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https://archive.org/details/bacfrancais1989c0000dume
ABAC
CORRIGÉS
des sujets de 1988
1989
BAC FRANÇAIS
Marie-Hélène DUMESTE
Anne-Elisabeth HALPERN
Agrégées de lettres
ue”
SP HATIER
Sommaire
Les numéros en encadré renvoient à la numérotation
des sujets de l'Annabac Français 1989.
© Pour chacun des trois types de sujets, vous trouverez des conseils
méthodologiques conformes aux instructions ministérielles. Prenez-en
connaissance, afin de respecter la spécificité et les exigences de chacun
des exercices.
6
Poésie : 17, 22, 23, 24, Sordide : 22.
Portrait : 11, 14, 15. Spectateur, spectacle: 4, 7, 18,
Professeur, pédagogue : 20, 21. 2)
Progrès : 3, 4, 8. Sublime : 22.
Suggestion : 23.
Réalisme : 9, 13, 15, 17, 19. Suicide : 15.
Réflexion : 21. Technique : 4, 8.
Roman, romanesque : 17, 18, 19, Télévision : 4.
22, 24.
Temps : 1, 6, 7, 11, 17, 20, 23, 24.
Théâtre : 4, 17, 18, 22.
Salaire : 8. Tourisme : 5.
Science : 3. Tragédie, tragique : 11, 14, 18,
Sensation : 12. 1” 22,
Sentiment : 14, 15, 23, 24. Travail : 8.
Silence : 11, 14. Tristesse : 11, 14, 15.
Société : 4, 6, 8, 17, 24.
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Solitude : 11. Ville : 10.
Sonnet : 11, 23. ” Voyage : 2, 5, 10.
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PREMIER SUJET
Résumé - Questions
Discussion
Conseils méthodologiques
Mieux comprendre le sujet
Le résumé
Selon les instructions officielles, le résumé donne d'un texte une
version « condensée mais fidèle » qui suit le fil du développement.
Mais il ne s'agit pas de reprendre exactement les termes de l'auteur :
vous devez restituer l'argumentation dans votre propre langage.
Le nombre de mots que vous utilisez doit figurer à la fin de votre
résumé et correspondre aux limites imposées par l'intitulé. Veillez
absolument à respecter la marge-de 10 % qui vous est accordée.
La discussion
Le libellé formule, à partir du texte, une question que vous devez
traiter, non en paraphrasant l'auteur, mais en proposant une véritable
réflexion personnelle.
Votre développement doit être rigoureusement argumenté et
illustré d'exemples précis. Evitez de céder aux banalités et aux lieux
communs, tentation facile dans ce genre de sujets.
11
ré tete à
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1 L'homme est un animal
qui se souvient et prévoit
CL LD
Pierre-Henri SIMON
(Ce que je crois)
1
réflexion de l’esprit ne peut naître que de leur dialogue. Cependant, il
est frappant que Prométhée, en tendant vers la connaissance et la
35 possession de l’avenir sa volonté pensante, a irrité Jupiter, et s’est
exposé à la morsure du vautour. C’est que, par une disposition
habituelle, l’homme a eu toujours le sentiment que son passé lui
appartenait, il a respecté mais non vénéré les historiens qui le lui
racontaient et les poètes qui l’ornaient de leurs inventions ; maïs il lui a
40 fallu beaucoup de temps pour comprendre qu’il était maître aussi de
son futur; il a cru d’abord celui-ci chargé d’ombres et de menaces,
propriété des puissances mystérieuses qui conduisent le monde, en
somme, domaine des dieux, et il ne l’a pas regardé sans le frisson du
sacré; les prophètes qui le lui révélaient, il les a crus inspirés par le
45 ciel; pour les mages, pour les sorciers et les devins qui tentaient par
quelque lecture des astres ou quelques rites magiques d’en percer les
secrets, il a eu la frayeur révérencieuse due à ceux qui transgressent les
interdits.
Je ne prétends pas avoir présente à l’esprit l’histoire universelle,
50 mais le peu que j’en sais me donne à penser que tous les peuples ont
eu d’abord peur de l’avenir. Le seul avenir certain étant la mort, ils
ont assemblé des pierres ou gravé des tables de bronze pour que
quelque chose d’eux restât sur la terre où ils savaient qu’un jour ils
seraient poudre; et ils ont inventé des mythes et des croyances pour
55 s’imaginer vivants au-delà même de ce néant. Ce que leur espèce,
dans sa permanence, pouvait attendre du futur, ils l’ont considéré
dans une défiance qui devenait souvent effroil.
Questions :
1. Résumé (8 points).
Vous résumerez ce texte de 682 mots en 170 mots (une marge de
10 % en plus ou en moins est admise).
Vous indiquerez à la fin de votre résumé le nombre de mots que
vous aurez employés.
2. Vocabulaire (2 points).
Vous expliquerez les mots et expressions suivants dans leur
contexte :
— la présomption de l’alchimiste (1. 2-3);
— Ja frayeur révérencieuse (1. 47).
3. Discussion (10 points).
Dans quelle mesure peut-on se sentir maître de son futur ? Vous
présenterez votre réponse de façon argumentée.
SUJET NATIONAL,
ÉPREUVE ANTICIPÉE, BACCALAURÉAT, SEPTEMBRE 1987 : À, B, C, D, D’, E.
14
DIFFICULTÉS... CONSEILS... PROPOSITIONS...
À propos du résumé
e La difficulté du texte tient à ce qu'il se place à un niveau extrême
de généralité : l'humanité. Peu d'exemples viennent illustrer l'argu-
mentation; l’un d'eux est emprunté à la mythologie grecque, c'est-à-
dire éloigné du monde contemporain. Mais la note vous éclaire
suffisamment.
À propos de la discussion
e Le libellé porte la mention expresse de « se sentir maître »,
c'est-à-dire que le problème est une affaire d'appréciation psychologi-
que. Il ne s’agit pas de vouloir prouver que l’homme est effectivement
ou non maître de son futur.
e Suggestions : consultez la légende de Prométhée qui demeure
un bon exemple à utiliser comme emblème de la science, de la
désobéissance aux dieux au profit des hommes.
Vous trouverez une bonne approche de l’alchimie, sous la forme
romancée et donc de lecture plus aisée qu'un traité technique, dans
L'Œuvre au Noir de M. Yourcenar.
Essayez de recenser les moyens qu'ont les hommes de prévoir ou
de prédire l'avenir, en distinguant bien d’ailleurs « prévision » et
« prédiction ».
15
CORRIGÉ... CORRIGÉ. CORRIGÉ. CORRIGÉ...
1. Résumé
(170 mots)
2. Vocabulaire
16
© Frayeur révérencieuse (1. 47): L’adjectif, vieilli et plutôt
littéraire, qualifie ce qui témoigne un grand respect. La révérence
s’accompagne toujours de crainte. L'association de cet adjectif
avec le substantif « frayeur » renforce l’impression de peur que
veut suggérer l’auteur. La frayeur est normalement une crainte de
courte durée, souvent injustifiée, comme ici où les hommes cèdent
à l’irrationalité face à l’avenir et donc face aux prophètes et aux
sorciers qui osent l’affronter.
3. Discussion
DEVOIR RÉDIGÉ
L'homme moderne vit dans le présent, mais tout lui dicte de
préparer son avenir : l’école, la société, l’évolution technique. Mais
« dans quelle mesure peut-on se sentir maître de son futur »? La
donnée de base est qu’effectivement l’être humain éprouve le
besoin et le désir viscéral de cette maîtrise, et qu’il s’en donne les
moyens. Pourtant l’on peut se demander si tous ses efforts ne sont
pas illusoires et si « se sentir » maître n’est pas le moyen d’oublier
que le véritable maître reste le temps, et le futur, auxquels obéit
l’homme.
17
posé le pied sur le sol lunaire. Cette réalisation possible de rêves les
plus fous donne à penser à l’homme qu’il peut maîtriser la durée.
Bernanos estime que « la vocation de l’homme est de dominer et
d’ordonner le réel ». Ordonner le futur paraît le but de l'humanité
moderne. Cette volonté de maîtriser l'avenir a pour origine une
profonde angoisse devant des événements que nous pressentons
sans pouvoir les expérimenter. Ainsi la peur de la mort est la peur
de ce qui sera nécessairement sans que nous puissions l'empêcher,
de ce sur quoi nous n’avons aucun pouvoir. À une échelle plus
vaste, l’homme du Moyen Age a connu le millénarisme, cette
panique devant l’an Mil qui devait être celui de la fin du monde.
Nombre de nos contemporains ont fait de l’an 2000, un passage clef
dans le devenir de l'humanité. Le livre de Clarke, 2001, l'Odyssée
de l'Espace, marque cette frayeur de la civilisation occidentale face
à l’avenir. Cette crainte du futur s’accompagne d’un retour au passé
ce que montre le renouveau des valeurs traditionnelles dans notre
société moderne.
Pour pallier cette oppression, l’homme s’est doté de moyens
individuels et collectifs qui le font se sentir maître de son futur.
Chaque individu peut maîtriser son avenir en le construisant
patiemment : le choix d’un métier, à l’issue d’études ou de stages,
permet de prendre en charge la vie d’adulte, de gouverner sa
propre existence, au moins professionnelle, plutôt que d’accepter
d’être porté par les aléas de l’existence. L’instruction donc, la
culture, de façon plus générale, en donnant des outils de réflexion,
confère à l’homme une puissance de l’esprit sur les événements.
D’autres préféreront ne pas bâtir eux-mêmes l’avenir mais se le
laisser décrire par l’astrologie. Un scientifique constate que « de
l'astrologie, telle qu’elle est bâtie depuis des millénaires sur des
connaissances dépassées, et largement, depuis quatre siècles, il ne
reste rien. Et pourtant des millions de gens continuent à y croire,
et à alimenter une industrie florissante » (J.-C. Pecker, in La
Recherche, janvier 1983).
A l'échelle collective, la science se propose d’établir des lois qui
régissent les phénomènes, si bien que dans une situation donnée,
l’homme est en mesure, par déduction, de prévoir d’autres
phénomènes du même ordre. En ce sens, l’on peut dire qu'il
maîtrise un futur immédiat. L’astrologie, elle, commet l’amalgame
regrettable entre la « prévision » scientifique fondée sur des lois et
la « prédiction » que ne sous-tend aucune preuve. Les moyens de
se sentir maître de son futur sont parfois institutionnalisés, comme
en témoigne la multiplication des sondages dans tous les
domaines : politique, éthique, publicitaire, etc. L'homme, dans la
vie courante, organise ses journées en fonction des résultats de la
« futurologie » domestique : prévisions météorologiques ou son-
dages sur les horaires de départ en vacances. Car l'humanité s’est
dotée de cette science nouvelle. Le mot « futurologie » date de
1968 environ et désigne « l’ensemble des recherches prospectives
18
concernant l’évolution future, scientifique, économique, sociale,
technique de l’humanité » (Dictionnaire Robert).
L'homme moderne peut donc effectivement se sentir maître d’un
futur qu’il construit lui-même peu à peu. Mais il reste semblable à
celui qu’évoque Pascal dans les Pensées et qui dit : « Tout ce que je
connais est que je dois bientôt mourir, mais ce que j'ignore le plus
est cette mort que je ne saurais éviter. »
19
2. Notre époque semble
impropre à l'aventure.
LD
Roger MATHÉ
(l’Aventure)
20
Notre terre est de mieux en mieux connue. Plus de zone mysté-
o rieuse, l’Amazonie exceptée, que l’on puisse explorer en risquant sa
vie, où l’on puisse vivre librement, sans se soucier des lois et des
usages. Les Américains ont installé un aéroport au pôle ; on cultive la
canne à sucre dans les îles que hantaient les flibustiers ; les atolls du
Pacifique sont le théâtre d'expériences nucléaires. La vie policée,
s réglée par la police, s’est insinuée partout. Plus d’endroits non civilisés
où l’on serait naufragé, contrebandier, chercheur d’or et de bagarres.
Qu’est devenu le domaine privilégié de l’aventure? Chaque week-
end, à l’usage des touristes, les Indiens du Colorado organisent des
spectacles folkloriques avec plumes, peintures de guerre, danse du
o scalp.
La vie quotidienne est strictement réglementée, frustrée de pittores-
que, de diversité, de fantaisie. En Alaska comme en Patagonie,
l'individu, dès sa naissance, est recensé, fiché, voué à tenir un rôle
social. S’il ne veut pas encourir les foudres du pouvoir, il doit se faire
s « une situation », mot suintant la stabilité, le conformisme, l’immobi-
lité et donc l’immobilisme. Personne n’a plus les coudées franches.
Peu de gens donnent forme à leur”vie selon leur désir. (..….) La
civilisation dite moderne est l’ennemie de l’aventure. Elle prétend
organiser un monde aussi minutieusement et implacablement agencé
o qu’une mécanique de précision. Que deviennent alors l’esprit d’indé-
pendance, la fantaisie, le rêve, ferments de l’esprit d'aventure?
Questions :
1. Résumé (8 points).
Résumez ce texte en 120 mots (un écart de 10 % en plus ou en
moins est admis).
Indiquez à la fin de votre résumé le nombre de mots qu'il
comporte.
2. Vocabulaire (2 points).
Expliquez les expressions suivantes :
— Ja vie quotidienne est (..) frustrée de pittoresque (1. 41);
— J'immobilité et donc l’immobilisme (1. 45-46).
3. Discussion (10 points).
Roger Mathé écrivait en 1972 : « Notre époque semble impro-
pre à l’aventure. »
Le besoin d'aventure vous paraît-il vif, aujourd’hui? Sous
quelles formes peut-on le satisfaire ?
21
DIFFICULTÉS... CONSEILS... PROPOSITIONS...
À propos du résumé
e Le texte ne présente pas de difficultés de compréhension.
Attention cependant aux nombreux exemples qui l'émaillent et qui ne
doivent pas apparaître intégralement dans le résume.
À propos de la discussion
e Le sujet présuppose qu’un changement de mentalité s’est
effectué entre 1972 et 1988. La difficulté réside peut-être dans cette
appréciation d’une évolution des esprits en si peu de temps. Mais
vous n'aurez aucun problème à trouver des exemples pour le
développement qui doit répondre aux deux questions posées par le
libellé : intensité du besoin d'aventure, moyens de le satisfaire.
1. Résumé
(123 mots)
22
2. Vocabulaire
3. Discussion
23
DEVOR RÉDIGÉ
24
pleinement, écrit ailleurs R. Mathé, ce n’est point exercer son droit
de vote, de parole, d’association, c’est accomplir tout ce que nous
dicte notre instinct. Car il existe en nous un fond de violence, de
dépravation d’autant plus virulent qu’il est réprimé par les conve-
nances, la loi, la vie en société » (L'aventure, d'Hérodote à
Malraux). L'aventure est donc un besoin incoercible de l’homme
dont ne peut venir à bout la civilisation. L’appel auquel répond
l'individu en mal d’aventure est bien celui de liberté : l’exaltation
dans l’aventure tient au sentiment d’échapper aux lois naturelles et
sociales, d’aller au-delà des possibilités humaines. À propos de
cette liberté, E. Morin précise que c’est « non pas la liberté
politique, mais la liberté anthropologique », qui appartient ainsi à
la nature même de l’homme. Il y a sans doute dans l’imaginaire de
l’homme une fascination indéniable pour celui qui ose ne pas
aliéner sa liberté au profit de la sécurité, pour le nomade, quelque
forme que puisse prendre ce nomadisme. « Le nomade a toujours
constitué la part la plus archaïque de nous-même », estime
J. Lacarrière; le goût de l’aventure est, lui aussi, ce qui semble le
mieux définir le genre humain. 7
Ce besoin très vif prend,à notre époque, des formes un peu
différentes de ce qu’il était dans le passé. L'homme moderne peut
satisfaire son besoin d’aventure en partant réellement pour un
safari, une descente de l’Orénôque ; les progrès technologiques ont
permis de gagner en moyens de communication, en rapidité dans
les déplacements, en sécurité, une fois encore, dans les entreprises
les plus folles. C’est ainsi que le rallye Paris-Dakar draine toutes les
aspirations à l’aventure de ceux qui y participent directement mais
aussi de l’immense majorité qui en suit les étapes grâce aux médias
et vit le parcours par procuration, comme en rêve. Le succès d’une
telle course, par ailleurs moralement condamnable, montre
combien le besoin d’aventure est grand chez nos contemporains.
Les moyens mis en œuvre pour satisfaire ce besoin passent le plus
souvent par les médias, mode moderne de communication entre les
hommes, comme les épopées de l’Antiquité et du Moyen-Age le
faisaient en leur temps. Nous pouvons en prendre pour exemple la
multiplication des revues exaltant tel ou tel type d’aventure
contenue dans la pratique d’un sport réputé dangereux (deltaplane,
course en solitaire à la voile, etc.). Outre ces publications
périodiques qui distillent l’aventure en reportages (voir la revue
Géo), une véritable culture de l’aventure s’est développée ces
dernières années. La parution abondante de livres ou la sortie de
films d’aventures permettent de laisser libre cours à nos instincts de
violence sans encourir de répression. Le plaisir de l’aventure se fait
alors par identification individuelle à tel ou tel héros. R. Mathé cite
à ce propos Maigret, J. Bond et San Antonio et nous pouvons
constater que l’individualisme que présuppose le désir d’aventure
se satisfait pleinement dans la lecture ou le spectacle de tels
ouvrages et films.
25
E. Morin résume ainsi les différentes formes que prend l’aven-
ture qui fait rêver le lecteur ou le spectateur : « C'est aux horizons
géographiques (exotisme) ou historiques (le passé aventureux ou
même le futur de science-fiction), ou bien dans les bas-fonds de la
vie vécue que se déploie la vie qui manque à nos vies. » Il nous faut
donc admettre que le goût de l'aventure tient à un manque, et que
le monde moderne, policé et organisé est appauvrissant pour
l'imagination de l’homme. Mais alors se pose le problème de la
réalisation ou non de ce besoin, car l’on peut, par le biais du livre,
du film ou du jeu, vivre l’aventure en imagination. Que vaut une
aventure qui n’est qu’évasion de l'esprit, sans que les muscles ne
sentent le poids des éléments auxquels il s’affronte ? Ainsi, depuis
une dizaine d’années sont apparus les jeux de rôles qui font
participer les joueurs à une aventure livresque, de dés et de papier,
pour laquelle ils déterminent eux-mêmes leur puissance de héros,
les dangers qu’ils peuvent encourir, les « donjons et dragons » à
combattre. Ce jeu, de pur intellect, est une compensation à la
monotonie de la vie, d’autant plus que chaque partie se déroule sur
plusieurs jours et peut même prendre la ville réelle comme cadre
du jeu (jeu de l’assassin). L'homme oublie ainsi dans le divertisse-
ment la difficulté d’être dans la société, donnant ainsi raison à
Pascal (« L'homme est esclave du divertissement »). L’on est alors
en droit de s'interroger sur le rôle que joue la société elle-même
dans l'élaboration de ces substituts. Ces aventures de papier sont
un narcotique pour les instincts violents de l’homme; lui donner la
possibilité de satisfaire son désir d’évasion et de liberté absolue,
tant physique que morale, c’est éviter à la communauté civile qu’il
ne l’exerce aux dépens de ses concitoyens.
