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DU MÊME AUTEUR
Epigraphe
Avant-propos
ANNEXES
CHRONOLOGIE
INDEX
BIBLIOGRAPHIE
© Éditions Grasset & Fasquelle, 2000.
978-2-246-56119-4
DU MÊME AUTEUR
LA VICTOIRE SUR L'HIVER, Fayard, 1978.
L'ENJEU DE LA FORMATION PROFESSIONNELLE, Fayard, 1987
MÉMOIRES D'OUVERTURE, Belfond, 1990.
POLITIQUE EN JACHÈRE, Albin Michel, 1993.
VOYAGE EN NORVÈGE, Éditions de l'Armançon, 1995.
CHARLES LE TÉMÉRAIRE, Grasset, 1997.
MARGUERITE, princesse de Bourgogne, Grasset, 2002.
« Si l'Europe doit vivre, ce sera par l'esprit de la Bourgogne. »
OTTO DE HABSBOURG.
Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation
Duc de Bourgogne
Empereur d'Allemagne
L'obsession bourguignonne
1519 est l'année de tous les changements. Maximilien meurt, Charles est
élu empereur d'Allemagne, Luther est condamné par le pape. Magellan
entreprend le tour du monde et Hernán Cortés la conquête du Mexique.
Charles Quint a hérité de ses grands-parents un empire colonial formé
pour l'essentiel des Antilles : un territoire de deux cent cinquante mille
kilomètres carrés, peuplé en 1516 de trois cent mille hommes seulement : la
répression et, plus encore, les épidémies ont décimé la population. Les
Antilles comptaient en 1492 six millions d'habitants ! Les survivants sont
des morts en sursis. Après des millénaires d'isolement, la colonisation les a
mis au contact d'Européens et d'Africains porteurs de virus et de microbes
nouveaux : la variole qui éclate à Saint-Domingue en 1518 les tue par
milliers1.
Une société coloniale s'ébauche «dans le chaos et l'excès », à Saint-
Domingue d'abord, puis à Cuba2. Lesconquérants se sont abattus « comme
une volée de prédateurs » sur les Antilles : ils ont détruit les modes
traditionnels de production sans les remplacer par d'autres. Mais leurs
moyens d'existence sont précaires. Souvent atteints, eux aussi, par la
maladie, ils partent à la découverte de nouveaux territoires, vers la « Terre-
Ferme », comme ils appellent le continent américain. Mus par un rêve d'or...
L'or, poudre d'or, plaques d'or, soleils d'or, habite l'imagination de ces gueux
en délire3.
Cuba devient la tête de pont de la conquête. Les expéditions vers le
Mexique se succèdent. Deux échouent en 1517 et 1518; la troisième en
1519, que conduit Hernán Cortés, va réussir.
Cortés est né en 1485 à Medellin, dans l'Estrémadure. Il a étudié le droit
et le latin à l'université de Salamanque, gagné Saint-Domingue en 1504,
Cuba en 1511. C'est un letrado, qui s'installe d'abord comme notaire avant
de rejoindre l'administration : il devient le secrétaire du gouverneur. C'est
peu pour son ambition ! Il est d'un autre métal. Intelligent, tenace, jamais
résigné, Hernán Cortés est un homme qui « veut plier le monde à son désir
», un véritable conquérant, l'un des plus grands de l'Histoire4.
L'un de ses compagnons, Bernai Díaz del Castillo, écrit sur la fin de sa
vie un récit de la conquête du Mexique. Livre étonnant, d'une plume alerte,
sans complaisance. Quand il rédige son Histoire véridique de la conquête,
Cortés et Charles Quint sont morts; Bernai Díaz n'a rien à craindre, rien à
attendre. Regidor perpetuo de Guatemala, il vit retranché dans ses
souvenirs5.
Hernán Cortés est chargé d'explorer, non de « peupler »les terres
nouvelles : le gouverneur de Cuba, Diego Velázquez, n'a pas l'autorisation
du gouvernement de Castille d'entreprendre la conquête du continent. Mais,
dans les instructions qu'il reçoit et qu'il rédige en partie, Cortés insère une
clause qui lui permet de prendre les mesures « exigées par le service de
Dieu et du roi ». Le commerce ne l'intéresse pas : « Il ne venait pas pour si
peu de chose », résume Bernai Díaz.
Il réunit des financements, arme une flotte de onze navires, embarque un
corps expéditionnaire de cinq cent huit hommes. Il achète tout ce qu'il peut
acheter : « À un certain Diego, une boutique entière de camelote. »
Velázquez revient sur l'autorisation qu'il a donnée. Peine perdue ! Cortés,
déjà rebelle, vogue vers son destin.
Il lève l'ancre le 10 février 1519. Il suit la route des expéditions qui l'ont
précédé, touche l'île de Cozumel au large du Yucatán, vogue vers l'ouest,
longe les côtes de Tabasco. Bernai Díaz, qui a participé aux voyages de
1517 et de 1518, reconnaît les paysages, indique les mouillages. Les
Espagnols sont victorieux à Cintla le 25 mars, arrivent à Vera Cruz le
Vendredi saint, célèbrent sur la plage la fête de Pâques. Les Mexicas tentent
de les dissuader de s'enfoncer dans l'arrière-pays, mais Cortés est venu pour
conquérir. Il s'obstine et offre à Charles Quint l'empire du Nouveau Monde.
La conquête du Mexique ouvre la voie au rattachement du continent
américain à l'Europe. Elle constitue la première étape d'un mouvement
poursuivi jusqu'à nos jours : l'extension au monde entier des valeurs et des
modes de vie de l'Europe occidentale6.
Une longue histoire commence en 1519, «de violences, de
rapprochements, de méprises et de quipro-quos», née de la rencontre de
deux vieilles civilisations. Cortés écrit à Moctezuma ; le maître de
Tenochtitlán offre ses lettres aux dieux. Les relations qui s'établissent entre
les deux hommes sont de nature politique pour Cortés; pour Moctezuma,
elles participent de l'ordre du cosmos. Le Mexica considère les lettres de
Cortés non comme des feuilles de papier, mais comme une matière vivante,
investie de la puissance des envahisseurs.
Les Espagnols ne sont que quelques centaines face à des millions de
Mexicas. Ils ont faim et soif, la peur les tenaille. Mais ce sont des hommes
d'instinct. Une force mystérieuse les habite : ils vont, ils ne savent qu'aller,
avec pour but de toujours avancer. La possession vient après et elle ne
saurait les rassasier.
Leurs compagnons, blessés ou prisonniers, sont sacrifiés aux idoles. Sous
leurs yeux. Il faut lire Bernai Díaz : « Mon cœur était saisi d'une sorte
d'horreur et j'urinais une ou deux fois avant de m'engager dans les
combats7... »
Dans cette horreur quotidienne, face à l'imprévu, les conquérants, comme
tous les hommes de la Renaissance, ont recours à l'astrologie, aux sorts et à
la divination ; ils utilisent les vieilles recettes du Moyen Age, qui sont
autant d'exorcismes de la peur. Hernán Cortés a emmené avec lui un
astrologue, un lettré « qui a été à Rome », un nommé Botello : chaque jour,
il le consulte. « Les uns disaient qu'il était nécromancien, d'autres qu'il
possédait un démon familier. » Après sa mort, on trouvera dans son sac des
morceaux de papier sur lesquels il a griffonné : « Tu ne mourras point » ;
sur d'autres : « Oui, tu mourras. » Botello est habité par la peur. Il porte sur
lui «une sorte de sexe d'homme, fait en peau souple, avec à l'intérieur
comme une bourre de laine de tondeur»...
Hernán Cortés est un génie politique qui exploite les dissensions de
l'ennemi. Il s'oppose aux Tlascaltèques, puis s'allie à ces derniers contre les
Mexicas. Chaque fois, dans le dispositif adverse, il trouve la faille qui lui
permet de l'emporter. Moctezuma est le maître d'un empire de construction
récente, fondé sur l'alliance de trois cités de la vallée de Mexico : Tacuba,
Texcoco et Tenochtitlán. Cette « Triple Alliance » impose un tribut aux
peuples qu'elle a soumis, comme les Totonaques et les Tlascaltèques. Cortés
analyse le pouvoir de Moctezuma comme celui d'une tyrannie. Une telle
analyse le sert, mais elle n'est pas inexacte.
Très vite, Moctezuma se résigne : il est vaincu avant même d'avoir
combattu. La conquête ne s'explique pas sans ce renoncement, qui est pour
les Mexicas soumission à la volonté de leurs dieux. Moctezuma pressent le
destin fatal vers lequel il est entraîné. Autour de lui, on évoque la prophétie
de Quetzalcoatl, le dieu blanc aux cheveux noirs, qui s'est embarqué
autrefois vers l'Orient, vers le rivage mythique de la rouge Tlapallan. Une
légende, sans cesse répétée d'âge en âge, prédit son retour. Les envahisseurs
qui s'approchent de Tenochtitlán ont la peau blanche; Quetzalcoatl les
conduit.
Quand les Mexicas comprennent que le retour de ces hommes venus de «
là où naît le soleil» signifie une tuerie sans précédent, dont nul ne sortira
indemne, il est trop tard. Les Espagnols ont mis à profit leur hésitation.
C'est cette fatalité qui donne à l'aventure des conquérants sa grandeur
tragique. « Au fur et à mesure que Bernai Díaz narre les combats, les
entrevues, les soumissions des villages, nous apercevons cette ombre qui
grandit, qui recouvre la terre mexicaine », écrit Le Clézio8. Paralysés, les
Indiens vivent un véritable cauchemar qui les enferme dans leur propre
magie et les conduit vers la mort.
Hernán Cortés s'est mis en marche en août vers le haut plateau; il a
franchi la cordillère dans la neige qui tombe, le vent qui cingle. Maintenant,
il approche de Tenochtitlán. Il rencontre Moctezuma le 8 novembre 1519.
Moctezuma a quarante ans. Grand, élancé, son teint est clair, ses cheveux
noirs tombent sur ses épaules. Il règne depuis dix-sept ans sur les Aztèques.
Tenochtitlán, sa capitale, est aussi peuplée que la Rome des papes.
Hernán Cortés a trente-quatre ans. Le teint hâlé, « presque de cendre »
selon Bernai Díaz, la barbe et les cheveux noirs. Amaigri par les fatigues, il
s'avance à cheval, casqué et cuirassé, l'épée au côté. Moctezuma l'attend
debout, drapé dans une cape de coton brodé, éblouissant de joyaux et de
plumes vertes. Cortés lui offre un collier de verroteries montées sur des
cordes d'or, conservées dans du musc. Il voudrait lui donner l'accolade. Il en
est empêché : on ne touche pas le dieu vivant ! Moctezuma le conduit dans
le palais qu'il lui a réservé.
Les conquérants observent et repèrent, découvrent le marché qui se tient
sur une place semblable à celles des villes de Castille. Le décrivant, Bernai
Díaz évoque sa ville natale, Medina del Campo : tout autour, des maisons à
arcades; sur des nattes, des objets d'or, d'argent, des pierres précieuses, des
épices, du cacao. Des esclaves sont attachés à des perches par leur collier9.
Les Espagnols pénètrent dans les temples, gravissent les cent quatorze
marches de l'oratoire de Huitzilopochtli, aperçoivent à leurs pieds la ville
immense, construite sur des îles comme Venise, reliée à la terre ferme par
trois chaussées. Ils assistent à des sacrifices humains : à des idoles obèses,
au visage crispé, lesprêtres offrent des cœurs, qu'ils arrachent de poitrines
ruisselantes de sang.
Hernán Cortés prend possession de Tenochtitlán au nom de l'empereur; il
fait dresser de sa conquête un acte notarié. Moctezuma, prisonnier dans son
palais, se reconnaît comme le vassal de Charles Quint et ordonne à ses
sujets de verser tribut à son nouveau suzerain. Cortés se prend à rêver d'une
solution pacifique, selon laquelle il imposerait son autorité et sa religion
sans recourir à la force : il voudrait conquérir les terres et aussi les âmes.
