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Mémoire présenté
à la Faculté des études supérieures de l'Université Laval
dans le cadre du programme de maîtrise en arts visuels
pour l'obtention du grade de maître es arts [M.A.]
2007
RÉSUMÉ
Entre les arts visuels, la scénographie et le design graphique, une trame s'est tissée,
l'espace de cette maîtrise en arts visuels. La plume de Molière, qui a donné naissance aux
Précieuses ridicules il y a de cela plus de 350 ans, s'est à nouveau prêtée au jeu de la création.
Vicomte de Jodelet que j'ai déployé l'univers de la typoésie. Je me suis intéressée aux différen
tes formes que peut empruter le langage écrit afin qu'il soit détourné en un langage visuel. Pour
ce faire, j'ai documenté ma recherche de la vie de gens qui ont marqué l'histoire, d'événements
socioculturels et d'œuvres tant littéraires qu'artistiques unissant le XVIIe siècle à notre ère. Le plai
sir que j'ai éprouvé en donnant forme aux caratères de ces personnages m'a permis d'exprimer
Résumé
Introduction
Conclusion 67
Bibliographie 68
IV
L I S T E DES F I G U R E S
page
2. Emmet Williams 12
Typoème, a-Entwicklung (Déploiement de a), 1958.
Reproduit de Jérôme Peignot, Typoésie, Imprimerie nationale, Paris, 1993, p. 238.
3. Chantai Daoust 12
Personnage de Magdelon, 2006.
Une précieuse et ridicule étude de caractères, 2007, p. 44.
4. HerbLubalin 12
Typoème, Mother and child, 1966.
Reproduit de Jérôme Peignot, Typoésie, Imprimerie nationale, Paris, 1993, p. 133.
5. Chantai Daoust 12
Personnage de Gorgibus, 2006.
Une précieuse et ridicule étude de caractères, 2007, p. 53.
6. Raymond Gid 13
Typoème, Serpents, 1967.
Reproduit de Jérôme Peignot, Typoésie, Imprimerie nationale, Paris, 1993 p. 154.
7. Chantai Daoust 13
Personnage de Cathos, 2006.
Une précieuse et ridicule étude de caractères, 2007, p. 51.
8. Man Ray 13
Typoème, Lautgedicht, 1924.
Reproduit de Jérôme Peignot, Typoésie, Imprimerie nationale, Paris, 1993, p. 123.
9. Chantai Daoust 13
Personnage de Cathos, 2006.
Une précieuse et ridicule étude de caractères, 2007, p. 50.
12. Grapus 15
Typoème, 1980.
Reproduit de Jérôme Peignot, Typoésie, Imprimerie nationale, Paris, 1993, p. 340.
20. Stéphane Mallarmé, extrait du poème Un coup de dés jamais n'abolira le hasard 22
Poete.com, Mallarmé, (page consultée le 11 janvier 2007), [En ligne,
adresse URL: http://www.poetes.com/mallarme/coup_de.htm].
INTRODUCTION
Ce mémoire de maîtrise en arts visuels relate la trajectoire artistique que j'ai emprun
Les Précieuses ridicules\ Deux aspects de cette maîtrise sont incontournables: ce texte
d'accompagnement qui discute et analyse mon processus de création et une exposition présen
1 er juin 2007. Tout au long de cette production, des rencontres, des expériences et des décou
vertes, toutes plus enrichissantes les unes que les autres, ont donné lieu à une succession de
des éléments précurseurs qui m'ont amenée à entamer ce projet de recherche. Il résume les
étapes de réflexion quant à l'intégration de mes différents champs d'études dans le but de
renouveler ma pratique artistique. Il est ainsi le raffinement de l'objet de ma recherche, tant en arts
visuels et en scénographie qu'en design graphique. Le momentum fut la prise de conscience que
certains mots, une fois réunis, portent en eux l'impulsion nécessaire au dépassement de soi.
Si le premier chapitre fut le fruit d'une quête de sens de mon cheminement, le deuxième
mon travail dans le cadre de cette dernière. Avec celle-ci s'est déployé mon désir de remonter
jusqu'aux racines de la poésie afin de mieux cerner, d'un point de vue littéraire, historique et
1. MOLIÈRE, Les Précieuses ridicules, Paris, Larousse-Bordas, « Petits classiques Larousse texte intégral », 1998.
2
Dans un troisième temps, c'est autour du mot caractère que s'est articulé ma réflexion.
de Molière, l'approfondissement de la forme visuelle de ces expressions s'est avéré être l'un
le caractère typoétique m'a permis de souligner les liens formels, culturels et historiques exis
Finalement, le chapitre quatre aborde les étapes de création par la présentation de cha
cune des œuvres composant mon corpus. Toutes les différentes versions des personnages
que j'ai conçus, ainsi que les répliques du texte de Molière qui les ont inspirées, sont dévoilées.
Puisque la mise en espace proposée par l'exposition n'est qu'un passage limité dans la vie de
mon projet de maîtrise, j'ai senti le besoin d'en préserver un déploiement intégral dans ce texte
d'accompagnement.
Ce mémoire décrit mes recherches sur le détournement de la forme écrite vers la forme
visuelle typoétique, et ce, à travers l'étude des personnages de la pièce Les Précieuses ridi-
Lorsque le rideau se lève et que le noir de la scène s'estompe dans les pensées éparses
des spectateurs, tout est là. Avant même que les premiers mots ne soient prononcés, le cœur
de l'œuvre bat, là, en silence sous les regards des projecteurs. L'auteur qui, un jour, a pressenti
l'éruption des paroles qui bouillonnaient en lui, fait soudainement sien ce moment intime où la
La beauté des dialogues au théâtre réside aussi dans leurs silences. Tous ces mots qui
se chuchotent, percutent, s'embrasent et se tuent puisent leur puissance dans les vides qui
se tissent entre les personnages. Il y a en eux comme un pressentiment que quelque chose
d'important va se passer. Comme une certitude que tout est possible. Puis, s'échapperont
d'autres mots qui porteront eux aussi la puissance de l'action, l'impulsion du verbe.
Le chemin que j'ai parcouru avant d'entreprendre ce projet de maîtrise en arts visuels fut à
l'image d'un dialogue de scène. D'abord l'abandon. L'évacuation de tout ce que peut comporter
le choc d'un retour après une année vécue à l'étranger. Le désert. L'indicible besoin de taire la
déception d'atteindre le port, la case départ. Puis, dans ce tarissement inhabité, une envie qui
survient: renouveler mon travail. Aucune logique ne pouvait encore définir cette impulsion qui
jaillissait du fond de moi-même, mais elle était bien là. Persistante et rebelle. Je la sentais me
bousculer de l'intérieur sans jamais m'indiquer le chemin à emprunter. Puis enfin, vint le mo-
mentum. Mon instinct m'imposait sa volonté, m'ordonnait des mots pêle-mêle dont les images
me captivaient. Je savais avec conviction que le moment était venu, qu'un événement important
allait se passer. « Elle sait aussi quelque chose d'autre, que dorénavant le temps est sans doute
arrivé où elle ne peut plus échapper à certaines obligations qu'elle a envers elle-même. »2
sions qui ont entraîné le coup d'envoi de mon processus de création. Comme au développe
ment d'un tirage photographique, ce momentum s'est révélé à la lumière du mot art: arts vi-
suels, arts scénographiques et arts graphiques. C'est désormais dans la communion de mes
trois champs de formation que s'inscrivait enfin une nouvelle avenue porteuse d'un univers
fécond, dont les études à la maîtrise en arts visuels allaient m'en permettre l'exploration.
Molière disait: « On trouve quelquefois, à force de chercher, ce qu'on ne trouve pas d'abord ; et
souvent en de simples lieux... »3 À l'instar des personnages de Valère et Lucas, dont la quête
d'un remède pour Lucinde les mène au Médecin malgré lui, mon parcours académique a déter
miné la trajectoire artistique de mon projet de maîtrise. Ma réflexion m'amenant à constater qu'il
n'était plus nécessaire de porter ces trois formations artistiques indépendamment les unes des
autres puisqu'elles convergeaient, mon itinéraire s'est précisé. Du passage de ces passions à
création dont l'œuvre Les Précieuses ridicules m'a permis de m'imprégner des influences de
chacune d'elles.