26
3. Construire l’'humanitude
CO I M
21
la mort. Nous avons mesuré l’écart entre l’inutile abondance dilapidée
par une minorité et l’insupportable misère subie par la majorité des
hommes.
Notre vaisseau spatial est dans un tristé état. Il peut d’un jour à
l’autre exploser, il peut aussi lentement se dégrader, devenir une triste
prison où des milliards d'hommes, transis par la peur les uns des
autres, animés seulement par la haine, n’auront d’autre espoir que de
survivre quelques années à leurs ennemis. | É
C’est trop absurde. Une autre voie est possible. Elle nécessite
d’abord que nous sachions nous regarder lucidement les uns les autres.
Bien des drames actuels viennent, dit le philosophe Lucien Sève, de ce
que les hommes des autres camps n’ont pas pour nous de visage : il est
tellement plus facile de traiter quelqu’un en ennemi quand nous ne
voyons rien de lui. Nous vivons dès maintenant un hiver affectif
préfigurant l’hiver nucléaire qui nous menace. Il faut forcer le dégel et
s provoquer, cela ne dépend que de nous, un printemps de regards.
Il faut aussi se débarrasser des réflexes d’agressivité dont il est
ridicule de prétendre qu’ils font partie de la « nature » humaine. [...]
S’affronter, c’est être front à front, c’est-à-dire intelligence à
intelligence, et non force contre force. Ce n’est plus à la guerre qu’il
s faut consacrer nos recherches, mais aux moyens de résoudre nos
conflits en préservant la paix; c’est d’écoles de paix dont tous les
Etats, et d’abord les plus puissants, ont besoin. Voilà la tâche de la
génération qui vient : inventer la Paix.
Questions :
1. Résumé (8 points).
Vous ferez de ce texte un résumé en 180 mots; une marge de
10 %, en plus ou en moins, est admise. Vous indiquerez à la fin
de votre résumé le nombre exact de mots employés.
2. Questions de vocabulaire (2 points).
Expliquez le sens dans le texte de :
— dilapidée (1. 40);
— hiver affectif (1. 53).
3. Discussion (10 points).
Albert Jacquard écrit : « S’affronter, c’est être front à front,
c’est-à-dire intelligence à intelligence, et non force contre
force. »
Cette conception vous paraît-elle un bon moyen pour « inventer
la Paix »?
28
DIFFICULTÉS... CONSEILS... PROPOSITIONS...
À propos du résumé
e La difficulté du texte tient à deux points : son style métaphorique
d'abord et son absence de liens logiques explicites ensuite. Les
nombreuses métaphores ne pourront être gardées telles quelles. En
dépit du manque de chevilles logiques, le texte s'organise très
rigoureusement et le résumé rétablira les termes d’articulation.
À propos de la discussion D
e Le sujet se fonde sur une définition proposée par l’auteur au
terme de sa démonstration. Si cette phrase est claire après la lecture
du texte, elle n’en reste pas moins-un paradoxe qu'il faudra analyser,
parce qu'il est un bon fil directeur pour l'élaboration d’un plan.
e C'est dans cette opposition entre la violence et la raison, mais
aussi entre la rivalité et l'émulation que réside l'originalité du projet de
Jacquard.
29
La planète est donc en sursis, en proie à une peur haineuse.
Pourtant, il suffirait de renoncer à l’aveuglement des hommes
entre eux, en pratiquant la considération mutuelle et en abolissant
cette violence soit-disant innée. ru
Il faut donc, dès aujourd’hui, travailler ensemble, non plus à la
guerre, mais à la paix.
2. Vocabulaire
3. Discussion
Le monde moderne est agité par des conflits dont l’ampleur n’a
jamais été égalée. Non seulement notre siècle a connu deux guerres
mondiales mais, aujourd’hui encore, le moindre affrontement
entre deux puissances politiques”perturbe les relations diplomati-
ques internationales. La situation est telle que des crédits monu-
mentaux sont accordés à l’armement au détriment de la culture, par
exemple. D'autre part, l’homme moderne fait preuve d’une
irresponsabilité notoire en ne prenant pas en compte les consé-
quences sur un avenir immédiat de certaines de ses activités
belliqueuses. L’exemple le plus flagrant est celui des manipulations
nucléaires : le problème des déchets est renvoyé dans le futur. Pour
satisfaire notre volonté de puissance, nous condamnons par avance
nos descendants. Jean Rostand définit ainsi cette folie meurtrière :
« On tue un homme, on est un assassin. On tue des milliers
d’hommes, on est un conquérant. On les tue tous, on est un dieu. »
Qui plus est, la matière grise elle-même est au service de la
destruction. L'intelligence humaine se développe contre son sem-
blable, les hommes agissent « force contre force », pour reprendre
les termes de Jacquard. Saint-Exupéry considère d’ailleurs la
guerre comme « une maladie » qui serait donc contagieuse. Les
progrès techniques ne semblent pas aller dans le sens de la paix, à
en juger par la multiplication et la sophistication des armes. Le
xvuI* siècle croyait en un progrès humain passant par l’évolution
technologique et le xx° siècle ruine cette prétention.
La Paix paraît donc n’être qu’un vain mot, réduit à la valeur de
slogan pour écologiste en mal de programme. En effet s’il faut
« inventer la paix », c’est qu’elle ne se trouve pas à l’état naturel.
Cette proposition donne de l’humanité une définition en termes
négatifs et pessimistes. Pourtant, il existe dans le monde une
contestation pacifique à la mesure des conflits. Une autre lutte
s’engage qui, comme l’a montré Rabelais, « n’entreprendr(a)
guerre qu’(elle n’ait) essayé tous les arts et moyens de paix ». Se
31
multiplient les mouvements pacifistes : en Allemagne, contre les
armes nucléaires de tous bords qui menacent sa sécurité plus
qu’elles ne l’assurent ;en Israël où, malgré la situation de guerre
permanente, des hommes ont pris conscience de l’engrenage fatal
où conduisent les affrontements sans trêve.
33
4, La télévision n’améliore pas
le niveau de culture.
I,
Gérard MONTASSIER
(Le fait culturel)
34
renonce ouvertement à être un instrument de progrès et elle engendre
la frustration dans la partie de la nation la plus cultivée. Ou bien la
35 télévision choisit de satisfaire les goûts de l'élite : la frustration cette
fois s’installe chez ceux qui ressentent leur insuffisance et le dédain
dans lequel on les tient. Le bon sens commande donc une solution de
compromis et que l’on bâtisse des programmes diversifiés pour des
publics différents. Mais, quelle que soit la formule adoptée, on
observera qu’elle agit comme un révélateur : elle renvoie toujours à
une réalité qui se situe en dehors et au-delà de la télévision, et cette
réalité n’est autre que le niveau de culture du téléspectateur.
L’avènement de l’audiovisuel ne change donc rien au fait qu’aujour-
d’hui comme hier nous nous trouvons confrontés au problème éternel
de la formation des hommes, c’est-à-dire de l’acquisition d’une
culture.
Questions :
1. Résumé (8 points).
Vous résumerez ce texte en 140 mots. Une marge de 10 % en
plus ou en moins est admise.
Vous indiquerez à la fin de votre résumé le nombre exact de
mots utilisés.
2. Vocabulaire (2 points).
Vous expliquerez les expressions suivantes :
— instrument d’appoint (1. 24);
— elle engendre la frustration (1. 33-34).
3. Discussion (10 points).
« La télévision par elle-même ne changera jamais dans des
proportions importantes le niveau de culture des téléspecta-
teurs. »
En un développement soigneusement organisé et illustré
d'exemples précis, vous direz si vous partagez cette opinion de
l’auteur.
39
DIFFICULTÉS... CONSEILS... PROPOSITIONS...
À propos du résumé
et de
e Le problème essentiel sera la recherche de synonymes
« télévision »,
tournures pour éviter la répétition des mots « culture »,
« audio-visuel ».
e Toute la fin du premier paragraphe exprime plus ou moins la
même idée: la télévision n’améliore pas à elle seule la culture. Il
faudra condenser.
e Suggestion : soignez particulièrement les mots de liaison. Ils
sont très nombreux dans le texte. Ne conservez que les articulations
essentielles.
À propos de la discussion
e Un tel sujet suppose impérativement que vous citiez des
émissions significatives et variées, sans oublier de les analyser. Vous
en connaissez sûrement.
e N'oubliez pas de définir précisément la culture. Seule une
réflexion approfondie sur cette notion vous permettra de répondre à la
question posée.
© Prenez garde aussi aux termes exacts de la citation: G.
Montassier parle du « niveau » de culture, non des formes de cette
culture. La distinction a son importance.
© Suggestion : Songez que la télévision existe depuis assez
longtemps pour posséder une histoire. Tenez compte de son
évolution, y compris depuis 1980.
1. Résumé
(143 mots)
2. Vocabulaire
e Instrument d'appoint (1. 24) : l’appoint est ce qu’on ajoute à
une chose pour la compléter. On parle par exemple de meuble
d’appoint pour les lampes, guéridons, poufs.. Mais ils ne sauraient
remplacer la table et le lit! La télévision ne constitue donc pas
l'essentiel de la culture. Elle n’est même qu’un « instrument », un
moyen parmi d’autres pour la.constituer et la diffuser.
© Elle engendre la frustration (1. 33-34) : engendrer signifie faire
naître, provoquer. La frustration est une insatisfaction venue de
impossibilité de posséder un bien que l’on désire ou dont on a
besoin. La télévision, si elle n’offre que des émissions supposant un
niveau culturel très élevé, déçoit l’attente du plus grand nombre,
qui voudrait à bon droit bénéficier de ce merveilleux moyen de
communication et se sent rejeté.
3. Discussion
PLAN ADOPTÉ DANS LA DISCUSSION
I. Les atouts de la télévision
— Une ouverture sur le monde
— La diffusion des arts et de la science
— Des créations propres
II. Ses limites
— La nécessité d’une culture préalable
— Ja nécessité d’un apprentissage des procédés de l’image
— Les impératifs économiques
DEVOIR RÉDIGÉ
Depuis son avènement, la télévision suscite un débat passionné.
Moyen exceptionnel de vulgarisation pour les uns, elle endort pour
d’autres le sens critique. Certains y voient même l'essentiel de la
civilisation actuelle. Des affrontements accompagnent ses change-
ments : récemment encore la privatisation a fait crier à l’assassinat
de la culture.
57
En 1980, dans Le Fait culturel, G. Montassier renvoie les
elle-même ne
adversaires dos à dos, car selon lui « la télévision par
propo rtion s impor tante s le niveau de
changera jamais dans des
télésp ectate urs », qui dépen d d’autr es facteu rs.
culture des
pour
Quels sont donc les atouts et les limites de la télévision ment
l'acquisition de la culture? En quoi n'est-elle qu’un instru
parmi d’autres 7
39
Plus grave encore, l’image est un langage, avec sa grammaire, ses
citations, l'existence du mensonge. Un film par exemple sera peut-
être aimé pour son émotion, l’habileté du scénario ou la beauté des
images. Mais la subtilité des cadrages, du montage, les références
parfois ironiques à des films antérieurs échapperont à la plupart.
De plus le choix de l’angle de vue ou de la lumière pourra induire le
public en erreur sur un fait ou une personnalité, ce qui est
inquiétant. On sait que lors d’une manifestation, montrer un coin
de rue quasi vide ou le peloton de tête, une foule calme ou
quelques excités influencera volontairement ou non la perception
de l'événement. B. Pivot est si conscient de son pouvoir, qu’il évite
les gros plans sur les mains nerveuses des auteurs, leurs grimaces
d’ennui ou de désapprobation durant l'interview d’un autre, pour
ne pas les rendre antipathiques. Effets que s’accordait volontaire-
ment au contraire Droit de réponse, pour accentuer le caractère
orageux si discuté de cette émission. Les arts de l’image, grand et
petit écran, nécessitent un apprentissage propre.
On pourrait imaginer que les autorités politiques ou les responsa-
bles des chaînes décident, par philanthropie, d’éduquer le public,
de ne lui proposer que des programmes de haute teneur intellec-
tuelle, avec leur mode d'emploi. Mais il n’en est pas question, car la
télévision, surtout privée, a besoin d’argent pour vivre. D’où une
attention très vive portée aux sondages qui permettent de voir
quelles émissions plaisent au plus grand nombre. Or il s’agit
souvent de divertissements sans grande valeur, que l’on place alors
aux heures d'écoute les plus favorables, reléguant les autres
émissions en fin de soirée, ce qui, à l'effort intellectuel demandé
pour les comprendre, ajoute une dépense physique non négligea-
ble, ou celle d’un magnétoscope ! Outre la pauvreté du contenu, la
passivité bien connue, encouragée par le bercement des images
contribue à détourner (tel est le sens latin de « divertir ») de la
culture ceux qui ne pensaient même pas à elle. Les impératifs
économiques diminuent donc les possibilités du media, qui devient
le reflet d’un état de fait, celui du niveau culturel de son public.
La télévision est d’ailleurs victime de son succès : on oppose
souvent à sa médiocrité actuelle le prétendu âge d’or de son
premier développement dans les années 60, en oubliant qu’alors,
objet cher donc de luxe, elle avait pour public ceux qui étaient
armés pour affronter l’ambition de la première émission diffusée :
une pièce de Pirandello !La baisse des prix a maintenant placé le
poste dans tous les foyers, donc changé le niveau culturel moyen
des acquéreurs, qui souvent n’ont pas d’autre moyen de se cultiver.
. La
La phras
phras e proposée
sée se révèle donc Juste
: et son analyse expliÏ que
l’ambiguïté de la télévision, simple moyen, riche
de otentiatités.
maisRe dont le pouvoir de diffusion et dee création
cré ion dépend
dé d e facteurs
extérieurs. ü P
40
Il ne faudrait pas cependant se montrer trop pessimiste : si elle
ne change pas notablement le niveau, elle change le contenu de
notre culture, de plus en plus audio-visuelle. Or l’école semble
avoir compris ce phénomène. L'étude de l’image est entrée dans les
programmes, les salles de vidéo se multiplient. Par ailleurs,
certaines émissions prennent maintenant en compte les caractéristi-
ques de l’instrument : exposé illustré des procédés publicitaires,
ou, en 1988, une rétrospective des différentes formes de débats
politiques, commentée par S. July.
Les polémiques autour de la télévision doivent donc jouer un
rôle : rappeler son pouvoir, appeler les énergies pour l’enrichir.
Entre l'instrument du totalitarisme dans les romans de science-
fiction, 1984 d’Orwell, par exemple, et l’utopie élitiste, il reste une
marge importante.
Ca
À?
42
Questions :
1. Résumé (8 points).
Résumez le texte au quart de son volume, soit 170 mots, avec
une tolérance en plus ou en moins de 10 %. Indiquez le nombre
de mots employés.
2. Vocabulaire (2 points).
Expliquez le sens qu'ont dans le texte les expressions suivantes :
— le rentier, ultime avatar du seigneur (1. 25-26) ;
— ce néologisme prétentieux, et britannique (1. 40).
3. Discussion (10 points).
« L’équipée individuelle s’est dégradée en déplacement gré-
gaire (...) partout c’est la planification qui règne et l’ennui. »
Vous examinerez ce qui fonde cette réflexion, par ailleurs
discutable, avant de proposer votre propre analyse de la
situation.
wi INDE,
ÉPREUVE ANTICIPÉE, BACCALAURÉAT, JUIN 1987 : À, B, C, D, D’, E.
À propos de la discussion
e Le sujet fait appel à une expérience personnelle facile à exploiter
et le libellé vous suggère les limites du propos des auteurs (« discuta-
ble »). « Grégaire » signifie : à la manière d’un troupeau; la sépara-
tion se fait donc entre le petit nombre de touristes privilégiés et la
grande masse des vacanciers.
e Suggestions : recensez les formes de tourisme et les types de
touristes (Club Méditerranée, routards, pèlerinages culturels, etc.).
43
: Gautier, Nerval,
e Feuilletez des récits de voyage du xix° siècle
Stendhal ;ou du xxX® : Lacarrière, Giono.
ure,
e L'ouvrage dont est extrait le texte, Au coin de la rue, l'avent
de courts
est très lisible : drôle (mais sérieux), rapide, formé
ndants , c'est une réflexi on moder ne sur l'homme
chapitres indépe
moderne, pour lecteur moderne ayant le sens de l'humour...
1. Résumé
(169 mots)
2. Vocabulaire
44
e Ce néologisme prétentieux, et britannique (1. 40): Un
néologisme est un mot nouveau dans une langue, obtenu par
déformation d’un mot plus ancien ou par emprunt à une langue
étrangère, comme ici à l’anglais. Les emprunts modernes
(depuis le x1x° siècle) de français à l’anglais sont souvent le fait
de snobs (un autre mot anglais!) et les détracteurs de cette
pratique ont donc qualifié le mot « tourisme » de prétentieux,
c'est-à-dire vaniteux et affecté. Le terme mis en cause était
doublement condamnable aux yeux des puristes : par son
origine anglaise d’abord (l’Angleterre était à l’époque l’ennemi
héréditaire), et parce qu’il y avait déjà un mot, « voyage », qui
ne nécessitait pas de synonyme.
3. Discussion
“A
#
#
PLAN DÉTAILLÉ
Introduction
— Les congés payés ont permis au plus grand nombre de
découvrir d’autres horizons et ont développé le tourisme de
masse.
— La plainte des anciens privilégiés des voyages d’agrément
est que « l’équipée individuelle s’est dégradée en déplacement
grégaire » et que « partout c’est la planification qui règne et
l'ennui ».
— Le tourisme moderne est effectivement devenu un produit
de consommation totalement planifié.
— Mais il dépend de chacun de trouver la réponse à ses
aspirations dans ces cadres préétablis, ou d’en choisir d’autres,
plus libres.
I. Le tourisme grégaire
1. L'organisation inéluctable
— La planification du temps et de l’espace : les heures sont
décomptées, le rythme du voyage est fixé pour tous les
participants. Les espaces à explorer sont quadrillés, juxtaposant
les monuments « à voir ».
— Les transports sont en commun (cars de touristes) ce qui
isole du monde extérieur et empêche la communication. Carac-
téristique : la rapidité et donc la superficialité.
— L'organisation outrancière exclut l’individualité, l’origina-
lité. Il s’agit de photographier un maximum de lieux en un
minimum de temps. Cette quantification du voyage tient à ce
que le tourisme est avant tout une affaire lucrative.
45
2. Le tourisme et l'argent
pays
— Le déplacement s'effectue des pays riches vers les
pauvre s : satisfac tion sociale des tourist es qui peuven t « se
la médiocr ité de la vie
payer » tel ou tel pays et tromper ainsi
quotidienne. ae
—_ «Industrie du tourisme » est une expression qui dit
l'ampleur de l’organisation. S’y ajoute celle des « chaînes
d'hôtels » qui enchaînent le visiteur.
_— Cette situation crée un imaginaire collectif loin de la
réalité : la misère est cachée derrière les grands hôtels, l’on
passe rapidement dans un car climatisé au milieu des bidonvilles
pestilentiels.
— Ce type de tourisme fait donc du monde un produit
aseptisé, de consommation courante.
3. Le monde au supermarché
— La création des supermarchés de voyages, il y a quelques
années seulement, consacre l’aspect grégaire du tourisme : on
achète le dépaysement comme une boîte de conserve.
