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HARLEMAGNE

PHILIPPE
DEPREUX

C
DU MÊME AUTEUR

Prosopographie de l’entourage de Louis le Pieux (781-840),


Sigmaringen, Thorbecke, 1997 (Instrumenta 1).
Les Sociétés occidentales du milieu du VIe à la fin du IXe
siècle, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2002.
Charlemagne. La naissance de l’Europe, Paris, Gallimard
Jeunesse, 2003.
Alcuin, de York à Tours. Écriture, pouvoir et réseaux dans
l’Europe du haut Moyen Âge, sous la direction de Philippe
Depreux et Bruno Judic, Rennes, Presses Universitaires
de Rennes, 2004 (Annales de Bretagne et des Pays de
l’Ouest, tome 111/3, 2004).

DANS LA MÊME COLLECTION

Philippe Auguste, Jean FLORI, 2007.


Saint Louis, Gérard SIVÉRY, 2007.
Philippe IV le Bel, Sylvie LE CLECH, 2007.
François Ier, Sylvie LE CLECH, 2006.
Catherine de Médicis, Ivan CLOULAS, 2007.
Henri IV, Janine GARRISSON, 2006.
Louis XIII, Christian BOUYER, 2006.
Louis XIV, Jean-Christian PETITFILS, 2006.
Louis XV, Catherine SALLES, 2006.
Louis XVI, Guy CHAUSSINAND-NOGARET, 2006.
PHILIPPE DEPREUX

CHARLEMAGNE

et la dynastie carolingienne

TALLANDIER
 Éditions Tallandier, 2007
2, rue Rotrou – 75006 Paris

www.tallandier.com
SOMMAIRE

Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7

Chapitre premier. Les Pippinides au pouvoir (687-768)

Les Pippinides, une famille austrasienne . . . . . . . . . . . . . . . 9


Pépin II et Charles Martel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12
Pépin le Bref, roi des Francs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 18
La mainmise sur l’Aquitaine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21
Le contrôle de l’Église . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24

Chapitre II. Charlemagne (768-814)

Le roi et sa famille . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33
Conquêtes et reconquista . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 40
La soumission de la Saxe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47
Alcuin, maître à penser de Charlemagne . . . . . . . . . . . . . . . 51
La cour d’Aix-la-Chapelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55
Le couronnement impérial . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 58
Charlemagne, roi et empereur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 63

Chapitre III. Louis le Pieux (814-840)

La longue attente du pouvoir . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67


L’enthousiasme des débuts . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 70
6 CHARLEMAGNE

Une politique missionnaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 74


Les forces de la désunion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 77
Le « déshonneur des Francs » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 83

Chapitre IV. Charles le Chauve (840-877)

La guerre civile . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 87
Une monarchie contractuelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93
D’Orléans à Metz . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 96
Faire face aux Vikings . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 102
La chimère impériale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 106

Chapitre V. Le « renouveau du royaume des Francs »


(789-877)

Guider le peuple au salut . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 111


L’importance des études . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 117
Le contrôle du clergé séculier . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 123
Une vie communautaire bien réglée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 126
Les arts au service de Dieu et du roi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 131

Chapitre VI. Les derniers Carolingiens (877-987)

Une période de crise . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 137


Le règne de Charles le Simple . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 140
Louis IV ou l’illusion d’une restauration . . . . . . . . . . . . . . . 145
L’essor des principautés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 149
La fin de la dynastie carolingienne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 153

Généalogies . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 159
Chronologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 167
INTRODUCTION

Le nom des « Carolingiens » vient de celui de « Charles »,


porté par le père de Pépin le Bref, Charles Martel, et par son
fils, Charles « le Grand », c’est-à-dire Charlemagne. Cette
épithète, qui souligne l’importance du souverain sous le nom
de qui cet ouvrage est placé, vise d’abord Charles en tant
qu’empereur, comme en témoigne encore vers 1100 le début
de la Chanson de Roland : « Carles li reis, nostre emperere
magnes ». Mais très tôt, on parla tout simplement de
« Charles le Grand », tel Walahfrid Strabon, peu après 840,
dans son prologue à la Vie de Charlemagne due à Éginhard,
qui vécut à la cour d’Aix-la-Chapelle.
D’aucuns s’étonneront peut-être du poids accordé aux
questions religieuses dans un livre essentiellement consacré
à l’histoire politique. La raison en est simple : il n’existe pas,
alors, de distinction entre ces deux dimensions de la vie
sociale. D’autres s’étonneront de voir figurer les Carolingiens
parmi les rois de France – à juste titre : Charlemagne et sa
famille ne sont ni français, ni allemands. Ce sont des sou-
verains francs, qui régnèrent sur la majeure partie de l’Occi-
dent chrétien. Il n’est toutefois pas inopportun de sacrifier à
la tradition, pour souligner la filiation franque dans laquelle
s’enracine la monarchie française (indépendamment du
« retour à la souche de Charles » du temps de Philippe
Auguste).
À la fin du Moyen Âge, Charlemagne, alors vénéré comme
un saint, était devenu un véritable modèle, comme l’illustrent
divers traités du XIIIe siècle. C’est à cette époque qu’apparut
8 CHARLEMAGNE

aussi le thème des neuf preux : Charlemagne y figure avec


Arthur et Godefroy de Bouillon. Le grand empereur est alors
considéré à l’origine de la monarchie française – Charles V
(1364-1380) ne le fait-il pas représenter sur son sceptre ?
D’ailleurs, depuis la fin du XIIe siècle, l’oriflamme de
Saint-Denis est assimilée à celle de Charlemagne. Vers 1200,
l’Anglais Gervais de Cantorbéry écrit : « Le roi Philippe
emporta l’enseigne du roi Charles, laquelle est en France, du
temps de ce prince jusqu’à nos jours, l’enseigne de mort ou
de victoire. » De même, à partir du XIIIe siècle, l’épée du
sacre gardée à Saint-Denis est réputée celle de Charle-
magne – la « Joyeuse » des chansons de geste. Ce livre n’est
toutefois pas consacré à la légende d’un empereur dont le
prestige tend à occulter les mérites des autres membres de sa
lignée. Au contraire, les pages qui suivent invitent à la décou-
verte de l’histoire du haut Moyen Âge, par l’évocation des
temps carolingiens.
Chapitre premier

LES PIPPINIDES AU POUVOIR


687-768

LES PIPPINIDES, UNE FAMILLE AUSTRASIENNE

Les Mérovingiens régnaient depuis plus de cent ans sur la


Gaule et ses marges lorsque les Pippinides firent leur appa-
rition sur la scène politique. Leur fortune connut des inter-
mittences entre le début du VIIe siècle et 751, lorsque Pépin
le Bref déposa Childéric III, se fit sacrer roi et fonda une
nouvelle dynastie. Cette promotion n’était toutefois pas due
au hasard : elle reposait sur la richesse d’une famille qui sut
se placer à la tête de l’aristocratie austrasienne.

La mairie du palais d’Austrasie


L’Austrasie était, avec la Neustrie et la Burgondie, l’un
des trois royaumes mérovingiens. Ce « royaume de l’Est »,
qui s’est formé vers la fin du VIe siècle, s’étendait du Jura à
la « forêt charbonnière » (du Brabant septentrional à la région
de Cambrai), et de la Marne au Rhin et au Main, jusqu’à la
Thuringe. Ses contours varièrent au cours des siècles, mais
la Meuse et la Moselle constituèrent toujours son centre de
gravité. En 613, le roi mérovingien Clotaire II réunit sous
son autorité l’ensemble des royaumes francs, dont l’Aus-
trasie, où il s’imposa grâce au soutien de certains membres
de l’aristocratie locale ; Pépin Ier, dit « de Landen » († 640),
fut l’un des artisans de son succès. Il en fut récompensé dix
ans plus tard lorsque Clotaire associa au pouvoir son fils,
10 CHARLEMAGNE

Dagobert Ier (le « bon roi Dagobert »), en le faisant roi d’Aus-
trasie. Dagobert Ier fut doté d’un palais autonome, c’est-à-dire
d’un personnel qui le conseillait en matière de gouvernement
et gérait ses domaines. Le responsable de la cour, appelé
« maire du palais », fut Pépin Ier. Son influence déclina tou-
tefois lorsque Dagobert Ier régna sur l’ensemble du territoire
franc (629-639), car le souverain s’entoura de conseillers
neustriens et confia la mairie du palais d’Austrasie à un autre
membre de l’aristocratie de ce royaume vers 633, lorsqu’il y
établit comme roi son tout jeune fils, Sigebert III. Pépin ne
recouvra la mairie du palais qu’à la mort de Dagobert Ier, et
pour quelques mois seulement : il décéda peu après.