Tout au long du processus qui m'a amenée à entamer ce projet de maîtrise, une réflexion
sur mon parcours académique s'est déployée en trois actes et s'est imposée. D'abord les
l'Université. Pour moi qui me suis toujours passionnée tant pour l'histoire, la recherche des
techniques et des matériaux ainsi que pour la production d'œuvres, il devait assurément y ré
3. MOLIÈRE, Molière théâtre complet, Le médecin malgré lui, Genève, Éditions RVG, 1986, p. 394.
!»
théâtre qui essaie de véhiculer certaines idées en réinterprétant la notion de distribution des
rôles: auteur, public, et metteur en scène.» 4 Ce qui m'interpelle dans son approche artistique,
c'est la liberté et l'adresse avec lesquelles il réunit diverses disciplines et renouvelle l'art con
temporain. Qu'il s'inspire des supports médiatiques publicitaires ou du design urbain, il parvient
avec aisance à intégrer les spectateurs dans ses mises en scène poétiques. Comme un droit
Lors de mon parcours académique, qui s'est décuplé en autant d'expériences profession
nelles, dont la pratique du métier de scénographe et celle de designer graphique, il me fut donné,
chacune de ces approches. J'aimais puiser spontanément à même les différentes sources de
d'une œuvre finale. Cette constatation a donc fait émerger une importante question lors de mon
nelle au service d'une œuvre artistique dont je serais l'auteure ? Il était fondamental, à cette
les œuvres originent habituellement d'une commande, je devrais développer ma propre source
d'enthousiasme et de motivation. « C'est avant tout la création du contenu qui définit le statut et
le rôle de l'auteur. C'est pourquoi le graphisme d'auteur concerne tous les rôles du graphiste,
et qu'il doit être associé à un réel investissement dans la création du contenu - le graphiste se
doit de se comporter en auteur. Là est la clé pour réussir le graphisme d'auteur - l'importance
du contenu.» 5
4. Burkhard RIËMSCHNEIDER et Uta GROSENICK, L'art d'aujourd'hui, Kôln, Taschen, 2001, p. 58.
5. lan HOLCROFT, Définir le graphisme d'auteur, Étapes, n° 120, mai 2005, p. 80.
(i
C'est donc dans l'esprit de l'interdisciplinarité que j'ai trouvé une terre d'accueil à
l'émergence de cette question. Cette disposition me permettait d'y enraciner une œu
vre d'auteure dont la nature pouvait simultanément être à la source de mes trois sphères
d'activités. À la croisée des chemins entre les arts visuels, les arts scénographiques et les arts
savoirs et de leur complémentarité nous invite à une certaine ouverture d'esprit. Cette notion
d'interdisciplinarité n'est en aucun cas une valeur en soi, c'est avant tout une approche. »6
mes compétences artistiques était désormais incontournable. Cet échange, qui encourage
mon contenu.
cours, l'évidence de mieux cerner mes intérêts à l'intérieur de chacun de mes champs artistiques
s'est imposée. J'ai donc dégagé les éléments que je tenais particulièrement à développer et qui
En arts visuels
blanc) afin de les exposer dans une installation artistique, que j'ai tissé entre cette dernière et la
mise en scène, un langage visuel dont les personnages en seraient la corrélation. D'après une
mise en lumière feutrée des lieux, je compte recréer une ambiance scénique où chaque œuvre
En arts scénographiques
nages de la pièce Les Précieuses ridicules de Molière, correspondait parfaitement à mes motiva
tions scénographiques, non pas dans un but d'en faire des affiches mais dans l'esprit d'esquisses
de personnages que le scénographe présente au metteur en scène. Mais pourquoi iLes Précieu-
ses ridicules ? Et pourquoi Molière ? D'abord Molière, parce qu'il devenait essentiel à mes yeux
de choisir un texte écrit en français, afin d'avoir une compréhension juste du récit. Également,
parce que le faste et la richesse historique de l'époque à laquelle il a vécu, soit l'empire du Roi
En arts graphiques
Quant aux Précieuses ridicules, c'est le design typographique qui en a déterminé le choix.
C'est plus précisément l'aspect ludique et poétique du langage précieux qui a interpellé mon
désir de jouer avec la typographie. Puisqu'à travers les personnages, Molière se moque de la
H
langue française avec une pointe touchante d'humanité, la satire du langage précieux dont il fait
ses dialogues une surenchère de mots inspirés d'un jargon visuellement riche, les caractères
ridicules, dans une approche tant poétique que typographique, dont la présentation fera l'objet
À l'image d'une clé de voûte, la découverte du mot typoésie est venue souder chacune des
simultanée, la typoésie s'est avérée être le lien fondamental les unissant dans leur finalité
visuelle. En juxtaposant le génie de Molière à ces trois formes artistiques, la création de mes
Cette contraction des termes typographie et poésie laisse place à une fructueuse interpré
tation où, plus que l'écriture, les caractères typographiques dans lesquels elle est versée sont
matière à expression artistique. « La vraie poésie est celle où l'écriture a son mot à dire. »7 Elle
permet également au mot poésie d'être abordé dans une perspective plus vaste que le sens
littéraire auquel nous sommes habitués. D'un point de vue plastique et graphique, l'ensemble
des personnages que j'ai créés donnent naissance à une production typoétique. D'une part,
typographique étant donné l'importance qu'y joue l'écriture, de l'autre poétique, considérant
que, dans sa définition, Etienne Souriau y décrit avec justesse le sens auquel je fais référence
lorqu'il est question de la poésie de mes personnages. «On parle ainsi de la poésie d'un
tableau, d'une pièce de musique, mais aussi d'oeuvre non-humaines, tel un paysage par ex
emple. En ce sens la poésie est la capacité que possède un objet quelconque de produire en
nous une réaction affective et intellectuelle pareille à celle produite par un poème. »8
ferai une brève présentation. Par la suite, j'exposerai quelques typoèmes, œuvres issues de
la typoésie, afin de mieux situer ma pratique dans le contexte graphique et artistique de cette
approche. Concepteur du mot typoésie, père spirituel du genre littéraire et auteur en 1993
de l'anthologie du même nom, Jérôme Peignot est romancier, poète, spécialiste de l'histoire
arrière-grand-père, son grand-père et son père ont dirigé la fonderie Deberny-Peignot créée
au XIXe siècle. L'association avec Deberny vient du nom de Madame de Bemy, compagne et
mécène d'Honoré de Balzac à qui elle finança l'entreprise de fondeur de caractères. Cette affi
liation avec la famille Peignot est donc purement commerciale plutôt que familiale. L'une des
créations typographiques de la fonderie, encore disponible de nos jours, est la police Peignot
Figure 1
Né en 1926, Jérôme Peignot a plublié une trentaine d'ouvrages dont L'or des fous, Jérô-
miades III qui lui a valu l'obtention du prix Sainte-Beuve en 1962. En 1985, il reçoit son diplôme
de doctorat à la Sorbonne. Selon lui, «Rimbaud, Mallarmé, Appolinaire, les futuristes, les da
daïstes, sont les précurseurs indirects de la typoésie.» 9 Il considère d'ailleurs cette dernière
9. Jérôme PEIGNOT, Hypermédia, Université de Paris 8, (page consultée le 13 février 2007), [En ligne, adresse URL:
http://hypermedia.univ-paris8.fr/Groupe/cr00/cr10. htm#4].
11
L'éventail des représentations visuelles de la typoésie est vaste. En fait, la typoésie est
un ensemble de compositions dont les auteurs sont poètes, designers graphiques, peintres,
J'ai forgé ce mot à la manière des mots-valises de James Joyce. Il associe typo
graphie à poésie et tourne autour de cette idée très simple qui me vient d'un ami ma
rocain, le poète Abdelkebir Khatibi. Il me disait que dans le monde arabe l'écriture
fait partie de ce qu'elle véhicule, ce dont témoignent les calligrammes. Je dirais moi
signe-signifiant-signifié. Au fond, la typoésie est l'avatar moderne du calligramme.
Jérôme Peignot10
À travers elle, Jérôme Peignot interroge, entre autres, la sémantique des caractères typo
graphiques, le lien qu'entretient la langue avec la typographie ainsi que la lecture des blancs
typographiques (l'espacement séparant les lettres, les mots, etc.), frontière entre la compréhen
sion et l'abstraction de l'écriture. De mon point de vue, je la qualifie de symbiose entre la poésie
littéraire, les arts visuels et les arts graphiques. L'étendue de ses applications typographiques
font foi d'une étonnante variation de stratégies graphiques. J'entends par stratégies graphiques
les moyens utilisés afin de faire participer un élément typographique du contenu à la forme
esthétique. Dans le contexte de mon travail, le contenu typographique étant généré par
l'intégration des répliques de la pièce aux silhouettes des personnages, cela m'a permis
d'explorer sous un autre angle ces mêmes stratégies graphiques. Toujours en lien avec le
contenu, il est à noter que j'ai préféré me concentrer sur la représentation multiple des person
Jodelet, plutôt que de présenter la distribution dans son intégralité. Cette décision fut d'ailleurs
liée au défi que je me suis donné d'intégrer différentes stratégies graphiques à travers un même
personnage et d'en conserver une cohérence visuelle. Dans les exemples de typoèmes qui sui
vent, j'ai fait la démonstration de ces stratégies graphiques par le biais de la libre expression
de la lettre (Figure 2), du mot (Figure 4), de la phrase (Figure 6), du paragraphe (Figure 8),
des signes typographiques (Figure 10), des signes musicaux (Figure 11), des chiffres (Figure
10. Jérôme PEIGNOT, Le matricule des anges, (page consultée le 16 janvier 2007), article paru dans Le Matricule
des Anges, n° 19 de mars-avril 1997, [En ligne, adresse URL: http://www.lmda. net/mat/MAT01 966.html].