— Le déplacement est celui de l’univers du touriste vers un
autre dont il refuse la spécificité : on voyage pour retrouver la
même chose que chez soi.
— S’opère une banalisation de l’exotisme, l’admiration
enthousiaste n’est plus de mise, le touriste est blasé avant même
de partir. « Que ce soit dans l’Inde ou en Amérique, le voyageur
moderne est moins surpris qu’il ne reconnaît. (...) La quête de
l’exotisme se ramène à la collection d’états anticipés ou retardés
d’un développement familier. » (Lévi-Strauss, Tristes Tropi-
ques).
— Le touriste en troupeau reproduit donc ailleurs sa vie
monotone de masse. « L’avachissement pathétique du voyageur
contemporain ne fait que refléter la passivité sociale de notre
rapport aux êtres et aux choses » (Bruckner et Finkielkraut, Au
coin de la rue, l'aventure).
Transition : La situation semble effectivement celle des
grandes transhumances (le troupeau) estivales. Mais cette
opinion, _professée par une élite déçue, est très partiale :
« l'équipée individuelle » existe encore. Tout dépend justement
du tempérament de chacun.
IL. Du bon usage du tourisme
1. Les anti-touristes
— En refusant toute organisation, et en bannissant l'argent,
les « routards » et hippies visitent les pays de l’intérieur. Ce
tourisme concerne surtout la jeunesse, plus éprise de rencontres
fructueuses que de sites classés.
Ce mode de voyage était déjà celui de Nerval : « Quant à
voir les points de vue et les curiosités selon l’ordre
des
46
itinéraires, c’est de quoi je me suis toujours soigneusement
défendu » (article de 1838).
— À l’autre extrême, le tourisme culturel qui « ne veut pas
bronzer idiot » adopte sa propre organisation selon un rythme
lent : visites approfondies des musées, intérêt porté aux mani-
festations culturelles, étude des mœurs par imprégnation.
— « Savoir se faire accepter par les autres, arriver à l’impro-
viste sans être jamais un intrus, rester entièrement soi-même,
tout en renonçant à ses acquis et à ses habitudes, bref, devenir
autonome à l’égard de sa naissance et lié à tous les lieux »
(J. Lacarrière, L’Eté grec).
2. La diversification des modes de voyage
— L'image du tourisme de masse est sclérosée : beaucoup de
gens partent, mais de façons très différentes.
— Le touriste attend de ses vacances des activités variées.
Les vacances, originellement « période de vide », tendent à se
remplir et à s'enrichir (stages, sports, etc.).
3. L'aventure de l'individu ‘”
— Les connaissances : Le profit tiré du voyage appartient à
Pindividu seul, quel que soit le principe organisateur de son
périple, fût-il planifié à l’éxtrême. Montaigne considérait le
voyage comme « un exercice profitable. L’âme y a une conti-
nuelle excitation à remarquer les choses inconnues et nou-
velles » (Essais).
— La part du rêve : « Le voyage est une espèce de porte par
où l’on sort de la réalité comme pour pénétrer dans une réalité
inexplorée qui semble un rêve » (Maupassant).
— Voyage organisé ou aventure livrée au hasard, le tourisme
permet à chacun d’exercer son sens critique face à ce qu'il
découvre et, en retour, face à son propre univers. Peut-être faut-
il en passer par la planification outrancière pour déterminer ce
que nous attendons individuellement du tourisme et construire à
notre manière nos Voyages.
Conclusion
— La séparation entre tourisme personnel et tourisme gré-
gaire n’est donc que partiellement fondée.
— Faute de mieux, la planification permet à certains de
voyager quand même, ce qu’ils ne feraient sans doute pas sans
ee."
— Tout voyage peut réveiller le goût de la communication
avec l’autre, cet étranger qui peut nous en dire si long sur nous-
mêmes.
— « Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel, qu'importe ?
Au fond de l’Inconnu pour trouver du nouveau! » (Baude-
laire, « Le Voyage »).
47
r
G. La science et l’art au goût du jou
M
Mikel DUFRENNE
(Revue Traverses)
48
déterminé, comme pour l’habit militaire ou religieux, peut-on encore
parler de mode ? Non, dans la mesure où le costume est proprement
3s obligatoire et immuable. C’est là qu’on saisit la différence entre
société traditionnelle et société de consommation : si le vêtement a la
même fonction dans les deux systèmes, il en assume encore une autre
dans les sociétés modernes : source de profit, il stimule la consomma-
tion en imposant le changement perpétuel ;qui suit la mode n’est pas
40 seulement de son lieu, mais de son temps. Et c’est pourquoi —
horresco referens! — le vêtement religieux lui-même a récemment
accepté l’aggiornamento?. Mais nous avons aujourd’hui une autre
occasion d'observer la puissance de récupération du système : lorsque
les groupes qui se veulent marginaux inventent une anti-mode — par
45 exemple hippie — ce marginalisme est vite absorbé, et l’anti-mode
devient la mode. Peut-être parce que, à l’intérieur d’un groupe qui
voulait s’affirmer en se singularisant, l’anti-mode était encore ou déjà
une mode. Seule la non-mode est peut-être irrécupérable : l’indiffé-
rence qui ne se laisse pas entamer (alors que l’excentricité est encore
so un consentement : qui se singularise reconnaît la généralité de la
mode, et ne la combat que sur Son propre terrain).
Questions :
1. Résumé (8 points).
Vous résumerez le texte en 165 mots. Une marge de 10 % en
plus ou en moins est admise.
Vous indiquerez à la fin de votre résumé le nombre de mots
employés.
2. Vocabulaire (2 points).
Expliquez le sens dans le texte des expressions :
— l'arbitraire d’un changement constant (1. 22) ;
— la puissance de récupération (1. 43).
3. Discussion (10 points).
« Loin de discerner ou encore de singulariser, la mode intègre ;
le modèle qu’elle impose est un uniforme, qui uniformise »,
affirme Mikel Dufrenne.
Qu’en pensez-vous ?
ITALIE, TURQUIE,
ÉPREUVE ANTICIPÉE, BACCALAURÉAT, JUIN 1987 : A, B, C, D, D’, E.
1. Horresco referens : « Je frémis en le racontant » (Virgile, Énéide). Expression employée ici de manière plaisante.
2. Aggiornamento : terme italien qui désigne l'adaptation de la tradition de l’Église à l’évolution du monde actuel
4
DIFFICULTÉS... CONSEILS... PROPOSITIONS...
À propos du résumé
directeur est
© La densité du texte rend le résumé difficile. Son fil
la mode : VOUS pouvez,
l'apparition et l’évolution du phénomène de
différ entes étapes .
par des liaisons choisies, distinguer les
»,
e Suggestion : ne renoncez pas à employer le terme de « mode
.
irremplaçable ici. Veillez seulement à ne pas le répéter trop souvent
À propos de la discussion
e Sujet fuyant entre tous, la mode exige pour être analysée de
faire un plan strict. De plus l'intitulé ne limite pas votre réflexion aux
vêtements : sachez donner des exemples touchant à d'autres
domaines (mobilier, vocabulaire, mœurs...).
e Soyez attentifs à la date de l’article : en douze ans, le fonction-
nement de la mode at-il changé?
e Suggestion : n'hésitez pas à utiliser les exemples de modes
passés ou récents que vous connaissez bien.
1. Résumé
(165 mots)
La mode suppose une société : Robinson s’habille n’importe
comment, pour survivre ou par habitude. Ses choix viennent
seulement de préférences personnelles. De plus les primitifs
suivent la coutume ancestrale qui donne un sens aux vêtements.
Ainsi la mode exige un développement élevé, où les échanges
commerciaux couvrent le nécessaire et le superflu, puisqu’elle
pousse à consommer. Elle ne veut pas révéler différents niveaux de
vie. Au contraire elle assure la cohésion du groupe par l’unifica-
tion. En la suivant, chacun prouve sa soumission au code social.
Certes les uniformes subsistent pour quelques catégories, mais
cette pratique souligne justement la nouveauté de notre civilisa-
ton : outre son rôle habituel, l'habillement par son renouvellement
développe l’économie, situe l’homme dans son époque. D'ailleurs,
même les religieux sacrifient au goût du jour. Nul n’échappe
désormais au pouvoir de la mode : les mouvements marginaux
deviennent vite norme, car voulant se démarquer ils acceptent
son
principe. Unique moyen de l’éviter : le désintérêt total.
50
2. Vocabulaire
3. Discussion
PLAN DÉTAILLÉ
Introduction a
— Le terme de mode désigne les canons périodiquement
changeants de l’élégance vestimentaire au sein d’une société. Elle
s’étend sur tous les domaines de l’apparence : langage, décoration,
véhicules, style de vie.
— Par son caractère futile et fugace, sa volonté d'échapper aux
habitudes, la mode s’oppose à l’uniforme, et semble totalement
inutile à la cohésion de la société. Des penseurs à la recherche du
régime idéal, comme Platon ou Fénelon, l’ont d’ailleurs vigoureu-
sement exclue de leur utopie. Tandis que d’autres la condamnent
comme une folie.
— Pourtant, dans un numéro de la revue Traverses consacré en
1976 à ce phénomène, Mikel Dufrenne écrit : « Loin de discerner
ou encore de singulariser, la mode intègre; le modèle qu’elle
impose est un uniforme, qui uniformise. »
Questions :
1. En quoi la mode donne-t-elle l’impression de singulariser ?
2. Par quel processus aboutit-elle à l’uniformité ?
3. Ce jugement est-il à nuancer?
51
,
toge romaine, interdite aux étrangers, était jaune pour les augures
de pourpre pour les enfants ou les
blanche avec une bande
sénateurs. L’épée, la perruque, la poudre sont réservés aux
nobles dans l'Ancien Régime. En revanche la mode, de plus en
plus, s’affranchit des formes, des couleurs, s’adresse à tous, varie
selon le temps, non des impératifs de classe. Il a fallu un décret de
la Convention pour déclarer le principe démocratique de la liberté
vestimentaire : la mode s’est épanouie avec ce respect des droits de
l'individu, contre le pouvoir contraignant de la société.
_— Par ses variations et sa variété, elle empêche la monotonie,
s'oppose à la constance des uniformes. Ainsi, dans les années 60, la
longueur des jupes est-elle tantôt aux cuisses tantôt aux chevilles.
— Elle exalte la personnalité, distingue les individus les uns des
autres. Bien souvent, elle est lancée par une personnalité excep-
tionnelle : Louise Brooks mit à la mode la coupe à la garçonne,
Coco Chanel ses tailleurs noirs... Aujourd’hui, Madonna crée une
ligne de vêtements et d’accessoires…
— Par leurs choix effectués en tous domaines, la mode affirme
les idées des individus, leur style de vie propre : jeunesse et
modernisme avec la vogue du walkman et du blue-jean, tradition et
raffinement avec le tailleur de grand couturier, goût pour la
simplicité naturelle avec le bois blanc des meubles, les sabots ou les
vacances en Lozère dans les années 70, anticonformisme avec les
coiffures en crête et les teintures criardes en 80...
2
II. L’uniformité
Pourtant la mode aboutit en général à l’uniformisation, comme
l’affirme M. Dufrenne :
1. L'imitation
— Il existe peu de lanceurs et beaucoup de suiveurs : la mode,
par définition, suppose un large public imitant quelques modèles
qui deviennent banals.
— On a expliqué le phénomène par la volonté de se distinguer
par le luxe, l’appartenance à une classe élevée : les nobles sentant
leurs privilèges s'échapper se réfugient dans l'originalité, les
bourgeois singent leurs perruques, leurs tissus, bientôt les ouvriers
copient le confort de la bourgeoisie. En fait la mode reproduirait
dans l’ordre démocratique les distinctions dues autrefois à la
naissance, aujourd’hui à la richesse, la seule différence étant dans
la rapidité des changements d’uniformes.
— Les individualités fortes créent une pléthore falote d’épi-
gones : les stars du cinéma ou de la chanson sont bientôt pourvues
de sosies, Marilyn ou Renaud; qui courent les rues avec leur
blondeur ou le foulard rouge au cou.
2. Rôle de l’économie
— L'économie de marché contribue puissamment à l’uniformi-
sation: la confection vulgarise la Haute couture, on impose à
chaque saison, la teinte, la coupe, l’accessoire prestigieux ou
amusants qui vont pousser à la consommation : la mode viendrait
de quelques marchands avides de provoquer un engouement
lucratif à coup de publicité médiatique.
— Il est certain que la Haute couture fut accusée de dictature,
que des organisations comme Modeurop fixèrent pour les distribu-
teurs de plus de quinze pays les couleurs du cuir en vogue (gants,
sacs, ceintures), que les gadgets se succèdent : bubble-gum (1950),
scoubidous (1959), hulahop (1963), yoyo (1965), porte-clés (1970),
PACS tic-tac (1972), autocollants (1973), fontaines lumineuses
(1974)...
— Enfin la mode sait à merveille récupérer tout ce qui plaît, y
compris les mouvements qui la contestent. Exemple le plus
spectaculaire : le retour des jeunes à la nature, leur refus de la
société de consommation violent, dans les années 68-70, aboutit à
la diffusion de chemises grand-mère en coton, sabots, pantalons
rapiécés, délavés et à franges, bientôt portés par tous.
Dès 1929, une enquête d’Elisabeth Hurlock (Psychology of
dress) montrait que la plupart des femmes interrogées suivaient la
mode pour ne pas se faire remarquer, non pour se distinguer.
P. Valéry écrit dans Rhumbs : « La mode étant l’imitation de qui
veut se distinguer par celui qui ne veut pas être distingué, il en
résulte qu’elle change automatiquement. Mais le marchand règle
cette pendule. » Ainsi s’explique la spirale incessante et dialectique
du phénomène.
53
III. Quelques nuances
1. La multiplication des créateurs | ;
du prêt-à-porter, dans les années 50-60, a
_— La révolution
permis de rompre le couple formé par la Haute couture, qui
décidait la mode, et la confection, qui l’imitait sans la qualité ni
l’esthétisme. De nos jours les vêtements beaux, originaux et pas
chers peuvent facilement être acquis par le grand nombre. La
multiplicité des créateurs est telle, comme leur variété, que le choix
possible augmente : à côté de Dior ou de Yves Saint-Laurent
prospèrent Manoukian, Benetton, Naf-Naf, tandis que Kenzo ou
Issey Miyaké introduisent des influences étrangères. En fait, les
stylistes de ces griffes perpétuent un style propre plus qu’ils ne
transforment les goûts à chaque saison.
— Aucun engouement notoire ne transforme plus de manière
systématique les silhouettes ou les habitudes pour un été ou un
hiver. En revanche les modes se multiplient et se mélangent, au
point que récemment un livre de trois cents pages, Les mouvements
de mode expliqués aux parents, se proposait plaisamment de guider
les profanes dans la jungle des looks, rasta, new-wave, funk,
branché, B.C.B.G...
— La mode quitte son réel pouvoir d’uniformisation pour se
dissoudre en des modes, dont le pouvoir contraignant diminue. De
plus en plus chacun puise dans ce fonds commun selon l’humeur,
les goûts : la même jeune femme passera en quelques heures d’une
minijupe amusante au blue-jean, pour mettre ensuite un tailleur
plus strict. Le nombre des uniformes crée la diversité et la liberté.
2. Un changement de mentalité
— Autres exemples qui montrent ce changement des mentali-
tés : les coiffeurs cherchent moins à imposer la dernière coupe à la
mode, et se penchent davantage sur les individualités, comme
l'indique le slogan « Recoiffe-moi le moral ». Les constructeurs
d'automobiles ne sortent pas un nouveau modèle par an, pourvu de
gadgets qui rendront « ringard » celui qui n’en jouira pas : Renault
au contraire conserve l'esthétique de la R 5 pour créer la Super-
cinq, parce qu’elle est devenue classique, mais en revanche propose
vingt-deux versions différentes du modèle, sans compter les
couleurs et les accessoires, pour répondre à la demande très
diversifiée du public.
Conclusion
— La phrase de Mikel Dufrenne a le mérite de montrer le
paradoxe de la mode, qui à la fois distingue et uniformise part de
l'anti-conformisme pour aboutir au conformisme.
Der Cependant son analyse doit être nuancée à la lumière
de
l’évolution récente : mode et démodé sont moins tranchés.
La
critique à laquelle il se livre appartient d’ailleurs. à une
mode
aujourd’hui passée, et qui consistait à refuser la société
de
54
consommation, la publicité, les manipulations des masses, dans les
années 70. La leçon ayant porté ses fruits, le modèle unique
disparaît au profit de tendances qui reflètent la multiplicité
acceptée, donc intégrée.
55
#7. Une œuvre d'art n’a de val eu 2 2
r
t
que dans son encadremen
A
TT I PI LILI LU Le
TT
Ernest RENAN
56
beauté, et, du centre de la nature humaine, contemple dans tous les
sens, avec le ravissement de l’extase, ses éternelles productions dans
leur infinie variété : temples, statues, poèmes, philosophies, religions,
formes sociales, passions, vertus, souffrances, amour, et la nature elle-
1 même qui n'aurait aucune valeur sans l’être conscient qui l’idéalise.
Questions :
1. Résumé (8 points).
Vous résumerez ce texte en 120 mots. (Une marge de 10 % en
plus ou en moins est admise.) Vous indiquerez sur votre copie le
nombre de mots que vous aurez employés.
2. Vocabulaire (2 points).
Expliquez le sens dans le texte-de : son spirituel scepticisme
(1. 24-25); les pédants de collège (1. 32).
3. « Une œuvre n’a de valeur que dans son encadrement, et
l'encadrement de toute œuvre c’est son époque. »
Quel est votre point de vue? Appuyez-vous sur des exemples
précis.
57
e Suggestions : établissez le schéma détaillé du texte en montrant
les deux volets principaux : seule une œuvre authenti que suscite
l'admiration: la signification d’une œuvre n'est perceptib le que si l'on
se replace dans son contexte.
À propos de la discussion
e La citation de Renan est péremptoire, et il faudra donc nuancer
le propos. Ayez à l'esprit que l’auteur (1823-1892) est un positiviste,
c'est-à-dire qu’il fait de la science sa religion, après qu'il a été déçu
par les dogmes de la foi chrétienne. Auteur d'ouvrages historiques,
Souvent religieux, et d'esthétique, il a pris pour guide l'objectivité,
même s’il multiplie les paradoxes sceptiques.
58
CORRIGÉ... CORRIGÉ... CORRIGÉ. CORRIGÉ...
1. Résumé
(122 mots)
2. Vocabulaire
59
superfi-
monde au nom d’une érudition purement livresque, donc Renan,
cielle, qui est étalée avec complaisance et ostenta tion. Pour
sont pédants les professeurs qui prétendent que telle ou telle œuvre
d’une époque définie contient les vérités universelles, qu’elle est
au-dessus de l’histoire.
3. Discussion
60
Ex. : Klee et Kandinsky qui ont fondé une nouvelle école
d'architecture, le Bauhaus : « Nous recherchions une attitude
créatrice qui aurait aidé à réhabiliter l’architecture contemporaine
et le design comme des arts sociaux. » (Gropius et Le Corbusier.)
2. L'art exprime les idéaux et les angoisses de chaque époque.
— Le millénarisme, cette peur de l’an Mil, a multiplié les
Apocalypses en peinture, les scènes de Jugement dernier, de
supplices infernaux. L’art est ainsi le pur reflet de son époque.
