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24 octobre 2018

En Béarn, des montagnes sans ourses, de la désespérance à l’espoir !


Dans le Haut-Béarn (Pyrénées-Atlantiques), l’opposition farouche d’éleveurs et d’élus locaux a bien
failli avoir la peau de l’ours, faute d’une réelle volonté politique de l’État de pérenniser la présence
historique de l’ours et d’engager enfin sa sauvegarde. Il s’en est vraiment fallu de peu pour que "lou
pedescaous" ("le va-nu-pieds") ne tire définitivement sa révérence en ces (ou ses) montagnes pour
crever dans l’indifférence quasi-générale.

En vallées d’Aspe et d’Ossau, l’ours brun fait partie intégrante du patrimoine naturel et culturel,
là où la toponymie fait souvent référence à l’ours,
là où l’ours et le berger fromager en estive ont toujours cohabité,
là où les troupeaux d’ovins sont gardés et protégés,
là où des mesures d’accompagnement favorisant la cohabitation sont mises en œuvre,
là où le fromage fermier d’estive (à l’empreinte de l’ours) « Pé Descaous » est produit,
là où les habitats naturels sont favorables à la présence du plantigrade,
là où des mesures d’interdiction de la chasse en battue sur des zones vitales de l’ours sont désormais
mises en place afin de garantir la tranquillité de cette espèce protégée,
là où les derniers ours mâles ne pouvaient se reproduire en l’absence de toute femelle.

Un rappel concis ne semble pas superflu sur les faits marquants des 14 dernières années où ces
vallées béarnaises n’accueillaient plus aucune ourse et où les 2 derniers mâles ont erré durant ces
longues années dans les Pyrénées occidentales désespérément en quête d’une femelle introuvable !

Le lundi 1er novembre 2004, l’ourse « Canelle » – baptisée ainsi par Jean-Jacques CAMARRA en
référence à son pelage blond –, dernière femelle de souche pyrénéenne, accompagnée d’un ourson
de l’année, est abattue par un chasseur lors d’une battue aux sangliers en haute vallée d’Aspe, à
Urdos, au-dessus des gorges d’Enfer. Sa dépouille est évacuée par hélitreuillage (!) afin d’être
autopsiée et quitte à jamais ces (ou ses) montagnes béarnaises. Son petit, « Cannellito », survit et
s’installera par la suite dans les vallées bigourdanes situées plus à l’est.

Ce jour de Toussaint, la veille de la fête des défunts, un coup de fusil condamne le "noyau" relictuel
de population d’ours brun dans les Pyrénées occidentales, uniquement des mâles, dont les ultimes
porteurs du patrimoine génétique de la lignée immémoriale pyrénéenne, vouée à une extinction
inéluctable sans renforcement – un ours d’origine slovène, « Néré » ("le noir" en aranais), né en
1997 dans les Pyrénées centrales, s’y est installé en 2001, qui est le père de « Cannellito ». Il reste 4
ours mâles – le vieil ours emblématique béarnais, baptisé « Papillon », qui avait longtemps
fréquenté les vallées d’Aspe et d’Ossau, a été retrouvé mort (de vieillesse) le 25 juillet 2004 dans la
vallée de Luz-Saint-Sauveur (Hautes-Pyrénées), où il s’était installé depuis 2001 (considéré alors
comme "ours à problème" par les éleveurs du pays Toy dont les troupeaux d’ovins ne sont ni gardés
ni protégés, l’autopsie révélera la présence de plombs de chasse – anciens – dans son corps !).

La disparition tragique de la dernière ourse autochtone, qui symbolisait la survie de l’ours des
Pyrénées, suscite une vague d’émotion jusqu’au plus haut sommet de l’État. Le ministre de
l’Écologie Serge LEPELTIER déclare que « c’est une catastrophe écologique, un événement d’une
extrême gravité en matière de protection de la nature » et le Président de la République Jacques
CHIRAC déplore en Conseil des ministres « une grande perte pour la biodiversité en France et en
Europe ».

Par ailleurs, en vallée d’Aspe, le 4 novembre 2004 à Etsaut, une manifestation spontanée réunit 150
habitants de la vallée, puis le 6 novembre 2004 à Accous, un rassemblement organisé par un
Collectif Ourse mobilise entre 250 et 300 personnes, la plupart de cette vallée, témoignent de

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l’acceptation locale de l’ours et de l’attachement à l’ours. Et ce 6 novembre devant le Panthéon à


Paris, lors de la manifestation à l’appel d’un collectif d’associations en faveur de la biodiversité, de
l’ours, du loup et du lynx en France, l’ourse « Canelle » est enterrée symboliquement.

