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Anthologie

des penseurs
de l'éducation
C O L L E C T I O N D I R I G É E PAR G A S T O N M I A L A R E T
L'ÉDUCATEUR

Anthologie
des penseurs
de l'éducation

HUBERT HANNOUN

PRESSES U N I V E R S I T A I R E S D E FRANCE
DU MÊME AUTEUR

Aux Presses Universitaires de France, Paris :


L'éducation naturelle, 1979.

Aux Editions ESF, Paris :


L'attitude non directive de Carl Rogers, 1972.
Ivan Illich, ou l'école sans société, 1973.
La formation des maîtres (en coll.), 1973.
Les conflits de l'éducation, 1975.
L'école toujours improvisée, 1979.
Les ghettos de l'école, 1987.
Paradoxe sur l'enseignant, 1989.

A la Librairie Hachette, Paris :


A la conquête du milieu, 1973.
En classe, que faire ?, 1977.

Aux Editions F. Nathan, Paris :


Comprendre l'éducation. Introduction à la philosophie de l'éducation, 1995.

ISBN 2 13 046676 1

Dépôt légal — 1 édition : 1995, juin


© Presses Universitaires de France, 1995
108, boulevard Saint-Germain, 75006 Paris
SOMMAIRE

Liste des auteurs cités par ordre alphabétique

ABÉLARD (1079/1142) . . . 57 IGNACE DE LOYOLA (1491/


ALAIN (1858/1951) ..... 289 1556) 95
ALCUIN (735/804) . . . 54 JACOTOT (1770/1840) . . . 218
ARISTOTE (— 384/— 322) 27 JAMES (1842/1910) 264
AUGUSTIN (354/430) . . . . 50 KANT (1724/1804) 192
AUROBINDO (1872/1950) . . 314 KEY (1849/1926) 271
BACHELARD (1884/1962) 329 LOCKE (1632/1704) 133
BACON (1561/1626) . . . . 119 LUTHER (1483/1546) . . . . 89
BASEDOW (1723/1790) . . . 189 MAÏMONIDE (1138/1204) . . 60
CAMPANELLA (1568/1639) . 125 MAKARENKO (1888/1939) . 338
CLAPARÈDE (1873/1940) ..... 317 MARX (1818/1883) 248
COMENIUS (1592/1671) 127 MÉLANCHTHON (1497/1560) 106
COMTE (1798/1857) . . . . 232 MONTAIGNE (1533/1592) 111
CONDILLAC (1714/1796) . . 185 MONTESSORI (1870/1952) . 306
CONDORCET (1743/1794) . 201 MONTESQUIEU (1689/1755) 149
COURNOT (1801/1877) . . . 238 MORUS (1477/1535) . . . . 79
DECROLY (1871/1932) 310 PESTALOZZI (1746/1827) . . 213
DEWEY (1859/1952) . . . 294 PLATON (— 427/— 348) . . 18
DIDEROT (1713/1784) 174 PROUDHON (1809/1865) . . 244
DURKHEIM (1858/1917) . 281 QUINTILIEN (40/118) . . . . 47
ERASME (1467/1536) . . . . 71 RABELAIS (1483/1553) . . . 82
FÉNELON (1651/1715) . . . 140 RAMUS (1515/1572) . . . . 108
FERRIÈRE (1879/1960) 324 ROLLIN (1661/1741) . . . . 144
FICHTE (1762/1814) . . . . 209 ROUSSEAU (1712/1778) . . . 158
FLEURY (1640/1723) . 138 SADOLET (1477/1547) . . . 77
FOERSTER (1869/1966) 303 THOMAS D'AQUIN (1225/
FREINET (1896/1966) 344 1274) 68
FREUD (1856/1939) . .. 273 SÉNÈQUE (— 4/65) 42
FROEBEL (1782/1852) ... 228 SPENCER (1820/1903) . . . . 252
HEGEL (1770/1831) 220 STIRNER (1806/1856) . . . . 241
HELVÉTIUS (1715/1771) . . 182 TOLSTOÏ (1828/1910) . . . 259
HERBART (1776/1841) ... 225 VIVÈS (1492/1540) 100
ISOCRATE (— 436/— 338) . 14 WALLON (1879/1962) . . . 320
XÉNOPHON (— 426/— 355) 11
P o u r q u o i cet ouvrage ?

Cet ouvrage se propose un triple objectif : un objectif de


formation, un objectif de recherche et un objectif scien-
tifique.
U n objectif de formation dans la mesure où il souhaite
apporter aux enseignants et futurs enseignants, aux parents et
autres éducateurs les éclairages élaborés durant des siècles
d intuitions et de recherches en matière d'éducation et de for-
mation. Parmi ces apports passés, nombreux sont ceux qui
conservent une fraîcheur et une actualité souvent insoupçon-
nées à notre époque.
Un objectif de recherche dans la mesure où, souvent,
les travaux actuels en éducation gagneraient à bénéficier des
vastes synthèses que le passé nous apporte. La philosophie de
l' éducation nous paraît, en ce sens, inséparable de sa propre
histoire.
Dans cette perspective, cet ouvrage pourrait suggérer des
travaux de recherche (maîtrise, DEA, etc.) susceptibles de
découvrir — ou redécouvrir — des textes dont nos préoccu-
pations modernes ne pourraient que s'enrichir.
Un objectif scientifique dans la mesure où les
conceptions éducationnelles de chaque auteur présenté ont
toujours été rattachées à sa philosophie générale. En effet, la
philosophie de l'éducation est une des manifestations d'une
conception générale du monde et ne prend son sens qu'en
son sein.
Chaque présentation d'auteur se compose de quatre
volets :
— des éléments de biographie ;
— les orientations de la pensée de l'auteur concerné ;
— une bibliographie portant sur :
• l'œuvre de l'auteur concerné,
• les études réalisées sur sa pensée ;
— quelques textes de l'auteur concerné sur des thèmes
éducationnels.

La bibliographie proposée a, généralement, été


réduite à ses titres de langue française afin de ne pas
accroître les dimensions de cet ouvrage.
X É N O P H O N d'Athènes
Né et mort à Erkhia, près d'Athènes
426-355 av. J.-C.

ÉLÉMENTS DE BIOGRAPHIE

Philosophe, historien et écrivain grec. Disciple de


Socrate, on le trouve mercenaire, en — 401, dans l'armée de
Cyrus le Jeune, puis dans celle de Sparte, rivale d'Athènes
qui le bannit. En — 396, il est aux côtés d'Agélisas, roi de
Sparte, qui fait campagne en Asie Mineure puis revient en
Grèce pour combattre Athènes.
Pour le récompenser de ses services, Sparte lui accorde
un domaine agricole où il se retire avec sa femme et ses deux
enfants et où il composera ses principales œuvres.

ORIENTATIONS DE LA PENSÉE

Diogène Laërce a pu écrire que Xénophon est le révéla-


teur de la littérature de son temps sous trois de ses formes :
l 'apologétique, à la façon du Gorgias (dans Agésilas), le dia-
logue socratique (Economique) et l'histoire proprement dite
(Helléniques).

La toute-puissance du chef

Sa Cyropédie nous présente une biographie de Cyrus par


le biais de laquelle il pose les grands principes de sa pensée
politique. A la conception platonicienne du philosophe-roi,
Xénophon oppose celle d'une cité dont la valeur réside tout
entière dans celle de son chef. Il est clair que, ce faisant, il
prend pour modèle les institutions de Sparte dont l'organisa-
tion relève de celle de l'armée.
La leçon de l'ouvrage réside dans l'éducation qui doit être
donnée au prince, faite de frugalité sévère et de discipline
rigoureuse. C'est sur les vertus qu'il en retirera que seront
construites les bases de la Cité.

Eduquer pour apprendre à gérer

Dans son Economique, Xénophon expose ses vues sur


l'éducation elle-même. La sagesse veut que l'on éduque la
femme en vue de l'administration des biens domestiques et
le futur régisseur afin que les domaines agricoles soient
gérés de la meilleure façon possible. L'essentiel de l'éduca-
tion, pour Xénophon, ne réside nullement dans le contenu
de l'acte recommandé, mais dans l'art d'en provoquer la
réalisation. L'éducateur est celui qui sait commander, aussi
bien dans le domaine de la guerre que dans celui de l'agri-
culture.

Les dangers de la démocratie

Les Mémorables de Xénophon tentent de révéler la pen-


sée de Socrate. Après avoir réfuté les accusations portées
contre lui lors de son procès, Xénophon montre l'utilité du
sage dans la Cité, une utilité fondée sur ses vertus de
réflexion et de commandement. Ce sont ces vertus qui font
de lui un individu hors du commun. Xénophon débouche,
par des chemins différents de ceux employés par Platon, sur
une condamnation de la démocratie.
BIBLIOGRAPHIE

Les œuvres de Xénophon


XÉNOPHON, Œuvres complètes, traduction de P. Chambry, Paris, Gar-
nier-Flammarion, 3 vol., 1967.
XÉNOPHON, Texte grec et traduction, Paris, Les Belles Lettres.
— Anabase, trad. P. Masqueray, 2 vol., 1930-1931.
— Helléniques, trad. J. Hatzfeld, 2 vol., 1936-1939.
Economique, trad. P. Chantraine, 1949.
Banquet. Apologie de Socrate, trad. F. Ollier, 1961.

Les ouvrages sur Xénophon


M. CASTER, Sur l'Economique de Xénophon, in Mélanges Desrousseaux,
49-57, Paris, Hachette, 1937.
E.DELEBECQUE, Essai sur la vie de Xénophon, Paris, Klincksieck, 1957.
W.E. HIGGINS, Xenophon the Athenian. The Problem of the Individual
and the Society of the Polis Albany (New York), State University
of New York Press, 1977.
J. Les idées politiques et sociales de Xénophon, Gap, Ophrys,

Xénophon et le socratisme, Paris, PUF, 1953.


A. REY, La science dans l'Antiquité, 5 vol., Albin Michel, 1930-1948.
P. ROUSSEL, Sparte, Paris, Boccard, 1939.
SAFFROY et G. NOËL, Les écrivains pédagogiques de l'Antiquité,
Delagrave, 1897.
L. STRAUSS, De la tyrannie, Paris, Gallimard, 1954.

Quelques repères

Lycurgue... se garda de laisser chaque père de famille proposer des


esclaves à la conduite de ses enfants ; il chargea de les gouverner un de
ceux mêmes qui remplissent les plus hautes magistratures, et qui s'ap-
pelle pédonome. Il lui donna le pouvoir de les rassembler, de les sur-
veiller et de châtier rigoureusement les négligents. Il lui adjoignit des
jeunes gens munis de fouets pour les punir, quand il fallait. Le résultat
est qu 'à Sparte il y a une grande réserve unie à une grande obéissance.
Pour qu'ils ne fussent pas trop pressés par la faim, il leur permit...
de dérober certaines choses pour satisfaire leur appétit... Il est clair que
celui qui veut voler doit veiller la nuit, ruser et tendre des pièges le jour
et avoir des espions sous la main, s'il veut prendre quelque chose. Il est
évident que toutes ces prescriptions avaient pour but de rendre les
enfants plus adroits à se procurer le nécessaire et plus propres à la
guerre... A Sparte..., on punit le voleur pris sur le fait parce qu'il a mal
volé... Il voulait m o n t r e r par là q u ' o n peut, au prix d ' u n e souffrance de
p e u de durée, s'assurer le plaisir d ' u n e gloire durable...
Afin que, m ê m e si le p é d o n o m e était absent, les enfants ne restas-
sent pas sans surveillance, Lycurgue d o n n a pouvoir à tous les citoyens
qui se trouvaient là de c o m m a n d e r aux enfants ce qu'ils jugeraient b o n
et de les châtier, s'ils commettaient quelque faute... Ainsi, à Sparte, les
enfants ne restent jamais sans chef.
République des Lacédémoniens,
trad. P. Chamry, Ed. Garnier,
1954, p. 479-481.

ISOCRATE
436-338 av. J.-C.

ÉLÉMENTS DE BIOGRAPHIE

Orateur athénien, fils d'un riche marchand ruiné. Il se


veut disciple, à la fois, de Socrate et de Gorgias. D'abord
logographe (équivalent du sténographe moderne), de — 402
à — 390, il finit par ouvrir une école d'éloquence et devient
vite un professeur très couru à Athènes.
Au plan politique comme à celui de la culture, il prône le
rassemblement de tous les Grecs contre ce qu'il appelle les
« barbares », en particulier les Perses. Au plan intérieur, il
tente de s'opposer autant à la démagogie de certains sophistes
qu'à la tyrannie.

LES ORIENTATIONS POLITIQUES D'ISOCRATE

Le culturel, reflet du politique


C'est, essentiellement, dans son Panégyrique que l'on
prend connaissance des conceptions d'Isocrate sur la poli-
tique de son temps. Sa perspective est double. D'une part, il
souhaite construire l'entente de tous les Grecs par l'hégémo-
nie d'Athènes contre une Sparte dont il n'accepte pas les
orientations totalitaires. D'autre part, il espère que cette
entente rende possible une victoire sur les Perses davantage
au plan de la culture qu'à celui des armes.
Car la culture grecque devra l'emporter sur la culture
perse. Cette culture est celle qui s'exprime dans le discours
des philosophes. Le discours, pour Isocrate, n'est pas simple
ornement de rhétorique. Sa valeur manifeste celui qui le
tient. Il est mode d'être. La civilisation grecque est porteuse
d'universalité parce que la parole de ses penseurs (doxa) est
parvenue à un certain niveau d'excellence.