Saint Arnoul de Metz


L’autre agent principal du succès de Clotaire II en Austrasie
fut Arnoul. Il avait fait carrière à la cour du roi d’Austrasie,
Théodebert II. Lorsque ce dernier fut assassiné sur l’ordre du
roi Thierry II de Burgondie, Arnoul et Pépin de Landen, redou-
tant l’influence de Brunehaut, favorisèrent la prise du pouvoir
par Clotaire II, alors roi de Neustrie. Arnoul et Pépin Ier
n’étaient pas parents, mais tous deux se trouvent à l’origine de
la dynastie des Pippinides, par le mariage de leurs enfants.
Comme c’était couramment le cas, la carrière d’Arnoul fut
couronnée par l’accession à l’épiscopat : il devint évêque de
Metz en 614. Il conseilla Dagobert Ier. En 629, il se retira dans
les Vosges, à Remiremont, où un monastère avait été fondé par
un moine de Luxeuil. Arnoul vécut ses dernières années en
ermite, au service des malades. Il mourut à Remiremont, mais
sa dépouille fut transportée à Metz quelques années plus tard.
Vers la fin du VIIIe siècle, les Carolingiens favorisèrent son
culte. Des reliques furent déposées en divers endroits, par
exemple à Gorze ou au Mans ; on célébrait un office en son
honneur à Fulda et à Saint-Gall. Quant à Metz, elle devint pour
la famille régnante une sorte de ville sainte.
LES PIPPINIDES AU POUVOIR 11

Saint Amand

Alors que saint Arnoul avait choisi de se retirer du siècle, d’autres


adeptes de la vie monastique, à l’image de saint Colomban,
s’engagèrent dans l’action missionnaire. Tel fut le cas de l’Aquitain
Amand, envoyé par Dagobert Ier dans la région de l’Escaut afin
d’y évangéliser les populations. Avec l’appui du roi et des Pip-
pinides, il fonda plusieurs monastères, notamment à Elnone
(Saint-Amand-les-Eaux) et à Gand. Peu après avoir reçu le siège
épiscopal de Maastricht en 647, il abandonna ses fonctions pour
se consacrer à l’évangélisation des Basques, puis des Slaves de
Carinthie. N’ayant pas obtenu le succès escompté, il se retira à
Elnone, où il mourut vers 676.

Grimoald et Childebert l’Adopté


En 640, le fils de Pépin Ier, Grimoald, devint maire du
palais d’Austrasie, alors que le roi Sigebert III était encore
un enfant. Son destin est associé à celui de Childebert, dit
« l’Adopté » sous les Carolingiens. On a longtemps cru que
Childebert était le fils de Grimoald, qui l’aurait fait adopter
par Sigebert III pour permettre à sa descendance d’accéder à
la royauté. En 656, à la mort du roi, Childebert hérita en effet
de l’ensemble du royaume, au détriment de Dagobert II, le fils
de Sigebert III né après cette adoption ; Dagobert II fut exilé
dans un monastère d’Irlande : c’est ce qu’on a appelé le « coup
d’État » de Grimoald. Quant à ce dernier, il fut exécuté vers
662 aussitôt après la mort de Childebert, sur l’ordre de la veuve
de Sigebert III et du duc Wulfoald. En 679, Dagobert II fut tué
à son tour ; cet événement sonna l’heure du retour aux affaires
des Pippinides, en la personne de Pépin II. La rapidité de ce
retour et le jour assez favorable sous lequel Grimoald est
présenté dans les chroniques ont intrigué les historiens.
Actuellement, certains pensent au contraire que Childebert
était le fils du roi mérovingien et qu’il fut adopté par Grimoald,
un scénario qui fait ressortir encore plus clairement la position
éminente du maire du palais. On voit ainsi que l’analyse des
12 CHARLEMAGNE

sources, peu nombreuses, de cette époque s’avère particuliè-


rement délicate.

Les premiers parmi les grands


Pépin II, dit « de Herstal », était le petit-fils de Pépin Ier
par sa mère et celui d’Arnoul de Metz par son père. Il se
maria avec Plectrude, la fille du comte Hugobert, posses-
sionné dans les vallées du Rhin et de la Moselle. Désormais,
les Pippinides comptaient parmi les plus riches propriétaires
de la région et confirmaient ainsi leur position éminente au
sein de l’aristocratie. Ils constituèrent un patrimoine foncier
important au cœur de l’Austrasie. Leur puissance fit taire les
opposants, qui se mirent à leur service, tels les Widonides,
appelés ainsi car le nom de Gui (Wido en latin) fut souvent
donné aux membres de cette famille.

Les Widonides

Les Widonides sont attestés depuis la fin du VIIe siècle dans la


Moselle moyenne et la Sarre, mais aussi aux alentours de Verdun.
Au début du VIIIe siècle, ils détenaient le siège épiscopal de
Trèves : à Liutwin (vers 705-722/723) succéda son fils Milo,
évêque à la fois de Trèves et de Reims († vers 761/762). Ce
personnage est fort célèbre, car il fut vivement critiqué par saint
Boniface pour avoir considéré les biens de l’Église comme son
propre patrimoine. Au début du IXe siècle, une branche de cette
famille est attestée en Bretagne, où plusieurs de ses membres
exercèrent des fonctions comtales, avant d’émigrer en Italie.

PÉPIN II ET CHARLES MARTEL

Pépin II et son fils Charles furent tous deux appelés


« princes des Francs » par les chroniqueurs du haut Moyen
LES PIPPINIDES AU POUVOIR 13

Âge, qui soulignaient ainsi l’autorité quasi royale dont ils


jouissaient. Ce titre fut reconnu à Pépin II en raison d’une
importante victoire militaire qui le rendit maître de l’en-
semble du monde franc.

La bataille de Tertry
Pépin II, alors seulement maire du palais d’Austrasie, pro-
fita des conflits internes à l’aristocratie de Neustrie, qui,
grosso modo, comprenait les régions entre Loire et Somme :
en 687, certains opposants au maire du palais de ce royaume,
Berchaire, invitèrent le Pippinide à prendre le pouvoir chez
eux. Pépin se rendit en Neustrie à la tête d’une armée ; il
rencontra Berchaire et ses troupes à Tertry, près de Vermand.
Lors de cette bataille, Pépin remporta la victoire et Berchaire
prit la fuite, mais ce n’est qu’après le meurtre de ce dernier,
l’année suivante, que le maire du palais d’Austrasie put gou-
verner sur l’ensemble des territoires francs : il reçut le roi
Thierry III sous sa protection, prit le contrôle de ses trésors
et se fit reconnaître par lui comme unique maire du palais.
Bien que Pépin II mît quelque temps à s’imposer, la bataille
de Tertry fut très tôt considérée comme l’un des tournants de
l’histoire des Pippinides.

