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Table des Matières

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DU MÊME AUTEUR

Epigraphe

Avant-propos

CHAPITRE I - Duc de Bourgogne

CHAPITRE II - Roi de Castille et d'Aragon

CHAPITRE III - Empereur d'Allemagne

CHAPITRE IV - La rencontre avec Luther

CHAPITRE V - La lutte contre François Ier

CHAPITRE VI - L'obsession bourguignonne

CHAPITRE VII - Le mariage avec Isabelle de Portugal

CHAPITRE VIII - Le triomphe des Habsbourg

CHAPITRE IX - L'Empire des Indes

CHAPITRE X - Le contrôle de la Méditerranée

CHAPITRE XI - Les premières épreuves

CHAPITRE XII - La paix de Crépy

CHAPITRE XIII - La guerre contre les protestants d'Allemagne

CHAPITRE XIV - La controverse de Valladolid


CHAPITRE XV - Le malheur de Metz

CHAPITRE XVI - L'abdication

CHAPITRE XVII - La retraite

CHAPITRE XVIII - La mort


 

ANNEXES

CHRONOLOGIE

LES ASCENDANTS DE CHARLES QUINT

LES VOYAGES DE CHARLES QUINT

LES ATTAQUES DE GOUTTE DE CHARLES QUINT DE 1528 À


1555

LES PAPES À L'ÉPOQUE DE CHARLES QUINT

INDEX

BIBLIOGRAPHIE
© Éditions Grasset & Fasquelle, 2000.
978-2-246-56119-4
DU MÊME AUTEUR
LA VICTOIRE SUR L'HIVER, Fayard, 1978.
L'ENJEU DE LA FORMATION PROFESSIONNELLE, Fayard, 1987
MÉMOIRES D'OUVERTURE, Belfond, 1990.
POLITIQUE EN JACHÈRE, Albin Michel, 1993.
VOYAGE EN NORVÈGE, Éditions de l'Armançon, 1995.
CHARLES LE TÉMÉRAIRE, Grasset, 1997.
MARGUERITE, princesse de Bourgogne, Grasset, 2002.
« Si l'Europe doit vivre, ce sera par l'esprit de la Bourgogne. »
OTTO DE HABSBOURG.
 
Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation

réservés pour tous pays.


LES POSSESSIONS DE CHARLES QUINT EN EUROPE ET EN
AFRIQUE
L'EUROPE DU DÉBUT DU XIVe A LA FIN DU XVIIIe SIECLE, par Jean
Bérenger, Philippe Contamine, Yves Durand, Francis Rapp, (P.U.F., 1980)
TABLEAU GÉNÉALOGIQUE
DE CHARLES QUINT
Avant-propos
Le 25 octobre 1555, à Bruxelles, dans le palais des ducs de Brabant, se
déroule l'un des événements fondateurs de l'histoire de l'Europe.
Vieilli, usé, le maintien sévère accentué par les vêtements de deuil qu'il
porte depuis la mort au printemps de sa mère Jeanne la Folle, la main sur
l'épaule du jeune prince d'Orange, l'empereur Charles Quint gagne
lentement son trône. Il a réuni pour la dernière fois les Etats généraux des
Pays-Bas.
Devant les députés des dix-sept provinces, les chevaliers de l'ordre de la
Toison d'or, ses sœurs les reines douairières de France et de Hongrie, les
ambassadeurs étrangers, l'empereur prend la parole. La grande salle du
palais est soudain silencieuse et froide. Charles Quint rappelle que, depuis
l'âge de dix-sept ans, il a inlassablement parcouru les routes de l'Europe
dans le seul but d'être présent là où le bien de ses sujets l'exigeait. Il est allé
neuf fois en Allemagne, six fois en Espagne, quatre fois en France, deux
fois en Angleterre et même deux fois en Afrique du Nord; il a navigué huit
fois en Méditerranée et trois fois sur l'Océan : aucun souverain n'a été plus
européen que lui  ! Mais, aujourd'hui, sa santé ne lui permet plus de
poursuivre sa tâche. Il quitte le pouvoir, volontairement, avant que celui-ci
l'abandonne. Il devient un obstacle au bon fonctionnement de l'Etat : il s'en
va.
Son abdication et le partage de ses possessions entre son fils Philippe,
l'Espagnol, et son frère Ferdinand, l'Autrichien, marquent la fin de l'Europe
médiévale.Les deux branches de la maison de Habsbourg, la première
renvoyée à l'espace ibérique et maritime, assise sur l'essor de l'empire des
Indes, la seconde, enracinée dans la terre allemande et bénéficiant de la
couronne impériale, ne se réuniront plus.
Désormais, le particularisme politique va triompher  : le temps est venu
des guerres de religion et des Etats nations.
Le 29 décembre 1558, lors de la cérémonie funèbre organisée dans
l'église Sainte-Gudule de Bruxelles par Philippe en la mémoire de son père
l'empereur, mort le 21 septembre au monastère de Yuste, Guillaume
d'Orange prononce d'une voix grave, frappant avec l'épée le cénotaphe vide,
la formule rituelle : « Il est mort ! Il restera mort ! Il est mort et un autre
s'est levé à sa place plus grand qu'il ne l'était ! » L'autre, c'est Philippe II.
Guillaume d'Orange vient d'annoncer la naissance de l'Europe moderne.
Charles Quint est né le 24 février 1500 à Gand. Au début du XVIe siècle,
le temps, immobile jusque-là, s'accélère; un flux de révolte et de
contestation se lève, qui va emporter le vieux monde médiéval. Charles
Quint s'oppose de toutes ses forces à cette lame de fond, mais ne peut
l'endiguer. Tout juste la retarder. Il est l'homme des racines, de l'héritage
reçu et transmis.
C'est un Flamand, qui ne sait ni l'espagnol ni l'allemand  : sa langue
maternelle est le français. Il porte le prénom de son arrière-grand-père,
Charles le Téméraire. Sérieux et appliqué comme lui, il est d'une activité
extraordinaire malgré une santé médiocre, passe sa vie à cheval, d'une
capitale à l'autre. Bon soldat et bon général, bon politique aussi et né pour la
politique  : duc de Bourgogne à quinze ans, roi d'Espagne à seize ans,
empereur d'Allemagne à dix-neuf ans. Il dévore l'Europe, s'oppose à
Soliman le Magnifique, prend Tunis, échoue devant Alger, devient roi des
mers et souverain du Nouveau Monde.
C'est un humaniste, disciple d'Erasme. Il rencontre Luther, condamne la
Réforme, mais répugne à la réduire par les armes. Avant d'engager la guerre
contre les protestants d'Allemagne, il recherche un compromis : il croit en
Dieu, il ne croit pas aux théologies – encore moins aux idéologies. Pour
réformer l'Eglise, il propose et obtient la tenue d'un concile universel, le
concile de Trente, qui ouvrira une nouvelle étape de l'histoire du
catholicisme.
Il aime Titien, les peintres italiens de la Renaissance. Il veut devenir un
nouveau César : remontant le Rhin en bateau, il dicte ses Mémoires comme
César a écrit ses Commentaires. Quand il n'est plus en mesure d'exercer le
pouvoir, il se retire à Yuste dans un monastère de l'Estrémadure. A la
rencontre de Dieu.
Cet homme a ses faiblesses aussi : il est goinfre comme on est Don Juan,
écrit de lui Giono, qui ne l'aime guère. Goutteux, ne pouvant se servir de ses
bras et de ses jambes, à Yuste il mange encore.
J'ai retracé sa vie, jour après jour, à travers sa correspondance, les
témoignages des hommes qui l'ont approché, les livres qui lui ont été
consacrés. Je l'ai suivi sur toutes les routes de l'Europe, mettant mes pas
dans les siens  : à Gand, Malines et Bruxelles, dans les Pays-Bas de son
enfance; en Espagne, à Séville où il se marie et Yuste où il meurt; en Italie,
à Bologne où il est couronné empereur par le pape; en Allemagne, à
Worms, Augsbourg et Ratisbonne où il réunit les diètes qui décident du sort
de la Réforme. J'ai parcouru les champs de bataille de la Marne, du Danube
et de l'Elbe où il remporte ses victoires décisives. J'ai plongé dans les
archives espagnoles de Simancas, belges de Bruxelles, autrichiennes de
Vienne. A la recherche du premier Européen des Temps modernes.
A la découverte aussi d'un règne né du hasard, riche de nombreux
retournements de situation. Cet homme si grand, si fait pour la politique, ne
devait pas régner  : sa mère, la reine Jeanne de Montherlant, est le
troisièmeenfant des Rois Catholiques. Charles n'accède au pouvoir que par
la mort de son oncle, de sa tante, de son cousin et de son père. Par la folie
aussi de sa mère.
Fontenelle imagine un dialogue des morts entre Erasme et l'empereur.
Erasme interroge  : « Toute votre grandeur n'a été qu'un composé de
plusieurs hasards ? » Charles Quint répond : « Oui, si l'on donne ce nom à
un ordre que l'on ne connaît pas1. »
1 Fontenelle, Nouveaux dialogues des morts, p. 209-217.
CHAPITRE I

Duc de Bourgogne

Charles est le fils de Philippe de Habsbourg, dit le Beau, et de Jeanne


d'Aragon, dite la Folle. Du côté paternel, ses grands-parents sont l'empereur
Maximilien d'Allemagne et Marie de Bourgogne; du côté maternel, les rois
Ferdinand et Isabelle d'Espagne.
Il naît à Gand le lundi 24 février 1500 dans le Prinsenhof, la résidence
des ducs de Bourgogne. Un lundi, comme son père à Bruges vingt-deux ans
auparavant. Du Prinsenhof construit au XIVe siècle, il ne reste rien  : tout
juste un porche et un pan de mur percé d'une fenêtre. Le 24 février, Philippe
le Beau donne une réception : nobles et échevins, banquiers et commerçants
se pressent dans les salles du palais. Fuyant la fête, Jeanne se réfugie dans
un cabinet, où ses dames de compagnie, inquiètes de son absence, la
trouvent en train d'accoucher1. Dans ses Chroniques, Jean Molinet précise
l'heure de la naissance  : quinze heures cinquante-six minutes. Mais, au
Moyen Age, les heures ne sont pas comptées comme aujourd'hui  : un
journouveau commence au lever du soleil et les heures de la nuit sont
rattachées au jour précédent2. Charles est donc né dans la nuit du 24 au 25
février, quelques heures après minuit3.
Pour son baptême, toute la ville de Gand est «en feu et en flammes4 ».
Une allée de bois, «élevée au-dessus du pavé d'environ trois pieds », a été
construite, pour des raisons de sécurité, entre le Prinsenhof et l'église Saint-
Jean, l'actuelle cathédrale Saint-Bavon  : elle permet aussi au peuple de
Gand de voir le spectacle. Elle est décorée de trois séries de treize portes.
Le Moyen Age aime les symboles  : trois, pour les «trois membres de
Flandre», Gand, Ypres et Bruges; treize, pour les treize membres de la
municipalité de Gand. A la fin de chaque série, trois portiques célèbrent la
Sagesse, la Justice et la Paix, qui constituent les aspirations premières des
Pays-Bas. Tout le chemin du cortège est éclairé de « plus de dix mille
flambeaux ». Sur la Lys, des musiciens ont pris place sur un bateau. Un
funambule court sur une corde tendue entre le beffroi et la flèche de l'église
Saint-Nicolas.
Ouvrent la marche les doyens des corporations, les échevins, les nobles,
au nombre de « trois à quatre cents ». Derrière eux, Henri de Nassau tient le
cierge du baptême, Jacques de Luxembourg la salière, Philippe de
Bourgogne le bassin et Ferry de Croy l'aube. Suivent les parrains et les
marraines : Charles de Croy et Jean de Berghes ; Marguerite d'Autriche et
Marguerite d'York, duchesse douairière de Bourgogne. La veuve de Charles
le Téméraire porte le prince dans ses bras; Jean de Luxembourg, Eléonore,
la fille aînée desducs de Bourgogne, que les Gantois ne connaissent pas
encore5.
Dans l'église Saint-Jean, le prince héritier reçoit le nom de Charles en
l'honneur de son arrière-grand-père, Charles le Téméraire, et le titre de duc
de Luxembourg, en mémoire de l'empereur Charles IV. Ses parrains lui
offrent un casque d'argent et une épée à poignée d'or, ses marraines une
patère et un gobelet garnis de pierres précieuses; l'évêque de Tournai une
Bible et le magistrat de Gand «un navire en argent avec tous ses agrès »,
symbole du commerce maritime des Pays-Bas. A la sortie de l'église, des
écuyers jettent au peuple des médailles d'or et d'argent. Les révoltes de 1467
contre Charles le Téméraire et de 1477 contre Marie de Bourgogne sont
oubliées  ! Les fêtes du baptême présentent le tableau d'une société
turbulente et inquiète, jamais rassasiée de spectacles, s'ébrouant à l'aube du
XVIe siècle.
Aucun prince n'eut en naissant plus belle perspective  : par sa mère,
Charles peut prétendre aux couronnes de Castille et d'Aragon, régner sur
Naples et la Sicile; par son père, recevoir l'héritage des maisons de
Bourgogne et d'Autriche. Décrivant ses possessions, Michelet évoque « un
chaos énorme de royaumes jeté dans son berceau »  ; il voit en Charles
l'adversaire des Etats nations en formation, de la France et de François Ier6.
Mais, des territoires dont il héritera, Charles Quint fera un véritable empire,
jetant les bases d'une organisation nouvelle de l'Europe, fondée sur l'idée
dynastique. Ses ancêtres sont issus de presque tous les pays européens  :
Charles est «prince de races multiples7 ».
Si l'on remonte à la sixième génération, il n'a pastrente-deux ascendants,
comme c'est généralement le cas, mais vingt-quatre seulement : ses ancêtres
se sont mariés plusieurs fois entre eux. Ainsi, le couple Jean de Portugal et
Philippa de Lancastre figure trois fois dans la liste de ses ascendants; deux
autres couples, deux fois8. Parmi ses vingt-quatre ascendants, quatorze sont
d'origine ibérique, trois sont Français, deux sont Anglais. Les cinq autres
sont Flamand, Italien, Polonais, Lituanien et Allemand. Un seul Allemand :
Léopold de Habsbourg. Brandi, le grand historien moderne de Charles
Quint, peut donc s'écrier : « Ce n'est pas un Habsbourg que cet enfant-là 9 !
» D'ailleurs, dans ses nombreuses lettres, Charles n'utilise jamais le terme
de Habsbourg; il évoque «notre maison » ou « notre sang » – celui de
Bourgogne.
Cependant, du sang arabe et du sang juif coulent dans ses veines. Comme
pour la plupart des Grands d'Espagne  : huit siècles de luttes et de
rapprochements entre Maures et Espagnols ont mêlé les sangs10. L'Espagne
médiévale, pays des trois religions – chrétienne, musulmane et juive –, a
toujours constitué un pont entre l'Occident et l'Orient. Elle ne devient
intolérante qu'à la fin du XVe siècle, quand elle craint de se dissoudre : la
frontière derrière laquelle elle s'est construite tombe avec la conquête de
Grenade en 1492. Elle se fabrique alors «une frontière interne », en recréant
inlassablement, sur son sol et dans son âme, l'ennemi qui lui fait défaut11.
Elle conquiert l'Amérique, se projette en Flandre et en Italie, devient la
première puissance du monde. Qu'importe! Elles'enferme à la recherche de
son identité dans un rêve impossible de pureté. Elle expulse les Arabes et
les Juifs avec lesquels elle a vécu pendant des siècles.
Charles Quint est à la fois Espagnol et Bourguignon. Elevé comme un
Bourguignon, il choisira de mourir en Espagne. Son dernier sceau montre
les armes d'Espagne et de Bourgogne mêlées, comme une affirmation de ses
racines. Empereur des deux mondes, son ambition tendra à conquérir le
duché de ses ancêtres, à reconstituer l'héritage mutilé12. Il désirera Dijon et
n'aura pas Dijon.
Sa mère Jeanne d'Aragon a épousé Philippe de Habsbourg à Lierre le 20
octobre 1496. Jeanne a dix-sept ans, Philippe dix-huit ans. Elle est brune,
ses yeux sont noirs, effilés en amande; Philippe est blond, grand, vigoureux.
Beaux l'un et l'autre, ils s'aiment dès le premier regard. Ils ne parlent pas la
même langue, mais leurs yeux expriment leur désir : « Un chapelain doit les
unir, en toute hâte, immédiatement 13 ! »
L'amour commande la vie de Jeanne d'Aragon. Depuis son mariage, rien
d'autre ne compte pour elle que la présence de Philippe, la chaleur de
Philippe dans ses bras. En huit ans, elle lui donne six enfants, qui tous
vivront, parfois très vieux, et régneront sur presque toute l'Europe. Après
Eléonore et Charles, Isabelle naît à Bruxelles le 27 juillet 1501; elle
deviendra reine de Danemark. En novembre, Philippe et Jeanne quittent les
Pays-Bas, laissant leurs enfants à la garde de Marguerite d'York. Ils gagnent
l'Espagne où les Rois Catholiques les appellent : leur fils Juan est mort en
octobre 1497, leur fille aînée Isabelle en septembre 1498 et Miguel, le fils
de celle-ci, en juillet 1500.Jeanne devient héritière des royaumes de Castille
et d'Aragon14. A Alcalâ de Henarés, le 10 mars 1503, elle met au monde
Ferdinand, qui sera empereur d'Allemagne. Philippe, lui, a déjà regagné les
Pays-Bas. Jeanne le rejoint au printemps 1504 : elle ne peut vivre sans lui!
Marie naît à Bruxelles le 15 septembre 1505 ; elle sera reine de Hongrie.
La reine Isabelle de Castille meurt à Medina del Campo le 17 novembre
1504  : Jeanne devient reine de Castille, de León et de Grenade. Elle doit
rejoindre son royaume et, de nouveau, avec Philippe, quitte la Flandre. Les
nouveaux rois débarquent à La Corogne le 26 avril 1506 pour apprendre
que le père de Jeanne, le roi Ferdinand d'Aragon, vient de se remarier avec
une princesse française, Germaine de Foix. Philippe entre en lutte contre
son beau-père et le contraint à l'exil. A peine a-t-il pris les rênes du
gouvernement, il meurt à Burgos le 25 septembre 1506 ! Il a dîné chez son
ami Juan Manuel, essayé des chevaux, joué à la paume. Il a bu de l'eau
glacée et pris froid : la fièvre se déclare dans la nuit et ne le quitte plus. A
vingt-huit ans, il meurt d'une congestion pulmonaire. D'autres hypothèses se
répandent  : Philippe a-t-il été victime de la peste  ? Empoisonné par son
beau-père ?
Jeanne sombre dans le désespoir et la folie. A la Toussaint, puis à Noël,
elle fait ouvrir le cercueil de son mari, contemple longuement le corps
embaumé. Elle prend avec ce dernier la route de Grenade. En chemin, à
Torquemada, elle met au monde le 14 janvier 1507 son sixième enfant,
Catherine, qui sera reine de Portugal. Elle fait ouvrir le cercueil une
troisième et une quatrième fois. Plus rien ne l'intéresse : elle vit murée avec
le souvenir de Philippe. Elle est la reine Jeanne, que décrit Montherlant
dans Le Cardinald'Espagne  : « Je suis morte de chagrin le jour que mon
époux est mort. »
De retour d'exil, son père a repris le pouvoir et l'enferme dans le château
de Tordesillas, où elle finira sa vie. L'Espagne est unifiée, l'Amérique
découverte, Jeanne est la reine la plus puissante du monde – et elle ne le sait
pas ! Philippe la délaissait, la trompait : qu'importe ! Il voulait lui arracher
le pouvoir  : qu'importe encore  ! Elle l'aimera jusqu'à son dernier souffle.
Dans Le Cardinal d'Espagne, elle explique au cardinal de Cisneros, qui
dirige le gouvernement : « Il y a le monde de ceux qui aiment et le monde
de ceux qui n'aiment pas. Je suis du monde de ceux qui aiment, et ne suis
même que de ce monde-là. » Elle évoque ses nuits avec Philippe  : « Sa
poitrine était comme les montagnes. Ses jambes étaient les racines quand
elles s'étendent au pied des arbres15... »
Est-elle folle  ? Les Cortes se refusent à la reconnaître comme telle, à
prendre parti dans la lutte pour le pouvoir qui déchire l'Espagne16. Charles
ira rendre visite à sa mère à chaque étape de son règne, sans comprendre
cette passion de l'amour qui l'a détruite. Dans l'ombre, Jeanne demeure
couchée sur le souvenir de celui qu'elle aime, affirmant un mépris sans
borne de la réalité.
Quand Philippe meurt en 1506, les Etats généraux des Pays-Bas confient
la tutelle de ses enfants à leur grand-père Maximilien, qui désigne sa fille,
Marguerite de Savoie, pour élever Charles et ses sœurs  : Marguerite
s'installe à Malines le 7 juillet 150717.
Charles a sept ans. Comme tous les enfants de son âge, il a été élevé par
des femmes : Anne de Beaumont a été sa gouvernante et Barbe Servels, sa
nourrice.Quand cette dernière mourra en 1554, il la fera inhumer dans le
chœur de la cathédrale Sainte-Gudule de Bruxelles. Henri de Wittem a été
son premier gouverneur  : membre d'une des plus vieilles familles de
Brabant, il est fidèle jusqu'à l'os à la maison de Bourgogne. En 1506,
Charles de Croy, prince de Chimay, le remplace, mais il ne s'entend pas
avec Marguerite de Savoie et doit se retirer en mars 1509. Pour lui succéder,
il propose à l'empereur son neveu, Guillaume de Croy, seigneur de
Chièvres18.
Charles a plusieurs «maîtres d'école »: Jean de Anchiata jusqu'en 1505,
Luis Vacca jusqu'en 1513, Luis Vives et, enfin, Adrien Floriszoon, qui
deviendra pape19. Adrien est doyen de l'église Saint-Pierre d'Utrecht; c'est «
un homme modeste, simple, aux mœurs austères ». «Un saint homme »,
écrit La Mota à Cisneros. Peut-être ! Mais il ne dédaigne pas les bénéfices
ecclésiastiques, qu'il cumule à Louvain, Anvers, Utrecht et Anderlecht – et
qui ne lui suffisent pas  : en septembre 1515, il sollicite de Marguerite de
Savoie de nouveaux bénéfices en Castille  ! Mais sa foi est « profonde et
mystique »: il exerce sur Charles une influence déterminante20.
Autour du futur empereur, se constitue un cercle de familiers et de
fidèles, qui se maintiendra tout au long du règne. Charles a besoin de
repères : il ne change pas les hommes qui forment son équipe. Quand il a
accordé sa confiance, il la retire difficilement.
Pour ses sœurs et lui-même, Marguerite de Savoie devient la « bonne
mère ». Les enfants habitent la résidence des ducs de Bourgogne; de l'autre
côté de la rue, Marguerite bâtit un hôtel de style Renaissance, qu'elle emplit
d'œuvres d'art et de livres précieux. Charlesdécouvre un monde de fêtes,
d'excursions, d'affection, dans une atmosphère sans contrainte. Marguerite
lui apprend le chant, le met au clavecin, l'initie à l'art21. Régulièrement, elle
rend compte à son père Maximilien des progrès de l'éducation des enfants,
des difficultés rencontrées, des maladies survenues. Maximilien répond à
ses lettres dans un français incertain et savoureux. Lorsque la peste se
déclare à Malines, il demande que Marguerite éloigne les enfants22. Ceux-ci
ne doivent pas oublier d'écrire en Espagne à leur grand-père Ferdinand.
Maximilien recommande d'écarter un médecin, qui lui paraît douteux, de
changer le capitaine des gardes, qui remplit mal ses fonctions : il se révèle
dans ses lettres un grand-père attentif. Il entretient avec Marguerite la
correspondance la plus familière et la plus débridée du XVIe siècle.
Quand elle reçoit la charge du gouvernement des Pays-Bas, Marguerite a
vingt-sept ans et sa vie, déjà, est un roman23. A deux ans, elle a été fiancée
à Charles, fils aîné de Louis XI, et élevée comme une reine à Amboise.
Mais Charles épouse Anne de Bretagne et Marguerite, écartée, doit
rejoindre les Pays-Bas  ! Pour peu de temps  : en janvier 1495, son père la
marie une deuxième fois à Juan d'Espagne, fils des Rois Catholiques, qui a
son âge. La flotte, qui a conduit en Flandre sa belle-sœur Jeanne, l'emmène
au retour en Espagne : elle épouse Juan à Burgos le 3 avril 1497. Les deux
mariages de Philippe et de Jeanne, de Juan et de Marguerite fondent
l'entente austro-espagnole  :Marguerite est appelée à régner sur l'Espagne,
Philippe sur les Pays-Bas.
Juan aime follement Marguerite; les jeunes époux ne quittent pas leur
chambre : six mois d'une union passionnée ! Juan est de santé fragile, sans
doute tuberculeux. Ses médecins s'inquiètent. La reine Isabelle refuse
d'intervenir tant que Marguerite n'est pas enceinte. Juan meurt d'épuisement
à Salamanque le 4 octobre 1497. Marguerite ne sera pas plus reine de
Castille qu'elle n'a été reine de France.
Veuve à dix-sept ans, elle prend à nouveau la route des Pays-Bas  : elle
arrive tout juste à Gand, en mars 1500, pour le baptême de Charles, dont
elle est la marraine. Son père ne lui laisse aucun répit et la marie, en
septembre 1501, au duc de Savoie : Marguerite, par Reims, Troyes et Dijon,
gagne le prieuré de Romainmôtier dans le Jura, où elle épouse le 2
décembre 1501 Philibert de Savoie, considéré comme le plus bel homme de
son temps. Philibert a son âge; il est fort, vigoureux, sensuel. De nouveau,
Marguerite connaît l'amour fou. Dans la journée, Philibert chasse et elle
s'initie aux joies du gouvernement : la voici heureuse, apaisée. Mais, le 10
septembre 1504, Philibert meurt brusquement au retour d'une chasse.
Marguerite est veuve à nouveau. Son père voudrait qu'elle épouse le roi
d'Angleterre ! Elle refuse et, en octobre 1506, rejoint les Pays-Bas, qu'elle
ne quittera plus. L'art et la politique vont, désormais, occuper sa vie24.
Elle amène à Malines ses principaux conseillers  : Mercurino de
Gattinara, Laurent de Gorrevod, Jean de Marnix, Louis Barangier. Dans le
gouvernement qu'elle nomme, elle les mêle aux représentants des vieilles
familles des Pays-Bas et constitue ainsi la meilleure équipe ministérielle du
XVIe siècle.
Toute la Cour de Bourgogne est réunie autour d'ellele 19 juillet 1507 à
Malines, dans l'église Saint-Rombaut, pour les obsèques de Philippe le
Beau25. Au premier rang, Charles, l'héritier des ducs de Bourgogne, porte
un manteau et un chaperon noirs. A l'offertoire, les chevaux de parade de
son père sont conduits devant l'autel, couverts de housses de soie, l'une aux
armes de Bourgogne, l'autre aux armes de Castille. Des chevaliers de la
Toison d'or les suivent avec l'étendard, l'écu, l'épée du roi défunt. Le roi
d'armes s'écrie par trois fois  : « Le roi est mort  ! » Puis il appelle  : «
Monseigneur Charles, archiduc d'Autriche. » Charles se lève. Le roi
d'armes  : « Monseigneur est en vie  ! Vive Monseigneur  ! » Charles saisit
l'épée de justice : à sept ans, il est duc de Bourgogne, souverain des Pays-
Bas26.
Guillaume de Chièvres lui apprend la politique. D'une manière
personnelle, très directe : jour après jour, il analyse, commente pour Charles
les rapports des gouverneurs, les dépêches des ambassadeurs. Michelet
imagine la scène : « Regardez à la lampe cet enfant pâle en velours noir 27 !
» Charles n'a pas douze ans et Martin du Bellay s'étonne de l'éducation qu'il
reçoit : « Mon cousin, lui répond Chièvres, je suis tuteur et curateur de sa
jeunesse. Je veux, quand je mourrai, qu'il demeure en liberté. S'il ne connaît
pas ses affaires, il lui faudra un autre tuteur. Celui qui n'est pas nourri au
travail, doit se reposer sur autrui28. » Charles est nourri au travail. Chièvres
lui inculque le souci du détail, qui deviendra pour l'empereur un mode de
gouvernement  : ne pas tout regarder mais, dans ce que l'on évoque,
rechercher le détail et juger l'ensemble sur les imperfections du détail.
Chièvres appartient à la famille des Croy, qui a dirigé le « parti français »
sous Philippe le Bon, et que Charles le Téméraire a toujours combattue : il
tenait les Croy pour responsables de l'abandon par son père des villes de la
Somme29. Antoine de Croy, le frère aîné, a été le compagnon d'enfance de
Philippe le Bon, qui l'a nommé premier chambellan; Jean, le cadet, a été
bailli du Hainaut. Tous deux, intelligents, entreprenants, ont le goût du
pouvoir et l'amour de l'argent. Le fils d'Antoine a épousé Jacqueline de
Luxembourg, fille du connétable de Saint-Pol. Trois fils sont nés de cette
union : un seul, Guillaume de Croy, seigneur de Chièvres, a survécu.
Gourmand de pouvoir et d'argent, Chièvres a le sens de l'Etat et des idées
claires. Prudent et perspicace, il est de comportement radical, contournant
les obstacles qui se présentent sur sa route.
Il construit à Malines un superbe hôtel proche de celui des enfants de
Bourgogne et aménage à Héverlé – non loin de Louvain – un domaine de
chasse, qui a appartenu au chancelier Rolin. A neuf ans, Charles découvre
Héverlé ; il aime le cheval, la chasse, les grands espaces. Le château devient
sa résidence favorite, qu'il occupe plusieurs mois par an. Dans les bois, il
part seul à la poursuite d'un cerf ou d'un sanglier. Maximilien écrit à
Marguerite : « Nous sommes bien joyeux que Charles prenne tant de plaisir
à la chasse. Il prouve ainsi qu'il n'est pas un bâtard 30 ! » Charles tire tous
les gibiers, à l'arc, l'arbalète, l'arquebuse. Parfois, il est maladroit : il tue un
homme le lundi de Pentecôte 1513. Marguerite l'excuse : c'est «un accident
de fortune », écrit-elle à son père, et la victime était un « ivrogne 31 »  !
Charles a le goût de la lutte et, déjà, dupouvoir. Il divise ses pages en deux
camps, les Chrétiens et les Turcs  : les premiers, qu'il commande, gagnent
toujours. Pour consoler les seconds, il offre à leur chef un chapeau à ganse
d'or32.
Chièvres explique à Charles la fragilité de la position des Pays-Bas, la
nécessité pour eux d'une entente avec la France et l'Angleterre. Il veut éviter
un conflit avec Louis XII, que les Pays-Bas n'ont pas – pas encore – les
moyens de conduire. Dans l'entourage de Charles, sa tante Marguerite est
d'un avis différent  : à un accord avec la France, elle préfère une alliance
avec l'Angleterre.
Marguerite de Savoie participe, en octobre 1511, à la création de la
Sainte ligue et, en avril 1513, à celle de la ligue de Malines : l'une et l'autre
contre la France, avec les rois d'Angleterre et d'Aragon. Pour complaire au
roi Ferdinand – qui a été son beau-père – Marguerite fait arrêter, en janvier
1513, Juan Manuel, qui dirige à Bruxelles le clan des émigrés castillans.
Avec l'accord de Maximilien, Juan Manuel est emprisonné au château de
Vilvorde. Les chevaliers de la Toison d'or s'indignent  : Juan Manuel est
membre de l'Ordre  ! Il ne peut être incarcéré sans leur consentement.
Chièvres, qui est aussi chevalier de la Toison d'or, les soutient. Devant
Charles, qui n'a pas treize ans, Marguerite se cabre : « Si j'étais un homme
et non une femme, je me ferais bonne bouche des statuts de votre ordre ! »
Juan Manuel est libéré, mais assigné à résidence en Autriche. Plus tard, il
servira fidèlement l'empereur et deviendra l'un de ses meilleurs
ambassadeurs33.
Mettant en œuvre l'engagement pris à Malines, le roi d'Angleterre, Henri
VIII, débarque à Calais,marche sur Thérouanne. Aussitôt, Maximilien se
met à son service, fixe le montant de son salaire : cent écus d'or par jour34 !
C'est énorme et dérisoire à la fois  : pour combattre les Français, « les
ennemis héréditaires de notre maison de Bourgogne », il devient le premier
empereur stipendié de l'Histoire  ! Avec ses mercenaires allemands, il
remporte le 16 août 1513 la victoire de Guinegate, la seconde qu'il gagne
contre des troupes françaises dans cette ville. Henri VIII prend Tournai
mais, à court d'argent, ne peut payer ses soldats : il arrête la guerre.
Le jeune duc de Bourgogne participe à sa première conférence
internationale. Dans une ambiance de kermesse flamande, il reçoit, offre
des dîners en l'honneur de l'empereur, son grand-père, et du roi
d'Angleterre35. L'accord, esquissé à Tournai, est conclu à Lille le 15 octobre
1513  : Charles épousera Marie, sœur du roi d'Angleterre, et trois «
protecteurs » veilleront sur lui – ses deux grands-pères et Henri VIII.
Cependant, la ligue de Malines se disloque : Marie n'épouse pas Charles,
mais Louis XII vieillissant. L'alliance entre la France et l'Angleterre, que ce
mariage scelle, prend les Pays-Bas en tenailles : le temps des épreuves est
venu. L'hiver est rigoureux, la peste menace, le peuple gronde...
Marguerite écrit à son père le 24 février 1514  : «Pour Dieu,
Monseigneur! Ne vous laissez pas abuser  ! Entre le roi catholique et la
France, il y a de grandes montagnes; entre la France et l'Angleterre, la mer.
Mais, entre les Pays-Bas et la France, il n'y a pas de séparation. Et vous
savez l'inimitié invétérée que les Français portent à notre maison 36 ! »
Rien n'y fait. Maximilien la tient à l'écart des négociations qu'il conduit
personnellement, mariant ses petites-filles, Marie – qui a huit ans seulement
– avec le roi de Hongrie et Isabelle avec le roi de Danemark.
En juin 1514, pour les noces d'Isabelle, Charles danse une partie de la
nuit et tombe malade. Les médecins – et les astrologues – ne lui donnent
pas deux ans à vivre! Il est froid, taciturne; il demeure souvent « immobile
comme une idole », ailleurs, dans ses rêves37. Bernhard Strigel peint la
famille de Habsbourg réunie autour de Maximilien  : Charles a le regard
terne, des yeux sans expression, la bouche ouverte. Les deux mâchoires
n'arrivent pas à se joindre. Plus tard, la barbe dissimulera cette tare
héréditaire, si visible, si frappante, que tous les peintres en exagéreront la
laideur. Cette « lèvre autrichienne », comme l'appelle Brantôme, vient des
Valois et non des Habsbourg. Brantôme raconte l'anecdote de la sœur aînée
de Charles, la reine Eléonore, qui fait ouvrir à Dijon les cercueils des ducs
inhumés dans la chartreuse de Champmol. Elle contemple les squelettes,
dont certains sont « si bien conservés et entiers » qu'elle peut les
reconnaître  : « Ah  ! Je pensais que nous tenions nos bouches de ceux
d'Autriche, mais, à ce que je vois, nous les tenons de Marie de Bourgogne et
des ducs de Bourgogne, nos aïeux38 ! »
De cette fragilité de naissance, Charles triomphe par une énergie que
personne ne prévoit, si ce n'est Chièvres – qui lui fait prendre confiance en
lui. Chièvres ne le quitte pas, dort dans sa chambre, calme ses frayeurs
d'enfant. Il l'aide à affirmer sa personnalité.
En 1514, l'empereur manifeste l'intention de partir en croisade et souhaite
que son petit-fils l'accompagne. N'ayant pas les moyens de financer une
telle expédition, il s'adresse aux Etats généraux des Pays-Bas, leurdemande
de voter des crédits pour le voyage de Charles, le mariage d'Isabelle, le
recrutement de soldats... Pour faire bon compte, il ajoute cinq cent mille
florins afin d'apurer ses dettes personnelles  ! Tout cela ne paraît guère
sérieux  : l'empereur ferait mieux, répondent les députés des Etats,
d'émanciper son petit-fils et de lui remettre le gouvernement des Pays-Bas.
S'il prenait cette décision, pour le « récompenser de ses peines », ils lui
remettraient cent mille florins.
Maximilien accepte. En son nom, le 5 janvier 1515, Marguerite de Savoie
procède à l'émancipation de Charles dans les conditions souhaitées par les
Etats généraux. La cérémonie se déroule à Bruxelles, dans le palais des
ducs de Brabant, trente-huit ans – jour pour jour – après la bataille de
Nancy, au cours de laquelle périt Charles le Téméraire39.
Le futur empereur n'a pas quinze ans et, déjà, il exerce tous les droits de
la souveraineté – ou plutôt Chièvres les exerce pour lui. Le 17 janvier, Jean
Le Sauvage est nommé grand chancelier et un nouveau gouvernement est
constitué  : il comprend quatre représentants de la famille de Croy...
Chièvres, écrit l'évêque de Badajoz au cardinal de Cisneros, est «le
personnage par la main duquel tout se fait ici40 ».
Tout au long de l'année 1515, Charles prend possession de ses « bonnes
villes »: Louvain et Bruxelles en janvier, Malines, Anvers et Gand en
février, Bruges en avril, Delft, Harlem et Amsterdam en juin. Toutes ces
réceptions le fatiguent : il rentre se reposer à Bruxelles et Héverlé. Lorsqu'il
reprend sa route à l'automne, il est reçu à Mons et Namur41.
Le roi Ferdinand, son grand-père maternel, meurt à Madrigalejo le 23
janvier 1516 : Charles devient roi d'Aragon. Dans son testament, Ferdinand
l'a désigné comme régent pour la Castille. Charles ne peut être davantage,
puisque Jeanne vit encore et qu'elle est, officiellement, reine de Castille  :
Charles ne peut donc exercer le pouvoir qu'au nom de sa mère. Mais
Chièvres et Le Sauvage veulent pour lui – tout de suite – la couronne de
Castille ! C'est impossible, indique de Valladolid le cardinal de Cisneros. La
déchéance de la reine n'a pas été constatée : Charles ne peut être proclamé
roi. Cisneros n'est pas entendu.
Le 14 mars, les obsèques du roi Ferdinand sont célébrées à Bruxelles
dans l'église Sainte-Gudule. Avec le cérémonial utilisé pour la mort de
Philippe le Beau. Michel de Pavye, doyen de Cambrai, prononce l'oraison
funèbre :
« Tous entrent dans cette danse macabre, princes et rois, telle est la loi
inexorable de notre existence. Les sceptres et les couronnes sont pulvérisés.
N'oublions pas, n'oublions jamais le sort qui menace ainsi nos joies et nos
fêtes, qui les change en larmes et en plaintes42.»
Comme nous, les hommes de la fin du Moyen Age sont dominés par la
peur de la mort. Ils n'avancent pas vers leur mort, ils vivent avec leur mort.
Devant Pavye, Charles se tient à genoux, en vêtements de deuil. Le roi
d'armes appelle à haute voix : « Don Ferdinand » et, trois fois, il reçoit la
réponse  : « Il est mort. » L'étendard royal d'Aragon est jeté à terre. Le
héraut encore : « Vivent dona Juana et don Carlos, les Rois Catholiques ! »
Charles quitte son manteau de deuil, monte sur les marches de l'autel, prend
l'épée des mains de l'évêque de Badajoz. Une immense acclamation
retentit : le voici roi d'Aragon etde Castille, appelé à régner conjointement
avec sa mère.
La cérémonie est ressentie en Castille comme «un véritable coup d'Etat43
». Placé devant le fait accompli, le cardinal de Cisneros s'incline. Deux
gouvernements vont désormais se disputer le pouvoir, l'un à Valladolid,
l'autre à Bruxelles.
Francisco Ximenez de Cisneros tient la Castille, comme il l'a déjà portée
après la mort de Philippe le Beau44. Il appartient à l'ordre de Saint-François;
sous sa pourpre, il porte une robe de bure. La bure dément la pourpre  : «
C'est le démenti que l'être de sagesse doit porter sans cesse en soi. »
Cisneros méprise l'argent, au contraire de Chièvres, mais non le pouvoir. Il
montre à tous son cordon de franciscain : «une corde pour attirer à soi les
dignités, et pour étrangler ses ennemis », écrit Montherlant45. Le goût du
pouvoir et de l'austérité. Charles lui ressemble, bien qu'il ne l'ait jamais
rencontré. Les deux hommes partagent la même idée abrupte du monde,
éprouvent la même tentation de la retraite. L'un et l'autre sont mystiques et
possèdent de grandes ressources d'insensibilité.
Les décisions de Cisneros sont désavouées par Bruxelles : les candidats
aux offices publics s'adressent directement à Chièvres, qui vend les charges
au plus offrant. La dualité du pouvoir paralyse l'Etat et nourrit la crise. Les
rivalités de clans surgissent à nouveau, l'insécurité grandit dans les
campagnes de Castille. Le Conseil royal supplie le roi de venir prendre ses
fonctions ; à Valladolid, on murmure que Charles ne quittera pas les Pays-
Bas. Les Cortes envisagent même de se substituer au pouvoir royal
défaillant46.
1 «Ce cabinet fort étroit servait de latrines» » (Alexandre Henne, Histoire du règne de Charles
Quint en Belgique, tome I, p. 22).
2 Pour déterminer l'heure de naissance de Charles Quint, je me suis référé à Gerhard Dohrn van
Rossum, L'histoire de l'heure, l'horlogerie et l'organisation moderne du temps.
3 C'est l'indication que donne Alexandre Henné dans son Histoire du règne de Charles Quint :
quatre heures du matin (tome I, p. 23).
4 Jean Molinet, Chroniques, tome V, p. 124.
5 Eléonore est née à Bruxelles le 30 novembre 1498.
6 Michelet, Renaissance et Réforme : histoire de France au XVIe
siècle, p. 185.
7 Philippe Erlanger, Charles Quint, p. 27.
8 Royall Tyler, L'empereur Charles Quint, p. 6.
9 Karl Brandi, Charles Quint, p. 35.
10 Au Xe siècle, le roi Ramiro d'Aragon a un fils de la sœur d'un roi maure. Au XVe siècle,
Alphonse V est appelé « Adfunch-Ibn-Barbariya », c'est-à-dire le fils de la femme berbère. Dans son
Nobiliario imprimé en 1640, Pedro de Barcelos, fondateur de la généalogie espagnole, mentionne
aussi, parmi les ancêtres de Charles Quint, un collecteur d'impôts d'origine juive, Ruy Capon, dont la
fille épousa Gonzalo Paez de Tavera.
11 Pierre Chaunu, L'Espagne de Charles Quint, tome II, p. 363.
12 Bertrand Schnerb vient de consacrer un beau livre à l'Etat bourguignon, dont le souvenir berça
l'enfance de Charles Quint. « L'Etat bourguignon, écrit-il, a bien existé aux XIVe et XVe siècles. »
Démembré à la mort du Téméraire, il subsiste encore au début du XVIe siècle (Bertrand Schnerb,
L'Etat bourguignon, p. 8).
13 Peter Lahnstein, Dans les pas de Charles Quint, p. 36.
14 Joseph Pérez, Isabelle et Ferdinand, rois catholiques d'Espagne, p. 301. Vicente de Cadenas y
Vicent, Diario del emperador Carlos V, p. 52.
15 Henri de Montherlant, Le Cardinal d'Espagne, acte II, scène III.
16 Joseph Pérez, La révolution des Comunidades de Castille, p. 81.
17 Malines, située entre Bruxelles et Anvers, a été, sous les ducs de Bourgogne, la capitale
administrative et judiciaire des Pays-Bas. Charles le Téméraire y créa en 1473 le Grand Conseil et sa
veuve, Marguerite d'York, y résida jusqu'à sa mort.
18 G. Dansaert, Guillaume de Croy-Chièvres, dit Le Sage, p. 93.
19 Adrien Floriszoon est né en 1459 dans une vieille famille d'Utrecht tombée dans la misère. Son
père est manœuvre selon les uns, brasseur selon les autres. Sa mère est lavandière.
20 Karl Brandi, Charles Quint, p. 40.
21 Alexandre Henne, Histoire du règne de Charles Quint en Belgique, tome II, p. 82. Charles
Quint « s'exerce assidûment sur le clavicordium » sous la conduite d'un grand organiste flamand,
Henri Bredemers (Edmond Vander Straeten, Les musiciens néerlandais en Espagne, p. 199). Il joue
aussi de la viole.
22 André Le Glay, Correspondance de l'empereur Maximilien Ier et de Marguerite d'Autriche,
tome I, Lettre d'Innsbruck du 20 septembre 1507, p. 12-13.
23 Elle est née à Bruxelles le 10 janvier 1480.
24 M. Bruchet et E. Lancien, L'itinéraire de Marguerite d'Autriche, gouvernante des Pays-Bas.
25 Philippe a souhaité que son corps soit inhumé à Grenade, mais que son coeur soit déposé à
Bruges, à côté du tombeau de sa mère.
26 Alexandre Henne, Histoire du règne de Charles Quint en Belgique, tome I, p. 140-142.
27 Michelet, Renaissance et Réforme: histoire de France au XVIe
siècle, p. 188.
28 Alexandre Henne, Histoire du règne de Charles Quint, tome II, p. 86.
29 Jean-Pierre Soisson, Charles le Téméraire, p. 133-134.
30 Lettre d'Augsbourg de février 1509 publiée par Le Glay, Correspondance, tome I, p. 241-242.
31 Lettre de mai 1513 publiée par Le Glay, Correspondance, tome II, p. 155-156.
32 Alexandre Henne, Histoire du règne de Charles Quint, tome II, p. 82.
33 Ambassadeur à Rome, il sera l'artisan du rapprochement entre Charles Quint et Clément VII.
34 Alexandre Henne, Histoire du règne de Charles Quint, tome II, p. 12.
35 Louis-Prosper Gachard, Itinéraire de Charles Quint, Collection des voyages des souverains
des Pays-Bas, tome II, p. 10.
36 Alexandre Henne, Histoire du règne de Charles Quint, tome II, p. 49.
37 Charles Terlinden, Charles Quint, empereur des Deux Mondes, p. 28.
38 Brantôme, Recueil des Dames, La Pléiade, tome II, p. 509-510.
39 Sa description introduit le journal que Jean de Vandenesse a consacré à la vie de Charles Quint
(Voyages des souverains des Pays-Bas, tome II).
40 Alexandre Henne, Histoire du règne de Charles Quint, tome II, p. 97.
41 Louis-Prosper Gachard a publié le récit de ses «joyeuses entrées» (Voyages des souverains des
Pays-Bas, tome II, p. 519-558).
42 Karl Brandi, Charles Quint, p. 54.
43 Joseph Pérez, La révolution des Comunidades de Castille, p. 84.
44 Ximenez est le patronyme du cardinal, Cisneros son nom de terre. Jusqu'au XIXe siècle, on ne
l'a appelé que Ximenez. Aujourd'hui, les Espagnols ne l'appellent que Cisneros.
45 Montherlant, Le Cardinal d'Espagne, acte I, scène I.
46 Joseph Pérez, La révolution des Comunidades de Castille, p. 112.
CHAPITRE II

Roi de Castille et d'Aragon

Longtemps, Chièvres hésite. Le voyage d'Espagne lui paraît une


entreprise hasardeuse, dans un pays qu'il connaît mal et que la crise menace.
Avant de l'entre prendre, il veut s'assurer du soutien de la France et de
l'Angleterre.
En août 1516, un accord est conclu avec la France. Charles, après avoir
été promis aux deux filles de Louis XII – Claude en 1501 et Renée en 1515
–, est fiancé à Louise, fille de François Ier, qui n'a pas deux ans et mourra
l'année suivante.
L'empereur Maximilien se charge des relations avec Henri VIII. La
victoire de Marignan a créé les conditions d'une entente entre l'Empire et
l'Angleterre. François Ier ne doit pas devenir trop puissant : Maximilien va
s'employer à limiter son influence. En route vers Calais, en octobre 1516,
l'empereur confie à son petit-fils : « Vous allez tromper les Français, et moi,
je vais tromper les Anglais1 ! »
Charles doit-il voyager par mer ou par terre  ? Mal-grél'accord avec la
France, la voie de mer paraît plus sûre : Chièvres la choisit. Mais François
Ier est un allié sourcilleux : le chancelier Le Sauvage traversera la France et
s'arrêtera à Amboise.
Avant de quitter les Pays-Bas, Charles tient à Bruxelles un chapitre de la
Toison d'or. Chièvres dresse la liste des nouveaux chevaliers et n'oublie pas
sa famille  : il n'a pas d'enfants, mais des neveux et des cousins, qu'il
s'emploie à placer. De nombreux Croy sont nommés chevaliers de l'Ordre.
Chièvres se préoccupe aussi d'obtenir le soutien des députés des Pays-
Bas : une réunion exceptionnelle des Etats généraux est convoquée à Gand.
L'ordre de la Toison d'or et les Etats généraux constitueront, tout au long du
règne, les deux piliers du pouvoir de Charles Quint dans les Pays-Bas.
Tous les détails des fêtes de la Toison d'or, de la réunion des Etats
généraux, tous les préparatifs du voyage d'Espagne nous sont connus par le
récit de Laurent Vital, gentilhomme de la maison du roi. Vital a servi Jean
de Luxembourg, a été chambellan de Philippe le Beau. Dans une langue
vivante, souvent inventive, il décrit jour après jour, « au plus près de la
réalité », la vie de la cour de Bourgogne. Chronique savoureuse ! Vital se
saisit d'un personnage, domestique ou gentilhomme comme lui, le dépeint
en une anecdote, l'abandonne pour un autre : la plume court, s'attache aux
choses de la vie2.
Vital est présent dans la grande salle de Gand pour la séance d'ouverture
des Etats généraux. Derrière le jeune roi, se dresse le dosseret des ducs de
Bourgogne, avec la devise de Charles le Téméraire  : Je l'ay emprins.
Charles a dix-sept ans  : Le Sauvage conduit les débats et explique les
raisons de la convocation des Etats.«Le roi, déclare-t-il, doit aller prendre
possession de ses royaumes de Castille et d'Aragon. Pour votre sécurité, il a
conclu paix et alliance avec les rois de France et d'Angleterre. Il a pris le
conseil de son grand-père, l'empereur Maximilien. Dès son arrivée en
Espagne, il vous enverra son jeune frère Ferdinand. » Il partira au premier
bon vent que Dieu lui enverra ! Mais il reviendra « vivre et mourir auprès
de vous »: vous serez éloignés de ses yeux, vous ne le serez «jamais de son
cœur3 » !
A ces mots, les députés fondent en larmes : l'époque est émotive. Voyant
« de tout côté le peuple pleurer », le chancelier a « le cœur serré ». A peine
peut-il poursuivre ! Pour se contenir, il feint « de tousser et de moucher son
nez ». Le « pensionnaire » de Gand est chargé de lui répondre : le roi peut
compter sur la fidélité de ses sujets. Il leur a donné la paix, qui est leur
revendication essentielle. Puisse son départ ne pas compromettre les
chances de la paix aux Pays-Bas !
Chièvres a conseillé à Charles de répondre. Le roi doit dire quelques
mots. Il se lève et prononce son premier discours. « Mes amis, mon
chancelier vous a indiqué ce que je voulais faire. J'ajoute que j'ai confiance
en vous. Je serai toujours pour vous un bon prince. »
C'est peu ! Mais les députés pleurent à nouveau. Vital note cette «chose
étrange», car les Flamands sont gens solides, qui n'ont pas l'habitude de
pleurer.
Le lendemain, Charles quitte Gand. Sur le chemin de la Zélande, il
chasse à Winnendaele chez Philippe de Clèves  : déjà, la chasse nourrit sa
vie. Puis il doit attendre à Middelbourg deux mois que se lève « le bon vent
pour le conduire en Castille ». La Cour s'installe, vaille que vaille, dans de
petites maisons le long des dunes. Le jour, on se promène, on chasse, on
pêche àmarée basse. Dans le désœuvrement général, le moindre incident
devient une affaire d'Etat. Ainsi, lors d'une revue de la flotte, Eléonore, la
sœur aînée du roi, et Marguerite, sa tante, ont le mal de mer  : Vital note
qu'elles s'accroupissent dans le fond d'une barque et « ravitaillent les
cabillauds » !
Léon X vient de donner le chapeau de cardinal à l'évêque de Cambrai :
Guillaume de Croy n'a pas vingt ans, mais il est le neveu de Chièvres. Le
légat du pape, en personne, se rend à Middelbourg pour la cérémonie
d'usage : à genoux devant lui, le jeune cardinal remercie Dieu pour la grâce
qui lui est faite – « sans qu'il l'ait méritée », commente Vital.
Enfin, le « bon vent » se lève et il faut embarquer en hâte. Le 7
septembre, le roi, sa sœur Eléonore, les Chièvres – mari et femme –,
Beaurain, Gorrevod, deux médecins et l'évêque de Badajoz montent à bord
du vaisseau amiral. Charles a perdu ses bagages  : Vital part dans une
barque, à leur recherche. Le marin qui le conduit est soûl ! Il erre de navire
en navire, dans un désordre de malles à la mer, de barques à la dérive, de
bateaux s'échouant sur les bancs de sable.
Une flotte imposante finit par prendre le large : quarante gros navires, les
meilleurs qu'on ait pu rassembler de Bruges à Séville. La grande voile du
vaisseau royal présente le Christ en croix, Marie et Jean; en dessous, la
nouvelle devise de Charles, plus oultre, entre deux colonnes. Plus oultre,
cela signifie au-delà des colonnes d'Hercule. La devise a été imaginée par le
médecin de Charles, Luigi Marliano, qui a déjà fait le voyage d'Espagne
avec Philippe le Beau. Ami de Pierre Martyr de Anghiera, italien comme
lui, Marliano appartient au cercle des humanistes que Marguerite de Savoie
a réuni à Malines autour d'elle. Lors du chapitre de Bruxelles de la Toison
d'or, il a invité Charles à « devenir un nouvel Hercule, un nouvel Atlas ».
Ilapporte le souffle de la Renaissance, le rêve d'une autre dimension de
l'homme4.
Pour son premier voyage en mer, Charles a renouvelé sa garde-robe, que
Vital a finalement retrouvée. Le matin, il paraît dans un pourpoint et des
chausses écarlates; sur sa tête, un bonnet de même couleur attaché sous le
menton et aux pieds de grosses chaussettes de laine. Dans un manteau de
velours fourré d'agneau, il fait ses prières, à genoux et longuement, puis
déjeune de chapons et de « rosties à la malvoisie ». Il mange énormément,
écoute de la musique et se divertit avec ses bouffons. Le cinquième jour,
une brume « grosse, noire et froide » se lève, la mer se creuse, la tempête se
déchaîne. Le septième jour, la flotte croise un bateau chargé de fruits
d'Andalousie qui fait route vers le Nord. Le neuvième jour, le vent tombe;
le dixième, il reprend avec force. Charles devait débarquer en Biscaye  ;
c'est beaucoup plus au Nord, à Villaviciosa, qu'il met pied à terre le 19
septembre 1517. Personne ne l'attend. Quelques paysans, cachés derrière
des buissons, assistent au débarquement de gentilshommes pataugeant dans
l'eau, qui ne parlent pas leur langue. Un roi leur est donné et ils ne le savent
pas !
Peu après, Charles assiste à sa première course de taureaux, que Vital
décrit et qui ne ressemble guère à une corrida moderne. Attaqué de loin à
coups de javelot, le taureau est poursuivi par une meute humaine, qui
l'approche par-derrière, lui coupe les jarrets, attend qu'il s'écroule pour
l'achever à l'épée. Tout au long du voyage, à chaque étape ou presque,
reprendra cette «chasse des taureaux5 ».
A Saint-Vincent, Charles tombe malade : les médecinscraignent la peste,
qui sévit dans la région6. Ils recommandent un changement de climat. Vite,
on emporte Charles en litière, on prend le chemin des montagnes  :
heureusement, le roi se rétablit. A Reinosa, Jean Le Sauvage le rejoint; à
Aguilar, l'évêque de Burgos l'attend et, à Becerril de Campos, le connétable
de Castille. Tout cela, c'est du miel. La ruche, c'est la reine mère ! Chièvres
veut s'assurer de son soutien avant l'entrée du roi à Valladolid. Il décide de
gagner Tordesillas, où Jeanne vit recluse.
Charles et Eléonore n'ont pas revu leur mère depuis janvier 1506. Charles
avait six ans quand elle est partie pour l'Espagne et Jeanne ne s'était jamais
occupée de lui  ! Il ne garde de sa mère aucun souvenir précis. Chièvres
entre seul dans la chambre obscure, où la reine se tient tout le jour; les
enfants attendent à la porte. Longuement, il parle à Jeanne, puis saisit un
chandelier, appelle Charles et Eléonore, qui entrent, s'approchent en silence,
s'inclinent. Jeanne les prend l'un et l'autre par le bras.
«Madame, dit Charles, nous sommes vos enfants humbles et obéissants;
nous sommes contents de vous voir en bonne santé...
– Etes-vous mes enfants? Que vous êtes devenus grands ! »
Les reconnaît-elle  ? Elle ajoute d'une voix faible  : « Il est tard... Allez
vous reposer. »
De nouveau seul avec elle, Chièvres évoque la situation politique. Il
vante Charles  : « C'est déjà un homme. Il peut, en votre nom, assurer la
charge du pouvoir, vous délivrer de ce poids. Si vous le désirez, il
apprendra à gouverner votre peuple7 . »
L'étape de Tordesillas est capitale : la reine ne s'oppose pas à la prise de
pouvoir de son fils. Elle valide le coup d'Etat de mars 1516. Chièvres est
d'autant plus libre d'agir que Cisneros meurt à Roa le 8 novembre 1517.
Amer, sans avoir rencontré son nouveau roi. Chièvres ne l'a pas voulu! A
tort : les conseils de Cisneros auraient pu lui éviter bien des déboires.
Cisneros était archevêque de Tolède, primat d'Espagne. Qui va le
remplacer? Chièvres pousse son neveu Guillaume de Croy et ordonne le
séquestre des biens de l'archevêque. Mal lui en prend  : cette hâte à
s'emparer des dépouilles du primat suscite « des commentaires peu
favorables 8 ». Chièvres n'en a cure : l'archevêché de Tolède est le plus riche
d'Espagne ! Le fils naturel de Ferdinand d'Aragon, qui a été archevêque de
Saragosse à six ans, croit son heure venue. De nombreux Grands d'Espagne
proposent la candidature d'un fils, d'un neveu, d'un cousin. Leurs efforts
sont vains. Guillaume de Croy est naturalisé Castillan en hâte et devient, à
vingt ans, archevêque de Tolède. Elève de Luis Vives, il entretient une
correspondance avec Erasme  : c'est un homme intelligent et cultivé. Sa
personnalité n'est pas en cause, mais l'est la cupidité avec laquelle Chièvres
et les Flamands accaparent les places9.
Sur le chemin de Valladolid, à Mojados, Ferdinand, le frère cadet de
Charles, vient à la rencontre du roi. Il a quinze ans, c'est un gentil garçon,
bon chasseur, que Pedro de Guzmán a élevé : il parle espagnol et, pour les
Espagnols, il est le roi de leur cœur! Il ne sait pas le français, Charles ne sait
pas l'espagnol : ils se regardent et s'embrassent. Ferdinand, le cadet, se rallie
à Charles, l'aîné : la guerre des deux frères n'aura pas lieu.
Le 18 novembre 1517, Charles prend possession de sa nouvelle capitale,
Valladolid, qui lui paraît « aussi grande que Bruxelles »: Vital la découvre,
émerveillé. Il décrit une fête des yeux et de la couleur, la rencontre de deux
sociétés qui, ensemble, vont jeter les bases de l'Empire. Charles est
accompagné de six mille hommes à cheval, d'une cour nombreuse, de
bagages interminables. Il s'avance sous un dais, en armure, couvert de
pierreries  ; il monte un cheval rebelle, qu'il maîtrise bien. « Regardez
comme il est beau et adroit' 10 »
Adroit, il l'est moins sur le terrain politique. Les Cortes s'ouvrent le 2
février 1518 sous la présidence du chancelier Le Sauvage, qu'assiste La
Mota. Un Flamand, président des Cortes  ! Les députés s'indignent  : la
réunion de 1518 annonce la révolution des Comunidades. Les Cortes
définissent les rapports du roi et de la nation en termes très modernes : « Le
roi est au service de la nation; nuestro mercenario es. Il n'est pas libre de
faire ce qui lui plaît; il est tenu à certains devoirs11. » Son pouvoir repose
sur le pacte passé avec son peuple. C'est un avertissement.
Quand Charles quitte Valladolid le 22 mars pour la Catalogne, il laisse
derrière lui un pays profondément déçu : il n'a pas su s'imposer. Il ne parle
pas espagnol et, à ceux qui l'approchent, il paraît niais, incapable de décider
par lui-même. Né à l'étranger, entouré d'étrangers, il n'aime que les
étrangers et dédaigne les Espagnols ! Il est isolé : Ferdinand rejoint en mai
les Pays-Bas et, en juin, Le Sauvage meurt, victime de la peste. Or 1519 est
une année charnière : Maximilien est mort en janvier et Charles succède à
son grand-père comme empereur en juin. Son élection l'éloigne davantage
encore de la Castille et « donne à la révolution quise prépare ses
fondements psychologiques et politiques12 ».
Le mécontentement se cristallise, à partir de l'été 1519, autour de deux
sujets  : le départ du roi et la question des encabezamientos. Le règne de
Charles Quint est marqué par la crise financière et l'impossibilité, apparue
dès l'origine, d'équilibrer le budget de l'Etat. Pour régler les frais du voyage
en Espagne, de Bruxelles, Chièvres a accablé Cisneros de demandes de
fonds13. En 1518, les dépenses de la Cour, le coût des fêtes de Valladolid
ont entraîné une dégradation de la situation budgétaire. Une contribution
exceptionnelle est levée sur les revenus du clergé : elle ne suffit pas. Il faut
accroître le rendement des impôts indirects, qui pèsent sur les transactions,
les alcabalas. Leur perception est affermée à des collecteurs pour un
montant forfaitaire fixé à l'avance, mais les recettes ne sont pas à la hauteur
des besoins de l'Etat. En juillet 1519, Chièvres décide de confier la
perception des alcabalas au plus offrant : le marché, emporté par Fernando
de Cuenca, entraîne une augmentation des prélèvements de quatre-vingt
mille ducats par an ! La révolution des Comunidades a en grande partie une
origine fiscale.
Tolède prend la direction du mouvement : ses regidores, qui composent
le conseil municipal, écrivent aux autres villes de Castille, soulevant deux
problèmes majeurs  : la politique financière et l'organisation du
gouvernement en l'absence du roi. Pour eux, l'élection impériale ne doit pas
modifier la situation en Espagne  : « Il n'est pas question d'associer, d'une
façon ou d'une autre, la Castille à l'Empire. » L'empereur ne saurait
entraîner ses royaumes espagnols dans ses entreprises lointaines14. Tolède
exprime l'inquiétude des villes du centre de l'Espagne. Les villes du sud et
du nord montrentplus de confiance : Séville s'ouvre au commerce des Indes
et Burgos tire profit de l'alliance avec les Pays-Bas. Pour isoler les villes de
l'intérieur, le Conseil du roi décide de réunir les Cortes avant le départ de
Charles, d'abord à Burgos, puis à Saint-Jacques-de-Compostelle, plus
proche du port de La Corogne. C'est une levée de boucliers !
Dans chaque ville représentée aux Cortes, le Conseil demande au
corregidor, nommé par le roi, de s'arranger pour que soient désignés des
députés fidèles au pouvoir. Cette vieille pratique de la candidature officielle
ne donne pas les résultats escomptés. Bien au contraire, les oppositions
s'étendent, gagnent les ordres religieux. A Salamanque, un groupe de
franciscains, de dominicains et d'augustins formule des revendications
précises  : l'ajournement des Cortes, l'attribution aux seuls Castillans des
emplois publics, le refus de tout impôt nouveau. Il conclut que la Castille ne
saurait être considérée comme colonie flamande !
Pendant que cette agitation se développe, Charles quitte l'Aragon, rejoint
Burgos, puis Valladolid où il arrive le 1er mars 1520, alors que les délégués
des paroisses rejettent les projets fiscaux du gouvernement. Le 4 mars au
soir, le tocsin sonne, une foule en armes envahit les rues : sous les yeux du
roi, le mécontentement dégénère en émeute.
Après avoir rencontré, une nouvelle fois, sa mère à Tordesillas, Charles
gagne Saint-Jacques-de-Compos-telle, où les Cortes s'ouvrent le 31 mars
dans une ambiance révolutionnaire. L'évêque La Mota expose les raisons
qui conduisent le roi à rejoindre l'Allemagne et à demander le vote d'impôts
nouveaux. A bien des égards, son discours est prémonitoire. La Castille
constitue le fondement du pouvoir du nouvel empereur. Elle est devenue sa
véritable patrie  : c'est en Castille que Charles voudra mourir  ! Mais, pour
l'heure, il doit partir, recevoir la couronne impériale à Aix-la-Chapelle, afin
de disposer de l'autorité qui luipermettra d'accomplir sa mission. Son
absence sera de courte durée : « dans trois ans », il sera revenu et s'installera
définitivement en Espagne. La Mota présente l'Espagne comme le coeur de
l'Empire !
Charles prononce quelques mots en espagnol, évoque son regret de partir,
sa volonté d'un retour rapide, confirme sa décision de réserver les postes
publics aux seuls Castillans. Pour faire bon poids, c'est le propre frère de La
Mota, député de Burgos, qui répond et, naturellement, l'approuve. Mais, le
lendemain, la situation se gâte. Avant de voter les impôts – le servicio – les
représentants de León demandent qu'un débat ait lieu sur les revendications
des villes. Le chancelier propose l'inverse : le vote du servicio, puis le débat
sur les réfomes. Les Cortes refusent de céder. Le 4 avril, la séance est
suspendue pour permettre à Chièvres et Gattinara de « trouver une majorité
à tout prix15». Le gouvernement multiplie les pressions, menace, achète les
voix, décide de transférer la réunion des Cortes à La Corogne. Le 22 avril,
ses propositions sont finalement acceptées  : seules, trois villes, Madrid,
Murcie et Toro, votent contre. Tolède et Salamanque s'abstiennent. Les
autres s'inclinent à contrecœur.
Le 25 avril, La Mota annonce la désignation par le roi du cardinal Adrien
d'Utrecht comme régent. Un étranger  ! Les Cortes s'indignent du
manquement à la parole donnée. La nomination du cardinal dresse contre le
pouvoir une grande partie du pays.
Charles embarque pour la Flandre le 20 mai. Avant même son départ, la
révolution a éclaté à Tolède et gagné les villes du centre de l'Espagne. A
Ségovie, le 29 mai, les représentants du gouvernement sont mis en
accusation. L'un d'eux, fonctionnaire subalterne, se défend et menace; la
foule se rue sur lui, l'entraîne en dehors de la ville et le pend sans autre
forme de pro-cès.Un de ses collègues veut intervenir : il subit le même sort.
Le lendemain, Rodrigo de Tordesillas, député aux Cortes, s'apprête à rendre
compte de son mandat dans l'église San Miguel : il ne peut s'exprimer, il est
traîné à l'extérieur de l'édifice, étranglé dans la rue. Son cadavre est pendu
entre les victimes de la veille. A Burgos, le 10 juin, la réunion des délégués
de quartiers tourne à l'émeute  : la foule pille et brûle les maisons des
notables. Un Français, Joffre de Cotannes, qui commande la forteresse de
Lara, est frappé à mort et pendu par les pieds16. Une rumeur déferle sur la
Castille : les députés auraient voté une fiscalité exorbitante, selon laquelle
tout homme marié devrait payer un ducat pour lui, un autre pour sa femme,
un autre encore pour ses enfants et ses domestiques. Même les moutons
seraient taxés !
Un pouvoir insurrectionnel, la Comunidad, s'installe dans les villes
rebelles. Une junte se réunit à Ávila et déclare ne plus reconnaître l'autorité
du cardinal d'Utrecht  : elle entend « défendre, au besoin contre le roi lui-
même, les intérêts du royaume17». La rébellion s'étend : dans les églises, les
prédicateurs appellent au soulèvement. A Tolède, Juan de Padilla crée une
milice populaire, marche sur Ségovie. L'armée royale reçoit l'ordre de
l'intercepter à Medina del Campo. Fonseca, qui la commande, met le feu à
la ville. L'incendie suscite la réprobation de toute la Castille. Le cardinal
Adrien d'Utrecht perd le peu d'autorité qui lui reste encore. Il n'a d'ailleurs
plus d'argent et doit licencier l'armée royale.
Les chefs de la Junte, le 31 août, sont reçus à Tordesillas par la reine
Jeanne, à laquelle ils expliquent leurs objectifs : mettre fin aux abus, rendre
aussi à la reine ses prérogatives. Jeanne les écoute longuement etsemble les
approuver. Le lendemain, ils reviennent, demandent à Jeanne l'autorisation
de transférer la Junte d'Ávila à Tordesillas. La reine donne son accord : Si,
vengan! Deux notaires enregistrent sa réponse, qui est aussitôt transmise à
toutes les villes de Castille. Nouvelle audience le 24 septembre, capitale et
pathétique. Le docteur Zúñiga, professeur à l'université de Salamanque,
évoque la situation lamentable du royaume, la mauvaise gestion des affaires
depuis la mort du roi Ferdinand et l'arrivée du prince Charles. Il dit : « le
prince Charles », et non : « le roi. » Il lance un appel pressant à la reine :
tous ses sujets la reconnaissent comme leur seule souveraine légitime  : «
Qu'elle gouverne, qu'elle commande dans son royaume ! Personne ne peut
le lui interdire. Qu'elle n'abandonne pas ses Etats, ses sujets, ses
compatriotes, prêts à mourir pour la défendre 18 ! »
La réponse de la reine est emplie de mélancolie et d'amertume. Jeanne
s'insurge contre le sort qui lui est réservé; elle ne voit autour d'elle que des
adversaires qui lui mentent et l'abusent. Elle est réduite à l'impuissance : No
he podido más  ! Pourquoi la traite-t-on ainsi  ? N'est-elle pas fille de rois,
héritière légitime du royaume ? Elle se félicite de la volonté de réforme de
la Junte. Elle demande aux députés de désigner quatre d'entre eux pour
traiter avec elle des affaires du royaume : elle les recevra toutes les fois qu'il
le faudra ! Son confesseur s'interpose :
« Une fois par semaine ?
– Non, chaque fois que cela sera nécessaire, tous les jours s'il le faut ! »
Le notaire, qui enregistre ses réponses, lui fait préciser sa volonté de voir
la Junte s'occuper des affaires de l'Etat, son désir de recevoir une délégation
de manière régulière : Jeanne acquiesce.
Le 26 septembre, la Junte déclare assumer seule, sous l'autorité de la
reine, la responsabilité du gouvernement : le Conseil royal est déchu de ses
fonctions. Faut-il arrêter ses membres ? La Junte consulte la comunidad de
Valladolid, qui appelle la population à se prononcer par référendum  : la
réponse est négative. La Junte n'en tient pas compte et décide une opération
militaire, qu'elle confie à Pedro Girón. Les membres du Conseil royal qui
n'ont pas fui sont arrêtés; une enquête est ouverte sur leur gestion, leur
procès engagé. Mais les actes du gouvernement doivent être signés par la
reine et Jeanne ne veut pas signer ! Les comuneros tournent la difficulté en
faisant enregistrer ses propos par des notaires, mais ce n'est qu'un
expédient, qui ne peut durer : on ne gouverne pas par notaires interposés !
On insiste, on use de promesses, de menaces, de pressions  : rien n'y fait.
Jeanne ne veut pas signer. Cette obstination sauve Charles Quint. Qu'elle
signe et il perd son royaume !
Le refus de la reine marque l'arrêt de la progression de la révolution. La
Junte se divise, le pouvoir royal s'organise. Aux côtés d'Adrien d'Utrecht,
les deux plus hauts dignitaires du royaume, le connétable et l'amiral de
Castille sont nommés vice-rois. Les nobles choisissent leur camp  : le roi
contre les comunidades.
Le 15 octobre, Adrien d'Utrecht s'enfuit de Valladolid à la nuit tombante,
déguisé, seul avec son chapelain : le pouvoir perd Valladolid, mais reprend
Burgos. Le roi de Portugal vient à son secours en prêtant au cardinal
cinquante mille ducats pour lever une armée et réduire l'insurrection. Les
vice-rois peuvent recruter des soldats d'occasion, los infantes  : ils seront
huit mille, à peu près autant que les troupes rebelles. L'armée de la Junte est
commandée par Pedro Girón, devenu comunero par rancœur. Girón
prétendait au duché de Medina Sidonia, que Charles lui a refusé  : il s'est
engagé au service de la Junte, qui l'a nommé capitainegénéral de l'armée
révolutionnaire. Mais ce grand seigneur n'est pas un bon soldat.
Les tentatives de négociation échouent. L'affrontement devient
inévitable. Les deux armées s'opposent entre Medina de Rioseco, où s'est
réfugié le cardinal, et Tordesillas, où se tient la Junte. Adrien d'Utrecht
pousse au combat. Avec raison : Tordesillas tombe le 5 décembre. Mais les
troupes royales ne marchent pas sur Valladolid et laissent à l'armée
révolutionnaire le temps de se réorganiser  : Girón démissionne et Juan de
Padilla est appelé à le remplacer. Cependant, les comuneros ne veulent pas
la guerre à outrance  : au sein de la Junte, les modérés l'emportent, qui
recherchent un compromis.
L'amiral de Castille demande à la reine d'enjoindre aux rebelles de
déposer les armes : Jeanne refuse de signer l'ordre qu'il lui tend.
Les combats reprennent. Pour les comuneros, Antonio de Acuña, évêque
de Zamora, parvient au premier rang  : il a sollicité l'ambassade de Rome,
que Chièvres ne lui a pas donnée. Comme Girón, plus tard comme
Bourbon, c'est un soldat perdu, sans espoir, sans avenir. A plus de soixante
ans, il devient l'âme du mouvement. A Valladolid, il prêche la révolte, lutte
contre le découragement. A Palencia, il exile les suspects et met en place
une nouvelle administration. En janvier 1521, il marche sur Burgos. Le
soulèvement qu'il espère ne se produit pas  : il radicalise alors son action,
conteste le pouvoir de la noblesse, donne à la révolution la base sociale qui
lui manque.
En février, Padilla met le siège devant Torrelobatón, qu'il prend après
quatre jours de combat. Les comuneros entrent dans la ville, brûlent, pillent
et massacrent. Alors que l'empereur ouvre la diète de Worms, son pouvoir
est contesté en Espagne !
Le pays s'installe dans la guerre civile. Mais les rebelles ne savent pas
exploiter leur succès. Leurs soldats désertent, la belle armée que Padilla a
conduiteà la victoire s'en va en lambeaux  ! De Burgos, le connétable de
Castille marche vers le sud : il dispose de trois mille fantassins, de six cents
cavaliers, de pièces d'artillerie. Padilla abandonne Torrelobatôn et se replie
en direction de Toro. L'armée royale le rejoint près du village de Villalar. Le
23 avril 1521, elle passe à l'attaque sous la pluie, bouscule et défait les
comuneros, qui laissent sur le sol un millier de morts.
Tous les grands seigneurs participent à l'hallali : avec la volonté d'obtenir
du roi des pouvoirs et des pensions. Tolède va encore résister, mais le
mouvement insurrectionnel est touché à mort. Au lendemain de la victoire,
un tribunal constitué à la hâte condamne les capitaines rebelles; Padilla,
Bravo et Maldonaldo sont exécutés.
La répression qui commence durera jusqu'à la Toussaint de 1522.
1 Georges Minois, Henri VIII, p. 137
2 Louis-Prosper Gachard et Charles Piot, Collection des voyages des souverains des Pays-Bas,
tome III, Premier voyage de Charles Quint en Espagne, par Laurent Vital.
3
Ibid., p. 27-30.
4 Marcel Bataillon, Plus oultre : la Cour découvre le Nouveau Monde, p. 13.
5 Laurent Vital, Premier voyage de Charles Quint en Espagne, p. 102-103.
6 Le début du XVIe siècle se déroule dans la terreur des épidémies (Jacqueline Brossollet et Henri
Mollaret, Pourquoi la peste? Le rat, la puce et le bubon).
7 Laurent Vital, Premier voyage de Charles Quint en Espagne, p.134-137.
8 Joseph Pérez, La révolution des Comunidades de Castille, p. 129.
9 Chièvres se fait nommer contador mayor de Castille, poste qu'il revendra en 1520 pour trente
mille ducats au duc de Béjar.
10 Laurent Vital, Premier voyage de Charles Quint en Espagne, p. 155.
11 Joseph Pérez, La révolution des Comunidades de Castille, p. 126.
12
Ibid., p. 136.
13 Ramón Carande, Carlos V y sus Banqueros, tome II, p. 96.
14 Joseph Pérez, La révolution des Comunidades de Castille, p. 144.
15
Ibid., p. 160.
16
Ibid., p. 168-170.
17
Ibid., p. 174.
18
Ibid., p. 190.
CHAPITRE III

