dansé 59,25%
estomac poitrine Pectoraux, estomac ka 65,30%
kwié
pige mèdcine Pwan an pige 63,27%
fruit Fruits créoles divers Mangue, macudja, 62,50%
cytè, goyave, zycak,
surette
Poirier Arbre à fleurs Plancher, maison, kaz 60,78%
blanches, bois de
construction
Manœuvre Fè mannèw, « se Mwen en mannèw 76,09%
mettre en
mouvement »
légume Choux, giraumon, igname, madère, 74,47%
aubergine patate douce, fwiapin
So Tombé à tè Anpwan an so, blipp, 70,59%
woulé à tè
Poêle pilosité Bête à poèl, Kabrit, 58,82%
cochon, bèf
Terrine ustensile Terrine ling, lavé, 54,17%
bassine
Cal Un compartiment Sex, pinn, kiki, zizi 62,75%
boulet Brûlis, boukan Ivre, soul, grinné 71,43%
Arbre Arbres tropicaux Fromager, coco, 75,00%
fwuiapin

248
Fée lumière Bètafé, clindindin, 65,00%
luciole
Patate Racine Douce, 60,87%
Fer action Pran fè, ambafè, pilfè 59,09%
Canne champ lisin, coupé-kan, 71,74%
wum, sik
Beignet Se laver Plage, paques, campé 63,27%
Filon Connaissance Travail, piston, 63,27%
favoris
Beau bel Bim, choc, accident 60,42%
Couche lit Cabann, swet di 52,04%
couch
Case maison Tikaz anmwen, 63,04%
maison, joupa,
kazantol, kazanbwa
Figure visage Lavé figui aw, fè 73,47%
twalet aw
Maison A kaz Kaz anmwen, tikazlà, 78,12%
là où ka rété
Tableau 23 : Liste de mots ayant départagé les élèves par leur interprétation créolophone.

L’analyse des questionnaires révèle que les élèves qui ont choisi de classer ces différents
mots dans le contexte créolophone en leur donnant des significations connues seulement
du milieu créolophone sont majoritairement de classe sociale défavorisée et qu’il s’agit
plutôt de garçons.

6.3.2 Résultats et constitution des groupes

Les réponses à connotation française étaient codées 2 et celles à connotation créole,


codées 1. L’analyse de ce test nous a permis, dans un premier temps, de départager les
enfants et de constituer deux groupes distincts. Le groupe à connotation créole se
dégageait assez nettement avec 28 enfants, contre 18 enfants pour le groupe français.
Dans un souci d’équilibre et afin de compléter les groupes, nous avons pris 12 enfants
dans la réserve mixte pour le groupe français et un enfant pour le groupe créole. Ainsi, le
groupe créole était constitué de 29 élèves, soit neuf filles et 20 garçons, et le groupe
français incluait 30 élèves, soit neuf filles et 21 garçons. L’ensemble des élèves a été
réparti en deux tranches d’âge. La tranche A regroupe les enfants de 11-12 ans et le
groupe B ceux de 13-14 ans.

GROUPE CREOLE N=29


SEXE NOMBRE TRANCHE TRANCHE % TOTAL

249
A B
GARCONS 20 11 9 68,96% 20
FILLES 9 5 4 31,04% 9
16 13 100% TOTAL : 29
Tableau 24 : Constitution du groupe créole. N= 29.

GROUPE FRANÇAIS N=30


SEXE NOMBRE TRANCHE TRANCHE % TOTAL
A B
GARCONS 21 12 9 70% 21
FILLES 9 3 6 30% 9
15 14 100% 30
Tableau 25 : Constitution du groupe français. N= 30.

6.4 Finalités d’une éducation séquentielle objective (ESO)


Etre le plus efficace possible en allant à l’essentiel compte tenu du temps imparti, tel était
notre objectif dans notre apport de connaissances et de compétences aux jeunes
asthmatiques du collège Issap de Sainte-Anne.

6.4.1 Présentation du concept

Il s’agit, dans un premier temps, d’un concept sélectif applicable à un environnement


contraint et un public particulier. Le public que représentent les adolescents asthmatiques
est un public particulier sur le plan psychologique et comportemental. Le cadre dans
lequel nous opérons est aussi un cadre particulièrement contraint, dans la mesure où le
temps nécessaire aux séances d’ETP ne doit en aucun cas excéder l’espace de
l’intercours.

Dans un deuxième temps, le développement de nouveaux types de code de


communication comme le SMS (Short Message Service) ou texto, très prisé par cette
population et qui a connu un développement exponentiel en France ces dernières années
– plus de 53 millions d’utilisateurs309, 70% chez les 12-14 ans, 89% chez les 15-17 ans –,
nous a semblé un bon exemple pour introduire nos outils sous forme de mnémotechnique
dans ce concept. La mnémotechnique, comme pour le SMS, écriture abrégée, phonétique

309
J. Durand, B. Habert, B. Laks (eds), Congrès Mondial de linguistique française ; Thi Mai Tran, M.
Trancart, D. Servent, Littéracie, SMS et troubles spécifiques du langage écrit, Paris, CMLF, 2008.

250
éloignée à bien des égards de la norme orthographique, offre par rapport à l’écrit
traditionnel une liberté et une grande souplesse d’utilisation.

Cette variété de communication est la résultante d’une combinaison originale de procédés


scripturaux multiples connus depuis longtemps et utilisés dans différents domaines : jeux,
prise de notes, abréviations, littérature, chanson, publicité... En utilisant cette forme
orthographique, notre objectif est de créer une certaine proximité avec nos interlocuteurs,
une certaine « connivence », en favorisant la fonction phatique du message.

6.5 Exposé du déroulement de la séance du groupe français dans


son cadre conceptuel, d’« action située »
Après avoir constitué les groupes et afin d’éviter de mélanger les codes, nous avons
programmé les séances d’éducation thérapeutique séparément et à des jours différents.
L’équipe pédagogique était constituée de deux éducateurs, d’un psychologue, d’une
secrétaire et d’un observateur, tous bilingues français/créole et faisant partie du personnel
de l’école de l’asthme. Le groupe français a été le premier à recevoir cette éducation
thérapeutique séquentielle objective, sous forme de trois ateliers de 60 minutes
tournant par groupe de 10.

Le 1er atelier portait sur la connaissance : connaissance de la maladie, des différents


traitements et de leurs cibles. Le 2e atelier portait sur les compétences en termes de
maîtrise des techniques d’inhalation, sur la différenciation des traitements de fond et des
traitements de secours, sur la mesure du souffle et la manipulation du débitmètre de
pointe. Le 3e atelier traitait des plans d’action personnalisés écrits à mettre en œuvre en
cas de perturbation du souffle et d’exacerbations. La séance était prévue initialement à 9
h, mais l’organisation de la salle, l’arrivée des élèves, la vérification des listes et l’appel
ont engendré une demi-heure de retard, et elle a débuté à 9 h 30. Les élèves étant placés,
numérotés, l’éducateur présente le projet en quelques mots et explique aux élèves le
déroulement de la matinée, le séquençage des ateliers, le concept des mots-clés. Il s’agit
d’une approche spécifique qui consiste à dispenser trois séances d’ETP sous forme
d’ateliers séquentiels reposant sur la mémorisation de mots-clés donnés par les intéressés
eux-mêmes. Dans la description de la démarche, les enfants sont identifiés par leur
numéro et les intervenants, à savoir les éducateurs, par E1 et E2. A l’ouverture du

251
premier atelier, nous proposons trois mots aux enfants pour qu’ils nous fournissent leur
définition de ces mots-là ; il s’agit de :

- bronche,

- oxygène,

- asthme.

A titre de définition consensuelle pour le groupe français, nous avons obtenu :

- Conduits qui véhiculent l’air dans les poumons, pour « bronche ».

- Carburant du corps, pour « oxygène ».

- Maladie de la respiration, pour « asthme ».

Ces définitions représentent l’expression des élèves à travers laquelle ils identifient ce qui
leur paraît essentiel de retenir. Après avoir écouté et validé leurs propositions, l’éducateur
propose un consensus sur les mots les plus cités et donne le bon terme. Pour désigner le
1er terme de l’atelier n°1, « bronche », le mot « conduit » a été cité 19 fois, « tuyaux
sanitaires » 12 fois, « tubes » qui véhiculent l’air dans les poumons neuf fois. Le terme
donné par l’éducateur, « bronche », est retenu et fait consensus auprès des enfants ; il est
noté par tous et figure dans la mnémotechnique.

S’agissant du terme « carburant du corps », un parallèle est fait avec un véhicule à


moteur. Le mot « plein » a été cité 22 fois, « carburant » 18 fois, « gaz » 12 fois,
« oxygène » cinq fois. Après échanges et discussion, le terme « oxygène » est cependant
préféré par les enfants et fait consensus ; il a été retenu. Pour ce qui est de la maladie de
la respiration, l’asthme a été cité à l’unanimité par les enfants. Ainsi, les trois mots-clés
composant la première partie de la mnémotechnique sont : « bronche » (conduit qui
véhicule l’air dans les poumons), « oxygène » (carburant du corps) et « asthme »
(maladie de la respiration). Avant d’aller plus loin dans notre description de l’action, nous
tenons à préciser le cadre conceptuel dans lequel elle s’inscrit.

Pour décrire notre démarche dans cette expérimentation, nous adoptons la posture
d’individu agissant en inscrivant notre action dans un mouvement auto-organisé. Cela
suppose, pour le superviseur, d’évoluer dans un monde « complexe » mais « organisé »,
en utilisant ce que ce monde met à sa disposition pour agir. Ces offres sont des
« ressources pour l’action » à utiliser selon ses besoins et ses intentions (Norman, 1993).

252
La notion d’« action située » est au carrefour de la sociologie de l’action, de
l’anthropologie, des sciences de la cognition et du langage. Au-delà de la diversité de
points de vue des chercheurs, deux convictions semblent les réunir. D’une part, une
action humaine est un accomplissement pratique, singulier, situé socialement et
culturellement. D’autre part, l’activité cognitive mobilisée dans et par cette action a une
spécificité contextuelle : elle est incompréhensible en dehors de son contexte et doit être
étudiée en situation (Dreyfus, 1984 ; Hutchins, 1995 ; Lave, 1988 ; Suchman, 1987 ;
Winigrad et Flores, 1989). Pour amplifier la fonction cognitive des enfants, nous faisons
appel à certains objets exploitables dans la circonstance, destinés à concrétiser les
intentions éducatives. Ces « artefacts » spécialisés participent à l’économie cognitive de
l’action. Leur analyse fonctionnelle facilite la compréhension des phénomènes complexes
– dans le cas présent, les mécanismes de l’asthme bronchique –, mais offre aussi
l’occasion aux élèves coacteurs de l’action de comprendre la nature de l’action qui
s’accomplit à travers leur médiation. Ainsi, la description de cette démarche s’inscrit dans
un cadre d’analyse du « travail réel », ou de « l’activité au travail », étudié et défendu par
des chercheurs francophones (Amalberti, Montmollin et Theureau, 1991 ; Durand, 1996 ;
Leplat, 1997 ; Ombredane et Faverge, 1955).

S’agissant des manifestations de la maladie, une planche leur a été présentée, montrant
une coupe de bronche asthmatique et une coupe de bronche normale. Certains enfants ont
décrit un grossissement du bord de la bronche (23/26), d’autres un gonflement de la
bronche (16/26) ; certains se sont étonnés de la présence, à l’intérieur de la bronche,
d’une substance, et se sont interrogés sur son origine. L’éducatrice a expliqué le
phénomène avec les bons termes, pour illustrer l’inflammation de la bronche, et un
parallèle a été fait avec la conjonctivite (maladie de l’œil). Certains ont déclaré connaître
le phénomène, qu’ils ont déjà côtoyé chez eux ou chez un proche. Le terme
« inflammation », avec ses conséquences, « épaississement » et « sécrétion », a fait
consensus. Un autre aspect a attiré l’attention des enfants : c’est le resserrement des lacets
qui entourent la bronche. Ils ont été attentifs aux explications de l’éducateur sur le
phénomène, qu’ils ont rapporté à leurs lacets de baskets. Le mot « lacet » a été cité 21
fois sur 26, et l’éducatrice a retenu « lacet » en consensus du groupe. A ce stade du
déroulement de l’atelier, une récapitulation était nécessaire. Elle a été faite pour recentrer
l’attention sur les deux phénomènes. « Inflammation » et « resserrement » ont été
proposés en consensus et notés par tous. La fonction la plus évidente de cet « artefact »

253
est qu’il a permis d’amplifier l’action du formateur et des élèves en les aidant à mieux
voir et percevoir, à mieux expliquer les phénomènes complexes et énigmatiques mais
aussi à s’évaluer avec plus de rapidité et de précision (Conein et Jacobin, 1993 310 ;
Hutchins, 1995)311.

Le fait que la planche reste épinglée sur le tableau indique que les actions et les
événements ainsi que les consignes qui viennent d’être traités dans cet atelier sont en
quelque sorte déposés, inscrits dans cet objet. La planche est donc un « artefact » qui
code les consignes en information visuelle.

Pour casser la monotonie et captiver l’attention des enfants, un changement d’intervenant


s’opère. Le silence est réclamé par un signe de la main afin de récapituler les mots-clés.
L’éducatrice procède à un récapitulatif des notions en se positionnant devant le tableau et
en désignant la bronche, et questionne le groupe :

- Donc, dans l’asthme bronchique, s’il existe deux phénomènes : « inflammation » et


« resserrement », pour que le traitement soit efficace, sur quoi doit-il agir ?

Et tous répondent en chœur :


- Inflammation et resserrement, Madame.
- Il doit comporter combien de parties ?
- Deux parties, Madame.
- Donc, contre l’inflammation, on va donner un antiiiiiiiiiiii…
- Inflammation, Madame.
L’éducatrice corrige : « Inflammatoire ».

Le terme « anti-inflammatoire » a fait consensus et a été retenu par les enfants.


- Et le resserrement ? demande l’éducateur 2, que peut-on opposer au resserrement ?
- Un anti-resserrement, s’empressent de répondre les élèves n° 10, 17 et 47 en chœur
et en riant.

310
Conein B., Jacobin E. (1993). « Les objets dans l’espace : la planification de l’action ». In Raisons
pratiques, n°4. Les objets dans l’action, 59-84.
311
Dans son ouvrage, Cognition in the Wild, l’auteur souligne l’analyse de la pratique, non pas pour
soutenir un point de vue utilitariste ou fonctionnaliste, mais parce que c’est, selon lui, dans la pratique
réelle que la culture est produite et reproduite. En pratique, nous voyons le lien entre l’histoire et l’avenir et
entre la structure culturelle et la structure sociale, précise l’auteur. Cognition in the Wild, Edwin Hutchins,
publié par MIT Press, 1995.

254
Ces interventions ainsi décrites s’appuient sur des outils psychopédagogiques dont le but
est de renforcer l’action éducative. Ce type de propriété « d’objet aidant », qualifié
d’« artefact », a été étudié en ergonomie cognitive et cité par plusieurs auteurs : l’artefact
constitue un support « d’affordances » pour l’action312. En d’autres termes, cela signifie
qu’il y a une simultanéité de la fonctionnalité et de la perception dans la visualisation de
l’objet (Gibson, 1979). L’utilité et la fonction de l’objet apparaissent sans que l’utilisateur
n’ait à faire d’effort (Norman, 1993). Il s’impose comme « contrainte » (Smith &
Thelem, 1993) de liaison entre la visualisation et la perception, mais aussi comme
canalisateur de l’action aussi bien pour l’acteur éducateur que pour l’acteur élève.

Cette approche pédagogique est une approche synthétisée sollicitant la mémoire visuelle
et auditive et s’attachant à des mnémotechniques destinées à faciliter la compréhension et
la mémorisation, par les élèves, de ces données scientifiques.

Pour une question de tenue disciplinaire, la taille des groupes a été limitée à 10 éléments.
Le groupe français a été scindé en trois sous-groupes de 10 en alternance sur les trois
ateliers. Le temps imparti pour réaliser cette séance objective d’une heure a été
entièrement exploité. Sitôt installés, nous avons entamé le 1er atelier.

Il était important de commencer par l’atelier de la connaissance pour permettre aux élèves
de comprendre le bien-fondé d’un traitement qu’ils doivent prendre tous les jours.
Posséder donc ces connaissances conditionnait la suite du programme. Aidés de
diapositives et de maquettes, ils ont pu visualiser la circulation du flux d’air au sein d’une
bronche et toucher du doigt, grâce aux maquettes, la bronchoconstriction des muscles
lisses qu’ils ont identifiés comme étant des lacets de baskets. Les termes des enfants ont
été privilégiés et nous avons respecté, autant que faire se peut, leur langage. Les mots
utilisés à travers les échanges étaient consignés et validés par eux. Certains mots
comme tuyaux, gaz, sac à air, glaire, microbe, lacets, ont été retenus. Il était logique pour
eux, après avoir compris le fonctionnement de leur système respiratoire à travers les

312
Pour le cognitivisme, le stockage de la mémoire dans le cerveau se fait d'une manière constructive. Pour
la simple perception, un travail de stockage et d'interprétation est enclenché. L'information se dirige
premièrement dans la mémoire sensorielle, qui se dirige ensuite dans la mémoire à court terme pour ensuite
être traduite et classée dans la mémoire à long terme. « La situation est entendue comme une boucle
“action-perception”. Une sélection s’opère dans le répertoire d’affordances d’un environnement donné en
fonction des situations. » T. Ohlmann, « Affordances et vicariances mises en jeu par la régulation
posturale ». In Informatique et différence individuelle. Presses universitaires de Lyon, pp. 425-439 ; cité par
M. Deleau, Psychologie du développement, Editions Bréal, 2006, p. 98.

255
différents mécanismes, de vérifier la maîtrise qu’ils avaient de leur dispositif d’inhalation
pour la prise de leur traitement.

Ce traitement doit être conduit par le flux d’air jusqu’aux petites bronches, il arrive le
plus loin possible et il nécessite une maîtrise des techniques d’inhalation mais aussi de
respiration. Cela exige obligatoirement la compréhension du cycle respiratoire « inspirer-
expirer », mais aussi la nécessité de bloquer sa respiration pendant au moins dix secondes
pour que le traitement se dépose à l’endroit même où il doit agir. Il était nécessaire pour
eux également de comprendre le faible taux de diffusion du produit sur les deux champs
pulmonaires, eu égard à la dose inhalée, en tenant compte du trajet, des différents
carrefours à franchir et de la nature humide des zones traversées.

La planche représentant l’appareil respiratoire a contribué à matérialiser le trajet du flux


de médicament après son inhalation. Faisant suite à l’inspiration accompagnant
l’inhalation du principe, la trachée est traversée, puis le carrefour de la carène, les gros
troncs bronchiques, les petites bronches, les bronchioles et les alvéoles ; la planche sert à
matérialiser ce cheminement. Cet artefact a rempli sa double fonction, celle de constituer
une aide pédagogique pour le formateur et une aide à la compréhension pour les élèves,
deux finalités distinctes. Ces objets contribuent, de par leur interface, à rendre certains
indices plus saillants, à orienter la perception et à guider l’exécution d’une action. Dans
ce cas précis, ils participent à la démystification de la maladie asthmatique et à la
clarification de points essentiels à la bonne compréhension de ses mécanismes. Leur rôle
privilégié d’ « artefact » contribue au renforcement du jugement perceptif des élèves, tout
en construisant la signification qu’ils attribuent à l’événement qu’ils sont en train de vivre
et dont ils sont les coacteurs. Eu égard à la contextualisation de l’action et à la médiation
des artefacts, l’action peut être analysée comme un couplage entre les intentions des
différents acteurs en présence et les ressources environnementales utilisées. La cognition
étant ici envisagée comme « distribuée » entre l’objet et les acteurs (Salomon, 1993). Ce
caractère distribué des cognitions a conduit certains chercheurs à considérer les lieux de
travail tels que le cockpit d’un avion de ligne ou le poste de pilotage d’un navire comme
des systèmes cognitifs globaux (Hutchins, 1995). Par analogie, on pourrait considérer
qu’à certains égards, la classe, théâtre ici de cette séance d’ETP, fonctionne comme un
système cognitif où l’expertise est partagée et distribuée en son sein (Brown, Ash,
Rutherford, Nakagawa, Gordon & Campione, 1993 ; Durant, 2000).

256
Aller à la mesure du souffle par l’utilisation du débitmètre de pointe peak flow fut un jeu
d’enfant313. Le peak flow a suscité la curiosité et l’empressement des élèves : « Suis-je
suffisamment ouvert ? Suis-je normal ? » Autant de questions qui ont précédé les
premières mesures. L’examen des questionnaires lors de la précédente séance nous avait
déjà révélé un assez faible taux de traitement de fond et un taux élevé d’enfants se disant
gênés en sport et/ou à l’effort. « Je respire bien ! Grâce à cet appareil, je peux voir
comment cela fonctionne au fond de moi », nous révèle le n°54. Cette déclaration de
l’enfant nous confirme la présence de l’image mentale qu’il se fait de l’ouverture de sa
bronche, image qui le rassure.

Le superviseur régule les actions des élèves par des feed-back individualisés. Ses
interventions sont animées d’une certaine dualité de préoccupations simultanées :
observer s’ils répètent correctement les gestes et techniques montrés au préalable, autant
pour le traitement que pour la mesure du souffle, et si ce n’est pas le cas, les corriger
aussitôt.

La découverte et l’examen des plans d’action, ou « la boîte à outils pour réparer en cas de
gêne », a été une joie pour les enfants. « Désormais, je sais comment améliorer mon
souffle si je suis gêné », nous dit le n°28. L’identification du traitement de secours et
surtout de sa cible a jeté un certain froid sur l’assistance. Certains élèves ne disposaient
que de la Ventoline comme traitement pour leur asthme, traitement qu’ils utilisaient
fréquemment, plusieurs fois par jour pour certains : « Je n’ai pas de traitement pour mon
asthme », s’est esclaffé le n°55, se voyant en zone orange bien qu’il ait pris, le matin
même, sa Ventoline.

Ils se sont regardés et tous ceux qui étaient en zone orange se sont rapprochés de l’équipe
pour poser des questions sur l’urgence pour eux de disposer d’un traitement de fond pour
améliorer leur souffle. Sur les 29 sujets testés dans le groupe, 17 sur 29, soit 58,62%,
étaient en zone orange. La chronologie de l’approche a permis aux enfants d’avoir des
connaissances sur la maladie, de comprendre l’utilité de savoir maîtriser les techniques
d’inhalation ainsi que la mesure du souffle et son interprétation pour prendre de bonnes
décisions et appliquer les plans d’actions en cas de crise. La projection d’images vidéo, la
manipulation de maquettes ainsi que les mnémotechniques ont facilité la tenue, dans le

313
Annexe n° XVII ; après avoir compris la nécessité de maintenir une ouverture suffisante de la bronche
grâce aux traitements pour ne pas être gênés, il leur a paru logique de savoir mesurer cette ouverture.

257
temps imparti, de ces ateliers. 23 minutes ont été nécessaires pour le 1er groupe, 19 pour
le 2e et 17 minutes pour le 3e, soit au total 59 minutes effectives d’ETP ; il s’est ensuivi
un débriefing et une prise de rendez-vous pour la prochaine séance. Des grilles
d’observation, d’animation et de participation ont été élaborées et complétées au cours de
la séance (annexe n° XVIII). Un dossier de participation a été remis à chaque élève,
intégrant une copie des mnémotechniques ainsi que leurs scores réels de souffle,
comparés aux valeurs théoriques.

6.5.1 Evaluation de la séance

L’évaluation des acquisitions a été effectuée une semaine après la séance. Il s’agissait
pour nous, à travers cette évaluation, de mesurer les acquisitions des élèves en termes de
compréhension des mécanismes simples de la maladie, par la possession de mots-clés tels
que le « BOA », qui équivaut à « bronche » pour la lettre « B », « oxygène » pour la lettre
« O » et « asthme » pour la lettre « A » ; ce sigle a été choisi par les enfants eu égard à la
forme de la bronche et à sa manière de serpenter, ont-ils précisé. Toujours au sujet du
premier atelier, les signes attachés à l’inflammation et au resserrement devaient être
testés. Pour le 2e atelier, les attendus en termes d’acquisitions portaient essentiellement
sur la maîtrise du VIS et du VIB : vider ses poumons, inspirer profondément et souffler
fort et court, en ce qui concerne la mesure du souffle, donc le VIS ; et vider
complètement ses poumons, inspirer profondément et bloquer sa respiration pendant au
moins 10 secondes, pour ce qui est du VIB, donc de la prise du traitement inhalé. Les
termes utilisés pour l’identification des traitements sont les suivants : pour ce qui a trait
au traitement de fond, destiné à combattre l’inflammation identifiée par les élèves comme
étant le « gonflement » et le « suintement », l’initiale de chaque signifiant a été retenue :
« I » pour inflammation, « G » pour gonflement et « S » pour suintement. Ces dispositifs
sont identifiables à leur couleur dominante, à savoir le rouge, l’orange et le violet ;
comme précédemment, l’initiale de chaque signifiant a été retenue, d’où la
mnémotechnique I.G.S.=R.O.V.

S’agissant du traitement de la gêne, l’élaboration de la mnémotechnique a été conduite


selon le même principe. Le signe principal de la gêne reste le resserrement de la bronche
ou la sensation d’oppression dans la poitrine ; la mnémotechnique élaborée par les élèves
et qui s’attache à cette partie est « siro=bleu », traduisant l’oppression dans la poitrine,
avec bleu pour la couleur dominante du traitement approprié. Sur cette dernière

258
production, les enfants ont fait preuve d’imagination pour établir eux-mêmes leurs codes,
en précisant que l’essentiel pour eux est de s’en rappeler et que le sirop est un élément-
clé, car connu de tous.

L’évaluation du 3e atelier traitait de la conduite à tenir en cas de gênes respiratoires, donc


de la mesure du souffle et de la mise en place des plans d’action. Le « M.S si gênes »
traduisant « mesurer son souffle si gênes respiratoires » et appliquer le plan « A » en cas
de signes mineurs et le plan B en cas de signes majeurs. Il s’agissait pour nous d’évaluer
la connaissance de ces différents signes et la prise de décision adéquate selon le protocole
préétabli, à savoir : le plan A, qui consiste à prendre son bronchodilatateur, à raison de
deux bouffées toutes les 10 minutes, jusqu’à trois fois de suite si nécessaire, dans la
chambre d’inhalation ; et le plan B, qui consiste à faire appel aux services d’urgence en
cas de signes majeurs ou de non-réponse au plan A. La Ventoline a été retenue pour
désigner le traitement de la crise, parce que tous les enfants inclus dans notre protocole
avaient ce médicament en traitement de secours. En présence d’autres spécialités, cette
appellation est susceptible bien entendu de changer. Le contenu de la séance d’ETP
réalisée avec le groupe français est synthétisé par des mnémotechniques illustrées à
travers trois documents, présentés à la Figure 30 A.B.C., ci-dessous. Les
mnémotechniques A et B concernent le premier atelier qui traite de la connaissance des
mécanismes de la maladie à travers ses signes, les cibles des différents traitements, ainsi
que leurs couleurs dominantes. La gestion de la crise est matérialisée par la figure C.

259
260
!
!
Atelier 2 : M esure du souffle et techniques d’inhalation :

M némotechnique

V.

Po
VIDER

ur% n%%
me
%So
SO
I.

sur
U
INSPIRER

er%
FFL
E%
S. SOUFFLER

V.

Po son
VIDER

ur% %
TR

pre
I. AIT

nd
INHALER
EM

re %
EN
B.
T%
BLOQUER

Lexique :

- Bronche:
- Asthme :
- Gênes :
- Renouvellement :
- Traitement de secours :
- Traitement de fond :

D.E.P!
ZONES!DE!SOUFFLE!

! ! !

261
Atelier 3 : Gestion de la crise

M némotechnique

Mesurer le souffle

M.S si gênes

Si gnes M i neur s :
Toux sèche Si gnes M ajeur s :
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!♦ Essoufflement! Forte gêne à respirer
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!♦ Difficulté à parler!!!!!!!!!!!!!
Difficulté à respirer!

Ventoline : 2 bouffées toutes les 10 Faire plan A et appeler le 15


minutes, 3 fois de suite si nécessaire, ou le 112
dans la chambre d’inhalation.
SAMU

Réseau Asthme de la Guadeloupe


Ecole de l’asthme
CETG
Résidence ANACAONA Bât 33
Porte 3304 Bergevin
97110 POINTE A PITRE
Tél : 0590.48.10.43
Site : karuasthme.org
reseau-asthmepap@wanadoo.fr

Figure 30 : A-B-C, mnémotechniques du groupe français, sur la connaissance de la maladie, de la mesure


du souffle et de la maîtrise des techniques d’inhalation, la gestion de la crise, collège ISSAP de Sainte-
Anne, Guadeloupe, octobre 2013.