Pépin II, maître des trois royaumes


Pépin ne se contenta pas de cette victoire et de l’élargis-
sement de son pouvoir au sud de l’Austrasie : l’une des entre-
prises majeures de son gouvernement fut l’amorce de la
conquête des terres au nord du royaume, dans le delta du
Rhin et au-delà. Dominée par les Frisons, un peuple de mar-
chands et de navigateurs, cette région allait devenir l’un des
principaux axes commerciaux du haut Moyen Âge. Toutefois,
ses succès n’incitèrent pas Pépin II à revendiquer l’autorité
royale. Fort de son pouvoir, en 691, il fut en mesure de choisir
le successeur de Thierry III parmi les fils de ce dernier. Au
lieu de partager le royaume entre les héritiers, le maire du
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palais, qui avait la haute main sur la Neustrie, la Burgondie


et l’Austrasie, imposa un seul roi (Clovis IV, puis son frère
Childebert III et le fils de ce dernier, Dagobert III). On
observe donc un loyalisme envers la famille régnante : mais
le garant de l’unité du royaume était désormais le maire du
palais pippinide.

Charles Martel, maire du palais


À la mort de Pépin II, en 714, une lutte acharnée eut lieu
pour sa succession : les fils qu’il avait eus de Plectrude étant
morts avant leur père, l’héritier était son petit-fils, Théodoald.
Il était soutenu par Plectrude, qui refusait que les richesses
de sa famille tombent aux mains de Charles. En effet, peu
avant sa mort, Pépin II avait privé de ses droits à l’héritage
ce fils qu’il avait eu d’Alpaïde, une concubine.
Pendant plusieurs années, le royaume fut en proie à une
guerre civile. Charles, emprisonné par Plectrude, réussit à
s’échapper et à rassembler des troupes pour combattre les
alliés de sa belle-mère et le parti neustrien, mené par le
nouveau maire du palais, Raganfrid. Charles s’imposa en
Austrasie après plusieurs batailles : à Amblève en 716, puis
à Vincy en 717. L’année suivante, il étendit son autorité sur
la Neustrie, en battant une coalition formée par les troupes
de Raganfrid et celles d’Eudes, le duc d’Aquitaine appelé en
renfort. Grâce à cette victoire, remportée à Soissons en 718,
Charles fut en mesure de s’imposer comme maire du palais
dans l’ensemble du royaume des Francs : ses pouvoirs étaient
désormais les mêmes que ceux de son père.

Charles Martel face aux ducs


Au début du VIIIe siècle, le pouvoir des maires du palais
était effectif seulement en Austrasie et en Neustrie. Partout
ailleurs, en particulier dans les régions allant de la Loire aux
Alpes et aux Pyrénées, les aristocrates locaux tendaient à
exercer de façon autonome le pouvoir initialement reçu du
LES PIPPINIDES AU POUVOIR 15

roi. On observe alors l’émergence de principautés, c’est-à-


dire de territoires gouvernés par une dynastie non royale. Il
pouvait s’agir de principautés épiscopales, comme à Auxerre,
où l’évêque avait les droits comtaux, mais surtout d’entités
régionales, comme l’Aquitaine, la Provence ou la Bavière.
Les personnages qui étaient à la tête de ces territoires sont
tantôt désignés comme des princes, car ils exerçaient l’auto-
rité publique, tantôt comme des ducs : ce titre, qui désigne
un « chef militaire », montre qu’ils devaient bien souvent leur
légitimité à leur vaillance aux combats. C’est également par
les armes qu’ils tentèrent de sauvegarder leur pouvoir face
au maire du palais. Charles Martel multiplia les campagnes
militaires contre eux, moins pour les déposer de manière
systématique et s’emparer de leur pouvoir que pour les forcer
à reconnaître son autorité. C’est ce qu’il fit en Bavière, où,
à deux reprises, il intervint militairement pour imposer son
propre candidat à la succession du duc Théodon, mort en
725. Il profita de l’occasion pour se lier à la famille ducale
en y choisissant sa seconde épouse, Swanahilde. Un peu plus
tard, il mena également ses troupes en Alémanie. Toutefois,
c’est surtout en raison de ses victoires sur les Sarrasins qu’il
fut appelé « Martel » (autrement dit : le Marteau), à partir du
e
IX siècle.

La bataille de Poitiers
Charles Martel poursuivit l’œuvre de Pépin II en soumet-
tant la Frise à son autorité. Depuis 719, la région d’Utrecht
et de Dorestad était définitivement passée sous la domination
franque. En 734, le maire du palais soumit la Frise centrale,
étendant son autorité jusqu’à la région de Groningue ; il s’agit
de la seule expédition militaire des temps carolingiens pour
laquelle nous savons que les Francs mobilisèrent une flotte.
Mais Charles est surtout célèbre pour ses victoires sur les
Sarrasins, notamment celle qu’il remporta en 732, la
« bataille de Poitiers » : par ce fait d’armes, il fut considéré
comme le rempart de la chrétienté contre l’islam. L’enjeu
était surtout symbolique, car les Sarrasins menaçaient de s’en
16 CHARLEMAGNE

prendre à l’un des principaux sanctuaires du monde franc :


la basilique Saint-Martin de Tours. Après s’être rendus maître
de l’Espagne en quelques années à partir de 711, ils organi-
saient périodiquement des raids en Aquitaine. Le duc Eudes,
en 721, avait réussi à leur faire lever le siège de Toulouse ;
mais en 732, il n’était pas parvenu à contenir l’émir Abd
al-Rahman, qui avait poursuivi sa course jusqu’à Poitiers, où
l’église Saint-Hilaire fut incendiée. Eudes appela Charles
Martel à la rescousse. C’est en fait au sud de Châtellerault,
à Moussais-la-Bataille, que le maire du palais mit les enva-
hisseurs en échec, le 25 octobre 732. Ce ne fut pas la seule
victoire de Charles sur les Sarrasins, auxquels il livra égale-
ment bataille dans la vallée du Rhône.

Charles et l’Église
Le succès de Charles Martel tient tout à la fois à ses
victoires militaires et à sa politique religieuse. Le maire du
palais réussit à se faire reconnaître par le pape comme son
seul véritable interlocuteur dans l’espace franc ; Grégoire III
(731-741) est censé lui avoir fait envoyer les clefs du tombeau
de saint Pierre, pour lui signifier qu’il entendait se placer
sous sa protection. Le maire du palais a soutenu l’action
évangélisatrice de Willibrord, l’apôtre de la Frise, et de Boni-
face, un moine originaire du Wessex qui avait qualité de
représentant du pape en Germanie. Paradoxalement, Charles
fut ultérieurement décrié par certains clercs, qui désiraient
lui faire expier en enfer son attitude à l’égard des biens
d’Église, motivée par sa politique militaire. En effet, il avait
attribué à ses vassaux des terres appartenant à des établis-
sements ecclésiastiques, pour rémunérer leur service armé.
Ces biens ou bénéfices, octroyés à la suite d’une « prière »
(d’où leur nom de « précaire »), n’étaient toutefois pas cédés
en pleine propriété.
LES PIPPINIDES AU POUVOIR 17

Pépin le Bref, « adopté » par Liutprand

Vers 737, Charles Martel conclut avec Liutprand, qui régnait sur
le nord de l’Italie depuis 712, une alliance politique : son fils Pépin
(le Bref) fut envoyé à la cour du roi lombard, qui lui coupa les
cheveux et lui offrit des cadeaux, avant de le laisser repartir en
Francie. Il s’agit d’un geste d’adoption : dans son Histoire des
Lombards, rédigée à la fin du VIIIe siècle, Paul Diacre affirme qu’en
lui coupant les cheveux, Liutprand était devenu comme un père
pour Pépin.