Empereur d'Allemagne

Au début du XVIe siècle, l'empire allemand constitue « un assemblage


sans armature de possessions particulières », une mosaïque d'Etats
héréditaires et d'Etats électifs, de villes libres et de principautés
ecclésiastiques1.
Les Allemands forment une «nation» au sens médiéval du terme  : une
communauté ethnique2. Mais, dans une Europe qui ailleurs s'organise, ils
n'ont pas de souverain national : il n'y a pas de roi d'Allemagne, comme il y
a un roi de France ou un roi d'Angleterre. Pour Erasme, l'Empire, le Saint
Empire romain de Charlemagne et de Frédéric II, « n'est plus qu'une
illusion » : l'empereur n'a ni pouvoirs ni moyens3. La dignité impériale ne
se transmet pas par hérédité comme dans un royaume. Elle résulte du vote
exprimé par quelques électeurs qui sont censés, à eux seuls,représenter tout
l'Empire. Selon la Bulle d'or de 1356, ils sont sept, comme les sept branches
du chandelier de l'Apocalypse : les archevêques de Mayence, de Cologne et
de Trèves, le roi de Bohême, les ducs de Saxe et de Brandebourg et le
comte palatin du Rhin4. A la majorité relative des suffrages, ils élisent à
Francfort le « roi des Romains », qui deviendra empereur seulement quand
il aura été couronné par le pape. L'empereur est le chef temporel de la
chrétienté, comme le pape en est le chef spirituel.
Mais les véritables maîtres de l'Allemagne sont les princes, qui ont sur
l'empereur – dont ils sont les vassaux selon le droit féodal – une grande
supériorité : ils sont les hommes d'un seul dessein et d'une seule terre. A la
différence de l'empereur, ils n'ont pas de politique internationale à définir,
de politique chrétienne à conduire. Ils visent seulement à accroître leurs
possessions et consolider leur pouvoir. Dans la Bavière, le Palatinat, le
Brandebourg, la Saxe, les maisons qui vont jouer à l'époque moderne un
rôle de premier plan affirment leur vigueur  : l'évolution tend à la création
d'une « Allemagne des princes ».
Parmi les sept électeurs, deux appartiennent à la famille des
Hohenzollern  : le margrave Joachim de Brandebourg et son jeune frère
Albert, archevêque de Mayence, qui préside le collège des électeurs5. De
droit, l'archevêque de Mayence est chancelier d'Empire. Albert de
Hohenzollern est parvenu très jeune aux plus hautes fonctions
ecclésiastiques  : archevêque à vingt-quatre ans, cardinal à vingt-huit ans.
Intelligent,ouvert aux idées nouvelles, il va jouer dans l'élection de
l'empereur un rôle déterminant6.
L'archevêque de Cologne, Hermann de Wied, est, à son opposé, un
homme timide «par scrupule autant que par faiblesse »: il n'a pas de
direction fixe7. L'archevêque de Trèves, Richard de Wolrath, sait, lui, où il
veut aller : il s'oppose aux Habsbourg. Comme ses voisins de Gueldre et des
Ardennes, il est l'adversaire naturel des souverains des Pays-Bas. Mais, par
habileté, il attend avant de se prononcer. Le duc de Saxe, Frédéric le Sage,
est le beau-frère du duc de Lunebourg et l'oncle du duc de Gueldre, qui sont
l'un et l'autre acquis à François Ier. Le roi de Bohême, Louis II, a treize ans.
L'empereur Maximilien a été son tuteur et l'a fiancé à Marie, la sœur de
Charles  : Louis est partisan des Habsbourg, comme le comte palatin du
Rhin, Louis de Bavière8.
Ces sept hommes vont choisir le futur empereur.
La mort de Maximilien le 12 janvier 1519 ouvre une compétition
acharnée entre le roi de France et le nouveau roi de Castille et d'Aragon.
Pour gagner, les deux candidats vont employer tous les moyens – et d'abord
la corruption : ils vont acheter les électeurs. Qui mettra le prix le plus élevé
emportera la couronne impériale !
François Ier est candidat  : il ne peut pas ne pas l'être. Charles de
Habsbourg – le futur Charles Quint – possède déjà les Pays-Bas, la
Franche-Comté, Naples et l'Espagne. S'il devenait empereur, il menacerait
la France sur toutes ses frontières et n'aurait de cesse dejeter les Français
hors d'Italie. Or François Ier tient à l'Italie : c'est pour elle qu'il veut devenir
empereur du Saint Empire romain. L'Italie est «la clef de son règne » ; il la
prend pour modèle, la considère comme une source de renouvellement, une
sorte de terre promise9.
Derrière leur roi, les jeunes Français s'engagent « sur les chemins de la
gloire, de la puissance et du rêve ». Leur héros par excellence est Gaston de
Foix, mort victorieux le jour de Pâques 1512 à vingt-deux ans, alors qu'il
venait de remporter la bataille de Ravenne. François Ier n'était pas à
Ravenne, mais il veut lui aussi sa victoire de Ravenne. L'Italie lui apparaît
comme un paradis un instant atteint et que les Français ont perdu  : le 1er
janvier 1515, quand il succède à Louis XII, il prend le titre de duc de Milan
et, dans l'été, il part conquérir l'Italie.
C'est un homme d'une singulière beauté, haut de près de deux mètres, «
une fleur étrange et splendide10 ». Fabriqué pour traîner les cœurs après lui,
il les attire, il les consomme. Le pouvoir qu'il exerce sur les hommes est
fondé en partie sur le désir qu'il inspire aux femmes : c'est, pour Gattinara, «
le plus beau prince qu'il y eut jamais au monde ». Dans Le désastre de
Pavie, Jean Giono, qui est tout son contraire, le dépeint comme « un coq de
rue 11 ».
Dans les crayons qui représentent le roi à l'époque de sa jeunesse, la
physionomie est douce, les traits sont délicats, la moustache à peine
naissante, sans barbe. Mais, déjà, le nez est busqué et les yeux sont bridés.
Avec le temps, ces défauts s'accentueront : le roi vieillira vite. Elevé par des
femmes, les connaissant très jeune et les aimant, François a « l'âme
matérielle en naissant »: c'est Michelet qui l'écrit et ajoute : «Sousl'homme
et l'enfant même, il y eut le faune et le satyre12... »
François reçoit une éducation sportive, mais le sport au XVIe siècle est
romanesque  : c'est la chasse, le tournoi, la guerre. Le Roland furieux de
l'Arioste, dédié à Hippolyte d'Este, est un livre d'exploits sportifs. François
est l'un des meilleurs cavaliers, l'un des chasseurs les plus hardis de son
temps. En juin 1515, à Amboise, il attaque un sanglier qui s'est introduit
dans les appartements du château; il va au-devant de lui et le transperce de
son épée13.
C'est aussi un être sensible, qu'aucune théorie de prudence n'enferme.
Son principal moteur est la curiosité. Il prend son plaisir à la diversité des
choses. Il aime les apparences : le Camp du drap d'or, la charge de Pavie,
les combats singuliers. Pour lui, la vie – la politique aussi – est une aventure
et, au XVIe siècle, l'aventure se trouve en Italie. Avec ses amis d'enfance,
Robert de Florange, Guillaume de Bonnivet, Philippe de Brion, Anne de
Montmorency, il a remporté la victoire de Marignan, qui lui a ouvert les
portes de Milan. Pendant les premières années de son règne, il a mené à
bien tout ce qu'il a entrepris : un mélange d'impatience et de persévérance.
Mais il lui faut l'Empire. Dès 1516, il a engagé la lutte pour la succession
de Maximilien. Les archevêques de Mayence et de Trèves lui ont promis
leur suffrage; le margrave de Brandebourg et le comte palatin du Rhin les
ont suivis. François Ier accorde des pensions et des terres : il s'attache ainsi
les services de Franz von Sickingen, aventurier de haut vol, qui aime les
lettres et la guerre.
Maximilien n'est pas mort et, déjà, sa succession est organisée, mais pas
comme il le souhaite. Il conseille àson petit-fils Charles d'utiliser les mêmes
méthodes que François Ier : «Aucun enjeu ne doit te paraître trop élevé. Suis
mon exemple ou renonce à tout espoir de réussite ! » Son exemple, c'est de
dépenser sans retenue et de s'attacher les électeurs par l'argent !
A Augsbourg, en août 1518, Maximilien parvient à acheter cinq suffrages
pour le prix de cinq cent mille florins  : seuls lui résistent l'archevêque de
Trèves et le duc de Saxe. Il envoie aussitôt Jean de Courteville en Espagne
avec les demandes de pensions et les garanties promises, invitant Charles à
signer au plus vite les documents qu'il lui adresse, «afin de lier
définitivement les électeurs14 ».
Il réclame, dans le même temps, encore plus d'argent, dont cinquante
mille florins pour lui-même  ! Mais il ne s'est pas rendu à Rome pour
recevoir la couronne impériale et, n'étant pas couronné par le pape, n'est pas
empereur en droit : il ne peut donc faire élire son petit-fils, de son vivant, «
roi des Romains ». Il caresse le projet de gagner l'Italie, l'abandonne,
propose au pape de le rejoindre à Trente – qui est ville d'Empire... Si le
souverain pontife ne pouvait se déplacer, il se contenterait de la présence de
deux cardinaux !
Naturellement, le pape refuse et Maximilien renonce. Il gagne l'Autriche.
Un soir de chasse, la fièvre le prend : il boit de l'eau glacée, mange trop de
melon. La fièvre redouble  : il meurt à Wels le 12 janvier 1519. Il n'a pas
soixante ans.
Au cours des derniers mois, il ne se déplaçait plus sans son cercueil; il le
regardait et même lui parlait. Selon ses dernières volontés, son cœur est
porté à Bruges auprès de Marie de Bourgogne, qui fut le grand amour de sa
vie. Son corps est entièrement rasé, ses dents sont arrachées, ses restes
inhumés dans l'églisede Neustadt15. Maximilien était crédule et défiant,
courageux et irrésolu, pauvre et prodigue. Il a songé à se faire élire pape à la
mort de Jules II  : un mélange d'empereur et d'aventurier. Il a commencé
beaucoup d'entreprises qu'il n'a pas achevées, mais il a jeté les bases de la
puissance de sa maison, épousant Marie de Bourgogne, mariant ses enfants
à ceux des Rois Catholiques. Pour étendre ses possessions, Maximilien a
préféré les voies du mariage à celles, plus hasardeuses, de la conquête.
Charles Quint tient de lui cette âme de notaire, toujours en quête d'une
succession nouvelle.
Sa mort ouvre la campagne électorale. Elle renouvelle l'ardeur de
François Ier, qui ne se laisse pas décourager par le revirement des
Hohenzollern. Il installe à Cologne un véritable poste de commandement, y
dépêche ses conseillers les plus proches  : Guillaume de Bonnivet, Jean
d'Albret et Charles Guillart, président du Parlement de Paris. Il jette dans la
bataille toutes ses forces, toutes ses ressources : Bonnivet emporte avec lui
à Cologne quatre cent mille couronnes. A Guillart qui pense naïvement que
la persuasion suffira, François Ier rappelle qu'il n'aura pas en face de lui «
des gens vertueux ou ayant l'ombre de vertus 16 » !
Mais il éprouve des difficultés à réunir les sommes qu'il promet et, plus
encore, à les transférer en Allemagne  : les banques soutiennent la
candidature des Habsbourg. Jacob Fugger refuse à François Ier une lettre de
change de trois cent mille couronnes, alors qu'il en met cinq cent mille à la
disposition de Charles... A sa demande, le conseil d'Augsbourg va même
interdire, sous peine de mort, tout transfert de fonds de France en
Allemagne  ! Les envoyés de François Ier doivent transporter l'argent en
espèces. Quand ils sont arrêtés par des bandes armées, ils recourent àdes
subterfuges : ils accrochent des sacs d'or à la quille de bateaux remontant le
Rhin17 !
François Ier promet la couronne impériale au roi de Pologne, recrute des
mercenaires en Suisse, évoque une croisade qu'il conduirait en personne. A
l'ambassadeur anglais qui demeure sceptique, il affirme  : «Trois ans après
mon élection, je serai à Constantinople ou je serai mort18! » Chaque jour, il
donne ses instructions, dessine de lui le portrait que ses ambassadeurs
doivent présenter  : « Un roi jeune et à la fleur de son âge, libéral,
magnanime, aimant les armes, expérimenté à la guerre, ayant de bons
capitaines, un royaume bien uni. » Ses envoyés ajouteront : « Il est en paix
avec ses voisins; il pourra employer au service de Dieu et de la foi sa
personne et ses biens, sans que nul ne le détourne et que rien ne l'en
empêche. » Enfin, ils expliqueront que Charles, son adversaire, est «en bas
âge, sans expérience de la guerre, maladif et hors d'état d'assumer le fardeau
de l'Empire »...
Maladif, Charles l'est en effet. A Saragosse, en janvier 1519, une crise
d'épilepsie le terrasse – le jour même de la mort de son grand-père. A
l'église, pendant la messe, il tombe à terre, roule sur le sol, bave : la scène
est décrite par l'ambassadeur français. On l'emporte inanimé; il demeure
plusieurs heures sans connaissance. Cette crise est-elle la conséquence
d'une émotion trop forte  ? La pression d'un entourage hostile, d'un pays
inconnu  ? Charles est fragile  : Chièvres le sait et ne le quitte pas. Le 15
janvier, il nomme auprès de lui un nouveau médecin, Miguel Zurita de
Alfaro19. Mais Charles guérit et, dans les jours qui suivent, ne se souvient
même plus de la crisequi l'a terrassé  ! Il peut ratifier le traité de Londres,
qui a été conclu l'année précédente avec le roi Henri VIII.
Il reprend des forces, comprend que le combat des prochains mois va
déterminer toute sa vie politique. L'homme est comme un arc  : plus il est
bandé et mieux il sert. Charles est d'abord une volonté au service d'un
dessein : il s'engage tout entier dans la bataille pour l'élection à l'Empire. Il
envoie en Allemagne le chancelier d'Autriche, qu'accompagnent Jacques de
Villinger et Jean Renner, qui a été le secrétaire de l'empereur. De Bruxelles,
Marguerite de Savoie dépêche Maximilien de Berghes, Nicolas Ziegler,
Henri de Nassau et Gérard de Plaine. « Le cheval sur lequel mon neveu veut
monter est bien cher. Nous savons qu'il est cher, mais il est tel qu'il y a
marchand pour le prendre ! » Marguerite va se battre pour acheter un tel «
cheval » – à n'importe quel prix20 ! Dans les archives de Lille, Quinsonas a
trouvé l'état des pensions qu'elle a promises – aux électeurs et à leurs
conseillers, « leur vie durant21»...
Les deux meilleures équipes politiques d'Europe se disputent la couronne
impériale. L'Allemagne devient un vaste marché  : l'un propose sa voix,
l'autre son influence, celui-ci les services qu'il peut rendre, celui-là les
soldats qu'il peut lever.
Quatre électeurs rejoignent François Ier. Pour la construction d'une église,
l'archevêque de Mayence réclame cent vingt mille florins  ! François Ier
donne son accord. Il paierait davantage encore : si les Hohenzollern votent
pour lui, il sera élu !
Le pape hésite. Il doit choisir entre deux maux  : leroi de France tient
Milan, le roi d'Espagne Naples. Les Etats de l'Eglise sont enserrés entre ces
deux souverainetés. La solution française lui paraissant la moins
dangereuse, il se déclare en faveur de François Ier.
Les partisans de Charles considèrent alors qu'ils ont perdu la partie : ils
suggèrent de soutenir un autre candidat et proposent le nom de Ferdinand
de Habsbourg. Marguerite de Savoie se rallie à cette solution, mais Charles
s'y oppose  : pas un instant, il n'envisage de se retirer pour son frère. Les
princes allemands doivent savoir qu'il risquera tout pour arriver à ses fins,
qu'il ne désire rien d'autre au monde que la dignité d'empereur. Son arrière-
grand-père Frédéric et son grand-père Maximilien ont été empereurs. Il doit
l'être à son tour. L'Espagne ne lui plaît guère  : à Barcelone, au printemps
1519, il rêve d'Empire.
Il assure son frère d'un partage équitable de l'héritage familial, lui promet
sa succession : dès qu'il sera couronné à Rome par le pape, il proposera la
candidature de Ferdinand comme « roi des Romains ». Que son frère ait la
sagesse d'attendre! Dans les circonstances actuelles, sa candidature à
l'Empire aurait pour seule conséquence de «séparer la trousse de nos
seigneuries » ! Charles ajoute : « Si nous apparaissons désunis, nos ennemis
détruiront notre maison. » Il le martèlera toute sa vie  : seule, la réunion,
sous une même autorité, de tous les pays reçus en héritage par les
Habsbourg peut « donner à l'Empire la force capable de faire réfléchir tout
adversaire ».
Charles n'a pas vingt ans et, déjà, il définit le programme de son règne. Il
remet à Beaurain des instructions qui manifestent son intention de créer un
empire familial. Il se présente comme le seul candidat qui puisse l'emporter
sur François Ier. Tout dépend, et il le sait, de sa volonté et de son action.
Il se trouve à Barcelone : les courriers doivent emprunter la voie de mer
jusqu'à Gênes, puis traverserl'Italie, l'Autriche, remonter le Danube et le
Rhin. Deux semaines pour transmettre une instruction! Charles est contraint
d'utiliser d'autres méthodes de gouvernement que François Ier, qui dispose
d'un Etat unifié et centralisé. Dans l'administration de l'Empire, le service
des postes constitue un élément essentiel de commandement. Frédéric III a
organisé le premier service postal, qu'il a confié à Roger de Taxis.
Maximilien a poursuivi son œuvre  : Jean de Taxis a été nommé maître
général des postes en 1496. L'acheminement des lettres s'effectue selon des
règles précises de durée et de trajet. Sans cesse, des courriers sillonnent les
routes d'Europe, de jour comme de nuit; les Taxis possèdent même leurs
propres galères  ! Ils vont devenir les meilleurs auxiliaires du pouvoir
impérial.
Régnant sur l'Espagne, les Pays-Bas et l'Italie, Charles Quint devra
nécessairement laisser sur le terrain la responsabilité de la manœuvre à des
hommes de confiance. La décentralisation est le complément obligé de
l'unité de commandement.
Dans les mois qui précèdent l'élection, un chambellan de Charles, Paul
Armstorff, joue un rôle décisif. Il semble être partout à la fois, se rend
auprès du comte de Bavière, du margrave de Brandebourg, de l'archevêque
de Mayence. Ce dernier lui paraît constituer le maillon faible du dispositif
français : il cherche à se l'attacher et engage avec lui l'ultime négociation. «
Je vois bien, lui dit-il, que nos adversaires vous ont fait des offres
supérieures aux nôtres. Mais, si vous les acceptez, vous causerez un
dommage irréparable à l'Empire et à toute la nation allemande. »
L'archevêque, froidement, convient que les Français lui ont offert beaucoup
plus. Pour choisir Charles de Habsbourg, il demande cent mille florins
supplémentaires. Cent mille ! Armstorff s'indigne : « Le roi Charles ne sera
pas empereur, mais vous serez déshonoré ! » L'archevêque reconnaît qu'un
archiduc d'Autriche, toutbien pesé, sera un meilleur empereur d'Allemagne
que le roi de France.
L'opinion l'entraîne dans ce sens  : le sentiment national, qui marque si
fort l'Allemagne du XVIe siècle, se prononce contre le candidat français en
faveur du petit-fils de l'empereur Maximilien. Ce dernier a incarné, jusque
dans ses fantasmes, l'âme allemande. Charles, plus tard, deviendra
populaire, en résistant comme lui aux prétentions françaises.
Albert de Hohenzollern veut faire payer son ralliement le plus cher
possible. Son valet de chambre va trouver Armstorff  : « Monseigneur se
contentera de quatre-vingt mille florins ! » Nouveau refus. Cinquante mille
feraient son affaire  ! Armstorff ne promet toujours rien. Mais il faut
conclure  : après plusieurs jours d'une négociation qui s'enlise, Armstorff
offre vingt mille florins : le marché est conclu. Alors, l'archevêque ouvre un
coffre et montre au chambellan les lettres que le roi de France lui a
adressées. Armstorff est stupéfait de l'importance des offres de François Ier :
par une dépêche que conservent les archives de Lille, il supplie Charles
Quint de confirmer – au plus vite – l'arrangement auquel il vient d'aboutir. «
L'archevêque, écrit-il, tiendra parole et tirera son frère et Cologne après lui.
»
Armstorff a raison : Albert de Hohenzollen devient le meilleur soutien de
la candidature Habsbourg, à tel point que son frère le margrave s'étonne de
son revirement : « J'ai changé, lui répond Albert, mais j'agis pour le bien de
l'Empire et de la nation allemande... »
A Oberwesel, les quatre électeurs rhénans se réunissent pour définir une
position commune. L'archevêque de Mayence s'y rend par bateau, avec
Armstorff à son bord. Au nom des nobles de la région, le comte de
Königstein déclare : « Si les électeurs songeaient à élirele roi de France, les
Allemands les en empêcheraient, car ils n'entendent pas être Français22. »
Sur ces entrefaites, un troisième candidat entre en lice  : le roi
d'Angleterre. Début mai, il adresse une lettre aux sept électeurs annonçant
l'arrivée de son secrétaire personnel, Richard Pace23. Les instructions qu'il
donne à ce dernier sont prudentes : Pace doit sonder les princes, mais non
s'engager financièrement. Aux hésitants, il suggérera le nom d'Henri VIII,
vantera les mérites d'un roi comblé de dons, généreux, proche de
l'Allemagne. Mais il se contentera de promettre ! En juin, Pace rend compte
de sa mission  : les archevêques de Cologne et Trèves sont indécis, le
margrave de Brandebourg hésite, le comte de Bavière est partisan de
François Ier. Quant aux autres électeurs, Pace ne les a pas rencontrés24...
Les enchères montent toujours ! Joachim de Moltzan analyse la situation
dans une lettre à François Ier : « Tout ira bien, si nous pouvons rassasier le
margrave. La chose est arrivée au point que celui des deux rois qui donnera
et promettra le plus, l'emportera25. » Il termine par ces mots : « Vite, vite,
vite ! »
François Ier promet tout  : le margrave cède. Arrivent à Berlin Henri de
Nassau et Gérard de Plaine  : le margrave hésite à nouveau... Le comte
palatin ne cesse de traiter avec les deux camps : il accueille tour à tour les
envoyés français et bourguignons. Le 4 avril, il signe un traité avec les
émissaires de Charles et, le 9 mai, son chancelier conclut un accord avec
Bonnivet ! A la fin du mois de mai, seuls des sept électeurs, le duc Frédéric
de Saxe et l'archevêque de Cologne ont refusé de prendre un engagement.
En sa qualité de chancelier d'Empire, l'archevêque de Mayence convoque
la diète. Désormais, nul, prince ou ambassadeur, ne peut pénétrer dans
Francfort. Les formes doivent être respectées et tous « affirmer une
indépendance menteuse 26 » ! Les électeurs demandent aux deux candidats
– et obtiennent d'eux – qu'ils les délient par écrit de leurs promesses. En
effet, ils doivent jurer sur les Evangiles qu'ils sont libres de leurs choix!
François Ier fait remettre à l'archevêque de Trèves une déclaration de «
relaxation des serments »  ; de plus, il adresse à Bonnivet des lettres «
déchargeant chaque électeur de ses promesses ».
Sous le nom de « capitaine Jacob », Bonnivet s'installe à Rüdesheim, à
quelques kilomètres de Francfort. Les représentants de Charles occupent
Höchst, un village voisin. Les uns et les autres n'entreront pas dans la ville.
Atmosphère de crise : la peste sévit et la canicule s'installe. Moiteur des
corps et des sentiments.
La diète s'ouvre le 18 juin 1519. Les électeurs entendent, dans l'église
Saint-Barthélemy, la messe du Saint-Esprit, qui est censé les inspirer.
Devant l'autel, la main sur le livre des Evangiles, ouvert au premier chapitre
de saint Jean, In principio erat verbum, ils prêtent le serment requis par les
constitutions de l'Empire :
« Je jure que je veux élire, selon mon discernement et mon intelligence et
avec l'aide de Dieu, pour chef temporel du peuple chrétien, roi des
Romains, futur empereur, celui qui convient le mieux à cette charge. Je lui
donnerai mon suffrage, libre de tout pacte, de tout prix, de toutes arrhes et
de tout engagement, quelque nom qu'on lui donne. »
Libre de tout engagement ? Frédéric de Bavière, qui est acquis à Charles,
entre secrètement dans Francfort et s'efforce de gagner son frère, l'électeur
palatin, à lacause des Habsbourg. L'archevêque de Trèves l'aperçoit et
prévient Bonnivet, qui rend compte à François Ier. L'élection du roi de
France n'est plus assurée.
Malgré tout l'argent dépensé, François Ier décide de retirer sa candidature.
Le 26 juin, il donne l'ordre à Bonnivet de soutenir un prince allemand, le
margrave de Brandebourg ou, à défaut, le duc de Saxe. S'il voulait
empêcher l'élection de Charles, c'est ce qu'il aurait dû faire depuis
longtemps ! Maintenant, il est trop tard. Bonnivet reçoit ses instructions le
29 juin, alors que l'élection est faite.
De son côté, le pape s'aperçoit, lui aussi, qu'il n'obtiendra pas l'élection de
François Ier. Le sentiment national va tout emporter  : les Allemands ne
veulent pas d'un empereur français. Pour barrer la route à Charles de
Habsbourg, Léon X se rabat sur la candidature de Frédéric de Saxe  : le
meilleur candidat, bien qu'il protège Luther ! Mais Frédéric le Sage ne veut
pas être empereur. Il n'a pas les moyens financiers de la charge et ne veut
pas compromettre sa tranquillité. La Saxe lui suffit! Il pourrait être élu, mais
ne le désire pas.
Le 28 juin 1519, revêtus d'habits écarlates selon la tradition, les électeurs
gagnent à nouveau l'église Saint-Barthélemy  : les voici seuls avec eux-
mêmes, réunis autour d'une immense table couverte de cuir fauve, chacun
ayant son blason dressé derrière lui27.
L'archevêque de Mayence ouvre les débats, présente les candidatures,
déclarées ou non, détaille les avantages et les inconvénients de chacune. Il
intervient dans un ordre qui n'est pas innocent  : favorable à l'élection de
Charles de Habsbourg, il commence par écarter la candidature de François
Ier. «Nous ne pouvons dési-gnerun prince étranger; nous manquerions à
notre serment si nous élisions le roi de France. Celui-ci voudra accroître son
royaume, qui est héréditaire, aux dépens de l'Empire, qui ne l'est pas. Il s'est
emparé de Milan après sa victoire de Marignan, il cherchera à soumettre
toute l'Italie et portera ensuite son ambition contre l'Allemagne. » François
Ier est le candidat de tous les dangers : l'archevêque exclut sa candidature.
Faut-il choisir un prince allemand  ? Abordant ce deuxième point, il est
tout aussi clair : aucun des électeurs présents, ni Saxe, ni Brandebourg, n'est
en mesure d'assurer la paix. Qui lui obéirait  ? La solution de compromis,
que prône le pape, n'est pas la bonne. Reste le roi de Castille et d'Aragon :
plus exactement, l'archiduc d'Autriche. S'il est élu, la conduite des affaires
risque de souffrir de son éloignement, nos libertés pourront être menacées
par sa puissance. Mais il est un prince allemand, d'origine allemande : nul
autre que lui, dans les circonstances présentes, ne peut ceindre la couronne
impériale.
L'archevêque de Trèves réplique que la Bulle d'or de 1356 n'autorise pas
plus l'élection d'un Espagnol que celle d'un Français. François Ier est prince
du Saint Empire, tout autant que Charles de Habsbourg : ne possède-t-il pas
le duché de Milan et le royaume d'Arles qui sont terres impériales  ? Le
candidat dangereux, ce n'est pas lui, mais le roi de Castille et d'Aragon,
souverain des Pays-Bas et roi de Naples  ! Si vous le désignez, la guerre
éclatera aussitôt dans les Pays-Bas et le Milanais. Il faut sortir de cette
rivalité sans issue entre les deux candidats officiels et choisir un prince
allemand. Les maisons de Saxe et de Brandebourg sont fort capables de
donner un empereur à l'Allemagne !
Le duc de Saxe prend la parole, confirme qu'il n'est pas candidat, se
range à l'avis de l'archevêque de Mayence. Les électeurs ne peuvent
désigner le roi de France, mais sont libres d'élire l'archiduc
d'Autriche,prince allemand, petit-fils de l'empereur Maximilien  : son
opinion entraîne toutes les autres.
A dix heures du soir, à l'unanimité, Charles est élu et devient « roi des
Romains ». Il sera le cinquième empereur à porter le nom de Charles  :
Charles Quint.
Il risque d'être trop puissant  : les électeurs doivent donc limiter ses
pouvoirs. Ils se réunissent à nouveau, le jour suivant, pour fixer les
conditions que Charles Quint devra respecter. Le futur empereur ne pourra,
sans leur accord, convoquer une diète, lever un impôt, entreprendre une
guerre, conclure un traité ! Il réservera les emplois publics aux Allemands,
utilisera la langue allemande dans la conduite des affaires de l'Empire,
résidera en Allemagne. Au nom de Charles, Nicolas Ziegler accepte et signe
cette « capitulation impériale28 ». Frédéric de Bavière prend aussitôt le
chemin de l'Espagne, avec mission de notifier au roi de Castille les résultats
et, plus encore, les conditions de l'élection.
A petites étapes, Charles Quint va rejoindre l'Allemagne  : Chièvres se
donne le temps de la réflexion. Un accord avec l'Angleterre est essentiel et
il s'emploie à le négocier.
Trois grandes puissances se partagent l'Europe  : la France, l'Espagne et
l'Angleterre. Les deux premières paraissent de force égale; entre elles, le
rôle de la troisième est déterminant. Pour l'emporter dans la guerre qui va
les opposer, la France et l'Espagne ont, chacune de leur côté, besoin de son
alliance, à tout le moins de sa neutralité. Charles Quint et François Ier se
tournent vers Henri VIII, le courtisent, s'efforcent de l'attirer dans leur
camp. Sur le chemin de la Flandre, Charles Quint s'arrête en Angleterre et
célèbre avec lui, àCanterbury, la Pentecôte; François Ier, la Fête-Dieu, dans
le nord de la France. A peine l'entrevue du Camp du drap d'or entre
François Ier et Henri VIII est-elle terminée, Charles rencontre à nouveau le
roi d'Angleterre à Gravelines le 10 juillet. Une ronde de la séduction !
Elle s'organise autour du cardinal Thomas Wolsey. C'est lui, l'homme
qu'il faut convaincre  ! Wolsey a quarante-sept ans; archevêque d'York et
chancelier d'Angleterre, il affiche une ambition si tranquille qu'elle
déconcerte : il veut être pape ! Rien ne le rebute, rien ne l'arrête. Jamais en
repos, une intelligence sans cesse en éveil. Il sert Henri VIII, sans oublier
de se servir lui-même  : il est fait pour les premiers rôles. Avec le roi
d'Angleterre, il forme un couple inattendu, sur lequel les historiens
s'interrogent : qui détient réellement le pouvoir de décision ? Henri VIII se
décharge sur son chancelier des tâches de gestion, mais se réserve les
grandes orientations.
Estimant que Charles Quint l'emportera, il se range de son côté. Il a une
bonne raison pour expliquer son choix : l'empereur est son neveu. Henri a
épousé Catherine d'Aragon, sœur de Jeanne la Folle – qu'il va répudier,
mais qu'importe ! Il se rend chez l'empereur à Gravelines pour deux jours,
puis Charles le rejoint à Calais, pour deux jours également. Le 14 juillet
1520, ils scellent leur accord, s'interdisent toute alliance avec la France,
proposent aux autres souverains d'Europe la tenue d'une conférence de paix.
L'esprit tranquille, Charles Quint peut gagner Aix-la-Chapelle.
Le 22 octobre 1520, le voici aux abords de la ville impériale  : par un
beau soleil d'automne, les princes électeurs l'attendent, à l'exception du duc
de Saxe retenu à Cologne par une crise de goutte. Charles chevauche un
cheval blanc, couvert de brocart; il porte le costume des archiducs
d'Autriche aux couleurs de la maison de Habsbourg : or, argent et cramoisi.
Il tientà la main un chapeau orné de plumes blanches. L'archevêque de
Mayence prononce l'allocution de bienvenue. L'archevêque de Salzbourg lui
répond : Charles ne parle pas l'allemand ! Le crépuscule tombe, lorsque le
cortège se remet en route; la nuit est noire, quand il arrive à la cathédrale à
la lueur des torches.
Le cérémonial a été réglé par deux hommes : l'évêque de Liège, Erard de
La Marck, pour les princes; Maximilien de Berghes pour l'empereur. De
nombreux témoins ont décrit le sacre et Albert Dürer a laissé plusieurs
dessins de la cérémonie.
La peste règne à Aix : les princes électeurs préféreraient que le sacre soit
reporté et qu'il ait lieu à Cologne. Mais Charles ne veut pas attendre  : il
désire s'asseoir au plus vite sur le trône de Charlemagne. Il avance vers Aix-
la-Chapelle, la ville où Charlemagne est né et où il est mort, comme Charles
le Téméraire avant lui en août 1473. Il doit recevoir la couronne dans les
formes établies par l'empereur Othon Ier, six siècles plus tôt ! A sa droite,
chevauchent l'archevêque de Cologne et, à sa gauche, celui de Mayence  ;
derrière lui, les cardinaux de Salzbourg, de Sion et de Tolède. Il pénètre
dans la cathédrale éclairée aux bougies. Après le Te Deum, il rejoint la
sacristie et jure de respecter la « capitulation » qui conditionne son élection
– et limite ses pouvoirs. Sans cet engagement, point de couronnement !
Le lendemain, 23 octobre 1520, le sacre déroule ses fastes. Dès l'aurore,
Charles gagne la cathédrale, se prosterne au centre de l'octogone
carolingien, sous le lustre circulaire offert par Frédéric Barberousse.
L'archevêque de Cologne entonne le chant Domine, salvum fac regem,
«Seigneur, protège notre roi ». La liturgie de la messe est celle de
l'Epiphanie  : Surge illuminare Jerusalem. Charles s'allonge devant le
maître-autel les bras en croix, la face contre terre. Le clergé et le peuple
récitent les litanies des saints. Puis viennentles questions rituelles,
auxquelles Charles répond : Volo, je le veux :
« Veux-tu servir la sainte foi catholique? Veux-tu défendre la Sainte
Eglise, la Justice de Dieu ? Veux-tu servir les pauvres et les orphelins ? »
L'archevêque et l'abbé de Prüm interrogent la foule, en latin puis en
allemand  : « Voulez-vous vous soumettre à votre prince et seigneur ici
présent, soutenir son autorité avec une fidélité inébranlable, obéir à ses
ordres selon la parole de l'Apôtre : que chacun soit soumis aux chefs et aux
autorités ? » Fiat, répondent, d'une seule voix, les fidèles.
Charles est oint de l'huile des catéchumènes sur la tête, le cou, la poitrine,
les bras et les mains. Il reçoit l'épée de Charlemagne, est revêtu du manteau,
passe à son doigt l'anneau, prend dans ses mains le sceptre et le globe
impérial. Les trois archevêques de Cologne, de Mayence et de Trèves
posent la couronne sur la tête. Il monte à l'autel, prononce en latin le
serment du couronnement : « Je confesse et je promets devant Dieu et ses
anges vouloir conserver, maintenant et à l'avenir, les lois et le droit, ainsi
que la paix dans la Sainte Eglise. »
Le voici empereur devant Dieu, relevant de la seule autorité de Dieu  !
Son serment l'engage et le conduira quelques mois plus tard à condamner
les thèses de Luther.
Par un escalier étroit et sombre, il monte jusqu'à la galerie où se trouve le
fauteuil de marbre blanc sur lequel Charlemagne était assis dans sa tombe.
Au XIIe siècle, Frédéric Barberousse est entré dans le caveau  : «moment
étrange et redoutable », décrit par Victor Hugo. L'empereur a pris le
fauteuil, dont il a fait son trône29. A sa suite, tous les empereurs
germaniques viennent s'asseoir, après leur couronnement,sur le siège de
marbre blanc. Charles Quint est le trente-quatrième – l'avant-dernier – à
accomplir ce rite sacré30.
Selon la tradition, il nomme des chevaliers du Saint Empire : le premier,
selon son cœur et pour le rôle qu'il joue auprès de lui, est Guillaume de
Chièvres  ! Puis il redescend et la messe reprend. Lorsque la cérémonie
s'achève, il est midi et elle a duré plus de cinq heures.
Dans l'hôtel de ville qui jouxte la cathédrale, l'empereur préside le
banquet traditionnel du couronnement. Les tapisseries du palais de
Bruxelles ont été tendues aux murs, les couverts d'or et d'argent apportés de
Malines par Marguerite de Savoie  : l'apparat de la Cour de Bourgogne
déploie ses fastes, comme Charles le Téméraire l'aurait souhaité. Sur la
place, un bœuf tourne sur sa broche, une fontaine répand du vin. « Nul autre
homme de notre temps, écrit Dürer, n'a vu choses plus exquises... »
Le 25 octobre, Charles se rend une troisième fois dans la cathédrale pour
vénérer les « Grandes Reliques »: la robe de la Vierge, les langes de l'enfant
Jésus, le linge dont se ceignit le Christ lors de sa passion et le drap qui reçut
la tête de saint Jean-Baptiste. Puis, le lendemain, il prend la route de
Cologne.
1 Karl Brandi, Charles Quint, p. 97.
2 Pendant le Moyen Age, le mot « nation » a un sens précis, conforme à son étymologie («
nascere ») : un groupe d'hommes qui ont une origine commune.
3 Frances Yates, Charles Quint et l'idée d'Empire, in Fêtes de la Renaissance, 2  : Fêtes et
cérémonies au temps de Charles Quint, p. 77.
4 La Bulle d'or a été édictée par l'empereur Charles IV de Luxembourg lors de la diète de Metz, le
25 décembre 1356. Elle définit, en trente articles, les règles relatives à l'élection des empereurs. Elle
est considérée comme l'une des premières constitutions de l'histoire de l'Europe.
5 Joachim de Hohenzollern règne sur le Brandebourg de 1499 à 1535; Albert occupe le siège
épiscopal de Mayence de 1514 à 1545 : le pouvoir et la durée.
6 En 1990, pour le 500e anniversaire de sa naissance, une exposition a présenté à Mayence les
œuvres que le cardinal de Brandebourg a commandées aux artistes de son temps, les collections qu'il
a rassemblées : le catalogue porte témoignage du foyer d'art exceptionnel que Mayence fut sous son
impulsion (Albrecht von Brandeburg, catalogue de l'exposition de Mayence, juin-août 1990).
7 Auguste Mignet, Rivalité de François Ier
et de Charles Quint, p. 124.
8 Le comté palatin du Rhin est fixé depuis le XIIe siècle dans la famille des Wittelsbach. Louis II
de Bavière règne à Munich de 1508 à 1544.
9 Jack Lang, François Ier
ou le rêve italien, p. 19.
10 Henri Martin, Histoire de France, tome VII, p. 435.
11 Jean Giono, Le désastre de Pavie, p. 14.
12 Michelet, Renaissance et Réforme : histoire de France au XVIe
siècle, p. 193.
13
Ibid., p. 193.
14 Auguste Mignet, Rivalité de François Ier
et de Charles Quint, p. 150.
15
Ibid., p. 154.
16 Dans une dépêche du 7 février 1519, que cite Auguste Mignet, Rivalité de François Ier
et de
Charles Quint, p. 160.
17 Robert J. Knecht, Un prince de la Renaissance, François Ier, p. 169.
18 Auguste Mignet, Rivalité de François Ier
et de Charles Quint, p. 158.
19 Vicente Cadenas y Vicent, Diario del emperador Carlos V, p. 119.
20 Alexandre Henne, Histoire du règne de Charles Quint en Belgique, tome I, p. 202.
21
Matériaux pour servir à l'histoire de Marguerite d'Autriche, publiés en 1860. Emmanuel de
Quinsonas fait état notamment d'une lettre de Marguerite de Savoie, en date du 6 novembre 1519, sur
le règlement au duc Georges de Saxe d'une somme de dix mille florins d'or. Marguerite indique à son
neveu qu'elle a « besogné avec les Fugger » (p. 381).
22 Auguste Mignet, Rivalité de François Ier
et de Charles Quint, p. 184-185.
23 Richard Pace est depuis 1516 le secrétaire du roi Henri VIII. Ses fonctions s'apparentent à
celles que remplirait de nos jours un directeur de cabinet.
24 Georges Minois, Henri VIII, p. 149-152.
25 Auguste Mignet, Rivalité de François Ier
et de Charles Quint, p. 196.
26
Ibid., p. 205.
27 Victor Hugo visite, en octobre 1840, Francfort avec Juliette Drouet; il voyage sans autre but
que « de voir des arbres et le ciel ». Dans la salle des Electeurs, il « éprouve le sentiment que
produisent les choses simples qui contiennent de grandes choses » (Le Rhin, Lettres à un ami,
Imprimerie nationale, Paris, 1985, tome I, p. 393).
28 « Nous, Charles V, par la grâce de Dieu, élu roi des Romains... sommes convenu, par forme de
contrat et d'obligation réciproque, de ce qui suit » (Joseph Barre, Histoire générale de l'Allemagne,
tome VIII, p. 1107-1113).
29 Victor Hugo, Le Rhin, Lettres à un ami, tome I, p. 157.
30 Son frère, Ferdinand Ier, sera le dernier. Après lui, les empereurs seront couronnés à Francfort.
CHAPITRE IV

La rencontre avec Luther

A Cologne, Charles Quint prépare la diète, sa première diète d'Empire,


rencontre majeure avec les représentants des Etats et des villes
d'Allemagne1.
Les entretiens de Cologne ont pour objectif de définir l'ordre du jour de la
diète et le déroulement de ses réunions. Pour Chièvres et Gattinara, il s'agit
de sonder les positions des princes, de parvenir, sur le fonctionnement et le
financement des institutions, la conduite de la politique extérieure, à des
solutions consensuelles.
Le prince de Saxe, Frédéric le Sage, n'a pas assisté aux cérémonies du
couronnement. Homme prudent et réservé, il est attentif à ses intérêts, dont
il pense qu'il les défendra mieux dans des réunions restreintes. Il a refusé
que soient prêchées sur ses terres les indulgences destinées à financer la
construction de la basilique Saint-Pierre de Rome; il s'est opposé au nonce
du pape, Jérôme Aléandre, théologien renommé et diplo-matehabile. Par
application du vieux principe  : charité bien ordonnée commence par soi-
même ! Il a rassemblé à Wittenberg une collection de reliques, unique dans
toute la chrétienté, qui attire de nombreux pèlerins  : on accourt de toute
l'Allemagne pour la voir, on paye pour la visiter. Les reliques, Frédéric les
sollicite, les achète, les échange : parcelles de lange de l'enfant Jésus, brins
de paille de la crèche, cheveux de la Vierge et même gouttes de son lait ! Il
accepte mal la concurrence de Rome2...
Il a permis l'élection de Charles Quint et soutient Luther, qui enseigne
l'Ecriture sainte à la faculté de théologie de Wittenberg. Il met en garde la
nouvelle administration impériale contre toute tentative de centralisation et
de lutte contre le luthéranisme naissant. Il est l'un des princes les plus
puissants de l'Empire  : Charles n'a pas les moyens de l'affronter – ou du
moins pas encore.
Il découvre les Allemands, alors emportés par un mouvement collectif,
une fièvre religieuse qui lui est incompréhensible  : selon Tyler, il les
regarde même «avec aversion3 ». Il affronte une crise majeure, qu'il cherche
à résoudre par la négociation. Il saura régler avec les princes les problèmes
de souveraineté : il n'imposera aucune unification politique et respectera la
diversité des Etats allemands. Mais il ne comprend pas la Réforme. Il ne
percevra jamais la raison d'un mouvement qui est la négation de ce qu'il
représente, qui puise ses racines dans l'âme allemande. Mouvement
politique autant que religieux, qui dessine la modernité du XVIe siècle.
Au cours de l'année 1520, Luther a publié livre sur livre : en août, A la
noblesse chrétienne de la nation allemande; en octobre, Prélude sur la
captivité babyloniennede l'Eglise; en novembre, De la liberté du chrétien4.
Ces ouvrages connaissent un immense succès : les quatre mille exemplaires
de la première édition de l'Appel à la noblesse sont épuisés en moins d'une
semaine; douze autres éditions suivent dans la seule année 1520. Luther
n'est plus seul : sa révolte personnelle s'inscrit dans un contexte national où
se mêlent des ambitions politiques, économiques et sociales souvent
contradictoires5.
D'emblée, il est favorable au jeune empereur, il lui tend même la main : «
Dieu nous a donné comme chef un noble jeune homme; il a ainsi éveillé
dans les cœurs un grand espoir6. »
Il attend de Charles Quint une modernisation politique : la création d'une
Allemagne décentralisée et affirmant une conception laïque de l'Etat. Le
rejet aussi des structures et des dogmes de l'Eglise romaine.
L'empereur quitte Cologne le 16 novembre; il remonte le Rhin jusqu'à
Worms. Par petites étapes  : il chasse dans la journée, s'arrête à Bonn,
Coblence, Mayence. A Bonn, le 17 novembre, à l'initiative de Gattinara, il
conclut une alliance avec le roi de Hongrie  : Louis II épousera sa sœur
Marie et son frère Ferdinand Anne de Hongrie7. Il reprend la politique
matrimoniale de son grand-père Maximilien, qui a été celle des ducs Valois
de Bourgogne. Comme Maximilien, il étend son patrimoine avec une
obstination de notaire. De fait, ce sont toutes les couronnes d'Europe, ou
presque, que sa famille va détenir  : sa tante, Catherine d'Aragon, est déjà
reine d'Angleterre; ses sœursvont devenir reine de Danemark, de Suède et
de Norvège, de Hongrie et de Bohême, de Portugal et de France. Sa fille
naturelle, Marguerite, sera duchesse de Parme. Pour les Habsbourg,
l'Europe devient une affaire de famille – et donc d'héritage : elle le restera
jusqu'en 1918.
Charles gagne Worms sans se presser, accueillant les princes et les
seigneurs venus le saluer, tout à la préparation de sa première diète. Il
découvre le cours supérieur du Rhin, qui deviendra son fleuve préféré,
reliant les terres de son enfance aux domaines héréditaires des Habsbourg.
Le 28 novembre 1520, il s'installe à Worms dans le palais épiscopal à côté
de la cathédrale8.
Worms est une petite ville, qui n'a jamais connu pareille affluence et n'est
pas préparée à accueillir une diète  : en quelques semaines, la population
double et les prix s'envolent ! Les seigneurs venus de toute l'Allemagne se
disputent les auberges et les maisons de la vieille ville. Le nonce, qui n'a
pas retenu de chambre, se retrouve dans un appartement non chauffé. A tout
instant, des querelles éclatent. On ne peut sortir la nuit venue : « On donne
et on reçoit des coups de couteau. » Les documents de la diète ajoutent
même  : « On fait le putassier9  ! » L'épidémie de peste, que l'on voulait
éviter à Nuremberg, survient avec le printemps : en quelques semaines, elle
emporte Chièvres et son neveu Guillaume de Croy, Luigi Marliano, Diego
Manuel et d'autres encore. Un mélange d'odeurs putrides, de violence et de
mort.
De Worms la médiévale, il ne reste rien aujourd'hui. Rien, sauf
l'essentiel : la cathédrale et le Rhin. Je connais bien cette vieille ville, qui a
signé avec Auxerre une charte de jumelage au printemps 1968 et,
commemaire d'Auxerre, je m'y suis souvent rendu. La Rhénanie est proche
de ma Bourgogne natale; toutes deux, dans leurs pierres et leurs souvenirs,
appartiennent à ce royaume de l'Europe médiane, dont rêva Charles le
Téméraire. Worms a été détruite deux fois : par les Français au XVIIe siècle
et par les bombes américaines au cours de la Deuxième Guerre mondiale. A
chaque fois, elle a été reconstruite avec patience, minutie et acharnement.
Mais les bâtiments dans lesquels Charles Quint a résidé, où la diète s'est
réunie, n'existent plus  : il faut les imaginer à l'ombre de la cathédrale,
demeurée seul témoignage du Moyen Age : immense et souveraine.
Les entretiens de Cologne, poursuivis tout au long de la remontée du
Rhin, ont préparé le travail. La diète de Worms accomplit une œuvre
législative importante, définit le fonctionnement des institutions impériales,
précise les rôles respectifs de l'empereur et des princes, détermine les
contributions des Etats au financement des guerres extérieures. Charles
prend très au sérieux ses fonctions d'empereur. Il en remplit tous les devoirs
et il veut en faire valoir tous les droits. Il se considère comme le chef moral
de la chrétienté; il lui appartient, à ce titre, de la défendre contre les
infidèles – du dehors et du dedans : les Turcs et les hérétiques. Il apprend
son métier d'empereur avec méthode, sous la conduite de Chièvres, puis de
Gattinara. Comme son arrière-grand-père Charles le Téméraire, il travaille
nuit et jour, avec la même volonté de tout lire, de tout connaître, de tout
comprendre.
Il déploie son talent politique. A le regarder agir cinq siècles après,
j'éprouve un sentiment d'admiration : quelle habileté, quelle maîtrise dans la
conduite des débats ! Toutes les assemblées se ressemblent en dépit de leurs
différences de constitution et d'organisation – et il faut savoir les tenir.
Charles Quint est, plus qu'on ne l'imagine, un monarque constitutionnel qui
doit constamment solliciter les crédits dont il a besoindes Etats généraux
des Pays-Bas, des diètes de l'Empire ou des Cortes de Castille.
A Worms, dans la salle basse de l'évêché où siège la diète, il fait face aux
représentants de l'Allemagne, qui ne le connaissent pas encore et guettent
ses moindres faux pas. Pour le guider, il peut compter sur la meilleure
administration de l'époque, formée à l'exercice du pouvoir, qu'il a héritée
des ducs de Bourgogne. Pendant quatre mois, du 27 janvier au 26 mai 1521,
se succèdent les séances plénières, les réunions préparatoires, les colloques
restreints, les repas et les spectacles. Tout est matière à politique. Gattinara
va de l'un à l'autre, assemble et sépare, approuve et contredit. Les
représentants du pape, Aléandre et Caracciolo, se sont opposés, en vain, à la
comparution de Luther devant la diète. Le 19 février, Charles explique qu'il
ne peut condamner sans entendre  : ce serait contraire aux traditions de
l'Allemagne et aux conseils d'Erasme. De son banc, Frédéric le Sage
l'approuve.
Charles Quint est à la croisée des chemins. Dans le bouillonnement de
l'Allemagne, il cherche à limiter la Réforme par la mise en œuvre d'un
compromis : cette réponse ne sera pas à la hauteur de la crise.
De fait, deux hommes s'affrontent à Worms, l'un et l'autre dans la force
de l'âge  : Charles Quint a vingt et un ans, Martin Luther trente-huit ans.
L'un et l'autre sont dotés d'une énergie peu commune, qu'ils puisent dans la
foi en leur mission : Charles le conservateur défend l'héritage du passé et
s'efforce de contenir la vague de modernisme qui déferle sur la chrétienté;
Luther le réformateur soulève l'Allemagne et l'entraîne dans sa révolte
spirituelle. Ils incarnent deux forces, l'Empire et la Réforme, qui les
dépassent comme les personnages d'une tragédie de Shakespeare.
Luther, s'il ouvre un livre, n'y lit qu'une pensée, la sienne. Il n'apprend
rien qu'il ne porte en lui. Un mot, une phrase, un raisonnement le frappent.
Il s'en empare. Il le laisse descendre en lui, profond, plus profond,jusqu'à ce
qu'il aille toucher un point secret; « d'où jaillit une source vive, une source
qui dormait, attendant l'appel et le choc du sourcier10 ». Les eaux étaient là,
et leur force contenue.
C'est une âme violente, excessive. Il saute de contrastes en contrastes, du
pessimisme le plus désespéré à l'optimisme le plus confiant, d'une
acceptation exaltée de l'enfer à l'abandon en Dieu : de la terreur à l'amour,
de la mort à la vie. Pour le comprendre, il faut regarder le portrait de ses
parents, Hans et Margarita, par son ami Cranach. Deux têtes rudes : « On ne
les dirait pas peintes, mais sculptées dans le granit11 » Rudes, ses parents le
furent : Luther raconte que, jeune, ils l'ont battu jusqu'au sang pour une noix
volée  ! A leur contact, il est devenu résistant, comme les mineurs de
Thuringe dont il est issu. Longtemps, il a été un moine modèle : «Pendant
vingt ans, raconte-t-il, j'ai été un moine pieux. J'ai dit une messe chaque
jour. Je me suis épuisé en prières et en jeûnes. »
Il y a, dans Aurore de Nietzsche, une page bouleversante, qui décrit
l'aventure de l'apôtre Paul, « une âme ambitieuse, un esprit plein de
superstition et d'ardeur»: l'histoire de saint Paul est celle de Martin
Luther12.
Nietzsche montre Paul malade d'une idée fixe, toujours présente à sa
pensée : comment accomplir la Loi ? Il essaye de répondre à ses exigences;
il se contraint, s'ampute  : un homme tel que lui, «violent, sensuel,
mélancolique comme il l'est, raffinant la haine, ne peut accomplir une telle
loi ». Il s'obstine, lutte contre sa nature, parvient à cette conclusion
désespérée  : « Il n'est pas possible de vaincre le tourment de la loi
accomplie. »
« La Loi devient la croix où il se sent cloué  ! Combienil la hait  !
Combien il lui en veut ! » Il l'aime aussi, sans se l'avouer. Au terme de son
tourment, soudain le Christ lui apparaît et Paul entend  : « Pourquoi me
persécutes-tu  ? » Lui  ! Il ne persécute pas le Christ, il le recherche; de
toutes ses forces, il veut l'atteindre, s'unir à lui. L'idée libératrice jaillit. Il
retrouve la santé, comme Nietzsche dans la préface du Gai Savoir  : le
désespoir qui le hantait s'éloigne, car la morale qui le tenaillait s'est envolée,
anéantie, accomplie là-haut avec le Christ sur la Croix. Seule, la foi sauve. «
La destinée des Juifs; non, la destinée de l'humanité entière lui semble liée à
cette seconde d'illumination soudaine. Il tient l'idée des idées, la clef des
clefs, la lumière des lumières; autour de lui gravite désormais l'histoire. »
Le champion de la Loi devient l'apôtre de son anéantissement : « Je suis
en dehors de la Loi; si je voulais confesser de nouveau la Loi et m'y
soumettre, je rendrais le Christ complice du péché. » Car la Loi n'existait
que pour engendrer le péché, continuellement, «comme un sang corrompu
fait sourdre la maladie ». Elle est morte et l'esprit charnel qui la contenait
est, lui aussi, en train de mourir, de tomber en putréfaction. C'est le destin
de l'homme et il faut l'accepter. Le seul espoir du chrétien réside dans la
promesse de la vie éternelle  : uni au Christ, il ressuscitera avec lui.
Nietzsche conclut : « Ici, l'exaltation de saint Paul est à son comble et, avec
elle, l'importunité de son âme; l'idée de l'union avec le Christ lui a fait
perdre toute pudeur, toute mesure, tout esprit de soumission et sa volonté de
domination, implacable, se traduit dans son enivrement : anticipation de la
gloire divine. »
On lit « Paul », on pourrait lire « Luther »  ! Peu importe que la
transcription par Nietzsche des idées de Paul soit, ou non, exacte; que les
formules qu'il applique à Paul puissent, ou non, s'adapter à la pensée de
Luther. Il a tracé d'une main sûre, dans son intuition géniale, les
mouvements de pensée et de conscience des deux hommes, l'apôtre et le
réformateur,qu'unissent «les liens d'une solidarité visible, et qui n'est pas
seulement d'ordre doctrinal : d'ordre moral et psychologique13 ».
Charles Quint n'appartient pas à cet ordre; il ne connaîtra jamais une telle
libération : il est trop lié à la Loi. Sa mission sur terre, telle qu'il la conçoit,
est d'appliquer la Loi, de maintenir l'ordre ancien, même s'il en perçoit les
faiblesses. Il souhaite la réforme de l'Eglise, résolument, mais d'une façon
modérée, raisonnable. Il tient trop aux racines, aux apparences pour
comprendre les deux grandes libérations du XVIe siècle : la Réforme et la
Renaissance.
Et pourtant! Ces deux hommes à la recherche de Dieu, l'empereur et le
moine réformateur, qu'ils me semblent proches dans leur vie de tous les
jours ! Tous deux aiment la joie des sens, acceptent le monde tel que Dieu
l'a créé et la place qu'il leur a donnée. En conscience, ils accomplissent leur
tâche : le maintien de l'Empire pour l'un, la réforme de l'Eglise pour l'autre.
Mais la foi de Luther domine leur affrontement. Cette foi, Luther en use à
la façon d'Abraham, « qui avait femmes, enfants, domestiques, le tout
comme s'il n'avait rien14 ». Avec la conviction que, seules, les richesses
spirituelles sont source de joie. Vivre dans le monde, oui ! User des biens
qu'il nous offre, librement, en toute tranquillité d'âme, oui encore  ! Mais
nous devons nous préparer à les quitter et voir en eux ce qu'ils sont
réellement, les accessoires d'un théâtre aménagé par Dieu.
Au fond, l'empereur et le moine ont jeté le même regard sur le monde, à
la fois de détachement et de désir d'anéantissement. Ein fester Burg ist
unser Gott  : « C'est une forteresse, notre Dieu ! » Ils ont chanté le même
psaume, goûté dès leur enfance la même habitudede la solitude, qui entraîne
souvent mélancolie et tristesse. Ils sont indifférents aux autres. Charles
paraît bon, il est indifférent. Luther méprise les paysans qui le suivent : « Ce
sont des brutes  ! » Pour gouverner les hommes, il faut une forte dose
d'indifférence.
A l'origine de la crise qui emporte l'Allemagne du XVIe siècle, se trouve
une affaire de « cumul des mandats ». Très moderne dans ses conséquences
comme dans sa formulation. Le scandale éclate en 1517.
Le jeune frère du prince électeur de Brandebourg, Albert de
Hohenzollern, a été élu archevêque de Magdebourg, puis évêque de
Halberstadt. Quand l'archevêque de Mayence meurt, il veut également lui
succéder. Les Hohenzollern, avec le soutien des Fugger, poussent leur
fortune. Rome hésite : deux archevêchés et un évêché réunis sur la tête d'un
jeune homme de vingt-quatre ans, c'est beaucoup  ! La question est
politique  : autoriser le cumul, c'est contrôler deux voix à l'approche d'une
élection impériale. Elle est aussi financière  : les Hohenzollern ont-ils les
moyens de payer  ? Ils s'adressent à Jacob Fugger, spécialisé dans le
traitement des affaires romaines, qui avance les sommes réclamées par la
Curie. Fugger organise le financement de l'opération : le nouvel archevêque
vendra des indulgences – avec l'autorisation de Rome – dont le produit,
pour moitié, contribuera à la construction de la basilique Saint-Pierre et,
pour l'autre, assurera le remboursement de ses emprunts...
L'abus révolte l'Allemagne. La Curie a beau expliquer que le cumul des
bénéfices est pratique courante et que Guillaume de Croy a le même âge
qu'Albert de Hohenzollern. Tout est affaire d'argent avec Rome! Luther
clame son indignation contre le cumul des mandats et le commerce qu'il
entraîne. Le 31 octobre 1517, il adresse Quatre-vingt-quinze thèses sur les
indulgences au nouvel archevêque de Mayence. Il prône le changement,
n'accepte plus la poursuite de pratiquesqui déshonorent l'Eglise. Un écho
formidable amplifie sa voix.
La bulle pontificale Exsurge Domine – « Lève-toi, Seigneur, car un
renard ravage la vigne» –, qui condamne ses propositions, est signée à
Rome le 15 juin 1520, mais n'est promulguée en Allemagne qu'en
novembre, après le couronnement d'Aix-la-Chapelle  : Rome ménage le
prince de Saxe. A Nuremberg, en décembre, Luther brûle publiquement un
exemplaire de la bulle, avec l'accord de Frédéric le Sage...
Le 6 mars 1521, comme il l'a promis à Cologne, Charles adresse un sauf-
conduit à Luther, qui permet à ce dernier de circuler librement dans
l'Empire. Le 2 avril, accompagné de Nicolas von Amsdorf et d'un frère
augustin, Martin Luther quitte Wittenberg en direction de Worms. Voyage
triomphal. A Erfurt, lui, le moine excommunié, prêche dans la chapelle de
son ancien couvent  ! De même, à Eisenach. Il est anxieux et malade; la
pensée de Satan ne le quitte pas. « Mais le Christ est vivant, écrit-il de
Francfort à l'un de ses amis. Le Christ est vivant et j'entrerai dans Worms en
dépit de toutes les portes infernales et de toutes les puissances de l'air15 ! »
Les représentants du pape, Aléandre et Caracciolo, prennent peur. Devant
leur maison, la foule chante les Litanies des Allemands, pleines d'injures
furieuses. Le 16 avril, Martin Luther entre dans Worms : plusieurs milliers
de personnes accompagnent sa voiture. Le lendemain, il est conduit devant
l'empereur.
L'official de Trèves, chargé de l'interroger, lui pose deux questions  :
reconnaît-il pour siens les ouvrages publiés sous son nom et rétracte-t-il, ou
non, les affirmations qu'ils contiennent? D'une voix basse, brisée par
l'émotion, il répond qu'il ne renie aucun de ses livres. Pour le reste, il
sollicite un délai de réflexion. L'empereur lui accorde un répit de vingt-
quatre heures.
Le lendemain, 18 avril 1521, un jeudi à six heures du soir, Luther est de
nouveau introduit dans une salle bourrée, surchauffée, éclairée par des
torches. Les gens se pressent, debout, les uns contre les autres. Cette fois,
Luther parle clair.
Ses livres ? Ils sont de trois espèces. Les uns sont des exposés de doctrine
chrétienne, que ses adversaires eux-mêmes reconnaissent comme
salutaires  : il ne saurait les rétracter. Les autres mettent en cause les «
entreprises papistes », qui ont entraîné dans la chrétienté « une double
dévastation : celle des esprits et celle des corps »: pas plus que les premiers,
il ne saurait les rétracter. Les troisièmes sont des écrits de circonstance, qui
répondent à des provocations. Trop mordants sans doute, mais faits pour
combattre l'impiété  ! Qu'on lui donne des juges, qu'on discute ses idées,
qu'on lui montre en quoi elles sont pernicieuses ! « Je ne suis qu'un homme,
je ne me présente pas comme un saint. »
L'official de Trèves reprend la parole : « Pas de discussion ! Oui ou non,
rétractez-vous ? »
Luther le regarde et prononce la déclaration fameuse, qui se répand dans
toute l'Allemagne :
« A moins qu'on ne me convainque par des attestations de l'Ecriture ou
par d'évidentes raisons – car je n'ajoute foi ni au pape ni aux conciles seuls
– je suis lié par les textes scripturaires que j'ai cités et ma conscience est
captive des paroles de Dieu. Je ne puis ni ne veux me rétracter en rien, car il
n'est ni sûr ni honnête d'agir contre sa propre conscience. Je ne puis faire
autrement. Que Dieu me vienne en aide. Amen16. »
Les uns l'applaudissent, les autres le désapprouvent. Dans le tumulte, il se
retire. Il crie à ses amis qui l'attendent : Ich bin hindurch ! « J'en suis sorti. »
Il lerépète : j'en suis sorti ! Il n'a pas cédé, il a bravé l'empereur.
De ses propos, Charles n'a pas tout compris : Luther s'est exprimé d'abord
en allemand, puis en latin. On murmure une traduction approximative à
l'oreille de l'empereur, qui réalise que Luther n'a pas effectué un seul pas
dans sa direction. Peu importe, d'ailleurs, les mots que le réformateur a
prononcés. Sa protestation, à peine formulée, ne lui appartient plus : quand
il parle, chacun, autour de lui, perçoit un son différent et, l'écoutant, caresse
son propre rêve ! A cet instant, Luther, prophète inspiré, exprime la révolte
du peuple allemand.
Quelle va être la réponse de l'empereur? Dans la nuit, Charles rédige une
déclaration, qu'il lit le lendemain devant la diète. Comme Luther, il souhaite
la réforme de l'Eglise; comme lui, il condamne la vente des indulgences et
la vie dissolue de nombreux prêtres. Mais il ne peut suivre le moine
augustin dans son rejet des dogmes, qu'il considère comme des vérités
éternelles. Il décide seul, dégagé de toute tutelle. Il fixe son cap et n'en
changera pas. Plus que tout autre document, cette longue déclaration écrite
de sa main révèle sa pensée. Elle prend la forme d'un engagement solennel.
Charles commence par préciser ses origines, établit sa filiation :
« Vous savez que je descends des empereurs
très chrétiens de la nation germanique,
des rois catholiques d'Espagne,
des archiducs d'Autriche,
des ducs de Bourgogne,
qui ont tous été
jusqu'à la mort
les fils fidèles de l'Eglise romaine,
les défenseurs de la foi catholique,
des cérémonies sacrées,
des décrets,
des ordonnances
et des coutumes de l'Eglise. »
 

Homme de racines, il se situe dans la tradition de ses ancêtres. L'Eglise


constitue le corps du Christ :
« Il est certain
qu'un frère isolé est dans l'erreur
lorsqu'il contredit
toute la chrétienté,
tant du temps passé, depuis plus de mille ans,
que du temps présent,
quand il exprime l'opinion
que la chrétienté
serait et aurait toujours
été dans l'erreur. »
 

Or la tradition ne peut se tromper ! Un homme ne peut rejeter, mettre à


bas mille ans d'histoire de l'Eglise. « Tu es pierre et sur cette pierre je bâtirai
mon église »: Charles n'oubliera jamais la parole du Christ. Sa mission est
de défendre la chrétienté, de maintenir la loi qu'il a reçue en héritage
comme un dépôt sacré. Il affirme :
« Dans cette affaire, je suis résolu à tout engager,
mes royaumes, mes possessions,
mes amis, mon corps et mon sang,
ma vie et mon âme. »
 

Tout engager ! Charles a vingt et un ans : pour sa première manifestation


publique comme empereur, il définit l'axe majeur de sa politique. A contre-
courant. De nombreux princes, les représentants de plusieurs villes ne
peuvent le suivre dans cette voie. Avant de condamner Luther, de le «
mettre au ban de l'Empire », ils demandent un délai que Charles leur
accorde  : « Soit  ! Mais vous devez connaître ma position. » Iltient sa
déclaration des deux mains, la brandit et ajoute  : « Elle est rédigée en
bourguignon – c'est ainsi qu'il appelle le français. Mais je l'ai fait traduire et
vous allez maintenant l'entendre en allemand. »
Quelle prodigieuse confrontation  : Luther face à Charles Quint! Luther
plaçait en l'empereur son « espérance » et l'empereur le rejette, le
condamne, s'oppose au sentiment majoritaire du peuple allemand  ! A
Worms, en avril 1521, Charles Quint choisit la papauté contre la Réforme,
alors que tous les papes, à l'exception d'Adrien, le précepteur de son
enfance, le combattront.
Dès lors, entre l'empereur et le réformateur, le divorce est consommé  :
Charles Quint et Martin Luther ne se reverront plus. Luther quitte Worms le
26 avril, protégé par le sauf-conduit impérial. Il est mis au ban de l'Empire.
Le 4 mai, alors qu'il gagne Gotha, il est enlevé sur la route par des cavaliers
aux ordres de Frédéric le Sage et conduit dans le château de la Wartburg. Il
y séjournera pendant près d'un an.
L'édit impérial qui le condamne ne sera pas appliqué. Il ne peut l'être,
n'étant pas approuvé par les princes, souverains en leurs Etats, maîtres chez
eux de l'exécution des lois de l'Empire. Charles découvre, concrètement, les
limites de son pouvoir. Tout au long de son règne, il recherchera un accord
politique avec les princes luthériens et, directement, avec Melanchthon et
Luther. Son échec à endiguer les progrès de la Réforme le conduira à
réclamer la réunion d'un concile œcuménique pour réconcilier les chrétiens
entre eux. Il n'aura de cesse de parvenir à ce résultat.
Charles Quint quitte Worms le 31 mai 1521. Il va courir l'Europe, mais
ne rattrapera pas son destin. Luther lui a opposé une force nouvelle, qui ne
peut trouver place dans sa conception médiévale de l'univers. La diète de
Worms laissera en lui une empreinte tragique. Sa rencontre avec le moine
réformateur constitue l'un des événements majeurs de sa vie,
rencontrefugitive avec un homme qui ne l'a impressionné ni par sa
prestance ni par ses propos, mais qui l'a soudain rejeté dans le passé.
Pouvait-il faire un autre choix ? S'il prend le parti de la Réforme, il évite
les guerres d'Allemagne qui marquent la fin de son règne. Mais il
compromet l'unité et la cohésion de l'Empire. Comment pourrait-il conduire
dans les Pays-Bas et en Espagne une politique différente de celle entreprise
en Allemagne ? Il effectue le choix que lui dicte sa conscience.
De toute façon, Charles Quint ne pouvait éviter que se produisît la
déchirure de la chrétienté; il pouvait seulement la limiter et la retarder. Mais
il a toujours ressenti comme son véritable échec le fait de n'avoir pu
accomplir la mission qu'il s'était fixée. Sa devise, plus oultre, est celle des
grands destins tragiques de l'histoire : aller au-delà du possible.
Faut-il céder à la modernité au motif qu'elle est la modernité  ? Charles
Quint a répondu par la négative. La question demeure posée à chaque
époque et, sans doute, à chacun d'entre nous.
1 La diète devait se tenir à Nuremberg, mais une épidémie de peste s'est déclarée dans le sud de
l'Allemagne. Worms a été préférée à Nuremberg.
2 R.P. Evangelista Vilanova, Histoire des théologies chrétiennes, tome 2 : Préréforme, Réformes,
Contre-Réforme, note p. 229.
3 Royall Tyler, L'empereur Charles Quint, p. 80.
4 L'expression « captivité babylonienne » est utilisée par Luther pour critiquer le droit du pape
d'interpréter l'Ecriture (Martin Luther, Œuvres, tome I, p. 1441).
5 Olivier Christin, Les Réformes : Luther, Calvin et les protestants, p. 43.
6 Martin Luther, Œuvres, tome I, p. 593.
7 Vicente de Cadenas y Vicent, Diario del emperador Carlos V, p. 135.
8
Ibid., p. 134-137.
9 Peter Lahnstein, Dans les pas de Charles Quint, p. 106-107.
10 Lucien Febvre, Un destin : Martin Luther, p. 48.
11 C. Virgil Gheorghiu, La jeunesse du docteur Luther, p. 49.
12 Nietzsche, Aurore, p. 74.
13 Lucien Febvre, Un destin, Martin Luther, p. 79.
14
Ibid., p. 176.
15
Ibid., p. 185.
16 Martin Luther, Œuvres, tome I, Discours de Worms, p. 875-879.
CHAPITRE V

La lutte contre François Ier


La guerre qui commence en 1521 entre l'empereur et le roi de France ne
cessera guère. François Ier mourra en mars 1547, Charles Quint en
septembre 1558 : elle durera encore.
François Ier déclenche les hostilités au printemps. Il juge le pouvoir
impérial affaibli par la révolte des Comunidades en Espagne et l'action de
Luther en Allemagne. Il apprécie mal la situation  : en avril 1521, les
comuneros sont battus à Villalar et la « guerre des paysans » n'éclatera en
Allemagne qu'en juin 1524. Mais, à la cour de France, la conviction
l'emporte de plus en plus que l'élection à l'Empire de Charles Quint
représente un danger mortel pour le royaume : la France risque d'être prise
en tenailles entre les Pays-Bas, l'Allemagne, l'Italie et l'Espagne. Il faut
desserrer l'étau, et vite, avant que l'empereur rassemble ses possessions en
un tout cohérent. Ne pas lui en laisser le temps  : la guerre répond à cette
préoccupation majeure.
François Ier multiplie les pressions. Il adresse, dans les premiers mois de
1521, « des réclamations si déraisonnables, en des termes si exorbitants »,
que l'empereur ne peut les satisfaire : c'est du moins le souvenirde Charles
Quint, quand il rédige ses Mémoires en 15501.
D'une façon très moderne, des querelles secondaires permettent aux deux
rivaux, pendant les premiers mois du conflit, de s'affronter sans se
découvrir : « Les satellites sont au premier rang2. » Le roi de France envoie
au combat le roi de Navarre, le duc de Bouillon, le duc de Gueldre  : le
premier attaque au sud en direction de l'Espagne; les deux autres harcèlent
les frontières des Pays-Bas.
Chièvres n'était pas favorable à la guerre : pour les Pays-Bas, la paix est
la condition de l'expansion économique. Quand Charles VIII s'est lancé
dans l'aventure italienne, le gouvernement de Bruxelles a éprouvé un
sentiment de soulagement; pas un instant, il n'a imaginé qu'un duc de
Bourgogne pourrait un jour « s'asseoir à la table de jeu italienne3 ». Mais
Chièvres est mort et Gattinara parvient au premier rang. « Italien jusqu'à la
moelle des os », il place l'Italie – et non plus les Pays-Bas – au cœur des
préoccupations du pouvoir. L'Italie est nécessaire à l'unité de l'Empire.
Mercurino de Gattinara est l'un des plus grands administrateurs du XVIe
siècle, « génial et universel » pour Brandi4. Piémontais de naissance, par sa
connaissance des dossiers, son acharnement au travail, il devient le
principal conseiller de Marguerite de Savoie : successivement, président du
Conseil de Bresse, président du Parlement de Dole, chef du Conseil privé
de l'archiduchesse. A la différence de Chièvres, il ne recherche pas l'argent :
pour acheter en Franche-Comté la seigneurie de Chevigny, il vend ses terres
d'Italie5. Le contraire d'un homme de cour  : n'aimantpas les honneurs,
faisant un seul repas par jour, il lit, annote, écrit sans cesse d'une belle
écriture ronde des pages que l'Histoire a conservées. Il croit à la trace écrite
qu'un homme laisse après lui : il rédige sa propre biographie, Historia vitae
et gestorum per dominum Magnum Cancellarium, que Carlo Bornate a
publiée à Turin au début du siècle6. Haïssant le mensonge, conscient de sa
valeur, il fait preuve d'une rare indépendance de caractère  : « Madame,
écrit-il en octobre 1509 à Marguerite de Savoie, je n'ai pas si mal vécu en ce
monde, je n'ai pas acquis une si mauvaise renommée que je ne puisse
toujours aller tête découverte. »
L'exemple d'un grand serviteur de l'Etat  : il défend ses opinions et ne
cède pas aux pressions. Quand la duchesse de Savoie lui retire la présidence
du Parlement de Dole, il se retire dans un couvent aux Pays-Bas. Il attend
son heure, qui vient en juin 1518, lorsque meurt Jean Le Sauvage  : il est
alors nommé grand chancelier.
Il croit à l'Empire et veut instaurer une monarchie universelle. Il a lu
Dante, qu'il cite souvent  : « L'Empire est un principat au-dessus de tous
ceux qui existent dans le temps7. » Dans une note du 12 juillet 1519 qu'il
adresse à Charles Quint, il précise sa conception : « Sire, puisque Dieu vous
a conféré cette grâce immense de vous élever à une puissance que jusqu'ici
n'a possédée que votre prédécesseur Charlemagne, vous êtes sur la voie de
la monarchie universelle, vous allez réunir la chrétienté sous une seule
houlette8. »
Gattinara reprend la parabole du bon pasteur  : « Il n'y aura qu'un seul
troupeau et un seul berger. » A l'exemple des empereurs stoïciens, Charles
doit craindre Dieu, pratiquer l'humilité, respecter sa mère, s'entendre avec
son frère. Il doit aussi beaucoup travailler,chaque jour dès son lever. Il doit
se modérer comme Titus, être généreux comme Sénèque, en tout « mettre la
juste mesure ». Dans l'organisation du pouvoir, Gattinara conseille de
laisser une grande initiative aux gouvernements locaux. La monarchie
universelle, telle qu'il la conçoit, est fondée sur la décentralisation.
En 1521, il a cinquante-six ans et une solide expérience des relations
internationales. Il noue des liens étroits avec la Pologne et la Hongrie dans
le souci de préserver les marches orientales de l'Empire  : Belgrade est
tombée aux mains des Turcs le 31 mars 1521. En Italie, il reprend la
politique traditionnelle des rois d'Aragon : le contrôle de la Méditerranée est
nécessaire pour assurer la sécurité des liaisons entre l'Espagne, l'Italie et les
comptoirs d'Afrique. De même, au nord de la péninsule, la possession de la
Lombardie doit garder ouvertes les routes qui relient l'Espagne à l'Autriche.
Une telle politique suppose un accord avec le pape  : Gattinara n'a de
cesse de le trouver. Le 28 mai 1521, Léon X ratifie à Rome le traité que le
grand chancelier a préparé. Les archives de Vienne conservent une note
manuscrite de la main du pape : « Nous le promettons. » Que promet-il ? Le
rétablissement du duc Francesco Sforza à Milan et du doge Antonio Adorno
à Gênes. En échange, l'empereur s'engage à soutenir les revendications du
pape concernant Ferrare, Florence et Sienne. Si la disette survient à Rome,
il assurera le ravitaillement de la ville. Et, naturellement, il paye : pour le
pape, pour le cardinal Jules de Médicis – le futur Clément VII – et même
pour Alexandre, le fils de Laurent de Médicis ! Mais le pape lui remettra la
couronne impériale et lui accorde l'investiture du royaume de Naples : pour
la première fois, un pape contrevient à la règle fixée par ses prédécesseurs,
selon laquelle un roi de Naples ne peut être empereur. Les Habsbourg et les
Médicis se partagent l'Italie.
Avec cette prime en main, Gattinara persuadeCharles Quint de répondre à
la déclaration de guerre de François Ier par la conquête de la Lombardie.
C'est, pour l'historien américain Royall Tyler, la première, l'irrémédiable
faute, mais Charles Quint peut-il faire autrement? L'Empire suppose le
contrôle de l'Italie. Gattinara va à l'encontre de la politique de Chièvres, il
ne s'en cache pas. Il explique sa position dans les notes personnelles qu'il
adresse à l'empereur. Les archives de sa famille conservent la minute d'une
lettre, malheureusement non datée, qui résume sa politique  : « Sire, il
convient avant tout de tourner vos yeux vers l'Italie9. »
Gattinara n'est pas seul à tourner les yeux vers l'Italie : François Ier a, lui
aussi, l'Italie en tête. Et c'est en Italie qu'il va perdre le combat qu'il engage
en 1521 contre Charles Quint.
Ce dernier a quitté Worms et rejoint Bruxelles. Il organise la défense des
Pays-Bas contre les Français. Sans cesse en chemin dans l'été et l'automne
1521, il parcourt la Flandre, le Hainaut et l'Artois.
Gattinara obtient l'appui du roi d'Angleterre. De nouveau, contre la
France, Henri VIII choisit le camp de l'empereur. Il envoie à Bruges le
cardinal Wolsey promettre au grand chancelier l'alliance anglaise. Il propose
aussi, et dans le même temps, un accord à François Ier. Le roi de France se
montre hésitant : un jour, il accepte la trêve et, le lendemain, la refuse. En
fonction de la situation militaire.
Henri de Nassau a repoussé les troupes du duc de Bouillon; il entre en
France et, le 30 août, met le siège devant Mézières, que défend le chevalier
de Bayard. François Ier lève une armée de vingt-cinq mille hommes, libère
Mézières, marche à la rencontre de Charles Quint, qui est retranché derrière
l'Escaut.
L'affrontement décisif va-t-il se produire  ? Le 22 octobre, une dernière
fois, Wolsey propose une trêve à François Ier, qui la rejette. Le lendemain,
le roi trouve devant lui l'armée impériale; il n'ose pas l'attaquer, bien qu'il
ait l'avantage du nombre et du terrain. « Ce jour-là, note Guillaume du
Bellay, Dieu nous avait baillé nos ennemis entre les mains10. » François Ier
ne saisit pas la chance qui s'offre. La guerre s'étend et se durcit.
Le 26 octobre, Charles Quint s'installe à Audenarde. Jacques de
Luxembourg a mis le siège devant Tournai. La ville est puissamment
fortifiée et les troupes impériales sont mal ravitaillées; les soldats sont
malades, atteints par la dysenterie  : Luxembourg veut renoncer. Mais
Charles s'obstine. Avec raison : Tournai se rend le 1er décembre 1521.
A Audenarde, l'automne est froid; la pluie tombe sans arrêt et, dans le
château de Charles de Lalaing où l'empereur réside, les soirées sont longues
et glaciales. Charles a vingt et un ans et n'aime pas dormir seul : il a besoin
de la chaleur d'un corps auprès de lui. Il remarque une jeune servante de
Madame de Lalaing, Jeanne van der Gheynst. Une nature simple et
voluptueuse. Jeanne se trouve bientôt enceinte : une petite fille, Marguerite,
naîtra en août 1522, qui jouera un rôle important dans la politique
matrimoniale de son père, épousant Alexandre de Médicis, puis Ottavio
Farnèse. En 1559, elle deviendra régente des Pays-Bas. Sa marraine est
Marguerite de Savoie, qui se charge de son éducation.
Comme l'a prévu Gattinara, le sort de la guerre se joue en Italie. Une
armée impériale, aux ordres du marquis de Pescara, marche vers Milan et
opère sa jonction avec les troupes de l'Eglise, que commande Prospero
Colonna. Pescara et Colonna ne s'entendent pas  :Francesco Guicciardini,
nommé par le pape « commissaire général de l'armée», décrit dans son
Histoire d'Italie la rivalité des deux chefs. Faut-il marcher sur Parme ou sur
Plaisance  ? Dans un premier temps, on choisit Plaisance  : c'est l'avis de
Guicciardini, qui n'est pas retenu. On décide finalement, « dans le désordre
et sans réflexion », d'aller mettre le siège devant Parme11. Là, un nouveau
désaccord surgit  : faut-il donner l'assaut  ? Colonna et Pescara hésitent,
attendent. Leur inaction sert les Français. Le maréchal de Lautrec regroupe
ses troupes et fonce sur Parme. Colonna et Pescara doivent lever le siège.
Qui va décider de l'issue de la guerre ? A nouveau et toujours les Suisses,
comme à Ravenne, comme à Marignan  : il est du destin de Milan, note
Guicciardini, «de n'être défendu ou attaqué qu'au péril des Suisses et au prix
de leur sang12 ».
Les Suisses qui servent dans l'armée française ne sont pas payés  : ils
partent « presque tous soudainement ». Lautrec n'a pas reçu l'argent
nécessaire pour régler les soldes... Les Suisses sont les meilleurs
mercenaires d'Europe  : en Italie, ils combattent dans les deux camps. Le
cardinal de Sion, qui déteste les Français, en a recruté quelques milliers
pour le compte du pape. Pour une fois, ils sont bien payés  ! Ils aident
Colonna à prendre Milan. Le 19 novembre, alors qu'ils entrent dans la ville,
Lautrec se promène à cheval « oisivement, sans armes » et son frère Lescun
« dort dans son logis » : Milan n'est pas défendue13.
Tous ces détails, et d'autres encore, sont relatés par Guicciardini dans son
Histoire d'Italie, qui s'étend de la conquête de Naples par Charles VIII à la
mort du pape Clément VII en 1534. Il s'agit d'un témoignage exceptionnel,
à la fois d'un homme d'Etat et d'un historien,sans doute l'un des plus grands
de la littérature italienne.
Guicciardini cisèle la première phrase de son livre, comme un sculpteur
polit sa pierre : « J'ai décidé, quant à moi, d'écrire les choses advenues de
notre temps en Italie, après que les armes des Français, appelées par nos
princes eux-mêmes, eurent commencé, non sans très grande agitation, à la
troubler14. »
L'Italie est alors « une mer agitée par les vents », formée d'une mosaïque
d'Etats indépendants, jaloux les uns des autres, toujours en guerre entre eux.
Les plus faibles appellent l'étranger à leur secours : le roi de France, le roi
d'Espagne, l'empereur d'Allemagne interviennent ainsi successivement, et
parfois ensemble.
Pour rédiger son livre, Guicciardini a conduit un gigantesque travail de
dépouillement des archives de Rome et de Florence. De plus, il a accumulé
des notes personnelles tout au long de sa carrière. Il confronte ses sources,
s'interroge quand il trouve des contradictions, recherche la vérité des
choses. Pour décrire cette période tragique de l'histoire de l'Italie, il utilise
une écriture directe, nue, sans artifices, comme celle de Commynes, mais
plus complexe et plus élaborée.
Né le 6 mars 1483, il appartient à une grande famille de Florence liée aux
Médicis. D'abord avocat, il est nommé ambassadeur à vingt-huit ans auprès
du roi Ferdinand d'Aragon – qui sera l'un des modèles de Machiavel  :
Ferdinand est un prince « d'une puissance et d'une prudence extrêmes ». En
Espagne, Guicciardini commence à rédiger pour sa réflexion personnelle
des ricordi, des « avertissements », qui résument les leçons qu'il tire, jour
après jour, de son expérience politique.
Léon X le nomme en juin 1513 gouverneur de Modène, où il se lie
d'amitié avec Nicolas Machiavel, qui devient son «presque frère».
Guicciardini etMachiavel sont tous deux persuadés que Charles Quint veut
«se faire seigneur de l'Italie entière». Contre lui, ils participent à la guerre
de 1526, qui se termine par un désastre : le sac de Rome par les troupes de
Charles Quint. L'Histoire d'Italie retrace un échec politique. Reste de
Guicciardini l'œuvre littéraire, comme c'est souvent le cas de ceux qui,
après avoir conduit une action publique, cherchent refuge dans l'écriture.
Le 1er décembre 1521, le jour de la prise de Tournai par Charles Quint, le
pape Léon X meurt.
Dans sa villa sur le Tibre, il apprend la conquête de Milan, qui lui cause «
un immense plaisir ». Mais, soudain, il est pris par la fièvre, si forte que ses
médecins décident de le ramener à Rome. Il succombe en quelques jours, «
au faîte de la gloire et de la félicité ». Le jour même de sa mort, Parme
tombe aux mains des soldats de l'Eglise. Le pape n'a pas de désir plus cher :
« Si cette grâce doit m'être accordée, il ne m'en coûtera pas de mourir ! »
Elle lui est donnée et il meurt.
Contre toute attente, un cardinal étranger est élu  : un « pape barbare »
pour Guicciardini, le dernier avant Jean-Paul II. Le choix des cardinaux se
porte sur Adrien Floriszoon d'Utrecht, évêque de Tortosa, qui gouverne
l'Espagne pour Charles Quint. De nombreux historiens ont vu dans cette
élection une manœuvre politique et décrit le triomphe du parti des
Habsbourg15. L'élection d'Adrien d'Utrecht – l'ancien précepteur de Charles
Quint – a-t-elle été préméditée ? Il ne semble pas.
Le conclave qui s'ouvre est dominé par l'ambition du cardinal Jules de
Médicis qui a rassemblé sur son nom quinze cardinaux. Mais, contre lui,
s'élèvent les cardinaux les plus âgés, les Français, tous ceux queLéon X a
maltraités et qui forment une coalition disparate, mais majoritaire. Jules de
Médicis espère que ses adversaires se lasseront ou se diviseront. S'ils ne
sont pas d'accord pour l'élire, ils ne le sont pas davantage pour choisir un
autre candidat : il lui faut donc tenir. Mais l'un de ses partisans, le cardinal
Petrucci, veut quitter Rome; il craint une révolution chez lui, à Sienne. Il
presse l'élection et propose le nom du cardinal de Tortosa, que personne ne
connaît – ou presque. Le cardinal de San Sisto fait l'éloge des vertus et du
savoir d'Adrien d'Utrecht. Le jour même, ce dernier est élu à l'unanimité, «
sans que ceux qui l'ont choisi sachent dire pourquoi ».
Cette «extravagance, selon Guicciardini, qu'aucun argument, ne saurait
excuser », est imputée au Saint-Esprit, faute de mieux! Adrien d'Utrecht
n'est jamais allé en Italie; il ne songeait même pas à s'y rendre un jour. Le
voici pape ! Il hésite, attend près de six mois pour gagner l'Italie. A Rome,
il va vivre comme un moine, étranger aux affaires, intéressé uniquement par
la réforme de l'Eglise, qu'il ne pourra même pas entreprendre : un abîme le
sépare des cardinaux qui l'ont élu.
L'empereur attend de lui qu'il se déclare contre la France. Les lettres qu'il
adresse à Charles Quint révèlent un trouble de conscience  : d'un côté,
Adrien veut rester fidèle à son élève et, de l'autre, il pense que l'Eglise doit
se tenir à l'écart des luttes politiques16.
Un pape proche de l'empereur et, sur le terrain, un commandant en chef
pour la France, Lautrec, qui n'est pas à la hauteur : l'année 1522 s'annonce
difficile pour François Ier.
Dans Milan, un moine augustin, Andrea Barbato, prêche la haine des
Français  : « S'ils prennent la ville, ils vous massacreront  ! » Annonçant
l'Apocalypse, ilappelle à la résistance. Prospero Colonna redresse les
remparts, renforce les défenses  : Lautrec approche. Dans leur marche, les
Français détruisent les moulins, dévient le cours des canaux, interceptent les
convois de ravitaillement : ils veulent affamer les Milanais.
Les deux camps sont sans argent. Les mercenaires allemands de Colonna
ne sont plus payés  ; les Suisses de Lautrec ne le sont pas davantage. Ils
exigent le règlement de leurs soldes  : Lautrec leur explique que le retard
pris à les payer ne vient pas d'un manquement du roi de France, mais des
dangers du chemin. L'argent va arriver. Demain ? La semaine prochaine ?
Lautrec ne réussit pas à les convaincre  : les Suisses décident de
l'abandonner17. Mais, avant de rejoindre leurs montagnes, ils veulent bien,
une dernière fois, se battre ! Lautrec n'a guère le choix. Il tente sa chance
dans une bataille hasardeuse : s'il refuse le combat, il perd la guerre – faute
de Suisses !
Il marche vers La Bicoque, village situé à quelques kilomètres de Milan,
où Colonna s'est retranché. Les pluies sont tombées en abondance, les
champs gorgés d'eau  : Lautrec ne peut utiliser sa cavalerie. Malgré ce
handicap, le 27 avril 1522, il se résout à attaquer et use d'un stratagème : il
fait revêtir à ses soldats un surcot frappé d'une croix rouge, insigne de
l'armée impériale, au lieu d'une croix blanche, marque de l'armée française.
Le jour n'est pas encore levé; dans l'obscurité, les Suisses se lancent à
l'assaut, s'obstinent comme ils l'ont promis. Mais ils ne peuvent enlever La
Bicoque et se retirent à Monza, en bon ordre, emmenant leurs blessés.
Colonna ne les poursuit pas, ne voulant pas « effacer par sa témérité le
souvenir de la témérité d'au-trui». « Demain, déclare-t-il à ses capitaines,
vous verrez clairement ce que nous avons fait aujourd'hui. Perdant courage,
l'ennemi repassera les monts18. »
Effectivement, le lendemain, Lautrec évacue Monza, les Suisses
regagnent leur pays et les Français abandonnent le Milanais. Colonna prend
Gênes; le doge Ottaviano Fregoso se constitue prisonnier. François Ier perd
tout espoir de rétablir la situation en Italie.
Il le perd d'autant plus que, contre lui, au cœur de son royaume, Charles
Quint trouve un allié décisif en la personne du connétable de Bourbon.
Celui-ci va trahir son roi et s'engager au service de l'empereur.
« L'affaire Bourbon » pouvait-elle être évitée  ? François Ier, à tout le
moins, aurait pu en limiter les conséquences, mais il ne s'est pas comporté,
en face du connétable, comme un souverain moderne. Il a agi en prince
féodal, et même en propriétaire terrien défendant son domaine. La raison
d'Etat lui commandait de ménager Bourbon ou de le tuer. Giono, qui prend
un réel plaisir à décrire la rivalité de François Ier et de Bourbon, conclut :
«Le meurtre était tout indiqué19. »
Le connétable possède en France des provinces entières : les duchés du
Bourbonnais, de Châtellerault et d'Auvergne; les comtés de Montpensier, du
Forez et de La Marche; les vicomtés de Carlat et de Murat; les seigneuries
de Combrailles, de la Roche-en-Regniers et d'Annonay; à l'est, la Bresse et
la Dombes. Maître d'un tel domaine, il est naturellement suspect s'il reste
dans l'obéissance; il devient un ennemi redoutable s'il en sort.
 

En 1523, il a trente-quatre ans. Héritier de la branche cadette, il est


devenu duc de Bourbon à la mort de son oncle, Pierre de Beaujeu, qui fut
régent du royaume pendant la minorité de Charles VIII. Bourbon a épousé
sa cousine germaine Suzanne, uniquehéritière de la branche aînée. Sa tante,
Anne de Beaujeu, qui l'a élevé, est ainsi devenue sa belle-mère...
Bourbon est un chevalier accompli, « le meilleur homme de guerre du
royaume20». En 1515, après Marignan, François Ier lui confie le
gouvernement du Milanais, qu'il lui retire en 1516 : il n'a pas confiance et
Bourbon est trop puissant  ! En 1521, lorsque la guerre s'engage, le roi ne
donne aucun commandement au connétable – qui se sent humilié.
Or c'est un homme de caractère, capable de tous les emportements. Titien
a tracé de lui un portrait saisissant : un regard sombre, une bouche ferme, le
visage passionné – celui d'un grand aventurier21.
Suzanne de Bourbon meurt le 28 avril 1521  ; elle n'a pas d'enfants et
lègue ses biens à son mari. Louise de Savoie, qui est sa cousine germaine et
sa plus proche parente, revendique l'héritage  : avec l'accord du roi, elle
intente un procès, l'engage au pire moment pour le pays, en avril 1522, alors
que Lautrec est battu à La Bicoque. « Madame », comme on la nomme, a
toujours eu le sens de ses intérêts. Si elle peut obtenir l'héritage de la
cousine Suzanne par décision de justice, elle ne s'en privera pas  ! Le
chancelier Duprat la conseille, intervient pour elle auprès du premier
président du Parlement de Paris. Non seulement, le roi laisse sa mère
poursuivre le connétable, mais il se joint à elle, réclame le retour au
domaine royal de tous les fiefs des Bourbon transmissibles aux héritiers
mâles...
Deux procès, dont l'un intenté par le roi en personne, s'engagent devant le
Parlement de Paris, seul compétent pour juger un pair de France. Les
avocats analysent les titres de propriété, les uns relevant du droit féodal,
d'autres du droit coutumier. Ils plaident interminablement : ce beau et vrai
procès fait oublierla guerre et passionne la France ! Il traîne et l'on parvient
ainsi, sans décision claire, aux vacances de l'été 1523. Le Parlement se
sépare, remet sa décision à la rentrée d'automne, c'est-à-dire à la Saint-
Martin  ! Mais, pendant l'été, le chancelier Duprat obtient pour le roi du
président de Selve une ordonnance de séquestre des biens de Bourbon, qui
autorise l'Etat à percevoir les revenus des domaines du connétable. La
décision n'est pas sans intérêt pour François Ier, « à court d'argent à la veille
d'une campagne militaire22 ».
Elle jette le connétable dans les bras de Charles Quint. Après la mort de
Suzanne, l'empereur lui fait dire par son ambassadeur à Paris  : « Mon
maître, qui vous aime, a une sœur dont j'ai mission de vous parler, si vous
voulez vous marier  ! » L'évêque d'Autun assiste à l'entretien et, lors du
procès de Bourbon, racontera tout23.
Les discussions s'engagent en 1522 pendant le siège de Thérouanne  :
François d'Escars, sénéchal du Bourbonnais, prend contact avec un
chambellan de l'empereur, Adrien de Croy, seigneur de Beaurain. Pour
Charles Quint, l'affaire est capitale  : il s'agit de détacher le plus puissant
seigneur français, de l'entraîner dans la guerre contre son roi. Beaurain
évoque un mariage de Bourbon avec une sœur de Charles Quint – Eléonore
ou Catherine au choix. Il propose une alliance politique, promet en cas de
victoire la couronne de roi de Provence. De quoi tenter le diable !
Au printemps 1523, le connétable se rend à Paris et rencontre le roi.
L'ambassadeur d'Angleterre assiste à l'entretien  : le dialogue est vif.
François Ier reproche à son cousin sa liaison avec l'empereur, son projet de
mariage :
« Il paraît que vous êtes marié ou sur le point de l'être ?
– Sire, est-ce une menace ? »
Bourbon, pour la dernière fois, va remplir en Champagne les obligations
de sa charge du connétable  : il mate une rébellion de déserteurs, avant de
regagner ses Etats24. En juillet 1523, Beaurain s'installe à l'abbaye de Brou.
Sous prétexte d'un pèlerinage à Notre-Dame-du-Puy, Bourbon s'établit à
Montbrison; le 17 juillet, Beaurain l'y retrouve. Le connétable a réuni
autour de lui ses conseillers, ses amis, ses fidèles : Antoine de Chabannes,
évêque du Puy, frère du maréchal de La Palice, Jacques Hurault de
Cheverny, évêque d'Autun, et Jean de Poitiers, seigneur de Saint-Vallier. Ce
dernier a été gouverneur du Dauphiné. Louis XI lui a donné le Valentinois,
François Ier le lui a repris : Saint-Vallier est amer. Il a marié sa fille, la belle
Diane de Poitiers, au grand sénéchal de Normandie. Bourbon le rallie à sa
cause :
« Cousin, tu es aussi maltraité que moi. Veux-tu jurer de ne rien dire de
ce que je vais te confier ? »
Saint-Vallier jure sur un reliquaire, que Bourbon porte à son cou et qui
contient un morceau de la vraie Croix. Il apprend la conjuration, assiste à la
dernière entrevue entre Bourbon et Beaurain. Tout cela le conduira à
l'échafaud en janvier 1524. Au dernier moment, alors que le bourreau lèvera
l'épée pour le décapiter, son gendre et sa fille obtiendront sa grâce. Il
mourra dans son lit en 1539.
Dans la nuit du 18 au 19 juillet 1523, un traité est signé  : Bourbon
épousera l'une des sœurs de Charles Quint et entrera en guerre contre
François Ier. Un plan de campagne est élaboré  : l'empereur marchera
d'Espagne sur Narbonne avec une armée, dont le traité précise l'effectif  :
dix-huit mille Espagnols, dix mille Allemands, quatre mille cavaliers. Dans
le même temps, le roi d'Angleterre débarquera sur la côte normande avec
quinze mille Anglais, auxquels se join-drontsix mille hommes levés dans
les Pays-Bas. Le duc de Bourbon se portera sur Dijon avec ses propres
troupes et dix mille Allemands.
Le lendemain de l'accord, Saint-Vallier prend peur :
« C'est une trahison ! Vous ne pouvez contribuer à la perte du royaume.
Les ennemis, quand vous les aurez introduits, vous chasseront de France ! »
Le connétable hésite, se ressaisit : il donne l'ordre de fortifier et de munir
de canons, de poudres et de vivres ses deux principales places, Chantelle et
Carlat. Il envoie l'évêque du Puy auprès du duc de Savoie. Il écrit à deux
jeunes seigneurs normands, qui ont servi sous ses ordres, Jacques de
Matignon et Jacques d'Argouges, leur demande de rejoindre à Vendôme
Lurcy, l'un de ses valets de chambre. Il quitte ensuite Montbrison le corps
malade, l'esprit agité, et gagne Moulins, où il va attendre que jouent les
ressorts qu'il a mis en œuvre.
 