Mais comment établir des relations quand la violence, la culture, la langue
dressent autant d'obstacles ?
La tragédie se noue. Cortés est obligé de quitter Tenochtitlán pour la
côte : Velázquez envoie une expédition contre lui. Pedro de Alvarado, le
lieutenant qu'il laisse sur place, prend peur quand les prêtres et les nobles
s'assemblent pour célébrer le culte : il les massacre le 23 mai 1520 et
déchaîne la révolte qu'il veut empêcher.
Revenu à Tenochtitlán, Cortés ne peut apaiser les esprits. Malgré lui,
malgré Moctezuma, les combats s'engagent dans tous les quartiers.
Moctezuma est tué de pierres lancées par les siens. Les Espagnols évacuent
la ville, mais des guerriers aztèques surgissent de toute part et attirent dans
les eaux du lac les soldats empêtrés dans leurs armures : cette retraite garde
dans l'Histoire le nom de Noche Triste, la triste nuit du 1er juillet 1520.
Hernán Cortés n'est pas l'homme du désespoir ni de l'abandon. A
Tlaxcala, il regroupe ses forces et prépare son retour avec les Tlascaltèques
qui lui sont demeurés fidèles. Il envoie à l'empereur un rapport expliquant
son échec momentané, affirmant, plus encore, son espérance de victoire. Il
fait construire treize brigantins, qui sont, en pièces détachées, transportés à
dos d'hommes jusqu'à Texcoco, au bord du lac. Il recrute des Indiens qu'il
entraîne au combat. Lesbrigantins sont assemblés et mis à l'eau au chant du
Te Deum. La bataille qui s'engage est longue, meurtrière : les combats
durent quatre-vingt-treize jours. Le 13 août 1521, les Espagnols donnent
l'assaut au grand temple, l'enlèvent. Ils sont vainqueurs, mais à quel prix?
Le silence s'est abattu sur la ville, anormal, pesant, comme si, au milieu
d'un carillon, les cloches cessaient de sonner. C'est la comparaison
qu'emploie Bernai Díaz, qui ajoute : «Le sol, le lac, les terrains étaient
recouverts de cadavres et la puanteur était si forte que personne ne pouvait
la supporter. »
J.M.G. Le Clézio commente : «Ce silence, qui se referme sur l'une des
plus grandes civilisations du monde, emportant sa parole, sa vérité, ses
dieux et ses légendes, c'est aussi un peu le commencement de l'histoire
moderne10. » Les vainqueurs ne sont qu'une poignée de survivants, rongés
par la peur, qui se terrent dans leurs camps. Ils occupent un pays immense :
le Mexique, qu'ils commencent à explorer, est aussi grand que l'Europe
occidentale.
Pour le découvrir, affluent d'Espagne des artisans, des marchands, des
aventuriers : Bernai Díaz les décrit comme «des gens grossiers et vicieux ».
Arrivent aussi, envoyés par le pouvoir royal, des fonctionnaires et des
religieux, franciscains et dominicains, qui s'attachent à pacifier et
évangéliser. Une coexistence fragile s'instaure entre les deux communautés.
Les nobles mexicas apportent leur soutien à Cortés et, les uns après les
autres, se reconnaissent vassaux du roi d'Espagne.
Autour d'eux, Cortés s'efforce de construire un Etat moderne, s'affirmant
au Mexique comme le prince de Machiavel, le condottiere capable par sa
virtù d'établir un ordre nouveau. Il doit «varier avec les temps s'ilveut
toujours avoir un sort heureux». Cortés renvoie du Prince «le reflet
américain11 ».
Les relations qu'il entretient avec le Conseil des Indes sont difficiles.
Dans l'administration du Nouveau Monde, la distance joue un rôle
important, renforce la tendance à l'autonomie des conquistadores : les
instructions de l'administration royale mettent plusieurs mois pour parvenir
à Mexico...
En 1524, le président du Conseil des Indes, Juan Rodríguez de Fonseca,
meurt; il est remplacé par un dominicain, Garcia de Loaysa, proche des
idées d'Erasme. Avec le soutien de l'empereur, il défend, souvent contre les
colons et les administrateurs locaux, les droits des Indiens. Mais son
humanisme est limité par l'influence de Francisco de Los Cobos, président
du Conseil des finances, sensible avant tout à l'intérêt financier de la
couronne : comptent d'abord pour Los Cobos les rentrées d'or !
Il semble que toutes les forces qui agitent l'Europe de la Renaissance
soient au travail au Mexique. En 1523, un premier contingent de
franciscains flamands débarque à Vera Cruz : Johan Dekkers, Johan Van der
Auwera et Pierre de Gand sont proches de Charles Quint. Dès 1524, ils sont
renforcés par une deuxième équipe de douze franciscains espagnols, que
dirige Martin de Valencia. Cortés se trouve au contact direct d'hommes qui
incarnent la pensée impériale et sont nourris des idéaux érasmiens. Il a
quitté l'Europe depuis vingt ans; une nouvelle chrétienté est née et il ne le
savait pas! Une chrétienté « érasmienne, impériale et mystique12 ».
C'est Francisco de Quinones, général des franciscains, parent, comme
Pierre de Gand, de l'empereur, qui a organisé les missions au Mexique : des
liens personnelsunissent ainsi Charles Quint aux religieux en charge de
l'évangélisation. Toribio de Benavente, franciscain de trente ans, devient le
symbole de l'Eglise missionnaire au service des déshérités : les Indiens
l'appellent Motolinía, le « pauvre » en nahuatl.
Cortés inquiète le Conseil des Indes : il est devenu trop puissant, trop
indépendant ! Il doit être rappelé. L'empereur le reçoit à Monzòn le 1er juin
1528, et lui confère le titre de marquis del Valle de Oaxaca. S'il le maintient
dans ses fonctions de capitaine général, il lui retire ses pouvoirs politiques.
Ceux-ci sont transférés à une Audiencia, une cour de justice, que préside
Nuño de Guzmán. Les magistrats, les oidores, ont mission d'affirmer
l'autorité royale, mais ils sont emportés par la corruption à laquelle ils se
livrent. Guzmán se lance dans la chasse aux dépouilles, puise dans les biens
personnels de Cortés. Les épouses des oidores nomment, moyennant
finance, aux emplois publics... Un terme doit être mis en 1530 à ce que
Carmen Burnand et Serge Gruzinski appellent «l'Audience du diable et de
Satan 13 ».
Une deuxième Audiencia est désignée en 1531. Pour la diriger,
l'empereur nomme l'évêque de Saint-Domingue, Sebastián Ramirez de
Fuenleal, qui emmène avec lui Las Casas à Mexico. Il rétablit l'ordre, fait
restituer les sommes extorquées, assure le contrôle direct de la couronne sur
les Indiens. Il met en œuvre la politique du señor universal, la juridiction du
roi étendue à tous les habitants du Nouveau Monde, sans distinction de race
ou d'origine. Fuenleal se veut un interprète fidèle de la pensée de Charles
Quint.
Les magistrats qui l'entourent sont des juristes ou des clercs, qui
traduisent dans les faits l'humanisme qui les anime. L'administration
espagnole qu'ils représen-tentaborde, de façon moderne, les questions de
démographie, d'économie, d'éducation, de libertés individuelles. Elle
dessine les contours d'une «modernité américaine », en réaction contre le
monde d'airain que les conquérants ont imposé.
Ici paraît Vasco de Quiroga. Né dans les années 1470, il a servi dans
l'administration des Rois Catholiques à Grenade, puis à Oran. Il rejoint le
Mexique et devient évêque de Michaocân. Lettré, humaniste, homme
d'Eglise, il incarne la politique coloniale de Charles Quint. Son maître est
Thomas More : l'Amérique est pour lui le monde des commencements, un
terrain d'expérimentation sociale – une utopie. Il souhaite regrouper les
indigènes dans des villages où ils mèneraient « une vie réglée selon un
nouvel ordre politique ». Le Nouveau Monde ne peut se contenter, à des
milliers de kilomètres, de reproduire les schémas de l'Europe médiévale. Il
doit réaliser la synthèse du christianisme primitif et de l'humanisme de la
Renaissance. Dans son diocèse, Quiroga crée des « villages-hôpitaux »,
développe l'enseignement professionnel, met en œuvre de nouvelles formes
de vie communautaire.
En 1535, Antonio de Mendoza est nommé vice-roi du Mexique. Il
appartient à la famille des comtes de Tendilla. Son père, le marquis de
Mondéjar, a été capitaine général de l'Andalousie; c'est lui qui a reçu
l'empereur à Grenade en 1526. La sœur de Mendoza, Maria Pacheco, a
participé à la révolte des Comunidades; l'un de ses frères, Pedro de
Mendoza, fonde Buenos Aires. Dans son enfance à Grenade, Antonio de
Mendoza a connu une société multiculturelle. Par sa mère, du sang juif et
du sang maure coulent dans ses veines. Pierre Martyr de Anghiera lui a
appris le latin. Il a emporté avec lui à Mexico sa bibliothèque personnelle,
qui est l'une des plus importantes d'Amérique. C'est un vice-roi de la
Renaissance.
Pendant quinze ans, il concilie l'autorité de la couronne et la défense des
Indiens. Plus que tout autre, ilillustre la méthode de gouvernement de
Charles Quint. Il protège les jeunes métis, crée pour eux le collège Saint-
Jean-de-Latran, favorise les mariages mixtes, contribue à la fusion de
l'ancienne noblesse mexicaine et de la nouvelle classe dirigeante. Il fonde
des communautés qui rappellent les colonies romaines : il fait graver dans
le marbre le nom de Charles Quint et les dates de création des villes. Au
terme de son mandat, il est nommé en 1552 vice-roi du Pérou.
En Espagne, Francisco Pizarro succède, à la cour de l'empereur, en 1528
à Hernán Cortés. Lui n'a encore rien conquis, mais il apporte la promesse de
nouveaux territoires. Le 26 juillet 1529 à Barcelone, avant d'embarquer
pour l'Italie, Charles Quint signe les « capitulations », qui autorisent Pizarro
et ses associés, Diego de Almagro et Hernando de Luque, à entreprendre la
conquête du Pérou. Par le traité de Saragosse, il vient d'abandonner au
Portugal la possession des îles Moluques : le Pérou devient la grande
ambition de son règne au-delà des mers.
Pizarro a cinquante ans; c'est le fils naturel d'un hidalgo d'Estrémadure,
capitaine de l'armée d'Italie, qui a gagné les Indes en 1501 dans les bagages
de Nicolas de Ovando, nommé gouverneur de l'Hispaniola, originaire
comme lui d'Estrémadure. Il est aux côtés de Balboa, découvrant le
Pacifique, et de Pedrarias, fondant la ville de Panama. Il participe à toutes
les expéditions le long de la côte du Pacifique, dans la lente descente des
Espagnols vers le Pérou et le Chili. Charles Quint le nomme adelantado,
utilisant un titre des guerres de la Reconquête donné aux gouverneurs de la
frontière; il lui attribue un salaire de sept cent vingt-cinq mille maravédis
par an, qui sera prélevé sur les revenus des terres à découvrir. Il nomme
Hernando de Luque, qui est prêtre, évêque de Tumbés, anoblit Diego de
Almagro et confie à Bartolomé Ruiz la charge de piloto mayor del mar del
Sur.
Les conquérants débarquent à Tumbés en mai 1532.Ils ignorent tout de
l'Empire inca, plus étendu, plus peuplé, plus riche que celui des Mexicas.
Combien sont-ils ? Une poignée. Cent soixante-huit hommes prennent la
direction de la Cordillère et marchent à la rencontre de l'Inca Atahualpa!