Le testament de Charles Martel


Après une vingtaine d’années passées au pouvoir, l’autorité
de Charles Martel était telle qu’il put gouverner, en temps
que maire du palais, sans qu’un roi fût à la tête du royaume.
À la mort de Thierry IV, en 737, le trône demeura vacant
jusqu’en 743. Le roi mérovingien était certes toujours le
dépositaire d’une force religieuse transmise par le sang, le
Mund : c’est en vertu de cette autorité, exprimée par le port
des cheveux longs, que la dynastie s’était maintenue au pou-
voir. Mais la réalité du gouvernement était désormais aux
mains du maire du palais ; l’absence du roi ne faisait donc
pas obstacle au bon fonctionnement de la vie publique. La
vacance du trône ou les relations diplomatiques entretenues
par Charles Martel, par exemple avec le roi des Lombards,
ne sont pas les seules preuves de sa toute-puissance. Charles
avait lui-même pris des dispositions testamentaires. Le par-
tage auquel il procéda montre qu’il considérait que le
royaume lui appartenait en propre : en effet, conformément
à la coutume du partage, il attribua l’Austrasie, l’Alémanie
et la Thuringe à Carloman, et la Neustrie, la Burgondie et la
Provence à Pépin. Grifon, le fils qu’il avait eu de Swanahilde,
devait recevoir quelques comtés. Par ailleurs, il demanda à
se faire inhumer à Saint-Denis, la nécropole mérovingienne
à laquelle Dagobert Ier avait donné un lustre tout particulier.
18 CHARLEMAGNE

C’est donc véritablement un « presque-roi » qui s’éteint à


Quierzy, « emporté par une forte fièvre », le 22 octobre 741.

PÉPIN LE BREF, ROI DES FRANCS

L’événement le plus important dans l’histoire de la famille


pippinide est sans doute le sacre de Pépin le Bref. Cet avè-
nement – en fait, une révolution de palais – fut patiemment
préparé par Pépin, qui profita de la renonciation de son frère
aîné à la mairie du palais pour s’emparer du trône.

L’héritage de Charles Martel


Quand les fils de Charles Martel, Carloman et Pépin le
Bref, étaient parvenus au pouvoir en tant que maires du palais,
aucun roi ne régnait. Ils furent toutefois bien vite contraints
de rétablir un Mérovingien sur le trône, en la personne de
Childéric III, celui-là même que Pépin déposerait en 751. En
effet, peu après la mort de Charles Martel, ses fils durent
faire face à une coalition de princes territoriaux que leur père
n’avait pas réussi à soumettre : Odilon de Bavière et Hunald
d’Aquitaine, auxquels se joignit Théodebald, l’ancien duc des
Alamans. La seule issue pour sauver leur pouvoir était de
s’abriter derrière l’autorité de la dynastie mérovingienne.
D’abord, Carloman et Pépin travaillèrent ensemble au main-
tien d’un pouvoir que leur demi-frère Grifon n’était pas seul
à contester. Son opposition était compréhensible : Carloman
et Pépin avaient voulu le priver de tout héritage, lors du
partage de Vieux-Poitiers, en 742, qui faisait fi de la distinc-
tion entre Austrasie et Neustrie. Carloman eut une politique
militaire active, pour soumettre les ducs nationaux au sein
du royaume ; en 746, il remporta une importante victoire en
Alémanie, à Cannstatt (actuellement, il s’agit d’un quartier
de Stuttgart). La situation était très tendue dans ce duché,
comme le prouve l’histoire de l’abbaye de Saint-Gall (en
LES PIPPINIDES AU POUVOIR 19

Suisse), à laquelle nombre d’opposants à la domination


franque avaient fait donation de biens pour les mettre à l’abri,
grâce à la mainmorte, et les recouvrer à titre de précaire. Ces
largesses excitèrent la convoitise de comtes de la région,
Warin et Ruthard, qui réussirent à faire emprisonner l’abbé
Otmar. Cette anecdote illustre les tensions suscitées par la
domination franque sur les régions périphériques. Carloman
entreprit également de consolider les confins septentrionaux
du royaume, en menant quelques campagnes contre les
Saxons, prélude aux conquêtes de Charlemagne.

La conversion de Carloman
En dépit de la qualité du gouvernement de Carloman, c’est
Pépin le Bref qui récolta les fruits de la politique à laquelle
il avait été étroitement associé. En effet, en 747, Carloman
renonça au pouvoir pour se faire moine et il se retira en
l’abbaye du Mont-Cassin, au sud du Latium, qui avait été
fondée vers 529 par saint Benoît de Nursie ; cet établisse-
ment, qui avait été détruit par les Lombards à la fin du
e e
VI siècle, fut restauré au début du VIII siècle grâce à l’appui
de la papauté, qui lui accorda l’exemption, c’est-à-dire le
privilège de dépendre directement du Saint-Siège. Le rayon-
nement de ce monastère, qui contribua à la diffusion de l’ob-
servance bénédictine dans la seconde moitié du VIIIe siècle,
est illustré par le séjour qu’y firent également d’autres hôtes
de marque, tels Sturmi, l’abbé de Fulda, ou Adalhard,
petit-fils de Charles Martel et futur abbé de Corbie.
Le fils de Carloman, Drogon, devait succéder à son père,
mais son oncle, Pépin, l’évinça dans des conditions obscures.
Les raisons profondes du choix de Carloman nous échappent :
peut-être réalisa-t-il le désir de son cœur. Il n’est cependant
pas exclu que Pépin l’ait convaincu de s’effacer – comme le
note un contemporain, le pouvoir de Pépin fut renforcé par
cette succession. Toujours est-il que Carloman tenta ensuite
de s’opposer à la politique d’alliance entre son frère et le
pape Étienne II. Il fut empêché de se rendre à la cour et
retenu à Vienne, où il mourut le 17 août 754.
20 CHARLEMAGNE

Le sacre de Pépin
Pépin exerçait le pouvoir depuis presque dix ans lorsqu’il
envoya à Rome une ambassade composée de Burchard, évêque
de Würzburg, et du chapelain Fulrad, afin de demander au pape
Zacharie son avis sur la situation politique dans le royaume
des Francs. Le pape répondit qu’il valait mieux appeler roi
celui qui en avait la puissance, plutôt que celui qui en était
dénué. Ainsi, pour que l’ordre ne fût pas troublé, il ordonna
que Pépin fût fait roi. On a ici l’illustration de la conception
médiévale d’un ordre établi par Dieu, qui régit les rapports
sociaux. Quant à la composition de l’ambassade, elle résume
les aspects essentiels de la donne politique d’alors : Fulrad est
issu d’une famille ayant de riches propriétés entre Meuse et
Moselle et liée depuis longtemps aux Pippinides ; quant à Bur-
chard, il s’agit d’un Anglo-Saxon, collaborateur de Boniface
qui l’a nommé évêque de Würzburg en 742. Cette ambassade
rappelle donc le poids de l’aristocratie austrasienne et le sou-
tien apporté par les Pippinides à l’entreprise d’évangélisation
menée par les missionnaires anglo-saxons. Fort de la bénédic-
tion du pape, le maire du palais fit tonsurer le roi Childéric III :
par ce geste, il privait ce « roi chevelu » du pouvoir. Pépin le
Bref se fit élire roi à Soissons, en novembre 751, et acclamer
par les grands du royaume.
C’est également là qu’il reçut l’onction royale de la main
de plusieurs évêques. L’acte liturgique du sacre était une
nouveauté dans le monde franc, bien qu’il fut connu dans
l’Espagne wisigothique ; il se fondait sur un précédent
biblique : l’onction que David avait reçue du prophète
Samuel. Désormais, la vigueur royale n’appartenait plus aux
Mérovingiens en vertu de leur sang, mais à la famille choisie
par Dieu.
Ce récit classique, qui correspond à la vulgate historiogra-
phique, est actuellement remis en question par certains his-
toriens, qui arguent du fait que les sources – rédigées pour
la plupart environ une génération après les événements –
avaient pour principale raison d’être de légitimer le pouvoir
LES PIPPINIDES AU POUVOIR 21

carolingien en en défendant la sacralité chrétienne, alors qu’il


n’y aurait pas eu de réelle solution de continuité entre les
traditions royales mérovingiennes et le mode d’accession au
pouvoir des Carolingiens. Il semble en effet que l’élection de
Pépin, rendue possible parce que le pape aurait délié les sujets
du roi mérovingien de leur serment de fidélité à son égard,
ne différait pas fondamentalement de ce qui se pratiquait
auparavant ; quant au sacre, il avait pour modèle la liturgie
romaine de la confirmation.