Les deux jeunes Normands, Matignon et d'Argouges, se rendent à


Vendôme  : le valet du duc les attend à l'Auberge des Trois Rois. Ils
s'effrayent des propos qu'il leur tient et qui les dépassent. Un débarquement
de l'armée anglaise en Normandie  ? Ils s'attendaient à rejoindre l'armée
française en Italie! Ils désapprouvent la conjuration dans laquelle on veut
les entraîner. Comme l'époque est particulière, ils vont à confesse : l'évêque
de Lisieux qui les entend s'effraye à son tour, informe le grand sénéchal de
Normandie, le gendre de Saint-Vallier, qui rend compte au roi :
« Sire, il est nécessaire de vous garder. L'un des plus grands personnages
de votre royaume et de votre sang va essayer de vous enlever entre Paris et
Lyon et de vous mener en une place forte du Bourbonnais. »
François Ier reçoit la lettre du sénéchal à Saint-Pierre-le-Moustier le 15
août, alors qu'il se prépare à entrer dans Moulins. Il feint d'avoir mal à la
jambe, retarde son arrivée dans l'attente de renforts. Bourbon l'attend au lit,
souffrant lui aussi  ! Philippe Chabot de Brion,l'ami d'enfance de François
Ier, qui accompagne le roi, dressera une relation de l'entrevue devant le
Parlement.
François Ier affirme qu'il ne peut croire aux rapports qui lui ont été
adressés : il garde sa confiance au connétable, souhaite le voir à ses côtés à
la tête de l'armée d'Italie. Bourbon répond qu'il a été sollicité par l'empereur,
mais qu'il n'a pas accepté les propositions de ce dernier. Dès qu'il sera
rétabli, il rejoindra le roi à Lyon. Une scène de comédie !
Le deuxième acte se joue en septembre. Le connétable n'a pas rejoint
Lyon, mais a conclu avec un envoyé du roi d'Angleterre un accord
complémentaire de celui déjà signé avec Beaurain... Le roi ordonne son
arrestation. Bourbon se réfugie dans son château de Chantelle. Il hésite
encore : «il est au moment où l'amour se change en haine », note Giono. Sa
haine ne le porte pas encore.
Il gagne un autre château, Herment. Un matin, habillé comme un valet
d'une robe de laine noire, il s'enfuit en direction de la Franche-Comté. Deux
gentilshommes et son médecin l'accompagnent; des mules portent des sacs
d'or et une malle contenant des joyaux. Bourbon erre de village en village.
Le trajet qu'il suit est connu par la déposition du châtelain d'Herment lors
du procès : Saint-Flour, Ruynes, La Garde. Il ne sait où aller, sans ressort,
sans projet, sans idée. Il n'a pas d'asile sûr; tous les chemins sont gardés. Il
devrait être à la tête d'une armée en Franche-Comté et le voici errant dans
les montagnes d'Au-vergne !
Bourbon abandonne ses mules, son or, ses joyaux. Il part accompagné
d'un seul homme, Pompérant, ou, plus exactement, précédé de Pompérant,
car il porte toujours sa robe de valet et un valet suit son maître. Il coupe
même ses longs cheveux. Plus il va, plus il se déguise. Il n'est pas traqué,
mais imagine qu'il l'est. Il est cerné par lui-même, par le désordre de sa
passion.La mélancolie l'envahit : pourquoi cette fuite ? A quoi ressemble-t-
elle ? Voici Bourbon face à son destin.
Grand féodal, il sait qu'il est condamné plus par l'époque dans laquelle il
vit que par le roi. Il voudrait simplement faire durer les choses autant que
lui. Pendant trois semaines, on perd sa trace. Est-il descendu vers le
Languedoc ? Peut-être ! Mais il a rebroussé chemin, est remonté vers Lyon;
il traverse le Rhône. Giono décrit Pompérant achetant du boudin sur le bord
du fleuve à un boucher, « qui fait cuire un chaudron de cochonnailles en
plein air25 »  ! Les cochonnailles sont nécessaires à la compréhension de
Bourbon. C'est un soldat perdu; il se raccroche aux riens de la vie
quotidienne, l'odeur du tabac sur les lèvres, la chaleur du boudin, la
fraîcheur d'une rasade de vin. Comme tous les soldats perdus de toutes les
époques, il sait qu'il joue à contretemps. Il n'épousera pas la sœur de
l'empereur. Mais il ne peut imaginer que, lui, connétable de France, finira
en donnant l'assaut à Rome, entouré d'aventuriers venus de toute l'Europe !
Le 8 octobre, Bourbon arrive à Chambéry; il a l'intention de franchir les
Alpes et de gagner Suze. Il aperçoit le comte de Saint-Pol en route vers
l'Italie, qui va rejoindre l'armée française. Il change de chemin, monte le col
du Chat, descend vers la Franche-Comté  : le voici à Saint-Claude, où
l'accueille le cardinal de La Baume. Il retrouve ses gentilshommes, qu'il a
abandonnés à Herment; au milieu d'eux, il entre triomphalement dans
Besançon. Désormais en sécurité, il rejoint l'armée impériale par Trente,
Mantoue et Crémone. Il ira au bout de son chemin.
François Ier, lui, reste en France, bien qu'il ait confié la régence à sa mère.
La situation est trop grave : il ne peut quitter le royaume. Abattu, il tombe
malade, n'a plus confiance en ses proches. De partout, il voitsourdre la
trahison. Il rêve d'Italie et le voilà retenu à Lyon par une conjuration ! Qu'on
arrête et châtie les coupables  ! Trente personnes sont interpellées  : Saint-
Vallier, les évêques du Puy et d'Autun, des secrétaires, des courriers, des
domestiques. Le roi veut un procès exemplaire; il charge une commission
extraordinaire de conduire l'instruction et nomme à sa tête le président de
Selve.
Pendant ce temps, Bonnivet a gagné l'Italie et pris le commandement de
l'armée. Il dispose d'une des plus belles machines de guerre que le royaume
de France ait jamais fabriquées  : plus de trente mille soldats, cent douze
canons, la plus forte concentration d'artillerie de l'époque  ! Des chefs
valeureux  : le maréchal de La Palice, François de Saint-Pol, Anne de
Montmorency, Pierre de Bayard. Des Suisses  : dix-huit mille sous le
commandement de Jean de Diesbach. Des Italiens enfin  : de bons
mercenaires comme Frederico da Bozzolo et Renzo da Ceri. A Marignan,
François Ier n'avait pas une telle armée sous ses ordres !
En face de Bonnivet, Prospero Colonna, vieux et malade, capitaine
expérimenté, mais lent dans ses décisions : il mène ses guerres «plus avec la
réflexion qu'avec les épées » ; il ménage ses soldats, sait défendre plus que
conquérir. Le contraire de Bonnivet.
Il ne croit pas que les Français, abandonnés par les Vénitiens, affaiblis
par la trahison de Bourbon, puissent conquérir Milan. Les remparts de la
ville sont éboulés en de nombreux points : il ne les fait pas même relever !
Il établit sa ligne de défense sur le Tessin, mais les eaux sont si basses que
les Français traversent la rivière le 14 septembre 1523, « en partie à gué, en
partie sur des bateaux26 ». Bonnivet peut prendre Milan et ne prend pas
Milan, alors qu'il pourrait cueillir la ville « comme une figue mûre27». Tous
le pressent de déciderl'assaut, Bayard, Saint-Pol, ses capitaines italiens : il
hésite, préfère négocier une suspension des combats. Sobrement,
Guicciardini commente  : « La destinée fut contraire aux Français et
enténébra, comme elle l'avait déjà fait tant de fois dans le passé, leur
intelligence28. »
Bonnivet ne sait pas saisir sa chance. Qu'espère-t-il dans son inaction ?
Sans doute, une défection des troupes ennemies par manque d'argent. Pas
plus que Colonna, il ne veut mettre en péril l'issue de la guerre. Il ne prend
aucun risque, refuse la bataille. Les forces impériales se renforcent  :
Bourbon les rejoint, « gonflé de rancune et avide de revanche29 ». Charles
de Lannoy amène de Naples des troupes fraîches; le marquis de Pescara
arrive d'Espagne avec de nouveaux régiments. Contraint par les difficultés
du ravitaillement, le froid et d'abondantes chutes de neige, Bonnivet décide
la retraite.
Avant de s'éloigner, il envoie Galeazzo Visconti à Milan auprès de sa fille
Clara Visconti, célèbre pour sa beauté et « l'amour extrême que lui porte
Prospero Colonna30 ». Atteint d'un cancer généralisé, Colonna se meurt. A
la femme qu'il aime, il ne peut rien refuser  ! Il engage la négociation que
souhaite Bonnivet, mais les capitaines espagnols ont l'espoir de vaincre : ils
refusent la trêve que Visconti leur propose. Alors, Bonnivet s'en va  : il
commence par déplacer de nuit son artillerie, puis fait mouvement au lever
du jour.
Les Espagnols pressent Colonna d'attaquer. Il s'y refuse, explique qu'il a
« assez vaincu, assez acquis de gloire, en obligeant les ennemis à partir sans
prendre de risques ni verser le sang». Il est près de mourir et ne changera
pas de ligne de conduite31.
En Italie, l'empereur remporte ainsi la premièremanche sans combattre.
En mai 1522, il a quitté la Flandre, rejoint l'Espagne selon la promesse faite
aux Cortes de Castille deux ans auparavant. La rébellion est vaincue; mais
il doit reprendre le pays en main.
Sur la route de l'Espagne, il fait halte en Angleterre pour conforter son
alliance avec Henri VIII. Les deux hommes se sont rencontrés pour la
dernière fois à Douvres, alors que Charles regagnait les Pays-Bas : les voici
à nouveau en présence.
En deux ans, la situation a évolué : Henri VIII s'est rapproché de François
Ier, puis s'en est séparé. Charles a été élu empereur, a pris de l'assurance.
Henri pense qu'il ne faut pas laisser Charles devenir trop puissant. Charles
doit se montrer prévenant, respectueux même. Après tout, Henri n'est-il pas
son oncle, le mari de Catherine d'Aragon, la sœur de sa mère ? Lorsque son
intérêt le lui commandera, Henri rejoindra le camp de la France. Mais, pour
l'heure, il est tout à l'alliance espagnole. Il est sur le point d'abandonner sa
femme : il n'en dit mot ! Charles lui demande d'envahir la France : l'affaire
mérite réflexion  ! La conversation se poursuit à Londres, à Windsor, à
Winchester. A Walthan, avant de reprendre la mer, Charles rédige son
premier testament, dans lequel il demande de « reposer en l'église
conventuelle des chartreux de Dijon ». Il part pour l'Espagne, mais pense à
la Bourgogne !
Il quitte l'Angleterre le 6 juillet. Le vent est bon, la traversée rapide; le 16
juillet, il débarque à Santander. C'est son deuxième voyage en Espagne  :
lors de sa première arrivée, personne ne l'attendait  ! Cette fois, il est reçu
avec tous les honneurs. Il va séjourner sept ans en Espagne, affirmer son
pouvoir, épouser Isabelle de Portugal, connaître le bonheur.
Il s'est installé à Palencia et conduit personnellement la répression contre
les comuneros. Sous son impulsion, le Consejo Real reprend les listes de
proscription, ouvre le procès de Pedro Maldonado, emprisonné dans la
forteresse de Simancas. C'est le neveu du comte deBenavente, qui intercède
en sa faveur. En vain : Maldonado est condamné à mort et décapité en août
152232. De même, sont exécutés à Medina del Campo les députés de la
Junte de Tordesillas. Charles frappe vite et fort : il entend mettre un terme à
la longue période de troubles qu'a ouverte, en Espagne, la mort d'Isabelle de
Castille en 1504. Son premier objectif est de reconstruire un pouvoir. Un
pouvoir fort, mais modéré  : dès son arrivée à Palencia, l'empereur charge
son conseiller pour les affaires intérieures, Francisco de Los Cobos, de
préparer une amnistie générale.
A Valladolid, le 28 octobre, il approuve le document établi par Los
Cobos, que contresignent après lui tous les membres du Conseil royal. Le
perdón est proclamé le 1er novembre. Charles prend place sur une estrade
dressée devant le couvent des franciscains; à ses côtés, l'archevêque de
Grenade, qui préside le Conseil, le duc de Béjar, le connétable de Castille,
le duc d'Albe. Los Cobos lit le long document que deux hérauts répètent
après lui. Le perdón rappelle les événements, retrace les crimes commis,
énormes et impardonnables ! Mais, dans sa sagesse, l'empereur fait preuve
de clémence, renonce aux représailles collectives contre les villes.
L'amnistie ne vaut que pour le domaine criminel; les comuneros devront
régler des amendes de composition pour échapper à toute sanction
judiciaire.
Sur les deux cent quatre-vingt-treize responsables voués à la vindicte
publique, seuls vingt-deux seront exécutés – vingt-trois en comptant
l'évêque de Zamora. Don Pedro Girón lui-même sera gracié en mars 1524.
Maria Pacheco et l'évêque de Zamora ne le seront jamais. La première
mourra en exil, le second tentera de s'enfuir  ! En février 1526, il tue son
gardien, mais ne peut s'échapper ; il est condamné à mort. C'est unprince de
l'Eglise, son sang ne doit pas couler : il est étranglé par le bourreau sur les
remparts de Simancas, à l'endroit même où il a voulu s'évader...
La révolution terminée, Charles se consacre au gouvernement de
l'Espagne. Tirant les leçons de son premier séjour, il gouverne avec des
Espagnols. A la Cour, il mêle Flamands et Espagnols  : son grand
chambellan Henri de Nassau épouse en secondes noces une Mendoza,
marquise de Cenete. La réorganisation de l'Etat que conduit l'empereur
ouvre le « siècle d'or espagnol ».
De Valladolid, Charles rend visite à sa mère. A Tordesillas, il assiste, dès
son arrivée, à un service célébré à la mémoire de son père. Trois fois, il
retournera à Tordesillas en mai et juin 1523. Il a décidé de marier Catherine,
sa plus jeune sœur, au roi de Portugal, mais Catherine n'a jamais quitté sa
mère. Quand elle partira, Jeanne demeurera « un jour et une nuit attachée à
sa fenêtre33 »...
Charles réunit les Cortes de Castille le 3 juillet 1523 : nulle contestation
ne s'élève ; le servicio est voté. Le pouvoir royal est désormais établi.
L'empereur parcourt l'Espagne, allant d'une ville à l'autre, sans cesse en
chemin. Medina del Campo, Arevalo, El Espinar, Talavera de la Reina,
Oropesa : il s'éprend de l'austérité castillane. Lui, si chrétien, trouve dans la
religion telle qu'elle est pratiquée en Espagne une approche de Dieu
conforme à son attente. Il visite les couvents, gagne l'Estrémadure, se rend
en pèlerinage à Notre-Dame de Guadalupe. Il parle désormais couramment
l'espagnol, s'attache aux paysages et à l'âme de l'Espagne.
Au cours de l'été 1523, il tente avec Gattinara une mise en ordre générale
des affaires européennes. Une négociation s'ouvre avec le pape Adrien VI;
Margue-ritede Savoie prend une part active aux discussions avec le roi
d'Angleterre et les princes allemands. Une nouvelle ligue est constituée
contre François Ier. Le traité est conclu à Rome en août 1523, mais le pape
Adrien meurt le 14 septembre.
Adrien VI ne laisse guère de regrets, en raison de la brièveté de son
pontificat et de son inexpérience des affaires : il n'a pas réussi à s'imposer.
Qui va le remplacer ? Jules de Médicis est bien décidé à ne plus laisser
passer sa chance. Quand le conclave s'ouvre, il peut compter sur les voix de
seize cardinaux et le soutien de l'empereur. Est-ce suffisant  ? Il a déjà
bénéficié de tels appuis et n'a pas été élu! L'acharnement lui a manqué; cette
fois, il va mordre dans le fruit. Le conclave dure cinquante jours : chaque
soir, il fait ses comptes et grignote les voix une à une. Le cardinal Colonna
est son principal adversaire : il lui offre son palais, lui promet de le nommer
vice-chancelier, le gagne à lui. Colonna lui apporte trois voix. « Par veulerie
et par ambition », d'autres suivent : Jules de Médicis est élu le 18 novembre
152334.
Il voudrait s'appeler Jules, mais ses proches lui font observer que les
papes qui n'ont pas changé de nom lors de leur élection sont morts dans
l'année qui a suivi ! Il choisit de s'appeler Clément VII. Est-ce en raison de
la fête de Saint-Clément toute proche, le 23 novembre ? Ou par allusion au
pardon qu'il accorde au cardinal Soderini, qui s'est obstinément opposé à
son élection ?
Clément VII fuit les plaisirs et passe tout son temps aux affaires.
Intelligent, il a dirigé sous Léon X le gouvernement de l'Eglise. Il possède
deux atouts  : la puissance des Médicis et l'expérience du pouvoir. Sa
faiblesse tient à son caractère  : il est irrésolu et pusillanime. Guicciardini,
qui le sert et l'estime, écritqu'il demeure le plus souvent « en suspens35 ».
De fait, Clément VII ira de l'empereur au roi de France et du roi de France à
l'empereur. Il choisit, un obstacle surgit  : il hésite, remet en cause sa
décision, se rallie à l'avis qu'il a lui-même rejeté. Charles Quint s'offusque
d'une telle versatilité. Il l'a soutenu ! Mais le pape n'en a cure : pour lui, les
circonstances, seules, comptent.
A la fin de l'année 1523, l'étau se resserre autour de Bonnivet. Une
épidémie de peste se déclare  : elle tue à Milan plus de cinquante mille
personnes et décime l'armée française.
Bonnivet demande des renforts; François Ier lui promet des cavaliers
français et des fantassins suisses. Les premiers n'arrivent pas et les seconds
refusent de se battre! Commence alors une retraite en échiquier, qui arrache
certains jours des cris d'admiration à l'ennemi. Un talonnement de loups : le
commandant en chef combat à l'arrière-garde comme un simple soldat. Il
est blessé d'un coup d'arquebuse; de son bras déchiré, le sang coule à flots.
Bonnivet doit passer le commandement de l'armée à Bayard et Saint-Pol. A
son tour, Bayard est atteint  : une balle lui brise la colonne vertébrale.
Couché au pied d'un arbre, il meurt le 30 avril 1524. Saint-Pol reste seul
pour diriger la retraite  : par Suse et le col du Montgenèvre, il réussit à
ramener en France les débris de l'armée qui devait conquérir le Milanais.
Bourbon a pris les Alpes comme piédestal. Finis les cheveux coupés et
les vêtements de laquais  ! Il a bousculé la plus forte armée que roi de
France ait jamais réunie. Il trouve la haine belle et, désormais, il l'aime ! On
lui fait à Paris procès pour son duché; lui, va faire procès à François Ier pour
le royaume de France ! « Donnez-moi des hommes, écrit-il à Charles Quint,
et je serai à Paris avant la Toussaint. »
Le 30 juin, il entre en Provence par Menton. C'estune promenade  ! Il
prend Vence, Grasse, Antibes, Fréjus, Brignoles, Saint-Maximin. Aucune
ville ne résiste. La flotte impériale accompagne le long des côtes la marche
de l'armée; elle s'empare des îles, pille Lérins, Hyères, assiège Toulon. Le 9
août, Bourbon entre à Aix-en-Provence et s'arroge le titre de comte de
Provence : la conquête a duré un mois.
Que fait François Ier  ? Il se décide à quitter Amboise et se dirige vers
Lyon. Sa femme est à l'agonie; à Bourges, il apprend que Claude est morte.
Il ne l'a jamais aimée, il continue son chemin! Il récupère à Paray-le-Monial
Bonnivet, guéri de sa blessure. Il est à Lyon, quand Bourbon est à Aix.
Bourbon attend des nouvelles de Charles Quint et d'Henri VIII  : le
premier doit franchir les Pyrénées, le second débarquer à Calais. Ni l'un ni
l'autre ne bougent. Bourbon voudrait marcher sur Lyon, ne pas laisser à
François Ier le temps de constituer une nouvelle armée. Mais le marquis de
Pescara n'est pas de cet avis : c'est Marseille qu'il faut prendre, « port très
utile pour passer d'Espagne en Italie36 ». L'empereur le soutient : Bourbon
ne peut s'opposer à un ordre de Charles Quint. Il met le siège devant
Marseille le 14 août 1524.
Au début du XVIe siècle, Marseille n'occupe qu'une partie du Vieux-
Port : elle est toute tassée dans le quartier qui entoure aujourd'hui la mairie,
protégée d'un côté par la mer et, de l'autre, défendue par de puissantes
fortifications. En juin, le roi y a envoyé avec les pouvoirs les plus étendus
Mirandel, qui se révèle un homme d'une autorité et d'une détermination peu
communes : il domine le siège par la force de sa volonté. Il décide d'abattre
toutes les constructions qui se trouvent au-delà des remparts; sans se soucier
des protestations du clergé, rasant les faubourgs, il détruitdeux couvents et
trois églises. L'ennemi ne peut plus approcher qu'à découvert. Dans
Marseille, sont arrivés les rescapés de l'armée d'Italie, que commandent
Renzo da Ceri et Philippe Chabot de Brion. Au large, la flotte française,
placée sous les ordres de Doria, qui n'a pas encore rejoint Charles Quint,
tient la mer.
Le 23 août, les Espagnols ouvrent une brèche qui n'est pas assez large
pour permettre le passage des troupes et qui, le lendemain même, est
bouchée. Mirandel creuse de nouveaux fossés, dresse de nouvelles lignes de
défense, enrôle dix mille Marseillais.
Le 21 septembre, les Espagnols percent une nouvelle brèche et, le 24
septembre, donnent l'assaut. Derrière le rempart, ils découvrent un fossé
plein de mines, de herses de fer et, au-delà, d'autres murailles encore ! Ils
hésitent, reculent, s'éloignent; ils ne prendront pas Marseille.
François Ier a réussi à constituer une armée, presque aussi importante que
celle de l'année précédente, l'artillerie en moins. Quittant Lyon, où Louise
de Savoie assure de nouveau la régence, il a pris la route du Midi et, déjà, le
maréchal de La Palice, qui commande l'avant-garde, est à Salon avec dix
mille hommes. Les Impériaux vont être pris en tenailles : le 29 septembre,
ils lèvent le siège et reprennent le chemin de l'Italie.
Faut-il les poursuivre  ? La France est épuisée, l'argent manque, les
frontières du nord et de l'est sont dégarnies : Louise de Savoie prodigue des
conseils de prudence, que le roi n'entend pas. Engageant une poursuite folle,
il harcèle les arrières de l'armée impériale. Il fonce, suit son instinct de
chasseur, mis en appétit par l'échec de Bourbon. « A la chasse à courre, il ne
faut pas laisser la bête se reposer, sous peine de perdre sa trace. » Les
Marseillais l'attendent; mais il n'entre pas dans la ville, court vers l'Italie à la
poursuite de ses rêves.
De nouveau, une armée française passe les monts. Sur toute cette
histoire, pèse la légèreté avec laquelleFrançois Ier engage ses forces en
Italie, alors que «le pays est malade d'une guerre déjà trop longue37 ». Le 26
octobre 1524, François Ier est maître de Milan; il se rue sur Pavie, devant
laquelle il met le siège. Il pourrait prendre Lodi, pleine de fuyards,
impossible à défendre, alors que, dans Pavie, Antonio de Leyva est
retranché avec dix mille hommes.
Le roi commet une erreur stratégique majeure. Il n'est pas un grand
capitaine  : ni César ni Napoléon. Il s'installe dans le parc de Mirabello,
réserve de chasse des Visconti, au nord de la ville. Il organise son temps,
passe ses soirées dans les plaisirs. Ses amis d'enfance l'entourent : Bonnivet,
Chabot de Brion, Montmorency ; des femmes aussi : François ne peut vivre
sans une femme auprès de lui. Une tapisserie du musée de Naples montre
une femme à cheval, nue sous une chemise de nuit transparente, qui quitte
le roi et fuit alors que la bataille s'engage.
Le parc de Mirabello est ceint de murailles, couvert de bosquets, de
prairies, de peupliers, traversé de cours d'eau et de canaux  : « un
foisonnement d'orties, de prêles, de bardanes, de roseaux, de plantes
aquatiques », écrit Giono38. De nos jours, il est devenu une peupleraie, dans
des prairies basses, humides, sillonnées de rigoles. Partout, la terre est
gorgée d'eau. Pour comprendre le déroulement de la bataille, il faut tenir
compte de cette omniprésence de l'eau. Le parc prend appui au sud sur les
remparts de Pavie; à l'ouest, il est borné par le canal qui longe la route de
Milan; à l'est, il s'étend jusqu'à la route de Torre del Gallo.
François Ier entreprend de détourner le cours du Tessin, sur lequel sont
adossés les remparts de Pavie. Cette entreprise, semblable à celle que tenta
Charles le Téméraire devant Neuss, connaît le même insuccès. Le baillide
Caen, Jacques de Silly, est chargé de la conduite des travaux; il construit
une digue de pieux, qu'il renforce de bateaux pleins de pierres. C'est un
charroi incessant : la nuit, la digue cède et les travaux reprennent le matin.
Après six jours de pluies torrentielles, le Tessin emporte le projet.
François Ier s'obstine  : « Il préférerait mourir que quitter Pavie sans
l'avoir prise39  ! » La tenaille se referme sur lui, entre une ville que
défendent dix mille hommes et une armée espagnole qui approche. Dans
Pavie, il y a Antonio de Leyva, malade, perclus de goutte, mais bon
capitaine et homme de caractère. Il dispose d'une artillerie puissante, mais il
a peu de poudre; surtout, il n'a pas d'argent pour payer les lansquenets
allemands qui forment le gros de sa garnison et menacent de déserter. Il
pille les trésors des églises, ouvre les coffres, fond la vaisselle, les
ostensoirs. En plus, il craint l'inaction des assiégeants; si ces derniers ne
font rien, il est perdu. A sa demande, le marquis de Pescara harcèle les
troupes françaises nuit et jour.
L'enceinte du parc de Mirabello forme, sur quinze kilomètres, une
muraille de briques dures, d'une hauteur de quatre mètres. Quelques portes
y sont percées, protégées par des bastions. La position française n'est pas
aussi solide que François Ier le pense : Pescara va réussir à l'enlever. Dans la
nuit du 19 au 20 février 1525, il attaque avec trois mille fantassins
espagnols, parvient à pénétrer dans le parc. Le roi quitte le château et
s'installe dans une maison proche du mur d'enceinte, devenue aujourd'hui le
garage d'une grosse ferme, Casa Repentita.
Comme Jean Giono, je me suis rendu sur le champ de bataille, une carte
d'état-major entre les mains. Giono a parcouru les lieux « en long et en large
pen-dantdes jours et des jours40 ». Il a vérifié sur le terrain les témoignages
des contemporains et les récits des historiens. J'ai fait de même, constatant
que Mignet écrit des bêtises quand il évoque « François Ier descendu de son
camp fortifié sur la bruyère du parc41 ». La phrase est belle, mais le terrain
est plat comme la main et aucune bruyère n'y pousse !
Peu de batailles ont eu autant de narrateurs, mais «peu sont aussi
obscures à démêler et à décrire 42 ». Il faut revenir à Giono, même si le
poète prend souvent le pas sur l'historien. L'été est, à Pavie, doucement
frais, « amusé par le scintillement des peupliers, le bruit aquatique de leur
feuillage, les eaux reptiles, les vols des martins-pêcheurs, le poudroiement
des papillons ». Mais l'hiver est « un brasier de froid, fumant comme un
brasier de braises 43 ». De tous les prés, de tous les troncs, de tous les
ruisseaux, la brume suinte. La bataille de Pavie s'est jouée dans l'humidité et
le brouillard.
Le 24 février 1525, quand les Impériaux attaquent, la nuit est noire, si
noire que les soldats doivent, pour se reconnaître entre eux, revêtir une
chemise blanche par-dessus leur cuirasse. Pescara et Lannoy veulent
prendre Mirabello et, de là, jeter des troupes fraîches, du ravitaillement et
de la poudre dans Pavie. Espèrent-ils enlever la ville ? Après coup, rendant
compte à Charles Quint, ils l'écrivent, mais ils ont alors gagné la bataille.
Pour abattre la muraille du parc, ils choisissent l'endroit le moins humide
et le plus proche de leur camp. Dans la soirée, ils ont envoyé des enfants en
éclaireurs, qui ont sauté le mur et indiqué que le sous-bois est dégagé et la
terre, ferme. Ils avancent en silence, laissant sur place, à Casa dei Levrieri,
quelques soldatspour entretenir les feux et les rumeurs : le bruit des charrois
passe pour être celui de la retraite. Dans Pavie, Leyva a été prévenu : pour
marquer le début de l'action, un canon tirera trois coups.
A minuit, les Impériaux arrivent devant le mur du parc. A l'aide de
maçons, ils ouvrent une brèche. Les coups de pioche parviennent aux
Français, assourdis dans le brouillard. A six heures du matin, trois coups de
canon éclatent. Par la brèche, passent les troupes d'intervention du marquis
del Vasto, le neveu de Pescara. Trois mille hommes, que la brume
enveloppe, se précipitent vers Mirabello : on les entend, on ne les voit pas.
Dans la bataille qui s'engage, chacun va combattre « pour son compte et sur
l'inspiration du moment44 ».
François Ier aperçoit des soldats qui débouchent devant lui; il fait donner
l'artillerie, les canons tirent au jugé. Des bras et des têtes volent; du moins,
le roi croit les voir voler  : c'est du Bellay qui l'écrit45. Le roi décide
d'attaquer lui-même et de disperser les fuyards. Sans vision d'ensemble, il
charge avec les cavaliers qui l'entourent, bouscule l'ennemi qu'il rencontre
et croit avoir gagné. Il dit au maréchal de Foix : «Monsieur de Lescun, c'est
maintenant que je suis duc de Milan. » Il est huit heures du matin.
Il s'est trop avancé, s'est coupé du reste de ses forces. Pescara va
l'attaquer de flanc avec mille arquebusiers. Les cavaliers français
s'enfoncent dans les terres humides : ils ne peuvent ni avancer ni combattre.
Les chevaux s'écroulent, les hommes tombent et ne se relèvent pas, tant
sont lourdes les armures  : les Espagnols les exécutent en glissant des
couteaux dans les joints des cuirasses. C'est ainsi que meurt le maréchal de
La Trémoille.
Les huit mille Suisses, cantonnés tout autour de Pavie, ne sont pas encore
intervenus. Ils marchent surla ville; Leyva les intercepte et les met en
déroute. Beaucoup finissent noyés dans les eaux du Tessin.
Le roi combat toujours. Son cheval est abattu; François Ier est l'un des
rares hommes capable de se relever seul, malgré l'armure, une fois à terre :
il se met debout. Il est entrepris à la pique par les Espagnols, comme un
sanglier à l'épieu; il est blessé à la main et à la joue. Lannoy arrive, le
dégage : il se rend. Non au vice-roi, mais à Pompérant, le gentilhomme qui
a accompagné Bourbon dans sa fuite46. Pour préserver le roi, Lannoy
l'entraîne dans un hangar à betteraves. François Ier est aux trois quarts nu et
plein de sang : on lui a arraché ses caleçons et sa chemise.
« Sire, dit Lannoy, êtes-vous fort blessé ?
– Non, répond le roi, guère47. »
Il n'est pas neuf heures; le brouillard est toujours aussi dense.
Une grande partie de la noblesse française a été anéantie. Huit mille
hommes sont morts du côté français, un millier du côté espagnol. Pescara
est blessé, Leyva aussi, mais légèrement. Quant au butin, il est si grand que
«jamais soldats, écrit Guicciardini, ne s'enrichirent autant en Italie48 ».
Lannoy invite le roi à le suivre jusqu'à la chartreuse de Pavie, à huit
kilomètres au nord. Il s'agit de s'éloigner au plus vite, car les lansquenets
allemands, qui ne sont toujours pas payés, préparent une insurrection. Le 27
février, le roi est interné dans la forteresse de Pizzighettone.
Dès que la nouvelle de la défaite parvient à Milan, le maréchal de
Trivulzio évacue la ville, « si bien que le jour même de la bataille, tout le
duché de Milan se vida de Français49 ».
1 Charles Quint, Commentaires, p. 14.
2 Jean Jacquart, François Ier, p. 124.
3 Royall Tyler, L'empereur Charles Quint, p. 44.
4 Karl Brandi, Charles Quint, p. 129.
5 Max Bruchet, Marguerite d'Autriche, duchesse de Savoie, p. 45.
6
Miscellanea di storia italiana, tome XLVIII, 1915.
7 Frances A. Yates, Charles Quint et l'idée d'Empire, p. 66.
8 Karl Brandi, Charles Quint, p. 110.
9 Karl Brandi, Charles Quint, p. 151.
10 Martin et Guillaume du Bellay, Mémoires, tome I, p. 163.
11 Francesco Guicciardini, Histoire d'Italie, tome II, p. 175.
12
Ibid., p. 43.
13
Ibid., p. 198.
14
Ibid., tome I, p. 3.
15 Otto de Habsbourg, Charles Quint, p. 161.
16
Ibid., p. 163.
17 Lors du colloque organisé en 1958 à l'occasion de l'anniversaire de la mort de Charles Quint,
Henri Lapeyre a rappelé l'importance du facteur financier, « primordial à une époque où dominait
l'emploi des mercenaires » (« L'art de la guerre au temps de Charles Quint », Actes du Colloque in
Charles Quint et son temps, p. 46).
18 Francesco Guicciardini, Histoire d'Italie, tome II, p. 223.
19 Jean Giono, Le désastre de Pavie, p. 41.
20 Jean Jacquart, François Ier, p. 23.
21 François-Auguste Mignet, Rivalité de François Ier
et de Charles Quint, p. 369.
22 Jean Jacquart, François Ier, p. 137.
23 François-Auguste Mignet, Rivalité de François Ier
et de Charles Quint, p. 383.
24
Ibid., p. 396.
25 Jean Giono, Le désastre de Pavie, p. 53.
26 Francesco Guicciardini, Histoire d'Italie, tome II, p. 253.
27 Jean Giono, Le désastre de Pavie, p. 60.
28 Francesco Guicciardini, Histoire d'Italie, tome II, p. 254.
29 Jean Jacquart, François Ier, p. 148.
30 Francesco Guicciardini, Histoire d'Italie, tome II, p. 264.
31
Ibid., p. 265.
32 Joseph Pérez, La révolution des Comunidades de Castille, p. 590-591.
33 Peter Lahnstein, Dans les pas de Charles Quint, p. 124.
34 Francesco Guicciardini, Histoire d'Italie, tome II, p. 266.
35
Ibid., p. 368.
36
Ibid., p. 283.
37 Jean Jacquart, François Ier, p. 157.
38 Jean Giono, Le désastre de Pavie, p. 173.
39 Francesco Guicciardini, Histoire d'Italie, tome II, p. 303.
40 Jean Giono, Le désastre de Pavie, p. 164.
41 François-Auguste Mignet, Rivalité de François Ier
et de Charles Quint, tome II, p. 50.
42 Jean Jacquart, François Ier, p. 163.
43 Jean Giono, Le désastre de Pavie, p. 173.
44
Ibid., p. 196.
45 Martin et Guillaume du Bellay, Mémoires, tome I, p. 353.
46
Ibid., p. 356.
47 Jean Giono, Le désastre de Pavie, p. 212.
48 Francesco Guicciardini, Histoire d'Italie, tome II, p. 313.
49
Ibid.
CHAPITRE VI

L'obsession bourguignonne

Pizzighettone est une forteresse des plaines.


Sur l'Adda, s'élevait au XVIe siècle un lourd château de quatre tours
carrées, dont une seule demeure aujourd'hui, celle qui enfermait François
Ier. Et encore ! En 1944, la «chambre du roi » a été détruite, son mobilier,
ses livres ont été jetés dans la rivière : la tour qui subsiste a été transformée
en château d'eau1.
A Pizzighettone, François Ier joue aux boules. Il emprunte de l'argent à
Lannoy pour ses menus plaisirs  : il achète des livres, un chien, une pie
apprivoisée. Il est gardé de près; il écrit des vers et reçoit des lettres, des
visites aussi. Chaque nuit, une femme le rejoint. Ses amis l'entourent  :
Florange, Montmorency, Brion. Le dimanche, il entend la messe en grand
apparat.
Le 1er mars, à Lyon, sa mère apprend le désastre de Pavie. Elle écrit au
roi qu'elle remercie Dieu de l'avoir épargné. En son absence, elle va gérer
les affaires de France, avec méthode et autorité, comme les siennes propres.
Le 10 mars, la nouvelle de la victoire parvient à Madrid.
Lannoy a adressé à l'empereur deux messages : l'un, claironnant, annonce
la victoire et la prise du roi; l'autre, plus réaliste, décrit la situation de
l'armée, sans argent, sans ravitaillement, prête à la révolte. Charles «n'est
pas une nature poétique2 »: il ne s'enflamme pas, il se retire pour prier et
réfléchir. Les ambassadeurs accourent pour le féliciter. Mais il ne montre, ni
dans ses gestes ni dans ses paroles, aucun signe de joie. Il interdit toute
manifestation, il autorise seulement une messe solennelle et une procession.
« La bonne fortune, commente Guicciardini, est souvent pour les hommes
le plus grand ennemi qui soit3. »
Charles a vingt-cinq ans  ; le roi de France est son prisonnier, le voici
maître de l'Italie. Il n'a qu'une pensée : recouvrer la terre de ses ancêtres, la
Bourgogne.
Il convoque son Conseil. Son confesseur, Garcia de Loysa, recommande
la prudence, le seul avec Gattinara. Pour le duc d'Albe, la captivité de
François Ier ouvre la voie de la monarchie universelle  : « Rappelez-vous,
conseille-t-il à l'empereur, combien il est facile de perdre les occasions les
meilleures et combien il est difficile de les retrouver4. »
Saisir l'occasion  ! Albe emporte la décision. Charles dépêche à
Pizzighettone Beaurain, l'homme des missions délicates. Il veut la
Bourgogne pour lui et la Provence pour Bourbon.
Cependant, à Pavie, les lansquenets allemands se révoltent  : Lannoy ne
peut les payer. Il est jeté à terre, battu à coups de pied dans le derrière. Il a
peur et promet tout : de l'argent, qu'il n'a pas; le pillage de Milan et même
d'autres villes d'Italie !
Il engage la négociation avec le pape, Florence etVenise  : les Etats
italiens vont payer pour éviter que les troupes impériales ne les occupent.
Clément VII craint que les lansquenets ne marchent sur Rome  : ce qu'ils
feront deux ans plus tard  ! Par nécessité, le pape va «temporisant et
dissimulant5 ». Mais il paye.
Le 1er avril 1525, l'alliance est scellée. Au nom du vice-roi, elle est
signée à Rome par Gian Bartolomo da Gattinara, petit-fils du chancelier.
L'empereur prend sous sa protection les Etats de l'Eglise; le pape s'engage à
participer à la défense du Milanais. Florence, pour prix de sa sécurité,
versera cent mille ducats. Milan achètera son sel aux salines de Cervia, qui
appartiennent au pape : il n'y a pas de petit profit6  ! Sienne et Lucques se
placent sous la protection de l'empereur, moyennant finance : quinze mille
ducats pour la première, dix mille pour la seconde. L'Italie entière les suit :
le marquis de Montferrat compose pour quinze mille ducats, le duc de
Ferrare pour cinq mille. Dès que l'argent arrive, Lannoy paye ses
lansquenets, qui regagnent l'Allemagne.
Arrivé à Pizzighettone, Beaurain définit les conditions de la paix. A
chacune de ses questions, le roi répond avec précision :
– la reddition de la Bourgogne : « impossible » ;
– celle du Charolais et de Château-Chinon : « impossible » ;
– la cession de l'Artois et de la Flandre : « impossible » ;
– le mariage du roi et de Madame Eléonore, sans dot : « facile » ;
– le mariage du dauphin et de l'infante de Portugal : « facile » ;
– la restitution de Hesdin : « facile » ;
– celle de Tournai et d'Arras : « difficile », car elle suppose l'accord des
Etats généraux.
Sans le consentement des Etats, le roi ne peut aliéner les biens de la
couronne. Cela vaut pour la Bourgogne, l'Artois, les terres de France, non
pour les terres d'Italie : François Ier renonce à ses droits sur Gênes, Milan,
Naples et Asti.
Enfin, il veut bien pardonner à Bourbon, « mais qu'il ne le voie jamais
plus7 » !
Pour l'essentiel, l'empereur demande que lui soient restitués les territoires
de Charles le Téméraire : il revendique l'héritage des ducs de Bourgogne8.
Il tient François Ier prisonnier et pense qu'il a les moyens de réaliser son
rêve. Gattinara préférerait annexer le Milanais. Charles Quint, lui, ne
renoncera pas à l'ambition de sa vie.
Dans la bataille diplomatique qui s'engage, la position du roi d'Angleterre
est décisive. Si Henri VIII marche sur Paris, la France est à sa merci. Les
garnisons du Nord ne sont plus tenues; faute d'argent, les gouverneurs ont
dû licencier les soldats qui se répandent dans les campagnes, pillent, tuent,
s'approchent de Paris9.
A Lyon, la régente comprend qu'elle ne peut conduire la guerre sur deux
fronts, contre les forces de l'empereur et celles du roi d'Angleterre. Comme
toujours, aux heures les plus sombres de notre histoire, l'étranger trouve des
alliés en France même. Il faut tenir, résister, savoir négocier.
A Paris, le Parlement entre en rébellion; il veut accroître ses pouvoirs,
trouve le prétexte de la nomination de Duprat, qu'il conteste, comme
archevêque de Sens et abbé de Saint-Benoît-sur-Loire. Situation
paradoxale  ! Comme chancelier, Duprat préside de droit le Parlement  : le
voici juge d'un procès intenté contre lui! Le débat occupe tout l'été; le 27
juillet,Duprat est convoqué en personne. Cinq parlementaires sont nommés
pour examiner ses « délits » et rédiger l'acte d'accusation. Le roi est
prisonnier, le territoire menacé d'invasion, l'empereur réclame la
Bourgogne : tout cela ne compte pas ! Le Parlement ne songe qu'à défendre
ses privilèges.
Cependant, Pizzighettone ne paraît pas assez sûr à Lannoy. Il cherche une
autre prison. Où emmener le roi de France  ? En Espagne  ? La flotte
française, renforcée par les galères de Doria, cingle dans les eaux de Gênes.
A Naples ? Le château de Castelnuovo est imprenable. Mais François Ier ne
veut pas être conduit à Naples : il craint la chaleur, redoute le climat du sud
de l'Italie. Il dit que le mener au bord de la mer, qu'il déteste, c'est le
conduire à la mort  ! C'est en Espagne qu'il veut aller, pour être mis en
présence de l'empereur. Il compte sur son pouvoir de séduction. Charles
Quint est plus petit, plus jeune, plus fragile que lui – du moins il le pense !
Il connaît le pouvoir qu'il exerce sur les hommes  : il doit rencontrer
l'empereur. Dans sa prison, cette obsession le maintient debout !
Charles Quint ne s'engagera pas dans cette voie : il refusera de rencontrer
le roi avant qu'un accord soit conclu. Pourquoi prendrait-il un tel risque ? Il
a à sa disposition les meilleurs diplomates de l'Europe  : il les laissera
négocier.
Dans cette partie, Lannoy joue un rôle essentiel. Il s'est pris d'amitié pour
François Ier : il l'a d'abord admiré, puis le roi l'a séduit.
Montmorency, prisonnier à Pavie, a été libéré; il a rejoint la régente à
Lyon, qui l'a nommé commandant en chef des troupes de Méditerranée. Il
négocie avec Lannoy l'appui des galères françaises pour mener le roi en
Espagne : l'accord est scellé le 8 juin. François Ier est conduit à Gênes, puis
à Portofino. Il embarque sur la galère de Doria. Le 10 juin, dans la nuit, la
flotte espagnole lève l'ancre. Protégée par des vaisseaux français, elle arrive
le 19 juin à Barcelone.
François Ier est reçu non comme un prisonnier, mais comme un héros –
un héros malheureux  ! Les Espagnols acclament le roi de France qui s'est
battu en personne à Pavie; ils le fêtent. Dans la cathédrale de Barcelone,
François Ier entend la messe sur un trône dressé dans le chœur. Le
lendemain, il part pour Valence, où il reçoit le même accueil. De Valence, il
est conduit à Venyssolo, dans un château à l'écart de la ville, qu'entourent
des territoires de chasse magnifiques. Il commence à s'inquiéter du silence
de Charles Quint10.
Le 17 août, il est transféré à Madrid. Là, sa situation change  : en six
mois, il connaît trois prisons. Il est d'abord incarcéré dans la tour carrée de
Los Lusanes, qui est devenue le siège de l'Académie des sciences morales et
politiques; ensuite, dans le palais Del Arco, aujourd'hui détruit, vaste
bâtiment noir et froid sans fenêtres extérieures. Enfin, en janvier 1526, il est
transféré dans une tour de l'Alcazar, le palais même de l'empereur.
L'Alcazar a brûlé au XVIIIe siècle  : sur son emplacement a été construit
l'actuel palais royal. Avant que le feu le détruise, Saint-Simon, de passage à
Madrid, l'a visité. Il a demandé à voir la « chambre du roi » ; on l'a conduit
dans une pièce qui comportait une seule porte et une fenêtre vitrée, « mais à
double grille de fer bien forte et bien ferme, scellée dans la muraille des
quatre côtés »...
Les négociations de paix s'engagent sans le prisonnier. Pour les conduire,
Louise de Savoie a nommé François de Tournon, archevêque d'Embrun, et
Jean de Selve, président du Parlement de Paris. En face d'eux, Gattinara,
Nassau, Beaurain et Lalemand. Tournon et Selve ont des instructions
précises : ils ne doivent pas céder la moindre parcelle du territoire français.
Ils peuvent proposer de l'argent, donner leur accord au mariage du roi,
renoncer aux terres d'Italie,mais non à la Bourgogne  ! Or, seule, la
Bourgogne intéresse Charles Quint.
L'empereur tient le roi  : c'est son gage. Il veut le préserver, mais le roi
tombe malade. La chambre est trop petite, les sorties sont trop peu
nombreuses. Pas de femmes, pas de chasses : François ne peut vivre ainsi !
Une dépression le gagne, amplifiée par une crise d'anorexie et un abcès
dans le nez. Il ne se lève plus, ne mange pas  : pour ses médecins, il est
perdu.
Charles Quint se rend à son chevet  : le roi le reconnaît à peine.
Marguerite d'Alençon, sa sœur, accourt à Madrid. Elle est toute vêtue de
blanc, couleur du deuil : son mari est mort peu après Pavie. Elle ruisselle de
larmes, plus belle que jamais. C'est une femme de lettres  : elle tente de
séduire l'empereur en déployant les charmes de sa conversation. En vain.
Charles quitte Madrid pour Tolède, et François, le 22 septembre, tombe
dans le coma.
Marguerite fait dresser un autel dans la chambre de son frère;
l'archevêque d'Embrun célèbre la messe. Au moment de l'élévation, le roi
tend une main. On lui donne la communion : un bout d'hostie qu'il partage
avec sa sœur. Et le miracle s'accomplit  : l'abcès dans le nez crève, le pus
s'écoule, le roi reprend vie ! Dans une lettre du 1er octobre aux membres du
Parlement de Paris, Jean de Selve décrit la guérison  : « La fièvre l'a
abandonné; les fonctions naturelles ont repris. Le roi peut dormir, boire et
manger. Il est hors de danger11. »
En Europe, la situation évolue, au détriment de l'empereur  : Louise de
Savoie a conclu un accord avec Henri VIII. A Milan, le marquis de Pescara
est tenté par la révolte  : l'empereur est un ingrat et le pape lui propose la
couronne de Naples. Du moins, c'est ce que lui rapporte Gerolamo Morone,
chancelier du duc de Milan. Peut-il entrer en rébellion ? C'est un vieux sol-
datfidèle : il hésite, se reprend, confie par lettre ses doutes à l'empereur. La
conspiration est éventée, Morone est arrêté et Pescara meurt dans son lit, de
chagrin et de honte, en décembre 1525.
A Tolède, Gattinara s'interroge  : vaut-il mieux tenir le Milanais ou
récupérer la Bourgogne  ? Il confesse  : « L'Etat de Milan est plus riche et
plus utile à bien des choses que la Bourgogne12. » Il vaut mieux s'entendre
avec les Italiens et traiter avec le pape. Devant le Conseil d'Etat, et donc
devant l'empereur, il ajoute : « On ne peut prendre en une seule fois plus de
nourriture que l'estomac ne saurait le supporter13... »
Charles Quint tient bon : il n'accepte aucun accord qui ne comprenne pas
la Bourgogne. Malgré l'Empire, malgré l'Espagne, il demeure un souverain
bourguignon. Héritier de Marie de Bourgogne, de Charles le Téméraire et,
par-delà, de Jean sans Peur, il reprend à son compte les griefs de ses
ancêtres contre la maison de France. La Bourgogne est son héritage, le
fondement de sa puissance, de l'ordre de la Toison d'or : « Il en porte le nom
et les armes14. »
Le centre de l'Etat bourguignon a été fixé par Philippe le Bon dans les
Pays-Bas  : Charles le Téméraire est un prince flamand, Charles Quint un
empereur flamand. Mais, à côté de ce centre réel, il existe un centre idéal,
une capitale historique perdue et non rachetée. C'est la ville des ducs, avec
le palais où sont nés Jean, Philippe et Charles, la chartreuse où reposent ses
aïeux, la Sainte-Chapelle où l'empereur voudrait tenir les chapitres de la
Toison d'or. Ce rôle idéal de Dijon s'est affirmé depuis la conquête
française. Avant 1477, dans l'ensemble flottant que représente l'Etat
bourguignon, Dijon est à peine une capitale. Lorsque le duchédevient une
province française, il faut donner à celle-ci une tête  : Louis XI installe à
Dijon les organes du pouvoir monarchique. Pour les Bourguignons du
dehors qui rêvent de la gloire passée, le duché perdu se confond avec Dijon.
« Reprendre le duché et sa capitale, berceau et tombeau des siens, tel est
le rêve que Charles Quint poursuit15. » Dans les conférences
internationales, il donne ordre à ses légistes de réclamer le duché, «
tyranniquement et indûment détenu par le roi de France ». Ses représentants
font savoir à toute occasion que son intention est de recouvrer son ancien
héritage : « S'il ne peut l'avoir par l'amiable, il l'aura par la force. » Charles
trace une carte idéale de l'Empire avec les frontières qu'il tâchera, si la
possibilité se présente, d'imposer à la France.
Le moment est venu : dans le procès historique qui se poursuit entre les
héritiers de Louis XI et ceux de Charles le Téméraire, la bataille de Pavie
marque l'occasion de réaliser le rêve bourguignon. Charles ne lâchera pas
prise. « La paix s'approche quand François Ier semble fléchir; elle s'éloigne
quand il résiste; elle se conclut quand il cède16. »
En octobre, à Lyon, une assemblée de députés de toutes les provinces
décide, si l'empereur maintient ses revendications, de « lui laisser le roi et
de n'en plus parler »  ! En novembre, pour trancher la question de droit, à
laquelle semble se résumer le débat entre l'empereur et le roi, la régente
propose de recourir à la justice : le Parlement, jugeant comme chambre des
pairs, décidera du sort de la première pairie du royaume ! Charles Quint ne
peut accepter. Alors, Louise fait un nouveau pas dans sa direction  : elle
remplace les juges par des arbitres. L'empereur d'abord refuse, puis accepte
sur les conseils de Gattinara. Pris à leur piège, les Françaisreculent et font
une autre proposition  : si l'empereur veut relever le titre de duc de
Bourgogne, qu'à cela ne tienne ! On lui donnera le comté d'Auxonne pour
en faire, avec la Franche-Comté, un duché. Mais ce n'est pas un titre, que
d'ailleurs il porte, c'est la réalité même, Dijon et le pays perdu par les siens,
qui peut satisfaire Charles Quint.
En décembre, il rappelle une dernière fois ses conditions, qui n'ont pas
varié  : « Le roi restituera le duché de Bourgogne, le comté d'Auxonne, le
ressort de Saint-Laurent, les comtés du Mâconnais et de l'Auxerrois, la
seigneurie de Bar. Cette restitution faite, si le roi prétend avoir droit aux dits
territoires, qu'il les demande par arbitres élus entre eux. » Charles veut bien
plaider, mais « la main garnie ». Bourgogne en poche !
Sur le terrain, à Dijon même, Louise de Savoie joue habilement. Dès
qu'elle a appris la défaite de Pavie, elle a écrit aux échevins, les exhortant à
« prendre à cœur les affaires du roi et du royaume ». Sa lettre est lue devant
le Conseil de Dijon  : les échevins décident d'obéir «comme de bons et
loyaux sujets doivent le faire ». Le lieutenant-gouverneur, frère du maréchal
de La Trémoille, qui a été tué à Pavie, nomme des bourgeois pour assurer la
défense de Dijon  : soixante-dix pour les portes, deux cents pour les
murailles. Une première équipe prend son service à vingt et une heures; une
seconde la relève à minuit. Groupés par pelotons de sept, les hommes
doivent « tournoyer » sans interruption sur le chemin de ronde. C'est
beaucoup et, aux Dijonnais, la guerre paraît loin! La régente décide
l'installation d'une garnison  : cela, ils ne peuvent l'accepter. Leur imposer
une garnison, c'est se défier d'eux, porter atteinte à leur réputation  ! La
régente n'a pas l'intention d'irriter les Dijonnais, elle cède, cajole. Le
capitaine du château est un mauvais soudard ? Elle le remplace. Malgré le
mauvais état des finances publiques, elle donne l'ordre de payer sans retard
lesrémunérations des conseillers du Parlement et de la Chambre des
comptes.
Elle défend les privilèges de la province, assure sa sécurité extérieure.
Elle renouvelle ainsi le traité conclu en juin 1522 avec Philiberte de
Luxembourg, gouvernante de la Comté. L'accord reconnaît le duché et ses
dépendances comme appartenant au roi! A la demande expresse des
Comtois, qui tiennent à la neutralité que le traité prévoit, Marguerite
d'Autriche n'hésite pas à le reconduire pour trois nouvelles années. Les deux
belles-sœurs s'accordent ainsi pour enlever à Charles Quint tout moyen de
cueillir en Bourgogne les fruits de Pavie...
Le temps des vendanges arrive : Louise de Savoie permet que les portes
de la ville soient ouvertes de nuit comme de jour afin que les Dijonnais
puissent emplir leurs pressoirs  ! La crise approche de sa fin  : les Etats,
réunis à Lyon par la régente, décident que la Bourgogne ne sera pas rendue.
Avant même la signature d'un traité de paix !
Le roi, quant à lui, est bien décidé à ne pas respecter les stipulations qui
lui sont imposées. Le 13 janvier, il réunit ses fidèles dans la chambre de sa
prison  : Jean de Selve, François de Tournon, Philippe de Brion, Anne de
Montmorency, le prévôt de Paris. Il leur déclare, devant Dieu, qu'il cède «
par contrainte et longueur de prison ». Il ajoute : « Ce qui est convenu au
traité sera nul et de nul effet. » Il érige en principe qu'un prisonnier a le
droit de tout faire pour échapper à sa prison.
L'esprit serein, le lendemain, il signe le traité de Madrid. Debout, mettant
sa main dans celle de Lannoy, il « donne sa foi » à l'empereur et abandonne
le duché de Bourgogne. S'il ne peut tenir son engagement, il viendra se
constituer prisonnier !
Mais il tombe malade à nouveau  : des furoncles, un peu partout sur le
corps, le font durement souffrir. Il consent à tout ce qu'on lui propose,
épouse par procurationEléonore de Portugal. Dès que sa santé le lui permet,
il entend la messe dans plusieurs églises de Madrid. Charles Quint le
rejoint : tous deux vont à la rencontre d'Eléonore. Elle danse devant le roi;
elle est veuve et n'a pas encore trente ans !
Le 20 février, à Torrejón, l'empereur et le roi se séparent, l'un pour gagner
le sud de l'Espagne et l'autre le nord, pour rejoindre la France. Charles
Quint est inquiet :
« Mon frère, souvenez-vous des engagements que vous avez pris envers
moi.
– Je pourrais, si vous le désiriez, vous répéter tous les articles du traité
que nous avons conclu : je les connais par cœur !
– Mettrez-vous autant de cœur à les exécuter ?
– Soyez sans inquiétude : rien ne saurait m'empêcher de les appliquer.
– Nous nous sommes beaucoup battus, conclut Charles, je ne vous ai
jamais haï. Mais, si vous me trompiez, surtout en ce qui touche la reine,
votre femme et ma sœur, je chercherais par tous les moyens à me venger et
à vous faire tout le mal que je pourrais. »
François Ier a posé une condition d'importance. Il doit être libéré avant
que le traité entre en application  : seul, il peut convaincre ses sujets
d'accepter la cession de la Bourgogne. Gattinara est conscient des menaces
qu'une telle condition entraîne : libérer le roi, c'est prendre le risque d'une
trahison. Il refuse, comme chancelier, d'apposer le sceau de l'Etat sur le
traité. Il conseille à l'empereur de libérer le roi sans contrepartie. Il n'est pas
écouté.
Le 17 mars 1526, à sept heures du matin, sur la Bidassoa qui sépare la
France de l'Espagne, se déroule l'échange, prévu par le traité de Madrid, de
François Ier et de ses deux fils. Le dauphin a huit ans, le duc d'Orléans sept
ans : ce sont des enfants qui ne comprennent pas le sort qui leur est réservé.
Un ponton a étéconstruit au milieu de la rivière : deux barques, venues des
deux rives, y accostent en même temps. Le roi embrasse ses fils, que
Lautrec a emmenés avec lui. Lannoy s'incline  : «Votre Majesté est libre!
Qu'elle accomplisse ce qu'elle a promis ! »
François Ier l'écoute à peine. Arrivé sur la rive française, il s'élance sur un
cheval et crie : « Maintenant, je suis roi ! Je suis encore roi ! »
Le joueur reprend les cartes : il est roi et ne rendra pas la Bourgogne.
Le soir, il gagne Bayonne, où sa mère et la Cour l'attendent. Louis de
Praet, que Charles Quint a nommé ambassadeur auprès de lui, arrive pour
réclamer la ratification du traité, comme le roi s'y est engagé par écrit. Le
compte rendu de la séance est conservé aux Archives nationales : c'est un
morceau de comédie.
Duprat conduit la discussion  : « Vous voulez que nous appliquions le
traité. Le respectez-vous vous-même  ? Avez-vous délivré les prisonniers
que vous étiez tenus de nous remettre  ? Leurs parents importunent le roi
dans l'attente de leur libération... »
Louis de Praet ne s'attend pas à cette question  : « Je crois que les
prisonniers détenus ont été délivrés. Mais, préalablement, le roi doit
restituer Hesdin. »
On ergote sur la date à laquelle doit s'opérer la restitution de Hesdin. Puis
Duprat soulève une difficulté de forme : « Au fait, où sont vos pouvoirs ?
Etes-vous accrédité pour recevoir la ratification ? »
Etourdi par ce coup imprévu, Praet confesse qu'il n'a pas d'autres
pouvoirs que ceux habituellement dévolus à un ambassadeur. Le chancelier
réplique qu'un tel mandat n'est pas suffisant, qu'il n'est pas établi dans les
formes requises. Praet n'est guère rompu aux arguties du droit international
et s'en retourne bredouille.
Un peu plus tard, à Mont-de-Marsan, le roi le prend à part et lui explique
qu'il est toujours disposé à observer le traité, mais qu'il veut recueillir «
l'avis des principaux personnages de Bourgogne». Bref, il gagne dutemps !
Et l'empereur ne cherche pas à reprendre son bien : il n'a ni les hommes ni
les moyens pour entreprendre une expédition militaire. La guerre a épuisé
ses ressources : il s'en remet à la voie, désormais hasardeuse pour lui, de la
négociation.
Le roi l'accuse de ne pas respecter le traité. La clause relative à la
Bourgogne devait rester secrète  : elle ne l'est pas. Le traité est publié à
Anvers, à Rome, à Florence. Est-ce sa faute, si maintenant ses sujets sont au
courant, s'ils murmurent, le supplient de ne pas ratifier avant de les avoir
entendus ? Ils ne supplient pas vraiment ! Ils ne disent même rien. Arrivant
à Cognac, dans sa lente remontée vers les pays de Loire, le roi convoque les
Etats généraux de Bourgogne pour le 3 juin et les Etats du comté d'Auxonne
pour le 6 juin. Il désigne pour le représenter Philippe de Brion, qu'il nomme
gouverneur de la province, Claude Patarin, président du Parlement de
Bourgogne, et Raoul Hurault, contrôleur général des finances  : tous
hommes à lui, qui devront exposer aux Etats la situation et les engager dans
la voie du refus. Philippe de Brion devra recueillir, au nom du roi, un
nouveau serment de fidélité. A la veille d'abandonner la Bourgogne  ?
Lannoy a compris. Il est venu réclamer à Cognac la ratification refusée à
Praet à Bayonne. Il mesure la responsabilité qu'il a assumée, écrit tristement
à l'empereur  : « Sire, je ne vois pas apparence que l'on vous rende la
Bourgogne... »
Brion entre à Dijon en maître. Les Etats généraux ne sont qu'une comédie
parlementaire. Les députés affirment d'une seule voix qu'ils désirent «
demeurer à tout jamais sous la très noble et très heureuse couronne de
France ». A Auxonne, les Etats de la Comté répondent dans les mêmes
termes : on copie purement et simplement la délibération de Dijon !
L'année 1526 scelle ainsi, de façon définitive, l'union de la Bourgogne à
la France.
1 Jean Giono, Le désastre de Pavie, p. 234-235.
2
Ibid., p. 227.
3 Francesco Guicciardini, Histoire d'Italie, tome II, p. 329.
4
Ibid., p. 338.
5
Ibid., p. 345.
6
Ibid., p. 322-323.
7 Aimé Champollion Figeac, Captivité du roi François Ier, p. 166-169.
8 Robert J. Knecht, Un prince de la Renaissance, p. 239.
9
Ibid., p. 230.
10 Aimé Champollion Figeac, Captivité du roi François Ier.
11
Ibid., p. 331-333.
12 Francesco Guicciardini, Histoire d'Italie, tome II, p. 376.
13
Ibid., p. 375.
14 Henri Hauser, Le traité de Madrid et la cession de la Bourgogne à Charles Quint, p. 21.
15
Ibid., p. 22.
16
Ibid., p. 24.
CHAPITRE VII

Le mariage avec Isabelle de Portugal

Charles a vingt-six ans et n'est pas encore marié.


Dès son plus jeune âge, il a été promis à de nombreuses princesses qui
n'étaient pas plus âgées que lui  : de Claude de France, qui épousera
François Ier, à Marie d'Angleterre, fille de Henri VII, qui épousera Louis
XII; puis, de Renée et Louise de France à une autre Marie d'Angleterre, fille
de Henri VIII, qui épousera, elle, Philippe II !
En 1525, l'empereur a le choix entre un mariage portugais et un mariage
anglais. Isabelle de Portugal et Marie d'Angleterre sont toutes deux ses
cousines germaines, l'une et l'autre petites-filles des Rois Catholiques. Les
Flamands sont favorables à une alliance anglaise  ; les Espagnols à une
union portugaise. Charles leur donne raison : il choisit d'épouser Isabelle de
Portugal.
Il reprend ainsi la politique des Rois Catholiques, qui tend, la Reconquête
achevée, à unifier la péninsule ibérique. Si Miguel de Portugal avait vécu, il
aurait réalisé l'union sur sa personne de l'Espagne et du Portugal, comme
Ferdinand et Isabelle ont fondé, par leur mariage, l'union de l'Aragon et de
la Castille.
Déjà, deux sœurs de l'empereur ont épousé deux rois de Portugal : l'aînée,
Eléonore, Manuel Ier en 1518 et la plus jeune, Catherine, Jean III en 1524.
Cependant, Charles hésite : dans la guerre contre la France, il a besoin de la
neutralité de l'Angleterre. Gattinara ne veut pas jeter Henri VIII dans les
bras de François Ier. Mais Marie d'Angleterre n'a pas dix ans ! Infortune du
sort : elle est trop jeune pour Charles et, plus tard, elle paraîtra trop vieille à
Philippe, le fils de l'empereur...
Les Cortes, réunies à Tolède, font connaître leur préférence pour Isabelle
de Portugal, qui «parle notre langue ». De plus, née en 1503, Isabelle est en
âge de procréer et, pendant les absences de l'empereur, elle pourra assurer la
régence.
Quand la négociation a-t-elle commencé et quand l'empereur a-t-il pris sa
décision? Sans doute, peu après le traité conclu à Bruges avec le roi
d'Angleterre. Gattinara développe un double jeu : il courtise Wolsey et, dans
le même temps, envoie Charles de Poupet à Lisbonne demander au roi de
Portugal de ne pas disposer, sans le prévenir, de la main de sa sœur1.
Charles se décide au début de l'année 1525. «En quelques feuillets écrits
sans prétention », que Brandi a découverts dans les archives de Vienne,
l'empereur révèle ses préoccupations. Pour la première fois aussi
longuement, il analyse la crise financière, confie son désarroi : « J'hésite sur
les voies et moyens, même lorsque je m'use à les chercher. Une bonne
guerre pourrait sembler l'issue rêvée, mais je n'ai pas les moyens
d'entretenir mon armée. »
Cette note manuscrite des archives de Vienne est datée du 24 février
1525. C'est l'anniversaire de l'em-pereur.Charles est vainqueur à Pavie et ne
le sait pas  ! Il ajoute  : « Le roi d'Angleterre ne m'aide pas comme un
véritable ami; il ne m'aide même pas comme il en aurait l'obligation. »
Charles épousera donc Isabelle. Il explique les raisons de son choix  : «
Pour remédier à mes difficultés, je ne vois pas d'autre moyen que de faire
arranger tout de suite mon mariage avec l'infante de Portugal. La princesse
devrait venir ici aussi vite que possible. Et il faudrait que sa dot soit, pour la
plus grande part, payée en argent comptant2. »
La négociation qui s'engage va fixer le montant de la dot à neuf cent
mille doublons d'or. Somme considérable, même après déduction de
l'héritage qu'Isabelle tient de sa mère et des prêts consentis par le Portugal
lors de la révolution des Comunidades. Le premier versement, à la signature
du contrat de mariage, s'élève à trois cent mille doublons  : de quoi lever
toutes les hésitations3 !
Wolsey comprend que l'empereur ne tiendra pas sa promesse et
n'épousera pas Marie d'Angleterre; il envoie d'urgence à Tolède, en mai
1525, une délégation que conduit l'évêque de Londres, Cuthbert Tunstall,
l'un des meilleurs diplomates anglais de son temps. Henri VIII pourrait
abandonner à sa fille Marie ses droits à la couronne de France; épousant
Marie, Charles pourrait ainsi prétendre régner sur la France. C'est beaucoup,
mais c'est trop tard ! Le mariage portugais est décidé.
Cependant, surgit une difficulté, que Gattinara n'a pas prévue. Charles et
Isabelle sont cousins germains  : une dispense papale est nécessaire. Mais
Clément VII n'est pas enclin à favoriser les desseins de l'empereur; la
dispense qu'il accorde ne tient pas compte de tousles liens de parenté entre
les futurs époux. Elle est jugée insuffisante par la chancellerie de
Valladolid. Une nouvelle demande est adressée à la Curie et une nouvelle
dispense, complète celle-là, est accordée par le pape. Un premier mariage
par procuration a été célébré à Lisbonne le 23 octobre 1525 ; un second doit
l'être le 6 janvier 1526. Isabelle peut rejoindre l'Espagne.
Son mariage, que la raison d'Etat commande, va devenir un mariage
d'amour.
Elle a vingt-trois ans. Elle est le deuxième des sept enfants du roi Manuel
et de Marie d'Aragon. Elle est belle : le teint clair, de grands yeux bleus, de
fines narines. Elle porte une abondante chevelure rousse. Par son maintien,
elle appelle naturellement le respect. C'est une femme de devoir  : ayant
perdu sa mère à quatorze ans, elle a élevé ses jeunes frères et sœurs.
Comme Charles, elle a l'esprit religieux; comme lui, elle a aussi du
caractère. L'empereur l'épouse pour sa dot et Isabelle va lui apporter le
bonheur, la sérénité et l'équilibre qui lui font défaut. Le révéler à lui-même.
Il a décidé de se marier à Séville, dans l'Alcazar des rois maures, devenu
au XIIIe siècle la résidence des rois de Castille. C'est à Séville que son oncle
Juan est né, que sa tante Isabelle a épousé par procuration Alonso de
Portugal. L'un et l'autre ont été, avant lui, les héritiers des royaumes
d'Espagne. Il ne règne que parce qu'ils sont morts.
A l'origine du choix de l'empereur, une autre raison, plus politique  :
Séville est le symbole de la conquista du Nouveau Monde. En 1526, elle est
à l'aube de son essor; au cours du règne de Charles Quint, elle va devenir la
capitale commerciale de l'Europe. Sa population doublera en un siècle : de
quarante-cinq mille habitants à la fin du XVe, elle atteindra cent vingt mille
à la fin du XVIe. Explosion économique sans précédent ! Séville détient le
monopole du commerce avec les Indes. Chaque année, deux flottes
appareillent pour le NouveauMonde, en janvier et en août, en fonction du
régime des Alizés. Le Conseil des Indes vient d'obtenir son autonomie  :
installé à Séville et présidé par le dominicain Garcia de Loysa, il est devenu
un véritable ministère des colonies. Aussi la décision de l'empereur de se
marier à Séville constitue-t-elle un geste très politique, qui associe Charles
Quint à la prospérité de la ville.
Dans les Mémoires de l'empereur, écrites sur le Rhin beaucoup plus tard,
de telles considérations n'apparaissent pas. Charles évoque son mariage et la
mort de sa sœur Isabelle de Danemark en quelques lignes, sans émotion
aucune. Comme pour dissimuler ses sentiments  : «En 1526, l'empereur
partit de Tolède pour Séville, où il se maria. En chemin, il reçut la nouvelle
de la mort de la reine de Danemark, sa sœur. Dans la même ville de Séville,
vint le visiter son beau-frère, le seigneur infant don Louis de Portugal, qui
accompagnait l'impératrice, sa sœur4. »
Charles Quint s'arrête à Talavera, Oropesa, Valparaiso, Almaraz, Trujillo
et Mérida  : il met un mois pour aller de Tolède à Séville5. Il passe deux
jours à Oropesa, au cœur de l'Estrémadure, non loin de Yuste. S'est-il rendu
au monastère qu'il choisira pour sa retraite ? Aucun document ne l'atteste. Il
fait halte dans un autre monastère, situé plus au sud, à Fuente de Caudos. Il
arrive à Séville le samedi 10 mars dans la soirée : la nuit est déjà tombée
quand il se rend à la cathédrale. Il entre dans l'Alcazar à la lueur des
torches6.
Isabelle l'attend depuis une semaine. En costume de voyage, il la rejoint.
Elle s'agenouille, veut lui baiser la main. Charles la relève, la regarde et la
prend dans sesbras devant le légat du pape impassible, le cardinal Salviati.
Il décide de l'épouser le soir même, sans attendre la cérémonie officielle
prévue le lendemain. Il se marie comme ses parents, de façon précipitée,
devant quelques intimes.
Charles gagne la chambre qui lui a été préparée, se repose une demi-
heure, se change, revient richement habillé. Un autel a été dressé dans
l'appartement d'Isabelle. Il est minuit quand l'archevêque de Tolède
commence la messe; Gonzalo Fernández de Oviedo entend sonner les
douze coups à une horloge voisine7  ! Il est une heure du matin quand
l'archevêque reçoit le consentement des époux : l'empereur s'est donc marié
le 11 mars 1526 – et non le 10 mars, comme le prétendent la plupart des
historiens. Mais, au Moyen Age, les heures de la nuit sont rattachées au jour
précédent8. Le duc de Calabre, Ferdinand d'Aragon, est son témoin; la
comtesse de Haro celui d'Isabelle. Madame de Haro est l'une des dames
d'honneur de l'impératrice, sa meilleure amie. Vers deux heures du matin,
Charles et Isabelle se retirent et n'apparaîtront plus avant midi. Leur
appartement ouvre sur les jardins, le soleil est radieux, les martinets
tournent autour des fontaines et des cyprès.
Les souverains ne sortiront pas du palais de toute la semaine. Ils iront
seulement le dimanche suivant, qui est le dimanche des Rameaux, assister à
la messe dans la cathédrale de Séville. C'est le carême et la Cour porte le
deuil de la reine de Danemark : les réjouissances sont limitées. Qu'importe !
Le 17 mars, le comte de Villareal, ambassadeur du Portugal, rend compte à
son roi que l'impératrice est heureuse; elle dort, écrit-il, « dans les bras de
son mari». Elle lui paraît «très amoureuse9 ».
Charles aborde un monde nouveau, découvre la place que l'amour peut
occuper dans une vie. Comme le général de Gaulle répondant à d'Astier, il
pense que «le bonheur, ça n'existe pas ». Toujours comme de Gaulle, il
considère que le bonheur n'est pas compatible avec le pouvoir : il suppose
un abandon que la conduite des affaires publiques n'autorise pas.
Charles et Isabelle demeurent à Séville jusqu'au 13 mai. Puis, par
Carmona et Ecija, ils gagnent Cordoue. Beauté de l'Andalousie au
printemps, qui s'accorde à leur amour.
A Cordoue, plus encore qu'à Séville, l'empereur découvre l'architecture
maure. Au VIIIe siècle, l'émir Abd al-Rahmân, chassé de Damas et réfugié à
Cordoue, a entrepris la construction d'une mosquée qui témoigne de la
grandeur de son règne. Les travaux ont été poursuivis par ses successeurs :
la mosquée a été étendue et, à la fin du XVe siècle, elle comporte près de
mille colonnes. Œuvre majeure, elle est l'aboutissement d'une évolution
artistique conduite non sur le sol de l'Espagne, mais au Proche-Orient, où
est née et a grandi la civilisation umayyade10. Son architecture porte la trace
des divers conquérants qui se sont succédé en Andalousie. Al-Andalus
témoigne, de nos jours encore, du brassage exceptionnel d'hommes, de
cultures et de religions qui marque son histoire.
Charles est séduit. Il a autorisé en 1523 la construction d'une église au
centre de la mosquée, qui a été partiellement détruite. Quand il visite le
chantier, il reconnaît son erreur : « Si j'avais su ce que vous vouliez faire,
vous ne l'auriez pas fait. Ce que vous réalisez peut se trouver partout; ce que
vous avez détruit n'existe nulle part. »
Mais il ne cherche pas à comprendre, à pénétrer l'Islam, comme
l'empereur Frédéric II au XIIIe siècle, qui adiscuté en Syrie de philosophie,
de géométrie et d'algèbre avec le sultan Al-Khamil. Pour Frédéric II,
l'Orient était «la source de tout savoir ». L'approche de Charles Quint est
plus superficielle : l'empereur est sensible à l'atmosphère qui se dégage des
édifices et des jardins de l'Islam, mais il ne va pas au-delà d'une
connaissance sensuelle. Il est trop contenu, trop enraciné pour tenter,
comme son prédécesseur, une synthèse entre l'Orient et l'Occident11.
Il poursuit son voyage jusqu'à Grenade, où il va résider six mois, du 5
juin au 10 décembre 1526. Dans sa vie en perpétuel mouvement, ce séjour
constitue une sorte d'arrêt sur image.
En 1525, il a prévu de se rendre à Grenade et même annoncé sa venue,
que la captivité de François Ier et la négociation du traité de Madrid n'ont
pas permise. Mais l'Alhambra a été aménagé pour le recevoir.
L'empereur se déplace avec plusieurs milliers de personnes : où loger les
services de l'administration, les ambassades, les domestiques  ? Les
chaussées ont été aplanies, les rues pavées, les rivières curées et, sur le
trajet du cortège, les maisons rasées. Mais Grenade est trop petite pour
accueillir toute la Cour.
Les souverains arrivent à Santa Fe le 3 juin. Rien n'est prêt pour les
recevoir  : ils doivent attendre deux jours. Ils effectuent leur entrée à
Grenade le 5 juin dans la soirée, quand la chaleur du jour est tombée. Le
marquis de Mondéjar, capitaine général, et Inigo Manrique, corregidor de
Grenade, les accueillent avec le cérémonial de la Cour de Castille, hérité de
la Cour de Bourgogne. Selon le témoignage de Navagero, l'ambassadeur
vénitien, la réception est magnifique12. L'empereurjure sur les Evangiles de
respecter les droits et les coutumes de Grenade; depuis dix ans, du nord au
sud de l'Europe, des Pays-Bas à l'Andalousie, il répète les mêmes formules
lorsqu'il prend possession de ses « bonnes villes ». C'est la tradition – et
Charles la respecte.
Grenade est le symbole de la Reconquête, de la réunification de
l'Espagne. Dans une chapelle de la cathédrale, les Rois Catholiques
reposent depuis novembre 1521. Quand l'impératrice mourra, elle sera, elle
aussi, enterrée dans la chapelle royale de Grenade et Charles Quint,
rédigeant son dernier testament, demandera à être inhumé à côté d'elle, de
ses parents et grands-parents. La chartreuse de Champmol et la chapelle de
Grenade seront pour lui, tout au long de sa vie, les deux lieux sacrés
auxquels il se référera constamment. Comme un homme attaché à ses
racines et chargé par Dieu de les préserver. Le voyage de Grenade est,
d'abord, un pèlerinage.
Charles s'installe à l'Alhambra dans le palais des souverains nasrides qui,
construit au XIVe siècle, est l'ultime floraison de l'art musulman. Il occupe
les appartements que le marquis de Mondéjar a aménagés à son intention.
L'impératrice les trouve peu commodes  : elle choisit pour résidence le
monastère Saint-Jérôme, bâti après la conquête et dans lequel les Rois
Catholiques ont été enterrés avant la translation de leurs corps dans la
chapelle royale13. Les membres de la Cour, du gouvernement, les
ambassadeurs se logent comme ils peuvent, où ils peuvent, dans la ville et
les environs. Un vaste campement  : Grenade devient pour six mois la
capitale de l'Empire.
Dès son arrivée, Charles décide d'y construire un palais. Il en dessine lui-
même le plan avec l'architecte Pedro Machuca : un cercle de trente mètres
inscrit dansun carré de soixante-trois mètres de côté. Son palais s'adossera
aux bâtiments nasrides, qu'il dominera de toute sa masse. Il affirmera une
rupture, opposant le rationalisme de la Renaissance à l'intériorité et la
fragilité des arts de l'Islam. Charles Quint n'occupera jamais, ni même ne
verra son palais. C'est le geste qui compte14.
De même, il ne verra pas les appartements qu'il fait construire dans le
prolongement des palais nasrides, entre la cour des Lions et la tour de la
Reine; ils ne seront terminés qu'en 1537. Mais des plafonds à caissons, la
devise plus oultre répandue à profusion, une cheminée de style flamand
témoignent, de nos jours encore, de son passage à Grenade – comme le
palais voisin et, dans la ville, l'église Saint-Mathias.
Au début du XIXe siècle, l'appartement de l'empereur est devenu le
logement du gouverneur; un jeune écrivain américain, Washington Irving,
qui a entrepris le voyage d'Espagne, s'installe à l'Alhambra et l'occupe
quelques mois. Il dort dans une pièce aux murs couverts de graffiti, dont les
fenêtres ne ferment pas, mais dont le plafond arbore la devise de Charles
Quint. L'époque est romantique  : Irving découvre l'Espagne, comme
Stendhal l'Italie. Dans ses Contes de l'Alhambra, il décrit la «sérénité d'âme
qu'il éprouve15 ».
Même sérénité trois siècles auparavant pour Charles et Isabelle, même
bonheur d'exister. A l'approche de l'automne, l'impératrice est enceinte.
Plus tard, se retirant à Yuste, Charles Quint fera construire une maison
qui lui rappellera l'Alhambra et le Generalife. Une terrasse couverte ouvrira
sur un jardin en contrebas; contemplant les orangers qui montent jusqu'à lui,
l'empereur se souviendra du bonheur de Grenade.
Des poètes, des historiens et des philosophes ont suivi la Cour. Deux
jeunes écrivains, Boscán et Garcilaso, créent à Grenade un mouvement
littéraire qui marque le XVIe siècle espagnol. Boscán est arrivé dans les
bagages du duc d'Albe ; il est le précepteur du neveu du duc Fernando, qui
deviendra le grand capitaine des guerres de Charles Quint. Garcilaso a son
âge  : moins de vingt-cinq ans l'un et l'autre. Ils ont du talent, ils sont
entreprenants et passionnés  : les discussions qu'ils poursuivent dans les
jardins du Generalife ouvrent la voie à une poésie nouvelle qui reprend les
formes métriques en usage en Italie16. Alonso de Valdés et son frère jumeau
Juan ont fait également le voyage de Grenade  : tous deux, disciples
d'Erasme, marqueront le règne de Charles Quint par leur action et leurs
écrits. Alonso, devenu secrétaire pour les affaires latines, commentera et
justifiera le sac de Rome ; il suivra l'empereur en Italie et mourra de la peste
à Vienne. Juan, « l'un des plus authentiques génies religieux du siècle »,
selon Marcel Bataillon, se retirera à Naples et militera pour la réforme de
l'Eglise17. Auprès de l'empereur, Baldassare Castiglione représente le pape
Clément VII et Andrea Navagero la République de Venise. Le Livre du
courtisan, l'œuvre majeure de Castiglione, paraîtra en 1528 et Boscán le
traduira en espagnol; Navagero publiera en 1530 son Voyage en Espagne.
A cette époque, le prieur de la cathédrale de Grenade est Pierre Martyr de
Anghiera  : c'est un historien d'origine italienne, qui a parcouru l'Europe,
rejoint l'Espagne en 1487, assisté aux dernières guerres de la Reconquête. Il
a connu Christophe Colomb, estdevenu son ami; dans ses Décades, il a
décrit la découverte du Nouveau Monde. C'est un poète aussi, que la jeune
école espagnole considère comme son maître18.
Autour de Martyr de Anghiera, Grenade connaît une explosion culturelle
sans précédent. Le séjour de Charles Quint en 1526 constitue un moment
privilégié de l'histoire de la ville  : il est riche de toutes les promesses de
l'âge d'or espagnol.
Pendant six mois, l'empereur ne quitte guère Grenade  : une ou deux
visites aux villes de la région, une retraite dans un monastère. Très vite, il
est de nouveau assailli par les difficultés extérieures.
François Ier refuse de rendre la Bourgogne et s'allie au pape Clément VII,
qui change, une fois encore, de camp. La ligue de Cognac est conclue le 22
mai 1526  : contre l'empereur, le pape se fait l'apôtre de l'indépendance
italienne, entraîne dans son sillage Venise, Florence et Sienne; le duc de
Milan suit et la guerre reprend. Guicciardini et Machiavel participent à la
campagne qui s'engage et se terminera par un désastre. Le commandant en
chef des troupes de la ligue, le duc d'Urbino, applique la vieille recette des
condottieres  : vaincre l'épée au fourreau. Il recule à mesure que l'ennemi
avance.
Dans les derniers mois de 1526, à la tête de lansquenets allemands, Georg
Frundsberg franchit les Alpes et force le passage du Mincio. Venu de Milan,
Bourbon le rejoint et tous deux marchent sur Rome. Le pape prend peur,
négocie avec l'empereur, conclut un accord qui, sur le terrain, n'est pas
respecté. La ligue est dissoute, mais les soldats ne sont pas payés : loin de
se disperser, ils se révoltent. Ils veulent prendre Rome : là est l'argent ! Ils
sont Allemands, adeptes desthèses de Luther  : ils considèrent le pape
comme un Antéchrist. Ils se ruent sur Rome, avancent comme une marée,
sans commandement, sans désir autre que l'appât du gain. Le 6 mai 1527,
ils donnent l'assaut à la Ville éternelle. Dans un combat qui s'engage,
Bourbon est tué, l'un des premiers. Il meurt au terme d'une vie vouée à la
tragédie.
Décrivant l'année 1527, Guicciardini voit partout la mort. Le sac de
Rome est «un carnaval de la mort », écrit Michelet : l'Italie est livrée à la
destruction, au pillage, à la peste19. L'Italie de la Renaissance, de Bramante,
de Michel-Ange, de Raphaël ! A Rome, en quelques mois, une épidémie de
peste fait des milliers de morts. Les artistes fuient la capitale, se réfugient
dans toutes les villes d'Italie; certains gagnent la France. Une véritable
diaspora20.
En France, François Ier se rapproche du roi d'Angleterre. Henri VIII veut
répudier Catherine d'Aragon, qui est la tante de l'empereur, et épouser Anne
Boleyn, dont il s'est épris. Il a besoin du soutien du roi de France : François
Ier lui accorde et obtient, en échange, l'aide d'Henri VIII pour la libération
de ses fils, prisonniers à Madrid. Sur ces bases, un accord entre les deux
rois sera conclu à Amiens en août 1527. François Ier aura alors les mains
libres pour reprendre la guerre.
L'empereur cherche à préserver, par tous les moyens, les chances de la
paix. Il a quitté Grenade, gagné Tolède en décembre 1526, Valladolid en
mars 1527. Alors que Rome est livrée au pillage, Isabelle donne le jour, le
21 mai, à un fils, qui reçoit le nom de Philippe en l'honneur de son grand-
père, Philippele Beau. Les Espagnols auraient souhaité un autre nom, puisé
dans leur histoire. Mais, en donnant à son fils le prénom de son père,
Charles affirme sa filiation bourguignonne. Après lui, Philippe aura mission
de tenir le duché de ses ancêtres.
L'empereur annonce lui-même la naissance dans ce langage familier que
les Habsbourg utilisent pour s'adresser à leurs sujets :
« Le Tout-Puissant a eu la bonté de permettre à notre chère épouse, hier
le 21e jour de ce mois, entre quatre heures et cinq heures du soir, de nous
donner un fils, jeune et beau. Notre chère épouse et notre fils se portent tout
à fait bien, nous en louons et remercions le Seigneur21. »
Mais la chance va, de nouveau, l'abandonner! La guerre reprend et,
comme toujours, en Italie.
François Ier réunit à Paris, en décembre 1527, une assemblée de délégués
du clergé, de la noblesse, des parlements et de la ville de Paris. Il tient un lit
de justice, il ne préside pas une réunion des Etats généraux, car il n'admet
pas en France d'autre puissance que la sienne22. Il parle en maître, retrace
les débuts de son règne, la trahison de Bourbon, la défaite de Pavie, la
captivité de Madrid. Qu'elle est belle, l'Histoire comme il la raconte ! Il en
vient à l'essentiel  : si Charles Quint accepte la paix qu'il lui propose, il
devra payer la rançon de ses fils; si Charles Quint la refuse, il lui fera la
guerre. Mais, jamais, il ne livrera la Bourgogne  : pour la prendre,
l'empereur devra lui «passer sur le ventre ».
1 Charles Piot, Correspondance politique entre Charles Quint et le Portugal de 1521 à 1522.
L'étude de Piot est reprise par Juan de Mata Carriazo dans La Boda del Emperador, p. 74.
2 Karl Brandi, Charles Quint, p. 214-215.
3 Juan Manuel Gonzáles Cremona, La Vida y la Epoca de Carlos I, p. 114.
4 Charles Quint, Commentaires, p. 19.
5 Vicente de Cadenas y Vicent, Diario del emperador Carlos V, p.172-173.
6 Sur les pas de Charles Quint, je me suis rendu en Andalousie au printemps 1999; à Séville, le 10
mars – le jour anniversaire du mariage de l'empereur.
7 « E como el reloj dio las doce », Juan de Mata Carriazo, La Boda del emperador, p. 114.
8 Voir chapitre I, « Duc de Bourgogne », p. 13-14.
9 Juan de Mata Carriazo, La Boda del emperador, p. 120-121.
10 Marianne Barrucand, L'architecture maure en Andalousie, p. 217.
11 Ernst Kantorowicz, L'empereur Frédéric II, p. 181.
12 Antonio Gallego Morell, « La Corte de Carlos V en la Alhambra en 1526 », p. 64. J'ai dîné à
Grenade, un soir de mars 1999, avec le professeur Gallego Morell, étonnant de jeunesse et de verve,
biographe à la fois de Garcilaso et de Garcia Lorca.
13 Antonio Gallego y Burin, Granada : Guía artistíca e histórica de la ciudad, p. 285.
14 Longtemps laissé à l'abandon, le palais de Charles Quint a été restauré à l'initiative de la Junte
d'Andalousie.
15 Washington Irving, Contes de l'Alhambra, p. 75.
16 Antonio Gallego Morell, La Corte de Carlos V en la Alhambra en 1526, p. 82.
17 Marcel Bataillon, Erasme et l'Espagne, p. 390. M. Bataillon décrit longuement la «conférence
de Valladolid », mais la première, celle de 1527, qui examine l'orthodoxie des œuvres d'Erasme. En
1529, Juan de Valdés situera son Dialogue de doctrine chrétienne dans un jardin de Grenade.
18 Martyr de Anghiera est né à Arona, en Italie, en 1457. Quand Charles Quint se rend à Grenade,
il a près de soixante-dix ans et va mourir. Ses Décades seront publiées en version française à Paris en
1532 et, en italien, à Venise en 1534.
19 Francesco Guicciardini, Histoire d'Italie, tome II, p. 475.
20 Romano gagne Mantoue, Peruzzi Sienne, del Vaga Gênes, le Sansovino Venise, le Parmesan
Bologne et Polidoro Naples (Fiorella Sricchia Santoro, La Renaissance, l'art du XVIe
siècle, Ed.
Zodiaque, Desclée de Brouwer, Saint-Léger Vauban, Paris, 1997).
21 Peter Lahnstein, Dans les pas de Charles Quint, p. 139.
22 Charles Terrasse, François Ier, tome II, p. 77.
CHAPITRE VIII

Le triomphe des Habsbourg

Au printemps 1527, pour la première fois, Gattinara prend des vacances. Il


est las, découragé, en butte aux critiques de la Cour, qui n'approuve pas ses
orientations. Il demande l'autorisation de s'éloigner pour quelques mois et de
gagner l'Italie. Avec un double objectif  : visiter ses propriétés familiales du
Piémont et préparer le couronnement de Charles Quint.
Il s'arrête à Montserrat, écrit à l'empereur, donne des conseils. A Barcelone, il
reprend la plume. Il part, mais voudrait en être empêché  ! La réponse qu'il
reçoit, et que Jean Lalemand, le premier secrétaire, a rédigée, est bienveillante.
Sans plus.
Il prend la mer à Palamos et, le 7 juin, fait escale à Monaco. Là, il apprend la
naissance du prince Philippe, le futur Philippe II, et surtout le sac de Rome. De
nouveau, il écrit à l'empereur : « On ne doit pas imputer le sac de Rome et la
captivité du pape à votre décision. » Il lui conseille de condamner l'aventure de
Frundsberg, de rechercher un accord avec Clément VII, d'engager une politique
nouvelle.
Le président du Conseil de Castille, le cardinal de Tavera, est hostile à
«l'aventure italienne» que supposela politique de Gattinara. Pour lui, priorité
doit être donnée à la Méditerranée occidentale : il recommande une expédition
contre les corsaires barbaresques qui ravagent les côtes espagnoles. « Le reste,
la politique impériale, c'est du vent ! »
Gattinara poursuit sa navigation en direction de l'Italie. Attaqué par des
galères françaises, il se réfugie dans le port de Gênes. De plus en plus inquiet...
Il ne peut laisser l'empereur seul, mal conseillé, à la dérive  ! Le pouvoir lui
manque. Il piaffe, renonce à gagner le Piémont, revient en Espagne.
En son absence, Charles Quint a hésité, écouté les uns et les autres sans
arrêter de position. Il lutte contre son caractère irrésolu : il sait qu'il doit prendre
une décision capitale pour l'avenir, mais ne peut agir. Immobile comme dans
son enfance. Chièvres est mort, il a besoin du soutien de Gattinara.
Des nouvelles inquiétantes lui parviennent de Hongrie, où Louis II, son beau-
frère, a été tué par les Turcs à Mohács; d'Allemagne, où les protestants se
renforcent  ; des Pays-Bas qui refusent d'allouer les subsides demandés par
Marguerite de Savoie. Le 22 janvier 1528, à Burgos, deux hérauts viennent lui
remettre, de la part des rois de France et d'Angleterre, une déclaration de guerre
selon les rites de la chevalerie – comme au Moyen Age ! Charles Quint s'étonne
que son ancien prisonnier lui déclare la guerre avec tant de formes, alors qu'il
n'a pas respecté sa parole... Pour régler leur différend, il lui propose un duel  !
Dans l'attente, il rappelle son ambassadeur à Paris, Nicolas de Granvelle.
Mais, comme Gattinara le répète souvent, le sort de l'Empire se joue en Italie.
A Naples et à Milan, les armes vont décider de l'issue de la guerre.
Une armée française, aux ordres de Lautrec, a quitté la Romagne et gagné les
Abruzzes  : elle descend vers Naples et assiège la ville. En mer, les galères de
Doria assurent sa protection et bloquent le port.
Ugo de Moncada et Alfonso del Vasto, envoyés en renfort, réussissent à
pénétrer dans Naples. Ils tentent, avec quelques navires, de lever le blocus.
Sortie désespérée, qui se solde par un désastre  ! Moncada est tué et del Vasto
fait prisonnier. Un capitaine de vingt-cinq ans prend le commandement des
troupes impériales, Philibert de Chalon, prince d'Orange. Elevé à la Cour
d'Espagne, il a pris part aux guerres d'Italie, a été blessé deux fois, dont l'une en
donnant l'assaut au château Saint-Ange. Il a le sens de l'autorité et le goût de la
manœuvre  : il anime la résistance, multiplie les sorties, tient bon malgré le
manque de troupes et de vivres.
Il est servi par les circonstances. François Ier refuse de rendre Savone aux
Génois  : Andrea Doria change de camp, ses galères se retirent et Naples peut
être ravitaillée1. Surtout, une épidémie de typhus se déclare, dévaste Naples,
décime l'armée française2. Lautrec est atteint : il meurt le 16 août. Or « c'était
sur son autorité et sa vaillance que reposait toute chose3 ! » Les Français lèvent
le siège et se replient en désordre vers Capoue. Mais le prince d'Orange coupe
leur retraite : tout les destinait à prendre Naples au printemps et ils doivent se
rendre sans conditions l'été venu !
En Lombardie, la situation se retourne de la même façon. A l'automne 1528,
le comte de Saint-Pol dispute à Antonio de Leyva la possession de Milan : il le
contraint à la retraite, s'empare de Pavie. Le 21 juin 1529, Leyva le bat à
Landriano... Dès lors, à Paris, on songe à la paix.
Pour Charles Quint, la voie est libre  : Doria lui assure la maîtrise de la
Méditerranée et Leyva celle de la Lombardie. Il peut gagner l'Italie, mais
hésiteencore. Pour le décider, Gattinara utilise un subterfuge, qu'il raconte lui-
même dans ses Mémoires. Il est malade, l'empereur lui rend visite, lui demande
conseil. Charles Quint veut entreprendre le voyage d'Italie, argue du soutien de
Doria, de l'évolution – qui lui paraît favorable – de la situation militaire.
Gattinara ne répond pas. L'empereur insiste :
«Vous m'avez toujours pressé de partir...
– Oui, mais j'ai perdu espoir, puisque vous avez sans cesse remis votre
décision. »
Gattinara ajoute que les dangers de la traversée ne doivent pas être sous-
estimés : peut-on se fier à ce vieux pirate de Doria? L'attitude du pape n'est pas
claire. Clément VII a souvent pris le parti de François Ier  : son désir d'un
rapprochement est-il sincère  ? Chaque argument avancé par le chancelier
conforte l'empereur dans sa décision. Brandi commente : « Un cheval de course,
tout près d'arriver au but, porte son ardeur à l'extrême4. » Rien ne peut retenir
Charles Quint !
Les préparatifs du voyage durent plusieurs mois. Gattinara y veille, ne
négligeant aucun détail.
Le 3 mars 1529, l'empereur rédige un testament, qui annule celui de 1522 et
confie la régence à son épouse. Le même jour, il quitte Tolède, gagne la
Catalogne, après un an de délais et de traverses.
Si l'empereur a pris sa décision, le pape n'a pas arrêté la sienne. A Orvieto et
Viterbe, au printemps 1529, il tâte le terrain, hésite entre ses alliés et les
Impériaux, vainqueurs à Naples et Milan. Un argument le décide : quand il a été
prisonnier, le roi de France n'a pas bougé  ! Le pape abandonne la ligue pour
l'empereur. Dans son évolution, deux hommes jouent un rôle de premier plan :
Francisco de Quinonés, général de l'ordre des franciscains, et le nouvel
ambassadeurd'Espagne à Rome, Miguel Mai, toujours prêt à épier les désirs
personnels du pape. Allant au-delà de ses instructions, Mai suggère que la
réunion d'un concile n'est plus actuelle :
« Sa Majesté fait désormais plus de cas de la paix en Italie que de l'attitude,
qu'elle redoute aussi, d'un concile universel ! Elle recherchera, en liaison avec
Sa Sainteté, d'autres moyens pour ramener les luthériens à la raison.
– Par ma foi, vous parlez le langage de la vérité  ! S'il en est ainsi, nous
pourrons sans hésiter leur faire quelques concessions. »
Plus encore, Mai promet que l'empereur réduira Florence par la force. Dès
lors, tout conduit à la paix entre Charles Quint et Clément VII. Après la mort
subite, à Tolède, de Baldassare Castiglione, le pape envoie un nouveau nonce en
Espagne, l'évêque de Vaison, qui a instruction de conclure. Avec Louis de Praet
et Nicolas de Granvelle, le nonce rédige un projet de traité que Charles Quint et
Clément VII approuvent et qui se transforme, le 29 juin 1529, en paix de
Barcelone.
Le pape et l'empereur se tendent la main, « dans leur douleur de voir la
chrétienté déchirée, dans leur zèle à repousser les Turcs et à frayer la voie à la
paix universelle ». Le pape se voit reconnaître la souveraineté sur Ravenne,
Cervia, Modène, Reggio et Ribiera; l'empereur, à nouveau, l'investiture du
royaume de Naples. Pour Milan, on verra  ! Quant au roi de France, allié des
Turcs, le pape menace de le mettre au ban de l'Eglise. En revanche, il accorde
son pardon à ceux qui ont combattu les Etats de l'Eglise. A la lecture du traité de
Barcelone, personne en Europe ne peut douter de son choix en faveur de
l'empereur.
Pour répondre à la déclaration de guerre de janvier 1528, Gattinara prépare
une offensive contre Henri VIII, sans doute «le premier plan sérieux que nous
offre l'histoire moderne d'un débarquement enAngleterre », explique Brandi5.
Le projet ne sera pas mis à exécution, car Marguerite de Savoie, aux Pays-Bas,
s'y oppose. Ce n'est pas la guerre qu'elle recherche, mais la paix ! A cette fin,
elle négocie un rapprochement avec sa belle-sœur Louise de Savoie6. A Paris,
Louise se déclare en faveur de la paix. A Malines, Marguerite se fait un instant
prier, prétextant qu'elle n'a pas reçu d'instructions de son neveu. Enfin, les deux
princesses se retrouvent à Cambrai et, en quelques jours, parviennent à un
accord : la « paix des Dames » est signée le 5 août 1529.
La paix de Cambrai confirme le traité de Madrid – à une exception près : la
Bourgogne demeure française. Charles Quint se voit reconnaître la souveraineté
sur la Flandre et l'Artois; François Ier renonce à ses prétentions sur Milan,
Gênes, Naples. Les conditions de la paix sont si favorables pour l'empereur que
Granvelle ne peut y croire, quand Louis de Praet lui rend compte de la
négociation.
Charles a déjà embarqué pour l'Italie, avec une armée imposante : neuf mille
arquebusiers, mille hommes d'armes. Sa flotte comprend cent navires : de quoi
dissuader tout agresseur éventuel !
Marguerite a écrit à son neveu  : « Vos sentiments de vaillance et de fierté
vous commandent de partir pour l'Italie. Mais les dangers que vous courez, les
difficultés de l'entreprise éveillent des doutes et des préoccupations. Ne partez
que pourvu d'argent, de troupes et de vivres7. »
Le 12 août, Charles Quint est accueilli à Gênes comme « le sauveur de la
République ». La négociation s'engage entre Gattinara et le cardinal Farnèse.
Gênes souhaiterait un traitement particulier dans le règlementqui s'esquisse des
affaires italiennes. Elle fait valoir sa position stratégique  : qui tient Gênes
contrôle la Méditerranée occidentale ! Mais une paix séparée ouvrirait d'autres
appétits et Gattinara la rejette.
Le 30 août 1529, Charles part à la découverte de l'Italie. Gattinara lui
conseille de couper ses cheveux et de tailler sa barbe  : il doit désormais
ressembler à un empereur romain. Son voyage s'apparente à une tournée
triomphale. A Castel San Giovanni, Antonio de Leyva l'attend pour l'escorter
avec ses troupes. Bologne est choisie pour son couronnement  : à mi-chemin
entre Gênes et l'Autriche. Or les nouvelles reçues de Ferdinand sont
alarmantes : Vienne est assiégée par les Turcs. A Plaisance, Gattinara confirme
aux envoyés du pape la décision de l'empereur de soumettre Florence par la
force. Rien ne peut faire plus de plaisir à Clément VII : le grand chancelier est
promu cardinal! A Reggio, Charles Quint est accueilli par le duc de Ferrare. Le
4 novembre, il arrive à la chartreuse de Bologne, où l'attendent le cardinal Cibo,
le duc Alexandre de Médicis et le gouverneur de la ville, Francesco
Guicciardini.
Le séjour de Charles Quint à Bologne est connu par le Journal de Jean de
Vandenesse, les études de Ghislaine de Boom, Vicente de Cadenas y Vicent et
Charles Terlinden8. Les gravures de Robert Péril, conservées au musée Plantin
d'Anvers, décrivent, en une fresque colorée, l'entrée à Bologne de l'armée
impériale9. Les régiments d'infanterie ouvrent le défilé; l'artillerie les suit  :
douze grosses pièces avec leurs serveurs, chacun tenant dans la main une
branche de laurier. Puis marchent les lansquenets allemands  : quatorze
compagnies défilent au son des fifres et des tambours. Leurs drapeauxclaquent
au vent. Au milieu d'eux, Antonio de Leyva est porté sur une chaise : la goutte
lui interdit tout mouvement. Il précède les hommes d'armes, montés sur des «
chevaux fougueux », issus de tous les pays de l'Empire. La garde impériale suit
avec ses étendards, l'un frappé de l'aigle, l'autre aux armes de l'Espagne. Puis la
maison de l'empereur  : maîtres de l'hôtel, officiers de justice, chambellans. Ils
sont trois cents et précèdent les princes d'Empire, les Grands d'Espagne, quatre
par quatre, sur des chevaux caparaçonnés à leurs armes. Puis, seul, le roi
d'armes de Bourgogne. Le grand écuyer, don Alvaro Osorio, porte l'épée droite
et nue. L'empereur chevauche un cheval bai recouvert de housses d'or. Il est en
armure; sur son casque, l'aigle et, dans sa main droite, le sceptre.
Arrivant à la porte de Bologne, il baise le crucifix que le cardinal-évêque de
la ville lui tend; il relève le gouverneur, qui s'est agenouillé devant lui. La
marche reprend. Une compagnie d'archers entoure l'empereur. Derrière elle,
Henri de Nassau, grand chambellan, s'avance à la tête de cent écuyers. Suivent
l'amiral Andrea Doria, le prince Albert de Brandebourg. Mercurino de Gattinara
précède le gouvernement et la chancellerie : cent cinquante personnes, toutes à
cheval. Puis, à nouveau, des cavaliers bourguignons, le capitaine Fernando de
Alarcón – le geôlier de François Ier – avec ses arquebusiers, d'autres compagnies
encore, venues de Flandre, du Luxembourg, d'Allemagne et d'Italie, des
hallebardiers aux armes de Habsbourg, des arquebusiers et des piquiers
espagnols, mille chevau-légers... Derrière viennent les chariots de poudres et de
balles. Vingt mille hommes au total  : Charles Quint entre à Bologne en
vainqueur.
Sur les pas de l'empereur, séjournant à Bologne en juillet 1998, j'ai
reconstitué l'itinéraire du défilé : la porte San Felice, la via Aurelio Saffi, la via
Ugo Bassi, la via Rizzoli. Devant les deux Tours penchées, les troupes ont
tourné à droite par la piazza della Mercanziaet remonté la via Castiglione; par la
via Clavature, elles ont rejoint la piazza Maggiore.
Sur la place, le pape l'attend sur une tribune, « aussi grande que la salle du
consistoire à Rome ». Vingt et un cardinaux, quarante archevêques et évêques,
une centaine d'autres prélats l'entourent : la pompe de l'Eglise de la Renaissance.
Devant le pape, la garde impériale s'est rangée en deux rangs, sous le
commandement d'Antonio de Leyva, toujours sur sa chaise. Le peuple crie : «
César ! Empereur ! Victoire ! »
Charles Quint s'approche, s'agenouille, baise les pieds et les mains de
Clément VII, offre au pape une bourse de ducats à l'effigie des Rois
Catholiques, puis il prend la parole, s'exprimant en espagnol :
« Je viens aux pieds de Votre Sainteté pour que, l'un et l'autre, nous
réfléchissions et nous agissions de concert pour le bien de la chrétienté. Je
demande à Dieu de favoriser notre entreprise. Je souhaite que ma venue à
Bologne soit approuvée par les chrétiens du monde entier. »
Il continue en italien, assurant le pape de sa fidélité et de sa dévotion, et
conclut : « Puisse la rencontre de Bologne servir les intérêts de l'Empire et de la
chrétienté ! »
Les princes, le grand chancelier, les dignitaires de la cour impériale viennent
à leur tour baiser la mule du souverain pontife. Quand ils ont terminé, Clément
VII entraîne l'empereur vers la basilique San Petronio, où Charles Quint prie
«avec ferveur». Les négociations peuvent s'engager.
Charles Quint séjourne à Bologne du 5 novembre 1529 au 22 mars 1530. Par
l'étude de Vicente de Cadenas y Vicent, sont connus, jour après jour, son emploi
du temps, ses conversations avec le pape, plus de cent en trois mois, les
audiences accordées aux princes et aux ambassadeurs et, d'une façon plus
générale, l'évolution de la négociation qui conduit à la paix de Bologne.
Cadenas nous révèle aussi les détails de lavie quotidienne, les chasses, les
visites d'églises, les maladies et les repas.
Charles Quint a aimé la ville aux tonalités rousses, symphonie de briques et
de tuiles. Les églises, les palais, les maisons sont en briques recouvertes
d'enduits jaunes, orange, rouges. Parfois, un soubassement en marbre, comme à
San Petronio, ou un encadrement de porte en pierre. Partout, des arcades
permettent aux «gens de pied d'aller à couvert », comme le note le président de
Brosses. Aucun excès, aucune forfanterie  : Charles Quint s'est vite senti chez
lui.
Il a trente ans  : aux côtés de Gattinara, il apprend l'Italie. « En quittant
l'Espagne, note Brandi, il se faisait une tout autre idée de son voyage10. » Son
chancelier lui explique les arcanes de la politique italienne, les rivalités entre les
princes, les oppositions entre les villes. Charles découvre aussi Clément VII,
politique comme lui, indécis comme lui, donnant comme lui la priorité aux
affaires de famille. Dans le palais des Anziani, le pape et l'empereur logent dans
deux appartements contigus  : par une porte, le pape va chez l'empereur et
l'empereur chez le pape, sans que personne le sache. Souvent, tous deux
prennent leurs repas en tête à tête.
Le lendemain de son arrivée, Charles tombe malade et les ennuis
commencent : des soldats ivres agressent une patrouille bolognaise. Un combat
de rue s'engage, au cours duquel plusieurs lansquenets sont tués. Antonio de
Leyva menace la ville de représailles, mais l'empereur prend la décision
d'écarter l'armée de Bologne. Il interdit tout vol de bestiaux, toute forme de
pillage. Les approvisionnements devront être réglés à l'avance; les
manquements aux ordres seront sévèrement sanctionnés. Le calme est rétabli.
La négociation commence le 13 novembre. Elle comporte, comme toute
rencontre internationale, des entretiens secrets, des réunions élargies, la création
de commissions particulières chargées de lever tel ou tel blocage. Elle est aussi
marquée par des temps d'arrêt, des journées de réflexion ou de mise au point des
textes. Bologne devient pour quelques mois « la capitale de la chrétienté et de
l'Empire11 ».
Le 28 novembre, premier dimanche de l'Avent, l'empereur assiste à la messe à
la basilique San Petronio. L'église de 1530 ne ressemble guère à la basilique
actuelle : la nef centrale est couverte d'un plafond de bois. Sur la façade, seul le
portail central a été réalisé par Jacopo della Quercia, qui s'est mis au travail en
1525 et n'a terminé que deux sculptures : celle de la Vierge à l'Enfant et celle de
San Petronio tenant l'église dans ses mains. L'édifice est bas, moins éclairé, plus
austère, conforme au goût de Charles Quint.
Le 29 novembre, l'empereur ouvre le dossier délicat des rapports entre le
pape et le roi de France. Clément VII a-t-il choisi, oui ou non, entre François Ier
et Charles Quint  ? La question n'appelle pas de réponse claire au terme d'une
entrevue «longue et pénible12 ».
Le 5 décembre, Charles visite l'église San Dominico, qui contient le tombeau
du fondateur des dominicains, espagnol d'origine. La messe est chantée par les
chœurs de la chapelle impériale. Le 8 décembre, le pape apprend – avant
Charles Quint, notent les chroniqueurs – la naissance d'un fils de l'empereur : il
se précipite dans l'appartement de ce dernier, ordonne des fêtes publiques, mais
l'enfant, que Charles prénomme Ferdinand en l'honneur de son grand-père
Ferdinand d'Aragon, ne vit que quelques semaines.
Un nouvel incident oppose le 12 décembre des soldatsallemands aux gardes
pontificaux. Arrivant d'Allemagne et se dirigeant vers Florence, les lansquenets
arrachent et brûlent des effigies du pape. Fidèles à l'empereur, mais sensibles
aux idées de la Réforme...
Qu'importe  ! Ce qui compte pour Clément VII, c'est le rétablissement des
Médicis à Florence. Charles Quint s'est engagé à soumettre la ville rebelle. Trois
ans après le sac de Rome, des troupes impériales assiègent Florence, que
défendent Malatesta et Michel-Ange. Les combats sont longs et meurtriers. En
donnant l'assaut à la ville, le prince d'Orange tombe dans une charge de
cavalerie le 3 août 1530. Avec lui, disparaît l'un des meilleurs généraux de
Charles Quint, le vainqueur de la guerre de Naples13.
L'empereur rend à Francesco Sforza le duché de Milan le 23 décembre 1529;
le lendemain, un accord est conclu, que ratifient tous les Etats italiens, à
l'exception de Florence. La « paix de Bologne » est proclamée du balcon du
palais, devant la foule amassée piazza Maggiore, le 31 décembre 1529.
Le 6 janvier 1530, une convention est signée entre l'université de Bologne, la
plus ancienne de la chrétienté, et les universités de Salamanque et de Valladolid.
Elle prévoit des échanges de professeurs, autorise les étudiants à poursuivre
leurs études dans une autre université que leur université d'origine  : elle
préfigure l'Europe de l'enseignement supérieur qui s'esquisse de nos jours.
Charles Quint hésite encore sur la stratégie qu'il doit adopter contre les Turcs.
Dans une longue lettre à son frère Ferdinand, datée du 11 janvier 1530, il décrit
ses doutes et demande conseil. Sans moyens financiers, il n'a aucune chance de
gagner une guerre contre Soliman : Ferdinand doit donc se résigner à négocier
unetrêve. Mais Charles s'interroge sur les réactions qu'une telle attitude
suscitera : la trêve doit être présentée, non comme une dérobade, mais comme
une solution provisoire dans l'attente d'une évolution des affaires allemandes.
S'agissant de la poursuite de son voyage, Charles évoque trois possibilités : se
faire couronner empereur à Bologne et se mettre en route aussitôt après;
proposer au pape un couronnement à Rome et retarder son départ; prendre
possession du royaume de Naples et ne rejoindre l'Allemagne qu'à l'automne.
Il précise une nouvelle fois, à l'attention de son frère, les raisons qui l'ont
conduit à entreprendre le voyage d'Italie. En se faisant couronner empereur, il
rend possible l'élection de Ferdinand comme roi des Romains. Il conforte le
pouvoir des Habsbourg et règle sa succession à l'Empire : « Dans les temps où
nous sommes, écrit Charles Quint, il me paraît plus sage de procéder à votre
élection aussitôt après mon couronnement. » Vicente de Cadenas commente  :
«En 1558, après la mort de Charles Quint, les princes allemands auraient pu
élire un empereur d'une autre maison et pourquoi pas d'une autre religion14. »
Dès janvier 1530, Charles Quint esquisse ainsi le partage de l'Empire qu'il
réalisera entre les deux branches des Habsbourg : à son fils, l'Espagne, les Pays-
Bas, Naples et les Indes; à son frère, l'Allemagne et l'Autriche. Deux capitales
d'une même Europe  : Madrid et Vienne. Cette organisation se maintiendra
jusqu'au XXe siècle.
Le 22 janvier, Charles tombe à nouveau malade – gravement  : il ne peut
avaler aucun aliment, respire difficilement. Les médecins appelés en
consultation diagnostiquent une amygdalite. L'empereur se rétablit assez vite,
puisque les chroniques indiquent qu'il chasse le 27 janvier dans les Apennins. Il
choisit pourdate de son couronnement le jour de son trentième anniversaire, le
24 février 153015.
Des messagers partent de Bologne annoncer la nouvelle à toutes les capitales
européennes. Une commission particulière est chargée d'organiser la cérémonie,
de régler les problèmes de protocole, d'assurer le logement des invités, de veiller
au ravitaillement de la ville et au maintien de l'ordre.
Le 31 janvier, Charles procède à des nominations de comtes palatins16; des
artistes, des écrivains, des professeurs d'université accèdent à la noblesse
d'Empire et reçoivent le droit d'intégrer l'aigle impériale dans leurs armes.
 