Leur endurance tient du prodige, leur patience est sans bornes, leur courage
splendide. Ils craignent Dieu, et Dieu seul. Ils font baptiser les Indiennes
qu'ils rencontrent avant de les prendre pour compagnes. Il y a parmi eux des
juristes, des marchands, des tailleurs, des maréchaux-ferrants, un menuisier,
un tonnelier et un barbier. Il y a même un homme de couleur, mulâtre,
originaire de Trujillo, qui joue de la cornemuse. Il y a aussi un dominicain,
Vicente Valverde, d'origine juive, ancien étudiant de théologie à l'université
de Salamanque, qui deviendra évêque de Cuzco. Valverde a mission de
convertir et d'évangéliser : il va exterminer comme les autres.
Sur le chemin des Andes, Pizarro fonde San Miguel. Il a emmené avec
lui ses quatre frères; il laisse les deux plus jeunes sur place. Dès le départ, il
affirme sa volonté de « peupler » le vaste Pérou. Il poursuit la tactique de
Cortés en exploitant les divisions de l'adversaire. L'Inca Huyana Capac est
mort en 1529, emporté par la variole. Deux fils se disputent sa succession :
Huascar et Atahualpa. La lutte qu'ils engagent facilite l'entreprise de
Pizarro.
Les Espagnols arrivent en novembre 1532 à Cajamarca, résidence
d'Atahualpa. Du haut des remparts, ils aperçoivent dans la plaine en
contrebas l'armée de l'Inca, des milliers de guerriers. Il pleut, une pluie fine
et glacée. Pizarro envoie en éclaireur Hernando de Soto à la tête d'un
peloton de vingt cavaliers, puis son jeune frère Hernando. S'adressant à
l'Inca, Hernando de Soto et Hernando Pizarro brisent les barrières rituelles
qui séparent des hommes le fils du Soleil. Atahualpa, clef de voûte de
l'Empire inca, a trente ans, un visage large et cruel, des yeux injectés de
sang. Il accueille les conquérants, assis sur un banc de bois; un voile
degaze, que deux femmes tendent devant lui, le dissimule à leur regard.
L'arrivée des Espagnols est une souillure, la conséquence d'une faute qu'il a
commise – et qu'il doit expier. Il promet de venir rencontrer Pizarro à
Cajamarca et même de dîner avec lui. Au déclin du jour, les conquistadores
se retirent.
L'attente, la longue attente commence. Dans la plaine, des milliers de
feux sont allumés. Le jour vient et Atahualpa ne paraît toujours pas. Pizarro
lui envoie un nouveau messager, qui reçoit la même réponse : l'Inca va
venir.
Le soir, son armée se met en marche. Des milliers d'hommes avancent en
silence et pénètrent dans Cajamarca. Ils portent une tunique en damiers
rouges et blancs. Sur une litière de plumes de perroquet, Atahualpa paraît,
revêtu de ses emblèmes solaires. Aucun Espagnol ne se montre. Pizarro a
réparti ses hommes en trois groupes, que commandent son frère Hernando,
qui a trente ans, Hernando de Soto, trente-quatre ans, et Sebastián de
Benalcázar, trente ans. En quelques heures, le destin de l'Empire inca est
scellé. Le père Valverde, tenant dans une main la Bible, dans l'autre la croix,
s'avance seul à la rencontre d'Atahualpa. Il prononce le requerimiento, la
sommation d'usage appelant les Indiens à se soumettre au roi de Castille et à
l'Eglise :
«Voici les paroles de Dieu », dit-il à l'Inca.
Atahualpa saisit le livre qui, pour lui, est du papier, un succédané de
tissu. Il respecte les tissus, avec lesquels il engage la négociation avec ses
ennemis :
« Je sais comment vous avez traité mes caciques, volé et pillé mes
greniers. Je vous demande de tout me rendre. »
Valverde regagne la forteresse et déclare à Pizarro :
« A quoi bon les atermoiements et les requerimientos avec ce chien plein
de superbe, alors que les champs sont couverts d'Indiens. Partez à la charge
et je vous absoudrai ! »
Mots terribles. Miguel de Estete, dans son récit de la conquête, traduit
l'intensité dramatique de la scène. Pizarro prend son épée et son bouclier;
escorté de vingt-quatre hommes, il se fraye un passage dans la foule jusqu'à
la litière de l'Inca. Il saisit Atahualpa par le bras en criant Santiago !
Aussitôt, les trompettes sonnent, les Espagnols se ruent sur la place et
ouvrent le feu. Les Incas fuient par les portes aux angles de la place. Un pan
de mur s'effondre, qui provoque des morts par centaines. « Les épées font le
reste14. » Deux mille Indiens périssent en moins d'une heure. Du côté
espagnol, un seul mort, le mulâtre, et quelques blessés, dont Francisco de
Jerez, qui écrira comme Estete le récit de la conquête. Pizarro se retire avec
son prisonnier. Le butin est énorme : des objets d'or et d'argent, des pierres
précieuses, des vases et des étoffes; des femmes aussi, « belles et
attrayantes ».
Comme à Mexico, l'aisance avec laquelle les Espagnols emportent la
victoire peut paraître incompréhensible. Les Péruviens n'ont pas engagé le
combat; ceux qui n'ont pas pénétré dans la ville se sont enfuis. La religion a
joué son rôle : Atahualpa à terre n'est plus qu'un simple mortel. Les
Espagnols s'identifient pour les Incas à des hommes venus de la mer,
dépourvus de tout ancrage tellurique, des gens sans terre, sans racines.
Ces hommes de nulle part sont à la recherche d'or. Pour découvrir l'objet
de leur rêve, ils se répandent dans le pays, torturent les hommes, pillent les
temples : ils détruisent ainsi, à Pachacamac, le sanctuaire qui domine
l'océan et, à Cuzco, le temple qui abrite les momies sacrées.
Cependant, la vie a repris à Cajamarca. Pizarro construit une église,
répartit les terres entre ses lieutenants. Atahualpa lui offre sa jeune sœur
âgée de dix-septans, Quispe Sisa, qui lui donnera deux enfants, Francisca et
Gonzalo. L'Inca joue aux échecs avec Hernando. De nouvelles troupes
espagnoles arrivent de Panama : il comprend que la mer n'est plus cette
barrière infranchissable qu'il imaginait, la frontière du monde.
Les Espagnols l'accusent d'idolâtrie et de polygamie : ils le condamnent à
être brûlé vif. Il veut échapper au bûcher car, si son corps est réduit en
cendres, il ne pourra accéder à l'immortalité. Il se convertit au
christianisme. Un prénom lui est donné, Juan : « Juan sera mon nom pour
mourir ! » Le 29 août 1533, il est garrotté comme un vulgaire malfaiteur.
Pablo Neruda, dans Chant général, a magnifié sa mort :
« On enserra son cou : un croc d'acier entra dans l'âme du Pérou15.
»
Mais les Lois nouvelles de 1542, qui suppriment le travail forcé des
Indiens, provoquent la révolte des colons. Gonzalo Pizarro – frère de
Francisco – prend la tête de la rébellion : il devient le libérateur, songe à
rompre tout lien avec l'Espagne. Il bat les troupes loyalistes à Añaquito en
janvier 1546. Vaca de Castro est décapité à son tour.
Apprenant aux Pays-Bas le soulèvement du Pérou, Charles Quint nomme
un nouveau vice-roi, Pedro de La Gasca, homme d'Eglise, petit et grêle,
doué d'une grande force morale. La Gasca a combattu les comuneros,
organisé la défense des côtes d'Andalousie contre Barberousse. Il est
inquisiteur à Valence. Arrivant au Pérou, il utilise les armes de la politique
avantde recourir à la force. Il isole Pizarro, achète ses partisans, puis
l'attaque à Xaquixaguana. Seul, Francisco de Carvajal est demeuré auprès
de Pizarro : ancien soldat de l'armée d'Italie, il a assisté à Pavie à la capture
de François Ier. On l'appelle le « démon des Andes » :
«Mourons comme les anciens Romains, dit-il, les armes à la main !
– Mieux vaut mourir comme des chrétiens », répond Pizarro.
Ils se rendent et sont, l'un et l'autre, décapités le 10 avril 1548. Destin
tragique des Pizarro! Charles Quint fait saisir leurs propriétés, démolir leurs
maisons, jeter du sel sur les ruines. Il répète le geste de Charles le
Téméraire après la prise de Dinant19...
Désormais, il est le maître d'un territoire immense, qui couvre quatre fois
la superficie de l'Espagne, « aux limites du monde possible20 ». De Séville,
pour aller au Pérou et en revenir, il faut deux ans et demi. La distance
impose son ordre.
Le Nouveau Monde groupe dix millions d'hommes, le tiers de la
population qui habite les possessions des Habsbourg. La conquête de
l'Amérique donne à l'Empire de Charles Quint son caractère d'universalité.
Mais son coût humain a été « effroyable », pour reprendre l'expression de
Pierre Chaunu21. En cinquante ans, la conquête a entraîné la mort de
quarante à soixante millions d'hommes, près de quinze pour cent de la
population de la terre : autant que les grandes pestes qui ont ravagé l'Europe
et l'Asie au XIVe siècle. Les Européens ont apporté avec eux des virus
contre lesquels ils étaient immunisés, alors que les Indiens ne l'étaient pas22.
La recherche des métaux précieux est le moteur de la conquête : elle a
provoqué les mouvements de population, créé les villes nouvelles. D'abord
l'or, puis l'argent ! Le gisement de Potosi devient vite le plus productif ; la
ville qui se construit au pied de la mine, la plus importante du Nouveau
Monde, groupe cent cinquante mille habitants au XVIIe siècle. D'autres
gisements sont découverts au Mexique, à Zacatecas en 1546, Guanajuato en
1548, Real del Monte et Pachuca en 1551. Les envois en Espagne d'or et
d'argent augmentent sans cesse : cent mille pesos pour les années 1516-
1520, un million pour les années 1526-1530, quatre millions dix ans plus
tard et près de dix millions dans les dernières années du règne23.
Contrairement aux idées reçues, Charles Quint s'est beaucoup occupé des
Indes. Il a reçu personnellement Cortés, Pizarro, les vice-rois nommés à la
suite des conquistadores. Le Conseil des Indes a été dirigé par des hommes
proches de lui, Garcia de Loaysa et Francisco de Los Cobos. Il a entretenu
une véritable correspondance avec Las Casas. En quarante ans, ce sont plus
de deux cent cinquante décisions que l'empereur a prises sur le rapport du
Conseil des Indes : traités, cédules, actes administratifs de toutes sortes,
décisions de création ou de réglementation d'institutions civiles,
commerciales et religieuses. Année après année, le Diario établi par Vicente
de Cadenas permet d'en dresser la liste : vingt-quatre de 1516 à 1519,
quarante-trois de 1520 à 1529, soixante-dix de 1530 à 1539, soixante-treize
de 1540 à 1549 – avec une pointe en 1542 et 1543, liée à la promulgation
des Lois nouvelles – enfin, quarante de 1550 à 155524.
A chaque fois, Charles Quint a soutenu les réformes et pris la défense des
Indiens. Le Conseil des Indes était, auprès de lui, composé d'hommes
influencés parErasme, puis par le thomisme rénové de la Contre-Réforme.
Il n'a pas toujours été obéi : là encore, la distance a imposé sa loi ! Mais il a
nommé, après la période de la conquête, de grands administrateurs qui, à
des milliers de kilomètres de l'Espagne, ont organisé, pacifié et créé une
civilisation nouvelle.
