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Charlemagne
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BIOGRAPHIES EXPRESS
Collection dirigée par Jean-Marc Simon
––––––
Léonard de Vinci, itinéraires et lignes d’ombres
Philippe Parizot-Clerico
François Mitterrand ou le triomphe de la contradiction
Jacques Patoz
Lawrence d’Arabie ou l’Épopée des sables
Raphaël Lahlou
Jackie Kennedy, une femme blessée
Jean-Marc Simon
Napoléon III ou l’obstination couronnée
Raphaël Lahlou
–––––––––––––
Illustration de couverture :
OLIVIER HANNE
Charlemagne
l’empereur des temps hostiles
A
insi parlait Nithard, petit-fils de Charlemagne, en
841. La légende s’était déjà emparée du personnage,
nimbant de sainteté et de nostalgie son règne révolu.
Après quasiment un demi-siècle sur le trône des Francs, son
souvenir s’associait désormais au mythe lancinant de l’âge
d’or. Pourtant, la documentation carolingienne du IXe siècle,
bien que partiale et lacunaire, ne décrit pas d’abord une
figure héroïsée, mais permet de découvrir à la fois un
homme, un chef de famille, un roi germanique et un orga-
nisateur exceptionnel.
Charles – ou Karolus, comme l’écrivent les sources – est
le fils aîné de Pépin II le Bref, roi des Francs. Il est né un
2 avril, sans doute en 747, bien que l’on ait longtemps
hésité avec l’année 742. Sa mère, Berthe (ou Bertrade),
d’une haute famille de l’aristocratie mérovingienne, était la
fille du comte de Laon, Caribert. Son lieu de naissance n’est
précisé dans aucun document, mais il est possible que
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pagnant son père Pépin dans ses expéditions, lui font décou-
vrir un pays de forêts profondes et de clairières menacées par
les loups. Pourtant, à l’orée des bois, se multiplient les défri-
chements, si bien que les zones habitées et cultivées sont
plus nombreuses en ce milieu du VIIIe siècle que cent ans
plus tôt. Le climat semble même connaître alors un léger
réchauffement.
Dans ce vaste royaume d’une quinzaine de millions d’ha-
bitants, les moteurs de l’activité économique ont quitté les
cités romaines pour s’installer dans les terres de la noblesse
barbare. Les villes n’ont plus leur faste d’antan. Elles dépas-
sent rarement deux ou trois mille habitants. Leurs murailles
et leurs tours sont en ruine. Lutèce, que l’on appelle désor-
mais Paris, a perdu plus de la moitié de sa population en
trois siècles. Rome est passé d’un million d’habitants au
IIIe siècle, à quelques milliers. Les ports du sud de la Gaule,
Marseille en tête, ne sont plus reliés à la Méditerranée orien-
tale. Le monnayage d’or a laissé place au denier d’argent. Les
vieilles administrations civiles romaines se sont effacées
devant l’évêque et le roi. Quelques communautés juives,
juridiquement protégées et même favorisées, maintiennent
un commerce urbain, parfois international. Mais l’écono-
mie est d’abord rurale et agricole.
Une fois installées et progressivement acculturées par
mariages aux élites gallo-romaines, les grandes familles
franques ont obtenu du roi, en récompense de leur fidélité,
d’immenses domaines à exploiter. Les ancêtres de
Charlemagne ont été particulièrement bien lotis en
Austrasie. Des troupeaux d’esclaves les mettent en culture
pour leurs maîtres, mais le travail servile tend à disparaître ;
peu rentable, moins nécessaire avec la croissance démogra-
phique, il est en plus ouvertement condamné par l’Église. À
la place de leurs esclaves, les grands propriétaires emploient
de plus en plus des tenanciers qu’ils casent sur des lopins de
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vant de mourir et d’être inhumé à Saint-Denis,
Pépin a partagé son royaume selon les règles de la tra-
dition franque. Ses deux fils, Charles et Carloman,
ont reçu une part équivalente du Regnum Francorum, habi-
tude germanique qui n’est pas sans menacer à chaque partage
les acquis du règne précédent. Aussi, afin de contraindre les
deux jeunes gens à collaborer et donc à conserver une cer-
taine unité au royaume, leurs capitales sont très proches :
Soissons pour Carloman, Noyon pour Charles. De plus, les
deux territoires semblent ingouvernables l’un sans l’autre.