12
aa ■ | Q
• . • • . •
Figure 2 Figure 3
Figure 4 Figure 5
(Figure 14). Parallèlement, j'ai jumelé certaines de mes œuvres qui ont, elles aussi, fait l'objet
utilisée est la répétition de la lettre. Tandis que les figures 4 et 5 utilisent la mise en abyme du
\-\i é
Figure 6 Figure 7
Figure 8 Figure 9
Tout comme les lettres sont intimement liées aux structures des mots, les phrases sont indis
sociables de celles des paragraphes. Dans les figures 6 et 7, les lettres et les mots sont l'objet d'une
stratégie graphique dont la composition est en arabesque. Les phrases des figures 8 et 9 sont ras
l'alignement à gauche avec une longueur de phrases variable, par opposition au texte justifié.
14
Figure 10
Figure 11
Au-delà des signes d'ordre alphabétique, la typoésie inclut d'autres signes qui ne sont pas en
lien avec mes personnages, mais dont l'apport demeurait pertinent à ma recherche. Qu'il s'agisse
de la transposition de signes typographiques en vol d'oiseaux (Figure 10) ou celle de signes mu
sicaux en instrument de musique (Figure 11 ), la métaphore en tant que stratégie graphique libère
un second niveau de compréhension de la forme écrite. Les signes quittent alors leur référence
Figure 12
Figure 13
Dans le cas de la figure 12, la stratégie graphique de fusion entre les chiffres 6 et 9 est par
de belle façon, dans un esprit ludique digne de Molière, puisque cette institution est elle-même
le fruit d'une fusion entre le Théâtre de Guénégaud (troupe légataire de Molière) et celui de
l'Hôtel de Bourgogne. Louis XIV ordonna cette alliance le 25 août 1680. Dans la figure 13 sont
empilées, sous forme d'agglomération urbaine, des matrices de caractères afin de recréer
stratégie de répétition utilisée pour les figures 2 et 3, l'amoncellement est ici plus propice aux
<
< * •
o
Figure 14
Figure 15
Matisse a illustré (Figure 14) pour la couverture de sa revue témoigne d'une approche manuelle.
gie grecque. Ce tracé gestuel libre lie formellement les figures ci-haut, puisque j'ai procédé par
taches d'encre pour la création des silhouettes de mes personnages (Jodelet en figure 15).
17
Lors de mon processus de recherche, j'ai élargi ma cueillette de données vers les mou
vements artistiques faisant usage de la typographie. Cette quête m'a ouvert la voie vers la
attention s'est alors portée sur la relation commune entre ces termes: «Thèse are terms re-
ferring to a wide variety of efforts to reinstate the mystery and magie of letters, words, verbal
and pictographie symbols by emphasizing their visual nature. »11 Ce passage détourné vers la
forme poétique s'est avéré essentiel puisqu'il répondait à mes préoccupations formelles sur
sion de la progression de la forme écrite littéraire vers la forme écrite artistique, et ce, à travers
Afin de dévoiler le langage visuel de la poésie, j'ai orienté ma démarche selon les étapes
suggérées par le schéma de l'évolution spirituelle de la poésie (Figure 16), tiré du lettrisme.
Je présenterai dans les pages qui suivent les auteurs mentionnés ainsi qu'une sélection de
poèmes qui me semblent représentatifs de l'époque de chacun et qui ont marqué l'avancement
du langage visuel poétique. Pour Charles Beaudelaire, j'ai choisi le poème La beauté (Figure
17), pour Paul Verlaine L'angoisse (Figure 18), pour Arthur Rimbaud Mouvement (Figure 19),
pour Stéphane Mallarmé un extrait du poème Un coup de dés jamais n'abolira le hasard (Figure
20), pour Tristan Tzara le poème dadaïste Bilan (Figure 21) et, finalement, pour Isidore Isou
Cris de 5,000,000 de Juifs égorgés (Figure 22). Chaque œuvre sera sommairement analysée
en fonction de son langage visuel. Il ne s'agit pas ici d'une analyse linguistique, mais bien d'une
méthode comparative formelle questionnant l'approche d'un nouveau dialogue esthétique en
tre la typographie et l'image. Le désir de détailler cette suite logique de poèmes m'est venu
vers la typoésie. Cette généalogie de la lignée des grands poètes, dont fait état le Schéma
11. H. H. ARNASON, History of Modem Art, Painting, sculpture, architecture, New York, Prentice-Hall/Abrams, 1968, p. 626.
Traduction libre de l'auteure: «Ces termes sont le fruit d'un effort visant à rétablir le mystère et la magie des lettres,
les mots et des symboles pictographiques, en soulignant leur essence visuelle. »
18
Figure 16
de l'évolution spirituelle de la poésie (Figure 16), était accompagnée d'un commentaire qui a
retenu mon attention : « Les sujets ou anecdotes sont éliminés progressivement au profit d'une
recherche hermétique sur l'équilibre des vers et l'arrangement des beautés de la langue. Sous
les métaphores, les images, les mots précieux et rares, se dégagent les lois d'une poésie qui se
déconstruit. »12 C'est précisément l'expression une poésie qui se déconstruit qui m'a interpelée.
idéale de comprendre cette déconstruction poétique littéraire. Depuis l'œuvre du XVIIIIe siècle
de Charles Baudelaire, jusqu'à celle du XXe siècle d'Isidore Isou, non seulement la rigou
reuse composition esthétique et cadencée des poèmes s'est-elle métamorphosée, mais toute
12. Eric MONSINJON, Le site officiel du lettrisme, (page consultée le 4 décembre 2006),
[En ligne, adresse URL: http://www.lelettrisme.com/pages/02_creations/poesie.php].
19
Figure 17
Le poème La beauté de Charles Baudelaire (Figure 17) a été créé d'après le modèle du
sonnet dont l'origine italienne date du XIIIe siècle. Il n'adhère cependant pas intégralement à la
forme classique puisque l'alternance des rimes diffère. Dans la structure traditionnelle, un pied
est une syllabe; un vers est une phrase; un alexandrin est un vers (phrase) de douze pieds
(syllabes); un quatrain est l'équivalent d'une strophe (paragraphe) de quatre vers (phrases);
un tercet est également l'équivalent d'une strophe (paragraphe) mais de trois vers (phrases);
un sizain est la combinaison de deux strophes (paragraphes) de trois vers (phrases) chacun.
Un sonnet se définit donc comme suit: «[...] un poème à forme fixe, présentant comme seules
quatrains et un sizain, organisé lui-même en deux tercets. Dans la forme classique, les qua
trains sont sur deux rimes embrasées (a b b a), les tercets présentant deux schémas possibles
(c c d e d e) ou (c c d e e d). »13
Figure 18
Dans L'angoisse de Paul Verlaine (Figure 18), la forme s'assouplit mais, toutefois, avec une
certaine complexité de lecture. Certes, la structure en deux quatrains et deux tercets persiste
toujours, mais le vers (phrase) s'est libéré de l'alexandrin. La ponctuation devient donc essen
tielle à la bonne compréhension du sens, puisqu'une même idée n'est plus contenue à l'intérieur
d'un rythme métrique de douze syllabes, mais se poursuit dans le vers suivant, donnant lieu au
vers libéré. Le vers-libre est donc à cette époque une grande révolution. C'est plus précisément
à la fin du XIXe siècle que des poètes comme Rimbaud et Verlaine professent la rupture du prin
tion de la forme poétique met un terme à une tradition qui persistait depuis Victor Hugo.
21
Car de la causerie parmi les appareils, le sang, les fleurs, le feu, les bijoux,
Des comptes agités à ce bord fuyard,
- On voit, roulant comme une digue au-delà de la route hydraulique motrice,
Monstrueux, s'éclairant sans fin, - leur stock d'études;
Eux chassés dans l'extase harmonique,
Et l'héroïsme de la découverte.
Aux accidents atmosphériques les plus surprenants,
Un couple de jeunesse s'isole sur l'arche,
- Est-ce ancienne sauvagerie qu'on pardonne ? -
Et chante et se poste.
Figure 19
Toujours dans l'esprit du vers-libre, le poème Mouvement (Figure 19) poursuit, entre autres,
Arthur Rimbaud ne fait plus de compromis avec la littérature, il impose sa plume. «À seize ans
ce bohémien a déjà fait deux fugues loin de Charleville. À l'épreuve de 1870 et de la Commune,
ses révoltes d'adolescent se font plus dures et l'exigence de changer la vie plus impérieuse. »14
14. Dominique RINCÉ et Bernard LECHERBONNIER, Littérature du XIXe siècle, Textes et documents, Paris, Nathan,
1986, p. 494.