262
6.6 Déroulement de la séance du groupe créole
L’installation des enfants fut quelque peu agitée, eu égard à la joie qui se dégageait du
groupe, du fait sans doute de savoir qu’ils pourraient s’exprimer en toute liberté dans une
classe, en présence d’adultes détenant l’autorité, de surcroît, dans un registre
habituellement confidentiel, réservé à la cour de récréation. L’aide des infirmières
scolaires et de l’assistante sociale a été nécessaire pour aider au maintien de la discipline
dans le groupe. Après l’appel des enfants et la vérification des numéros, et après s’être
assuré que tous figuraient sur la liste élaborée pour le groupe créole, la séance a pu
démarrer avec huit minutes de retard. Tout d’abord, il s’agissait d’expliquer aux enfants
le principe de la séance et son contenu, dans le calme et la sérénité. Avant de lancer la
séance proprement dite, nous voulions vérifier la bonne compréhension de tous. La
retranscription intégrale du verbatim de la séance du groupe créole est divisée en trois
parties distinctes. Elle a été assurée par Madame Jacqueline Birman-Seytor, professeure
de lettres modernes au LGT Baimbridge/Abymes, Guadeloupe, docteure ès lettres,
diplômée en langue et culture régionales créoles, chargée de cours au DPLSH de Saint-
Claude. Le tableau 26 illustre les échanges au cours de la première séance.
LOCUTEURS LANGUE CREOLE LANGUE FRANCAISE

E1 Nou vini pòté ba zòt jòdi là, on Nous sommes venus vous apporter aujourd’hui, une
mannyè pou konprann kijan souf a manière de comprendre comment se déroule votre
zòt ka déwoulé, pa ki koté i ka pasé, souffle, par où passe l’air que vous respirez, ce qu’il
ka i ka pòté ba zòt, ki jan lè tiyo-la vous apporte, à quoi cela sert de respirer et comment
tòd zòt ka santi zòt jenné. sont vos bronches quand vous vous sentez gênés.

Apré sa, nous ké gadé, kijan zòt ka Après cela, nous regarderons si vous prenez
pwan rimèd à zòt, ès zòt ka fè-y Kòm correctement vos médicaments.
i fo.

Dabòpouyonn nou ka séparé zòt Tout d’abord, on vous sépare en trois groupes, il
en twa tipilo, Pou zòt konpwann, sa faut prêter l’oreille, écouter pour entendre, afin de
nou kay èspliké zòt la, fò zòt prété bien comprendre ce qui va vous être expliqué.
lowèy, kouté pou tann, tann pou
konpwann.

E1 Èskè lakouw dòw ? La cour dort-elle ?

G Non lakouw ne dòw pa ! Non, la cour ne dort pas !

E1 Si lakouw ne dòw pa, di mwen ki non Si la cour ne dort pas, dites quel est le nom de la
a maladi- la ki fè nou samblé maladie qui nous réunit aujourd’hui !
jòdijou !

N°16 Lazm misyé. L’asthme, Monsieur.

263
E1 An Kréyòl ki non a-y ? En créole, quel est son nom ?

Silence dans la salle pendant 10 secondes…

N° 45 Mabo an mwen té ka kriyé sa Ma mabô 314 appelait ça lopwésion, Monsieur


lopwésyon misyé ! (l’asthme en créole).

E1 Ouais é kijan mabo a-w té ka viv sa ? Oui, et de quelle manière ta mabô vivait-elle sa
maladie ?

N° 45 I té ka dòmi sizé asi on chèz. An tépiti, Elle passait ses nuits, assise sur une chaise, j’étais
an ka sonjé, yo pati èvè-y lannuit é an petite, je me souviens d’une nuit, l’on partit avec
pa janmen wouvwè-y. elle et je ne l’ai jamais revue.

Ce récit a jeté un froid dans la salle, et il s’est ensuivi un silence d’au moins 20 secondes.
Les enfants, têtes basses, étaient figés ; car il fallait comprendre, à travers cet émouvant
récit déclamé en créole, que la mabô avait été emmenée dans la nuit par les services de
secours à la suite d’une crise d’asthme, et qu’elle en était décédée. Puis a débuté la séance
proprement dite, avec projection de la première vidéo.

E1 Lè zòt ka gadé sé zimaj- lasa, ka zòt ka Quand vous regardez ces images, que voyez-
vwè ? vous ?

En silence, les yeux du groupe se sont fixés sur l’image représentant des bronches saines
d’une part et des bronches inflammatoires d’autre part.

N°48 Sé dé tiyo sa mèsyé ! sa ka sanm tiyo a Il s’agit de deux tuyaux, Monsieur ! Cela
machin a lavé ! ressemble à des tuyaux de machine à laver !

N° 3 Mé non ou pa a vwè sa ka sanm bouden Mais non, tu ne vois pas que cela ressemble à des
timal ? boudins, camarade ?

N° 48 Ou ka respiré pa bouden a-w alòs timal ? Tu respires par tes boudins alors, camarade ?

G Rire général.

E1 Pé ti bwen ! pé sek ! é kouté pou Taisez-vous et écoutez pour comprendre ce que


konpwann sa zanmi-la ni a di nou ! votre camarade va nous dire !

N°48 Mwen, an ka vwè on tiyo tòd, gonflé, Moi, je vois un tuyau tordu, gonflé, avec de la
wouj, fèmé, i tini kras adan-y. crasse de dans !

314
Mabô : nom créole donné à une personne ayant porté un enfant sur les fonts baptismaux.

264
E1 Ès zòt dakò épi sa ? Etes-vous d’accord avec ça ?

G Wi misyé ! Oui Monsieur !

E1 An pa tann ! Je n’ai pas entendu !

G Wi misyé ! Oui Monsieur ! a répondu le groupe en chœur.

E1 Ès on dòt moun vlé mété grenn sèl a-y, Quelqu’un veut-il ajouter quelque chose ? Voyez-
ès zòt ka vwè dot biten ? vous autre chose ?

N°50 Mwen, lè an jenné pou rèspiré sé konsa Moi, quand je suis gêné pour respirer, c’est
an ka santi mwen ! comme cela que je me sens !

E2 Ès ni dòt moun ka pansé yo konsa, lè yo Y a-t-il d’autres personnes qui pensent qu’elles
jenné pou rèspiré ? sont comme cela, quand elles sont gênées pour
respirer ?

N°6,30, Wi madam. Oui Madame ! ont crié en chœur quatre autres


14 et enfants.
34.

L’éducateur a réclamé le silence et a pris la parole pour expliquer, en tendant la maquette


aux enfants.

E2 Lè ou ni lazm-la, lopwésyon, sé on Quand vous faites de l’asthme, c’est une


enflamasyon ou ni, andidan bwonch a-w, inflammation qui siège en dedans de la bronche,
non asa sé bwonch, sé on tiyo ki ka bronche, c’est son nom, c’est un tuyau qui conduit
menné van- la, lèr-la ou ka rèspiré la, l’air que vous respirez au fond de votre corps,
andidan kò a-w, é zòt ka vwè kijan i fèt , regardez bien comment c’est fait, regardez en
mi gadé ! gadé byen ! Bwonch nòwmal- faisant passer la maquette de main à main.
la, gadé koulè a-y, i pli pal, andidan a-y Regardez bien ! La bronche normale, regardez sa
pwòp, bò a-y pli mins ; é alantou a-y ka couleur, elle est plus pâle, elle est plus propre à
zòt ka vwé ? l’intérieur, ses bords sont plus minces ; voyez-
vous ce qui l’entoure ?

N° 37 I ni dé kòd ka maré-y alantou a-y. Elle a des cordes qui l’amarrent.

E2 sé dé misk ki ka antouré-y pou fè-y Il s’agit de muscles qui entourent la bronche pour
fonksyonné byen . An nou woupwan tou la faire fonctionner. Reprenons tout ce qui a été
sa ki di ! ki moun ki vlé woupwan ? dit ! Qui veut reprendre ?

N° 26 Nou di bwonch- la gonflé, i tòd, i plen Nous avons dit que la bronche est gonflée, elle est
kras, tou-la la lèr la ka passé la pli piti, i tordue, elle est encrassée, le trou où passe l’air est
séré. plus petit et elle est serrée.

N° 30 Men madam poukwa bwonch -la ka fè Mais Madame, pourquoi la bronche fait-elle ça ?
sa ?

E2 Lè ou ni lopwésyon, sé on lenflamasyon Quand tu fais de l’asthme, c’est une inflammation


ki tini andidan bwonch a-w, sé que tu as au fond de ta bronche qui la fait gonfler,

265
lenflamasyon – lasa ki ka fè bwonch -la qui la fait suinter et qui rend le trou où passe l’air
gonflé, ki ka fè-y swenté, ki ka rann tou- plus petit, ce qui te donne un souffle court.
la pli pitié ki ka rann souf a-w kout.

E1 Apwé bwonch- la fè sa, sé kòd -la ki ka Après que la bronche a fait cela, les cordes qui
voplé-y la ka séré-y ; é an moman- lasa, l’entourent se serrent, que se passe-t-il à ce
ka ki ka pasé ? moment-là ?

N°22 Nou ka toufé misié ! On étouffe, Monsieur !

E1 Ki moun ki vlé ajouté on mo ? Qui veut rajouter quelque chose ?

N°12 Lè nou konsa nou an kriz misyé ! Quand on est comme ça, c’est cela que l’on
appelle « crise », Monsieur ?

E1 Ès zòt dakò épi sa ? Etes-vous d’accord avec ça ?

G Wi misié. Oui Monsieur ! a répondu le groupe en chœur.

E1 É lè zòt konsa, ka zòt ka pwan ? Et quand vous êtes comme ça, que prenez-vous ?

N° 23 Vantolin an nou misyé ! Ventoline, Monsieur

E1 Es ni dot wimed. Es sot savé ki koté Y a-t-il d’autres médicaments ? Savez-vous où


vantoline la ka agit ? agit la Ventoline ?

S’aidant de la maquette, l’éducateur a expliqué, en mettant le doigt sur les muscles lisses
qui entourent la bronche :

E1 Vantolin ka aji la. An dis minit, tan pou- La Ventoline agit ici ! Dans 10 minutes, le temps
y aji, i ka déséré sé kòd –la. Mé ès tout qu’elle agisse, elle desserre les cordes, mais est-ce
biten fini, ès toutbiten klè pou otan ? que tout est clair pour autant ?

N° 10, Non misyé Non Monsieur !


33et 14

E1 Ka-y ka rété ? Que reste-t-il ? a demandé l’éducateur en s’aidant


toujours de la maquette.

N°50 Lennflamasyon -la toujou la misyié ! L’inflammation est toujours là, Monsieur !

E1 Ka nou pé pwan pou sa ? Que peut-on prendre pour ça ?


Si sé on lenflamasyon nou ké pwan on Si c’est une inflammation, on prendra un anti....
anti…

N° 16 Enflamasyon. Inflammation, s’est esclaffé le n° 16.

E1 Enflamatwa ! Ès zòt konèt on anti Inflammatoire, a repris l’éducateur 1. Connaissez-


enflamatwa, ès zòt konnèt yonn ? vous un anti-inflammatoire ? En connaissez-vous
un ?

N° Wi missié. Oui Monsieur, ont répondu les n° 29, 14 et 16.


29,14,
et 16

266
E1 É ki non a-y tala zot konnet la ? Et comment s’appelle celui que vous connaissez ?

N° 29 Bécotin. Bécotine.

E1 Bécotid et anko ? Bécotide, a rectifié l’éducateur, et encore ?

N°33 Sérétid misyé ! Sérétide, Monsieur.

E1 Wè ! Woulo ! Oui, bravo !

N°16 Olà ou vwè sa. Où as-tu vu ça ? (S’adressant à son vis-à-vis


comme pour s’en moquer.)

E1 Ki wòl a-y, anti enflamatwa- lasa ? Quel est le rôle de l’anti-inflammatoire?

Moment de silence : les enfants ont hésité, ne connaissant pas vraiment le rôle de ce
médicament. L’éducateur a poursuivi ses explications.

E1 wòl a-y, sé nétwayé bwonch -la, konbat Son rôle est de nettoyer la bronche, combattre
lenflamasyon -la, nou di lenflamasyon- l’inflammation. On a dit que l’inflammation fait
la ka fè bwonch -la gonflé, i ka fè-y gonfler la bronche, la fait sécréter, la fait serrer ;
swenté, é sé apwé tousa, i ka séré, èske la cour dort-elle ?
lakouw dòw ?

G Non lakouw ne dòw pa ! Non, la cour ne dort pas ! a répondu le groupe en


chœur.

E1 Lè nou ké pwan anti enflamatwa -la, ès Quand on prendra l’anti-inflammatoire, la


bwonch –la ké gonflé ? bronche va-t-elle gonfler ?
G Non, a répondu le groupe.
E1 Es i ké swenté ? Va-t-elle sécréter ?

G Non missié. Non, Monsieur.

E1 Si y pa gonflé, i pa swenté es i ké séré ? Si elle ne gonfle pas, elle ne sécrète pas, va-t-elle
serrer ?

N°48, Non misyé. Non Monsieur, ont répondu le 48, 13, 50 et 26.
13, 50,
26

E2 Répondè rété kouté ! si nou pa vlé fè Les répondeurs, écoutez-moi bien ! Si nous ne
kriz, ka pou nou pwan alòs ? voulons pas faire de crise, que devons-nous
prendre alors ?

Anti enflamatwa - la misyé L’anti-inflammatoire, Monsieur, a répondu plus


de la moitié du groupe.

E2 Eben an ka vwè ki zòt pa ka domi. Eh bien, je vois que vous ne dormez pas !

N°3 Men madam, ka ki ba-w sa, lopwesyon. Mais Madame ! Qu’est-ce qui donne ça,

267
l’oppression ?

E2 Ès zòt sav sa sa vlé di : « ravin ka suiv Savez-vous ce que veut dire « la ravine suit la
koulé » ? Ében, lè manman é papa crevasse » ? Eh bien, quand maman et papa se
kontré, yo désidé fè on timoun, yo ka bay rencontrent et décident de faire un enfant, ils
timoun-la sa yo ka kriyé patrimwan donnent à cet enfant ce qu’on appelle son
jénétik a-y, si yo zendyen timoun -la ké patrimoine génétique. S’ils sont indiens, l’enfant
fèt zendyen, si yo blan, timoun -la ké fet naîtra indien, s’ils sont blancs, l’enfant naîtra
blan, si yo nèg timoun- la ka fèt nèg ! Ès blanc, s’ils sont nègres, l’enfant naîtra nègre.
zòt konpwann ? Avez-vous compris ?

G Wi madam. Oui Madame, a répondu le groupe.

N° 3 Men madam mamam et papa pa ka fè Mais Madame, maman et papa ne font pas de
men lazm en ! l’asthme non !
madam

E2 Men non, a pa l’azm fammi a zot ka ba Mais non, ce n’est pas de l’asthme qui vous est
zot ! kon coulè a po a zot, chivé a zot, transmis par vos parents, mais comme la couleur
koulè a zié a zot, sé on sensibilité ki ka de votre peau, de vos cheveux, de vos yeux, c’est
désann en fammi là, dè générasyon en une sensibilité qui existe dans la famille, qui
générasyon que papa et mamam ka ba descend de génération en génération, que maman
zot, ki ka fè kè- ke zot pli sansib ki on et papa vous transmettent, ce qui fait que vous
dot ti moun à ça ki alantou a zot sa zot ka êtes plus sensibles qu’un autre enfant à ce qui
vivi. Sé pou sa yo ka di ravin ka swiv vous entoure, à ce que vous vivez. D’où
koulé ! menm maché la dékek foi ka men l’expression « la ravine suit la crevasse ». Même
bitin, davwa yo ka di, timoun- la ka la démarche quelquefois est identique. Ne dit-on
maché kon papa-y ! pas que l’enfant marche comme son père ?

L’éducatrice a confirmé et expliqué aux enfants :

E2 Lè sensibilité la sa joenn èvè sa yo ka Quand cette sensibilité rencontre un déclencheur,


crié on déclanchè, i ka viré adan on elle se transforme en une inflammation qui siège à
lenflamasyon ki ka domi en didan a l’intérieur de la bronche, et c’est cela que l’on
bwonch la, é sé sa yo ka cwié l’azm ou appelle l’asthme ou allergie ou eczéma.
lopwésion ou alewgi ouben ègzéma. Es
Pouvez-vous citer un déclencheur ?
zot pé sité on déclanchè ?

N° 3 Polysion madam, mwasizisi ! Pollution, Madame, moisissure.

Akayen. Acarien.

Enfeksyon (lagrip, anjin otit) é onlo dot Infections (grippe, angine, otite) et beaucoup
ankò, lafimé, boukan, tabak zèb). d’autres encore (la fumée, les brûlis, le tabac,
l’herbe).

N°3 Ou vlé di zèb, jwen- la alòs madam ? Vous voulez dire l’herbe, le joint alors Madame ?

E2 Wi wi, zèb- la, dwòog- la ! Oui, oui, le joint, la drogue ! a confirmé


l’éducatrice.

N° 13 Men sapa natirel a madam ? Mais ce n’est pas naturel alors, Madame ?

268
E2 Sé sa yo ka fè zòt kwè, men i ka fè onlo C’est ce que l’on vous fait croire, mais cela fait
déga andidan a zòt ; i ka brilé andidan a beaucoup de dégâts au fond de vous, ça brûle
zòt... votre intérieur !

N° 29, Abon? Ah oui ? Très étonnés de la nouvelle.


37

Saisissant la balle au bond, l’éducatrice a profité de l’occasion pour s’étendre sur le sujet
qui semblait passionner les jeunes collégiens, et placer un message fort.

E2 An téka di zot donk, ki zeb là ka ataké Je vous disais donc, que l’herbe attaque vos
poumons là, autan sinon plis ki tabac là, poumons, autant, sinon plus que le tabac, et fait
é i ka fè menmbitin ki lazm là. Donk sé exactement comme l’asthme. Donc, n’y touchez
patouch !!! pas !!!

Projection de la 2e vidéo, « bronche normale versus bronche inflammatoire ».

E1 Lè zòt ka gadé zimaj- lasa, ka zòt ka Quand vous regardez ces images, que voyez-
vwè ? ki diférans zòt ka vwè lè zòt ka vous ? Quelles différences vous voyez entre les
gadé sé dé koté-la ? deux côtés ?

Silence d’environ 10 secondes, temps nécessaire à la visualisation de l’image et à


l’extéro/intéroception. Les liaisons temporaires s’établissent autant en fonction de stimuli
du monde extérieur, domaine de l’extéroception, qu’en fonction de stimuli viscéraux
provenant des organes végétatifs, domaine de l’intéroception315.

N°34 Si koté dwèt i nòwmal é si koté gòch i Sur le côté droit, elle est normale et sur le côté
tòd, i sal é i gonflé. gauche, elle est tordue, elle est sale et gonflée.

N°20 I séré osi, lèr- la paka pasé kon i fo ! Elle est serrée également, l’air ne passe pas
comme il faut !

N°13 Si -y kontinyé fèmé, kay ka fet ? Si ça continue de se fermer, que va-t-il se passer ?

N° 16 Ou ké toufé timal ! Tu vas t’étouffer, camarade, s’est empressé


d’ajouter le n° 16.

315
Ces deux domaines ont été très largement décrits par G. Bykov et ses disciples dès 1921. Ils ont permis
de mettre en lumière les relations fonctionnelles étroites entre le système nerveux central et les systèmes
physiologiques de la vie végétative ; ils ont permis également d’étudier chez l’homme les interactions
infiniment nuancées entre le système sensori-moteur qu’il partage avec les espèces animales et le système
symbolique et verbal, ou second système de signalisation.

269
Rire général.

E1 Alòs, lè ou konsa ès ou jenné pou Alors quand on est comme ça, est-on gêné pour
respiré. respirer ?

G Wi misyé. Oui Monsieur, a répondu le groupe en chœur.

N°21 Sa ki ka séré-y la, ou téké di on sèpan ? Ce qui le serre là, on dirait un serpent ?
N°12

E2 Es zot dakò épi sa ? Es zot vlé nou Etes-vous d’accord avec ça ? Voulez-vous que
rètyenn tèm-la sèpan ! lè ou jenné konsa, l’on retienne le terme serpent ? Quand vous êtes
ki rimed ou ka pran ?
gênés comme ça, quel médicament prenez-vous ?

G Vantolin ! Ventoline, a répondu le groupe. Tous les enfants


étaient en possession de leur dispositif de crise, la
Ventoline.

E2 Lè ou pwan vantolin a-w, i ka aji la. An Quand tu prends ta Ventoline, elle agit ici (elle a
10 minit, vantolin aji, sé kòd - la ka pointé du doigt les muscles qui entourent la
déséré, eskè sa fini pou otan ? bronche, en regardant l’assistance et les maquettes
qui passent de main en main, avant de
poursuivre). En 10 minutes, les cordes se
desserrent. Est-ce terminé pour autant ?

N° 6 Men i gonflé toujou wi madam! Mais c’est encore gonflé, Madame !

N° 33 É i sal toujou osi ! Elle est encore sale également !

L’éducatrice a expliqué :

E2 Sépoulòsdonk, lè vantolin la déséré sé C’est pour cela, même après que la Ventoline a
kòd- la, sa poko fini. desserré les cordes, ce n’est pas terminé.

N° E Ka pou fè pou bwonch-la vini Que faut-il faire pour que ça devienne normal,
17,21, nòwmal madam ? Madame ?
26, 3 ;

Silence pesant dans le groupe, précédant la réponse de l’éducatrice…

E2 Si sé lenfflamasyon-là ki ka fè-y gonflé Si c’est une inflammation qui la fait gonfler et


é swenté ka nou té ké pwan pou sa ? On suinter, que peut-on prendre pour ça ?
antiiiiiii !!!
Un antiiiiiiiiii !!!!!

N° 16 Inflamasyon madam !! Inflammation, Madame !!

E2 Antiinflamatwa ! Anti-inflammatoire, a rectifié l’éducatrice.


Konmen moun ki ni anti enfflamatwa – Combien de personnes possèdent un anti-
la ? inflammatoire ?

Silence dans le groupe ; les enfants se Cinq doigts se lèvent.

270
regardent.

E2 Wòl a antienfflamatwa -la sé anpéché Le rôle de l’anti-inflammatoire est d’empêcher


bwonch- la gonflé é swenté, lè ou pwan que la bronche ne gonfle et ne suinte. Ce
rimèd –la, èvè lèr- la ou ka fè rantré en médicament rentre dans ta bronche avec l’air que
ko a-w la ou ka menné-y, la ou vlé i aji, tu respires, il va là où il doit agir (l’éducatrice a
En pointant du doigt l’intérieur de la pointé du doigt l’intérieur de la bronche). Tu
bronche é ou ka bloké souf a-w pannan bloques ta respiration pendant 10 secondes, le
10 sègond, pou-y pozé la, pou-y aji la. temps qu’il se dépose là où il doit agir
Ika rèsté la pannan douzèdtan. précisément. Il reste en place pendant une durée
de douze heures.

E2 A ki lè zòt ka pwan-y lè maten ? A quelle heure vous le prenez le matin ?

N° 16 Avan nou pati akaz an nou madam ! Avant de partir de chez nous, Madame !

E2 A kilè zòt ka pati akaz a zòt lè maten ? A quelle heure vous partez de chez vous le
matin ?

G Sa ka dépann, A sizè ! Cela dépend ; vers six heures !!

E1 Eben lè zòt pwan-y a sizè i ka protéjé zòt Eh bien, quand vous le prenez à six heures le
jis a sizèdswè é lè zòt ripwan-y a matin, il vous protège jusqu’à six heures du soir et
sizèdswè i ka protéjé zòt jis à sizèdmaten en le reprenant à six heures du soir il vous protège
sé sa ki rimèd a lopwésyon !! jusqu’à six heures le lendemain matin. C’est ça le
médicament de l’asthme !!

N°45 Sa vlé di kè an pa ni rimèd pou lazm an Cela veut dire que moi, je n’ai pas de médicament
mwen-a misyé ? pour mon asthme, Monsieur ?

N° 10 Mwen non pli alòs ! Men an ni vantolin Moi non plus alors, Monsieur ?
an mwen !

N°29 Ou pa kompwann sa boug la ka di la Tu n’as pas compris ce qu’a dit le monsieur alors,
timal ! camarade ?

Les enfants se sont regardés, comprenant que le traitement de fond était essentiel au
maintien de la qualité de leur souffle.

E1 Konnyé la nou ka-y miziré souf a Maintenant, nous allons mesurer votre souffle
zòt avè on ti aparèy yo ka kriyé « peak- avec ce petit appareil appelé peak flow, le voici !
flow » mimi-y ! Ki moun ki ni on peak- qui a un peak flow chez lui ?
flow akaz a-y ?

271
L’appareil passait de main en main ; certains le découvraient pour la première fois, il était
familier pour d’autres, et des doigts se sont levés.

E2 Konmen moun ki konnet miziré souf a Qui sait mesurer son souffle ? Pour mesurer son
yo ? Pou miziré souf a-w, ou ka vidé souffle, on vide ses poumons, on les remplit
poumon a-w, ou ka ranpli-y, ou ka bloké d’air au maximum, on bloque cet air-là, on met
lèr- la, ou ka mèt anbou -la an bouch a-w é l’embout dans la bouche et on souffle le plus
ou ka souflé fò. Gadé kijan an ka fè-y é zòt fort que l’on peut d’un coup sec. Regardez
ké fè-y apwé mwen ! comment je fais et vous ferez après moi !
Es zòt Kompwann kijan pou fè ? (Après la visualisation de la vidéo en créole sur
le site de Karu Asthme, l’éducateur a fait la
démonstration.) Avez-vous compris comment
faire ?

N° 16 Pou ki biten sa ka sèvi misié ? A quoi cela sert-il, Monsieur ?

E1 Déja pou vwè si bwonch a-w bien wouvè ! Déjà pour vérifier que tes bronches sont bien
si souf a-w osi nòwmal ki souf a on tiboug ouvertes, si ton souffle est aussi bon que celui
a laj –aw ki paka fè lazm. d’un garçon de ton âge qui ne fait pas de
l’asthme.

Tour à tour, les enfants ont mesuré leur souffle en respectant le protocole des trois
mesures, en notant leur meilleur score. Les souffles ont été comparés aux valeurs
théoriques, et des zones de souffle propres à chaque enfant ont été définies. 24,13% des
enfants testés étaient en zone orange et 6,89% en zone rouge. Ces chiffres correspondent
au nombre d’enfants se disant gênés en sport et durant l’effort dans ce groupe, à savoir
respectivement 25,41% et 7,01%.

La nouvelle projection de la vidéo sur les bronches a été largement commentée ; les
élèves n° 50 et 48 (en zone rouge) se sont approchés de E2.

N° 50 Madam, souf an nou pa bon on ! nou an Madame, notre souffle n’est pas bon-on ! Nous
zòn wouj- la ou ! sommes dans la zone rouge-ou !
Et 48

L’éducatrice s’est tournée vers les enfants et a réclamé le silence.

E2 Sélà ki an oranj la é an wouj la, kijan Ceux qui sont en orange et en rouge, comment
bwonch a yo yé andidan ?
sont leurs bronches à l’intérieur ?

N°16 I gonflé madam. Gonflées, Madame.

N°23 I sal. Sales.

N°14 et I séré. Serrées.


29

272
E2 Ka-y fo fè pou nétwayé bwonch -la ? Que faut-il faire pour nettoyer les bronches ?

G Fo pwan anti enflamatwa-la madam ! Il faut prendre l’anti-inflammatoire, Madame

E2 Es zòt ni on antienflamatwa ? Avez-vous un anti-inflammatoire ?

Et les enfants en zone orange et en zone rouge de constater qu’ils n’en avaient pas.

E2 E ki coulè rimed ki ka-y èvè sa ? En De quelles couleurs sont les médicaments


montrant la diapositive sur la couleur des composant le traitement de fond ?
traitements de fond ?

N°10 ROUGE. ROUGE.

N° 6 ORANGE. ORANGE.

n° 20 et VIOLET. VIOLET.
12

E1 Si zòt pwan prèmyé lèt a chak koulè, ka Si vous prenez la première lettre de chaque
sa ka fè ? couleur, ça fait quoi ?

N°33. ROV. ROV.

E1 Ka nou pé gadé pou édé nou a wetien Que peut-on garder pour nous aider à retenir la
coulè à rimed la ? couleur des traitements de fond ?

G Nou pé gadé ROV la. On peut garder le ROV.

E1 Es zòt dakò épi sa ? Es zòt vlé-y pou sigl Etes-vous d’accord avec ça, voulez-vous garder
a zòt ? le ROV pour votre sigle ?

G Wi missié nou d’akò. Oui Monsieur, on est d’accord !

E1 Douvan ROV la i fo on bitin la zot ka Devant le ROV, il faut quelque chose, que
pwoposé ? proposez-vous ?

N° 33 Ibis missié ! Ibis, Monsieur !

E1 Pouki ibis ? Pourquoi ibis ?

N°33 IBIS ROUGE sa ké fè nou chonjé-y ! IBIS ROUGE nous y fera penser !

E1 Es zot dakò pou gadé IBIS ROV la ? Etes-vous d’accord pour garder IBIS ROV
comme sigle ?

G Wi misié ! Oui Monsieur !

Ainsi, la mnémotechnique pour l’inflammation adoptée par les enfants du groupe créole
fut : IBIS = ROV.

273
Fo nous ni sa, si nou vlé ay bien ! ont- Il faut qu’on ait ça si nous voulons aller bien !
ils ajouté. ont-ils ajouté.

La mesure du souffle ainsi présentée a été un révélateur du mauvais fonctionnement des


bronches et de leur caractère inflammatoire. Les mots-clés ont été proposés pour traduire
la mnémotechnique qui avait déjà été travaillée par le groupe français ; c’est ainsi que
« BOA », rappelant le serpent, a été confirmé, soit B pour « bronche / bwonch » (créole
oblige), O pour le carburant du corps « oxygène / òksijèn », A pour « asthme / azm ».
S’agissant des deux principaux phénomènes, à savoir l’inflammation et le
resserrement, l’expression « enflamasyon, boufisman é swentman a bwonch-la » a été
proposée, « tranglèman » représentant la bronchoconstriction.

E1 É pou tranglèman a bwonch-la, ki koulè Et pour l’étranglement de la bronche, que voyez-


rimed zot ka vwè ? vous comme couleur de médicament ?

G Blé misié. Bleu, Monsieur.

E1 Ki mémo zot ka pwan pou rimède-la sa ? Quelle mnémo prenez-vous pour ces
médicaments ?

Le groupe a marqué un instant d’hésitation…

N° 16 Tringl blé misié. Tringle bleue, Monsieur.