1 William H. Mac Neill, Le temps de la peste : essai sur les épidémies dans l'histoire, p. 183.
2 Carmen Bernand et Serge Gruzinski, Histoire du Nouveau Monde, tome I, p. 257.
3 Jean Babelon, L'Amérique des Conquistadores, p. 24.
4 Jean-Marie Gustave Le Clézio, Le rêve mexicain, p. 18.
5 Bernal Díaz del Castillo, Histoire véridique de la conquête de la Nouvelle-Espagne.
6 Carmen Bernand et Serge Gruzinski, Histoire du Nouveau Monde, p. 290.
7
Ibid., tome I, p. 294.
8 Jean-Marie Gustave Le Clézio, Le rêve mexicain, p. 19.
9 Jean Babelon, L'Amérique des Conquistadores, p. 100-101.
10 Jean-Marie Gustave Le Clézio, Le rêve mexicain, p. 54.
11 Carmen Bernand et Serge Gruzinski, Histoire du Nouveau Monde, tome I, p. 349.
12
Ibid., p. 357.
13
Ibid., p. 356.
14
Ibid., p. 472.
15 Pablo Neruda, Chant général, p. 71.
16 Jean Babelon, L'Amérique des conquistadores, p. 224.
17
Ibid., p. 238-239.
18 Carmen Bernand et Serge Gruzinski, Histoire du Nouveau Monde, tome I, p. 509.
19 Jean-Pierre Soisson, Charles le Téméraire, p. 151.
20 Pierre Chaunu, L'Espagne de Charles Quint, tome 2, p. 439.
21
Ibid., p. 425.
22 William Mac Neill, Le temps de la peste : essai sur les épidémies dans l'histoire.
23 Henri Lapeyre, Charles Quint, p. 121.
24 Vicente de Cadenas y Vicent, Diario del emperador Carlos V.
CHAPITRE X
Le contrôle de la Méditerranée
Le pape croit que l'empereur a terminé, se lève et, en termes émus, fait
l'éloge de sa volonté de paix. Mais Charles, consultant ses notes,
l'interrompt : il a oublié un point essentiel. Dans son différend avec le roi de
France, il demande l'arbitrage du pape : « Si Votre Sainteté pense que j'ai
tort, qu'elle prenne le parti du roi de France. Dans le cas contraire, qu'elle
me soutienne ! »
Le pape reprend la parole. Lui-même a proposé la paix; il entend être «un
agent de réconciliation ». Mais, si l'un des deux souverains faisait
opposition à une paix honorable, il se tournerait contre lui. Pour l'empereur,
c'est le mot décisif. Il saisit la main du pape : « Je baise la main de Votre
Sainteté pour cette réponse. »
La Curie est stupéfaite. Les ambassadeurs demandent des explications :
l'empereur a-t-il décidé la guerre ? Charles Quint doit tempérer la portée de
ses propos, que ni Granvelle ni Los Cobos n'approuvent13. Il n'a pas voulu
offenser le roi de France, mais seulement affirmer sa volonté de défendre
l'Empire. Si le roi de France veut s'emparer de Milan, ce sera la guerre.
Mais, pour l'empereur comme pour le pape, la paix est le bien souverain.
Charles Quint met en garde les Etatsitaliens : un nouveau conflit entraînera
la ruine de l'Eglise, la dévastation du pays, la colère de Dieu !
Sans prendre parti pour l'empereur, Paul III adopte une attitude de
neutralité. Il répond favorablement à une demande de Charles Quint et fixe,
en mai 1537, à Mantoue, l'ouverture du concile de l'Eglise.
Le discours de Rome fait forte impression. En Allemagne, Pasquille
publie Entretien avec un cardinal, qui donne le ton :
« Ami de la vérité, que penses-tu de notre empereur ?
– Je crois qu'il reviendra pour juger les vivants et les morts.
– Tu plaisantes, Pasquille! Nous avons un pape, qui fera la paix entre les
deux partis.
– Eminence, soyez sur vos gardes, car vous avez affaire à un homme très
puissant, et le jour du jugement est proche14. »
Sans doute Charles Quint se laisse-t-il, pour la première fois, griser par le
succès. Il manifeste une assurance que la situation internationale ne justifie
pas. Contre l'avis de Granvelle, il décide d'envahir la France et de conquérir
la Provence. Or François Ier n'a pas attaqué directement Milan. De Turin, les
Français pouvaient pousser leur avantage en direction de Milan : ils ne l'ont
pas fait. Faut-il entreprendre la reconquête de la Savoie ? C'est la position
de Leyva. Porter l'offensive contre la France? C'est la décision de Charles
Quint.
L'empereur souhaite réussir ce qu'il n'a pu mener à bien en 1524 : prendre
Marseille. En lui, l'emporte le sentiment que la guerre se gagne sur mer.
Bourbon n'a pu enlever Marseille parce qu'il ne tenait pas la mer.
Aujourd'hui, Andrea Doria est maître de la mer : il permettra la conquête de
Marseille.
Le 25 juillet 1536, Charles Quint franchit la fron-tière,entre le 28 juillet à
Fréjus, le 8 août à Brignoles. Le connétable de Montmorency se retranche
derrière la Durance : l'empereur avance dans un édredon. Le voici devant
Aix-en-Provence, comme Bourbon en 1524 et, comme ce dernier, il ne peut
prendre ni Avignon ni Marseille. Malgré Doria, malgré la supériorité de sa
flotte qui accompagne sa progression le long des côtes.
Il décide la retraite après une campagne de six semaines. Antonio de
Leyva meurt, désespéré, atteint par le typhus, affaibli par ses attaques de
goutte. Il a tenu Pavie face à François Ier, il était aux côtés de l'empereur
lors du couronnement de Bologne ! Une page se tourne.
Charles a regagné l'Espagne : pour lui, le temps des épreuves est venu.
Le 21 avril 1539 à Tolède, Isabelle met au monde un fils, son cinquième
enfant, qui meurt le jour même. Une fièvre puerpérale se déclare. Charles
ne la quitte pas. Elle souffre; il lui éponge le front, lui parle de la vie
éternelle, de l'amour plus fort que la mort. Les hommes sont appelés à
rencontrer Dieu, à vivre de la vie de Dieu. A l'approche de la mort, Charles
tend à Isabelle un crucifix, qu'elle serre sur son cœur et qu'il voudra, lui
aussi, tenir entre ses mains quand son heure viendra.
Isabelle le quitte après treize ans d'un amour fort et partagé, d'un bonheur
simple et vrai, qui lui a apporté ce dont il avait besoin et qu'il n'aura plus.
Les seuls instants de bonheur, c'est avec Isabelle, dans les mois qui ont suivi
leur mariage, à Séville, Cordoue, Grenade, qu'il les a connus. «Il souffre
incroyablement», note Granvelle. Il est seul, «sans compagne 1 ».
Plusaucune femme ne comptera dans sa vie. François Ier rêvera de le marier
à sa fille Marguerite : il refusera. Il aura quelques liaisons, dans les soirées
d'hiver aux Pays-Bas et en Allemagne, mais qui ne l'engageront pas. Il se
retire au monastère de la Sisla chez les hiéronymites : l'idée de retraite, déjà,
l'habite.
Puis la politique, de nouveau, le saisit et ne le quittera plus.
Des Pays-Bas et d'Allemagne lui parviennent des nouvelles inquiétantes.
Marie requiert sa présence à Bruxelles. Il décide de la rejoindre « malgré les
empêchements qu'on lui met sous les yeux 2 ». Son fils a douze ans : peut-il
lui confier la régence ? Le Conseil de Castille, unanime, le dissuade de
partir. Mais Charles ressent l'envie de revoir le pays de son enfance, de
renouer avec ses racines flamandes. Isabelle l'attachait à l'Espagne : ce lien
charnel n'existe plus.
Avant de gagner les Pays-Bas, il rédige un testament politique, le premier
d'une série qui rythme les étapes de sa vie. Ses testaments sont « le miroir le
plus fidèle de son caractère et de ses volontés », écrit Brandi3. Il leur confie
ses pensées, ses espoirs, ses préoccupations. Charles est un homme de
l'écriture : il a besoin d'écrire. Il écrit ou dicte sans cesse : ses lettres, ses
instructions, ses testaments précisent jour après jour ses orientations.
Dans les instructions qu'il laisse à son fils en novembre 1539, il définit
une organisation dynastique de l'Europe, qu'il fonde sur l'alliance des
maisons d'Autriche et de Valois recevant l'appui du Portugal et de
l'Angleterre. Les souverainetés contestées, d'Italie notamment, doivent
revenir à de jeunes couples issus des deux familles. Il imposera une
conception matrimoniale de l'Europe qui durera jusqu'en 1918.
Son fils Philippe héritera des royaumes d'Espagne,des Indes, des Pays-
Bas et de la Franche-Comté. Si les Etats généraux le rejetaient, les Pays-Bas
seraient dévolus à sa sœur Marie. Quant aux terres d'Autriche, l'empereur
les attribue aux enfants de son frère Ferdinand. Milan ira au duc d'Orléans,
fils de François Ier, qui épousera une fille de Ferdinand, afin de maintenir
l'union des Habsbourg et de donner satisfaction à la France. La fille cadette
de l'empereur épousera l'héritier du Portugal et Philippe une princesse
d'Angleterre. Jamais une telle organisation d'ensemble du continent
européen n'a été définie. Pendant des mois, les chancelleries s'interrogent :
qui prendra les Pays-Bas, Philippe ou Marie ? Le duc d'Orléans s'installera-
t-il à Bruxelles ou à Milan ?
Enfin, Charles désigne comme lieu de sa sépulture la chapelle royale de
Grenade, où il veut reposer aux côtés de son épouse, de ses parents et de ses
grands-parents maternels.
Pour rejoindre les Pays-Bas, deux voies sont possibles, l'une par mer,
l'autre par terre. S'il choisit la voie de terre, Charles Quint peut-il faire
confiance au roi de France ? François Ier lui a adressé le 7 octobre 1539 une
lettre d'invitation «affectueuse à souhait, lettre de garantie entière 4 ». Mais
il est malade : s'il venait à mourir, que se passerait-il ? Charles demande
d'autres garanties, que le dauphin lui donne. L'empereur n'est pas satisfait
de la lettre qu'il reçoit : le dauphin doit préciser à nouveau ses intentions.
De même, le duc d'Orléans, le connétable de Montmorency prennent la
plume. Toutes ces lettres se veulent plus rassurantes les unes que les autres5.
Charles se décide enfin. Il ne peut plus différer son voyage aux Pays-Bas.
Mais il n'évoquera, lors de sa traversée de la France, aucun dossier
politique. Ce seraune visite de famille, la découverte aussi d'un pays qu'il ne
connaît pas...
Le 27 novembre 1539, il franchit la Bidassoa, accompagné de soixante
cavaliers et sans aucune pompe : vêtu de noir, il porte le deuil de son
épouse. Le dauphin et le connétable viennent à sa rencontre. Le soir,
l'empereur couche à Bayonne; le 28 novembre à Dax, le 29 à Mont-de-
Marsan. Il emprunte le chemin que François Ier a suivi à son retour en
France en 1526. A Bordeaux, il est reçu avec les honneurs réservés aux
chefs d'Etat : le maire lui remet les clefs de la ville et le président du
Parlement l'assure de la fidélité de la Guyenne. Mais le temps est mauvais,
Charles prend froid : il répond à peine et rejoint sa chambre. Il repart le 3
décembre, voyage à petites étapes de huit lieues par jour. A Verteuil, il est
reçu par Anne de Polignac, qui l'enchante. Il ne veut pas qu'on lui parle
d'affaires : il est entendu ! Tout au long de la route, ce ne sont que propos
courtois et bonne chère...
Cependant, François Ier, arrivé à Loches, l'attend : Charles doit se presser.
Le 9 décembre, il entre à Poitiers avec le même cérémonial qu'à Bordeaux.
Le gouverneur du Poitou est allé à sa rencontre avec cinq cents
gentilshommes et deux mille hommes à pied; à la porte de la ville,
l'empereur prend place sous un dais que tiennent le maire et trois échevins.