Tl
C'ÉTAIT LE NOMBRE
»W lltlluirr
EXISTÂT-IL
aulrvmt'nt qu'IiaHutf nation épanc d'agno*!e
COMMANÇÂT-IL ET CESSÂT-IL
MIUI ilaiii que nir cl ckM quaad apparu
enfla
par quelque profusion répandue en rareté
SE CHIFFRÂT-IL
CE SERAIT
* -—•--. Indiffén'iamenl naît aulanl
LE HASARD
Choit
la plume
rythmique suspens du sinistre
s'ensevelir
aux écumes originelles
naguères d'où sursauta son délire jusqu'à une cime
flétrie
par la neutralité identique du gouffre
Figure 20
À cette étape, le virage est décisif. Mallarmé (Figure 20) entame une autre distance avec
l'écriture manuscrite qui marque l'arrivée de l'imprimerie. Les blancs qui correspondaient jadis
à l'interlignage désobéissent soudainement aux règles et s'imposent en tant que dialogue avec
la surface imprimée. Le rythme n'est plus séquence par les rigoureuses coupures syllabiques
de l'alexandrin, mais par les blancs et les mots. La force de corps (la taille), l'inclinaison et
l'espacement de ces derniers sont désormais des codes du langage écrit. Par déclinaison, la
phrase fait aussi l'objet d'une discontinuité dans le discours. « La dimension visuelle du poème
allait s'imposer comme représentation de l'oralité du langage, figurant dans l'écriture le dyna
misme de la parole. [...]Au cours du XIXe siècle, le blanc typographique est devenu un élément
fondamental de l'écriture du poème, une composante de son rythme. [...] le blanc n'est pas le
vide, il participe du langage, comme le silence [...] »15 II est à noter que les calligrammes de
Guillaume Apollinaire dont la mise en page artistique est notoire, se trouvent dans la même
BILAN
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gratuitement
AVANCE LA COULEUR EN LANOUE DIPPÉRENTE
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à 3 f r . M ou J h. 10 Invincible martyrologlit*
lun «M* H U M r*#**UHI 1* H W M tfV Mil, M
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Figure 21
À l'instar de Mallarmé, Tristan Tzara, fondateur du mouvement Dada, poursuit l'idée que la
poésie n'est pas uniquement le fruit du langage métaphorique de l'esprit, mais peut également
puiser sa source créative à même le langage visuel de la surface imprimée. Dans la citation qui
suit, il décrit les étapes d'une méthode de collage de mots se rapprochant du jeu du cadavre
exquis, dont les règles arbitraires de la composition dominent sur l'entendement logique de la
pensée. Le poème Bilan (Figure 21) présente le rendu de l'application de cette méthode.
Pour faire un poème dadaïste. Prenez un journal. Prenez des ciseaux. Choisis
sez dans ce journal un article ayant la longueur que vous comptez donner à votre
poème. Découpez l'article. Découpez ensuite avec soin chacun des mots qui
forment cet article et mettez-les dans un sac. Agitez doucement. Sortez ensuite
chaque coupure l'une après l'autre. Copiez consciencieusement dans l'ordre où
elles ont quitté le sac. Le poème vous ressemblera. Et vous voilà un écrivain infini
ment original et d'une sensibilité charmante, encore qu'incomprise du vulgaire.
Tristan Tzara16
16. Tristan TZARA, Bilan de Tzara, commentaire, (page consultée le 11 janvier 2007), [En ligne,
adresse URL: http://perso.univ-lyon2.fr/~edbreuil/Dada/Tzara/Bilan/Bilan.html].
24
- H2 -
CRIS PO'R 5 . U 0 O . 0 0 0 oe j u i r s ÉGORGÉS
Figure 22
en faisant éclater le mot au profit de la lettre (Figure 22). Cette désorganisation alphabétique
donne naissance à un univers à prédominance sonore. Les codes du langage sont bous
culés. Seul autre signe encore persistant du mode de la communication écrite: la ponctua
tion. L'incohérence tant du fond que de la forme est également inhérente à la mise en page,
Ce Cris pour 5,000,000 de Juifs égorgés marque la fin de ce bref survol historique et formel
du schéma de l'évolution spirituelle de la poésie [Figure 16], telle que proposée depuis la figure
contexte de mon travail en lien avec l'évolution graphique de la poésie. En prenant conscience
des étapes de la déconstruction de la poésie, j'ai mieux cerné l'origine de ses influences con
temporaines. J'ai constaté que la structure du genre poétique littéraire s'était engagée dans
une minimisation de la forme écrite, alors qu'elle était au départ d'une complexité rythmique
et mathématique très stricte. Comme dans un besoin de réduire la pensée à sa plus simple
être l'aboutissement de cette évolution. La typoesie est donc, à mon sens, une suite logique
Bien que ma découverte de Jérôme Peignot et de son anthologie sur la typoésie se soient
faites après la création des mes œuvres, les approches par lesquelles mon travail d'atelier s'est
situé dans ladite typoésie sont multiples. Mon but, en déployant la typoésie, fut de dégager cer
tains traits communs entre ma démarche artistique et celle de Jérôme Peignot. Pour ce faire, j'ai
résumé en quatre points les approches sur lesquelles repose mon processus de création des
L'intervention du hasard
Après avoir étudié les costumes d'époque et le contexte socioculturel du XVIIe siècle, j'ai
sur du papier blanc. Au hasard des taches qui ont imbibé aléatoirement la surface immaculée,
figure 23 présente ma première étape de création : une esquisse à l'encre selon une approche
Figure 23 Figure 24
27
traditionnelle au pinceau du médium. La figure 24 présente, quant à elle, le rendu de cette même
silhouette mais une fois numérisée et détourée à l'aide du logiciel Photoshop. Le hasard fut donc
dans ma démarche un excellent mode de création qui m'a permis d'esquisser au-delà de 200
esquisses de personnage. Les taches provoquées jetèrent les assises du vocabulaire visuel et
poétique de mon projet de maîtrise. Cette étape fut ma première transposition en images des
mots dont Molière s'est servi pour décrire les personnages des Précieuses ridicules. Dans le
typoème Page 8 de Paul Rand (Figure 25), le hasard se manifeste également dans la transposi
tion du chiffre 8 en lettre g. Un hasard dont le résultat est le fruit d'une recherche formelle, tout
comme je l'ai fait en étudiant les détails des costumes d'époque. Je ne considère donc pas le
hasard comme étant uniquement le résultat d'un geste fortuit, mais bien le rendu d'une recher
I ^ige
Figure 25
Dans un second temps, une fois les personnages campés dans leurs attitudes théâtrales,
j'ai vêtu ces derniers. Pour ce faire, je me suis servi de certaines répliques citées par les per
sonnages dans la pièce. Leurs costumes sont donc en partie composés des mots que Molière
a utilisés pour donner vie aux personnages. Les caractères typographiques de ces répliques
sont ainsi devenus matière plastique au service de leurs tenues vestimentaires. Dans la figure
26, le discours de Magdelon est tissé à même l'étoffe de sa manche. Il est à la fois à l'image
de son caractère raffiné et prétexte aux fines dentelles de l'époque. Dans la figure 27, Cathos,
28
deuxième Précieuse de l'histoire, exprime à Gorgibus son exaltation pour les allures galantes
et les Billets-Doux. « En effet, mon oncle, ma cousine donne dans le vrai de la chose. Le moyen
de bien recevoir des gens qui sont tout à fait incongrus en galanterie ? Je m'en vais gager qu'ils
Vers sont des terres inconnues pour eux. [...] »17 Par souci d'explorer au maximum le détourne
ment du langage écrit en un langage visuel, j'ai volontairement omis de conserver la lisibilité du
texte de Molière. Mon but en utilisant les répliques en tant que contenu textuel n'était pas de
Figure 26 Figure 27
Ce même esprit de libre intégration d'un texte à une forme se retrouve également dans le
travail de l'Allemand Reinhard Dôhl. Son typoème de la figure 28 propose le galbe d'une pomme
dont le contenu textuel réfère à la chair du fruit. Tout comme dans le cas de mes personnages, le
contenant et son contenu sont intimement liés sans que la lisibilité ne fasse obstacle au rendu.
ApfBlApfe ApfelApteiA.
jfefApfelA erApfeiApfeiA,
alApfelAp
jfefApfefA AptelAptelApfo
alApfelAp elApfefApfefApt.
îferApfel/» ApfelApfelApfel/
alApfelAp olApferApfeiApfe
rfelApfefA
.BlApfelAp;._ ApfelApfelApfel^
eiApferApfeiApfe
lApfelÀpfeiApf
ApfelWurmAp
L rvfnlVA/i i c m À n ^
ApfelApfelApfel/
"elles Si
elApfelApfelA
ipfelApti
ifelApfeK
.felÂpfeflApfelA-
knfel*
Figure 28
Considérant qu'entre les lettres, les mots et les phrases, l'existence des blancs est propice
à l'interprétation des émotions, et que la modification de ces silences typographiques amène une
charge poétique, j'ai usé de cette approche afin d'exprimer graphiquement le tempérament des
artistique. À titre d'exemple dans la figure 29, la scène finale où Gorgibus voit s'écrouler ses
espoirs de marier les Précieuses se prêtait parfaitement à ce jeu. Puisqu'il se présentait sous un
jour autoritaire au début de la pièce et rompu à la fin, j'ai accentué les blancs entre les mots du
début de sa réplique, afin de mettre en évidence la structure rigide de sa pensée, et j'ai lente
ment décomposé ces espacements, reproduisant ainsi la tension dramatique des événements.