E1 Ka zòt ka pansé di sa ? Que pensez-vous de ça ?

N° 3 É non timal, tranglé pa a fè tringle ? Mais non, camarade, étrangler ne fait pas
tringle ?

N° 16 Iké édé nou chonjé-y ! Il nous aidera à nous rappeler !

E1 Ès zòt dakò èvè tringl blé ? Etes-vous d’accord avec tringle bleue ?

Dakò pou tringl-la. D’accord pour tringle bleue, a décidé la majorité


des enfants.

Ainsi, la mnémotechnique retenue pour le traitement de secours dans ce groupe fut


Tringl=blé. Le groupe créole n’ayant pas proposé d’autres sigles pour les techniques
d’inhalation et la mesure du souffle, les acronymes VIS et VIB furent adoptés à
l’unanimité. A présent, transcrivons les principaux échanges de l’atelier 3, qui traitait de
la gestion de la crise.

274
E2 Lè zòt jenné pou respiré, kijan zot ka kriyé Quand vous êtes gênés pour respirer, comment
sa ? appelez-vous cela ?

N° 16 On kriz madam ! Une crise, Madame !

N°2 On jennman. Une gêne.

E2 Ka lézot simié kwiz ou jenman ? Que préfèrent les autres, crise ou gêne ?

« Jenman » : ce terme a fait consensus et a été adopté à l’unanimité par les enfants.

La mnémotechnique retenue fut : MS / si jenman « miziré souf a-w si ou ni on jenman » ; (MS/ si tu es


gêné, mesure ton souffle).

E2 Ka-w ka pasé andidan a kò a-w, lè ou Comment cela se manifeste quand vous êtes
konsa ? comme ça ?

N°45 Ou ka tousé madam. Tu tousses, Madame.

N° 17 Ou ka santi on pwa si lèstonmak a-w. Tu ressens un poids sur ton estomac.

N° 34 Ou jenné pou respiré. Tu es gêné pour respirer.

E2 Yo ka kriyé sa lésign minè. On appelle ça les signes mineurs.

E2 E ankò ? Et après ?

N°3 Ou ka santi ou ka toufé madam. Tu te sens étouffée, Madame.

N° 10 Ou ka vwè nwè. Tu es dans le noir, tu perds la vue.

N° 13 Ou ka chaché lè la. Tu cherches l’air

N°20 Lestonmak a-w ka kriyé, Ou pépa palé Ta poitrine crie, tu ne peux pas parler, Madame.
madam.

E2 Yo ka kriyé sa lésign majè. On appelle cela les signes majeurs.

E2 : Lè ou konsa ka-w ka pwan ? Quand vous êtes comme ça, que prenez-vous ?

N°16, Vantolin madam. De la Ventoline, Madame.


33, 10

E2 Kijan ou ka pwan sa ? Comment prenez-vous ça ?

Tableau 26 : Retranscription du verbatim de la séance créole, échanges entre le groupe, les individus et les
encadrants, collège ISSAP de Sainte-Anne, Guadeloupe.

Ce fut l’occasion de revérifier l’utilisation de la chambre d’inhalation dans la prise du


traitement. Ainsi, le protocole de la gestion de la crise, selon les signes mineurs, a été
remis aux enfants, dont le plan d’action à déclencher, dès les premiers signes : le plan A,

275
puis le plan B. Les mnémotechniques ont été adaptées et remises aux enfants. Elles
reprenaient l’ensemble des mots et sigles utilisés et adoptés par le groupe. La séance s’est
déroulée dans une ambiance détendue, les enfants se sont exprimés sans complexe et sans
peur d’être jugés. Cette expérience nous a montré que, les mots prenant un sens différent
en créole par rapport au français, l’interprétation des ressentis était différente en créole et
en français, bien que les termes utilisés pour les exprimer se soient rapprochés
sensiblement. Nous avons relevé, dans le parler créole des enfants, un positionnement
« interlectal »316 très prononcé des discours, avec un mélange des codes, quelquefois bien
éloignés des pôles, aussi bien français que créole.

En effet, au cours de la séance, cet espace dynamique a permis aux enfants de faire passer
leurs idées, leur compréhension des phénomènes, et d’exprimer leurs ressentis qui, à
notre avis, auraient eu du mal à s’exprimer dans un français parfait en l’absence d’une
parfaite maîtrise des termes adéquats. La posture définie dès le début de la séance par
l’équipe a contribué à la fluidité des échanges. Il n’était pas question pour l’équipe – cela
avait été très clairement dit, dès le départ – de stigmatiser les écarts de langage ou les
solécismes empruntés pour une expression ou clarification de tels ou tels symptômes. Il
nous a semblé relever, chez les enfants ayant choisi délibérément ce registre, et ce, dès la
présentation de ce travail de recherche, une certaine assurance, voire une certaine fierté, à
échanger sans crainte d’un éventuel jugement, d’une stigmatisation d’un usage
épilinguistique. Une conscience assez claire de ce choix s’est manifestée dans ces
échanges. La séparation des groupes avait pour avantage l’évitement d’un éventuel
malaise, voire d’une possible culpabilisation des créolophones à s’exprimer devant leurs
petits camarades qui, eux, avaient choisi l’autre groupe.

Nous avons signalé plus haut, dans l’analyse et l’interprétation des résultats de notre
questionnaire d’enquête, un pourcentage significatif d’enfants déclarant le français
comme première langue parlée. Certains mots qu’ils utilisaient s’apparentaient plutôt à
des solécismes. Nous en déduisons que ce parler « français créolisé » est encore en
vigueur au sein des familles et considéré comme du français usuel. Ces pratiques sont
anciennes dans les campagnes et les mornes. En interrogeant les enfants sur des exemples

316
« La zone interlectale se présente comme l'ensemble des paroles qui ne peuvent être prédites par une
grammaire de l'acrolecte ou du basilecte. Soit parce que les deux systèmes sont cumulatifs en un point de
l'énoncé (code-switching, emprunt non intégré à la morphophonologie du système emprunteur), soit parce

276
de mots français couramment utilisés par leurs parents chez eux, pour eux ou leurs petits
frères et petites sœurs, nous nous apercevons en fait que ce sont des solécismes et autres
créolismes dont voici quelques exemples :

sisit Sizé-w Assieds-toi

nannan Mangé a timoun Petit repas mixé

Dodo Dòmi Sommeil, se coucher (faire dodo)

Bobo Doulè Avoir mal, plaie

doudou tidoudouamanman Petit(e) chéri(e) de sa maman

soussoute Ti soulié-aw Tes petites chaussures (petits souliers)

pompom Nou ka-y ponpom On va en promenade, se promener

dôdôte Fè chouval Faire le cheval, prendre l’enfant sur son dos à cheval en mimant
le geste du galop

bâ Fè bà, bô mwen Petits bisous à sa maman

Tableau 27 : Liste des solécismes utilisés par certains parents à l’attention de leurs enfants à la maison,
rapportés par certains élèves au cours de la séance.

Des mots appartenant à un français « créolisé »317, faisant référence à des descriptions et
des actions, utilisées encore de nos jours par une certaine frange de la population, sont
légitimés comme étant du français usuel. Il est admis également, dans cette population,
que le domaine médico-éducatif, domaine particulier qui nécessite des études
particulières, menées en France hexagonale dans la langue dite « haute », ne peut être
profané en l’abordant dans la langue « basse » que représente le créole. Nous constatons
en effet que même parmi les enfants ayant choisi le groupe créole, une majorité estime
que le français est supérieur au créole et a hésité à répondre en créole aux questions
posées en créole par les éducateurs. D’où cette ambivalence notable entre l’usage de la

que ni l'un ni l'autre ne répondent de la nouvelle forme. » Prudent Lambert-Félix. « Diglossie et interlecte ».
In : Langages, 15e année, n° 61. Mars 1981. « Bilinguisme et diglossie », p. 31.
317
« La pratique du créolisme peut avoir un aspect positif en tant que manifestation de l’identité d’un
peuple dominé (d’) une révolte inconsciente (en acte) contre les structures de langue dominante, parce
qu’il peut être alors porteur d’une subversion à l’intérieur des mécanismes. » J. Bernabé. Fondal-natal.
Grammaire basilectale approchée des créoles guadeloupéen et martiniquais, tome 1, Paris, L’Harmattan,
1983, p. 233.

277
langue dans des activités courantes et la prudence des locuteurs quand il s’agit d’activités
ou de domaines spécifiques touchant à la santé.

L’objet principal de notre travail n’est pas d’élaborer une étude linguistique approfondie
du phénomène par l’analyse de la grammaire des langues et de l’utilisation des genres qui
en est faite – ce qui demeure à notre avis une démarche de linguiste –, mais bien de
confirmer l’exploitation de cette interface facilitatrice des échanges dans ce domaine
particulier que représente le médico-éducatif. Cette facilité de passer d’un registre à
l’autre par le « sas » interlectal nous semble une voie à explorer car à l’évidence, il se
dégage, chez ces voyageurs linguistiques du troisième type, une certaine fierté, une joie,
voire un certain plaisir porteur d’espoir, quant à l’acceptation de l’inacceptable que peut
représenter une maladie chronique pour un adolescent. A ce stade de notre présentation et
de notre réflexion, et dans un souci de maximisation des apprentissages, il nous semble
nécessaire de compter avec cette dimension du milieu de l’apprenant dans le choix de la
démarche pédagogique. La manière de percevoir le monde et de l’expliquer relève du
vécu du patient. Un savoir scientifique peut-il valablement s’imprimer sans la prise en
compte du contexte culturel de l’apprenant ? Avant d’examiner, dans notre dernier
chapitre, les approches didactiques que nous envisageons de présenter en matière de
formation des acteurs et d’approches méthodologiques, prenant en compte la
contextualisation de l’apprentissage en éducation thérapeutique, en milieu bilingue
antillais, nous nous proposons en premier lieu de présenter les mnémotechniques de cette
séance voir figure 31 A-B-C-, et d’exposer les résultats de l’évaluation des acquisitions
après éducation.

278
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! !

Thèse de doctorat en sciences de l’éducation

Jacques GOTIN

Education thérapeutique du patient asthmatique en Guadeloupe


Education Séquentielle Objective (.E.S.O)

Collège ISSAP de Sainte Anne Guadeloupe

Atelier 1 : Konnésans a lazm la an kwéyol

Mnémotechnique
!
B.O.A.%
%
!-1- Tiyo ki ka menné lè la andidan poumon a-w : bwonch

-2- Composan a lè la, ésans ako a-w : oxygène

-3- Maladi a respirasion-la, gennman: asthme (enflamasyon a bwonch la)


! !!!!!! !
! !
! D é fénomèn

Signs à l’enflamasyion la: Signs à Resserrement :


Boufisman, swentman Twangleman (difficulté à
respirer)

I BI S = ROV D onc deux types de tr aitements TRI NGL = BLE

Resserrement dilatatè
Enflamasyion antienflamatwa Rôl à dilatatè la : détwanglé
Rôl à antienflamatwa la : dégonflé é bwonch la
nétwayé bwonch la Coulèa-y: blé
Coulè a-y: r ouge, or ange violet

-4- Sa-w ka santi andidan a kô a-w: Ou ka tousé, jennman, étoufman, ou jenné pou respiré, ou à léto

!
!

279
!
!
!
Atelier 2 : M izi a souf la et teknik a inalasion a rimed la:

M némotechnique

V.

Po
Vidé

u%m 1w%%
%So
uf%

izir
I.

é%
Inspiré

%
S. Souflé

V. Vidé

Po
Rim

I. u%p
wa
ed
Inhalé
n%%
%a1
w%

B. Bloké

Lexique :

- Bwonch:
- Azm :
- Gennman :
- Renouvelman :
- Rimed a kriz la:
- Rimed a lenflamasyon-la:
D.E.P!
ZON!A!SOUF!A-W!

! ! !

280
Atelier 3 : Géré kriz la

M némotechnique

Miziré souf a-w

M.S si gennman

L ési gn M i nè :
Tousé sèk L ésign M ajè :
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!♦ Etoufman! Ou a léto ou ka toufé
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!♦ Ou pé pa palé!!!!!!!!!!!!!
♦ jennman pou respiré!

Ventoline à-w : 2 kou tout les 10 Fè plan A la é kriyé lè 15


minit, 3 foi yon dèyè lot si sa nécésè, ouben lè 112
a dan chamb dinalasion la.
SAMU

Réseau Asthme de la Guadeloupe


Ecole de l’asthme
CETG
Résidence ANACAONA Bât 33
Porte 3304 Bergevin
97110 POINTE A PITRE
Tél : 0590.48.10.43
Site : karuasthme.org
reseau-asthmepap@wanadoo.fr

Figure 31 : A-B-C, mnémotechniques du groupe créole, traitant de la connaissance des mécanismes de la


maladie, de la mesure du souffle et de la maîtrise des techniques d’inhalation, de la gestion de la crise,
collège ISSAP de Sainte-Anne, Guadeloupe, décembre 2013.

281
6.7 Résultats

6.7.1 Plan d'analyse

Après exploration et préparation de la base ISSAP EVAL, les données ont été analysées à
l'aide du logiciel Stata V.12. Les analyses ont consisté essentiellement à déterminer la
fréquence des différentes variables qualitatives et la moyenne ± l'écart type (Sd) pour la
seule variable quantitative, l'âge. Par la suite, les variables d'évaluation ont été comparées
dans les deux groupes par le Chi2 ou, à défaut, par le test exact de Fisher, afin d’étudier
l’influence de la langue sur la compréhension de la maladie et l’habileté des gestes et
techniques nécessaires à une bonne prise en charge de la maladie par le patient.

6.7.1.1 Présentation des résultats

Dans les deux groupes (Tableau 28 A.B.), la majorité de la population étudiée était
constituée de garçons : 72,4% dans le groupe français vs 64,3% dans le groupe créole ; et
d’élèves nés en Guadeloupe : 79,3% dans le groupe français vs 96,4% dans le groupe
créole. La moyenne d'âge était légèrement plus élevée dans le groupe créole que dans le
groupe français.

100% des élèves du groupe 2 (créole) parlent et comprennent la langue vernaculaire (le
créole) et sont donc créolophones ; dans le groupe 1 (français), ils sont 75,9% à parler le
créole. Dans ce dernier groupe (groupe 1), les créolophones représentent 31,0%. Toujours
dans le groupe 1, la première langue parlée par les élèves est le français (24,1%) et dans
le groupe 2, c'est le créole (75,9%). La plupart des élèves du groupe 1 parlent de l'asthme
en français (85,7%), par contre, dans le groupe 2, la grande majorité parle de l'asthme
dans les deux langues (français et créole), soit 71,4%. Avant l'éducation thérapeutique
(ETP), 27,6% des élèves du groupe 1 (français) versus 32,1% du groupe 2 (créole)
savaient mesurer leur souffle à l'aide du débitmètre de pointe ou peak flow. Cette
supériorité est non significative au regard du nombre inférieur d’enfants dans le groupe
2 : 28 contre 29. Après l'ETP, les élèves enseignés en créole ont sensiblement plus
progressé dans la mesure du souffle que ceux qui ont suivi l'ETP en français, soit 82,1%
vs 44,8% (Tableau n° 32 A). S'agissant du traitement de fond, les élèves du 2e groupe ont
acquis plus de connaissances sur ce traitement que ceux du groupe 1 : 50,0% vs 27,6%.
Pour les incidents en rapport avec l'asthme, chez les élèves inclus dans l'étude, ils se

282
produisent beaucoup plus en sport ou à l'effort, dans une proportion de 70% pour les deux
groupes.

283
Groupe Français Groupe Total
créole

Variables N (%)

N = 29 N = 28 N = 57

Parles de l'asthme en (N= 28, 28, 56)

Français et créole 4 (14,3) 20 (71,4) 24 (42,8)

Français 24 (85,7) 6 (21,4) 30 (53,6)

Créole 0 (0,0) 2 (7,2) 2 (3,6)

Préférence pour parler de l'asthme (N= 29, 27, 56)

Français 15 (51,7) 4 (14,8) 19 (33,9)

Créole 14 (48,3) 23 (85,2) 37 (66,1)

Supériorité de la langue (N= 29, 27, 56)

Française 21 (72,4) 11 (40,7) 32 (57,1)

Créole 8 (27,6) 16 (59,3) 24 (42,9)

Mesure de souffle avant

Oui 8 (27,6) 9 (32,1) 17(29,8)

Non 21 (72,4) 19 (67,8) 40 (70,1)

Connaissance du traitement de fond

Oui 8 (27,6) 7 (24,9) 15 (26,3)

Non 21 (72,4) 21 (74,9) 42 (73,6)

Incidents en rapport avec l'asthme (*)

Gênes respiratoires 9 (31,0) 8 (28,5) 17 (29,8)

Incidents 12 derniers mois avant enquête 3 (10,3) 5 (17,8) 8 (14,0)

Incidents 1 mois 7 (24,1) 5 (17,9) 12 (21,1)

Incidents en sport ou à l’effort 17 (58,6) 23 (82,1) 40 (70,2)

Incidents le jour de l'enquête 11 (37,9) 9 (32,1) 20 (35,1)

* Plusieurs réponses possibles par sujet ; avant ETP, à ajouter devant incident à un mois.

284
Tableau 28 : A-B-C, caractéristiques et variables de la population étudiée et comparaison des deux groupes
d’adolescents asthmatiques avant l’ETP, collège ISSAP de Sainte-Anne, Guadeloupe.

Concernant l'évaluation réalisée dans les deux groupes, après l'ETP, sur des critères
préalablement établis (Tableaux 28 A.B.C et 30 A.B.C), il en ressort qu’en dehors de
deux critères (BOA et SIR BLEU), le groupe 2, c’est-à-dire celui qui a reçu l'ETP en
créole, réalise des scores supérieurs en termes d'acquisitions des connaissances et
compétences que le groupe 1 éduqué en français. Sur plusieurs critères, la différence
entre les deux groupes est statistiquement significative (p < 0,05), ce qui revient à dire
que la langue créole utilisée pour dispenser l'ETP influence significativement l'acquisition
des connaissances et des compétences du patient, pour une prise en charge efficace de sa
maladie.

Tableau 29 : Evaluation comparative des différents critères dans les deux groupes après ETP, collège
ISSAP de Sainte-Anne, Guadeloupe, 2013.

285
Tableau 30 A : Variables mesurées après l’ETP.

286
Tableau 30 : B-C (suite) : Variables mesurées après l’ETP dans les deux groupes d’adolescents
asthmatiques après l’ETP, collège ISSAP de Sainte-Anne, Guadeloupe.

287
Tableau 31 : A-B-C. Comparaison des variables mesurées dans les deux groupes en fonction des principaux
critères d'évaluation après l’ETP.

288
6.8 Discussion
Nous avons également cherché à établir l'association éventuelle entre la première langue
parlée par ces élèves et les différents critères d'évaluation dans les deux groupes et de
manière globale ; malheureusement, la faiblesse des effectifs (n < 3 pour plusieurs
critères) ne nous a pas permis de faire des croisements acceptables statistiquement pour
tous les critères. Pour les variables exploitables, aucune association significative n'a été
mise en évidence.

L’étude de la variable « première langue parlée », dans le groupe français, montre que
75,9% des enfants parlent et comprennent le créole dans ce groupe, bien qu’ils disent
parler de l’asthme en français à 51,7% ; ce qui signifie que pour parler de la maladie,
48,3% des enfants du groupe français utilisent le créole. Les créolophones représentent
donc un pourcentage non négligeable dans le groupe français. Bien que le français
demeure la première langue parlée des enfants du groupe français, à 96,5%, il n’en
demeure pas moins qu’ils sont bilingues français-créole à 71,4%. Nous nous sentons le
droit de formuler une interrogation quant à un éventuel « handicap » que le bilinguisme
des enfants du groupe français aurait pu représenter, en termes d’impact sur la
compréhension des mécanismes de la maladie, des consignes et plans d’action, ainsi que
sur la maîtrise des techniques d’inhalation expliquées en français. En d’autres termes,
nous nous interrogeons sur un éventuel conflit linguistique qui aurait pu naître dans
l’alternance des codes, ce qui expliquerait en partie cette disparité en termes
d’acquisitions entre les deux groupes. Nous ouvrons la discussion et laissons aux études
futures le soin d’examiner cet aspect de la question.

289
290
Tableau 32 : A-B-C. Croisement de données ; recherche d’association entre première langue parlée et les
principaux critères d'évaluation dans les deux groupes d’élèves après ETP.

Concernant l'association éventuelle entre la variable « code linguistique » et les


principaux critères d'évaluation après l'ETP, il ressort, comme le montre le Tableau 32 :
A.B.C, ci-dessus, que les élèves créolophones ont acquis un peu plus de connaissances et
de techniques que ceux du groupe francophone. En dehors des critères BOA et SIR
BLEU, où les deux groupes ont obtenu sensiblement les mêmes résultats. Pour les autres
critères, les créolophones comptabilisent plus d'acquisitions que les francophones. Pour
trois critères d'évaluation, la différence est significative (p< 0,05).

6.9 Conclusion
Pour conclure cette étude, nous disons que les résultats obtenus chez ces enfants montrent
que les langues utilisées au cours de ces séances d’éducation thérapeutique ont un impact
différent sur la compréhension des mécanismes de la maladie et l’habileté des gestes et
techniques dans la prise en charge de l'asthme bronchique en Guadeloupe. L’utilisation
de la langue créole, dans cette prise en charge médico-éducative, influence de manière
significative les processus d’apprentissage sur le plan cognitif, analytique et sensori-
moteur, et constitue, au vu de ces résultats, une plus-value en éducation thérapeutique
chez les patients bilingues français-créole en termes d’acquisitions, ce qui a pour finalité
de corroborer notre deuxième hypothèse. Par ailleurs, nous n’avons pas relevé d’effets
négatifs de l’utilisation de ce moyen langagier chez les enfants de ce groupe. Ces résultats
s’inscrivent dans la conclusion de plusieurs études sur les avantages du bilinguisme (Peal

291
et Lambert, 1962), qui ont comparé les acquisitions des enfants bilingues à ceux d’enfants
monolingues au Canada, en relevant une certaine « flexibilité cognitive ». De même, D.
Groux et L. Porcher (1998) ont montré que des enfants bilingues franco-arabes, à milieu
social identique, avaient des résultats supérieurs en français et en mathématiques que les
enfants monolingues. Dans un entretien publié dans Les Echos le 27 mai 2014, E. Morin
déclare, dans son explication de la pensée complexe, « qu’il existe un lien entre la
connaissance et l’émotion, laquelle peut changer notre perception ». La langue
maternelle étant la langue de l’affect, ainsi que l’écrit D. Groux dans L’enseignement
précoce des langues. Des enjeux à la pratique (1996), l’utilisation de ce moyen langagier
serait-elle à l’origine de la mobilisation de la composante psycho-émotionnelle présente
dans l’asthme bronchique, et pourrait-elle alors expliquer ces résultats ? Cette
amélioration significative du savoir, savoir-faire et savoir-être dans la gestion de cette
maladie chronique que représente l’asthme bronchique, relevée à travers les résultats de
cette étude, est le corollaire d’un bon contrôle de la maladie, conduisant à une meilleure
qualité de vie. La finalité de l’éducation thérapeutique étant de sensibiliser l’apprenant à
la nécessiter de se soigner, si l’utilisation de ce canal permet d’y parvenir, nous ne
pouvons que l’encourager.

292
TROISIEME PARTIE-PROPOSITIONS

293
7 Approche didactico-médico-éducative adaptée en contexte
bilingue
En 2003, dans un article paru dans Le français dans le Monde (n° 330), D. Groux émet le
souhait d’un enseignement bilingue pour tous dès la maternelle. L’auteure souligne que
pour autant, le formateur ne renonce pas à son identité culturelle, mais s’ouvre vers celle
de l’autre. L.-F. Prudent, F. (2005) ont préconisé une prise en compte de la langue
maternelle dans les nouvelles propositions didactiques comme une nécessité qu’il faut
établir, organiser, structurer et expérimenter. Cette préconisation de la pédagogie de la
variation en pays créole, se positionnant dans le cadre de l’enseignement d’une manière
générale, nous semble un cadre approprié pour porter nos propositions. Il s’agit
concrètement de valoriser l’écologie linguistique des apprenants dans une visée
socialisatrice, en prenant en compte le contexte d’une façon globale et en contextualisant
la dispensation du savoir. Pour Groux et Porcher (1977), le principe de la
contextualisation est essentiel en éducation comparée. Dans le prolongement de la
pensée, on est en droit de s’interroger : la transposition d’une approche pédagogique,
d’outils psychopédagogiques, dans un milieu culturel différent, est-elle possible sans
aménagements ? Dans La comparabilité des systèmes d’enseignement (1967), Bourdieu
P. et Passeron J.-C. écrivent que des corrections, des interprétations, sont indispensables à
leur exploitation en faisant allusion aux chiffres. Mais ce qui est valable pour les chiffres
ne doit-il pas s’appliquer au verbal et à la méthode d’apprentissage ?

Dans une définition différenciatoire, le contexte serait l’ensemble des composantes de


l’environnement qui tourne autour et qui permet de comprendre, l’alentour, appelé
l’environag en créole, tandis que la contextualisation serait plutôt l’adaptation de la
méthode et de la discipline à la conformité des différents facteurs qui interviennent dans
le processus. Pour Galison (1991), la contextualisation ferait partie de la didactologie
située, prenant en compte les facteurs déterminant cet environnement spatio-temporel, le
sujet (l’apprenant), l’objet (langue, savoir, culture), l’agent transmetteur, le groupe, le
milieu. Compte tenu du paradigme de la complexification, dans lequel la logique
nouvelle de la variation placerait l’apprenant en situation d’apprentissage, en contexte
plurilinguistique, C. Puren (1994) préconise une réponse « au coup par coup », celui de
l’éclectisme. Il cite, entre autres, S. Moirand dans sa définition du terme « approche »,

294
préféré au terme « méthodologie » par les tenants de l’approche communicative.
« L’approche n’est pas une étude mais un des moyens employés qui permet l’étude d’un
sujet considéré comme complexe. » Cela implique : 1- que l’objet à étudier n’est pas a
priori connaissable de l’apprenant ; 2- que la méthode à employer n’est pas a priori
définie 318 . Dans cette perspective, nous rappelle C. Puren, aucun modèle théorique
préétabli ne peut a priori apporter de réponses satisfaisantes ; donc, il ne s’agit pas
d’appliquer le plus systématiquement possible tel ou tel modèle, mais bien d’adapter avec
le plus de souplesse possible les modèles les plus variés à des paramètres situationnels.
« Considéré comme des contraintes, des construits, cela oblige, poursuit C. Puren, à
procéder à des ajustements épistémologiques de la didactique en
privilégiant l’incertitude et le dialogique. » L’auteur avance des exemples d’avantages
que pourrait comporter cette contextualisation 319 . E. Morin, dans sa définition de la
pensée complexe, la présente comme « animée par une tension permanente entre
l’aspiration à un savoir non parcellaire, non cloisonné, non réducteur et la
reconnaissance de l’inachèvement et de l’incomplétude de toute connaissance ».

Dans cette logique d’apprentissage, l’« approche » serait de proposer des objectifs, des
contenus et des supports différents pour chaque apprenant ou groupe, en fonction de sa
personne, de sa culture, de ses habitudes ou de son profil, de sa maîtrise de la langue ou
de tout autre paramètre dont la prise en compte obligerait le formateur à des adaptations
de sa pratique. Les apprenants arrivent avec leur vécu particulier, qui organise aussi bien
leur perception du monde que les théories qu’ils élaborent pour l’expliquer. Pour faire
face à ces déterminants, il convient d’élaborer des outils de modélisation adaptés au
contexte culturel. « Si une représentation est toujours sociale, elle s’élabore sous
l’influence des représentations “anciennes” (individuelles ou collectives). » L’auteur
caractérise le contexte culturel par « les représentations déjà existantes mais aussi, par la
capacité des formes d’organisations pouvant faciliter l’émergence d’aspects
nouveaux »320. Afin de maximiser l’activité d’apprentissage en fonction du milieu et des

318
Moirand S., Enseigner à communiquer en langue étrangère, Paris, Hachette, 1982. Puren C.,
Bertocchini P., Costanzo E., Se former en didactique des langues, Paris, Ellipses, 1998.
319
(...) Comme avantages on pourrait retenir la prise en compte des expériences locales qui font partie
intégrante de l’environnement et du vécu des apprenants, la mise à contribution des avoirs et des acquis
linguistiques et du vécu des apprenants. » R. Govain, Enseignement du créole à l’école en Haïti : « entre
pratiques didactiques, contextes linguistiques et réalité de terrain », colloque international
« Contextualisation didactique, états des lieux et perspectives », novembre 2011, Guadeloupe, CRREF EA-
4538, p. 27.
320
Ibid., p. 27.

295
apprenants, nous préconisons une approche didactique qui réduirait l’écart entre
l’empirique et le scientifique en ouvrant le sas interlectal dans une dynamique
contextualisationnelle. L’objectif serait de favoriser l’implication de l’apprenant dans la
réflexion, l’analyse des phénomènes et leurs explications, dans un registre discursif qu’il
maîtrise.

7.1 Le créole comme facilitateur de la compréhension et de la


communication en éducation du patient en Guadeloupe
« La langue maternelle est intimement associée aux expériences affectives, sociales et
physiques de la première enfance et aux influences reçues du milieu pour la grande
majorité des enfants haïtiens. » R. Govain (2011)321.