Le 3 février, Bologne est en fête pour le carnaval; le 5 février, Charles visite


l'atelier d'orfèvrerie de Giovanni Dausonn, qui fabrique la couronne impériale.
Antonio Maquiavelli reçoit commande de la frappe de trois mille ducats d'or et
d'argent, qui seront distribués le jour du couronnement. Charles assiste à un
spectacle de saltimbanques, qui lui « plaît extraordinairement17 ». Il chasse,
donne une réception en l'honneur des chevaliers de la Toison d'or, nomme de
nouveaux chevaliers dans l'ordre de Saint-Jacques.
Ambiance de fête : les réceptions, les banquets et les concerts se succèdent.
Charles s'y rend accompagné des pages de sa suite.
Les services de la Curie soulèvent des problèmes juridiques inattendus  : ils
n'ont pas eu en leur possession les documents attestant le premier couronnement
de Charles Quint comme roi des Romains à Aix-la-Chapelleen octobre 1520. Le
pape devra se contenter de témoignages oraux recueillis par écrit.
Le mardi 22 février, dans la chapelle du palais des Anziani, Clément VII
remet à Charles Quint la couronne de fer des rois lombards. Il pleut et la ville
disparaît sous la brume; mais le ciel se dégage le lendemain et, le jeudi 24
février, il fait froid : le temps est beau et sec. Charles va être couronné empereur
par un beau soleil – le jour de ses trente ans ! Les chroniqueurs – les journalistes
de notre temps – sont nombreux. Mais, mal logés, ils protestent auprès des
services de la chancellerie et se plaignent des sous-sols humides dans lesquels
ils sont relégués...
Dès l'aube, les troupes sont en place piazza Maggiore ; elles représentent tous
les pays de l'Empire. Antonio de Leyva les commande de sa chaise portée par
quatre esclaves noirs. Une passerelle de bois a été construite entre le palais des
Anziani et la basilique San Petronio. Beaucoup de monde sur la place, aux
fenêtres et sur les toits. Le pape arrive le premier, sur la seda gestatoria, entouré
des cardinaux, des archevêques, des membres de la Curie. Après un temps
d'attente, apparaissent les membres de la Cour impériale, les envoyés de tous les
pays de l'Empire, les chefs des ordres de chevalerie, les princes et les Grands
d'Espagne, les ambassadeurs et le grand chancelier. Ils précèdent le marquis de
Montferrat, qui tient le sceptre, le duc de Bavière, le globe, le duc d'Urbino,
l'épée, le duc de Savoie, la couronne impériale. Charles Quint, vêtu d'une
longue robe de drap d'or, porte la couronne des rois lombards. A peine est-il
arrivé dans la basilique, la passerelle de bois qu'il a empruntée s'effondre,
écrasant dans sa chute des dizaines de soldats et de spectateurs. Accident ou
attentat ? A lire les documents de l'époque, l'attentat paraît plausible.
Le cérémonial est long, compliqué : Pio Antonio Muscetiola, qui l'a réglé, a
consulté les vieux grimoires.L'empereur est pris en charge par les cardinaux del
Monte et Pucci, Salviati et Ridolfi, Farnèse enfin. Dans une première chapelle,
il est fait chanoine de Saint-Pierre de Rome; dans une deuxième, il se confesse;
dans une troisième, il est oint sur la poitrine, le dos, les bras de l'huile sainte.
Devant le maître-autel, il s'agenouille. Après le Kyrie, chanté en latin et en grec,
il est conduit devant le trône du pape pour les rites du couronnement18.
C'est d'abord la remise de l'épée  : Accipe gladium sanctum, « Prends cette
épée sainte. Avec elle, tu chasseras les ennemis de Dieu et de l'Eglise».
Accipe virgam. Accipe pomum. Accipe signum gloriae  : le rite ancestral du
couronnement de Charlemagne se poursuit par la remise de l'anneau, du globe,
de la couronne. Voici Charles Romanorum Imperatorem, semper augustum,
mundi totius Dominum, « Auguste et maître du monde ».
L'Evangile est chanté en latin par le cardinal Cesarini et en grec par
l'archevêque de Rodi; le pape entonne le Credo, que reprend la foule.
L'empereur chante l'Agnus Dei d'une voix ferme, reçoit la communion des
mains du pape sous les deux espèces. Les trompettes sonnent, les tambours
battent, les cloches sonnent : « Le monde contemple en grand apparat la dignité
impériale et la dignité papale19. » Le couronnement de Bologne est la dernière
manifestation de la chrétienté médiévale.
Il ne met pas fin aux entretiens entre le pape et l'empereur. Les affaires
d'Italie sont réglées, celles d'Allemagne et de Hongrie ne le sont pas encore.
Charles est victime le 27 février d'un nouvel attentat.Alors qu'il rejoint avec
Alexandre de Médicis la salle des négociations, un madrier tombe à ses pieds,
qu'il évite de justesse20. Tous s'affolent, lui garde son calme, se tourne vers
Alexandre de Médicis : « Que ce soit autrefois à Gand et aujourd'hui à Bologne,
je suis né deux fois en février  ! » Sans doute, l'attentat est-il l'œuvre de
Florentins en lutte contre les Médicis, le pape et l'empereur !
Le 1er mars est le dernier jour du carnaval et des manifestations organisées
pour le couronnement. Charles va consacrer plus de temps à la chasse, la
gastronomie, la visite de Bologne et des environs. Sa passion, c'est la table, la
découverte de plats nouveaux. Le pape est son guide, lui fait goûter les
esturgeons du delta du Pô, les truites de Reno, les calamars de Vénétie, les
perdrix, les pigeons et les bécasses des Apennins, les lièvres de la plaine du Pô,
les chapons des environs de Bologne. Spectacle fascinant : les deux hommes les
plus puissants de l'époque, à table l'un en face de l'autre, réglant ainsi les affaires
du monde !
Mais, à trop manger de gibier, à trop boire de vins blancs de Bologne, Charles
est atteint par la goutte, à trente ans, pour la deuxième fois de sa vie. Les
médecins le mettent à la diète et lui prescrivent des décoctions de «bois des
Indes21 ». Charles ne pratique aucune hygiène alimentaire, ne suit aucun
régime. « Si tu veux vivre à l'abri de la goutte, il faut être pauvre ou vivre
pauvrement », conseille Pétrarque. Ne pas manger de gibier, ne pas boire
d'alcool, éviter les excès. Charles fait tout le contraire  ! Le seul exercice
physique qu'il pratique,c'est la chasse  : à courre, à l'arquebuse, au faucon. Par
tous les temps, dans tous les terrains. Quand la goutte le saisit, il s'entoure de
flanelle, plonge dans un bain chaud. Bientôt, il ne peut plus se passer de son «
poêle », petite pièce de bois qui le suit dans ses déplacements.
Il aime les réceptions et les bals. A la fête que donne la duchesse de Savoie, il
danse une partie de la nuit, s'entretient familièrement avec les invités, ne met
aucune distance entre eux et lui. Alexandre de Médicis lui présente Titien, qui
deviendra son peintre préféré et auquel il commande son portrait à cheval, avec
l'armure qu'il portait lors de l'entrée à Bologne. Il pose avec plaisir, écoute
Titien lui décrire les écoles de la Renaissance italienne. Il le nommera comte
d'Empire, lui versera une pension. Titien lui fait connaître d'autres artistes, le
sculpteur Alfonso Lombardi qui réalise son buste, Giovanni Bernardi qui grave
de lui une médaille.
Charles a le culte de la beauté des paysages, des fleuves, des villes. Des
fleuves larges, le Rhin, le Danube, le Pô. Des villes austères, Gand, Bologne,
Augsbourg. En tout sérieux, appliqué, sans l'ombre d'une gaieté, acceptant la vie
telle qu'elle est.
Le 22 mars 1530, il quitte Bologne après une dernière messe et un dernier
entretien avec le pape.
Il a convoqué une diète d'Empire à Augsbourg. Sur le chemin, il s'arrête à
Mantoue, où le jeune marquis, Federico Gonzaga, lui offre trois semaines de
bonheur. « Ma maison est la vôtre », lui déclare Gonzaga en l'accueillant.
Charles et Federico chassent, courent à cheval, jouent aux cannes. Charles se
prend d'amitié pour le marquis de Mantoue, le marie à Julia d'Aragon et l'élève à
la dignité ducale.
Il ne peut prolonger ses vacances; son frère Ferdinand l'attend en Autriche.
Par Trente et Bolzano, il rejoint Innsbruck le 5 mai. Mercurino de Gattinara
vient de mourir. Chièvres est mort à Worms après lecouronnement d'Aix-la-
Chapelle, Gattinara à Innsbruck après celui de Bologne, comme si le temps de
leurs services était révolu. Chièvres et Gattinara, l'un après l'autre, ont formé
l'empereur avec le même dévouement, la même fidélité : ils lui ont inculqué leur
expérience des affaires publiques. Avec la mort de Gattinara, Charles termine
son apprentissage du pouvoir  : il est désormais seul devant les hommes, seul
avec lui-même. Il ne remplace pas Gattinara comme grand chancelier, répartit
ses fonctions entre Nicolas de Granvelle, qui prend en charge la conduite de la
diplomatie, et Francisco de Los Cobos, les affaires financières.
A Innsbruck, l'empereur retrouve son frère Ferdinand et sa sœur Marie –
Innsbruck, la résidence favorite des Habsbourg  ! Ferdinand est devenu en dix
ans un prince allemand, lui qui a été élevé en Espagne et dont l'espagnol est la
langue maternelle. Plus rapide dans ses décisions que son frère, il est plus
impulsif et, par de nombreux côtés, ressemble à son grand-père Maximilien.
Moins obstiné que Charles, plus sujet au découragement, plus émotif et plus
capricieux, sans cette gravité inquiète qui marque son frère. Tous deux, Charles
et Ferdinand, attachés à la grandeur de leur maison, fondent l'Empire des
Habsbourg.
Par Munich, ils gagnent ensemble Augsbourg, où ils arrivent le 15 juin 1530.
Les frères Fugger, que Charles Quint a nommés comtes d'Empire en 1526,
mettent leur palais à la disposition de l'empereur.
En 1529, la diète de Spire a entraîné la division de l'Allemagne. Ferdinand,
qui l'a présidée, a exigé que l'Eglise romaine fût partout maintenue comme
religion d'Etat. Les princes et les villes favorables à la Réforme ont « protesté »
par une déclaration du 19 avril 1529, formé une ligue pour se prémunir contre
les attaques qu'ils pourraient subir pour des raisons confessionnelles  : le
protestantisme est né.
A son arrivée à Augsbourg, Charles Quint n'a plusen face de lui, comme à
Worms en 1521, un hérétique isolé, mais des rebelles entraînant dans leur
révolte contre Rome une part importante de l'Allemagne. Pour Charles, la
question demeure politique : il ne veut pas rompre, mais négocier. Il propose la
réunion d'un concile qui rassemblerait catholiques et « protestants ». Le concile
doit-il être «national» ou étendu à toute l'Eglise  ? Charles a hésité. Dans une
lettre de décembre 1528 à son frère Ferdinand, il a arrêté sa position : «Plus la
nation allemande se réunira seule, sans témoins extérieurs, plus elle tendra à
commettre des erreurs. » Il faut intégrer l'Allemagne à un ensemble plus vaste –
la chrétienté au XVIe siècle, l'Europe de nos jours. Le jugement de Charles
Quint conduit à renforcer les liens d'une Europe politique.
L'ordre du jour de la diète d'Augsbourg comporte trois points  : le premier
relatif aux questions confessionnelles, le deuxième à la lutte contre les Turcs, le
troisième à l'organisation du gouvernement de l'Empire.
Dans les camps catholique et protestant, c'est la même bonne volonté, le
même désir de paix. Mais chaque parti fourbit ses arguments. Les princes de
Saxe, de Brandebourg, de Hesse, de Lunebourg déposent sur le bureau de la
diète une « confession de foi », l'Augustana, que Melanchthon a rédigée. Les
villes de la Haute Allemagne, après avoir hésité à la signer, rédigent leur propre
charte, la Tetrapolitana ou «confession des quatre villes ».
La diète devient « une Assemblée nationale traitant des affaires de l'Eglise 22
». Melanchthon recherche un terrain d'entente. Mais Luther souhaite une
organisation nouvelle de l'Eglise. Les principes de la Réforme ne sont pas
compatibles pour lui avec le maintien des vieilles autorités : il ne peut transiger.
Il entraîne l'Allemagne dans la lutte politique, sans compromis pos-sibleavec le
pape et l'empereur. La Réforme, sous son impulsion, renverse l'édifice de
l'Eglise et établit une nouvelle organisation de l'Allemagne  : le mouvement
religieux est indissociable de ses prolongements politiques.
Charles Quint est à la croisée des chemins. Réunissant le Conseil d'Etat, il
envisage trois solutions. Soit les partisans de la confession d'Augsbourg se
soumettent à la juridiction d'un tribunal arbitral; soit ils acceptent la réunion
d'un concile. S'ils refusent ces deux ouvertures, il faudra alors employer la
force.
Mais les Turcs sont aux portes de Vienne et le pape s'oppose au concile : la
voie est étroite. Il faut donc négocier, encore et toujours négocier ! Le 14 juillet,
Charles écrit au pape, qui répond d'une façon évasive. Il est atteint dans son
orgueil, désespère d'une solution pacifique, ne voit plus que l'échec. En lui, se
mêlent, « en un enchevêtrement inextricable », ses devoirs envers ses ancêtres,
sa volonté d'unité de l'Allemagne, son désir de paix.
Il présente aux Etats un recès qui demande au pape de réunir un concile23.
Les protestants refusent, invoquent l'Evangile et leur conscience. Charles se
fâche  : « Voudraient-ils le représenter, lui et les autres princes, comme des
adversaires de l'Evangile ? » Le 23 septembre 1530, lors de la dernière réunion
de la diète, Joachim de Brandebourg menace en son nom  : les princes
protestants quittent la salle. Le recès, tout farci de théologie, condamne les
doctrines nouvelles, la perte de la piété véritable et la fin de la révérence
chrétienne. Est-ce une déclaration de guerre  ? Dans les faits, le gouvernement
impérial ne manifeste aucune intention belliqueuse. A Augsbourg en 1530,
l'empereur avait-il la possibilité d'abattre les protestants? Certains historiens
l'ont pensé. Ce qui est certain, c'est quene sévissant pas, il a offert aux Réformés
la possibilité de se renforcer.
Cependant, la diète d'Augsbourg n'est pas un échec. Sur les autres points de
l'ordre du jour, elle aboutit à des résultats concrets; elle autorise l'élection de
Ferdinand comme roi des Romains, successeur désigné de son frère. Elle choisit
Cologne, et non Francfort, pour la réunion des princes électeurs. Dans ses
Mémoires, Charles invoque la peste, mais la vraie raison, c'est l'opposition des
princes protestants.
Gagnant Cologne, Charles Quint apprend le décès survenu, le 1er décembre
1530, de sa tante Marguerite de Savoie. Six mois après la mort de Gattinara, il
perd celle qui a veillé sur son enfance ! Marguerite, le jour même de sa mort, a
adressé à son neveu l'une des plus belles lettres qui soit :
« Mon seul regret est de ne point vous revoir avant ma mort. Cette lettre est la
dernière que j'écris. Je vous laisse derrière moi comme mon unique héritier,
avec les territoires que vous m'avez confiés, que j'ai gardés intacts et même
agrandis, après un règne pour lequel j'attends la récompense de Dieu, votre
contentement et la reconnaissance de la postérité. »
Quelle sérénité  ! Charles assiste à Cologne le 5 janvier 1531 à l'élection de
son frère et, à Aix-la-Chapelle le 11 janvier, à son couronnement24. Le
couronnement de Ferdinand comme roi des Romains prolonge celui de Charles
comme empereur : il marque le triomphe de la maison de Habsbourg.
Pour succéder à sa tante Marguerite comme régente des Pays-Bas, Charles
nomme le 3 janvier 1531 sa sœur Marie, qui a vingt-six ans à peine : il n'est pas
question pour lui de sortir du cercle de famille. Mais Marie est séduite par les
idées de Luther et Charles ne peut accepter une telle inclination. De Cologne, il
lui faitporter un message par un officier de sa maison, le comte de Boussu : «
Soyez assurée que, si j'avais quelque soupçon à propos de la foi, je ne vous
offrirais ce poste de confiance, je ne vous témoignerais pas une amitié
fraternelle25. » Et d'ajouter  : je ne saurais tolérer aux Pays-Bas ce que j'ai dû
accepter, sous la pression des circonstances, en Allemagne.
De son côté, Marie pose ses conditions : elle ne veut pas se remarier – tout
comme Marguerite de Savoie – et désire s'installer à Bruxelles – et non à
Malines. Malgré son jeune âge, elle a l'expérience du pouvoir. Elle a mûri dans
l'épreuve, ayant perdu son mari à la bataille de Mohâcs en août 1526. Elle parle
et écrit le flamand.
Mais de telles qualités ne sauraient suffire  : Charles Quint lui fixe des
orientations précises, nomme auprès de la régente des hommes de confiance.
Par lettres patentes du 1er octobre 1531, il dote les Pays-Bas des institutions
politiques qui subsisteront jusqu'à la Révolution française. Charles le Téméraire,
par les ordonnances de Thionville de décembre 1473, a créé le Parlement de
Malines, défini une nouvelle organisation judiciaire26. Charles Quint complète
et prolonge l'œuvre de réforme de son arrière-grand-père. L'un et l'autre ont
ainsi accompli le travail de législateur le plus important de l'histoire des Pays-
Bas.
Désormais, trois conseils vont se partager aux côtés du souverain – ad latus
principis – les attributions du gouvernement. Le Conseil d'Etat est présidé, au
nom de l'empereur, par la régente; sa composition n'est pas fixe  : elle dépend
des sujets traités. Les chevaliers de la Toison d'or sont de droit membres du
Conseil d'Etat; à leurs côtés, siègent les responsables des dix-sept provinces qui
se sont illustrés dans des fonctions civiles et militaires. Le Conseil privé est
levéritable organe de gouvernement : dirigé par Jean de Carondelet, archevêque
de Palerme, fils d'un ancien chancelier de Bourgogne, il comprend six ministres
et deux secrétaires. Selon les instructions qui accompagnent les lettres patentes
du 1er octobre 1531, « il traite toutes les matières de la suprême hauteur et
souveraine autorité de Sa Majesté ». Le Conseil des finances complète le
dispositif mis en place  : lui aussi comprend six membres. Il est chargé de la
gestion de la politique financière et du recouvrement des « subsides » votés par
les Etats généraux. Pour Charles Quint, il constitue l'élément essentiel de la
réforme  : sans contribution financière des Pays-Bas, il ne peut poursuivre sa
politique27.
Il nomme de nouveaux chevaliers de la Toison d'or. Il n'a pas réuni de
chapitre de l'Ordre depuis celui de mars 1519, à Barcelone, avant son élection à
l'Empire  : deviennent chevaliers aux côtés de son fils Philippe, les rois de
Portugal et d'Ecosse, les princes électeurs de Brandebourg et du Palatinat, les
ducs de Juliers et de Saxe, Ferrante Gonzaga et Andrea Doria, Louis de Praet,
Philippe de Lannoy, Charles de Lalaing.
Le chapitre de l'Ordre se tient, en la fête de Saint-André, le 30 novembre
1531 à Tournai. Nulle institution n'est plus proche de Charles Quint, nulle aussi
n'est plus libre dans son comportement et son expression. Les chevaliers
manifestent leur mécontentement  : l'empereur ne les réunit plus, ne les écoute
pas  ! Par ailleurs, il est trop long à décider, s'occupe de détails et néglige les
affaires importantes, il paye mal ses gens... Ces plaintes, l'empereur les entendra
tout au long de son règne ! A chaque réunion du Conseil del'Ordre, il répondra,
sans s'emporter, longuement, donnant ses raisons personnelles.
Cependant, la situation se tend en Allemagne. La ligue de Smalkalde a été
fondée le 27 février 1531  : elle réunit le prince Jean de Saxe, le landgrave
Philippe de Hesse, le duc Ernest de Lunebourg, le comte de Mansfeld et les
délégués de villes comme Strasbourg, Ulm, Magdebourg et Brême28. Ferdinand
n'a rien obtenu des princes allemands  : il appelle son frère à la rescousse. La
prochaine diète de l'Empire doit se réunir à Ratisbonne. Charles écrit à Isabelle
qu'il ne peut la rejoindre en Espagne, qu'il est obligé de « reprendre les affaires
en main29 ».
Il séjourne à Ratisbonne de mars à septembre 1532. Avec Augsbourg,
Ratisbonne est la ville d'Allemagne qu'il a préférée. Il reçoit, négocie, chasse
aussi – avec passion. Il est mordu à la jambe par un loup, si profondément que
les médecins songent à l'amputer.
Le sultan marche sur Vienne. Devant le péril, l'Allemagne oublie ses
divisions confessionnelles et affirme son unité. Catholiques et protestants
concluent un armistice et rejoignent l'armée impériale. A leur tête, Charles
Quint descend le cours du Danube  : il est, comme jamais il ne le sera plus,
empereur d'Allemagne.
Mais, pendant qu'il négociait encore à Ratisbonne, le sort des armes était déjà
réglé ! Une petite garnison de la Hongrie occidentale, celle de Güns, a résisté –
du 7 au 22 août – aux assauts de Soliman et sa défense semble avoir décidé le
sultan à la retraite. En Grèce, Doria prend Patras et, en Styrie, les troupes
allemandes harcèlent l'armée turque qui se retire.
Le 23 septembre 1532, Charles Quint entre en vainqueur à Vienne, alors que
les derniers combats viennentde prendre fin. La gloire comble le jeune
empereur ! Comme en Italie dans l'été 1528, il a bénéficié d'un retournement de
la situation, qu'il attribue à une grâce de Dieu. Ein fester Burg ist unser Gott : «
C'est une forteresse, notre Dieu », ont chanté au combat, d'une même voix,
catholiques et protestants !
Charles Quint passe douze jours à Vienne  : son seul séjour dans la capitale
autrichienne. Puis les deux frères se séparent  : Charles descend en Italie et
Ferdinand regagne l'Allemagne.
Charles pourrait pousser jusqu'à Venise : il ne le fait pas et ne connaîtra pas
Venise ! Ce n'est pas par curiosité qu'il court l'Europe, c'est par nécessité, pour
des raisons politiques. Pas un de ses voyages n'est laissé au hasard. A Mantoue,
son ami le duc l'attend : il ne s'arrête pas...
Par le chemin qu'il a emprunté au printemps 1530, mais en sens inverse, il
rejoint Bologne. Les conversations entre le pape et l'empereur reprennent  :
Charles Quint souhaite la réunion d'un concile, Clément VII ne veut pas en
entendre parler ! L'empereur n'obtient aucun résultat : le pape s'oppose à toute
réforme de l'Eglise.
Reste à prendre le chemin du retour : Isabelle l'attend en Espagne.
L'EMPIRE DES INDES
(Atlas historique Larousse 1984)
1 Francesco Guicciardini, Histoire d'Italie, tome II, p. 585.
2 William Mac Neill, Le temps de la peste : essai sur les épidémies dans l'histoire, p. 194.
3 Francesco Guicciardini, Histoire d'Italie, p. 585.
4 Karl Brandi, Charles Quint, p. 272.
5
Ibid., p. 278.
6 Marguerite de Habsbourg, tante de Charles Quint, a épousé Philibert de Savoie, frère de Louise de
Savoie.
7 Karl Brandi, Charles Quint, p. 281.
8 Ghislaine de Boom, Voyage et couronnement de Charles Quint à Bologne (1936). Charles Terlinden,
La politique italienne de Charles Quint et le « triomphe » de Bologne (1975). Vicente de Cadenas y
Vicent, Doble coronación de Carlos V en Bolonia (1989).
9 Gravure sur bois par l'artiste liégeois Robert Péril. Anvers, musée Plantin-Moretus.
10 Karl Brandi, Charles Quint, p. 282.
11 Vicente de Cadenas y Vicent, Doble coronación de Carlos V en Bolonia, p. 278.
12
Ibid., p. 272.
13 Philibert de Chalon désigne pour son héritier son neveu René de Nassau-Dillenburg, à charge pour
celui-ci de porter son nom et ses armes (de gueules à la bande d'or).
14 Vicente de Cadenas y Vicent, Doble coronación de Carlos V en Bolonia, p. 6.
15 De fait, Charles Quint a été couronné trois fois : à Aix-la-Chapelle, il a reçu la couronne de « roi des
Romains » des mains des archevêques de Mayence, de Cologne et de Trèves; à Bologne, en deux
cérémonies, la couronne de « roi des Lombards » et la couronne impériale des mains du pape.
16 Les comtes palatins, institués par l'empereur, forment la noblesse d'Empire (du latin palatinus,
chargé du palais).
17 Vicente de Cadenas y Vicent, Doble coronación de Carlos V en Bolonia, p. 278.
18 Vicente de Cadenas y Vicent, dans Doble coronación de Carlos V en Bolonia, a publié les relations
du couronnement établies par Gaetano Giordanni, Henrico Cornelio Agrippa, Ugo de Boncompagni et la
Curie elle-même, p. 169-250.
19 Karl Brandi, Charles Quint, p. 285.
20 Vicente de Cadenas y Vicent, Doble coronación de Carlos V en Bolonia, p. 280.
21 La goutte est soignée au XVIe siècle à l'aide du bois de gaïac, arbuste des régions tropicales du
continent américain. C'est un Allemand, Ulrich von Hutten, qui a découvert les vertus thérapeutiques du
gaïac – encore utilisé au XIXe siècle contre la goutte et le rhumatisme articulaire.
22 Karl Brandi, Charles Quint, p. 302.
23
Recès : acte dans lequel les diètes de l'Empire consignent leurs délibérations avant de se séparer.
24 Ferdinand est le dernier empereur couronné à Aix-la-Chapelle.
25 Karl Brandi, Charles Quint, p. 316.
26 Jean-Pierre Soisson, Charles le Téméraire, p. 219-228.
27 Lors de mes recherches en Allemagne au cours de l'été 1999, j'ai découvert à Bamberg un
exemplaire des Mémoires historiques et politiques des Pays-Bas autrichiens de Patrice de Neny, publiés à
Bruxelles en 1785 et ayant appartenu à Jean de Lannoy  : l'importance de la réforme de 1531 y est
soulignée. Les Mémoires comportent le texte des décisions de Charles Quint (p. 235-243).
28 Jean de Saxe, dit le Constant, a succédé à son frère Frédéric le Sage, à la mort de ce dernier, en
1525.
29 Karl Brandi, Charles Quint, p. 320.
CHAPITRE IX

L'Empire des Indes

1519 est l'année de tous les changements. Maximilien meurt, Charles est
élu empereur d'Allemagne, Luther est condamné par le pape. Magellan
entreprend le tour du monde et Hernán Cortés la conquête du Mexique.
Charles Quint a hérité de ses grands-parents un empire colonial formé
pour l'essentiel des Antilles  : un territoire de deux cent cinquante mille
kilomètres carrés, peuplé en 1516 de trois cent mille hommes seulement : la
répression et, plus encore, les épidémies ont décimé la population. Les
Antilles comptaient en 1492 six millions d'habitants  ! Les survivants sont
des morts en sursis. Après des millénaires d'isolement, la colonisation les a
mis au contact d'Européens et d'Africains porteurs de virus et de microbes
nouveaux  : la variole qui éclate à Saint-Domingue en 1518 les tue par
milliers1.
Une société coloniale s'ébauche «dans le chaos et l'excès », à Saint-
Domingue d'abord, puis à Cuba2. Lesconquérants se sont abattus « comme
une volée de prédateurs » sur les Antilles  : ils ont détruit les modes
traditionnels de production sans les remplacer par d'autres. Mais leurs
moyens d'existence sont précaires. Souvent atteints, eux aussi, par la
maladie, ils partent à la découverte de nouveaux territoires, vers la « Terre-
Ferme », comme ils appellent le continent américain. Mus par un rêve d'or...
L'or, poudre d'or, plaques d'or, soleils d'or, habite l'imagination de ces gueux
en délire3.
Cuba devient la tête de pont de la conquête. Les expéditions vers le
Mexique se succèdent. Deux échouent en 1517 et 1518; la troisième en
1519, que conduit Hernán Cortés, va réussir.
Cortés est né en 1485 à Medellin, dans l'Estrémadure. Il a étudié le droit
et le latin à l'université de Salamanque, gagné Saint-Domingue en 1504,
Cuba en 1511. C'est un letrado, qui s'installe d'abord comme notaire avant
de rejoindre l'administration  : il devient le secrétaire du gouverneur. C'est
peu pour son ambition  ! Il est d'un autre métal. Intelligent, tenace, jamais
résigné, Hernán Cortés est un homme qui « veut plier le monde à son désir
», un véritable conquérant, l'un des plus grands de l'Histoire4.
L'un de ses compagnons, Bernai Díaz del Castillo, écrit sur la fin de sa
vie un récit de la conquête du Mexique. Livre étonnant, d'une plume alerte,
sans complaisance. Quand il rédige son Histoire véridique de la conquête,
Cortés et Charles Quint sont morts; Bernai Díaz n'a rien à craindre, rien à
attendre. Regidor perpetuo de Guatemala, il vit retranché dans ses
souvenirs5.
Hernán Cortés est chargé d'explorer, non de « peupler »les terres
nouvelles : le gouverneur de Cuba, Diego Velázquez, n'a pas l'autorisation
du gouvernement de Castille d'entreprendre la conquête du continent. Mais,
dans les instructions qu'il reçoit et qu'il rédige en partie, Cortés insère une
clause qui lui permet de prendre les mesures « exigées par le service de
Dieu et du roi ». Le commerce ne l'intéresse pas : « Il ne venait pas pour si
peu de chose », résume Bernai Díaz.
Il réunit des financements, arme une flotte de onze navires, embarque un
corps expéditionnaire de cinq cent huit hommes. Il achète tout ce qu'il peut
acheter : « À un certain Diego, une boutique entière de camelote. »
Velázquez revient sur l'autorisation qu'il a donnée. Peine perdue ! Cortés,
déjà rebelle, vogue vers son destin.
Il lève l'ancre le 10 février 1519. Il suit la route des expéditions qui l'ont
précédé, touche l'île de Cozumel au large du Yucatán, vogue vers l'ouest,
longe les côtes de Tabasco. Bernai Díaz, qui a participé aux voyages de
1517 et de 1518, reconnaît les paysages, indique les mouillages. Les
Espagnols sont victorieux à Cintla le 25 mars, arrivent à Vera Cruz le
Vendredi saint, célèbrent sur la plage la fête de Pâques. Les Mexicas tentent
de les dissuader de s'enfoncer dans l'arrière-pays, mais Cortés est venu pour
conquérir. Il s'obstine et offre à Charles Quint l'empire du Nouveau Monde.
La conquête du Mexique ouvre la voie au rattachement du continent
américain à l'Europe. Elle constitue la première étape d'un mouvement
poursuivi jusqu'à nos jours : l'extension au monde entier des valeurs et des
modes de vie de l'Europe occidentale6.
Une longue histoire commence en 1519, «de violences, de
rapprochements, de méprises et de quipro-quos», née de la rencontre de
deux vieilles civilisations. Cortés écrit à Moctezuma  ; le maître de
Tenochtitlán offre ses lettres aux dieux. Les relations qui s'établissent entre
les deux hommes sont de nature politique pour Cortés; pour Moctezuma,
elles participent de l'ordre du cosmos. Le Mexica considère les lettres de
Cortés non comme des feuilles de papier, mais comme une matière vivante,
investie de la puissance des envahisseurs.
Les Espagnols ne sont que quelques centaines face à des millions de
Mexicas. Ils ont faim et soif, la peur les tenaille. Mais ce sont des hommes
d'instinct. Une force mystérieuse les habite : ils vont, ils ne savent qu'aller,
avec pour but de toujours avancer. La possession vient après et elle ne
saurait les rassasier.
Leurs compagnons, blessés ou prisonniers, sont sacrifiés aux idoles. Sous
leurs yeux. Il faut lire Bernai Díaz  : « Mon cœur était saisi d'une sorte
d'horreur et j'urinais une ou deux fois avant de m'engager dans les
combats7... »
Dans cette horreur quotidienne, face à l'imprévu, les conquérants, comme
tous les hommes de la Renaissance, ont recours à l'astrologie, aux sorts et à
la divination  ; ils utilisent les vieilles recettes du Moyen Age, qui sont
autant d'exorcismes de la peur. Hernán Cortés a emmené avec lui un
astrologue, un lettré « qui a été à Rome », un nommé Botello : chaque jour,
il le consulte. « Les uns disaient qu'il était nécromancien, d'autres qu'il
possédait un démon familier. » Après sa mort, on trouvera dans son sac des
morceaux de papier sur lesquels il a griffonné : « Tu ne mourras point » ;
sur d'autres : « Oui, tu mourras. » Botello est habité par la peur. Il porte sur
lui «une sorte de sexe d'homme, fait en peau souple, avec à l'intérieur
comme une bourre de laine de tondeur»...
Hernán Cortés est un génie politique qui exploite les dissensions de
l'ennemi. Il s'oppose aux Tlascaltèques, puis s'allie à ces derniers contre les
Mexicas. Chaque fois, dans le dispositif adverse, il trouve la faille qui lui
permet de l'emporter. Moctezuma est le maître d'un empire de construction
récente, fondé sur l'alliance de trois cités de la vallée de Mexico : Tacuba,
Texcoco et Tenochtitlán. Cette « Triple Alliance » impose un tribut aux
peuples qu'elle a soumis, comme les Totonaques et les Tlascaltèques. Cortés
analyse le pouvoir de Moctezuma comme celui d'une tyrannie. Une telle
analyse le sert, mais elle n'est pas inexacte.
Très vite, Moctezuma se résigne  : il est vaincu avant même d'avoir
combattu. La conquête ne s'explique pas sans ce renoncement, qui est pour
les Mexicas soumission à la volonté de leurs dieux. Moctezuma pressent le
destin fatal vers lequel il est entraîné. Autour de lui, on évoque la prophétie
de Quetzalcoatl, le dieu blanc aux cheveux noirs, qui s'est embarqué
autrefois vers l'Orient, vers le rivage mythique de la rouge Tlapallan. Une
légende, sans cesse répétée d'âge en âge, prédit son retour. Les envahisseurs
qui s'approchent de Tenochtitlán ont la peau blanche; Quetzalcoatl les
conduit.
Quand les Mexicas comprennent que le retour de ces hommes venus de «
là où naît le soleil» signifie une tuerie sans précédent, dont nul ne sortira
indemne, il est trop tard. Les Espagnols ont mis à profit leur hésitation.
C'est cette fatalité qui donne à l'aventure des conquérants sa grandeur
tragique. « Au fur et à mesure que Bernai Díaz narre les combats, les
entrevues, les soumissions des villages, nous apercevons cette ombre qui
grandit, qui recouvre la terre mexicaine », écrit Le Clézio8. Paralysés, les
Indiens vivent un véritable cauchemar qui les enferme dans leur propre
magie et les conduit vers la mort.
Hernán Cortés s'est mis en marche en août vers le haut plateau; il a
franchi la cordillère dans la neige qui tombe, le vent qui cingle. Maintenant,
il approche de Tenochtitlán. Il rencontre Moctezuma le 8 novembre 1519.
Moctezuma a quarante ans. Grand, élancé, son teint est clair, ses cheveux
noirs tombent sur ses épaules. Il règne depuis dix-sept ans sur les Aztèques.
Tenochtitlán, sa capitale, est aussi peuplée que la Rome des papes.
Hernán Cortés a trente-quatre ans. Le teint hâlé, « presque de cendre »
selon Bernai Díaz, la barbe et les cheveux noirs. Amaigri par les fatigues, il
s'avance à cheval, casqué et cuirassé, l'épée au côté. Moctezuma l'attend
debout, drapé dans une cape de coton brodé, éblouissant de joyaux et de
plumes vertes. Cortés lui offre un collier de verroteries montées sur des
cordes d'or, conservées dans du musc. Il voudrait lui donner l'accolade. Il en
est empêché : on ne touche pas le dieu vivant ! Moctezuma le conduit dans
le palais qu'il lui a réservé.
Les conquérants observent et repèrent, découvrent le marché qui se tient
sur une place semblable à celles des villes de Castille. Le décrivant, Bernai
Díaz évoque sa ville natale, Medina del Campo : tout autour, des maisons à
arcades; sur des nattes, des objets d'or, d'argent, des pierres précieuses, des
épices, du cacao. Des esclaves sont attachés à des perches par leur collier9.
Les Espagnols pénètrent dans les temples, gravissent les cent quatorze
marches de l'oratoire de Huitzilopochtli, aperçoivent à leurs pieds la ville
immense, construite sur des îles comme Venise, reliée à la terre ferme par
trois chaussées. Ils assistent à des sacrifices humains : à des idoles obèses,
au visage crispé, lesprêtres offrent des cœurs, qu'ils arrachent de poitrines
ruisselantes de sang.
Hernán Cortés prend possession de Tenochtitlán au nom de l'empereur; il
fait dresser de sa conquête un acte notarié. Moctezuma, prisonnier dans son
palais, se reconnaît comme le vassal de Charles Quint et ordonne à ses
sujets de verser tribut à son nouveau suzerain. Cortés se prend à rêver d'une
solution pacifique, selon laquelle il imposerait son autorité et sa religion
sans recourir à la force  : il voudrait conquérir les terres et aussi les âmes.
Mais comment établir des relations quand la violence, la culture, la langue
dressent autant d'obstacles ?
La tragédie se noue. Cortés est obligé de quitter Tenochtitlán pour la
côte  : Velázquez envoie une expédition contre lui. Pedro de Alvarado, le
lieutenant qu'il laisse sur place, prend peur quand les prêtres et les nobles
s'assemblent pour célébrer le culte  : il les massacre le 23 mai 1520 et
déchaîne la révolte qu'il veut empêcher.
Revenu à Tenochtitlán, Cortés ne peut apaiser les esprits. Malgré lui,
malgré Moctezuma, les combats s'engagent dans tous les quartiers.
Moctezuma est tué de pierres lancées par les siens. Les Espagnols évacuent
la ville, mais des guerriers aztèques surgissent de toute part et attirent dans
les eaux du lac les soldats empêtrés dans leurs armures : cette retraite garde
dans l'Histoire le nom de Noche Triste, la triste nuit du 1er juillet 1520.
Hernán Cortés n'est pas l'homme du désespoir ni de l'abandon. A
Tlaxcala, il regroupe ses forces et prépare son retour avec les Tlascaltèques
qui lui sont demeurés fidèles. Il envoie à l'empereur un rapport expliquant
son échec momentané, affirmant, plus encore, son espérance de victoire. Il
fait construire treize brigantins, qui sont, en pièces détachées, transportés à
dos d'hommes jusqu'à Texcoco, au bord du lac. Il recrute des Indiens qu'il
entraîne au combat. Lesbrigantins sont assemblés et mis à l'eau au chant du
Te Deum. La bataille qui s'engage est longue, meurtrière  : les combats
durent quatre-vingt-treize jours. Le 13 août 1521, les Espagnols donnent
l'assaut au grand temple, l'enlèvent. Ils sont vainqueurs, mais à quel prix?
Le silence s'est abattu sur la ville, anormal, pesant, comme si, au milieu
d'un carillon, les cloches cessaient de sonner. C'est la comparaison
qu'emploie Bernai Díaz, qui ajoute  : «Le sol, le lac, les terrains étaient
recouverts de cadavres et la puanteur était si forte que personne ne pouvait
la supporter. »
J.M.G. Le Clézio commente  : «Ce silence, qui se referme sur l'une des
plus grandes civilisations du monde, emportant sa parole, sa vérité, ses
dieux et ses légendes, c'est aussi un peu le commencement de l'histoire
moderne10. » Les vainqueurs ne sont qu'une poignée de survivants, rongés
par la peur, qui se terrent dans leurs camps. Ils occupent un pays immense :
le Mexique, qu'ils commencent à explorer, est aussi grand que l'Europe
occidentale.
Pour le découvrir, affluent d'Espagne des artisans, des marchands, des
aventuriers : Bernai Díaz les décrit comme «des gens grossiers et vicieux ».
Arrivent aussi, envoyés par le pouvoir royal, des fonctionnaires et des
religieux, franciscains et dominicains, qui s'attachent à pacifier et
évangéliser. Une coexistence fragile s'instaure entre les deux communautés.
Les nobles mexicas apportent leur soutien à Cortés et, les uns après les
autres, se reconnaissent vassaux du roi d'Espagne.
Autour d'eux, Cortés s'efforce de construire un Etat moderne, s'affirmant
au Mexique comme le prince de Machiavel, le condottiere capable par sa
virtù d'établir un ordre nouveau. Il doit «varier avec les temps s'ilveut
toujours avoir un sort heureux». Cortés renvoie du Prince «le reflet
américain11 ».
Les relations qu'il entretient avec le Conseil des Indes sont difficiles.
Dans l'administration du Nouveau Monde, la distance joue un rôle
important, renforce la tendance à l'autonomie des conquistadores  : les
instructions de l'administration royale mettent plusieurs mois pour parvenir
à Mexico...
En 1524, le président du Conseil des Indes, Juan Rodríguez de Fonseca,
meurt; il est remplacé par un dominicain, Garcia de Loaysa, proche des
idées d'Erasme. Avec le soutien de l'empereur, il défend, souvent contre les
colons et les administrateurs locaux, les droits des Indiens. Mais son
humanisme est limité par l'influence de Francisco de Los Cobos, président
du Conseil des finances, sensible avant tout à l'intérêt financier de la
couronne : comptent d'abord pour Los Cobos les rentrées d'or !
Il semble que toutes les forces qui agitent l'Europe de la Renaissance
soient au travail au Mexique. En 1523, un premier contingent de
franciscains flamands débarque à Vera Cruz : Johan Dekkers, Johan Van der
Auwera et Pierre de Gand sont proches de Charles Quint. Dès 1524, ils sont
renforcés par une deuxième équipe de douze franciscains espagnols, que
dirige Martin de Valencia. Cortés se trouve au contact direct d'hommes qui
incarnent la pensée impériale et sont nourris des idéaux érasmiens. Il a
quitté l'Europe depuis vingt ans; une nouvelle chrétienté est née et il ne le
savait pas! Une chrétienté « érasmienne, impériale et mystique12 ».
C'est Francisco de Quinones, général des franciscains, parent, comme
Pierre de Gand, de l'empereur, qui a organisé les missions au Mexique : des
liens personnelsunissent ainsi Charles Quint aux religieux en charge de
l'évangélisation. Toribio de Benavente, franciscain de trente ans, devient le
symbole de l'Eglise missionnaire au service des déshérités  : les Indiens
l'appellent Motolinía, le « pauvre » en nahuatl.
Cortés inquiète le Conseil des Indes  : il est devenu trop puissant, trop
indépendant ! Il doit être rappelé. L'empereur le reçoit à Monzòn le 1er juin
1528, et lui confère le titre de marquis del Valle de Oaxaca. S'il le maintient
dans ses fonctions de capitaine général, il lui retire ses pouvoirs politiques.
Ceux-ci sont transférés à une Audiencia, une cour de justice, que préside
Nuño de Guzmán. Les magistrats, les oidores, ont mission d'affirmer
l'autorité royale, mais ils sont emportés par la corruption à laquelle ils se
livrent. Guzmán se lance dans la chasse aux dépouilles, puise dans les biens
personnels de Cortés. Les épouses des oidores nomment, moyennant
finance, aux emplois publics... Un terme doit être mis en 1530 à ce que
Carmen Burnand et Serge Gruzinski appellent «l'Audience du diable et de
Satan 13 ».
Une deuxième Audiencia est désignée en 1531. Pour la diriger,
l'empereur nomme l'évêque de Saint-Domingue, Sebastián Ramirez de
Fuenleal, qui emmène avec lui Las Casas à Mexico. Il rétablit l'ordre, fait
restituer les sommes extorquées, assure le contrôle direct de la couronne sur
les Indiens. Il met en œuvre la politique du señor universal, la juridiction du
roi étendue à tous les habitants du Nouveau Monde, sans distinction de race
ou d'origine. Fuenleal se veut un interprète fidèle de la pensée de Charles
Quint.
Les magistrats qui l'entourent sont des juristes ou des clercs, qui
traduisent dans les faits l'humanisme qui les anime. L'administration
espagnole qu'ils représen-tentaborde, de façon moderne, les questions de
démographie, d'économie, d'éducation, de libertés individuelles. Elle
dessine les contours d'une «modernité américaine », en réaction contre le
monde d'airain que les conquérants ont imposé.
Ici paraît Vasco de Quiroga. Né dans les années 1470, il a servi dans
l'administration des Rois Catholiques à Grenade, puis à Oran. Il rejoint le
Mexique et devient évêque de Michaocân. Lettré, humaniste, homme
d'Eglise, il incarne la politique coloniale de Charles Quint. Son maître est
Thomas More : l'Amérique est pour lui le monde des commencements, un
terrain d'expérimentation sociale – une utopie. Il souhaite regrouper les
indigènes dans des villages où ils mèneraient « une vie réglée selon un
nouvel ordre politique ». Le Nouveau Monde ne peut se contenter, à des
milliers de kilomètres, de reproduire les schémas de l'Europe médiévale. Il
doit réaliser la synthèse du christianisme primitif et de l'humanisme de la
Renaissance. Dans son diocèse, Quiroga crée des « villages-hôpitaux »,
développe l'enseignement professionnel, met en œuvre de nouvelles formes
de vie communautaire.
En 1535, Antonio de Mendoza est nommé vice-roi du Mexique. Il
appartient à la famille des comtes de Tendilla. Son père, le marquis de
Mondéjar, a été capitaine général de l'Andalousie; c'est lui qui a reçu
l'empereur à Grenade en 1526. La sœur de Mendoza, Maria Pacheco, a
participé à la révolte des Comunidades; l'un de ses frères, Pedro de
Mendoza, fonde Buenos Aires. Dans son enfance à Grenade, Antonio de
Mendoza a connu une société multiculturelle. Par sa mère, du sang juif et
du sang maure coulent dans ses veines. Pierre Martyr de Anghiera lui a
appris le latin. Il a emporté avec lui à Mexico sa bibliothèque personnelle,
qui est l'une des plus importantes d'Amérique. C'est un vice-roi de la
Renaissance.
Pendant quinze ans, il concilie l'autorité de la couronne et la défense des
Indiens. Plus que tout autre, ilillustre la méthode de gouvernement de
Charles Quint. Il protège les jeunes métis, crée pour eux le collège Saint-
Jean-de-Latran, favorise les mariages mixtes, contribue à la fusion de
l'ancienne noblesse mexicaine et de la nouvelle classe dirigeante. Il fonde
des communautés qui rappellent les colonies romaines : il fait graver dans
le marbre le nom de Charles Quint et les dates de création des villes. Au
terme de son mandat, il est nommé en 1552 vice-roi du Pérou.
En Espagne, Francisco Pizarro succède, à la cour de l'empereur, en 1528
à Hernán Cortés. Lui n'a encore rien conquis, mais il apporte la promesse de
nouveaux territoires. Le 26 juillet 1529 à Barcelone, avant d'embarquer
pour l'Italie, Charles Quint signe les « capitulations », qui autorisent Pizarro
et ses associés, Diego de Almagro et Hernando de Luque, à entreprendre la
conquête du Pérou. Par le traité de Saragosse, il vient d'abandonner au
Portugal la possession des îles Moluques  : le Pérou devient la grande
ambition de son règne au-delà des mers.
Pizarro a cinquante ans; c'est le fils naturel d'un hidalgo d'Estrémadure,
capitaine de l'armée d'Italie, qui a gagné les Indes en 1501 dans les bagages
de Nicolas de Ovando, nommé gouverneur de l'Hispaniola, originaire
comme lui d'Estrémadure. Il est aux côtés de Balboa, découvrant le
Pacifique, et de Pedrarias, fondant la ville de Panama. Il participe à toutes
les expéditions le long de la côte du Pacifique, dans la lente descente des
Espagnols vers le Pérou et le Chili. Charles Quint le nomme adelantado,
utilisant un titre des guerres de la Reconquête donné aux gouverneurs de la
frontière; il lui attribue un salaire de sept cent vingt-cinq mille maravédis
par an, qui sera prélevé sur les revenus des terres à découvrir. Il nomme
Hernando de Luque, qui est prêtre, évêque de Tumbés, anoblit Diego de
Almagro et confie à Bartolomé Ruiz la charge de piloto mayor del mar del
Sur.
Les conquérants débarquent à Tumbés en mai 1532.Ils ignorent tout de
l'Empire inca, plus étendu, plus peuplé, plus riche que celui des Mexicas.
Combien sont-ils  ? Une poignée. Cent soixante-huit hommes prennent la
direction de la Cordillère et marchent à la rencontre de l'Inca Atahualpa!
Leur endurance tient du prodige, leur patience est sans bornes, leur courage
splendide. Ils craignent Dieu, et Dieu seul. Ils font baptiser les Indiennes
qu'ils rencontrent avant de les prendre pour compagnes. Il y a parmi eux des
juristes, des marchands, des tailleurs, des maréchaux-ferrants, un menuisier,
un tonnelier et un barbier. Il y a même un homme de couleur, mulâtre,
originaire de Trujillo, qui joue de la cornemuse. Il y a aussi un dominicain,
Vicente Valverde, d'origine juive, ancien étudiant de théologie à l'université
de Salamanque, qui deviendra évêque de Cuzco. Valverde a mission de
convertir et d'évangéliser : il va exterminer comme les autres.
Sur le chemin des Andes, Pizarro fonde San Miguel. Il a emmené avec
lui ses quatre frères; il laisse les deux plus jeunes sur place. Dès le départ, il
affirme sa volonté de « peupler » le vaste Pérou. Il poursuit la tactique de
Cortés en exploitant les divisions de l'adversaire. L'Inca Huyana Capac est
mort en 1529, emporté par la variole. Deux fils se disputent sa succession :
Huascar et Atahualpa. La lutte qu'ils engagent facilite l'entreprise de
Pizarro.
Les Espagnols arrivent en novembre 1532 à Cajamarca, résidence
d'Atahualpa. Du haut des remparts, ils aperçoivent dans la plaine en
contrebas l'armée de l'Inca, des milliers de guerriers. Il pleut, une pluie fine
et glacée. Pizarro envoie en éclaireur Hernando de Soto à la tête d'un
peloton de vingt cavaliers, puis son jeune frère Hernando. S'adressant à
l'Inca, Hernando de Soto et Hernando Pizarro brisent les barrières rituelles
qui séparent des hommes le fils du Soleil. Atahualpa, clef de voûte de
l'Empire inca, a trente ans, un visage large et cruel, des yeux injectés de
sang. Il accueille les conquérants, assis sur un banc de bois; un voile
degaze, que deux femmes tendent devant lui, le dissimule à leur regard.
L'arrivée des Espagnols est une souillure, la conséquence d'une faute qu'il a
commise – et qu'il doit expier. Il promet de venir rencontrer Pizarro à
Cajamarca et même de dîner avec lui. Au déclin du jour, les conquistadores
se retirent.
L'attente, la longue attente commence. Dans la plaine, des milliers de
feux sont allumés. Le jour vient et Atahualpa ne paraît toujours pas. Pizarro
lui envoie un nouveau messager, qui reçoit la même réponse  : l'Inca va
venir.
Le soir, son armée se met en marche. Des milliers d'hommes avancent en
silence et pénètrent dans Cajamarca. Ils portent une tunique en damiers
rouges et blancs. Sur une litière de plumes de perroquet, Atahualpa paraît,
revêtu de ses emblèmes solaires. Aucun Espagnol ne se montre. Pizarro a
réparti ses hommes en trois groupes, que commandent son frère Hernando,
qui a trente ans, Hernando de Soto, trente-quatre ans, et Sebastián de
Benalcázar, trente ans. En quelques heures, le destin de l'Empire inca est
scellé. Le père Valverde, tenant dans une main la Bible, dans l'autre la croix,
s'avance seul à la rencontre d'Atahualpa. Il prononce le requerimiento, la
sommation d'usage appelant les Indiens à se soumettre au roi de Castille et à
l'Eglise :
«Voici les paroles de Dieu », dit-il à l'Inca.
Atahualpa saisit le livre qui, pour lui, est du papier, un succédané de
tissu. Il respecte les tissus, avec lesquels il engage la négociation avec ses
ennemis :
« Je sais comment vous avez traité mes caciques, volé et pillé mes
greniers. Je vous demande de tout me rendre. »
Valverde regagne la forteresse et déclare à Pizarro :
« A quoi bon les atermoiements et les requerimientos avec ce chien plein
de superbe, alors que les champs sont couverts d'Indiens. Partez à la charge
et je vous absoudrai ! »
Mots terribles. Miguel de Estete, dans son récit de la conquête, traduit
l'intensité dramatique de la scène. Pizarro prend son épée et son bouclier;
escorté de vingt-quatre hommes, il se fraye un passage dans la foule jusqu'à
la litière de l'Inca. Il saisit Atahualpa par le bras en criant Santiago  !
Aussitôt, les trompettes sonnent, les Espagnols se ruent sur la place et
ouvrent le feu. Les Incas fuient par les portes aux angles de la place. Un pan
de mur s'effondre, qui provoque des morts par centaines. « Les épées font le
reste14. » Deux mille Indiens périssent en moins d'une heure. Du côté
espagnol, un seul mort, le mulâtre, et quelques blessés, dont Francisco de
Jerez, qui écrira comme Estete le récit de la conquête. Pizarro se retire avec
son prisonnier. Le butin est énorme : des objets d'or et d'argent, des pierres
précieuses, des vases et des étoffes; des femmes aussi, « belles et
attrayantes ».
Comme à Mexico, l'aisance avec laquelle les Espagnols emportent la
victoire peut paraître incompréhensible. Les Péruviens n'ont pas engagé le
combat; ceux qui n'ont pas pénétré dans la ville se sont enfuis. La religion a
joué son rôle  : Atahualpa à terre n'est plus qu'un simple mortel. Les
Espagnols s'identifient pour les Incas à des hommes venus de la mer,
dépourvus de tout ancrage tellurique, des gens sans terre, sans racines.
Ces hommes de nulle part sont à la recherche d'or. Pour découvrir l'objet
de leur rêve, ils se répandent dans le pays, torturent les hommes, pillent les
temples  : ils détruisent ainsi, à Pachacamac, le sanctuaire qui domine
l'océan et, à Cuzco, le temple qui abrite les momies sacrées.
Cependant, la vie a repris à Cajamarca. Pizarro construit une église,
répartit les terres entre ses lieutenants. Atahualpa lui offre sa jeune sœur
âgée de dix-septans, Quispe Sisa, qui lui donnera deux enfants, Francisca et
Gonzalo. L'Inca joue aux échecs avec Hernando. De nouvelles troupes
espagnoles arrivent de Panama  : il comprend que la mer n'est plus cette
barrière infranchissable qu'il imaginait, la frontière du monde.
Les Espagnols l'accusent d'idolâtrie et de polygamie : ils le condamnent à
être brûlé vif. Il veut échapper au bûcher car, si son corps est réduit en
cendres, il ne pourra accéder à l'immortalité. Il se convertit au
christianisme. Un prénom lui est donné, Juan : « Juan sera mon nom pour
mourir  ! » Le 29 août 1533, il est garrotté comme un vulgaire malfaiteur.
Pablo Neruda, dans Chant général, a magnifié sa mort :
« On enserra son cou : un croc d'acier entra dans l'âme du Pérou15.
»
 

Comme Cortés, Pizarro s'applique à gouverner un pays immense,


toujours prêt à se révolter. Il doit faire face à l'arrivée d'autres
conquistadores, attirés par l'appât du gain, qui menacent de lui ravir sa
conquête : son vieil associé de Panama, Diego de Almagro, mais aussi de
nouveaux venus, comme Pedro de Alvarado et Sebastián Garcilaso de la
Vega, dont les ancêtres se sont illustrés lors de la Reconquête.
Pizarro prend Cuzco en novembre 1533 et, dans la vallée du Rimac au
bord du Pacifique, fonde, en janvier 1535, Lima, la « cité des Rois », qui
devient la capitale du Pérou. Il reçoit de l'empereur le titre de marquis. Il
charge son frère Hernando de convoyer en Espagne le trésor d'Atahualpa :
cinquante-deux mille marcs d'argent, un million trois cent vingt-six mille
pesos d'or. Le quint du roi s'élève à quatre cent mille pesos d'or : le rêve d'or
devient réalité! Hernandorevient d'Espagne avec des centaines d'aventuriers
à la recherche du fabuleux métal...
Charles Quint partage les nouveaux territoires conquis entre le Pérou au
nord – la Nouvelle Castille – dont l'administration est confiée à Pizarro et le
Chili au sud – la Nouvelle Tolède – qu'il attribue à Almagro. Les deux
capitaines se disputent la possession de Cuzco.
Hernando Pizarro tient Cuzco. De retour d'une expédition au Chili,
Almagro prend la ville et le fait prisonnier : « Les loups se mangent entre
eux », écrit Jean Babelon16. La guerre civile éclate : elle dure près de vingt
ans, aussi longue que le règne de Charles Quint.
Le 6 août 1538, la bataille de Las Salinas oppose, d'un côté, Hernando
Pizarro à la tête de huit cents hommes, de l'autre, Diego de Almagro avec
les rescapés de l'expédition du Chili, six cents hommes, dont vingt
seulement sont armés de mousquets. Les deux camps invoquent le même
protecteur, saint Jacques, patron de l'Espagne; ils proclament la même
loyauté : «Le roi et Pizarro », crient les uns; «le roi et Almagro », répondent
les autres! Les hommes du Chili ont le dessous. Almagro est condamné à
mort et garrotté dans sa prison. Son cadavre est décapité en place
publique... Il avait soixante-dix ans !
Hernando Pizarro part pour l'Espagne rendre compte à Charles Quint.
L'empereur n'admet pas qu'Almagro, qu'il a nommé adelantado, ait été
condamné sans que le Conseil des Indes ait été prévenu et que les
conquistadores se fassent justice eux-mêmes. Enfermé à Medina del
Campo, Hernando Pizarro finira ses jours en prison.
Mais, au Pérou, « pizarristes » et « almagristes » sepréparent à s'affronter
de nouveau. Diego el Mozo, le fils métis qu'Almagro a eu d'une Indienne,
réclame la succession de son père. Il prend Cuzco, marche sur Lima. Le
dimanche 24 juin 1541, il pénètre dans le palais de Francisco Pizarro, qui
dîne avec ses invités. Ses hommes font irruption dans la salle : « Mort au
tyran  ! » Pizarro et son jeune frère, Martin de Alcántara, saisissent leurs
armes. Trop tard! Ils sont abattus sans pouvoir se défendre. Pizarro est
égorgé : sur le sol, avant de mourir, il trace une croix avec son sang17...
Almagro el Mozo, qui a vingt-deux ans, se proclame gouverneur du
Pérou. Il conduit « la première révolte du Nouveau Monde menée par un
métis contre la souveraineté impériale18 ». Charles Quint nomme un
nouveau gouverneur, Cristobál Vaca de Castro, qui remporte la bataille de
Chupas le 16 septembre 1542. Almagro est arrêté et décapité à Cuzco, sur la
place où son père a été exécuté et par la main du même bourreau.
 

Mais les Lois nouvelles de 1542, qui suppriment le travail forcé des
Indiens, provoquent la révolte des colons. Gonzalo Pizarro – frère de
Francisco – prend la tête de la rébellion  : il devient le libérateur, songe à
rompre tout lien avec l'Espagne. Il bat les troupes loyalistes à Añaquito en
janvier 1546. Vaca de Castro est décapité à son tour.
Apprenant aux Pays-Bas le soulèvement du Pérou, Charles Quint nomme
un nouveau vice-roi, Pedro de La Gasca, homme d'Eglise, petit et grêle,
doué d'une grande force morale. La Gasca a combattu les comuneros,
organisé la défense des côtes d'Andalousie contre Barberousse. Il est
inquisiteur à Valence. Arrivant au Pérou, il utilise les armes de la politique
avantde recourir à la force. Il isole Pizarro, achète ses partisans, puis
l'attaque à Xaquixaguana. Seul, Francisco de Carvajal est demeuré auprès
de Pizarro : ancien soldat de l'armée d'Italie, il a assisté à Pavie à la capture
de François Ier. On l'appelle le « démon des Andes » :
«Mourons comme les anciens Romains, dit-il, les armes à la main !
– Mieux vaut mourir comme des chrétiens », répond Pizarro.
Ils se rendent et sont, l'un et l'autre, décapités le 10 avril 1548. Destin
tragique des Pizarro! Charles Quint fait saisir leurs propriétés, démolir leurs
maisons, jeter du sel sur les ruines. Il répète le geste de Charles le
Téméraire après la prise de Dinant19...
Désormais, il est le maître d'un territoire immense, qui couvre quatre fois
la superficie de l'Espagne, « aux limites du monde possible20 ». De Séville,
pour aller au Pérou et en revenir, il faut deux ans et demi. La distance
impose son ordre.
Le Nouveau Monde groupe dix millions d'hommes, le tiers de la
population qui habite les possessions des Habsbourg. La conquête de
l'Amérique donne à l'Empire de Charles Quint son caractère d'universalité.
Mais son coût humain a été « effroyable », pour reprendre l'expression de
Pierre Chaunu21. En cinquante ans, la conquête a entraîné la mort de
quarante à soixante millions d'hommes, près de quinze pour cent de la
population de la terre : autant que les grandes pestes qui ont ravagé l'Europe
et l'Asie au XIVe siècle. Les Européens ont apporté avec eux des virus
contre lesquels ils étaient immunisés, alors que les Indiens ne l'étaient pas22.
La recherche des métaux précieux est le moteur de la conquête  : elle a
provoqué les mouvements de population, créé les villes nouvelles. D'abord
l'or, puis l'argent ! Le gisement de Potosi devient vite le plus productif ; la
ville qui se construit au pied de la mine, la plus importante du Nouveau
Monde, groupe cent cinquante mille habitants au XVIIe siècle. D'autres
gisements sont découverts au Mexique, à Zacatecas en 1546, Guanajuato en
1548, Real del Monte et Pachuca en 1551. Les envois en Espagne d'or et
d'argent augmentent sans cesse  : cent mille pesos pour les années 1516-
1520, un million pour les années 1526-1530, quatre millions dix ans plus
tard et près de dix millions dans les dernières années du règne23.
Contrairement aux idées reçues, Charles Quint s'est beaucoup occupé des
Indes. Il a reçu personnellement Cortés, Pizarro, les vice-rois nommés à la
suite des conquistadores. Le Conseil des Indes a été dirigé par des hommes
proches de lui, Garcia de Loaysa et Francisco de Los Cobos. Il a entretenu
une véritable correspondance avec Las Casas. En quarante ans, ce sont plus
de deux cent cinquante décisions que l'empereur a prises sur le rapport du
Conseil des Indes  : traités, cédules, actes administratifs de toutes sortes,
décisions de création ou de réglementation d'institutions civiles,
commerciales et religieuses. Année après année, le Diario établi par Vicente
de Cadenas permet d'en dresser la liste  : vingt-quatre de 1516 à 1519,
quarante-trois de 1520 à 1529, soixante-dix de 1530 à 1539, soixante-treize
de 1540 à 1549 – avec une pointe en 1542 et 1543, liée à la promulgation
des Lois nouvelles – enfin, quarante de 1550 à 155524.
A chaque fois, Charles Quint a soutenu les réformes et pris la défense des
Indiens. Le Conseil des Indes était, auprès de lui, composé d'hommes
influencés parErasme, puis par le thomisme rénové de la Contre-Réforme.
Il n'a pas toujours été obéi : là encore, la distance a imposé sa loi ! Mais il a
nommé, après la période de la conquête, de grands administrateurs qui, à
des milliers de kilomètres de l'Espagne, ont organisé, pacifié et créé une
civilisation nouvelle.
1 William H. Mac Neill, Le temps de la peste : essai sur les épidémies dans l'histoire, p. 183.
2 Carmen Bernand et Serge Gruzinski, Histoire du Nouveau Monde, tome I, p. 257.
3 Jean Babelon, L'Amérique des Conquistadores, p. 24.
4 Jean-Marie Gustave Le Clézio, Le rêve mexicain, p. 18.
5 Bernal Díaz del Castillo, Histoire véridique de la conquête de la Nouvelle-Espagne.
6 Carmen Bernand et Serge Gruzinski, Histoire du Nouveau Monde, p. 290.
7
Ibid., tome I, p. 294.
8 Jean-Marie Gustave Le Clézio, Le rêve mexicain, p. 19.
9 Jean Babelon, L'Amérique des Conquistadores, p. 100-101.
10 Jean-Marie Gustave Le Clézio, Le rêve mexicain, p. 54.
11 Carmen Bernand et Serge Gruzinski, Histoire du Nouveau Monde, tome I, p. 349.
12
Ibid., p. 357.
13
Ibid., p. 356.
14
Ibid., p. 472.
15 Pablo Neruda, Chant général, p. 71.
16 Jean Babelon, L'Amérique des conquistadores, p. 224.
17
Ibid., p. 238-239.
18 Carmen Bernand et Serge Gruzinski, Histoire du Nouveau Monde, tome I, p. 509.
19 Jean-Pierre Soisson, Charles le Téméraire, p. 151.
20 Pierre Chaunu, L'Espagne de Charles Quint, tome 2, p. 439.
21
Ibid., p. 425.
22 William Mac Neill, Le temps de la peste : essai sur les épidémies dans l'histoire.
23 Henri Lapeyre, Charles Quint, p. 121.
24 Vicente de Cadenas y Vicent, Diario del emperador Carlos V.
CHAPITRE X

Le contrôle de la Méditerranée

Le 21 avril 1533, Charles Quint débarque à Rosas; le lendemain, il


retrouve à Barcelone sa femme Isabelle et ses enfants Philippe et Marie.
L'impératrice a présidé, conseillée par l'archevêque Juan de Tavera, les
Cortes de Castille. Sans difficulté. Celles d'Aragon sont souvent plus
mouvementées : pour les réunir, Isabelle a attendu l'empereur.
D'Espagne, Charles Quint porte ses regards vers la Méditerranée. La
sécurité de la Méditerranée occidentale a toujours représenté une
préoccupation majeure des gouvernements de Castille et d'Aragon : sur mer
et sur terre, Espagnols et Arabes se livrent des combats incessants. Les
Baléares, la Corse, la Sardaigne, la Sicile deviennent des places assiégées.
Les Espagnols prennent, puis perdent Alger, dont Barberousse s'empare en
mai 1529.
Comme Doria, Kheireddin Barberousse est un seigneur des mers; il
pratique une piraterie de grand style, ravage les côtes d'Espagne et d'Italie,
emmène en captivité des milliers de chrétiens. Il prend progressivement le
contrôle des ports d'Afrique du Nord. En août1534, il s'empare de Tunis et
chasse le roi Moulay Hassan.
En réalité, la maîtrise de la Méditerranée n'est qu'un épisode d'un conflit
plus vaste entre l'Occident et l'Orient  : « Au cours du Moyen Age, tour à
tour, l'un et l'autre ont pris l'avantage1. » Au XVIe siècle, l'Occident va
l'emporter  : c'est lui qui envoie désormais en Orient ses hommes et ses
techniques. Inconsciemment, note Braudel, « le Turc ouvre ses portes et le
Chrétien ferme les siennes ». L'intolérance devient chrétienne.
Dans ce débat de civilisations, le roi de France choisit, contre l'empereur,
de s'allier avec Soliman. Il utilise les services d'un ancien comunero
espagnol, Antonio de Rincon  : chassé de son pays, ce dernier déteste
Charles Quint et cette haine devient le moteur de sa vie. Rincon est un
personnage de roman, un aventurier qui court l'Europe, jamais en repos.
Après la bataille de Mohács, il est devenu le conseiller du vainqueur de
Louis II de Hongrie, Jean Zapolya. François Ier lui confie l'ouverture d'un
front oriental contre Charles Quint. Mais, contrairement au but recherché,
l'alliance que le roi de France noue avec les Turcs rassemble les princes
allemands autour de l'empereur.
François Ier se tourne alors vers la Méditerranée et décide de soutenir les
attaques conduites par les Barbaresques, depuis Tunis et Alger, contre les
côtes d'Espagne et d'Italie.
En juin 1533, Barberousse lui envoie un ambassadeur, qui débarque à
Marseille et rencontre le roi au Puy. Il renouvelle sa démarche en 1534,
mais, pour François Ier, Barberousse n'est qu'un intermédiaire. C'est avec le
sultan lui-même qu'il veut traiter  ! Rincon part pour Constantinople. Il va
multiplier les missions, d'abord officieuses puis officielles. Il rencontreles
vizirs qui forment le gouvernement ottoman, distribue de l'argent, s'attache
les hommes. Au début du siècle, l'historien français Bourrilly a étudié la
politique orientale de François Ier et mis l'accent sur l'apport personnel de
Rincon dans l'alliance franco-turque, qui constitue un événement majeur
des années 1530-15402.
Face à la menace qu'un tel rapprochement présente, Charles Quint décide
d'entreprendre la conquête de Tunis. Comme tous les grands capitaines de
l'Histoire, il est attiré par la Méditerranée, par les rivages du Sud.
En Espagne, cette politique rencontre une vive opposition. Les Cortes
d'Aragon s'ouvrent le 19 juin 1533 à Monzôn dans un climat tendu. Isabelle
est demeurée à Barcelone et tombe malade – si gravement que Charles
Quint interrompt la session des Cortes pour la rejoindre. Il parcourt à
cheval, de nuit, les deux cent trente kilomètres qui séparent Monzôn de
Barcelone. Pendant trois semaines, il veille sa femme. Voici sept ans qu'il l'a
épousée et il l'a si peu vue ! Isabelle est fragile et a besoin de lui. Il ne la
quitte que lorsqu'elle est rétablie. Il regagne Monzôn par la diligence, la
silla de posta, comme un voyageur ordinaire3.
Pendant toute l'année 1534, il demeure auprès de sa femme. Selon les
habitudes de la Cour de Castille, Charles Quint et Isabelle vont de ville en
ville. Au printemps, ils sont à Tolède, Madrid, Ségovie, Salamanque,
Zamora et Valladolid. Ils passent l'été, de juillet à octobre, à Palencia et
rejoignent, de nouveau, Madrid pour l'hiver. Charles chasse tous les jours
ou presque, dans les sierras de Guadarrama et de Gredos; il participe à des
courses de taureaux. Son mode de vie, sa gravité, son austérité plaisent aux
Espagnols. L'accord s'établit entre le souverain et son peuple, plus
profondque lors du deuxième séjour de Charles Quint en Espagne. Dans cet
enracinement, Isabelle joue un rôle essentiel.
A Palencia, Charles apprend la mort de Clément VII survenue le 25
septembre 1534. Le pape s'est rendu à Marseille pour le mariage de sa nièce
Catherine de Médicis avec le fils de François Ier – le futur Henri II. Une fois
encore, il a choisi le camp de la France, encouragé François Ier dans ses
revendications.
Or, face à l'Empire, la France est une monarchie unifiée ; elle constitue
un Etat national. Cet atout majeur donne une grande liberté de manœuvre à
François Ier, dans ses rapports avec le pape comme avec le sultan. Charles
Quint ne peut accepter que se renoue l'alliance, mortelle pour lui, entre le
pape et le roi de France. Granvelle lui conseille d'adopter une ligne dure :
« Si l'on considère l'habitude qu'ont les Français de violer les traités qu'ils
ont signés, comme l'enseignent le passé et le présent, il ne faudrait pas pour
l'avenir tabler sur les assurances qu'ils pourraient donner! Il convient de
s'opposer à tout accroissement de leur puissance en Italie4. »
Charles s'attend à une reprise de la guerre et la prépare. Pour protéger ses
arrières, il envoie en mission en Allemagne l'un de ses proches conseillers,
Adrien de Croy. Il rédige lui-même les instructions qu'il lui remet  : Croy
doit rassurer les princes allemands, les dissuader de tout rapprochement
avec François Ier. Le roi de France, c'est l'ennemi qui n'hésite pas à s'allier
aux Turcs ! Il a même indiqué au pape qu'il s'opposerait à la réunion d'un
concile s'il n'obtenait pas Milan ! L'empereur, lui, n'a en tête que la défense
de la chrétienté...
A Valladolid, Juan de Tavera s'élève, une foisencore, contre la politique
internationale de Charles Quint : « L'entreprise de Tunis est périlleuse ; elle
aura peu de portée pratique. Barberousse se dérobera5 ! » L'empereur doit
se consacrer en priorité à l'Espagne et ne plus se mêler des affaires d'Italie
ou d'Allemagne. Tavera évoque, à propos de Charles Quint, « l'esprit
aventurier d'un jeune gentilhomme »  ! Son attitude reflète le sentiment
majoritaire des responsables espagnols :
« Que votre Majesté prenne en considération les besoins de ses royaumes
d'Espagne. Qu'elle s'occupe d'eux au lieu de courir le monde !
– L'Empire, Monseigneur  ! Ma mission est d'assurer la défense de la
chrétienté, de combattre les Infidèles !
– Que votre Majesté pense à l'impératrice et à ses enfants ! »
Charles Quint pense surtout à Tunis, bien qu'Isabelle soit de nouveau
enceinte. Le 1er mars 1535, il lui confie la régence et gagne Barcelone, où
Andrea Doria l'attend.
L'amiral a rassemblé une flotte imposante : soixante-dix galères de cent
cinquante rameurs chacune, venues de tous les Etats italiens. Le pape lui-
même a fourni neuf galères. Le roi de Portugal a envoyé vingt-trois
caravelles et « un très beau galion »  ; la Biscaye a fourni des hulques et
deux galions, la Catalogne, quatre-vingts bateaux pour le transport des
chevaux et des vivres. Au total, la flotte la plus importante jamais réunie en
Méditerranée6.
Le 30 mai 1535, Charles Quint embarque sur sa galère et Doria cingle
vers la Sardaigne. Le 12 juin au petit matin, la flotte arrive à Cagliari et
l'empereurentend la messe dans la cathédrale. Des arcs de triomphe ont été
dressés en hâte; de toute l'île, les Sardes sont accourus. Mais Charles repart
dans la journée, car le vent est favorable, « si propice que meilleur ne se
pouvait désirer », écrit Guillaume de Montoiche, le chroniqueur de
l'expédition7.
Le 15 juin, la flotte jette l'ancre devant les ruines de Carthage. Doria
arraisonne deux galères françaises venant de Constantinople et gagnant
Marseille. Le 16 juin, les troupes débarquent  : dans leur empressement,
raconte Guillaume de Montoiche, les lansquenets allemands se jettent à
l'eau sans savoir nager! Charles doit courir « de tous côtés », rassembler et
mettre son armée en ordre de bataille. C'est son expédition  : il a emmené
avec lui un écrivain, Garcilaso de la Vega, qui la décrira, et un peintre,
Vermeyen, qui dessinera des cartons de tapisseries pour les résidences
impériales.
Il donne l'assaut à La Goulette le 14 juillet, combat au milieu de ses
soldats allemands, reçoit le baptême du feu, qu'il considère «comme une
grâce ». La Goulette est prise, le butin énorme. La flotte entière de
Barberousse – quatre-vingt-deux navires – est capturée; quatre cents pièces
d'artillerie sont enlevées, les plus grosses semées de fleurs de lys et
marquées d'un double F, avec la devise du roi de France.
Faut-il s'en tenir là  ? L'empereur décide de prendre Tunis. Moulay
Hassan s'est mis à la disposition de l'expédition; ses hommes connaissent le
pays, montrent le chemin, indiquent l'emplacement des puits. Progression
de fourmis dans la fournaise : les hommes sont épuisés et doivent traîner les
canons à bras. Charles écrit à sa sœur Marie : « Nous mourons de soif et de
chaleur. »
Barberousse attaque à l'improviste avant que l'ar-méeatteigne les points
d'eau. Une mêlée furieuse : son cheval blessé sous lui, Charles tombe, doit
son salut aux lansquenets qui l'entourent. Il tient bon et Barberousse se
replie vers Tunis. Mais les esclaves chrétiens se sont révoltés et ont pris le
contrôle de la ville  : Barberousse doit s'enfuir en direction de Bône, puis
d'Alger. Vainqueur, Charles Quint livre Tunis au pillage, tenant la promesse
qu'il a faite à ses soldats. En troupeaux, « liés et attachés les uns aux autres
», les Arabes sont vendus comme esclaves : la prise de Tunis reproduit les
atrocités du sac de Rome.
Charles Quint est à l'apogée de sa gloire ! Il a conquis Tunis et montré à
toute la chrétienté l'image d'un chef de guerre résolu, combattant au milieu
de ses troupes. Il n'a pas encore visité son royaume de Naples, qu'il tient de
ses ancêtres aragonais  : de retour de Tunis, il va réaliser un vieux désir.
Déjà, il voulait se rendre à Naples avant de recevoir la couronne impériale à
Bologne.
Il s'embarque le 17 août 1535 pour la Sicile, aborde le 22 à Trapani, passe
la nuit à Inici dans une « maison de plaisir8». Puis il gagne Montréal et
Palerme, « toute verdoyante d'orangers, d'oliviers et de vignobles ». Le 21
octobre, il fait son entrée à Messine, qui fête en lui « le champion de
l'Europe ». A la porte de la ville, il peut lire sur une banderole : « Du lever
du soleil à son coucher. » Son Empire est immense, couvre plusieurs
continents et, sur lui, « le soleil ne se couche point9 » !
Charles chasse et dévore – à son habitude. Trop  : il est atteint par la
goutte à quatre reprises et doit s'aliter.
Le 25 novembre 1535, il arrive à Naples : un enchantement. Les bals, les
tournois et les chasses sesuccèdent. Charles a trente-cinq ans et goûte à tous
les plaisirs. Un matin, alors que son barbier le rase, il aperçoit ses premiers
cheveux blancs, les fait couper  : ils repoussent plus vigoureux et plus
blancs. A Bruxelles, vingt ans après, il racontera sa mésaventure à l'amiral
de Coligny, qui aura jeté sur le monde le même regard que lui et sourira.
Le pape Paul III a envoyé à la rencontre de l'empereur son propre fils,
Pierre-Louis Farnèse, un garçon timide et gauche. Charles lui remet un
mémoire, dans lequel il demande la réunion d'un concile et propose la
création d'une ligue pour défendre l'Italie contre les ambitions du roi de
France.
En effet, le duc de Milan, Francesco Sforza, est mort et François Ier
revendique le duché pour son deuxième fils, le duc d'Orléans; à la rigueur,
pour le troisième, le duc d'Angoulême10. Granvelle défend cette solution : il
faut, conseille-t-il, entrer dans les vues du roi de France en exigeant des
contreparties, obtenir de lui qu'il confirme le traité de Madrid, renonce à son
action contre la Savoie, soutienne Ferdinand et donne son accord à la
réunion du concile. Pour Milan, que l'empereur lui accorderait, François Ier
devrait renoncer à ses autres prétentions...
Le 22 mars 1536, Charles quitte Naples, emprunte la voie Appienne; le 5
avril, il arrive à Rome, suivi de son armée, moins de dix ans après le sac de
la ville  ! Un professeur de Nuremberg, Christoph Scheurl, écrit un récit
coloré de l'Entrée de l'empereur Charles dans la métropole impériale de
Rome. Sous le portrait de l'empereur, il cite la phrase de la Bible  : « Tu
régneras sur tout ce que tu convoites. » Le livre connaît un immense
Succès11.
Par son énergie, Charles Quint est parvenu au sommet de sa puissance. Il
connaît désormais tous ses royaumes. Il a pris possession de la Sicile, de
Naples. Plus il voyage, plus il découvre la fragilité de son pouvoir – malgré
l'apparat de l'Empire, la qualité des hommes qui l'entourent, l'autonomie de
gestion des territoires.
Il doit affronter une crise nouvelle : les Français ont pris Turin, le duc de
Savoie s'est enfui. François Ier veut conquérir Milan, malgré le traité de
Madrid – Milan dont il rêve depuis vingt ans !
Charles Quint se précipite chez le pape : dans le conflit qui menace, Paul
III ne peut rester neutre ! Mais Paul III ne veut pas prendre parti. C'est un
Farnèse, que préoccupe d'abord la situation de sa famille – comme tous les
papes de la Renaissance. Charles Quint appelle à l'union de la chrétienté
menacée par les intrigues de François Ier. Paul III ne l'entend pas. Voyant
qu'il ne parviendra pas à le convaincre par les voies habituelles de la
diplomatie, l'empereur tente « une démarche parfaitement insolite12 ».
Le 17 avril, sans s'être annoncé, il se rend devant le Sacré Collège
assemblé et il interpelle le pape. S'aidant de quelques notes, il prononce l'un
des discours les plus importants de son règne. Il improvise, parle en
espagnol, debout, utilisant tour à tour le langage du cœur et de la raison. Il
commence par remercier le pape et les cardinaux de l'intérêt porté au projet
de concile. La réforme de l'Eglise est une nécessité  : Charles se met à la
disposition du Saint Père pour la conduire. Puis il évoque la paix. Qui la
menace  ? Après avoir conquis Tunis, il comptait poursuivre Barberousse
dans son refuge d'Alger. Et voici que le roi de France, par son action contre
la Savoie, empêche la réalisation d'un tel projet! Charles décrit ses rapports
avec François Ier,évoque les conditions dans lesquelles il s'est séparé de ce
dernier après le traité de Madrid : au pied d'un calvaire, le roi lui a promis,
au nom du Christ, de ne jamais renier ses engagements  ! Comment,
aujourd'hui, lui faire confiance ? Pas une fois, François Ier n'a respecté les
traités qu'il a signés. Lui, l'empereur, ne se laissera plus berner ! Sans motif
autre que son ambition, le roi de France vient d'attaquer le duc de Savoie.
L'empereur, une nouvelle fois, lui propose la paix. Si François Ier la refuse,
il lui offre un combat singulier, sur terre ou sur mer.
 

Le pape croit que l'empereur a terminé, se lève et, en termes émus, fait
l'éloge de sa volonté de paix. Mais Charles, consultant ses notes,
l'interrompt : il a oublié un point essentiel. Dans son différend avec le roi de
France, il demande l'arbitrage du pape  : « Si Votre Sainteté pense que j'ai
tort, qu'elle prenne le parti du roi de France. Dans le cas contraire, qu'elle
me soutienne ! »
Le pape reprend la parole. Lui-même a proposé la paix; il entend être «un
agent de réconciliation ». Mais, si l'un des deux souverains faisait
opposition à une paix honorable, il se tournerait contre lui. Pour l'empereur,
c'est le mot décisif. Il saisit la main du pape : « Je baise la main de Votre
Sainteté pour cette réponse. »
La Curie est stupéfaite. Les ambassadeurs demandent des explications :
l'empereur a-t-il décidé la guerre ? Charles Quint doit tempérer la portée de
ses propos, que ni Granvelle ni Los Cobos n'approuvent13. Il n'a pas voulu
offenser le roi de France, mais seulement affirmer sa volonté de défendre
l'Empire. Si le roi de France veut s'emparer de Milan, ce sera la guerre.
Mais, pour l'empereur comme pour le pape, la paix est le bien souverain.
Charles Quint met en garde les Etatsitaliens : un nouveau conflit entraînera
la ruine de l'Eglise, la dévastation du pays, la colère de Dieu !
Sans prendre parti pour l'empereur, Paul III adopte une attitude de
neutralité. Il répond favorablement à une demande de Charles Quint et fixe,
en mai 1537, à Mantoue, l'ouverture du concile de l'Eglise.
Le discours de Rome fait forte impression. En Allemagne, Pasquille
publie Entretien avec un cardinal, qui donne le ton :
« Ami de la vérité, que penses-tu de notre empereur ?
– Je crois qu'il reviendra pour juger les vivants et les morts.
– Tu plaisantes, Pasquille! Nous avons un pape, qui fera la paix entre les
deux partis.
– Eminence, soyez sur vos gardes, car vous avez affaire à un homme très
puissant, et le jour du jugement est proche14. »
Sans doute Charles Quint se laisse-t-il, pour la première fois, griser par le
succès. Il manifeste une assurance que la situation internationale ne justifie
pas. Contre l'avis de Granvelle, il décide d'envahir la France et de conquérir
la Provence. Or François Ier n'a pas attaqué directement Milan. De Turin, les
Français pouvaient pousser leur avantage en direction de Milan : ils ne l'ont
pas fait. Faut-il entreprendre la reconquête de la Savoie ? C'est la position
de Leyva. Porter l'offensive contre la France? C'est la décision de Charles
Quint.
L'empereur souhaite réussir ce qu'il n'a pu mener à bien en 1524 : prendre
Marseille. En lui, l'emporte le sentiment que la guerre se gagne sur mer.
Bourbon n'a pu enlever Marseille parce qu'il ne tenait pas la mer.
Aujourd'hui, Andrea Doria est maître de la mer : il permettra la conquête de
Marseille.
Le 25 juillet 1536, Charles Quint franchit la fron-tière,entre le 28 juillet à
Fréjus, le 8 août à Brignoles. Le connétable de Montmorency se retranche
derrière la Durance  : l'empereur avance dans un édredon. Le voici devant
Aix-en-Provence, comme Bourbon en 1524 et, comme ce dernier, il ne peut
prendre ni Avignon ni Marseille. Malgré Doria, malgré la supériorité de sa
flotte qui accompagne sa progression le long des côtes.
Il décide la retraite après une campagne de six semaines. Antonio de
Leyva meurt, désespéré, atteint par le typhus, affaibli par ses attaques de
goutte. Il a tenu Pavie face à François Ier, il était aux côtés de l'empereur
lors du couronnement de Bologne ! Une page se tourne.
 