GORGIBUS, les battant. Oui, oui, je vous vais contenter, et voici la monnaie dont
je vous veux payer. Et vous, pendardes, je ne sais qui me tient que je ne vous en
fasse autant. Nous allons servir de fable et de risée à tout le monde, et voilà ce
que vous vous êtes attiré par vos extravagances. Allez vous cacher, vilaines; allez
vous cacher pour jamais. Et vous, qui êtes cause de leur folie, sottes billevesées,
pernicieux amusements des esprits oisifs, romans, vers, chansons, sonnets et son
nettes, puissiez-vous être à tous les diables!
Molière18
Figure 29
Cette manipulation par la mise en valeur de la partie muette du texte donne à l'œuvre un
moyen d'expression poétique. Dans le typoème d'Eugen Gorimger (Figure 30), cette abstraction
de la forme écrite s'illustre aisément. Par la simple ablation d'un mot qui crée un trou dans une
organisation typographique très structurée, on sent prendre forme tout le sens de son message
Figure 30
31
De la même façon que j'ai sélectionné un extrait de texte pour illustrer chacun des person
nages, j'ai choisi un extrait de tissu afin qu'il devienne un élément significatif du costume. Par
exemple dans la figure 31, j'ai numériquement intégré au galbe de Magdelon des tissus qui sont
devenus son chapeau, sa chemise et sa jupe. Ces matières textiles ont été minutieusement
détourées, proportionnées et colorées afin de faire corps avec sa silhouette. Cette sélection de
tissus est inspirée de ma recherche historique et culturelle sur le XVII e siècle. Dans un esprit
plus métaphorique, j'ai aussi décomposé les répliques des personnages afin d'organiser les
lettres en forme de motifs et de textures. La figure 32, Lilas, de Mary Ellen Soit, s'appuie sur
cette même organisation des lettres en motifs afin de créer la représentation schématisée d'une
fleur. Une fois de plus, la poésie s'inscrit dans la forme d'un métalangage visuel.
Figure 31 Figure 32
Déployer la typoésie, cerner des approches qui lient ma pratique à cette dernière fut donc
pour moi une occasion de découvrir d'autres artistes passés maîtres dans l'art du langage
visuel de la poésie. Cette expérience comparative m'a permis de briser l'isolement dans lequel
s'était enlisée ma pratique puisqu'elle ne répond ni aux critères de l'affiche, ni à ceux d'une
Lorsque j'ai choisi le mot caractère à l'intérieur du titre de mon mémoire, c'est parce qu'il
tère typographique et le caractère psychologique. Ces deux angles de lecture, que j'expliquerai
subséquemment, sont les fondements mêmes de ma pratique puisque c'est à partir d'eux que
caractère, un troisième sens clé s'est distingué. D'après la langue anglaise, le mot caractère
est la traduction de characters dont l'essence se rapporte au nom personnages. Ainsi, tout le
propos de ce projet de maîtrise est contenu à l'intérieur d'un seul mot: caractère.
Le caractère typographique
design graphique. En lien direct avec ma formation de graphiste, les caractères typographiques
sont devenus une part du contenu de mon projet de maîtrise, ainsi que ma matière de prédilec
Le caractère psychologique
En scénographie, avant même de dessiner quelque costume que ce soit, il est essentiel
de découvrir la nature des personnages, l'état d'âme dont ils sont vêtus. En d'autres mots, il ne
suffit pas de concevoir une enveloppe corporelle, mais encore faut-il connaître la personnalité
qui l'habite. Le caractère psychologique d'un personnage théâtral se décrit donc comme suit:
fut créé au XVIIe siècle par Philippe Granjean. Destiné uniquement au service de l'Imprimerie
royale, celui-ci fut aux yeux de tous, tant prolétaires que monarques avoisinants, l'emblème
même de la vision fastueuse de Sa majesté Louis XIV. Encore aujourd'hui, à la lecture de ses
stature imposante, on peut y lire non seulement «[...] une correspondance de style entre un
caractère et un texte [...]»20 mais une corrélation entre un homme et son pouvoir. Ainsi, les
caractères typographiques ont une histoire, un auteur et un récit qui leur sont propres. Les
pages qui suivent en font état, et sont en lien avec les polices de caractères que j'ai choisies
ABCDEFGHIJKLM
NOPQRSTUVWXYZ
abcdefghijklm
nopqrstuvwxyz
Figure 33 Figure 34
let, j'ai déterminé trois polices de caractères dont l'expression du dessin correspondait à celle de
leur tempérament. Ainsi, pour les faux aristocrates Mascarille et Jodelet, mon choix s'est arrêté
sur la fonte Ann's Bijous (Figures 37 et 38). Pour les deux filles, Magdelon et Cathos, la fonte Not-
Caslon (Figures 35 et 36). Et pour Gorgibus le père, la fonte Adobe Casion Régulier (Figure 34).
William Casion, Britannique d'origine, était graveurde caractères. Auteurdecette fonte à laquelle il
légua son nom, l'importance de son œuvre est historique. Aux États-Unis à la fin du XVIIIe siè-
20. Damien GAUTIER, Typographie, guide pratique, 2" édition, Paris, Pyramyd, 2001, p. 5.
34
de, le Casion, dont les techniques d'impression dépendaient des outillages britanniques, était
la fonte chérie des imprimeurs coloniaux. Lorsqu'arriva, en ces temps de guerre, la rédaction
de la Déclaration d'indépendance des États-Unis, la toute première version imprimée qui suivit
l'original manuscrit le fut en Casion. Ce caractère, pour le moins traditionnel, marqua donc son
'fac^^î/zcytwjcfz.
Figure 35 Figure 36
Par opposition au Casion, Cathos et Magdelon ont été créées sous la griffe du NotCasIon
(Figures 35 et 36). Cette police typographique est l'œuvre de Mark Andresen, de la réputée
fonderie Emigré. Illustrateur américain du XXI e siècle, Mark Andresen s'est inspiré de l'opulence
célèbre quartier français des XVIIIe et XIXe siècles, la fonte NotCasIon exprime l'effervescence
et l'incroyable faste de l'événement. « It was meant as a joke, really, but I became serious about
finishing it as I started to enjoy the odd gracefulness of it. It réels like drunken sailors on shore
leave - the Black Sheep of the Casion Family. »21 Une grâce étrange écrit-il, ce qui n'est pas
sans rappeler l'objet de la préciosité du XVII e siècle et son prestige douteux. Techniquement, la
fonte NotCasIon est le fruit d'un collage spontané de matrices fragmentées de la fonte Casion
Swash Italie, autre cousine proche de la famille typographique du Casion. L'esprit de mouton
noir dans lequel Mark Andresen a conçu cette police correspondait parfaitement au tempéra
21. Mark ANDRESEN, Emigré Fonts, (page consultée le 22 octobre 2006), [En ligne, adresse URL: http://www.emigre.com/
Bios.php?d=23]. Traduction libre de l'auteure: «Ce travail était une plaisanterie, mais la grâce étrange qui s'en dégageait
m'a convaincu de le terminer. Ce caractère chancelle comme un marin saoul, il est le mouton noir de la famille Casion. »
35
E» W*7K-)
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ffTQV«SK;
Figure 37
se
®MMM0O$
Figure 38
Puis, enfin, la fonte Ann's Bijous (Figures 37 et 38) pour les deux valets costumés sous
de fausses apparences en aristocrates. Moins nobles qu'il n'y paraît, ces personnages sont
des imposteurs. Ann Stretton est la conceptrice de la police Ann's Bijous et voue une pas
sion boulimique aux motifs ornementaux. Pour cette travailleuse autonome de notre époque,
l'éventail de ses créations visuelles passe de la conception de sites web, de bijoux, d'affiches
et menus objets (cartes de souhaits, gaminets, tasses...), à celle de polices de caractères. Elle
est l'auteure de près de 50 fontes Dingbat. Par définition, un caractère Dingbat est un alpha
bet dissimulé derrière des images de type iconographique ou illustratif. Ainsi, chaque dessin
ornemental cache un signe typographique du clavier numérique. Les lettres, les chiffres et les
ponctuations deviennent alors illisibles, d'où l'imposture des messages qui sont encryptés aux
yeux des lecteurs dupés. La souche étymologique du mot Dingbat tirerait ses racines du jargon
populaire anglophone, désignant un comportement irrationnel. La famille des Dingbats est très
vaste puisque beaucoup d'adeptes, tant profanes que connaisseurs en matière de typographie,
en enrichissent le contenu.