Celui de Charles dessine un vaste arc de cercle qui s’étire
depuis la Gascogne, prend l’ouest de l’Aquitaine, l’essentiel
de la Neustrie et le nord de l’Austrasie, tandis que celui de
Carloman est plus regroupé autour de la Provence, de la
Bourgogne, de l’Alémanie et du sud de l’Austrasie. Malgré
leur apparente cohésion, les possessions de Carloman restent
très hétérogènes, notamment sur le plan ethnique et culturel.
Les fils ont ainsi reçu chacun une part de l’Austrasie, le cœur
du Regnum, là où se situent leurs origines dynastiques, les
grands domaines et les fidèles les plus nombreux.
Charles a vingt et un ans. Son frère dix-sept. Leur mère,
Berthe, issue des comtes de Laon et mariée à Pépin en 744,
est une femme de caractère qui veut maintenir la confrater-
nité prévue par son époux. Mais les deux frères ne s’entendent
pas. Est-ce la faute du cadet ? Les chroniqueurs ont retenu
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femme n’avait encore que treize ans. Elle lui donna cinq
filles et quatre fils, qui reçurent chacun une responsabilité
dans le gouvernement. Charles le Jeune, né en 772, fut asso-
cié à la direction de la Francia et de la Saxe, et prit la tête des
opérations militaires contre les Slaves. Pépin fut nommé roi
des Lombards. Louis Ier, roi d’Aquitaine, devait succéder à
son père à la tête du royaume.
Le roi dut être un père plus exigeant envers ses garçons
que ses filles. Dès l’âge venu, c’est-à-dire avant dix ans, ses
fils apprirent à monter à cheval, à manier les armes et à chas-
ser. Ils l’accompagnèrent très tôt dans ses voyages, afin de
s’initier à ses côtés à l’art de la guerre et du commandement.
Il lui fallut parfois être sévère. Si la révolte de Pépin le Bossu
le blessa profondément, Charlemagne n’hésita pas à punir
son fils à l’enfermement perpétuel dans un monastère.
Pourtant, le temps venant, le roi vieillissant s’adoucit et
envoya des messagers dans sa prison. « […] ils le trouvèrent
dans le jardin avec les moines les plus âgés, occupé, pendant
que les plus jeunes vaquaient à des travaux plus rudes, à
arracher avec une bêche les orties et les mauvaises herbes. »
Venus au nom du roi pour faire la paix avec lui, le Bossu
rabroua les messagers et refusa cette main tendue en disant :
« Si Charles attachait le moindre prix à mes avis, il ne me
tiendrait pas ici pour être si indignement traité ; je ne lui
demande rien, dites-lui seulement ce que vous m’avez vu
faire. » Père et fils ne purent se réconcilier.
Pourtant, Charles aime son entourage familial et peine à
s’en séparer durant les campagnes et les rassemblements.
Une anecdote raconte que, remarquant un de ses petit-fils
parmi la foule, il le fit appeler près de lui et l’embrassa. Puis
l’enfant, au lieu de retourner avec les autres, vint se mettre à
la hauteur de Louis d’Aquitaine, son père, à la place des rois.
Charlemagne voulut alors le renvoyer, mais l’enfant provo-
qua son étonnement en lui lançant : « Quand j’étais votre
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tueux avec les siens et chaleureux avec tous ceux qu’il croise,
humbles ou puissants. Facilement épris par la beauté,
Charlemagne aime les femmes, autant ses épouses que ses
concubines. Ses mœurs sont plutôt libres et il ne rejette pas
la polygamie traditionnelle, d’autant qu’elle n’est pas encore
explicitement condamnée par l’Église. Parmi ses autres traits
de caractère, on note surtout qu’il nourrissait la sympathie
et l’affection de tous, ce qui correspond bien à ce que l’aris-
tocratie germanique attendait de son roi. Les amitiés ne
manquaient donc pas autour de lui, peut-être plus sincères
qu’on pourrait le penser. Lui-même était loyal envers ses
amis, « par-faitement équilibré, dit Eginhard, se donnant
facilement, d’une fidélité à toute épreuve, vouant à ceux
avec qui il s’était lié l’affection la plus sacrée. »
Faut-il préciser qu’il était courageux et volontaire ? Ce
trait paraît tellement évident dans toutes les sources qu’on
viendrait à en douter si les événements ne le confirmaient de
façon frappante. Son sens du fait politique est très net.