Le 28 novembre 2004 à Oloron-Sainte-Marie (Pyrénées-Atlantiques), à l’initiative de 3


associations : la SEPANSO Béarn, le FIEP - Groupe Ours Pyrénées et Pays de l’Ours-Adet, une
« Marche pour l’Ours », « Non à l’extinction programmée de l’ours dans les Pyrénées ! », organisée
avec le soutien des associations membres de la Coordination associative pyrénéenne pour l’Ours
(CAP Ours), rassemble près de 2 000 personnes.

Le 13 janvier 2005, Serge LEPELTIER annonce « [la réintroduction de] cinq ours, et plutôt des
femelles, à l’automne prochain », dont 2 en Béarn. Puis le 25 septembre 2005, aux « Automnales du
Pays de l’Ours » à Arbas (Haute-Garonne), la ministre Nelly OLIN, qui lui a succédé, confirme « la
réintroduction de cinq ours l’an prochain », dont 2 femelles dans le Béarn.

Tout d’abord, un premier acte manqué au printemps 2006, du fait de l’opposition de l’Institution
Patrimoniale du Haut-Béarn (IPHB), présidée par Jean LASSALLE, en charge de la mise en œuvre
de « la charte de développement durable des vallées béarnaises [d’Ossau, d’Aspe et de Barétous] et
de protection de l’ours » – signée le 31 janvier 1994 –, aucune ourse ne sera finalement lâchée en
Béarn (quid du respect du « contrat d’honneur et de confiance » ?). Et ce, sans tenir compte des
prises de position du maire d’Accous, Jean-Pierre CAZAUX, et du maire d’Etsaut, Marcel
MINVIELLE, en faveur d’un lâcher d’ourse(s) sur le territoire de leur commune respective.
Toutefois, dans le cadre du Plan de restauration et de conservation de l’Ours brun dans les Pyrénées
françaises 2006-2009 (présenté par Nelly OLIN le 13 mars 2006), une – vieille – ourse slovène,
« Françka », sera lâchée le 28 avril 2006 à Bagnères-de-Bigorre (Hautes-Pyrénées), à l’est du Béarn
(en espérant qu’elle s’installe plus à l’ouest), avant d’être finalement tuée accidentellement à la
suite d’une collision avec un véhicule en traversant la 2x2 voies entre Lourdes et Argelès-Gazost
(Hautes-Pyrénées) le 9 août 2007 (considérée comme "ourse à problème" par les éleveurs locaux
dont les troupeaux d’ovins ne sont ni gardés ni protégés, l’autopsie révélera la présence de plombs
de chasse – récents – dans son corps !). Il reste 3 ours mâles – le vieil ours autochtone « Camille »,
qui fréquentait le revers espagnol des vallées béarnaises, s’est éteint dans l’indifférence générale.

Le 3 juin 2006 à Toulouse (Haute-Garonne), à l’appel de la Coordination associative pyrénéenne


pour l’Ours (CAP Ours) et des maires d’Arbas, de Bagnères-de-Bigorre, de Burgalays et de
(Bagnères-de-)Luchon, un « Rassemblement de soutien [pour l’ours] », « Les Pyrénées avec
l’Ours ! », initialement prévu à Luchon (Haute-Garonne), mobilise près de 1 200 personnes, dont
l’ex ministre Serge LEPELTIER.

Ensuite, un second acte (encore) manqué le 1er juin 2011, sur décision du Président de la
République Nicolas SARKOZY, la ministre de l’Écologie Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET
renonce à respecter l’engagement pris par la secrétaire d’État Chantal JOUANNO, le 26 juillet 2010
lors du Comité de massif des Pyrénées à Toulouse, de lâcher une – seule – ourse (en remplacement
de l’ourse « Françka ») au printemps 2011, au prétexte « [des] difficultés rencontrées par les
éleveurs du fait de la sécheresse persistante » (sic) – la sécheresse qui n’avait pourtant touché
aucune vallée béarnaise ! Il reste 2 ours mâles – l’ours autochtone « Aspe-Ouest », probablement né
en 1998, qui était atteint depuis 2006 d’une pelade sur son arrière-train (le "cul pelé"), disparaît en
2010.