La naissance d’une dynastie


Déjà en 751, le soutien accordé à Pépin par la papauté avait
été dicté par la recherche d’un protecteur. Par la suite, la situa-
tion en Italie s’aggrava : Aistulf, roi des Lombards, menaçait
Rome après s’en être pris à Ravenne. Tout recours au maître
de ces territoires, l’empereur byzantin, étant vain, c’est vers
Pépin que se tourna Étienne II, qui se rendit en Gaule au début
de l’année 754 : pour la première fois, un évêque de Rome
franchissait les Alpes. Le pape demanda au roi de prendre les
armes contre les Lombards pour soutenir la papauté. Il s’agit
d’un des tournants majeurs de l’histoire de l’Occident. En
échange, Pépin fut à nouveau sacré, par le pape cette fois, à
Saint-Denis. Ses fils, âgés de sept et trois ans, furent aussi sacrés
et son épouse, Bertrade (ou Berthe), bénie. Cette innovation
devait s’avérer décisive : certes, les rois mérovingiens avaient
pu associer un fils au pouvoir, mais ils ne faisaient pas bénir la
reine. Ainsi, c’est par la cérémonie de 754, lors de laquelle le
pape est censé avoir interdit le choix d’un roi dans une autre
famille, que fut instaurée la dynastie des Carolingiens.

LA MAINMISE SUR L’AQUITAINE

Les Mérovingiens du VIe siècle avaient été attirés par le


sud. Au siècle suivant, les rois et les maires du palais
22 CHARLEMAGNE

d’Austrasie saisirent l’intérêt économique et politique de la


mer du Nord. Cela offrit un répit relatif à l’aristocratie d’Aqui-
taine. Mais, au VIIIe siècle, Charles Martel et ses fils voulurent
la soumettre à leur autorité. L’Aquitaine connut un sort parti-
culier, en raison de son passé prestigieux et de la difficulté que
les nouveaux maîtres du monde franc éprouvèrent dans le
contrôle de cette région, très vite promue au rang de royaume.
Avec la Neustrie, elle forme l’élément constitutif de ce qu’on
appellera plus tard la « Francie occidentale ».

De Clovis à Charles Martel


Une fois passée sous la domination franque du temps de
Clovis, à la suite de la bataille qu’il remporta sur le Wisigoth
Alaric II à Vouillé, en 507, l’Aquitaine perdit son autonomie :
elle fut systématiquement partagée entre les héritiers du
royaume, en raison des risques politiques que supposait le
respect de son intégrité et des richesses qu’elle recelait – son
dépeçage permit ainsi d’équilibrer les lots au moment des
divers partages territoriaux. Ce n’est qu’à l’occasion de
l’attribution d’un royaume à Charibert, frère de Dagobert Ier,
qu’il y eut un roi de Toulouse, entre 629 et 632. Un jalon
était posé pour la résurgence d’une entité politico-militaire
au sud du royaume des Francs : le premier duc d’Aquitaine,
Loup, est attesté vers 672. La zone d’influence du duché de
Toulouse s’étendit jusqu’en Poitou et en Berry. En 718, le
duc Eudes fut reconnu comme « prince » par Chilpéric II et
le maire du palais de Neustrie, Raganfrid, qui cherchait un
appui au sud dans le combat politique qui l’opposait à Charles
Martel. Une fois ce dernier solidement installé au pouvoir,
Eudes lui demanda son aide pour arrêter les Arabes. Après
avoir mis le pied en Aquitaine, Charles Martel tenta de s’y
imposer ; mais c’est son fils Pépin qui devait y parvenir, au
terme d’une longue entreprise de contournement et d’isole-
ment de ce territoire.
LES PIPPINIDES AU POUVOIR 23

La conquête de la Septimanie
Alors que l’Aquitaine fut conquise par les Francs en 507,
la Septimanie (c’est-à-dire, grosso modo, le Languedoc et le
Roussillon) demeura une partie du royaume wisigothique
jusqu’à son effondrement au début du VIIIe siècle. C’est alors
que les maires du palais francs tentèrent de l’arracher aux
musulmans, qui avaient installé un wali à Narbonne. Dès 737,
Charles Martel tenta plusieurs offensives – en vain. Son fils,
Pépin, réussit pour sa part à s’emparer de la Septimanie :
après plusieurs années d’efforts, les Francs entrèrent à Nar-
bonne en 759. Cette victoire avait une portée stratégique car
elle isolait l’Aquitaine, vers laquelle les efforts allaient se
concentrer.

L’Aquitaine en état de siège


Trois ans après la bataille de Poitiers, Charles Martel avait
bien essayé de profiter de la mort d’Eudes, en 735, pour faire
main basse sur l’Aquitaine. Il réussit tout au plus à imposer
à Hunald, le fils du prince défunt, un lien de subordination
relativement fragile. Mais le duc se rebella en 745 ; Pépin le
Bref et Carloman le forcèrent à abdiquer en faveur de son
fils, Waïfre, qui devait s’avérer plus tard un adversaire
coriace. Les campagnes d’Aquitaine sont les principales
entreprises militaires de Pépin le Bref, après les expéditions
d’Italie et les campagnes en Septimanie ; elles mobilisèrent
toute son énergie durant ses dernières années de règne. Il
intervint en Aquitaine sous prétexte de défendre les biens de
l’Église : un chroniqueur partisan du roi des Francs affirme
même que c’est « contraint et forcé » qu’il eut recours aux
armes, pour amener le duc à raison ! De 760 à 768, chaque
année connut son lot de sièges et de dévastations, jusqu’à ce
que Waïfre soit assassiné par certains de ses hommes agissant
pour le compte du roi franc. Ce n’est qu’à la faveur de cette
trahison que Pépin put imposer son autorité en Aquitaine, en
organisant un triomphe à Saintes. Le roi plaça des comtes
francs dans les cités d’Aquitaine. Néanmoins, cette région
24 CHARLEMAGNE

demeura longtemps peu sûre. C’est ce qu’illustre, une géné-


ration plus tard, la nécessité dans laquelle Charlemagne se
trouva de destituer de nombreux agents publics après la
défaite de Roncevaux et de procéder à une vague de nouvelles
nominations de comtes, d’abbés et autres vassaux : le roi
remplaça ainsi les comtes de Bourges et de Poitiers, du Péri-
gord, d’Auvergne et du Velay, de Toulouse et de Bordeaux,
de l’Albigeois et de Limoges.

Une identité respectée


En dépit de la domination franque, la législation wisigo-
thique (c’est-à-dire essentiellement romaine) resta en vigueur
en Aquitaine : on eut toujours recours au Bréviaire d’Alaric.
Cette compilation de droit romain avait été promulguée en 506
par le roi Alaric II. C’est par elle que furent entretenues en
Gaule les traditions juridiques du Code théodosien (qui date
de 438) jusqu’à la fin du XIe siècle et la redécouverte du droit
justinien (durant le haut Moyen Âge, le monument juridique
promulgué par l’empereur Justinien Ier en 533/4 – le Corpus
iuris civilis – ne fut guère appliqué qu’en Orient, du fait de la
séparation politique de l’Occident d’avec Byzance). Ainsi,
lorsqu’il soumit définitivement l’Aquitaine, Pépin le Bref dut
garantir à la population « romaine » le respect de ses droits.
C’est ce que prouve un capitulaire promulgué par le roi dans
le cadre d’une assemblée politique. Dans ce document régle-
mentaire, il fut en effet précisé que chacun, qu’il soit
« Romain » ou « Salien » (c’est-à-dire Franc), vivrait selon sa
propre loi ; les actes juridiques et les jugements le concernant
devraient donc se conformer au droit de son peuple.