LES ORIENTATIONS ÉDUCATIONNELLES D'ISOCRATE

Les idées d'Isocrate sur l'éducation apparaissent dans


deux de ses ouvrages : Contre les Sophistes qu'il a probable-
ment rédigé en — 390, et Sur l'échange qui date de — 353.

N i savoir inefficace, ni utilité appauvrissante

Dans Contre les Sophistes, Isocrate s'oppose à trois types


de penseurs :
— les Eristiques (dans lesquels il englobe Platon) qui se pré-
tendent détenteurs de l'épistémè, de la science de toutes
choses, qui enseignent la vertu et promettent ainsi le
bonheur. Isocrate leur reproche leur mépris du vécu, utile
et immédiat et le caractère illusoire de leurs orientations ;
— les Sophistes, professeurs d'éloquence, pour qui la forme
du discours prévaut sur la personne de ceux à qui ils
s'adressent. Pour emporter l'adhésion de l'autre à sa
parole, il faut pénétrer dans le « poétique » qui n'est pas
simple décor verbal mais atteinte de la personne elle-
même;
— ceux que nous pouvons appeler les « juristes » et qui s'op-
posent radicalement aux Eristiques : leur seul critère
d'action est son utilité immédiate. Nous parlerions, de
nos jours, de sa rentabilité. Isocrate leur reproche de
minorer l'importance du pouvoir d'inventer et de la
théorie.

Pour un mariage de la pensée et de la vie

Dans Sur l'échange, Isocrate expose sa vision de ce que


devrait être la culture humaine, et, par là, l'éducation qui doit
y mener. Ce qu'il s'agit de sauver, c'est la paideia, la culture
humaine universelle. Comment y parvenir ? Isocrate constate
que l'éducation a une double limite : d'une part, les circons-
tances extérieures, d'autre part, les dons naturels de la per-
sonne, l'expérience et la nature. Or, on constate que le mobile
de l'action humaine est la recherche du plaisir, de l'argent et
de la gloire. L'élaboration d'une culture valable et possible
devra en tenir compte.
Isocrate en vient à souligner la mesure de toute chose et la
contingence du monde qui réclament une sagesse plus
qu'une philosophie, sagesse qui réunit dans le même horizon
le logos, la pensée philosophique, et la phronesis, la prudence
dans la vie. L'essentiel de la pensée isocratique semble dans
ce point de vue : fuir à la fois le rejet et l'idolâtrie de la pensée
pure détachée de l'expérience vécue.

BIBLIOGRAPHIE

Les œuvres d'Isocrate


ISOCRATE, Discours, texte et traduction de G. Mathieu et E. Brémond,
Paris, Les Belles Lettres, 4 vol., 1929-1962.
Les ouvrages sur Isocrate
P. CLOCHE, Isocrate et son temps, Paris, Les Belles Lettres, 1963.
S. IJSSELING, Rhetoric and Philosophy in Conflict : An Historical Sur-
vey, La Haye, 1976.
J.-P. LEVET, Recherches sur doxa et les notions apparentées chez Isocrate,
Paris, Ed. du CNRS, 1975.
-I. MARROU, Histoire de l'éducation dans l'Antiquité, Paris, Le Seuil,
1960.
G. MATHIEU, Les idées politiques d'Isocrate, Paris, Les Belles Lettres,
1966.

Quelques repères

Liaison de l'âme et du corps. — Il existe, en éducation, « à l'égard


des corps », l'art du pédotribe, dont la gymnastique fait partie, à l'égard
des âmes, la philosophie sur laquelle va porter mon discours; disci-
plines parallèles, analogues et en accord l'une avec l'autre, par les-
quelles ceux qui y excellent donnent aux âmes plus de raison et aux
corps plus de capacité d'action sans séparer beaucoup l'un de l'autre ces
deux genres d'éducation et en employant des préceptes, des exercices et
des procédés analogues.
Sur l'échange, Discours I I I
Inné et acquis en éducation. — Avec une discipline et une éducation
de la sorte, les deux groupes de professeurs — de gymnastique et de
philosophie — peuvent amener leurs élèves à être supérieurs à ce qu'ils
étaient et à tenir mieux, les uns leur intelligence, les autres les attitudes
du corps ; mais ni les uns ni les autres ne possèdent la science qui per-
mettrait aux uns de rendre athlètes, aux autres de rendre orateurs puis-
sants les gens qu'ils voudraient. Ils peuvent y contribuer pour une part,
mais, en général, ces talents appartiennent à ceux qui se distinguent à la
fois par les dispositions naturelles et par l'éducation.
Ibid.

Les conditions de l'éducation. — Ceux qui excelleront plus tard, soit


dans les discours, soit dans l'action, soit dans tout autre genre d'occu-
pation, doivent tout d'abord être heureusement doués pour le travail
qu' ils ont choisi, puis avoir reçu l'instruction et la science qui convien-

* Trad. Mathieu, Les Belles Lettres, 1928, p. 148.


nent à cet objet, en troisième lieu, être r o m p u s et familiarisés à leur
usage et à leur pratique.

L a nécessité de la pratique. — Si quelqu'un écoutait attentivement


toutes les leçons sur l'éloquence et s'il possédait les détails mieux que
tout autre, peut être serait-il u n inventeur de discours plus élégant que
la majorité, mais, en présence de la foule, s'il lui manquait une seule
chose, la hardiesse, il ne pourrait pas m ê m e dire u n mot. Ibid.

PLATON
427-348 av. J.-C.

ÉLÉMENTS BIOGRAPHIQUES

D'origine aristocratique, Platon a, toute sa vie, tenté de


jouer un rôle politique à Athènes, comme à l'étranger. En
— 404, Athènes est vaincue par sa rivale, Sparte, qui désigne,
pour gérer la Cité, les « Trente » dont la tyrannie se fera sen-
tir durant une année. Au rétablissement de la démocratie, le
maître de Platon, Socrate, est condamné à mort pour
« impiété », en — 399.
Vers — 389, Platon s'embarque pour l'Italie du Sud où il
fréquente les milieux pythagoriciens et se rend en Sicile, à la
cour de Denys l'Ancien. Ses projets de rénovation politique
dans le pays échouent. Il voyage encore en Cyrénaïque et en
Italie et revient en Grèce où, vers — 387, il ouvre une école,
l'Académie, avec, pour objectif, la formation philosophique
et politique des jeunes gens.
En — 367 et — 361, il se rend, à nouveau, en Sicile pour
convaincre, en vain, le fils de Denys l'Ancien du bien-fondé
de ses vues politiques.
Il meurt vers — 348, durant la guerre de Philippe de
Macédoine contre Athènes.
L'ŒUVRE DE PLATON

L'œuvre de Platon se présente sous la forme d'une série


de « Dialogues » dont le principal interlocuteur est Socrate.
Ces Dialogues peuvent être classés en quatre catégories :

1 / Les Dialogues de jeunesse


Il s'agit des Dialogues écrits entre — 399 et — 390. On
peut y compter : Petit Hippias, Ion, Charmide, Protagoras et
Euthyphron.

2 / Les Dialogues de transition


Il s'agit des Dialogues écrits entre — 390 et — 385. On
peut y compter : Gorgias, Ménon, Apologie de Socrate, Criton,
Euthydème, Lysis, Ménéxène et Cratyle.

3 / Les Dialogues de la maturité


Il s'agit des Dialogues écrits entre — 385 et — 370. On
peut y compter : Phédon, Banquet, République, Phèdre.

4 / Les derniers Dialogues


Il s'agit des Dialogues écrits entre — 370 et — 348. On
peut y compter : Théétète, Parménide, Sophiste, Politique,
Timée, Critias, Philèbe, Lois.

LA P E N S É E P H I L O S O P H I Q U E D E P L A T O N

A / Dans les Dialogues de jeunesse et de transition


Le point commun à cette classe de Dialogues réside
dans une présentation et une illustration de la méthode
socratique. Chacun d'eux se fixe un but à atteindre et un
moyen d'y parvenir :
Savoir définir
— Le but à atteindre consiste, généralement, en la défini-
tion d'une notion ou l'existence d'un problème. Ainsi, sont
menées à bien les recherches de définition de la piété (Euthy-
phron), du courage (Lachès), de la sagesse pratique (Char-
mide), de l'amitié (Lysis) et de la justice (République I). Les
problèmes soulevés portent essentiellement, sur deux ques-
tions : la vertu s'enseigne-t-elle (Protagoras et Ménon), et
quelle est l'essence de la rhétorique (Gorgias) ?
Connaître, c'est se souvenir
— Le moyen de parvenir au but visé donne l'occasion de
préciser le processus de la méthode socratique dans ses deux
volets :
— l'ironie socratique : les questions posées à l'interlocuteur
lui font découvrir qu'il ignore lui-même, à la fois, ce qu'il
croyait savoir et ce qu'il recherche ;
— la maïeutique : il s'agit là d'une méthode selon laquelle,
orienté par des questions judicieusement choisies, l'élève
est capable de découvrir en lui-même les réponses aux
questions qu'il se pose. L'enseignement se fait accouche-
ment d'un savoir existant originellement en chacun de
nous.

B / Dans les Dialogues de la maturité

La réalité de l'Idée et l'illusion du sensible


Les Dialogues de la maturité nous introduisent dans la
dialectique platonicienne. Le célèbre mythe de la caverne
nous révèle que la connaissance sensible quotidienne nous
situe devant l'illusion d'un monde qui n'est que l'ombre de la
réalité. Les objets sensibles ne sont que les pâles reflets des
Idées (Eidos), objets de la connaissance. Ce monde des Idées
(monde de l'Un) ne sera atteint que par dépassement radical
du monde des choses sensibles (monde du Multiple).
C'est ce dépassement de l'illusion sensible dont Platon
donne une illustration au sujet de l'au-delà et de la mort
(Phédon), au sujet de l'amour (Banquet) et à celui de la
science (République).

C / Les derniers Dialogues

Réunir l'Un et le Multiple


Si les Dialogues de la maturité ont fondé la dialectique
sur la scission du monde en deux parties, le monde de l'Un
intelligible et le monde du Multiple illusoire, les derniers
Dialogues tentent de fonder la communication de ces deux
mondes. L ' U n communique-t-il avec le Multiple? Les
Idées sont-elles en relation avec les choses sensibles, avec
l'intelligence humaine et entre elles-mêmes (Parménide) ?
Platon, à partir de cette problématique, est amené à poser
des réalités « intermédiaires » telles que celle de l'autre
(Sophiste) ou même celles des formes mixtes (Philèbe et
Politique).

LES ORIENTATIONS ÉDUCATIONNELLES DE PLATON

Eduquer, pour vivre le Vrai, le Beau et le Bien

Toute la pensée de Platon est tournée vers des exigences


d'ordre éducationnel. En effet, le but ultime de l'éducation
est la connaissance du Vrai qui ne fait qu'un avec le Beau et
le Bien. Connaître, c'est, à la fois, se faire savant, esthète et
vertueux. Ainsi, c'est l'effort nécessaire pour dépasser nos
conditions initiales de prisonniers de la sensibilité qui donne
son sens à l'éducation.
Enseigner, c'est révéler
Par ailleurs, l'enseignement, nous l'avons vu plus haut,
est l'aide apportée à l'enseigné pour qu'il accouche des
connaissances qu'il possède déjà. L'art de la pédagogie est
celui du questionnement. Il ne consiste pas à apporter
quelque chose à l'enfant, mais à révéler son véritable être.

L'éducation, conservatrice de l'harmonie sociale

Enfin, chez Platon, l'éducation participe à cette finalité


ultime à toute entreprise humaine : la construction de l'har-
monie à la fois sociale et individuelle. Il existe, pour lui, de
façon immuable, trois catégories d'individus. D'une part, les
sages-philosophes appelés à gouverner doivent recevoir une
éducation au bien juger. D'autre part, les guerriers appelés à
défendre la Cité recevront une éducation physique les ren-
dant aptes à répondre à cet objectif. Enfin, les artisans et
commerçants qui doivent assurer la bonne marche de l'éco-
nomie du pays, recevront une éducation les préparant à l'ha-
bileté manuelle et à la gestion des choses matérielles.
L'éducation ne peut avoir d'objectifs ni de finalités uni-
verselles. Chacun est formé en vue de la fonction à laquelle il
est destiné. On comprend qu'une telle conception figée de la
vie sociale, chez Platon, s'accompagne d'un rejet non dissi-
mulé, chez lui, de toute orientation démocratique de la vie
politique et de l'éducation.