Dans la nuit, il chevauche à la lueur des torches, franchit des arcs de
triomphe, écoute le Te Deum chanté dans la cathédrale. Mais il est de
nouveau fatigué, gagne l'évêché, dîne de confitures. Le lendemain, les
échevins lui offrent une pièce d'orfèvrerie, qui représente un rocher garni de
fleurs, surmonté d'un aigle et d'un lys. Il remercie en quelques mots : « Je
me souviendrai de votre accueil et de votre présent. »
A Châtellerault, l'ambassadeur du roi d'Angleterre vient le saluer : Henri
VIII se réjouit de cette « amitié dorée » qui s'établit entre l'empereur et le
roi de France. Il espère qu'elle contribuera à la paix. Proposde circonstance :
l'ambassadeur ne pense pas un mot de ce qu'il dit ! Montmorency est là, qui
écoute : l'empereur va-t-il évoquer ses relations avec l'Angleterre ? Les fils
du roi entrent et l'entraînent vers la chapelle : la messe commence.
Le 12 décembre, Charles Quint arrive, enfin, à Loches dans le soir qui
tombe. Précédé de porteurs de torches, entouré des deux fils du roi, il
s'avance à la rencontre de François Ier, qui l'attend à l'entrée du château,
vêtu de satin pourpre, coiffé d'un bonnet étincelant de pierreries. Il se
découvre et les deux hommes s'embrassent. Un peu plus loin, au bas de
l'escalier qui monte aux appartements, la reine Eléonore, la reine de
Navarre, Madame Marguerite, fille du roi, s'inclinent. Charles serre sa sœur
Eléonore dans ses bras, tandis que François lui vante les mérites de
Marguerite : « Une rose parmi les épines, un ange au milieu des diables. » Il
voudrait que Charles l'épouse !
Quel contraste entre les deux souverains ! Le roi, quoique malade, se
tient droit, l'œil vif, magnifique en son costume; à ses côtés, l'empereur est
petit, voûté, vêtu de noir6. Les deux hommes ne vont plus se quitter : le roi,
en litière, et l'empereur, à cheval, gagnent Amboise, Blois, Chambord.
François montre à Charles ses chiens de meute, dont il est si fier. Il goûte la
vie, alors que Charles ne pense qu'à rejoindre Gand. A Amboise, des
porteurs de torches, par mégarde, mettent le feu aux tapisseries des murs.
Dans la fumée, gentilshommes et serviteurs s'enfuient de toute part. Le roi,
furieux, veut faire exécuter les coupables : l'empereur l'apaise! A
Chambord, il s'émerveille de l'architecture du château, qui lui paraît « un
abrégé de l'industrie humaine ». A Cléry, François Ier le conduit devant le
tombeau de Louis XI, l'adversaire de Charles le Téméraire, le roi de France
qui s'est emparé du duché de Bourgogne !
Voici Orléans, de nouveaux arcs de triomphe, de nouvelles illuminations.
A l'hôtel de Saint-Aignan, l'empereur, fatigué, dîne de confitures. Au petit
matin, des arquebusiers déchargent leurs armes sous ses fenêtres et les
échevins de la ville lui offrent une table d'argent. Puis, par Pithiviers et
Milly, le cortège arrive à Fontainebleau, la veille de Noël.
Le château est la « maison préférée » de François Ier, « une Italie
française », selon l'expression de Michelet7. Le roi montre à l'empereur les
tableaux et les tapisseries de la grande galerie, qui évoquent ses amours et
ses victoires. Il commente chaque décor, explique chaque allusion. Charles
Quint aime les tapisseries, qu'il collectionne. Arrivé à Bruxelles, il fera
exécuter, pour les offrir au roi, les tapisseries qui sont conservées au Louvre
et connues sous le nom de Chasses de Maximilien8.
Le 30 décembre, il quitte Fontainebleau, dîne à l'abbaye du Lys, court
deux cerfs et embarque sur la Seine. Son bateau est équipé de cheminées,
où brûlent de grands feux. Le froid est vif; Charles pousse son fauteuil
devant la cheminée de sa chambre. Le 1er janvier 1540, il entre à Paris par
un beau temps clair. Le roi l'a précédé : il assiste au passage du cortège, rue
Saint-Antoine, d'une fenêtre de l'hôtel de Montmorency. L'empereur,
toujours de noir vêtu, monte un cheval noir; à ses côtés, les deux fils du roi
sont aussi habillés de noir. Les façades sont décorées, éclairées par des
milliers de bougies; des couronnes de feuillage arborent l'aigle à deux têtes,
la salamandre, le phénix. Le peuple de Paris, innombrable, s'entasse dans
les rues, se bouscule aux carrefours, s'écrase aux fenêtres. Il voit défiler les
membres du Parlement, du Conseilroyal, le chancelier de France et les
sceaux portés sur une haquenée blanche, les cardinaux et les évêques, le
connétable tenant l'épée droite, l'empereur enfin. Hier encore, Charles Quint
était l'ennemi; aujourd'hui, il est « le bon frère du roi » !
Au palais de la Cité, François accueille Charles, le guide devant les
grandes statues des rois de France : « Ici sont nos devanciers. » De
Mérovée, de Clovis, «premier roi chrétien », aux Capétiens et aux Valois,
leur «commune maison ». François décrit, commente, explique. A minuit
seulement, Charles se retire. La cérémonie l'a épuisé : il frissonne, a la
fièvre, appelle son médecin, qui le frictionne longuement. Il ne s'endort
qu'au petit matin. Il est malade, ne peut quitter sa chambre. Il craignait,
avant de gagner la France, que le roi mourût. Et c'est lui qui est malade,
incapable de se déplacer, plus atteint que François Ier !
Le dimanche suivant, il peut entendre la messe et recevoir les échevins,
qui viennent lui offrir le présent de Paris : un Hercule d'argent, de cinq
pieds de haut, tenant les colonnes du monde. Sur une écharpe tendue entre
elles, on peut lire : Altera alterius robur. L'une est le soutien de l'autre :
l'empereur et le roi sont les deux colonnes de la chrétienté. La statue a été
exécutée par Rosso sur une idée du roi lui-même.
Le 6 janvier, fête des Rois, Charles se rend à la Sainte-Chapelle et assiste
à une réunion du Parlement. Le lendemain, il visite le château de Boulogne
et l'abbaye de Saint-Denis; le roi est toujours son guide. Le 8 janvier, il
gagne Chantilly, qui est la propriété du connétable, puis Villers-Cotterêts,
Soissons, La Fère, Saint-Quentin. François Ier voudrait le retenir, mais
Charles Quint réussit à prendre congé. A Valenciennes, sa sœur Marie
l'attend depuis neuf jours.
La révolte gronde à Gand, ville ouvrière, turbulente, qui s'est souvent
rebellée contre les comtes de Flandre, puis contre les ducs de Bourgogne.
S'opposant au gouvernement des Pays-Bas, Gand refuse de verser
lescontributions votées par les Etats généraux, de participer à l'effort de
défense. Les représentants des « menus métiers » prennent le pouvoir,
lacèrent la constitution que Charles Quint a accordée à la ville en 1515 et
accrochent, par dérision, des morceaux du parchemin à leurs chapeaux ! Ils
veulent enfermer Marie dans un couvent : ils ne supportent plus, disent-ils,
d'être gouvernés par une femme !
Entrant le 14 février 1540 dans Gand, Charles Quint montre sa force :
cinq mille lansquenets l'accompagnent, ainsi qu'une artillerie importante.
Les Pays-Bas constituent le fondement de sa puissance : il ne peut y tolérer
le moindre soulèvement. Il écrase la révolte de Gand.
Le 24 février, jour de son anniversaire, il réunit au Prinsenhof, dans le
palais de sa naissance, la chambre criminelle du Parlement de Malines. Le
procureur général prononce un réquisitoire qui dénonce les violences et
condamne la rébellion : Gand a commis un crime de lèse-majesté. Le
jugement est rendu le 29 avril : la ville perd ses droits et ses libertés; ses
armes, ses canons et même son gros bourdon lui sont retirés. Charles Quint
exige une soumission publique, semblable à celle que Charles le Téméraire
imposa en janvier 1469. Le 3 mai 1540, trente notables vêtus de noir, la tête
et les pieds nus, cinquante tisserands, cinquante représentants du parti
populaire, en chemise et la corde au cou, demandent pardon à genoux. Un
nouveau statut est promulgué, la Carolina, qui supprime les privilèges
obtenus par Gand tout au long du Moyen Age.
Au Prinsenhof, pendant que se déroule le procès, Charles Quint analyse
la situation internationale avec son frère Ferdinand et sa sœur Marie. Il
adresse à François Ier une longue note, qui définit la position des
Habsbourg : pas question pour eux d'abandonner le Milanais ! Il propose
que le duc d'Orléans épouse sa fille Marie et devienne souverain des Pays-
Bas. En contrepartie, le roi de France devra renoncer à Milan.Mais François
Ier tient trop à Milan et rejette les suggestions de l'empereur.
Il reste à Charles Quint à poursuivre son rêve d'unité et rassembler ses
possessions en un ensemble cohérent. Les rencontres de Nice, d'Aigues-
Mortes, de Fontainebleau et de Paris n'ont rien changé : le grand
affrontement entre l'Empire et le royaume de France durera jusqu'à la mort
des deux adversaires.
Pour arbitrer leur rivalité, Charles Quint et François Ier font appel au
pape, une fois de plus. L'empereur tente d'obtenir le soutien de ce dernier,
alors qu'il recherche une entente avec les protestants, dont Paul III ne veut
pas entendre parler ! Les instructions que le pape donne à son légat sont
sans ambiguïté : «Si l'on vous dit que l'aplanissement du conflit est chose
urgente, répondez que le salut des âmes l'est encore plus ! »
Paul III interdit au nonce de participer à la négociation qui s'engage entre
catholiques et protestants : les théologiens des deux camps se retrouvent à
Haguenau en juin, à Worms en octobre. Granvelle, qui préside leurs
réunions, s'efforce de trouver un accord avec le landgrave Philippe de
Hesse. Il joue à fronts renversés : alors que les protestants affirment une
volonté d'entente, les catholiques manifestent « un esprit belliqueux » et
refusent toute conciliation9. Granvelle propose la création d'un groupe
restreint de quatre théologiens, deux protestants : Bucer, homme de
confiance de Philippe de Hesse, et Capito, professeur à Strasbourg ; deux
catholiques : Gropper, conseiller de l'électeur de Cologne, et Veltwyk, juif
converti, l'un des esprits les plus libres de son temps. Né aux Pays-Bas,
Gérard Veltwyk a écrit en hébreu dans sa jeunesse un Voyage à travers le
désert pour tenter de rallier au christianisme ses compatriotes israélites.
Entré dansl'administration impériale, il est devenu l'un des proches
conseillers de Charles Quint.
Tandis que Granvelle négocie en Allemagne, Charles s'attarde dans son
pays natal, parcourt la Flandre et la Hollande, consulte, réunit les Etats
généraux. Il travaille de nuit comme de jour, prend des décisions concernant
aussi bien le rassemblement à Simancas des archives de son règne que le
traitement des esclaves aux Indes. Il mange toujours autant, boit chaque
matin deux pintes de bière fraîche et subit sa huitième attaque de goutte au
cours de l'été10.
A Worms, un accord intervient sur le renvoi des débats à une prochaine
diète, qui se réunira à Ratisbonne. Le pape infléchit sa position et remplace
Marcello Cervini, qui deviendra pape, par Gaspard Contarini. Charles
gagne – toujours à petites étapes – Ratisbonne, où il arrive en février 1541.
Ouvrant les travaux de la diète le 5 avril, il désigne un groupe de six
membres pour traiter la question religieuse : Gropper, Pflug et Eck pour les
catholiques; Melanchthon, Bucer et Pistorius pour les protestants. Un
accord semble possible.