— L'art moderne traduit les deux tendances du monde actuel :
lintellectualisme à outrance :
Ex. : peinture non figurative de Mirô, musique sérielle de Boulez
et le besoin d’être rassuré :
Ex. : art naïf, biographies historiques romancées de Troyat.
— Le public joue un grand rôle dans cette vision de l’art comme
n’ayant de valeur qu’au sein d’une époque : on s’engoue et on se
dégoûte rapidement, conférant ainsi aux œuvres un caractère
éphémère. ps
3. L'art se dit parfois « engagé » le temps historique.
— L'artiste doit avoir « la pensée du temps où nous vivons, la
responsabilité qu’il encourt » (Sartre).
Ex. : les poètes de la résistance :Éluard, Char, etc.
— L'art est ainsi une démarche politique, dépendante des
événements mêmes de l'Histoire.
Ex. : l’art officiel : Berlioz et son Requiem, Delacroix avec La
Liberté guidant le Peuple.
II. L’art est intemporel
1. Les œuvres clés
— Les œuvres clés, à valeur quasi mythique, ne sont d’aucune
époque et de toutes. Leur support historique n’a pas d'importance
mais elles fondent les structures de l’humanité.
Ex. : L'Odyssée d'Homère, les tragédies de Racine comme Phèdre,
L'Art de la Fugue de Bach.
— Ce sont les types humains qui importent dans ces œuvres,
l'expression de vérités sur l’univers.
Ex. : opéras de Wagner, personnages de Flaubert.
2. L’échec d’un art uniquement d'époque
— L'art trop engagé dans le temps est voué à l’oubli à plus ou
moins courte échéance.
Ex. : les frères Goncourt dont les romans sont trop calqués sur la
réalité de leur temps.
— Ne donner qu’une valeur historique aux œuvres d’art c’est en
faire des traités de sociologie ou d’histoire, des témoins d’une seule
époque.
Ex. : la statuaire grecque ne serait plus beauté irréelle et idéale
mais simple donnée archéologique.
61
HI. La transfiguration par l'artiste
1. Le regard d’un individu. AR Va te sp art 2
— « de sens artistique est soumission à la réalité intérieure »
(Proust). Il s’agit, dans l’art, de voir la réalité par les yeux de
l'artiste. | , “À 1
Ex. : Rôle d’Elstir, le peintre, et de Vinteuil, le musicien dans À la
Recherche du Temps perdu, de Proust. ;
— L'artiste est à la fois un produit de son époque, mais aussi un
caractère individuel qui se situe au-delà ou en-deçà de l'Histoire :
« Une œuvre d’art est un coin de la création vu à travers un
tempérament » (Zola).
2. L'art est impression et expression.
— « Par l’art, ce qui est dans l’âme prend une forme, devient
une réalité visible ; par l’art, la réalité visible, jusque-là uniquement
physique, prend un sens humain, acquiert une âme. » (Huyghe,
L'Art et l'Homme). Huyghe établit aussi le doublet de l’art qui
ressortit à la fois à l'expression de soi (mouvement de l’intérieur
vers l'extérieur) et à l’impression (empreinte laissé par le monde
sur la sensibilité de l'artiste).
3. La transfiguration
— Même si elle est le fruit d’une époque, l’œuvre opère un choix
dans le réel qui en fait tout autre chose que ce que les historiens
peuvent y trouver.
— Seuls les moyens de l’art n’ont de valeur que dans leur
encadrement : les techniques picturales, les règles de l’harmonie
définies par Rameau au xvui° siècle, les écoles littéraires. Ces
moyens sont les véhicules de l’œuvre qui, elle, appartient autant à
une époque qu’à toutes.
Ex. : Bonjour Monsieur Courbet, peint par Courbet en 1854 et
Bonjour Monsieur Gauguin, peint par Gauguin en 1880.
Conclusion
— Le propos de Renan s’explique lui aussi donc, dans le
contexte historique de l’auteur qui inaugurait la critique positiviste
et devait combattre un discours idéalisant sur l’art soi-disant
absolu.
— En définitive, l’art oscillerait plutôt subtilement entre la pure
subjectivité d’un être — engagé, il est vrai, dans une époque, mais
riche de ses propres potentialités — et un discours de portée
universelle. Ce discours a l’homme pour objet et le prend
en
compte dans sa plus extrême généralité autant que dans
les
manifestations historiques de sa nature.
62
&8. L'homme a besoin du travail
plus que du salaire.
POIL I
63
congés, de bonnes retraites, qu’un bon travail qui est le premier que de
leurs biens. Car le but du travail n’est pas tant de faire des objets
i hommes. A
ne se fait en faisant quelque chose. Le travail établit un
contact direct avec la matière et lui en assure une connaissance
précise, un contact direct et une collaboration quotidienne avec
d’autres hommes ; il bride les passions en fortifiant le vouloir.
45 Le travail, le travail corporel, constitue pour les neuf dixièmes des
hommes jeur seule chance de manifester leur valeur en ce monde.
Mais pour que ce travail même, et non le paiement seul, profite à
l'homme, il faut que ce soit un travail humain, un travail où l’homme
entier soit engagé : son Corps, SON CŒUr, SON intellect, son goût.
50 L’artisan qui façonne un objet, le polit, le décore, le vend, | approprie
aux désirs de celui à qui il le destine, accomplit un travail humain. Le
paysan qui donne vie aux champs et fait prospérer le bétail par une
œuvre accordée aux saisons, mène à bien une tâche d’homme libre,
tandis que l’ouvrier enchaîné au travail à la chaîne, qui de seconde en
55 seconde répète le même geste à la vitesse dictée par la machine,
s’émiette en un travail sans but pour lui, sans fin, sans goût ni sens. Le
temps qu’il y passe est temps perdu, vendu : il vend non son œuvre
mais le temps de sa vie. Il vend ce qu’un homme libre ne vend pas : sa
vie. C’est un esclave. Il ne s’agit pas d’adoucir le sort du prolétaire afin
de le lui faire accepter, il s’agit de supprimer le prolétariat comme on a
supprimé l'esclavage, puisque de fait le prolétariat c’est l’esclavage.
Si la machine vous est utile, servez-vous d’elle ; mais si elle vous est
nécessaire, alors le devoir devient urgent de la jeter loin de vous car il
est fatal qu’elle vous enchaîne et vous prenne dans son engrenage.
65 Pourvu que ni sa fabrication ni son usage n’implique ni abus et nulle
exaltation fanatique, pourvu que nulle fatalité ne préside à son
progrès, il nous devient loisible d’en user.
La machine enchaîne, la main délivre. La machine a gagné
l’homme. L’homme s’est fait machine, fonctionne et ne vit plus.
70 L’homme est vaincu. Vaincu deux fois : convaincu. Il ne proteste plus,
même en pensée. Ses gestes, ses désirs, ses peurs se mécanisent, ses
amours et ses haines, ses goûts et ses opinions. L'éducation des
enfants, l’activité productrice, le sport et les divertissements, l’applica-
tion des lois, la police et l'administration, l’armée et le gouvernement,
75 tout commence à tendre à l’inhumaine perfection de la machine.
Quand vous aurez fait de l’État une machine, comment empêche-
rez-VOuS un fou quelconque de s'emparer du guidon et de pousser la
machine au précipice ? Quand vous aurez fait de l’État une machine,
il
faudra que vous lui serviez vous-même le charbon.
64
Questions :
1. Résumé (8 points).
Vous résumerez ce texte en 250 mots (écart toléré : plus ou
moins 10 %).
Vous indiquerez sur votre copie le nombre de mots employés.
2. Vocabulaire (2 points). ’
Expliquez le sens dans le texte de :
— des travaux qui usent l’homme, l’étriquent (1. 20-21);
— l'ouvrier… s’émiette en un travail sans but pour lui (1. 54-
56).
3. Discussion (10 points).
« L’homme a besoin du travail plus encore que du salaire.
Ceux qui veulent le bien des travailleurs devraient se soucier
moins de leur obtenir un bon salaire, de bons congés, de
bonnes retraites, qu’un bon travail qui est le premier de leurs
biens. » Quel est re point de vue ;? Que représente pour vous
< un bon travail »?
CLERMONT-FERRAND,
ÉPREUVE ANTICIPÉE, JUIN 1976 : A, B, C, D, E.
À propos du résumé
e Le texte est très long et demande une bonne maîtrise des
techniques pour pouvoir être traité dans le temps qui vous est imparti.
L'argumentation de Gandhi, extraite de la troisième section du
Pèlerinage aux Sources de Lanza del Vasto, est ici recomposée par
addition de fragments.
65
aux choses, plus
et « émietter» sont des mots qui s'appliquent
ici mécan isé, il est devenu
qu'aux hommes. Mais l'homme s'est ;
chose.
À propos de la discussion
e Le sujet fait appel à votre réflexion personnelle. Attention à ne
pas muitiplier les clichés et les idées reçues. songez que Lanza del
Vasto a publié son livre en 1943 et que Gandhi est mort en 1948. La
citation est à la fois en avance sur son temps et inadaptée, en un
sens, à notre époque. Il conviendra de nuancer le propos.
1. Résumé
(244 mots)
66
2. Vocabulaire
e Les travaux qui usent l’homme, l’étriquent (1. 22) : Les deux
verbes sont ici dans un rapport de progression d’intensité. Le verbe
de la proposition relative, « user » signifie d’abord utiliser une
chose, s’en servir (dans ce cas il est intransitif) ; un usage répété de
cet objet finit par le détériorer et le verbe (alors transitif) a le sens
d’abîmer, d’altérer la nature première de quelque chose à force de
s’en servir. Par métaphore le verbe s’applique aussi à la psycholo-
gie, dans l’acception d’épuiser. Quant au verbe « étriquer », il est
surtout courant comme participe passé à valeur d’adjectif, et
signifie rendre trop étroit, diminuer exagérément l’ampleur de
quelque chose. D’abord de sens concret, le mot peut être utilisé,
comme ici, dans son application psychologique. Les travaux
abîment l'homme et finissent par l’amenuiser. Il subit une perte
d’être et se trouve ramené à un objet qui se détériore. À l'inverse,
le travail véritablement humain devrait permettre un épanouisse-
ment total. PT
e L’ouvrier (..….) s’émiette en un travail sans but pour lui (1. 54) :
Cette expression est du même ordre métaphorique que la précé-
dente : le travail détruit l’homme. En réalité ce sont les tâches
elles-mêmes qui sont morcelées, parcellaires. Mais ce travail
impose sa propre nature à l’homme qui à son tour se désagrège en
menus morceaux, perd son identité. C’est à cause du travail en
miettes (titre d’un ouvrage de Friedmann qui analyse le phénomène
de l’automatisation, paru en 1964) que l’ouvrier ne peut trouver un
but dans son activité : à la différence du paysan ou de l’artisan qui
fournissent un produit fini dont ils ont assuré les étapes de
fabrication, l’ouvrier accomplit des miettes d’objets.
3. Discussion
PLAN DÉTAILLÉ
Introduction
— Nul ne conçoit une vie oisive de nos jours : les rentiers se font
rares ; les féministes à outrance voient dans le travail féminin une
libération. En cela la proposition de Lanza del Vasto : « L'homme
a besoin du travail plus encore que du salaire » se vérifie.
— Mais l’on constate que les conditions de travail, l’asservisse-
ment à la machine, aliènent l’homme. À la suite de Gandhi, del
Vasto propose que, pour le bien des travailleurs, on se soucie
« moins de leur obtenir un bon salaire, des bons congés, de bonnes
retraites, qu’un bon travail ».
67
l’homme de son
__ En effet, le travail moderne prive souvent
pouvoir créateur. Le bon travai l serait celui qui permettrait
s intenté au
l'épanouissement du travailleur. Toutefois, le procè
ibre est possi ble entre
machinisme semble outrancier, et un équil
l'intérêt du travail et l’attra it du seul salair e.
2. L'aide de la machine
— Le procès du machinisme est injustifié car il a libéré en partie
l’homme.
Ex. : ce qui était auparavant accompli par des enfants dans les
industries textiles anglaises l’est désormais par des machines.
69
— La machine a sa part dans le progrès social.
Ex. : les congés payés n’ont pu être inaugurés en France que
lorsque la technologie l’a permis, c’est-à-dire dans le deuxième
quart du xx° siècle (1936). Cette mesure sociale sans précédent a eu
le soutien de la machine.
— La machine, de plus en plus d’ailleurs, sert l’homme :
informatique ou statistiques libèrent du temps que l’homme peut
consacrer à réfléchir.
— La machine moderne est donc un bon outil technologique et
intellectuel.
3. Un bon travail bien rémunéré
— Seuls les esclaves n’ont pas droit à un salaire.
— Les exigences qualitatives d’un bon travail ne sont pas
incompatibles avec des exigences quantitatives. Il n’y a pas de
honte à demander un salaire confortable lorsque l’activité exercée
est en soi agréable. II faut trouver un équilibre entre qualité du
travail et quantité du salaire, des congés, etc.
— L'homme garde ceci de l’enfance qu’il a besoin d’être
encouragé de façon concrète : un bon salaire est la reconnaissance
matérielle de la valeur de son travail, de l’aide qu’il apporte à la
société. Cet aspect psychologique est trop souvent négligé.
Conclusion
— Le point de vue de L. del Vasto est généreux mais relève d’un
rêve : celui de l’abolition de la technologie moderne.
— Or, c’est un usage raisonné de cette même technique qui doit
pouvoir conduire l’homme moderne à un travail libérateur et
créateur.
70
DEUXIÈME SUJET
Le commentaire composé
Conseils méthodologiques
Mieux comprendre le deuxième sujet
Contrairement au premier sujet, celui-ci porte sur un texte très
littéraire. L'analyse consistera à en montrer les qualités stylisti-
ques et les richesses thématiques, là encore dans un développe-
ment rigoureusement construit et argumenté.
Fond et forme ne seront jamais séparés dans votre devoir qui fuira
également une lecture linéaire du texte. Il vous est demandé en fait
de composer votre étude autour de deux, trois ou quatre centres
d'intérêts essentiels.
Le libellé vous suggère quelques points de départ pour une lecture
pertinente ; mais en aucun cas il ne constitue une contrainte.
Tout en consacrant vos efforts à l'analyse très précise du texte lui-
même, vous penserez à le replacer, ainsi que son auteur, dans une
lignée littéraire, un contexte. L'introduction en dira l'essentiel, tandis
que la conclusion reviendra sur ces éléments, à la lumière des
approfondissements apportés par votre développement.
73
9. Victor HUGO
« L’Expiation », Les Châtiments
té
PIN Il
TT
74
DIFFICULTES... CONSEILS... PROPOSITIONS...
e La défaite de Waterloo (juin 1815) est suffisamment connue
pour que vous sachiez qu'elle marque symboliquement la fin de
l'empire napoléonien face à la coalition européenne.
e La Garde, corps d'élite créé en 1804, comptait plus de 120 000
hommes en 1814 et passait pour très courageuse et fidèle, d'où la
phrase célèbre : « la garde meurt mais ne se rend pas ». Elle fut à
Waterloo le dernier espoir de l’empereur, et seule de l’armée, elle se
battit jusqu’au bout dans la déroute générale.
e La position de V. Hugo mérite un commentaire : né en 1802, il
n’a pas participé à ce combat : son récit est donc une reconstitution
historique faite environ trente-cinq ans après l'événement. Par
ailleurs, Les Châtiments (1853) ont pour but d'attaquer Napoléon III :
la glorification de l'oncle sert à rabaisser son neveu médiocre, qui
avait exilé le poète en 1851 pour s'être opposé à son coup d'État.
© Suggestions:
1. Distinguez ce qui relève de l'histoire (organisation de l’armée,
déroulement de la bataille...) et l'amplification épique (hyperboles,
images...) : ces deux thèmes peuvent vous fournir un plan.
2. Étudier les sonorités (en particulier v. 3), le rythme (v. 13-23),
les enjambements...
8. Vous pouvez comparer ce texte à la description de Waterloo
dans Les Misérables (1,2) et La Chartreuse de Parme (1,3).
I. La reconstitution historique
— cadre et circonstances
— l’armée
— le carnage et le courage
II. Le grandissement épique
— les procédés poétiques propres à l’épopée
— le mythe napoléonien : héroïsme du chef et des troupes
— l'enthousiasme du poète
ch)
DEVOR RÉDIGÉ “mr
77
», le choix
ou les moissons (v. 5). Le rejet du verbe « tombaient
illustre r cette chute des tambou rs-maj ors, qui sont les plus
pour
grands des soldats par leur taille rehaussée du panache, soulignent
la brutalité du mouvement. Les murs expriment la solidité Fi
troupes qui cèdent, les épis mûrs évoquent leur valeur, puisque la
moisson est traditionnellement promesse d opulence. |
Avec cette dernière image Hugo retrouve le thème de la mort,
souvent représentée depuis le Moyen Age comme une grande
faucheuse. Les « dragons que Rome eût pris pour des légion-
naires » (v. 14) assimilent l’armée française à la grandeur _de
l’armée romaine qui domina l’Europe entière, réve que Napoléon
tenta de renouveler par la création de son Empire. Ces incursions
dans l'imaginaire de notre civilisation se prolongent avec 1 assimila-
tion de la plaine à un « gouffre flamboyant », une « forge » (v. 3),
une « fournaise » (v. 23) qui ne sont pas sans rapport avec la
conception chrétienne de l'Enfer. La peinture, qui insiste Sur le feu
et la couleur « rouge » du cadre, renforce ces impressions visuelles
dans le vers 3 par les allitérations en [f], [r] et l’assonance en [ul] :
« Qu'un gouffre flamboyant, rouge comme une forge. » ru
Le personnage de Napoléon n’échappe pas à ce souffle épique.
Caractérisé par sa maîtrise légendaire de la stratégie, il sent (v. 9)
que la victoire s’échappe, et réagit immédiatement par la mesure
qui s'impose. Son sang-froid éclate dans le choix du terme
«inquiet » (v. 8), là où un autre s’affolerait. L'image de la bataiile
qui « pliait » entre ses mains (v. 9) montre qu’il domine d’ordinaire
les plus grands conflits. Le terme de « dieu » (v. 19) indique
d’ailleurs la vénération des soldats pour leur chef.
L’armée, particulièrement la Garde, se montre à la hauteur.
Après la longue énumération de ses membres variés (v. 13-16),
Hugo insiste sur l’unanimité de leur acquiescement à une mort
héroïque qu’ils ont eu l'intelligence de prévoir : « tous » est mis en
début de vers (v. 17), « un seul cri : vive l’empereur » renouvelle
l'attachement inconditionnel au chef (v. 20). C’est avec une
discipline parfaite qu’ils exécutent les gestes et les paroles usuels, le
salut, l’exclamation et la marche lente vers la mort.
Hugo suggère même leur enthousiasme par le mot « fête »
(v. 18), la musique qui conduit l’ébranlement (v. 21), le sourire à
l'ennemi (v. 22), et surtout le rythme régulier des trois derniers
vers, pas cadencé par des coupes brèves, qui s’élargit enfin pour
l'entrée décidée dans la mêlée : 1/3/5/3/3/9/12.