36
Bien que cette catégorie de caractères soit typiquement contemporaine, un certain rap
prochement formel avec l'œuvre de l'un des plus importants typographes du XVIIIe siècle,
Pierre-Simon Founier, dit Fournier le jeune, est inévitable. Fournier le jeune, tout comme Wil
liam Caslon, vécut sous les lumières de son siècle, soit de 1712 à 1760. Il fut d'ailleurs l'élève
hérita de tout le raffinement et l'élégance française de cette époque. C'est à lui que l'on doit
notamment l'introduction de la note musicale ronde telle que nous la connaissons aujourd'hui
et qui était autrefois carrée, et la publication de plusieurs ouvrages de référence tant sur la
technique que sur l'histoire de la fonderie et l'alignement des hauteurs de majuscules avec le
jambage supérieur des minuscules. Le lien artistique auquel je fais référence, entre les carac
pour les motifs floraux et ornementaux (Figure 39) dont la représentation s'apparente à l'esprit
Figure 39
des liens existant entre la pièce de Molière, son siècle et notre ère; entre les personnages
fictifs de la pièce, des personnalités historiques marquantes et des designers graphiques d'au
jourd'hui. En dépit du fait que plusieurs centaines d'années se soient écoulées depuis la créa
tion des Précieuses ridicules, l'esthétique ornemental du style baroque du XVII e siècle demeure
Tout comme les individus que nous sommes et que nous côtoyons quotidiennement, les
personnages de théâtre possèdent eux aussi leur personnalité intime. Qu'ils soient bourreaux
ou victimes, maîtres ou valets, crapules ou justiciers, ils partagent avec les spectateurs des
dénouement de leur récit, leur caractère psychologique influence le jeu des comédiens qui les
incarneront, ainsi que la conception scénographique des lieux et des costumes. Afin de bien
cerner les intentions de Molière quant à la nature des personnages, prospecter et analyser cha
cune de leurs entités fut essentiel à ma démarche. Voici d'abord un court résumé de la pièce.
choisis par Gorgibus pour épouser les Précieuses, quittent furieux les lieux de la rencontre. Ces
derniers, vexés d avoir été jugés d après leur apparence quotidienne, décident de se venger et
d envoyer chez les deux pecques leurs valets prétentieux, Mascarille et Jodelet, qui se feront
passer pour Marquis et Vicomte richement vêtus. Cathos et Magdelon, n y voyant que du feu, se
laissent inconditionnellement berner par leurs discours séduisants, brodés de mensonges éhon-
tés. La farce atteint son apogée lorsque les gendarmes, envoyés par La Grange et Du Croisy,
investissent la demeure de Gorgibus et mettent à nu les deux larrons à leur tour dupés, et ce,
sous les regards consternés du maître de la maison et de ses deux protégées. Cette pièce porte
à réfléchir sur la prétention et la naïveté des gens qui associent aux apparences une valeur et un
rang social.
Magdelon
Cathos. Cette protagoniste, l'une des Précieuses de la pièce, aspire aux prétendants telle une
inlassablement, cette romantique se rebaptise même d'après l'héroïne d'un roman. D'un tem
pérament oisif à l'esprit insoumis, Magdelon n'hésite pas à désavouer les propos de son père
lors d'une tirade avec ce dernier sur les vertus du mariage. Autoritaire et condescendante
envers Marotte, sa servante ingénue, elle lui dicte l'usage du langage précieux en se moquant
natale, elle finira avec Cathos, toutes deux jetées aux confins du ridicule par excès de raffine
Cathos
pourquoi, il est également le tuteur. Tout comme le caractère italique est la copie inclinée du
caractère romain (caractère dont le dessin est droit), Cathos est sans contredit le prolonge
ment de Magdelon. Dans son inclination aveugle et loyale pour les propos de sa cousine, elle
jamais elle ne verra la flagrante grossièreté du piège tendu par les deux valets. Tandis que son
cœur bat pour celui de Jodelet, celui de Magdelon s'émeut devant les charmes de Mascarille.
Cathos étant la version lourdaude de sa cousine, elle ne pourra éviter la rupture de ses espoirs
Gorgibus
Père et oncle des deux Précieuses, Gorgibus est un homme de tête aux valeurs tradition
nelles. En emménageant dans la Ville lumière, son plan est incontestable: marier à de bons
partis ses jeunes protégées, dont la charge financière lui pèse. Il n'a «que faire ni d'air ni de
il est lui-même le modèle. Sa fierté sera rudement mise à l'épreuve alors que les deux pré-
tendants qu'il avait choisis, capricieusement rejetés, seront vengés en déguisant leurs valets
sous de faux atours. Également victime d'une sévère désillusion, Gorgibus n'aura d'autre
choix que de ravaler son orgueil en vouant ses filles au couvent afin d'éviter d'être la moquerie
du tout Paris.
Le Marquis de Mascarille
Premier imposteur travesti en faux noble à se présenter chez les Précieuses, Mascarille
est valet de profession. Ses antécédents de beau parleur et de pédant trouveront grâce aux
yeux des demoiselles mais vengeance à ceux des maîtres: La Grange et Du Croisy. Dans
un pacte avec ces derniers, Mascarille (valet de La Grange) et Jodelet (second imposteur et
de belles paroles, toutes plus fausses les unes que les autres. Bien que grossier dans son
nouveau rôle de bourgeois, le Marquis de Mascarille demeure parfaitement crédible aux yeux
dénouement de la pièce, cette dernière n'arrivera à traduire l'arnaque dont elle sera victime.
Si l'habit ne fait pas le moine, Mascarille en est l'incarnation fieffée. Mais il le fait avec tant de
très fournis» 25 , qu'aucune des princesses n'arrivera à lire la fausse identité de ses propos.
Le Vicomte de Jodelet
de son maître Du Croisy. Sous sa fausse apparence de valeureux soldat, Jodelet soutient le
rôle de Mascarille tout comme Cathos soutient celui de Magdelon. Au XVII e siècle, dans la
farce traditionnelle, Jodelet est l'enfariné de service. Charmeur et orateur de discours fraudu
leux, il pavanera devant Cathos à qui il jettera poudre aux yeux sans vergogne. Ses appari
24. François BOUCHER, Histoire du costume en Occident de l'antiquité à nos jours, Paris, Flammarion, 1965, p. 433.
25. lbid.,o. 427.
40
Jodelet était bien le dernier, valet de comédie, pitre de foire, insatiable goulu et
fieffé poltron, célèbre par son nez de blaireau, ses longues moustaches, sa barbe
noire, son ton nasillard. Avec l'aide de Scarron, il avait réussi à créer un type qui
devait quelque chose au zani italien mais plus encore au gracioso espagnol. Il était
par-dessus tout un fariné à la gauloise, comme Gros Guillaume, enraciné dans le
terroir médiéval.
Alfred Simon 26
Les caractères psychologiques fourmillent de qualificatifs qui font des personnages dra
matiques des êtres vivants pourvus d'une âme. Découvrir leur nature émotionnelle attise autant
notre aversion que notre sympathie. Cela nous permet de leur prêter vie et de leur donner une
forme, un visage, une couleur et un espace. Sans curiosité pour leur essence existentielle, il
26. Alfred SIMON, Molière, une vie, Lyon, La Manufacture, 1987, p. 144.
41
Après avoir mis en contexte les caractères typographiques que j'ai attribués aux person
nages ainsi que leurs caractères psychologiques, l'exploration du caractère typoetique a provo
qué la rencontre de ces deux univers. En fait, j'entends par caractère typoetique la juxtaposition
des caractères typographiques et psychologiques qui a eu pour effet de les unir. Le caractère
typoetique est l'ensemble des liens formels, historiques et culturels qui valident les raisons pour
lesquelles j'ai attribué telle typographie à tel personnage. Ils sont les fils qui lient mes choix artis
Figure 40 Figure 41
À l'instar des deux Précieuses Magdelon (Figure 40) et Cathos (Figure 41), la police Not-
CasIon (Figures 35 et 36) se déploie avec élégance et raffinement. Le dessin de cette fonte
arbore deux galbes - NotCasIon Two pour Magdelon et NotCasIon One pour Cathos - aux
allures très féminines dont l'un semble être la réplique de l'autre. Cette parenté visuelle me
42
permettait non seulement d'exprimer le lien parental unissant les deux jeunes filles mais égale
ment de confirmer la complicité de leur conduite superficielle. De plus, le nom NotCasIon faisant
directement contraste avec celui du caractère Casion attribué au père, cela me permettait de
confronter les valeurs libertines aux valeurs traditionnelles, le présent au passé et la jeunesse à
phes, leurs divergences artistiques sont historiquement incontestables. Les fractures des con
tours de la police NotCasIon, inspirées des matrices brisées du Casion Swash Italie, renforcent
l'idée d'effondrement dramatique des deux protagonistes. Ces pecques de campagne fraîche
ment emménagées à Paris ne pouvaient trouver meilleure métaphore que le nom de la fonderie
Emigré (diffuseur de la fonte NotCasIon) pour imager leur pérégrination de la campagne vers la
grande ville. _ , , . .