BIBLIOGRAPHIE

Œuvres de Platon
PLATON, Texte grec et traduction française, Œuvres complètes, Associa-
tion Guillaume-Budé, Paris, Les Belles Lettres, 14 t., 1920-1924.
— Traduction française, Œuvres complètes, trad. de L. Robin et
J. Moreau, 2 t., Paris, Gallimard, coll. « La Pléiade », 1959.
Ouvrages sur Platon
A. BOUTOT, Heidegger et Platon, Paris, PUF, 1987.
Y. BRÈS, L a psychologie de Platon, Paris, PUF, 1968.
L. BRISSON, Platon, les mots et les mythes, Paris, Maspero, 1982.
J. BRUN, Platon et l'Académie, Paris, PUF, 1983.
G. DANTU, L'éducation d'après Platon, Alcan, 1907.
J. DERRIDA, L a pharmacie de Platon, Tel quel, n 32 et 33, 1968.
M. DIXSAUT, Le naturel philosophe, Paris, Vrin/Les Belles Lettres,
1985.
M . DOMMANGET, Les grands socialistes de l'éducation. De Platon à
Lénine, A. Colin, 1970.
J. FESTUGIÈRE, Contemplation et vie contemplative chez Platon, Paris,
Vrin, 1950.
P. FRUTIGER, Les mythes de Platon, Paris, Alcan, 1930.
FUSTEL DE COULANGES, L a Cité antique, Hachette, 1885.
V. GOLDSCHMIDT, Les Dialogues de Platon, PUF, 1947.
Le paradigme dans la dialectique platonicienne, PUF, 1947.
L a religion de Platon, Aubier, 1970.
Platonisme et pensée contemporaine, Vrin, 1970.
P. GIRARD, L'éducation athénienne, Hachette, 1889.
R. GODEL, Cité et univers de Platon, Paris, Les Belles Lettres, 1946.
A. JEANNIÈRE, Lire Platon, Paris, Aubier, 1990.
Y. LAFRANCE, L a théorie platonicienne de la Doxa, Montréal/Paris,
1981.
J. LUCCIONI, L a pensée politique de Platon, Paris, PUF, 1958.
H.-I. MARROU, Histoire de l'éducation dans l'Antiquité, Le Seuil, 1948.
J.-F. MATTEI, L'Etranger et le Simulacre. Essai sur la fondation de l'on-
tologie platonicienne, Paris, PUF, 1983.
C.-L. SAFFROY, Les écrivains pédagogues de l'Antiquité, Paris, Dela-
grave, 1897.
P.-M. SCHUHL, L'œuvre de Platon, Paris, Vrin, 1967.

Quelques repères

S'instruire pour aider la Cité. — Mais quoi ? repris-je, ceci aussi


n'est-il pas vraisemblable et nécessaire en conséquence de ce qui s'est
dit auparavant? que ni les gens sans culture et qui n ' o n t point d'expé-
rience de la vérité ne seront jamais aptes à gouverner u n Etat, (c) ni
ceux à qui o n a permis de consacrer à la culture leur existence entière ?
les uns parce que leur vie ne possède pas u n unique but, qu'ils aient
l'obligation d'avoir en vue dans toutes les actions possibles de leur acti-
vité tant privée que publique, les autres parce que, de leur plein gré, ils
ne seront pas h o m m e s d'action, persuadés que, vivant encore, ils ont
déjà transporté leur résidence dans les îles des Bienheureux ? — T o u t
cela est vrai, dit-il. — Aussi est-ce notre affaire, repris-je, à nous fonda-
teurs d ' u n Etat, de contraindre les naturels les meilleurs à s'engager
dans la direction de cet objet d'étude qu'auparavant nous avons dit être
le plus important, de les contraindre à voir le Bien, (d) à monter la
montée dont il était question ; et quand, l'ayant montée, ils l'auront vu
c o m m e il sied de le voir, notre affaire est de ne pas leur concéder ce
q u ' o n leur concède à présent... — Et qu'est-ce? — ... le droit repris-je,
de demeurer à cette place, de se refuser à redescendre auprès des pri-
sonniers qui sont là-bas et à prendre leur part des labeurs et des distinc-
tions en crédit chez ces gens-là, quelle que soit la valeur de ces distinc-
tions, plus misérable ou plus digne d'estime. — D a n s ces conditions,
fit-il, nous seront injustes envers eux et nous les ferons vivre d ' u n e
façon pire, alors qu'il leur est possible de vivre d ' u n e façon meilleure !
— T u as, m o n cher, repartis-je, oublié (e) cette fois-ci qu'il n'importe
pas à la loi de chercher à faire le bonheur d ' u n e seule classe privilégiée
de l'Etat, mais qu'elle travaille à ce qu'il se réalise dans l'Etat tout
entier ; cela en établissant l'harmonie entre les citoyens tant par la per-
suasion que par la contrainte ; en faisant qu'ils se rendent les uns aux
autres ces services par lesquels chaque classe de citoyens est capable de
servir la c o m m u n a u t é ; (a) en formant elle-même de tels h o m m e s dans
l'Etat, n'ayant pas p o u r fin de permettre à chacun de se tourner d u côté
qu'il lui plaît, mais se d o n n a n t à elle-même p o u r fin de les employer,
eux, à assurer la cohésion de l'Etat. — C'est exact, dit-il ; je l'avais en
effet oublié. —
République, 519 c - 520 a,
trad. Léon Robin, Gallimard, 1959,
coll. « La Pléiade ».

L a soumission de l'éducateur aux normes institutionnelles. — Dès lors,


à celui des Gardiens-des-Lois qui est en m ê m e temps éducateur, je ne
saurais, si je m ' e n crois, donner u n meilleur modèle que celui-ci : soit
qu'il recommande aux maîtres d'enseigner ces principes aux enfants,
(e) ainsi que tout ce que d'aventure, en analysant les œuvres des poètes
ou les écrits en prose, il aura sans doute p u rencontrer, qui se rattache à
ces principes o u qui leur ressemble; soit même que, à l'égard d ' u n
simple entretien c o m m e celui-ci et dont les paroles ne sont pas consi-
gnées par écrit, il r e c o m m a n d e de ne négliger d'aucune manière les
propos qui y sont frères en quelque point des principes en question, et,
bien plus, de les mettre en écrit; pour commencer, il contraindra les
maîtres eux-mêmes à s'instruire de ces idées, à les considérer c o m m e
louables, et, s'il y en a, parmi ces maîtres, qu'elles ne satisfont pas, il
n'aura point recours à leur collaboration, tandis qu'il aura recours à
ceux dont le suffrage s'accordera avec le sien dans la louange ; il leur
confiera la jeunesse pour qu'ils l'instruisent et qu'ils l'éduquent.
(a) Que prenne ici fin de la sorte ce que j'avais à raconter et qui traitait
à la fois des professeurs de lettres et des études littéraires.
Id., Les Lois, 811 a - 812 a.

L'éducation, aide à l'expression de soi. — Nous devons, dis-je, si


cela est vrai, nous faire dès lors à ce sujet l'opinion que voici : la
culture n'est point ce que certains, qui font profession de la donner,
disent qu'elle est. Ils prétendent, si je ne me trompe, que (c) dans
une âme au-dedans de laquelle n'est pas le savoir, eux, ils l'y dépo-
sent, comme si en des yeux aveugles ils déposaient la vision. — C'est
effectivement, dit-il, leur prétention ! — Or, repris-je, ce que fait voir
justement le présent langage, c'est qu'au-dedans de son âme chacun
possède la puissance du savoir, ainsi que l'organe au moyen duquel
chacun acquiert l'instruction ; et que, pareil à un regard supposé inca-
pable, autrement qu'avec le corps tout entier, d'évoluer de ce qui est
obscur vers ce qui est lumineux, de même c'est avec l'âme tout
entière que doit s'opérer, à partir de ce qui devient, la conversion de
cet organe, jusqu'au moment où il sera enfin capable, dirigé vers le
réel, de soutenir la contemplation de ce qu'il y a dans le réel de plus
lumineux. Or, c'est cela qu'est, déclarons-nous, le Bien. (d) N'est-ce
pas en effet ce que nous déclarons ? — Oui. — Donc, repris-je, il doit
y avoir de cela même, de cette conversion, art du procédé propre à
détourner par la suite l'organe avec le plus d'aisance et d'efficacité;
art, non pas de réaliser la vue dans le regard, mais puisqu'il la pos-
sède, de lui procurer méthodiquement le résultat dont il s'agit, lors-
qu'il n'est pas tourné comme il faut et qu'il ne regarde pas où il
devrait. — C'est en effet vraisemblable, dit-il. —
République, 518 b - 518 d, trad. L. Robin.

Les dangers d'une éducation comme intégration sociale. — « Mais,


quand ils se sont séparés des maîtres, la Cité, à son tour, les force à étudier
la législation (d) et à vivre conformément à celle-ci, modèle pour leur
conduite ; elle veut éviter que, ne prenant conseil que d'eux-mêmes, ils
agissent à l'aventure. Eh bien ! il en est ici tout bonnement comme dans le
cas du maître de grammaire qui, pour les enfants qui ne savent pas encore
écrire, commence par tracer légèrement les lettres au poinçon, puis, cela
fait, leur donne la tablette et les oblige à écrire en se guidant sur le tracé
des lettres ; de même aussi la Cité a commencé par tracer finement des
lois, invention de bons législateurs du passé, et elle oblige à s'y conformer,
aussi bien ceux qui ont l'autorité que ceux qui y sont soumis. D ' a u t r e
part, à qui marchera en dehors de leur route, la Cité inflige u n e correc-
tion ; et, à cette correction, chez vous comme ailleurs en maint endroit,
(e) on donne le n o m de « redressement », en tant que la peine infligée
redresse le coupable. Cela étant, alors que l'on constate u n si grand souci,
privé et public, de la moralité, toi, Socrate, tu t'étonnes que la moralité
soit quelque chose qui s'enseigne ! C'est u n e question qui t'embarrasse !
C'est au contraire de quoi il ne faut pas s'étonner ; mais on le devrait
beaucoup plutôt qu'elle ne fût pas une chose qui s'enseigne.
Protagoras, 326 c - 326 e, trad. L. Robin.

Rigueur et liberté en éducation. — Voilà donc d'une part comment


se passe la nuit : à quoi je pourrais ajouter que cette façon de l'employer
donnerait u n e certaine vaillance aux habitants de la ville. (d) Voici
maintenant le jour qui revient et la nouvelle aurore : les enfants doivent
sans doute être conduits alors vers les maîtres qui les instruisent. Or,
sans u n berger il n ' y aurait pas lieu de vivre, ni p o u r les moutons, ni
pour aucune autre des bêtes paissantes : les enfants ne peuvent pas
davantage se passer de gens qui les conduisent, pas plus que les esclaves
ne peuvent se passer de maîtres ! Or, de tous les animaux sauvages,
l'enfant est celui qu'il est le plus difficile de manier : autant est abon-
dante chez lui, plus que chez tout autre animal, la source de la pensée,
mais une source n o n encore équipée, autant il se montre fertile en
machinations, âpre et d'une violence dont en aucun autre on ne trouve
la pareille. (e) Aussi a-t-on besoin de le brider comme avec de multi-
ples rênes : p o u r commencer, et dès qu'il a cessé d'être sous la tutelle
des nourrices et des mères, en lui donnant, à cause de sa jeunesse inex-
périmentée, des gens p o u r le conduire ; en lui donnant, en second lieu
et d ' u n autre côté, des maîtres pour l'instruire et des connaissances de
toute sorte pour être acquises, pourvu que cela soit affaire d ' h o m m e
libre. Mais si, au rebours, cette acquisition est affaire servile, que soient
châtiés par quiconque d'entre les h o m m e s de condition libre aura eu
l'occasion de le savoir, et l'enfant lui-même, et aussi bien celui qui
l'aura conduit que le maître qui l'aura instruit, dans le cas où l'un de ces
derniers se sera rendu coupable de ces fautes ; mais si, quand on a eu
cette occasion, on n'inflige pas le châtiment voulu, on devra soi-même
encourir le plus grave opprobre ; (a) d'autre part, celui des Gardiens-
des-Lois qui a été choisi p o u r être le directeur de la jeunesse devra sou-
mettre à une enquête celui qui s'est trouvé être au courant de la faute
que nous envisageons et qui ne l'aura pas réprimée comme il devait le
faire, ou qui, la réprimant, ne se sera pas conformé à la règle. D e plus,
nous voulons que ce haut personnage ait le regard perçant, qu'il exerce
sur l'éducation de la jeunesse une surveillance exceptionnelle, p o u r
donner chez celle-ci de la rectitude aux dispositions naturelles en les
tournant constamment vers ce qui est bien, en conformité avec les lois.
Lois VII, 808 c - 809 a, trad. L. Robin.
Contre la contrainte. — Aussi tout ce qui a rapport au calcul, à la géo-
métrie, à toute cette instruction préalable dont il est nécessaire qu'on ait
été instruit préalablement à l'étude de la dialectique, est-ce pendant qu'ils
sont enfants qu'on doit du premier coup leur en proposer l'étude, en évi-
tant de donner à l'enseignement l'aspect d'une contrainte d'étude. —
Pourquoi donc ? — Parce que, répondis-je, il n'y a point d'objet d'étude
(e) dont, chez un homme libre, un comportement servile doive accompa-
gner l'étude ! Si en effet, pour le corps, les travaux, qui sont des travaux
imposés par force, n'ont sur celui-ci aucun effet fâcheux, dans l'âme en
revanche aucune étude forcée ne s'établit de façon permanente. — C'est
vrai, dit-il. — Garde-toi donc, repris-je, excellent homme, de donner par
force aux enfants l'aliment des études, (a) mais que ce soit en le mêlant à
leurs jeux, afin d'être encore plus capable d'apercevoir quelles sont les
inclinations naturelles de chacun. — Ce que tu dis là, fit-il, se justifie. —
Or, te souviens-tu, repris-je, que le spectacle de la guerre doit, disions-
nous, être donné aux enfants et qu'on devrait les y mener sur des che-
vaux ? que, dans le cas où ce serait avec quelque sécurité, on devait les
amener à son contact, leur faire, comme à de jeunes chiens, goûter le
sang ? — Je m'en souviens, dit-il. — En tout cela, poursuivis-je, aussi
bien dans les labeurs physiques que dans les études et dans les périls, celui
qui, en chaque circonstance, se montrera le plus preste à se mouvoir, il
faudra l'inscrire sur une liste d'admission. (b) —
République VII, 536 d - 537 a, trad. L. Robin.