La beauté sauvage de la guerre s'exprime par un chiasme (« le
noir colback ou le casque poli » v. 16), aussi bien que par l'attitude
des hommes : pourvus d’un pouvoir quasi divin, ils traînent non de
simples canons, mais, par métonymie (ici l’effet pour la cause),
« des tonnerres », comme Zeus qui pouvait déclencher les éclairs
et
les orages. Leur force inhumaine les fait se tenir « debout dans la
tempête ». On ne sait d’ailleurs, grammaticalement, s’il s’agit pour
cet adjectif de l’empereur ou des troupes, réunies dans un même
78
héroïsme. La rime significative « fête », « tempête » résume bien
cette esthétique de l’horreur.
Hugo participe au drame par ses exclamations : « Carnage
affreux! moment fatal! » (v. 8), « espoir suprême et suprême
pensée! » (v. 10) ; ce dernier vers très travaillé recèle un chiasme
renforcé par la répétition de l’adjectif et l’allitération en [pl].
79
10. Jean-Paul SARTRE
« J'aime New York... »
(Situations IIT,2)
À
LUI
80
DIFFICULTÉS... CONSEILS... PROPOSITIONS...
DEVOIR RÉDIGÉ
Envoyé aux USA comme correspondant des journaux Le Figaro
et Combat en 1945, J.-P. Sartre découvre un univers moderne,
totalement différent de ce qu’il connaissait en Europe. Une série
d’articles regroupés ensuite dans Situations III rend compte de
cette expérience. Dans un passage consacré à New York, l’auteur
narre sa rencontre avec l’urbanisme américain, en exposant
81
et en nous
comment il passa de la surprise réticente à l'amour,
offrant une description très person nelle de cette ville.
83
l'univers, opposant l’animal « apprivoisé » mais inquié-
ce
Le Gi :tapé DL 7), ou du moins peu estimable, à l’espa
« solitaire et pur comme une bête sauvage » (1. 19). Le choix de
cet
termes laudatifs rend sensibles l’admiration et le respect pour
être exceptionnel, à la fois indépe ndant et bénéfi que.
Toujours soucieux de justifier rationnellement ses impressions,
l’auteur explique de deux manières cette image : d abord par l'effet
des gratte-ciel (1. 21), qui repoussent le ciel « très loin au-dessus de
nos têtes », mais aussi par les étendues horizontales infinies des
rues. Comme elles, le regard « file » à l'horizon (le verbe apparaît
deux fois, 1. 4 et 26), dans une course qui mène à des milliers de
kilomètres de là, vers les autres métropoles, Chicago ou Boston. La
vitesse des voitures évoquée dans le second paragraphe participe à
cette impression de liberté et de grands espaces, comme la
métaphore des « grands rails parallèles » qui suggère les départs
toujours possibles (1. 28). Le champ lexical de la grandeur produit
le même effet, avec l’adjectif « grand » qui intervient quatre fois,
les « ensembles massifs » (1. 2), | « artère », « l’avenue », les
« routes nationales » (1. 8, 9, 25).
Dernier charme de cette cité, et dernier paradoxe envoûtant, la
présence de la nature s'affirme partout. Sartre ne parle pas de
Central Park, espace vert immense au cœur de la ville. Plus
subtilement, il utilise des comparaisons et des métaphores apparte-
nant au règne minéral ou animal. Il évoque en effet la splendeur
horizontale des plaines andalouses (1. 14) et la verticalité impres-
sionnante des falaises (1. 8), cadres aussi sauvages que l’animal
indéfini, à mi-chemin entre le chien et le loup, désignant le ciel
(« solitaire et pur comme une bête sauvage », 1. 19). De plus la
véritable nature reste toujours facilement accessible, ne serait-ce
que par le regard, puisque « l’œil peut presque suivre » une artère
« dans la campagne » (1. 28).
Cette ville que nous savons faite de béton, de fer et de verre offre
donc, dans un cadre naturel, une vie ardente, libre et sûre. De tels
paradoxes ont séduit Sartre qui termine sa description sur l’un
d’eux : « au cœur de la cité, vous êtes au cœur de la nature ». Et
dans tout le texte l’omniprésence du ciel, nommé six fois, équilibre
les créations humaines.
85
DIFFICULTÉS... CONSEILS... PROPOSITIONS...
e Ce sonnet date de 1868 et, avant d'appartenir au recueil de
Jadis et Naguëre, il a été publié seul.
e || conviendrait de jeter un coup d'œil au recueil dans son
ensemble, car il contient l’« Art poétique » du poète, dans lequel la
poésie symboliste est définie comme musicalité, ce qui est utile à
connaître pour analyser les textes de Verlaine en général. flfaut noter
aussi que le recueil précédent, Sagesse, reniait les expériences et la
poétique du poète, au nom d’une soumission religieuse. Ici, Verlaine
renoue donc avec des thèmes anciens.
e Feuilletez aussi un des premiers ouvrages de Verlaine, Les
Fêtes galantes dont notre texte se rapproche pour l'atmosphère.
e Le titre du recueil est en lui-même parodique de celui d'une
partie des Contemplations de Hugo : « Hier et Aujourd’hui ». Verlaine
oppose deux époques du passé, l’une très ancienne, l’autre récente,
sans vouloir prendre en compte le présent.
e Suggestions:
1. Relevez les pauses du texte (césures non marquées, coupes
originales), les jeux de sonorités (allitérations, assonances).
2. Rafraîchissez vos.connaissances sur les règles de composition
du sonnet (schéma des rimes, second tercet marotique ou ronsar-
dien, pointe, etc.).
DEVOIR RÉDIGÉ ER a à
Jadis et Naguère est un recueil composite publié en 1885
qui,
comme son titre l'indique, opère un retour sur des heures
du passé.
86
La plupart de ces poèmes sont comme des mélodies monocordes et
désabusées.
« Pierrot », second sonnet de la première section, est l’évocation
d’un personnage de la comédie italienne et du folklore français. Ici,
il apparaît doté de ses attributs traditionnels mais d’emblée
l'atmosphère est chargée de négativité. Le sonnet est sous le signe
du manque et de la mort dont l’omniprésence est la figuration
symbolique du désarroi du poète, lui aussi triste Pierrot.
Nous étudierons donc successivement l'originalité du traitement
de ce personnage traditionnel, avant d’analyser l’emprise de la
mort dans le texte; enfin, nous constaterons que le poète rend
sensible ainsi sa propre angoisse, Pierrot étant sa propre figure.
87
t ne.
éphémère de la lumière qui sont soulignés. Ce qui pouvai
tel l’« éclair », se trouve ralenti , comme se
être vigoureux,
(« long éclair », v. 5). Le mime, lui aussi, devien t négati f, puisqu 'i
se transforme en cri silencieux (« il semble hurler », v. 8). L'on est
ainsi passé de la chanson, du « vieil air » (v. 1) au silence
douloureux. Enfin la Lune est ici symbolique des changements de
la Fortune et sa pâleur se reflète dans la « face exsangue » de
Pierrot. LE
C’est pourquoi le titre même du sonnet a un statut particulie r
puisqu'il évoque une réalité connue du lecteur, pour immédiate -
ment la nier. Le personnage qui n’est plus ce qu il était, devient
tellement évanescent qu’il finit par mourir.
89
12. Daniel BOULANGER
« En été », Les Noces du Merle
D LU WU
PT
90
DIFFICULTÉS... CONSEILS... PROPOSITIONS...
e Daniel Boulanger est un auteur contemporain, né en 1922. On
lui doit la renaissance des nouvelles en France, car il en a publié
presque quatre cents à ce jour. Il illustre ce genre de façon
exemplaire mais il est également poète. Par ailleurs scénariste (une
centaine de films) et dramaturge, il possède un sens de l'intrigue et
une richesse d'expression qui en font un écrivain de première
grandeur.
_© Le texte, simple en soi, offre pourtant cette particularité de
résister à l’analyse. Cela tient en partie à la limpidité même des
phrases, en partie aux images qu'emploie l’auteur, ici presque poète.
e Suggestions : Nous ne pouvons que vous recommander la
lecture de cet écrivain : voyez par exemple le recueil de nouvelles
Fouette cocher!, le roman Les portes, ou un volume des Retouches
(courts poèmes de définition) comme Tirelire.
1. Classez les sensations qu’évoque le texte et reconstituez le
cheminement temporel de cette journée d'été.
2. Comparez les longueurs diverses des phrases et essayez de
déterminer quel effet ce rythme suscite.
91
DEVOR RÉDIGÉ aa
du Merle (1963) est l’un des nombreux recueils de
pen ne par S A Les soixante-trois nouvelles
ne pour
qu’il compte s'organisent en cinq sections, portant chacu
raphe de Buffon , _donn ée en fin de
titre un fragment de l’épig
très flûté,
volume : « Le ramage naturel du merle est très doux,
mais un peu triste, comme doit être le chant de tout oiseau vivant
en solitude. » Le recueil répond au naturaliste en proposant une
série d'observations minutieuses et poétiques des hommes dans les
cadres les plus variés, marquées par la sensation et la sensualité.
«En été » est la dernière pièce et expose, dans un bref
développement, le déroulement d’un jour d'été brûlant à la
campagne. Du texte se dégage une sensualité paisible qui invite à
goûter chaque moment de cette journée. Mais au-delà, ne faut-il
pas distinguer la présence d’un temps suspendu qui n’est plus
seulement d’un jour ou d’une saison ?
Le texte raconte une journée d’été vécue par une famille
anonyme composée d’enfants, (on en ignore le nombre) et
d’adultes : la mère, le père. Nous nous trouvons à la campagne,
comme en témoignent non seulement le cadre, « dans le jardin au
milieu des champs » (1. 1), mais encore les animaux domestiques,
« chien » et surtout « oïie ». Seule cette dernière est nommée,
Séraphine, ce qui ajoute une valeur affective à l’apparition de
l’animal. Elle fait partie de la famille dont les autres membres se
définissent par leur relation : enfants, parents. Tous se retrouvent
dans une maison fraîche, ouverte néanmoins sur l’extérieur puisque
les couleurs « s’enfuient par la porte » (1. 6).
Car nous sommes au plein cœur de l’été, comme l'indique
l'oiseau qui « tombe au ras des chaumes » (1. 13-14). Le titre, En
été, implique un contenu, sous l’espèce de la préposition « en »,
que le texte développe, déroulant les éléments constitutifs de ce
jour d'été : lumière et chaleur. La lumière est celle, crue, qui tue
les couleurs : « lot de couleurs qui (...) brûlent sur les pierres » (1.
5-6). Elle est à ce point une lampe qui consume, qu’elle peut
s'inscrire dans un « globe » d’une extrême blancheur (1. 11). Elle
tue donc les regards qui devront attendre le soir pour se voir (« Au
retour de la fraîcheur les yeux se regardent et se découvrent », 1
14-15). Mais à l’intérieur de la maison les couleurs sont suggérées .
« Les enfants sont rentrés chargés de fleurs », (1. 7-8) « au frais des
carreaux rouges », (L. 9-10). La fin du texte opère une bienheu-
reuse synthèse de la lumière et de l’obscurité dans la contemplation
du ciel étoilé : « Après, nous irons regarder les astres » (L. 18-19).
La chaleur n’est dite explicitement qu’une fois, lorsque les couleurs
« brûlent sur les pierres » (1. 6). Ailleurs, elle est exprimée par
ses
contraires : « au frais des carreaux »(1. 9-10), « au retour de la
fraîcheur » (1. 14-15). Tout se passe comme si elle était trop grande
pour que l’on pût même la prononcer. Le rythme dit, mieux qu’une
92
définition, l’hébétude qui s'empare des êtres, sous son effet:
courtes pour la plupart, dans le début du texte où les êtres
cherchent l'ombre et au moment de la touffeur de l’après-midi, les
phrases expriment ainsi l’immobilité à laquelle réduit la chaleur.
Néanmoins, ce jour d’été n’est pas figé dans un moment unique ;
au contraire, nous en suivons les étapes de la matinée au
crépuscule. La structure du texte épouse les différentes heures : en
fin de matinée, la famille est dispersée (1. 1-6) ; puis elle se réunit à
midi (1. 6-10) avant de sombrer dans la torpeur de l’après-midi (1.
10-14); ensuite, la fraîche soirée délie les regards et les langues (1.
14-20). Les moments de plus grande chaleur et de plus intense
lumière sont aussi ceux du silence : ce n’est que le soir que la
famille raconte ; le matin ne laissait filtrer que des chuchotements
et des rires : « Ils parlent à voix basse. Leur rire parfois s’égare en
papillon » (1. 2-3).
SUJET NATIONAL,
ÉPREUVE ANTICIPÉE, SEPTEMBRE 1980 : G.
95
DIFFICULTÉS... CONSEILS... PROPOSITIONS...
mot
e Le texte présente cet avantage de ne comporter aucun
difficile:le sens général est immédi atemen t compris .
et
e Les Histoires naturelles ont été composées séparément
publiées par petits groupes à partir de 1896. Le recueil complet
comprendra 85 textes.
e Suggestions : -
1. Compare z ce texte avec d’autres poèmes qui prennent le cygne
comme objet de lyrisme : Symphon ie en blanc majeur, de Gautier, Le
Cygne, de Baudelaire et celui de Sully Prud'homme, « Le vierge, le
vivace et le bel aujourd’hui. » de Mallarmé.
2. Analysez et classez les sonorités du premier paragraphe;
étudiez le rythme des lignes 6 à 11.
e «Le Cygne» a été mis en musique par Ravel: écoutez
l'interprétation qu’en donne le musicien. Bonnard, Rabier et Tou-
louse-Lautrec ont par ailleurs illustré les différentes éditions de
l'œuvre : confrontez les trois modes de présentation (écriture, pein-
ture, musique).
PLAN DÉTAILLÉ
Introduction :
e « Le Cygne », dixième poème en prose des Histoires Naturel-
les de Jules Renard (première édition en 1896), clôt la première
section sur la basse-cour.
. © L'œuvre fait référence à Buffon qui fut un maître d’observa-
ton pour le poète. L'oiseau est ici en effet évoqué de manière très
précise et vraie.
° Pourtant, le texte nous invite à mettre à distance le charm
poétique même de l’anecdote. « Le cygne » s’offre ainsi comme e
un
exercice de style qui vient en contre-point d’une longue
tradition et
propose une vision parodique de cet animal mythiq
ue.
® D'où les pistes d’étude suivantes :
1. Une anecdote poétisée
2. L’ironie du poète
96
I. Une anecdote poétisée
1. L'oiseau dans son élément
® L'espace et le temps : un minimum de détails suffisent à poser
les circonstances de l’anecdote.
— Le cadre est celui d’un « bassin » (1. 1) au-dessus duquel
passent des nuages, mais dont on ne voit que le reflet : « des
nuages floconneux qu’il voit naître, bouger et se perdre dans
Peau » (L. 2-3).
— L’anecdote s'organise de façon chronologique. Relever les
conjonctions temporelles : « tout à coup » (1. 4), « puis » (1. 5),
« chaque fois » (1. 15) et les préfixes de répétition : « retire » (1. 5),
« revenir » (1. 8), « se reforme » (1. 9).
e L'oiseau à l’œuvre : le nom de « cygne » n’est présent que
dans le titre. L'ensemble du texte en est la définition.
— Les activités spécifiques de l’oiseau sont bien rendues :
mouvement sur le bassin à coups de palmes (« rame », 1. 10),
brusque plongée du cou dans l’eau après un temps d’observation de
la surface. Fa
— Le rythme des phrases, longues ou très brèves, symbolise les
mouvements de l’oiseau; les plus longs paragraphes sont ceux des
gestes gracieux du cygne (1. 1-4; 10-13). Noter l’effet produit par
les blancs typographiques qui marquent les arrêts de l’oiseau.
2. L'objet de la quête
e Se nourrir de rêves : le cygne est en quête de nuages qui sont
toute sa nourriture : « il n’a faim que des nuages » (1. 2); « c’est
l’un d’eux qu’il désire » (1. 3).
— L’anecdote présente une action répétée : le cygne trouble
une fois l’eau puis recommence sa quête. Mais ce mouvement de
l'oiseau, qui «rame et s’approche » (1. 10-11) avant qu’il ne
« plonge tout à coup son col vêtu de neige » (1. 4), se perpétue
indéfiniment dans le temps. L'utilisation du présent de l'indicatif
permet d’actualiser la scène mais se charge également de valeurs
intemporelles : « il s’épuise à pêcher de vains reflets » (1. 11).
e La personnification : les composantes de la scène dont douées
d’une vie humaine : le cygne a des désirs, il est « désabusé » (1. 7)
puis « victime de cette illusion » que sont les nuages (1. 12). Ceux-ci
naissent (1. 2) puis sont « effarouchés » (1. 6). Les ondulations de
l’eau « meurent » (1. 8).
— L'oiseau a l’air humain; il a des préoccupations apparem-
ment morales, mais il conserve toujours une apparence animale : il
ne parle pas comme chez La Fontaine et ne porte pas d’habits
comme chez Granville.
3. L'illusion poétique
e Les images : le poète nous fait suivre un transfert poétique : le
cygne se nourrit de nuages, comme le texte se nourrit d'images.
Métaphores et comparaisons sont fondatrices de l’atmosphère : la
A
traîneau (1. 1);
blancheur de l'oiseau qui glisse nee LE du ;
É e le bras d’une femme (. 5).
op de la blancheur duveteuse. cristallise autour d elle
bassin » (1. 1);
des sonorités : allitération en [s] (« il glisse sur le 10-
« sur son léger coussin de plumes, le cygne. s approche » (L
tés fluides en « L » (1.
11). Glissement suggéré aussi par les sonori
1-3).
e Les jeux de reflet : il y a correspondance entre deux blan-
cheurs, celle des nuages et celle de l’oiseau, autrement dit ilya
reflet de nuage à plumage. sie
— Idée du narcissisme du cygne : le texte multipli e les occur-
rences du pronom personne l « Il » (15 fois). Le poème est plein du
cygne et de son orgueil. C’est lui-même en définitive qu’il cherche
dans l’eau.
98
2. La perversion du sérieux
e Buffon : le titre des Histoires naturelles est le pluriel de celui
de l’ouvrage de Buffon : Histoire naturelle. Mais Renard prend le
contre-pied de son modèle qui déclarait que le cygne est « supé-
rieur en tout à l’oie » et sait «se procurer une nourriture plus
délicate et moins commune ». Toute noblesse est déniée à ce cygne
qui ne vaut pas mieux que l’oie.
© La tradition poétique : Les sonorités fluides, comme l’allitéra-
tion en [s] au début du texte, se transforment : elles deviennent
dodues, en [r] (1. 15-16).
— C'est un refus en réalité de « faire littéraire » : le cygne,
animal favori de la littérature et de la mythologie, oiseau d’Apollon
(dieu de la poésie), est aussi, par sa couleur, l’expression de la
pureté. Or ici, le beau sujet devient observation sans complaisance
d’attitudes purement animales : « chaque fois qu’il plonge...
ramène un ver » (1. 15-16).
— À noter le ton parodique de « L’Étranger », poème en prose
de Baudelaire : « J'aime les nuagés qui passent. les nuages qui
passent. là-bas. là-bas. les merveilleux nuages. »
Conclusion
® Renard voulait une oétiqle « en morceaux, en petits mor-
ceaux, en tout petits morceaux ». Ce texte, court, composé par
petites touches, semble d’abord pousser l'observation jusqu’à la
préciosité.
e Mais l’humour du poëte nous ramène au maillon réel d’un
bestiaire qui sait distinguer rêverie poétique et spécificité authenti-
que d’un animal.