En outre, un troisième (non) acte, lors d’un déplacement à Cauterets (Hautes-Pyrénées) le 19 juillet
2014, à l’occasion d’un lâcher de trois bouquetins ibériques, la ministre de l’Écologie Ségolène
ROYAL refuse « [toute] réintroduction qui menace le pastoralisme » !

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Le 1er juillet 2016 à Toulouse, dans le cadre du volet Ours brun de la Stratégie pyrénéenne de
valorisation de la biodiversité (SPVB), le Comité de massif des Pyrénées approuve à 50 % des voix
« un renforcement minimum du noyau occidental d’ours des Pyrénées » avec un lâcher d’une ou
deux femelles en Béarn. Et dans une lettre du 15 septembre 2016 au préfet coordonnateur du massif
des Pyrénées, Ségolène ROYAL envisage « l’introduction d’une ourse sur le noyau occidental » !?

Enfin, un quatrième acte réalisé à l’automne 2018, dans le cadre du Plan national d’actions Ours
brun 2018-2028, finalisé sous l’impulsion du ministre d’État Nicolas HULOT et mis en œuvre par
son successeur François de RUGY. Le 4 octobre 2018, une première ourse slovène, « Claverina »
("l’héritière" ou "celle qui détient les clés"), est lâchée en vallée d’Aspe, puis le 5 octobre 2018, une
seconde ourse également slovène, « Sorita » ("la petite sœur"), est lâchée en vallée d’Ossau. Et ce,
par hélitreuillage (!), une première par voie aérienne afin de contourner les barrages sur les routes
en vallées d’Aspe et d’Ossau dressés par des opposants à l’ours, dont certains munis de fusils de
chasse ! Soulignons que ces lâchers ont été préparés avec un grand professionnalisme par les
équipes de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS).

Quelle émotion en regardant les images de la première ourse « Claverina » fouler le sol béarnais, un
moment magique, un rêve qui devient réalité ! Et comment pouvait-on envisager ces montagnes
béarnaises sans ours ?

Souhaitons la bienvenue à « Claverina » et « Sorita » ! Au vu de leur corpulence respective, ces 2


– jeunes – ourses potentiellement gravides paraissent en pleine forme et, qui plus est, les glands et
les faînes sont relativement abondants cet automne. Toutes les conditions sont réunies pour que ces
femelles (r)entrent dans leur tanière – appelée localement "tute" –, courant novembre, avec des
réserves de graisse suffisantes laissant espérer une mise bas au cours de cet hiver, croisons les
doigts ! A défaut, Mesdames, ce printemps, surtout n’éconduisez pas vos prétendants !

Grâce à la détermination de Nicolas HULOT et de François de RUGY, la sauvegarde de l’ours à


l’ouest du massif pyrénéen est désormais engagée en vue de la restauration d’une population ursine
viable sur l’ensemble de la chaîne pyrénéenne qui répond aux obligations juridiques et morales de
notre pays en matière de préservation de la biodiversité.

A travers « l’initiative pour la conservation de l’ours en Béarn » proposée par le FIEP - Groupe
Ours Pyrénées, il convient de saluer l’engagement en faveur de la cause de l’ours de Paule
BERGÉS, maire d’Accous, d’Henri BELLEGARDE, maire de Bedous, de Jean-Claude COUSTET,
maire de Borce, de Jean GASTOU, maire de Cette-Eygun, d’Élisabeth MÉDARD, maire d’Etsaut et
présidente de la communauté de communes de la vallée d’Aspe, d’André BERDOU, conseiller
départemental des Pyrénées-Atlantiques, de Jean-François BLANCO et d’Andde SAINTE-MARIE,
conseillers régionaux de Nouvelle-Aquitaine, ainsi que des bergers transhumants favorables à la
présence de l’ours, sans qui le retour de ces 2 ourses n’aurait pu se faire. N’oublions pas d’honorer
la mémoire de Jean-Pierre CAZAUX et de Marcel MINVIELLE, ayons aussi une pensée pour Jean-
Pierre et Baudouin.

Le printemps prochain, je serai de retour en vallée d’Aspe dans "le pas de l’ours" afin de saluer "lou
Moussu" ("le Monsieur") en ces (ou ses) hautes terres !

Philippe CHARLIER
Un concitoyen attaché à des Pyrénées sauvages et vivantes, pour que l’homme puisse continuer à
VIVRE AVEC l’ours et la faune pyrénéenne dans des milieux naturels préservés

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