Garcilaso de la Vega, lui aussi, meurt du typhus. L'épidémie décime


l'armée. La campagne de Provence est le premier échec grave de Charles
Quint. Après son discours de paix à Rome, il a attaqué le roi de France sur
ses terres et il a perdu.
A cet échec s'ajoute celui de Nassau aux Pays-Bas, où la guerre a repris.
Que reste-t-il à faire  ? Négocier. Des deux côtés, on manque d'argent, de
soldats et de vivres. L'équilibre des forces se rétablit : le marquis del Vasto
reprend Turin.
L'empereur regagne l'Espagne. De Palamos, il rejoint Valladolid, où
l'attend Isabelle. De nouveau, l'Espagne est pour lui le repos  : il apprend
l'astrologie, s'intéresse à la géographie, la cosmographie, l'histoire naturelle,
apprend à fabriquer des horloges. Il assiste à des courses de taureaux et
descend dans l'arène, malgré des attaques de goutte de plus en plus
fréquentes. Isabelle est radieuse : elle a Charles auprès d'elle tous les soirs.
Il lui semble que la Castille l'emporte enfin sur l'Empire.
La négociation qui s'ouvre avec François Ier s'avère difficile. Le roi de
France revendique l'Artois, la Flandre, le Charolais. Pour s'opposer à ses
prétentions, l'empereur a besoin de la neutralité des princes allemandset
dépêche auprès d'eux Matthias Held : le vice-chancelier d'Empire a mission
de trouver un accord entre les catholiques et les protestants. La grande
question, c'est l'interprétation de la paix de 1532 conclue sous la pression
des Turcs. Les instructions remises à Held révèlent le désir de paix de
Charles Quint, de même que les lettres que l'empereur adresse à son frère :
il ne faut point attacher trop d'importance, conseille-t-il, aux « insolences »
des protestants. La situation internationale ne permet pas la guerre.
Mais Matthias Held n'applique pas les instructions reçues, du moins dans
leur esprit15. Avant d'être nommé vice-chancelier, il était conseiller à la
Cour d'appel de l'Empire  : c'est un juriste scrupuleux et un catholique
convaincu. Dans la mise en œuvre de la paix de 1532, des recours ont été
intentés contre les décisions de la Cour d'appel  : Held accepte mal cette
situation et le déclare sans ambages. Il défend son corps d'origine. Il donne
aussi la priorité à la réunion d'un concile. Les princes protestants lui
répondent qu'ils ne sauraient participer à un concile dont l'objet serait
d'extirper l'hérésie, un concile qui serait, de fait, dirigé contre eux  ! Held
suscite la création d'une ligue catholique contre la ligue de Smalkalde. Loin
de tendre à l'apaisement des esprits, il développe les ferments de discorde.
Charles maintient sa ligne politique, rappelle Held, confirme à son frère
sa volonté d'entente :
« Il s'agit de faire preuve d'un esprit de conciliation sur les questions qui
ne portent pas sur l'essence de la croyance et qui ne sauraient être un objet
de scandale : dans ce sens, on s'entendra pour un temps, ou pour toujours16.
»
Ce sera pour un temps ! L'essentiel est d'éviter toutrapprochement avec la
France... De Bruxelles, Marie de Hongrie ouvre une négociation avec
Philippe de Hesse, l'un des principaux dirigeants de la ligue de Smalkalde.
Elle lui envoie un jeune diplomate, Jean de Naves, qui va devenir vice-
chancelier, succédant à Held. Que répond Philippe de Hesse aux approches
de Naves ? Il n'a pas l'intention d'entrer en rébellion contre l'empereur, il est
prêt à participer à une guerre contre les Turcs, mais la paix de Nuremberg a
été violée. Les juges à la Cour d'appel sont responsables d'une telle
situation  ! Il faut reprendre la négociation, préparer une nouvelle diète,
trouver les conditions d'une entente. Held s'est exprimé devant l'assemblée
des princes protestants en des termes tels que «tous ont été épouvantés,
comme s'ils avaient reçu un coup sur la tête ». Si l'empereur souhaite
réellement la paix, il peut l'obtenir, mais par d'autres moyens.
Charles Quint souhaite aussi se rapprocher du pape. Alexandre de
Médicis a été assassiné à Florence le 6 janvier 1537. Marguerite est veuve :
l'empereur envisage de remarier sa fille au petit-fils du pape, Octave
Farnèse. Lors des entretiens de Rome, il a compris que Paul III était d'abord
le chef de la maison de Farnèse et que l'avenir de ses enfants primait celui
de l'Eglise.
Pour mieux suivre la négociation avec François Ier, Charles Quint
s'installe à Barcelone, plus proche de la France que Valladolid. Il laisse
l'impératrice seule avec son chagrin : Isabelle a mis au monde un fils, Juan,
mort quelques jours après sa naissance. Charles n'a jamais donné la priorité
à sa famille : dans sa vie, la politique l'a toujours emporté.
Une alliance est conclue le 8 février 1538 entre le pape, l'empereur et
Venise : le rapprochement avec Paul III a porté ses fruits. Les discussions
ont abouti au projet d'une conférence au sommet réunissant l'empereur, le
roi de France et le pape. A Nice, en juin 1538.
Charles s'y rend comme d'habitude par mer. Aularge de Marseille, Doria
aperçoit des voiles latines, leur fait signe. Elles approchent  : ce sont des
galères françaises de retour de Constantinople, qui ignorent qu'une trêve a
été décidée ! Elles attaquent et quatre d'entre elles sont capturées. Charles
Quint s'amuse à décrire la scène dans ses Mémoires.
Le pape réside à Nice, le roi de France à Saint-Laurent-du-Var,
l'empereur à Villefranche. Etrange conférence sans réunion des trois
souverains ! Chacun négocie de façon séparée. Le 17 juin 1538, la trêve est
confirmée, mais les grands dossiers n'ont pas été traités, la question de
Milan n'a pas été abordée. Charles Quint est déçu  : tant de travail
préparatoire pour un si maigre résultat ! Il est atteint de la goutte, « pour la
septième fois », note-t-il dans ses Mémoires.
Il s'obstine, veut rencontrer François Ier en tête à tête : il espère persuader
le roi de sa volonté de paix. C'est ce même désir qui a fait croire à François
Ier, douze ans auparavant, qu'il parviendrait à imposer ses vues à Charles
Quint! La situation s'est retournée  : aujourd'hui, Charles a besoin de
convaincre François. Malgré les traités de Madrid et de Cambrai, il n'a pas
réussi à imposer la paix. La France est comme un roc qu'il entoure de tous
côtés  : ni les succès militaires ni les pressions diplomatiques ne sont
parvenus à l'ébranler.
Charles s'adresse à sa sœur Eléonore, qui joue entre le roi – son époux –
et l'empereur – son frère – un rôle discret d'agent de liaison. Eléonore
organise une rencontre.
 

Sur le chemin du retour en Espagne, Charles Quint jette l'ancre devant


Aigues-Mortes : le 14 juillet 1538, il reçoit le roi de France sur sa galère et,
le lendemain, lui rend sa visite à terre. Il comprend qu'il ne pourra parvenir
à une entente durable s'il conserve toutes ses possessions. S'il veut la paix, il
doit renoncer à Milan, mais il tient à Milan ! Lui aussi, comme François Ier,
poursuit son rêve italien.
1 Fernand Braudel, La Méditerranée et le monde méditerranéen à l'époque de Philippe II, tome
II, p. 131.
2 V.L. Bourrilly, « Antonio de Rincon et la politique orientale de François Ier », Revue historique,
1913, p. 64-83; 1914, p. 268-308.
3 Peter Lahnstein, Dans les pas de Charles Quint, p. 179.
4 Karl Brandi, Charles Quint, p. 356.
5
Ibid., p. 359.
6
Documentos ineditos para la Historia de España, publiés par Louis-Prosper Gachard et Charles
Piot in Collection des voyages des souverains des Pays-Bas, tome III, p. 399-400.
7
Ibid., p. 330.
8 Le chroniqueur évoque « une maison de plesir et soulas » (ibid., p. 376).
9 Karl Brandi, Charles Quint, p. 364.
10 Sforza meurt le 2 novembre 1535. Le duché de Milan est fief d'Empire et, par le traité de
Madrid, François Ier a renoncé à ses prétentions sur l'Italie.
11 Karl Brandi, Charles Quint, p. 366.
12
Ibid., p. 372.
13 Royall Tyler, L'empereur Charles Quint, p. 61.
14 Karl Brandi, Charles Quint, p. 375-376.
15 Royall Tyler (L'empereur Charles Quint, p. 92) note : « Ayant été chargé de cette importante
mission, Held perdit la tête ».
16 Karl Brandi, Charles Quint, p. 409.
CHAPITRE XI

Les premières épreuves

Charles a regagné l'Espagne : pour lui, le temps des épreuves est venu.
Le 21 avril 1539 à Tolède, Isabelle met au monde un fils, son cinquième
enfant, qui meurt le jour même. Une fièvre puerpérale se déclare. Charles
ne la quitte pas. Elle souffre; il lui éponge le front, lui parle de la vie
éternelle, de l'amour plus fort que la mort. Les hommes sont appelés à
rencontrer Dieu, à vivre de la vie de Dieu. A l'approche de la mort, Charles
tend à Isabelle un crucifix, qu'elle serre sur son cœur et qu'il voudra, lui
aussi, tenir entre ses mains quand son heure viendra.
Isabelle le quitte après treize ans d'un amour fort et partagé, d'un bonheur
simple et vrai, qui lui a apporté ce dont il avait besoin et qu'il n'aura plus.
Les seuls instants de bonheur, c'est avec Isabelle, dans les mois qui ont suivi
leur mariage, à Séville, Cordoue, Grenade, qu'il les a connus. «Il souffre
incroyablement», note Granvelle. Il est seul, «sans compagne 1 ».
Plusaucune femme ne comptera dans sa vie. François Ier rêvera de le marier
à sa fille Marguerite : il refusera. Il aura quelques liaisons, dans les soirées
d'hiver aux Pays-Bas et en Allemagne, mais qui ne l'engageront pas. Il se
retire au monastère de la Sisla chez les hiéronymites : l'idée de retraite, déjà,
l'habite.
Puis la politique, de nouveau, le saisit et ne le quittera plus.
Des Pays-Bas et d'Allemagne lui parviennent des nouvelles inquiétantes.
Marie requiert sa présence à Bruxelles. Il décide de la rejoindre « malgré les
empêchements qu'on lui met sous les yeux 2 ». Son fils a douze ans : peut-il
lui confier la régence  ? Le Conseil de Castille, unanime, le dissuade de
partir. Mais Charles ressent l'envie de revoir le pays de son enfance, de
renouer avec ses racines flamandes. Isabelle l'attachait à l'Espagne : ce lien
charnel n'existe plus.
Avant de gagner les Pays-Bas, il rédige un testament politique, le premier
d'une série qui rythme les étapes de sa vie. Ses testaments sont « le miroir le
plus fidèle de son caractère et de ses volontés », écrit Brandi3. Il leur confie
ses pensées, ses espoirs, ses préoccupations. Charles est un homme de
l'écriture  : il a besoin d'écrire. Il écrit ou dicte sans cesse  : ses lettres, ses
instructions, ses testaments précisent jour après jour ses orientations.
Dans les instructions qu'il laisse à son fils en novembre 1539, il définit
une organisation dynastique de l'Europe, qu'il fonde sur l'alliance des
maisons d'Autriche et de Valois recevant l'appui du Portugal et de
l'Angleterre. Les souverainetés contestées, d'Italie notamment, doivent
revenir à de jeunes couples issus des deux familles. Il imposera une
conception matrimoniale de l'Europe qui durera jusqu'en 1918.
Son fils Philippe héritera des royaumes d'Espagne,des Indes, des Pays-
Bas et de la Franche-Comté. Si les Etats généraux le rejetaient, les Pays-Bas
seraient dévolus à sa sœur Marie. Quant aux terres d'Autriche, l'empereur
les attribue aux enfants de son frère Ferdinand. Milan ira au duc d'Orléans,
fils de François Ier, qui épousera une fille de Ferdinand, afin de maintenir
l'union des Habsbourg et de donner satisfaction à la France. La fille cadette
de l'empereur épousera l'héritier du Portugal et Philippe une princesse
d'Angleterre. Jamais une telle organisation d'ensemble du continent
européen n'a été définie. Pendant des mois, les chancelleries s'interrogent :
qui prendra les Pays-Bas, Philippe ou Marie ? Le duc d'Orléans s'installera-
t-il à Bruxelles ou à Milan ?
Enfin, Charles désigne comme lieu de sa sépulture la chapelle royale de
Grenade, où il veut reposer aux côtés de son épouse, de ses parents et de ses
grands-parents maternels.
Pour rejoindre les Pays-Bas, deux voies sont possibles, l'une par mer,
l'autre par terre. S'il choisit la voie de terre, Charles Quint peut-il faire
confiance au roi de France ? François Ier lui a adressé le 7 octobre 1539 une
lettre d'invitation «affectueuse à souhait, lettre de garantie entière 4 ». Mais
il est malade  : s'il venait à mourir, que se passerait-il  ? Charles demande
d'autres garanties, que le dauphin lui donne. L'empereur n'est pas satisfait
de la lettre qu'il reçoit  : le dauphin doit préciser à nouveau ses intentions.
De même, le duc d'Orléans, le connétable de Montmorency prennent la
plume. Toutes ces lettres se veulent plus rassurantes les unes que les autres5.
Charles se décide enfin. Il ne peut plus différer son voyage aux Pays-Bas.
Mais il n'évoquera, lors de sa traversée de la France, aucun dossier
politique. Ce seraune visite de famille, la découverte aussi d'un pays qu'il ne
connaît pas...
Le 27 novembre 1539, il franchit la Bidassoa, accompagné de soixante
cavaliers et sans aucune pompe  : vêtu de noir, il porte le deuil de son
épouse. Le dauphin et le connétable viennent à sa rencontre. Le soir,
l'empereur couche à Bayonne; le 28 novembre à Dax, le 29 à Mont-de-
Marsan. Il emprunte le chemin que François Ier a suivi à son retour en
France en 1526. A Bordeaux, il est reçu avec les honneurs réservés aux
chefs d'Etat  : le maire lui remet les clefs de la ville et le président du
Parlement l'assure de la fidélité de la Guyenne. Mais le temps est mauvais,
Charles prend froid : il répond à peine et rejoint sa chambre. Il repart le 3
décembre, voyage à petites étapes de huit lieues par jour. A Verteuil, il est
reçu par Anne de Polignac, qui l'enchante. Il ne veut pas qu'on lui parle
d'affaires : il est entendu ! Tout au long de la route, ce ne sont que propos
courtois et bonne chère...
Cependant, François Ier, arrivé à Loches, l'attend : Charles doit se presser.
Le 9 décembre, il entre à Poitiers avec le même cérémonial qu'à Bordeaux.
Le gouverneur du Poitou est allé à sa rencontre avec cinq cents
gentilshommes et deux mille hommes à pied; à la porte de la ville,
l'empereur prend place sous un dais que tiennent le maire et trois échevins.
Dans la nuit, il chevauche à la lueur des torches, franchit des arcs de
triomphe, écoute le Te Deum chanté dans la cathédrale. Mais il est de
nouveau fatigué, gagne l'évêché, dîne de confitures. Le lendemain, les
échevins lui offrent une pièce d'orfèvrerie, qui représente un rocher garni de
fleurs, surmonté d'un aigle et d'un lys. Il remercie en quelques mots : « Je
me souviendrai de votre accueil et de votre présent. »
A Châtellerault, l'ambassadeur du roi d'Angleterre vient le saluer : Henri
VIII se réjouit de cette « amitié dorée » qui s'établit entre l'empereur et le
roi de France. Il espère qu'elle contribuera à la paix. Proposde circonstance :
l'ambassadeur ne pense pas un mot de ce qu'il dit ! Montmorency est là, qui
écoute : l'empereur va-t-il évoquer ses relations avec l'Angleterre ? Les fils
du roi entrent et l'entraînent vers la chapelle : la messe commence.
Le 12 décembre, Charles Quint arrive, enfin, à Loches dans le soir qui
tombe. Précédé de porteurs de torches, entouré des deux fils du roi, il
s'avance à la rencontre de François Ier, qui l'attend à l'entrée du château,
vêtu de satin pourpre, coiffé d'un bonnet étincelant de pierreries. Il se
découvre et les deux hommes s'embrassent. Un peu plus loin, au bas de
l'escalier qui monte aux appartements, la reine Eléonore, la reine de
Navarre, Madame Marguerite, fille du roi, s'inclinent. Charles serre sa sœur
Eléonore dans ses bras, tandis que François lui vante les mérites de
Marguerite : « Une rose parmi les épines, un ange au milieu des diables. » Il
voudrait que Charles l'épouse !
Quel contraste entre les deux souverains  ! Le roi, quoique malade, se
tient droit, l'œil vif, magnifique en son costume; à ses côtés, l'empereur est
petit, voûté, vêtu de noir6. Les deux hommes ne vont plus se quitter : le roi,
en litière, et l'empereur, à cheval, gagnent Amboise, Blois, Chambord.
François montre à Charles ses chiens de meute, dont il est si fier. Il goûte la
vie, alors que Charles ne pense qu'à rejoindre Gand. A Amboise, des
porteurs de torches, par mégarde, mettent le feu aux tapisseries des murs.
Dans la fumée, gentilshommes et serviteurs s'enfuient de toute part. Le roi,
furieux, veut faire exécuter les coupables  : l'empereur l'apaise! A
Chambord, il s'émerveille de l'architecture du château, qui lui paraît « un
abrégé de l'industrie humaine ». A Cléry, François Ier le conduit devant le
tombeau de Louis XI, l'adversaire de Charles le Téméraire, le roi de France
qui s'est emparé du duché de Bourgogne !
Voici Orléans, de nouveaux arcs de triomphe, de nouvelles illuminations.
A l'hôtel de Saint-Aignan, l'empereur, fatigué, dîne de confitures. Au petit
matin, des arquebusiers déchargent leurs armes sous ses fenêtres et les
échevins de la ville lui offrent une table d'argent. Puis, par Pithiviers et
Milly, le cortège arrive à Fontainebleau, la veille de Noël.
Le château est la « maison préférée » de François Ier, « une Italie
française », selon l'expression de Michelet7. Le roi montre à l'empereur les
tableaux et les tapisseries de la grande galerie, qui évoquent ses amours et
ses victoires. Il commente chaque décor, explique chaque allusion. Charles
Quint aime les tapisseries, qu'il collectionne. Arrivé à Bruxelles, il fera
exécuter, pour les offrir au roi, les tapisseries qui sont conservées au Louvre
et connues sous le nom de Chasses de Maximilien8.
Le 30 décembre, il quitte Fontainebleau, dîne à l'abbaye du Lys, court
deux cerfs et embarque sur la Seine. Son bateau est équipé de cheminées,
où brûlent de grands feux. Le froid est vif; Charles pousse son fauteuil
devant la cheminée de sa chambre. Le 1er janvier 1540, il entre à Paris par
un beau temps clair. Le roi l'a précédé : il assiste au passage du cortège, rue
Saint-Antoine, d'une fenêtre de l'hôtel de Montmorency. L'empereur,
toujours de noir vêtu, monte un cheval noir; à ses côtés, les deux fils du roi
sont aussi habillés de noir. Les façades sont décorées, éclairées par des
milliers de bougies; des couronnes de feuillage arborent l'aigle à deux têtes,
la salamandre, le phénix. Le peuple de Paris, innombrable, s'entasse dans
les rues, se bouscule aux carrefours, s'écrase aux fenêtres. Il voit défiler les
membres du Parlement, du Conseilroyal, le chancelier de France et les
sceaux portés sur une haquenée blanche, les cardinaux et les évêques, le
connétable tenant l'épée droite, l'empereur enfin. Hier encore, Charles Quint
était l'ennemi; aujourd'hui, il est « le bon frère du roi » !
Au palais de la Cité, François accueille Charles, le guide devant les
grandes statues des rois de France  : « Ici sont nos devanciers. » De
Mérovée, de Clovis, «premier roi chrétien », aux Capétiens et aux Valois,
leur «commune maison ». François décrit, commente, explique. A minuit
seulement, Charles se retire. La cérémonie l'a épuisé  : il frissonne, a la
fièvre, appelle son médecin, qui le frictionne longuement. Il ne s'endort
qu'au petit matin. Il est malade, ne peut quitter sa chambre. Il craignait,
avant de gagner la France, que le roi mourût. Et c'est lui qui est malade,
incapable de se déplacer, plus atteint que François Ier !
Le dimanche suivant, il peut entendre la messe et recevoir les échevins,
qui viennent lui offrir le présent de Paris  : un Hercule d'argent, de cinq
pieds de haut, tenant les colonnes du monde. Sur une écharpe tendue entre
elles, on peut lire  : Altera alterius robur. L'une est le soutien de l'autre  :
l'empereur et le roi sont les deux colonnes de la chrétienté. La statue a été
exécutée par Rosso sur une idée du roi lui-même.
Le 6 janvier, fête des Rois, Charles se rend à la Sainte-Chapelle et assiste
à une réunion du Parlement. Le lendemain, il visite le château de Boulogne
et l'abbaye de Saint-Denis; le roi est toujours son guide. Le 8 janvier, il
gagne Chantilly, qui est la propriété du connétable, puis Villers-Cotterêts,
Soissons, La Fère, Saint-Quentin. François Ier voudrait le retenir, mais
Charles Quint réussit à prendre congé. A Valenciennes, sa sœur Marie
l'attend depuis neuf jours.
La révolte gronde à Gand, ville ouvrière, turbulente, qui s'est souvent
rebellée contre les comtes de Flandre, puis contre les ducs de Bourgogne.
S'opposant au gouvernement des Pays-Bas, Gand refuse de verser
lescontributions votées par les Etats généraux, de participer à l'effort de
défense. Les représentants des « menus métiers » prennent le pouvoir,
lacèrent la constitution que Charles Quint a accordée à la ville en 1515 et
accrochent, par dérision, des morceaux du parchemin à leurs chapeaux ! Ils
veulent enfermer Marie dans un couvent : ils ne supportent plus, disent-ils,
d'être gouvernés par une femme !
Entrant le 14 février 1540 dans Gand, Charles Quint montre sa force  :
cinq mille lansquenets l'accompagnent, ainsi qu'une artillerie importante.
Les Pays-Bas constituent le fondement de sa puissance : il ne peut y tolérer
le moindre soulèvement. Il écrase la révolte de Gand.
Le 24 février, jour de son anniversaire, il réunit au Prinsenhof, dans le
palais de sa naissance, la chambre criminelle du Parlement de Malines. Le
procureur général prononce un réquisitoire qui dénonce les violences et
condamne la rébellion  : Gand a commis un crime de lèse-majesté. Le
jugement est rendu le 29 avril  : la ville perd ses droits et ses libertés; ses
armes, ses canons et même son gros bourdon lui sont retirés. Charles Quint
exige une soumission publique, semblable à celle que Charles le Téméraire
imposa en janvier 1469. Le 3 mai 1540, trente notables vêtus de noir, la tête
et les pieds nus, cinquante tisserands, cinquante représentants du parti
populaire, en chemise et la corde au cou, demandent pardon à genoux. Un
nouveau statut est promulgué, la Carolina, qui supprime les privilèges
obtenus par Gand tout au long du Moyen Age.
Au Prinsenhof, pendant que se déroule le procès, Charles Quint analyse
la situation internationale avec son frère Ferdinand et sa sœur Marie. Il
adresse à François Ier une longue note, qui définit la position des
Habsbourg  : pas question pour eux d'abandonner le Milanais  ! Il propose
que le duc d'Orléans épouse sa fille Marie et devienne souverain des Pays-
Bas. En contrepartie, le roi de France devra renoncer à Milan.Mais François
Ier tient trop à Milan et rejette les suggestions de l'empereur.
Il reste à Charles Quint à poursuivre son rêve d'unité et rassembler ses
possessions en un ensemble cohérent. Les rencontres de Nice, d'Aigues-
Mortes, de Fontainebleau et de Paris n'ont rien changé  : le grand
affrontement entre l'Empire et le royaume de France durera jusqu'à la mort
des deux adversaires.
Pour arbitrer leur rivalité, Charles Quint et François Ier font appel au
pape, une fois de plus. L'empereur tente d'obtenir le soutien de ce dernier,
alors qu'il recherche une entente avec les protestants, dont Paul III ne veut
pas entendre parler  ! Les instructions que le pape donne à son légat sont
sans ambiguïté  : «Si l'on vous dit que l'aplanissement du conflit est chose
urgente, répondez que le salut des âmes l'est encore plus ! »
Paul III interdit au nonce de participer à la négociation qui s'engage entre
catholiques et protestants : les théologiens des deux camps se retrouvent à
Haguenau en juin, à Worms en octobre. Granvelle, qui préside leurs
réunions, s'efforce de trouver un accord avec le landgrave Philippe de
Hesse. Il joue à fronts renversés  : alors que les protestants affirment une
volonté d'entente, les catholiques manifestent « un esprit belliqueux » et
refusent toute conciliation9. Granvelle propose la création d'un groupe
restreint de quatre théologiens, deux protestants  : Bucer, homme de
confiance de Philippe de Hesse, et Capito, professeur à Strasbourg  ; deux
catholiques : Gropper, conseiller de l'électeur de Cologne, et Veltwyk, juif
converti, l'un des esprits les plus libres de son temps. Né aux Pays-Bas,
Gérard Veltwyk a écrit en hébreu dans sa jeunesse un Voyage à travers le
désert pour tenter de rallier au christianisme ses compatriotes israélites.
Entré dansl'administration impériale, il est devenu l'un des proches
conseillers de Charles Quint.
Tandis que Granvelle négocie en Allemagne, Charles s'attarde dans son
pays natal, parcourt la Flandre et la Hollande, consulte, réunit les Etats
généraux. Il travaille de nuit comme de jour, prend des décisions concernant
aussi bien le rassemblement à Simancas des archives de son règne que le
traitement des esclaves aux Indes. Il mange toujours autant, boit chaque
matin deux pintes de bière fraîche et subit sa huitième attaque de goutte au
cours de l'été10.
A Worms, un accord intervient sur le renvoi des débats à une prochaine
diète, qui se réunira à Ratisbonne. Le pape infléchit sa position et remplace
Marcello Cervini, qui deviendra pape, par Gaspard Contarini. Charles
gagne – toujours à petites étapes – Ratisbonne, où il arrive en février 1541.
Ouvrant les travaux de la diète le 5 avril, il désigne un groupe de six
membres pour traiter la question religieuse : Gropper, Pflug et Eck pour les
catholiques; Melanchthon, Bucer et Pistorius pour les protestants. Un
accord semble possible.
Un soir, Veltwyk conduit Bucer chez Contarini. Le dialogue s'engage :
« Combien fécond sera le résultat de l'union, déclare le légat.
– Des deux côtés, nous avons eu des torts, réplique Bucer. Sur certains
points, nous sommes allés trop loin et vous, vous n'avez pas su mettre un
terme aux abus11. »
Mais Melanchthon se montre plus intransigeant qu'il ne l'a été à
Augsbourg  : il ne veut pas de compromis sur la question de l'eucharistie.
Granvelle s'emporte et Charles Quint s'en prend à Contarini  : « Je ne suis
pas théologien, mais on ne va pas se disputer surla transsubstantiation  ! »
Faire échouer les négociations serait une maladresse : il prend à témoin les
princes, se tourne vers Philippe de Hesse.
Ce dernier, sans quitter sa femme, a pris une seconde épouse. Il explique
qu'il « ne trouve rien contre la bigamie dans les Ecritures » ! Il n'est guère
entendu et doit faire face à l'opposition des évêques et des membres de sa
famille. Luther lui a promis son soutien « sous réserve que l'affaire
demeurât secrète12 »... Elle ne peut l'être et Philippe de Hesse a besoin de
l'appui de l'empereur. Pour lui, un accord entre Luther et Charles Quint
serait le bienvenu ! Philippe de Hesse conseille de recourir à l'arbitrage du
Réformateur.
Quand le « groupe des six » remet son rapport, ses conclusions sont
rejetées par les catholiques le 5 juillet et par les protestants la semaine
suivante. Luther ne se laisse pas fléchir par Melanchthon : il rejoint le pape
dans sa condamnation de tout compromis. La déception de Charles Quint
est à la mesure de l'espoir qu'il a placé dans les travaux de la diète :
« On démolit une maison ancienne, dont les pierres peuvent servir à
reconstruire un nouvel édifice. Des abus se sont introduits; ils ont attiré des
attaques sur l'ensemble. Mais il ne faut pas décrier tous les éléments qui
composent la maison 13 ! »
Charles Quint n'est pas un démolisseur. Il cherche à rassembler l'Empire
par des moyens pacifiques. Les Turcs menacent la Hongrie, l'Autriche est
en danger : les Allemands se disputent ! A Vienne, le roi Ferdinand réclame
d'urgence des secours. Oui, répondent les protestants, mais à la condition
que vous nous donniez le droit de pratiquer notre religion !
Il faut conclure. Le 28 juillet, les dernières conversations se tiennent dans
l'Auberge de la Croix d'or, où Charles est descendu. Les conseillers des
deux camps« travaillent jour et nuit à sortir du hallier 14 ». En vain. Le 29
juillet, à quatre heures du matin, les protestants tiennent une ultime réunion
avant la séance de clôture. Ils proposent de nouveaux amendements, que
l'empereur, dans sa volonté d'une solution négociée, accepte15.
Les décisions de Ratisbonne vont beaucoup plus loin que celles de
Nuremberg. Elles protègent les prédicateurs protestants dans les Etats
catholiques, modifient la composition de la Cour d'appel, décident le
principe d'une réforme monastique. Fureur des catholiques  ! Par une
déclaration tenue secrète, Charles Quint doit garantir leurs droits et, surtout,
leurs revenus. A dix heures, dans l'hôtel de ville de Ratisbonne, il ouvre la
séance finale; les incidents de procédure se succèdent, les suspensions
aussi. Les catholiques ne veulent rien céder; les protestants se fondent sur
l'accord que l'empereur a donné à leurs amendements. Entre les deux partis,
un texte de compromis est finalement élaboré, qui ne satisfait personne.
Le jour même, l'empereur quitte Ratisbonne. Il a échoué dans sa tentative
de rapprochement, malgré son implication personnelle dans les débats. Pour
l'historien Tyler, la diète de Ratisbonne met fin à « la tentative humaniste de
Charles Quint cherchant à raccommoder la fissure survenue dans l'édifice
de la chrétienté 16 ». Pour l'empereur et ses conseillers, le précepte
d'Erasme, moderatio, mansuetudo, caritas, est plus important que toutes les
précisions théologiques  : un texte peut avoir un sens pour une école de
pensée et un autre pour une autre école, dès lors que cette liberté
d'interprétation assure la paix.
Soliman marche sur Vienne et François Ier courtiseles princes
protestants  : la guerre menace – et dans les pires conditions. De plus, la
situation financière s'est dégradée et le Trésor doit recourir à des emprunts
que Los Cobos négocie à des taux de plus en plus élevés.
L'empereur regagne l'Espagne : il n'a plus d'argent. Contre le sultan qui
s'avance en Hongrie, il n'a pas les moyens de faire campagne. Il écrit à sa
sœur Marie : « Je ne puis même pas payer ma Cour... »
Il songe alors à une nouvelle expédition en Méditerranée contre
Barberousse  : sur le chemin du retour, il irait prendre Alger comme il a
conquis Tunis  ! Avec les galères de Doria. La seule guerre qu'il puisse se
permettre est une expédition maritime. Il pense d'ailleurs que François Ier ne
pourra pas reprendre les hostilités s'il part au loin combattre les Infidèles. Il
arrête sa décision, comme s'il voulait mettre fin aux épreuves des derniers
mois et renverser le cours du destin. Il charge Louis de Praet de porter ses
instructions, qu'il précise, selon son habitude, par écrit. Il laisse Naves en
Allemagne et envoie Granvelle en Italie.
Puis, s'arrêtant chaque soir dans une ville différente, il gagne Gênes, où
Doria l'attend. L'équinoxe approche, avec la promesse d'un vent fort et
d'une mer agitée.
L'empereur veut assurer ses arrières : il a besoin, avant de s'embarquer,
du soutien du pape. Il rencontre Paul III à Lucques du 13 au 17 septembre.
Il essaye de le convaincre de lui apporter son appui, mais n'obtient pas
même la condamnation de François Ier, qui a fait arrêter Georges
d'Autriche, alors qu'il traversait la France pour gagner son nouveau diocèse
de Liège17. Le pape déconseille formellement l'expédition
d'Alger.Granvelle commente : « Il veut épargner son argent et sa vie 18 ! »
Dès que les difficultés surgissent, il abandonne l'empereur.
Malgré le mauvais temps, l'impréparation de l'expédition, le retard pris,
Charles Quint s'obstine. Il embarque à La Spezia le 28 septembre 1541. La
mer est grosse, le vent d'ouest souffle : il est malade. Sa galère longe la côte
orientale de la Corse. Le 3 octobre, il s'arrête à Bonifacio.
Le séjour de l'empereur à Bonifacio a été longtemps contesté. Le Diario
del emperador de Cadenas y Vicent, le Journal de Vandenesse, les
recherches que j'ai effectuées dans les archives de Simancas ne laissent
subsister aucun doute : en route pour Alger, Charles Quint a fait une halte
de trois jours à Bonifacio, du lundi 3 au jeudi 6 octobre 154119. Il a logé
dans la maison du comte Catticiolo, s'est reposé, a chassé, puis a rejoint sa
galère dans le golfe de Santa Manza.
Doria se heurte à la difficulté majeure, en un temps très bref, à l'approche
de l'équinoxe d'automne, de rassembler des navires en provenance de tous
les ports de la Méditerranée. Charles Quint doit attendre à Majorque que la
flotte se regroupe, tandis que la mer devient de plus en plus mauvaise ! Les
marins qui connaissent les parages craignent les tempêtes de novembre et
conseillent de reporter l'expédition au printemps.
L'empereur hésite, écrit à son frère  : « J'ai perdu trop de temps à
Ratisbonne. Et, à cause des intempéries, je dois encore attendre ! » Doit-il
renoncer ? Il croit en sa bonne fortune, en l'aide de Dieu. Il écrit encore : «
Il ne s'agit pas de se lever tôt le matin, mais bien de se lever à l'heure qu'il
faut et cette heure, elle est dans la main de Dieu20. »
Dans la main de Dieu ! La flotte est en vue d'Alger, mais le vent souffle
si fort qu'elle ne peut approcher de la côte, même à l'abri du cap Matifou.
Le vent tombe le dimanche 23 octobre  : les opérations de débarquement
commencent. Mais, dans la nuit du lundi au mardi, la tempête se déchaîne,
démâte les navires, rompt les amarres, disperse la flotte21. Des dizaines de
bateaux coulent, l'un d'eux avec les actes de la chancellerie, qui suit
l'empereur dans tous ses déplacements. A terre, les troupes n'ont ni tentes ni
vivres; la pluie est torrentielle. L'ennemi sort d'Alger, attaque par surprise le
camp du corps expéditionnaire. Les soldats italiens sont novices et se
débandent; seuls résistent les lansquenets allemands.
Le mercredi 26 octobre, la mer se calme : Doria réussit à regrouper une
partie de la flotte, dont l'appui d'artillerie est indispensable pour prendre
Alger. Mais, le jeudi, le vent reprend. Charles décide alors d'abandonner la
partie  : il a joué avec le temps et il a perdu  ! Les vivres et les munitions
manquent, la poudre est mouillée. Au loin, les vaisseaux de Doria ne sont
d'aucun secours. Parmi les capitaines espagnols, Hernán Cortés, qui a connu
au Mexique des situations plus difficiles, conseille de persévérer. Mais,
découragé, l'empereur renonce et, le mardi 1er novembre, remonte sur sa
galère, vaincu par la tempête.
Il doit attendre à Bougie pendant une semaine une mer favorable  : le 2
décembre seulement, il arrive à Carthagène.
Il va consacrer les années 1542 et 1543 aux affaires d'Espagne et des
Indes, se ressourcer une fois encore en Espagne, réfléchir avant de rebondir.
Il rend visite à sa mère à Tordesillas en janvier 1542, fait retraite àPâques au
monastère de la Mejorada22. Il est atteint de la goutte pour la neuvième fois
et, « pour la première, presque dans tous les membres 23 ». Six semaines au
lit ! Quand il se lève, il se traîne une canne à la main. A Marie, il confie : «
J'ai l'air d'un héros 24 ! »
1 Charles Quint, Commentaires, p. 53.
2
Ibid.
3 Karl Brandi, Charles Quint, p. 420.
4 Charles Terrasse, François Ier, tome III, p. 37.
5 Louis-Prosper Gachard, Relation des troubles de Gand sous Charles Quint, p. 249-251.
6 Charles Terrasse, François Ier, tome III, p. 43.
7 Michelet, Renaissance et Réforme : histoire de France au XVIe
siècle, p. 383.
8 Sophie Schneelbalg-Perelmann, Les chasses de Maximilien : les énigmes d'un chef-d'œuvre de
la tapisserie, p. 155-189.
9 Karl Brandi, Charles Quint, p. 442.
10 Charles Quint, Commentaires, p. 55.
11 Karl Brandi, Charles Quint, p. 447.
12 Royall Tyler, L'empereur Charles Quint, p. 95.
13 Karl Brandi, Charles Quint, p. 450.
14
Ibid., p. 452.
15 Royall Tyler note que Charles Quint semble « anticiper sur la technique de Talleyrand de la
négociation continue » (L'empereur Charles Quint, p. 87).
16
Ibid., p. 95.
17 Georges d'Autriche est le fils naturel de l'empereur Maximilien. Archevêque de Valence, le
pape vient de le nommer évêque coadjuteur de Liège  : le prince évêque Corneille de Berghes est
malade et l'empereur ne veut pas perdre le contrôle de la principauté. L'arrestation de Georges
d'Autriche est la réponse de François Ier à l'assassinat, sur les rives du Pô en juillet 1541, d'Antonio
de Rincon (cf. chap. X : « Le contrôle de la Méditerranée » ).
18 Dans une lettre adressée de Sienne à l'empereur en novembre 1541 (Karl Brandi, Charles
Quint, p. 470).
19 Vicente de Cadenas y Vicent, Diario del emperador Carlos V, p. 286.
20 Karl Brandi, Charles Quint, p. 459.
21
Expédition de Charles Quint à Alger, en 1541, par un anonyme, récit publié par Louis-Prosper
Gachard et Charles Piot dans la Collection des voyages des souverains des Pays-Bas, tome III, p.
425.
22 Vicente de Cadenas y Vicent, Diario del emperador Carlos V, p. 290.
23 Charles Quint, Commentaires, p. 63.
24 Karl Brandi, Charles Quint, p. 476.
CHAPITRE XII

La paix de Crépy

La tempête menace les Pays-Bas : Marie, chaque jour, l'annonce.


En janvier 1542, Charles Quint expédie à sa sœur des instructions
précises, qu'il accompagne des moyens qu'il peut réunir  : trois traites sur
Anvers, Augsbourg et Gênes de cinquante mille ducats chacune1. « Toutes
les nouvelles reçues montrent que le roi de France a l'intention d'attaquer du
même coup la Navarre et les Pays-Bas. » Pour la défense de la Navarre,
Charles Quint attend six mille mercenaires d'Allemagne; pour le reste,
Marie utilisera l'argent « suivant les besoins de la situation générale ».
L'empereur ajoute  : «Quand j'ai quitté les Pays-Bas en 1540, je vous ai
indiqué mon intention de reconquérir la Gueldre dans les deux ans et de
mater le duc de Clèves. Mais, auparavant, il me fallait mettre de l'ordre dans
mes royaumes d'Espagne et me procurer l'argent nécessaire. Voici mes plans
renversés ! Je vais employer à me défendre ce que je pensais mettre de côté
pour plus tard. »
Pour le moment, il est retenu en Espagne : « Ici, au Conseil d'Etat, vous
pouvez bien le penser, ils n'ont jamais cru que je doive quitter ces
royaumes : bien plutôt, ils m'en empêcheraient ! » Mais il rêve de conduire
l'hiver prochain une offensive aux Pays-Bas, profitant des « eaux gelées », «
quelque chose de foudroyant2 ».
Ce qui frappe, c'est la liberté de pensée et d'écriture, la réflexion solitaire
et le souci du détail. L'étude entreprise par Brandi des archives de Simancas
et de Vienne permet de suivre l'évolution de la pensée de l'empereur.
Charles Quint ne cesse de travailler, d'annoter des dépêches, de recevoir des
ministres et des conseillers, d'envoyer des ambassadeurs dans toutes les
capitales européennes. Ce qu'il y a de plus grand en lui, c'est sans doute « ce
sentiment de la fonction qui oblige 3 ».
En Italie, Granvelle négocie avec le pape; aux Pays-Bas, Marie avec
Henri VIII. Ce dernier demande que l'empereur lui reconnaisse le titre de «
défenseur de la foi et chef de l'Eglise d'Angleterre ». A l'archevêque de
Westminster, arrivé à Valladolid, Charles répond qu'il ne peut donner ce qui
ne lui appartient pas. Henri VIII est libre de s'attribuer les titres qu'il veut :
ce n'est pas son affaire  ! Le roi promet son soutien contre François Ier,
l'empereur le sien contre le pape. Sur ces bases, un traité d'assistance
mutuelle est conclu en février 1543  : il est le bienvenu, car la tempête se
lève. «Depuis les jours de notre grand-père l'empereur Maximilien, les
Pays-Bas n'ont pas connu un tel danger », écrit de Bruxelles Marie le 30
juin 1542.
François Ier assure qu'il n'a pas « la moindre intention de faire la guerre 4
». Il avance masqué, reprend les pourparlers sur l'éventuel mariage de sa
fille Margueriteavec l'empereur, « comme si Charles Quint n'avait pas déjà
résolument dit non5 ».
En juin, avant de gagner Monzôn pour la réunion des Cortes d'Aragon,
Charles Quint renforce les défenses de la Navarre6. En juillet, il comprend
que François Ier a décidé la guerre  : le duc de Vendôme s'avance en
direction de l'Artois; le duc d'Orléans menace le Luxembourg; le maréchal
de Gueldre, Martin van Rossem, marche sur Anvers. L'objectif des Français
est clair : par la jonction des troupes de Vendôme et de Rossem, couper les
Pays-Bas en deux.
Marie n'a ni les crédits ni les troupes ni les chefs dont elle a besoin. Qui
désigner comme capitaine général  ? Rœulx, Arschot? Orange, trop jeune,
manque d'expérience. L'empereur choisit le duc d'Arschot, qui parvient à
dégager Anvers.
En Allemagne, Granvelle s'efforce de recruter des mercenaires et de
renforcer les liens avec les protestants. En Espagne, la disette menace, les
récoltes sont insuffisantes et la Castille manque de blé. Charles demande à
Marie «l'envoi de grosses cargaisons de céréales 7 ». En Italie, le pape a
convoqué le concile, mais veut imposer une trêve qui gèlerait la situation et,
de fait, reconnaîtrait les conquêtes françaises. Charles Quint note dans ses
Mémoires qu'il congédia assez sèchement le légat venu lui « tenir un
langage peu sérieux 8 ».
Bref, dans tout l'Empire, le vent souffle fort! Les affaires d'Espagne
passent au second plan  : l'empereur confie, pour la deuxième fois, la
régence à son fils Philippe, qui a tout juste seize ans. Il le fiance à
Marie,infante de Portugal, qui a le même âge9. Il doit quitter l'Espagne, «
pays auquel il doit le plus clair de ses ressources », la base de sa puissance
dès lors que les Pays-Bas sont menacés10. A quarante-deux ans, une longue
expérience a forgé sa volonté : il sait qu'il risque tout. Sa force réside dans
sa faculté de dégager une ligne politique, de déterminer les points sur
lesquels il doit s'engager et de s'y tenir. De distinguer l'essentiel de
l'accessoire. Il décide de porter aux Pays-Bas la guerre contre François Ier.
Avant de quitter l'Espagne, il nomme un conseil restreint de trois
membres, Juan de Tavera, Alfonso de Valdés, Francisco de Los Cobos,
auquel il confie la charge du gouvernement. Il désigne le duc d'Albe comme
chef des armées, Juan de Zúñiga comme gouverneur de son fils, répartit les
rôles entre les uns et les autres. Dans des instructions qu'il signe à Palamôs,
le 4 mai 1543, il précise la conduite à tenir : se fondant sur son expérience
personnelle du pouvoir, il détermine des orientations générales, laisse au
nouveau gouvernement une grande liberté dans l'exécution. Une fois
encore, il fait confiance aux hommes qu'il a choisis11.
Il quitte l'Espagne : il n'y reviendra plus comme souverain. A Gênes, une
armée de cinq cents cavaliers et de sept mille fantassins l'attend aux ordres
de Ferrante Gonzaga; d'autres troupes le rejoindront en Allemagne.
Pour la quatrième fois, l'empereur rencontre le pape  : il compte ses
entrevues comme ses attaques de goutte 12  ! Granvelle a eu du mal à
organiser une rencontre que le pape ne désirait pas  : aucun lieu ne
luiconvenait et son emploi du temps était trop chargé ! Parme a été écartée
et, finalement, Bussetto retenue. La date : le 21 juin 1543.
Charles Quint souhaite une condamnation de l'alliance de François Ier
avec les Turcs. Quelle alliance  ? Le pape n'est pas au courant  ! La flotte
turque croise en Méditerranée; bientôt, elle prendra Nice, fera escale à
Toulon. Le pape n'est pas informé  ! De fait, Paul III ne veut rien
entreprendre contre la France  : ce qu'il souhaite, le vieux Farnèse, c'est
l'expansion de sa maison, le Milanais pour son petit-fils Octave, qui a
épousé Marguerite, la fille naturelle de l'empereur. Rien d'autre ne
l'intéresse  ! Le portrait que peint Titien le montre entouré de ses enfants,
Alexandre, le cardinal, et Octave, le duc. Avec cette opiniâtreté qui est la
marque de son caractère : il veut établir son petit-fils à Milan, il est prêt à
payer pour cela. Charles, qui a besoin d'argent, avance le prix de deux
millions de ducats. C'est beaucoup  ! Les pourparlers n'aboutissent pas.
Marguerite, bien qu'elle soit l'épouse d'Octave, défend les intérêts des
Habsbourg contre la collusion des Français et des Turcs. En vain.
De sa rencontre avec Paul III, Charles Quint tire « peu de fruit13 ». Il
subit sa dixième attaque de goutte et doit s'aliter. Les nouvelles
d'Allemagne, que Granvelle lui transmet, ne sont pas bonnes. Les deux
diètes tenues à Nuremberg à l'automne 1542 et au printemps 1543 ont été
un échec : Ferdinand n'a pas obtenu l'aide qu'il escomptait contre les Turcs.
Pour prix de leur intervention, les protestants ont demandé la
reconnaissance de leur liberté confessionnelle; les catholiques n'ont pas
accepté.
Cependant, Granvelle a décidé les princes protestants à rejoindre l'armée
impériale. Les meilleurs d'entre eux, les plus jeunes, vont se battre aux côtés
deCharles Quint : Albert Alcibiade de Brandebourg-Kulmbach, vingt et un
ans; Maurice de Saxe, le gendre de Philippe de Hesse, vingt-deux ans; Hans
de Kustrin, vingt-neuf ans.
Le 17 août 1543, Charles Quint entre à Bonn. Il est décidé à conduire
rapidement les opérations contre le jeune duc de Clèves, qui a attaqué les
Pays-Bas et rejoint le parti de la Réforme : deux raisons pour le battre et le
soumettre. Mais Charles manque d'argent. Il demande des subsides au roi de
Portugal, dont la fille doit épouser son fils Philippe  : la dot pourrait être
immédiatement versée, du moins en partie. Un bon de cent cinquante mille
ducats sur Anvers serait le bienvenu  ! De son nouvel allié, le roi
d'Angleterre, Charles attend la même contribution.
Sa santé n'est pas meilleure; depuis Bussetto, la goutte ne l'a pas lâché. Il
souffre énormément et ne tient que par un effort de volonté. Seul, contre le
pape, contre le Conseil de Castille, il impose sa guerre. « Sans crainte, il va
au-devant d'un sort incertain 14 », note Brandi.
Il force le succès, fonce sur Duren. La ville passe pour inexpugnable; elle
tombe, elle est rasée. Charles poursuit son chemin  : Juliers n'ose résister,
Ruremonde se rend. A Venloo, le 4 septembre, Guillaume de Clèves se
soumet  : à genoux, il confesse sa faute, demande son pardon. Abandonné
par ses alliés, il renonce à la Gueldre, revient dans le giron de l'Eglise. En
dix jours, Charles Quint a gagné la campagne de Clèves.
Une autre campagne, autrement plus difficile, l'attend contre François Ier.
L'armée française a pris Luxembourg et tient Landrecies. Charles Quint
marche à sa rencontre. Il se confesse, communie, offre la bataille au roi de
France, qui se dérobe. Plus entreprenant, il aurait pu forcer la victoire et «
atteindre lebut de ses désirs ». Dans ses Mémoires, il explique les difficultés
auxquelles il s'est heurté : il n'a pu franchir un bois qui le séparait du roi, « à
cause du désordre de ses arquebusiers 15 ».
François Ier recule et Charles Quint prend Cambrai. A son avènement, les
Pays-Bas n'étaient qu'« un assemblage de terres mal reliées entre elles».
Désormais, avec l'apport de la Gueldre au nord et de Cambrai au sud, ils
forment un territoire unifié. En quelques mois, Charles Quint a retourné la
situation à son profit, mais il n'a pas gagné la guerre, n'a pas battu François
Ier. Cependant, toujours malade, il s'accorde quelques jours de repos à
Bruxelles.
En janvier 1544, il repart en campagne  : « pour la sixième fois », il
entreprend « le voyage du Rhin » et gagne Spire, où se tient la diète16. Pour
vaincre le roi de France, il doit rassembler autour de lui catholiques et
protestants. Il déploie ses talents de persuasion, rencontre les princes un à
un, les amène à ses vues. Pour se les attacher, il adopte une attitude
d'hostilité à l'égard de Rome. Paul III ne l'a jamais soutenu; il l'abandonne.
Est-ce le moyen de tromper les protestants  ? Son agressivité manifeste-t-
elle ses sentiments véritables ? Brandi s'interroge17. Charles Quint est trop
attaché à la tradition pour rompre avec Rome : il s'oppose et courtise tout à
la fois. « Peu de soupirants, note Tyler, ont autant souffert que lui18... »
Paul III a envoyé à Spire son petit-fils, le cardinal Farnèse,
qu'accompagne le nonce Sfondrato, père du futur pape Grégoire XIV. Dans
sa jeunesse, avant d'entrer dans les ordres, Francesco Sfondrato a travaillé
pour l'empereur  : il a été gouverneur de Sienne. Charles Quint le lui
rappelle  : «Autrefois, vous m'avez bien servi.Votre costume vous a-t-il
changé ? » L'offense est volontaire. Il n'accepte pas que le pape traite sur le
même pied l'empereur et le roi de France. Sur le même pied! Charles
s'emporte : la France est l'alliée des Turcs !
Confus, le cardinal affirme ses bonnes intentions : il est venu proposer la
paix. Charles Quint l'interrompt, lui fait remarquer tout ce que les Farnèse
lui doivent :
« Monseigneur, vous avez reçu de nous l'archevêché de Montréal; votre
père, Novare; Octave, notre fille, avec vingt mille ducats de revenus ! J'ai
sacrifié à Sa Sainteté deux amis, Urbino et Colonna, et je vois aujourd'hui le
représentant du Christ s'allier au roi de France, pour mieux dire au Turc !
Qu'il veille à ne pas subir le traitement de Clément VII 19 ! »
Clément VII, prisonnier à Rome de l'empereur ! Si le pape est incapable
de réformer l'Eglise, Charles Quint conduira, lui-même, les réformes qui
s'imposent  ! Dans un long mémoire qu'il rédige de sa main, il précise ses
intentions  : le texte est si abrupt que Paul III n'ose le lire aux cardinaux.
Mais, déjà, des copies circulent en Allemagne. Et Luther écrit à Amsdorf :
«Le dernier événement, c'est l'alliance du pape, des Français et des Turcs
contre l'empereur20. »
Une campagne se développe, qui mêle dans le même opprobre le pape et
François Ier. Organisée par l'administration impériale, elle constitue un
élément essentiel du plan de guerre de Charles Quint. Le roi a violé les
traités de paix, envahi la Savoie. On ne peut lui faire confiance : il a arrêté
l'évêque de Liège, puis l'a libéré en échange de cadeaux à sa maîtresse, la
duchesse d'Etampes ! Pour Milan, il donnerait toute l'Allemagne !
Les ambassadeurs français n'ont pas reçu l'autorisation d'assister à la
diète; ils doivent se contenter,pour expliquer la position de leur roi, de
messages écrits, qu'ils transmettent aux princes allemands. Ils rappellent
que l'empereur Frédéric II a jadis passé alliance avec les Infidèles  : c'est
trop ! Ils ajoutent qu'il ne faut pas, dans l'intérêt de la paix, «irriter les Turcs
» !
En 1544, comme en 1532, l'Allemagne va se souder autour de son
empereur. Mais de façon progressive : les princes sont prudents et attendent
pour se prononcer que se dégage une position générale. Charles Quint se
garde de les presser. D'expérience, il sait qu'une diète ne se bouscule pas.
Sa demande de secours contre les Turcs recueille l'unanimité. Les
protestants lient la paix, qu'ils approuvent, au droit, qu'ils revendiquent, de
pratiquer leur religion. Les catholiques ne veulent pas accepter la moindre
concession. L'empereur attend des uns et des autres des crédits et des
soldats  ! Pour les obtenir, il promet une réforme de l'Eglise, évoque la
«parité des deux religions »... Il n'est jamais allé aussi loin.
La Curie s'indigne et publie un « bref de blâme », qui a la vertu de
rapprocher encore plus les protestants de l'empereur. Luther prend la
défense de Charles Quint et menace le pape de sa « cognée » !
L'empereur est libre de sa manœuvre. Il gagne Metz pour préparer son
offensive. Comme il le fait avant chaque campagne, il rédige un nouveau
testament : s'il est tué au combat, son fils Philippe et, le cas échéant, sa fille
Marie seront appelés à lui succéder. Marie épousera le fils aîné de son frère
Ferdinand. Plus il avance en âge, plus il épure sa conception de l'Empire,
qui se réduit à l'organisation de sa succession.
Voici venu le temps de l'affrontement décisif avec François Ier. Charles
Quint passe ses troupes en revue : quarante mille hommes issus de tous les
pays de l'Empire. A la tête de l'armée la plus puissante qu'empereur
d'Allemagne ait jamais réunie, il se dirige vers la Marne, occupe
Commercy, prend Toul et Pagny. Vitryest enlevée par Maurice de Saxe. La
garnison de Saint-Dizier se rend le 17 août : Charles Quint est maître de la
Marne. Aucune force ne semble en mesure de l'arrêter  : il pousse son
avantage en direction de Paris. Le 3 septembre, il est à Epernay; sa
cavalerie s'avance jusqu'à Meaux. François Ier engage des pourparlers de
paix.
Sous la pression de l'ennemi ! Chaque jour, les Impériaux se rapprochent
de Paris. Henri VIII a débarqué en France, ouvert un autre front, pris
Boulogne. Il faut faire vite. Charles Quint, lui aussi, est pressé  : il n'aura
plus en octobre les moyens de payer ses soldats et il ne peut ravitailler ses
troupes, « si loin à l'intérieur de la France 21 ».
Une trêve est devenue nécessaire. Une trêve ou la paix ? Dans son désir
de se procurer une souveraineté à l'étranger, le duc d'Orléans va faciliter la
tâche de l'empereur. Il ne veut pas, à perpétuité, le second rang ! Rêvant de
Milan ou de Bruxelles, il devient l'objet de la politique matrimoniale des
Habsbourg. Il propose d'épouser Marie  : il envoie son premier
gentilhomme, Villers, le dire à Granvelle. S'il a le choix, il veut Milan, mais
Bruxelles ferait aussi son affaire  : il laisse l'empereur libre du choix.
Granvelle répond que Charles Quint doit, avant de prendre une décision,
consulter son fils et son frère.
L'empereur comprend que le projet de paix doit « contenter à la fois le
roi, le dauphin et Orléans 22 ». Le roi a besoin de la paix et le duc d'Orléans
en récoltera les fruits. Quant au dauphin, il faut le ménager, pour l'immédiat
et pour l'avenir. Il protestera d'ailleurs contre les termes de l'accord. Mais
trop tard.
La paix est conclue en deux textes. Un premier document reprend les
traités de Madrid et de Cambrai,règle tous les désaccords existant en
Europe et même en Amérique : il met fin ainsi aux litiges sur la possession
de la Louisiane. Il porte la mention  : «Fait à l'abbaye Saint-Nicolas-des-
Vignes de Soissons, mais signé à Crépy le 18 septembre23.» Le lendemain,
le traité est complété par un pacte secret, selon lequel François Ier s'engage à
aider l'empereur dans sa lutte contre les protestants et à appuyer ses
démarches pour la réforme de l'Eglise.
En juin, Charles Quint a confié à sa sœur Marie que ses moyens
financiers ne lui permettaient pas de tenir « au-delà du 25 septembre ». Une
semaine avant le terme, il touche au but  ! Il a gagné sa guerre dans les
conditions qu'il a fixées avant de quitter l'Espagne. Il a mené à bien le plan
qu'il a élaboré au début de 1543. Il doit son succès à lui-même : il a été «
son propre champion24 ».
Marie l'attend à Cambrai  : tous deux gagnent Bruxelles, où leur sœur
Eléonore, l'épouse de François Ier, doit les rejoindre. Le 23 octobre, la reine
de France fait son entrée dans sa ville natale, accompagnée du duc
d'Orléans, que l'empereur traite déjà comme son fils – ou son neveu.
Charles a quarante-cinq ans : « c'est la sixième fois qu'il revoit ses Etats
de Flandre », c'est aussi sa douzième attaque de goutte25. Il est vainqueur,
mais malade comme jamais il ne l'a été. Il s'interroge : pourra-t-il longtemps
exercer le pouvoir? Il n'a pas rétabli l'unité confessionnelle de l'Allemagne.
Or, cette mission, il l'a reçue de Dieu et doit l'accomplir.
1
Ibid., p. 472.
2
Ibid., p. 474.
3 Jean Babelon, Charles Quint, p. 50.
4 Charles Quint, Commentaires, p. 64
5 Karl Brandi, Charles Quint, p. 474.
6 Vicente de Cadenas y Vicent, Diario del emperador Carlos V, p. 291.
7 Karl Brandi, Charles Quint, p. 481.
8 Charles Quint, Commentaires, p. 66.
9 Vicente de Cadenas y Vicent, Diario del emperador Carlos V, p. 294.
10 Karl Brandi, Charles Quint, p. 484.
11
Ibid., p. 486-495.
12 Charles Quint, Commentaires, p. 69
13
Ibid.
14 Karl Brandi, Charles Quint, p. 506.
15 Charles Quint, Commentaires, p. 77.
16
Ibid., p. 79.
17 Karl Brandi, Charles Quint, p. 509.
18 Royall Tyler, L'empereur Charles Quint, p. 301.
19 Karl Brandi, Charles Quint, p. 511
20
Ibid., p. 512.
21 Charles Quint, Commentaires, p. 92.
22 Karl Brandi, Charles Quint, p. 523.
23 Le traité est conservé à Goettingue dans la collection Viglius van Zwichem (ibid., p. 525).
24
Ibid.
25 Charles Quint, Commentaires, p. 94-95.
CHAPITRE XIII

La guerre contre les protestants d'Allemagne

Charles Quint est attaché à l'idée de l'universel. Il s'oppose à l'émergence


de souverainetés particulières dans l'Etat et dans l'Eglise. Mais, si l'idée
catholique et « la clef de sa dogmatique et de sa morale », elle ne résume
pas à elle seule sa pensée1. Personnalité complexe, il défend, aux côtés de
Luther, les droits de l'Empire et de la laïcité contre Rome. Charles Quint
poursuit ainsi des objectifs contradictoires, mais qui tous s'inscrivent dans
les mouvements de pensée du XVIe siècle.
Quand il choisit de traiter une question, il écarte de son esprit toute autre
préoccupation  : il est l'homme d'un seul problème à la fois. A peine a-t-il
réglé une situation dans un pays, des difficultés nouvelles surgissent dans
un autre  : il prend alors le temps de la réflexion. Obstiné, laborieux, il ne
s'avoue jamais vaincu. Il trouve en lui des ressources d'énergie qui
paraissent inépuisables.
La paix avec la France représente la base de l'ordrequ'il veut imposer à
l'Allemagne. Elle suppose un choix qu'il a sans cesse reporté : donner Milan
au duc d'Orléans ou lui promettre les Pays-Bas. Le Milanais est stratégique :
c'est la liaison obligée entre l'Espagne et l'Autriche et Gattinara lui a appris
que le sort de l'Empire se jouait en Italie. Mais les Pays-Bas sont la terre de
son enfance, le fondement de sa puissance. Charles est un souverain
flamand; ses racines sont à Gand, Malines et Bruxelles. Il décide de se
séparer de Milan : le duc d'Orléans épousera Anne d'Autriche.
Ayant ainsi assuré la paix à l'extérieur – du moins le pense-t-il – Charles
Quint peut se consacrer à l'édification d'un nouvel ordre en Allemagne. La
diète, qu'il a promise à Spire aux protestants, s'ouvre à Worms le 15
décembre 1544. Mais il est malade, à Gand, incapable de se déplacer. Il
écrit à sa sœur Marie qu'il aspire à « une trêve avec la goutte », plus encore
qu'avec les protestants !
Pour le représenter à Worms, il désigne les deux Granvelle, le père et le
fils – qu'il a fait évêque d'Arras – ainsi que Jean de Naves, qui a succédé à
Matthias Held comme vice-chancelier d'Empire. Le roi Ferdinand, qui
préside les séances de la diète, est mis en difficulté : il ne peut faire face aux
oppositions qui se manifestent de toute part et appelle son frère à l'aide.
Charles est obligé de gagner l'Allemagne. Il s'y rend, lentement, au pas
des chevaux de sa litière; une fois encore, il remonte le Rhin. A Worms, il a
rendez-vous avec son destin : dans la ville où il a rejeté Luther, il va décider
d'engager la guerre contre les protestants. A Worms, se joue ainsi en mai
1545 un nouvel acte du drame commencé en avril 1521.
Charles est affaibli par la maladie  : l'ambassadeur vénitien Bernardo
Navagero rend compte qu'il ne peut marcher, ni même parler. Le climat
n'est pas à l'apaisement  : les princes protestants refusent de participer aux
travaux de la diète et, sous la pression des catholiques,l'empereur interdit
aux pasteurs luthériens de prêcher dans les églises. L'incident éclate : alors
qu'un prêtre catholique s'apprête à célébrer la messe, un pasteur protestant,
dans la même église, monte en chaire  ! Le prêtre doit se réfugier dans le
chœur avec quelques fidèles. Il connaît le confesseur de l'empereur et lui
rapporte la scène : Charles Quint refuse d'intervenir2.
Il reçoit le cardinal Farnèse dès son arrivée à Worms. Ses rapports avec
Paul III ne se sont pas améliorés : l'empereur considère le pape comme un
pontife jaloux de sa grandeur, peu soucieux du sort de l'Eglise, mal disposé
envers lui. Sous couvert d'évoquer une aide contre les Turcs, le cardinal
aborde le sujet essentiel  : la guerre contre les protestants qui, seule,
intéresse le pape.
Charles répond que son désir est « d'annuler les vieux comptes et de
commencer un nouveau livre3 ». Un nouveau livre  ? Ce sera le dernier
combat de sa vie.
Quand s'est-il imposé dans son esprit? Il a pensé l'engager après l'échec
du colloque de Ratisbonne en 1541. Cependant, son testament de 1543 le
montre hésitant. Dans ses Mémoires, il explique que le succès de
l'expédition de Clèves l'a déterminé. Maintenant, il veut agir et vite  : en
quelques jours, un accord est trouvé avec le cardinal Farnèse.
Celui-ci part rendre compte au pape, sans même prendre congé de
l'empereur. Le 27 mai, dans la nuit, il quitte Worms sous des vêtements
d'emprunt et gagne Rome à cheval. Le 17 juin, Paul III prend la décision de
soutenir l'empereur dans la guerre contre les protestants d'Allemagne. Il
offre de l'argent et des soldats : cent mille ducats, douze mille mercenaires,
cinq cents chevaux! Lui aussi veut faire vite. «Ne parlons plus de la réforme
de l'Eglise, mais réduisons les hérétiques  ! »Il n'est plus question de
concile : l'idée même d'une réforme de l'Eglise est écartée.
Charles se sent mal à l'aise  : il a déclenché un mouvement qu'il ne
maîtrise pas. Ferdinand et Marie lui recommandent la prudence : «Vous ne
pouvez vous fier ni au roi de France ni au pape. » Charles s'est décidé trop
vite : son caractère scrupuleux le conduit à hésiter, à reculer et, finalement,
à renoncer. Il envoie à Rome un émissaire auprès de sa fille Marguerite,
avec la mission de demander au pape le renvoi du projet. Telle n'est pas
l'intention de Paul III  ! Le pape rend public son accord avec l'empereur.
Bien que rien ne soit officiellement conclu, le mal est fait  : les princes
protestants perdent toute confiance. A Spire, l'empereur s'opposait au pape
et, à Worms, il passe un accord avec ce dernier ! A Spire, il a promis aux
protestants une négociation sur la question confessionnelle et montré
l'apparence de sentiments bienveillants. A Worms, il les a trahis !
Mais, comment l'empereur pourrait-il, en dehors du concile, traiter des
sujets qui, par définition, relèvent de la compétence d'une assemblée de
l'Eglise  ? Charles Quint compte sur l'inorganisation du protestantisme
allemand à ses débuts. Il approuve l'orientation de Luther qui tend à
réformer les abus de l'Eglise romaine. Mais il entend canaliser le courant de
la Réforme  : il en méconnaît la force, ne comprenant pas qu'il trouve sa
source dans la politique aussi bien que dans la religion. Il pense pouvoir
diviser encore, mettre les protestants dans leurs torts et éviter la guerre.
Trop sûr de lui sans doute, il ne perçoit pas la difficulté de la voie qu'il veut
imposer. Il rêve d'une diète qui, traitant des questions confessionnelles,
s'alignerait sur ses positions. Il demande aux protestants l'impossible  :
renoncer à la Réforme !
Quand il réalise l'impasse dans laquelle il s'est engagé, il est désespéré. Il
a échoué. Il envisage son abdication et songe à la mort.
En juillet 1545, sa belle-fille, l'épouse de Philippe, meurt en couches
après avoir donné le jour à un fils, Carlos, et, en septembre, le duc d'Orléans
disparaît à son tour. L'édifice si difficilement construit à Crépy s'écroule : «
la paix est entre les mains de Dieu », note Granvelle. De nouveau, François
Ier revendique la possession de Milan. Tout est à recommencer.
A Rome, les Farnèse veillent à leurs intérêts italiens, qui ont toujours eu
priorité à leurs yeux. Pierre-Louis Farnèse échange le duché de Camerino
contre Parme et Plaisance : Marguerite d'Autriche sera duchesse de Parme.
Le 27 août, elle met au monde des jumeaux, qui sont baptisés du nom de
leurs grands-pères, Alexandre et Charles. Le premier sera l'un des grands
hommes de guerre du XVIe siècle et deviendra régent des Pays-Bas4.
Que devient le concile dans cette tourmente  ? Si souvent promis et
reporté, va-t-il enfin être réuni ? Une première date est avancée : le 15 mars
1545, dimanche de Laetare. Une seconde est retenue  : le 13 décembre,
troisième dimanche de l'Avent. Mais le concile ne fait pas recette  ! Les
évêques allemands n'y paraissent pas, à l'exception de l'évêque suffragant
de Mayence, et les princes ne s'y font pas même représenter... Pour parler en
son nom, Charles Quint désigne son ambassadeur à Venise, Diego Hurtado
de Mendoza, fils du marquis de Mondéjar, frère du vice-roi du Mexique.
Mendoza est un personnage hors du commun : il a le sens de l'Etat et le vrai
désir d'une réforme de l'Eglise. C'est le bon choix, mais il ne peut jouer le
rôle que l'empereur attend de lui  : il tombe malade. Charles Quint le
remplace par Francesco Alvarez de Toledo, qui ne porte pas le même intérêt
aux problèmes de l'Eglise.
L'empereur doit-il engager la guerre contre les protestants  ? Il hésite,
redoute l'issue du conflit, donne des instructions contradictoires : un jour, il
fait lever des troupes et, le lendemain, poursuivre les négociations avec les
dirigeants de la ligue de Smalkalde. Pedro de Soto, son confesseur, partisan
de la guerre, l'exhorte à prendre les armes et invite les protestants à
rejoindre les rangs de l'Eglise  : « Ne combattez pas contre le Seigneur, le
Dieu de vos pères, ce serait en vain ! »
Luther vient de mourir. Est-ce l'occasion  ? Charles Quint mûrit sa
décision et choisit la guerre. Les circonstances lui paraissent favorables : la
France et l'Angleterre sont empêchées l'une par l'autre, les princes
protestants divisés. Gagnant Ratisbonne, il rencontre à Spire Philippe de
Hesse, qui adopte un ton arrogant et lui conseille d'étudier les Evangiles ! Il
est conforté dans sa résolution.
Lorsque s'ouvre la diète le 5 juin 1546, les princes protestants ne sont pas
présents. Ils ont envoyé à Ratisbonne des représentants, mais ils ont décidé
de ne pas participer aux travaux d'une diète qui, une fois encore, les mettrait
en accusation. Seul, Maurice de Saxe est venu – pour des raisons
territoriales : il convoite les terres de son cousin Jean-Frédéric.
Il a vingt-cinq ans et une ambition étincelante : il a succédé comme duc
de Saxe à son père en 1537, épousé Agnès, l'une des filles de Philippe de
Hesse, en 1541. Pour aller plus loin, il a besoin de Charles Quint. Granvelle
comprend que le jeune duc peut devenir le meilleur allié de l'empereur. Il
s'emploie à négocier un accord avec son conseiller le plus proche, Christoph
von Karlowitz. Ce dernier a été à Bâle l'élève d'Erasme; il a servi le cardinal
Albert de Brandebourg avant Maurice de Saxe. Il connaît bien la situation
politique de l'Allemagne : il incite le duc à jouer la carte de Charles Quint,
afin de devenir, à l'issue du conflit qui se prépare, le point de jonction
obligé des catholiques et des protestants. Maurice de Saxe,comme son
cousin, comme son beau-père, a rejoint le camp de la Réforme. Mais ses
choix religieux ne déterminent pas sa ligne politique : il va combattre, aux
côtés des catholiques, son cousin et son beau-père !
L'empereur le reçoit longuement et scelle avec lui l'accord négocié par
Granvelle et Karlowitz. Il utilise à son profit la rivalité des deux branches
de la maison de Saxe  : Maurice est le chef de la branche « albertine »  ;
Jean-Frédéric, celui de la branche « ernestine ». Charles Quint se sert du
premier contre le second! Quand la roue de l'Histoire tournera, Maurice de
Saxe le trahira...
L'empereur s'est installé à l'Auberge de la Croix d'Or, non loin de l'hôtel
de ville où siège la diète. Il chasse dans les forêts de Straubing, organise son
armée, prépare sa guerre. En repos avec lui-même, depuis qu'il a pris sa
décision5. D'ailleurs, sa santé est meilleure. Il savoure le printemps,
s'éprend d'une jeune fille de vingt ans, Barbara Blomberg, qui a la peau
claire, les cheveux blonds et les yeux noirs.
Barbara lui rappelle son épouse Isabelle. Tout au long de sa vie, Charles
n'a pas aimé un autre type de femme ! Fille d'un artisan, Barbara travaille à
la Croix d'Or comme femme de chambre; elle habite une maison voisine et,
chaque soir ou presque, elle rejoint Charles dans l'appartement qu'il occupe.
A quarante-six ans, l'empereur a encore le goût des femmes, il vit seul
depuis la mort d'Isabelle et Barbara lui plaît. Elle a du caractère et, sans
doute déjà, la pratique des hommes. Liaison toute simple en vérité  : les
historiens qui l'ont étudiée, recherchant les témoignages des contemporains,
n'ont pas découvert d'éléments bienoriginaux, qu'il s'agisse de Gachard au
XIXe siècle, de Paul Herre au début du XXe ou de Marita Panzer de nos
jours6. Le 24 février 1547, jour de l'anniversaire de l'empereur – qui se
trouve alors à Ulm, Barbara met au monde un fils, qui sera don Juan
d'Autriche7.
Jamais Charles ne la reverra. Mais, de loin, il veille sur elle, la marie à un
inspecteur de l'administration impériale, l'installe à Bruxelles, lui attribue
une pension8. Le duc d'Albe, qui est chargé de la suivre, lui conseille le
silence – qu'elle respecte quelque temps. Son mari meurt : à quarante ans,
elle change de vie, s'éprend d'aventuriers; elle a même une liaison avec une
femme  ! Don Juan intervient  : c'est la seule rencontre que l'Histoire
mentionne entre la mère et le fils. Barbara accepte de partir pour l'Espagne.
Elle y mène une vie nomade, avant de se retirer dans un couvent à
Montehano, sur la côte cantabrique, où elle meurt en décembre 15979. Sa
rencontre avec Charles Quint ne lui a pas apporté le bonheur.
Cependant, la diète de Ratisbonne affirme la division de l'Allemagne  :
catholiques et protestants s'efforcent de rejeter sur l'autre camp la
responsabilité d'un conflit que tous préparent. Le 9 juin, Charles Quint écrit
à Marie : « Les efforts que j'ai déployés ont échoué. Les princes dissidents
ont résolu de ne pasparaître à la diète ; bien plus, de se soulever après celle-
ci. Si j'attends, tout sera perdu10. »
Il n'attendra pas ! « Soyez assurée que je n'entreprends rien à la légère. »
Mais il n'a ni argent ni troupes ! Il demande à Marie de lever une armée et
de réunir des crédits. Il assure ses arrières par des mariages politiques : ses
deux nièces, Anne et Marie, épousent l'une le duc de Bavière, l'autre le duc
de Clèves.
Dans le même mois, en juillet 1546, à Ichterhausen, près d'Erfurt, le
prince de Saxe et le landgrave de Hesse scellent leur alliance contre
l'empereur. Une guerre entre Allemands s'engage pour des motifs d'ordre
confessionnel  : première guerre de religion du XVIe siècle. D'un côté,
l'empereur; de l'autre, les princes favorables à la Réforme  : le premier
combat pour maintenir l'unité de l'Empire, les seconds pour défendre leur
droit à la diversité – politique et religieuse – et affirmer leur identité
nationale.
Rapidement, la campagne militaire prend l'allure d'une partie d'échecs.
Personne ne se décide à attaquer, chaque camp s'efforce d'exploiter les
erreurs de l'adversaire. Charles veut marcher contre la Saxe et la Hesse,
porter la guerre sur les terres de l'ennemi. Mais il doit attendre l'arrivée de
renforts. Pour éviter d'être coupé de ses arrières, il se replie sur Landshut,
opère sa jonction avec les troupes du pape le 14 août et, à Ingolstadt, le 31
août, avec celles du comte de Buren venu des Pays-Bas.
Se surveillant l'une l'autre, les deux armées remontent le cours du
Danube. Conduisant ses troupes, Charles Quint se révèle un remarquable
entraîneur d'hommes. Il s'adresse en allemand aux Allemands, en espagnol
aux Espagnols, en flamand aux Flamands  : il irradie de force et de
confiance en lui, malgré ses souffrances. A cheval, il ne peut prendre appui
sur sesétriers; ses jambes sont enveloppées dans des sacs de toile.
«L'empereur est un honnête homme, chantent les lansquenets. Au combat, il
est toujours au premier rang, à pied ou à cheval ! » Charles Quint harcèle
l'ennemi, prend l'offensive quand il détient la maîtrise du terrain, à
Dillingen, Giengen, Lauingen.
Puis l'hiver arrive, l'argent manque, la peste se déclare. La neige succède
au froid : «une neige épaisse», note l'empereur dans ses Mémoires11. Malgré
la neige qui ralentit la progression de l'armée, Charles Quint poursuit sa
guerre, soutenant le moral de ses lansquenets. Il gagne ainsi la campagne du
Danube de 1546.
Le comte palatin de Bavière, qui fut dans sa jeunesse l'un des régents de
Charles, vient se soumettre, le duc de Wurtemberg demander pardon, l'un et
l'autre à genoux. Charles Quint va-t-il réunir le Wurtemberg à ses
possessions héréditaires d'Autriche  ? Il hésite, se retient  : ce n'est pas
l'ambition territoriale qui le conduit, mais la volonté de rétablir l'unité de
l'Empire. Le combat décisif l'attend plus au nord contre la Hesse et la Saxe.
Il écrit à son frère et à sa sœur  : avec ce besoin de s'expliquer qui le
marque. Ses lettres deviennent des monologues : il demande conseil, alors
qu'il a déjà décidé! Il caresse l'espoir d'une négociation avec les protestants,
s'installe à Ulm pour la mener. Poursuivant son monologue, il s'interroge :
cette négociation, doit-il l'entreprendre en approchant ses adversaires l'un
après l'autre, ou dans le cadre d'une diète qui les réunirait tous ?
Sans cesse, il réfléchit à la poursuite de l'action. Depuis l'été, il a changé
plus de quarante fois de quartier ; il a passé la plupart de ses nuits sous la
tente au milieu de ses soldats. D'Allemagne, il a nommé Juan de Vega vice-
roi de Sicile, confié le Milanais à Ferrante Gonzaga, s'est préoccupé de
Parme, de Plaisance, deSienne. Toujours avec le souci du détail  ! La
politique est l'art d'agencer les détails.
Charles Quint va son chemin à la rencontre de ses rêves d'unité. Il a
gagné la campagne du Danube, mais n'a pas vaincu : il lui reste à vaincre.
Au printemps 1547, il porte la guerre au nord, s'enfonce dans cette
Allemagne qu'il comprend mal, à la tête d'une armée de mercenaires
espagnols, italiens et flamands. Loin de ses bases, comme plus tard
Napoléon à la conquête de l'Europe.
Le prince de Saxe a pris l'offensive; entré en vainqueur à Weimar et Iéna,
il a mis le siège devant Leipzig. Les deux cousins s'opposent sur la Mulde :
Maurice tient Chemnitz et Jean-Frédéric Altenburg. Jean-Frédéric traverse
l'Elbe, pensant être en sécurité sur l'autre rive. Les deux armées remontent
le cours du fleuve. La bataille décisive s'engage à hauteur de Mühlberg le
dimanche 24 avril 1547.
En juillet 1999, sur les pas de Charles Quint, de Ratisbonne, j'ai gagné la
vallée de l'Elbe; par Plauen et Chemnitz, j'ai rejoint Meissen, suivi la rive
gauche du fleuve. Pas de pont entre Riesa et Torgau : Mühlberg, sur la rive
droite, paraît inaccessible. Aucun relief  : le ciel et la terre se confondent.
Des îles de sable, des arbustes et, au-delà, la lande, plate et grise, de
Brandebourg. Impression de bout du monde12.
De la bataille de Mühlberg, deux récits nous sont parvenus : l'un par un
domestique du duc d'Albe, Hans Baumann, dans une lettre au Conseil de sa
ville de Rothenburg, l'autre par un conseiller de Jean-Frédéric de Saxe,
Hans von Ponickau13.
Le 24 avril, le prince de Saxe et le landgrave de Hesse ne croient pas que
l'armée impériale soit proche. Ils attendent des renforts et projettent de
regrouper leur force à Wittenberg. Jean-Frédéric n'est pas un grand
stratège : meilleur administrateur que chef de guerre. Il ordonne le repli en
direction de Wittenberg, maintient son artillerie à Mühlberg, où il a passé la
nuit, conserve auprès de lui quelques éléments de cavalerie en arrière-garde.
Dans la nuit, des cavaliers espagnols se sont approchés de l'Elbe et ont
aperçu l'armée saxonne sur l'autre rive du fleuve. Avant le lever du jour, le
combat s'engage. L'empereur s'avance « dès que paraît l'aurore » : c'est ainsi
qu'il décrit lui-même, dans ses Mémoires, le début de la bataille14. Dans le
brouillard, des fantassins espagnols se jettent à l'eau, torse nu, l'épée dans la
bouche et s'emparent des pontons, arrimés devant Mühlberg, sur lesquels se
trouvent les canons de Jean-Frédéric. Comme dans toutes les grandes
batailles de l'Histoire, la réalité et la légende se mêlent. « Un jeune
campagnard sur une ânesse », toujours selon Charles Quint, indique la
présence d'un gué, non loin des pontons, qui va permettre la traversée du
fleuve15. A midi, Mühlberg est prise.
Le prince de Saxe veut fuir, gagner les forêts voisines. Avant la nuit, il est
rejoint, blessé, fait prisonnier. C'est un Saxon, Thilo von Trotha, qui
s'empare de lui et le remet au duc d'Albe. Dans la nuit qui tombe, il est
conduit devant l'empereur; il s'incline, mais Charles Quint ne répond pas à
son salut.
Il tient enfin sa victoire, que Titien est chargé de célébrer : le portrait de
l'empereur, conservé à Madrid, a «la puissance d'une apparition 16 ».
Charles Quint débouche de l'orée d'un bois dont les feuillagessombres se
mêlent à un ciel tourmenté. Il monte un cheval bai châtain, porte sur son
armure l'écharpe de commandement, de couleur cramoisie comme le
panache de son casque et le parement de son cheval. Tonalités sombres d'un
vainqueur taciturne  : le portrait de Titien évoque la gravure de Dürer, Le
chevalier, la mort et le diable17.
Wittenberg, la ville de Luther, résiste. Pour impressionner l'ennemi,
Charles improvise une cour de justice qui condamne à mort le prince de
Saxe  : des pourparlers s'engagent et Wittenberg capitule. Le landgrave de
Hesse se soumet à Halle le 18 juin : il met genou en terre et l'empereur le
regarde fixement. Il esquisse un sourire et Charles le menace du doigt : « Je
t'apprendrai à rire ! » Il ne le relève pas, ne lui tend pas la main18.
Il est à nouveau malade : il souffre d'une jaunisse19. Accompagné de ses
prisonniers, il se traîne vers Augsbourg, où il a convoqué la diète. La ville a
choisi le parti de la Réforme, pris les armes contre lui. Elle s'est rendue et
son conseil municipal l'attend à genoux, comme les princes rebelles : le 24
juillet 1557, Charles Quint paraît en vainqueur à la tête d'une armée dans
laquelle figurent toutes les nations de l'Empire; à ses côtés, les
ambassadeurs des rois de Tunis et de Moscou.
 