Lorsqu’une révolte éclate, il cherche d’abord à en com-
prendre les causes. La répression vient après. On ne peut
douter non plus de ses qualités de diplomate, qualités qu’il
développe plus particulièrement avec les peuples germa-
niques dont il connaît les mentalités. Il semble moins à l’aise
dans les arcanes plus complexes des négociations italiennes
ou byzantines. À la guerre, il est un tacticien remarquable et
sait utiliser intelligemment les atouts de ses troupes et du
terrain. Il veille d’ailleurs à toujours attaquer avec l’avantage
du nombre ou de la force, ce qui nuance peut-être son sens
militaire. On ne peut d’ailleurs en faire un grand stratège,
sans doute parce que l’époque et ses moyens administratifs
limités le voulaient. En effet, il n’a pas de plan d’ensemble
pour ses conquêtes, ni encore moins lors des répressions des
révoltes. Dès le printemps, on le voit aller et venir d’un bout
à l’autre de son royaume, étouffant à grand-peine des feux
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pays par une armée divisée en trois corps. Cette armée porta
de tous côtés l’incendie et le pillage, extermina, tua ceux qui
voulurent résister, et revint avec un immense butin. » En
777, son premier objectif paraît atteint : le sud de la Lippe
lui obéit et les premiers missionnaires sont envoyés par le
monastère royal de Fulda. Ils parviennent rapidement à
évangéliser les populations saxonnes asservies. Les princi-
paux chefs des Saxons de l’ouest viennent même se sou-
mettre au palais de Paderborn et promettent de recevoir le
baptême. Il n’en manque qu’un seul, Widukind, appelé le
« duc des Saxons », qui s’est enfui chez les Danois.
Néanmoins, ces succès obtenus à force de ténacité et de ter-
reur donnent au roi confiance dans la suite des opérations.
Toute la Saxe tombera bientôt comme un fruit mûr.
Pourtant, il semble que Charlemagne ait trop présumé de
ses forces en ce début d’année 778. Croit-il réellement que
l’ordre et l’épouvante qui pèsent sur sa marche saxonne lui
assureront une paix sincère et durable ? Sa réussite lui a-t-
elle fait miroiter d’autres conquêtes possibles ? Pense-t-il
vraiment que ses troupes peuvent opérer sur plusieurs fronts
à la fois, sur de longues périodes, au mépris des traditions
germaniques de la guerre ? Quoi qu’il en soit de ses raisons,
lui d’ordinaire si prudent dans la conduite des combats, se
lance dans une autre aventure militaire, plus risquée.
Une occasion inespérée se présente. Durant l’hiver, arrive
au palais de Paderborn un groupe de chefs arabes, menés par
Ibn el-Arabi, gouverneur musulman de Saragosse, en conflit
ouvert avec son suzerain, l’émir de Cordoue. Il propose au
roi chrétien une alliance de circonstance et lui offre de l’ai-
der à conquérir les villes sarrasines du nord de l’Espagne. À
la fierté de se voir reconnu par des infidèles, s’ajoute sans
doute chez lui l’espoir de répéter l’exploit de son grand-père,
Charles Martel, contre les païens, mais cette fois sur leurs
terres. Dès le printemps, il met en branle d’énormes moyens
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cendres, sera mis à mort. Tout Saxon non baptisé qui cher-
chera à se dissimuler parmi ses compatriotes et refusera de
se faire administer le baptême, sera mis à mort. » On en
vient même à punir de la peine capitale quiconque mangera
de la viande durant le Carême. Charlemagne met ainsi sur
le même plan le crime religieux et le crime politique, parce
que tous deux reflètent l’esprit d’insoumission de la Saxe. Il
utilise l’Église au profit de sa conquête. Les résultats ne se
font pas attendre, puisqu’en quelques mois la paix revient en
Saxe, les conversions se multiplient et les chefs se rallient en
masse. Widukind lui-même est contraint d’abandonner la
résistance. Il reçoit le baptême au palais d’Attigny, avec
Charlemagne pour parrain. Bien qu’obtenue dans le sang, la
réussite est complète.
En Italie, Charles a décidé de ne pas respecter son enga-
gement envers le pontife romain. Le pape Hadrien, qui tient
à son indépendance, a beau l’auréoler du titre impérial de
« Nouveau Constantin », Charles ne lui concédera pas les
vastes territoires promis lors de son premier voyage, en 774.