ARISTOTE
(— 384 — 322 av. J.-C.)

ÉLÉMENTS DE BIOGRAPHIE

Aristote est né à Stagire, petite ville de la Chalcidique, en


Grèce. Fils du médecin du roi de Macédoine, il perd son père
très jeune et est élevé par un tuteur qu'il suit en Asie
Mineure sous influence grecque.
On peut diviser sa vie en trois périodes :
— les années de — 384 à — 347 sont celles des apprentis-
sages ;
— les années de — 348 à — 335, sont celles des voyages ;
— les années de — 335 à — 322 sont celles de la maîtrise de
la pensée et de l'enseignement.
Aristote a 17 ans lorsqu'il arrive à Athènes où il entre à
l'Académie de Platon qui reconnaît en lui une intelligence
(nous). On pense même qu'il y jouera le rôle d'assistant du
maître durant une longue période.
A la mort de Platon, en — 348, c'est son neveu Speusippe
qui lui succède à la tête de l'Académie qu'Aristote quitte
alors pour s'installer dans le petit port d'Assos, en Asie
Mineure, où il fonde sa propre école. Il y restera trois années
avant de se rendre à Lesbos.
En — 343, Philippe de Macédoine lui demande de deve-
nir le précepteur de ses enfants. En —340, Alexandre, fils
de Philippe, est chargé de la régence du royaume. Com-
mence alors une période faste pour Aristote. Il entre à
Athènes où il fonde, près d'un gymnase consacré à Apollon,
le Lycée, une école où son enseignement connaît un rapide
succès. A la mort d'Alexandre (— 323), les Athéniens ne lui
pardonnent pas son amitié avec les Macédoniens. Il doit
fuir la ville et se réfugier à Chalcis, en Eubée, où il meurt à
l'âge de 62 ans.

LES ORIENTATIONS PHILOSOPHIQUES D'ARISTOTE

Les œuvres d'Aristote qui nous ont été conservées sont


les suivantes :
— Logique — De l'âme
— D u ciel — Génération des animaux
— Météorologiques — Problèmes de physique
— Ethique à Nicomaque — Petit traité d'histoire
— Grande morale naturelle
— Rhétorique — Métaphysique
— Physique — Ethique à Eudème
— De la génération et de la — Politique
corruption — Poétique
— Parties des animaux

1 / Raisonner, c'est démontrer


à partir de principes non démontrés

La Logique (Organon) comporte six traités : les Catégo-


ries, De l'interprétation, les Analytiques, les Seconds analyti-
ques, les Topiques et les Réfutations sophistiques.
Les Catégories traitent des termes ou expressions consi-
dérés en eux-mêmes, indépendamment de leur contexte.
De l'interprétation aborde le problème des relations possi-
bles entre les termes ou expressions dans un ensemble donné.
Une proposition peut être ainsi affirmative ou négative, pos-
sible, contingente ou nécessaire, etc.
Les Analytiques traitent du raisonnement, à savoir de la
combinaison de plusieurs propositions participant à cons-
truire une démonstration. Le syllogisme est l'illustration la
plus connue de ce type de combinaison.
Les Seconds analytiques traitent plus précisément du syl-
logisme pour en étudier à la fois la vérité des prémisses et les
conditions d'utilisation. Le fondement du syllogisme révèle
alors deux types de vérité : la vérité démontrée par déduction
et la vérité posée des principes du syllogisme.
Les Topiques sont un ensemble de conseils sur l'art d'éta-
blir et de réfuter des thèses dans le cadre d'un affrontement
dialectique entre deux interlocuteurs.
Les Réfutations sophistiques sont une présentation de cer-
tains vices de raisonnement.
2 / Mouvement et structure du monde physique

a) L'immobile, moteur des mobiles. — Le livre I de la Phy-


sique traite des causes de toute chose.
Le livre II traite des êtres naturels : animaux, plantes et
corps simples (terre, feu, eau et air), considérés dans leur
mouvement.
Les livres III à VI porte sur l'étude du mouvement et des
problèmes qu'il pose : la kinesis, l'infini, le lieu, le vide, le
temps, le changement et le continu.
Le livre VII continue la problématique des livres précé-
dents en abordant le problème de la relation entre le moteur
et le mobile. Tout mobile ayant un moteur, il est, pour Aris-
tote, nécessaire de parvenir à un moteur premier pour éviter
la régression infinie de la cause du mouvement.
Le livre VIII traite du problème de l'éternité ou de la
non-éternité du mouvement.
b) La génération et l'organisation des corps dans le cosmos.
— L'ouvrage Du ciel aborde des problèmes qui relèveraient,
à notre époque, à la fois, de la physique fondamentale et de
l'astrophysique. Le premier livre confirme la composition de
toute matière en quatre éléments et, de plus, la répartition et
le mouvement de ces éléments dans le cosmos. Pour Aristote,
le ciel est la conjonction de trois sphères : celle des étoiles
fixes, celle des planètes, enfin celle de « la circonférence la
plus extérieure ». C'est là que l'on trouve le premier moteur
immobile de l'univers.
Le livre II de l'ouvrage porte plus spécifiquement sur des
considérations d'ordre cosmologique en poursuivant l'étude
du monde supralunaire.
Le livre III traite de la génération des corps qui compo-
sent le monde. Cette génération s'explique à partir de l'inter-
action des quatre éléments fondamentaux selon différentes
combinaisons.
Le livre IV aborde la physique du monde sublunaire.
L'ouvrage De la génération et de la corruption fait suite au
livre III de l'ouvrage précédent. Aristote y reprend son
explication de la génération des corps à partir les uns des
autres par modification des combinaisons de leurs qualités
élémentaires.
c) La physique du monde sublunaire. — Dans les Météoro-
logiques, Aristote aborde les problèmes du monde physique
sublunaire tels que la météorologie proprement dite, la géolo-
gie, l'astronomie et la chimie minérale. Il y conclut que les
bouleversements, en ce domaine, ne sont vécus comme des
cataclysmes que dans la mesure où les hommes ne possèdent
pas le recul suffisant pour les appréhender dans leur nécessité
cosmique.
3 / L'impossible séparation de l'âme et du corps
L'ouvrage De l'âme peut se diviser en trois parties : le
livre I fait la critique des thèses antérieures sur la question.
Le livre II et le début du livre III traite de ce que l'on pour-
rait appeler une « physique de l'âme », autrement dit, une
psychologie. La fin du livre III aborde l'aspect métaphy-
sique de la question.
a) L'âme n'est ni seulement corps, ni seulement matière. —
Le livre I réfute les argumentations qui réduisent l'âme au
corps ou qui l'en disjoignent totalement. L'âme est, à la fois,
forme et matière.
b) La physique de l'âme : la « psukhé ». — L'âme, liée à la
matière, est la psukhé. Le nous est cette partie de l'âme, l'in-
tellect, qui s'en est détachée. La première relève d'une psy-
chologie, la seconde est abordée par une métaphysique.
Pour Aristote — contrairement à Platon — l'âme n'est
pas séparée du corps. Elle en est le principe vital : elle est la
forme, l'acte, la fin dont le corps est la matière, la puissance
et l'instrument.
Ainsi, il existe plusieurs niveaux de l'âme selon sa rela-
tion à la matière. Les plantes sont pourvues d'une âme
végétative, les animaux d'une âme sensitive permettant la
sensation, le désir et le mouvement; enfin, seul l'homme
possède une âme intellective qui lui permet de penser. Cha-
cun de ces niveaux suppose le précédent dont il se distingue
en le dépassant.
c) La métaphysique de l'âme : le « nous ». — Le nous,
l'intellect, est transcendant par rapport au corps. Il revêt
deux aspects : il est, d'une part, l'intellect en acte, ce qui
rend possible la compréhension de toute chose; il est,
d'autre part, ce qui est capable de produire toute chose. Il
est, à la fois lumière et producteur, pensée absolue et cause
universelle.

4 / L'approche du monde animal

Les ouvrages Histoire des animaux, Parties des animaux et


Génération des animaux forment l'essentiel des œuvres biolo-
giques d'Aristote qui nous sont parvenues. Dans les deux
premiers, l'auteur traite non seulement de l'anatomie voire de
la physiologie des animaux sanguins d'une part, et des ani-
maux non sanguins, d'autre part, mais encore de leurs mœurs,
de leurs conditions de vie, d'habitat, etc. Ces descriptions ont
pour cadre une conception finaliste de la vie s'exprimant par
des principes tels que la nature ne fait rien en vain, ou la
nature réalise toujours le meilleur, etc.
L'une des conclusions essentielles de cette approche de la
vie est le constat des invariances que l'on y trouve. Chez tous
les animaux, en effet, on peut constater l'autotrophie, la sen-
sation et la locomotion qui, elle, disparaît au niveau des
plantes. La reconnaissance de plus d'invariances que de
variance dans le monde vivant prépare les grandes classifica-
tions ultérieures du monde vivant.
L'ouvrage Génération des animaux ouvre le dossier de la
génétique. Aristote tente de démontrer que l'hérédité s'ex-
plique par le seul sperme porteur de la forme de l'embryon, la
femelle n'en étant que le réceptacle.
5 / Les problèmes fondamentaux de la métaphysique

a) Les problèmes soulevés. — Dans sa Métaphysique, Aris-


tote pose les problèmes fondamentaux de l'homme et de
l'être. Qu'est-ce qui répond au pourquoi des choses ? Quelles
sont les causes possibles des objets, des faits ou des événe-
ments ? Comment concilier l'unité de la science et la disparité
de ce dont elle voudrait rendre compte ? Quel rapport existe-
t-il entre les Idées et les objets mathématiques, d'une part, les
réalités matérielles d'une autre ? Comment les choses corrup-
tibles, matérielles, peuvent-elles émaner de principes incor-
ruptibles et immatériels ?
b) La substance et le principe, limites de la réflexion. — La
dialectique aristotélicienne fait appel à un arrêt de la série des
causes et des raisons dans l'explication du monde :
— expliquer les phénomènes physiques nous amène à
remonter à leur substance (ousia) qui en est le fondement
ultime explicatif et producteur, sans être, lui-même expli-
qué ni produit ;
— raisonner, c'est remonter une série de raisons jusqu'à des
principes évidents et indémontrables.

c) L'objet, rencontre d'une matière et d'une forme. — Toute


réalité, pour Aristote, procède, de façon inséparable, d'une
matière et d'une forme. La matière sans sa forme n'est qu'un
être en puissance qui ne deviendra être en acte que lorsqu'il
aura reçu une forme. Le processus vital n'est alors rien
d'autre que l'évolution des choses dans le sens d'une ren-
contre nécessaire des matières et des formes qui leur donnent
existence. Tout est donc en devenir, chaque être tendant à
recevoir la forme la plus parfaite possible. L'évolution a pour
sens l'abandon d'une forme ancienne pour l'actualisation
d'une nouvelle forme plus déterminée.
d) La vérité, affection d'une pensée incapable de penser le
non-être. — Les chapitres 2 à 4 de la partie Epsilon de la
Métaphysique, sont marqués d'une certaine modernité.
D'une part, la vérité y est présentée non comme le caractère
d'une réalité donnée, mais comme une affection de la pensée.
La porte est ouverte aux théories subjectivistes modernes de
la connaissance.
Par ailleurs, ces chapitres traitent de l'accident comme
transgression de la loi scientifique laquelle est générale par
essence. Aristote y voit le signe de l'existence possible du
non-être à côté de l'être seul abordé par la science.
e) Il n'est de science que de l'universel, et d'existence que de
l'individuel. — Il n'est d'existence que de l'individu. Toute
conceptualisation est abstraction. D'où le problème (déjà
posé par Platon) de la discordance entre l'individuel (Mul-
tiple) et l'universel (Un).
Pour Aristote, il existe deux sortes de science :
— la science en acte, réalisée effectivement au niveau de l'in-
dividuel et du particulier, nous dirions, au niveau de la
pratique ;
— la science en puissance, celle qui n'est encore qu'un pos-
sible à son niveau théorique universel.
La grande leçon d'Aristote, à cet endroit — à l'encontre
de son maître Platon, tient au fait d'affirmer que les Idées ne
peuvent être distinctes des réalités sensibles. « Il y a, écrit-il,
perception sensible de l'universel, par exemple, de l'homme
en Callias, non de Callias seulement » (Seconds analytiques,
II, 19, 100 a 16).