Dans son intervention au colloque international intitulé « Contextualisation didactique,


états des lieux et perspectives » organisé en novembre 2011 en Guadeloupe, R. Govain
nous rappelle que la langue maternelle est le creuset de l’affectif et du social. Si l’on
compare le pourcentage d’enfants créolophones en Haïti (90%) et ce même pourcentage
en Guadeloupe, toutes choses étant égales par ailleurs, l’on peut valablement avancer que
ce qui prévaut chez ces enfants haïtiens prévaut également chez les petits Guadeloupéens,
pour qui, dans les zones rurales et les mornes, c’est le créole qui remplit principalement
ce rôle fondamental du langage. Même après la scolarisation de l’enfant, où il formalise
son apprentissage du français, le créole continue à parfaire son développement mental à
travers les jeux et activités diverses à la maison, dans la cour de récréation. Après les
solécismes qui ont émaillé sa petite enfance, ni franchement français ni franchement
créoles, cette langue interfaciale dont use le petit Guadeloupéen pour communiquer
conforte sa place de première langue parlée. Le panachage des codes, qu’il peut aisément
pratiquer au cours de l’enfance, est un raccourci adaptatif qui favorise la vivacité du
raisonnement et la compréhension des faits sociaux. A l’adolescence, une prise de
conscience identitaire plus forte permet au jeune adolescent de rechercher une certaine
unité de son moyen discursif, quand le choix lui est offert, en prenant une option claire
pour le créole. Ce choix est révélateur d’une certaine maturité d’esprit des enjeux de sa
société, mais il est très marqué par ces côtoiements antérieurs avec le français. Ce créole
« panaché » se révèle être une troisième voie que nous retrouvons dans les discours de

321
Ibid., p. 33.

296
nos jeunes et qui devrait participer à cette contextualisation didactique qui serait à
privilégier à travers notre approche adaptative en ETP. C’est dans cette optique
adaptative que le créole a été largement usité dans nos séances d’ETP à l’école de
l’asthme de Guadeloupe depuis plus de douze ans, avec quelques résultats.

7.1.1 Contexte et contextualisation de l’ETP

La contextualisation didactique, pour reprendre le thème du colloque qui s’est tenu en


Guadeloupe en 2011, aurait pour objectif, en ETP, l’adéquation entre le fait empirique
des réalités à la fois linguistiques, écologiques et médico-éducatives. Elle viserait
également la prise en compte des éléments qui interviennent dans l’environnement de
l’enseignement et de l’apprentissage. Celui-ci se caractérise par son aspect multiforme,
puisqu’il est composé d’acteurs aux identités et aux compétences linguistiques plurielles,
parfois aux langues premières et de communication différentes et aux appartenances
socio-ethniques différentes, etc.

Le thème de ce colloque touche notre réalité en ETP et soulève la problématique d’une


ETP dispensée en langue française par des thérapeutes d’appartenances socio-ethniques
différentes, avec une langue première différente de celle de son public. Cet état des lieux
éclaire toute la complexité de la démarche didactique en ETP, autant pour apprendre que
pour faire apprendre. Elle implique bien évidemment la prise en compte, de manière
exhaustive, de tous les éléments et facteurs importants de l’environnement et des acteurs
(matériel humain et symbolique). En d’autres termes, la contextualisation en ETP renvoie
à une démarche d’ajustement des différents facteurs intervenant de près ou de loin dans le
processus d’apprentissage ; c’est donc un passage obligé pour cette démarche. Le
discours pédagogique de la discipline scientifique ainsi que les messages nécessaires à la
bonne compréhension et à l’autogestion de la maladie par le patient relèvent d’un langage
spécialisé qui n’est souvent pas en adéquation avec la langue vivante utilisée pour
communiquer dans d’autres situations habituelles. La contextualisation du discours
conviendrait à privilégier le langage du locuteur dès le premier contact avec le sujet. Bien
que traitant exclusivement de l’enseignement des langues, cette approche contextuelle de
la didactique nous paraît adaptée à notre spécialité et s’inscrit tout à fait dans nos
objectifs et nos préoccupations, et nous avons fort à gagner en nous en inspirant. Mais,
l’enseignement thérapeutique demeure un domaine particulier où les enjeux touchent à
l’existence de l’individu, à sa raison essentielle de continuer à exister malgré la maladie.

297
Alors apprendre, pour quoi faire ? Telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui, l’ETP ne
conduit pas systématiquement à un apprentissage, à un changement de comportement des
sujets cibles de notre travail ; et quand bien même cet apprentissage serait concluant,
combien de temps serait-il opérant ? Pour toutes sortes de motifs, le patient peut ne pas
vouloir apprendre. Le patient apprenant reste le seul véritable acteur de son
apprentissage ; lui et lui seul peut apprendre, et personne d’autre ne peut le faire à sa
place. L’angoisse et la peur (peur du changement, peur du pronostic) peuvent annihiler en
lui toute volonté d’apprendre. A ce stade, rien ne sert de lui expliquer ou de le conduire à
des activités, s’il n’en voit pas l’utilité. La contextualisation de l’approche par la langue
première peut constituer un excellent levier, en délocalisant les échanges vers des centres
d’intérêts autres (communautaires).

Conduire le patient hors des murs de sa maladie et de ses préoccupations premières,


l’accompagner dans un renforcement du sens, à l’aide de faits sociaux qui lui sont
familiers, tout en prenant en considération cette nouvelle donnée que représente la
maladie chronique, peut faire naître chez lui l’intérêt d’apprendre pour survivre.

Nos propositions d’adaptation dans la formation des acteurs dans ce domaine que
représente l’ETP, prennent appui sur les travaux de Bronckart (2004)322, lesquels offrent
un cadre théorique et méthodologique interactionniste socio-discursif pour analyser les
processus à l’œuvre dans toute production textuelle. Trois principes doivent guider le
travail de l’intervenant dans le domaine de la formation :

- La formation n’est pas située en amont de l’action mais au contraire, elle doit s’appuyer
sur l’action située des individus se formant, pour faire de celle-ci un objet de parole et
d’apprentissage.

- Il est de plus en plus admis que l’on peut produire de la connaissance à partir de
l’expérience vécue. Ce « primat de l’action nous encourage à renoncer à toute illusion
explicationniste » (De Razario, 2009)323.

322
J.-P. Bronckart et M.N. Shumans, « Les formes de l’intelligence humaine : une approche
interactionniste sociale », L’analyse des pratiques, 2004, p. 160, Education permanente, Paris.
323
P. de Rozario, Extraits du cahier des charges. Juvenez Mobiles. Leonardo, F/01/B/P/PP-118060.
Direction CNAM-Paris. Cité par M. Molinié, à la conférence : « C'est quoi une langue coloniale ?
Réponses à partir de la situation sociolinguistique mauricienne ». Université de Cergy-Pontoise, 18 mars
2013

298
- L’augmentation du volume de nouvelles connaissances de l’apprenant ne doit pas être
l’unique but de l’effecteur, mais bien l’exploitation d’un acquis déjà présent dans le
répertoire linguistique et culturel de l’apprenant par une reconfiguration, voire une
transformation de ces matériaux.

L’apprentissage thérapeutique ne peut pas non plus se concevoir seul. Le patient face à
lui-même ne pourra découvrir seul toutes les facettes, tous les mécanismes, toutes les
techniques d’une bonne gestion de sa maladie. Même chez les thérapeutes, nous
constatons une évidente difficulté à se prendre en charge, quand ils sont eux-mêmes
malades324.

« La ruse de la raison n’est-elle pas de faire croire aux individus qu’ils savent ce qu’ils
veulent ! » (J. Lacan)325.

C’est dire la grande importance d’un environnement didactique adéquat. Le savoir peut
progresser dans la tête du patient, seulement quand des interactions fécondes entre ses
activités mentales et un environnement conçu pour le faire apprendre se mettent en
synergie. Comprendre la nécessité d’accepter de vivre avec une maladie chronique tout
en maintenant une santé potentielle, suppose un environnement didactique en adéquation
avec le système de pensée du patient326.

« Toute élaboration de savoir, toute mobilisation de ce savoir, toute modification de


comportement suppose un processus de transformation (organisation, réorganisation,
mutation), de régulation entre les éléments anciens relevant de ses savoirs antérieurs en
interaction avec les données nouvelles. »327

D’une manière générale, dans l’acte d’apprendre, la vision est constamment perturbée par
le contexte ; l’individu se piège en se fixant ses propres limites. Comment lui apporter
une autre grille de lecture, lui permettre de voir avec d’autres lunettes ? Bien que

324
« La connaissance est indispensable mais pas suffisante pour changer un comportement ou supprimer la
pensée magique qui consiste à nous faire croire que cela n’arrive qu’aux autres. » « L’homme est un être
de raison, de besoins et de désirs parfois déraisonnables. » « Chacun veut bien être différent, mais pas
anormal, de peur d’être réduit à sa maladie, victime de l’arrogance des gens normaux, et finalement se
voir dévaloriser aux yeux des autres et à ses propres yeux. » André Grimaldi, Correspondances en Onco-
Théranostic, n° 4, Paris, décembre 2012.
325
J. Lacan, cité par A. Grimaldi, Correspondances en Onco-Théranostic, n° 4, Paris, décembre 2012.
326
Giordan A., Utiliser les résistances du patient en ETP, Motiver le patient à changer, Maloine, 2010, p.
111.
327
Ibid., p. 112.

299
contradictoires en contextualisation, ces contradictions n’empêchent nullement la
recherche de bonnes pratiques didactiques dans le monde de l’apprendre.

L’approche de la contextualisation dans l’apprendre implique que l’on interroge les


ressorts de l’apprentissage. Selon Giordan (2011), il apparaît pertinent de travailler les
paramètres suivants : le programme, les stratégies, la formation des effecteurs.

7.1.2 Le programme

S’agissant du programme éducatif dans l’asthme bronchique et de son contenu, sa


variation tiendra autant dans sa manière d’appréhender la physiopathologie de la maladie,
à travers ces mécanismes et les conséquences pouvant en découler, que dans
l’interprétation des phénomènes eux-mêmes. Le contrôle de la technique d’inhalation et
du débitmètre de pointe, la justification du faible taux de diffusion du produit actif sur les
deux champs pulmonaires, entre 10 et 20% suivant les spécialités, pourront également
être explicités différemment dans ce registre discursif qu’en langue française.

7.2 Appellation, description et interprétation de lopwésion et


approche méthodologique contextualisée
Au premier contact avec l’apprenant et pour éviter toute ambiguïté, il conviendra de
relever le registre discursif dans lequel il s’inscrit. Chez le créolophone, lopwésion se
déclinera, s’expliquera autrement que chez le francophone. Là où les signes
caractéristiques de l’inflammation bronchique, à savoir le gonflement, l’hypersécrétion et
la bronchoconstriction, seront définis comme tels, ceux-ci seront désignés par le
créolophone comme « on gwosisman, on swuintman, on twangleman », qu’il conviendra
d’entendre, de comprendre et d’interpréter.

Des métaphores pourront également émailler les échanges en renforcement des notions.
La prédisposition familiale pourra s’expliquer par des métaphores : chien paka fè chat
(« les chiens ne font pas les chats ») et ravin ka suiv koulé (« les ravines suivent les
crevasses »).

Pour expliciter la transmission de ce patrimoine génétique, un renforcement peut être


envisagé avec des termes comme « ti moun là ka maché kon papa a-y » (« l’enfant
marche comme son père »), ou encore, « ti moun là sé pôtwé à papa a-y » (« l’enfant est
le portrait de son père »). Il conviendra cependant de tenir compte des croyances

300
populaires pouvant affecter le sens des interprétations. Il n’est pas improbable que
certains déclencheurs soient portés par les croyances populaires : « Sé mal yo fè mwen,
yo pwan souf an mwen, mè bondié bon, y paka ba a-w gwatel san zong. Dèpi boug là té
fè boukan a-y là, an pa savé ka-y mété à dan-y, mè souf là pati ! Dèpi sa, lestonmak la ka
krié, an ka toufé, an vin fwagil. » (« On m’a fait du mal, on a pris mon souffle, depuis que
le monsieur a fait un brûlis, je ne sais ce qu’il a mis là-dedans, mais mon souffle est parti,
j’ai des sifflements dans la poitrine, je suis devenu fragile, mais Dieu ne te donne point de
grattement sans ongles. »).

Après l’exploration des deux principaux phénomènes de la maladie « lopwésion »


(l’asthme), à savoir lanflamasion é twangleman à bwonch la (l’inflammation et le
resserrement de la bronche), l’approche des traitements inhalés pourra se concevoir en
deux temps : 1- le traitement de la crise, 2- le traitement de fond. L’action du traitement
de crise sera abordée par le détwanglman de la bwonch (la suppression du resserrement
de la bronche), mettant en avant le caractère rapide de l’action du produit, environ dix
minutes, et sa durée d’action, qui est de quatre heures. Il n’est pas impossible que
l’échange dans ce tableau des traitements s’oriente sur des prises en charge
traditionnelles, expérimentées antérieurement par le sujet, et que des questions sur
l’efficacité, voire la justification de ces pratiques, soient posées.

Il conviendra de composer avec ces croyances sans les heurter. Dans Comment motiver le
patient à changer328, Giordan (2002) rappelle le décalage existant entre les conceptions
du patient et les savoirs médicaux, entre son comportement et le comportement adéquat.
Ainsi, apprendre devient un processus de déconstruction en même temps qu’un processus
de construction. Dans le milieu créolophone, les pratiques culturelles en rapport avec la
prise en charge de lopwésion sont nombreuses, et la primauté est souvent donnée à la
médecine traditionnelle.

Quand on aborde la prise en charge de lopwésion, les simples 329 sont très souvent
évoqués. Les rimed razié (tradi-traitements) les plus surprenants peuvent être avancés :
sirop à poulbwa (sirop de termite), let é zandoli (l’anolis dans du lait), ravèt fwi (blatte

328
Golay A., Lagger G., Giordan. Comment motiver le patient à changer. Collection « Education
thérapeutique du patient », dirigée par J.-F.d’Ivernois, Maloine, 2010, p. 42. M. Fabre, Penser la formation,
Paris, PUF, 1994, p. 185.
329
Simplicis medicinae ou simplicis herbae, selon ses appellations latines, était le nom donné au Moyen
Age aux plantes médicinales.

301
grillée), rat roti (rat rôti), sont autant de rimed razié évoqués quand on aborde cette partie
du programme. S’il est souvent fait référence au traitement de la gêne respiratoire à
travers ces rimed razié, a contrario, le traitement de fond est peu évoqué.

Cela s’explique par le fait que la notion d’inflammation ne figure pas dans l’expression
« lopwésion ». Il y a une évidente confusion entre la gêne respiratoire et l’inflammation
bronchique qui caractérise cette pathologie. Cet aspect de la physiopathologie est parfois
découvert au cours de la séance d’ETP, avec stupéfaction, par le patient. Cette notion doit
mobiliser toute l’attention du formateur, car c’est précisément sur ce point de détail, mais
qui en fait n’en est pas un, que le travail de transfert s’opérera. En effet, cela paraît assez
simple comme raisonnement : comment faire admettre un traitement de fond à base
d’anti-inflammatoires au patient, quand il n’est pas conscient de souffrir d’une
inflammation des bronches ? Mais, là aussi, se pose la question de la corticophobie : faut-
il attendre son expression ou la devancer ?

Dans notre pratique, l’expérience nous a conduit souvent à la devancer pour rapidement
l’éluder. Il ne s’agit pas d’apporter des réponses aux questions qui ne sont pas posées,
mais bien de les susciter. « Ka ousav dècoticoïd ? » (« Que savez-vous des
corticoïdes ? »). Cette question pourrait constituer une bonne entrée en matière. « Es ou ja
pwan sa ? » (« En avez-vous déjà utilisé ? ») « An ki locasion ? » (« Dans quelles
circonstances ? »). Etc.

Pour ce volet du traitement et singulièrement du traitement de fond, nous disposons


d’outils psychopédagogiques performants pour étayer nos propos. Cette partie du
programme constitue la colonne vertébrale de notre séance d’ETP. Elle est déterminante
dans la perspective d’un changement de point de vue sur la maladie et sa prise en charge,
et d’un changement de comportement de l’apprenant. A travers ce chapitre, nous rentrons
de plain-pied dans le conflit cognitif. Ce concept nous vient de Barbel Inhelder,
collaboratrice de Piaget en 1974 (cité par Dolle, 1998)330, qui défendait l’idée « d’une
bataille possible, d’un affrontement d’opinion entre les savoirs antérieurs du patient
confrontés aux nouveaux savoirs ». Fedi (2008) ajoute que l’équilibration majorante
« désigne le processus responsable de l’accès progressif des structures logico-

330
C’est le fonctionnement qui est constructeur des structures. La transformation qui en découle crée un
nouvel équilibre entre le sujet et le milieu et sur le sujet même, lorsqu’il s’agit des structures de la
connaissance, ce qui est appelé par Piaget « équilibration majorante ». Dolle, J.-M. (1998). « Signification
et importance de l’œuvre de Jean Piaget ». Bulletin de psychologie. Tome 51, p. 437.

302
mathématiques à un niveau supérieur de validité rationnelle ». Ainsi, il y a
« équilibration majorante » après un enrichissement dans la construction d’un équilibre
supérieur au précédent ; le même se passe pour le jugement moral 331 . Selon l’idée
avancée par l’auteur, si la séance est bien menée, l’apprenant opère une rééquilibration
majorante, un dépassement de sa pensée.

7.2.1 Le conflit de déconstruction en ETP

Dans son texte n° 11 de 1971, La formation de l'esprit scientifique, G. Bachelard écrit :


« (...) Il ne s'agit pas de considérer des obstacles externes, comme la complexité et la
fugacité des phénomènes, ni d'incriminer la faiblesse des sens et de l'esprit humain : c'est
dans l'acte même de connaître, intimement, qu'apparaissent, par une sorte de nécessité
fonctionnelle, des lenteurs et des troubles. »332 Si l’on se réfère à cette citation, ce travail
de déconstruction ne se fait pas sans difficulté en raison de la résistance des conceptions
en place, car elles sont intégrées aux systèmes de savoirs construits par le sujet. C’est
pourquoi, elles font obstacle à leur remise en question. Si la déconstruction est toujours
nécessaire en ETP, c’est encore plus vrai en contexte multiculturel et bilinguistique, pour
toutes les raisons que nous venons d’évoquer. Le conflit cognitif peut alors servir de
levier et conduire à une « psychanalyse de la raison », une forme de catharsis au sens de
M. Fabre (1994)333.

Celle-ci vise à provoquer un questionnement chez l’apprenant, à faire émerger les


représentations anciennes, à les confronter les unes aux autres pour parvenir à une
connaissance utile. Il faut éveiller l’initiative ; la parole provoque l’interrogation. Si
l’occasion n’arrive pas d’elle-même, on doit inciter l’apprenant à observer, à s’interroger,
à provoquer sa réflexion, l’amener à formuler ses interrogations, puis apporter les
éléments nécessaires pour qu’il trouve lui-même les réponses à ses questionnements. En
s’éloignant de l’attrait rassurant de la pédagogie transmissive, cette démarche innovante
est une révolution du rôle du formateur, pouvant conduire à une certaine insécurité, ce

331
Fedi L. (2008). Piaget et la conscience morale. PUF, p. 16.
332
(...) En fait, on connaît contre une connaissance antérieure, en détruisant des connaissances mal faites,
en surmontant ce qui, dans l'esprit même, fait obstacle à la spiritualisation. L'idée de partir de zéro pour
fonder et accroître son bien ne peut venir que dans des cultures de simple juxtaposition où un fait connu est
immédiatement une richesse. Mais devant le mystère du réel, l'âme ne peut se faire, par décret, ingénue. Il
est alors impossible de faire d'un seul coup. » G. Bachelard, Texte n° 11, La formation de l'esprit
scientifique, Extraits p. 13 à 19, Vrin, Paris, 1971.
333
M. Fabre, Penser la formation, Paris, PUF, 1994, p. 185.

303
dont il doit être conscient. « La plus grande faculté de toute cognition vivante est dans
une large mesure de poser des questions pertinentes qui surgissent à chaque moment de
la vie », nous dit F.J. Varela334.

Le travail en groupe doit être privilégié. En effet, la confrontation motive et permet au


patient de faire valoir ses opinions et de réfuter celles des autres. La confrontation conduit
au dépassement du simple cours pour provoquer un véritable conflit dans la pensée
interne de l’apprenant, sur des points qu’il pensait établis et parfaitement maîtrisés. Ce
déséquilibre peut dépasser la seule dimension cognitive pour affecter la dimension socio-
affective du patient (on n’est pas et on ne pense pas de la même manière). L’équipe de
psychologie sociale de Genève préconise une approche centrée sur le problème qui
concerne l’ensemble des efforts entrepris pour affronter la situation (recherche
d’informations, mise en place de plans d’action).

En d’autres termes, dans la perspective d’une bonne adhésion aux discours du formateur
et de l’atteinte des objectifs éducatifs, pour la dispensation d’une ETP contextualisée, la
formation des formateurs devrait prendre en compte les éléments culturels du patient.
Avancer l’idée d’une adaptation du formateur au contexte de l’apprenant nous semble
une préconisation impérieuse.

334
Francisco Javier García Varela, Invitation aux sciences cognitives, Paris, Seuil, 1996, p. 91.

304
valua on forma ve xp rimental,
itua ons qui provoquent d u valua on yst mique,
l nnement, des rires d valua on somma ve naly que
l mo on, mise en sc ne, jeux. Sensibiliser et transformer de la qualit de vie lari ca on de
tc. les conceptions itua ons probl mes
Faire « avec » pour aller « contre » Créer un climat
de confiance upports de pens e
Motiver Diversifier les - ymboles,
Concerner approches - ch mas,
pédagogiques - od les
Interpréter Accompagnements"
Diversifier les
Questionner Intentionnalité-sens
outils
Concepts
didactiques
Contextualiser organisateurs
Perturbations" Aides à
Confrontations
penser
avoriser Mobilisation du Savoir sur le
-l esprit cri que savoir savoirs
-la con ance en soi,
exions sur l
-la curiosit ,
roposer et fair avoir
-l ouverture. Etc. - a per nence
laborer de
- on u lit
ep res:
avoriser liser
- a fonc on,
-la communica on, - o onnels, - a con xtualisa on
-les int r ts et les comp nce - pist mologiques, lari ca on de
-le avail en r seau, p ci ques des apprenants,. - tacogni fs aleurs
-la mobilit de la pens e .Etc. "

inves ssement dans des situa on


on onta ons ouve es, associa on de pa ents, exion sur l ac d apprendre,
pprenant/ apprenant anima on forum, rer sa forma on,
Jeux de r le, d bats a liers de pairs, xplici r sa d marche de pens e,
n rvenant ext rieur, anima ons roupe de parole les m canismes ac onn s,
la m tacogni on,
l image de l apprendre pour soi e
our les au es.

Environnement didactique favorisant l’acte d’apprendre


Inspiré de Giordan (1998)

Figure 32 : Environnement didactique favorisant l’acte d’apprendre en contexte bilingue, inspiré de


Giordan (1998).

Mais, suffit-il de le prôner pour que cette adaptation soit effective ? Si dans
l’enseignement, d’une manière générale, cette adaptation est admise de facto,
(reconnaissance des langues et cultures régionales), la récente prise de conscience des
autorités sanitaires sur la nécessité d’optimiser l’éducation à la santé d’une manière
générale et l’éducation thérapeutique en particulier, nous encourage à la préconisation de
cette contextualisation de la démarche de formation en ETP et à l’application de
nouvelles approches éducatives. Ce champ exploratoire et encore peu étudié que
constitue le domaine médico-éducatif en milieu créolophone, nous semble tout à fait
approprié à des recherches adaptatives, dans une visée d’amélioration de l’autogestion du
patient chronique et de l’amélioration de sa qualité de vie.

305
7.3 La stratégie

7.3.1 L’aide possible des nouvelles technologies de l’information et de la


communication (NTIC) dans le suivi éducatif des adolescents
asthmatiques

Dans un dossier consacré à l’e-médecine, la revue MACSF Info (n° 24)335 de mai 2013
titre : « Quand la santé devient connectée ». Ce dossier annonce une véritable révolution,
à condition de savoir s’y adapter. Des chariots électroniques dans les couloirs à la place
des dossiers papier, renfermant les antécédents du patient, ses résultats biologiques, ses
radiographies, ses constantes, ses prescriptions, aux Smartphones de consultation
capables de transmettre à distance les observations du médecin et ses commentaires
pendant la consultation, certains hôpitaux de France sont à la pointe du progrès et de
l’équipement en matière de nouvelles technologies de l’information et de la
communication (NTIC), à l’exemple de l’hôpital de Valenciennes, classé 6 sur l’échelle
du Healtcare Information and Management Systems Society (HIMSS) qui en comporte
sept336. En ville aussi, l’informatique prend une place prépondérante ; les cabinets sont de
plus en plus informatisés, les examens biologiques et radiographiques sont transmis
directement par messagerie sécurisée du laboratoire au médecin, la prise de rendez-vous
est gérée par agenda électronique externalisé. Pour l’Association dentaire française
(ADF), l’avenir est aux systèmes ouverts. Les hébergeurs certifiés par l’Agence des
systèmes d’informations partagées de santé (Asip Santé) sont de plus en plus nombreux à
proposer leurs services. Du côté des officines, le dossier pharmaceutique s’est très
rapidement répandu ; les pharmaciens ont désormais pignon sur Web, et la pharmacie en
ligne se développe. Face à des plaies complexes, les cabinets d’infirmiers sont de plus en
plus nombreux à s’équiper en tablettes et autres Smartphones pour faire face à leur
isolement et bénéficier de protocoles en urgence, connectés à des centres de référence.
Une simple photo de la plaie suffit pour qu’un avis soit donné et qu’un traitement adéquat
soit institué. La télétransmission gagne du terrain au niveau de la gestion médicale. Mais,
qu’en est-il du colloque singulier, des échanges directs du médecin avec son patient ?

335
La Mutuelle d’assurance du corps de santé français (MACSF) a été créée en 1935.
336
Organisation internationale à but non lucratif, pour la transformation du système de santé par les
technologies de l’information ; Science & Santé, janvier-février 2012. Source : Atout.org, visité le 11
septembre 2011.

306
Qu’en est-il du patient ? Pour J. Lucas, président du Conseil national de l’Ordre des
médecins, délégué général au TIC en santé : « La formation initiale et continue des
médecins doit rappeler cette exigence première, ne pas céder à la fascination sans
effectuer l’inventaire éthique de ces applications. Cette exigence n’est pas antagoniste du
progrès, au contraire. Les libertés peuvent s’épanouir dans la société de l’information et
de la communication, si les secrets des personnes sont protégés contre les intrusions et ne
sont pas vendables au plus offrant. »337

Du côté des patients, les informations fleurissent sur le Web, les conseils santé par
téléphone ou par e-mail sont légion. Il n’est pas rare de voir le patient prendre l’avis de
son médecin après avoir eu celui du Web. Des Smartphones équipés d’appendices
médicaux font leur apparition : grâce à deux petites électrodes, aujourd’hui, un
Smartphone permet d’afficher un électrocardiogramme ; un échographe de poche est sur
le point de remplacer le vieux stéthoscope, un glucomètre qui se branche sur iPhone pour
aider les diabétiques à gérer leur maladie est déjà sur le marché. Un défibrillateur
miniature automatisé, implanté sur un patient en ambulatoire, relié directement à un
serveur et une équipe de médecins, peut suivre à distance l’évolution de la maladie
cardiaque. Ce sont autant d’outils déjà disponibles sur le marché, capables au quotidien
d’apporter des réponses concrètes aux attentes de tout un chacun en matière de
facilitation dans la gestion de la maladie. En situation de contextualisation de l’ETP, en
milieu multiculturel et bilingue, parmi les adaptations possibles envisageables, outre
l’utilisation, hautement préconisée, de la langue maternelle par le formateur et
l’adaptation des outils psychopédagogiques à la culture créolophone, qui n’est pas à
négliger, nous préconisons tout d’abord la présentation des techniques d’inhalation et de
la mesure du DEP en langue créole, non seulement verbale, mais aussi à l’aide de
supports vidéo. L’adolescent créolophone, voyant sur l’écran de son Smartphone son
homologue sensiblement du même âge, lui présenter son dispositif d’inhalation dans sa
langue maternelle, sera plus attentif à ce qui se dit et se fait que s’il était dans un centre
fermé ou dans le cabinet de son médecin traitant. Il pourra le visualiser autant de fois
qu’il le désire et la reproduction des gestes et des techniques n’en sera que plus aisée. De
même pour la présentation du débit de pointe : en dehors de son utilité explicitée en
séance d’ETP par le formateur, le fait de voir exécuter la mesure du souffle sur son

337
Source : Atout.org, visité le 11 septembre 2011.

307
Smartphone par l’un des siens, dans sa langue maternelle de surcroît, peut faciliter
l’appropriation des gestes et techniques et des messages attenants, à savoir, les mesures à
prendre en cas de modification du souffle, allant jusqu’à la mise en œuvre des plans
d’actions. Dans notre quête d’efficacité, nos propositions couvrent également le champ
des aide-mémoire que peuvent représenter les mnémotechniques, rappelant le Short
Message Service (SMS), ou texto en français, constituant une attraction chez les jeunes
d’une manière générale. En adéquation avec les usages modernes et les nouvelles
technologies de l’information et de la communication (NTIC), les mnémotechniques qui
s’en rapprochent peuvent contribuer au rappel et à l’appropriation des messages
éducatifs. Cette écriture abrégée phonétique et expressive, éloignée à bien des égards de
la norme orthographique, suscite de plus en plus d’adeptes. Depuis les années 2000, la
littérature SMS, le sociolangage écrit, le néolangage, la cyber-écriture, de nouvelles
dénominations pour désigner ces nouvelles pratiques écrites, se sont développés (Dejong,
2002)338. L’utilisation de plus en plus étendue des outils électroniques (ordinateurs et
téléphones mobiles), que ce soit dans le cadre privé ou professionnel, voire scolaire, est à
l’origine de nouveaux codes et de manières différentes de traiter l’écrit. Selon une étude
récente d’IPSOS339, l’équipement en écran connecté s'envole auprès des jeunes. En un an,
la pénétration des tablettes dans les foyers avec enfant a plus que doublé, passant de 18%
à 46%. Et, plus d'un adolescent sur deux possède désormais personnellement son
propre Smartphone. Les applications de jeux sont les plus téléchargées (80% des
adolescents), suivies des applications de musique et de séries. La très grande majorité est
gratuite. Les réseaux sociaux poursuivent également leur ascension : Facebook maintient
un taux d'utilisation de 80%, et Twitter dépasse désormais les 20% d'utilisateurs parmi les
13 à 19 ans. La consultation des nouveaux écrans ne se substitue pas pour autant à la
lecture des supports traditionnels, qui reste fondamentale dans la vie des jeunes. Au
contraire, les jeunes équipés de tablettes ou de Smartphones lisent plus que les non-
équipés (68% vs 58%). Cette étude annuelle, précitée, décrit en détail les comportements

338
Tran T. M., Trancart M., & Servent D. (2008). Littéracie, SMS et troubles spécifiques du langage écrit.
Congrès Mondial de linguistique française (p. 168). EDP Sciences. Panckhurst R. (2010), "Texting in three
European languages : does the linguistic typology differ ?", Actes du Colloque i-Mean 2009, Issues in
Meaning in Interaction, University of the West of England, Bristol, avril. Panckhurst R. (2009), « Short
Message Service (SMS) : typologie et problématiques futures », in Arnavielle T. (coord.), Polyphonies
pour Michelle Lanvin, Université Paul-Valéry Montpellier 3, p. 33-52. Isabelle Piérozak, « Le français
tchaté, un objet à géométrie variable ? », Langage & Société, n° 104, 2003-2004.
339
M. Guillaume, Ipsos Media CT, « Le comportement média des jeunes de moins de 20 ans, La tablette
s’envole, l’écrit reste », 6 févr. 2014.