Anton Fugger l'accueille dans son palais  : il n'a guère le choix. Charles
Quint lui a écrit de Nuremberg  : « Noble et fidèle ami, nous avons
l'intention de loger chez toi. Nous souhaitons que tu aménages nos
appartements de ton mieux et que tu ne sois pas troublé par la peine que tu
prendras20. »
Charles réside un an dans le palais Fugger, y réunit son Conseil, y tient la
diète. Quand il tombe malade,Anton Fugger lui recommande des décoctions
du «bois des Indes», dont il assure la commercialisation... Une fois encore,
il va payer  : les dettes de l'empereur s'accumulent et les soldes des
lansquenets ne sont pas réglées. Mais Anton Fugger a lié son sort à celui de
Charles Quint. Succédant à son oncle Jacob le Riche, mort sans enfant en
1525, il a construit la première institution financière d'Europe. Il accueillera
de nouveau l'empereur chez lui en 1550 et le suivra à Innsbruck : Charles
Quint est son fonds de commerce21.
Charles aime Augsbourg, Ratisbonne, les villes proches de l'Autriche et
de l'Italie : instinctivement, c'est vers elles qu'il se dirige pour prendre ses
décisions. Augsbourg est la ville d'Allemagne où il a passé le plus de
temps  : deux ans et neuf mois, presque autant que son grand-père
Maximilien22. C'est aussi celle qu'il a préférée, ville de la Renaissance, de
l'ouverture sur le monde et du luxe du palais Fugger. Après un an de
campagne, de nuits sous la tente ou dans des logis de fortune, il peut goûter
le repos. Son orchestre et son chœur l'ont rejoint : chaque jour, il écoute de
la musique. Titien aussi est du voyage  : l'empereur reprend avec lui les
discussions engagées à Bologne, quinze ans auparavant, sur l'évolution de
l'art. A Luis de Ávila, Charles Quint relate ses campagnes; à Guillaume Van
Male, il dicte ses Mémoires. Contrairement à son grand-père Maximilien, il
n'est pas un bâtisseur : il ne croit pas à la pierre, trop engagé dans l'action. Il
croit davantage à l'écriture ou à la peinture pour témoigner de son rôle dans
l'Histoire.
Le 24 février 1548, jour de son anniversaire, Maurice de Saxe vient
s'agenouiller devant lui  : CharlesQuint lui confère la dignité d'électeur de
Saxe. Il entend créer une confédération des Etats allemands dirigée par un
gouvernement qui soit en mesure d'appliquer ses décisions.
Il porte une attention particulière à la situation des Pays-Bas : les dix-sept
provinces et la Franche-Comté sont érigées le 26 juin 1548 en Cercle de
Bourgogne. Elles seront partie intégrante de l'Empire, mais ne seront pas
soumises à l'administration et aux juridictions impériales. Dans les diètes
d'Empire, le souverain des Pays-Bas siégera « sur le même pied que
l'archiduc d'Autriche ». Pour les contributions demandées aux Etats de
l'Empire, le Cercle de Bourgogne versera « autant d'argent que deux autres
pays réunis » – et même que trois autres, s'il s'agit d'aller combattre les
Turcs23...
Après Mühlberg, Charles Quint estime que les circonstances – de
nouveau – le servent : Henri VIII est mort le 28 janvier, François Ier le 31
mars 1547. Quant au pape, il hésite toujours, «tiraillé par la peur en même
temps que par l'ambition 24 ». A Trente, le concile écoute les bruits du
monde et attend  : la réforme de l'Eglise dépend des rapports de forces en
Europe. Paul III souhaite déplacer la réunion du concile à Bologne. Mais
Trente est ville d'Empire et, selon les promesses faites aux princes
allemands, c'est à Trente que le concile doit siéger  : Charles s'oppose au
transfert. Le pape passe outre.
Le 15 mai 1548, Charles Quint définit « la conduite à tenir dans le Saint
Empire en matière confessionnelle »  : il reprend, la guerre gagnée, sa
politique traditionnelle de recherche d'un compromis. Un accord entre
catholiques et protestants est-il encore possible  ? Le régime intérimaire –
l'Intérim d'Augsbourg –tend à trouver entre les uns et les autres les moyens
d'une coexistence pacifique : le service divin pourra être célébré, sur tout le
territoire allemand, selon l'ancien ou le nouveau rite. Mais l'Intérim
intervient trop tard pour contenir le mouvement historique de la Réforme et
permettre à Charles Quint de réaliser son rêve d'unité.
L'empereur le sait, quand il prend la plume le 16 janvier 1548 pour
rédiger un nouveau testament politique, qu'il destine à son fils Philippe : «
Ma faiblesse et les périls à peine surmontés m'ont fait juger bon de vous
donner les conseils nécessaires en vue de ma mort. »
 

La mort sans cesse présente dans sa vie  : il la sent approcher et veut


réaffirmer les principes qui fondent sa politique. Il arrête définitivement le
mariage de sa fille aînée Marie avec Maximilien, le fils aîné de son frère. A
Philippe, son successeur pour l'Espagne, les Pays-Bas et les Indes, il
recommande de s'appuyer sur son frère Ferdinand, qui est appelé à devenir
après lui empereur d'Allemagne. Il définit une organisation politique de
l'Europe que fonde tout entière l'union des Habsbourg.
« Considérant l'incertitude des choses humaines, je ne saurais vous
donner de règle générale, si ce n'est la confiance que vous pouvez avoir
dans le secours du Tout-Puissant. Ce secours, vous le trouverez à défendre
la sainte foi. Après tous les efforts que j'ai déployés pour ramener les
hérétiques en Allemagne, je me suis rendu compte que le seul moyen à
employer, c'était le concile, auquel ces Etats se sont soumis. Veillez à ce
qu'il continue à siéger dans l'esprit de respect qu'il doit avoir vis-à-vis du
Siège apostolique. Mais, avec toute la prudence voulue, luttez contre les
abus auxquels peut se livrer la Curie au détriment de vos Etats. Choisissez
pour les églises et pour les bénéfices des hommes cultivés, dignes de leur
charge, pour le bien de l'Eglise et la tranquillité de votre conscience.Exigez
que ces hommes résident dans leurs paroisses et remplissent leurs devoirs.
«Maintenez la paix, évitez la guerre, si ce n'est le jour où elle vous sera
imposée pour votre défense. Evitez-la à cause des charges écrasantes qu'elle
imposerait à vos royaumes, que je vous laisse intacts et même agrandis. J'ai
dû malheureusement abandonner un certain nombre des biens et des droits
de la Couronne : vous devez tenter de les retrouver. Comme la paix dépend
moins de vous que des autres et qu'elle est plus difficile à obtenir pour un
souverain auquel la Providence a donné de si nombreux et de si grands
royaumes, je vous demande de méditer ce qui suit.
«Du pape Paul III, vous connaissez vous-même le manque de loyauté
dans les traités et le défaut de zèle envers la chrétienté, surtout pour ce qui
concerne le concile. Cependant, vous honorerez la dignité qu'il revêt. Le
pape est âgé : veillez au choix de son successeur en suivant les avis que j'ai
donnés à mon ambassadeur à Rome. Il y aura toujours des difficultés avec
les papes à Naples, en Sicile et en Castille  : prêtez-y attention! Restez en
bons termes avec les Vénitiens. J'ai soutenu le duc de Florence, et il m'est
dévoué, d'autant plus qu'il a des accointances avec nous par la Maison de
Tolède. Ferrare penche du côté de la France, tandis que le duc de Mantoue
est un prince auquel on peut se fier et qui doit être traité avec égard. Tenez
Gênes pour un élément de la plus haute importance  : là, vous devrez agir
avec prudence et habileté. Sienne et Lucques resteront, je l'espère, sous
l'égide du roi romain.
« La France n'a jamais respecté les traités qu'elle a signés, elle a toujours
tenté de me nuire. Le jeune roi lui-même (Henri II) semble vouloir suivre le
chemin tracé par son père. Malgré cela, faites tout ce qui est possible pour
maintenir la paix  : c'est l'intérêt de la chrétienté et de vos sujets. On
cherchera toujours de nouveaux prétextes pour contester les
renonciationspourtant officielles concernant Naples, la Flandre, l'Artois,
Tournai et Milan. N'abandonnez jamais la plus petite parcelle de vos droits,
sinon l'on vous demandera tout le reste. Ces rois de France ont de tout
temps tendu la main vers les pays de leurs voisins! Défendez Milan avec
une bonne artillerie, Naples avec l'avantage de votre flotte, et rappelez-vous
que les Français sont toujours découragés lorsque leur entreprise ne réussit
pas du premier coup. Aux Napolitains, si souvent révoltés, il faut rappeler
les épreuves qu'ils ont subies par la faute des Français, et, pour le reste, les
traiter avec justice et mesure. Malgré tout, vous ne pourrez jamais vous
passer, en Italie, de troupes espagnoles. Songez à l'entretien des places
fortes des frontières, en Espagne et en Flandre, où les citadelles de Gand et
de Cambrai ont une grande importance. A cause de la Franche-Comté, il
vous est nécessaire de vous appuyer sur la Suisse et sur l'Autriche. Nos
prétentions sur le duché de Bourgogne, notre patrie, je les ai par gain de
paix laissées en sommeil, mais n'y renoncez pas. Quant à Hesdin, cette
place ne vaut pas une guerre. Ce que les Français refusent le plus
énergiquement, c'est la restitution des terres qu'ils ont enlevées au duc de
Savoie. Je me suis battu pour qu'elles fissent retour à leur maître, d'abord à
cause de nos liens de parenté, mais surtout à cause de l'Italie. En effet,
prenant le Piémont comme base, les Français menaceront toujours l'Italie
par ce côté-là et tourneront toujours leurs convoitises vers Milan et Naples.
Le Piémont ne doit se prêter à aucune diminution : tout accord nous serait
défavorable. Il ne faut envoyer des contingents militaires conquérir de
nouveaux pays qu'après avoir pris les plus grandes précautions, s'être assuré
de l'aide des Suisses, avoir regardé que la France et l'Angleterre sont
occupées ailleurs. Pour l'instant, avec les affaires d'Allemagne et le désir de
l'Angleterre de maintenir la paix, une telle possibilité n'existe pas. »
Charles Quint ajoute qu'il ne faut pas prendre partidans le conflit qui
oppose la France à l'Angleterre. Il recommande à son fils d'entretenir une
flotte puissante dans la Méditerranée comme sur la « mer océane ». Philippe
devra sans cesse s'informer de la situation des Indes « afin de porter remède
aux abus ».
« Mais vous ne pouvez être partout. Désignez de bons vice-rois et
surveillez-les de telle manière qu'ils ne violent pas vos instructions.
Cependant, le mieux est toujours de s'attacher les royaumes par le lien de
ses propres enfants. C'est pour cette raison que vous devez avoir une
postérité plus nombreuse et conclure un nouveau mariage.
« Enfin, je vous recommande la stricte exécution de mes testaments et
codicilles, ainsi que ceux de l'impératrice défunte. Je prie Dieu de vous
garder et de vous bien disposer à le servir, pour qu'il puisse vous donner sa
gloire éternelle. Recevez ma bénédiction25. »
1 Karl Brandi, Charles Quint, p. 526.
2 Louis-Prosper Gachard, Trois années de l'histoire de Charles Quint, p. 82.
3 Karl Brandi, Charles Quint, p. 530.
4 Alexandre Farnèse succédera en 1578 comme régent des Pays-Bas à don Juan d'Autriche : le
petit-fils de Charles Quint remplacera le fils naturel de l'empereur !
5 « La question de savoir si Charles Quint prendrait les armes contre les protestants est le sujet de
toutes les conversations » (Louis-Prosper Gachard, Trois années de l'histoire de Charles Quint, p.
132). Le 30 mai 1546, Navagero et son successeur Mocenigo écrivent au doge que la guerre leur
paraît probable.
6 Louis-Prosper Gachard, Don Juan d'Autriche : étude historique. I : La mère de Don Juan. II  :
L'enfance de Don Juan. Paul Herre, Barbara Blomberg, die Geliebte Kaiser Karls V. Marita A.
Panzer, Barbara Blomberg, Bürgerstochter und Kaisergeliebte.
7 Plus tard, Barbara Blomberg dira à son fils qu'elle n'est pas sûre que Charles Quint soit son père,
qu'elle connaissait d'autres hommes à l'époque de sa naissance !
8 Louis-Prosper Gachard note : « Jérôme Kegel était un pauvre hère qui se maria avec Barbara
Blomberg dans le but de parvenir à quelque chose. »
9 Sur sa tombe, dans l'église du couvent de Montehano, se trouve cette inscription  : « Doña
Barbara de Blomberg, Madre de Don Juan de Austria, ano 1597. » Une caravelle rappelle que son fils
fut le vainqueur de Lépante.
10 Karl Brandi, Charles Quint, p. 553.
11 Charles Quint, Commentaires, p. 170.
12 Pendant la dernière guerre, un camp de prisonniers a été installé à Mühlberg : le musée de la
ville est consacré à son souvenir plus qu'à celui de la bataille de 1547.
13 Pour le 500e anniversaire de Mühlberg, Wieland Held a écrit un beau livre sur la bataille, 1547
– Die Schlacht bei Mühlberg/Elbe, publiant en annexe les témoignages des participants (Leipzig,
1997).
14 Charles Quint, Commentaires, p. 186.
15
Ibid., p. 187.
16 Jean Babelon, Charles Quint, p. 31
17 Gravure de 1513 sur cuivre, conservée au musée de Karlsruhe.
18 Peter Lahnstein, Dans les pas de Charles Quint, p. 268.
19 Charles Quint, Commentaires, p. 202.
20 Peter Lahnstein, Dans les pas de Charles Quint, p. 274.
21 Un livre a été consacré en 1993 à Anton Fugger, né en 1493, à l'occasion du 500e anniversaire
de sa naissance (Anton Fugger, Das fünfhundertjährige Jubiläum).
22 Maximilien a séjourné trois ans et quatre mois à Augsbourg (Christoph Böhm, Die Reichsstadt
Augsburg und Kaiser Maximilian I, p. 392).
23 Patrice de Neny, Mémoires historiques et politiques des Pays-Bas autrichiens, p. 26-28.
24 Karl Brandi, Charles Quint, p. 583.
25
Ibid., p. 592-595.
CHAPITRE XIV

La controverse de Valladolid

On appelle « controverse de Valladolid » la réunion de théologiens et de


membres des conseils royaux organisée en 1550 pour débattre de la
conquête des Indes, des méthodes de la colonisation, de l'avenir des
territoires occupés.
Valladolid est la capitale de l'Espagne. Aucune autre ville de Castille n'est
plus ouverte aux vents du siècle. Le premier vent amena à Valladolid de
grands artistes d'origine étrangère, allemands comme Simon de Cologne,
flamands comme Gil de Siloé, français comme Juan Gras; le dernier vent
accompagne Cervantes et Quevedo. En 1518, un inconnu, le Portugais
Magellan, vient confier ses rêves au futur empereur. En 1527, une
assemblée de théologiens est appelée à juger l'orthodoxie des œuvres
d'Erasme et « tout Valladolid, rapporte Marcel Bataillon, se passionne pour
ou contre l'humaniste de Rotterdam1 ». En 1558, la ville accueille l'un des
deux premiers foyers – avec Séville – du protestantisme espagnol. Au XVIe
siècle,elle est le centre de toutes les recherches et de toutes les
confrontations  : «ville attentive au chant du monde », si amoureusement
décrite par Bartolomé Bennassar2.
En 1550, elle est aussi la ville du pouvoir : Marie et Maximilien, la fille
et le gendre de Charles Quint, y résident. Ils assurent la régence en l'absence
de l'empereur retenu à Augsbourg par les affaires d'Allemagne.
La controverse a pour cadre la chapelle du Collège Saint-Grégoire,
construit à la fin du XVe siècle, sans doute le plus beau collège de
dominicains qu'il y ait au monde  : c'est du moins l'opinion des
contemporains. Le plus célèbre aussi  : Melchor Cano et Francisco de
Vitoria y enseignent; Bartolomé de Carranza, archevêque de Tolède, et
Geronimo de Loaysa, archevêque de Lima, y sont formés. Bartolomé de
Las Casas, le protecteur des Indiens, se retire dans le couvent voisin de
Saint-Paul.
La conquête de l'Amérique s'achève et l'heure du bilan est venue. Loin de
s'opposer au débat, l'empereur l'approuve et l'organise : le 16 avril 1550, il
décide la suspension des opérations militaires. Il demande l'avis
d'universitaires et de théologiens – d'intellectuels, dirons-nous aujourd'hui –
pour orienter ses choix politiques. Doit-il poursuivre l'œuvre de
colonisation, et dans quelles conditions  ? La conquête est-elle juste? Les
Espagnols ont-ils le droit de réduire les Indiens en esclavage ou de leur
imposer un travail forcé ? Charles Quint ouvre le premier débat des temps
modernes sur les droits de l'homme.
La contestation des méthodes de la conquête est presque aussi ancienne
que la conquête elle-même. Elle débute en décembre 1511, quand le
dominicain Antonio de Montesinos prononce devant les colons espa-
gnolsde Saint-Domingue un sermon retentissant sur le thème  : vox
clamantis in deserto. Je suis la voix de celui qui crie dans le désert, qui
condamne l'exploitation des Indiens, le travail forcé que vous leur imposez.
Montesinos pose la question qui taraude l'Espagne tout au long du siècle :
les Indiens ne sont-ils pas des hommes  ? Des êtres doués de raison  ? Ne
possèdent-ils pas des âmes ? N'êtes-vous pas tenus à les aimer comme vous-
mêmes ?
Montesinos va plus loin encore, en des propos rapportés par Las Casas
dans sa Très brève relation de la destruction des Indes: « Les rois
d'Espagne ont-ils reçu du pape le pouvoir d'un gouvernement despotique ?
Ceux qui utilisent les Indiens comme des esclaves ne sont-ils pas tenus à
restitution ? »
Dès 1511, ces deux questions annoncent la controverse de 1550. De
retour en Espagne, Montesinos est reçu par Ferdinand d'Aragon, qui
l'écoute attentivement : « Père, dites ce que vous désireriez. » Montesinos
lit le rapport qu'il a préparé, décrit les atrocités commises contre les Indiens,
conclut  : « Votre Altesse donne-t-elle ordre de faire cela  ? » Ferdinand
convoque une commission spéciale, la première du genre, qu'il charge de lui
proposer les mesures nécessaires pour remédier aux abus. Dans son rapport
qu'elle remet, la commission définit le régime juridique applicable aux
Indiens – l'encomienda – qui s'apparente à une tutelle  : des hommes –
indios encomendados – sont confiés à un colon – encomendero – à charge
pour ce dernier d'assurer leur instruction civique et religieuse.
Les lois de Burgos de janvier 1513 reprennent les conclusions de la
commission et légalisent le travail forcé. Elles reposent sur l'idée implicite
que les Indiens sont des êtres peu évolués, incapables de se gouverner par
eux-mêmes  : dans leur propre intérêt, il convient de les soumettre aux
Espagnols.
Un prêtre, un prophète inspiré, Bartolomé de LasCasas, va s'élever contre
une telle conception et consacrer sa vie à la défense des Indiens, « faire
régner la loi chrétienne dans un enfer terrestre »: c'est ainsi que Brandi
définit son œuvre3.
Las Casas naît à Séville en 1484 dans le milieu des conversos, nouveaux
chrétiens d'origine juive4. Son père participe comme marchand au deuxième
voyage de Christophe Colomb; il s'installe à Saint-Domingue, crée une
exploitation. Bartolomé lui succède en 1512. Il est ordonné prêtre en 1513,
le premier de l'histoire des Indes, devient l'aumônier des conquistadores,
participe à la conquête de Cuba. Un jour de 1514, aux approches de la
Pentecôte, il trouve son chemin de Damas  : il va devenir l'apôtre des
Indiens. Il vend sa propriété, rend la liberté à ses esclaves. Le dimanche
suivant, dans son sermon, il commente l'Ecclésiaste : « Offrir un sacrifice
qui repose sur l'iniquité, c'est faire une offrande souillée5. Désormais, il se
bat pour une réforme des méthodes de colonisation.
Il revient en Espagne et, comme Montesinos, il est reçu à Plasencia par le
vieux roi Ferdinand le 23 décembre 1515. Ferdinand est en route pour
Séville; il mourra quelques jours plus tard. Las Casas raconte l'entretien : «
Un soir, l'avant-veille de la Nativité, l'abbé parla longuement au roi. Il
propose la transformation de l'encomienda, préconise le rassemblement des
Indiens en communautés, définit un projet de colonisation paysanne.
En 1519, il est reçu à Barcelone par Charles Quint, qui vient d'apprendre
son élection à l'Empire. Il évoque pendant «trois bons quarts d'heure l'état
de servitude imposé aux peuples des Indes » et ajoute : « Ce qui me pousse,
ce n'est pas le service de VotreMajesté, mais celui de Dieu. » Il fait appel au
sens religieux du nouvel empereur : « Notre religion chrétienne est ouverte
à toutes les nations du monde, de la même façon. N'ôtant à aucune sa
liberté, sa souveraineté, elle n'en met aucune en état de servitude sous
prétexte de distinctions entre hommes libres et serfs par nature6. »
A La Corogne, peu avant le départ de Charles pour les Pays-Bas, Las
Casas obtient une concession au Venezuela, sur la côte de Cumaná; il
s'embarque en décembre 1520 avec soixante-dix paysans espagnols. Les
Indiens se révoltent et ses associés se livrent au trafic d'esclaves  : c'est
l'échec. Jusqu'à sa mort, Las Casas regrettera que l'Espagne n'ait pas conduit
une colonisation pacifique, encouragé les mariages mixtes, permis le
brassage des hommes et des cultures.
Il connaît le doute, cherche sa voie. Il rejoint les dominicains, se retire
dans un couvent de l'ordre, approfondit ses connaissances théologiques et
entreprend la rédaction de son œuvre. Il n'est plus seul : les frères prêcheurs
sont, comme lui, des pionniers de la défense des Indiens. L'ordre conduit le
mouvement de contestation, en Amérique et en Espagne même. En 1537,
un dominicain, Francisco de Vitoria, professeur à l'université de
Salamanque, condamne l'appropriation des royaumes indiens : « La religion
chrétienne ne s'impose pas par la force. Elle ne permet pas de violenter les
hommes pour qu'ils reçoivent la loi du Christ. »
Que doivent faire les Espagnols ? Rendre aux Indiens la maîtrise de leur
destin, créer une confédération de peuples libres, donner à cette
confédération des lois distinctes de celles de la métropole. Vitoria résume
ses propositions en cette formule  : « La République des Indiens n'est pas
partie de l'Espagne; elle doit être ordonnée à elle-même. »
Faut-il arrêter les conquêtes  ? Dans la bulle Sublimis Deus du 2 juin
1537, le pape Paul III déclare que les Indiens ne peuvent être privés de leur
liberté et de leurs biens temporels. «Ils sont appelés, comme toutes les
nations du monde, à recevoir la foi du Christ par la prédication et l'exemple
d'une vie vertueuse. » Le pape ajoute : «Toute autre façon d'agir est nulle et
sans valeur. »
Las Casas commente la bulle pontificale dans son traité De l'unique
manière d'évangéliser le monde entier7. Sur le terrain, au Guatemala, il
s'efforce de mettre en œuvre les principes que Paul III vient de réaffirmer. Il
crée un territoire de mission d'où il exclut toute intervention de l'armée; il
fonde Vera Paz et ouvre la voie à la conquête évangélique qu'il n'a cessé de
préconiser.
Charles Quint le soutient. L'empereur n'admet pas que des tortures, des
massacres soient commis en son nom. Il est responsable devant Dieu du sort
des Indiens. Dans une lettre admirable, que cite Otto de Habsbourg, il
exprime sa conception du gouvernement des Indes :
« Avant tout, il y a le service du Seigneur et l'obéissance dans la pratique
à la bulle du Saint-Siège. Dieu a créé les Indiens en hommes libres et non
en esclaves. Dans la Petite Espagne (les Antilles), ils sont morts par suite
des mauvais traitements et du travail forcé. Il ne faut pas que dans la
Nouvelle Espagne se passe la même chose. Les Indiens doivent adhérer à
notre foi uniquement de leur propre gré... Il est interdit de leur enlever ce
qui leur appartient. Il faut les rencontrer dans un esprit d'amour et d'amitié.
Il faut tenir à tout prix ce qu'on leur a promis... En aucun cas, on n'a le droit
de mener la guerre contre eux, à moins qu'ils ne soient eux-mêmes des
agresseurs8. »
Lorsqu'il évoque l'esprit d'amour et d'amitié, Charles Quint reprend,
jusque dans les termes, la position de ses grands-parents les Rois
Catholiques. Il donne la priorité à la conquête des âmes.
Dans ce débat que, désormais, l'empereur conduit en personne, Vitoria
intervient à nouveau en 1539. Dans ses leçons à l'université de Salamanque,
il précise sa pensée. Il définit les titres – fondés et infondés – de la
souveraineté espagnole sur les territoires d'Amérique. Il établit un principe
essentiel  : le pouvoir politique se fonde sur le droit naturel des peuples à
disposer d'eux-mêmes  ; il est indépendant de la religion. Le pape n'a pu
concéder aux rois d'Espagne un pouvoir temporel qu'il ne possède pas lui-
même, en dehors des Etats de l'Eglise. Vitoria remet en cause le fondement
de la colonisation. Il affirme que les peuples indiens sont membres de la
communauté internationale au même titre que l'Espagne et qu'ils ne
sauraient être subordonnés à cette dernière.
S'agissant du « droit d'évangéliser », il note que « les guerres empêchent,
plus qu'elles ne suscitent, la conversion des Indiens ». Pour lui, l'idolâtrie
n'est pas un péché et ne justifie pas l'instauration d'une souveraineté
extérieure. Les Espagnols peuvent seulement intervenir par la force pour «
défendre les innocents menacés d'une mort injuste ». Le premier, Vitoria
définit ainsi un «droit d'ingérence» de la communauté internationale dans
les affaires d'un Etat pour la protection des droits de l'homme.
Comme dernier titre de souveraineté, il évoque une éventuelle « donation
d'humanité par les peuples les plus développés». Il ne se risque « ni à le
donner pour bon, ni à le condamner absolument ». Les rois d'Espagne
peuvent-ils imposer un gouvernement aux peuples d'Amérique  ? « A la
seule condition que cela se fasse pour le bien des Indiens, et non au profit
des Espagnols. »
Las Casas dénonce la « timidité » de telles propositions.Mais,
contrairement à Vitoria, il ne remet pas en cause la souveraineté du roi
d'Espagne sur les Indes. Il condamne la politique menée, mais ne rejette pas
ses fondements. Bien au contraire, il propose que «tous les Indiens de toutes
les Indes, aussi bien ceux qui sont déjà soumis que ceux qui le seront à
l'avenir, soient assujettis à la couronne royale de Castille et de León, comme
des vassaux libres9 ».
Il fonde la politique dont il rêve sur le respect des droits de l'homme,
l'abandon de l'encomienda et le rattachement direct des territoires conquis à
la couronne espagnole. Contre les colons et les administrateurs locaux qui
sont de «mauvais bergers », l'Etat central doit intervenir à des fins sociales,
pour limiter les abus de la colonisation.
Charles Quint approuve. Il n'accepte pas le rejet par Vitoria des bulles
pontificales de 1493, qui s'analysent en une donation aux rois d'Espagne et
emportent au profit de ces derniers un véritable transfert de propriété. Il
donne l'ordre au prieur du couvent San Estébàn de Salamanque, où réside
Vitoria, de saisir et d'adresser au Conseil royal «les leçons où quelques
maîtres religieux de ce couvent ont traité du droit que nous possédons sur
les Indes ».
Pour définir une politique de réformes, Las Casas suggère, dans une note
du 15 décembre 1540, la réunion d'une commission spéciale qui serait
chargée de préparer des lois nouvelles. Il dresse un réquisitoire impitoyable
de la colonisation et emporte la conviction de Charles Quint. Pas plus que
les Rois Catholiques, l'empereur ne peut, ne veut couvrir les abus commis
en son nom. Il retient la proposition de Las Casas, désigne une commission
à laquelle, seul religieux, le dominicain participe. Il réforme le Conseil des
Indes, supprime l'encomienda. Contre les Lois nouvelles qu'ilpromulgue à
Barcelone le 20 novembre 1542, une violente réaction se développe  : elle
provoque des émeutes, soulève le continent américain.
Las Casas, nommé en 1543 évêque de Chiapa, aux confins du Mexique et
du Guatemala, rejoint Ciudad Real, le chef-lieu de son diocèse, au début de
l'année 1545. Il est accompagné de trente dominicains. Il s'oppose aux
colons espagnols sur l'application des Lois nouvelles. Au printemps 1546, il
doit quitter Ciudad Real : il n'a pas su s'imposer et jamais ne retournera en
Amérique10. «Nous vivons, écrit-il le 25 octobre 1545 au prince Philippe,
une vie pleine de mille amertumes. » Il ajoute le 9 novembre, toujours à
l'intention du prince : « Je crois que Dieu attend de moi que je remplisse de
nouveau les cieux et la terre de clameurs, de pleurs et de gémissements11. »
Les instructions qu'il a adressées aux confesseurs de son diocèse font
scandale : il doit se justifier. Il demande une enquête, appelle à la réunion
d'une nouvelle commission pour traiter des affaires d'Amérique. Charles
Quint, une fois encore, lui donne raison.
A Bruxelles, le 3 juillet 1549, l'empereur décide de convoquer la
conférence de Valladolid. Il est atteint dans sa santé; « il médite sur sa
propre mort, dans cette meditatio mortis qui inspire ses nombreux
testaments 12 ». Bientôt, il devra rendre compte à Dieu; la politique
conduite aux Indes le préoccupe de plus en plus  : trop d'horreurs pour de
l'argent !
Il désigne les deux champions qui vont s'affronter au cours de la
controverse : Bartolomé de Las Casas, l'évêque de Chiapa, et Juan Ginès de
Sepúlveda, chanoine de Cordoue, l'un des meilleurs humanistes del'époque.
Aujourd'hui, Sepúlveda est presque oublié. La réalité en 1550 est tout autre.
L'empereur a choisi le plus redoutable contradicteur qu'il puisse opposer au
champion de la cause des Indiens. Un contradicteur que Las Casas a
longtemps cherché à censurer.
Sepúlveda est né en 1490 dans un village de la Sierra Morena; son père
est bourrelier. Il commence ses études comme boursier au « Collège des
pauvres » de l'université de Alcala de Henarès; il les poursuit à Bologne,
toujours comme boursier au Collège Saint-Clément. Il devient docteur en
humanités, en philosophie et en théologie. Il est élevé dans la pensée
d'Aristote – la « pensée unique » du XVIe siècle. Il sera l'un des gardiens du
temple, traduira Aristote en latin lors de son séjour à la cour pontificale. Il
travaille énormément, s'accomplit par la connaissance des auteurs de
l'Antiquité. L'égalité, il ne connaît pas ! La justice, pour lui, est uniquement
le respect de l'ordre divin. Il n'est jamais allé aux Indes et n'a pas envie de
s'y rendre. Le centre du monde, c'est Rome : il sert Clément VII. Après le
sac de la ville en 1527, il se réfugie à Naples, sert le cardinal Tommaso de
Vio, le célèbre Cajetan, qui le charge de la révision du texte grec du
Nouveau Testament. Il revient à Rome en 1529 comme collaborateur du
cardinal de Quinonès, qui a été général des franciscains et que Charles
Quint a nommé ambassadeur auprès du pape. Il accompagne Quinonès à
Bologne et assiste aux cérémonies du couronnement. De retour à Rome en
1530, il rédige le nouveau bréviaire romain et, en 1532, une Exhortation à
la guerre contre le Turc, qu'il va à Vienne offrir à l'empereur.
La mort de Clément VII rompt le lien qui l'attache à Rome. Il écrit une
chronique de l'expédition de Tunis. Charles Quint le charge de rédiger
l'histoire de son règne et lui confie l'éducation de son fils. Sepúlveda sert
l'Eglise et l'empereur. Sérieux, appliqué, il ne quitte pas le cadre de la
pensée aristotélicienne. Iln'aime pas l'outrance de Las Casas. Il répugne à
l'audace dans la pensée comme dans l'action. Pour lui, Las Casas est un
aventurier.
En 1544, il entreprend la rédaction, toujours en latin, de son Democrates
alter, ou Des justes causes de la guerre contre les Indiens. Il a déjà écrit un
premier Democrates, qu'il a consacré à la compatibilité entre la discipline
militaire et la religion chrétienne. Il a combattu l'objection de conscience et
soutenu les guerres de Charles Quint en Italie. Hernán Cortés et le cardinal
de Loaysa lui demandent d'écrire un livre dans le même esprit, mais
appliqué cette fois aux guerres d'Amérique. Sepúlveda conclut que celles-ci,
comme les guerres d'Italie, sont de justes guerres.
Pour publier son ouvrage, il doit solliciter une autorisation royale. Celle-
ci lui est accordée, puis refusée après la mort de Loaysa. Il fait appel de la
décision de rejet qui le frappe : Charles Quint ordonne une nouvelle lecture
du manuscrit. Le Conseil d'Etat donne un avis favorable  : l'ouvrage peut
être publié. C'est compter sans l'intervention de Las Casas, qui obtient des
universités d'Alcala et de Salamanque la censure du Democrates alter. Lui,
qui revendique si haut, et à son profit, le droit à la libre expression, « se
comporte en pur et simple censeur, imposant silence à son adversaire13 ».
La controverse de Valladolid est la revanche de Sepúlveda.
La commission nommée par l'empereur comprend quinze membres : sept
appartiennent au Conseil des Indes, deux au Conseil d'Etat, un au Conseil
des ordres de chevalerie. Les cinq derniers membres sont trois théologiens
dominicains, un théologien franciscain et un évêque. Tous sont des
personnalités de premier plan, notamment les trois dominicains  : Melchor
Cano, Domingo de Soto et Bartolomé de Carranza.
Cano et Carranza sont des proches de Las Casas. En 1550, le premier a
quarante et un ans, le second quarante-sept ans. Cano a succédé à Vitoria à
l'université de Salamanque. Carranza deviendra le conseiller de Philippe II,
qui le nommera archevêque de Tolède et l'enverra en mission auprès de son
père en 1558  : à Yuste, Carranza assistera l'empereur agonisant. Le
troisième dominicain, Domingo de Soto, a cinquante-six ans en 1550.
Comme Cano, il est professeur de théologie à Salamanque. A la mort de
Loaysa, l'empereur l'a choisi comme confesseur. C'est un homme discret,
qui a toujours fui la polémique  : on lui confie la mission de résumer les
débats.
Le franciscain Bernardino de Arévalo est un véritable expert de
l'Amérique, où les trois dominicains ne sont jamais allés. Il a participé à la
mise en place des provinces franciscaines de Saint-Domingue et du
Mexique. Le dernier juge religieux est l'évêque de Ciudad Rodrigo, Pedro
Ponce de León, qui n'apparaît guère dans le compte rendu de Soto. En 1551,
il quitte Valladolid pour rejoindre le concile de Trente.
Les membres des conseils royaux sont, à la différence des religieux, des
hommes de gouvernement : ils ont la charge de gérer les dossiers des Indes.
Gregorio Lopez est l'un de ceux-là  : il a conduit avec succès en 1543 la
réforme de la Casa de Contratación. Francisco Tello de Sandoval a
appartenu à l'Inquisition, puis a été envoyé en mission au Mexique, où il
s'est prononcé contre la suppression de l'encomienda. C'est sur son rapport
que l'empereur a révoqué à Malines, en octobre 1545, les Lois nouvelles.
La conférence de Valladolid va se tenir en deux sessions : la première de
juillet à septembre 1550, la seconde en avril et mai 1551.
Pour décrire les débats, la prudence s'impose. A l'exception du résumé
établi par Soto, aucune note d'audience ne nous est parvenue. Les textes de
base, le Democrates alter de Sepúlveda et l'Apologie de LasCasas, ne sont
pas connus dans leur forme originelle. Enfin, les sujets traités ont évolué :
pour Soto, qui les retrace, les débats ont porté sur « la question de savoir s'il
est licite de faire la guerre aux Indiens ». La convocation, adressée en
janvier 1551 pour la seconde session, évoque « la conversion, la
colonisation et la découverte des Indes14 ».
Joseph Pérez résume la controverse en une double question15. D'abord,
une question de fait  : les Indiens d'Amérique sont-ils des barbares, qu'il
convient de civiliser pour les amener à un stade de développement
supérieur  ? Au centre de ce débat, les sacrifices humains  : Vitoria, le
premier, les a condamnés. Sepúlveda évoque les cérémonies aztèques, les
exécutions de prisonniers, auxquels on arrache le cœur au sommet des
temples. De façon très moderne, Las Casas répond en développant le droit à
la différence, le droit pour chaque peuple de pratiquer la religion que lui a
léguée son histoire :
«Tout païen, même si c'est confusément, possède une certaine
connaissance de Dieu; et, s'il croit à son Dieu comme véritable, il est naturel
qu'il lui offre ce qu'il a de plus précieux : la vie des hommes... Tout homme
doit à Dieu tout ce qu'il possède, il doit lui offrir sa propre vie. »
Las Casas ajoute : « Puisque les idolâtres estiment que leurs idoles sont le
Dieu véritable, leur croyance s'adresse et se dirige vers le Dieu véritable16.
» Chaque peuple a sa religion et nulle religion n'est supérieure à une autre :
toutes agréent de même à Dieu.
Car, à la question de fait, se surajoute une question de droit : un peuple
qui se croit supérieur a-t-il le droit d'imposer une tutelle, même provisoire, à
un peuple qu'il juge inférieur  ? Question subsidiaire  : qui déciderade la
supériorité ou de l'infériorité des peuples ? Tels sont les problèmes débattus
à Valladolid.
La conférence se sépare en mai 1551 sans vraiment conclure. Rendant
compte à l'empereur, Soto donne l'avantage à Sepúlveda. Aujourd'hui, Las
Casas paraît l'avoir emporté. Plus encore, Charles Quint lui-même, qui a
lancé le débat si moderne, poursuivi depuis le XVIe siècle, sur l'interaction
des cultures et des religions.
1 Marcel Bataillon, Erasme et l'Espagne : recherches sur l'histoire spirituelle du XVIe
siècle, p.
243-299.
2 Bartolomé Bennassar, Valladolid au siècle d'or, p. 493-495.
3 Karl Brandi, Charles Quint, p. 169.
4 En 1474, selon d'autres sources.
5 Bartolomé de Las Casas, Las Casas et la défense des Indiens, p. 10.
6
Ibid., p. 128.
7 Ce traité a été publié par Marianne Mahn-Lot aux Editions du Cerf en 1990.
8 Otto de Habsbourg, Charles Quint, p. 287.
9 Bartolomé de Las Casas, Las Casas et la défense des Indiens, p. 173-174.
10 André Saint-Lu, Las Casas indigéniste, p. 85-103.
11 Bartolomé de Las Casas, Las Casas et la défense des Indiens, p. 205.
12 Fernand Braudel, La Méditerranée à l'époque de Philippe II, tome II, p. 234.
13 Jean Dumont, La vraie controverse de Valladolid, p. 161.
14
Ibid., p. 200-201.
15 Joseph Pérez, Charles Quint, empereur des deux mondes, p. 80-81.
16 Jean Dumont, La vraie controverse de Valladolid, p. 242.
CHAPITRE XV

Le malheur de Metz

Charles a quitté Bruxelles le 31 mai 1550 pour gagner Augsbourg, où


l'attend la diète de l'Empire. Par petites étapes selon son habitude. A
Cologne, il prend le bateau et remonte le Rhin jusqu'à Mayence. Croisière
de cinq jours : le Rhin est le plus noble des fleuves. Dans un vers admirable,
Hölderlin écrit : Drum ist ein Jauchzen sein Wort. Sa parole est jubilation :
c'est le sentiment que Charles éprouve. Assis dans un fauteuil, enveloppé de
couvertures, il dicte ses mémoires à son nouveau secrétaire, Guillaume Van
Male, entré à son service sur la recommandation de Louis de Praet.
Originaire de Bruges comme ce dernier, Van Male s'est imposé comme
lecteur, secrétaire et confident. Il lit et commente César, Tite-Live, Salluste,
il prend aussi sous la dictée. Il ne quitte guère l'empereur, de nuit comme de
jour, « lié en quelque sorte à un poteau1 »: c'est du moins ce qu'il écrit à son
ami Louis de Praet.
Les Mémoires couvrent la période qui s'étend de 1516 à 1548  :
l'empereur y note ses déplacements, sesvoyages, ses attaques de goutte,
dont il garde un souvenir précis et qu'il numérote, ses batailles aussi. Sans
aucune fioriture  : il ne raconte pas son règne, mais décrit les événements
auxquels il a participé et tels qu'il les a vécus. Le texte des Mémoires a été
établi en français, sa langue maternelle. Le manuscrit de Van Male a
disparu, peut-être brûlé après la mort de l'empereur sur ordre de Philippe II.
Une traduction en portugais, effectuée à Madrid en 1620, a été découverte
dans le fonds espagnol de la Bibliothèque nationale par Kervyn de
Lettenhove, qui l'a publiée au siècle dernier.
Commencés sur le Rhin, les Mémoires sont poursuivis à Augsbourg.
Chaque jour, Charles Quint s'enferme dans sa chambre avec Van Male et,
pendant plusieurs heures d'affilée, dicte, annote, corrige. Plus tard, il sera
tenté « de jeter tout au feu », puis « d'arranger cette histoire » – que,
finalement en 1552, il adressera à son fils.
La goutte le fait cruellement souffrir : il est atteint aux pieds, aux mains,
aux épaules. Pour le soulager, ses médecins lui font boire des infusions de
bois des Indes. Dès que le froid vient, il se blottit dans une petite pièce
auprès d'un poêle chauffé à blanc. Il est affaibli, démoralisé. Son asthme ne
le laisse guère en repos et il souffre d'hémorroïdes. L'ambassadeur du roi de
France, Charles de Marillac, écrit qu'il a trouvé le 27 janvier 1551
l'empereur au lit, « les mains contractées et toutes retirées au point de ne
pouvoir s'en servir ». Il ajoute que Charles Quint a failli mourir, son corps
devenu si froid que les médecins ont craint que « la chaleur naturelle ne
vienne à s'éteindre en lui2 ».
Charles ne quitte guère le palais Fugger dans lequel il s'est installé.
Titien, de nouveau, l'a rejoint : c'est à Augsbourg qu'il peint, au cours des
diètes de 1547-1548 et de 1550-1551, les grandes toiles du Prado deMadrid
et de la Pinacothèque de Munich. Il entre librement, à tout moment, dans
l'appartement de Charles Quint, assiste aux réunions du Conseil. Des heures
d'intimité et de libre discussion. Dans une vie, qu'est-ce qui compte et
finalement restera  ? La peinture de Titien ou l'Europe de Charles Quint  ?
L'art ou la politique ? Quand Titien quitte Augsbourg – venu aussi chercher
de l'argent –, l'empereur manifeste une grande tristesse. Il ne reverra plus
Titien, mais ne se séparera jamais des toiles de son ami.
Charles Quint doit régler les problèmes de sa succession. Seul, sans l'aide
de son principal conseiller : Nicolas de Granvelle est mort le 27 août 1550.
Ferdinand défend les intérêts de la branche autrichienne des Habsbourg.
Entre les deux frères et les deux cousins, Philippe et Maximilien, les
rapports sont devenus difficiles : Maximilien évite Philippe. Dans le cadre
étroit d'Augsbourg, ils tournent les uns autour des autres, bientôt ne se
rencontrent plus, communiquent par lettres. La force des Habsbourg a été
leur union : la famille va-t-elle se déchirer ?
Charles demande le secours de Marie. Le 16 décembre 1550, il lui
adresse une lettre dans laquelle il exprime son désespoir. Il ne peut l'écrire,
la dicte, ajoutant simplement quelques mots de sa main avant de signer : «
Que Dieu veuille bien accorder à Ferdinand de meilleures pensées et à moi,
Charles, de la patience 3 ! » Marie accourt des Pays-Bas; le 1er janvier 1551,
elle est à Augsbourg. Elle va rapprocher les deux frères, les deux cousins,
défendre et imposer l'intérêt supérieur des Habsbourg  : en cet hiver si
sombre, si difficile, elle se révèle être l'homme fort de la famille.
Des propos tenus par les uns et les autres, une liasse de témoignages
conservée dans les archives de Vienne porte témoignage  : ce sont des
billets, de courtes notesnon datées, presque toutes de la main de Marie et de
Ferdinand.
Un « pacte de famille » est conclu le 9 mars 1551. A la mort de Charles
Quint, Ferdinand deviendra empereur et Philippe, roi des Romains.
Maximilien succédera à Philippe. Ce dernier conservera l'Italie, défendra
aux côtés de Ferdinand les possessions familiales d'Autriche et de Hongrie,
aidera son oncle à maintenir l'unité confessionnelle de l'Allemagne4.
Comment les princes allemands vont-ils accepter un accord qui les
concerne et qu'ils n'ont pas négocié ? Charles Quint dépêche auprès d'eux
des messagers; à Munich, Frédéric de Bavière, qui a toujours soutenu
l'empereur, fait part à Gérard Veltwyk du mécontentement qui se développe
en Allemagne « contre les Espagnols »  ! Philippe de Hesse est toujours
prisonnier et les souvenirs de la guerre demeurent présents dans toutes les
mémoires. Frédéric de Bavière parle clair  : l'empereur ne peut à la fois
lutter contre les protestants et imposer aux princes la domination de sa
famille ! Il doit tenir compte de la diversité et de l'identité allemandes.
Plus Charles vieillit, plus les obstacles se dressent devant lui et moins il
s'écarte de sa route. Or Maurice de Saxe est un adversaire redoutable  : il
utilise la situation à son profit et fait preuve d'une grande habileté. Il lâche
Charles Quint, le trahit sans rompre, rassemble autour de lui les princes
mécontents, recherche le soutien du roi de France. Il rencontre
l'ambassadeur de Henri II, Jean de Fresse, dans un rendez-vous de chasse à
Lochau, non loin de Mühlberg. Autour d'un feu de cheminée, Maurice de
Saxe et Jean de Fresse jettent les bases d'un accord.
Pour Charles Quint, rien de pire ne peut arriver. Toute sa vie, il s'est battu
pour éviter le rapprochementdes princes allemands et du roi de France. Les
cartes lui échappent soudain : il a perdu l'art de la main !
Henri II va payer au prix fort les princes pour qu'ils entrent en guerre
contre l'empereur. Il promet des sommes considérables : soixante-dix mille
couronnes par mois et deux cent quarante mille couronnes, tout de suite,
pour recruter des mercenaires  ! Le but du roi de France, inchangé depuis
1521, tend à séparer les Pays-Bas de l'Allemagne – à distendre les fils de
l'Empire. Henri II paraît en mesure d'atteindre cet objectif : la convention de
Lochau trouve son prolongement dans le traité de Chambord du 15 janvier
1552. Le roi déclare qu'il sera en mars à Toul et que, de la Lorraine, il
foncera sur le Rhin.
Que fait Charles Quint ? Lui, si mobile, semble cloué au sol. Il ne tient
pas compte des bruits qu'on lui rapporte sur les mouvements de l'ennemi. Il
écarte « en souriant », selon Brandi, les avertissements de sa sœur Marie.
Tout à son problème de l'unité confessionnelle de l'Allemagne, il ne voit pas
venir la menace française. Alors que Maurice de Saxe l'a déjà trahi et a pris
Magdebourg, il refuse encore la libération de Philippe de Hesse : seul face à
sa conscience. Il a rejoint Innsbruck, loin du tumulte de la guerre.
Innsbruck, qu'il devra quitter comme un proscrit et qui sera « la ville de son
destin5 ».
Le concile s'est réuni à Trente le 1er mai 1551, comme il l'a souhaité. Il
va conduire la réforme de l'Eglise, comme il l'a toujours désiré. Des
représentants des princes protestants y participent, mais que peut signifier la
présence à Trente d'une poignée de protestants ?
Charles Quint perd tout espoir de réaliser l'unification confessionnelle de
l'Allemagne. L'Intérim d'Augsbourg n'est plus accepté  : les princes
protestantsse gaussent des ordonnances impériales. Maurice de Saxe se
nourrit de ce mépris : il combat pour une organisation nouvelle de l'Empire,
la liberté pour les protestants de pratiquer leur religion et l'extension des
pouvoirs des Etats. Il réclame la libération de Jean Frédéric de Saxe et de
Philippe de Hesse comme symbole de cette « Allemagne des princes » qu'il
entend promouvoir. «Dans l'intérêt de la Nation », tous les responsables
protestants doivent le rejoindre; il prévient qu'il tiendra pour ennemis ceux
qui refuseront de l'aider6 ! Ayant à ses côtés Guillaume de Hesse et Albert
de Brandebourg, il gagne la Bavière, atteint le Danube, marche sur
Innsbruck.
Charles Quint demeure immobile. L'hiver, la neige, l'engourdissement
sont venus : il semble se résigner, comme autrefois son arrière-grand-père
Charles le Téméraire devant Nancy. Il se ressaisit avec le printemps, quitte
Innsbruck le 9 avril 1552, sans prévenir, avec quelques hommes. Il marche
avec peine, ne peut franchir les cols et doit regagner le château familial de
la Hofburg.
Maurice de Saxe approche et Charles Quint doit de nouveau fuir. Cette
fois, en litière, avec son frère Ferdinand, la Cour, les ambassadeurs. Les
maîtres et les valets ensemble, par des chemins glissants. Charles Quint
passe le col du Brenner, atteint la vallée de la Drave, se réfugie à Linz, puis
à Villach où s'ouvre la route de l'Italie. Quelle honte pour le vainqueur de
Mühlberg  ! Quel retournement de situation  ! Le 23 mai 1552, Maurice de
Saxe entre dans Innsbruck, qu'il livre au pillage.
Des négociations s'engagent à Linz et se poursuivent à Passau  :
Ferdinand y représente son frère. Il recherche une conciliation, mais
Charles Quint ne veut pas céder sur l'essentiel  : la religion et le gouver-
nementde l'Empire. Ferdinand le supplie d'accepter un compromis. Charles
lui oppose une conviction inébranlable  : « Ferdinand peut bien perdre le
présent et l'avenir; à le suivre, lui perdrait l'éternité7. » Au moins que
l'humiliation qu'il a subie serve à quelque chose ! Cette force intérieure, qui
l'a souvent conduit, l'anime encore. Il doute de son frère, de ses alliés – non
du soutien de Dieu.
Le voici, une fois de plus, en guerre avec le roi de France, sur tous les
fronts, des Pays-Bas à l'Italie  : Henri II envahit la Lorraine et Dragut
menace les côtes napolitaines. Dans cette guerre sans cesse recommencée,
l'événement capital réside dans l'établissement du roi de France à Metz.
Charles Quint ne peut le tolérer : il doit reprendre Metz, va s'y efforcer et
n'y parviendra pas.
A trois reprises déjà, il s'est rendu à Metz : en janvier 1541, juin 1544 et
janvier 1546. A chaque fois, les échevins lui ont juré fidélité8. Ville
d'Empire qui porte l'aigle dans ses armes, Metz est une cité frondeuse qui
s'est souvent révoltée contre ses évêques. Depuis 1551, le siège épiscopal
est occupé par Robert de Lénoncourt, qui appartient à une vieille famille de
Nancy, « très attachée à la France ». Lénoncourt ouvre les portes de la ville
au connétable de Montmorency et Henri II entre à Metz le 18 avril 1552.
Les Messins espèrent que le roi de France va les traiter en amis, mais ils
doivent vite déchanter. Henri II installe une garnison, dépose les échevins
en place, en désigne de nouveaux qui, sous la contrainte, lui accordent le
titre de « protecteur ». Il nomme un gouverneur, François de Lorraine, duc
de Guise, avec les pleins pouvoirs civils et militaires.
Le duc de Guise procède sans ménagement, détruit les faubourgs, rase les
abbayes et les églises qui s'ytrouvent. Il transfère les cercueils des rois
carolingiens de l'abbaye Saint-Arnoul dans une église du centre de la ville.
Avec le concours de l'ingénieur Pierre Strozzi, il redresse les remparts et
construit de nouveaux bastions. Il chasse les bouches inutiles : les femmes,
les enfants, les vieillards. Metz est prête à soutenir le siège.
Aux ordres du duc d'Albe, l'armée impériale arrive devant les murs de la
ville le 19 octobre 1552. Charles Quint la rejoint le 20 novembre seulement,
retenu à Thionville par une nouvelle attaque de goutte. Le temps est beau,
très froid; monté sur un cheval blanc, l'empereur passe ses troupes en revue,
puis s'installe dans le château de La Horgne – ou ce qu'il en reste. Sa
chambre est à peine plus large que son lit. Dans la salle voisine, il prend ses
repas, reçoit ses généraux, dicte son courrier. Le grand air, les sorties à
cheval, la proximité du combat lui donnent une vigueur nouvelle. Le 23
novembre, il se rend dans les tranchées, inspecte les positions  : il dispose
d'une des plus belles armées qu'il ait formées depuis son avènement et, sans
doute, de l'artillerie la plus puissante qu'il ait jamais réunie : cent quatorze
pièces9.
Il doit prendre Metz, comme Charles le Téméraire devait s'emparer de
Nancy dans l'hiver 1476. Pour l'empereur comme pour le dernier duc de
Bourgogne, le contrôle de la Lorraine est essentiel afin de relier entre elles
leurs possessions. Charles Quint doit interdire aux Français la route de
l'Allemagne. Mais a-t-il, en cette fin d'année 1552, les moyens de son
ambition  ? Sa sœur Marie ne le pense pas; elle déconseille l'entreprise,
recommande d'attendre le printemps. Charles ne l'écoute pas. Comme à
l'automne 1541, quand il décida l'expédition d'Alger, il va son chemin « en
dépit de tout10 ». Lui, si mesuré dans ses décisions, si réfléchi,devient à
l'approche du danger un homme d'impatience  ; pressé de prendre sa
revanche, peut-être aussi d'en finir avec l'incertitude et le mauvais sort.
Il ordonne une attaque d'artillerie sans précédent pour l'époque  : le 26
novembre, les canons de l'armée impériale tirent 1343 coups, le lendemain
1379. Le 28 novembre, un grand pan de mur s'écroule et les soldats
s'élancent à l'assaut. Derrière le rempart, ils aperçoivent une autre muraille,
que Guise a fait construire en hâte. Ils veulent s'emparer de la tour d'Enfer
et n'y parviennent pas. Le froid est de plus en plus vif, la neige de plus en
plus abondante  : ils doivent se replier. Ils sont mal ravitaillés, leur
campement est sommaire et ils n'ont plus le goût de vaincre. La maladie
décime leurs rangs. Tous ne sont pas payés et beaucoup désertent.
Au château de La Horgne, Charles Quint mange et boit beaucoup, à son
habitude. Guillaume Van Male s'en inquiète. Dans une lettre à Louis de
Praet, il décrit les repas de son maître  : « Dédaigne-t-il la viande? Qu'on
l'emporte ! Désire-t-il du poisson ? Qu'on lui en donne ! Veut-il boire de la
bière ? Qu'on ne lui en refuse pas11 ! » Il maudit le « soin affectueux » de la
reine de Hongrie, qui envoie à son frère des poissons et des huîtres, que
l'empereur mange « crues, bouillies ou rôties ». Plus Charles dévore, plus il
est malade ! Il n'en a cure : le froid, la difficulté de la situation, l'incertitude
de l'avenir le tourmentent. Il mange.
Il décide un dernier assaut et, pour le conduire, se fait porter au milieu de
ses soldats. A les voir, à écouter ses généraux, il comprend que le miracle
qu'il espère n'aura pas lieu  : alors, il renonce. Il se résigne aussi vite qu'il
s'est emporté. « Je vois bien, dit-il, que la fortune ressemble aux femmes;
elle préfère un jeune roi à un vieil empereur 12  ! » Quand Charles Quint
quittela ville le 1er janvier 1553, il a perdu un tiers de son armée. Metz a
décidé de son sort. Il a supporté l'épreuve d'Innsbruck, mais «le malheur de
Metz a eu raison de lui 13 ».
La politique de contrôle de la Lorraine a échoué une fois encore : le siège
de Metz par Charles Quint rappelle celui de Nancy par Charles le
Téméraire. L'empereur est atteint dans son orgueil, dans sa résolution
même : il voit poindre la fin de son règne. Dieu, qui l'a toujours conduit, l'a-
t-il abandonné  ? Il fait retour sur la politique qu'il a suivie. Il dicte à
George-Sigismond Seld, qu'il a nommé vice-chancelier d'Empire et qui est
devenu l'un de ses confidents privilégiés, une longue note dans laquelle il
analyse les négociations de Linz et de Passau. Il a donné sa confiance à
Maurice de Saxe, qui l'a trahi. Il a dû traiter avec Albert de Brandebourg et
s'humilier  ! Pour quel résultat  ? Il n'a pu prendre Metz  ! Par Thionville,
Luxembourg et Namur, il gagne Bruxelles, sa première et dernière capitale,
brisé de corps et d'esprit.
L'Allemagne est livrée à elle-même. En trente ans, elle a profondément
changé  : une « Allemagne des princes » succède à l'Allemagne impériale
que Charles Quint a voulu construire. L'échec de l'empereur ouvre la voie à
la paix d'Augsbourg, la reconnaissance des deux religions sur un pied
d'égalité.
Maurice de Saxe s'efforce de bâtir un nouvel ordre politique. Il marche
contre le margrave de Brandebourg, le bat le 11 juillet 1553 à Sieverhausen,
mais il meurt « au milieu des bannières conquises ». Il a rempli son rôle.
Sans doute ne pouvait-il rien atteindre de plus grand.
La frontière des Pays-Bas est menacée : une armée française avance en
direction de Cambrai. De Bruxelles, en litière, l'empereur rejoint Mons,
prend lecommandement de ses troupes. Henri II refuse le combat et Charles
Quint regagne Bruxelles. A son retour, cinq semaines durant, il doit garder
le lit, sans pouvoir s'occuper des affaires publiques : l'hiver 1553-1554 est
«l'un des plus rudes qu'il ait traversés14 ».
Le 6 juin 1554, il rédige son cinquième testament, par lequel il règle, une
dernière fois, sa succession : à Philippe, l'Espagne, les Indes, Naples et les
Pays-Bas; à Ferdinand, les territoires et les droits dans l'Empire. Il dicte à
Seld un long mémoire, qui constitue « l'épilogue de son règne15». Il croit
toujours possible un accord entre les catholiques et les protestants  : «
L'histoire de toutes les hérésies enseigne que les doctrines, avec le temps,
perdent de leur force. » Malgré la victoire remportée à Mühlberg, il a
échoué : il n'a pu imposer une solution par les armes. Il laisse à son frère le
soin de trouver un accord par la négociation. Ce sera la paix d'Augsbourg,
ce n'est plus son affaire.
Il établit les Habsbourg en Autriche et en Hongrie pour plusieurs siècles.
Ferdinand et ses descendants vont créer une communauté multinationale, «
dont les diverses parties conserveront leurs institutions autonomes aussi
longtemps que durera la monarchie des Habsbourg 16 ». Ferdinand est né et
a été élevé en Espagne; sa cour est espagnole et son mode de vie
méridional. Vienne reçoit cette empreinte latine qui la marque encore.
L'ordre autrichien des Habsbourg ne sera jamais oppressif, il rejettera toute
forme de tyrannie. Il assurera aux peuples de la vallée du Danube une sorte
de bonheur fondé sur l'idée qu'il est vain pour l'homme de rechercher
l'absolu et, pour un pouvoir, d'imposer des règles qu'un peuple ne peut
accepter.
Le siège de Metz a détruit le crédit de l'empereur etla faillite menace.
Ramôn Carande a décrit les années 1552-1556 comme une période de
détresse  : años aflictivos17. Fernand Braudel a analysé les emprunts
effectués par le gouvernement des Pays-Bas sur la place d'Anvers18. Royall
Tyler a accompagné Charles Quint sur « le chemin de la ruine »: toutes les
études des historiens concordent19. De 1552 à 1556, l'empereur a emprunté
douze millions de ducats en Espagne et, à peu près, la même somme aux
Pays-Bas. A des taux vertigineux  : 43 pour cent l'an  ! Charles Quint vit
littéralement de ses dettes : « Il ne trouve des accommodements que parce
que ses créanciers, s'ils lui refusent de nouveaux prêts, craignent de perdre
tout ce qu'ils ont déjà risqué sur lui20. »
Les chiffres réels sont dissimulés. Depuis la reprise des hostilités avec la
France, les revenus ordinaires sont épuisés pour plusieurs années à l'avance.
Selon les calculs de Ramôn Carande, la dette de l'Etat s'élève en septembre
1554 à sept millions de ducats. En 1555, de nombreuses échéances ne
peuvent être honorées. Malgré l'opposition de son fils, l'empereur doit
recourir à une réduction unilatérale des paiements à ses créanciers  : il n'a
plus le choix s'il veut éviter la banqueroute.
Charles ressent un immense besoin de repos. Il veut partir au loin, seul,
au soleil. Lui, autrefois, si entreprenant, si chanceux, est devenu un vieillard
inutile, qui n'a plus les moyens d'exercer le pouvoir.
1 « Tanquam ad palum alligatus », Charles Quint, Commentaires, p. XII.
2 Louis-Prosper Gachard, Retraite et mort de Charles Quint, introduction, p. 21.
3 Karl Brandi, Charles Quint, p. 607.
4 Vicente de Cadenas y Vicent, Diario del emperador Carlos V, p. 362.
5 Karl Brandi, Charles Quint, p. 609.
6 Joseph Barre, Histoire générale d'Allemagne, tome VIII, p. 869.
7 Karl Brandi, Charles Quint, p. 628.
8 Jean François et Nicolas Tabouillot, Histoire de Metz.
9 Louis-Prosper Gachard, Retraite et mort de Charles Quint, introduction, p. 27.
10 Karl Brandi, Charles Quint, p. 627.
11 Auguste Mignet, Charles Quint, son abdication, son séjour et sa mort au monastère de Yuste,
p. 53-55.
12 Joseph Barre, Histoire générale de l'Allemagne, tome VIII, p. 915.
13 Karl Brandi, Charles Quint, p. 632.
14 Louis-Prosper Gachard, Retraite et mort de Charles Quint, introduction, p. 33.
15 Karl Brandi, Charles Quint, p. 636.
16 Royall Tyler, L'empereur Charles Quint, p. 328.
17 Ramón Carande, Carlos V y sus Banqueros, tome III, p. 353-469.
18 Fernand Braudel, « Les emprunts de Charles Quint sur la place d'Anvers », in Charles Quint et
son temps, p. 191-200.
19 Royall Tyler, L'empereur Charles Quint, p. 275-281.
20
Ibid., p. 275.
CHAPITRE XVI

L'abdication

Quand Charles Quint décide-t-il d'abdiquer ?


Sans doute en 1543, avant de quitter l'Espagne et d'entreprendre la guerre
contre la France1. A Monzón, réunissant les Cortes d'Aragon, il reçoit
Francisco Borgia, évoque avec lui sa retraite. En décembre 1556, sur le
chemin de Yuste, il le rencontre à nouveau.
Duc de Candie, Borgia appartient à une vieille famille de Castille.
Arrière-petit-fils du pape Alexandre VI, c'est un homme cultivé qui aime la
musique et les mathématiques, parle un latin élégant. En 1530, Charles
Quint le nomme grand écuyer de son épouse : Borgia a vingt ans. En 1539,
quand l'impératrice meurt, c'est lui qui reçoit mission de conduire son corps
à Grenade. Avant l'inhumation dans la Chapelle des rois, le cercueil est
ouvert  : Isabelle a refusé d'être embaumée, son visage est décomposé et
Borgia ne peut la reconnaître. Il décide qu'il ne servira plus d'autre maître
que Dieu. A la mort de sa femme, ilrejoint la Compagnie de Jésus. Les
Espagnols le vénèrent comme un saint2.
A Jarandilla, en décembre 1556, Charles lui rappelle leur entrevue de
Monzón. Deux des plus hautes figures de l'Espagne du XVIe siècle, Charles
Quint et saint François, ont quitté, l'un et l'autre, le monde pour servir Dieu.
Terrible Espagne affamée de spirituel  ! Le XVIe siècle est le temps des
saints et des rencontres avec Dieu, d'un catholicisme austère et
intransigeant3. Entre Charles Quint et saint François, un dialogue étonnant
s'engage :
« En 1542, Monsieur le Duc (Charles Quint continue à l'appeler ainsi et
Borgia s'est agenouillé devant lui), je vous ai confié que je me retirerais
dans un monastère.
– Votre Majesté se souviendra de mon désir, que je Lui ai alors révélé,
d'entrer dans les ordres.
– Nous avons, l'un et l'autre, tenu notre parole et respecté nos
engagements4. »
Toujours à Jarandilla, au début de l'année 1557, l'empereur précise à
l'ambassadeur du Portugal, Lourenço Pires de Tavora, qu'il regrette de
n'avoir pas quitté le pouvoir après la victoire de Mühlberg  : «Le faisant
alors, j'aurais eu l'avantage de ne pas affaiblir ma réputation. Elle a souffert
des événements qui ont suivi5. »
Partir en pleine gloire : il ne l'a pas osé ! D'année en année, il a reporté sa
décision, attendu que son fils fût plus âgé et que s'améliorât la situation
militaire. Quand on tient le pouvoir, on pense toujours quedemain sera
meilleur et on ne lâche pas prise ! Après le siège de Metz, l'empereur confie
à sa sœur Marie qu'il ne peut se retirer alors que « l'Empire est ébranlé de
toute part 6 ».
La mort en juillet 1553 du roi d'Angleterre, Edouard VI, le décide7. La
fille d'Henri VIII et de Catherine d'Aragon, Marie, monte sur le trône  :
Marie, sa cousine germaine, à laquelle il a été fiancé dans son jeune âge. Il
entrevoit contre la France la possibilité d'une alliance avec l'Angleterre. Il
abandonne aussitôt le projet de marier son fils à Marie de Portugal. Il écrit à
Philippe  : « On m'annonce la nouvelle de la mort du roi Edouard. Si les
fiançailles avec l'infante Marie ne sont pas conclues, il faut les suspendre. »
Les fiançailles sont décidées, mais ne sont pas conclues. Philippe va
épouser Marie d'Angleterre, qui a trente-huit ans. Lui, vingt-sept seulement.
Il aime les femmes, il a perdu sa première épouse en juillet 1545 et voudrait
bien choisir la deuxième. Marie n'est pas belle; l'ambassadeur de Venise à
Londres la décrit « petite, frêle, ridée, couperosée » et Michelet « maigre et
rouge, âcre de passions retardées 8 ». Mais l'empereur insiste : « Mon fils,
rien, dans le moment, ne peut survenir plus à propos dans nos relations avec
la France qu'un tel mariage9. »
Simon Renard, ambassadeur à Londres, est chargé de conduire la
négociation10. Le mariage anglais est son œuvre  : un miracle d'habileté et
d'utilisation desressorts psychologiques qui dirigent les hommes. Dans les
troubles qui marquent l'avènement de Marie, il avance pas à pas, séduit la
reine et ses principaux conseillers. Non sans peine ! Le nouveau chancelier
d'Angleterre, Stephen Gardiner, n'est pas favorable à un tel mariage  : à
Philippe d'Espagne, il préfère Edouard Courtenay, comte de Devonshire,
qu'il a connu en prison à la Tour de Londres11. Les luthériens ont été
persécutés par Henri VIII, puis les catholiques par Edouard VI, de nouveau
les protestants le sont. Jam nos de somno surgere est le thème du sermon
que prononce Gardiner – par ailleurs évêque de Winchester – devant le
Parlement, implorant le pape de reprendre l'Angleterre au sein de l'Eglise :
« Maintenant, il est grand temps de sortir du sommeil12. »
Contre le projet de mariage de la reine, une insurrection éclate à Londres
en janvier 1554  : elle est réprimée dans le sang. Thomas Wyatt, qui la
conduit, est exécuté, Jane Grey aussi; Courtenay est jeté en prison. Renard
souhaiterait qu'Elisabeth, la sœur de la reine, le soit également! Il n'obtient
pas satisfaction13. Mais il a les mains libres pour agir. Marie est catholique,
espagnole de religion et de formation. Elle reçoit le portrait que Titien a
peint de Philippe : avant même de le connaître, elle tombe amoureuse. C'est
trop beau  ! Il faut aller vite  : Charles Quint se moque des réticences de
Philippe; il ordonne à son fils de partir sur-le-champ pour Londres. Le
mariage a pour objectif d'unir les Pays-Bas à l'Angleterre et, par là,
d'assurer leur avenir. Si Philippe et Marie ont un héritier, il régnera à
Londres et à Bruxelles. Charles Quint reprend à son compte la politique
d'entente entre laBourgogne et l'Angleterre, qui a conduit Charles le
Téméraire à épouser Marguerite d'York. Le mariage de Philippe d'Espagne
et de Marie d'Angleterre ouvre la voie à l'abdication14.
En janvier 1554, l'empereur informe le père Juan de Ortega, général de
l'ordre de Saint-Jérôme, qu'il désire se retirer dans le monastère de Yuste, y
construire une maison, qui sera accolée à l'église et dont il lui envoie les
plans. Il précise que le gouvernement de Castille réglera la dépense. Charles
a commencé la lettre de sa main, son écriture tremble, il ne peut la
terminer : il en dicte la fin à Guillaume Van Male, qui la signe en son nom.
 

Il a pris sa décision : en Espagne, il pourra bénéficier du soleil et de la


chaleur dont il a de plus en plus besoin. Il pense aussi aux moments de
bonheur qu'il a connus, avec Isabelle, à Séville et Grenade. Il choisit pour sa
retraite un monastère de l'ordre de Saint-Jérôme. Les hiéronymites l'ont
toujours soutenu. Après la mort d'Isabelle, il s'est retiré dans un de leurs
couvents. Mais il ne connaît pas Yuste, ne s'est jamais rendu dans la vallée
de Plasencia. Les comptes qui retracent ses déplacements, le Journal de
Jean de Vandenesse ne mentionnent pas les noms de Cuacos et Jarandilla.
Charles Quint se détermine «sur des renseignements qu'on lui fournit15». Il
choisit Yuste sur catalogue.
Son fils est le premier surpris. Il reçoit l'ordre d'aller à Yuste avant
d'embarquer pour l'Angleterre. Le 24 mai 1554, il arrive au monastère,
assiste à la procession de la Fête-Dieu. Le lendemain, accompagné du père
général et de l'architecte Luis de Vega, il visitel'emplacement sur lequel doit
s'élever la maison de son père. Il approuve les plans, dégage une somme de
trois mille ducats pour le paiement des travaux. Après son départ, le père
général réunit les moines, qui ne manifestent aucun enthousiasme. Ils se
moquent de l'honneur que leur fait l'empereur; ils sont plus préoccupés des
inconvénients que provoquera sa présence parmi eux.
Philippe embarque à La Corogne le 13 juillet avec quatre mille hommes.
La flotte qui le conduit en Angleterre comprend soixante-dix navires  : il
doit impressionner. Au duc d'Albe qui l'accompagne, l'empereur écrit  : «
Pour l'amour de Dieu, faites en sorte que mon fils se comporte comme il
doit le faire16 ! » A peine arrivé, Philippe épouse Marie dans la cathédrale
de Winchester, le 25 juillet 1554, en la fête de Saint-Jacques, patron de
l'Espagne.
A ce moment, l'empereur se trouve en campagne dans la région de
Namur. Le voyage de son fils a entraîné de telles dépenses qu'il n'a pu lever
les troupes nécessaires. Or le roi de France a envahi les Pays-Bas, pris
Marienbourg, enlevé Bouvines, dévasté Dinant, mis le siège devant Renty.
La goutte ne laisse aucun répit à Charles Quint. Se déplaçant en litière,
malgré ses souffrances, il prend le commandement de son armée. Avec des
moyens réduits, il protège ses places fortes et harcèle les arrières de
l'ennemi. Henri II ne peut prendre Renty et, le 15 août 1554, se retire en
Picardie.
Charles Quint a demandé à son fils de le rejoindre au plus vite, sitôt le
mariage célébré. Quand les Français battent en retraite, il lui écrit qu'il peut
prolonger son séjour à Londres. Marie, pour la première fois depuis son
enfance, est heureuse. Elle ne veut pas que son mari la quitte. Elle se croit
enceinte ou, du moins, feint de l'être  : Philippe ne peut pas l'aban-
donneravant la naissance de leur enfant  ! La Cour s'installe dans l'attente.
La reine doit accoucher en mai, puis en juin... En juillet, Marie révèle
qu'elle n'est pas enceinte  ! Philippe ne supporte pas d'être ridicule  : or il
l'est, sans les moyens de partir. Pour ses dépenses quotidiennes, il doit
emprunter. Il réclame de l'argent à son père, qui n'en a pas plus que lui ! Sa
grand-mère meurt à Tordesillas : il doit organiser un service à sa mémoire,
mais ne peut en régler les frais. Charles Quint lui demande d'apporter à
Bruxelles les tentures de drap noir apposées dans la cathédrale de
Winchester, afin qu'elles puissent servir une deuxième fois.
Cependant, la campagne de 1555 a bien commencé : en Italie, les troupes
impériales ont repris Sienne et, en France, des négociations se sont ouvertes
à Gravelines. Mais chaque camp exige de l'autre les sacrifices qu'il ne veut
pas s'imposer à lui-même. Les Français réclament le duché de Milan pour le
duc d'Orléans et le royaume de Navarre pour le duc de Vendôme; les
Espagnols proposent de remettre le Milanais en dot à Elisabeth de France,
qui épouserait Carlos d'Espagne. Ils demandent le retour à l'Empire des
évêchés de Metz, Toul et Verdun, le rattachement de la Corse à Gênes.
Aucune des deux puissances n'est assez forte pour dicter sa loi, ni assez
faible pour subir celle de l'autre. Pour conclure la paix, il faudra attendre
que la lassitude l'emporte et que le manque de moyens fasse sentir ses
effets.
Grâce à des lettres de change envoyées d'Espagne, Philippe peut enfin
régler ses dettes. Aussitôt, il se sépare de sa femme et gagne Bruxelles.
Réunissant un conseil restreint – auquel seuls deux ministre, Antoine de
Granvelle et Louis de Praet, participent – l'empereur confirme sa décision
d'abdiquer. Il abandonnera le pouvoir à Bruxelles, dans le palais où il l'a
reçu en janvier 1515. Il est empereur d'Allemagne, roi de Castille et
d'Aragon,duc de Milan, roi de Naples et de Sicile, maître du Nouveau
Monde, mais c'est à Bruxelles qu'il entend terminer sa vie publique.
Dans les dix-sept provinces, les gouverneurs, les chanceliers, les
présidents des cours de justice ont mission d'expliquer que l'empereur ne
peut plus exercer le pouvoir, en raison de ses infirmités. L'administration
des Pays-Bas envoie des modèles de procuration dans chaque ville. Les
réticences sont nombreuses  : le Hainaut et la Gueldre demandent que
Philippe II prête sur place le serment d'usage; le Brabant exige une
autonomie accrue. A l'occasion du changement de souverain, les
gouvernements locaux s'efforcent d'augmenter leurs pouvoirs. Les
particularismes s'expriment, les rancœurs et les peurs aussi. Philippe est
espagnol, ne parle pas la langue et ne connaît pas les coutumes des Pays-
Bas. L'empereur tient compte des réserves et repousse la date de son
abdication. Comme il l'a toujours fait, il agit par touches successives,
s'efforce de rallier les opposants. D'octobre 1555 à son départ des Pays-Bas
en septembre 1556, il va procéder en six étapes.
L'ordre de la Toison d'or constitue le fondement de sa puissance : c'est la
maîtrise de l'Ordre qu'il transmet à son fils en premier. Le lundi 21 octobre
1555, il réunit le conseil de la Toison d'or, invite les chevaliers à reconnaître
son fils pour chef de l'Ordre. Philippe se retire, la proposition de l'empereur
est votée à l'unanimité. Philippe est rappelé et l'empereur se tourne vers lui :
« Voyez ces seigneurs : ils ont été les plus fidèles, les meilleurs que j'ai
jamais eus. Ils ont représenté le soutien de l'Empire; ils m'ont permis de
surmonter les périls que j'ai rencontrés. Je leur ai toujours porté une amitié
particulière. Si vous le faites aussi, ils vous porteront la même affection,
vous témoigneront la même reconnaissance et ne vous abandonneront
jamais. Sivous les traitez mal, ils seront la cause de la perte de vos Etats17. »
Le lendemain, Charles Quint pourvoit aux dignités ecclésiastiques, aux
charges civiles et militaires qui se trouvent vacantes. Avant de quitter le
pouvoir, il renforce l'administration de l'Etat bourguignon dans les Pays-Bas
et en Franche-Comté. Il nomme Philippe de Montmorency chef des
finances et Pierre Boisot trésorier général. Charles de Brimeu reçoit le
gouvernement du Luxembourg, Charles de Berlaymont celui de Namur,
Jean de Montmorency celui de Lille, Pierre de Werchin celui de Tournai.
Maximilien de Melun est fait gouverneur d'Arras, Adolphe de Bourgogne
bailli de Gand. Pierre Asset devient président du Conseil d'Artois18.
L'administration bourguignonne, issue pour l'essentiel des rangs de la
bourgeoisie et de la petite noblesse, constitue l'ossature des Pays-Bas. Elle
est toute dévouée à Charles Quint; elle le sera de même à son fils.
Depuis son retour à Bruxelles, Charles Quint n'habite plus le palais des
ducs de Brabant, mais une petite maison, rue de Louvain, en bordure du
parc. Il s'est installé au premier étage dans un appartement de deux pièces :
une chambre et une salle de réception. Sur les murs peints en vert, ses
armes et sa devise Plus oultre. Un corridor relie la chambre à une chapelle,
dans laquelle Charles Quint assiste chaque matin à la messe. Les pièces du
rez-de-chaussée sont occupées par des domestiques et le « sommelier de
corps », Jean de Poupet.
Le jour de l'abdication est venu. Le vendredi 25 octobre 1555, dans
l'après-midi, l'empereur quitte sa maison, accompagné de son fils, du duc de
Savoie, du comte de Boussu, son grand écuyer, et de Jean de Poupet. Il ne
peut marcher : on le hisse sur une mule. Il gagne la grande salle du palais19.
Les tapisseries de la Toison d'or ont été tendues sur les murs, les armes de
Bourgogne placées derrière l'estrade  : présidant pour la dernière fois une
séance des Etats généraux, Charles Quint a dressé autour de lui les
symboles de l'Etat bourguignon. Le public se presse aux portes et s'entasse
dans les pièces voisines  : pour le contenir, la garde doit intervenir20. Les
députés ont pris place dans l'ordre assigné par le protocole  : les duchés
d'abord, les comtés ensuite, les seigneuries enfin. Jamais l'assemblée des
Etats n'a été aussi nombreuse : à elle seule, la Flandre a envoyé à Bruxelles
près de cent représentants.
 

Dans un profond silence, l'empereur entre dans la salle, la main gauche


sur une canne, la droite sur l'épaule du prince d'Orange. Derrière lui,
s'avancent son fils, sa sœur Marie, le duc de Savoie, les chevaliers de la
Toison d'or.
Philibert de Bruxelles, membre du Conseil d'Etat, rappelle les motifs de
la réunion. Né à Anvers, il a siégé au Parlement de Malines ; Charles Quint
a souvent fait appel à lui pour des missions délicates. Aujourd'hui, il est
chargé de présenter les raisons de l'abdication : l'empereur ne supporte plus
les « froidures » des Pays-Bas, sa santé est mauvaise. Il a décidé de remettre
à son fils la possession de tous ses territoires. Il remercieses sujets des
concours qu'ils lui ont apportés, les exhorte à maintenir l'unité de la foi, à
servir l'Eglise et à révérer la justice, « sans laquelle la république chrétienne
ne peut se soutenir ». Pour les députés, ce discours ne comporte rien de
nouveau, mais Philibert de Bruxelles a trouvé le ton juste pour le prononcer.
L'empereur se lève, met ses lunettes avec peine et, tenant à la main
quelques notes, parle à son tour. Il s'exprime en français, sa langue
maternelle. Il évoque son émancipation à quinze ans dans cette salle, son
premier voyage en Espagne à dix-sept ans, son élection à l'Empire à dix-
neuf ans. Il rappelle sa vie de nomade, jamais en repos, courant d'une mer à
l'autre, ses voyages en Allemagne, en Espagne, en Italie, en France et en
Angleterre. Il est venu dix fois dans les Pays-Bas, sa «terre d'affection ».
Aujourd'hui, il est un homme fatigué, infirme, qui aspire au repos. Il a dû
faire la guerre, souvent contre son gré. Il raconte ses dernières campagnes,
les conditions dans lesquelles il a forcé Henri II à lever le siège de Renty. Il
regrette de « n'avoir pu mieux faire »  ! Sa mère, au nom de laquelle il
régnait sur la Castille, est morte; son fils Philippe a atteint l'âge d'homme :
il exercera, mieux que lui, le pouvoir21. Lui ne peut plus s'occuper du
gouvernement, sa santé ne lui permet plus de faire face aux obligations de
sa charge.
Il appelle au rassemblement autour de son fils et conclut : « Je sais bien,
Messieurs, que j'ai commis de grandes fautes, dues à mon jeune âge, mon
ignorance et ma négligence. Mais, jamais, je ne vous ai fait violence, ni
causé de torts. Si je l'ai fait, ce ne fut pas par ma volonté, mais par
ignorance. Je le regrette et vous en demande pardon. »
Il se rassied. Des larmes coulent sur de nombreux visages. Charles pleure
lui aussi. Selon l'usage, un représentant du Brabant doit répondre au
souverain : c'est Jacques Maes, député d'Anvers réputé pour son éloquence,
qui a été choisi. Il est emphatique  : «Les Etats feraient d'instantes et
d'humbles prières, afin d'obtenir que l'empereur revienne sur sa décision,
mais ils savent que celle-ci est irrévocable. » Ils se soumettent donc à sa
volonté, serviront son fils de toutes leurs forces, « avec leurs corps et leurs
biens, le même amour et le même zèle ».
Philippe s'agenouille devant son père, qui lui dit, non plus en français,
mais en espagnol cette fois : « Mon cher fils, je vous donne tous mes pays
de par-deçà comme je les possède, avec tous les avantages, profits et
émoluments qui en dépendent. Je vous recommande la religion catholique
et la justice. »
Philippe répond, lui aussi, en espagnol  : « Sire, vous m'imposez une
charge très lourde. Je vous ai toujours obéi : j'accepte les pays que vous me
cédez. Je supplie Votre Majesté de vouloir les secourir et les garder en
bonne recommandation. » Il ajoute à l'adresse des Etats, cette fois en
français : « Je comprends le français, mais je le parle mal. Vous entendrez
donc ce que l'évêque d'Arras va vous dire de ma part. »
Antoine de Granvelle précise que Philippe n'a rien demandé et qu'il se
contente d'obéir à son père. Il répond ainsi à la rumeur selon laquelle le
prince aurait fait pression sur Charles Quint pour obtenir le pouvoir  ! Il
ajoute que Philippe sera présent à Bruxelles « aussi souvent que ses affaires
le lui permettront » et que, naturellement, les coutumes et les libertés des
Pays-Bas seront maintenues.
La reine Marie demande l'autorisation de dire quelques mots. Elle
rappelle que son frère lui a confié le gouvernement des Pays-Bas en janvier
1531 : elle avait alors vingt-cinq ans. Elle a souvent voulu être déchargée de
ses fonctions. Elle aussi se retire : « J'aidésiré votre bien comme personne
au monde. Selon mon devoir, je me suis attachée à chacun d'entre vous. »
 

Charles Quint se tourne vers sa sœur, la regarde avec tendresse et la


remercie. Au nom des Etats généraux, prenant une seconde fois la parole,
Jacques Maes l'assure de la reconnaissance du pays. Granvelle conclut la
séance en indiquant que la prestation des serments aura lieu le lendemain.
L'empereur se lève, gagne la salle du Conseil privé, attend que les députés
aient quitté le palais, puis reprend le chemin de sa petite maison. La foule
s'écoule lentement, « impressionnée par la grandeur du spectacle auquelle
elle vient d'assister22 ». La cérémonie de l'abdication constitue le point
d'orgue de la vie de Charles Quint. L'homme le plus puissant de son époque
juge la déchéance physique incompatible avec l'exercice des
responsabilités : il quitte le pouvoir avant que celui-ci l'abandonne.
Le 16 janvier 1556, il renonce aux royaumes d'Espagne. Trois actes
distincts sont établis. Le premier concerne les royaumes de Castille, León,
Grenade et Navarre, les Indes, « îles et terre ferme découvertes et à
découvrir ». La cérémonie se déroule en espagnol; l'acte est dressé par
Francisco de Erasso, agissant comme notaire public. Philippe reçoit la
souveraineté à genoux en présence de représentants des divers royaumes23.
La deuxième renonciation porte sur les royaumes d'Aragon, de Valence, de
Sardaigne, de Majorque, la principauté de Catalogne, les comtés de
Barcelone, de Roussillon et de Cerdagne. L'acte est dressé en latin. La
troisième renonciation concerne le royaume de Sicile Là encore, l'acte est
rédigé en latin.Comme les précédents, il est conservé dans les archives de
Simancas.
Dans le même temps, Charles Quint écrit aux évêques, aux recteurs des
universités, aux élus municipaux pour leur expliquer lui-même les raisons
de son abdication. Il met en cause le roi de France qui s'est allié avec le
Turc « au grand dommage de la chrétienté ». Cette situation a entraîné pour
lui «des fatigues excessives ». Il ne peut plus s'occuper des affaires de l'Etat.
Il ajoute dans une notation qui le dépeint tout entier : « Je suis devenu un
obstacle à ce qu'elles soient conduites comme elles devraient l'être24. »
Il lui reste à abdiquer la souveraineté sur la Franche-Comté. Le traité de
juillet 1555 a confirmé la neutralité de la Comté, mais l'empereur s'est
engagé pour lui-même, non pour son fils : il craint que Henri II n'en profite
pour s'emparer de Dole. La trêve de Vauxelles de février 1556 le tire de cet
embarras. Aussitôt, il ordonne la convocation des Etats généraux, désigne
pour le représenter Claude de Vergy, gouverneur de la Comté, Pierre de
Barres, président du Parlement, et Jean de Poupet. Les Etats se réunissent à
Dole le 10 juin 1556. Le président explique les raisons de l'abdication,
désormais connues de tous : le cas de la Comté ne saurait être dissocié de
celui des autres possessions de l'empereur. Sans exprimer la moindre
réserve, les députés prêtent serment à leur nouveau roi et envoient à
Bruxelles une mission porter à Philippe l'hommage de la province.
En droit, Charles Quint est toujours empereur, mais n'intervient plus dans
l'administration de l'Empire. Son frère Ferdinand redoute l'élection  : si
Charles abdique, il n'est pas certain d'être élu à sa place. Ilsouhaite donc que
l'empereur diffère sa décision. Ne pouvant se rendre à Bruxelles, il lui
envoie ses deux fils  : d'abord Ferdinand, que Charles n'aime guère, puis
Maximilien, l'aîné, qui a épousé Marie d'Espagne. L'empereur a grande
envie de revoir sa fille une dernière fois : il attend sa venue avant de quitter
les Pays-Bas. Il s'est retiré à la campagne, dans les environs de Bruxelles,
pour se mettre à l'abri de la peste. Quand Maximilien et Marie arrivent en
juillet 1556, il regagne la rue de Louvain, mais fait allumer de grands feux
devant sa maison pour se protéger de l'épidémie25...
Il accepte la proposition que lui transmettent Maximilien et Marie  :
Ferdinand convoquera la diète quand il le jugera opportun. Mais, dès à
présent, Charles Quint écrira aux électeurs une lettre précisant ses
intentions. Ses ambassadeurs remettront à la diète sa renonciation à
l'Empire : les formes et les susceptibilités des princes allemands seront ainsi
respectées.
Le 8 août 1556, Maximilien et Marie quittent Bruxelles et Charles Quint
prend la route de Gand. Il a reçu d'Espagne l'argent qui lui permet de
licencier les membres de sa maison, qui comporte encore plus de quatre
cents personnes. Ses dettes envers ses serviteurs s'élèvent à deux cent mille
écus  ! Les congédiant un à un, l'empereur choisit ceux qui vont
l'accompagner dans sa retraite  : Jean de Poupet, Luis Quijada, Martin de
Gaztelú et Guillaume Van Male.
D'une vieille famille de Castille, Luis Quijada a suivi l'empereur dans
toutes ses guerres  : recruté comme page, il est devenu majordome et
colonel. Deux de ses frères sont morts au combat, l'un devant Tunis, l'autre
devant Thérouanne; lui-même a été blessé d'un coupd'arquebuse à Tunis. Il
est si lié à Charles Quint qu'il n'a pas rejoint l'Espagne pour son mariage : il
a épousé sa femme par procuration.
Après Quijada, l'homme nécessaire, parce qu'il connaît bien les affaires
d'Espagne, est Martin de Gaztelú. Il a débuté dans l'administration comme
conseiller de Francisco de Erasso, qui l'a formé. L'empereur apprécie son
jugement et sa discrétion.
Guillaume Van Male ne le quitte plus  : de nuit comme de jour, il écrit
sous sa dictée. Enfin, pour médecin, Charles Quint choisit Henri Mathys, de
Bruges, que lui conseille son fils.
Avant de quitter les Pays-Bas, il prend des dispositions qui illustrent son
souci du détail : il fait retirer son testament du château de Rupelmonde, se
sépare des joyaux, des tapisseries, des pièces d'argenterie qui l'ont toujours
accompagné26. Il ne conserve que la vaisselle nécessaire à son service
personnel, les reliquaires et les tableaux auxquels il est attaché. Le 28 août
1556, il fait à Gand ses adieux à son fils, qu'il ne reverra plus. Par le
nouveau canal creusé sous son règne, il rejoint la Zélande et attend que le
vent devienne favorable. A Souburg, avant d'embarquer, il signe l'acte de
renonciation à l'Empire, désigne les ambassadeurs qui le représenteront
devant la diète : Guillaume de Nassau, George-Sigismond Held, Wolfgang
Haller. Il a le désir de « se dénuer de tout »: quoi qu'il arrive, il accomplira
son destin.
Il lui reste à choisir le bateau qui le conduira en Espagne. Dans un
premier temps, il a retenu une hulque de Hollande puis, sur les conseils de
Philippe, un navire de Biscaye, qui appartient à Martin de Bertendona et
jauge cinq cent soixante-cinq tonneaux.On a aménagé pour lui un
appartement de deux pièces, installé dans un cabinet l'étuve et le poêle
chauffé à blanc, dont il ne peut se passer. Le lit de la chambre est suspendu
au plafond comme une balançoire, retenu au sol par des étais de bois afin de
limiter l'amplitude du roulis27.
Quel jour l'empereur embarque-t-il à Flessingue  ? La date a été
controversée, mais le compte de la recette générale des finances des Pays-
Bas pour 1556 comprend une déclaration de frais de voyage établie au nom
de Charles Quint le 15 septembre28.
L'absence de vent oblige la flotte, que commande Luis de Carbaja, à
mouiller plusieurs jours dans le port de Remmekens. Enfin, le vent se lève
et la Bertendona cingle vers la Biscaye. Trente-neuf ans auparavant, le 5
septembre 1517, Charles a entrepris le même voyage  : il partait recueillir
l'héritage de ses grands-parents. Il avait dix-sept ans  : l'attendait la
perspective d'un grand règne à la mesure d'un monde nouveau. Aujourd'hui,
il est brisé par l'âge, les infirmités, les échecs.
Parce que la déchéance est venue et qu'elle est irrémédiable, il rêve de
s'ensevelir. Il porte, enfoui en lui, le désir de l'anéantissement, déjà si fort
chez son arrière-grand-père Charles le Téméraire, mais il est trop croyant
pour oser le suicide. A l'avant de la Bertendona, il s'interroge : comment, si
vite, est venu le crépuscule? Il se souvient de l'aube de sa vie où, chaque
matin, l'espérance claquait comme une voile.
1 Il charge alors une commission de recenser les monastères dans lesquels il pourrait se retirer :
Yuste lui sera proposé comme un choix possible.
2 Saint François Borgia, canonisé par Clément X en 1671.
3 Bartolomé Bennassar, Valladolid au siècle d'or, p. 157.
4 « Bien avenos cumplido ambos nuestras palabras » (Ribadeneyra, Vital del Padre Francesco de
Borja, p. 380; Auguste Mignet, Charles Quint, son abdication, son séjour et sa mort au monastère de
Yuste, dans la onzième édition que j'ai utilisée, p. 174).
5 Dépêche de Lourenço Pires au roi Jean III de Portugal du 15 février 1557, par laquelle il rend
compte de sa mission (François-Auguste Mignet, Charles Quint, son abdication, son séjour et sa
mort au monastère de Yuste, p. 183).
6
Ibid., p. 68.
7 Dans son dernier testament, Henri VIII a réglé aussi sa succession entre ses enfants  : d'abord
Edouard, puis Marie, Elisabeth enfin.
8 Mathieu Tridon, Simon Renard, p. 81. Michelet, Renaissance et Réforme, p. 478.
9 Lettre du 30 juillet 1553, François-Auguste Mignet, Charles Quint, son abdication, son séjour
et sa mort au monastère de Yuste, p. 70.
10 Simon Renard est né à Vesoul en 1513. Maître des requêtes de l'Hôtel pour les affaires de
Bourgogne, il est ambassadeur à Paris, puis à Londres. Il mourra, disgracié, à Madrid en 1573.
11 Edouard Courtenay est l'arrière-petit-fils du roi Edouard IV.
12 Royall Tyler, L'empereur Charles Quint, p. 221.
13 Il écrit à l'empereur que « les lois d'Angleterre sont si peu satisfaisantes qu'il est impossible
d'exécuter quelqu'un sans avoir fait la preuve qu'il est coupable » !
14 Louis-Prosper Gachard et Charles Piot ont publié en 1882, dans le tome quatrième des Voyages
des souverains des Pays-Bas, la correspondance diplomatique concernant le mariage de Philippe II et
de Marie d'Angleterre.
15 Louis-Prosper Gachard, Retraite et mort de Charles Quint, introduction, p. 44.
16 Royall Tyler, L'empereur Charles Quint, p. 234.
17 Ce discours a donné lieu à controverse. Le Petit, dans sa Grande chronique de Hollande, le
mentionne (t. I, p. 234); Mignet, dans son Charles Quint, y fait référence (p. 91). Mais Gachard le
met en doute, « alors même qu'il ne serait pas tout à fait invraisemblable », car il n'apparaît pas dans
le procès-verbal de la réunion du 21 octobre 1555. Or, ajoute-t-il, « les procès-verbaux des
assemblées de la Toison d'or sont toujours très détaillés » (p. 74).
18 Louis-Prosper Gachard, Retraite et mort de Charles Quint, introduction, p. 170-185.
19 Le palais des ducs de Brabant a été détruit par un incendie dans la nuit du 3 au 4 février 1731.
20 La description de la cérémonie, conservée aux archives de Belgique et vraisemblablement
rédigée par un contemporain, indique que, malgré l'intervention des gardes, « il y eut grande division
et foulée à l'entrée » (Louis-Prosper Gachard, Retraite et mort de Charles Quint, introduction, note p.
83).
21 Vicente de Cadenas y Vicent, Hacienda de Carlos V al fallecer en Yuste, p. 8.
22 Louis-Prosper Gachard, Retraite et mort de Charles Quint, introduction p. 105.
23 Prudencio de Sandoval, Historia de la vida y hechos del emperador Carlos V, tome II, p. 603;
Auguste Mignet, Charles Quint, son abdication, son séjour et sa mort au monastère de Yuste, p. 103-
104.
24 Louis-Prosper Gachard, Retraite et mort de Charles Quint, introduction, p. 113-114.
25 Louis-Prosper Gachard a retrouvé, dans les comptes de 1556, une lettre de l'empereur en date
du 11 juillet 1556, enjoignant au receveur des domaines de faire brûler, rue de Louvain, cent fagots
par jour pendant vingt jours (Louis-Prosper Gachard, Retraite et mort de Charles Quint, introduction,
p. 151).
26 Dans les archives du département du Nord à Lille, figure, parmi les liasses de la Chambre des
comptes, une lettre de Philippe II en date du 11 juillet 1556, qui ordonne au trésorier des chartes de
remettre le testament de son père à l'évêque d'Arras.
27 Auguste Mignet, Charles Quint, son abdication, son séjour et sa mort au monastère de Yuste,
p. 134.
28 Louis-Prosper Gachard, Retraite et mort de Charles Quint, introduction, p. 144. Mignet, à tort,
indique le 13 septembre (Charles Quint, son abdication, son séjour et sa mort au monastère de Yuste,
p. 127).
CHAPITRE XVII