Il n en faut point douter, us
elles sont achevées1.
j'en fait
bon serment
Figure 42
Le caractère typoétique de Gorgibus (Figure 42) est marqué de l'affrontement avec ses
protégées aux idées volages. De la même façon que William Casion faisait figure des valeurs
ancestrales britanniques au sein des nouvelles colonies américaines, la fonte Adobe Casion
43
font un caractère franc, net et direct. La légende populaire veut d'ailleurs qu'il fut dit à l'égard
de ceux qui tiennent à être clairement entendus : « When in doubt, set it in Casion. »27 Pour ce
père qui devra, malgré lui, subir l'affront de la duperie en constatant l'écroulement de son plan
matrimonial, Gorgibus est l'incarnation à petite échelle de l'autoritaire Louis XIV. En ce sens,
Figure 43 Figure 44
Ce qui m'a poussée à choisir des caractères Dingbats pour Mascarille et Jodelet (Figures
43 et 44) est le fait qu'ils sont tous deux illisibles aux yeux de leurs prétendantes. Leur impos
ture, bien que grossière, est si parfaite sous les regards en pâmoison des Précieuses, qu'elles
n'arriveront jamais à les traduire pour ce qu'ils sont en réalité, soit de simples valets. Ma pré-
27. Jadette LALIBERTÉ, Formes typographiques: histoire, anatomie, classification, Saint-Nicolas, Presses de l'Université
Laval, 2004, p. 18. Traduction libre de l'auteure: « Dans le doute, écrivez-le en Casion. »
44
férence s'est portée vers Anna's Bijous Hearts (Figure 37), une typographie en forme de cœurs
quant à lui, qui se targue de ses aventures épiques à la guerre, méritait bien le caractère Anna's
Bijous Tricyclops (Figure 38) dont la forme parodie celle des médailles de bravoure des vété
rans. Leurs répliques ont donc été encryptées sous forme de codes iconographiques correspon
d'approfondir ma perception des personnages d'un point de vue esthétique et psychique. Les
liens que j'ai réussi à établir entre ces deux approches furent mes dernières étapes de recher
duelle de tous les personnages que j'ai créés. Ce fin mot donne une vision d'ensemble de mon
œuvre. Les pages qui suivent contiennent toutes les interprétations que j'ai faites des person
nages de Magdelon (4.1, 4.1a, 4.1b, 4.1c), Cathos (4.2, 4.2a, 4.2b, 4.2c), Gorgibus (4.3, 4.3a,
4.3b), le Marquis de Mascarille (4.4, 4.4a, 4.4b,) et le Vicomte de Jodelet (4.5, 4.5a, 4.5b), ainsi
que les répliques de la pièce dont je me suis inspirée. Choisir de créer cinq des neuf person
nages principaux, et ce, en plusieurs versions - considérant les contraintes de temps inhérentes
à ce projet de maîtrise - m'a permis de répondre à deux objectifs personnels : d'une part, le
plaisir d'illustrer ces derniers dans plus d'une scène de la pièce, de l'autre, celui d'explorer avec
plus de profondeur les différents caractères d'un même personnage. La sélection des répliques
du texte, attribuées à chacun d'eux, s'est faite parfois de façon très spontannée alors qu'à
d'autres moments, certaines de ces répliques se sont imposées d'elles-mêmes. À vrai dire, je
me suis laissée inspirer par la teneur des propos, leur humour percutant et leurs réparties sa
voureuses. Ces extraits ce sont imposés de soi car ils ont fait écho aux personnages, d'emblée
en espace des œuvres qui ont été dévoilées au public dans la Salle d'exposition du pavillon
maîtrise étant composé d'une exposition et de son texte d'accompagnement, il s'est avéré
4.1 Le p e r s o n n a g e de Magdelon
Exploration du costume d'époque (du corsage et des noeuds en papillon),
par la répétition de la lettre.
Scène 4 : MAGDELON. « Mon Dieu, que vous êtes vulgaire ! Pour moi, un de mes etonnements,
c'est que vous ayez pu faire une fille si spirituelle que moi. A-t-on jamais parlé dans le beau
style de Cathos ni de Magdelon? et ne m'avouerez-vous pas que ce serait assez d'un de ces
noms pour décrier le plus beau roman du monde?» 28
4 . 1 a Le p e r s o n n a g e d e Magd&lon
Exploration du costume d'époque (d'une texture de dentelle),
par l'intégration du paragraphe.
Scène 4 : MAGDELON. « Mon père, voilà ma cousine qui vous dira, aussi bien que moi, que le
mariage ne doit jamais arriver qu'après les autres aventures. Il faut qu'un amant, pour être agré
able, sache débiter les beaux sentiments, pousser le doux, le tendre et le passionné, et que
sa recherche soit dans les formes. Premièrement, il doit voir au temple, ou à la promenade, ou
dans quelque cérémonie publique, la personne dont il devient amoureux; ou bien être conduit
fatalement, chez elle par un parent ou un ami, et sortir de là tout rêveur et mélancolique. Il cache
un temps sa passion à l'objet aimé, et cependant lui rend plusieurs visites, où l'on ne manque
jamais de mettre sur le tapis une question galante qui exerce les esprits de l'assemblée. Le jour
de la déclaration arrive, qui se doit faire ordinairement dans une allée de quelque jardin, tandis
que la compagnie s'est un peu éloignée; et cette déclaration est suivie d'un prompt courroux,
qui paraît à notre rougeur, et qui, pour un temps, bannit l'amant de notre présence. Ensuite il
trouve moyen de nous apaiser, de nous accoutumer insensiblement au discours de sa passion,
et de tirer de nous cet aveu qui fait tant de peine. Après cela viennent les aventures, les rivaux
qui se jettent à la traverse d'une inclination établie, les persécutions des pères, les jalousies
conçues sur de fausses apparences, les plaintes, les désespoirs, les enlèvements, et ce qui
s'ensuit. Voilà comme les choses se traitent dans les belles manières et ce sont des règles
dont, en bonne galanterie, on ne saurait se dispenser. Mais en venir de but en blanc à l'union
conjugale, ne faire l'amour qu'en faisant le contrat du mariage, et prendre justement le roman
par la queue! encore un coup, mon père, il ne se peut rien de plus marchand que ce procédé;
et j'ai mal au cœur de la seule vision que cela me fait. » 29
Scène 4 : MAGDELON. «Mon père, voilà ma cousine qui vous dira, aussi bien que moi, que
le mariage ne doit jamais arriver qu'après les autres aventures. Il faut qu'un amant, pour être
agréable, sache débiter les beaux sentiments, pousser le doux, le tendre et le passionné, et que
sa recherche soit dans les formes. Premièrement, il doit voir au temple, ou à la promenade, ou
dans quelque cérémonie publique, la personne dont il devient amoureux; ou bien être conduit
fatalement, chez elle par un parent ou un ami, et sortir de là tout rêveur et mélancolique. Il cache
un temps sa passion à l'objet aimé, et cependant lui rend plusieurs visites, où l'on ne manque
jamais de mettre sur le tapis une question galante qui exerce les esprits de l'assemblée. Le jour
de la déclaration arrive, qui se doit faire ordinairement dans une allée de quelque jardin, tandis
que la compagnie s'est un peu éloignée ; et cette déclaration est suivie d'un prompt courroux, qui
paraît à notre rougeur, et qui, pour un temps, bannit l'amant de notre présence. Ensuite il trouve
moyen de nous apaiser, de nous accoutumer insensiblement au discours de sa passion, et de
tirer de nous cet aveu qui fait tant de peine. Après cela viennent les aventures, les rivaux qui se
jettent à la traverse d'une inclination établie, les persécutions des pères, les jalousies conçues
sur de fausses apparences, les plaintes, les désespoirs, les enlèvements, et ce qui s'ensuit. Voi
là comme les choses se traitent dans les belles manières et ce sont des règles dont, en bonne
galanterie, on ne saurait se dispenser. Mais en venir de but en blanc à l'union conjugale, ne faire
l'amour qu'en faisant le contrat du mariage, et prendre justement le roman par la queue! encore
un coup, mon père, il ne se peut rien de plus marchand que ce procédé; et j'ai mal au cœur de
la seule vision que cela me fait. »30
Scène 4 : MAGDELON. «Ah ! mon père, ce que vous dites là est du dernier bourgeois. Cela me
fait honte de vous ouïr parler de la sorte, et vous devriez un peu vous faire apprendre le bel air
des choses. »31
4 . 2 Le p e r s o n n a g e de Cathos
Exploration des contraintes imposées par la forme de la silhouette
afin d'intégrer une expression en tant que motif.
Scène 4 : CATHOS. « En effet, mon oncle, ma cousine donne dans le vrai de la chose. Le moyen
de bien recevoir des gens qui sont tout à fait incongrus en galanterie? Je m'en vais gager qu'ils
n'ont jamais vu la carte de Tendre, et que Billets-Doux, Petits-Soins, Billets-Galants et Jolis-
Vers sont des terres inconnues pour eux. Ne voyez-vous pas que toute leur personne marque
cela, et qu'ils n'ont point cet air qui donne d'abord bonne opinion des gens? Venir en visite
amoureuse avec une jambe toute unie, un chapeau désarmé de plumes, une tête irrégulière en
cheveux, et un habit qui souffre une indigence de rubans!... mon Dieu, quels amants sont-ce
là ! Quelle frugalité d'ajustement et quelle sécheresse de conversation ! On n'y dure point, on n'y
tient pas. J'ai remarqué encore que leurs rabats ne sont pas de la bonne faiseuse, et qu'il s'en
faut plus d'un grand demi-pied que leurs hauts-de-chausses ne soient assez larges. »32
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Scène 4: CATHOS. «Il est vrai, mon oncle, qu'une oreille un peu délicate pâtit furieusement
à entendre prononcer ces mots-là; et le nom de Polixene que ma cousine a choisi, et celui
d'Aminte que je me suis donné, ont une grâce dont il faut que vous demeuriez d'accord. »33
4 . 2 b Le p e r s o n n a g e d e Cathos
Exploration de la fusion entre un personnage et les attributs graphiques de sa
réplique en intégrant un paragraphe avec teminaison en drapeau et un mot
en tant que motif.