308
et les aspirations des enfants et des adolescents. Elle mesure la fréquentation de tous les
médias s'adressant aux jeunes de moins de 20 ans, et analyse leurs relations à tous les
médias (presse, télévision, Internet, radio, cinéma) et à tous les supports (PC,
Smartphones, tablettes, consoles...). Elle analyse également leurs habitudes d'achats et de
consommation (alimentation, boissons), leurs relations aux marques et à la publicité. De
fait, les conditions techniques de la communication électronique ont une influence sur les
pratiques scripturales et sur le rapport que les individus entretiennent avec la langue
écrite. Une étude réalisée dans le cadre de la pratique des SMS chez les adolescents, se
situant dans le champ de la littéracie340, s’est intéressée aux compétences linguistiques et
cognitives nécessaires à la maîtrise des SMS et aux pratiques sociales et culturelles liées à
ce type d’écrit. Pollet (2012) écrit 341 : « Ces messages brefs sont la plupart du temps
envoyés à une personne proche pour communiquer une information courte et pratique,
poser une question ou partager en quelques mots des signes, une émotion, un sentiment
ou un point de vue. » Dans la pratique et dans tous les domaines d’activités, on constate
de plus en plus fréquemment l’utilisation de SMS pour rappel de rendez-vous, de
promotions… Compte tenu de l’outil utilisé, le but pour le scripteur est de produire un
message intelligible le plus court possible, afin d’en réduire le coût et le nombre de
pressions digitales nécessaires à sa rédaction. Pour les utilisateurs, c’est un moyen de
communication rapide, potentiellement quasi instantané et efficace, l’information
principale étant donnée de manière directe et discrète (absence de sonnerie et
d’oralisation). Comme le souligne Pasquier (2005), pour les collégiens et les lycéens, la
possession d’un téléphone portable et la maîtrise des SMS sont devenues des signes
d’appartenance à leur groupe générationnel, les codes des SMS étant susceptibles de
transgresser la norme sociale (ici, l’écriture conventionnelle des adultes). Outils de
socialisation favorisant l’échange entre pairs, ils constituent également un moyen
d’émancipation et de reconnaissance qui mérite que l’on s’y intéresse. Ce type d’outil,
bien utilisé, peut constituer un puissant véhicule pour rappeler les consignes et plans
d’action susceptibles d’améliorer la qualité de vie de nos jeunes adolescents.

340
Littéracie, SMS et troubles spécifiques du langage écrit. Durand J., Habert B., Laks B. (éds). Congrès
Mondial de linguistique française (CMLF), Paris, 2008, Institut de Linguistique Française ; Thi Mai Tran,
Marine Trancart & Domitille Servent. UMR 8163, « Savoirs, textes, langage », Université de Lille.
341
M.-C. Pollet, De la maîtrise du français aux littéracies dans l'enseignement supérieur, Presse
universitaire de Namur, 2012, p. 76.

309
7.4 La formation des acteurs
De multiples enquêtes, rapports, recommandations et textes officiels montrent l’intérêt
particulier porté, depuis quelques années, à l’éducation thérapeutique, intérêt lié en
grande partie au nombre croissant de personnes atteintes de maladies chroniques. Si elle
s’affirme comme une nécessité économique, l’éducation thérapeutique s’inscrit
également dans un principe éthique : donner au patient tous les moyens cognitifs et
techniques d’une cogestion de la maladie. Selon le rapport Jacquart : « L’éducation du
patient s’inscrit dans le parcours de soins du patient. Elle a pour objectif de rendre le
patient plus autonome en facilitant son adhésion aux traitements prescrits et en
améliorant sa qualité de vie. » 342 Elle ne se réduit pas à la délivrance de simples
informations, orales ou écrites, même de qualité, données à divers moments de la prise en
charge, qui ne suffisent pas à elles seules à modifier les comportements. Elle vise
l’appropriation de nouveaux savoirs par le patient, c'est-à-dire le transfert de ces savoirs
dans sa vie quotidienne et leur « mobilisation » à sa propre initiative. Cependant, l’action
éducative ne peut se résumer à la construction de compétences d’un individu. « Il s’agit
davantage d’instaurer des espaces transitionnels d’écoute et d’échanges où les
professionnels et les personnes concernées, reliés par un “pacte de soins” basé sur la
confiance, pourront élaborer des réponses singulières. » 343 Il ne s’agit pas non plus
d’écouter le patient pour mieux le convaincre de ce qui serait bon pour lui, mais bien de
l’écouter vraiment, de prendre en compte ce qu’il nous dit, puis de « tricoter » avec lui
quelque chose qui ait du sens pour lui mais aussi pour nous. Elle vise à aider les patients
et, le cas échéant, leur entourage, à acquérir ou maintenir les compétences d’auto-soins et
d’adaptation dont ils ont besoin pour gérer au mieux leur vie, en particulier avec une
maladie chronique. L’ETP permet par exemple au patient de soulager ses symptômes, de
prendre en compte les résultats d’une autosurveillance, d’une automesure, de réaliser des
gestes techniques (injection d’insuline...), d’adapter des doses de médicaments en
fonction de l’évolution de l’environnement, mais aussi des ressentis s’agissant de
l’asthme bronchique. Elle contribue également à permettre au patient de mieux se
connaître, de gagner en confiance, de prendre des décisions et de résoudre des problèmes,

342
Loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux
territoires (HPST). « Education thérapeutique du patient : propositions pour une mise en œuvre rapide et
pérenne », juin 2010. Rédigé par M. Denis Jacquat, député de la Moselle, juin 2010, p. 9.
343
Ph. Lecorps, « Le patient, sujet acteur ou auteur de sa vie ? », Soins Cadres, n° 73, février 2010, p. 26.

310
de se fixer des objectifs à atteindre et de faire des choix. Ainsi présentée, on peut
aisément comprendre que cette démarche particulière en matière de formation acquisitive
peut permettre à un patient d’aboutir à ces savoirs, savoir-faire et savoir-être, qui ne
peuvent s’improviser.

7.4.1 L’ETP en formation initiale

D'une manière générale, la formation initiale des professionnels de santé (en particulier,
celle des médecins) reste encore orientée vers la prise en charge curative des maladies,
comme si la prescription médicamenteuse suffisait à traiter l'organe déficient. Dans cette
approche dite biomédicale, le médecin est considéré comme le référent incontesté. Le
patient reste le plus souvent passif, soumis, en attente de la prescription médicale.
L'apparition des maladies chroniques a conduit au constat que savoir diagnostiquer,
traiter et surveiller une maladie n'est plus suffisant. La chronicité transforme les rôles des
professionnels de soins et nécessite de leur part qu'ils considèrent le patient comme un
véritable partenaire thérapeutique. En effet, la maladie implique, chaque jour, que le
patient participe à sa prise en charge en mettant en œuvre des compétences pour se
soigner. Dans cette situation, les soignants ne sont plus uniquement des dispensateurs de
soins, des prescripteurs, mais deviennent aussi des éducateurs, qui facilitent
l'apprentissage des patients pour qu'ils acquièrent les compétences de soin nécessaires. Ils
doivent donc développer une autre forme de relation de type éducatif, davantage centrée
sur le patient et s'appuyant sur ses besoins, ses savoirs et ses expériences. Pour devenir
éducateur et implanter des programmes d'éducation thérapeutique, fonction pour laquelle
ils ont été peu formés, les professionnels des soins (infirmiers, médecins, pharmaciens,
psychologues, etc.) doivent acquérir également de nouvelles compétences leur permettant
d'aider le patient à apprendre comment gérer sa maladie et son traitement. Pour tous les
soignants, se former en éducation thérapeutique des patients (ETP) constitue donc un
atout pour assurer la qualité des programmes d'éducation thérapeutique et améliorer la
prise en charge des patients atteints de maladie chronique. Il existe en France, depuis les
années 1980, de nombreuses structures de formation en ETP.

Les textes réglementaires définissent les domaines de compétences et précisent les


compétences requises pour dispenser et coordonner l’ETP. Les annexes de l’arrêté du 31
mai 2013, modifiant l’arrêté du 2 août 2010, relatif aux compétences requises pour

311
dispenser l’éducation du patient344, présentent les référentiels de compétences afférents,
où il est précisé que les formations s’appuient sur les référentiels de compétences.
Elaborés par l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (INPES) en
2013, les référentiels de compétences en éducation thérapeutique du patient (ETP)
concernent l’ensemble des acteurs intervenant dans le champ de l’éducation
thérapeutique du patient, quels que soient les lieux de réalisation de l'ETP. L’ETP, en tant
qu’approche intégrée à l’éducation pour la santé et à la promotion de la santé, s’appuie
sur les valeurs de cette dernière, telles qu’elles sont définies dans les chartes d’Ottawa et
de Jakarta. L’ETP renvoie à différents principes, dont trois apparaissent essentiels. Le
premier est l’éducabilité de tous les patients, c'est-à-dire que tout un chacun est capable
d’apprendre. Le deuxième est l’approche centrée sur la personne, qui est à entendre
comme la prise en compte de l’ensemble des éléments qui affectent sa santé. Le troisième
est le respect de la personne, y compris la liberté de choix des individus. Les référentiels
de compétences proposés en ETP mettent à disposition des acteurs un repérage large et
non exhaustif des principales situations rencontrées, ainsi que des activités exercées dans
l’ETP, en tenant compte de tous les rôles et lieux possibles, y compris des différents
niveaux d’implication. Ils apportent une vision large du spectre des compétences pour
faire de l’ETP, quelles que soient la pathologie et la structure porteuse.

La loi « Hôpitaux, Patients, Santé, Territoires » (HPST), qui a renouvelé le paysage


médical en France en 2009, a inscrit l’éducation thérapeutique du patient comme devant
faire partie des soins des patients atteints de maladie chronique, et des décrets
d’application ont précisé les modalités de sa mise en œuvre. Cependant, au-delà de la loi,
il est nécessaire de prendre la mesure de ce que cela implique réellement, tant dans la
pratique médicale elle-même, en particulier au niveau des médecins généralistes qui ont
un rôle majeur dans le traitement et l’accompagnement des maladies chroniques, que
dans l’organisation du système de soins. Or, de toute évidence, la mise en œuvre de
l’éducation thérapeutique du patient ne va pas de soi, et de nombreux éléments semblent
faire « barrière » à son développement.

C'est pourquoi, l’Académie nationale de médecine a pris l'initiative de créer un groupe de


travail sur le sujet où, en toute indépendance, elle a joué un rôle essentiel de facilitateur
pour intéresser et fédérer pour la première fois les sociétés savantes concernées, en leur

344
Annexe XVIII.

312
associant les représentants des professions paramédicales et des associations de
patients345. Ce groupe a travaillé pendant six mois, après s'être scindé pour réfléchir d'une
part aux aspects organisationnels de l’éducation thérapeutique du patient, et d'autre part à
ses implications en termes de formation. Dans un souci constant d'ouverture, il a fait
appel à la contribution de la plupart des spécialistes français en la matière, qui ont
activement participé à la réalisation d'un rapport et des recommandations. Celles-ci ont
été validées par l'Académie de médecine, qui les a adressées officiellement aux pouvoirs
publics et aux organisations médicales et paramédicales pour fournir, à partir de la
situation actuelle, des propositions concrètes et opérationnelles à mettre en œuvre
pratiquement ; en effet, la réussite de l'ETP conditionne largement la mutation
indispensable et urgente de la pratique médicale actuelle. La formation à l'éducation
thérapeutique du patient concerne tous les professionnels des soins, mais aussi d'autres
acteurs de la santé comme les membres d'associations de patients. La mise en œuvre
d'activités d'éducation thérapeutique s'appuie sur des valeurs de plus en plus partagées,
qui reconnaissent aux patients « connaissants » et « compétents » un rôle dans leur prise
en charge et une réelle capacité d'autodétermination (capacité à choisir et décider par eux-
mêmes). Nous savons que les valeurs influencent la manière d'éduquer une personne.
Ainsi, l'éducation sera différente selon que l'on considère un patient capable ou non de
comprendre, de pouvoir agir et décider par lui-même. C'est pourquoi, la formation à
l'éducation thérapeutique tente, dans un premier temps, de faire expliciter aux soignants
leurs représentations, leurs valeurs, vis-à-vis de l'éducation thérapeutique, et leur permet
ensuite de les discuter tout au long de la formation. La maîtrise du contenu
(connaissances sur la maladie, son évolution, ses traitements, etc.) est indispensable pour
réaliser une éducation thérapeutique. Il est souvent nécessaire de proposer aux soignants
une formation préalable pour actualiser leurs connaissances. Par leurs échanges avec
d’autres PS qui interviennent dans la prise en charge holistique du patient chronique, la
formation à l'éducation thérapeutique donne aussi l'occasion aux soignants de clarifier et
de compléter leurs propres connaissances sur le contenu de la maladie et son traitement.
Différents programmes de formation peuvent être proposés suivant les fonctions que l'on
souhaite occuper et le niveau d'approfondissement des compétences souhaitées.

345
C. Jaffiol, P. Corvol, G. Reach, A. Basdevant, E. Bertin : Académie nationale de médecine (au nom de
la commission XI). Rapport du 10 décembre 2013, sur « L’éducation thérapeutique du patient (ETP), une
pièce maîtresse pour répondre aux nouveaux besoins de la médecine ».

313
Paradoxalement, alors que les médecins sont au cœur de l’éducation thérapeutique du
patient, leur formation initiale n’intègre toujours pas de modules spécifiques à cette
nouvelle thématique, ce qui peut paraître extrêmement surprenant. Lors de son audition,
le président de la conférence des UFR de médecine s’est montré favorable à
l’introduction d’un enseignement sur l’ETP dans les études de médecine, même s’il
estime qu’il est difficile de l’insérer dans la maquette actuelle de formation. De même, la
formation médicale des pharmaciens n’intègre pas cette thématique, alors qu’ils sont en
première ligne pour dispenser une ETP de proximité. Les professions paramédicales sont
plus en avance que les formations médicales. Certaines écoles de masseurs-
kinésithérapeutes ont déjà mis en place des modules spécifiques à l’ETP, sans toutefois
que la maquette nationale n’ait été modifiée. Seule la formation d’infirmier intègre
aujourd’hui cette thématique. La formation, conduisant au diplôme d’Etat, assure à
l’infirmier la compétence nécessaire pour « initier et mettre en œuvre des soins éducatifs
et préventifs », pour notamment concevoir, formaliser et mettre en œuvre une démarche
d’éducation thérapeutique. Cette compétence repose sur quatre unités d’enseignement,
soit plus de 150 heures théoriques et pratiques, réparties sur les trois années de formation.
L’Ecole des hautes études en santé publique, pour sa mission de formation des cadres de
l’administration sanitaire et sociale (médecins et pharmaciens, inspecteurs de santé
publique, directeurs d’hôpitaux, directeurs d’établissements sanitaires, sociaux et médico-
sociaux, directeurs de soins, inspecteurs de l’action sanitaire et sociale...), a introduit
l’ETP dans les cursus de formation depuis quelques années, ce qui devrait faciliter sa
mise en œuvre346.

7.4.2 L’ETP en formation continue

En France, depuis une dizaine d’années, des dynamiques importantes se sont mises en
place pour développer et diversifier les offres de formation en éducation pour la santé
(EPS) et en éducation thérapeutique du patient (ETP). Les médecins généralistes étant les
premiers professionnels auxquels s’adressent les malades, l’Institut national de
prévention et d’éducation pour la santé (INPES) a souhaité lancer une enquête auprès
d’eux, afin de pouvoir identifier leur investissement actuel dans les formations ainsi que

346
C. Jaffiol, P. Corvol, G. Reach, A. Basdevant, E. Bertin : Académie nationale de médecine (au nom de
la commission XI). Rapport du 10 décembre 2013, sur « L’éducation thérapeutique du patient (ETP), une
pièce maîtresse pour répondre aux nouveaux besoins de la médecine ».

314
les obstacles auxquels ils se trouvent confrontés. Les résultats montrent qu’un peu plus de
la moitié d’entre eux (51,3%) ont bénéficié d’une formation en EPS ou en ETP durant les
douze mois ayant précédé l’enquête. Dans la majorité des cas, il s’agit de formations
brèves, le plus souvent centrées sur une pathologie particulière. Les médecins qui se
forment le plus volontiers sont membres de réseaux de santé (62,6% des médecins
membres d’un réseau ont suivi une formation en ETP). Les bénéficiaires de formations
attestent des répercussions réelles sur leurs pratiques professionnelles : ils déclarent
informer et conseiller plus systématiquement que les « non-formés » (60,6% vs 54,5%) et
mettent en œuvre régulièrement ou systématiquement des activités d’éducation. Parmi les
médecins qui n’ont pas suivi de formation en éducation pour la santé ou en éducation
thérapeutique du patient, plus des deux tiers en envisagent une dans l’année. Ceux qui
aspirent à participer à une formation la prévoient de courte durée. Là encore, les
médecins généralistes qui participent à un réseau de soins, les plus jeunes ou ceux qui
pratiquent un mode d’exercice particulier, sont proportionnellement plus nombreux à
envisager une formation. Les formations souhaitées n’apparaissent pas liées à une
pathologie particulière, mais à l’éducation thérapeutique en général, citée par plus d’un
quart d’entre eux. Les médecins généralistes qui souhaitent une formation sont en
majorité prêts à déléguer l’éducation aux infirmiers (92,7%). Ils sont généralement plus
satisfaits de leur pratique professionnelle que ceux qui ne souhaitent aucune formation
(83,7% vs 74,3%) et mettent en œuvre plus d’activités d’EPS ou d’ETP (42,4% vs
31,6%). Ils ont aussi plus souvent recours à l’utilisation d’un dossier partagé (59,8% vs
40,1 %), et déclarent davantage (77,5% vs 63,7%) manquer de collaboration avec
d’autres professionnels (les psychologues, par exemple). Ils semblent convaincus que les
formations en EPS ou en ETP leur permettraient de mieux remplir leurs missions (89,7%
vs 43,9%). Parmi les raisons invoquées par les médecins qui ne souhaitent pas participer à
une formation, le manque de temps constitue l’argument majeur (57,8%), suivi de près
par le fait que des compétences auraient déjà été acquises par la pratique clinique
(45,6%). Le manque de temps est davantage invoqué par les plus jeunes médecins et par
ceux qui déclarent plus de 20 actes quotidiens (66,7% vs 44,8%). La non-rémunération de
l’acte éducatif n’est pas un argument majeur puisqu’elle n’est citée que par 13,1% des
médecins. De façon plus marginale, 3,8% d’entre eux considèrent que l’éducation ne

315
relève pas du rôle du médecin, tandis que 3,1% estiment qu’il n’y a pas de demande des
patients347.

7.5 Les niveaux de compétences en ETP

7.5.1 Premier niveau

Le premier niveau de formation, sur cinq à six jours, soit 40 heures au minimum, permet
de développer les compétences de base et d'aborder les principes de la démarche en
éducation thérapeutique du patient. A l'image de ce que devrait être une éducation
thérapeutique auprès des patients, la formation comporte de nombreuses activités et
simulations, permettant de rendre actifs les participants et de faciliter ainsi leur
apprentissage. Elle s’articule autour de trois dimensions : 1- philosophique et
conceptuelle, 2- théorique, 3- méthodologique. Au cours de cette formation seront définis
les concepts d’ETP, de maladie chronique, de communication, de relation soignant-
soigné.

Seront présentés également quelques outils psychopédagogiques, les plus couramment


utilisés en ETP, et une initiation à la démarche, au parcours d’ETP et ses différentes
étapes, à la formalisation du suivi, à l’évaluation des compétences, à une mise en pratique
des concepts et des outils. A l’issue de la formation, une attestation est délivrée aux
candidats, justifiant de leur qualité d’acteurs reconnus capables de dispenser une ETP
structurée.

Cette attestation est à produire auprès des ARS pour justifier de cette qualité dans le cadre
d’une demande d’autorisation de délivrer un programme d’ETP sur le territoire au sein
d’une équipe. S’ensuivra la rédaction d’un rapport sur une expérience propre, menée dans
son champ d’exercice. En termes d’objectifs, cette formation permet aux futurs acteurs
d’acquérir les compétences de base (écoute, accompagnement, communication,
organisation, évaluation...) pour la mise en pratique effective de séances d’ETP. Elle
conduit également le soignant éducateur à exploiter les ressources disponibles dans son
contexte professionnel, pour adopter une posture éducative.

347
Source Inpes, août 2011.

316
7.5.2 Deuxième niveau

Le deuxième niveau de formation concerne les PS désirant développer, coordonner un


programme d’ETP ou s’inscrire dans un cursus de formateur. C’est une formation qui sert
à renforcer les compétences éducatives et la réflexion éthique des professionnels de santé,
dans le partage avec leurs patients de la prise en charge de leur santé. Elle vise aussi à
développer l’esprit d’une approche pluridisciplinaire chez les intervenants dans une
culture commune et partagée, autour de l’accompagnement du patient dans la gestion de
sa maladie. Elle est souvent mise en œuvre sur environ huit à 10 séminaires de deux jours
suivant les écoles, généralement sur deux années universitaires. Les concepts et théories
sont abordés en entrée de programme et constituent le socle de l’enseignement. Des
échanges ont lieu sur la vision du candidat en termes d’attentes, par rapport à l’ETP, sa
manière de percevoir la démarche qui, pour être opérante, ne doit pas s’inscrire dans un
esprit d’aventure, mais bien davantage dans une optique de changement de paradigme.
Une étude approfondie des textes législatifs en vigueur encadrant l’ETP, avec leur
interprétation, est proposée. Les notions d’éthique, de morale, de déontologie, sont
explicitées et confrontées aux différentes pratiques professionnelles, puis discutées, afin
de renforcer leur caractère impérieux dans la mise en œuvre concrète de l’ETP. Les
différents cadres théoriques sont étudiés et comparés. L’apport de la psychologie et la
prise en compte des mécanismes de défense du patient, face à la maladie mais aussi face à
l’apprentissage, sont abordés. Les difficultés de l’apprendre sont examinées, les
mécanismes de défense du soignant sont explorés. Les théories, en rapport avec les
processus du changement, constituent l’un des axes forts de ce volet, avec l’exploration
des résistances développées par le patient, des stades de son acceptation de la maladie,
mais aussi des postures adéquates à cultiver par le thérapeute. Les représentations
sociales de la santé, de la maladie, du corps, sont des éléments importants à maîtriser
dans une visée d’efficience de la démarche éducative. Les outils psychopédagogiques
connus sont présentés, étudiés, exploités, et la pédagogie attenante est approfondie. Le
volet « évaluation » est un volet conséquent et constitue une part très importante du
programme. La notion d’évaluation en santé donne tout son sens à celle de changement
de paradigme, exploré plus avant. En effet, la plupart des candidats viennent de l’hôpital,
où la notion d’évaluation des actions de soins n’est pas franchement développée.
L’évaluation en ETP doit se concevoir comme une étape-clé de la démarche et se situer à
plusieurs niveaux. Elle doit être pensée au moment de la création du programme et lors

317
de son montage. Des items précis doivent être définis afin de les comparer avant et après
l’éducation. L’évaluation est le révélateur de l’efficacité d’un programme d’ETP.
L’absence d’amélioration des indicateurs courants, à savoir l’absentéisme, les passages
aux urgences, les hospitalisations, le contrôle de l’asthme et la qualité de vie, est
révélatrice de l’inefficacité de la démarche. Quant à l’efficacité de l’ETP, elle se mesure à
ses résultats. Sans retombées tangibles sur les indicateurs de bonne gestion de la maladie,
conduisant à l’amélioration de la qualité de vie du patient, on ne peut parler d’une ETP
opérante. A l’issue de cette formation, un mémoire est alors rédigé sur un projet concret
d’ETP, suivi d’une soutenance devant un jury. Un diplôme universitaire est délivré,
qualifiant le candidat dans sa discipline.

7.5.3 Propositions de contextualisation de la formation des éducateurs


thérapeutiques en milieu créolophone

Le contexte de mise en œuvre étant différent de celui de la formation du thérapeute, il


conviendra d’adapter l’approche méthodologique au terrain en procédant à la
contextualisation de la démarche, des outils psychopédagogiques, du programme et des
supports de l’évaluation. Peut-on demander à un adolescent de Pointe-à-Pitre de décrire
ses symptômes en traversant une forêt de cyprès ? Ou encore, comment il organisera sa
trousse d’urgence en partant en vacances dans le Poitou ? Il va sans dire que les études de
cas et les outils d’évaluation devront donc être adaptés aux différents contextes
situationnels locaux. Le langage devra être celui de l’apprenant et sa langue maternelle
devra être privilégiée. En effet, on ne pourra penser un apprenant comme l’ensemble des
apprenants et un contexte comme représentant l’ensemble des contextes. Les
apprentissages devront s’organiser à plusieurs niveaux, qui deviendront des niveaux
d’apprentissage.

Cette distinction entre l’individu et la société nous encourage à considérer ces deux
niveaux logiques individuels et collectifs. Le niveau logique individuel est celui de
« l’atome social » indivisible, et le niveau logique collectif concerne les groupes, les
organisations, la société et les phénomènes collectifs en général. Sans véritablement
militer pour une telle séparation, mais concentrant rigoureusement l’attention sur les seuls
phénomènes sociaux, Durkheim, père fondateur de la sociologie, rendait possible la
construction de multiples objets d’études, relevant de la discipline. Cette spécification des
deux niveaux logiques à considérer, constitue une manière de modéliser la différence

318
entre les objets de la psychologie et ceux de la sociologie, tout en évitant de perdre de vue
le fait que ces deux niveaux s’articulent sur un axe qui mérite d’être étudié, puisqu’il
conditionne la possibilité de modélisation des objets que l’on peut qualifier de culturels
ou de sociétaux. Dès lors, se pose la question du sens. « Dans toute civilisation, le sens
procède d’abord du mythe, de la transcendance, ou de l’hétéroréférence. » (Y. Barel,
1987, cité par J.-C. Sallaberry, 2011)348. Pour l’auteur, la société qui produit du sens se
réfère à elle-même comme source de son propre sens, voie de l’immanence ou de
l’autoréférence. En renforcement de cette théorie de l’institution, Sallaberry cite
Castoriadis (1975), qui souligne « que l’institution d’une société s’ancre dans
l’imaginaire, ce qui constitue une voie pertinente pour aborder la question du sens »349.
Cette question du sens dans la société créole, terrain de notre recherche, pourrait
s’expliquer par certains choix, voire certaines options du sujet pour tenter d’enrayer la
maladie chronique par le magico-religieux, ou/et les rimed razié (tradi-traitement). A
travers l’examen de différents phénomènes climatiques, comme les cyclones, sociaux ou
sociétaux, H. Migerel, par son approche psychanalytique, arrive à cette conclusion : « Le
sujet créole atteint de maladies chroniques s’autoriserait une investigation dans son
passé profond pour cautionner sa non-participation à l’avènement de sa maladie. »350
« Culturellement, la parole souffrante sur le corps autorise le symptôme dépressif. La
notion de kô krazé qui est un signe clinique de la dépression en l’absence de tristesse,
accomplit ce rôle défensif. » « Quelques larmes furtives essuyées avec rage souvent,
gomment la perte, enfouissant la manifestation du deuil. »351

Apprendre à mieux connaître cette culture particulière afin de mieux l’appréhender à


travers la langue des gens qui la possèdent, nous semble la condition première pour y
dispenser une ETP opérante. La signification de certaines expressions, de certains signes,
est à connaître avant toute tentative de transposition.

348
J.-C. Sallaberry, « Représentations et “contexte culturel” », Contextualisation didactique, Approches
théoriques, L’Harmattan, 2013, p. 225.
349
C. Castoriadis, 1975, La institución imaginaria de la sociedad, cité par J.-C. Sallaberry, colloque
Guadeloupe 2011, Contextualisation didactique, p. 227.
350
H. Migerel, Mots de morne en miettes, La Guadeloupe l’âme à nu, 2001, Editions Jasor, p. 21.
351
Ibid., p. 29.