La situation tendue dans le royaume lombard l’incite encore
moins à se dessaisir d’une partie de ses États. Une véritable
amitié lie néanmoins le pape et le roi, à tel point qu’à la
mort d’Hadrien, il le pleurera « comme s’il avait perdu un
frère ou un fils chéri. »
Les révoltes sont endémiques et contraignent Charles à
intervenir avec ses troupes en 780. Il en profite pour accom-
plir son second pèlerinage à Rome et faire baptiser son fils
Carloman. Au cours de son voyage, le roi impose des comtes
d’origine franque dans toute l’Italie du Nord et empiète sur
les Territoires de Saint-Pierre en profitant de la faiblesse du
nouveau pontife, Léon III. Arichis de Bénévent, duc pieux
et fastueux, gendre de Didier, le roi déchu, tient tête à
Charles avec le concours des Byzantins. L’impératrice Irène,
qui assure la régence pour son fils Constantin VI, cherche à
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pagnes entre 795 et 812, sans doute poussé par les divisions
dans l’émirat de Cordoue, les dangers de la piraterie sarra-
sine et l’exigence de la lutte contre les païens. La cité de
Huesca se rend d’abord, en 799. Puis c’est au tour de
Barcelone de tomber, en 801, après un siège de deux ans.
Zata, son gouverneur sarrasin, est capturé et emprisonné.
Charles peut alors constituer une Marche d’Espagne (Limes
Hispanicus), essentiellement constituée des régions situées
entre l’Ebre et les Pyrénées. Le succès est donc limité, mais
réel, puisque le roi des Francs a su reprendre position dans
la région, malgré son premier échec, et ainsi renouer avec le
souvenir de Charles Martel.
À partir de 800 et jusqu’à la mort de Charles, en 814, le
Regnum connaît enfin la paix. Du moins à l’intérieur de ses
frontières, car les combats continuent aux abords des
marches. Il faut se défendre des incursions slaves et des
pirateries danoise et sarrasine. Pourtant la « paix caroline »
est bien là. La mobilisation des troupes devient d’ailleurs
plus difficile, désertions et abstentions se multiplient. Il est
possible que l’administration comtale soit devenue plus
efficace en cette fin de règne et qu’elle ait essayé d’imposer
de nouvelles obligations militaires. Certains hommes ten-
tent d’échapper à ces devoirs qui pèsent lourd, particulière-
ment chez les paysans pauvres. Mais l’Hériban, l’amende
prévue en cas de désertion, est très élevée : soixante sous.
Afin de faire face aux difficultés de la mobilisation et par
souci d’équité, Charlemagne légifère et remplace pour les
pauvres le service par une taxe. Le capitulaire de 808 rap-
pelle qu’en théorie tous les hommes libres doivent l’aide
militaire, mais impose un service partagé : quatre paysans,
appelés les « aidants », paient l’équipement de l’un d’entre
eux, le « partant ».
Malgré la mise en place de ce système plus juste,
Charlemagne abandonne progressivement le principe de la
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III
BÂTIR ET GOUVERNER
H
abitué aux conditions de la vie guerrière et aux
longues chevauchées à travers le royaume, Charles
apprécie d’autant plus le confort de ses palais
lorsque survient la trêve hivernale. Comme tous les
monarques de son temps – hormis l’Empereur byzantin –
Charles est un roi itinérant qui transporte son administra-
tion et sa famille d’un domaine à l’autre, sans jamais se fixer
au même endroit deux hivers de suite. Il faut se déplacer
pour se montrer à tous les sujets du royaume, visiter les dif-
férents lieux de pèlerinage et nourrir la cour.
Il aime ses riches villas rurales et veille à nommer des inten-
dants de qualité pour les quelque six cents exploitations qu’il
détient à travers tout le royaume. Dans le capitulaire De Villis,
promulgué vers 800, Charlemagne impose une série de règles
très précises, voire tatillonnes, pour la gestion de chaque
domaine public. Rien n’est laissé au hasard : l’entretien des
étalons et des juments dans les haras royaux, le nombre et
l’époque des saillies, la date de la remise des comptes par l’in-
tendant, les entrepôts de semences, l’époque des labours, des
semailles, des moissons, l’entretien des pressoirs, des forêts,
des bâtiments. Il va jusqu’à imposer pour chaque exploitation
un équipement minimal en linges de table et en récipients,
particulièrement ceux en fer, comme les crémaillères, les
chaudrons et les haches. Ce souci du détail montre que
Charles tient à être entretenu le mieux possible par ses
domaines et que rien ne doit être négligé pour le fonctionne-
ment de ses exploitations et la vie de sa cour.