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SCÈNE 5 : CATHOS. « Mon Dieu ! ma chère, que ton père a la forme enfoncée dans la matière !
que son intelligence est épaisse et qu'il fait sombre dans son âme!
MAGDELON. Que veux-tu, ma chère? J'en suis en confusion pour lui. J'ai peine à me per
suader que je puisse être véritablement sa fille, et je crois que quelque aventure, un jour, me
viendra développer une naissance plus illustre.
CATHOS. Je le croirais bien ; oui, il y a toutes les apparences du monde ; et pour moi, quand je
me regarde aussi... »35
Scène 17: GORGIBUS, les battant. «Oui, oui, je vous vais contenter, et voici la monnaie dont
je vous veux payer. Et vous, pendardes, je ne sais qui me tient que je ne vous en fasse autant.
Nous allons servir de fable et de risée à tout le monde, et voilà ce que vous vous êtes attiré par
vos extravagances. Allez vous cacher, vilaines ; allez vous cacher pour jamais. Et vous, qui êtes
cause de leur folie, sottes billevesées, pernicieux amusements des esprits oisifs, romans, vers,
chansons, sonnets et sonnettes, puissiez-vous être à tous les diables! »36
Scène 4 : GORGIBUS. « Je n'ai que faire ni d'air ni de chanson. Je te dis que le mariage est une
chose sainte et sacrée, et que c'est faire en honnêtes gens que de débuter par là. »37
4 . 3 b Le p e r s o n n a g e d e Gorgibus
Exploration du caractère rigide et Spartiate du père par l'évocation de la grille
de mise en page.
sorte* de discours, ou
IH.H S
Scène 4 : GORGIBUS à part. « Il n'en faut point douter, elles sont achevées. (Haut.) Encore un
coup, je n'entends rien à toutes ces balivernes; je veux être maître absolu; et pour trancher
toutes sortes de discours, ou vous serez mariées toutes deux avant qu'il soit peu, ou, ma foi!
vous serez religieuses: j'en fais un bon serment. »38
Scène 9: MASCARILLE. « Il est vrai qu'il est honteux de n'avoir pas des premiers tout ce qui
se fait; mais ne vous mettez pas en peine: je veux établir chez vous une Académie de beaux
esprits, et je vous promets qu'il ne se fera pas un bout de vers dans Paris que vous ne sachiez
par cœur avant tous les autres. Pour moi, tel que vous me voyez, je m'en escrime un peu quand
je veux; et vous verrez courir de ma façon, dans les belles ruelles de Paris, deux cents chan
sons, autant de sonnets, quatre cents épigrammes et plus de mille madrigaux, sans compter
les énigmes et les portraits. »40
4 . 4 b Le p e r s o n n a g e du Marquis de Masquarille
Exploration de l'élégance et de la richesse des textiles de l'époque par la surchage
et le débordement typographique.
Scène 9: MASCARILLE. «Belle demande! Aux grands comédiens. Il n'y a qu'eux qui soient
capables de faire valoir les choses; les autres sont des ignorants qui récitent comme l'on
parle; ils ne savent pas faire ronfler les vers, et s'arrêter au bel endroit: et le moyen de con
naître où est le beau vers, si le comédien ne s'y arrête, et ne vous avertit par là qu'il faut faire
le brouhaha?» 41
Scène 11 : JODELET, découvrant sa poitrine. « Voici un autre coup qui me perça de part en
à l'attaque de Gravelines. »42
4 . 5 a Le p e r s o n n a g e du Vicomte de Jodelet
Exploration de la supercherie par la présence d'un faux motif d'époque,
créé de toute pièce, dont le contenu texte devient le support.
. ■ N M *:■-■ ■--. ■
Scène 11 : JODELET. « La guerre est une belle chose; mais, ma foi, la cour récompense bien
mal aujourd'hui les gens de service comme nous. »44
44. MOLIÈRE, (1998), op. cit., p. 90.
63
Les photographies qui suivent sont un témoignage visuel du lieu d'exposition. Telle une
présentation des œuvres. Les bas de vignettes explicatives complètent la documentation sur
l'événement. La scénographie du parcours invite le spectateur à s'approprier les lieux sur toute
sa superficie. Au fur et à mesure de la visite, l'œuvre se dévoile en deux temps à l'instar d'un
passage de la scène vers la coulisse ou celui du recto vers le verso d'un imprimé. D'abord, le
spectateur est accueilli avec les impressions en noir et blanc de très grands formats, puis, il est
invité à découvrir les impressions en couleur de 24 po par 36 po à l'endos des premières. Les
impressions numériques sont disposées au centre de la salle alors que deux murs sont réservés
résume visuellement une partie du travail de recherche accompli. J'ai conçu cette installation de
telle sorte à m'approprier tout l'espace de la galerie, comme les comédiens s'approprient l'aire
de jeu de la scène. Faisant ainsi, il m'était possible de maintenir le spectateur en alerte lors de
Entrée de l'exposition. Présentoir d'accueil offrant le communiqué de l'événement, le livre des commentaires,
les remerciements, la feuille commentant le parcours ainsi que le dossier de presse.
Vue d'ensemble de la salle depuis l'entrée. Vue d'ensemble de la salle depuis l'arrière.
Vues latérales de la salle et de la disposition des impressions numériques couleur et noir et blanc.
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en arts visuels, en scénographie et en design graphique. L'œuvre dans son unicité ainsi que
dans son ensemble a été présentée, et ce, depuis son contexte de création jusqu'à celui
d'exposition. Cette dernière étape aura été, pour moi, l'occasion de jeter un regard sur la finalité
CONCLUSION
lumière, de la matière et des mots, pour rendre celle des personnages. Jouer. Jouer comme
jouent les comédiens sur scène. M'engager. Porter, jusqu'à sa finalité, une création, au-delà des
méandres de son parcours. Tels ont été les défis et les aspirations de cette recherche. Le per
sonnage théâtral qui fut, tout au long de mon exploration, mon support typoétique, a permis que
je prête vie à ma démarche artistique et de rendre à cette dernière un corps qui s'est incarné en
17 œuvres, et ce, dans la convergence de mes champs académiques. Mon désir d'approfondir
les diverses formes que peut emprunter le détournement du langage écrit en un langage visuel
constellation d'artistes dont les univers sont habités des mêmes passions.
Les avenues par lesquelles ce travail de recherche pourrait s'engager encore davantage
sont multiples. En fait, il serait possible d'en décupler les rendus par le nombre d'auteurs exis
tants. Chaque plume ayant son style propre, son époque et son ton dramatique pourrait inspirer
ma démarche artistique. À titre d'exemple, l'écriture absurde d'Eugène Ionesco pourrait animer
les personnages d'une gestuelle débridée et de collages loufoques. D'autres projets dont un livre
d'artiste, une tournée d'expositions dans les centres universitaires canadiens et les théâtres, une
participation à des festivals de théâtre, une réédition illustrée du texte de Molière, la création d'un
dispositif scénique afin d'y jouer la pièce dans une mise en scène contemporaine, l'animation
virtuelle des personnages à travers l'effervescence typographique de leur discours ainsi que des
échanges avec la Comédie-Française et Jérôme Peignot sont tous porteurs d'avenir. Je retiens
de ce projet de maîtrise, plus que la production d'un corpus d'œuvres, la réalisation de soi à tra
vers la détermination. Une expérience où l'œuvre de Molière trouve encore toute son essence
BIBLIOGRAPHIE
BARON, Pierre et autres. Historia, Louis XIV ombres et lumières, cahier spécial Versailles,
n° 96, juillet-août, 2005.
BLITZER, Charles, et autres. L'âge des rois, Les grandes époques de l'homme, Amsterdam,
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DAMASE, Jacques. 1712-1760 Typographie par Fournier le jeune, Paris, Jacques Damas,
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FIELL, Charlotte, et Peter Fiell. Graphie Design forthe 21sl century, Kôln; London, Taschen,
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FUKAI, Akiko et autres. Les collections du Kyoto Costume Institute, Fashion, Une histoire
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HART, Avril, et Susan North. Historical Fashion in détail, The 17th and 18,h Centuries, London,
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JEAN, Georges. L'écriture mémoire des hommes, Paris, Gallimard, « Découvertes Gallimard.
Archéologie», 1987.
MOLIÈRE. Molière théâtre complet, Le médecin malgré lui, Genève, Éditions RVG, 1986.
PEACOCK, John. Le costume occidental de l'Antiquité à la fin du XXe siècle, Paris, Chêne,
1990.
PEIGNOT, Jérôme. L'or des fous, Jérômiades III, Paris, Seuil, 1962.
Sites Internet
Cinématographie
LE ROI DANSE, réalisé par Gérard Corbiau, écrit par Gérard Corbiau et Andrée Corbiau,
co-production France / Belgique, 2000, durée: 1 h48 min.