319
CONCLUSION GENERALE

320
CONCLUSION GENERALE

Les deux principales études menées dans ce travail répondent globalement à notre
problématique de départ, qui puisait ses fondements dans les résultats de plusieurs
recherches menées aux Antilles françaises, signalant une éventuelle perfectibilité de la
prise en charge de l’asthme bronchique dans cette région. Cette perfectibilité supposée
repose sur un taux de passage aux urgences et d’hospitalisations plus important dans les
départements d’outre-mer (DOM) qu’en France hexagonale. Selon ces études, le taux de
prévalence de cette pathologie, sensiblement plus élevé dans cette région par rapport à
l’Hexagone, ne suffit pas à lui seul à expliquer cette morbidité de la maladie asthmatique
aux Antilles.

Tenant compte de cette problématique de départ, nos conclusions s’exposent en quatre


volets. Le premier volet est constitué par la vérification de nos hypothèses à travers nos
résultats, eu égard aux différents modèles conceptuels et approches méthodologiques
mobilisés, tout en examinant leur portée, mais aussi leurs limites, en vue de définir la
dimension épistémologique des connaissances produites. Dans le deuxième volet, nous
exposons les retombées attendues en termes d’amélioration de l’autogestion de la maladie
par le patient, garante d’une meilleure qualité de vie, à travers la description de
l’approche méthodologique adaptée que nous proposons, tenant compte de ses éléments
socioculturels. En troisième lieu, nous nous attachons à rappeler le niveau de preuve
scientifique de l’ETP structurée d’une manière générale, tout en procédant à la
présentation des résultats de l’évaluation sommative réalisée après l’éducation
thérapeutique. Le quatrième volet de nos conclusions porte sur l’aspect contextuel de la
démarche, tant sur le plan de la formation des acteurs-éducateurs que sur celui de
l’adaptabilité des programmes aux différents contextes.

Dans le corps de ce travail, nous nous sommes attaché à décrire, de plusieurs manières
différentes, la nécessité de faire usage de la langue créole dans ce domaine particulier que
représente le médico-éducatif. Notre première hypothèse générale était que l’utilisation
de la langue créole pouvait faciliter la compréhension du diagnostic d’asthme et conduire
plus facilement le sujet bilingue français/créole vers l’acceptation de sa maladie, ce qui
conditionne au demeurant l’acceptation des traitements à long terme, donc l’amélioration
de l’observance. La seconde hypothèse était que la langue créole pouvait avoir, en plus de

321
ce rôle facilitateur de la compréhension, un impact sur la reproduction et la maîtrise des
gestes et techniques dans la prise des traitements et la mesure du souffle du patient. Nos
résultats tendent a valider ces deux hypothèses, aussi bien sur le plan clinique
qu’expérimental, au regard des modèles conceptuels mobilisés, ce qui nous conduit à
postuler que, dans un contexte bilingue français/créole, le domaine médico-éducatif
gagnerait en efficience à utiliser la langue maternelle des patients pour obtenir une
meilleure adhésion aux messages scientifiques, tant en termes de connaissances qu’en
termes de compétences. Le fait d’utiliser la langue maternelle d’un sujet au cours d’un
apprentissage dans le domaine médico-éducatif, influence significativement ses
acquisitions, ce qui nous encourage à sa préconisation.

Une mauvaise acceptation de cette maladie de la part de l’adolescent, par peur de la


stigmatisation et de l’exclusion de son groupe, mais aussi de la part des parents, par peur
du « qu’en-dira-t-on », voire par « culpabilisation », pourrait expliquer en partie cette
morbidité décrite et rapportée plus haut. La maladie asthmatique reste taboue encore aux
Antilles, car elle renvoie implicitement à des notions de gravité. Ancrée dans son
ambivalence, la mémoire collective ne rattache pas à lopwésion des notions de gravité.
Lopwésion était assimilée, il n’y a pas si longtemps, à un signe de résistance, comme par
le passé : « résister au souffle coupé », à l’iniquité du système esclavagiste, et la société
en garde encore les sédiments. En cas de persistance de cet état, la famille avait
systématiquement recours à la médecine traditionnelle et aux rimed razié, et c’est encore
assez souvent le cas aujourd’hui. Une prise en charge médicale disparate n’encourage pas
les parents à poursuivre la médication pour plusieurs raisons : les familles de
médicaments utilisés ne sont pas nombreuses, donc, c’est sensiblement toujours les
mêmes spécialités qui sont represcrites ; les recommandations de bonnes pratiques ne
sont pas systématiquement suivies par les médecins, donc, les patients ne bénéficient pas
de l’ETP pour apprendre à bien prendre leurs traitements ; les techniques d’inhalation
n’étant pas maîtrisées, les traitements deviennent inopérants, d’où un recours fréquent
aux médicaments de secours. Ce cycle infernal conduit indubitablement à une morbidité
accrue et relevée dans les différentes études. D’une manière générale, quel que soit le
groupe socioprofessionnel d’appartenance du patient, la problématique demeure
prégnante.

Pour répondre à notre première hypothèse, la première étude, de type descriptif et


exploratoire, s’est attachée à analyser la pratique des médecins libéraux de terrain en

322
termes de prise en charge de l’asthme bronchique, et ceci, dès l’annonce du diagnostic
d’asthme, jusqu’au respect des recommandations de bonnes pratiques édictées par les
sociétés savantes nationales (ANAES, 2004) et internationales (GINA, 2011), traitant des
notions de sévérité de la maladie et de son contrôle. L’orientation des patients en ETP
constitue un élément majeur de ces recommandations de bonnes pratiques, puisqu’elle
témoigne de l’inscription du PS dans une dynamique de prise en charge holistique de son
patient. Cette étude s’est attachée à montrer que ces recommandations étaient peu
appliquées, dans leur grande majorité, en Guadeloupe. Par ailleurs, nous avons relevé que
la langue vernaculaire, qui est privilégiée par les médecins bilingues les plus âgés (plus
de 45 ans) dans le but de faciliter la compréhension des mécanismes de la maladie et
l’utilité des traitements par le patient lui-même bilingue, était beaucoup moins utilisée par
les jeunes praticiens.

Ce constat concourt à expliquer, en partie, une observance médiocre qui, de la part du


malade qui n’a pas compris la nécessité d’un traitement aussi long, conduit à une
morbidité accrue.

Notre étude a montré également que l’utilisation de la langue maternelle du patient par
les professionnels de santé pour expliquer les phénomènes complexes, conduisait à une
acceptation à trois niveaux : l’acceptation de la maladie et de son caractère chronique par
la conjugaison de la prédisposition familiale et des différents contextes
environnementaux ; l’acceptation d’une éducation à la maladie et à la gestion nécessaire à
la bonne maîtrise des traitements, tant dans leur compréhension que dans l’identification
de leurs cibles ; l’acceptation d’un changement de comportement indispensable à une
bonne gestion, que peuvent représenter le réaménagement de l’environnement du sujet
(rangement de la chambre, aération quotidienne, ensoleillement), l’arrêt du tabac ou du
cannabis et la nécessité de pratiquer un sport et d’éviter les facteurs déclenchants. A
travers les résultats de cette première étude, notre première hypothèse a été validée.

La deuxième étude, de type psycho-sociolinguistique, s’est attachée dans un premier


temps à révéler l’existence d’une différence de perception, d’interprétation mais aussi de
sens d’un énoncé verbal, créant des représentations et des images mentales différentes en
fonction de l’appartenance culturelle du sujet. En effet, en faisant appel au lexique des
adolescents, les mots énoncés leur ont permis de se situer dans un registre discursif
préférentiel marquant leur positionnement identitaire dans une langue plutôt que dans une
autre. Partant de ce positionnement, nous avons constitué deux groupes d’apprenants,
323
dont un a reçu l’éducation thérapeutique en langue française et l’autre en langue créole.
Les deux groupes ont bénéficié des mêmes supports psychopédagogiques.

Afin de répondre à la forte prévalence de l’asthme dans cette population d’adolescents


(14,1%) et de faire face au déplacement difficile de ce public aux centres d’ETP situés
dans les deux villes principales de l’île, nous avons été amené à proposer cette approche
alternative en milieu scolaire, en pensant que cela conduirait à des résultats tangibles dans
un minimum de temps.

Pour rendre notre approche opérante dans ce contexte situationnel particulier (l’ETP
durant l’intercours au collège) et au contexte sociologique, nous avons été obligé
d’adapter nos outils psychopédagogiques. L’attractivité des moyens modernes et rapides
de communication (SMS, ou texto) nous a conduit à faire appel à des techniques qui ont
fait leurs preuves dans le domaine de la prise de notes et des aide-mémoire, proches du
SMS, la mnémotechnique. Cette adaptation expérimentale, venant en renforcement de la
projection d’images visuelles pour une prise de conscience rapide des phénomènes
existants en général, s’est appuyée sur des modèles conceptuels validés en sciences
sociales en général, et en éducation du patient en particulier. Nous avons relevé que les
sujets utilisent beaucoup le créole entre eux, pour exprimer leurs émotions, leurs ressentis
et pour se parler, expliquer et commenter certains gestes ou actions, d’où notre choix de
dispenser l’ETP dans cette langue. Cependant, quand il s’agissait de s’adresser aux
intervenants, le français était systématiquement utilisé. La notion de respect vis-à-vis des
adultes, les situations formelles particulières et officielles que peut représenter ce type
d’actions, même sans rapport apparent avec les cours, ne favorisent pas l’utilisation de la
langue vernaculaire pour échanger. Pour lever ce frein, nous avons dû, à plusieurs
reprises, rappeler à nos interlocuteurs créolophones le caractère informel de nos échanges
dans ce cadre précis et le respect absolu de leur choix linguistique.

L’évaluation sommative des deux groupes de patients éduqués portait sur les
connaissances, les compétences, la capacité d’analyse et de prise de décisions adaptées en
fonction des modifications de l’environnement et des situations. Les acquisitions
comportaient implicitement des notions de changement de comportement.

En termes de connaissance, nous nous sommes attaché à savoir si le sujet maîtrisait les
mécanismes de la maladie asthmatique, se manifestant par une inflammation siégeant au
sein de la bronche, se caractérisant par l’épaississement de la paroi bronchique, une

324
hypersécrétion, une bronchoconstriction, la connaissance des signes mineurs et des signes
majeurs annonciateurs de la crise pouvant alerter sur les protocoles à mettre en œuvre, la
connaissance des facteurs déclenchants, la connaissance des différents traitements, leurs
différenciations (traitement de fond versus traitement de crise), leurs couleurs dominantes.

Quant à l’évaluation des compétences, elle a porté sur la maîtrise des différents
dispositifs d’inhalation, du débitmètre de pointe pour la mesure du souffle. En matière de
capacité d’analyse des sujets, l’évaluation a consisté à mesurer le degré d’expertise du
sujet à prendre la bonne décision de modulation des traitements en cas de besoins, selon
les plans d’action personnalisés et les protocoles étudiés.

Cette évaluation sommative confirme le rôle social du créole dans les interactions entre
pairs, en tant que moyen d’échanges privilégiés. Globalement, cette évaluation a révélé
que le créole facilite la compréhension des phénomènes complexes, tels que ceux en
présence dans l’asthme bronchique, et rend aisée la production d’images mentales chez
les sujets bilingues, aidant fortement à la reproduction des gestes et techniques et à leur
maîtrise.

La langue, ayant un impact sur les images anticipatrices des gestes et techniques
élaborées en mémoire de travail, répond aux stimuli verbaux par activation des
représentations permanentes de type imagé, stockées en mémoire à long terme. En
d’autres termes, le créole semble permettre une bonne appropriation des savoirs, des
savoir-faire et des savoir-être en éducation thérapeutique chez les adolescents bilingues.
Au vu des résultats de notre évaluation finale, ces trois domaines fondamentaux de
l’éducation du patient semblent être influencés par le choix du registre langagier des
locuteurs apprenants. Par la différence des représentations mises en jeu, nous avons
relevé, à travers notre étude, un effet additif de la langue créole dans la compréhension
des mécanismes complexes de la maladie par les adolescents et leur interprétation par des
formules alambiquées, moitié créole, moitié français. L’enchevêtrement des codes a
beaucoup facilité l’expression et la formulation de ces phénomènes. Nous préconisons
donc l’utilisation de ce mode d’échanges mi-créole, mi-français dans les relations
médico-éducatives en Guadeloupe laissant une certaine liberté d’expression aux locuteurs.

Nous n’avons pas relevé d’effet négatif de l’utilisation du créole chez les sujets sur les
différents processus évalués. S’agissant du cadre dans lequel s’est déroulée
l’expérimentation, le collège, lieu privilégié de transmission des savoirs, nous n’avons

325
pas relevé d’obstacle majeur à l’utilisation du créole chez les enfants ayant choisi ce
registre d’expression. Nous avons noté cependant, dès l’entame de l’expérimentation, un
certain étonnement de la part des enfants de voir que les intervenants faisaient usage du
créole dans leur manière de présenter et d’expliquer le déroulement de la séance.
Quelques furtifs regards échangés entre eux, quelques rires, ont précédé l’apaisement.
Nous n’avons pas noté de différence de niveaux de compréhension chez les sujets du
groupe créole, ni en rapport avec l’âge, ni en rapport avec le sexe.

Malgré des approches méthodologiques différentes, ces travaux avaient pour but principal
d’éclairer les rapports entre l’adolescent et la langue créole au sein de la relation
soignant/soigné aux Antilles françaises et en Guadeloupe plus singulièrement. Leur
objectif commun était d’étudier l’influence de la langue sur la compréhension des
phénomènes complexes dans la relation médico-éducative chez les sujets bilingues.
Chacun des travaux confirme l’hypothèse selon laquelle chaque langue, en tant que
moyen de communication et système de représentation, peut avoir des effets distincts sur
les processus et produits des apprentissages en termes de compréhension et d’acquisitions
chez des sujets en situation bilinguistique. Selon l’organisation du bilinguisme au niveau
psychologique chez l’individu, chaque langue peut entraîner des conséquences
spécifiques sur le plan verbal imagé et sensori-moteur.

Sur le plan épistémologique, nous considérons que l’utilisation de deux méthodologies de


recherche a permis de vérifier nos hypothèses selon des approches scientifiques et
théoriques différentes, renforçant ainsi la production de connaissances valides, tant pour
les praticiens que pour les chercheurs. Nos résultats et nos investigations se sont heurtés à
des précautions et des difficultés méthodologiques dans chacun des domaines explorés,
car le langage constitue un domaine complexe. Il est difficile en effet de comprendre le
fonctionnement psychologique d’un individu particulier dans un contexte donné, et cela
demande une véritable collaboration équilibrée entre le chercheur, les praticiens et les
sujets eux-mêmes. Il nous semble que les résultats de ce travail peuvent avoir des
retombées sur le plan de la formation des acteurs formateurs en ETP, aux Antilles
françaises, car nous avons pris en compte les spécificités de la population antillaise sur le
plan culturel et sur le plan linguistique. Nous pensons que le créole est un moyen
privilégié de communication dans le domaine médico-éducatif.

L’exploitation didactique et pédagogique de ce travail dans le domaine de la formation


des professionnels de santé formateurs, peut se concevoir comme une contextualisation
326
didactique et s’envisager à trois niveaux : en considérant la langue créole comme un
vecteur d’apprentissage et objet d’enseignement, en préconisant son utilisation dans les
séances d’ETP, et en encourageant l’apprenant à en faire usage au cours des échanges
dans la relation médico-éducative.

Il conviendra d’organiser et de structurer son utilisation en vue, d’une part, d’améliorer


les processus d’acquisition de connaissances et de compétences chez le patient et, d’autre
part, d’entretenir le bilinguisme, source d’enrichissement et de représentations fortes,
pouvant porter les messages éducatifs. Le domaine médico-éducatif est peu investi en
termes de recherche traitant de l’impact de la langue créole sur les processus
d’apprentissage en milieu plurilingue. L’objectif prioritaire de notre travail était de
parvenir à une prise de conscience conduisant à l’acceptation rapide de la maladie, à une
bonne observance, corollaire d’un bon contrôle de cette maladie et d’une bonne qualité de
vie. Cette approche adaptative nous semble être une voie exploitable pour y parvenir. Ce
type de recherche pourrait s’étendre et se poursuivre dans d’autres régions de la Caraïbe.
Est-il utile de rappeler qu’en matière de maladies chroniques, l’ennemi n°1 reste le
tandem observance/temps352 ?

Nous terminons nos conclusions par la présentation du cas de Suzel.

Un matin ordinaire, à l’heure de l’ouverture du centre d’ETP de Basse-Terre, se présente


une patiente âgée se prénommant Suzel. A ses difficultés à gravir les quelques marches
qui mènent au premier étage, on note immédiatement son essoufflement. On l’invite à
s’asseoir pour reprendre son souffle. Entre deux bouffées d’air, elle nous lance
spontanément : « Bonjou missié ! » (« Bonjour Monsieur ! »). Alors on lui demande en
créole : « Ka ki méné-w jis isidan ? » (« Qu’est-ce qui t’amène jusqu’ici ? »). Elle nous
répond : « Toupiti an fè lopwesyon, mammam mwen ba mwen rimèd razié, an té géri. An
fè tout timoun an mwen, an fè jaden, twavay an kann an té byen. Ni dè sa twa zan, fi an
mwen té vlé chasé souwitchod, i pasé on pwodui, é dèpi sa, ko-la ba bon. An fè lopital
nèf jou réa é dèpi sa, an ka pasé tan an mwen aka doktè sé on ispécialis kè an vwè pani
lontan ki voyé mwen isidan. »

352
L’éducation thérapeutique s’inscrit dans la prévention tertiaire et s’adresse à un public déjà porteur
d’une maladie chronique ; en l’absence d’une bonne observance thérapeutique, le patient est exposé aux
complications de sa maladie. Plus vite il acceptera de se soigner conformément aux traitements prescrits,
meilleur sera le pronostic.

327
A cette seule question dans sa langue maternelle, nous avons su qu’elle était asthmatique
depuis son plus jeune âge. Sa mère l’a soignée avec des rimed razié (tradi-traitements).
Elle se croyait guérie jusqu’au jour où sa fille a voulu chasser des chauves-souris et a
utilisé un répulsif. Immédiatement, elle s’est sentie mal, s’est retrouvée aux urgences,
hospitalisée en réanimation pendant neuf jours. Depuis, elle fait la navette entre les
urgences et son médecin traitant. Récemment, sa fille l’a conduite chez un spécialiste qui
l’a adressée à notre centre. Pourquoi lui avoir posé cette question en créole ? Pourquoi
avoir choisi ce registre discursif au lieu d’un autre ? C’est à ces questions essentielles que
nous avons tenté de répondre dans ce travail de recherche.

328
TABLE DES MATIERES

329
TABLE DES MATIERES
Remerciements..................................................................................................................4
Résumé ..............................................................................................................................6
Introduction générale......................................................................................................10
PREMIERE PARTIE – PRESENTATION DU CONTEXTE DE
L’EDUCATION THERAPEUTIQUE DU PATIENT ET DE L’ASTHME
BRONCHIQUE…………………………………………………………….25
1 Présentation du contexte
26
1.1 De la situation géographique de la Guadeloupe ....................................... 29
1.2 De la démographie et des activités en Guadeloupe .................................. 30
1.3 Du contexte climatique ............................................................................. 31
1.4 Du contexte sanitaire ................................................................................. 33
1.5 Du contexte historique .............................................................................. 34
1.5.1 La colonisation européenne ...................................................................................... 35
1.5.1.1 Les débuts de l’industrie esclavagiste .......................................................................................... 35
1.5.1.2 La première abolition ........................................................................................................................... 36
1.5.1.3 Le rétablissement en 1802 ................................................................................................................ 37
1.5.1.4 La deuxième abolition .......................................................................................................................... 38
1.5.1.5 Arrivée des premiers travailleurs volontaires .......................................................................... 38
1.6 Précarité et accès aux soins en Guadeloupe .............................................. 39
1.7 Genèse des registres médico-discursifs..................................................... 42
2 Présentation de l’éducation thérapeutique du patient (ETP)…………….46
2.1 Définition .................................................................................................. 46
2.2 Niveau de preuve....................................................................................... 47
2.3 Les effets des recommandations de l’OMS de 1998 en France ................ 50
2.3.1 Mise en place d’un dispositif d’aide à l’amélioration de la qualité des soins de ville
(FAQSV) ............................................................................................................................... 51
2.3.2 Le plan asthme de 2002 dit plan Kouchner .............................................................. 51
2.3.2.1 Le renforcement de l’information sur l’asthme à tout public ............................................ 52
2.3.2.2 L’amélioration de la qualité des soins .......................................................................................... 53
2.3.2.3 Le développement de l’éducation thérapeutique .................................................................... 53
2.3.3 Naissance des réseaux de santé................................................................................. 53
2.3.3.1 Financement des réseaux de santé ................................................................................................ 54
2.3.3.2 Le réseau de santé, berceau de la prise en charge pluridisciplinaire du patient ....... 55
2.3.3.3 Le réseau repose sur trois piliers ................................................................................................... 55
2.3.3.4 Le fonds des prestations dérogatoires ......................................................................................... 55
2.3.4 Un plan national pour l’amélioration de la qualité de vie des personnes souffrant de
pathologies chroniques (2007-2011) ..................................................................................... 56
2.3.4.1 Origine du concept de la qualité de vie ........................................................................................ 57
2.3.4.1.1 La mesure de la qualité de vie dans l’asthme ................................................................... 58
2.3.4.1.2 Maladie mal contrôlée, qualité de vie médiocre ............................................................. 61
2.3.4.1.3 Une angoisse quotidienne ........................................................................................................ 61
2.3.4.1.4 Un isolement social et professionnel ................................................................................... 62
2.3.4.2 Les maladies chroniques, cibles privilégiées du plan ............................................................ 62
2.3.4.3 Les fondements législatifs du plan ................................................................................................. 63
2.3.4.4 Les motivations du plan ...................................................................................................................... 64
2.3.4.5 Ses quatre axes d’intervention ......................................................................................................... 64
. ........................................................................................................................................................................................... 65
2.3.4.6 Son financement ..................................................................................................................................... 65
2.3.4.7 Son évaluation ......................................................................................................................................... 65

330
2.3.4.8 Son impact ................................................................................................................................................. 66
2.3.5 Au regard des recommandations de l’OMS.............................................................. 66
2.4 Une priorité de santé publique fondée sur une base législative forte ....... 67
2.4.1 Un cahier des charges national ................................................................................. 68
2.5 Les fondements conceptuels de l’ETP ...................................................... 71
2.5.1 Le modèle behavioriste ............................................................................................. 71
2.5.2 Le modèle constructiviste ou piagétien .................................................................... 73
2.6 Intérêt de l’éducation thérapeutique dans la prise en charge des maladies
chroniques en général et de l’asthme en particulier ........................................ 77
2.6.1 L’évidente nécessité de former le patient chronique à la gestion de sa maladie ...... 78
2.6.1.1 L’ETP concerne également l’entourage ........................................................................................ 78
2.6.1.2 Les professionnels impliqués à différents niveaux dans l’ETP .......................................... 79
2.6.1.3 La coordination des acteurs, ou passer du plateau technique au chevet du malade,
un changement de paradigme .............................................................................................................................. 83
2.6.2 La portée de l’annonce du diagnostic de maladie chronique .................................... 84
2.7 Principes et finalités de l’ETP ................................................................... 86
2.8 Les modèles psychosociaux les plus couramment utilisés en ETP .......... 88
2.8.1 La thérapie cognitivo-comportementale ................................................................... 88
2.8.1.1 La démarche centrée sur le malade ............................................................................................... 89
2.8.1.2 L’acceptation de la maladie chronique par le patient ............................................................ 90
2.8.1.3 Le centre de contrôle de la maladie ou locus of control ........................................................ 91
2.8.1.4 La motivation du patient en éducation thérapeutique.......................................................... 92
2.8.2 L’empowerment ........................................................................................................ 93
2.8.2.1 Les croyances de santé (health belief model) ............................................................................. 94
2.8.2.2 Les entraves possibles au changement en ETP ........................................................................ 95
2.8.3 L’approche motivationnelle ...................................................................................... 97
2.8.3.1 La peur du changement ....................................................................................................................... 99
2.9 L’éducation thérapeutique dans l’asthme en Guadeloupe ...................... 100
2.9.1 Une réponse coordonnée à l’émergence d’une problématique de terrain ............... 100
2.9.1.1 L’acte d’inclusion en éducation thérapeutique pour asthme en Guadeloupe .......... 103
2.9.1.2 Description de l’approche méthodologique ............................................................................ 104
2.9.2 Le diagnostic éducatif ............................................................................................. 106
2.9.3 Le contrat d’éducation ............................................................................................ 108
2.9.4 Le programme d’éducation thérapeutique .............................................................. 109
2.9.4.1 La première séance ............................................................................................................................ 113
2.9.4.2 La deuxième séance ........................................................................................................................... 114
2.9.4.3 La troisième séance............................................................................................................................ 115
2.9.4.4 La quatrième séance .......................................................................................................................... 120
2.9.5 Pourquoi l’asthme n’est-il pas toujours contrôlé ? ................................................. 121
2.9.5.1 La gestion des flux ............................................................................................................................. 122
3 L'asthme en Guadeloupe, en France hexagonale et dans le monde…….125
3.1 La maladie asthmatique dans les racines guadeloupéennes .................... 126
3.1.1 Une identité culturelle affirmée .............................................................................. 126
3.1.2 Une appropriation difficile de la maladie ............................................................... 128
3.2 Psychologie de l’asthme d’une manière générale ................................... 129
3.2.1 La maladie du malade ............................................................................................. 130
3.2.2 Aux Antilles plus singulièrement ........................................................................... 130
3.3 Définition de l’asthme bronchique selon l’OMS .................................... 131
3.3.1 Le diagnostic de l’asthme ....................................................................................... 132
3.3.1.1 La notion de contrôle ........................................................................................................................ 132
3.3.2 La stratégie de prise en charge de l’asthme ............................................................ 133
3.4 Les chiffres de l’asthme en Guadeloupe ................................................. 133
3.4.1 Le taux de mortalité pour asthme en Guadeloupe .................................................. 133
331
3.4.2 La prévalence de l’asthme chez les adolescents guadeloupéens (ISAAC I) .......... 134
3.4.2.1 Population d’étude et résultats ..................................................................................................... 134
3.4.2.2 Sifflements et asthme ........................................................................................................................ 135
3.4.2.3 Les facteurs aggravants .................................................................................................................... 136
3.4.2.4 Traitements « anticrises » cités par les adolescents ........................................................... 136
3.4.3 Conclusion de l’étude ............................................................................................. 137
3.5 L’étude des facteurs de risque de la maladie asthmatique chez les enfants
de 10/11 ans en Guadeloupe (ISAAC II) ...................................................... 138
3.5.1 Justification de l’enquête ........................................................................................ 138
3.5.2 Objectifs de l’enquête ............................................................................................. 138
3.5.3 Schéma et population de l’enquête ......................................................................... 139
3.5.4 Caractéristiques médicales de l’enquête ................................................................. 139
3.5.4.1 Les données macro et micro-environnementales ................................................................ 139
3.5.4.2 Les données de pollution étudiées ............................................................................................. 140
3.5.5 Résultats et discussions .......................................................................................... 141
3.5.6 Conclusion .............................................................................................................. 142
3.6 La prévalence de l’asthme en France et dans le monde .......................... 142
3.6.1 En France ................................................................................................................ 142
3.6.1.1 Le poids social et économique de l’asthme en France ........................................................ 144
3.6.2 Dans le monde ........................................................................................................ 145
3.6.3 Les outils d’évaluation de l’asthme bronchique ..................................................... 146
3.6.3.1 Le débit expiratoire de pointe ....................................................................................................... 146
3.6.3.2 La spirométrie ...................................................................................................................................... 147
3.6.3.2.1 La variabilité des valeurs ....................................................................................................... 148
3.6.4 Classification de l’asthme bronchique .................................................................... 150
3.6.4.1 La notion de sévérité de l’asthme ................................................................................................ 150
3.6.4.2 Les buts du contrôle de l’asthme bronchique ........................................................................ 151
3.6.5 Les traitements de l'asthme bronchique .................................................................. 152
3.6.5.1 Les traitements inhalés .................................................................................................................... 153
3.6.5.1.1 Les poudres sèches sans gaz propulseurs ...................................................................... 154
3.6.5.1.2 Les dispositifs pressurisés de type aérosol-doseur ................................................... 154
3.6.5.2 Les techniques d’administration des traitements ................................................................ 154
3.6.5.2.1 Les chambres d’inhalation .................................................................................................... 155
3.6.5.2.2 Les traitements de fond .......................................................................................................... 155
3.6.5.2.2.1 Les corticoïdes inhalés .................................................................................................. 156
3.6.5.2.2.1.1 Indication et limite d’efficacité ......................................................................... 156
3.6.5.2.2.1.2 Effets secondaires .................................................................................................. 156
3.6.5.2.2.2 Les Bêta-2 mimétiques d’action de longue durée ............................................. 156
3.6.5.2.3 Les traitements de la crise..................................................................................................... 157
3.6.5.2.3.1 Les Béta-2 mimétiques de courte durée d’action .............................................. 157
3.6.5.2.3.2 Les Corticoïdes oraux ..................................................................................................... 157