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L’I NT END AN T D E DI E U
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eu d’époques furent plus essentielles pour l’histoire
« de la culture et de la civilisation occidentale que
celle de Charlemagne et de ses successeurs immé-
diats. » Cette affirmation de l’historienne Gabrielle
d’Archimbaud rend sa juste place au règne de Charles dans
les évolutions culturelles, place trop souvent limitée à « l’in-
vention de l’école ». Ses décisions dans le domaine intellec-
tuel dépassent largement ce simple cliché et ont même favo-
risé le démarrage d’une renaissance, fondée à la fois sur l’hu-
manisme, l’amour des Belles-Lettres et la culture religieuse.
Lorsque Charles monte sur le trône de Pépin le Bref, la
rénovation a déjà commencé, notamment sous l’action de son
père. En favorisant les grandes abbayes royales et la diffusion
du monachisme, Pépin a assuré un certain dynamisme cultu-
rel, car toute science, tout savoir écrit, se transmet d’abord
dans les monastères. En effet, au moment des pires troubles
en Europe occidentale – entre les Ve et VIIe siècles – la culture
classique et la langue latine ont pu se maintenir dans les
monastères, notamment irlandais, où elles se sont rapidement
christianisées en rencontrant la liturgie et l’Écriture sainte. Si
bien qu’au sortir du chaos, la culture antique n’est plus tout à
fait la même qu’avant. Ses détenteurs ne sont plus des aristo-
crates romains ou des lettrés profanes, mais uniquement des
hommes d’Église, et surtout des moines.
Charles dut sentir très tôt l’importance de la culture pour
son pouvoir, et certains textes le prouvent. En prologue à un
recueil d’homélies, le roi annonce lui-même ses objectifs :
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L’ E M PI RE REN AÎ T EN OC CI D E N T
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rente ans après son avènement, vers le milieu des
années 790, Charlemagne est déjà comblé de tous
les honneurs et fort de vastes conquêtes. Incontesté
parce que victorieux, magnanime parce que puissant, il est
en passe de devenir pour ses contemporains le plus grand roi
des Francs. La mémoire de ses aïeuls ne peut soutenir la
comparaison. Qu’il s’agisse de son grand-père, Charles
Martel, ou encore de son père, Pépin le Bref, nul n’a autant
marqué ses sujets. De son vivant, il est déjà presque une
légende.
Et pourtant, certains membres de son entourage, surtout
les clercs, laissent entendre qu’il lui manque un titre de
gloire. On le persuade en effet qu’un ultime honneur lui
revient naturellement. Charles n’a pas encore revêtu la
suprême dignité impériale. Les années qui s’écoulent de 796
à 800 vont être tendues par la perspective du couronnement
impérial du 25 décembre 800, par la signification que
Charlemagne veut lui donner, et par celle – souvent diffé-
rente – que les autres protagonistes du couronnement vou-
dront lui conférer. La rénovation de l’empire est l’un des
faits majeurs du Moyen Âge, une date qui est demeurée
récurrente dans les mémoires des hommes d’Église et des
princes ; une date qui, pour Charlemagne, consacra l’apogée
de son pouvoir, et sonna aussi l’amorce d’un déclin. Après le
tournant du siècle, l’idéalisme laissa place à l’amertume. Les
contemporains eux-mêmes eurent clairement conscience
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der notre armée afin que, par votre intercession et par le don
du Dieu qui le guide, le peuple chrétien ait toujours et par-
tout la victoire sur les ennemis de son saint nom ». Charles
limite ainsi la fonction pontificale à la prière. Comme dans
le livre de l’Exode, lorsque Josué combattait tandis que
Moïse priait, le pape assure par ses oraisons un rôle d’inter-
cession entre Dieu et le nouvel Israël, c’est-à-dire le peuple
franc. À la lumière de cette lettre, il est entendu que le pon-
tife romain n’a pas le pouvoir de commander l’Église ni
l’épiscopat.
Ainsi les prétentions impériales de Charles passent-elles
par l’accroissement de son autorité sur l’Église. Parce que
son royaume s’est dilaté jusqu’à embrasser toute la
Chrétienté latine et l’ancien Empire d’Occident, parce qu’il
a le contrôle de l’Italie et surtout de Rome, capitale des
empereurs et de la papauté, Charlemagne est naturellement
appelé à revêtir la dignité impériale. La Pax carolina est une
restauration de la Pax romana. Aix-la-Chapelle est devenue
la troisième Rome, de même que Byzance fut la seconde en
son temps. On invente l’idée d’une confusion géographique
entre le royaume des Francs, l’Empire et la Chrétienté,
confusion qui amène nécessairement à soutenir la candida-
ture de Charles.