Un soir, Veltwyk conduit Bucer chez Contarini. Le dialogue s'engage :
« Combien fécond sera le résultat de l'union, déclare le légat.
– Des deux côtés, nous avons eu des torts, réplique Bucer. Sur certains
points, nous sommes allés trop loin et vous, vous n'avez pas su mettre un
terme aux abus11. »
Mais Melanchthon se montre plus intransigeant qu'il ne l'a été à
Augsbourg : il ne veut pas de compromis sur la question de l'eucharistie.
Granvelle s'emporte et Charles Quint s'en prend à Contarini : « Je ne suis
pas théologien, mais on ne va pas se disputer surla transsubstantiation ! »
Faire échouer les négociations serait une maladresse : il prend à témoin les
princes, se tourne vers Philippe de Hesse.
Ce dernier, sans quitter sa femme, a pris une seconde épouse. Il explique
qu'il « ne trouve rien contre la bigamie dans les Ecritures » ! Il n'est guère
entendu et doit faire face à l'opposition des évêques et des membres de sa
famille. Luther lui a promis son soutien « sous réserve que l'affaire
demeurât secrète12 »... Elle ne peut l'être et Philippe de Hesse a besoin de
l'appui de l'empereur. Pour lui, un accord entre Luther et Charles Quint
serait le bienvenu ! Philippe de Hesse conseille de recourir à l'arbitrage du
Réformateur.
Quand le « groupe des six » remet son rapport, ses conclusions sont
rejetées par les catholiques le 5 juillet et par les protestants la semaine
suivante. Luther ne se laisse pas fléchir par Melanchthon : il rejoint le pape
dans sa condamnation de tout compromis. La déception de Charles Quint
est à la mesure de l'espoir qu'il a placé dans les travaux de la diète :
« On démolit une maison ancienne, dont les pierres peuvent servir à
reconstruire un nouvel édifice. Des abus se sont introduits; ils ont attiré des
attaques sur l'ensemble. Mais il ne faut pas décrier tous les éléments qui
composent la maison 13 ! »
Charles Quint n'est pas un démolisseur. Il cherche à rassembler l'Empire
par des moyens pacifiques. Les Turcs menacent la Hongrie, l'Autriche est
en danger : les Allemands se disputent ! A Vienne, le roi Ferdinand réclame
d'urgence des secours. Oui, répondent les protestants, mais à la condition
que vous nous donniez le droit de pratiquer notre religion !
Il faut conclure. Le 28 juillet, les dernières conversations se tiennent dans
l'Auberge de la Croix d'or, où Charles est descendu. Les conseillers des
deux camps« travaillent jour et nuit à sortir du hallier 14 ». En vain. Le 29
juillet, à quatre heures du matin, les protestants tiennent une ultime réunion
avant la séance de clôture. Ils proposent de nouveaux amendements, que
l'empereur, dans sa volonté d'une solution négociée, accepte15.
Les décisions de Ratisbonne vont beaucoup plus loin que celles de
Nuremberg. Elles protègent les prédicateurs protestants dans les Etats
catholiques, modifient la composition de la Cour d'appel, décident le
principe d'une réforme monastique. Fureur des catholiques ! Par une
déclaration tenue secrète, Charles Quint doit garantir leurs droits et, surtout,
leurs revenus. A dix heures, dans l'hôtel de ville de Ratisbonne, il ouvre la
séance finale; les incidents de procédure se succèdent, les suspensions
aussi. Les catholiques ne veulent rien céder; les protestants se fondent sur
l'accord que l'empereur a donné à leurs amendements. Entre les deux partis,
un texte de compromis est finalement élaboré, qui ne satisfait personne.
Le jour même, l'empereur quitte Ratisbonne. Il a échoué dans sa tentative
de rapprochement, malgré son implication personnelle dans les débats. Pour
l'historien Tyler, la diète de Ratisbonne met fin à « la tentative humaniste de
Charles Quint cherchant à raccommoder la fissure survenue dans l'édifice
de la chrétienté 16 ». Pour l'empereur et ses conseillers, le précepte
d'Erasme, moderatio, mansuetudo, caritas, est plus important que toutes les
précisions théologiques : un texte peut avoir un sens pour une école de
pensée et un autre pour une autre école, dès lors que cette liberté
d'interprétation assure la paix.
Soliman marche sur Vienne et François Ier courtiseles princes
protestants : la guerre menace – et dans les pires conditions. De plus, la
situation financière s'est dégradée et le Trésor doit recourir à des emprunts
que Los Cobos négocie à des taux de plus en plus élevés.
L'empereur regagne l'Espagne : il n'a plus d'argent. Contre le sultan qui
s'avance en Hongrie, il n'a pas les moyens de faire campagne. Il écrit à sa
sœur Marie : « Je ne puis même pas payer ma Cour... »
Il songe alors à une nouvelle expédition en Méditerranée contre
Barberousse : sur le chemin du retour, il irait prendre Alger comme il a
conquis Tunis ! Avec les galères de Doria. La seule guerre qu'il puisse se
permettre est une expédition maritime. Il pense d'ailleurs que François Ier ne
pourra pas reprendre les hostilités s'il part au loin combattre les Infidèles. Il
arrête sa décision, comme s'il voulait mettre fin aux épreuves des derniers
mois et renverser le cours du destin. Il charge Louis de Praet de porter ses
instructions, qu'il précise, selon son habitude, par écrit. Il laisse Naves en
Allemagne et envoie Granvelle en Italie.
Puis, s'arrêtant chaque soir dans une ville différente, il gagne Gênes, où
Doria l'attend. L'équinoxe approche, avec la promesse d'un vent fort et
d'une mer agitée.
L'empereur veut assurer ses arrières : il a besoin, avant de s'embarquer,
du soutien du pape. Il rencontre Paul III à Lucques du 13 au 17 septembre.
Il essaye de le convaincre de lui apporter son appui, mais n'obtient pas
même la condamnation de François Ier, qui a fait arrêter Georges
d'Autriche, alors qu'il traversait la France pour gagner son nouveau diocèse
de Liège17. Le pape déconseille formellement l'expédition
d'Alger.Granvelle commente : « Il veut épargner son argent et sa vie 18 ! »
Dès que les difficultés surgissent, il abandonne l'empereur.
Malgré le mauvais temps, l'impréparation de l'expédition, le retard pris,
Charles Quint s'obstine. Il embarque à La Spezia le 28 septembre 1541. La
mer est grosse, le vent d'ouest souffle : il est malade. Sa galère longe la côte
orientale de la Corse. Le 3 octobre, il s'arrête à Bonifacio.
Le séjour de l'empereur à Bonifacio a été longtemps contesté. Le Diario
del emperador de Cadenas y Vicent, le Journal de Vandenesse, les
recherches que j'ai effectuées dans les archives de Simancas ne laissent
subsister aucun doute : en route pour Alger, Charles Quint a fait une halte
de trois jours à Bonifacio, du lundi 3 au jeudi 6 octobre 154119. Il a logé
dans la maison du comte Catticiolo, s'est reposé, a chassé, puis a rejoint sa
galère dans le golfe de Santa Manza.
Doria se heurte à la difficulté majeure, en un temps très bref, à l'approche
de l'équinoxe d'automne, de rassembler des navires en provenance de tous
les ports de la Méditerranée. Charles Quint doit attendre à Majorque que la
flotte se regroupe, tandis que la mer devient de plus en plus mauvaise ! Les
marins qui connaissent les parages craignent les tempêtes de novembre et
conseillent de reporter l'expédition au printemps.
L'empereur hésite, écrit à son frère : « J'ai perdu trop de temps à
Ratisbonne. Et, à cause des intempéries, je dois encore attendre ! » Doit-il
renoncer ? Il croit en sa bonne fortune, en l'aide de Dieu. Il écrit encore : «
Il ne s'agit pas de se lever tôt le matin, mais bien de se lever à l'heure qu'il
faut et cette heure, elle est dans la main de Dieu20. »
Dans la main de Dieu ! La flotte est en vue d'Alger, mais le vent souffle
si fort qu'elle ne peut approcher de la côte, même à l'abri du cap Matifou.
Le vent tombe le dimanche 23 octobre : les opérations de débarquement
commencent. Mais, dans la nuit du lundi au mardi, la tempête se déchaîne,
démâte les navires, rompt les amarres, disperse la flotte21. Des dizaines de
bateaux coulent, l'un d'eux avec les actes de la chancellerie, qui suit
l'empereur dans tous ses déplacements. A terre, les troupes n'ont ni tentes ni
vivres; la pluie est torrentielle. L'ennemi sort d'Alger, attaque par surprise le
camp du corps expéditionnaire. Les soldats italiens sont novices et se
débandent; seuls résistent les lansquenets allemands.
Le mercredi 26 octobre, la mer se calme : Doria réussit à regrouper une
partie de la flotte, dont l'appui d'artillerie est indispensable pour prendre
Alger. Mais, le jeudi, le vent reprend. Charles décide alors d'abandonner la
partie : il a joué avec le temps et il a perdu ! Les vivres et les munitions
manquent, la poudre est mouillée. Au loin, les vaisseaux de Doria ne sont
d'aucun secours. Parmi les capitaines espagnols, Hernán Cortés, qui a connu
au Mexique des situations plus difficiles, conseille de persévérer. Mais,
découragé, l'empereur renonce et, le mardi 1er novembre, remonte sur sa
galère, vaincu par la tempête.
Il doit attendre à Bougie pendant une semaine une mer favorable : le 2
décembre seulement, il arrive à Carthagène.
Il va consacrer les années 1542 et 1543 aux affaires d'Espagne et des
Indes, se ressourcer une fois encore en Espagne, réfléchir avant de rebondir.
Il rend visite à sa mère à Tordesillas en janvier 1542, fait retraite àPâques au
monastère de la Mejorada22. Il est atteint de la goutte pour la neuvième fois
et, « pour la première, presque dans tous les membres 23 ». Six semaines au
lit ! Quand il se lève, il se traîne une canne à la main. A Marie, il confie : «
J'ai l'air d'un héros 24 ! »
1 Charles Quint, Commentaires, p. 53.
2
Ibid.
3 Karl Brandi, Charles Quint, p. 420.
4 Charles Terrasse, François Ier, tome III, p. 37.
5 Louis-Prosper Gachard, Relation des troubles de Gand sous Charles Quint, p. 249-251.
6 Charles Terrasse, François Ier, tome III, p. 43.
7 Michelet, Renaissance et Réforme : histoire de France au XVIe
siècle, p. 383.
8 Sophie Schneelbalg-Perelmann, Les chasses de Maximilien : les énigmes d'un chef-d'œuvre de
la tapisserie, p. 155-189.
9 Karl Brandi, Charles Quint, p. 442.
10 Charles Quint, Commentaires, p. 55.
11 Karl Brandi, Charles Quint, p. 447.
12 Royall Tyler, L'empereur Charles Quint, p. 95.
13 Karl Brandi, Charles Quint, p. 450.
14
Ibid., p. 452.
15 Royall Tyler note que Charles Quint semble « anticiper sur la technique de Talleyrand de la
négociation continue » (L'empereur Charles Quint, p. 87).
16
Ibid., p. 95.
17 Georges d'Autriche est le fils naturel de l'empereur Maximilien. Archevêque de Valence, le
pape vient de le nommer évêque coadjuteur de Liège : le prince évêque Corneille de Berghes est
malade et l'empereur ne veut pas perdre le contrôle de la principauté. L'arrestation de Georges
d'Autriche est la réponse de François Ier à l'assassinat, sur les rives du Pô en juillet 1541, d'Antonio
de Rincon (cf. chap. X : « Le contrôle de la Méditerranée » ).