DEUXIEME PARTIE-RECHERCHE………………….........….………. 159


4 Qu’en est-il de cette société cadre de notre expérimentation ?...............160
4.1 Du point de vue socio-anthropologique .................................................. 163
4.1.1 La naissance de l’ère culturelle antillaise ............................................................... 164
4.1.1.1 Le prolongement des africanismes dans la Caraïbe, naissance de la créolisation
culturelle ..................................................................................................................................................................... 165
4.1.1.2 La créolisation, fruit d’une dépossession et d’une assimilation organisée ............... 169
4.1.2 L’Euro-Amérique ................................................................................................... 172
4.1.3 L’Indo-Amérique .................................................................................................... 173
4.1.4 L’Amérique des plantations .................................................................................... 174
4.1.4.1 Le mouvement de reniement du créole par l’accaparement de la culture du maître
176
4.1.4.2 L’apport de l’immigration indienne ............................................................................................ 177

332
4.2 Du point de vue sociolinguistique ........................................................... 178
4.2.1 La diglossie ............................................................................................................. 181
4.2.2 Le sens de la parole en éducation thérapeutique du patient .................................... 185
4.2.2.1 En quoi consiste véritablement l’action de parler ? ............................................................ 187
4.2.2.2 De la langue au fait social ................................................................................................................ 189
4.2.2.3 Les représentations sociales .......................................................................................................... 191
4.2.3 Expression des représentations du patient au cours de la consultation ................... 193
4.2.3.1.1 Des métaphores dans la description d’une crise d’asthme ..................................... 199
5 La question de recherche
202
5.1 Hypothèse ................................................................................................ 203
5.2 Introduction ............................................................................................. 204
5.3 Population et échantillon ......................................................................... 206
5.4 Méthode................................................................................................... 206
5.4.1 Mode de diffusion et recueil ................................................................................... 207
5.4.2 Les objectifs de l’enquête ....................................................................................... 208
5.5 Résultats de l’enquête ............................................................................. 208
5.5.1 Plan d'analyse ......................................................................................................... 208
5.5.1.1 Analyse descriptive (tri à plat) ..................................................................................................... 208
5.5.1.2 Analyse univariée................................................................................................................................ 209
5.5.1.3 Analyse multivariée ........................................................................................................................... 209
5.5.2 Présentation et commentaires des résultats............................................................. 209
5.5.2.1 Caractéristiques personnelles ....................................................................................................... 209
5.5.2.2 Perception des recommandations dans l'asthme ................................................................. 212
5.5.3 Liaison entre les principales variables .................................................................... 214
5.5.3.1 Analyses univariées ........................................................................................................................... 214
5.5.3.2 Analyses multivariées ....................................................................................................................... 218
5.6 Discussion ............................................................................................... 219
5.7 Conclusion............................................................................................... 221
6 Présentation de la deuxième étude
222
6.1 La compréhension ................................................................................... 228
6.1.1 La théorie du double codage ................................................................................... 229
6.1.2 Rapport entre langage et motricité, s’agissant des techniques d’inhalation dans les
traitements de l’asthme bronchique .................................................................................... 230
6.1.3 La théorie du dialogue ............................................................................................ 231
6.1.4 Hypothèse ............................................................................................................... 232
6.1.5 Introduction ............................................................................................................ 232
6.2 Population, matériels et méthodes .......................................................... 233
6.2.1 Présentation et choix du collège Issap de Sainte-Anne .......................................... 235
6.2.2 Descriptif de l’étude et critères d’inclusion ............................................................ 236
6.3 Cadre conceptuel de la recherche............................................................ 236
6.3.1 Déroulement de la recherche .................................................................................. 240
6.3.2 Résultats et constitution des groupes ...................................................................... 249
6.4 Finalités d’une éducation séquentielle objective (ESO) ......................... 250
6.4.1 Présentation du concept .......................................................................................... 250
6.5 Exposé du déroulement de la séance du groupe français dans son cadre
conceptuel, d’« action située » ...................................................................... 251
6.5.1 Evaluation de la séance........................................................................................... 258
6.6 Déroulement de la séance du groupe créole ........................................... 263
333
6.7 Résultats .................................................................................................. 282
6.7.1 Plan d'analyse ......................................................................................................... 282
6.7.1.1 Présentation des résultats .............................................................................................................. 282
6.8 Discussion ............................................................................................... 289
6.9 Conclusion............................................................................................... 291
TROISIEME PARTIE-PROPOSITIONS……………......……………….291
7 Approche didactico-médico-éducative adaptée en contexte bilingue….293
7.1 Le créole comme facilitateur de la compréhension et de la communication
en éducation du patient en Guadeloupe ........................................................ 296
7.1.1 Contexte et contextualisation de l’ETP .................................................................. 297
7.1.2 Le programme......................................................................................................... 300
7.2 Appellation, description et interprétation de lopwésion et approche
méthodologique contextualisée ..................................................................... 300
7.2.1 Le conflit de déconstruction en ETP ...................................................................... 303
7.3 La stratégie .............................................................................................. 306
7.3.1 L’aide possible des nouvelles technologies de l’information et de la communication
(NTIC) dans le suivi éducatif des adolescents asthmatiques .............................................. 306
7.4 La formation des acteurs ......................................................................... 310
7.4.1 L’ETP en formation initiale .................................................................................... 311
7.4.2 L’ETP en formation continue ................................................................................. 314
7.5 Les niveaux de compétences en ETP ...................................................... 316
7.5.1 Premier niveau ........................................................................................................ 316
7.5.2 Deuxième niveau .................................................................................................... 317
7.5.3 Propositions de contextualisation de la formation des éducateurs thérapeutiques en
milieu créolophone.............................................................................................................. 318
CONCLUSION GENERALE……………………………………………………..….316
BIBLIOGRAPHIE…………………………………………..…………………….…..331
LISTE DES TABLEAUX ET FIGURES………………………………………...…..346
LISTE DES ANNEXES.................................................................................................351

334
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES

335
BIBLIOGRAPHIE GENERALE

Ouvrages

Abric, J.C. « L'étude expérimentale des représentations sociales », dans D. Jodelet (éd.),
Les Représentations Sociales, PUF, Paris, 1989. 454 p.

Adélaïde-Merlande J., Encyclopédie de la Caraïbe, Editions Sanoli, 1990. 207 p.


Albano A. M., Causey D., Carter B., Child Psychopathology, publié par Eric J. Mash,
Russell A. Barkley, 2001. 329 p.
Alvin et Marcelli, Médecine de l’adolescent, 2e édition, Masson, Paris, 2005. 309 p.
Anciaux F., Forissier T., Prudent L.-F., Contextualisations didactiques, Approches
théoriques, L’Harmattan, Paris, 2013. 282 p.
Bally, C., Sechehaye A., De Mauro, T., « De Saussure Ferdinand », Cours de linguistique
générale, Payot, coll. « Grande bibliothèque », Paris, 1995. 520 p.
Barré S., et al., Traité pratique des réseaux de santé, Berger-Levrault, Paris, 2005. 455 p.
Bavoux C., Prudent L.-F., Warton S., Normes endogènes et plurilinguisme, ENS éditions,
France, 2008. 198 p.
Bélaise M., Le discours éthique de la langue proverbiale créole (Analyse prolégoménique
d’une manière d’être au monde), Publibook, Paris, 2006. 276 p.
Benoist J., Les sociétés antillaises (Etude anthropologique), Université de Montréal,
Centre de recherches caraïbes, 4e édition revue et augmentée, Montréal, 1975. 177 p.

Bernabé J., Fondal-natal, Volume 1 (Grammaire basilectale approchée des créoles


guadeloupéen et martiniquais, Editions L'Harmattan, Paris, 1983. 630 p.
Bernabé J., Chamoiseau P., Confiant R., Éloge de la créolité, Gallimard, Paris, 1989.
70 p.

Bourdieu P., Ce que parler veut dire (L’économie des échanges linguistiques), Fayard,
Paris, 1982, 239 p.
Charlier E., Planifier un cours c’est prendre des décisions, Ed. De Boeck Universitaire,
Bruxelles, 1989. 154 p.
Chérubini B., La régulation quantitative et qualitative des situations interculturelles : des
modèles guyanais (Une sociologie des identités est-elle possible) ? (ed : Guth S).
L’Harmattan, Paris, 1994. 241 p.
Dufrénot M.-A., Nous fils de nos ancêtres, Editions Désormaux, FDF, 2000, 208 p.
Durkheim E., Les règles de la méthode sociologique, PUF, 14e édition, Paris, 2013. 154 p.

336
Ehrlich M. F., Tardieu H., Cavazza M., Les modèles mentaux (Approches cognitives des
représentations), Masson, Paris, 1993.
Fabre M., Penser la formation, PUF, Collection « l’Educateur », Paris, 1994. 274 p.

García Varela F.J. (trad. franç. P. Lavoie), Invitation aux sciences cognitives, Seuil, Paris,
1996. 122 p.
Gillier J.-P., Se former par un travail de modélisation, une expérience collective à
l’œuvre, Editions L’Harmattan, Paris, octobre 2014. 273 p.
Golay A., Lagger G., Giordan, Comment motiver le patient à changer, collection
« Education thérapeutique du patient », dirigée par J.-F. d’Ivernois, Maloine, Paris, 2010.
287 p.
Groux D., Fabrique de la recherche en éducation, à l’usage des étudiants de master et de
doctorat. L’Harmattan, coll. « Education Comparée », Paris, 2013, 310 p.
Groux D., (dir), Dictionnaire d’éducation comparée, L’Harmattan, Paris, 2003. 436 p.
Groux D., Porcher L., L’altérité, Cent mots pour, L’Harmattan, Paris, 2003. 210 p.
Guth S. (dir), « Une sociologie des identités est-elle possible? », in Actes de sociologie
N° IV, L’Harmattan, Paris, 1994. 241 p.
Herskovits Melville J., Les Bases de l'anthropologie culturelle, Payot, Paris, 1967. 332 p.
Herskovits Melville J., The myth of the Negro Past, 1941, traduction française :
L’héritage du Noir, mythe ou réalité, Présence Africaine, Paris, 1966. 347 p.
Jakobson R., Essais de linguistique générale, Minuit, Paris, 1981. 214 p.
Janssen T., La maladie a-t-elle un sens, Fayard, Paris, 2010. 414 p.
Kövecsses Z, Métaphores and émotion, langage culture, and body in humain feeling,
Cambridge Univ. Press, 2003. 400 p.
Larcher, P., Poloméni, P., La santé en réseaux. Objectifs et stratégie dans une
collaboration ville-hôpital, Masson, Paris, 2001. 186 p.
Lesne C., Cinq essais d'ethnopsychiatrie antillaise, L’Harmattan, Paris, 1990. 305 p.
Lévi-Strauss C., La pensée sauvage, Presses Pokets (coll. « Agora »), Paris, 1962. 347 p.
Marquer P., L’organisation du lexique mental, L’Harmattan, Paris, 2005. 298 p.
Migerel H., Mots de morne en miettes, Jasor, sl, 2000. 197 p.
Moirand. S., Enseigner à communiquer en langue étrangère, Hachette, Paris, 1982. 192 p.
Morin E., Introduction à la pensée complexe, ESF éditeur, Paris, 1990. 158 p.
Patterson, A-V., Yeager, P-N., Asthme : étiologie, la pathogenèse et le traitement.
Editeurs Nova Biomedical, sl, 2008. 166 p.

337
Pluchon P. (dir), Collection « Histoire des Antilles et de la Guyane », édition Privat,
Toulouse, 1982, 480 p.
Pollet M.-C., De la maîtrise du français aux littéracies dans l'enseignement supérieur,
Presse Universitaire de Namur, Collection « Diptyque », 2012. 179 p.
Porot M., Psychologie des maladies, Masson, Paris, 1989. 296 p.
Porcher L., Groux D., L’apprentissage précoce des langues, PUF, Paris, 1998, réédition
2003 (Collection « Que sais-je ? »). 218 p.
Porcher, L., Abdallah-Pretceille M., Ethique de la diversité en éducation, PUF, Paris,
1998. 213 p.
Porcher L., Education comparée verticale, Images d’enseignement, Education comparée,
L’Harmattan, Paris, 2011. 172 p.
Porcher L., Groux D., Littérature et éducation comparée, Raisons, Comparaisons,
Educations, Education Comparée, n°12, L’Harmattan, Paris, juillet 2014. 279 p.
Prudent L.-F., Des baragouins à la langue antillaise, Editions Caribéennes, Paris, 1999.
211 p.
Prudent L.-F., Tupin S., Warton S., Du plurilinguisme à l’école, vers une gestion
coordonnée des langues en contextes éducatifs sensibles, interlecte et pédagogie de la
variation en pays créoles, CNRS, Université de la Réunion, édition Peter Lang, Berne,
2005. 483 p.
Puren C., Bertocchini P., Costanzo E., Se former en didactique des langues, Ellipses,
Paris, 1998. 206 p.
Puren C., Histoire des méthodologies de l'enseignement des langues, Nathan-CLE
International, Paris, 1988. 448 p.
Segui J., La parole et son traitement automatique, CNET/ENST, Masson, « Technique et
scientifique », Paris, 1989, 189 p.
Simon D., Traynard P.-Y., Bourdillon F., Gagnayre R., Grimaldi A., Education
thérapeutique du patient, prévention des maladies chroniques, 2e édition, Elsevier
Masson, Paris, avril 2009, 307 p.
Simon D., Traynard P.-Y., Bourdillon F., Gagnayre R., Grimaldi A., Education
thérapeutique du patient, prévention des maladies chroniques, 3e édition, Elsevier
Masson, Paris, avril 2014. 370 p.
Thaler RH, Sustein CR, Nudge: Improving decisions about health wealth and happiness,
New Haven, Yale University Press, 2008. 293 p.

338
Tinland O., Hegel, Maîtrise et servitude, phénoménologie de l'esprit, B, IV, A, Ellipses,
Paris, 2003. 72 p.

Winkin Y., Anthropologie de la communication, Seuil, Paris, 2001. 384 p.

Articles, publications diverses

Afrite A. et al., « L’asthme en France en 2006 : prévalence et contrôle des symptômes »,


Questions d’économie de la santé, décembre 2008, n° 138, p. 1-8.
Alario F.X., « Aspects sémantiques de l’accès au lexique au cours de la production de
parole », Psychologie française, 46 (1), 2001. Consulté le 10 mai 2011 : http://gsite.univ-
provence.fr/gsite/Local/lpc/dir/alario/papers/2001-Alario-PsyFr.pdf.
Anciaux F., Alin C., Leher M., Mondor R., « L’influence de la langue sur la capacité
d’imagerie du mouvement », Staps, Revue internationale des sciences du sport et de
l’éducation physique, 2003, n° 23, p. 81-94.

Asher M. et al., “Worldwide time trends in the prevalence of symptoms of asthma,


allergic rhinoconjunctivitis, and eczema in childhood: ISAAC Phases One and Three
repeat multicountry cross-sectional surveys”, The Lancet, 2006, Volume 368 (9537), p.
733-743.

Bahadori, K. et al., “Economic burden of asthma: a systematic review”, BMC Pulmonary


Medicine, 2009, volume 9.

Bastide R., « Mémoire collective et sociologie du bricolage », L’année sociologique,


1970, vol. 21, p. 65-108.
Bateman E. et al., “Can guideline-defined asthma control be achieved? The Gaining
Optimal Asthma ControL study”, American Journal Respiratory and Critical Care
Medecine, 2005. Am J Respir Crit Med, 2004, Oct. 15. 170 (8) : 836-44 Epub 2004.

Bentley M., Gavin L., Black M.M., « Infant feeding practices of low-income, African,
American, adolescent mothers an ecological, multigenerational perspective ». Soc. Sci.
Med., octobre 1999. 49(8) p. 1085-100.

Binet C.A., Deviterne D., « Place du traitement cognitif de l'information dans


l'apprentissage moteur », Cahiers Alfred Binet: éducation, psychologie et sciences de
l'enfance, 2001. n° 666, p 49-57.

339
Bourdieu P., « La distinction, critique sociale du jugement », Revue française de
sociologie, 1980, vol. 21, n° 3, p. 439-444.

Bousquet J. et al., « Management of chronic respiratory and allergic diseases in


developing countries. Focus on sub-Saharan Africa », Allergy, avril 2003, n° 58, Issue 4,
p. 265-283.

Caress A. et al., “Involvement in treatment decisions: what do adults with asthma want
and what do they get? Results of a cross sectional survey”, Thorax, 2005. Mar. 60 (3), p.
199-205.

Chemlal S., Cordier F., « Structures conceptuelles, représentation des objets et des
relations entre les objets », Canadian Journal of Experimental Psychology, 2006, V60 (1)
p.7-23.
Chen E., Chim L.S., Strunk R. C., Miller G. E., “The Role of the Social Environment in
Children and Adolescents with Asthma”, American Journal of Respiratory and Critical
Care Medicine, 2007. 176 (7), 0. Chen E., Chim L.S., Strunk R.C., Miller G.E. Traduc.
française : « Le rôle de l'environnement social chez les enfants et les adolescents
souffrant d'asthme », American Journal of Respiratory and Critical Care Medicine
2007. 176 (7): 644-9.

Chouaid C. et al., « Coûts de l'asthme en France : modélisation médico-économique par


un modèle de Markov », Revue des maladies respiratoires, 2004 (483-9).

Chudzinska Y., Analyse de l’ouvrage « Ce que parler veut dire, ou l'économie des
échanges linguistiques » de Bourdieu P., Fayard, Paris, 1982, Persée, octobre 1983 Mots
n°7, p. 155-161.

Chudzińska Y., André M., « Le racisme », in Mots, mars 1984, N°8. Persée, Numéro
spécial. « L'Autre, l'Etranger, présence et exclusion dans le discours », p. 222-224.

Colice G. et al., “Use of inhaled corticosteroids and healthcare costs in mild persistent
asthma”, traduc. française : « Disparités démographiques dans l'utilisation des corticoïdes
inhalés rapportée par le patient chez les patients atteints d'asthme persistant », Journal of
Asthma, 2007, vol. 44, n°6, p. 101-106.

Delbecchi G., Rouleau Favre F., Vescovacci Comede K., « Le Kremlin-Bicêtre,


accompagner les migrands face aux effets du déracinement et de l’exil », Santé de
l’homme, novembre - décembre 2007, n° 392, Dossier 17.

340
De Jongh., Gurol-Urganci I., Vodopivec-Jamsek V., Car J., Atun R. « Messagerie de
téléphone portable pour faciliter l'autogestion des maladies de longue durée », Cochrane
Database Syst Rev, décembre 2012.

Demougin F., « La didactique des langues - cultures à la croisée des


méthodes », Tréma [en ligne], 30, 2008, mis en ligne le 1er novembre 2010, p. 101-111.

Doroszewski W., « Quelques remarques sur les rapports de la sociologie et de la


linguistique : Durkheim et F. de Saussure », Journal de psychologie normale et
pathologique, 1933, n° 1-4, p. 82-91.

Douville O., « Notes sur quelques apports de l’anthropologie dans le champ de la clinique
interculturelle », Evol. Psychiat., 2000, Elsevier SAS. 65, p. 741-761.

Eggleston, P., et al. « L'environnement et l'asthme dans les villes américaines


intérieures », Environmental Health Perspectives, 1999, vol. 107, n° Suppl 3, p. 439.
Fraisse Ph., « Briser les mauvaises nouvelles par le pneumologue : un processus
thérapeutique », Revue des maladies respiratoires, février 2004, N° 1, p. 75-91.

Franco R. et al., “Cost-effectiveness analysis of a state funded programme for control of


severe asthma”, BMC Public Health, 2007, Vol. 7, n° 1, 82, DOI : 10.1186/1471-2458-7-
82.

Gibson P.G., Goughlan J., Wilson A.J., Bauman A., Hensley M.J., Walters E.H., “Self
management education and regular pratictioner review for adults with asthma (Cochran
review)”, The Cochrane Library, Issue 2, Oxford, Update Software, 2001. Chronic
Respiratory Disease, Janvier 2006, vol. 3 pas. 1, p. 29-37.

Gibson P., Powell H., “Written action plans for asthma: an evidence-based review of the
key components”, Traduc. française : « Des plans d'action écrits pour l'asthme : une étude
des données probantes des composantes clés », Thorax, février, 2004, 59 (2) : 94-9.

Girodet P. et al., “Real-life Use of Inhaler Devices for Chronic Obstructive Pulmonary
Disease in Primary Care”, Therapie, 2003. Traduc. française : « L’utilisation de la vie
réelle des dispositifs d’inhalation pour la maladie pulmonaire obstructive chronique dans
les soins primaires », Therapie Nov-Dec 2003, 58 (6), p. 499-504.

Gotin J., Cordeau L., Mounouchy M.-A., Raherison C., “Evaluation of education
program in asthmatic cohort in a French Caribbean island”, EDP Sciences, SETE,
10.2012, 1051/tpe/201201, p. 307-313.

341
Grimaldi A., Service de diabétologie, Hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Paris,
Correspondances en Onco-Théranostic, décembre 2012, n° 4.
Guillaume M., « Comportement média des jeunes de moins de 20 ans, La tablette
s’envole, l’écrit reste », Dossier Ipsos Media CT, 6 février 2014.

Guth S., « De Strasbourg à Chicago : Robert E. Park et l'assimilation des Noirs


américains », Revue des sciences sociales, 2008, n° 40, p. 62-73.

Israël B. et al., “Health education and community empowerment: conceptualising and


measuring perceptions of individual, organizational and community control”, Health
Education Quaterly, Summer 1994, p. 149-170.

Lazarus et al., « Stress et les processus cognitifs », EDK Groupe, EDP Sciences,
perspectives psy, 2005, Vol. 44, p. 411-416.
Lecorps Ph., « Le patient, sujet acteur ou auteur de sa vie ? », Soins Cadres, février 2010,
n° 73, p. 24-26.
Levy M. et al., “International Primary Care Respiratory Group (IPCRG): Diagnosis of
respiratory diseases in primary care”, Primary Care Respiratory Journal, 2006, n° 15, p.
20-34.
Mac-Donald C., « La Fonction symbolique. Essais d'anthropologie réunis par M. Izard et
P. Smith », in L'Homme, tome 20, 1980, n°2, p. 133-136.
Malot L. et al., « Comparaison de l’utilisation des dispositifs d’inhalation par les enfants
asthmatiques en pratique de ville », Archives de pédiatrie, octobre 2007, Vol 14 - N° 10,
p. 1190-1195.
Mervis et Rosch, « Catégorisation d’objets naturels », Annual Review of Psychology,
1981, DOI 10.1146/an-nurev.ps.32.020181.000513.

Meuric, S. et al., « Observance et acceptabilité d’un nouveau débitmètre de pointe


électronique, le PiKo-1 », Revue des maladies respiratoires, décembre 2005,
Vol 22, N° 6, p. 935-941.

Mounouchy M.-A., Cordeau L., Raherison C., « Prévalence de l’asthme et des


symptômes évocateurs chez les adolescents guadeloupéens », Revue des maladies
respiratoires, novembre 2009, Volume 26, numéro 9, p. 944-951.

Nollet-Clemencon C. et al. « Etude clinique des troubles du comportement, des


compétences sociales et de l'estime de soi dans une population d'enfants et d'adolescents

342
asthmatiques », Journal of Affective Disorders, juin 2000, Volume 58, Numéro 3, p. 223-
231.

Oléron P., « Un examen critique des modèles mentaux de Johnson-Laird », L'année


psychologique, 1995, vol. 95, n° 4, p. 693-706.

Ottavi P., « Regard sur le concept de diglossie à l’épreuve du terrain corse », ELLUG,
2011, n° 44, p. 111-121.
Pénard-Morand C. et al., « Long-term exposure to background air pollution related to
respiratory and allergic health in schoolchildren”, Clin. Exp. Allergy, oct. 2005. 35 (10) :
1279-1287.

Panckhurst R., « Short Message Service (SMS) : typologie et problématiques futures », in


Arnavielle T. (coord.), Polyphonies pour Michelle Lanvin, Université Paul-Valéry,
Montpellier 3, 2009, p. 33-52.

Pernon M., Gatignol P., « L’accès au lexique oral chez l’adolescent au collège », Glossa,
n° 110, 2011, (13-25), p. 13- 25.

Piérozak I., « Le français tchaté, un objet à géométrie variable ? » coll. « Langage &
Société », 2003-2004 Dossier n° 104.
Poutout, G., « Réseaux de santé : créer du lien pour donner du sens », Sociologies
pratiques, 2005, n°11.
Prudent L.-F., « Diglossie et interlecte », in Langage, 15e année, Mars 1981, n°61,
« Bilinguisme et diglossie », p. 13-38.
Rabe K.F. et al., “Clinical management of asthma in 1999: the Asthma Insights and
Reality in Europe (AIRE) study”, European Respiratory Journal, 1999, p. 802-807.

Raherison C., « Epidémiologie de l’asthme et de la BPCO en France », Revue des


maladies respiratoires, février 2010, volume 27, numéro 2, p. 108-109.
Reddel H., Marks G., Jenkins C., “When can personal best peak flow be determined for
asthma action plans?”, Thorax, 11 2004, n° 59.
Reddel H., Marks G., Jenkins C. « Quand le meilleur débit de pointe personnelle peut être
déterminé par des plans d'action sur l'asthme ? » Thorax, 2004, 59 (11) : p. 922-924.
Rhee H., Belyea M.J., Hunt J.F., Brasch J., « Effets d'un programme dirigé par les pairs,
autogestion de l'asthme pour les adolescents », Pediatr Adolesc Med Arc. 2011, 165 (6):
513-519.

343
Rhee. H., Wenzel. J., Steeves. Rh., « Expériences psychosociales des adolescents vivant
avec l'asthme : une étude de discussion de groupe », Journal de soins de santé
pédiatriques : publication officielle de l'Association nationale de pédiatrie infirmière
Associés et pratiquants, 2007, 21 (2), p. 99-107.
Sallabéry J.-C., « Coordination des représentations image et des représentations
rationnelles dans la construction du concept d'élément chimique », Didaskalia, oct. 2000,
n°17, p. 101-121.
Sannino N. et al., « L’éducation thérapeutique du patient asthmatique suivi en médecine
de ville vaut-elle le coût ? », ADSP, rubriques études n° 59, juin 2007, p. 9-14.
Segui J., Fraueufelder U., Mehler J., Morton J., « The word frequency affect and lexical
acces », Neuropsychologia, 1982, n° 20 (6), p. 615-627.
Société de pneumologie de langue française, « Intérêt de l’éducation thérapeutique chez
le patient asthmatique », Revue des maladies respiratoires, avril 2002, Vol. 19, Cahier 2,
p. 2S43-2S49.

Sousa SIV et al., “Spirometric tests to assess the prevalence of childhood asthma at
Portuguese rural areas: influence of exposure to high ozone levels”, Environ Int., BMC
Public Health, 2012, n°12: 435, p. 2-5.

Sposato B., Mariotta S., Ricci A., “When should a reversibility test be performed on
patients with early stages of asthma and normal spirometry?” Journal of Asthma, 2008,
45 (6) : 479-83

UNESCO, Koïchiro Matsuura, Directeur général. A l'occasion de la Table ronde sur la


science, la société de l'information et les objectifs du Millénaire pour le développement,
organisée dans le cadre du Sommet mondial sur la société de l'information (SMSI)
Genève, 11 décembre 2003, p. 1-2.
Thi Mai Tran, Trancart M., Servent D., Littéracie, SMS et troubles spécifiques du
langage écrit, Paris, CMLF, 2008. Velsor-Friedrich, Vlasses, Moberly & Coover.
“Talking with teens about asthma magement”, The journal of school Nursing, 2004. 20,
p140-148.

Weinberger M., Abu-Hasan M., “Pseudo-asthma: when cough, wheezing, and dyspnea
are not asthma”, Pediatrics, 2007, Oct. 120(4): p. 855-64.

344
Willems D. et al., “Cost-effectiveness of self-management in asthma: a systematic review
of peak flow monitoring interventions”, International Journal of Technology Assessment
in Health Care, 2006 (4): 436-42.

Rapports, études, dossiers, interventions diverses

“Adherence to long term therapies. Evidence for action”, WHO Library Cataloguing-in-
Publication Data, World Health Organization, 2003.
Anciaux F. et al, « Acte d’introduction au colloque international - Contextualisation
didactique, états des lieux et perspectives », Guadeloupe, CRREF EA-4538, novembre
2011.
Aujoulat I., Doumont D., Deccache A., « Patient Education and Empowerment.A review
of literature”, 10th International Conference on Health Prompting Hospitals. Bratislava,
15-17 mai 2002.
Benoist J., « De la créolisation culturelle », intervention, Crillach, UAG, 14-15 février
2011.

Bronckart J.-P., Shumans M.N., « Les formes de l’intelligence humaine : une approche
interactionniste sociale », L’analyse des pratiques, éducation permanente, Paris 2004, n°
160, p. 159-181.

Com-Ruelle L. et al., « Les déterminants du coût médical de l'asthme en Ile-de-France »,


Credes, 2002, n° 1397, p. 1-118.
Creative Commons by-nc-nd 2.0 - UGTG.org - Auteur ext. : ORSaG. Page 4/7.
« Approche de la pauvreté en Guadeloupe », 2009.
Dab W., DGS, « Présentation du rapport préparatoire du plan QVMC », Paris, décembre
2004.
Delmas M.-C., Fuhman C., « Groupe épidémiologie et recherche clinique de la SPLF »,
Revue des maladies respiratoires, 2010, 27.

Dolovich M. et al., “Device selection and outcomes of aerosol therapy: Evidence-based


guidelines”, American College of Chest Physicians/American College of Asthma, Allergy,
and Immunology, Chest, Jan 2006. 127 (1) : 335-71.

Durand J., Habert B., Laks B. (eds), Congrès mondial de linguistique française, CMLF,
2008, p. 1877-1878.

345
EDP Sciences. Panckhurst R. “Texting in three European languages: does the linguistic
typology differ ?”, Actes du colloque i-Mean 2009, Issues in Meaning in Interaction,
University of the West of England, Bristol, avril 2010.
« Fighting for Breath », Etude européenne initiée par l’EFA, European Federation of
Allergy and Airways Diseases Patients Associations, Asthme & Allergies, mars 2007.