6 / Le comportement moral de l'homme,


animal politique à éduquer

a) Le but de la vie humaine : se réaliser soi-même. —


L'Ethique à Nicomaque pose le problème de l'homme en tant
qu'être capable d'un comportement moral. L'homme étant,
par essence, un animal politique, l'éthique devient, alors, un
chapitre de la politique.
La méthode d'étude, ici, ne peut être celle qui prévaut, par
exemple, en mathématiques, où l'on part de principes évidents
pour en déduire certaines conclusions. Concernant l'homme,
Aristote préconise de partir des idées morales couramment
partagées, en son temps, pour les discuter et en induire quel-
ques principes directeurs du comportement humain.
Dans le livre I de l'ouvrage, Aristote passe en revue les
différentes approches de la notion de bien. De l'analyse qu'il
en fait, il déduit que le bien ne peut être objet d'une science,
ne relevant pas d'une définition unique et universelle. Le
bien est relatif à l'homme.
Le bonheur, lui, consiste en l'accomplissement par l'indi-
vidu de ce pour quoi il est fait, en la réalisation de sa nature
propre. Cette force qui le porte à son auto-accomplissement
est son energéia, activité qui le pousse à exprimer, à traduire
en acte, ce qu'il est en puissance. Il s'agit d'accomplir tout ce
dont on est capable.
b) L'éventail des vertus : du désir raisonné à l'amitié. —
Les livres II à V de l Ethique à Nicomaque présentent un
éventail des vertus qui ne sont autres que des désirs raisonnés
capables de faire de chacun un être prudent (phronimos). La
vertu est une sagesse pratique.
Puis viennent les analyses de vertus particulières telles
que le courage, la modération, la libéralité, la magnanimité,
enfin la vertu de justice. Celle-ci distingue la justice univer-
selle ou politique et la vertu particulière qui traite des rela-
tions entre les individus.
Les livres VI à IX abordent les vertus importantes qui
exigent de l'individu discernement et sagesse théorique
(sophia) qui lui permettront de se situer face au plaisir
qu'Aristote ne refuse pas puisqu'il est un bien lorsqu'il est
l'achèvement du comportement dont il est l'energéia.
Enfin, l'amitié, vertu fondamentale de la vie sociale, vient
compenser l'impuissance dans laquelle chacun se trouve
d'exprimer continuellement en acte la totalité de ce qu'il est
en puissance. Cette expression continuelle le mènerait, alors,
à une impossible perfection qui le ferait se suffire à lui-même.
aussi le résultat d'un certain milieu scolaire et d'un certain milieu social
où toute tentative d'activité collective de la part des jeunes paraît être
un danger pour les pratiques ou pour les normes consacrées.
Ibid.

L'enfant et le groupe. — Le groupe est indispensable à l'enfant non


seulement pour son apprentissage social, mais pour le développement
de sa personnalité et pour la conscience qu'il peut en prendre. Il est mis
par le groupe entre deux exigences opposées. D'une part, affiliation au
groupe dans son ensemble, sinon le groupe perd sa qualité de groupe.
Il doit donc s'identifier lui-même au groupe dans sa totalité : individus,
intérêts, aspirations. D'autre part, il ne peut vraiment s'agréger au
groupe qu'en entrant dans sa structure, c'est-à-dire en y prenant une
place, un rôle déterminé, en se différenciant des autres, en les acceptant
comme arbitres de ses exploits ou de ses défaillances, bref, en faisant
parmi eux figure d'individu distinct qui a son honneur à lui, et dont,
par suite, l'autonomie ne doit pas être méconnue.
Ibid.

Fonction du groupe. — L'existence d'un groupe ne repose pas sur


les seules relations affectives d'individus entre eux et même si c'est le
but d'un groupe d'en entretenir de telles, sa constitution même impose
à ses membres des obligations définies. Le groupe est le véhicule ou
l'initiateur de pratiques sociales. Il dépasse les rapports purement sub-
jectifs de personne à personne.
Ibid.

Adolphe
FERRIÈRE
(1879-1960)

ÉLÉMENTS DE BIOGRAPHIE

Pédagogue suisse né à Genève, en 1879. Il fait des études


classiques au Collège de Genève et aborde des études de zoo-
logie à l'université. C'est, pourtant, la pédagogie qui l'attire
et il fonde, en 1899, à Genève, le Bureau international des
écoles nouvelles. C'est à cette période qu'il rencontre, en Alle-
magne, l'éducateur Hermann Lietz. Ferrière enseignera dans
son école, à Ilsenburg, de 1900 à 1902.
Il doit mettre fin à son activité d'enseignant en raison des
progrès de sa surdité. Son activité est, désormais, celle du
théoricien des Ecoles nouvelles. Sa notoriété devient alors
internationale.
En 1902, il soutient une thèse de sociologie. En 1912, à
l'ouverture de l'Institut Jean-Jacques-Rousseau par Clapa-
rède, il le rejoint et y professe des idées très avancées en
matière de pédagogie.
En 1921, il participe à la création de la Ligue internatio-
nale de l'éducation nouvelle et devient le rédacteur en chef de
la revue Pour l'ère nouvelle.
En 1925, il fonde le Bureau international d'éducation.
Il meurt, à Genève, en 1960.

LES ORIENTATIONS DE LA PENSÉE D'A. FERRIÈRE

1 / Les orientations philosophiques

Ferrière a exposé dans Le progrès spirituel (1927) les fon-


dements philosophiques de son projet d'éducation. Ce texte
laisse apparaître quelques idées-force :
— Sous l'influence de Bergson, Ferrière voit l'essence de
l'homme dans son énergie spirituelle. Chez les êtres vivants,
écrit-il, la réalité première, c'est l'élan vital; chez l'homme,
c'est l'énergie spirituelle.
— Pour Ferrière, l'énergie spirituelle doit mener
l'homme vers Dieu. Le progrès spirituel de l'enfant est l'orien-
tation de son élan vital vers Dieu, écrit-il.

2 / Les orientations éducationnelles

a) La finalité de l'école. — Ferrière est le fondateur de


l' école active dont il a défini l'esprit et le programme. Pour lui,
la finalité de l'école est l'atteinte d'une civilisation... vouée à la
recherche de la vérité et du bien. Dans cette perspective, l'école
doit avoir pour vertu essentielle l'appétit de vivre et de savoir.
b) Les objectifs de l'école. — Les objectifs de l'école sont
étroitement liés aux conquêtes de la psychologie. Il s'agit,
pour les enseignants, de :
— étudier scientifiquement les types psychologiques présen-
tés par les élèves ;
— relever expérimentalement les étapes par lesquelles passe
le développement intellectuel des élèves ;
— établir la liste des notions à acquérir ;
— créer des documents facilitant, chez les élèves, la
recherche des informations dont ils ont besoin ;
— organiser l'école afin de permettre l'individualisation de
. l'enseignement;
— organiser l'orientation scolaire.

BIBLIOGRAPHIE

Les ouvrages d'A. Ferrière


L'école active, Neufchâtel, Delachaux & Niestlé, 1947.
La pratique de l'école active, Neufchâtel, Delachaux & Niestlé, 1924.
L'autonomie des écoliers, Neufchâtel, Delachaux & Niestlé, 1921.
Transformer l'école, Neufchâtel, Delachaux & Niestlé, 1920.
La liberté de l'enfant à l'école active, Neufchâtel, Delachaux & Niestlé,
1928.
L'avenir de la psychologie génétique, Neufchâtel, Delachaux & Niestlé,
1931.
Libération de l'homme, Genève, Ed. du Mont Blanc, 1943.
L'école active à travers l'Europe, Neufchâtel, Delachaux & Niestlé,
1948.
Le progrès spirituel, Neufchâtel, Delachaux & Niestlé, 1927.

Les études sur A. Ferrière


A. BERCHTOLD, La Suisse au cap du XXe siècle, Lausanne, Payot, 1966.
A. CARDINAL-RENARD, La pédagogie et la philosophie de l'éducation
nouvelle d'après l'œuvre d'A. Ferrière, Paris, Ecole et Collège, 1941.
A. CHEDEL, Adolphe Ferrière, les principaux aspects de sa pensée, in
L'essor, mai 1971.
A. EHM, L'éducation nouvelle, vol. 1, Paris, 1938.
Cahier pédagogique de la faculté de psychologie et des sciences de l'éduca-
tion, n° 25, Université de Genève, 1981.
Revue L'essor, numéro spécial, Genève, août 1939.

Quelques repères

La méthode active. — Si la vie ne peut pas venir à l'école, qu'à cela


ne tienne : il faut que, par la méthode qu'elle met en jeu, l'école aille à la
vie et y transporte ses élèves en leur en présentant ce qui est à leur
portée.
1 / On ira donc observer le monde de la nature et le monde des
hommes pour y recueillir des documents. Qu'ira-t-on voir ensemble?
Usines, fabriques, ateliers, magasins les plus divers, services publics
d'eau, de gaz, d'électricité, de téléphone, de chemins de fer — je cite
au hasard — crèches, hôpitaux, cuisines populaires, aspects géogra-
phiques du pays, monuments historiques, musées de toutes sortes, en
particulier ethnographiques, et surtout la nature avec toute sa richesse
végétale et animale, voilà le grand livre de l'enfant, où l'on sélection-
nera, pour lui en suggérer l'étude, les pages qu'il est apte à saisir.
Tout cela, en y joignant la lecture de livres et de journaux scientifi-
ques illustrés ou autres, doit, disais-je, devenir une mine de docu-
ments. Ces documents, on les recueille par le dessin, par la plume,
par les découpures de gravures ou d'articles ou même en collection-
nant de petits échantillons.
2 / En second lieu, on classe ces documents. On les serre dans des
enveloppes spéciales portant une rubrique bien claire en rapport avec
le programme des études, et où on les retrouvera. Ce classement qui,
pour nous adultes, peut sembler une chose banale et ne comportant
pas grande réflexion, est pour les enfants un véritable travail. Mais ils
le font volontiers. On connaît le goût naturel qu'ils éprouvent pour
les collections et les triages. Les uns collectionnent et trient spontané-
ment de menus objets : pierres, curiosités de toutes sortes; d'autres,
les plus grands surtout, collectionnent des timbres et passent des
heures à les classer et à les coller. C'est exactement au même genre de
travail que l'Ecole active invite ses élèves. Au lieu de timbres, on clas-
sera les documents dont je parlais : gravures, dessins, photographies,
cartes postales, articles de journaux, fiches documentaires portant des
citations, des observations, des résumés, etc. Comme on le verra tout
à l'heure, la collection d'enveloppes et de classeurs dont on se sert
— et q u ' o n a faits soi-même — comporte des rubriques générales qui
permettent de ranger chaque d o c u m e n t sous la rubrique qui lui
convient...
3 / E t voici enfin l ' de ces documents. N o u s sommes en
présence de collections de textes, dessins et objets divers récoltés sans
ordre, au gré des circonstances ; saisons, événements imprévus, articles
de journaux, visites à des usines, ateliers o u magasins ont fourni leur
quote-part. Le hasard de la vie est u n grand pourvoyeur de choses cap-
tivantes et, à moins de mettre la vie à la porte, le maître doit s'accom-
m o d e r de leçons occasionnelles fréquentes. Mais cela ne signifie pas
p o u r autant qu'il renoncera à tout programme. Pourvu que les cadres
généraux d u programme à suivre soient choisis en fonction des besoins
psychologiques ancestraux des enfants, donc de leurs intérêts domi-
nants, on peut être certain que, les leur proposer, c'est les leur voir
accepter avec enthousiasme...
4 / Q u e va-t-on faire maintenant ? O n va procéder à la mise au
net finale, à la rédaction de la page, qui va figurer dans le « cahier de
vie », dans le classeur qui est le « grand livre » des conquêtes spiri-
tuelles de l'enfant. Ce grand cahier a une table des matières répon-
dant au programme adopté et, page après page, o n y trouvera tout ce
q u e l'on aura appris : ce seront des résumés copiés d u tableau noir,
o ù o n les aura élaborés en c o m m u n ; ce seront, p o u r les plus grands,
des résumés faits librement d'après l'ordre logique que l'on aura éta-
bli au début de la leçon — ou de la série de leçons — o u encore des
travaux individuels de plus longue haleine, travaux originaux qui ne
se trouveront pas dans les cahiers des autres. E t q u ' o n ne se repré-
sente pas ces travaux et résumés c o m m e u n i q u e m e n t formés de
rédactions : l'illustration les accompagne à tout b o u t de page : croquis
en marges, cartes de géographie, peintures hors texte, gravures col-
lées, articles de journaux fixés au b o n endroit, voire, c o m m e je l'ai
dit, petits échantillons : graines, fleurs, feuilles o u racines pressées,
parcelles de minéraux, matières premières, produits industriels aux
différents stades de leur fabrication, fixés sous papier gélatiné, pourvu
que leur dimension n'interdise pas leur introduction dans u n classeur.
D a n s ce dernier cas, on les reléguera dans des casiers spéciaux, au
besoin sous verre, petits musées personnels auxquels renvoie une note
dans le texte d u grand cahier.

L'école active, Ed. Delachaux & Niestlé, 1947.