18 Dans une lettre adressée de Sienne à l'empereur en novembre 1541 (Karl Brandi, Charles
Quint, p. 470).
19 Vicente de Cadenas y Vicent, Diario del emperador Carlos V, p. 286.
20 Karl Brandi, Charles Quint, p. 459.
21
Expédition de Charles Quint à Alger, en 1541, par un anonyme, récit publié par Louis-Prosper
Gachard et Charles Piot dans la Collection des voyages des souverains des Pays-Bas, tome III, p.
425.
22 Vicente de Cadenas y Vicent, Diario del emperador Carlos V, p. 290.
23 Charles Quint, Commentaires, p. 63.
24 Karl Brandi, Charles Quint, p. 476.
CHAPITRE XII
La paix de Crépy
Anton Fugger l'accueille dans son palais : il n'a guère le choix. Charles
Quint lui a écrit de Nuremberg : « Noble et fidèle ami, nous avons
l'intention de loger chez toi. Nous souhaitons que tu aménages nos
appartements de ton mieux et que tu ne sois pas troublé par la peine que tu
prendras20. »
Charles réside un an dans le palais Fugger, y réunit son Conseil, y tient la
diète. Quand il tombe malade,Anton Fugger lui recommande des décoctions
du «bois des Indes», dont il assure la commercialisation... Une fois encore,
il va payer : les dettes de l'empereur s'accumulent et les soldes des
lansquenets ne sont pas réglées. Mais Anton Fugger a lié son sort à celui de
Charles Quint. Succédant à son oncle Jacob le Riche, mort sans enfant en
1525, il a construit la première institution financière d'Europe. Il accueillera
de nouveau l'empereur chez lui en 1550 et le suivra à Innsbruck : Charles
Quint est son fonds de commerce21.
Charles aime Augsbourg, Ratisbonne, les villes proches de l'Autriche et
de l'Italie : instinctivement, c'est vers elles qu'il se dirige pour prendre ses
décisions. Augsbourg est la ville d'Allemagne où il a passé le plus de
temps : deux ans et neuf mois, presque autant que son grand-père
Maximilien22. C'est aussi celle qu'il a préférée, ville de la Renaissance, de
l'ouverture sur le monde et du luxe du palais Fugger. Après un an de
campagne, de nuits sous la tente ou dans des logis de fortune, il peut goûter
le repos. Son orchestre et son chœur l'ont rejoint : chaque jour, il écoute de
la musique. Titien aussi est du voyage : l'empereur reprend avec lui les
discussions engagées à Bologne, quinze ans auparavant, sur l'évolution de
l'art. A Luis de Ávila, Charles Quint relate ses campagnes; à Guillaume Van
Male, il dicte ses Mémoires. Contrairement à son grand-père Maximilien, il
n'est pas un bâtisseur : il ne croit pas à la pierre, trop engagé dans l'action. Il
croit davantage à l'écriture ou à la peinture pour témoigner de son rôle dans
l'Histoire.
Le 24 février 1548, jour de son anniversaire, Maurice de Saxe vient
s'agenouiller devant lui : CharlesQuint lui confère la dignité d'électeur de
Saxe. Il entend créer une confédération des Etats allemands dirigée par un
gouvernement qui soit en mesure d'appliquer ses décisions.
Il porte une attention particulière à la situation des Pays-Bas : les dix-sept
provinces et la Franche-Comté sont érigées le 26 juin 1548 en Cercle de
Bourgogne. Elles seront partie intégrante de l'Empire, mais ne seront pas
soumises à l'administration et aux juridictions impériales. Dans les diètes
d'Empire, le souverain des Pays-Bas siégera « sur le même pied que
l'archiduc d'Autriche ». Pour les contributions demandées aux Etats de
l'Empire, le Cercle de Bourgogne versera « autant d'argent que deux autres
pays réunis » – et même que trois autres, s'il s'agit d'aller combattre les
Turcs23...
Après Mühlberg, Charles Quint estime que les circonstances – de
nouveau – le servent : Henri VIII est mort le 28 janvier, François Ier le 31
mars 1547. Quant au pape, il hésite toujours, «tiraillé par la peur en même
temps que par l'ambition 24 ». A Trente, le concile écoute les bruits du
monde et attend : la réforme de l'Eglise dépend des rapports de forces en
Europe. Paul III souhaite déplacer la réunion du concile à Bologne. Mais
Trente est ville d'Empire et, selon les promesses faites aux princes
allemands, c'est à Trente que le concile doit siéger : Charles s'oppose au
transfert. Le pape passe outre.
Le 15 mai 1548, Charles Quint définit « la conduite à tenir dans le Saint
Empire en matière confessionnelle » : il reprend, la guerre gagnée, sa
politique traditionnelle de recherche d'un compromis. Un accord entre
catholiques et protestants est-il encore possible ? Le régime intérimaire –
l'Intérim d'Augsbourg –tend à trouver entre les uns et les autres les moyens
d'une coexistence pacifique : le service divin pourra être célébré, sur tout le
territoire allemand, selon l'ancien ou le nouveau rite. Mais l'Intérim
intervient trop tard pour contenir le mouvement historique de la Réforme et
permettre à Charles Quint de réaliser son rêve d'unité.
L'empereur le sait, quand il prend la plume le 16 janvier 1548 pour
rédiger un nouveau testament politique, qu'il destine à son fils Philippe : «
Ma faiblesse et les périls à peine surmontés m'ont fait juger bon de vous
donner les conseils nécessaires en vue de ma mort. »
La controverse de Valladolid
Le malheur de Metz
L'abdication
La retraite
La
mort
1496
20 octobre : Philippe de Habsbourg, dit le Beau, épouse à Lierre Jeanne
d'Aragon.
1498
6 novembre : naissance à Bruxelles de leur premier enfant, Eléonore, qui
sera reine de Portugal, puis reine de France.
1500
24 février : naissance à Gand de leur fils, Charles, qui deviendra Charles
Quint.
20 juillet : mort de Miguel, fils de la sœur aînée de Jeanne d'Aragon : la
mère de Charles devient héritière des royaumes de Castille et d'Aragon.
1501
27 juillet : naissance à Bruxelles d'Isabelle, troisième enfant de Philippe
et de Jeanne, qui sera reine de Danemark.
1502
15 janvier : Philippe et Jeanne arrivent en Espagne.
1503
10 mars : naissance à Alcalá de Henares de Ferdinand, quatrième enfant
de Philippe et de Jeanne, qui sera empereur d'Allemagne.
18 août : mort du pape Alexandre VI Borgia, grand-père du duc de
Candie.
18 octobre : mort du pape Pie III.
1" novembre : le cardinal Jules della Rovere est élu pape : il prend le
nom de Jules II.
1 Les dates retenues dans cette chronologie sont celles du Diario del emperador Carlos V de
Vicente de Cadenas y Vicent – à quelques exceptions près : ainsi, Vicente de Cadenas donne le 24
février 1545 comme date de naissance de don Juan d'Autriche, alors que ce dernier est né le 24
février 1547.
1504
26 novembre : mort à Medina del Campo de la reine Isabelle la
Catholique. Jeanne d'Aragon, mère de Charles Quint, devient reine de
Castille.
1505
15 septembre : naissance à Bruxelles de Marie, cinquième enfant de
Philippe et de Jeanne, qui sera reine de Hongrie et régente des Pays-Bas.
1506
20 mai : mort à Valladolid de Christophe Colomb.
25 septembre : mort à Burgos de Philippe le Beau.
1507
14 janvier : naissance à Torquemada de Catherine, sixième enfant de
Philippe et de Jeanne, qui sera reine de Portugal.
18 mars : l'empereur Maximilien Ier désigne sa fille Marguerite de
Habsbourg, veuve de Philibert de Savoie, comme régente des Pays-Bas et
tutrice de ses petits-enfants.
19 juillet : Charles de Habsbourg – le futur Charles Quint – est proclamé
à Malines duc de Bourgogne et souverain des Pays-Bas.
1509
21 avril : Henri VIII devient roi d'Angleterre.
10 mai : Henri VIII épouse Catherine d'Aragon, fille des Rois
Catholiques et tante de Charles Quint.
1512
11 avril (jour de Pâques) : bataille de Ravenne et mort de Gaston de Foix.
1513
21 février : mort du pape Jules II.
11 mars : le cardinal Jean de Médicis est élu pape : il prend le nom de
Léon X.
15 août : l'empereur Maximilien Ier, allié du roi Henri VIII d'Angleterre,
remporte contre l'armée française la victoire de Guinegate.
15 octobre : traité de Lille entre l'empereur Maximilien Ier, le roi Henri
VIII et le roi Ferdinand le Catholique.
1514
18 mai : Claude de France, fille de Louis XII, épouse François
d'Angoulême, qui deviendra François Ier.
7 octobre : Louis XII épouse Marie d'Angleterre, sœur d'Henri VIII.
1515
1" janvier : mort de Louis XII : François Ier devient roi de France et
prend le titre de duc de Milan.
5 janvier : émancipation à Bruxelles de Charles Quint.
14 septembre : François Ier remporte la victoire de Marignan.
1516
23 janvier : mort à Madrigalejo du roi Ferdinand le Catholique : Charles
Quint devient roi d'Aragon.
18 février : naissance à Greenwich de Marie, fille d'Henri VIII et de
Catherine d'Aragon, qui sera reine d'Angleterre et épousera Philippe II.
13 mars : Charles Quint est proclamé à Bruxelles roi de Castille
(conjointement avec sa mère Jeanne) et roi d'Aragon.
1517
19 septembre : Charles Quint débarque à Villaviciosa (premier séjour en
Espagne).
1" novembre : Luther affiche à Wittenberg ses thèses sur la réforme de
l'Eglise.
25 novembre : Charles Quint, sur la route de Valladolid, rend visite à
Tordesillas à sa mère, la reine Jeanne.
1518
2 février : ouverture des Cortes de Valladolid.
7 juin : mort à Saragosse de Jean Le Sauvage : Mercurino de Gattinara
devient grand chancelier.
1519
12 janvier : mort à Wels de l'empereur Maximilien Ier, grand-père de
Charles Quint.
21 avril : Hernán Cortés débarque au Mexique.
28 juin : Charles Quint est élu à Francfort roi des Romains.
8 novembre : Hernán Cortés s'empare de Tenochtitlán, capitale des
Mexicas.
1520
20 mai : Charles Quint embarque à La Corogne pour les Pays-Bas.
29 juillet : création de la Junte des Comunidades.
1er octobre : avènement du sultan Soliman le Magnifique.
23 octobre : Charles Quint est couronné à Aix-la-Chapelle roi des
Romains.
1" novembre : Hernán Cortés évacue Tenochtitlán (Noche triste).
1521
31 mars : Belgrade tombe aux mains des Turcs.
17 avril : Luther comparaît devant la diète de Worms.
23 avril : les comuneros sont battus à Villalar.
27 avril : mort accidentelle de Magellan dans l'îlot de Mactan.
8 mai : Luther est mis au ban de l'Empire.
28 mai : mort à Worms de Guillaume de Chièvres.
1er décembre : mort du pape Léon X.
1522
9 janvier : Adrien d'Utrecht, ancien précepteur de Charles Quint et régent
d'Espagne, est élu pape : il prend le nom d'Adrien VI.
29 avril : le maréchal de Lautrec est battu à La Bicoque; les Français
perdent le Milanais.
5 juillet : naissance de Marguerite, fille naturelle de Charles Quint, qui
sera duchesse de Parme et régente des Pays-Bas.
16 juillet : Charles Quint débarque à Santander (deuxième séjour en
Espagne).
1er novembre : l'amnistie des comuneros est proclamée à Valladolid.
21 décembre : les Turcs prennent Rhodes.
1523
18 juillet : le duc de Bourbon s'engage au service de Charles Quint.
14 septembre : mort du pape Adrien VI.