® La structure du recueil, qui commence sur l’ouverture de la
chasse et se clôt sur sa fermeture, fait du poète un chasseur.
d'images.
99
14. Marcel PROUST
Le Côté de Guermantes
À
LL LL LL WWW
: AE 14.
Le narrateur reconduit à la maison sa grand-mère DATE d'être victime
d’une congestion cérébrale durant une promenade aux Tuileries.
NANTES,
BACCALAURÉAT, JUIN 1977 : À, B, C, D, E.
1. Françoise : domestique de la famille du narrateur.
100
DIFFICULTÉS... CONSEILS... PROPOSITIONS...
e Il ne vous est pas nécessaire de connaître l’ensemble d'À /a
recherche du temps perdu, mais il peut être utile de savoir qu’un
amour intense lie la grand-mère, la mère et le narrateur.
e L'intitulé du sujet peut vous fournir un plan, à condition de bien
distinguer les deux parties : certains rapports entre les personnages
peuvent relever du tragique. Vous pouvez donner une unité au
premier développement en remarquant que les paroles, les actes ont
un point commun : la délicatesse due à l'amour. Le second dévelop-
pement s'attachera aux aspects, expressions, mouvements, images,
qui montrent le sentiment de fatalité et l'intensité de l'émotion.
e Veillez à ne pas mélanger l’auteur et le narrateur : le roman est
écrit à la première personne, mais n'est pas présenté comme
autobiographique, même si dans la réalité Proust fut très attaché à sa
grand-mère et à sa mère. d
e Suggestions :
1. Étudiez particulièrement la première phrase : champ lexical de
la mort, valeur des couleurs. Que s'est-il passé à Pompéi ?
2. En quoi l’image finale qui assimile la grand-mère à un dieu
exprime-t-elle l'amour que lui porte sa fille ?
PLAN DÉTAILLÉ
Introduction
e Dans À /a recherche du temps perdu, Marcel Proust aborde
souvent le thème de la mort. Il analyse ainsi l'effet physique et
psychologique de la vieillesse sur ses personnages à la fin du roman,
ou l’égoïsme des survivants, par exemple celui de la duchesse de
Guermantes qui n'hésite pas à se rendre à une soirée malgré
l’annonce de l’agonie d’un proche. La fin de l’écrivain Bergotte, de
l’ami Charles Swann ou de l’amante Albertine ponctuent l’œuvre et
affectent le narrateur.
e Mais la mort de sa grand-mère prend une place particulière,
en raison des liens très forts qui les unissaient. C’est d’ailleurs une
agonie à laquelle il assiste, et sur laquelle il insiste, puisqu'elle
101
Côté de
occupe tout le premier chapitre de la seconde partie du
Guermantes.
la
e L'un des passages les plus émouvants se situe après
d’urémi e lors d’une promen ade. Le petit-fi ls
première attaque
la
comprend vite la gravité de la situation malgré la pudeur de
malade, qu’il ramène à la maison. Il lui reste à annonce r la crise à
sa mère.
e Le développement s’attachera à montrer :
1. l'extrême délicatesse des protagonistes, due à l’amour,
2. le ton tragique de la narration.
I. La délicatesse et l’amour
1. La délicatesse |
Les trois héros, dans ces circonstances graves, font assaut de
délicatesse pour s’épargner les uns les autres, et cacher la triste
vérité.
102
— Elle évite de regarder sa mère (1. 29-30). Dans la suite du
passage le narrateur suggère plusieurs causes à cet acte : « Peut-
être fut-ce pour que celle-ci ne s’attristât pas en pensant que sa vue
avait pu inquiéter sa fille. Peut-être par crainte d’une douleur trop
forte qu’elle n’osa pas affronter. Peut-être par respect, parce
qu’elle ne croyait pas qu’il lui fût permis sans impiété de constater
la trace de quelque affaiblissement intellectuel dans le visage
vénéré. Peut-être pour mieux garder plus tard intacte l’image du
vrai visage de sa mère, rayonnant d’esprit et de bonté. »
Toutes ces hypothèses soulignent la délicatesse des sentiments et
leur intensité.
2. L'amour
Il est partout présent dans ce texte, mais particulièrement dans
lattitude de la mère qui prouve que cette affection atteint des
sommets inhabituels :
e L’adoration qu’éprouve la mère-pour la malade est présente
dans notre passage par le geste d’embrasser la main et par la
comparaison avec un Dieu auquel on rend un culte (1. 26). Tous les
gestes de la dernière phrase illustrent d’ailleurs cette déférence
attendrie : « soutint », « souleva », « précautions infinies ».
L’amour fait paradoxalement de la mère, en bonne santé, donc
physiquement supérieure, un être psychologiquement inférieur qui
rend hommage par sa force à un être amoindri de corps mais
considéré comme divin.
© Dans une phrase de moraliste sur les manifestations contraires
de la malveillance et de l’amour, le narrateur explique la discrétion
de cette femme : « il semblait, de même que la méchanceté aime à
exagérer les souffrances des autres, que par tendresse elle ne voulût
pas admettre que sa mère fût très atteinte, surtout d’une maladie
qui peut toucher à l'intelligence » (1. 12-15).
Une telle passion transforme le drame intimiste et familial, les
détails réalistes ou même prosaïques, en tragédie grandiose propre
à toucher universellement.
II. La tragédie
1. Une image frappante
103
= Jes couleurs, rouge et noir, teintes de la passion et du deuil,
mur
posées avec insistance par les flammes du soleil (1. 1), du
« rougeât re » (1. 4), de la « terre cuite » (1. 5), et du fiacre qui « se
détachait en noir » (1. 4) par son ombre ;
— l'image du « char funèbre » pour la voiture transportant la
malade ;comme l’évocation du drame de Pompéi, où au premier
siècle après Jésus-Christ, une ville entière trouva la mort par
l'éruption du volcan Vésuve, cette image évoque les tragédies
antiques littéraires ou réelles. Cette évocation de l'Antiquité n’est
pas due au hasard, puisque la tragédie est née, en Occident, des
auteurs grecs Eschyle, Sophocle et Euripide. Le rouge de la lave et
le noir des cendres, qui ont obscurci le ciel des environs de Naples,
se retrouvent dans le texte et prolongent la tradition théâtrale par
le drame humain.
2. Le pressentiment de la mère
@ Cette atmosphère est confirmée par l'intuition de la mère qui,
comme son fils, comprend que le malaise est le signal de la mort.
© La prémonition se manifeste par sa réaction à la nouvelle :
« Dès mes premiers mots, le visage de ma mère atteignit au
paroxysme d’un désespoir pourtant déjà si résigné, que je compris
que depuis bien des années elle le tenait prêt en elle pour un jour
incertain et final » (1. 8-11). Cette phrase exprime aussi le tragique
par le sentiment d’inéluctable qu’elle évoque : la vieillesse de la
grand-mère explique la réaction prophétique.
3. Les masques et les gestes tragiques
® Dans le théâtre antique, les acteurs portaient, selon les pièces,
des masques comiques ou tragiques, ricanants ou pleureurs. Or le
visage de la mère devient expressif au point d'évoquer ces
pratiques :
û me9)le visage de la mère atteignit au paroxysme d’un désespoir »
: ,
— «Maman frissonnait, son visage pleurait sans larmes » (1.
15). On notera l’oxymore (alliance de termes contradictoires) des
pleurs sans larmes qui exprime à la fois l’intensité du chagrin et la
volonté de n’en rien montrer.
— Elle en vient même à rester sans voix lorsque prosaïquement
la domestique lui demande qui est malade (1. 17-18).
® L’alternance du rythme des personnages montre aussi le
caractère dramatique de la scène :
—— rapidité des réactions (« Dès mes premiers mots. », 1. 8) et
précipitation pour réclamer un médecin (« elle courut dire. »
(L. 15-16);ou rapidité aussi pour aller chercher la grand-mère
: ils
prennent l'escalier plutôt que d’attendre l'ascenseur (1.
18, « Elle
descendit en courant avec moi »).
104
— solennité lente de la remontée: «la soutint, la souleva
jusqu’à l’ascenseur, avec des précautions infinies » (1. 26-27).
Conclusion
®e Cet épisode a une importance évidente dans l’œuvre par son
retentissement émotif; en effet la grand-mère, avec la mère, est
l'être le plus profondément aimé du narrateur : elle lui a beaucoup
apporté, aussi bien du point de vue littéraire (elle aimait les lettres,
lui a fait découvrir George Sand ou surtout Mme de Sévigné,
meublait toujours sa conversation de citations) qu'’affectif.
e Mais de façon plus universelle encore, la mort proche d’un
être cher et fondateur nous fait ressentir ce que représente le sort
commun ; et la douleur sans mesure qu’amène la perte des parents
est évoquée avec force : le rythme assez bref des phrases, en dehors
de la première ou de la dernière qui permettent d'élargir la
souffrance à un drame collectif avec Pompéi, tranche avec la
longueur analytique fréquente chez Proust, et traduit le désarroi
propre à cette situation universellément tragique.
105
15. Gustave FLAUBERT
Madame Bovary
I I,
LL
A
Emma, épouse du médecin Charles Bovary, a pris un amant, one
de
espérait partir avec lui. Rodolphe se dérobe : elle vient de recevoir une lettre
rupture. « Tout épouvantée, (...) haletante, éperdue, ivre », elle fuit jusqu’à la
mansarde située au second étage de sa maison.
106
DIFFICULTÉS... CONSEILS... PROPOSITIONS...
e |l n’est d'ordinaire pas nécessaire d’avoir lu les œuvres dont sont
tirés les sujets. Un roman aussi célèbre que Madame Bovary
cependant est censé être connu de la plupart d’entre vous. Lisez-le
ou rafraîchissez votre mémoire.
e Ilest ainsi utile de savoir qu'Emma finit par se suicider à l’arsenic
après de nouvelles déceptions. Lisez en particulier le chapitre 8 de la
partie III, très proche de notre passage.
e Flaubert, représentant du réalisme, refuse l’intrusion de l’auteur
dans le roman et décrit ses personnages de l'extérieur : analysez le
texte selon ce point de vue. Certains détails ne trahissent-ils pourtant
pas son point de vue ?
® Suggestions: a
1. Étudier les sonorités des lignes 10- 11 et 18-19 (allitérations en
[k], [1], [s)). Que traduisent-elles?
2. Les pensées d'Emma sont exprimées tantôt au style direct,
tantôt au style indirect ou indirect libre. Quel est l'effet obtenu ?
3. Le cadre de la scène est évoqué dans le premier et le troisième
paragraphe : quels sont les changements intervenus ?
PLAN DÉTAILLÉ
Introduction
107
I. Le choix du cadre et la crise d’Emma
1. Le cadre
e La solitude ja ; L j .
_— Ja mansarde est la pièce la moins fréquentée de la maison.
_— Ja fenêtre s’ouvre sur un paysage désert, avec la « pleine
campagne » qui s'étale « à perte de vue » (I. 1-2);aucun passant
sur la place vide. Emma entend Binet sans le voir, grâce à sa
situation élevée.
e Le calme A
— Je beau temps fige le paysage sous une lumière constante :
ciel bleu (1. 20), pavés scintillants (1. 3). à
— l'absence de vent est notée par l’immobilité des girouettes
(1. 3).
e Un bruit habituel : le ronflement du tour, familier à l'héroïne,
puisqu'il s’agit du loisir favori de son voisin.
2. La crise
Ce cadre permet de se concentrer sur un événement sentimental
très important pour cette femme émotive. Des manifestations
psychologiques et physiologiques intenses se déclarent.
e Emma traverse une série de sentiments violents : colère (1. 7),
passion amoureuse revécue par le souvenir (1. 8-9), désespoir qui
pousse au suicide (1. 12-23), terreur devant son geste (1. 27-28).
e Aux sentiments correspondent des réactions physiques specta-
culaires : ricanements (1. 7), perte de conscience du lieu et du
temps (L. 7-8), battements de cœur précipités (1. 9-11), yeux
hagards (1. 12), vertige (1. 17-23).
Cependant le texte ne se borne pas à la description banale d’une
tentative de suicide favorisée par la situation élevée. Des liens
complexes se nouent entre la femme et le paysage, permettant
d'expliquer l’enchaînement des faits.
108
© Mélange de l’inanimé et de l’animé : le vertige lui donne
nr que tout bouge d’un mouvement ascendant et descen-
ant.
— À l'extérieur la lumière monte « d’en bas directement » et la
tire vers le sol (1. 16-17), la place même oscille et s’élève « le long
des murs » (1. 18).
— À l’intérieur le plancher tangue (1. 18-19). Paradoxalement
c’est la femme qui se retrouve immobile, « suspendue » (1. 20).
e La fusion totale est opérée par l’intrusion du ciel, couleur et
matière, dans le cerveau d'Emma vidé de toute pensée (« Le bleu
du ciel l’envahissait, l’air circulait dans sa tête creuse », 1. 20-21) et
de toute volonté (« elle n’avait qu’à céder, qu’à se laisser pren-
dre », 1. 21-22). L'initiative appartient désormais entièrement à la
nature.
2. le bruit
Cet élément primordial accompagne la scène et cause sa fin.
e Le ronflement encadre la Crise : d’abord familier et fondu
dans le cadre (1. 4-5), il commence avec l’arrivée d'Emma («il
partit. » 1. 4) puis devient un agent du vertige sous la forme d’une
« voix furieuse » qui lance un appel pressant vers le bas (1. 23).
e Il correspond au bruit intérieur : le rythme et l’intensité des
battements du cœur, aux « intermittences inégales » (1. 11),
ressemblent aux « modulations stridentes » du tour (1. 5).
© Par un fondu enchaîné auditif, la voix de Charles se superpose
à cet appel et provoque le retour salvateur à la conscience.
109
e Les gestes sont décrits de l'extérieur mais la plupart du temps
ê
laubert joijoint dans la même phrase les sen timentSs::
: — « Plus elle y fixait d’atten tion, plus ses idées se confon-
i 1. 7-8). :
ASE ss les yeux autour d’elle avec l’envie que la terre
croulât » (1. 11-12).
e À plusieurs reprises nous partageons avec Emma : |
— $es visions (« elle le revoyait, elle l’entendait, elle l’entourait
de ses deux bras », 1. 8-9; « il lui semblait. », 1. 17).
— ses sensations (battements du cœur, 1. 9-10, abandon à
l'emprise du ciel et du bruit, 1. 20-23).
— son monologue intérieur, par le style direct (« Allons!
allons! », 1. 15) ou indirect libre (« Pourquoi n’en pas finir?Qui la
retenait donc? Elle était libre », 1. 12-13). Flaubert utilise souvent
ce dernier procédé dans ses œuvres pour maintenir l’objectivité du
spectateur tout en lui faisant partager les sentiments du person-
nage.
Conclusion
e Cet épisode prépare le suicide final, qui à cause des multiples
déconvenues de l’héroïne sera davantage conscient et aboutira.
e Tout l’art de Flaubert est présent dans ce passage, où
l’observation digne de celle d’un médecin se conjugue au travail du
styliste.
e La réussite tient particulièrement au fait que, tout en se tenant
et en nous tenant à l’extérieur de ce drame, par la description
réaliste et l’ironie, l’auteur réussit à faire partager l’émotion de la
désespérée, qui est universelle. Tel était d’ailleurs son but, puisque
pour lui c’est « ce coup d’œil médical de la vie, cette vue du vrai qui
est le seul moyen d’arriverà de grands effets d'émotion ».
111
1G. Jules SUPERVIELLE
« l’'Arbre », Les Amis inconnus
; AMÉRIQUE DU NORD,
ÉPREUVE ANTICIPÉE, BACCALAURÉAT, JUIN 1988 : A, B, C, D, D’,
E.
112
DIFFICULTÉS... CONSEILS... PROPOSITIONS...
e Les poèmes de Supervielle, malgré la simplicité du vocabulaire
et de la syntaxe, ne se livrent pas facilement. Plusieurs lectures
attentives seront plus que jamais nécessaires pour comprendre le
sens du texte. Cette mystérieuse simplicité sera d’ailleurs à
commenter. |
e Cherchez ce qui appartient à la description proprement dite. Ce
qui relève de la rêverie de l’auteur. Que nous apprend cette fantaisie
sur sa façon de voir le monde ?
e Suggestion : le poète a choisi le vers libre, sans rimes. Étudiez
l'alternance de vers courts et longs, les sonorités.
113
__ Jeur matière, le bois (v. 2, 4, 7), et la fibre (v. 8). Le lecteur
peut même se demander si le « cœur d’amoureuse » n'est pas une
allusion au « cœur » du bois, terme employé pour le centre du
tronc.
— J'exubérance végétale : la branche (v. 8), la feuille (v. 22), et
surtout le « feuillage », les « ramilles » (v. 4), les « fibrilles »
(v. 12). On notera la présence insistante de la semi-voyelle [i] dans
ces trois termes, qui suggèrent l’entrecroisement léger du faîte et
des racines. Le suffixe -ille est diminutif.
_— les formes souvent complexes du tronc ou des branches.
L'arbre « se contorsionne », il « va dans tous les sens » (v. 13).
2. L'’observateur
114
II. La personnification
Le spectateur n’est pas avec la fourmi la seule présence
vivante du texte :
1. Personnification du vent
115
e L'arbre arraché par le vent et traversant les airs ressemble-
à des
rait à un oiseau par son vol. Ses branches ressemblent
ailes, surtout lorsque la tempête les agite.
Conclusion
e Le thème de la vie et de la mort ouvre et ferme le texte,
mais discrètement, et sous le double mode de la métamorphose
et du dédoublement. La figure de l’arbre, qui change d’aspect au
fil des saisons et se renouvelle, symbolise la vie dans la plupart
des civilisations ; cette figure était donc particulièrement propice
à cette réflexion sur la nature de l’existence.
117
1RENE TAN
27:
. 3 î rer
PHE TU 'IFraE
VAT 2
TROISIÈME SUJET
Conseils méthodologiques
Mieux comprendre le troisième sujet
Ce sujet vous invite à élaborer une-réflexion personnelle sur un
thème littéraire (ou de culture générale), mais qui n'est en aucune
manière une question de cours, ou un problème trop technique sur la
création artistique.
À partir des connaissances acquises durant votre scolarité et sans
oublier votre culture individuelle, vous composerez votre argumenta-
tion en l'étayant, pour chaque idée, d'exemples précis et commentés.
L'introduction cernera avec précision la portée et les limites de la
question posée, à laquelle la conclusion donnera ses réponses
ultimes.
Le correcteur saura apprécier les qualités d'expression, de
rigueur et de pertinence dont vous ferez preuve.
121
17. L'artiste peut tout exprimer ét
I LL LL LULU
122
CORRIGÉ... CORRIGÉ. CORRIGÉ. CORRIGÉ...
DEVOIR RÉDIGÉ
Toutes les sociétés préservent la morale par des lois, par
l'éducation, par la répression. L’art n’échappe pas à ce contrôle :
autodafé et mise au pilon de livres séditieux, tableaux détruits ou
interdits d'exposition, censure.