Gaston
BACHELARD
(1884-1962)

É L É M E N T S DE BIOGRAPHIE

Philosophe français né à Bar-sur-Aube, en 1884. Petit-fils


de cordonnier, fils de cafetier, il devient, après ses études
secondaires, employé des Postes à Remiremont de 1903
à 1905, puis à Paris, de 1907 à 1913.
Sa curiosité intellectuelle le pousse, parallèlement, à
suivre les cours de la Faculté des sciences de Paris qui vien-
nent, alors, s'ajouter à ses soixante heures hebdomadaires de
travail dans l'administration.
En 1912, ses efforts sont récompensés par l'obtention
d'une licence de mathématiques. Ce succès l'incite à préparer
le concours d'ingénieur-télégraphe.
La Grande Guerre éclate. Il est mobilisé d'août 1914 à
mars 1919. Avant de partir pour l'armée, il se marie le 8 juil-
let 1914. De ce mariage naît une fille, Suzanne, qu'il devra
élever seul puisqu'il devient veuf le 20 juin 1920.
En octobre 1919, il est nommé professeur de physique et
chimie au collège de Bar-sur-Aube, mais, désormais c'est à la
philosophie qu'il s'intéresse. Il obtient, en la matière, une
licence en 1920 puis est reçu au concours de l'agrégation
en 1922.
En 1927, il soutient une thèse de doctorat à la Sorbonne
avec un Essai sur la connaissance approchée qui sera couronné
par l'Institut.
En 1930, il enseigne à la Faculté des lettres de Dijon et y
reste jusqu'en 1940. De 1940 à 1954, il occupe, à la Sor-
bonne, la chaire d'histoire et de philosophie des sciences et
dirige, en même temps, l'Institut d'histoire des sciences et
des techniques.
Outre sa brillance intellectuelle, Gaston Bachelard a laissé
le souvenir d'un personnage hors du commun. Il est connu
pour son talent à cuire les confitures ou à reconnaître les vins
de qualité. On le reconnaît de loin à sa redingote quelque peu
rapée et sa barbe majestueuse qui rappelle Jules Verne ou
Karl Marx.
Chaque matin, il fait lui-même son marché, place Mau-
bert, à Paris, et, de retour chez lui, après avoir lui-même
allumé son feu de cheminée, il se met à sa table de travail
éclairée d'une chandelle.
Sa valeur intellectuelle et humaine est reconnue, à la
fois, de ses étudiants et de l'intelligentsia de son temps. Il
est chevalier, en 1951, puis commandeur, en 1959, de la
Légion d'honneur. En 1955, il entre à l'Académie des
sciences morales et politiques et obtient, en 1961, le grand
Prix national des lettres.
Il meurt, à Paris, le 16 octobre 1962.

LES ORIENTATIONS DE LA PENSÉE DE BACHELARD

Cette présentation de la pensée de Bachelard portera sur


ses travaux d'ordre épistémologique. Ne seront pas abordés
les travaux traitant de l'imaginaire (voir bibliographie).
Il sera essentiellement fait référence aux travaux sui-
vants* :
— Essai sur la connaissance approchée (CA), 1928.
— Le nouvel esprit scientifique (NES) , 1934.
— La formation de l'esprit scientifique (FES), 1938.
— La philosophie du non (PN), 1940.
— Le matérialisme rationnel (MR), 1953.

* Dans les lignes qui suivent, les textes de référence sont mentionnés
par les initiales présentées, ici, entre parenthèses.
1 / Les orientations épistémologiques

a) La loi des trois états. — On peut dire que, à l'instar


d'A. Comte, G. Bachelard a formulé sa propre loi des trois
états aux niveaux de l'évolution de la science, de l'approche
épistémologique du monde et de la psychologie de la
connaissance.
— L'évolution de la science. L'évolution de la science
(cf. FES) présente trois stades :
— un état préscientifique, depuis l'Antiquité jusqu'au
XVIII siècle ;
— un état scientifique, du XIX siècle au début du XX siècle ;
— un état de nouvel esprit scientifique que nous vivons
depuis 1905 avec la relativité einsteinienne.
— L'approche épistémologique du monde. La méthode
de notre connaissance du monde passe, elle-même, par trois
phases :
— un état concret où seules sont données les images des
phénomènes ;
— un état concret-abstrait où sont élaborés les premiers
schémas géométriques interprétatifs du monde ;
— un état abstrait où la raison se sépare totalement de l'expé-
rience qu'elle découvre toujours impure, toujours informe.
— La psychologie de la connaissance. L'approche
humaine du monde fait apparaître, au plan psychologique,
trois types d'âme (cf. FES) :
— l' âme puérile (ou mondaine) qui se contente de s'étonner
devant le spectacle du monde ;
— l' âme professorale, enfermée dans le dogmatisme de ses
certitudes ;
— l' âme en mal d'abstraire et de quintessencier qui s'ouvre aux
questionnements de la raison.
Ainsi, l'évolution de la science comme celle de la connais-
sance suit un processus qui suppose le dépassement d'un réa-
lisme naïf initial vers un rationalisme porteur du risque de
fermeture sur soi, enfin vers un surrationalisme de type dia-
lectique (cf. PN). Le passage d'un état à un autre, s'il n'est
pas inéluctable, est facilité par l' obstacle épistémologique.
b) La nécessaire et dangereuse expérience du monde. —
Bachelard reconnaît comme inévitable le contact expérimen-
tal initial avec le monde. Mais, sa réflexion pousse plus loin
l'analyse de cette expérience où il fait un triple constat :
— l'expérience du monde nous le révèle à la fois complexe et
confus ;
— l'expérience du monde est partielle et partiale ;
— l'expérience du monde porte en elle la nécessité de son
propre dépassement.

— Complexité et confusion du monde. Bachelard prend


acte, au plan scientifique (cf. NES) de la complexité de la
réalité physique à la fois matière et rayonnement, corpuscule
et onde, déterminisme et indéterminisme. De plus, notre
appréhension de cette réalité contradictoire la fait apparaître
dans une confusion qui rend inévitable son dépassement au
plan de l'analyse.
— Critique de la connaissance expérimentale du monde.
Les données expérimentales du monde s'inscrivent dans le
cadre d'une mobilité qui en fait le caractère partiel. Une don-
née expérimentale est toujours appréhendée comme singu-
lière alors qu'elle s'inscrit, en réalité, dans le cadre d'un tout
duquel elle est solidaire.
Les données expérimentales du monde, par ailleurs, nous
placent devant des existences de fait, non de nécessité. C'est
la saisie de leurs raisons qui permet de les poser dans leur
apodicticité.
— Le nécessaire dépassement de l'expérience. L'insuffi-
sance de l'expérience est génératrice de la nécessité de son
dépassement. L'abstraction est un devoir..., la possession, enfin
épurée de la pensée du monde (FES). Il y a, chez Bachelard,
une conception ascétique de la pensée rationnelle en tant
qu'elle trouve son origine dans le rejet des scories de l'expé-
rience. Il s'agit, pour lui, de psychanalyser l'intérêt, ruiner tout
utilitarisme si déguisé qu'il soit, si élevé qu'il prétende, tourner
l'esprit du réel vers l'artificiel, du naturel vers l'humain, de la
représentation vers l'abstraction (FES). Il s'agit, en un mot,
de rompre avec la phénoménologie des choses ( M R ) .
c) La connaissance scientifique et ses failles. — Une fois
dépassée la connaissance expérimentale du monde, la
connaissance scientifique prend tous ses droits sans, pour-
tant, que Bachelard la vive comme une panacée.
Déjà, dans sa thèse de 1928 (CA), il insiste surtout sur le
caractère approximatif de tout édifice rationnel et scientifique.
Plus tard ( P N ) , en 1940, il réaffirme sa prudence en fon-
dant la réflexion sur une philosophie du non. Penser, pour lui,
se fonde sur le non opposé au savoir antérieur. Toute acqui-
sition nouvelle est construite sur les ruines de la précédente,
dans la mesure où tout contenu de penser s'enfermant en lui-
même se contredit.
Le progrès scientifique est rectification permanente.
d) L'obstacle épistémologique. — Le dépassement de l'ex-
périence par l'appréhension rationnelle et le dépassement du
raisonnement par lui-même ne sont pas des vœux pieux : ils
sont les moyens incontournables de ne pas tomber dans l'illu-
sion et l'erreur et ce, en raison même de l'insuffisance de la
sensibilité et de la réflexion. Ce sont ces insuffisances que
Bachelard considère comme des obstacles épistémologiques.
— Les obstacles épistémologiques de la connaissance sen-
sible. Bachelard note (cf. FES) que l'expérience première du
monde nous présente la chose dans sa singularité, en dehors
de sa signification. En nous contentant de cette approche,
nous rêvons le monde. Nous ne le connaissons pas.
Toujours au niveau de l'expérience, Bachelard par d'obs-
tacle substantialiste (ou réaliste) : il existe, pour lui, dans notre
mentalité humaine, un mythe de l'intérieur qui nous incite à
aller au fond des choses, en un domaine qui serait notre réelle
propriété. Il y aurait là, de notre part, un complexe d'Harpagon.
Pour Bachelard, un tel obstacle est de type animiste :
nous prenons le corps humain comme modèle des choses
dont nous recherchons la substance de la même façon que
nous recherchons, en nous, notre intimité cachée.
— Les obstacles épistémologiques du raisonnement.
Bachelard note de même (cf. FES) que les connaissances
théoriques tendent inexorablement à la mise en place d'un
principe unique explicatif du monde, unicité génératrice
d'enfermement impérialiste dans une pensée qui prétendrait
rendre compte totalement et définitivement des choses. Or,
constate Bachelard :
— la connaissance scientifique présente des fausses préci-
sions, des géométrisations rapides qui font que l'édifice
scientifique lui-même n'est qu'un ensemble d'erreurs recti-
fiées ;
— le nouvel esprit scientifique est exigence de dépassement
permanent de l'intérêt immédiat à la vie de l'ici et du
maintenant, des certitudes anciennement acquises, vers
l'intérêt de l'esprit considéré dans sa mouvance, vers une
culture sans cesse continuée.

2 / Les orientations éducationnelles

Si Bachelard n'est pas considéré comme un penseur spé-


cifiquement attaché aux choses de l'éducation, toute son
œuvre leur est pourtant vouée (et, essentiellement, sa Forma-
tion de l'esprit scientifique.
Toute sa pensée épistémologique, en effet, trouve son
aboutissement dans l'exigence d'une réforme profonde de la
mentalité humaine dans sa tentative d'appréhension du
monde.
De cette œuvre, on peut induire les orientations éduca-
tionnelles suivantes :
a) Nécessité et limites d'une pédagogie expérimentale. —
Le recours à l'expérience comme fondement de l'éducation
n'est pas récusé par Bachelard à la condition, d'une part,
d'en apercevoir les failles en même temps que la positi-
vité, d'autre part, de la considérer comme un tremplin qui
n'a de sens, comme tel, que s'il est, à un moment donné,
abandonné pour un autre état. Percevoir et manipuler le
monde, certes, à la condition d'en faire l'impulsion vers la
réflexion.
En ce sens, Bachelard récuserait, à la fois, le platonisme et
son rejet radical de la connaissance sensible, et la position
d'un auteur tel que M. Montessori réclamant que l'enfant se
contente d'absorber son expérience du monde pour le
connaître.
La pédagogie expérimentale, chez Bachelard, est une
expérience aux aguets de ses propres manques.
L'expérience porte, en elle-même, son obstacle épistémo-
logique.
b) Les sirènes de la pédagogie attrayante. — Bachelard ne
peut participer d'une pédagogie prévoyant le plaisir comme
seul moteur des acquisitions de l'apprenant. En effet, ce plai-
sir risque d'engluer l'enfant dans l'expérience du monde
alors que l'objectif de l'éducateur est de l'aider à s'en dégager
après l'avoir vécue.
Sans parvenir à la position d'un auteur tel que Alain qui
rejette toute intervention des affects dans l'apprentissage du
monde, Bachelard nourrit à leur endroit une suspicion
prudente.
c) Une pédagogie de l'erreur. — L'obstacle épistémolo-
gique, au niveau de l'expérience comme à celui de la réflexion
étant inéluctable, l'erreur de perception et/ou de conception
le sera dans la même mesure. En conséquence, l'éducation
intellectuelle devrait revêtir l'aspect d'une pédagogie de l'er-
reur. Il ne s'agit pas seulement de bien penser et bien juger, il
s'agit — et cela procède d'un apprentissage spécifique —
d'apprendre à déceler l'erreur. L'enfant doit acquérir deux
attitudes mentales : être à la recherche du vrai et à l'affût de
l'erreur.
d) Une pédagogie de la mobilité. — L'obstacle épistémolo-
gique toujours renaissant dans la perception et la conception
des choses fait la mobilité de la connaissance par la remise en
question permanente des acquis.
La pédagogie induite de la pensée bachelardienne n'est pas
celle de la quiétude intellectuelle, mais, au contraire, celle de la
recherche permanente d'une vérité qui, elle-même, s'évertue à
ne pas se laisser enfermer dans un système de pensée.
e) Une pédagogie de l'imaginaire. — Les nombreux tra-
vaux de Bachelard sur l'importance de l'imaginaire, des
affects et de l'inconscient permettent d'induire une pédagogie
de la créativité par dépassement de la stricte rationalité des
choses au niveau d'images toujours renouvelées.