Fuhrman C. et al., « Asthme et BPCO : taux d’hospitalisation et de mortalité dans les


départements d’outre-mer et en France métropolitaine, 2005-2007 », BEH, avril 2011, p.
168-172.

Gina 2008NIH/NHBLI, “Global Initiative for Asthma uptated 2008, from NHBLI/WO
World Report Global Strategy for asthma management and prevention”, Issued, July
2008.
GINA, “Global strategy for asthma management and prevention”, 2006.
GINA, “Global strategy for asthma management and prevention”, 2011.
Global Initiative for asthma (GINA), « Stratégie globale pour la prise en charge et la
prévention de l’asthme », mise à jour 2012.
Giraudet J.-S. et al, Institut de Perfectionnement en communication et éducation médicale,
« L’annonce d’une maladie grave à un patient n’est pas un acte anodin », Synoviale, mai
2006, N° 151, p. 8-13.
Godart P., « Intervention, Etats généraux de l’asthme », Association Asthme, Paris, juin
2007.
Gotin J., Cordeau L., Mounouchy M.-A., Raherison C., “Evaluation of education
program in an asthmatic cohort in a French Caribbean island”, Educ. Ther. Patient/Ther.
Patient Educ. 2012, 4 (2): S307-S313.
Govain R., « Enseignement du créole à l’école en Haïti : Entre pratiques didactiques,
contextes linguistiques et réalité de terrain », colloque international « Contextualisation
didactique, états des lieux et perspectives », Guadeloupe, CRREF EA-4538, novembre
2011.
Haut Conseil de la santé publique (HCSP), Rapport sur l’évaluation du plan pour
l’amélioration de qualité de vie des personnes souffrant de maladies chroniques
2007/2011, rédigé en mars 2013, publié en juillet 2013.
ISAAC 1, « Etude sur la prévalence de l’asthme chez les adolescents guadeloupéens »,
Association Karu Asthme, 2002-2003.

346
ISAAC II Guadeloupe 2008/2009, Ass. Karu Asthme, ISPED, « Prévalence de l'asthme
chez les élèves scolarisés de 10/11 ans ».
Jacquat D., « Education thérapeutique du patient : propositions pour une mise en œuvre
rapide et pérenne », Rapport, juin 2010.
Jaffiol C., Corvol P., Reach C., Basdevant A., Bertin E. : Académie nationale de
médecine (au nom de la commission XI). « L’éducation thérapeutique du patient (ETP),
une pièce maîtresse pour répondre aux nouveaux besoins de la médecine », Rapport du 10
décembre 2013.
Juniper, J. « Evaluation de la qualité de vie de l’enfant asthmatique », Questionnaire
MCSP, MSc, Department of Clinical Epidemiology and Biostatistics, University Medical
Centre, Room 2C10 possible b1200 Main Street West From, Hamilton, Ontario, Canada
L8N 3Z5.
OCDE (2011), Panorama de la santé 2011, Les indicateurs de l'OCDE, Editions OCDE,
30 novembre 2011, ISBN : 9789264126121 (HTML) ; 9789264121898 (print) DOI :
10.1787/health_glance-2011-fr, consulté le 4 octobre 2012.
Saout Ch., « Pour une politique d’éducation thérapeutique du patient », Rapport,
septembre 2008, p. 1-170.
Tran T.M., Trancart M., Servent D., « Littéracie, SMS et troubles spécifiques du langage
écrit », Acte au congrès mondial de linguistique française, 2008.

Thèses, mémoires

Anciaux F., L’enfant, le créole et l’EPS aux Antilles françaises, une approche
pluridisciplinaire du bilinguisme dans les apprentissages moteurs, Thèse de doctorat,
UAG, 2003.
Delors M., Thèse de médecine, 2010.
Gotin J., Mémoire de master II, 2005-2006.
Morand L., Apprendre collaborativement à partir d'animations simples ou multiples,
Thèse de doctorat, Université de Genève, 2009.
Prudent L.-F., Pratiques langagières martiniquaises : genèse et fonctionnement d’un
système créole, Thèse de doctorat d’Etat en sciences du langage, Université de Rouen-
Haute-Normandie, 1993. 3 tomes, 748 p. (polycopié).

347
Singaravélou, Les Indiens de la Guadeloupe, Bordeaux, Thèse de troisième cycle en
géographie, Université de Bordeaux III, 1974. Deniau, 1975.

Circulaires, textes de loi, documents officiels

Arrêté du 31 mai 2013, modifiant l’arrêté du 2 août 2010, relatif aux compétences
requises pour dispenser l’éducation du patient.
Circulaire DHOS/DGS n°2002/215 du 12 avril 2002, relative à l'éducation thérapeutique
au sein des établissements de santé : appel à projets sur l'asthme, le diabète et les
maladies cardiovasculaires.
Circulaire DHOS/DGS n°2002/215 du 12 avril 2002 relative à l'éducation thérapeutique
au sein des établissements de santé : appel à projets sur l'asthme, le diabète et les
maladies cardiovasculaires.
Décret n° 2013-449 du 31 mai 2013 relatif aux compétences requises pour dispenser ou
coordonner l’éducation du patient.
INPES, « Référentiel de compétences pour dispenser l’éducation thérapeutique du patient
dans le cadre d’un programme », juin 2013. Document complémentaire à l’annexe n°1 de
l’arrêté du 31 mai 2013 relatif aux compétences requises pour dispenser ou coordonner
l’éducation thérapeutique du patient.
Loi n° 93-8 du 4 janvier 1993, art. L. 4134-1 à L. 4134.
Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système
de santé.
Loi n°2009-879 du 21 juillet 2009, portant réforme de l’hôpital, relative aux patients, à la
santé et aux territoires.
Plan pour l’amélioration de la qualité de vie des personnes souffrant de maladies
chroniques 2007/2011, htpp//www.sante.gouv.fr MG pdf Plan 2007-2011.
Recommandations HAS/INPES: ETP 2007.

Diffusions
Reportage sur le lycée climatique et sportif de Font-Romeu (Pyrénées-Orientales),
Marjolaine BILLEBAULT, juin 2011.

348
Sites Internet consultés

http://www.asthmaction.com/enfant, consulté le 13/12/2011.


www.meteofrance.com, consulté le 13/12/2011.
www.insee.fr, consulté le 11/01/2012.
www.ginasthma.org.
http://www.potomitan.info/ travaux/ créolisation.php.
http://www.revues.org, consulté le 7 septembre 2013.
http://www.lhins.on.ca/, consulté le 15/12/2013.
http://trema.revues.org/427, consulté le 3 juin 2014.
http://hdl.handle.net/2042/23895.
http://www.cr-guadeloupe.fr/archipel/, consultation 10 janvier 2012.
www. indereunion. net/IREV/ /koulia2.html.
www.touscreoles.fr, consulté le 16 janv. 2012.
http://www.potomitan.info/ Consulté le 19 février 2012
http://www.cetaf.asso.fr/ Protocoles / precarite / Epices Sas s_I.pd.
http://www.oecd-ilibrary.org/social-issues-migration-health/panorama-de-la-sante-
2011_health_glance-2011-fr, consulté le 4 octobre 2012.
http://www.poumon.ca/diseases-maladies/asthma-asthme/allergies-allergies/index_f.php,
consulté le 24 mars 2013.
www.impes.fr, consulté le 15/12/2013.
http://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0222961707000025, consulté le 24
mars 2013.
http://faq-formadoct.ueb.eu/a.php?qid=6819, consulté le 11 septembre 2014.
http://www.sciencedirect.com/science/journal/02229617, septembre 2014.
http://www.carrierologie.uqam.ca/volume09_3-
4/12_brunelmartiny/12_brunelmartiny.pdf, septembre 2014.
http://www.vidal.fr/Medicament/ventoline-17381.htm#GcUW7ezeG9lALXC0.99,
consulté en septembre 2014.
Site Web GINA, consulté en mars 2011, mai 2012, août 2013, septembre 2014.
http://www.ag50pasguadeloupe.fr/Guadeloupe_Littoral_patrimoine.html, consulté le 28
septembre 2014.

349
LISTE DES TABLEAUX ET FIGURES

LISTE DES FIGURES

Situation géographique de la Guadeloupe.


Carte de la Guadeloupe à l’échelle 1 : 128000, représentant la Grande-Terre et la Basse-
Terre, les dépendances administratives, les principaux axes routiers, les limites
administratives et le relief de l’île. Géoportail, 2011.
Densité de population en hab. /km² selon les zones administratives. Carte réalisée avec
les données de l’INSEE pour l’année 2007.
Décret d’abolition du 4 février 1794.
Loi du 20 mai 1802, proclamant le retour à l’état antérieur à 1789, relative à la traite des
Noirs et aux régimes des colonies, source G. Debien, Les Esclaves aux Antilles françaises
aux XVIIe et XVIIIe siècles (Basse-Terre, Soc. d'hist. de Guadeloupe, Fort-de-France,
Soc. d'hist. de Martinique, 1974).
Décret d’abolition du 4 mars 1848. Source Les Esclaves aux Antilles françaises aux
XVIIe et XVIIIe siècles (Basse-Terre, Soc. d'hist. de Guadeloupe, Fort-de-France, Soc.
d'hist. de Martinique, 1974).
Modèle de réflexe conditionné de Pavlov appliqué en ETP, inspiré de Golay, Lagger et
Giordan (2010).
Schématisation de l’expression du patient dans le cadre de l’exploitation du conflit
cognitif, d’après le modèle piagétien décrit par d’Ivernois (2008).
Courbes de températures et d’humidité relative en journée et corrélation en termes
d’ascension et de stabilisation.
Courbes identiques en soirée en termes de variation.
Les quatre étapes de la démarche en ETP selon d’Ivernois et Gagnayre (2008).
Les axes de la communication, l’évaluation de la relation soignant-patient.
Balance décisionnelle, inspirée de Janis et Mann (1977).
Les stades du changement de comportement, inspiré de Prochaska et Di Clémente (1992).
Organisation du Réseau Asthme de Guadeloupe.
Schéma de la prise en charge holistique du patient asthmatique au sein du réseau asthme
de Guadeloupe. Selon le processus constructiviste, Lagger.

350
Les étapes de la prise en charge en ETP pour l’asthme au sein de l’école de l’asthme de
Guadeloupe.
Schéma de l’organisation du contrat éducatif selon le processus constructiviste, inspiré de
Golay, Lagger et Giordan (2010).
Schéma de l’obstruction bronchique pour le patient visuel utilisé en ETP suscitant
l’expression émotionnelle (origine : Alliance Médicale).
Modèle de plan d’action personnalisé écrit, remis au patient après satisfaction à
l’évaluation sommative en ATP à l’école de l’asthme de Guadeloupe.
Flow chart.
Différents stades de sévérité de l’asthme chez les patients pris en charge au sein de
l’étude, selon les critères GINA 2008.
Evaluation, avant et après éducation, des indicateurs de gestion de la maladie par le
patient (N=1007).
Facteurs aggravant les crises de sifflement selon les enfants enquêtés, proportion des
réponses positives parmi ceux qui ont présenté des crises de sifflements au cours des 12
mois précédant l’enquête.
Taux de prévalence des patients régulièrement traités par anti-asthmatiques en France en
2007, chez les patients de 5 à 44 ans. Source assurance maladie.
Prévalence de l’asthme cumulative de 1998 à 2006, source IRDES, données enquête
ESPS (2006).
Modèle de courbe de débit expiratoire de pointe chez un patient asthmatique, notion de
variation entre le matin et le soir. Inspiré de EMC Pneumologie.
Modèle de courbe débit-volume comparative : sujet normal versus sujet asthmatique et
mention du volume maximal expiratoire seconde (VEMS).
Les modèles de débitmètre de pointe les plus courants du marché.
Débitmètre de pointe (Clément Klarck), modèle étalon utilisé à l’école de l’asthme de
Guadeloupe.
Spiromètre Piko1.
Classification et type de traitement, à la demande et de fond, d’intensité croissante en
relation avec le niveau de contrôle de l’asthme, source GINA (2008).
A-B-C, Mnémotechniques du groupe français sur la connaissance de la maladie, la
mesure du souffle et la technique d’inhalation, la gestion de la crise, collège Issap de
Sainte-Anne, novembre 2013.

351
A-B-C, Mnémotechniques du groupe créole traitant de la connaissance de la maladie, de
la mesure du souffle et de la maîtrise des techniques d’inhalation, de la gestion de la
crise. Collège Issap de Guadeloupe.
Evaluation comparative des différents critères dans les deux groupes après ETP, collège
Issap de Sainte-Anne.
Environnement didactique favorisant l’acte d’apprendre en contexte bilingue, inspiré de
Giordan (1998).

LISTE DES TABLEAUX

Niveau de preuve et grades des recommandations, fournis par la littérature scientifique ;


source : ANAES, juin 2001. SPLF, Revue des maladies respiratoires, vol. 19, avril 2002,
Cahier 2, Masson, p. 2S9.
Les dimensions de la qualité de vie, inspirées de Leplège, Rejesky, Mibalko (2001).
Liste des échelles validées en français pour mesurer la qualité de vie.
Les différents stades d’acceptation de la maladie par le patient et quelques
recommandations aux soignants, inspirés de Lacroix, Golay et Assal (1993). Lacroix et
Assal (2003).
Grille de mesure de l’efficacité du patient dans le processus éducatif.
(Healt belief model). Modèle de croyances de santé selon Rosenstock.
Evaluation des indicateurs de morbidité, avant et 12 mois après éducation.
Contrôle de l’asthme des patients éduqués et des patients perdus de vue ayant accepté de
répondre après 12 mois.
Evaluation des indicateurs de morbidité avant inclusion dans le programme et 12 mois
après, chez les patients perdus de vue (N=138).
Fréquence des sifflements et de l’asthme au cours des 12 derniers mois précédant
l’enquête.
Comparaison des principaux symptômes asthmatiques relevés lors des enquêtes ISAAC
réalisées en France métropolitaine et en Guadeloupe.
Répartition des 1 713 enfants selon les caractéristiques médicales, étude ISAAC II,
Guadeloupe 2008-2009.

352
Moyenne écart-type et étendue des concentrations moyennes de proximité (intérieur et
extérieur) de NO2 et de O3, et des concentrations moyennes de fond d’O3, NO2, PM10 et
SO2 (N=30 écoles).
Tableau de sévérité de l’asthme bronchique, classification selon l’examen clinique avant
traitement selon le Global Initiative for Asthma (GINA), source www.ginasthma.org.
Les niveaux de contrôle de l’asthme bronchique.
Items du questionnaire enquête médecins libéraux de Guadeloupe.
Caractéristiques des 59 médecins libéraux de Guadeloupe et leur point de vue sur les
recommandations dans l’asthme, novembre 2012-février 2013.
Déterminants de l’application des recommandations dans l’asthme, chez 59 médecins
libéraux de Guadeloupe (novembre 2012-février 2013).
Suggestions faites par les médecins enquêtés pour l’amélioration de ces
recommandations.
Pertinence de l’ETP dans l’asthme, adressage et suggestions pour l’amélioration du
service.
Déterminants de l’application des recommandations dans l’asthme selon 59 médecins
libéraux de Guadeloupe, 2012-2013. N (%) ou moyenne ± Sd.
Liaison entre l'usage du créole en consultation et les principales caractéristiques étudiées
chez 59 médecins libéraux de la Guadeloupe (novembre 2012- janvier 2013) : N =59.
Usage du créole en consultation chez 42 médecins libéraux bilingues de la Guadeloupe
(novembre 2012 - janvier 2013) : N = 42.
Déterminants de l’application des recommandations concernant l’asthme bronchique chez
59 médecins de Guadeloupe, 2012-2013.
Liste de mots proposés à interprétation par les adolescents asthmatiques ayant participé à
l’étude. Collège ISSAP de Sainte-Anne, Guadeloupe.
Liste de mots ayant partagé les élèves par leur interprétation créolophone.
Constitution du groupe créole, N= 29.
Constitution du groupe français, N= 30.
Traduction littérale de la séance créole, échanges entre le groupe, les individus et les
encadrants, collège ISSAP de Sainte-Anne, Guadeloupe.
Liste de solécismes utilisés par certains parents à l’attention de leurs enfants à la maison,
rapportés par certains élèves.

353
A-B-C : Caractéristiques et variables de la population étudiée et comparaison des deux
groupes d’adolescents asthmatiques avant ETP, collège ISSAP de Sainte-Anne,
Guadeloupe.
A-B-C : Comparaison de deux groupes en fonction des principaux critères d'évaluation
après ETP.
A-B-C : Comparaison de deux groupes en fonction des principaux critères d'évaluation
après ETP.

354
INDEX DES AUTEURS

A
Abric 190, 197
Adriansen 85,233
Ajoulat 92
Al Faraj-Tomeh 227
Albano 78, 84
Alin 13, 182, 202
Alleyne 179
Alvin & Marcelli 16
Amalberti, Montmollin et Theureau 223, 252
Anciaux 11, 13, 14, 181, 182, 202, 232, 234, 234
Anciaux et Delcroix 13
Anciaux, Alin, Leher et Mondor 12
Antoine 12
Ascombe 193
Assal 73, 78, 85, 88, 89, 90, 96
Aub-Buscher 178
Aujoulat 233

B
Baddeley 229, 230
Barbel Inhelder 301
Bastide 166, 174, 197
Bébel-Gisler 12, 180, 182, 186, 224
Béguin 236
Bélaise 193, 198
Benoist 169, 170, 173, 174, 175, 185
Bentley 94
Berg-Smith 97
Berman 242, 243
Bernabé 12, 22, 43, 44, 168, 170, 174, 175, 179, 180, 181, 276
Binet 228
Bonin 242
Bourdieu 183, 185, 188, 194, 196, 225, 293
Braconnier, Marcelli 242
Brossat et Maragnes 182
Brown, Ash, Rutherford, Nakagawa, Gordon & Campione 256
Burck 97
Burke 91
Byrnes 242

C
Carl Rogers 88, 97
Cavazza 226, 227, 228, 229
Chamoiseau 168, 169, 181
Chantal Raherison-Semjen 1, 22, 129, 130

355
Charlier 190
Chaudenson 12, 178, 179, 180, 181, 184
Chevry-Ezelin 13
Clairis-Gauthier 181
Clairis-Gauthiers 200
Cole 221
Confiant 12, 168, 169, 181
Couriel 16, 17
Curtin 166

D
d’Ivernois et Gagnayre 86, 87, 104
d’Ivernois et R. Gagnayre 104
de Villanova et Vermes 12
Debien 38, 167
Deblic 232
Delaronde 91
Demont 232, 233, 237
Denis 13, 227, 229, 307
Denis et De Vega 227
Dockrell, Messer 242
Doise, 76, 94
Dolorio 97
Doroszewski 187, 188
Dorville 12, 201
Douville 13
Dreyfus 235, 251
Dubois 240, 242
Ducharme et Fraisse 109
Durand 222, 226, 235, 236, 249, 251, 306
Durizot-Jno-Baptiste 13, 156, 181, 200
Durkheim 187, 188, 193, 195, 315
Duroux 183

E
Edward Twitchell Hall 160
Ehrlich 228, 229
Eisner 183
Elisabeth Kluber-Ross 85

F
Fauquenoy St-Jacques 12, 181, 185
Favre 76, 114
Ferguson 12, 179
Fioux et Marimatou 184
Fossati 72, 87
Fourez 86
Freud 89, 105
Freyre 173, 174

356
G
Gache 97
Galison 291
Garfinkel 220
Garneau 108
Gauvin 13, 156, 181
Giedd 241
Giordan 72, 91, 94, 95, 97, 99, 107, 296, 297, 298, 302
Giraud, Gani et Manesse 13
Glissant 11, 168, 192
Golay 72, 87, 90, 95, 97, 99, 107, 114, 298
Gombert 242
Goodman 177
Granboulan 242
Grossmann 241
Groux 1, 4, 11, 222, 288, 290

H
Hamers et Blanc 12
Hazaël Massieux 179
Hazaël-Massieux 12
Herskovits 162, 163, 164, 167, 174
Holman 77
Houdebine-Gravaux 184
Huang 91
Huxley et Maudsley 188

I
Israël 92, 93

J
J.W. Brehm 98
Jaakkola 183
Jackson 91
Janis et Mann 98
Janssen 93, 197, 198
Jodelet 189, 196
John Dewey 160
Johnson-Laird 226
Johnston et coll 97

K
Kirsh 221
Kluber-Ross 89, 96, 105
Kluckhohn 160
Kövecsses 198

357
L
Labelle-Robillard 12, 185
Lacan 46, 183, 184, 185, 186, 296
Lacroix 84, 89, 90, 96
Lagger 72, 95, 97, 99, 107, 298
Lamouroux, A., Magnan, A., Vervloet 183
Lasserre 72, 88
Lazarus et Folkman 18
Lecocq 232
Lehrer 97
Léontiev 221
Leplat 222, 235, 251
Letang 168
Lévi-Strauss 165, 193
Lisson 91
Ludwing 92

M
Mabbott 241
Malinoski 162
Maquet 160
March 12, 185
Maritta 183
Massina 12, 184
Mc Cambridge et Strang 97
Michelot 231
Migerel 85, 125, 126, 161, 197, 316
Miller 87, 92, 96, 97, 98, 122
Miller, Gallanter, Pribram 221
Mintz et E. Wolf 165
Moley-Massol 85
Monti 97
Montmollin 222, 251
Montmoullin 235
Morand 140, 227
Morin 289, 292
Moscovici 190, 195
Moutet 95, 176
Mugny 76

N
Nathan 94
Nippold 241, 242
Noonan et Moyers 97
Norman 251, 253

O
Ombredane et Faverge 222, 235, 251

358
Ottavi 180

P
Paivio 13, 15, 74, 103, 109, 227, 229
Park 162
Pasquier 306
Paulhan & al 18
Perret-Clemont et Gilly 76
Petersen 91
Piaget 73, 75, 299, 300
Pinski 235, 236
Porcher 11, 222, 288, 290
Poullet 168
Poullet et Telchid 238
Prochaska et C.C. Di Clemente 97
Prudent 12, 42, 44, 177, 178, 180, 224, 275, 290
Puren 291, 292

R
Rachmani 91
Reach 92, 310, 311
Rohsenow 92
Rollnick 92, 96, 98
Romani 12
Rondal 242
Rosch 242
Rosen 97
Rosenstock 93, 95
Roter 88
Rouzel 183, 184, 185, 186
Ruszniwski 85

S
Segui 226, 229, 240
Sharp 91
Shaw 241
Skinner 71, 87
Smith 97, 164, 173, 194
Smith & Thelem 253
Smith et Gregory 97
Sommer 72, 87, 97, 114
Strömberg 91
Suchman 221, 236, 251
Sylvain 178

T
Theureau 222, 235, 236
Thibault 12
Thomas 177
359
V
Varela 235, 236, 239, 240, 301
Vasseur 13, 156, 181
Vintila-Radulescu 178
Vygotski 220, 221

W
Walker-Sterling 91
Wallston 90
Whitford 241

360
INDEX DES NOTIONS

A
AAH, 39
ADF, 302
Aérosol-doseur : Dispositif de délivrance du médicament, 18, 170, 171, 203,
AIRAQ, 138
AIRE, 118,
ALD, 55
ANAES, 53 58, 134, 144, 225,
API, 39
ARH : Agence Régionale de l'Hospitalisation, 50
ARS : Agence Régionale de Santé, 50, 56, 74, 75, 133
Asthme : maladie inflammatoire chronique des voies respiratoires, 7, 8, 15, 16, 17, 18,
19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 27, 29, 35, 36, 41, 45, 52, 53, 54, 56, 57, 58, 61, 63, 65, 66, 67,
68, 73, 76, 77, 80, 83, 84, 86, 87, 88, 89, 92, 105, 108, 109, 110, 111, 112, 115, 123, 125,
126, 127, 128, 129, 130, 131, 132, 133, 134, 135, 137, 138, 140, 141, 142, 143, 144, 145,
146, 147, 148, 149, 150, 151, 152, 155, 156, 157, 158, 159, 160, 161, 162, 164, 165, 166,
167, 168, 223, 224
Asthme allergique, 21
Atopique : Prédisposition génétique au développement cumulé d'allergies courantes,
52, 152
Autogestion: capacité de modulation du traitement par le patient, 15, 174

B
BEH : Bulletin d'épidémiologie hebdomadaire, 24, 146, 224,
BOA, 255, 296, 308,
Boukan : Brulis domestiques, 82, 268, 290,

C
CEP, 152
Chambre d’inhalation: Appareil facilitant la prise du traitement, 152, 171, 173
CMEI, 78 85, 86, 87, 88, 90
CMU, 40, 44, 135
CMU-C, 40
CNAMTS, 54
Colloque singulier : relation bilatérale et protégée, en confiance, du médecin et de son
patient 15
COM : Collectivités d'outre-mer, 29
COMEDE, 224
Contrôle de l’asthme, 129, 172, 173, 174
Coping, 18, 122, 140
CPAM, 40
Créolisation, 166, 182, 187, 188, 192, 193, 194, 195, 217

361
Créolisé : mélange des codes français-créole, 274
Créolité, 167
CSP, 54, 237
CVF, 144

D
DEP, 76, 119, 123, 126, 127, 130, 133, 162, 163, 165, 226
DGS, 53, 58, 61
Diagnostic éducatif : Première étape de la démarche éducative, 82, 93, 103, 113, 114 116,
117, 120, 131,
DNDR, 51 54
DOM, 41, 187, 194, 224
DPLSH : Département Pluridisciplinaire de Lettres, Langues et Sciences Humaines, 260
DRDR, 51, 54

E
E 2: éducateur n°2, 269,
E1: éducateur n°1, 269, 283, 284, 285, 286, 287, 288, 289, 291, 293, 294, 295, 296
Ecole de l’asthme : Centre éducatif pour patients asthmatiques, 5, 17, 32, 55, 99, 109,
110, 111, 113, 114, 116, 117, 120, 126, 127, 128, 130, 131, 133, 134, 138, 140, 257, 271,
320
EES, 65
EFA, 60,
EFR, 53, 163, 226
EM, 95
EPICES, 41
EPS, 13, 299, 222, 255
ESPS, 140
ETP, 14, 20, 22, 23, 28, 29, 45, 50, 51, 52, 55, 74, 75, 77, 78, 79, 81, 82, 83, 84, 85, 86,
92, 94, 95, 100, 102, 103, 106, 111, 120, 121, 122, 124, 127, 128, 130, 131, 132, 133,
134, 174, 175, 203, 225, 226, 227, 232, 233, 235, 237, 238, 252, 256, 259, 270, 271, 277,
278, 279, 305, 307, 308, 309, 310, 311, 314, 320, 321, 322

F
FAQSV, 50, 59, 60
Feuille de souffle ou asthmazone, 112, 124, 125
FEV, 144
FIQCS, 51
FIR, 51

G
GINA, 119, 162, 163, 164, 166, 172, 174, 226
Gwad’air : Association guadeloupéenne de surveillance de la qualité de l'air, 139, 156

H
HAS, 47, 71, 74, 75, 77, 84, 134, 144, 145
HCSP, 64, 72
Health belief model : Modèle des valeurs de la santé, 93

362
HIMSS, 302
HPST, 20, 46, 73, 74, 133, 134
HRB, 129

I
I.G.S. = R.O.V, 256
IMC : Indice de masse corporelle, 138
INPES, 120
IPS, 150
IPVD, 150
IPVDI, 150
IRDES, 149, 158, 168, 202, 223
ISAAC, 22, 35, 110, 134, 146, 147, 148, 150, 151, 152, 154, 155, 160, 224, 253

K
Ka, 158,
Kô krazé : Signes cliniques de dépression, 315

L
Indice ATMO : Indice de la qualité de l'air, 139,156
LGT, 260
Locus of control : lieu de contrôle de la maladie, 89, 122, 140
Lopwésion, 20, 35, 143, 178, 211, 216, 284, 290, 323, 324
LVR, 12

M
Mnémotechnique : méthodes permettant de mémoriser par association d'idées, 27, 74

N
NTIC, 302

O
Objectifs de sécurité, 106
Objectifs spécifiques, 107
Observance : façon dont un patient suit ou ne suit pas son traitement, 24, 27, 50, 69, 87,
93, 103, 113, 116, 122, 125, 132, 133, 138, 139, 161, 172, 174, 203, 223, 246, 253, 254,
256
OCDE, 66
OMS, 21, 50, 55, 59, 62, 66, 68, 72, 76, 94, 114, 122, 143, 159, 160, 223
ONU : Organisation des Nations Unies, 66
ORSAG : Observatoire Régional de la Santé, 39, 130

P
PAI, 78, 236
Peak Flow : débitmètre de pointe, 111, 123, 254
Plan A : plan d'action 1er niveau, 111, 125, 126, 129, 279, 298
363
Plan B : plan d'action 2e niveau, 111, 125, 126, 129, 279, 298
Plan C : plan d'action 3e niveau, 113
PMI, 53
Pneumologue : médecin spécialiste des maladies respiratoires, 99, 161
PNL, 92
Prévalence : pourcentage de cas relevé sur une période dans une population, 19, 24, 25,
27, 30, 35, 36, 56, 66, 110, 134, 146, 147, 148, 152, 155, 156, 157, 158, 160, 223, 224,
240, 253

Q
QCEG, 236

R
RMI, 39,
RPC, 216
RSO, 39

S
SEGPA, 233
SETE, 120,
SFMG, 201
SMS, 74, 248
SPLF, 129 145, 223

U
ULIS, 233
UNESCO : United Nations Educational, Scientific and Cultural Organization, institution
spécialisée de l'Organisation des Nations Unies,, 223
URPSMLG, 203

V
VEMS,111, 130, 133, 144
VIB, 255
VIS, 255

364

Vous aimerez peut-être aussi