Mais les rapports entre art et morale sont plus étroits encore :
expression ultime de la beauté éthique, l’art a pour certains la
mission de guider les foules. Pour d’autres, situé en dehors du bien
et du mal, il échappe aux règles communes, parce que son essence
est dans la beauté formelle. Ainsi O. Wilde écrit dans la préface du
Portrait de Dorian Gray, récit des débauches et du crime d’un
jeune homme : « L’appellation de livre moral ou immoral ne
répond à rien. Un livre est bien écrit ou mal écrit. Et c’est tout. [...]
L'artiste peut tout exprimer. »
L'art bénéficie-t-il vraiment du privilège d'échapper à toute
censure ou blâme ? Joue-t-il au contraire un rôle dans la formation
des consciences ? Comment concilier ces extrêmes ?
123
Flaubert dit même qu’« il n’y a ni beaux ni vilains sujets et qu’on
de
pourrait presque établir comme axlome, en se plaçant du point
vue de l’art pur, qu’il n’y en a aucun, le style étant à lui seul une
manière absolue de voir les choses ». Madame Bovary, histoire
d’adultères et de provinciaux imbéciles, illustre son propos.
« Comment faire un dialogue trivial qui soit bien écrit? » se
demande-t-il en créant son roman. Zola, Céline font une œuvre
d'art de la déchéance morale. Dans l’Assommoir, l’alambic,
fournisseur odieux de l'alcool qui avilit les personnages, prend une
dimension grandiose par la description et les métaphores. En
peinture, Toulouse-Lautrec éternise le peuple interlope des caba-
rets. L 1
D’autres renouvellent les sujets en montrant la beauté du crime,
de la folie, contrairement à la morale habituelle qui depuis
l'antiquité lie le vrai, le bien et le beau. Baudelaire offre « les fleurs
du mal», Lautréamont, Verlaine ou Rimbaud magnifient la
violence, les hallucinations dues aux drogues ou la sexualité dite
perverse. L’art justifie tout, pourvu qu’il extraie le beau d’une
expérience humaine. AT A E
N'est-il pas d’ailleurs le domaine de l’imagination, qui cherche la
beauté hors du monde visible, dans la fantaisie pure? Comment
parler de morale devant les paysages lunaires de Tanguy où
s’agitent mollement des êtres informes, ou en lisant Alice au pays
des merveilles ?
Certains artistes vont plus loin, réalisant le rêve flaubertien d’une
œuvre qui ne repose que sur la beauté du langage. Les Parnassiens
établissent le culte de la forme, l’essentiel étant le rythme, les
sonorités, la versification. Mallarmé travaille à des poèmes hermé-
tiques, où le sens disparaît sous le pouvoir évocateur des mots,
comme dans le poème «Ses purs ongles très hauts... ». Les
nymphéas, les cathédrales se dissolvent dans les tableaux de Monet
au profit des jeux de lumière, tandis qu’au xx° siècle l’art abstrait
s’affranchit des représentations figurées.
La morale nuit même à l’art, dit Th. Gautier dans la préface de
Mademoiselle de Maupin, car défini par l’inutilité, il est recherché
pour lui-même. Conserver un but éthique prive d'instruments ou
de thèmes, pense Baudelaire dans la préface des Nouvelles
Histoires extraordinaires d’E. Poe : « si le poète a poursuivi un but
moral, il a diminué sa force poétique ; et il n’est pas imprudent de
parier que son œuvre sera mauvaise ». Souvent on affirme que
même les artistes échappent à la morale commune : plus ou moins
maudits ou marginaux, ils expérimentent toutes les sensations. La
société manifeste aussi de l’indulgence: le procès de Madame
Bovary se termina par un acquittement à cause des qualités
esthétiques du roman. Bien des films, comme Emmanuelle, échap-
pent à la catégorie pornographique à cause d’une photographie
soignée.
124
Mais qualités formelles et pouvoir sur l’imagination doivent,
selon d’autres artistes, se mettre au service des plus hautes valeurs
éthiques.
Pour G. Sand, dans la préface de La Mare au Diable, l’art a
« une mission de sentiment et d’amour », « le roman d’aujourd’hui
devrait remplacer la parabole et l’apologue des temps naïfs ». Elle
se plaint que la peinture de truands, fréquente dans les romans
d'Eugène Sue, dresse les riches contre les pauvres, en instaurant la
peur. Il faut au contraire faire aimer les miséreux : La Mare au
Diable raconte comment un riche laboureur ému par une sauva-
geonne finit par l’épouser. Les tableaux de Greuze, au xvurr' siècle,
figent mélodramatiquement les scènes du Fils ingrat ou du Mauvais
fils puni.
Certes, ces œuvres ont vite vieilli et les bons sentiments font
souvent de la mauvaise littérature, comme le prédisait Baudelaire
pour la « bonne dame de Nohant ». Mais qui pourrait nier qu’une
part importante des Belles Lettres, et non la moindre, veut
redresser les torts, insuffler des exigences nouvelles ? Faut-il renier
La Fontaine, La Bruyère, Molière, dignes successeurs des mora-
listes antiques, l'engagement de Candide, des Lettres persanes, des
Châtiments ? Le comique, l'ironie maniés pour sauver la justice
créent des chefs-d’œuvre. Au xx° siècle cette tradition survit avec
A. Malraux, A. Camus, J.-P. Sartre.
Les artistes accusés d’immoralité se défendent souvent en restant
sur ce terrain : Balzac, Baudelaire, Flaubert supplient d'examiner
l’ensemble de l’œuvre, non des passages ou la présence d’un
personnage. La Comédie humaine présente autant de vertueux que
de dépravés, Les Fleurs du Mal opposent l'idéal aux tentations
mauvaises, Emma désespérée se suicide après ses adultères.
D’autres pensent que le lecteur juge les actes offerts à sa réflexion,
que censurer tromperait sur la triste réalité, alors que seule une
connaissance complète de la nature humaine permet de se connaî-
tre et de se dominer. Comment cacher que la vertu est souvent
punie et le vice récompensé? Sade, Barbey d’Aurevilly espèrent
que la peinture d’un bonheur criminel renforcera l’énergie morale
au lieu de l’abattre.
127
18. Personnage de théâtre oi
et personnage de roman
té
TT LL LIL
théâtre et un
Quelles différences faites-vous entre un personnage de
personnage de roman ?
CAEN ET ACADÉMIES RATTACHÉES,
ÉPREUVE ANTICIPÉE, BACCALA URÉAT, JUIN 1988 : A, B, C, D, D’, E.
128
CORRIGÉ... CORRIGÉ. CORRIGÉ. CORRIGÉ...
I. La perception du lecteur
— Renseignements sur le personnage
— Le temps et l’action
— Approfondissements ou tvpes
II. Les différences introduites par le spectacle
— L’'incarnation dans un acteur
— Le rôle du metteur en scène
— L'intervention des spectateurs
III. Évolution et complexité des rapports
— Parenté ou divorce des HÉRQURAER suivant les mouvements
artistiques
— Personnages communs au roman et au théâtre
— Influence de la radio et du film
DEVOIR RÉDIGÉ
L’art propose souvent à notre imagination des êtres fictifs qui
nous représentent, nous émeuvent, nous guident. Au xx° siècle,
théâtre, cinéma, télévision, roman, bandes dessinées créent ainsi
des héros divers. Mais durant des siècles le public n’a vécu
pratiquement qu’avec deux sortes de créatures artistiques: le
personnage de roman, le personnage de théâtre.
En quoi diffèrent ces moyens d'expression? L’étymologie per-
met de poser le problème. Le mot « roman » désigne d’abord une
langue. En revanche, « théâtre » vient du grec « le lieu où l’on
voit ». Lecture et vision se trouvent en présence. Mais les
personnages de la scène participent aussi du livre, puisque les
œuvres dramatiques sont éditées et souvent connues par la lecture.
Cette particularité influe-t-elle sur la perception des êtres fictifs
par le lecteur? Qu’ajoute la représentation théâtrale ? Roman et
théâtre sont-ils de ce point de vue irréconciliables ?
129
En revanche, les pièces ne nous livrent que la liste des
personnages, accompagnée de quelques brèves indications sur leurs
habits, leur âge, leur situation familiale ou sociale. Pour le reste, il
faut se contenter des paroles, plus rarement des gestes et des
intonations indiqués dans la didascalie. Certes les auteurs ont
tourné la difficulté en consacrant les premières scènes à Pexposi-
tion, où la présence d’un confident, l’utilisation d’un monologue
permettent de comprendre la situation. Ces procédés interviennent
aussi par la suite, avec d’autres, pour assurer la compréhension
et les informations indispensables : apartés choquant la vraisem-
blance mais révélant une pensée qui sinon serait restée cachée,
récits pour ce qui ne peut être montré par manque de temps, pour
éviter les changements de décor ou par bienséance. Mais ces
artifices ne sauraient être multipliés. Et les conversations restent
l'élément principal : les héros ne s’y expriment pas toujours sincè-
rement ni complètement. Sur le duel entre Le Cid et le père de
Chimène, sur les sentiments de Titus et Bérénice nous ne saurons
que ce qu’ils en diront, eux ou les autres personnages.
D'autre part le temps d’une représentation limite la longueur des
pièces : le dramaturge sera donc tenté de ne montrer que des
tranches de vie, ou bien une crise. C’est pourquoi les comédies et
les tragédies classiques, ainsi que les pièces de J.-P. Sartre, placent
les héros dans des situations fortes où leur caractère se révèle par
des choix : Phèdre commence lorsque l’héroïne ne peut plus cacher
son amour coupable, Tartuffe au moment où la famille se déchire à
cause de lintrus, Morts sans sépulture, Les Mains sales présentent
des choix faits dans des circonstances graves (Résistance, crime
politique).
Le romancier dispose d’une plus grande liberté pour suivre son
personnage le long de sa vie, et intégrer ses temps morts. Dans À /a
Recherche du temps perdu, le héros et ses amis vieillissent peu à
peu. L’introspection permet d’ailleurs de passer, par la mémoire,
d’une époque à une autre. Dans La Rabouilleuse de Balzac, Flore
passe de l’enfance à la maturité.
Les contraintes propres au théâtre empêchent donc que le per-
sonnage se présente dans toute sa complexité d’être vivant.
Elles favorisent la création de types humains plus souvent outrés
que dans le roman. La tradition imposa ainsi des rôles de répertoire
dans la Commedia dell’arte (Arlequin) comme dans la comédie
française (les amoureux, souvent nommés Dorante, Valère ou
Isabelle, Géronte le vieillard abusif ou amoureux, Sganarelle créé
par et pour Molière...). Othello symbolise la jalousie, Iago le
traître, Harpagon l’avare.. Dom Juan, Tartuffe, Œdipe
sont
devenus des noms communs. Les bons et les méchants, les lucides
et les aveugles se distinguent clairement : Henriette s'oppose
à
Armande dans Les Femmes savantes, Ruy Blas à Don
Salluste…
Pour Sartre, ces types universels sont encore trop individualisés
:
130
« s’il doit s’adresser aux masses, dit-il dans Un Théâtre de situa-
tions, le théâtre doit leur parler de leurs préoccupations les plus
générales, exprimer leurs inquiétudes sous la forme de mythes que
chacun puisse comprendre et ressentir profondément ». Le carac-
tère du héros se révélera donc à travers ses prises de position
devant les difficultés, peu importe sa psychologie intime.
Le roman au contraire présente souvent des analyses psychologi-
ques approfondies, ses héros sont plus ancrés dans une époque, une
individualité. Manon Lescaut, René, la religieuse de Diderot, Julie
dans La Nouvelle Héloïse sont représentatifs des aspirations de leur
temps, mais conservent une personnalité propre.
133
19. Ce que vous ont apporté
les livres
I
LD
134
CORRIGE.. CORRIGÉ... CORRIGÉ. CORRIGÉ...
I. Le divertissement
— L'isolement
— L'oubli des soucis
— La projection idéale de soi
DEVOIR RÉDIGÉ
Pour beaucoup, la lecture constitue un divertissement au même
titre que le sport, les activités manuelles ou les spectacles. D’autres
affirment qu’elle leur apporte bien plus et lui accordent une place
importante dans leur vie.
Albert Camus a raconté dans un article comment il sentit naître
en lui cette passion en lisant La Douleur d'André de Richaud :
« Nanti d’une étrange et neuve liberté, j’avançais hésitant, sur une
terre inconnue. Je venais d’apprendre que les livres ne versaient
pas seulement l’oubli et la distraction. » Que recouvre cette idée de
liberté ? Est-elle propre à l’expérience de Camus ou répandue ?
Nous essaierons donc de montrer comment, outre une fuite
momentanée loin des contraintes de l’existence, la lecture peut
assurer une véritable libération, et quels sont ses autres dons.
135
gne
siècle. L’isolement physique favorise ce détachement : Montai
et amis de sa biblio thèque , S. de Beauvo ir
écarte femme, famille
Mais
s’allonge sur un divan, les rideaux tirés, « tout décor aboli ».
le miracle peut se produire au milieu de la foule : absorbés par un
roman, certains oublient de descendre à leur station dans les
: : : ,
transports en commun.
Le contenu des livres n’est bien sûr pas étranger à ce phénomène
d’oubli : les soucis, la médiocrité d’une vie, le poids des heures
creuses tombent lorsque se crée pour nous un monde autre qui
monopolise l'attention. Certains genres d écrits s’y prêtent:
l'énigme captivante d’un roman policier que l'esprit dénoue plus
facilement que les problèmes réels, les histoires d’amour à l’eau de
rose qui donnent l'illusion de sentiments forts et durables, les
romans d’aventure dépaysants, la science-fiction qui s’affranchit de
la pesanteur. = |
Mais souvent aussi, par l'identification aux héros de papier, le
lecteur se compose un moi plus beau, plus séduisant. J.-P. Sartre a
raconté comment il compensait sa laideur et l’indifférence des
autres enfants en se croyant dans la peau de Pardaillan, valeureux
chevalier. Or cette identification peut se révéler dangereuse si elle
envahit l’existence et trompe sur les réalités : J.-J. Rousseau
déplore dans les Confessions l'influence des romans sentimentaux
ou de l’histoire des héros de la République romaine qui lui
donnèrent une âme trop idéaliste pour affronter l’égoïsme humain
et les injustices politiques. Madame Bovary se suicide parce que la
vie ne ressemble pas aux romans sentimentaux, Julien Sorel sacrifie
l'amour et trouve la mort à cause d’ambitions nées du culte de
Napoléon entretenu par la lecture du Mémorial de Sainte-Hélène.
Faut-il rappeler aussi la folie de Don Quichotte, aveuglé par les
romans de chevalerie ?
137
sonorités, un rythme touchent non seulement le cœur ou la raison,
mais notre sens esthétique. La structure d’un roman, celle d’A la
Recherche du temps perdu, par exemple, peut exercer la même
fascination pour ceux qui savent la goûter, que l'agencement d un
tabeau ou le montage d’un film. Cet art peut se mettre au service
des idées, mais il existe aussi à part entière. , EE
Ainsi s’explique le pouvoir de la poésie, qui travaille particulière-
ment ces éléments. Mais un roman comme Madame Bovary, outre
son analyse d’un phénomène psychologique, s’impose à la relecture
pour ses qualités de style, ses thèmes récurrents. Flaubert pensait
d’ailleurs que le sujet importe peu, et rêvait d’un livre qui ne repose
que sur sa beauté formelle. Des mouvements comme celui des
Parnassiens, des recherches comme celles de Mallarmé ont contri-
bué à donner des exemples de cet art pour l’art, de ce plaisir des
mots et de l'évocation pure. Nous recherchons aussi, dans Candide
ou dans les Lettres persanes, la perfection donnée aux procédés de
l'ironie, ou dans Molière celle du comique, par-delà les intentions
politiques ou morales des auteurs. é À
Souvent la fréquentation des livres bien écrits nous influence
volontairement ou non dans notre langage : on sait leur valeur
éducative dans le domaine de l’orthographe, du vocabulaire et de la
grammaire, et aussi pour organiser les idées et les exprimer, donc
pour mieux penser et plus librement. Mais ils peuvent aussi nous
donner l’envie de soigner nos lettres, d’écrire un journal pour
faciliter l’introspection, d’aider nos contemporains par des œuvres
adaptées aux problèmes et aux goûts du temps. C’est pourquoi les
livres engendrent les livres, les auteurs les auteurs.
Tel fut le cas d’A. Camus, qui par ses actions, sa participation à
des journaux, ses livres, s’engagea dans son temps, exprima la
condition humaine dans des essais comme L'Homme révolté, ou
des romans comme l’Étranger. Et la beauté sobre des paysages de
Tipasa, la dignité superbe des quartiers pauvres s’expriment,
souvenir de La Douleur, dans la prose poétique de L’Été ou de
L’Envers et l’Endroit. Certes tous les lecteurs ne se découvrent pas
une vocation pour la plume, mais chacun pourra se retrouver en
partie dans cette confidence de S. de Beauvoir : « Enfant, adoles-
cente, la lecture était non seulement mon divertissement favori,
mais la clé qui m’ouvrait le monde. Elle m’annonçait mon avenir :
m'identifiant à des héroïnes de romans, je pressentais à travers
elles mon destin. Dans les moments ingrats de ma jeunesse elle m’a
sauvée de la solitude. Plus tard, elle m’a servi à étendre mes
Connaissances, à multiplier mes expériences, à mieux comprendre
ma condition d’être
A
humain et le sens de mon travail d'écrivain. »
138
20. Nous recevons trois
éducations différentes
ou contraires
AT LL M LL LL
139
CORRIGÉ... CORRIGÉ... CORRIGÉ... CORRIGÉ...
PLAN ADOPTÉ DANS LE DEVOIR
I. Une éducation disparate
— Éducation traditionnelle : le savoir
— Les leçons du monde : le savoir-vivre
II. De l’éducation à l’instruction
— L'institutionnalisation du savoir
— Une instruction ouverte sur Ja vie
— La désaffection du savoir « inutile »
II. L’éducation donne sens à la vie.
— L'épanouissement de la personnalité
— Le développement des capacités à communiquer
—— Un sens à la vie
DEVOIR RÉDIGÉ
« Ouvrez des écoles, vous fermez des prisons » prétendait Hugo
au siècle dernier, établissant ainsi le lien entre le monde extérieur
et l'instruction. En revanche, au xvin° siècle, Montesquieu consta-
tait le divorce entre les différentes instances d’éducation que
recevaient ses contemporains : « celle de nos pères, celle de nos
maîtres, celle du monde. Ce qu’on nous dit dans la dernière
renverse toutes les idées des premières ». Le problème essentiel de
l'éducation est bien de trouver un équilibre entre savoir encyclopé-
dique et application des connaissances. Il convient donc de
s'interroger sur cette disparité souvent pénible pour l'individu;
l’école moderne, elle, s'efforce de privilégier un enseignement
pragmatique. Mais l’on risque ainsi de perdre de vue la véritable
finalité de l’éducation : donner un sens à la vie.