BIBLIOGRAPHIE

Les ouvrages de G. Bachelard


La liste ci-dessous ne mentionne que les ouvrages de philosophie
ou d'épistémologie de G. Bachelard.
Essai sur la connaissance approchée, Paris, Vrin, 1928.
L'intuition de l'instant, Paris, Stock, 1932.
Le nouvel esprit scientifique, Paris, PUF, 1934.
La dialectique de la durée, Paris, PUF, 1936.
L'expérience de l'espace dans la physique contemporaine, Paris, PUF, 1937.
La formation de l'esprit scientifique, Paris, Vrin, 1938.
La psychanalyse du feu, Paris, Gallimard, 1938.
La philosophie du non, Paris, PUF, 1940.
L'eau et les rêves, Paris, Corti, 1942.
L'air et les songes, Paris, Corti, 1943.
La terre et les rêveries de la volonté, Paris, Corti, 1948.
La terre et les rêveries du repos, Paris, Corti, 1948.
Le rationalisme appliqué, Paris, PUF, 1949.
L'activité rationaliste de la physique contemporaine, Paris, PUF, 1951.
Le matérialisme rationnel, Paris, PUF, 1953.
La poétique de l'espace, Paris, PUF, 1953.
La poétique de la rêverie, Paris, PUF, 1961.
La flamme d'une chandelle, Paris, PUF, 1961.
Le droit de rêver, Paris, PUF, 1970.
Correspondance avec Martin Büber, Revue internationale de philoso-
phie, 1984, n 150-201-325.
Fragments d'une poétique du feu (1959-1961), PUF, 1988.

Etudes sur G. Bachelard

Une bibliographie des études réalisées sur l'œuvre de G. Bachelard


peut être trouvée dans :
Cahiers internationaux de symbolisme, 1986, n 53-54-55 (jus-
qu'en 1986).
J. BENDA, De la mobilité de la pensée selon une philosophie contempo-
raine, Revue de métaphysique et de morale, n° 50, 1945, 161-202.
F. DAGOGNET, Gaston Bachelard, Paris, PUF, 1972.
J. T. DESANTI, Gaston Bachelard ou la surveillance intellectuelle de
soi, Revue internationale de philosophie, n° 150, 1984, 272-286.
P. GINESTIER, La pensée de Bachelard, Bordas, 1968.
D. LECOURT, Pour une critique de l'épistémologie. Bachelard, Cangui-
lhem, Foucault, Paris, Maspero, 1972.
J.-C. MARGOLIN, Bachelard, Paris, Le Seuil, 1974.
P. QUILLET, Bachelard, Paris, Seghers, 1964.
Colloque du Centre international de Cérisy-la-Salle, Paris, UGE,
« 10/18 », 1974.

Quelques repères

Prendre pour point de départ l'éduqué et son passé. — L'idée de par-


tir de zéro pour fonder et accroître son bien ne peut venir que dans des
cultures de simple juxtaposition où un fait connu est immédiatement
une richesse. Mais devant le mystère du réel, l'âme ne peut se faire, par
décret, ingénue. Il est alors impossible de faire d'un seul coup table rase
des connaissances usuelles. Face au réel, ce qu'on croit savoir claire-
ment offusque ce qu'on devrait savoir. Quand il se présente à la culture
scientifique, l'esprit n'est jamais jeune. Il est même très vieux, car il a
l'âge de ses préjugés. Accéder à la science, c'est, spirituellement, rajeu-
nir, c'est accepter une mutation brusque qui doit contredire un passé.
La formation de l'esprit scientifique, Vrin, 1986.

Progresser, c'est bouleverser. — Dans l'éducation, la notion d'obs-


tacle pédagogique est également méconnue. J'ai souvent été frappé du
fait que les professeurs de sciences, plus encore que les autres si c'est
possible, ne comprennent pas qu'on ne comprenne pas. Peu nombreux
sont ceux qui ont creusé la psychologie de l'erreur, de l'ignorance et de
l'irréflexion... Les professeurs de sciences imaginent que l'esprit com-
mence c o m m e u n e leçon, q u ' o n peut toujours refaire une culture non-
chalante en redoublant une classe, q u ' o n peut faire comprendre une
démonstration en la répétant point p o u r point. Ils n ' o n t pas réfléchi au
fait que l'adolescent arrive dans la classe de physique avec des connais-
sances empiriques déjà constituées : il s'agit alors, n o n pas d'ACQUÉRIR
une culture expérimentale, mais bien de CHANGER de culture expéri-
mentale, de renverser les obstacles déjà amoncelés par la vie quoti-
dienne.
Ibid.

L'obstacle de l'expérience sensible. — Dans la formation d ' u n esprit


scientifique, le premier obstacle, c'est l'expérience première, c'est l'ex-
périence placée avant et au-dessus de la critique qui, elle, est nécessai-
rement u n élément intégrant de l'esprit scientifique. Puisque la critique
n'a pas opéré explicitement, l'expérience première ne peut, en aucun
cas, être u n appui sûr... L'esprit scientifique doit se former CONTRE la
nature, contre ce qui est, en nous et hors de nous, l'impulsion et l'ins-
truction de la Nature, contre l'entraînement naturel, contre le fait
coloré et divers. L'esprit scientifique doit se former en se réformant. Il
ne peut s'instruire devant la N a t u r e q u ' e n purifiant les substances
naturelles et q u ' e n ordonnant les phénomènes brouillés.
Ibid.

Anton
MAKARENKO
(1888-1939)

ÉLÉMENTS DE BIOGRAPHIE

Pédagogie ukrainien, fils d'ouvriers. Il est instituteur


de 1905 à 1914 et entre à l'Institut de pédagogie de Poltava
où il attire l'attention par la brillance de ses qualités de cher-
cheur. En 1917, après avoir été professeur d'histoire, il
devient directeur d'école secondaire.
En 1920, les effets de la révolution bolchevique se tradui-
sent, au plan social, en termes de délinquance dans la jeu-
nesse et l'adolescence abandonnées du pays. Makarenko,
pour y faire face, fonde, près de Poltava, une colonie de
délinquants, la colonie Gorki, où il met en pratique ses nou-
velles conceptions en matière d'éducation.
Pourtant, en 1928, ses méthodes sont jugées, en haut lieu,
non conformes aux normes établies. Il doit quitter son poste.
Il ouvre néanmoins d'autres colonies près de Kharkov et y
obtient un gros succès.
Il est réhabilité en 1932 et est désormais reconnu comme
un authentique novateur en matière d'éducation. Ses
méthodes seront expérimentées dans toute l'Union soviétique.
Il meurt, à Moscou, en 1939.

LES ORIENTATIONS DE LA PENSÉE DE MAKARENKO

1 / Les objectifs de l'éducation

Makarenko récuse le principe rousseauiste d'une nature


humaine originellement positive et justifiant, en conséquence,
le libre épanouissement de l'enfant comme objectif premier de
l'éducation. Pour lui, une telle confiance a pour effets le nivel-
lement des enfants et l'exclusion de ceux, parmi eux, qui pré-
sentent des difficultés venant contredire leur nature positive.
Eduquer, n'est pas laisser faire ; c'est former en orientant
et en transformant en direction d'une finalité clairement
appréhendée comme valable.

2 / Les acteurs de l'éducation :


le « collectif pédagogique »
Makarenko s'avère un précurseur de la pédagogie institu-
tionnelle en refusant de réduire la situation éducationnelle à
la seule relation éducateur-éduqué(s). Pour lui, le moteur
explicatif de cette situation se situe au niveau d'un collectif
pédagogique comportant :
— les éducateurs de l'établissement d'éducation ;
— le directeur de l'établissement d'éducation nanti d'une
autorité réelle ;
— les enfants porteurs de la responsabilité du collectif péda-
gogique.
Ainsi, ces enfants ne sont pas les objets de l'éducation, mais
les acteurs du collectif.

3 / Les relations individu-groupe

Souvent à contre-courant des tendances de son temps et


de son environnement propre, Makarenko souligne l'impor-
tance incontournable de l'individualité au sein du groupe.
Pour lui, l'éducation doit organiser l'action collective, de
telle sorte que l'intérêt personnel trouve l'occasion de s'ex-
primer dans l'intérêt collectif comme force d'attraction du
monde. Le dépassement du conflit individu-groupe est
condition de l'éducation personnelle, morale et sociale de
chacun.
Par ailleurs, le collectif pédagogique n'est pas inclus dans
le creuset de la collectivité globale au point d'y disparaître.
Entre eux, existent des institutions intermédiaires grâce aux-
quelles la dimension humaine des choses et des êtres est pré-
sente même au niveau de la société globale.

4 / Le problème de la motivation :
la joie mobilisatrice

Pour Makarenko, les facteurs de la situation éducative se


situent à trois niveaux :
— la personnalité individuelle de ses acteurs ;
— la qualité de leurs relations interpersonnelles ;
— les aspects qualitatifs des modes d'existence de chacun
d'eux.
Parmi ces aspects qualitatifs, l'un est primordial : la joie
du lendemain. Cette joie est le seul véritable mobile de la vie
humaine. L'éducation doit donc faire de la joie le moteur pre-
mier de la transformation de l'éduqué.
Pourtant, note Makarenko, la joie existe à plusieurs
niveaux de la personne et l'éducateur a pour rôle de faire évo-
luer l'éduqué de l'un à l'autre de ces niveaux. Il faut d'abord
organiser la joie, la faire naître et la poser comme une réalité. Il
faut ensuite transformer les formes de joie les plus simples en de
plus complexes et riches de signification humaine.
Eduquer l'homme, c'est faire naître en lui les perspectives
de sa joie du lendemain.

5 / L'objectivité des lois de la pédagogie


Une nouvelle fois à contre-courant des idées de son envi-
ronnement, Makarenko estime que les lois de la pédagogie ne
sont pas relatives à leur objet. Les mêmes procédés, écrit-il,
conviennent à l'éducation d'un créateur bolchevique et à celle
d'un homme d'affaire capitaliste, comme on utilise le même fer
pour une usine ou une église.

BIBLIOGRAPHIE

Les ouvrages de Makarenko


Œuvres complètes, 7 vol., Moscou, Académie des sciences pédagogi-
ques, 1967.
Les chemins de la vie, Paris, Ed. du Pavillon, 1950 (poème pédago-
gique).
Les drapeaux sur les tours, Moscou, 1937.

Etudes sur Makarenko


M. CHAVARDES, Les grands maîtres de l'éducation, Paris, Ed. du Sud,
1966.
P. DELANOUE, Un maître de l'éducation soviétique, in L'école libéra-
trice, n° 15, 13 janvier 1949, Paris.
F. DELIGNY, Avez-vous lu Makarenko?, in L'école et la nation, n° 41,
octobre 1955, Paris.
T. DIETRICH, La pédagogie socialiste, Paris, Maspero, 1973.
C. FREINET, Les problèmes de la vie collective et de la discipline chez
les écoliers à la lumière des enseignements de Makarenko et d'au-
tres pédagogues soviétiques, in L'éducateur, n° 8, 10 décem-
bre 1956.
L. LAVERGNE, A. Makarenko, L'école et la famille, n° 4,
novembre 1968, Paris.
A. LÉON, Article Pédagogie in Encyclopedia Universalis, Paris, 1954.
I. LEZINE, Anton Makarenko, pédagogue soviétique, Paris, PUF, 1954.
M. SURDUTS, L'importance de la personnalité humaine dans le mys-
tère pédagogique de Makarenko, in Les cahiers de l'enfance inadap-
tée, n° 1, octobre 1967, Paris.
A. VEXLIARD, L'éducation morale dans la pédagogie de Makarenko,
Enfance, mai 1951, Paris.
C. WILCZKOWSKI, Les idées de Makarenko, Pédagogie, n° 3,
mars 1952.

Quelques repères
Valeur du travail. — Le travail sans l'éducation qui l'accompagne,
sans le processus d'éducation sociale et politique qui l'accompagne, ne
peut avoir aucune valeur pédagogique et demeure un processus neutre.
Vous pouvez faire travailler un homme tant que vous voulez, si vous ne
l'éduquez pas en même temps, moralement et politiquement, s'il ne
participe pas à la vie sociale et politique, son travail sera un processus
neutre qui ne donnera pas de résultats positifs. Le travail — recette
pédagogique — n'a de sens que comme faisant partie de tout un
système.
Conférence du 10 janvier 1938*.

L'adaptation nécessaire de la pédagogie. — Aucune technique


pédagogique, même la plus plaisante... ne peut être considérée comme
absolument utile. La meilleure recette à un moment donné devient la
pire à un autre... En somme, la pédagogie est la science la plus dialec-
tique, la plus mouvante, la plus compliquée et la plus diverse.
Ibid.

* Extraits de Œuvres complètes, Moscou, 1967.


Une pédagogie de groupe. — Nous laissons de côté toute action
pédagogique sur le cas individuel, l'enfant, le si fameux objet d'action
pédagogique et nous affirmons notre action sur la personne. Nous pen-
sons que l'action d'un individu isolé sur un autre est un facteur étroit et
limité. Nous considérons que toute la collectivité est l'objet de notre
éducation... La forme de travail la plus réelle sur la personne est de
retenir l'individu dans la collectivité, le retenir de telle façon qu'il s'y
sente intégré de son plein gré et que la collectivité l'y retienne vraiment
de son plein gré. C'est la collectivité qui est l'éducateur de l'individu.
Méthodologie du processus pédagogique*, chap. IX.