LE CONTRÔLE DE L’ÉGLISE

Le succès des Pippinides est dû, pour une large part, à


l’appui qu’ils obtinrent de l’Église, en raison du soutien qu’ils
LES PIPPINIDES AU POUVOIR 25

apportèrent aux entreprises missionnaires et, vers le milieu


du VIIIe siècle, à la réforme du clergé. En matière religieuse,
Carloman fut certainement plus énergique que son frère, qui
n’eut d’autre choix que de lui emboîter le pas. Leur action
s’ancrait cependant dans une tradition déjà bien établie de
protection des clercs, à la fois en tant que membres d’une
grande famille aristocratique et en tant que princes.

Un réseau de monastères
Dans la société d’alors, l’attitude des grands aristocrates
face au clergé, chargé de prier Dieu pour eux, constituait un
élément essentiel de la vie politique. À cette époque, la vie
monastique était caractérisée par une grande diversité de
règles, dans lesquelles les traditions irlandaises importées par
saint Colomban étaient cependant prépondérantes.
Les Pippinides s’appuyèrent sur plusieurs monastères,
auxquels ils apportaient une dotation foncière ; en contre-
partie, ils nommaient le responsable de ces véritables lieux
de pouvoir, dans lesquels on entretenait le souvenir des
défunts fondateurs et bienfaiteurs. L’un des établissements
les plus célèbres est celui de Nivelles, fondé vers 650 par
saint Amand et Itte, la veuve de Pépin de Landen, dont la
première abbesse fut leur fille Gertrude. Il s’agissait d’un
monastère double (comprenant une communauté d’hommes
et une autre de femmes), particulièrement typique, avec les
établissements purement féminins, des monastères « privés »,
sur lesquels la famille du fondateur exerçait protection et
contrôle. Un peu plus tard, vers 690, Begga, l’autre fille de
Pépin de Landen, devenue alors veuve d’Ansegisel, fonda le
monastère féminin d’Andenne.
Parmi les monastères accueillant des communautés
d’hommes, on peut citer celui d’Echternach, fondé grâce à
une donation faite par Irmina, abbesse d’Œren (à Trèves), à
Willibrord en 697/698. Irmina était vraisemblablement la
mère de Plectrude. En 706, Willibrord reçut le reste de la
villa d’Echternach de Plectrude et de Pépin II, pour construire
un véritable monastère. Celui-ci devint un établissement royal
26 CHARLEMAGNE

à l’avènement de Pépin le Bref et jouit du privilège d’immu-


nité, par lequel il était fait interdiction aux agents publics
d’exercer leurs pouvoirs sur les terres du bénéficiaire, les
pouvoirs publics étant délégués à ce dernier.

Le soutien de la mission
La conversion au christianisme est un processus sans fin,
qui, pendant tout le Moyen Âge, marque l’histoire des cam-
pagnes de l’Occident. Sous les Pippinides, l’accent fut
d’abord surtout mis, pour des raisons géopolitiques, sur la
conversion (liée à la soumission) des peuples voisins. Pour
les missionnaires, l’attrait de ces régions était d’autant plus
important que le risque (ou, à leurs yeux, la chance) était
grand d’encourir le martyre. Vers la fin du VIIe siècle et au
e
VIII siècle, la Frise et la Saxe furent donc sillonnées par des
missionnaires originaires d’Angleterre qui venaient évangé-
liser la terre de leurs ancêtres dans un esprit d’ascèse typique
de la spiritualité insulaire (il s’agit d’une forme de la vie
monastique bien connue sur le continent depuis l’époque de
Colomban : la « pérégrination pour le Christ »). Ces ini-
tiatives personnelles de ceux que les sources de l’époque
appellent des « athlètes de Dieu » reçurent l’appui du pouvoir
séculier franc, qui s’en servit pour étendre son autorité sur
les populations voisines, encore païennes. C’est ainsi que
Willibrord († 739) bénéficia du soutien de Pépin II lorsqu’il
entreprit d’évangéliser les Frisons, vers 690, et qu’il fonda le
siège épiscopal d’Utrecht à cette fin. Son disciple, Winfrid
(† 754), est plus connu sous le nom de Boniface, qu’il reçut
du pape Grégoire II en 719, lorsqu’il fut officiellement chargé
de la mission en Germanie. Boniface fut ordonné évêque en
722 et, dix ans plus tard, il reçut le pallium (une sorte
d’écharpe de laine munie de croix) des mains mêmes de
Grégoire III, qui lui conférait ainsi autorité sur la Germanie.
Avec l’appui de Charles Martel, Boniface y mit en place les
structures ecclésiastiques, fondant les diocèses de Würzburg,
d’Erfurt et de Büraburg, près de Fritzlar. Nommé légat
du pape à l’issue d’un troisième pèlerinage à Rome, en 738,
LES PIPPINIDES AU POUVOIR 27

Boniface exerça également son autorité sur les diocèses de


Bavière. Willibrord et Boniface comptent parmi les évangé-
lisateurs les plus liés aux Pippinides et les plus célèbres ; ils
n’éclipsent cependant pas d’autres personnages, tel Pirmin
(† 755), qui bénéficia de l’appui de Charles Martel en 724
pour fonder l’abbaye de Reichenau (sur le lac de Constance)
et fonda le monastère lorrain de Hornbach vers la fin de sa
vie.

Fulda

L’abbaye de Fulda fut fondée en 744 près de la rivière du même


nom (l’un des deux affluents à l’origine de la Weser) par Sturmi,
un disciple de saint Boniface ; c’est là que l’apôtre de la Germanie,
qui subit le martyre en Frise en 754, fut inhumé. Cet établissement
d’observance bénédictine connut un rapide succès dans la
seconde moitié du VIIIe siècle, grâce aux privilèges d’exemption
et d’immunité qui lui furent accordés par la papauté et le pouvoir
royal. Au IXe siècle, Fulda devint l’un des meilleurs centres d’ensei-
gnement du monde franc, grâce à la présence de Raban Maur.

Les conciles réformateurs


Carloman a soutenu la réforme morale du clergé menée par
Boniface, qui dénonçait le comportement profane de certains
évêques ou l’ignorance du clergé, dont un exemple célèbre est
fourni par un certain prêtre qui baptisait « au nom de la patrie,
de la fille et du Saint-Esprit ». Pour mener à bien la réforme
du clergé et des structures ecclésiastiques, l’apôtre de la Ger-
manie fit convoquer des conciles par le maire du palais dont il
dépendait – selon Boniface, la vie ecclésiale s’était à ce point
détériorée qu’aucun concile n’avait été réuni depuis quatre-
vingts ans. Aussi plusieurs assemblées furent-elles réunies par
Carloman, à commencer par le « concile germanique » de 743
(dont on ignore le lieu), lors duquel le maire du palais
s’engagea à ce que chaque diocèse fût réellement dirigé par un
28 CHARLEMAGNE

évêque et à ce que tous les évêques du royaume fussent placés


sous l’autorité de Boniface. Pépin le Bref se trouva contraint
d’imiter son frère en réunissant un concile à Soissons, en 744.
Les actes des conciles de cette époque se ressemblent beau-
coup : il s’agit bien souvent de la reprise des canons de
conciles plus anciens, exhortant les clercs à faire preuve d’une
irréprochable moralité et à respecter les rites dans l’adminis-
tration des sacrements. En 743, les Pères du concile dénoncè-
rent aussi divers usages superstitieux, auxquels on s’adonnait
dans les campagnes. Ils nous sont également connus par une
liste de pratiques condamnées à l’occasion du concile des
Estinnes, réuni à l’initiative de Carloman en 744 : il y est
question du port d’amulettes, de la consultation d’augures, de
la vénération de sources, de repas pris sur les tombes des
défunts, ou encore des hurlements poussés lors des éclipses de
lune, pour aider l’astre à vaincre l’ombre qui le gagne. L’éra-
dication de ces pratiques dites païennes est l’une des entre-
prises les plus longues et les plus difficiles de l’histoire reli-
gieuse de l’Occident.