19 novembre : le cardinal Jules de Médicis est élu pape : il prend le nom
de Clément VII.
26 décembre : mort à Milan de Prospero Colonna. Les Français perdent à
nouveau Milan.
1524
14 août : le duc de Bourbon met le siège devant Marseille.
26 octobre : François Ier s'empare de Milan.
1525
24 février : François Ier est battu à Pavie et fait prisonnier.
29 août : Louis II de Hongrie, beau-frère de Charles Quint, est tué à la
bataille de Mohács.
1526
14 janvier : François Ier signe le traité de Madrid, par lequel il « restitue »
le duché de Bourgogne à Charles Quint.
10 mars : Charles Quint épouse à Séville Isabelle de Portugal.
17 mars : François I" est libéré. Il remet ses deux fils en otages à Charles
de Lannoy.
1527
6 mai : le duc de Bourbon donne l'assaut à Rome.
21 mai : naissance à Valladolid de Philippe, fils de Charles Quint et
d'Isabelle, le futur Philippe II.
1528
22 janvier : François Ier et Henri VIII déclarent la guerre à Charles Quint.
1" juin : Hernân Cortés est reçu par Charles Quint, qui lui confie le titre
de marquis del Valle de Oaxaca.
16 août : le maréchal de Lautrec meurt du typhus; les Français perdent
Naples.
1529
19 avril : à Spire, les princes et les délégués des villes favorables à la
Réforme « protestent » contre la décision de la diète : l'appellation de «
protestants » leur est donnée.
21 juin : Antonio de Leyva bat le comte de Saint-Pol à Landriano. Les
Français perdent le Milanais.
29 juin : Charles Quint et le pape Clément VII concluent le traité de
Barcelone.
26 juillet : Charles Quint autorise Francisco Pizarro à conquérir le Pérou.
5 août : Louise de Savoie, pour son fils François Ier, et Marguerite de
Savoie, pour son neveu Charles Quint, signent à Cambrai la « paix des
Dames ».
5 octobre : Charles Quint entre à Bologne.
14 octobre : Soliman le Magnifique met le siège devant Vienne.
31 décembre : la «paix de Bologne» est conclue entre Charles Quint et
les Etats italiens.
1530
24 février : Charles Quint est couronné à Bologne empereur par le pape
Clément VII (le jour de son trentième anniversaire).
5 mai : mort à Innsbruck du grand chancelier de Gattinara.
15 juin : Charles Quint entre à Augsbourg (premier séjour de l'empereur
à Augsbourg).
1" décembre : mort à Malines de Marguerite de Savoie, régente des Pays-
Bas.
1531
3 janvier : Charles Quint nomme sa sœur Marie de Hongrie régente des
Pays-Bas.
5 janvier : à Cologne, Ferdinand de Habsbourg, frère cadet de Charles
Quint, est élu roi des Romains.
11 janvier : Ferdinand est couronné à Aix-la-Chapelle (dernier empereur
couronné dans cette ville).
27 février : création de la ligue de Smalkalde entre les princes protestants
et les villes d'Allemagne.
1er octobre : Charles réforme le gouvernement des Pays-Bas.
1532
29 février : Charles Quint arrive à Ratisbonne pour présider la diète.
23 septembre : Charles Quint entre à Vienne en vainqueur (pour son seul
séjour dans la capitale autrichienne).
16 novembre : Francisco Pizarro s'empare de Cajamarca au Pérou; l'Inca
Atahualpa est fait prisonnier.
1533
21 avril : Charles Quint débarque à Rosas (troisième séjour en Espagne).
29 août : l'Inca Atahualpa est exécuté à Cuzco.
1534
25 septembre : mort du pape Clément VII.
13 octobre : le cardinal Alexandre Farnèse est élu pape : il prend le nom
de Paul III.
1535
16 juin : Charles Quint débarque en Tunisie.
24 juin : naissance à Madrid de Jeanne, fille de Charles Quint et
d'Isabelle, qui sera régente d'Espagne.
21 juillet : Charles Quint prend Tunis.
2 novembre : mort à Milan du duc Francesco Sforza.
25 novembre : Charles Quint entre à Naples.
1536
17 avril : Charles Quint prononce devant le pape Paul III le « discours de
Rome ».
25 juillet : Charles Quint engage contre la France la campagne de
Provence.
15 septembre : mort d'Antonio de Leyva.
5 décembre : Charles Quint débarque à Palamos (quatrième séjour en
Espagne).
1537
6 janvier : assassinat à Florence du duc Alexandre de Médicis, époux de
Marguerite d'Autriche.
1538
17 juin : une trêve est conclue à Nice entre Charles Quint, François Ier et
le pape Paul III.
14 juillet : à Aigues-Mortes, Charles Quint rencontre François Ier.
20 juillet : Charles Quint débarque à Barcelone (cinquième séjour en
Espagne).
1539
1er mai : mort à Tolède de l'impératrice Isabelle, épouse de Charles Quint.
27 novembre : Charles Quint arrive en France.
1540
1" janvier : Charles Quint est accueilli à Paris par François Ier.
14 février : Charles Quint réprime la révolte de Gand.
1541
5 avril : Charles Quint ouvre la diète de Ratisbonne avec la volonté de
parvenir à un accord entre catholiques et protestants.
24 juin : Francisco Pizarro est assassiné à Cuzco.
13-17 septembre : Charles Quint rencontre le pape Paul III à Lucques.
28 septembre : Charles Quint embarque à La Spezia à destination
d'Alger.
3-6 octobre : Charles Quint fait escale à Bonifacio.
23 octobre : Charles Quint débarque au cap Matifou.
1er novembre : Charles Quint renonce à prendre Alger.
2 décembre : Charles Quint débarque à Carthagène (sixième séjour en
Espagne).
1542
12 juillet : les troupes françaises envahissent l'Artois et le Luxembourg.
16 septembre : Almagro el Mozo est battu à Chupas au Pérou.
20 novembre : Charles Quint proclame à Barcelone les Lois nouvelles sur
le statut des Indiens.
1543
4 mai : avant de quitter l'Espagne, Charles Quint adresse de nouvelles
instructions à son fils Philippe.
21 juin : Charles Quint rencontre le pape Paul III à Bussetto.
23 août : Charles Quint engage la campagne de Clèves.
4 septembre : le duc Guillaume de Clèves se soumet.
10 novembre : Charles Quint prend Cambrai.
1544
7 juillet : Charles Quint engage la campagne de la Marne.
18 septembre : la paix est signée à Crépy entre Charles Quint et François
Ier.
1545
17 juin : le pape Paul III décide de soutenir Charles Quint dans une
guerre contre les protestants d'Allemagne.
7 juillet : naissance à Valladolid de Carlos, fils de Philippe II et de Marie
de Portugal, suivie le 12 juillet de la mort de Marie.
9 septembre : mort du duc d'Orléans, fils de François Ier, sur lequel
repose l'application du traité de Crépy.
13 décembre : ouverture du concile de Trente.
1546
7 février : mort de Luther à Eisleben.
11 avril-3 août : diète de Ratisbonne. Charles Quint a une liaison avec
Barbara Blomberg.
4 juillet : accord entre le prince Jean-Frédéric de Saxe et le landgrave
Philippe de Hesse contre Charles Quint.
5 juillet : Philippe II devient duc de Milan.
août-décembre : Charles Quint conduit la campagne du Danube contre
les princes protestants.
1547
28 janvier : mort de Henri VIII.
24 février : naissance à Ratisbonne de don Juan d'Autriche.
31 mars : mort de François Ier.
24 avril : victoire de Mühlberg et reddition du prince Jean-Frédéric de
Saxe.
18 juin : soumission à Halle du landgrave Philippe de Hesse.
23 juillet : Charles Quint arrive à Augsbourg pour un séjour d'un an.
1548
16 janvier : testament politique de Charles Quint à l'intention de son fils.
24 février : Maurice de Saxe devient électeur de Saxe (à la place de son
cousin Jean-Frédéric).
10 avril : Pizarro et Francisco Gonzalo de Carvajal sont exécutés après la
bataille de Xaquixaguana. Fin des guerres civiles au Pérou.
15 mai : publication de l'Intérim d'Augsbourg.
26 juin : érection des provinces des Pays-Bas et de la Franche-Comté en
Cercle de Bourgogne.
1549
3 juillet : Charles Quint convoque la conférence de Valladolid.
8 juillet : Philippe est reconnu à Bruxelles prince héritier des Pays-Bas.
10 novembre : mort du pape Paul III.
1550
8 février : le cardinal Ciocchi Del Monte est élu pape : il prend le nom de
Jules III.
juin : sur le Rhin, Charles Quint dicte ses Mémoires à Guillaume Van
Male.
juillet-septembre : première session de la conférence de Valladolid sur «
la question de savoir s'il est licite de faire la guerre aux Indiens ».
8 juillet : Charles Quint arrive à Augsbourg pour un nouveau séjour d'un
an.
27 août : mort à Augsbourg de Nicolas Perrenot de Granvelle.
1551
9 mars : un « pacte de famille » est conclu entre les Habsbourg pour la
succession de Charles Quint.
avril-mai : deuxième session de la conférence de Valladolid.
1er mai : réunion du concile de Trente.
2 novembre : Charles Quint gagne Innsbruck.
1552
15 janvier : le traité de Chambord est conclu entre Henri II et les princes
protestants d'Allemagne.
3 avril : entrée de Maurice de Saxe à Augsbourg.
7 avril : Charles Quint s'enfuit d'Innsbruck une première fois.
18 avril : entrée d'Henri II à Metz.
19 mai : Charles Quint quitte définitivement Innsbruck.
23 mai : entrée de Maurice de Saxe à Innsbruck.
31 juillet : la paix de Passau reconnaît la liberté de religion en
Allemagne.
19 octobre : le duc d'Albe met le siège devant Metz.
26 décembre : Charles Quint renonce à prendre Metz.
décembre : Las Casas publie la Relation de la destruction des Indes.
1553
6 juillet : mort d'Edouard VI, roi d'Angleterre. Marie Tudor devient reine
d'Angleterre.
11 juillet : bataille de Sieverhausen et mort de Maurice de Saxe.
septembre : campagne d'Artois. Henri II refuse le combat.
1554
12 janvier : le traité de Londres prévoit le mariage de Philippe d'Espagne
et de Marie d'Angleterre.
6 juin : cinquième testament de Charles Quint réglant sa succession.
25 juillet : mariage dans la cathédrale de Winchester de Philippe
d'Espagne et de Marie d'Angleterre.
15 août : Charles Quint contraint Henri II à lever le siège de Renty.
1555
21 octobre : Charles Quint remet à Philippe II la maîtrise de l'ordre de la
Toison d'or.
25 octobre : abdication de Charles Quint à Bruxelles.
1556
16 janvier : Charles Quint renonce aux royaumes d'Espagne.
28 septembre : Charles Quint débarque à Laredo (dernier séjour en
Espagne).
1557
3 février : Charles Quint s'installe à Yuste.
10 août : les Espagnols remportent la victoire de Saint-Quentin (en la fête
de Saint-Laurent).
1558
8 janvier : le duc de Guise prend Calais.
18 février : mort à Talaveruela d'Eléonore, reine douairière de France,
sœur aînée de Charles Quint.
12 mars : Ferdinand est élu à Francfort empereur d'Allemagne.
13 juillet : les Espagnols remportent la victoire de Gravelines.
21 septembre (vers deux heures du matin) : mort de Charles Quint à
Yuste.
18 octobre : mort à Cigales de Marie de Hongrie, sœur cadette de Charles
Quint.
LES ASCENDANTS
DE CHARLES QUINT
Charles Quint a abdiqué en octobre 1555 parce qu'il n'était plus en état
d'exercer le pouvoir. La déchéance physique est venue : il l'a jugée
incompatible avec la charge du gouvernement.