Signification de la discipline. — Nous fournissons à la collectivité


des enfants ou des adolescents, l'école, l'université ouvrière, l'usine, les
ingénieurs, le plan financier de l'entreprise, le salaire, les responsabili-
tés, le travail et le droit aux responsabilités, ce qui veut dire que nous
leur donnons une discipline.
Les Olympiens qui haussent les épaules peuvent longuement par-
ler de la nécessité d'une discipline, admirer avec joie une discipline déjà
établie et même s'attendrir sur ses beautés, mais sont complètement
incapables d'observer le processus d'établissement de la discipline sans
pousser de hauts cris. Les enfants de Dzerjinski** ne voient rien de
particulier dans la discipline, ils n'y voient qu'un état naturel et indis-
pensable à toute collectivité. Il n'y a pour eux aucun problème théo-
rique de discipline. Ils assistent au processus de son établissement et ne
voient pas d'autre problème que ce processus.
Ibid.

La collectivité initiale. — Il n'y a pas de passage possible de la


collectivité entière à l'individu, mais... le passage ne peut s'opérer
qu'à l'aide d'une collectivité initiale spécialement organisée pour des
buts pédagogiques... J'appelle collectivité initiale celle dont les mem-
bres séparés se retrouvent toujours en relations permanentes d'af-
faires, d'amitié, de vie quotidienne et d'idéologie... Dans nos écoles,
ces collectivités existent tout naturellement ; ce sont les classes — et le
défaut de l'école est, sans doute, que la classe ne joue pas le rôle de
collectivité initiale, c'est-à-dire de chaînon entre l'individu et toute la
collectivité, mais qu'elle apparaît très souvent comme collectivité
finale.
Ibid.

* Extraits de Œuvres complètes, Moscou, 1967.


** Colonie de réadaptation fondée par Makarenko.
Célestin
FREINET
(1896-1966)

ÉLÉMENTS DE BIOGRAPHIE

Educateur français né à Gars (Alpes-Maritimes) en 1896.


Il participe à la Première Guerre mondiale durant laquelle il
est grièvement blessé. Il devient instituteur à Bar-sur-Loup
puis à Saint-Paul-de-Vence. Poussé par des idées progres-
sistes et pacifistes, il jette les bases d'une éducation nouvelle
populaire en créant la coopérative de l'enseignement laïc et
l'Ecole moderne française qui regroupe les partisans des
méthodes qu'il préconise.
Il meurt à Cannes en 1966.

LES ORIENTATIONS DE LA PENSÉE DE C. FREINET

1 / Les orientations fondamentales de l' « Ecole moderne »

Au plan éducationnel, l'Ecole moderne fonde son action


sur quatre principes :
— le respect de la spontanéité enfantine ;
— la motivation de l'effort de l'enfant ;
— le caractère collectif du travail ;
— le sentiment de la responsabilité personnelle.
Au plan des techniques pédagogiques, l'Ecole moderne
préconise l'emploi des méthodes actives, et, en particulier,
celui de l'imprimerie à l'école, des échanges interscolaires et
des coopératives scolaires.
2 / Apprendre à travailler
Dans L'éducation du travail (1949), Freinet confronte les
opinions d'un vieux berger et celles d'un instituteur de pro-
fil classique qui se pique d'un modernisme scientiste
oublieux de la dimension humaine, donc individuelle de
l'éducation.
Cette confrontation est, pour Freinet, l'occasion de préci-
ser ce qu'est, pour lui, la signification du travail.
Face aux idéologies préconisant soit l'effort exclusif pour
les uns, soit le seul plaisir pour les autres, comme mobiles de
l'action de l'enfant, Freinet oppose une approche du travail
mêlé au jeu :
— initialement, le travail est syncrétiquement mêlé au jeu.
Dans le jeu, il distingue le jeu distraction (le jeu haschich,
dit-il), inhibant plus que créatif, et le jeu spontané,
expression réelle de la personne de l'enfant créateur ;
— le jeu spontané peut se faire jeu-travail par imitation des
adultes, pour mener, dans son processus, au travail social
avec ce qu'il implique de répartition, au sein du groupe,
de tâches complémentaires.

3 / Le tâtonnement pédagogique
Dans son Essai de psychologie sensible (1950), Freinet pré-
cise ce qui lui paraît être le fondement de la pédagogie : le
tâtonnement expérimental. Celui-ci n'est ni le simple contact
avec l'expérience, ni son rejet pur et simple. Il est, essentiel-
lement, attitude de recherche, questionnement permanent
d'une réalité pratique par l'enfant qui utilise, pour ce faire,
un langage qui lui est propre, celui de l'expérience, percep-
tion et manipulation. Dans ce tâtonnement, la fonction de
l'erreur se fait essentiellement formatrice.
BIBLIOGRAPHIE

Les ouvrages de C. Freinet


Pour l'école du peuple, Paris, Maspero, 1969 (ancien titre : L'école
moderne française).
L'éducation du travail, Neufchâtel, Delachaux & Niestlé, 1960.
Essai de psychologie sensible, Neufchâtel, Delachaux & Niestlé, t. 1
(1966), t. 2 (1971).
Les dits de Mathieu, Neufchâtel, Delachaux & Niestlé, 1959.
Le tâtonnement expérimental, Cannes, CEL, 1966.
La méthode naturelle, t. 1 : L'apprentissage de la langue; t. 2 : L'appren-
tissage du dessin, Neufchâtel, Delachaux & Niestlé, 1968.

Les études sur C. Freinet


M. BARRE, Freinet et l'école moderne, Cannes, BT2, 1987.
P. CLANCHE et J. TESTANIÈRE, Actes du colloque Actualité de la péda-
gogie, Freinet, Bordeaux, Presses Universitaires, 1989.
E. FREINET, Naissance d'une pédagogie populaire, Paris, Maspero,
1968.
— L'itinéraire de C. Freinet, Paris, Payot, 1977.
G. PlATON, La pensée pédagogique de C. Freinet, Toulouse, Privat,
1974.

Une bibliographie complète sur Célestin Freinet peut être consul-


tée dans H. SEMENOWICZ, Bibliographie internationale de Célestin et
Elise Freinet, Paris, INRP, 1986.

Quelques repères

Contre le verbalisme. — Une des graves erreurs des parents et des


éducateurs est de supposer encore que l'éducation formelle, verbale, ou
même sensible, peut avoir quelque action sur la formation de la person-
nalité, et qu'il suffira de faire des observations à l'enfant, de lui expli-
quer les raisons possibles de ses actes, de lui faire comprendre l'erreur
ou l'illogisme de son comportement pour redresser une ligne de vie
défectueuse.
Tout cela est, pratiquement, d'une portée illusoire : tenez-vous
bien à table, et l'enfant se tiendra bien; si l'un de vous pose ses
coudes sur la table, l'enfant fera de même; si vous mangez propre-
ment, l'enfant vous imitera et mangera proprement. Il imite naturel-
lement vos gestes, vos attitudes, vos tics. Il imitera de même votre
comportement vis-à-vis des événements profonds de la vie. Il sera
probe et sincère si vous êtes probes et sincères, indélicat et menteur
si, malgré vos théories ou vos raisonnements logiques, vous êtes indé-
licats et menteurs dans votre comportement familier. Il imite de
même les enfants avec lesquels il vit. Et c'est à ce titre que le vieil
adage est plus exact qu'on ne croit : « Dis-moi qui tu hantes, je te
dirai qui tu es. »
... Que dire de l'Ecole qui a cru tellement à la toute-puissance du
verbe, des leçons de morale, des observations, des lectures élevées,
toutes choses qui ne sont pas inutiles dans la mesure où sait les vivre
celui qui les enseigne. Les leçons scolastiques ne sont jamais qu'un atti-
rail rapporté, qui s'imbrique mal dans la vie des enfants, qui peut
influencer l'intellect, mais non le comportement.
Ce qui compte par contre, ce sont les habitudes de vie que vous
allez donner, les exemples d'ordre, de bonne discipline, de respect, de
droiture, de désintéressement, de dévouement à la communauté dont
vous imprégnerez toute la vie scolaire. C'est cela qui marquera vos
élèves et non les acquisitions intellectuelles et formelles que vous leur
distribuerez.
La pédagogie moderne s'oriente vers cette conception. L'institu-
teur était trop autrefois le prêcheur qui donnait des leçons de dignité,
d'amour filial, puis battait parfois férocement ses propres enfants, qui
parlait d'humilité tout en faisant de l'orgueil l'assise fragile de son pres-
tige. Tout comme le curé qui se dépendait verbalement dans les trémo-
los de ses prêches, mais dont la vie restait en constante contradiction
avec les enseignements du Christ.
... Ce n'est jamais par l'abstention ou la répression qu'il faut tâcher de
résoudre des problèmes, jamais par l'inhibition mais toujours par l'audace
de l'action.
Et puis nous influerons sur la perméabilité à l'exemple. Nous
savons que cette perméabilité est d'autant plus effective que l'individu
a organisé sa vie sur des principes qui satisfont ses besoins essentiels.
Satisfaisons pratiquement ces besoins et la chaîne sera solidement for-
gée, si solidement qu'aucun maillon étranger ne pourra venir s'y incor-
porer. L'exemple nocif pourra se plaquer un instant sur le comporte-
ment, il ne s'intégrera pas à la chaîne.
Cette satisfaction pratique des besoins essentiels de l'enfant est le
principe même de la pédagogie que nous œuvrons à préparer et à
répandre, tout entière centrée autour des vertus individuelles et sociales
du travail.
L'enfant qui, à l'école, a trouvé un travail à sa mesure, reste imper-
méable aux exemples les plus tentants qui ne sont pas à l'unisson de ses
préoccupations dominantes. L'enfant qui, à l'école ou dans la rue, est
dominé par une enthousiasmante préoccupation constructive, reste
insensible aux mauvais exemples qui glissent sur lui sans marquer pro-
fondément.
De là viennent les vertus préventives et curatives de notre pédagogie.
Essai de psychologie appliquée à l'éducation,
Delachaux & Niestlé, 1966.

Les vertus du tâtonnement. — Si l'individu n'est sensible qu'à l'appel


impérieux de son être et aux sollicitations extérieures, ses réactions se font
mécaniquement, en raison seulement de la puissance de l'appel et des
variations des circonstances ambiantes.
Chez certains individus — animaux ou humains — intervient une
troisième propriété : la perméabilité à l'expérience qui est le premier éche-
lon de l'intelligence. C'est à la rapidité et à la sûreté avec lesquelles l'indi-
vidu bénéficie intuitivement des leçons de ses tâtonnements que nous mesu-
rons son degré d'intelligence.
Voyons comment cette loi se traduit sur le plan de la pédagogie.
Ce processus de tâtonnement, complété par ce principe de la per-
méabilité à l'expérience dont aucune pédagogie existante n'a marqué la
portée est un processus universel et général. Mais l'être humain passe
plus ou moins rapidement par divers stades.
Le nouveau-né ne se contente pas longtemps de ses tâtonnements
mécaniques ; il évolue très vite vers la forme intelligente des tâtonne-
ments.
Il a faim ; sa main s'agite pour essayer de saisir le biberon dont il a
besoin. Mais il se rend bien vite compte que ce geste est impuissant et
vain. Il cherche alors une autre solution, comme le chien qui a constaté
au premier contact l'impossibilité de franchir la porte grillagée. Il crie...
Si ses cris ne sont pas plus efficaces, il essayera une agitation plus
accentuée. Il soulèvera la tête et ses cris exploseront dans un accès de
rage. La lumière le gêne : il ne se contente pas longtemps de cligner des
yeux. Il a bien vite la notion intuitive de l'insuffisance de cette réaction.
Il essayera de tourner la tête. Si cela est insuffisant, il gesticulera. A
défaut, il criera.
Le rythme de franchissement de ces divers stades peut varier à l'in-
fini selon les individus. Ce qui caractérise justement les anormaux, c'est
qu'ils semblent imperméables à leur expérience tâtonnée ou que, du
moins, l'imprégnation de l'être par les comportements automatiques se
fait très lentement. Chez les enfants normaux ou les surdoués toute
goutte qui tombe laisse sa trace sur une surface sensible qu'un geste ou
une ombre suffisent à impressionner. Chez les retardés, l'eau tombe sur
le roc. Ce n'est qu'au bout des années qu'on distingue une faible trace.
Si l'individu reste totalement fermé aux enseignements de l'expé-
rience, il est totalement inintelligent. On peut tout juste attendre de lui la
réaction mécanique qu'exige la satisfaction des besoins physiologiques.
... Ces considérations tendent à désintellectualiser certains proces-
sus. Il n'y a pas, à la base, comme on l'a trop vu jusqu'à ce jour, et
comme on le pense encore couramment, une pure question d'intelli-
gence, mais bien d'abord des normes de vie plus ou moins favorables
au tâtonnement expérimental. Et c'est sur ces normes de vie, inté-
rieures et extérieures, qu'il nous faut agir si on veut développer et
exalter l'intelligence.
Ibid.

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