La retraite

La Bertendona laisse Calais à bâbord et double le 22 septembre l'île de


Wight. Le vent souffle, fort et régulier, qui la conduit le 28 septembre dans
le port de Laredo sur la côte cantabrique1.
Gachard a publié les lettres de Quijada et de Gaztelú, qui constituent un
véritable journal de la vie de Charles Quint, depuis son débarquement à
Laredo jusqu'à sa mort à Yuste. En sa qualité de majordome, Quijada
évoque les détails de la journée, veille sur la santé de l'empereur, se
préoccupe de son régime alimentaire : les lettres qu'il adresse à Valladolid
ou à Bruxelles sont pleines de demandes d'olives, d'anchois, d'huîtres et
d'anguilles. Gaztelú s'intéresse davantage aux affaires publiques. Le
majordome et le secrétaire se complètent l'un l'autre2.
A Laredo, personne n'attend l'empereur, sauf l'évêque de Salamanque et
un alcade de casa y corte, du nom de Durango. L'évêque se charge de loger
Charles Quint, le magistrat d'assurer sa sécurité. Gaztelú écrit à Valladolid
au secrétaire d'Etat Juan Vasquez de Molina : « Sa Majesté est courroucée
de la négligence mise à préparer son voyage3. » Les ordres donnés n'ont pas
été exécutés  : l'accueil de l'Espagne n'est pas celui que Charles Quint
espérait! Pas un prêtre pour célébrer la messe  : les chapelains qu'il a
emmenés avec lui des Pays-Bas, malades, sont restés à bord et ceux qu'il a
demandés ne sont pas arrivés. Les marins de la Bertendona, qui ne sont pas
payés, les retiennent en otages !
La princesse Jeanne apprend avec retard l'arrivée de son père; elle
prévient aussitôt Luis Quijada, parti se reposer dans son château de
Villagarcia. Quijada se précipite, mais n'arrive à Laredo que le 5 octobre. Le
lendemain, l'empereur se met en route. Les serviteurs le suivent à pied : les
chevaux nécessaires n'ont pu être réunis. Devant la litière, Durango et cinq
alguaciles, armés de bâtons de justice, « semblent moins escorter un
souverain que conduire un prisonnier4 ». Les étapes sont courtes, les
logements sommaires; Charles est fatigué : il faut cinq jours au convoi pour
atteindre Medina de Pomar5.
Mais il est toujours aussi goinfre. En route, il dévore des melons et des
pêches; le soir, il se jette sur le thon frais, qui le rend malade6. Ses
compagnons sontdécouragés ; lui ne l'est pas, tout à son projet de retraite.
La nouvelle de son retour s'est vite répandue. Arrivant à Burgos, il trouve
des rues illuminées et pavoisées en son honneur. Le peuple accourt pour le
saluer. A Cabezon, son petit-fils Carlos l'attend : il a onze ans, une épaule
plus haute que l'autre, le crâne difforme7. Il paraît n'avoir de force que pour
se fâcher. Apercevant la chaufferette que son grand-père serre entre ses
doigts gourds, il la réclame, trépigne; il convoite tout ce qu'il voit. « Tu
l'auras quand je serai mort », répond l'empereur. Mais quel choc : c'est ce
garçon qui est appelé à lui succéder ! C'est pour lui qu'il a couru l'Europe et
mené ses combats !
Carlos adore les récits de bataille; Charles lui décrit ses guerres
d'Allemagne, ses victoires, ses échecs. Quand il aborde sa fuite d'Innsbruck,
Carlos l'arrête :
« Je n'aurais pas fui !
– Mais, si tu avais été trahi, abandonné par les tiens, n'aurais-tu pas été
obligé de fuir ?
– Non, je n'aurais pas fui ! »
Son acharnement séduit Charles, son excitation l'inquiète. Il confie à sa
sœur Eléonore : « Carlos est très agité. Son comportement et son humeur ne
me plaisent guère. Je ne sais ce qu'il deviendra avec le temps8. »
A Valladolid, Jeanne a cru bien faire en réunissant les membres du
Conseil d'Etat, de la Cour, les hauts fonctionnaires qui ont travaillé avec
l'empereur, mais Charles refuse de participer à la réception. Il est déjàà
Yuste par la pensée; il ne songe qu'à organiser sa cohabitation avec les
moines. Comment conserver son indépendance et respecter la leur  ? Il ne
veut ni prendre leur genre de vie, ni le troubler.
Les hiéronymites viennent de traverser une crise grave, qui les a conduits
à remplacer leurs dirigeants : le père général a été déclaré inéligible à toute
fonction sa vie durant. Il voulait modifier les règles d'élection au conseil de
l'ordre, les moines ne l'ont pas suivi. L'empereur lui propose un évêché,
qu'il refuse  : «J'ai été incapable de diriger l'ordre; comment pourrais-je
conduire un diocèse ? » Il aime les lettres et les vins : c'est un humaniste,
mais il ne sait pas commander les hommes. Le père qui lui succède se met,
comme lui, aux ordres de l'empereur, recommande les confesseurs, les
prédicateurs et les chantres que Charles Quint va emmener à Yuste et avec
lesquels il forme sa dernière maison, sa maison religieuse. L'empereur
consacre deux semaines à ce travail d'organisation, puis il quitte Valladolid
le 4 novembre. Il se sépare de sa fille et de son petit-fils, qu'il ne reverra
plus. Seuls quelques hallebardiers l'accompagneront.
Le 6 novembre, il s'arrête à Medina del Campo dans le palais de Rodrigo
de Duenas, l'homme le plus riche de Castille9. D'une famille modeste
d'origine juive, Duenas a bâti une énorme fortune, vite et sans scrupule : il a
confondu ses fonctions publiques et ses activités privées. Devenu membre
du Conseil des finances, il n'a pas cessé d'être banquier. Il reçoit l'empereur
et en fait trop  ! Dans un brasero d'or brûle du cannelier venu de Ceylan  :
Charles est asthmatique, l'odeur du cannelier l'incommode et il n'aime pas
les hommes d'argent. Il ne veut rien devoir à Duenas; quand il part, il refuse
de le rencontrer, le blesse en ordonnant que lui soient réglés les frais de la
nuit.
Il ne veut plus voir personne. Il va dans sa litière, au pas des chevaux,
emmitouflé dans des fourrures. Il fait froid et les premières neiges couvrent
la sierra de Gredos. Il songe à ce qu'il fut, aux mois qu'il lui reste à vivre.
Seul avec ses souvenirs. Les étapes de son dernier voyage sont des villages
isolés aux noms splendides  : Horcajo de las Torres, Peñaranda de
Bracamonte, Alaraz, Gallegos de Solmirón, El Barco de Ávila10. Le long du
rio Jerte, il descend vers l'Estrémadure. Le soir à Tornavacas, il regarde, à la
lueur des torches, pêcher dans le torrent les truites de son repas. En
novembre 1997, j'ai suivi le chemin qu'il emprunta en novembre 1556. J'ai
connu le même temps, la pluie et, le matin, le rideau de brume barrant
l'horizon; au terme de la route, le même miracle aussi, le soleil se levant et
la sierra de Gredos apparaissant couverte de neige11.
Charles veut aller vite, tant est grand son désir d'enfouissement. Pour
rejoindre Jarandilla, deux chemins s'ouvrent à lui  : le plus long par
Plasencia contourne la sierra de Tormantos; le plus court, par la montagne,
emprunte le col de Puerto Nuevo. C'est ce dernier qu'il choisit. Il commence
la journée dans une chaise à porteurs, la continue à pied s'appuyant sur
l'épaule de Quijada, la termine sur le dos d'un paysan12. Devant lui, des
hommes aménagent le chemin avec des pelles et des pioches, le rétablissent
quand il a été emporté par les pluies. Au col, l'empereur se retourne : « Je
ne franchirai plus d'autre passage que celui de la mort. »
A Jarandilla, il doit attendre que soit terminée à Yuste la construction de
sa maison. Le comte d'Oropesal'héberge dans son château. Jarandilla lui
plaît : de sa chambre, la vue s'étend sur des champs d'oliviers, d'orangers et
de citronniers. Du jardin montent des odeurs de plantes et de fleurs. Sa fille
lui a envoyé de Valladolid des petites anguilles, qu'il adore. Les pluies
d'automne viennent, les brouillards aussi : « Il pleut épouvantablement, écrit
Gaztelú, et, lorsque l'eau cesse de tomber, le brouillard s'élève, si épais
qu'on ne peut voir à vingt pas13. » Quijada et Gaztelú craignent pour
l'empereur l'humidité de l'Estrémadure et, pour eux, la solitude de Yuste. Ils
obéissent : c'est leur raison d'être, mais ils maugréent.
A aucun moment, Charles ne songe à renoncer. S'il ne va à Yuste,
d'ailleurs, où ira-t-il ? S'enfermer dans un palais à Valladolid avec, autour de
lui, l'essaim des médecins et des courtisans  ? A Quijada qui s'inquiète, il
répond qu'il a toujours connu en Espagne « le froid et la pluie en hiver». Il
fait aménager une cheminée dans sa chambre. Calé dans un fauteuil, ses
lunettes sur le nez, il lit les dépêches que, chaque jour, des courriers lui
apportent et dicte ses réponses à Gaztelú. Il suit les affaires de l'Etat,
s'emporte quand son fils tarde à prendre les décisions nécessaires. Il signe
toujours : « Moi, l'empereur. »
Le 25 novembre, le brouillard s'est levé. Il monte au monastère, trouve
les bâtiments plus agréables qu'il ne les imaginait14. Le voilà conforté dans
son projet15. Après Noël, la goutte le reprend et ne le quittera plus. Il ne se
soigne pas et mange toujours autant  : des pâtés d'anguilles de Valladolid,
des saucisses à la façon de Flandre du marquis de Denia, des veaux de
Saragosse, des huîtres fraîches de La Corogne, des anchois et despetites
olives noires d'Andalousie. Le matin, il commence sa journée en buvant une
pinte de bière. Il est goutteux, ses mains sont déformées, ses hémorroïdes
saignent, on doit le porter d'un fauteuil à l'autre, il digère mal, mais il se
refuse à suivre tout régime alimentaire ! Quijada se désole : La gota se cura
tapando la boca! « La goutte se soigne en fermant la bouche. » L'empereur
est incapable de cette discipline de vie qui, à défaut de le guérir, du moins le
maintiendrait en relative santé.
Le mal se porte d'abord sur la main droite, puis gagne peu à peu le corps
tout entier  : il remonte jusqu'à l'épaule, saisit le cou, le bras et la main
gauche, attaque les genoux. Charles doit garder le lit. Désemparé, Mathys
appelle en consultation un médecin milanais de passage, Giovanni Andrea
Mora, qui recommande pour les hémorroïdes une plante qu'on ne trouve pas
dans la région, déconseille la bière et suggère à l'empereur de quitter
l'Estrémadure. Il part sans être écouté : Charles Quint ne modifiera pas son
mode de vie.
Le goût des affaires, après quelques jours de lassitude, lui est revenu. Il
s'inquiète de la situation au Portugal et reçoit l'ambassadeur du roi,
Lourenço Pires de Tavora, qui a mission de trouver un mari à sa nièce
Marie de Portugal. Le roi de Navarre, Antoine de Bourbon – le père du
futur Henri IV –, veut devenir roi de Milan. Il menace de déclarer la guerre
et de s'allier avec le roi de France  ! Les nouvelles d'Italie sont plus
inquiétantes encore : la trêve de Vauxelles a été rompue et le pape pousse à
la guerre. Paul IV fait arrêter à Rome l'ambassadeur de Philippe II et
interdit la célébration des offices en Espagne. Il traduit l'empereur et son fils
devant un tribunal, exige que le premier soit déchu de l'Empire et le second
du royaume de Naples ! Il envoie à Paris son neveu, le cardinal Carafa, qui
partage sa haine des Habsbourg16. La guerre devient inévi-table.De sa
mission, Carlo Carafa rapporte la promesse de l'envoi en Italie d'un corps
expéditionnaire; une armée suivra aux ordres du duc de Guise.
Philippe II ne veut pas la guerre, mais le pape l'y contraint  : pour la
gagner, le roi prend l'offensive. Le duc d'Albe marche sur Rome, s'empare
d'Ostie, mais n'ose pas entrer dans la Ville éternelle, tant demeure vivace le
souvenir du sac de 1527  ! Venise offre sa médiation, une négociation
s'engage et une trêve de cinquante jours est décidée. Cinquante jours ! Le
temps pour le duc de Guise de gagner les Etats de l'Eglise et d'opérer sa
jonction avec les troupes que les Carafa lèvent de toute part. L'empereur
apprend la nouvelle de la trêve le 5 janvier 1557. Il entre en fureur,
condamne la faute politique, analyse ses conséquences : la perte des places
conquises et la guerre bientôt transportée par les Français dans le royaume
de Naples. «Il ajoute entre les dents, écrit Gaztelú, beaucoup d'autres
choses17 ! »
Il oublie sa goutte. A table, il dévore : Quijada rapporte qu'il se fait servir
une omelette aux sardines18. Il dicte dépêche sur dépêche à sa fille à
Valladolid, à son fils à Bruxelles. Il presse la régente de mettre en état de
défense les frontières de l'Espagne, de lever de nouvelles troupes. Il prédit
que la guerre sera générale au printemps. Comme s'il exerçait toujours le
pouvoir, il donne ses instructions : « Les Français ont suspendu sans raison
la trêve, comme ils l'ont conclue. Les affaires de la chrétienté et les nôtres
étant dans l'état où elles se trouvent, il convient de remédier à ce qui ne peut
plus être empêché. »
Jeanne doit envoyer des troupes dans les Pyrénées, répartir des navires
sur le littoral de la Méditerranée,payer au banquier Fugger les sommes qui
lui sont dues « afin de maintenir notre crédit », renforcer la défense d'Oran.
Ces mesures doivent être prises « sans attendre », notamment la défense
d'Oran «si nécessaire à la protection de l'Espagne ». L'empereur ajoute : «
Si la ville devait être prise, je ne voudrais être ni en Espagne ni dans les
Indes, mais dans un pays où je ne pourrais apprendre la nouvelle 19 ! »
Cette lettre est du 31 janvier 1557; Charles Quint demande qu'un navire
léger la porte sans retard à Bruxelles. Il renouvellera ses conseils, de Yuste
cette fois, le 12 février. Puisque l'Etat est en péril, de nouveau il en prend la
direction, car il redoute la faiblesse de son fils. Lui sait conduire une
guerre ! Philippe a-t-il la volonté et la capacité de s'opposer à la fois au pape
et au roi de France  ? L'empereur en doute. Le voici donc revenu aux
affaires... Va-t-il déjà renoncer à sa retraite  ? Il se reprend, lutte contre la
tentation du pouvoir qui l'envahit à nouveau. Serait-il incapable de lui
résister  ? Tel un personnage de Shakespeare qui va vers son contraire, il
hésite, pris dans les filets de ses contradictions. Très humain soudain, très
proche, très fragile. Finalement, sa volonté l'emporte : il gagne Yuste.
Le 3 février 1557, il se sépare des Flamands, des Bourguignons et des
Italiens qui l'ont accompagné jusqu'à Jarandilla. Dans l'après-midi, il monte
en litière; le comte d'Oropesa, Louis de Poupet et Luis Quijada l'entourent.
Quand le cortège se met en marche, les soldats jettent leurs hallebardes, «
comme si les armes utilisées au service de l'empereur ne devaient être
d'aucun autre usage 20 »...
Les moines viennent à la rencontre de Charles, deux par deux, derrière la
croix, chantant le Te Deum. AYuste, l'empereur est porté dans l'église sur un
fauteuil. Le prieur du couvent, s'adressant à lui, est si troublé qu'il l'appelle
« Votre Paternité »  ! « Dites Votre Majesté », lui souffle le moine le plus
proche. Quittant l'église, Charles se retire dans la maison où il va désormais
vivre et mourir.
Le monastère de Yuste a été fondé au début du XVe siècle, près d'un petit
cours d'eau dont il a pris le nom, dans une chaîne de l'Estrémadure couverte
de forêts de chênes, de hêtres, de châtaigniers et de noyers. L'eau jaillit de
partout  : approchant de Yuste, je n'ai entendu qu'elle  ! La vue domine la
vallée de La Vera, découvre au loin les monts de Guadalupe. La végétation
méditerranéenne est proche de celle de la Corse et de la Sardaigne, mais le
paysage est plus doux, plus apaisé. Yuste, de nos jours encore, s'offre
comme une terre promise : nul lieu n'est plus beau, plus harmonieux, plus
éloigné du tumulte du monde.
La villa que Charles Quint a fait construire – restaurée à l'occasion du
quatrième centenaire de sa mort – évoque un palais de Toscane. Elle
s'adosse à l'église; sa façade au sud donne sur un jardin planté de fleurs et
d'orangers, creusé en son milieu d'un grand bassin, dont les parois étaient
autrefois revêtues de carreaux bleus de Hollande. Charles a le goût des
jardins, des plantes et des fleurs. Il crée un massif d'oeillets de Tunis,
aménage une volière et une ménagerie, compose, comme un tableau, le lieu
de sa retraite.
Sa villa comprend deux niveaux. Il s'installe à l'étage supérieur dans un
appartement de quatre pièces ouvrant sur un grand patio, auquel on accède
du jardin par une rampe en pente douce. Les pièces au sud donnent sur les
orangers, les citronniers et les cyprès : la première à l'entrée sert de bureau,
la seconde de salle à manger. Une terrasse couverte la prolonge  : en se
penchant, on peut toucher les orangers du jardin. Charles Quint s'y tient
volontiers ; quand le temps le permet, il y prend ses repas. Sa chambre est
située aunord : par un escalier de quatre marches et une double porte, elle
ouvre sur le chœur de l'église. De son lit, l'empereur voit l'autel et peut
suivre les offices21. Selon ses instructions, les murs ont été tendus de drap
noir : le noir est sa couleur préférée, celle des vêtements qu'il porte depuis
la mort de son épouse. Mais aucune pauvreté ne marque sa retraite : Charles
vit à Yuste en grand seigneur, entouré de ses tableaux, de ses tapisseries et
de ses livres.
Vicente de Cadenas y Vicent, l'un des historiens qui l'ont le mieux
compris, affirme qu'il « ne s'est privé de rien22 ». Au XIXe siècle, Gachard
et Mignet, dépouillant les archives de Simancas et étudiant les récits des
moines, sont parvenus – avant lui – à la même conclusion. Pour l'essentiel,
les uns et les autres ont utilisé un manuscrit de Tomás Gonzáles, chanoine
de Plasencia, chargé après les guerres napoléoniennes de la réorganisation
des archives espagnoles. Simancas est une affaire de famille  : le chanoine
est le frère du conservateur des archives. Il explique dans sa préface : « Je
voyais, dans les historiens français, anglais, flamands et italiens, les faits
dénaturés23. » Longtemps, son manuscrit n'a pas trouvé d'éditeur; son frère
a fini par le vendre au gouvernement français24.
Pour décrire la retraite de Yuste, les historiens disposent de deux
documents exceptionnels : le testament dicté par Charles Quint à Gaztelú le
8 septembre 1558 et l'inventaire des meubles, de la garde-robe et des biens
de l'empereur établi après son décès. L'énumérationest émouvante dans sa
précision : nous connaissons les tableaux, les reliquaires, les coffres et les
sièges de noyer qui ornaient l'appartement, mais aussi les chemises et les
caleçons que portait l'empereur. Charles ne pouvait lire sans lunettes, qu'il
perdait sans cesse  : l'inventaire mentionne trente-deux paires de lunettes,
dont la plupart sans leurs verres !
Dans les archives de la cour de Brabant, un historien du siècle dernier,
Bakhuizen Vanden Brink, a découvert le manuscrit d'un moine hiéronymite,
qui vécut à Yuste et accompagna la dépouille de l'empereur au monastère de
l'Escurial. Gachard qualifie ce manuscrit de « monument historique » car le
moine anonyme « parle en témoin oculaire des faits qu'il raconte25».
Aux murs de l'appartement de Charles Quint sont accrochées des
tapisseries de Flandre; sur le sol, sont jetés des tapis de Turquie et
d'Alcaras. La chambre comporte deux lits : l'un pour l'empereur, l'autre pour
Van Male. Charles Quint a pris l'habitude de ne jamais dormir seul. Chaque
nuit, Van Male lui fait la lecture.
Les tableaux qu'il a emportés de Bruxelles sont ceux auxquels il tient le
plus, notamment les portraits commandés à Titien, qui le représentent à tous
les âges de la vie. Charles aime la magie des couleurs et la volupté de
l'œuvre de Titien : il a une relation forte avec les choses de la vie. Il ne peut
accrocher aux murs tous ses tableaux; il se les fait présenter sur sa terrasse,
seul avec ses souvenirs. Le soir venu, il contemple longuement le visage de
sa femme. Pense-t-il à la mort ? Il l'attend. Dans la dernière étape de sa vie,
les tableaux de Titien l'accompagnent et rendent sa famille « comme
présente à ses yeux26 ».
Par l'inventaire de ses meubles, nous connaissons les talismans qui ne
l'ont jamais quitté : deux pierres pourarrêter le sang, neuf bagues contre les
crampes, des anneaux d'or contre les hémorroïdes, une pierre bleue contre la
goutte27. Pour comprendre Charles Quint, ces détails ont leur importance !
Son mysticisme est plus païen que ses historiens ne l'ont dit. Seul Giono
s'est attaché à le « chercher dans le délicat de la vie », même s'il l'a fait avec
férocité, le traitant de bourgeois  : « Si on communie avec Dieu sous les
espèces du pain et du vin, on peut communier avec le monde (surtout le
nouveau) avec du dindon. Il y a plus d'espace marin dans une subtile sauce
au fenouil qu'entre l'Espagne et les Indes, surtout pour un homme dont les
genoux souffrent dans le roulis28. »
Il y a une relation entre l'amour de Charles Quint pour les anchois pilés
dans l'huile d'olive et l'attachement qu'il porte à ses talismans. On ne
domine pas l'époque de la Réforme et de la Renaissance sans une certaine
complexité de nature  ! L'homme est plus riche, plus contradictoire, plus
humain que ses portraits répétés et copiés de siècle en siècle ne le
laisseraient supposer. Pour partie, Giono a raison dans sa méchanceté  :
Charles est « un beau ténébreux » ; il s'est donné « le loisir de toucher aux
frontières de l'âme, ou, tout au moins, de la sublimation29 ». Les victoires
qu'il a remportées sont celles de l'intelligence des choses, du sens politique
et du courage physique.
Sa bibliothèque révèle ses diverses aspirations, ses contradictions aussi.
Humanisme et mysticisme mêlés. Elle regroupe des livres de théologie,
d'histoire, de géographie et d'astronomie. A Yuste, Charles lit les
Confessions de saint Augustin, les Commentaires de César,l'Histoire de
l'Espagne de Floriàn de Ocampo, celle des guerres d'Allemagne par Luis de
Ávila30. Il reprend sans cesse Le Chevalier délibéré d'Olivier de La
Marche, qui retrace la vie de Charles le Téméraire. Jeune, il en a entrepris la
traduction en espagnol; faute de temps, il a chargé Fernando de Acuña de
poursuivre son travail. Acuña est un gentilhomme lettré, auquel il a confié
la garde du prince de Saxe après la bataille de Mühlberg.
Charles Quint a-t-il terminé à Yuste la rédaction de ses Mémoires dictés à
Van Male sur le Rhin en 1550  ? Aucune lettre ne le confirme. Guillaume
Van Male meurt en janvier 1561 après avoir détruit la plupart de ses
papiers; ceux qu'il préserve sont jetés au feu sur l'ordre de Philippe II31.
Charles Quint a la fringale du détail  : comme Charles le Téméraire, il
pense que l'ordre du monde se révèle dans les petites choses plus que dans
les grandes. Cette certitude ne l'a jamais quitté : à Yuste, il se réfugie dans
des travaux d'horlogerie. Et cela l'explique aussi. Il a installé auprès de lui
le plus célèbre horloger de son siècle, Giovanni Torriano, originaire de
Crémone. L'inventaire de ses biens fait état de quatre horloges et de
plusieurs montres réalisées dans l'atelier que Torriano a créé au rez-de-
chaussée de la maison. Charles le regarde travailler  : pour lui, Torriano
fabrique un mannequin qui joue de la trompette, une femme qui danse au
son du tambourin, des oiseaux qui peuvent voler32. Il a une tête en forme de
pomme de terre; petit, laid, mais du génie : après la mort de Charles Quint,
il part pour Tolède, où il construit la station de relèvement des eaux du
Tage.
La suite de l'empereur comprend plus de cinquante personnes. Les «
aides de chambre » sont flamands, comme le sommelier, le brasseur et le
tonnelier. Le pharmacien, les boulangers, les cuisinières et les garçons de
cuisine sont espagnols. Tous logent à Cuacos, le village le plus proche : le
soir, ils s'ennuient, courent les filles ou s'enivrent. Des bagarres éclatent, les
différends sont portés devant le juge. Les paysans de Cuacos, de leur côté,
montent au monastère dérober les fruits du jardin  : une nuit, l'un d'eux
cueille des cerises qu'il vend, le lendemain, au chef des
approvisionnements !
La vie à Yuste se déroule selon un rite que, seule, la maladie modifie
dans les derniers mois. Au réveil, l'empereur prend au lit son premier repas,
qu'il accompagne d'un pot de bière fraîche. Son confesseur, le père Juan
Regla, entre dans la chambre; « timide, scrupuleux et soumis » selon
Mignet, c'est un bon théologien, qui a participé aux travaux du concile de
Trente. En le choisissant, Charles Quint l'a rassuré  : « A Bruxelles, avant
mon départ, cinq prêtres ont examiné les péchés de ma vie. Vous n'aurez
aucune responsabilité morale à assurer33! »
A dix heures, les barbiers de chambre viennent procéder à la toilette; ils
lavent l'empereur avec une éponge, le rasent, le coiffent et l'habillent. Puis
vient l'heure de la messe : Charles Quint se rend à l'église ou suit l'office de
son lit par la fenêtre de sa chambre. De la messa alla mensa : après l'office,
il passe à table. Il n'a pas renoncé à l'usage royal de prendre ses repas seul;
derrière lui, Guillaume Van Male et son médecin, debout, se tiennent prêts à
l'assister ou répondre à ses demandes. Au menu, des poissons en
abondance, frits, fumés ou salés, des gibiers aussi  : dix plats en moyenne
sont servis par repas ! Charles Quint découpeses viandes et boit de la bière
ou du vin du Rhin, souvent les deux34.
Après une sieste, il se rend dans l'église pour entendre un sermon. Puis, il
consacre la soirée aux affaires de l'Etat, à la conversation ou la lecture.
Comme un ancien combattant, l'empereur évoque ses guerres d'Allemagne
avec Luis de Ávila, ses mémoires avec Guillaume Van Male. Il a emporté à
Yuste les cartes de Flandre, d'Allemagne, d'Italie et même des Indes : il peut
suivre ainsi la progression de ses armées partout dans le monde.
Luis de Ávila y Zúñiga a été son ambassadeur auprès du pape, le
compagnon de ses guerres, l'historien de ses victoires. Diplomate, bon
capitaine, lettré et homme de cour  : il a négocié en Italie, combattu en
Afrique, en Provence, en Allemagne, où il a commandé la cavalerie
impériale. Puis il s'est retiré dans l'Estrémadure  : l'empereur l'a nommé
grand commandeur d'Alcántara et l'a marié à l'héritière d'une riche famille.
Ávila s'est installé à Plasencia dans le palais de sa femme, qu'il a orné de
bustes antiques. Entre ceux d'Auguste et d'Antonin le Pieux, il a placé une
tête en marbre de Charles Quint, œuvre de Leoni, avec cette simple
inscription :
«A Charles Quint. Ce nom en dit assez,
car le reste est connu du monde entier. »
 

L'empereur prend son souper sur la terrasse quand le temps le permet. Il


se couche tôt, s'endort difficilement. Il y a dans sa retraite une juste
appréciation de ses forces physiques et la recherche d'un bonheur fragile.
Beaucoup de réalisme et d'intelligence dans l'approche de la mort.
Quijada peut écrire en août 1557  : « L'empereur estl'homme le plus
content du monde, le plus heureux de son repos, le moins disposé à quitter
le monastère pour aller n'importe où, comme il le dit lui-même35. »
Au printemps 1557, la guerre, comme il l'a prévu, se déploie en Italie; les
troupes espagnoles se replient vers Naples et Milan. Les Français pourraient
prendre Milan, mais ils n'osent pas : la chance de Philippe II est de trouver
en face de lui des ennemis aussi prudents qu'il peut l'être... Le duc de Guise
se rend à Rome pour exiger l'exécution des clauses souscrites par le pape.
Henri II n'aura ni troupes ni argent : Paul IV ne tient pas ses engagements.
Dépité, Guise quitte Rome et met le siège devant Civitella ; il espère ainsi
ébranler la puissance espagnole dans le royaume de Naples.
Dans le même temps, l'amiral de Coligny franchit la frontière des Pays-
Bas. A Bruxelles, il a juré de respecter la trêve et, maintenant, il fait route
pour la violer ! Philippe II s'est rendu en Angleterre pour obtenir le soutien
de son épouse. Le 2 février 1557, il adresse une lettre pressante à son père :
il a besoin « de ses avis, de ses conseils, de sa présence ». Il lui demande de
rejoindre les Pays-Bas, le prie de garder le titre d'empereur. Il envoie à
Yuste son plus proche conseiller, Ruy Gomez da Silva. Il lui faut aussi de
l'argent, et vite ! Faute d'être payés, ses soldats, allemands et suisses pour la
plupart, menacent de passer dans l'autre camp. L'empereur écoute Gomez,
mais ne modifie pas ses projets.
Cependant, il s'emploie à trouver les crédits nécessaires à la poursuite de
la guerre. Il intervient auprès de la Casa de Contratación, devenue au fil
des ans le plus vaste entrepôt de métaux précieux de l'Espagne.
Théoriquement, la Casa est une administration qui dépend du Conseil des
Indes; mais elle cherche às'affranchir de la tutelle royale à l'occasion du
changement de souverain. Charles ne peut accepter un tel comportement. Il
écrit à sa fille Jeanne  : « Bien que j'aie la mort entre les dents, je vous
conseille de ne pas agir par les voies ordinaires de la justice ! »
Il faut jeter les dirigeants de la Casa de Contratación en prison, les
remplacer par des fonctionnaires plus dociles : « Je dis cela avec colère, et
non sans cause. Lorsque j'étais dans mes difficultés passées avec de l'eau
jusque par-dessus la bouche, ils ne m'avisaient pas quand un bon coup
d'argent leur venait  ! A cette heure, les sept ou huit millions de ducats
arrivés à Séville se sont réduits à cinq cent mille. On ne m'ôtera pas de la
tête que cela n'a pu se produire sans qu'ils en aient prélevé une bonne
partie ! Ces gens de la Contratación sont de véritables coquins. »
Le président du Conseil des Indes les défend. Que n'a-t-il fait? Il mérite,
lui aussi, d'être traduit en justice !
Pour trouver de l'argent, Philippe II crée de nouvelles taxes et recourt à
des emprunts forcés. L'archevêque de Séville, Fernando de Valdés, refuse
de verser la contribution mise à sa charge. Charles lui écrit  : « J'ai appris
que vous n'avez pas fourni la somme qui vous a été demandée. Je suis
émerveillé de votre audace, vous qui êtes ma créature, mon ancien serviteur,
vous qui jouissez depuis tant d'années de vos revenus épiscopaux! Je vous
prie d'aider mon fils. S'il en était autrement, je lui conseillerais de vous y
obliger36. »
L'archevêque, par ailleurs inquisiteur général, est aussi avare que
fanatique. Il ne réside pas à Séville, mais à Valladolid  : la politique
l'intéresse autant que la religion. Il résiste mais, finalement, sous la
pressionde l'empereur, accepte de payer cinquante mille ducats. C'est peu :
l'archevêque de Tolède verse quatre cent mille ducats...
Charles Quint tient les fils du pouvoir, reprend goût à la direction du
gouvernement. De Yuste, il s'emploie à faire parvenir à Philippe II et au duc
d'Albe l'argent et les troupes dont l'un et l'autre ont besoin. Une flotte part
de Laredo pour les Pays-Bas, une autre de Catalogne pour Naples. De
l'arrière, l'empereur organise la résistance.
Philippe II a réussi à entraîner la reine Marie dans la guerre : huit mille
Anglais débarquent en France. Avec des moyens renforcés, il livre en août
1557 la bataille décisive de Saint-Quentin.
L'amiral de Coligny défend Saint-Quentin pour la France. Coûte que
coûte, il doit tenir  : si les Espagnols prennent la ville, la route de Paris
s'ouvre devant eux. Coligny réclame des renforts  : son beau-père le
connétable de Montmorency marche à sa rencontre. Le 10 août, il attaque
les troupes espagnoles, que commandent le duc de Savoie et le comte
d'Egmont. Ses hommes ne parviennent pas à franchir le marais qui s'étend
au sud-est de Saint-Quentin; trop chargées, leurs barques s'enfoncent dans
la vase. Contre l'armée française en retraite, les Espagnols lancent une
charge de neuf mille chevaux, qui la culbute. Montmorency est grièvement
blessé, ses principaux lieutenants sont tués. La victoire espagnole est
acquise le 10 août 1557, en la fête de Saint-Laurent, auquel Philippe II
dédiera le monastère de l'Escurial.
Il n'a pas pris part au combat et ne sait pas saisir sa chance. Il peut
marcher sur Paris et ne le fait pas. Comme Charles le Téméraire devant
Beauvais, il cherche à protéger ses arrières, attend des renforts, des vivres,
des munitions. L'ambassadeur de Venise rend compte au Sénat : « S'il avait
voulu imiter l'empereur son père avec la grandeur de sa puissance et la
prospérité de sa fortune, il serait devenu formidable. »
Formidable, il ne l'est pas  ! Philippe II n'a pas la vision d'ensemble et
l'autorité de son père37.
A Yuste, Charles Quint se désole, mais bâtit de nouveaux projets, l'esprit
sans cesse en éveil. Il a repris la négociation avec Antoine de Bourbon, qui
réclame toujours la Navarre. Il dessine les contours d'un accord, selon
lequel Bourbon recevrait Milan en échange de son soutien. Il veut ouvrir un
nouveau front contre la France dans les Pyrénées. Si sa santé le permet, il
conduira lui-même l'offensive. Ce que son fils n'est pas capable de faire au
nord, lui le fera au sud ! Cette pensée l'excite, le fait vivre. Luis de Ávila
commente : « Il a été nourri dans la guerre, comme la salamandre vit dans
le feu  ! » Il va mieux, marche à nouveau, abat deux pigeons avec son
arquebuse. A-t-il l'intention de quitter Yuste  ? Il lui suffit d'évoquer la
guerre toute proche – et cela nourrit son bonheur. Mais Antoine de Bourbon
refuse l'accord qu'il lui propose : reste seul le souvenir de la tentation qui l'a
effleuré...
Luis Quijada a pris quelques jours de congé : l'empereur le rappelle. Ses
deux sœurs ont quitté Valladolid et veulent s'installer à Yuste : il faut veiller
à leur établissement. Lorsque Quijada revient dans les derniers jours d'août,
il écrit à Vasquez qu'il a trouvé l'empereur plus vigoureux qu'il ne l'a laissé,
« mais de moins bonne couleur ». Evoquant une sortie du monastère, il
ajoute : « Elle est impossible38 ! » Tout est dit.
Les hommes politiques qui ont pris leur retraite, tous, ont un jour la
tentation de revenir aux affaires : Charles comme les autres. Il n'a d'ailleurs
jamais complètementabandonné le pouvoir, il en a seulement aménagé
l'exercice. Les grandes décisions lui appartiennent encore : s'il ne les prend
formellement, il les inspire ou oriente leur application.
Eléonore et Marie arrivent à Yuste le 28 septembre. Charles les installe à
Jarandilla – et non au monastère : il entend préserver sa solitude. Eléonore a
cinquante-neuf ans : elle est un peu plus âgée que son frère. Bonne, douce,
soumise, sans ambition, presque sans volonté, toute sa vie elle a été
l'instrument de la politique de Charles Quint. Après la mort de son second
mari, François Ier, elle s'est rapprochée de sa sœur Marie. Celle-ci est d'une
tout autre stature : pénétrante, résolue, infatigable, propre à l'administration
et même à la guerre. Marie a renoncé au gouvernement des Pays-Bas et
suivi son frère dans sa retraite.
En novembre, Charles a un nouvel accès de goutte. Il ne peut remuer les
bras, il souffre de ses jambes : le bonheur de l'été s'est enfui. Philippe II n'a
pas marché sur Paris et le duc d'Albe n'a pas pris Rome. Tous deux ont fait
preuve de la même incapacité à marquer dans l'instant le point décisif. Le
destin a hésité.
Le 14 septembre 1557, Philippe II conclut avec le pape un accord, que
l'empereur juge « honteux ». Gaztelú écrit à Vasquez que « l'empereur ne se
serait jamais attendu à une chose pareille39 » ! Quijada confirme : « Chaque
jour, il murmure entre ses dents contre la paix avec le pape40... »
Philippe II a licencié son armée, qu'il ne peut entretenir. Il laisse ainsi à
Henri II le temps de rassembler des forces nouvelles. Le duc de Guise,
rappelé d'Italie, va conduire une campagne d'hiver, qui effacera les désastres
de l'été.
L'empereur a prévu un tel retournement. Dès novembre, il a écrit à sa
fille Jeanne : « Le roi de France arme avec furie. Il va tenter de recouvrer
les places qu'il a perdues et même d'en prendre d'autres41. » Analysant
toutes les éventualités, il dresse l'état des forces disponibles, conseille
même de rappeler de Bresse les mercenaires du baron de Polviller ! Quelle
drôle de retraite ! Charles ne peut se déprendre du pouvoir.
Il craint pour la Flandre. Avec raison; le duc de Guise s'empare de Calais.
Anglaise depuis 1347, la ville est la tête de pont de l'Angleterre sur le
continent, « l'étape » de son commerce avec les Pays-Bas, le point de départ
de ses expéditions contre la France. Les Anglais ont placé au-dessus de
l'une de ses portes cette inscription : « Les Français prendront Calais quand
le plomb nagera sur l'eau comme le liège »  ! Les fortifications sont mal
entretenues et, l'hiver, une partie de la garnison regagne Londres : le duc de
Guise exploite cette situation. Le 1er janvier 1558, il commence le siège; le
6 janvier, prend la citadelle d'assaut; le 8 janvier, entre dans Calais. Il a
sauvé Metz contre Charles Quint; il rend Calais à la France !
Il ne s'arrête pas en si bon chemin : il s'empare de Guines, met le siège
devant Thionville, menace Luxembourg. Réduit à la défensive, Philippe II
se trouve au début de 1558 dans la même situation que son adversaire l'été
précédent.
Le 4 février 1558, l'empereur apprend la chute de Calais : «Jamais, dit-il
à Quijada, je n'ai éprouvé plus grande peine42. » Son état de santé s'est
aggravé durant l'hiver  : il ne peut se servir de ses bras; en janvier, une
nouvelle attaque de goutte survient et le prive de l'usage de ses jambes. De
plus, il éprouve de grandesdouleurs à l'estomac; il ne peut ni bouger ni
s'alimenter. Mais, de son lit, il continue à suivre la situation : « Plus je pense
à la prise de Calais, confie-t-il à Gaztelú, plus j'aperçois les dangers qu'elle
entraîne.» Le comte d'Alcaudete est enfermé dans Oran, le pape rétabli dans
ses prétentions, le roi de France plus puissant que jamais. L'Histoire est
«cette roue qui tourne et qui démolit les situations les mieux acquises »:
plus que d'autres, écrit Morand, Charles Quint, qui a conduit l'histoire de
son siècle, subit «le supplice de cette roue43».
L'Empire s'effondre et sa sœur Eléonore meurt. A Talaveruela, sur la
route de Notre-Dame de Guadelupe, le 18 février 1558, une crise d'asthme
l'emporte. Ses derniers mots sont pour son frère. Apprenant sa mort,
Charles ne peut retenir ses larmes. Eléonore était son aînée de quinze mois;
il sait qu'il la rejoindra bientôt : «Avant que quinze mois soient passés, j'irai
lui tenir compagnie... »
Entrant dans la chambre de Charles, Marie trouve ce dernier la bouche
enflammée, la langue bouffie, incapable de parler. Les membres paralysés,
Charles est rivé à son lit. «Je ressens comme la mort», confie-t-il à Luis de
Ávila.
Mais, pour son dernier combat, il veut être seul. Il écarte sa sœur, qu'il
reçoit le 16 mars une dernière fois : Marie part s'établir à Cigalès. Charles
songe de plus en plus à la mort. Il fait transporter le corps de sa mère Jeanne
dans la chapelle de Grenade, où il veut être lui-même inhumé auprès de son
épouse.
Il est maintenant, comme il l'a souhaité, « dénué de tout »: le 12 mars
1558, à Francfort, les sept électeurs ont élu à l'unanimité, malgré
l'opposition du pape, son frère Ferdinand comme empereur d'Allemagne.
Apprenant la nouvelle, Charles Quint renonce aux titres dontil s'est servi
jusque-là; il commande de nouveaux sceaux « sans couronne, sans aigle,
sans toison ». Il fait marteler les murs de son appartement, demande que son
nom ne soit plus prononcé dans les prières de l'Eglise. Lui, l'empereur si
puissant, qui a tenu l'Europe dans sa main, n'est plus rien! Il s'abaisse, se
détruit, éprouve l'angoisse de la mort.
Il appelle auprès de lui Geronimo, le fils que Barbara Blomberg lui a
donné en février 1547 à Ratisbonne. Il a caché sa naissance à ses proches,
mettant au courant deux serviteurs seulement, Adrien Dubois et Ogier
Bodard. Geronimo est confié à un joueur de viole, Francisco Massi, qui
rejoint l'Espagne avec sa femme. Moyennant cent ducats par an, Massi
promet de l'élever comme son fils. Le document qu'il signe est conservé par
Charles Quint dans ses papiers personnels, avec une note de sa main du 6
juin 1554 :
« Je déclare qu'étant en Allemagne depuis mon veuvage, j'eus d'une
femme non mariée un fils naturel, qui se nomme Geronimo. Mon intention
est qu'il prenne, de sa libre volonté, l'habit de quelque ordre religieux de
moines réformés... S'il préfère suivre la vie séculière, ma volonté et mon
ordre sont qu'il lui soit donné régulièrement, chaque année, de vingt à trente
mille ducats de rente sur le royaume de Naples, quel que soit le genre de vie
qu'il choisira. Je recommande expressément au prince mon fils, à l'infant
mon petit-fils, de l'honorer, de lui accorder la considération qui convient,
d'exécuter le contenu de cette cédule qui doit être observée comme une
clause de mon testament. »
Avant de quitter les Pays-Bas, Charles remet cette note à son fils
Philippe.
Geronimo a vécu ses premières années à Leganes, petit bourg proche de
Madrid, jouant avec les enfants du village. Ses yeux sont bleus, ses cheveux
blonds. En 1554, Bodard va le chercher et le confie à l'épouse de Luis
Quijada, Magdalena de Ullua. Héritière d'une vieille famille de Castille,
Magdalena est la sœur dumarquis de La Mota. Elle n'a pas d'enfant, adopte
Geronimo et l'élève avec amour.
Elle s'installe à Cuacos le 1er juillet 1558, dès que la maison qui lui est
destinée est achevée. Quijada présente Geronimo comme son page.
L'empereur peut enfin voir son jeune fils, auquel il va assurer le rang d'un
bâtard royal. Le nom que Geronimo portera témoignera de son origine : il
sera don Juan d'Autriche. Edmonde Charles-Roux a écrit un beau livre sur
sa vie, qui est un véritable roman44.
Don Juan remporte sur les Turcs la victoire de Lépante, devient
gouverneur des Pays-Bas, meurt près de Namur dans un pigeonnier parmi
les oiseaux, « aussi déshérité que le plus pauvre de ses soldats »: il a trente
et un ans. Il a demandé à son frère Philippe l'honneur d'être enterré à côté de
leur père. Cette faveur lui est accordée  : on transporte des Pays-Bas en
Espagne, à travers la France, un cadavre clandestin – la tête, le tronc et les
membres séparés – dans trois sacs de cuir mêlés aux bagages de
gentilshommes rega. gnant leur pays.
Mort, don Juan obtient ainsi « sa place parmi les rois45 ». L'enfant que
l'empereur a rapproché de lui dans les derniers jours de sa vie est enterré
derrière lui dans la crypte de l'Escurial46.
1 Laredo, port de Biscaye entre Santander et Bilbao, joue au Moyen Age un rôle important : de
Laredo partent vers le sud les flottes des guerres de la Reconquête.
2 Louis-Prosper Gachard, Retraite et mort de Charles Quint au monastère de Yuste; les lettres
tirées des archives de Simancas sont publiées en espagnol (1854 et 1855).
3 Lettre de Gaztelú du 6 octobre 1556, Louis-Prosper Gachard, Retraite et mort de Charles Quint,
tome I, p. 5.
4 Auguste Mignet, Charles Quint, son abdication, son séjour et sa mort au monastère de Yuste, p.
142.
5 Le dernier voyage de Charles Quint est décrit, presque jour par jour, par Peter Lahnstein, Dans
les pas de Charles Quint, et par Agustin Garcia Simon, El ocaso del Emperador.
6 Lettre de Luis Quijada du 10 octobre 1556, Louis-Prosper Gachard, Retraite et mort de Charles
Quint, tome I, p. 12-14.
7 Carlos est né à Valladolid le 7 juillet 1545.
8 « Y no sé lo que podra dar de si con el tiempo » (Auguste Mignet, Charles Quint, son
abdication, son séjour et sa mort au monastère de Yuste, p. 152). Carlos ne régnera pas : en janvier
1569, son père le fera interner. Philippe II trouvera deux listes dans la chambre du prince : celle de
ses « ennemis » (le roi, Ruy Gomez da Silva, le duc d'Albe : « à poursuivre jusqu'à la mort ») et de
ses « amis » (la reine Elisabeth de Valois, don Juan d'Autriche, « son oncle très cher et préféré »). Il
mourra en juillet 1569 – à l'âge de vingt-cinq ans.
9 Ramon Carande, Carlos V y sus banqueros, t. II, p. 128.
10 Vicente de Cadenas y Vicent, Diario del emperador Carlos V, p. 398.
11 Année après année, le climat de l'Espagne au XVIe siècle est connu grâce aux observations
recueillies par Bartolomé Bennassar (Valladolid au siècle d'or)  : en 1556, l'été a été sec, mais
l'automne a été marqué par des pluies torrentielles.
12 Lettre de Quijada du 14 novembre 1556, Louis-Prosper Gachard, Retraite et mort de Charles
Quint, t. I, p. 39-40.
13 Lettre de Gaztelú du 18 novembre 1556, ibid., p. 46.
14 Vicente de Cadenas y Vicent, Diario del emperador Carlos V, p. 398.
15 Je me suis rendu à Yuste les 27, 28 et 29 novembre 1997 – à la même date et par le même
temps que Charles Quint lorsqu'il découvrit le monastère.
16 Carlc Carafa : condottiere, puis cardinal.
17 Auguste Mignet, Charles Quint, son abdication, son séjour et sa mort au monastère de Yuste,
p. 192.
18 Lettre de Quijada du 1er février 1557, Louis-Prosper Gachard, Retraite et mort de Charles
Quint, t. I, p. 113.
19 Lettre du 31 janvier 1557, ibid., t. II, p. 150-157.
20 . Auguste Mignet, Charles Quint, son abdication, son séjour et sa mort au monastère de Yuste,
p. 197.
21 On fit venir « les moines qui avaient la plus belle voix et qui chantaient le mieux » (ibid., p.
237).
22 Vicente de Cadenas y Vicent, Hacienda de Carlos V al fallecer en Yuste, p. 8.
23 Louis-Prosper Gachard, Retraite et mort de Charles Quint, t. I, p. I-VI.
24 Tomás Gonzáles, Retiro, estancia y muerte del emperador Carlos Quinto en el monasterio de
Yuste: ce texte est cité à la fois par Gachard et Mignet.
25 Louis-Prosper Gachard publie le récit complet du moine anonyme (Retraite et mort de Charles
Quint).
26 Jean Babelon, Charles Quint, p. 208.
27 « La médecine médiévale, fortement imprégnée de croyances magiques et de pratiques
superstitieuses, attribuait des vertus talismaniques et des propriétés thérapeutiques aux perles et aux
gemmes » (Iram Naso, « Les hommes et les épidémies dans l'Italie de la fin du Moyen Age », in
Maladies et société (XIIe-XVIIIe
siècles)).
28 Jean Giono, Le désastre de Pavie, p. 2.
29
Ibid., p. 3.
30 Floriàn de Ocampo (1495-1558) a publié en 1543 Los quatro libros primeros de la Crónica
general de España.
31 Philippe II, apprenant la mort de Van Male, craint que ce dernier ait écrit une histoire de
Charles Quint. Il demande à Granvelle de jeter au feu tous les documents ayant appartenu à Van Male
et se rapportant à la vie de son père (Granvelle, Papiers d'Etat, t. VI, p. 273).
32 Peter Lahnstein, Dans les pas de Charles Quint, p. 331.
33
Ibid., p. 336.
34 José V. Serradilla Munoz, La Mesa del Emperador.
35 Lettre de Quijada du 30 août 1557, Louis-Prosper Gachard, Retraite et mort de Charles Quint,
t. II, p. 168.
36 François-Auguste Mignet, Charles Quint, son abdication, son séjour et sa mort au monastère
de Yuste, p. 262-263; Louis-Prosper Gachard, Retraite et mort de Charles Quint, t. II, p. 186-187.
37 « La prudence extrême de Philippe II arrêta seule l'armée espagnole », analyse Mignet
(Charles Quint, son abdication, son séjour et sa mort au monastère de Yuste, p. 275). Et Michelet
écrit superbement : « Il eut peur de trop vaincre » (Renaissance et Réforme, p. 483).
38 Lettre de Quijada du 26 août 1557, Louis-Prosper Gachard, Retraite et mort de Charles Quint,
t. II, p. 166.
39 Lettre de Gaztelú du 23 novembre 1557, ibid., p. 218.
40 Lettre de Quijada du 26 décembre 1557, ibid., p. 234-235.
41 François-Auguste Mignet, Charles Quint, son abdication, son séjour et sa mort au monastère
de Yuste, p. 321-322.
42
Ibid., p. 328.
43 Paul Morand, Une noire affaire, p. 978.
44 Edmonde Charles-Roux, Stèle pour un bâtard.
45
Ibid., p. 238.
46 Les corps seront ensuite séparés : Charles Quint rejoindra le Panthéon des rois le 11 mai 1654,
don Juan un magnifique tombeau dans l'un des caveaux des infants.
CHAPITRE XVIII

La
mort

Dans sa dernière nouvelle, publiée en 1976 – l'année même de sa mort –


Paul Morand décrit Charles Quint à Yuste  : c'est lui-même qu'il imagine
mourant, « fatigué de vivre », alors qu'il n'est plus soutenu par son corps,
devenu avec l'âge et les infirmités « traître et ennemi»:
«Point n'est besoin de miroir, on est son propre miroir, on sent chaque
ride se creuser, ses dents branler, ses muscles fondre, sa peau prendre le
rêche, le plissé du crêpe, ses jointures craquer sous l'irrémédiable soudure et
le squelette se tasser vers la boîte à ossements1. »
Fatigué. du réveil à la nuit. Qu'est la lassitude des guerres à côté de celle
du repos ! Epuisement des voyages où l'on n'arrive jamais, des paysages «
qui vous disent la même chose», alors que la mémoire vous renvoie les
moments de bonheur ancien, « alourdis d'une distance intolérable».
Tout cela ne suffit pas à expliquer l'abandon de Charles, cette boulimie
dans laquelle il se complaît, cerefus des règles élémentaires d'hygiène.
Morand a raison quand il évoque l'immense flux de contestation du XVIe
siècle, qui exerce sur Charles « une pression dont il n'est plus maître ».
Durant des siècles, le monde a été immobile : il appartient à ces siècles-là.
Puis une société nouvelle a surgi, qui a emporté son œuvre  : il s'est levé
contre cette lame de fond, mais elle l'a submergé. Plus que tout autre, il est
conscient « des attaches qui relient le présent au passé », de la solidarité
entre les générations2.
Il est profondément conservateur  : il croit le monde ancien supérieur à
celui qui survient. Lorsque le père Borgia lui explique les raisons qui l'ont
conduit à rejoindre la Compagnie de Jésus, il l'interrompt :
« Il me semble qu'une personne comme vous aurait dû préférer l'un de
ces ordres religieux anciens, éprouvés par le long cours des années...
– Il n'y a aucun ordre religieux, si ancien et si reconnu qu'il soit, qui n'ait
été à ses débuts nouveau et inconnu. »
Charles insiste : « Mais, dans votre Compagnie, les gens sont jeunes. On
n'y aperçoit pas de cheveux blancs3! »
Il pouvait retarder, mais ne pouvait arrêter. Son règne apparaît comme «
un long sursis accordé à des institutions finissantes»: le sursis de
l'intelligence4. A Yuste, il comprend qu'aucun pouvoir politique – pas même
le sien – ne peut faire refluer les idées nouvelles. «La noire affaire», c'est
ainsi que Charles Quint appelle le procès des luthériens d'Espagne : Morand
lui a emprunté le titre de sa nouvelle5. Charles se reproche de n'avoir pas
arrêté la progression de l'hérésie, alorsqu'il tenait Luther entre ses mains.
Avant de mourir, il va livrer son dernier combat contre les protestants. Il
croyait la vieille Castille à l'abri du fléau : elle ne l'est pas. Il pensait avoir
rejoint un asile de paix et de religion non contestée  : la Réforme a gagné
l'Espagne. De plus, les idées de Luther sont propagées par des prédicateurs
proches de lui, qu'il a choisis et aimés  : Constantin Ponce et Augustin
Cazalla. Il se reproche d'avoir introduit le ver dans le fruit.
Ponce est chanoine de Séville, Cazalla de Salamanque. Ponce a succédé à
un homme qui a été arrêté par l'Inquisition, est mort en prison et dont les os
ont été brûlés au cours d'un autodafé. Il dirige à Séville le collège de la
doctrine. Dans ses sermons, il mêle les doctrines nouvelles aux dogmes
anciens. Avec habileté  : le père Borgia le compare au cheval de Troie.
Dénoncé, Ponce est appelé à s'expliquer devant le tribunal du Saint-Office,
qui siège dans le château de Triana. Ses amis s'inquiètent :
« Pourquoi êtes-vous si souvent convoqué à Triana ?
– Ils veulent me brûler, mais ils me trouvent encore trop vert 6 ! »
Il se débarrasse des livres de Luther et de Calvin qu'il possède, les confie
à une amie qui les cache dans sa cave. L'Inquisition va chez elle et les
trouve  : elle est poursuivie comme hérétique. Son fils, arrêté à son tour,
révèle toute l'affaire. Ponce ne conteste rien. Quand il apprend son
arrestation, Charles Quint dit simplement : « Si Ponce est hérétique, ce doit
être un grand hérétique7  ! » Il ajoute qu'il mérite la mort. L'inquisiteur
général Valdés n'a pas besoin d'un tel encouragement  : il fait arrêter à
Séville huit cents personnes, hommes et femmes de tout rang, de toute
origine.
Dans le même temps, Cazalla crée en Castille un autre foyer de
protestantisme. Il appartient à une grande famille de l'administration  : son
père a été contador major de Valladolid. Cultivé, Cazalla est doux, pieux,
d'un esprit hardi, mais d'un caractère faible. Il réunit ses partisans dans la
maison de sa mère; il convertit des avocats, des magistrats et même des
prêtres.
Tous sont arrêtés au printemps 1558. L'empereur demande, là encore, un
châtiment exemplaire. A sa fille Jeanne, le 25 mai 1558, il écrit : «Sans ma
certitude que vous extirperez le mal jusqu'à la racine, puisque ce n'est
encore qu'un commencement dépourvu de profondeur et de force, je ne sais
si je ne serai pas conduit à sortir d'ici pour y remédier moi-même8. »
Il a repris des forces; le printemps lui donne une vigueur nouvelle. Les
premières cerises ont été cueillies au début de mai; Charles les adore. Il a
une fringale de cerises. La dernière. Il mange aussi des fraises dans des bols
de crème fraîche. Il retrouve son appétit pour les pâtés de gibier, les
poissons, les épices. Il entend ne rien changer à sa manière de vivre.
Les nouvelles reçues des Pays-Bas et d'Italie ne sont pas bonnes. Le duc
de Nevers s'est emparé de plusieurs châteaux dans les Ardennes; le duc de
Guise a enlevé Thionville et le maréchal de Thermes a pris Dunkerque. En
Méditerranée, la flotte turque a ravagé la région de Sorrente, où elle a
capturé plus de quatre mille prisonniers. A Minorque, elle a donné l'assaut à
Ciudadela.
Mais, dans l'été, le sort des armes change. Les Espagnols remportent la
victoire de Gravelines; le 13 juillet 1558, ils taillent en pièces l'armée du
maréchal de Thermes. Philippe II informe aussitôt son père de
ceretournement de situation. Mais il ne sait pas exploiter sa victoire et
l'empereur s'impatiente, lui conseille d'investir Calais  : la ville est sans
défense. Lui prendrait le chemin de Calais ! Philippe est trop timoré. Mais
les deux camps, espagnol et français, sont à court d'argent : une négociation
s'engage, qui conduira, après la mort de Charles Quint, à la paix de Cateau-
Cambrésis9.
A Yuste, l'été est chaud. Charles souffre de plus en plus de ses jambes :
pour atténuer la douleur, il prend plusieurs bains par jour, passe des heures
dans l'eau chaude. C'est son dernier répit, et il le sait. « Je ne pense pas,
écrit Mathys à Vasquez le 9 août, que nous puissions choisir nos maux10. »
Charles ne modifie pas ses habitudes  : le soir venu, de sa terrasse, il
contemple son jardin, écoute le murmure de la fontaine. Devant lui, sur un
chevalet, le portrait de son épouse, Isabelle, qu'il va rejoindre. Il songe à la
mort comme à un sacre. « Beaucoup d'hommes se défont, peu d'hommes
meurent », écrit Marguerite Yourcenar11.
Il veut mourir comme un chrétien. Il croit en la Résurrection : « Maître,
où demeurez-vous ? » Le Christ répond : « Venez et vous verrez. » Qu'y a-t-
il au-delà des frontières de la mort ? La vie éternelle. Charles ne doute pas
un instant de sa rencontre avec Dieu.
Il respire de plus en plus difficilement. Sa langue gonfle; il dort les
fenêtres grandes ouvertes et prend froid. Le 15 août, fête de l'Assomption, il
reçoit lacommunion assis dans un fauteuil. Le lendemain, il perd
connaissance.
Une épidémie de typhus ravage la région; le comte d'Oropesa est atteint à
Jarandilla et plusieurs hommes meurent à Yuste même. Le temps change le
28 août. Un violent orage éclate : dans la montagne, la foudre tue plusieurs
vaches. Quijada, qui rend compte de tout, en informe Vasquez12.
Une délégation arrive des Pays-Bas  ; trois hommes envoyés par
Philippe  : Garcilaso de la Vega, Bartolomé de Carranza, archevêque de
Tolède, et le régent d'Aragon. Garcilaso apporte les dernières nouvelles de
Bruxelles  : le jour de l'orage, il s'entretient longuement avec l'empereur.
Carranza est chargé de messages plus personnels : Philippe souhaiterait que
sa tante, Marie de Hongrie, rejoigne Bruxelles; il a besoin de ses conseils et
de son soutien. Sa sœur Marie n'est pas heureuse  : son père ne pourrait-il
demander à Maximilien d'être plus présent, plus attentif à la santé de sa
femme? Les derniers dossiers que traite l'empereur sont des affaires de
famille.
Le 30 août, l'état de santé de Charles Quint s'aggrave brutalement. Le
même jour, selon le récit des moines, l'empereur aurait fait célébrer ses
propres obsèques.
Dans cette histoire, quelle est la part de la légende et celle de la vérité ?
D'après le prieur du couvent, Martin de Angulo, Charles aurait demandé à
l'un de ses barbiers, Nicolas Bénigne, garçon d'humeur joviale :
« Nicolas, sais-tu à quoi je pense ?
– A quoi pense Votre Majesté ?
– J'ai emporté ici deux mille couronnes et je voudrais les utiliser à
financer mes funérailles.
– Que Votre Majesté ne prenne pas ce soin : si Elle meurt, nous saurons
bien les faire nous-mêmes.
– Tu me comprends mal. Il vaut mieux porter un cierge devant un homme
que derrière son cercueil ! »
Sandoval rapporte ce dialogue, mais ne raconte pas les obsèques  : pour
Mignet, « il est probable que Sandoval n'y croit pas13 ». Les moines, qui en
rajoutent, ont décrit Charles Quint devant son catafalque, offrant son cierge
au prêtre, « comme s'il avait déposé son âme entre les mains de Dieu14 ».
Gachard a longtemps hésité  : il n'a d'abord pas cru à cette histoire
d'obsèques. Puis, après étude des documents, il l'a jugée vraisemblable15.
Pour Karl Brandi, comme pour Otto de Habsbourg, l'empereur a fait
célébrer une messe des morts à la mémoire de ses parents  : « D'où la
légende, écrit Brandi, qu'il l'aurait fait pour sa propre personne16. »
Les témoignages de Quijada, de Gaztelú et de Mathys contredisent les
récits des moines. Le 30 août, Mathys n'est pas à Yuste, mais à Jarandilla
auprès du comte d'Oropesa. Quand il regagne le monastère, il décrit, dans
une lettre à Vasquez, les événements de la journée :
«Mardi, l'empereur mangea sur la terrasse, où la réverbération du soleil
était très forte. Il mangea peu et avec peu d'appétit, comme il me l'indiqua le
soir, quand je revins de Jarandilla. Pendant qu'il mangeait, survint une
douleur à la tête, qu'il garda tout le reste du jour. Il dormit mal et, toute la
nuit, il eut soif. Le mercredi matin, il se trouva plus soulagé, mais avec
del'accablement et de la soif. Il se leva, eut plus envie de boire que de
manger. Vers les deux heures, il eut froid et s'endormit. Quand il se réveilla,
il éprouva un froid plus grand, qui lui courait par les épaules, l'épine du dos,
les flancs et la tête, et qui dura jusqu'à sept heures du soir. Alors commença,
avec de grandes douleurs de tête, une fièvre qui s'est prolongée mercredi
avec violence et jeudi jusqu'à six heures du matin. Elle a porté la chaleur de
la tête jusqu'au délire17. »
Les indications de Mathys sont précieuses. Le système urinaire de
l'empereur est sans doute encombré par l'acide urique  : Charles Quint
présente tous les signes d'une pyélonéphrite aiguë – c'est-à-dire d'un état
septicémique qui va entraîner la mort.
Quijada relate une version des faits très proche de celle de Mathys : « Le
soleil était ardent et réverbérait beaucoup. L'empereur est resté sur la
terrasse jusqu'à quatre heures de l'après-midi. Lorsqu'on le porta dans sa
chambre, il avait des douleurs dans la tête18. »
Le jeudi 1er septembre, Charles informe Quijada et le père Regla de ses
dernières volontés. Il se sent comme frappé à mort. L'agonie va durer trois
semaines.
Mathys rend compte chaque jour au gouvernement espagnol : ses lettres
constituent de véritables bulletins de santé, rédigés avec les mots et selon
les connaissances de l'époque. Aujourd'hui, quel diagnostic les médecins
établiraient-ils ? Un organisme épuisé par la goutte qui, désormais, affecte
la fonction rénale et bloque les systèmes urinifères. Les crises se succèdent,
de plus en plus longues, de plus en plus violentes, entrecoupées de quelques
journées de répit.
Le vendredi 2 septembre, Charles est dévoré par la soif : il demande de la
bière, que Mathys lui donne etqu'il boit par pots entiers. Il perd tout
jugement, délire, vomit de la bile et des glaires.
Le lendemain, survient une rémission. Charles se confesse et reçoit la
communion : il veut être prêt à affronter la mort. Mathys le saigne à la veine
médiane, lui tire « un sang noir et corrompu ». Le soulage-t-il  ? Charles
s'endort. A son réveil, Mathys pratique une autre saignée, sans résultat cette
fois.
Le dimanche 4 septembre, les membres deviennent «tout froids». Charles
étouffe et demande sans cesse à boire. Entre deux crises, il évoque les
dispositions à prendre après sa mort : il souhaite être inhumé dans l'église,
sous le maître-autel, de telle sorte que «le prêtre disant la messe pose les
pieds sur sa tête ».
Mathys hésite sur le traitement à suivre : le 5 septembre, il purge Charles
avec des pilules de rhubarbe.
La crise qui survient le mardi 6 septembre est d'une grande violence  :
l'empereur perd connaissance et délire pendant plus de treize heures. Il ne
peut bouger; le froid, écrit Mathys, « a saisi ses membres ».
Le 7 septembre marque un répit, qui est suivi, le lendemain, d'une
nouvelle crise, dont Charles sort épuisé, «la face livide».
Le vendredi 9 septembre, il peut dicter un codicille à son testament19. Il
va mieux, s'entretient avec Garcilaso de la Vega, qui lui apporte de Cigalès
un message de sa sœur. Marie est bouleversée; elle accepte de rejoindre
Bruxelles, puisque tel est le souhait de l'empereur. Elle écrit à Philippe : «
J'ai dans mon cœur tant d'amour pour mon frère  ! Mon anxiété est à la
mesure de cet amour. »
Elle voudrait s'installer à Yuste. Quand Quijada lui transmet la demande
de sa sœur, Charles, d'un signe de tête, refuse. Il veut aborder seul son face-
à-face avec Dieu. Luis de Ávila arrive de Jarandilla, sans autorisation  : il
n'entre pas dans la chambre. Corneille deBaersdorp, qui a été le médecin de
l'empereur aux Pays-Bas, lui aussi rejoint Yuste; il conseille une purge à la
rhubarbe, qui est sans effet. Le pouls est irrégulier, l'estomac ne conserve
plus aucune nourriture, la gorge est obstruée par des mucosités, que Charles
s'efforce d'arracher de ses mains malhabiles.
Le samedi 17 septembre, une nouvelle crise survient, qui se prolonge
toute la journée et une grande partie de la nuit. Ce «terrible retour du mal»
est suivi de «vomissements de bile noire, épaisse, enflammée »: telles sont
les indications que donne Mathys à Vasquez.
Le dimanche 18 septembre, Charles connaît un dernier répit20.
Le lundi 19 septembre au matin, il ressent un froid terrible, «le plus vif
qu'il ait encore éprouvé21». C'est la fin. Les médecins demandent qu'on lui
administre l'extrême-onction. Quijada refuse d'abord; il ne peut admettre la
mort de son maître. Puis il se résigne : à neuf heures du soir, Charles reçoit
le sacrement des malades. Jusqu'à sa mort, il va rester lucide, par un dernier
effort de volonté. Dans la chambre obscure, à la lueur de bougies, les
moines récitent les prières des agonisants. Charles choisit les textes qu'il
désire entendre : dans saint Jean, le récit de la passion du Christ.
Le mardi matin, il veut communier à nouveau. Quijada hésite :
« Votre Majesté ne pourra pas avaler l'hostie.
– Je le pourrai ! »
Juan Regla apporte le Saint Sacrement de l'église voisine. Charles
regarde l'hostie  : « Seigneur, Dieu de vérité, qui nous avez rachetés, je
remets mon esprit entre vos mains. »
Il éloigne les moines, les proches, les médecins. Ilveut être seul avec
Quijada, auquel il confie ses dernières volontés :
« Je vois que je m'affaiblis et que je m'en vais peu à peu. J'en rends
grâces à Dieu, puisque telle est sa volonté. Vous direz au roi mon fils qu'il
prenne soin de tous ceux qui m'ont servi jusqu'à la mort22. »
Il recommande à Quijada son fils Geronimo et ne songe plus qu'à mourir.
L'archevêque de Tolède, Bartolomé de Carranza, arrive au couvent vers
midi. Il ne s'est pas pressé, il n'est pas attendu. Il s'approche, s'agenouille et
baise la main. L'empereur le regarde et l'écarte. Dans L'art de mourir,
fasciné par la mort et songeant déjà à la sienne, Morand évoque « les
mourants taciturnes, ceux qui ne livrent pas leur secret, ceux qui détournent
de nous les yeux pour les fixer sur l'invisible23 ». Les yeux fixés sur
l'invisible! Pour franchir la passe au-delà de la mort qui conduit à la vie
éternelle.
Charles demande le crucifix que sa femme a tenu dans ses mains à l'heure
de sa mort. Quijada le lui donne, dispose autour du lit les cierges bénits
arrivés de Montserrat, rappelle le cardinal de Carranza. Montrant le
crucifix, Carranza dit de sa voix gutturale, que Charles n'a jamais pu
supporter : « Voici celui qui répond pour tous les hommes. Il n'y a plus de
péché, nous sommes tous pardonnés ! »
Ces propos sont-ils hérétiques  ? Dans la chambre, certains, aussitôt, le
pensent. Luis de Ávila le premier et, devant le tribunal du Saint-Office, il
accusera Carranza. Quijada arrête le cardinal, donne la parole au père de
Villalba  : c'est un colosse qui parle d'une petite voix douce24. Il n'évoque
pas le Christ, mais les saints :« C'est aujourd'hui la fête de saint Matthieu.
Votre Majesté est venue au monde avec saint Mathias, Elle en sortira avec
saint Matthieu. Saint Matthieu et saint Mathias étaient deux apôtres, deux
frères, portant à peu près le même nom, tous deux disciples du Christ. Avec
de pareils intercesseurs, Votre Majesté n'a rien à craindre  ! Qu'Elle tourne
avec confiance son cœur vers Dieu, qui aujourd'hui la mettra en possession
de sa gloire. »
La querelle religieuse, que l'empereur n'a pas su régler, se manifeste
autour de son lit de mort. Dans le salut de l'homme, quelle est la part du
Christ, de la grâce, de l'Eglise et de l'homme lui-même ?
Vers deux heures du matin, le mercredi 21 septembre, Charles sent qu'il
va mourir. Il tend la main gauche vers le crucifix. Quijada place dans sa
main droite un cierge, qu'il tient avec lui. La main dans celle de son vieux
compagnon, Charles dit : « C'est le moment. » Un soupir : « Ay Jésus ! » Il
expire.
« Ainsi finit, écrit Quijada à Philippe II, le plus grand homme qui ait été
et qui sera.» Il ajoute  : « J'ai vu mourir la reine de France – Eléonore, la
sœur aînée de Charles Quint – qui a terminé ses jours très chrétiennement.
Mais l'empereur l'a emporté en tout, car je ne l'ai pas vu un instant craindre
la mort, ni s'en inquiéter, bien qu'il en parlât souvent25. »
Le jeudi, le corps est lavé, embaumé, couché dans un cercueil de plomb,
qui est lui-même placé dans un cercueil de châtaignier. Le samedi, selon la
loi espagnole, les cercueils sont ouverts et le corregidor de Plasencia
délivre le permis d'inhumer. Puis le corps est descendu dans la crypte, sous
l'autel, comme Charles l'a souhaité.
Aussitôt, la légende s'empare de sa mort. Une comète, apparue dans le
ciel au début du mois, s'éteintle 22 septembre. Dans le jardin de Yuste, un
lys fleurit et un oiseau merveilleux, noir et blanc, vole au-dessus du
monastère. La cloche de Vililla, dont le métal contient l'un des trente
deniers de la passion du Christ, sonne d'elle-même26.
Les historiens se sont efforcés de compter les services célébrés à la
mémoire de Charles Quint, mais peut-on dénombrer les grains de sable que
soulève le vent  ? Deux mille quatre cents pour l'un, trois mille sept cents
pour un autre... Aucune cérémonie ne surpasse l'éclat de celle que Philippe
II organise à Bruxelles le 29 décembre 1558 dans l'église Sainte-Gudule.
Stefano Doria porte l'étendard de Bourgogne, Antonio de Toledo la
couronne, Guillaume d'Orange le globe impérial. De l'autre côté de l'Océan,
à Potosi, au pied de la montagne d'argent, les Indiens courent dans les rues
et crient : « Notre roi, notre maître, notre Charles est mort27 ! »
En janvier 1574, Philippe II fait transporter le corps de son père dans le
monastère de l'Escurial. Gaztelú est devenu son secrétaire : le roi le charge
d'aller chercher à Yuste la dépouille de l'empereur. Quijada a été tué en
1570 dans une expédition contre les Maures aux côtés de don Juan
d'Autriche. Une balle a frappé le casque de don Juan, puis a ricoché sur lui :
« J'avais reçu mission de vous protéger. Cette balle devait tuer l'un de nous.
Je l'ai reçue : tout est bien ainsi28. »
Trois cents ans plus tard, en 1872, les tombeaux sont ouverts : le corps de
Philippe II est tombé en poussière, celui de Charles Quint est intact. Un
peintre espagnol, Martin Rico y Ortega, fait un dessin, qu'il accompagne
d'une description à l'intention de son ami Fortuny29 :
« Le corps de l'empereur est bien conservé, enveloppé d'un suaire blanc
orné de dentelles de deux doigts de large; une étoffe de damas rouge le
cache entièrement, recouvrant la momie et le linceul. La décomposition a
fait peu de progrès dans les trois siècles qui se sont écoulés depuis
l'ensevelissement et, en dépit de tout ce qu'on a pu dire ou entendre, je puis
vous dire que le corps est resté intact, que rien, absolument rien, n'y
manque ! »
Martin Rico précise :
« La barbe, épaisse et coupée court autour de la bouche, est demeurée
d'un châtain foncé, et non pas grise, comme on la voit sur les portraits du
prince30. »
Les embaumeurs ont bien fait leur travail.
1 Paul Morand, Une noire affaire, p. 978-979.
2 Karl Brandi, Charles Quint, p. 7.
3 François-Auguste Mignet, Charles Quint, son abdication, son séjour et sa mort au monastère de
Yuste, p. 171-173.
4 Edmonde Charles-Roux, Stèle pour un bâtard, p. 13.
5 Amédée Pichot, Charles Quint, p. 418.
6 Adolfo de Castro, Historia de los protestantes españoles, p. 45-105.
7 François-Auguste Mignet, Charles Quint, son abdication, son séjour et sa mort au monastère de
Yuste, p. 371.
8 Louis-Prosper Gachard, Retraite et mort de Charles Quint, t. II, p. 301-303.
9 Le traité de Cateau-Cambrésis, conclu le 3 avril 1559, mettra fin aux guerres entre la France et
l'Espagne. Il sera signé par le pape, l'empereur, la reine d'Angleterre, les rois de Pologne, de Suède,
de Danemark, d'Ecosse, les princes italiens... Philippe, veuf à la suite du décès de la reine Marie
d'Angleterre, épousera Elisabeth de Valois, fille d'Henri II de France.
10 Louis-Prosper Gachard, Retraite et mort de Charles Quint, t. II, p. 314-315.
11 C'est Jean Orizet, dans La poussière d'Adam, qui cite cette belle phrase de Marguerite
Yourcenar.
12 Lettre de Quijada à Vasquez du 28 août 1558, Louis-Prosper Gachard, Retraite et mort de
Charles Quint, t. II, p. 487. Dans la montagne, la foudre tue vingt-sept vaches et neuf veaux!
13 François-Auguste Mignet, Charles Quint, son abdication, son séjour et sa mort au monastère
de Yuste, p. 404. Sandoval ajoute que les deux mille couronnes ont été employées, après la mort de
Charles Quint, à régler les cierges, les tentures et les vêtements de deuil – bref, à payer les frais
d'obsèques.
14 Tel est le récit du moine anonyme, dans le manuscrit publié par Bakhuisen Vanden Brink.
15 Louis-Prosper Gachard, Retraite et mort de Charles Quint, t. II, préface, p. CLV.
16 Karl Brandi, Charles Quint, p. 654.
17 Lettre de Mathys à Vasquez du 1" septembre 1558, Louis-Prosper Gachard, Retraite et mort de
Charles Quint, t. II, p. 322-323.
18
Ibid., p. 325-327.
19 Vicente de Cadenas y Vicent, Diario del emperador Carlos V, p. 404.
20 C'est le jour choisi par Jacques Attali pour mettre en scène Charles Quint dans sa pièce Les
racines du ciel.
21 Lettre de Mathys à Vasquez du 19 septembre 1558, Louis-Prosper Gachard, Retraite et mort de
Charles Quint, t. II, p. 379-380.
22 Lettre de Quijada à Philippe II du 30 septembre 1558, ibid., p. 408-411.
23 Paul Morand, L'art de mourir, p. 18.
24 Jean Babelon, Charles Quint, p. 323.
25 Lettre de Quijada à Philippe II du 30 septembre 1558, Louis-Prosper Gachard, Retraite et mort
de Charles Quint.
26 Amédée Pichot, Charles Quint, p. 468.
27 Peter Lahnstein, Dans les pas de Charles Quint, p. 355.
28 Edmonde Charles-Roux, Stèle pour un bâtard, p. 148.
29 Le dessin est publié par Illustracion española y americana; il est conservé dans les collections
du Musée d'art moderne de New York.
30 Jean Babelon, Charles Quint, p. 326-327.
ANNEXES
 
CHRONOLOGIE1

1496
20 octobre : Philippe de Habsbourg, dit le Beau, épouse à Lierre Jeanne
d'Aragon.
1498
6 novembre : naissance à Bruxelles de leur premier enfant, Eléonore, qui
sera reine de Portugal, puis reine de France.
1500
24 février : naissance à Gand de leur fils, Charles, qui deviendra Charles
Quint.
20 juillet : mort de Miguel, fils de la sœur aînée de Jeanne d'Aragon : la
mère de Charles devient héritière des royaumes de Castille et d'Aragon.
1501
27 juillet : naissance à Bruxelles d'Isabelle, troisième enfant de Philippe
et de Jeanne, qui sera reine de Danemark.
1502
15 janvier : Philippe et Jeanne arrivent en Espagne.
1503
10 mars : naissance à Alcalá de Henares de Ferdinand, quatrième enfant
de Philippe et de Jeanne, qui sera empereur d'Allemagne.
18 août  : mort du pape Alexandre VI Borgia, grand-père du duc de
Candie.
18 octobre : mort du pape Pie III.
1" novembre  : le cardinal Jules della Rovere est élu pape  : il prend le
nom de Jules II.
1 Les dates retenues dans cette chronologie sont celles du Diario del emperador Carlos V de
Vicente de Cadenas y Vicent – à quelques exceptions près : ainsi, Vicente de Cadenas donne le 24
février 1545 comme date de naissance de don Juan d'Autriche, alors que ce dernier est né le 24
février 1547.
1504
26 novembre  : mort à Medina del Campo de la reine Isabelle la
Catholique. Jeanne d'Aragon, mère de Charles Quint, devient reine de
Castille.
 

1505
15 septembre  : naissance à Bruxelles de Marie, cinquième enfant de
Philippe et de Jeanne, qui sera reine de Hongrie et régente des Pays-Bas.
 

1506
20 mai : mort à Valladolid de Christophe Colomb.
25 septembre : mort à Burgos de Philippe le Beau.
1507
14 janvier  : naissance à Torquemada de Catherine, sixième enfant de
Philippe et de Jeanne, qui sera reine de Portugal.
18 mars  : l'empereur Maximilien Ier désigne sa fille Marguerite de
Habsbourg, veuve de Philibert de Savoie, comme régente des Pays-Bas et
tutrice de ses petits-enfants.
19 juillet : Charles de Habsbourg – le futur Charles Quint – est proclamé
à Malines duc de Bourgogne et souverain des Pays-Bas.
1509
21 avril : Henri VIII devient roi d'Angleterre.
10 mai  : Henri VIII épouse Catherine d'Aragon, fille des Rois
Catholiques et tante de Charles Quint.
1512
11 avril (jour de Pâques) : bataille de Ravenne et mort de Gaston de Foix.
 

1513
21 février : mort du pape Jules II.
11 mars  : le cardinal Jean de Médicis est élu pape  : il prend le nom de
Léon X.
15 août : l'empereur Maximilien Ier, allié du roi Henri VIII d'Angleterre,
remporte contre l'armée française la victoire de Guinegate.
15 octobre : traité de Lille entre l'empereur Maximilien Ier, le roi Henri
VIII et le roi Ferdinand le Catholique.
1514
18 mai  : Claude de France, fille de Louis XII, épouse François
d'Angoulême, qui deviendra François Ier.
7 octobre : Louis XII épouse Marie d'Angleterre, sœur d'Henri VIII.
1515
1" janvier  : mort de Louis XII  : François Ier devient roi de France et
prend le titre de duc de Milan.
5 janvier : émancipation à Bruxelles de Charles Quint.
14 septembre : François Ier remporte la victoire de Marignan.
1516
23 janvier : mort à Madrigalejo du roi Ferdinand le Catholique : Charles
Quint devient roi d'Aragon.
18 février  : naissance à Greenwich de Marie, fille d'Henri VIII et de
Catherine d'Aragon, qui sera reine d'Angleterre et épousera Philippe II.
13 mars  : Charles Quint est proclamé à Bruxelles roi de Castille
(conjointement avec sa mère Jeanne) et roi d'Aragon.
1517
19 septembre : Charles Quint débarque à Villaviciosa (premier séjour en
Espagne).
1" novembre  : Luther affiche à Wittenberg ses thèses sur la réforme de
l'Eglise.
25 novembre  : Charles Quint, sur la route de Valladolid, rend visite à
Tordesillas à sa mère, la reine Jeanne.
1518
2 février : ouverture des Cortes de Valladolid.
7 juin : mort à Saragosse de Jean Le Sauvage : Mercurino de Gattinara
devient grand chancelier.
1519
12 janvier  : mort à Wels de l'empereur Maximilien Ier, grand-père de
Charles Quint.
21 avril : Hernán Cortés débarque au Mexique.
28 juin : Charles Quint est élu à Francfort roi des Romains.
8 novembre  : Hernán Cortés s'empare de Tenochtitlán, capitale des
Mexicas.
 

1520
20 mai : Charles Quint embarque à La Corogne pour les Pays-Bas.
29 juillet : création de la Junte des Comunidades.
1er octobre : avènement du sultan Soliman le Magnifique.
23 octobre  : Charles Quint est couronné à Aix-la-Chapelle roi des
Romains.
1" novembre : Hernán Cortés évacue Tenochtitlán (Noche triste).
1521
31 mars : Belgrade tombe aux mains des Turcs.
17 avril : Luther comparaît devant la diète de Worms.
23 avril : les comuneros sont battus à Villalar.
27 avril : mort accidentelle de Magellan dans l'îlot de Mactan.
8 mai : Luther est mis au ban de l'Empire.
28 mai : mort à Worms de Guillaume de Chièvres.
1er décembre : mort du pape Léon X.
1522
9 janvier : Adrien d'Utrecht, ancien précepteur de Charles Quint et régent
d'Espagne, est élu pape : il prend le nom d'Adrien VI.
29 avril  : le maréchal de Lautrec est battu à La Bicoque; les Français
perdent le Milanais.
5 juillet  : naissance de Marguerite, fille naturelle de Charles Quint, qui
sera duchesse de Parme et régente des Pays-Bas.
16 juillet  : Charles Quint débarque à Santander (deuxième séjour en
Espagne).
1er novembre : l'amnistie des comuneros est proclamée à Valladolid.
21 décembre : les Turcs prennent Rhodes.
 

1523
18 juillet : le duc de Bourbon s'engage au service de Charles Quint.
14 septembre : mort du pape Adrien VI.
19 novembre : le cardinal Jules de Médicis est élu pape : il prend le nom
de Clément VII.
26 décembre : mort à Milan de Prospero Colonna. Les Français perdent à
nouveau Milan.
1524
14 août : le duc de Bourbon met le siège devant Marseille.
26 octobre : François Ier s'empare de Milan.
1525
24 février : François Ier est battu à Pavie et fait prisonnier.
29 août  : Louis II de Hongrie, beau-frère de Charles Quint, est tué à la
bataille de Mohács.
 

1526
14 janvier : François Ier signe le traité de Madrid, par lequel il « restitue »
le duché de Bourgogne à Charles Quint.
10 mars : Charles Quint épouse à Séville Isabelle de Portugal.
17 mars : François I" est libéré. Il remet ses deux fils en otages à Charles
de Lannoy.
 

1527
6 mai : le duc de Bourbon donne l'assaut à Rome.
21 mai  : naissance à Valladolid de Philippe, fils de Charles Quint et
d'Isabelle, le futur Philippe II.
1528
22 janvier : François Ier et Henri VIII déclarent la guerre à Charles Quint.
1" juin : Hernân Cortés est reçu par Charles Quint, qui lui confie le titre
de marquis del Valle de Oaxaca.
16 août  : le maréchal de Lautrec meurt du typhus; les Français perdent
Naples.
1529
19 avril  : à Spire, les princes et les délégués des villes favorables à la
Réforme « protestent » contre la décision de la diète  : l'appellation de «
protestants » leur est donnée.
21 juin  : Antonio de Leyva bat le comte de Saint-Pol à Landriano. Les
Français perdent le Milanais.
29 juin  : Charles Quint et le pape Clément VII concluent le traité de
Barcelone.
26 juillet : Charles Quint autorise Francisco Pizarro à conquérir le Pérou.
5 août  : Louise de Savoie, pour son fils François Ier, et Marguerite de
Savoie, pour son neveu Charles Quint, signent à Cambrai la « paix des
Dames ».
5 octobre : Charles Quint entre à Bologne.
14 octobre : Soliman le Magnifique met le siège devant Vienne.
31 décembre  : la «paix de Bologne» est conclue entre Charles Quint et
les Etats italiens.
 

1530
24 février : Charles Quint est couronné à Bologne empereur par le pape
Clément VII (le jour de son trentième anniversaire).
5 mai : mort à Innsbruck du grand chancelier de Gattinara.
15 juin : Charles Quint entre à Augsbourg (premier séjour de l'empereur
à Augsbourg).
1" décembre : mort à Malines de Marguerite de Savoie, régente des Pays-
Bas.
 

1531
3 janvier : Charles Quint nomme sa sœur Marie de Hongrie régente des
Pays-Bas.
5 janvier  : à Cologne, Ferdinand de Habsbourg, frère cadet de Charles
Quint, est élu roi des Romains.
11 janvier : Ferdinand est couronné à Aix-la-Chapelle (dernier empereur
couronné dans cette ville).
27 février : création de la ligue de Smalkalde entre les princes protestants
et les villes d'Allemagne.
1er octobre : Charles réforme le gouvernement des Pays-Bas.
1532
29 février : Charles Quint arrive à Ratisbonne pour présider la diète.
23 septembre : Charles Quint entre à Vienne en vainqueur (pour son seul
séjour dans la capitale autrichienne).
16 novembre : Francisco Pizarro s'empare de Cajamarca au Pérou; l'Inca
Atahualpa est fait prisonnier.
 

1533
21 avril : Charles Quint débarque à Rosas (troisième séjour en Espagne).
29 août : l'Inca Atahualpa est exécuté à Cuzco.
 

1534
25 septembre : mort du pape Clément VII.
13 octobre : le cardinal Alexandre Farnèse est élu pape : il prend le nom
de Paul III.
 

1535
16 juin : Charles Quint débarque en Tunisie.
24 juin  : naissance à Madrid de Jeanne, fille de Charles Quint et
d'Isabelle, qui sera régente d'Espagne.
21 juillet : Charles Quint prend Tunis.
2 novembre : mort à Milan du duc Francesco Sforza.
25 novembre : Charles Quint entre à Naples.
 

1536
17 avril : Charles Quint prononce devant le pape Paul III le « discours de
Rome ».
25 juillet  : Charles Quint engage contre la France la campagne de
Provence.
15 septembre : mort d'Antonio de Leyva.
5 décembre  : Charles Quint débarque à Palamos (quatrième séjour en
Espagne).
 

1537
6 janvier : assassinat à Florence du duc Alexandre de Médicis, époux de
Marguerite d'Autriche.
 

1538
17 juin : une trêve est conclue à Nice entre Charles Quint, François Ier et
le pape Paul III.
14 juillet : à Aigues-Mortes, Charles Quint rencontre François Ier.
20 juillet  : Charles Quint débarque à Barcelone (cinquième séjour en
Espagne).
1539
1er mai : mort à Tolède de l'impératrice Isabelle, épouse de Charles Quint.
27 novembre : Charles Quint arrive en France.
1540
1" janvier : Charles Quint est accueilli à Paris par François Ier.
14 février : Charles Quint réprime la révolte de Gand.
1541
5 avril  : Charles Quint ouvre la diète de Ratisbonne avec la volonté de
parvenir à un accord entre catholiques et protestants.
24 juin : Francisco Pizarro est assassiné à Cuzco.
13-17 septembre : Charles Quint rencontre le pape Paul III à Lucques.
28 septembre  : Charles Quint embarque à La Spezia à destination
d'Alger.
3-6 octobre : Charles Quint fait escale à Bonifacio.
23 octobre : Charles Quint débarque au cap Matifou.
1er novembre : Charles Quint renonce à prendre Alger.
2 décembre  : Charles Quint débarque à Carthagène (sixième séjour en
Espagne).
1542
12 juillet : les troupes françaises envahissent l'Artois et le Luxembourg.
16 septembre : Almagro el Mozo est battu à Chupas au Pérou.
20 novembre : Charles Quint proclame à Barcelone les Lois nouvelles sur
le statut des Indiens.
 

1543
4 mai  : avant de quitter l'Espagne, Charles Quint adresse de nouvelles
instructions à son fils Philippe.
21 juin : Charles Quint rencontre le pape Paul III à Bussetto.
23 août : Charles Quint engage la campagne de Clèves.
4 septembre : le duc Guillaume de Clèves se soumet.
10 novembre : Charles Quint prend Cambrai.
1544
7 juillet : Charles Quint engage la campagne de la Marne.
18 septembre : la paix est signée à Crépy entre Charles Quint et François
Ier.
1545
17 juin  : le pape Paul III décide de soutenir Charles Quint dans une
guerre contre les protestants d'Allemagne.
7 juillet : naissance à Valladolid de Carlos, fils de Philippe II et de Marie
de Portugal, suivie le 12 juillet de la mort de Marie.
9 septembre  : mort du duc d'Orléans, fils de François Ier, sur lequel
repose l'application du traité de Crépy.
13 décembre : ouverture du concile de Trente.
 

1546
7 février : mort de Luther à Eisleben.
11 avril-3 août  : diète de Ratisbonne. Charles Quint a une liaison avec
Barbara Blomberg.
4 juillet  : accord entre le prince Jean-Frédéric de Saxe et le landgrave
Philippe de Hesse contre Charles Quint.
5 juillet : Philippe II devient duc de Milan.
août-décembre  : Charles Quint conduit la campagne du Danube contre
les princes protestants.
 

1547
28 janvier : mort de Henri VIII.
24 février : naissance à Ratisbonne de don Juan d'Autriche.
31 mars : mort de François Ier.
24 avril  : victoire de Mühlberg et reddition du prince Jean-Frédéric de
Saxe.
18 juin : soumission à Halle du landgrave Philippe de Hesse.
23 juillet : Charles Quint arrive à Augsbourg pour un séjour d'un an.
 

1548
16 janvier : testament politique de Charles Quint à l'intention de son fils.
24 février : Maurice de Saxe devient électeur de Saxe (à la place de son
cousin Jean-Frédéric).
10 avril : Pizarro et Francisco Gonzalo de Carvajal sont exécutés après la
bataille de Xaquixaguana. Fin des guerres civiles au Pérou.
15 mai : publication de l'Intérim d'Augsbourg.
26 juin : érection des provinces des Pays-Bas et de la Franche-Comté en
Cercle de Bourgogne.
 

1549
3 juillet : Charles Quint convoque la conférence de Valladolid.
8 juillet : Philippe est reconnu à Bruxelles prince héritier des Pays-Bas.
10 novembre : mort du pape Paul III.
1550
8 février : le cardinal Ciocchi Del Monte est élu pape : il prend le nom de
Jules III.
juin  : sur le Rhin, Charles Quint dicte ses Mémoires à Guillaume Van
Male.
juillet-septembre : première session de la conférence de Valladolid sur «
la question de savoir s'il est licite de faire la guerre aux Indiens ».
8 juillet : Charles Quint arrive à Augsbourg pour un nouveau séjour d'un
an.
27 août : mort à Augsbourg de Nicolas Perrenot de Granvelle.
1551
9 mars : un « pacte de famille » est conclu entre les Habsbourg pour la
succession de Charles Quint.
avril-mai : deuxième session de la conférence de Valladolid.
1er mai : réunion du concile de Trente.
2 novembre : Charles Quint gagne Innsbruck.
1552
15 janvier : le traité de Chambord est conclu entre Henri II et les princes
protestants d'Allemagne.
3 avril : entrée de Maurice de Saxe à Augsbourg.
7 avril : Charles Quint s'enfuit d'Innsbruck une première fois.
18 avril : entrée d'Henri II à Metz.
19 mai : Charles Quint quitte définitivement Innsbruck.
23 mai : entrée de Maurice de Saxe à Innsbruck.
31 juillet  : la paix de Passau reconnaît la liberté de religion en
Allemagne.
19 octobre : le duc d'Albe met le siège devant Metz.
26 décembre : Charles Quint renonce à prendre Metz.
décembre : Las Casas publie la Relation de la destruction des Indes.
1553
6 juillet : mort d'Edouard VI, roi d'Angleterre. Marie Tudor devient reine
d'Angleterre.
11 juillet : bataille de Sieverhausen et mort de Maurice de Saxe.
septembre : campagne d'Artois. Henri II refuse le combat.
1554
12 janvier : le traité de Londres prévoit le mariage de Philippe d'Espagne
et de Marie d'Angleterre.
6 juin : cinquième testament de Charles Quint réglant sa succession.
25 juillet  : mariage dans la cathédrale de Winchester de Philippe
d'Espagne et de Marie d'Angleterre.
15 août : Charles Quint contraint Henri II à lever le siège de Renty.
1555
21 octobre : Charles Quint remet à Philippe II la maîtrise de l'ordre de la
Toison d'or.
25 octobre : abdication de Charles Quint à Bruxelles.
1556
16 janvier : Charles Quint renonce aux royaumes d'Espagne.
28 septembre  : Charles Quint débarque à Laredo (dernier séjour en
Espagne).
 

1557
3 février : Charles Quint s'installe à Yuste.
10 août : les Espagnols remportent la victoire de Saint-Quentin (en la fête
de Saint-Laurent).
 

1558
8 janvier : le duc de Guise prend Calais.
18 février  : mort à Talaveruela d'Eléonore, reine douairière de France,
sœur aînée de Charles Quint.
12 mars : Ferdinand est élu à Francfort empereur d'Allemagne.
13 juillet : les Espagnols remportent la victoire de Gravelines.
21 septembre (vers deux heures du matin)  : mort de Charles Quint à
Yuste.
18 octobre : mort à Cigales de Marie de Hongrie, sœur cadette de Charles
Quint.
LES ASCENDANTS
DE CHARLES QUINT

ASCENDANTS DE PHILIPPE LE BEAU (père de Charles Quint)


ASCENDANTS DE JEANNE LA FOLLE (mère de Charles Quint)
LES VOYAGES DE CHARLES QUINT
Le jour de son abdication, devant les Etats généraux des Pays-Bas,
Charles Quint a rappelé les voyages qu'il a effectués : neuf en Allemagne,
six en Espagne, sept en Italie, dix aux Pays-Bas, quatre en France, deux en
Angleterre, deux en Afrique, « sans compter ses visites en ses autres
royaumes, pays et îles, lesquelles avaient été nombreuses, et son passage
par la France, en 1539, qui n'était pas la moindre de ses entreprises ».
Selon le Journal de Jean de Vandenesse et le Diario de Vicente de
Cadenas y Vicent, les séjours et les déplacements de Charles Quint
s'établissent ainsi :
- de sa naissance, le 24 février 1500, à septembre 1517 : Pays-Bas
- de septembre 1517 à mai 1520 : Espagne (1 er
séjour)
- mai 1520 : Angleterre
- de juin à octobre 1520 : Pays-Bas
- d'octobre 1520 à juin 1521 : Allemagne
- de juin 1521 à mai 1522 : Pays-Bas
- de mai à juillet 1522 : Angleterre
- de juillet 1522 à juillet 1529 : Espagne (2 e
séjour)
- d'août 1529 à mars 1530 : Italie (couronnement à Bologne)
- d'avril à juin 1530 : Autriche
- de juin 1530 à janvier 1531 : Allemagne
- de janvier 1531 à janvier 1532 : Pays-Bas
- de janvier à septembre 1532 : Allemagne
- de septembre à octobre 1532 : Autriche (seul séjour à Vienne)
- d'octobre 1532 à avril 1533 : Italie (2 e
séjour à Bologne)
- d'avril 1533 à avril 1535 : Espagne (3 e
séjour)
- de mai à août 1535 : expédition de Tunis
- d'août 1535 à juin 1536 : Italie (séjour à Rome du 5 au 17 avril 1536)
- de juillet à septembre 1536 : France (campagne de Provence)
- de septembre à novembre 1536 : Italie
- de décembre 1536 à avril 1538 : Espagne (4 e
séjour)
- de mai à juillet 1538 : France (rencontre d'Aigues-Mortes le 14 juillet
1538)
- de juillet 1538 à novembre 1539 : Espagne (5 e
séjour)
-  de novembre 1539 à janvier 1540  : France (entrée à Paris le 1 er
janvier 1540)
- de janvier 1540 à janvier 1541 : Pays-Bas (révolte de Gand)
- de janvier à août 1541 : Allemagne
- août 1541 : Autriche
- d'août à octobre 1541 : Italie
- d'octobre à novembre 1541 : expédition d'Alger (séjour à Bonifacio
du 3 au 5 octobre 1541)
- de novembre 1541 à mai 1543 : Espagne (6 e
séjour)
- de mai à juillet 1543 : Italie (rencontre de Bussetto avec le pape Paul
III)
- juillet 1543 : Autriche
- de juillet à août 1543 : Allemagne
- août-septembre 1543 : Lorraine (campagne de Clèves)
- de septembre 1543 à janvier 1544 : Pays-Bas
- de janvier à juin 1544 : Allemagne
- de juin à juillet 1544 : Lorraine (entrée à Metz le 17 juin 1544)
- d'août à septembre 1544 : France (campagne de la Marne)
- de septembre 1544 à mai 1545 : Pays-Bas
- de mai à août 1545 : Allemagne
- d'août 1545 à mars 1546 : Pays-Bas
- de mars 1546 à septembre 1548 : Allemagne
- de septembre 1548 à juin 1550 : Pays-Bas
- de juin 1550 à novembre 1551 : Allemagne
- de novembre 1551 à août 1552 : Autriche (Innsbruck)
- d'août à octobre 1552 : Allemagne
- d'octobre 1552 à janvier 1553 : Lorraine (siège de Metz)
-  de janvier 1553 à septembre 1556  : Pays-Bas (abdication le 25
octobre 1555)
-  de septembre 1556 à sa mort, le 21 septembre 1558  : Espagne (7 e
voyage)
 

Louis-Prosper Gachard, Collection des voyages des souverains au Pays-


Bas, tome II (Journal des voyages de Charles Quint par Jean de
Vandenesse), Bruxelles, 1874.
 

Vicente de Cadenas y Vicent, Diario del emperador Carlos V, Madrid,


1992.
LES ATTAQUES DE GOUTTE DE CHARLES QUINT DE
1528 À 1555

Charles Quint a abdiqué en octobre 1555 parce qu'il n'était plus en état
d'exercer le pouvoir. La déchéance physique est venue  : il l'a jugée
incompatible avec la charge du gouvernement.
 

J'ai suivi, mois par mois, la progression de la maladie, la succession des


attaques de goutte qui sont devenues de plus en plus fréquentes au fil des
ans. Charles Quint est un homme qui a beaucoup souffert et dû porter une
grande attention à ses problèmes de santé Dans ses Mémoires, il note – et
numérote – ses attaques de goutte. Je me suis efforcé d'en établir la liste, à
partir de l'agenda de l'empereur, Diario del emperador Carlos V, établi par
Vicente de Cadenas en 1992, et des deux versions de ses Mémoires – la
première en langue française, les Commentaires de Charles Quint, publiés
par Kervyn de Lettenhove en 1862, la seconde en langue espagnole, Las
supuestas Memorias, publiés par Vicente de Cadenas en 1989.
 

- 1528  : première attaque de goutte à Valladolid  : « L'an 1528, Sa


Majesté, se rendant à Valladolid, ressentit les premières atteintes de la
goutte » (Commentaires, p. 22, Memorias, p. 95).
- 1529 : deuxième attaque à Bologne (Commentaires, p. 26, Memorias, p.
101).
Dans son ouvrage sur le couronnement de Charles Quint, Vicente de
Cadenas précise le nom des médecins qui ont été appelés en consultation au
chevet de l'empereur  : Antonio Maria Vetti, de Modène, Francesco
Antracino, médecin du pape, Iacopo Berengario, de la faculté de Bologne,
et Berduno Narciso, premier médecin de l'empereur. Pour la première fois,
un traitement à base de décoctions de bois des Indes – le bois de gaïac – a
été utilisé.
- 1532  : troisième attaque de goutte à Ratisbonne(Commentaires, p.
31, Memorias, p. 107).
- 1534 : quatrième attaque de goutte à Palencia(Commentaires, p. 34,
Memorias, p. 119).
- 1535 : cinquième attaque de goutte en Italie, au retour de l'expédition
de Tunis  : « Dans ce voyage, il fut, pour la cinquième fois, et à quatre
reprises, atteint de la goutte » (Commentaires, p. 39, Memorias, p. 119).
- 1537 : sixième attaque de goutte à Valladolid : « Il fut, pour la sixième
fois, fortement attaqué de la goutte » (Commentaires, p. 41-42, Memorias,
p. 121).
- 1538 : septième attaque de goutte à Gênes : « L'empereur accompagna
Sa Sainteté jusqu'à Gênes, où il fut atteint de la goutte, pour la septième fois
» (Commentaires, p. 49, Memorias, p. 131).
- 1540 : huitième attaque de goutte à La Haye : « Pendant cette visite (des
Pays-Bas), il eut à La Haye, en Hollande, sa huitième attaque de goutte »
(Commentaires, p. 55, Memorias, p. 139).
- 1542 : neuvième attaque de goutte à Valladolid puis au monastère de la
Mejorada : « Il l'eut pour la première fois presque généralement dans tous
ses membres » (Commentaires, p. 63, Memorias, p. 149).
- 1543 : dixième attaque de goutte à Bussetto : « Ce fut la quatrième
entrevue que l'empereur eut avec le pape Paul, et il eut la goutte pour la
dixième fois » (Commentaires, p. 69, Memorias, p. 159).
- 1543  : onzième attaque de goutte après la campagne de Clèves,
alors que Charles Quint rejoignait Diest  : « L'empereur, s'étant emparé
de la Gueldre, partit, avec la goutte, de Venloo pour Diest, où les Etats des
Pays-Bas étaient assemblés » (Commentaires, p. 73, Memorias, p. 163).
 