141
: sation d’un savoir formel, l'éducation moderne a égale-
En ee de modifier l’image d’un maître tout-puissant, substi-
tut du père que ne pouvait atteindre aucune contestation. L'accent
est davantage mis, de nos Jours, Sur la prise en charge de
l'éducation par chacun. L'expérience de Neil avec ses Libres
enfants de Summerhill est encourageante. re
Pourtant l’on peut regretter une désaffection pour le savoir dit
« inutile », sous prétexte qu’il n’a pas d’application immédiate dans
la recherche d’un premier métier. Car les arts, la culture générale
en un mot, représentent la part du rêve, le plaisir esthétique goûté
au moment des loisirs que laisse une activité professionelle et en
cela, sont irremplaçables. « L'étude doit être la pause féconde et
enrichissante où l’on (...) entre en possession de tout un trésor
humain, que plus tard on n’aura plus, en général, ni le temps, ni
l’occasion de découvrir » écrit J. de Romilly dans L’Enseignement
en Détresse. Si l'éducation se réduit à l’acquisition des mathéma-
tiques et de matières technologiques, on risque l’appauvrissement,
la mécanisation des esprits. « Un pays dans lequel n’existe plus, le
soir, une chambre dans laquelle un enfant apprend le grec ou le
violon, est un pays perdu » remarque L. Schwartzenberg.
142
Eduquer va même encore plus loin : il s’agit non seulement de
prodiguer un savoir qui aide l'individu dans sa vie personnelle et
sociale, mais de donner un sens à la vie, d’initier l’être à la richesse
de l'univers. C’est pourquoi l’éducation doit être complète. La
psycho-sociologie nous apprend qu’elle devrait prendre en compte
toutes les dimensions de l’être humain, et en particulier, celle du
jeu. Une organisation plus souple de l’éducation l’intégrerait bien
mieux à la totalité de l’existence. « L'enseignement ne se limite pas
à l’école. Toute la vie, notre milieu est notre éducateur » souligne
Valéry dans Variété. L'éducation pourrait et devrait être l’acquisi-
tion de valeurs simples qui se regroupent, selon la classification de
Diel (Les Principes de l'Éducation et de la Rééducation), « dans les
trois catégories de l’harmonie : l’harmonie de la pensée : vérité;
l'harmonie des sentiments : beauté; l’harmonie des actions :
bonté ».
143
O1. La vraie culture
été
TT LL Il
PLAN DÉTAILLÉ
Introduction
® À l'heure où les médias ont un pouvoir de plus en plus
considérable, on peut s'interroger sur le sens de ce mot galvaudé de
« culture ». Le poète contemporain M. Jacob en propose ce
contenu : « c’est la réflexion individuelle, sur les faits, les gens et
sur So1-même surtout ».
144
e Mais le risque, dans ce refus de l’individu de ce qui serait la
« fausse culture », est de s’enfermer sur lui-même.
I. la culture réflexive
2. Le risque du mépris
— Il ne peut y avoir une définition unique de la culture comme il
ne peut y avoir une culture universelle. C’est la diversité des
méthodes et des contenus culturels qui fait la richesse de l’huma-
nité.
— Refuser toute autre forme de culture est péremptoire et
conduit à des aberrations plus ou moins dangereuses.
Ex. : la société allemande de l’entre-deux guerres, cultivée à
l'extrême, n’a pas su voir les dangers d’un régime qui exaltait la
supériorité de cette culture. Le nazisme est en partie dû à cet
aveuglement.
147
22. Avec un œil sur le sordide,
un œil sur le sublime
I
En vous appuyant sur les œuvres que vous connaissez, Sans vous
limiter nécessairement au théâtre ou au cinéma, vous préciserez dans
quelle mesure cette affirmation d’un créateur peut rendre compte aussi
de votre expérience personnelle de lecteur et de spectateur.
JAPON,
ÉPREUVE ANTICIPÉE, BACCALAURÉAT, JUIN 1987 : A, B, C, D, D’,E.
148
CORRIGÉ... CORRIGÉ. CORRIGÉ. CORRIGÉ...
PLAN DÉTAILLÉ
Introduction
e Ilest souvent difficile de définir l’art:quels sont ses thèmes et
- ses procédés privilégiés? Comment réussir un film, une pièce, un
livre? Chaque nouveau créateur renouvelle par ses œuvres la
curiosité du public.
e À notre époque, les journalistes posent souvent aux artistes
ces questions qui intéressent les lecteurs ou spectateurs. À l’un
d’entre eux le scénariste et dramaturge contemporain J.-C. Grum-
bach répondit qu’il observait le monde « avec un œil sur le sordide,
un œil sur le sublime ».
e Questions :
1. Quelle est la part, dans l’art, du sublime et du sordide ?
2. Effets de leur mélange ?
3. Jusqu’où va la variété de la palette d’un artiste ?
L. Part du sublime et du sordide
1. Le sublime
Cette exaltation des plus hautes valeurs esthétiques et morales,
dignes de l’admiration, est une constante dans l’art, et parfois
même son but avoué.
e Pour le xvr° siècle, il est un élément des grands genres,
épopée et tragédie. Boileau dans L’Art Poétique recommande
cependant de ne pas abuser d’un « sublime ennuyeux et pesant » :
l'évocation des vertus et de l’héroïsme doit plaire pour frapper les
esprits.
— Épopée : la référence reste les valeureux guerriers d’Ho-
mère.
— Tragédie : Corneille touche au sublime plus que tout autre,
parce que ses personnages tentent sans cesse de se dépasser dans la
recherche d’une morale épurée.
Ex. : Polyeucte préfère la religion à l’amour et va au martyre.
Ex. : le célèbre « qu’il mourût » du vieil Horace est pour
149
i
Voltaire, iè
un siècle plus tard, encore un « traitÏ du p lus grand
sublime > et il signale que l'auditoire en fut transporté. Un tableau
de David représente d’ailleurs la pose figée et grandiose du Serment
des Horaces.
2. Le sordide
150
1. Le comique
151
; ilm Kanal d'A. Wajda montre l'Odyssée tragique de
ie
RH jar héroïques qui tentent de rejoindre Varsov
par l’ennem i cie a ue mondia le en
encerclée
A ft
ar les égouts, lieu sordide s’il en est.
Be Los mai 1508 de Goya peint un groupe d’Espagnols fusillés
par les napoléoniens. La chemise blanche de l’un d’entre eux et ses
bras écartés vers le haut symbolisent dans le sombre militarisme
ambiant la liberté qui lutte jusqu’à la mort.
152
2. Entre sublime et sordide
e La beauté du quotidien :
— le film L’Arbre aux sabots d’Olmi pour la vie compagnarde;
— peintures de Vermeer pour les intérieurs bourgeois;
— natures mortes de Chardin;
— nature et animaux chez Colette.
e La tendresse
— Tendresse d’une mère pour une fille chez Mme de Sévigné ou
dans Sido de Colette, d’un fils pour sa mère dans Le Livre de ma
Mère d’A. Cohen. C
— L'amitié chez Montaigne,
La Fontaine.
© L’imagination et la fantaisie
— Alice au pays des merveilles. Le Seigneur des anneaux.
— les recherches du Surréalisme sur l’inconscient
— les films de science-fiction.
Conclusion
La confidence de J.-C. Grumbach permet d’analyser des
constantes de l’art dans son histoire et ses différents moyens
d'expression. Elle nous donne une clé pour comprendre le travail et
les buts de l’artiste. Mais il ne faudrait pas s’en tenir aux extrêmes
du sordide et du sublime: le créateur ne louche pas toujours!
Tantôt centré sur les hautes valeurs morales, tantôt peintre de la
plus triste réalité, il lui arrive souvent de joindre les deux pour
exprimer les déchirements des consciences; d’autres domaines
s’ouvrent également à son observation et à son imagination.
153
28. Il doit y avoir toujours énigme [ee
en poésie.
LL LIL Ut
I
154
e Suggestion : il peut être intéressant ae connaître Mallarmé, ca
Sa position extrême est une charnière dans l’histoire de la poésie.
L'analyse de ses œuvres sera utile pour illustrer ses idées. Essayez
. dégager les conséquences de sa conception : hermétisme,
élitisme.
PLAN DÉTAILLÉ
Introduction
© « La plupart des hommes, écrit P. Valéry dans Tel Quel, ont
de la poésie une idée si vague que ce vague même de leur idée est
pour eux la définition de la poésie. » Il est certain que les poèmes
diffèrent tant les uns des autres que les définir par leur forme ou
par leurs thèmes semble illusoire. Quel est le rapport entre les
sonnets d’amour de Ronsard et ceux de Nerval ? Entre la concep-
tion de la mort chez Villon et chez Baudelaire ?
© Force est donc de prêter attention aux propos des poètes qui
tentent de résumer en quelques mots l'essence de leur art. Or
Mallarmé, qui est à la fois créateur et théoricien, répondit un jour à
une enquête sur les écrivains dans des termes qui joignent le
contenu et la forme de la poésie. « Nommer un objet, dit-il, c’est
supprimer les trois quarts de la jouissance du poème qui est faite de
deviner peu à peu : le suggérer, voilà le rêve. [...] Il doit toujours y
avoir énigme en poésie, et c’est le but de la littérature — il n’y en a
pas d’autres — d'évoquer les objets. »
© La distinction ainsi établie porte non sur les thèmes, mais sur
la façon de les traiter : « objet » doit être pris au sens large. Pour
Mallarmé, la plus pure poésie est celle qui cache son sujet, ne le
dévoile que par un effort du lecteur, comme le montre l’insistance
sur les mots « suggérer », « évoquer », fortement opposés à
« nommer ».
@e Questions :
1. A quoi correspond cette définition ?
2. Convient-elle pour toutes les formes de poésie ?
3. Peut-on résumer la poésie en quelques mots, ou contient-elle
plusieurs tendances ?
155
l. Explication de la définition proposée
à son opinion de
1. L'œuvre de Mallarmé correspond parfaitement
théoricien, et permet de la comprendre.
Ses poèmes se livrent en effet difficilement
157
— Hymnes et Discours de Ronsard, Les Destinées de Vigny.
— Les Châtiments de V. Hugo.
3. Mystère de la simplicité
Ces poèmes se donnent immédiatement grâce à leur vocabulaire
très simple et aux images facilement compréhensibles. Mais ils ne
sont pas dépourvus de mystère, pour plusieurs raisons.
158
® La description des objets peut accentuer leur mystère au lieu
de le supprimer, lorsque les points de vue sont inhabituels.
— Ex : Le Parti pris des choses de Ponge.
— Ex : Histoires naturelles de J. Renard.
— Ex : le Bestiaire d’Apollinaire.
159
du fond et de la forme d’une Pléiade militante qui veut donner à la
langue française des thèmes, des instruments dignes des Anciens.
e Au xvur° siècle, la préciosité se délecte de poèmes où prime la
forme. Dans les salons, les invités du monde littéraire s'amusent à
se lancer des énigmes rimées, à parler d'amour dans le « style
figuré » dont se moque Molière dans le Misanthrope (I, 2) ou Les
Précieuses ridicules (se. 9). Suivra la recherche de la simplicité dans
le classicisme français qui refusera ces tentations.
e Au xx° siècle, la poésie populaire du Romantisme se voit
critiquée par le Symbolisme, dont Mallarmé est le représentant le
plus significatif.
e Au xx° siècle, la poésie érudite, faite pour les yeux et le
silence, de R. Char ou de Saint-John Perse, voisine avec celle
d'Aragon, d’Apollinaire, de Prévert, faite pour la voix et les foules.
Ils furent souvent chantés avec succès, le dernier a même introduit
sa poésie dans le cinéma avec la complicité de M. Carné.
160
24. Les femmes dans la littérature
RP
BESANÇON,
BACCALAURÉAT, JUIN 1980 : A, B, C, D, E.
#
Introduction 4
e De Ronsard à Colette, romans et poésies multiplient les
figures féminines. Les femmes sont même « souvent la figure
centrale ou le premier plan ».
e Le problème est de savoir s’il y a adéquation de cette image
littéraire avec ce que la femme réelle conçoit d’elle-même d’une
part et ce que la société construit elle aussi comme figure.
@ La démarche sera de circonscrire la place de la femme dans la
littérature avant de constater que l’œuvre littéraire est un écho
assez fidèle de la réalité ou propose des modèles auxquels les
femmes veulent s'identifier. Mais remarquer que, poétiques ou
romanesques, les œuvres sont souvent le fait d'hommes qui
inventent une image de la femme; en outre l’image de la femme
évolue à la même vitesse que la société et un fossé se creuse parfois
entre la lectrice moderne et les héroïnes du passé.
© D'où le plan suivant :
I. La femme figure privilégiée de la littérature
II. Le fidèle miroir
III. La distorsion entre l’image et la lectrice
2 es
I. La femme, figure privilégiée de la littérature
1. Héroïne de roman, dédicataire de poème
162
2. Un rôle esthétique et psychologique
® La Muse : La femme est l’inspiratrice de l’artiste.
Ex. : Les Nuits de Musset dans lesquelles la Muse est à la fois mère
et amante.
Elle représente la Beauté humaine mais participe également,
dans la perfection que lui accorde les écrivains, du divin.
e La femme est l’Amour : En fait, il apparaît que la femme
représente l’Amour sous ses différentes formes. Elle est alors tour
à tour épouse, mère ou amante passionnée.
Ex. : Mémoires de deux jeunes Mariées de Balzac : échange de
lettres entre deux amies dont l’une est une mère et une épouse
accomplie et l’autre sacrifie à la passion la plus débridée.
Mais pour qu’il y ait œuvre littéraire, il faut un amour impossi-
ble. La femme est soit inaccessible, car déesse, soit interdite, car
déjà mariée ou sœur. C’est le désir de la transgression qui meut les
personnages. —
Ex. : Aurélia dans Aurélia de Nérval est angélique, impalpable de
par sa nature divine. Julie dans La Nouvelle Héloïse de Rousseau
est partagée entre la fidélité à son mari et la passion qu’elle voue à
Saint-Preux. e
Parvenu à une situation telle, le romancier a le recours de la mort
pour dénouer l'intrigue. Aussi le trépas est-il souvent l’épisode
culminant des œuvres romanesques, l’exacerbation et la sublima-
tion de l'Amour.
Ex. : La Princesse de Clèves de Mme de La Fayette, le suicide
d'Emma dans Madame Bovary de Flaubert.
e Une figuration des valeurs morales : La femme met en acte les
vertus et les vices, les notions de bien et de mal. Elle est parfois
ange, parfois démon, pécheresse ou sainte.
Ex. : l’héroïne de La Dame aux Camélias de Dumas est un
personnage double, et Madame de Merteuil, dans Les Liaisons
dangereuses de Laclos, est au contraire exclusivement démoniaque.
A l’intérieur d’une même œuvre d’ailleurs deux femmes s’affron-
tent souvent, l’une pure et l’autre passionnée.
Ex. : Clélia et la duchesse Sansévérina dans La Chartreuse de
Parme de Stendhal, Laura et Lilian dans Les Faux-Monnayeurs de
Gide.
II. Le fidèle miroir
L'image de la femme dans les œuvres romanesques et poétiques
correspond non seulement à ce que la femme imagine d’elle-même
mais aussi à ce qu’elle voudrait être.
1. Une peinture exacte
e Psychologie des sentiments : La femme reconnaît dans ces
œuvres une peinture de l’amour tel qu’elle le vit.
163
i i la plus parlante de cette adéqua-
Le bovarysme est l'illustration
tion entre l’œuvre littéraire et la lectrice : Madame Bovary est
comme nombre d’autres femmes, illusionnée par les romans
sentimentaux dont elle a nourri sa jeunesse et désillusionnée parA la
trivialité des hommes. ;
Les tourments et les délices de l'amour traduits dans la poésie
sont ceux que vivent les lectrices de toutes les époques sans savoir
les formuler. :
Ex. : Les Sonnets de Louise Labé.
e Caractères originaux : Certaines figures de femmes paraissent
proches des lectrices modernes par la similitude de leurs préoccu-
pations. Il en va ainsi des romans contemporains mais aussi des
études réalistes de Zola.
Ex. : Gervaise dans L’Assommoir de Zola; Rosa dans La Vie
devant soi de Ajar (Gary).
2. Un idéal à atteindre
e Justification individuelle par la littérature : La femme trouve
l'autorisation des transgressions dans les œuvres littéraires, ou au
contraire est confortée par elles dans sa soumission.
Ex. : Madame Bovary évoque les adultères répétées d’une bour-
geoise, donnant ainsi un pernicieux exemple aux lectrices. Madame
de Mortsauf, dans Le Lys dans la Vallée de Balzac, symbolise, elle,
la grandeur de la soumission maritale.
e Modèle collectif littéraire : Les œuvres littéraires montrent
une certaine complaisance à exacerber les valeurs imposées par la
société (fidélité, soumission, etc.) auxquelles veulent se soumettre
les femmes.
Ex. : La Princesse de Clèves de Mme de La Fayette, Eva dans La
Maison du Berger de Vigny.
Ces critères varient selon les époques mais à chaque siècle
pourtant les lectrices ont trouvé l’image de leurs rêves dans la
littérature. Romans et poésie offrent un modèle de perfection à
suivre.
HI. La distorsion entre l’image et la lectrice
1. La femme vue par les hommes ou par les femmes
© Fantasmes masculins : Nombre d'œuvres sur les femmes sont
le fait d’auteurs masculins qui projettent dans leur création leurs
fantasmes sur le désir féminin et les faiblesses inhérentes à une
hypothétique nature féminine. L'image de la femme s’en trouve
déformée.
Ex. : le cycle des Jeunes Filles, de Montherlant, développe sur
quatre romans des types de femmes psychologiquement faibles,
ayant besoin de la protection masculine.
Aussi bien dans les romans que dans la poésie, l’idée des
hommes est que la femme est gouvernée par le sentiment, cette
164
intuition féminine qui rendrait les femmes moins aptes à la
réflexion que les hommes.
Ex.: l’impulsivité d’Albertine dans À la Recherche du Temps perdu
de Proust ; Jeanne Duval, modèle de sensualité dans « Parfum
exotique » ‘de Baudelaire.
Est à noter l'opposition fréquente des caractères masculins forts
et des caractères féminins faibles.
Ex. : Au Bonheur des Dames : Mouret qui domine les femmes
employées dans son magasin.
e Les femmes vues par les femmes : néanmoins il existe des
écrivains féminins mais qui proposent souvent une image masculine
de la femme.
Ex. : Mme de La Fayette, Sand, Noaiïlles.
Il faut attendre le xx° siècle pour trouver des images de femmes
originales.
Ex. : L’Amant de Duras, La Naissance du Jour de Colette.
#
#
2. Évolution sociale
C’est cette transformation sociale qui creuse le plus d’écart entre
les œuvres et les lectrices modernes.
e Le monde du travail : Depuis que les femmes ne sont plus
confinées chez elles et participent au monde du travail comme les
hommes, les figures de femmes dépendantes ne sont plus recon-
nues.
Ex. : La Maheude dans Germinal de Zola est plus crédible que
Madame de Couaën dans Volupté de Sainte-Beuve.
e Les changements de mentalité : D’autre part certains tabous
religieux ou moraux ont été plus ou moins abolis (sacrement du
mariage par exemple, ou pudicité).
Ex. : Virginie qui se noie plutôt que se dénuder devant un matelot,
dans Paul et Virginie de Bernardin de Saint-Pierre, fait sourire
aujourd’hui.
Conclusion
e La littérature est donc indissociablement liée à l’image de la
femme. La caractéristique principale des personnages féminins
dans les œuvres romanesques et poétiques est l’amour.
e Or cette image est parfois inadéquate à ce que la femme réelle
conçoit de sa propre féminité.
@e La seule reconnaissance possible est celle qu’imposent les
grandes figures féminines qui valent comme types humains plus que
comme caractères individuels.
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