L’empreinte d’Alcuin est frappante dans la marche qui
mène Charles au couronnement impérial. Par une lettre
adressée au roi en 798, il le salue par les mots de rex et prae-
dicator – « roi et prédicateur » –, puis tuba praedicationis –
« trompette de la prédication ». Il souligne encore que
Charles doit admonester, exhorter et enseigner, qu’il est le
« guide des errants », choisi par Dieu ; autant d’expressions
qui renforcent l’idée que le roi a une fonction sacerdotale.
Ces formules, enfin, se rapprochent des usages de la chan-
cellerie byzantine où l’Empereur est appelé « Didascale
(enseignant) de la foi » et « Nouveau Paul ». Le pape Léon
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VI
C H AR L EMAG N E, NOUV EAU M O Ï S E ?
800-814
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ne fois couronné Empereur, Charlemagne doit
encore imposer son nouveau titre et surtout le faire
accepter par Byzance. Afin d’obtenir cette recon-
naissance indispensable, il fait pression sur les derniers terri-
toires grecs en Italie et envahit la Vénétie, plaque tournante
du commerce byzantin en Occident. Les deux empires
entrent alors en guerre. Profitant de l’éviction de l’usurpa-
trice Irène, en 802, Charles renoue des contacts diploma-
tiques avec le nouveau Basileus, Nicéphore Ier. Mais si, dans
sa correspondance, Charlemagne l’appelle son « frère »,
l’autre lui répond obstinément par « mon fils ». Il faut donc
continuer la guerre tant que Byzance ne cède pas. Entre-
temps, la diplomatie carolingienne porte ses fruits, et le
monde entier – à défaut du Basileus – semble rendre hom-
mage au nouvel Empereur. En 802, le juif Isaac, ambassa-
deur exceptionnel dépêché par Charles auprès du roi de
Perse, revient de son extraordinaire voyage. Il est accompa-
gné de deux émissaires du « roi des Sarrasins » et d’un élé-
phant nommé Aboulabas, chargé de présents, dont des
singes, du baume, des essences rares, des épices et des
drogues médicinales. « Il semblait qu’ils eussent épuisé tout
l’Orient pour en remplir l’Occident. » Quelques années plus
tard, le même roi de Perse envoie encore à l’Empereur franc
une horloge aux mécanismes compliqués, objet encore
inconnu en Gaule. Ces marques de respect rendues par le
souverain d’un royaume lointain, légendaire et païen, ren-
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EPILOGUE
D
ans l’œuvre de Charlemagne, les ambitions demeu-
rées à l’état de projet frappent autant que les réali-
sations grandioses, conquêtes ou constructions. Et
pourtant, que de limites au personnage et à son Empire !
Celui-ci, en effet, était bien trop vaste et trop hétérogène
pour permettre un tel programme. Seules l’Austrasie et la
Neustrie correspondaient vraiment aux régions franques,
c’est-à-dire à la zone de contrôle direct de Charles. Partout
ailleurs, les particularismes l’emportaient, malgré les velléi-
tés centralisatrices du Palais. La diversité des lois constituait
un barrage absolu à l’unification juridique, puisque d’une
région à l’autre les codes variaient : Loi salique pour les
Francs, Code théodosien pour les Romains, ou encore Loi
lombarde en Italie. Même Louis le Pieux dut accepter
d’adapter en Aquitaine la législation de son père, sans
jamais pouvoir l’appliquer telle qu’elle. L’obstacle des
langues demeurait lui aussi permanent et, malgré la place
dominante du latin dans l’administration et l’Église, les
sujets du roi ne se comprenaient pas entre eux. Cette diver-
sité obligeait les Missi à être au moins trilingues et gênait
considérablement la conduite des troupes et l’application
des réformes.
Les ambitions de Charlemagne, qu’elles fussent vraiment
les siennes ou celles de son entourage, étaient ainsi des hori-
zons inacessibles. Certaines portaient même en germe de
dangereuses confusions, tels les liens sans cesse plus étroits
entre l’Église et l’État, entre la conscience des fautes et la
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N.B. : Les traductions du latin sont tirées des ouvrages de la bibliographie, parfois
modifiées par l’auteur.
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