Désormais, Charles Quint évoque sa goutte à chaque page de ses


Mémoires : « Bien que tourmenté par la goutte, l'empereur quitta Diest pour
assister au siège (de Landrecies)... Il s'établit à Avesnes, quoiqu'il se trouvât
encore souffrant de la goutte » (Commentaires, p. 74, Memorias, p. 165).
Charles Quint ajoute, en se trompant pour la première fois sur la
numérotation de ses attaques : « C'était la dixième fois que l'empereur était
atteint de la goutte » (Commentaires, p. 75, Memorias, p. 165). Cadenas
s'en étonne en raison de la « méticulosité » avec laquelle Charles Quint
décompte ses attaques (Memorias, p. 350). Mais, à partir de l'hiver 1543,
l'empereur était si souvent malade, les moments de répit devenaient si rares,
qu'il a confondu, dans son souvenir, les jours de maladie et les périodes de
relative santé : « Il fut fort indisposé, mais non de la goutte, tout le reste de
l'année » (Commentaires, p. 78, Memorias, p. 171).
 

- 1544 : douzième attaque de goutte à Gand : « La goutte le prit dans


cette ville (Gand) à ce point que, de décembre à Pâques, il en fut
extrêmement tourmenté, quelque sévères que fussent le régime et la diète
qu'il s'était imposés pour la première fois » (Commentaires, p. 94-95,
Memorias, p. 193). Cadenas commente  : l'empereur ne s'est soigné que
lorsque la goutte lui eut interdit tout mouvement (Memorias, p. 351).
- 1545 : treizième attaque de goutte à Bois-le-Duc : « A Bois-le-Duc,
l'empereur fut attaqué de la goutte, de sorte qu'il fut obligé de s'y arrêter et
de remettre le chapitre (de la Toison d'or) à une autre époque »
(Commentaires, p. 111, Memorias, p. 211). L'agenda de Charles Quint
mentionne une nouvelle attaque de goutte à Utrecht le 6 janvier 1546
pendant la réunion du chapitre de la Toison d'or.
- 1546  : quatorzième attaque de goutte à Giengen  : « Malgré les
douleurs qu'il éprouvait, l'empereur monta à cheval et, sortant du camp,
gravit la montagne sur laquelle se trouvait l'artillerie. Mais la goutte le
tourmentait à ce point qu'il fut obligé d'attacher une bande de toile à l'arçon
de la selle afin de reposer le pied » (Commentaires, p. 146-147, Memorias,
p. 255).
- 1546  : quinzième attaque de goutte à Rotenburg et Halle  :
«L'empereur s'arrêta quelques jours à Rotenburg, où il logea ses soldats à
couvert et où il les laissa prendre quelque repos. Il y fut atteint de la goutte;
mais dès qu'il se trouva un peu mieux, et que l'armée se fut refaite et
reposée, il marcha vers la ville de Halle; il y eut une nouvelle attaque de
goutte » (Commentaires, p. 174-175, Memorias, p. 293). Charles Quint
séjourna à Halle du 16 au 22 décembre 1546 (Diario del emperador Carlos
V, p. 334).
- 1547  : seizième attaque de goutte à Heilbronn  : « La goutte vint à
nouveau tourmenter l'empereur à Heilbronn; et elle dura si longtemps que,
même lorsqu'il partit pour aller à Ulm (et entreprendre la campagne de
l'Elbe), il n'était pas encore bien portant... Il n'avait fait que retomber d'un
accès dans un autre... Il résolut, afin de se délivrer de cette atteinte, de se
mettre en traitement et à la diète » (Commentaires, p. 176, Memorias, p.
295). Il se mit en route, mais une « rechute » se produisit à Nuremberg, « de
sorte qu'il fut forcé de s'y arrêter » (Commentaires, p. 180, Memorias, p.
299). Il fit « un tel effort » qu'il poursuivit sa route en litière jusqu'à Egra –
où il apprit la mort de François Ier.
- 1547 : dix-septième attaque de goutte à Augsbourg : « En ce temps,
après la jaunisse, l'empereur eut la goutte; et bien qu'elle ne fût pas aussi
générale que les précédentes, elle se fit sentir, à plusieurs reprises et en
plusieurs lieux, de sorte qu'elle dura jusqu'au printemps de l'an 1548 »
(Commentaires, p. 203, Memorias, p. 331).
- 1548 : dix-huitième attaque de goutte à Bruxelles. Les Mémoires de
Charles Quint s'interrompent à l'arrivée de l'empereur à Bruxelles, après la
clôture de la diète d'Augsbourg. Une attaque de goutte est mentionnée dans
le Diario à la date du 1" novembre 1548 (Diario del emperador Carlos V, p.
348); elle fit « cruellement souffrir l'empereur aux bras, aux mains et dans
les épaules » (Louis-Prosper Gachard, Retraite et mort de Charles Quint,
introduction, p. 18).
- 1549  : dix-neuvième attaque de goutte à Bruxelles, le 17 mars
(Diario del emperador Carlos V, p. 350).
- 1550 : vingtième attaque de goutte à Bruxelles, le 1" janvier (Diario del
emperador Carlos V, p. 355). L'empereur dut rester alité jusqu'en mai.
- 1551 : vingt et unième attaque de goutte à Augsbourg, le 1er octobre
(Diario del emperador Carlos V, p. 359).
- 1552 : vingt-deuxième attaque de goutte à Linz et Villach, le 26 mai
(Diario del emperador Carlos V, p. 370).
- 1552  : vingt-troisième attaque de goutte à Kaiserlautern et
Sarrebruck, en octobre 1552 (Diario del emperador Carlos V, p. 376).
- 1552 : vingt-quatrième attaque de goutte à Thionville, qui le retint
au lit et l'empêcha de rejoindre son armée à Metz  : ce fut la troisième
attaque de l'année 1552 (Diario del emperador Carlos V, p. 376).
- 1553 : vingt-cinquième attaque de goutte à Valenciennes(Diario del
emperador Carlos V, p. 382). Dès lors, la goutte ne laissa à l'empereur
aucun répit. Pour Gachard, « l'hiver 1553-1554 fut l'un des plus rudes qu'il
eût encore traversés... Dès le mois de novembre, il eut un accès de goutte; il
ne put écrire à Marie d'Angleterre. Le mal se calma quelques jours; mais il
reparut bientôt après, et cette fois avec des symptômes qui excitèrent de
vives inquiétudes » (Retraite et mort de Charles Quint, introduction, p. 33-
34).
- 1554  : vingt-sixième attaque de goutte à Renty. Malgré ses
souffrances, l'empereur, de sa litière, a pris le commandement de son armée
et contraint Henri II à la retraite. A Saint-Omer, Béthune et Arras – d'août à
octobre 1554 – il a été constamment malade, alité, ne pouvant se servir ni
de ses mains ni de ses jambes.
 

Il a attendu le retour de son fils de Londres pour renoncer au pouvoir.


Son état de santé ne lui permettait plus en 1555 d'assumer le gouvernement
de l'Empire.
 

Louis-Prosper Gachard conclut  : « Nous terminons ici le tableau des


vicissitudes de la santé de Charles Quint. Si les faits que nous venons de
retracer eussent été mieux connus, des historiens n'auraient pas cherché à
expliquer l'abdication de ce monarque par des causes frivoles ou bizarres, ni
par des motifs indignes d'un si grand prince  : ils en auraient trouvé
l'explication toute naturelle dans l'affaiblissement successif de ses facultés
physiques, qui ne lui permettait plus de tenir d'une main ferme les rênes du
gouvernement le plus vaste, le plus compliqué du monde. Ils ne se seraient
étonnés que d'une chose  : c'est que, en proie, comme il l'était depuis
longtemps, à des douleurs dont le retour devenait, chaque année, plus
fréquent et plus insupportable, Charles eût conservé assez de force d'âme
pour soutenir jusque-là un si pesant fardeau » (Retraite et mort de Charles
Quint, p. 36).
LES PAPES À L'ÉPOQUE DE CHARLES QUINT
 
Alexandre VI (Rodrigo Borgia)
(1431-1503) Pape de 1492 à 1503
Pie III (Francesco Todeschini-
Piccolomini)
(1439-1503) Pape du 22 septembre au 18 octobre 1503
Jules II (Giuliano Della Rovere)
(1443-1513) Pape du 1er
novembre 1503 au 21 février 1513
Léon X (Giovanni de Medici)
(1475-1521) Pape du 11 mars 1513 au 1er
décembre 1521
Adrien VI (Adriaan Floriszoon)
(1459-1523) Pape du 9 janvier 1522 au 14 septembre 1523
Clément VII (Giulio de Medici)
(1478-1534) Pape du 19 novembre 1523 au 25 septembre 1534
Paul III (Alessandro Farnese)
(1468-1549) Pape du 13 octobre 1534 au 10 novembre
1549
Jules III (Giovan Maria Ciocchi del
Monte)
(1487-1555) Pape du 8 février 1550 au 23 mars 1555
Marcel II (Marcello Cervini)
(1501-1555) Pape du 10 avril au 1er
mai 1555
Paul IV (Gian Pietro Carafa)
(1476-1559) Pape du 23 mai 1555 au 18 août 1559
INDEX

ABD AL-RAHMAN  : émir de Cordoue, entreprend au VIIIe siècle la


construction de la grande mosquée.
ACUÑA, Antonio de ( † 1526)  : évêque de Zamora, l'un des dirigeants
des Comunidades de Castille.
ADORNO, Antoniotto (v. 1479-1528) : doge de Gênes.
ADRIEN VI (1459-1523)  : Adriaan Floriszoon d'Utrecht, pape en 1522
Ancien précepteur de Charles Quint.
Aigues-Mortes, rencontre de  : le 14 juillet 1538, entre Charles Quint et
François Ier.
Aix-la-Chapelle  : ville du couronnement des empereurs d'Allemagne.
Charles Quint y est couronné le 23 octobre 1520 et son frère Ferdinand le
11 janvier 1531.
ALARCÒN, Fernando de (1466-1540)  : capitaine espagnol, chargé de
garder François Ieraprès la bataille de Pavie et Clément VII après le sac de
Rome.
ALBE, Fernando Alvarez de Toledo, duc d' (1507-1582)  : l'un des
meilleurs généraux de Charles Quint et de Philippe II. Commandant en chef
en Italie, puis aux Pays-Bas.
ALBRET, Henri d' (1503-1555) : roi de Navarre, beau-frère de François
Ier.
Alcabalas  : impôts indirects sur les transactions. Affermés pour un
montant forfaitaire  : le marché enlevé en 1509 par F. de Cuenca est à
l'origine de la révolution des Comunidades.
Alcalá de Henares, université de  : l'une des plus anciennes et des plus
renommées d'Espagne.
Alcántara : ordre espagnol de chevalerie fondé en 1176, soumis à la règle
de Saint-Benoît. Chargé de garder la ville d'Alcàntara, conquise sur les
Maures au XIIIe siècle, prend le nom d'ordre d'Alcántara.
ALCÁNTARA, Martin de  : jeune frère de Francisco Pizarro, tué à ses
côtés le 24 juin 1541 à Lima.
ALCAUDETE, comte d' : gouverneur d'Oran sous Charles Quint.
Alcazar  : palais des rois maures de Séville, devenu au XIIIe siècle la
résidence des rois de Castille. Charles Quint y épouse Isabelle de Portugal
dans la nuit du 10 au 11 mars 1526.
ALEANDRO, Girolamo (1480-1542), ALEANDRE, Jérôme : évêque de
Brindisi, puis cardinal. L'un des théologiens les plus renommés du XVIe
siècle. Recteur de l'Université à Paris à vingt-huit ans. Nonce apostolique en
Allemagne. Participe à la diète de Worms. Fait prisonnier à Pavie.
ALENÇON, Charles, duc d' ( † 1525)  : beau-frère de François Ier,
mauvais capitaine, meurt peu après la bataille de Pavie.
ALEXANDRE VI, Rodrigo Borgia : pape de 1492 à 1503.
ALFARO, Miguel Zurita de : médecin de Charles Quint.
Alger, expédition d'  : Charles Quint ne peut prendre la ville en octobre
1541 en raison du mauvais temps.
Alhambra  : palais des souverains nasrides de Grenade. Charles Quint y
réside du 5 juin au 10 décembre 1526.
ALMAGRO, Diego de (1475-1538) : associé de Pizarro pour la conquête
du Pérou. S'oppose à Pizarro  : « Les loups se mangent entre eux » (J.
Babelon, L'Amérique des Conquistadores). Perd la bataille de Las Salinas le
6 août 1538. Exécuté à Cuzco.
ALMAGRO EL Mozo (1520-1542) : fils métis d'Almagro. S'empare de
Francisco Pizarro le 24 juin 1541, conduit la première révolte du Nouveau
Monde menée par un métis. Perd la bataille de Chupas le 16 septembre
1542. Exécuté à Cuzco.
ALVARADO, Pedro de (1485-1541)  : lieutenant de Hernán Cortés,
déclenche la révolte de Tenochtitlán en mai 1520.
ALVAREZ DE TOLEDO, Francesco de : représentant de Charles Quint
au concile de Trente.
AMBOISE, Georges d' (1460-1515) : cardinal-archevêque de Rouen.
Añaquito, bataille d'  : livrée par Gonzalo Pizarro contre les troupes
loyalistes en janvier 1546. Pizarro devient le « libérateur du Pérou ».
ANCHIATA, Jean de : premier « maître d'école » de Charles Quint.
ANCHIERA, Pierre Martyr de : voir MARTYR, Pierre de Anghiera.
ANGULO, Martin de : prieur du couvent de Yuste pendant le séjour de
Charles Quint.
Anziani, palais des : à Bologne, résidence de Charles Quint et de Clément
VII en 1529-1530.
ARAGON, Julia de : épouse de Federico Gonzaga, duc de Mantoue.
ARÉVALO, Bernardino de : théologien franciscain, expert des questions
du Nouveau Monde, membre de la commission chargée de juger la
controverse de Valladolid.
ARGOUGES, Jacques d'  : gentilhomme normand, de la maison du
connétable de Bourbon.
ARMSTORFF, Paul : chambellan de Charles Quint.
ASSET, Pierre : président du Conseil d'Artois.
ATAHUALPA (1500-1533)  : souverain Inca du Pérou, capture en
novembre 1532 par Francisco Pizarro à Cajamarca, exécuté le 29 août 1533.
Audenarde : ville des Pays-Bas. Charles Quint y rencontre dans l'hiver
1521 Jeanne van der Gheynst.
Audiencia  : institution d'origine castillane transposée dans le Nouveau
Monde. Tribunal exerçant la plus haute autorité aux Indes après le vice-roi.
La première Audiencia est créée en 1511
Augsbourg  : ville d'Allemagne où Charles Quint séjourne le plus
longtemps : deux ans et neuf mois. Il y réunit la diète en 1530 et en 1547-
1548 (Intérim d'Augsbourg).
AUWERA, Johan van der  : franciscain flamand, envoyé en mission au
Mexique.
ÁVILA Y ZUÑIGA, Luis de  : ambassadeur et capitaine de Charles
Quint. Historien des guerres d'Allemagne. Grand commandeur d'Alcántara.
Badajoz, évêque de : voir LA MOTA.
BAERSDORP, Corneille de : médecin de Charles Quint.
BALBOA, Vasco Nuñez de (1475-1517)  : conquistador espagnol,
découvre l'océan Pacifique en 1513.
BARANGIER, Louis ( † 1522)  : secrétaire de Marguerite de Savoie,
d'origine franc-comtoise.
BARBEROUSSE, Kheireddin (1476-1546) : seigneur des mers, s'empare
d'Alger en mai 1529, de Tunis en 1534, amiral en chef de l'escadre
ottomane, repousse Charles Quint à Alger en octobre-novembre 1541.
Barcelone : ville d'Aragon. Charles Quint y tient un chapitre de la Toison
d'or en mars 1519.
Barcelone, traité de : conclu en juin 1529 entre Charles Quint et le pape
Clément VII.
BAVIÈRE, maison de : la famille des WITTELSBACH se divise au XIVe
siècle en deux branches souveraines. La branche aînée reçoit le Palatinat
rhénan et la dignité électorale; la branche cadette garde la Bavière. Sont
électeurs palatins :
-  Philippe II
en 1476;
-  Louis V
en 1508;
-  Frédéric II
en 1544;
-  Othon-Henri
en 1556.
BAYARD, Pierre du Terrail, seigneur de (1476-1524) : « Chevalier sans
peur et sans reproche. » Participe aux batailles de Ravenne en 1512, de
Marignan en 1515, de Mézières en 1521. Mortellement blessé le 30 avril
1524 lors de la retraite d'Italie de l'armée française.
BEAUJEU, Pierre de (1483-1503)  : duc de Bourbon, époux d'Anne de
France, sœur de Charles VIII.
BEAUMONT, Anne de : gouvernante de Charles Quint.
BEAURAIN, Adrien de Croy, seigneur de († 1553) : premier chambellan
et homme de confiance de Charles Quint. Gouverneur de Lille et d'Orchies.
BELLAY, Guillaume du, sieur de Langey (1491-1543)  : diplomate,
gouverneur général du Piémont. Auteur de Mémoires avec son frère Martin,
publiés par V.L. Bourrilly et F. Vindry.
BELLAY, Jean du († 1560) : évêque de Paris, cardinal, doyen du Sacré
Collège.
BELLAY, Martin du († 1559) : gouverneur de Turin, amiral de France,
lieutenant général en Normandie.
BENALCÁZAR, Sebastían de : lieutenant de Francisco Pizarro. Participe
à la prise de Cajamarca.
BERGHES, Corneille de : évêque de Liège.
BERGHES, Jean de ( † 1530)  : parrain de Charles Quint (Alexandre
Henne, Histoire du règne de Charles Quint en Belgique, tome I).
BERGHES, Maximilien de : seigneur de Zevenbergen.
BERLAYMONT, Charles de : gouverneur de Namur.
BERTENDONA, Martin de  : capitaine et propriétaire du bateau qui
transporte Charles Quint en Espagne lors de son dernier voyage.
Bidassoa  : fleuve qui sépare la France et l'Espagne, sur lequel a lieu
l'échange entre François Ier et ses enfants après le traité de Madrid.
BLOMBERG, Barbara (1527-1597) : maîtresse de Charles Quint lors de
la diète de Ratisbonne, mère de don Juan d'Autriche (Marita A. Panzer,
Barbara Blomberg, Bürgerstochter und Kaisergeliebte).
BODARD, Ogier : « aide de chambre » de Charles Quint. Avec Adrien
Dubois, informé des origines de la naissance de don Juan d'Autriche.
BOISY, Artus Gouffier, seigneur de (1475-1519)  : grand maître de
France à l'avènement de François Ier, rencontre Chièvres à Montpellier
avant sa mort.
BOLEYN, Anne : reine d'Angleterre (1507-1536).
Bologne : ville d'Italie. Charles Quint y reçoit la couronne impériale des
mains du pape Clément VII le 24 février 1530.
BONNIVET, Guillaume de (1488-1525) : ami d'enfance de François Ier,
conduit sous le nom de « capitaine Jacob » une mission en Allemagne avant
l'élection de Charles Quint à l'Empire. Amiral de France, tué à Pavie en
1525.
BORGIA, Francisco (1510-1572)  : duc de Candie, arrière-petit-fils du
pape Alexandre VI. Ecuyer de l'impératrice Isabelle, vice-roi de Catalogne.
A la mort de sa femme en 1546, rejoint la Compagnie de Jésus et devient le
troisième général des jésuites de l'histoire de l'Ordre. Canonisé en 1671 par
Clément X (saint François Borgia).
BOSCÁN Y ALMOGAVER, Juan (v. 1500-1544)  : poète espagnol.
Fondateur de l'Ecole de Grenade  : introduit les règles de versification
italiennes dans la littérature espagnole.
BOURBON, Charles de Montpensier, duc de (1490-1527)  : connétable
de France, se révolte contre François Ier, passe au service de Charles Quint.
Conquiert la Provence en août 1524 et contribue à la victoire de Pavie.
Tombe lors de l'assaut donné à Rome par les troupes impériales le 6 mai
1527. Un soldat perdu.
Boussu, Philippe de, comte de : chambellan puis grand écuyer de Charles
Quint.
BRANDEBOURG  : maison régnante d'Allemagne (famille de
Hohenzollern).
BRANDEBOURG, Albert de Hohenzollern de (1490-1545) : archevêque
de Mayence de 1514 à 1545. Archichancelier d'Empire : préside de droit le
collège des électeurs. Crée à Mayence un foyer d'art exceptionnel
(catalogue de l'exposition de 1990, Albrecht von Brandeburg).
BRANDEBOURG, Joachim de Hohenzollern, électeur de (1484-1535).
BRANDEBOURG-KULMBACH, Alcibiade de  : prince allemand. Sert
dans l'armée de Charles Quint.
BRANTÔME, Pierre de Bourdeille, seigneur de (v. 1540-1614)  :
mémorialiste français, auteur du Recueil des Dames, des Vies des hommes
illustres et grands capitaines français.
BRAVO, Juan  : chef comunero, exécuté après la bataille de Villalar en
avril 1521.
BRIMEU, Charles de : gouverneur du Luxembourg.
Bruges : ville des Pays-Bas, l'un des « trois membres de Flandre ».
BRUXELLES, Philibert de : député aux Etats généraux des Pays-Bas.
BUCER, Martin : théologien protestant, membre du « groupe des six » de
la diète de Ratisbonne en 1541. Finit ses jours en Angleterre.
Bulle d'or  : acte promulgué par l'empereur Charles IV à Metz le 25
décembre 1356. Organise, en trente et un articles, l'élection au Saint
Empire.
BÜREN, Floris d'Egmont, comte de († 1539) : seigneur des Pays-Bas, de
la maison de Charles Quint.
BÜREN, Maximilien d'Egmont, comte de  : fils de Floris, commandant
des troupes de renfort venues des Pays-Bas soutenir Charles Quint dans les
guerres d'Allemagne.
Burgos  : ville de Castille. Juan d'Espagne y épouse Marguerite de
Habsbourg le 3 avril 1497; Philippe le Beau y meurt le 25 septembre 1506.
Bussetto : ville d'Italie. Le pape Paul III et Charles Quint s'y rencontrent
le 21 juin 1543.
Cajamarca  : ville du Pérou. Résidence d'Atahualpa, conquise par
Francisco Pizarro en novembre 1532.
CAJETAN, Tommaso de Vio, dit (1469-1534) : général des dominicains,
cardinal en 1517. S'oppose à Luther. L'un des grands théologiens du XVIe
siècle.
Calais, siège de : entrepris par le duc de Guise le 1er janvier 1558.
Cambrai, paix de : signée en juillet 1529, dite « paix des Dames », entre
Marguerite de Savoie, pour Charles Quint, et Louise de Savoie, pour
François Ier (Marguerite et Louise sont belles-sœurs).
Camp du drap d'or : lieu de la rencontre entre Henri VIII et François Ier
le 7 juin 1520.
CANO, Melchior  : théologien dominicain, membre de la commission
chargée de juger la controverse de Valladolid.
Capito : théologien, professeur à Strasbourg.
Capitulations  : titres juridiques autorisant les conquêtes espagnoles du
Nouveau Monde.
CARACCIOLO, Marino Ascanio (1469-1538)  : cardinal italien,
représente le pape à la diète de Worms. Nonce apostolique à Madrid, passe
au service de Charles Quint après la mort du pape Adrien VI. Ambassadeur
à Venise.
CARAFA, Carlo (1519-1559) : condottiere au service de Charles Quint,
puis d'Henri II. Neveu du pape Paul IV, est nommé cardinal par ce dernier.
Légat en France, obtient du roi Henri II l'envoi d'une armée en Italie contre
Philippe II. Arrêté après la mort de son oncle, meurt étranglé à Rome dans
sa prison.
CARDONA, Ramón de : général espagnol, vice-roi de Naples. Meurt le
10 mars 1522.
CARLOS, prince d'Espagne : fils de Philippe II et de Marie de Portugal.
Meurt en juillet 1569 à l'âge de vingt-cinq ans.
Carolina : statut de la ville de Gand promulgué par Charles Quint après
la révolte de 1540.
CARONDELET, Claude  : seigneur de Sobre-sur-Sambre, bailli
d'Aumont, chef du Conseil privé en 1516.
CARONDELET, Jean (1428-1501) : président du Parlement de Malines
en 1473. Chancelier de Bourgogne en 1480.
CARONDELET, Jean II (1469-1544)  : doyen de Besançon, puis
archevêque de Palerme. Président du Conseil privé des Pays-Bas.
CARRANZA, Bartolomé de (1503-1576) : archevêque de Tolède, assiste
Charles Quint lors de sa mort. Détenu dix ans en prison à Rome pour
hérésie.
CARVAJAL, Francisco de (1470-1548) : capitaine espagnol, sert en Italie
sous les ordres de Gonzalve de Cordoue, puis au Pérou auprès de Francisco
Pizarro. Maître de camp de Gonzalo Pizarro.
Casa de Contratación : fondée en 1503, institution chargée de contrôler
les liaisons commerciales avec le Nouveau Monde.
CASTIGLIONE, Baldassare (1478-1529) : écrivain, diplomate, auteur du
Courtisan (1528).
CATHERINE DE HABSBOURG (1507-1578) : née à Torquemada après
la mort de son père Philippe le Beau, épouse Jean II, roi de Portugal, fils du
roi Manuel.
CAZALLA, Augustin  : chanoine de Salamanque. Crée l'un des deux
premiers foyers espagnols de protestantisme.
CERVINI, Marcello (1501-1555)  : cardinal, puis pape sous le nom de
Marcel II.
CHABANNES, Antoine de : évêque du Puy.
CHABANNES, Jacques de (1470-1525), seigneur de LA PALICE:
maréchal de France, tué à Pavie.
CHABOT, Philippe de (v. 1492-1543), seigneur de BRION : prisonnier à
Pavie, amiral de France en 1526.
CHALON, Philibert de (1502-1530), prince d'ORANGE  : commandant
en chef de l'armée impériale en Italie. Meurt sous les murs de Florence.
Chambord, traité de  : signé le 15 janvier 1552 entre Henri II et les
princes protestants à l'initiative de Maurice de Saxe.
Champmol, chartreuse de  : nécropole des ducs de Bourgogne, fondée à
Dijon en 1383 par Philippe le Hardi.
CHARLES LE TÉMÉRAIRE (1433-1477)  : quatrième et dernier duc
Valois de Bourgogne, né à Dijon le 11 novembre 1433, fils de Philippe le
Bon et d'Isabelle de Portugal. Epouse en 1440 Catherine de France; en 1454
Isabelle de Bourbon; puis, en 1468, Marguerite d'York. Meurt devant Nancy
le 5 janvier 1477.
CHARLES QUINT (1500-1558)  : duc de Bourgogne (1506), roi de
Castille et d'Aragon (1516), élu empereur d'Allemagne (1519).
Chiapa, diocèse de (aux confins du Mexique et du Guatemala)  : Las
Casas en est nommé évêque en 1543.
CHIÈVRES, Guillaume de Croy, seigneur de (1458-1521)  : marquis
d'Arschot, chevalier de la Toison d'or. Gouverneur de Charles de Habsbourg
en mars 1509. S'oppose à Marguerite de Savoie, régente des Pays-Bas.
Grand chambellan en janvier 1515 : devient « le principal des finances et du
gouvernement » (G. Dansaert, Guillaume de Croy-Chièvres, p. 131).
Accompagne Charles en Espagne, puis en Angleterre et en Allemagne.
Devient le premier chevalier du Saint Empire nommé par Charles Quint à
Aix-la-Chapelle le jour de son couronnement. Meurt à Worms, pendant la
réunion de la diète, dans la nuit du 27 au 28 mai 1521. Inhumé dans l'église
d'Arschot en présence de l'empereur, puis en l'église du couvent des
Célestins d'Héverlé (voir dans Dansaert la description de son tombeau, p.
221-223). Marié à Marie-Madeleine de Hamal. Mort sans enfant.
CHIMAY, Charles de Croy, prince de : gouverneur de Charles Quint de
1506 à 1509. Oncle de Guillaume de Chièvres.
Chupas, bataille de  : le 16 septembre 1542, entre Vaca de Castro et
Almagro el Mozo.
CIBO, Innocenzo  : cardinal italien, apparenté aux Médicis (fils de
Francesco Cibo et de Madeleine de Médicis). Petit-fils du pape Innocent
VIII.
Cigales : ville de Castille. Marie de Hongrie y meurt le 18 octobre 1558.
Cintla, bataille de  : première victoire de Cortés au Mexique le 25 mars
1519.
CISNEROS, Francisco Ximenez de (1436-1517)  : franciscain,
archevêque de Tolède, cardinal (Le Cardinal d'Espagne, de Montherlant).
Meurt à Roa le 8 novembre 1517 sans avoir rencontré Charles Quint.
CLÉMENT VII, Jules de Médicis (1478-1534) : pape de 1523 à 1534.
COBOS : voir Los COBOS.
Cognac, ligue de  : le 22 mai 1526, conclue contre Charles Quint entre
François Ier, le pape et les Etats italiens.
COLIGNY, Gaspard de Châtillon, seigneur de (1519-1572)  : amiral de
France La nuit de la Saint-Barthélemy, est assassiné par les servi teurs du
duc de Guise.
COLOMB, Christophe (v. 1450-1506)  : découvre l'Amérique (San
Salvador) le 12 octobre 1492
COLONNA, Prospero (1452-1523)  : condottiere italien au service de
Ferdinand d'Aragon, de Charles VIII, de Charles Quint. Vainqueur à Milan
de Lautrec en 1521 et de Bonnivet en 1523.
Comunidades, révolution des (1519-1521)  : contre Charles Quint (J.
Pérez, La révolution des Comunidades de Castille 1520-1521).
Concile de Trente : se tient de 1545 à 1549, puis de 1551 à 1552.
CONTARINI, Gaspard (1483-1542)  : ambassadeur vénitien, cardinal en
1535.
CORDOUE, Gonzalve de (1543-1515)  : général espagnol, achève la
conquête du royaume de Naples, dont il devient vice-roi en 1506.
Corogne, La : port des Asturies.
CORTÉS, Hernán (1485-1547) : conquérant du Mexique.
COURTENAY, Edouard  : comte de Devonshire, arrière-petit-fils du roi
Edouard VI.
COURTEVILLE, Jean de  : gentilhomme de la maison de l'empereur
Maximilien Ier.
Crépy, paix de  : signée le 18 septembre 1544 entre Charles Quint et
François Ier.
CROY, maison de  : d'origine picarde, joue un rôle décisif aux XVe et
XVIe siècles dans l'administration de l'Etat bourguignon, puis de l'Empire.
CROY, Charles de : voir CHIMAY.
CROY, Ferry de : seigneur du Rœux, maître de l'Hôtel de Charles Quint.
CROY, Guillaume de, voir CHIÈVRES.
CROY, Guillaume de : évêque de Cambrai, cardinal en 1517, archevêque
de Tolède en 1518. Meurt pendant la diète de Worms en 1521.
DAUSONN, Giovanni : orfèvre italien.
DEKKERS, Johan  : franciscain flamand, professeur à l'université de
Paris. Envoyé en mission au Mexique.
DEL MONTE, Giovan Maria (1487-1555) : cardinal italien, pape sous le
nom de JULES III (de février 1550 à mars 1555).
DEL VASTO, Alfonso d'Avalos, marquis (1502-1546) : combat à Pavie,
à Rome, à Naples, à Florence.
DÍAZ, Bernal del Castillo  : chroniqueur de la conquête du Mexique
(Histoire véridique de la conquête de la Nouvelle-Espagne, éd. française
présentée par B. Grunberg).
Dijon : capitale des ducs de Bourgogne.
DORIA, Andrea (1468-1560)  : prince de Melfi, condottiere et homme
politique génois. Au service de François Ier, qu'il abandonne en 1528, pour
entrer au service de Charles Quint. Chevalier de la Toison d'or.
DUBOIS, Adrien : « l'aide de chambre favori » de Charles Quint, celui
auquel les ambassadeurs doivent s'adresser pour être reçus par l'empereur
(L.P. Gachard, Trois années de l'histoire de Charles Quint d'après les
dépêches de l'ambassadeur vénitien Bernardo Navagero). Informé des
origines de la naissance de don Juan d'Autriche.
DUENAS, Rodrigo de  : banquier, membre du Conseil des finances de
Castille. Charles Quint s'arrête dans son palais de Medina del Campo sur le
chemin de Yuste.
DUPRAT, Antoine (1464-1535)  : premier président du Parlement de
Paris. Chancelier en 1515. Archevêque de Sens en 1525. Cardinal en 1530.
DÜRER, Albrecht (1471-1528) : peintre et graveur allemand.
ECK, Jean : théologien catholique. S'oppose à Luther en 1519 lors de la
dispute de Leipzig. Membre du « groupe des six » de la diète de Ratisbonne
en 1541.
EDOUARD VI (1537-1553)  : roi d'Angleterre à la mort de son père
Henri VIII en 1547.
EGMONT, Lamoral, comte d' (1522-1568) : issu d'une vieille famille des
Pays-Bas. Général en chef de la cavalerie, contribue aux victoires de Saint-
Quentin en 1557 et de Gravelines en 1558. Deviendra l'un des héros de
l'indépendance des Pays-Bas.
Electeurs : sept « grands électeurs », en application de la Bulle d'or de
1356, élisent l'empereur d'Allemagne  : les archevêques de Mayence, de
Cologne et de Trèves, le roi de Bohême, les ducs de Saxe et de
Brandebourg, le comte palatin du Rhin.
ELÉONORE DE HABSBOURG (1498-1558)  : née à Bruxelles, fille
aînée de Jeanne la Folle et de Philippe le Beau. Epouse Manuel de Portugal,
puis François Ier. Accompagne Charles Quint dans sa retraite en Espagne.
Meurt à Talaveruela le 18 février 1558, quelques mois avant son frère.
Encomienda  : institution de la Reconquête castillane, par laquelle les
chevaliers recevaient des droits de suzeraineté sur les territoires repris à
l'Islam. Etendue aux colons espagnols, auxquels sont « confiés » des
Indiens, à charge pour les bénéficiaires – encomenderos – d'assurer leur
instruction civique et religieuse.
ERASME (1469-1536) : humaniste né à Rotterdam. Prêtre en 1492. Ecrit
en 1509 l'Eloge de la Folie, qu'il dédie à Thomas More. Conseiller de
Charles Quint en 1516. Ecrit pour ce dernier l'Institution du prince chrétien.
Assiste en 1520 au couronnement de l'empereur à Aix-la-Chapelle. Ecrit en
1524 De Libero Arbitrio contre Luther. Refuse en 1535 le chapeau de
cardinal. Meurt à Bâle le 12 juillet 1536.
ERASSO, Francisco de : secrétaire d'Etat de Charles Quint. Le 16 janvier
1556, rédige les actes de renonciation de Charles Quint aux royaumes
d'Espagne.
ESCARS, François de Saint-Bonnet, seigneur d'  : sénéchal du
Bourbonnais, gentilhomme du connétable de Bourbon. Engage en 1522,
avec Adrien de Croy, seigneur de Beaurain, la négociation qui conduit le
connétable à trahir François Ier. Condamné par le Parlement de Paris, tente
de s'évader de la Conciergerie. Assigné à résidence, puis gracié.
Escurial, monastère de l'  : édifié par Philippe II en l'honneur de saint
Laurent pour commémorer la victoire de Saint-Quentin remportée par les
Espagnols le 10 août 1557. Le corps de Charles Quint y est transféré de
Grenade en janvier 1574.
ESTETE, Miguel d' : chroniqueur de la conquête du Pérou.
Estrémadure  : province de Castille, dont sont originaires de nombreux
conquistadores (Cortés, Pizarro, Almagro, Ovando) et où se retire Charles
Quint au monastère de Yuste.
FARNESE, maison : famille princière, originaire des environs d'Orvieto,
détient les duchés de Parme et de Plaisance à partir de 1545. Le pape Paul
III est à l'origine de sa puissance.
FARNESE, Alessandro (1468-1549)  : cardinal en 1493, pape en 1534
sous le nom de Paul III.
FARNESE, Alessandro (1520-1598)  : fils de Pier Luigi, cardinal à
quatorze ans. Négocie avec Charles Quint à Worms en mars 1545 le soutien
du pape Paul III à la guerre contre les protestants.
FARNESE, Alessandro (1545-1592) : fils d'Ottavio et de Marguerite de
Parme. Général de Philippe II. Commande en chef des troupes chrétiennes à
Lépante le 7 octobre 1571. Succède à don Juan d'Autriche en 1578 comme
gouverneur des Pays-Bas.
FARNESE, Ottavio (1524-1586)  : fils de Pier Luigi, petit-fils du pape
Paul III, épouse Marguerite de Parme, fille naturelle de Charles Quint.
FARNESE, Pier Luigi (1503-1547)  : fils du pape Paul III, duc de
Camerino, puis de Parme et de Plaisance en 1545. Cinq enfants de sa
femme, née Orsini.
FERDINAND Ier DE HABSBOURG (Alcalâ de Henares 1503-Vienne
1564) : empereur d'Allemagne (1556-1564). Frère cadet de Charles Quint,
qui lui confie en 1521 le pouvoir en Autriche et dans les possessions
héréditaires des Habsbourg. Fonde la branche autrichienne des Habsbourg.
Est élu empereur en 1558.
FERDINAND Il d'Aragon, dit Ferdinand le Catholique (Sos 1452-
Madrigalejo 1516)  : roi d'Aragon et roi de Naples. Epouse en 1469 sa
cousine Isabelle de Castille. Les Rois Catholiques unifient l'Espagne,
conquièrent Grenade en 1492. Après la mort d'Isabelle en 1504, exerce la
régence en Castille au nom de sa fille Jeanne la Folle, puis de son petit-fils
Charles Quint. S'oppose à son gendre Philippe le Beau. Epouse en secondes
noces Germaine de Foix – qui ne lui donne pas d'enfant.
Flessingue: port de Hollande, où Charles Quint s'embarque pour
l'Espagne le 7 septembre 1517.
FLORANGE, Robert de La Marck, seigneur de (v. 1491-1537)  :
maréchal de France, ami d'enfance de François Ier, dit « le jeune aventureux
».
FOIX, André de, seigneur de Lespare († 1548) .
FOIX, Gaston de (1489-1512)  : fils de Jean de Foix et de Marie
d'Orléans. Est tué à Ravenne en 1512.
Foix, Germaine de (1488-1538)  : épouse en 1505 Ferdinand d'Aragon.
Sœur de Gaston de Foix.
Foix, Odet de, seigneur de Lautrec (v. 1481-1528) : maréchal de France.
FOIX, Thomas de, seigneur de Lescun (1486-1525)  : frère d'Odet de
Foix, maréchal de France, tué à Pavie.
FONSECA, Juan Rodriguez de (1451-1524)  : évêque de Badajoz, de
Palencia, puis de Burgos. Président du Conseil des Indes (1517).
FORTUNY, Mariano (1838-1874) : peintre espagnol.
Francfort : ville d'Allemagne où sont élus les empereurs sous le nom de
« rois des Romains » Charles Quint y est élu le 28 juin 1519.
FRANÇOIS I" (Cognac 1494-Rambouillet 1547) : roi de France (1515-
1547). Fils de Charles de Valois, comte d'Angoulême, et de Louise de
Savoie. Epouse en 1514 Claude de France, fille de Louis XII, puis Eléonore
de Habsbourg après le traité de Madrid (J. Jacquart, François Ier).
FRESSE, Jean de  : ambassadeur d'Henri II, négocie l'accord avec les
princes protestants d'Allemagne : la convention de Lochau devient le traité
de Chambord du 15 janvier 1552 dirigé contre Charles Quint.
FRUNDSBERG, Georg (1473-1528)  : homme de guerre allemand.
Conduit le sac de Rome en mai 1527.
FUENLEAL, Sebastian Ramirez de  : évêque de Saint-Domingue,
président de l'Audiencia du Mexique.
FUGGER, Anton (1493-1560)  : premier banquier de Charles Quint.
Reçoit ce dernier chez lui à Augsbourg en 1530, 1548, 1550  : la diète se
réunit dans le palais Fugger. Titien y peint ses grandes toiles de l'empereur.
Fugger accompagne Charles Quint à Innsbruck.
FUGGER, Jacob, dit le Riche (Augsbourg 1459-1525)  : banquier
allemand. Fonde la première entreprise commerciale et financière de
l'Europe au XVIe siècle. Les Fugger possèdent les mines de cuivre, du
plomb, d'argent et de mercure d'Allemagne, d'Autriche, de Carinthie, du
Tyrol, de Slovaquie et d'Espagne. Ils ouvrent des succursales, de Malmô à
Séville; obtiennent des concessions commerciales au Chili et au Pérou.
Jacob Fugger assure le financement de l'élection à l'Empire de Charles
Quint en 1519. Meurt sans enfant. Ses neveux, les fils de son frère Georges,
Marx (1488-1511), Raymund (1489-1535) et surtout Anton (1493-1560),
prennent la direction des entreprises familiales.
Gand : ville des Pays-Bas, la plus peuplée de l'Empire de Charles Quint
avec Séville (soixante mille habitants en 1500), la plus ouvrière, la plus
rebelle aussi. Charles Quint y naît le 24 février 1500 et écrase la révolte de
la ville en février 1540.
GAND, Pierre de : franciscain flamand, envoyé en mission au Mexique,
parent de Charles Quint.
GARCILASO DE LA VEGA (1503-1536)  : capitaine de Charles Quint
et poète espagnol du XVIe siècle. Meurt lors de la retraite de Provence.
GARCILASO DE LA VEGA, Sebastian (1500-1559)  : conquistador,
participe à la conquête du Pérou. Père d'Inca Garcilaso de la Vega,
chroniqueur des Incas.
GARDINER, Stephen (1482-1555)  : chancelier d'Angleterre, évêque de
Winchester. Défend la suprématie royale face à la papauté.
GATTINARA, Mercurino de (1465-1530)  : conseiller de Marguerite de
Savoie, président du Parlement de Dole. Grand chancelier de Charles Quint.
Rédige sa propre biographie, Historia vitae et gestorum per dominum
Magnum Cancellarium (publiée par Bornate en 1915).
GAZTELÚ, Martin de : secrétaire de Charles Quint, puis de Philippe II.
GERMAINE DE FOIX: voir FOIX, Germaine de.
GHEYNST, Jeanne van der  : maîtresse de Charles Quint, mère de
Marguerite de Parme.
GIRÓN, Pedro : chef comunero.
GOMEZ DA SILVA, Ruy  : prince d'Eboli. Conseiller de Philippe II.
Envoyé en mission par ce dernier à Yuste en mars 1557.
GONZAGA, Federico (1500-1540)  : marquis de Mantoue en 1519, duc
en 1530.
GONZÁLES, Tomás  : chanoine de Plasencia, auteur au XIXe siècle de
Retiro, estancia y muerte del emperador Carlos Quinto en el monasterio de
Yuste (à l'origine des études de Gachard et de Mignet).
GONZALVE DE CORDOUE, CONSALVO HERNANDEZ DE
AGUILAR, dit le « Grand Capitaine » (1443-1515).
GORREVOD, Laurent de  : gouverneur de Bresse. Chevalier d'honneur
de Marguerite de Savoie en 1516.
GRANVELLE, Antoine Perrenot de (Ornans 1517-Madrid 1586)  :
évêque d'Arras en 1540, secrétaire d'Etat en 1550, archevêque de Malines
en 1560, cardinal en 1561, archevêque de Besançon en 1584. Chef du
Conseil d'Etat sous Philippe II, vice-roi de Naples.
GRANVELLE, Nicolas Perrenot de (Ornans 1486-Augsbourg 1550)  :
garde des Sceaux de Charles Quint à la mort de Gattinara.
Gravelines, victoire de  : remportée par les Espagnols le 13 juillet 1558
sur le maréchal de Thermes.
Grenade, prise de  : en janvier 1492 par les Rois Catholiques. Grenade
devient le symbole de la réunification de l'Espagne, le lieu de sépulture des
Rois Catholiques.
GREY, Jane (v. 1537-1554) : reine d'Angleterre à la mort d'Edouard VI
en 1553. Fille de Marie, sœur d'Henri VIII. Exécutée le 12 février 1554
avec son mari, lord Guilfort, à l'âge de dix-sept ans.
GROPPER, Hans  : théologien catholique, conseiller de l'archevêque de
Cologne, membre du « groupe des six » de la diète de Ratisbonne en 1541
(† 1559).
GUICCIARDINI, Francesco (1483-1540)  : homme politique florentin,
auteur d'Histoire d'Italie (1492-1534).
GUILLART, Charles : président du Parlement de Paris.
GUILLAUME Ier D'ORANGE, dit le Taciturne (1533-1584)  : hérite de
son cousin René ses possessions aux Pays-Bas et le titre de prince d'Orange.
Commande l'armée de Charles Quint sur la Meuse. Membre du Conseil
d'Etat. Assiste à l'abdication de l'empereur. Devient l'un des hommes de
confiance de Philippe II.
Guinegate, batailles de : livrées par Maximilien 1" contre les Français en
août 1472 et en août 1513.
GUISE, François, duc de (1519-1563)  : dit le « Balafré », capitaine
français. Gouverneur de Champagne en 1550, grand chambellan en 1551.
Défend Metz en 1552 et reprend Calais et Guines aux Anglais en 1558.
GUZMÁN, Nuño Beltrán de ( † 1550)  : président de la première
Audiencia de la Nouvelle-Espagne.
HARO, comtesse de  : dame de compagnie de l'impératrice Isabelle, et
son témoin lors de son mariage à Séville en mars 1526.
HELD, Matthias : vice-chancelier d'Empire.
HENRI II (1519-1559) : roi de France (1547-1559), épouse Catherine de
Médicis en 1533, qui lui donne dix enfants. Prisonnier à Madrid de Charles
Quint. Occupe les « trois évêchés » de Metz, Toul et Verdun en 1552. Signe
avec Philippe II la paix de Cateau-Cambrésis en 1559.
HENRI VII : roi d'Angleterre (1485-1509).
HENRI VIII (1491-1547)  : roi d'Angleterre (1509-1547). Son divorce
avec Catherine d'Aragon devient le problème central de la politique
anglaise  : crée l'Eglise nationale d'Angleterre, indépendante de Rome, par
l'Acte de suprématie de 1534.
HESSE : voir PHILIPPE DE HESSE.
Héverlé (Heverlee) : château de Guillaume de Chièvres près de Louvain.
HUASCAR : souverain Inca, frère d'Atahualpa.
HURAULT, Jacques : seigneur de Cheverny, évêque d'Autun.
HURAULT, Raoul : contrôleur général des finances de Bourgogne.
HUTTEN, Ulrich von (1488-1523) : chevalier et humaniste allemand.
HUYANA CAPAC : souverain Inca.
Indulgences, querelle des : au cœur de la révolte de Luther. A l'origine du
mouvement de la Réforme.
Intérim d'Augsbourg : décision de la diète de 1548 définissant les termes
d'une cohabitation entre les catholiques et les protestants d'Allemagne.
ISABELLE DE CASTILLE, dite la Catholique (1451-1504)  : fille de
Jean II et d'Isabelle de Portugal. Epouse Ferdinand d'Aragon en 1469. Reine
de Castille en 1474.
ISABELLE DE HABSBOURG (1501-1525)  : sœur de Charles Quint,
épouse de Christian II de Danemark. Meurt en 1525, avant le mariage de
son frère.
ISABELLE DE PORTUGAL (1503-1539)  : impératrice d'Allemagne et
reine d'Espagne, épouse de Charles Quint.
Jarandilla : dernière résidence de Charles Quint en Espagne avant Yuste
(château du comte d'Oropesa).
JEAN III DE PORTUGAL (1521-1557) : roi de Portugal.
JEAN-FRÉDÉRIC Ier, le Magnanime (Torgau 1503-Weimar 1554)  :
électeur de Saxe (1532-1547). L'un des chefs de la ligue de Smalkalde, qui
rassemble les princes et les villes protestants d'Allemagne. Avec l'aide de
son cousin Maurice de Saxe, Charles Quint le bat à Mühlberg le 24 avril
1547 et le retient prisonnier jusqu'en 1552. La dignité de prince électeur est
conférée à Maurice de Saxe.
JEANNE D'ARAGON, reine de Castille, dite la Folle (1479-1555) : fille
des Rois Catholiques, épouse de Philippe le Beau, mère de Charles Quint.
Perd la raison après la mort de son mari en 1506. Enfermée dans le château
de Tordesillas. Y meurt le 13 avril 1555.
JEANNE D'ESPAGNE (1535-1573)  : fille de Charles Quint. Régente
d'Espagne lors de la retraite de l'empereur à Yuste. Epouse Juan de Portugal.
JUAN D'AUTRICHE (1547-1578)  : fils naturel de Charles Quint et de
Barbara Blomberg. Remporte la victoire de Lépante le 7 octobre 1571
contre la flotte turque. Gouverneur des Pays-Bas en 1576.
JUAN D'ESPAGNE (1478-1497)  : fils des Rois Catholiques. Marié à
Marguerite de Savoie. Meurt à Salamanque en octobre 1497.
JULES II, Giuliano Della Rovere (1503-1513) : élu pape sous le nom de
Jules II.
JULES III, Giovan Maria de Ciocchi Del Monte (1550-1555) : élu pape
sous le nom de JULES III.
JULIERS, Guillaume de : duc de Berg.
KARLOWITZ, Christoph von (1507-1574)  : élève d'Erasme. Conseiller
d'Albert de Brandebourg, puis de Maurice de Saxe. Négocie avec Granvelle
à Ratisbonne en 1546 le ralliement à Charles Quint de Maurice de Saxe.
KUSTRIN, Hans von  : prince allemand. Sert dans l'armée de Charles
Quint.
La Bicoque, bataille de : le 27 avril 1522, entre le maréchal de Lautrec et
Prospero Colonna.
LA GASCA, Pedro de (1494-1565) : vice-roi du Pérou.
LA MARCHE, Olivier de (1428-1502) : capitaine des gardes de Charles
le Téméraire. Chroniqueur de la Cour de Bourgogne. Auteur du Chevalier
délibéré.
LA MARK, Erard de : évêque de Liège.
LA MARK, Robert de : seigneur de Sedan.
LA MOTA, Pedro Ruiz de  : confesseur de Charles Quint, évêque de
Badajoz.
LA TRÉMOILLE, Louis de (1460-1525)  : capitaine français, dit « le
chevalier sans reproche ». Gouverneur de Bourgogne. Tué à la bataille de
Pavie.
LALAING, Antoine de (1480-1540)  : seigneur de Montigny, comte de
Hoogstraeten. Chambellan de Philippe le Beau, puis de Charles Quint,
chevalier d'honneur de Marguerite de Savoie en octobre 1524.
LALAING, Charles de  : gouverneur d'Oudenarde. Dans son château,
Charles Quint rencontre Jeanne van der Gheynst dans l'hiver 1521.
LALLEMAND, Jean : seigneur de Bouclans. Secrétaire de Marguerite de
Savoie en octobre 1515, avant de devenir, en 1522, secrétaire de Charles
Quint, puis premier secrétaire en 1527 († 1560).
Landriano, bataille de  : le 21 juin 1529, entre Antonio de Leyva et le
comte de Saint-Pol. Gagnée par Leyva, Landriano donne à Charles Quint la
maîtrise du Milanais.
LANNOY, Charles de (1488-1527) : vice-roi de Naples. Le vainqueur de
Pavie.
LAS CASAS, Bartolomé de (1474-1566)  : dominicain, évêque de
Chiapa. « Défenseur des Indiens. »
Las Salinas, bataille de : entre Hernando Pizarro et Diego de Almagro le
6 août 1538.
LAUTREC : voir FOIX, Odet de.
LE SAUVAGE, Jean : grand chancelier de Bourgogne de janvier 1515 à
juin 1519. Meurt de la peste en Espagne en juin 1519.
LENONCOURT, Robert de : évêque de Metz.
LÉON X, Jean de Médicis (1475-1521) : cardinal en 1492, pape en 1513.
Lépante, victoire de  : remportée le 7 octobre 1571 par don Juan
d'Autriche contre la flotte turque.
LESCUN : voir FOIX, Thomas de.
LEYVA, Antonio de (1480-1536)  : commandant en chef de l'armée
impériale à Pavie, vice-roi de Naples.
Lierre, ville des Pays-Bas : Philippe le Beau et Jeanne la Folle s'y marient
le 20 octobre 1496.
Lima  : la « cité des Rois », capitale du Pérou, fondée par Pizarro en
janvier 1535.
LOAYSA, Garcia de (1479-1546) : général des dominicains, confesseur
de Charles Quint, président du Conseil des Indes. Evêque d'Osimo, puis
cardinal en 1530. Archevêque de Séville. Grand inquisiteur en 1545.
Lochau, convention de : conclue en 1551 entre Maurice de Saxe et Jean
de Fresse, ambassadeur de Henri II.
LOPES, Gregorio  : membre du Conseil des Indes. Conduit en 1543 la
réforme de la Casa de Contratación. Membre de la commission chargée de
juger la controverse de Valladolid.
Los COBOS, Francisco de (1470-1547)  : ministre de Charles Quint,
président du Conseil des finances (Ramôn Carande, « El atrayente y
ambicioso Francisco de Los Cobos », dans Estudios de Historia, tome 1).
Louis XII (1498-1515) : roi de France.
LOUISE DE SAVOIE (1476-1531)  : fille de Philippe de Savoie et de
Marguerite de Bourbon, épouse de Charles d'Orléans, mère de François Ier.
LUQUE, Hernando de : conquistador, participe à la conquête du Pérou,
évêque de Tumbes.
LUTHER, Martin (Eisleben 1483-1546)  : réformateur allemand. Se
dresse contre le commerce des indulgences en 1517. Publie son Appel à la
noblesse chrétienne de la nation allemande en 1520. S'oppose à Charles
Quint à la diète de Worms en 1521. Traduit en allemand le Nouveau
Testament au château de la Wartburg en 1522. Publie le De servo arbitrio
en 1525.
LUXEMBOURG, Jacques de  : seigneur de Fiennes, gouverneur de
Flandre.
MACHIAVELLI, NICCOLÓ, MACHIAVEL (1469-1527)  : secrétaire
florentin. Ecrit Le Prince en 1513.
MACHUCA, Pedro : architecte du palais de Charles Quint à Grenade.
Madrid, traité de : signé en janvier 1526, par lequel François Ier « restitue
» la Bourgogne à Charles Quint.
MAES, Jacques : député d'Anvers, réputé pour son éloquence. Chargé de
répondre à Charles Quint au cours de la cérémonie d'abdication à Bruxelles
en 1555.
MAGELLAN, Fernand de, en port. Fernáo de Magalháes (1480-1521) :
navigateur portugais. Au service du roi de Castille, entreprend en 1519 le
premier tour du monde.
MALDONADO, Pedro : chef comunero.
MALE, Guillaume van  : secrétaire de Charles Quint. Rédige en 1550
sous la dictée de l'empereur les Commentaires de Charles Quint.
Malines, ligue de  : conclue en avril 1513 par Maximilien avec les rois
d'Angleterre et d'Aragon contre le roi de France.
Malines : ville de Flandre. Capitale judiciaire des Pays-Bas. Marguerite
de Savoie s'y installe en 1507.
MANRIQUE, Inigo : corregidor de Grenade en 1526 lors du voyage de
Charles Quint en Andalousie.
MANTOUE : voir GONZAGA, Federico.
MANUEL DE PORTUGAL (1469-1521)  : roi du Portugal en 1495.
Épouse successivement Isabelle d'Aragon, sa sœur Marie d'Aragon, puis la
fille aînée de Jeanne la folle, Éléonore d'Autriche (sœur aînée de Charles
Quint).
MANUEL, Juan  : seigneur de Castille, ami de Philippe le Beau. Arrêté
en janvier 1993 par Marguerite de Savoie. Ambassadeur à Rome de Charles
Quint, conduit le rapprochement avec Clément VII.
MARGUERITE D'AUTRICHE (1522-1586)  : fille naturelle de Charles
Quint née à Audenarde en août 1522. Epouse Alexandre de Médicis, puis
Octave Farnese.
MARGUERITE DE HABSBOURG (Bruxelles 1480-Malines 1530)  :
duchesse de Savoie, gouvernante des Pays-Bas de 1507 à sa mort. Fille de
l'empereur Maximilien, est d'abord fiancée au dauphin de France. Puis
épouse Juan d'Espagne, fils des Rois Catholiques, qui meurt en 1497, et
Philibert de Savoie, qui meurt en 1504.
MARGUERITE D'YORK (1446-1503)  : fille de Richard d'York, sœur
d'Edouard IV, roi d'Angleterre. Epouse Charles le Téméraire à Damme le 2
juillet 1468. Duchesse douairière de Bourgogne en janvier 1477. Porte
Charles Quint sur les fonts baptismaux à Gand en mars 1500.
MARIE DE BOURGOGNE (1457-1482)  : fille unique de Charles le
Téméraire, duchesse de Bourgogne en 1477. Epouse la même année
Maximilien de Habsbourg. Mère de Philippe le Beau (22 juin 1478), de
Marguerite d'Autriche (10 janvier 1480) et de François (10 septembre
1480), mort quelques mois après sa naissance. Décède des suites d'un
accident de chasse à Bruges le 27 mars 1482.
MARIE DE HONGRIE (1505-1558)  : sœur de Charles Quint, épouse
Louis de Hongrie. Gouvernante des Pays-Bas en 1530.
MARIE DE PORTUGAL  : nièce de Charles Quint, épouse Philippe II,
mère de Don Carlos († juillet 1545).
MARIE D'ESPAGNE (1528-1603)  : fille de Charles Quint. Epouse
Maximilien II d'Autriche.
MARIE TUDOR (1516-1558)  : fille d'Henri VIII et de Catherine
d'Aragon. Reine d'Angleterre en 1553. Epouse Philippe d'Espagne en 1555.
Marignan, bataille de : livrée par François Ier contre les Suisses les 13 et
14 septembre 1515.
MARILLAC, Charles de (1510-1560)  : ambassadeur de François Ier
auprès de Charles Quint. Archevêque de Vienne, chef du Conseil privé.
MARUANO, Luigi  : médecin de Charles Quint. Evêque de Tuy.
Humaniste, ami de Pierre Martyr de Anghiera. A l'origine de la devise de
Charles Quint Plus oultre (M. Bataillon, « Plus oultre », article repris dans
Etudes sur Las Casas).
MARNIX, Jean de : secrétaire de Marguerite de Savoie.
Marseille, siège de : en août 1524 par le connétable de Bourbon.
MARTYR, Pierre de Anghiera (1457-1526)  : historien italien, né à
Arona, mort à Grenade. Rejoint l'Espagne en 1487, assiste aux dernières
guerres de la Reconquête. Dans ses Décades, décrit la découverte du
Nouveau Monde.
MASSI, Francisco : musicien, chargé de conduire le jeune Geronimo – le
futur don Juan d'Autriche – en Espagne.
MATHYS, Henri  : médecin de Bruges, accompagne Charles Quint à
Yuste. Rend compte au gouvernement de Castille des dernières maladies et
de la mort de l'empereur.
MATIGNON, Jacques de : gentilhomme normand.
MAURICE DE SAXE (Freiberg 1521-Sievershausen 1553) : électeur de
Saxe (1547-1553). En lutte contre son cousin Jean-Frédéric le Magnanime,
rejoint le camp de Charles Quint. Participe, aux côtés de ce dernier, à la
bataille de Mühlberg le 24 avril 1457. Reçoit la dignité de prince électeur de
Saxe. Mortellement blessé à la bataille de Sievershausen contre le marquis
de Brandebourg-Kulmbach.
MAXIMILIEN Ier DE HABSBOURG (Wiener-Neustadt 1459 – Wels
1519)  : empereur d'Allemagne (1493-1519). Epouse en 1477 Marie de
Bourgogne, qui lui donne deux enfants, Philippe le Beau et Marguerite, qu'il
marie aux enfants des Rois Catholiques d'Espagne. Fonde ainsi l'entente
austro-espagnole. Epouse en secondes noces Blanche Sforza, nièce de
Ludovic le More. Ne peut empêcher François Ier de conquérir le Milanais.
Par le traité de Vienne en 1515, marie ses petits-enfants, Ferdinand et
Marie, aux héritiers du roi de Hongrie Ladislas Jagellon, Anne et Louis.
MAXIMILIEN II DE HABSBOURG (Vienne 1527-Ratisbonne 1576)  :
empereur d'Allemagne (1564-1576). Succède à son père Ferdinand en 1564.
Epouse sa cousine germaine, Marie, fille de Charles Quint.
MÉDICIS, famille : banquiers florentins au pouvoir à Florence aux XVe
et XVIe siècles avant d'acquérir le titre ducal en 1532.
MÉDICIS, Alexandre de (1512-1537)  : fils naturel de Laurent de
Médicis. Epouse Marguerite d'Autriche, fille naturelle de Charles Quint.
Assassiné le 6 janvier 1537 par son cousin Lorenzino (le Lorenzaccio de
Musset).
MÉDICIS, Catherine de (Florence 1519-Blois 1589) : fille de Laurent de
Médicis et de Madeleine de La Tour d'Auvergne. Epouse le 28 octobre 1533
à Marseille Henri d'Orléans. Reine de France. Mère de François II, de
Charles IX et d'Henri III.
MÉDICIS, Cosme Ier de (1519-1579) : premier grand-duc de Toscane.
MÉDICIS, Jean de (1498-1526) : dit « des Bandes noires », condottiere.
MÉDICIS, Jules de : voir CLÉMENT VII.
MÉDICIS, Julien de (1478-1516)  : fils de Laurent le Magnifique, frère
du pape Léon X. Epouse en 1515 Philiberte de Savoie.
MÉDICIS, Laurent de, duc d'Urbino (1492-1519) : père de Catherine de
Médicis et d'Alexandre, duc de Florence.
Medina del Campo : ville d'Espagne, où meurt Isabelle la Catholique le
17 novembre 1704.
MELANCHTHON, Philipp Schwarzerd, dit (1497-1560)  : réformateur
allemand. Professeur à l'université de Wittenberg, gagne la confiance de
Luther, dont il devient l'ami et le disciple. Lors de la diète d'Augsbourg, est
le porte-parole de la cause protestante : rédige la Confession d'Augsbourg.
Recherche un compromis et accepte, après la mort de Luther, l'Intérim
d'Augsbourg, qui tend à rétablir la paix religieuse en Allemagne.
MENDOZA, Antonio de (1492-1552)  : vice-roi du Mexique (1535-
1550), puis du Pérou (1550-1552).
MENDOZA, Diego Hurtado de (1504-1575)  : diplomate et écrivain
espagnol. Auteur de La Guerre de Grenade et de Lazarillo de Tormes.
MENDOZA, Pedro de (1487-1537) : navigateur espagnol. Fonde Buenos
Aires en 1535.
Metz, siège de  : en décembre 1552, Charles Quint ne peut prendre la
ville.
Mézières, siège de  : en août 1521, Henri de Nassau ne peut prendre la
ville, que défend Bayard.
MIGUEL DE PORTUGAL : infant de Portugal. Meurt le 20 juillet 1500 :
sa mort donne la couronne d'Espagne à Jeanne la Folle, puis à Charles
Quint.
MIRANDEL : défenseur de Marseille lors du siège d'août 1524.
MOCTEZUMA : souverain de Mexico-Tenochtitlán de 1502 à 1520.
Mohács, bataille de  : le 26 août 1526, sur le Danube, entre Soliman et
Louis de Hongrie, qui y est tué.
MONCADA, Hugo de (v. 1476-1528) : vice-roi de Sicile, puis de Naples.
Tué dans un combat naval contre les Français.
MONDÉJAR, marquis de  : capitaine général d'Andalousie. Accueille
Charles Quint à Grenade en juin 1526.
MONTESINOS, Antonio de : dominicain espagnol, dénonce en 1511 les
méthodes de la conquête.
MONTMORENCY, Anne de (1493-1567)  : baron, puis duc de
Montmorency, prisonnier à Pavie, connétable de France en 1538.
MONTMORENCY, Jean de : gouverneur de Lille.
MONTMORENCY, Philippe de : chef des finances des Pays-Bas.
MONTOICHE, Guillaume de  : auteur de Voyage et Expédition de
Charles Quint au pays de Tunis.
Montserrat : Catalogne, lieu de pèlerinage.
MORA, Giovanni Andrea  : médecin milanais. Appelé en consultation à
Yuste.
MORE, Thomas (1478-1535)  : fils d'un magistrat londonien, avocat,
professeur de droit. Envoyé en mission à Bruges en 1515. Publie l'Utopie
en 1516. Devient en 1518 membre du Conseil privé du Roi; accompagne
Henri VIII en 1520 au Camp du drap d'or. Chancelier d'Angleterre en 1529
après l'éviction de Wolsey. S'oppose à Henri VIII, condamne le divorce de
ce dernier. Démissionne de ses fonctions en 1532. Exécuté à Londres le 6
juin 1535.
MORONE, Gerolamo (1470-1529)  : comte de Lecco, au service des
Sforza, puis des Français. Grand chancelier du duché de Milan.
MOTOLINÍA, Tribio de Benavente, dit (entre 1482 et 1491-1569)  :
franciscain arrivé au Mexique en 1524.
MOULAY HASSAN : roi de Tunis.
Mühlberg, victoire de : remportée par Charles Quint le 24 avril 1547 sur
la ligue de Smalkalde.
MUSCETIOLA, Pio Antonio : maître des cérémonies du couronnement
de Charles Quint.
NASSAU, Henri de (1504-1538) : premier chambellan de Charles Quint,
gouverneur des Pays-Bas.
NAVAGERO, Andrea (1483-1529)  : ambassadeur vénitien. Publie
Voyage en Espagne.
NAVAGERO, Bernardo  : ambassadeur vénitien. Gachard a publié ses
dépêches de 1543 à 1546.
NAVES, Jean de : vice-chancelier d'Empire.
Nice, trêve de  : conclue en juin 1538 entre le pape, Charles Quint et
François Ier.
Noche triste : nuit du 1er juillet 1520, au cours de laquelle Hernán Cortés
doit évacuer Tenochtitlán.
Nouveau Monde  : nom donné aux territoires découverts par Christophe
Colomb.
NÚÑEZ DE VELA, Blasco († 1546) : vice-roi du Pérou.
Nuremberg : ville de Bavière, où se tiennent plusieurs diètes traitant de la
Réforme.
OCAMPO, Florián de : historien espagnol.
Oran  : ville d'Afrique du Nord conquise par le cardinal de Cisneros en
1509.
ORANGE, maison d'  : voir CHALON, PHILIBERT DE et
GUILLAUME D'ORANGE.
ORSINI, Renzo, dit Renzo da Ceri  : condottiere italien au service de
François 1er. Défend Marseille.
ORTEGA, Juan de : général de l'ordre de Saint-Jérôme.
OSORIO, Alvaro : grand écuyer de Charles Quint.
OTTOMANS, dynastie (issue d'Osman) des :
– Sélim Ier
(1512-1520);
– Soliman le Magnifique
(1520-1566).
OVIEDO, Gonzalo Fernández de (1478-1557) : chroniqueur des Indes.
PACE, Richard (1482-1536)  : secrétaire du roi Henri VIII. Envoyé en
mission par ce dernier avant l'élection de Charles Quint à l'Empire en 1519.
PACHECO, Maria  : soutient la cause des comuneros (membre de la
famille de Mendoza).
PADILLA, Juan de : commandant en chef de l'armée des comuneros.
Palamos : port d'Espagne.
PATARIN, Claude : président du Parlement de Bourgogne.
PAUL III : voir FARNESE, Alessandro (1468-1549).
PAUL IV, Pietro Carafa : pape de 1555 à 1559.
Pavie, bataille de  : le 24 février 1530 entre François Ier et les troupes
impériales (le roi de France est fait prisonnier).
PAVYE, Michel de  : doyen de Cambrai, confesseur de Charles Quint.
Prononce à Bruxelles le 14 mars 1516 l'oraison funèbre de Ferdinand
d'Aragon.
PEDRARIAS, Dávila (1440-1531)  : conquistador, fonde la ville de
Panama.
PÉRIL, Robert  : artiste liégeois. Ses gravures, conservées au musée
d'Anvers, décrivent l'entrée de Charles Quint à Bologne en 1529.
PESCARA, Fernando d'Avalos, marquis de (1489-1525) : fait prisonnier
à Ravenne, combat à La Bicoque, contribue à la victoire de Pavie. Meurt à
Milan en décembre 1525.
PETRUCCI, Raffaele  : prend le pouvoir à Sienne en 1516. Cardinal en
1517. Grand électeur du pape Adrien VI en 1522.
PFLUG: théologien catholique, membre du « groupe des six » de la diète
de Ratisbonne en 1541.
PHILIBERT LE BEAU (1480-1504) : duc de Savoie. Epouse Marguerite
de Habsbourg en décembre 1501. Meurt en septembre 1504.
PHILIPPE Ier LE BEAU (Bruges 1478-Burgos 1506)  : archiduc
d'Autriche, souverain des Pays-Bas (1482-1506) et roi de Castille (1504-
1506). Epouse Jeanne la Folle le 20 octobre 1496 à Lierre.
PHILIPPE DE HESSE (Marburg 1504-Cassel 1567)  : landgrave de
Hesse. Introduit la Réforme dans la Hesse, fonde à Marburg la première
université protestante d'Allemagne. Fonde en 1531 avec Jean-Frédéric de
Saxe la ligue de Smalkalde. Après la bataille de Mühlberg, se soumet à
Charles Quint, qui le retient prisonnier aux Pays-Bas jusqu'en 1552.
PHILIPPE II (Valladolid 1527-Escurial 1598)  : fils de Charles Quint et
d'Isabelle de Portugal, roi d'Espagne. Epouse Marie de Portugal en 1543,
Marie d'Angleterre en 1554, Elisabeth de Valois en 1559, Anne d'Autriche
en 1570.
PIRES DE TAVORA, Lourenço : ambassadeur du roi de Portugal auprès
de Charles Quint.
PISTORIUS : théologien protestant, membre du « groupe des six » de la
diète de Ratisbonne en 1541.
PIZARRO, Francisco (1478-1541)  : conquérant du Pérou, élimine
Atahualpa, fonde Lima. Assassiné par Almagro el Mozo.
PIZARRO, Gonzalo (1512-1548)  : frère de Francisco, gouverneur du
Pérou en 1544, vaincu par Pedro de La Gasca, exécuté en 1548.
PIZARRO, Gonzalo, dit el Largo : capitaine de Gonzalve de Cordoue.
PIZARRO, Hernando (1502-1578) : lieutenant de son frère Francisco.
PIZARRO, Pedro (1514-1571) : chroniqueur de la conquête du Pérou.
Pizzighettone : forteresse sur l'Adda, où François Ier est prisonnier après
la bataille de Pavie.
PLAINE, Gérard de : président du Conseil des Pays-Bas.
POITIERS, Jean de : voir SAINT-VALLIER.
POMPÉRANT, Joachim de  : gentilhomme français au service du
connétable de Bourbon, qu'il accompagne dans sa fuite.
PONCE, Constantin : chanoine de Séville, fonde l'un des premiers foyers
protestants d'Espagne.
PONCE DE LEÓN, Pedro  : évêque de Ciudad Rodrigo, membre de la
commission chargée de juger la controverse de Valladolid.
PONICKAU, Hans von  : conseiller du prince Jean-Frédéric de Saxe.
Décrit la bataille de Mühlberg.
Potosi, mine de  : mine d'argent et d'étain de Bolivie. La ville de Potosi
devient la ville la plus importante de l'Amérique (cent cinquante mille
habitants au XVIIe siècle).
POUPET, Charles de : seigneur de la Chaulx, chambellan de Philippe le
Beau. Chargé de la « direction des exercices corporels » de Charles Quint
enfant (A. Henne, Histoire du règne de Charles Quint en Belgique, tome
II).
POUPET, Louis de : « sommelier de corps » de Charles Quint.
PRAET, Louis de Flandre, seigneur de  : ambassadeur de Charles Quint
auprès de François Ier  : réclame en vain en 1526 l'exécution du traité de
Madrid. Participe en 1529 à la rédaction du traité de Barcelone. Membre du
Conseil privé des Pays-Bas, participe à Bruxelles en 1555 à la réunion du
conseil restreint, au cours de laquelle Charles Quint annonce sa décision
d'abdiquer.
Prinsenhof  : résidence des ducs de Bourgogne à Gand. Charles Quint y
naît le 24 février 1500.
PUCCI, Antonio  : évêque de Pistoia, puis cardinal. Ambassadeur de
Clément VII auprès de François Ier. Assiste à Bologne au couronnement de
Charles Quint.
QUIJADA, Luis  : colonel espagnol, majordome de Charles Quint, qu'il
accompagne à Yuste.
QUIÑONES, Francisco de (1482-1540)  : général des franciscains,
cardinal de Sainte-Croix en 1528. Maître d'œuvre de la réconciliation de
Charles Quint avec le pape Clément VII. Joue aussi un rôle capital dans
l'évangélisation du Nouveau Monde.
QUIROGA, Vasco de (v. 1470-1565) : évêque de Michoacán.
Ratisbonne  : ville d'Allemagne. Charles Quint y rencontre Barbara
Blomberg et prépare, lors de la diète de 1546, la guerre contre les
protestants.
Ravenne, bataille de : livrée le jour de Pâques 1512 par Gaston de Foix :
« J'exposerai ma vie à tous les dangers. » Victorieux, Gaston de Foix est tué
en pourchassant l'ennemi (F. Guicciardini, Histoire d'Italie, tome 1.
RAVENSTEIN, Philippe de : gouverneur de Gênes.
REGLA, Juan : confesseur de Charles Quint à Yuste.
RENARD, Simon (1513-1573)  : maître des requêtes de l'Hôtel de
Charles Quint pour les affaires de Bourgogne. Ambassadeur à Paris, puis à
Londres. Négocie le mariage de Philippe II avec la reine Marie
d'Angleterre.
Renty, siège de : par Henri II en août 1554. Charles Quint force le roi de
France à se retirer en Picardie.
RICO Y ORTEGA, Martin (1850-1908)  : peintre espagnol. Lors de
l'ouverture du cercueil de Charles Quint, effectue plusieurs dessins du
cadavre.
RIDOLFI, Niccoló : cardinal, petit-fils de Laurent de Médicis, cousin de
Clément VII. Assiste au couronnement de Charles Quint à Bologne.
RINCÓN, Antonio de († 1541) : comunero espagnol passé au service de
la France en 1521. Négocie avec Soliman le traité d'alliance de février
1536. Effectue plusieurs missions à Constantinople. Est assassiné le 3 juillet
1541 sur les bords du Pô par les gens du marquis del Vasto, alors qu'il
regagne Constantinople de retour d'une mission en France (cf. V.L. Bourilly,
« Antonio de Rincón et la politique orientale de François Ier (1522-1541) »).
Roa  : ville de Castille, où le cardinal de Cisneros meurt le 8 novembre
1517.
Rome, discours de : prononcé par Charles Quint devant le Sacré Collège
le 17 avril 1536.
Rome, sac de : par les troupes impériales en mai 1527. Le connétable de
Bourbon meurt en donnant l'assaut à la Ville éternelle.
ROSSEM, Martin van : maréchal de Gueldre.
SAINT-POL, François de Bourbon, comte de (1491-1545)  : gouverneur
de Paris, commandant l'armée française battue à Landriano en juin 1529.
Saint-Quentin, bataille de : le 10 août 1557, entre les troupes françaises,
commandées par le connétable de Montmorency, et les troupes espagnoles
du duc de Savoie et du comte d'Egmont.
SAINT-VALLIER, Jean de Poitiers, seigneur de  : gouverneur du
Valentinois, père de Diane de Poitiers. Participe à la rébellion du connétable
de Bourbon. Condamné à mort, gracié sur l'échafaud.
SALVIATI, Giovanni (1490-1553)  : petit-fils de Laurent de Médicis et
neveu de Léon X. Evêque de Fermo en 1516 et cardinal de Santi Cosma e
Damiano en 1517. Bénit à Séville le 10 mars 1526 le mariage de Charles
Quint et d'Isabelle de Portugal.
San Petronio : basilique de Bologne, où Charles Quint reçoit la couronne
impériale le 24 février 1530.
SANDOVAL, Francisco Tello de  : membre du Conseil des Indes. A
l'origine de la révocation en octobre 1545 des Lois nouvelles. Membre de la
commission chargée de juger la controverse de Valladolid.
SAVOIE, maison régnante de  : voir LOUISE DE SAVOIE et
PHILIBERT LE BEAU.
SAXE : maison princière d'Allemagne, divisée en deux branches :
-  la branche « ernestine » : Ernest de Saxe
(t 1486), prince électeur ;
son fils, Frédéric, dit le Sage
(† 1525), protecteur de Luther, prend une
part importante à l'élection en 1519 de Charles Quint; son frère, Jean,
dit le Constant
(t 1532); Jean-Frédéric, dit le Magnanime
(t 1554),
s'oppose à Charles Quint, qui le bat à Mühlberg, le 24 avril 1547, et le
fait prisonnier;
-  la branche
« albertine » : Albert de Saxe
(t 1500), dit le Courageux,
frère d'Ernest; Georges de Saxe
(t 1539), mort sans postérité
masculine; Henri de Saxe, dit le Pieux
(t 1541); Maurice de
Saxe
(1521-1553), prince électeur après la bataille de Mühlberg. Voir
MAURICE DE SAXE.
SCHEURL, Christoph  : professeur à l'université de Nuremberg. Auteur
de l'Entrée de l'empereur Charles dans la métropole impériale de Rome en
1536 : « Tu régneras sur tout ce que tu convoites. »
SCHINER, Matthaus (1465-1522) : évêque de Sion, seigneur suzerain du
Valais. Cardinal en 1511.
SELD, George Sigismond  : vice-chancelier d'Empire. L'un des derniers
confidents de Charles Quint.
SELVE, Jean de (1475-1529) : président du Parlement de Paris. L'un des
négociateurs du traité de Madrid.
SEPÚLVEDA, Juan Gines de (1490-1573)  : théologien, auteur du
Democrates Alter. S'oppose à Las Casas lors de la controverse de
Valladolid.
Séville  : capitale de l'Andalousie. Détient le monopole du commerce
maritime avec les Indes (quarante-cinq mille habitants à la fin du XVe
siècle, cent vingt mille à la fin du XVIe).
SEYSSEL, Claude de (1450-1520) : évêque de Marseille.
SFONDRATO, Francesco (1493-1550)  : professeur de droit. Nommé
gouverneur de Sienne par Charles Quint. Après la mort de sa femme, entre
dans les ordres  : devient évêque de Crémone, puis cardinal. Participe, au
côté du cardinal Farnèse, à la négociation de Spire qui conduit en 1544 à
l'accord entre Charles Quint et le pape Paul III. Père de Nicolo Sfondrato,
pape sous le nom de Grégoire XIV.
SFORZA, Francesco (v. 1495-1535) : fils de Lodovico, duc de Milan en
1521.
SILOÉ, GIL DE : sculpteur d'origine flamande, actif en Espagne de 1486
à 1501.
Simancas, archives de  : regroupent les archives générales du royaume
d'Espagne.
Smalkalde, ligue de  : union des villes et des princes protestants
d'Allemagne contre Charles Quint, créée dans la ville de Smalkalde le 27
février 1531.
SODERINI, Francesco (1453-1524)  : évêque de Volterra, cardinal en
1503 (frère du « gonfalonier » de Florence, Piero Soderini). S'oppose à
Clément VII.
SOLIMAN II LE MAGNIFIQUE (v. 1495-1566) : sultan ottoman (1520-
1566). Avec François Ier, le plus grand adversaire de Charles Quint.
Succède à son père Sélim Ier en 1520. S'empare de Belgrade en 1521, bat
Louis II de Hongrie à Mohács le 29 août 1526, met le siège devant Vienne
en septembre 1529. S'allie à François Ier en 1535, s'empare de Tunis la
même année. Contrôle la mer Rouge, pénètre dans l'océan Indien. Amène
l'Empire ottoman au sommet de sa puissance.
SOTO, Domingo de (1494-1560)  : théologien dominicain, professeur à
Salamanque, membre de la commission chargée de juger la controverse de
Valladolid.
SOTO, Francisco de (1494-1560) : dominicain, député par Charles Quint
au concile de Trente comme théologien. Confesseur de l'empereur.
SOTO, Hernando de (1498-1542)  : conquérant et navigateur espagnol,
compagnon de Pizarro. Charles Quint lui accorde le titre de gouverneur de
la Floride et de Cuba.
STRIGEL, Bernhard (v. 1460-1528)  : peintre allemand, anobli par
l'empereur Maximilien. Peint plusieurs portraits de ce dernier et La famille
de l'empereur Maximilien (au musée de Vienne).
Tacuba : cité de la vallée de Mexico, membre de la « Triple Alliance » de
Moctezuma.
Talaveruela  : ville d'Estrémadure, où la reine Eléonore meurt le 18
février 1558 sur la route de Notre-Dame de Guadalupe.
TAVERA, Juan Pardo de : cardinal, archevêque de Tolède, président du
Conseil de Castille.
Tenochtitlán : capitale des Mexicas.
Texcoco : cité de la vallée de Mexico, membre de la « Triple Alliance »
de Moctezuma.
TIZIANO VECELLIO, Titien (1490-1576)  : peintre vénitien, ami de
Charles Quint, qu'il rencontre à Bologne, puis à Augsbourg. Peint de
l'empereur et de sa famille plusieurs tableaux.
Tlaxcala : ville du Mexique, où Hernán Cortés prépare en août 1521 son
retour à Tenochtitlán.
Toison d'or, ordre de la  : créé le 10 janvier 1430 par Philippe le Bon à
l'occasion de son mariage avec Isabelle de Portugal (La Toison d'Or. Cinq
siècles d'art et d'histoire).
Tordesillas : château où est enfermée la reine Jeanne la Folle de février
1508 à sa mort en avril 1555.
Torrejón : ville de Castille, où Charles Quint et François Ier se séparent
après le traité de Madrid le 20 février 1526.
TORRIANO, Giovanni  : horloger italien, originaire de Crémone.
Accompagne Charles Quint à Yuste.
TOUR ET TAXIS: famille de l'Empire détenant le monopole de la poste.
Roger de Taxis organise le premier service postal pour l'empereur Frédéric
III et Jean de Taxis est nommé maître général des postes en 1496. Au XVIIe
siècle, les Taxis s'allient aux comtes de Thurn.
TOURNON, François de (1489-1562)  : archevêque d'Embrun à vingt-
huit ans. L'un des négociateurs pour la France du traité de Madrid. Selon
Varillas, « un ministre laborieux ».
Trente : ville d'Italie du Nord. Le concile de Trente s'y réunit de 1545 à
1552.
TRIVULZIO, Giangiacomo (1448-1518) : condottiere italien, marquis de
Vigevano, maréchal de France.
TROTHA, Thilo von  : chevalier saxon, fait prisonnier Jean-Frédéric de
Saxe à Mühlberg en avril 1547.
TUMBÉS, évêque de : voir LUQUE.
Tunis, expédition de : Charles Quint prend la ville en juin-août 1535 (G.
de Montoiche, Voyage et expédition de Charles Quint au pays de Tunis).
TUNSTALL, Cuthbert (v. 1476-1559) : évêque de Londres, ambassadeur
d'Henri VIII. S'efforce d'empêcher le mariage de Charles Quint avec
Isabelle de Portugal. Participe en 1529 aux négociations de la paix de
Cambrai («paix des Dames»).
ULLUA, Magdalena de : épouse de Luis Quijada, sœur du marquis de La
Mota. Elève le jeune Juan d'Autriche à Leganes.
VACA DE CASTRO, Cristobál (1492-1562) : gouverneur du Pérou.
VACCA, Luis  : protonotaire apostolique, « maître d'école » de Charles
Quint de 1505 à 1513  : « le seul maître de l'archiduc s'occupant
exclusivement de lui » (A. Henne, Histoire du règne de Charles Quint en
Belgique, tome I).
VALDÉS, Alonso de (v. 1492-1532) : disciple d'Erasme, entre au service
de Charles Quint et devient secrétaire pour les affaires latines. Publie le
Dialogue des événements de Rome après le sac de la ville, puis le Dialogue
de Mercure et de Charon, qui justifie la guerre contre François Ier (Marcel
Bataillon, Erasme et l'Espagne, chap. VIII  : « Les dialogues d'Alonso de
Valdés », p. 395-466). Alonso de Valdés accompagne Charles Quint en
Italie, en Allemagne et en Autriche; il meurt de la peste à Vienne en octobre
1532.
VALDÉS, Fernando de  : archevêque de Séville, inquisiteur général
d'Espagne. S'oppose à Charles Quint pour ne pas régler sa contribution aux
frais de guerre.
VALDÉS, Juan de (v. 1492-1541) : frère jumeau d'Alonso, « un des plus
authentiques génies religieux du siècle », selon Bataillon (Erasme et
l'Espagne, p. 390). Publie à Alcalá de Henares en 1529 Dialogue de
doctrine chrétienne. Après la mort de son frère Alonso, gagne l'Italie, entre
au service de Clément VII à Rome, puis de Charles Quint à Naples. Exerce
dans les dernières années de sa vie une véritable « cure d'âme » (J.N.
Bakhuisen van den Brink, Juan de Valdés, réformateur en Espagne et en
Italie, p. 3). Valdés publie en 1536 Alpbabeto christiano, sous forme d'un
dialogue avec la duchesse Giulia Gonzaga.
VALENCIA, Martin de  : franciscain, dirige la première mission de
franciscains espagnols envoyée au Mexique.
Valladolid, controverse de  : se tient en deux sessions, la première en
août-septembre 1550, la seconde en avril-mai 1551.
VALLE DE OAXACA, marquis del : titre de noblesse conféré à Hernán
Cortés par Charles Quint.
VALVERDE, Vicente (1502-1541) : dominicain, participe à la conquête
du Pérou, évêque de Cuzco.
VAN DER AUWERA : voir AUWERA.
VAN DER GHEYNST : voir GHEYNST.
VAN MALE : voir MALE.
VANDENESSE, Jean de : né aux environs de 1497, fils d'un sommelier
de Philippe le Beau. Contrôleur de la maison de l'empereur, puis de celle de
Philippe II. « A suivi l'Empereur Charles Quint en tous ses voyages, guerres
et pays dès l'an 1514 » (Louis-Prosper Gachard, Collection des voyages des
souverains des Pays-Bas, tome II, page XII). Auteur du Journal des
voyages de Charles Quint de 1514 à 1551.
VASQUEZ DE MOLINA, Juan  : secrétaire d'Etat du gouvernement de
Castille.
VASTO, Alfonso D'Avalos, marquis de (1500-1546) : général espagnol.
Vauxelles, trêve de  : conclue le 5 février 1556 entre Charles Quint et
Henri II.
VEGA, Gaspar de : architecte de la maison de Charles Quint à Yuste.
VELÁZQUEZ, Diego : gouverneur de Cuba.
VELTWYK, Gérard : théologien catholique, conseiller de Charles Quint.
Villalar, bataille de  : le 23 avril 1521, met fin à la révolution des
Comunidades.
VILLAREAL, comte de  : ambassadeur du roi de Portugal auprès de
Charles Quint à Séville en 1526.
Villaviciosa  : port d'Espagne du Nord, dans lequel Charles Quint
débarque le 19 septembre 1517.
VIO : voir CAJETAN.
VISCONTI, famille : ducs de Milan, chefs du parti gibelin.
VISCONTI, Clara : fille de Galeazzo Visconti, célèbre pour sa beauté.
VISCONTI, Galeazzo : fils de Guido Visconti.
VITAL, Laurent : gentilhomme de la maison de Charles Quint, décrit le
Premier voyage de l'empereur en Espagne (publié par Gachard dans sa
Collection des voyages des souverains des Pays-Bas).
VITORIA, Francisco de (1483-1546)  : juriste espagnol, professeur à
l'université de Paris, puis à celle de Salamanque. Condamne les méthodes
de la colonisation espagnole.
VIVES, Luis (1492-1540)  : humaniste espagnol. « Maître d'école » de
Charles Quint avant Adrien d'Utrecht.
Wartburg, château de la : résidence de Luther après la diète de Worms en
1521-1522. Luther y traduit en allemand le Nouveau Testament.
Wels : ville d'Autriche, où Maximilien Ier meurt le 12 janvier 1519.
WERCHIN, Pierre de : gouverneur de Tournai.
WIED, Hermann von : archevêque de Cologne.
WITTELSBACH  : famille régnante de Bavière du XIIe au XXe siècle.
Voir BAVIÈRE.
WITTEM, Henri de : premier gouverneur de Charles Quint.
Wittenberg : ville d'Allemagne sur l'Elbe. En 1517, Luther y affiche ses
Quatre-vingt-quinze thèses sur la porte de l'église du château.
WOLRATH, Richard von : archevêque de Trèves.
WOLSEY, Thomas (1472-1530)  : chapelain du roi Henri VII.
Archevêque d'York, cardinal en 1515. Chancelier du roi Henri VIII de 1515
à 1529. Ne peut obtenir du pape l'annulation du mariage du roi avec
Catherine d'Aragon. Disgracié en 1529. Meurt le 22 novembre 1530.
Worms  : ville d'Allemagne sur le Rhin. Plusieurs diètes d'Empire s'y
réunissent. Celle de 1521 met Luther au ban de l'Empire.
WYATT, Thomas  : conduit la révolte de Londres contre Marie
d'Angleterre en janvier 1554.
Xaquixaguana, bataille de : au Pérou en 1548, entre Pedro de La Gasca et
Gonzalo Pizarro.
XIMENEZ : voir CISNEROS.
Ypres : ville des Pays-Bas, l'un des « trois membres de Flandre ».
Yucatán : province du Mexique.
Yuste, monastère de : lieu de retraite de Charles Quint du 3 février 1557 à
sa mort le 21 septembre 1558.
ZAMORA, évêque de : voir ACUÑA.
ZAPOLYA, Jean Sigismond († 1540) : voïvode de Transylvanie.
ZIEGLER, Nicolas : vice-chancelier d'Empire.
ZUMÁRRAGA, Juan de  : franciscain, premier évêque de Mexico,
disciple d'Erasme et de Thomas More.
ZÚÑIGA, Luis de : gouverneur du prince Philippe d'Espagne.
BIBLIOGRAPHIE
Les livres, les études, les articles consacrés à Charles Quint sont
innombrables. Alfred Morel-Fatio a établi une première historiographie de
l'empereur en 1912; Vicente de Cadenas une bibliographie complète en
1986.
Les plus grands historiens de Charles Quint, qui ont procédé au
dépouillement – non encore terminé – des archives de Simancas et de
Vienne, sont Louis-Prosper Gachard au XIXe siècle et Karl Brandi et
Ramón Carande au XXe.
La présente bibliographie comprend seulement les ouvrages que j'ai
consultés et utilisés. Je l'ai établie avec Martine Chauney-Bouillot,
bibliothécaire à la Bibliothèque de Dijon, que je remercie pour son
assistance.
 

Albrecht von Brandenburg, Kurfürst-Erkanzler-Kardinal 1490-1545, Cat.


expo. pour le 500e anniversaire de sa naissance, introd. Dr. Berthold
Roland, Ed. Verlag Philipp von Zabern, Mainz, 1990.
Anton Fugger (1493-1560)  : Vorträge und Dokumentation zum
fünfhundertjährigen Jubiläum, Anton H. Konrad Verlag, Weibenhorn, 1994.
Archivo general de Indias  : los archivos españoles, sous la direction de
Pedro Gonzáles García Lunwerg Ed., Madrid, 1995.
Carolus, Charles Quint 1500-1558, ouvrage publié à l'occasion de
l'exposition consacrée à Charles Quint pour le cinq centième anniversaire
de la naissance de l'empereur, Gand, Snoeck-Ducaju et Zoon, 1999.
Charles Quint et son temps, Actes du colloque international de Paris, 30
septembre-3 octobre 1958, Ed. du CNRS, Paris, 1958.
Fêtes de la Renaissance. 2. Fêtes et cérémonies au temps de Charles
Quint. 2eCongrès de l'Association internationale des historiens de la
Renaissance, Bruxelles, Anvers, Gand, Liège, 2-7 septembre 1957, Ed. du
CNRS, Paris, 1975.
Le monde de Charles Quint, introd. Hugo Soly, Fonds Mercator, Anvers,
1999.
Le prince et le peuple  : images de la société du temps des ducs de
Bourgogne 1384-1530, sous la direction de Walter Prevenier, Fonds
Mercator, Anvers, 1998.
Los archivos españoles Simancas, textes de Francisco Javier Álvarez
Pinedo et José Luis Rodríguez de Diego, Lunwerg Ed., Barcelone et
Madrid, 1993.
Maladies et société (XIIe-XVIIIesiècles), Actes du colloque de Bielefeld,
novembre 1986, Ed. du CNRS, Paris, 1989.
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qui comprend les règnes depuis l'an 1493 jusqu'en 1532; 2epartie, qui
comprend les règnes depuis l'an 1532 jusqu'en 1558. 2 vol., Delespine-
Hérissant, Paris, 1748.
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en Andalousie, Taschen, Köln-Paris, 1992.
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- Carlos de Habsburgo en Yuste, 2e éd., Instituto Salazar y Castro,
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sucesos, efemérides relevantes de su vida), Hidalguia, Madrid, 1992.
 

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