L’œuvre de Chrodegang
Cette action réformatrice de Boniface fut poursuivie par
Chrodegang de Metz († 766), l’un des membres de la haute
aristocratie austrasienne (son parent, le comte Cancor, fonda
vers 762/763 le monastère de Lorsch). Il avait été référen-
daire, c’est-à-dire en quelque sorte chancelier, au palais de
Charles Martel, avant de devenir évêque de Metz en 742. À
la mort de Boniface (en 754), il reçut la dignité d’archevêque.
Il jouissait de la primauté au sein du clergé franc ; en tant
que seul détenteur du pallium, il assumait la responsabilité
de convoquer les conciles et d’ordonner les évêques.
Chrodegang poursuivit cette politique de réunion de
conciles : à Ver en 755, à Verberie en 756, à Compiègne en
757, à Attigny en 762. Lors de cette dernière assemblée, les
participants conclurent un engagement réciproque, celui de
prier les uns pour les autres lorsque l’un d’eux viendrait à
mourir : dans les décennies suivantes, ce genre d’association
LES PIPPINIDES AU POUVOIR 29

de prière, qui donnait lieu à l’établissement de listes et à la


rédaction de « livres de fraternité » ou « livres de Vie », devait
s’imposer comme l’une des manières les plus prisées, notam-
ment dans le monde monastique, d’entretenir la mémoire des
défunts et d’associer dans une même communauté les vivants
et les morts. À partir de Metz, Chrodegang introduisit les
usages romains dans la liturgie du monde franc, notamment
en matière de chant. Politiquement, cette romanisation n’était
pas neutre, car elle renforçait le prestige de la papauté tout
en faisant des usages de Rome la norme pour l’Occident – à
cette époque, en effet, la primauté de l’évêque de Rome était
toute relative. Par ailleurs, Chrodegang rédigea pour son
clergé cathédral une règle qui lui imposait la vie communau-
taire. La politique de réforme du clergé était donc engagée
depuis longtemps lorsque Charlemagne promulgua l’Admo-
nitio generalis de 789, le grand capitulaire réformateur dont
il sera question plus tard.

Le Patrimoine de saint Pierre


À la suite du sacre célébré à Saint-Denis, le roi des Francs
était devenu le débiteur du pape : il lui devait l’établissement
au pouvoir de sa dynastie. À sa demande, Pépin organisa une
campagne militaire dès 754, lors de laquelle le roi lombard
Aistulf promit de rendre les terres qu’il avait envahies. Face
à sa mauvaise volonté, Pépin ordonna une seconde campagne
en 756, au cours de laquelle vingt-deux cités furent remises
au pape, au détriment de l’empereur byzantin : c’est l’abbé
Fulrad qui déposa leurs clefs sur l’autel de Saint-Pierre. Pépin
fit alors une donation perpétuelle, qui est à l’origine des États
pontificaux, le « Patrimoine de saint Pierre » : ce terri-
toire – en fait un conglomérat de cités – coupait l’Italie des
côtes nord-ouest de la mer Adriatique jusqu’au Latium.
Désormais, les rois francs seraient tenus de défendre ce
que Constantin était censé avoir autrefois offert au pape Syl-
vestre par un acte de donation, réalisé en fait vers le milieu
du VIIIe siècle, et qui est l’un des faux les plus célèbres du
30 CHARLEMAGNE

Moyen Âge. Plusieurs souverains, tels Louis le Pieux ou


Otton Ier, confirmèrent ce privilège de l’Église de Rome.

Saint-Denis et les Pippinides


L’abbaye de Saint-Denis joua un rôle important pour la
dynastie carolingienne. Cet établissement, dont la fondation
remonte à l’Antiquité tardive, jouissait d’un grand prestige à
l’époque mérovingienne. Il s’agissait d’une basilique funé-
raire comme il en existait aux portes de toutes les cités ; son
originalité vient du fait que plusieurs rois et reines s’y firent
inhumer à partir du VIe siècle, tels la reine Arnegonde (vers
565) ou le roi Dagobert Ier (en 639), l’un des principaux
bienfaiteurs de Saint-Denis. Le soutien que ce prestigieux
monastère apporta à la nouvelle dynastie est illustré par
l’inhumation de Charles Martel en ses murs. Qui plus est, le
chapelain Fulrad reçut l’abbatiat de Saint-Denis en récom-
pense du voyage qu’il avait entrepris jusqu’à Rome pour
demander l’appui du pape Zacharie. Un acte du maire du
palais datant des mois précédant le sacre de 751 montre
quelles tractations eurent alors lieu : Pépin le Bref, qui avait
été éduqué dans ce monastère et reconnaissait en saint Denis
son patron spécial, confirma l’intégrité du patrimoine foncier
de l’abbaye en échange de la prière des moines pour lui-
même et ses fils, ainsi que pour la stabilité et la prospérité
du royaume. On ne peut mieux montrer l’enchevêtrement des
enjeux spirituels et temporels.

Saint-Denis, nécropole carolingienne


Comme nous l’avons vu, le second sacre de Pépin en 754
eut lieu à Saint-Denis. C’est sous son règne que l’abbé Fulrad
commença les travaux d’agrandissement de l’église, par la
construction de deux absides « à la manière romaine » : la
crypte située à l’est devait abriter les reliques de saint Denis
et de ses compagnons, Rustique et Éleuthère ; la crypte occi-
dentale devait recevoir la dépouille de Pépin le Bref. De fait,
LES PIPPINIDES AU POUVOIR 31

Saint-Denis fut la nécropole de la dynastie naissante : non


seulement Charles Martel y reposait déjà, mais Pépin et son
épouse, Berthe, y furent inhumés.
En 769, Charlemagne émit également le souhait d’y
trouver son dernier repos ; mais son vœu ne fut pas respecté
en 814 (si tant est que l’empereur n’ait pas lui-même changé
d’avis après son installation au palais d’Aix-la-Chapelle).
Saint-Denis devait toutefois accueillir encore la dépouille de
certains souverains carolingiens du IXe siècle (Charles le
Chauve, Louis III et Carloman) ; ce n’est que plus tard qu’elle
s’imposerait comme la nécropole royale française.
Chapitre II

CHARLEMAGNE
768-814

LE ROI ET SA FAMILLE

Lorsque Pépin le Bref mourut, le 24 septembre 768, il avait


autorité sur l’ensemble des territoires allant des Pyrénées à
la Frise et à la Thuringe, à l’exception de la Bretagne (sur
laquelle les Francs n’étaient jamais réellement parvenus à
s’imposer) et de la Saxe, alors païenne. La succession du
premier souverain carolingien ne posait pas de problème. Dès
le 9 octobre, ses fils furent acclamés par les grands de leurs
royaumes respectifs : Charles, l’aîné, le fut à Noyon et Car-
loman, à Soissons.

Des frères rivaux


En dépit de la tradition franque de partage du territoire,
l’intégrité de l’héritage paternel fut finalement préservée, à
la fois par le fait du hasard et en raison de calculs politiques.
C’est ce que nous allons voir en évoquant les relations de
Charlemagne avec les membres de sa famille, directement
liées au contexte politique.
Les premières années du règne de Charlemagne furent très
marquées par sa mésentente avec son frère Carloman. Chacun
avait en effet reçu non pas un royaume homogène, mais des
territoires formés arbitrairement selon un découpage qui attri-
buait à chaque lot une partie d’Aquitaine, de Neustrie et
d’Austrasie ; cela explique la forme particulière du territoire
34 CHARLEMAGNE

de Charlemagne, qui encerclait celui de Carloman des


Pyrénées à la Thuringe en bénéficiant de toute la façade
maritime. Pépin le Bref avait partagé le royaume ainsi afin
de condamner ses héritiers à s’entendre pour gouverner. Son
pari fut vite voué à l’échec, notamment en raison du refus de
Carloman de coopérer avec Charles dans la répression d’une
révolte en Aquitaine, où l’ancien duc Hunald avait tenté de
profiter de la division du pouvoir pour secouer le joug caro-
lingien. La mort inattendue de Carloman, le 4 décembre 771,
fut une aubaine pour Charlemagne, qui se montra un oncle
aussi avide de pouvoir que son père : il se fit acclamer roi
par les grands du royaume de son frère, dont la veuve et les
fils se réfugièrent à la cour lombarde, où le roi Didier
défendit un bref moment leurs droits. Mais, pour l’aristo-
cratie, Charlemagne était dès lors le seul maître du royaume
des Francs.

Un prince de haute stature


Charles mérite bien son surnom de « grand », car il l’était
physiquement. Sportif, il appréciait l’équitation, la chasse et
la natation, et jouissait d’une santé robuste. Celui qu’on
appellerait « l’empereur à la barbe fleurie » n’avait sans doute
qu’une simple moustache, à la mode franque. Il portait
d’ailleurs les vêtements typiques des Francs et n’endossait
que rarement des habits d’apparat, brodés d’or et de pier-
reries : la plupart du temps, il était vêtu, comme tout un
chacun, d’un caleçon et d’une chemise de lin sur laquelle il
portait une tunique bordée de soie. Les jambes et les pieds
étaient entourés de bandelettes. Ce costume était complété
d’une fourrure en hiver. Le roi était toujours armé d’un glaive
ou d’une épée, dont la poignée de métal précieux pendait à
son côté grâce à un baudrier. Comme dans son vêtement,
Charles faisait preuve de mesure en matière de nourriture et
de boisson : un roi se doit d’éviter les excès.
CHARLEMAGNE 35

La Vie de Charlemagne par Éginhard

Les relations que Charlemagne entretenait avec les membres de


sa famille et ses proches nous sont en partie connues grâce à la
biographie écrite par Éginhard, sur le modèle de la Vie d’Auguste
de Suétone. C’est sous le règne de Louis le Pieux, et peut-être
pour en critiquer le gouvernement à mots couverts, que l’abbé de
Seligenstadt rédigea une Vie de Charlemagne qui connut un
grand succès au Moyen Âge (on en compte plus de quatre-vingts
manuscrits, ce qui est tout à fait considérable). Fort du prestige
que lui conférait l’amitié du souverain et par dette pour son bien-
faiteur, Éginhard brosse un portrait de celui qui l’avait accueilli et
« nourri » à la cour alors qu’il était encore un tout jeune homme.

Le pouvoir de la reine mère


Charlemagne profita de la mort de Carloman pour affirmer
son pouvoir et revendiquer son indépendance vis-à-vis de sa
mère, seule personne à la cour à avoir autorité sur lui. Berthe
avait activement pris part à la vie politique du vivant de son
mari, Pépin le Bref, qu’elle avait plus d’une fois accompagné
lors des campagnes militaires. Lorsque Charlemagne et Car-
loman régnèrent simultanément, l’influence de la reine mère
fut encore plus manifeste. Elle s’efforça de maintenir une
certaine cohésion dans la politique des royaumes francs et de
garantir des relations pacifiques avec le royaume voisin des
Lombards. C’est dans ce but qu’elle négocia le mariage de
Charlemagne avec la fille du roi Didier, en 770. On ignore
le nom exact de cette princesse, qui devait permettre à Berthe
d’évincer la première femme de Charles, Himiltrude, dont il
avait eu un fils, Pépin le Bossu. Mais Charlemagne répudia
son épouse au cours de l’année suivante, remettant ainsi en
question l’amitié avec les Lombards, à laquelle sa mère avait
ardemment travaillé. Il ne parvint toutefois pas à ébranler son
prestige à la cour. Selon Éginhard, cette répudiation fut le
seul sujet de désaccord entre Charlemagne et sa mère, qui
« vieillit auprès de lui environnée d’honneur ». Elle survécut
36 CHARLEMAGNE

de quelques mois à la reine Hildegarde, que Charlemagne


avait épousée après le renvoi de la princesse lombarde, et
mourut le 12 juillet 783.

Épouses et concubines
Charlemagne eut de nombreuses épouses : nous avons déjà
évoqué Himiltrude, la fille du roi Didier et Hildegarde, à
laquelle le roi demeura attaché jusqu’à sa mort, le 30 avril 783.
Elle lui donna de nombreux enfants, notamment ses héritiers :
Charles, Pépin et Louis. Mais nous savons peu de choses de
cette reine, dont l’action fut éclipsée par celle de sa belle-
mère. Charles, Pépin et Louis ne furent pas les seuls fils de
Charlemagne, mais les enfants mâles nés par la suite ne lui
venaient pas d’épouses légitimes. La reine Fastrade, épousée
après seulement quelques mois de veuvage, ne lui donna que
des filles. C’est elle qu’Éginhard rend responsable des
complots fomentés contre le roi du temps de leur union, en
raison de sa cruauté pour ses ennemis politiques. En tout cas,
plusieurs décennies plus tard, on se souvenait encore qu’elle
avait fait exécuter en sa présence un homme accusé d’homi-
cide : de telles mentions sont rarissimes à cette époque. Il
n’empêche que Charlemagne était fort attaché à elle, comme
le prouve sa correspondance. La dernière épouse du roi fut
Liutgarde, dont il n’eut pas d’enfant ; à sa mort, le 4 juin 800,
Charlemagne ne souhaita pas conclure un autre mariage, peut-
être afin de ne pas compromettre la stabilité du royaume des
Francs par la naissance de nouveaux héritiers. Ce choix,
cependant, n’en fit pas un chaste : on connaît le nom de quatre
concubines choisies sur le tard et dont il eut des enfants.
Charlemagne avait épousé la fille de Didier pour des
raisons diplomatiques ; ses autres unions légitimes servirent
au contraire à renforcer ses alliances avec les familles de
l’aristocratie franque. Ses épouses ne furent pas inhumées au
même endroit : leurs lieux de sépulture illustrent le caractère
itinérant de la cour. Hildegarde rendit l’âme à Thionville et
sa dépouille fut déposée à Saint-Arnoul de Metz ; Fastrade,
qui mourut en 794 à Francfort, fut inhumée à Saint-Alban de
CHARLEMAGNE 37

Mayence ; quant à la sépulture de Liutgarde, elle se trouvait


à Saint-Martin de Tours, où la reine était décédée.

Les colombes de Charles


Charlemagne aimait particulièrement ses filles (nous en
connaissons nommément une dizaine). Elles contribuaient à
l’animation de la cour. Alcuin les compare à des « colombes
couronnées » voletant dans le palais. Le roi voulut les garder
auprès de lui, préservant ainsi l’intégrité de l’héritage. Des
projets de fiançailles avec des princes étrangers avaient certes
pu être négociés ; ils échouèrent tous. Alors que le mariage de
leurs filles avait parfois servi l’action diplomatique des sou-
verains mérovingiens, Charlemagne se refusa à toute alliance
de ce type. Son attitude est d’autant plus singulière qu’à partir
de la génération suivante, les Carolingiens n’hésiteraient plus
à marier leurs filles aux membres de l’aristocratie. Il est pos-
sible que les raisons affectives l’aient emporté sur les impé-
ratifs politiques. Les filles de Charlemagne eurent toutefois
des liaisons avec certains membres de l’entourage royal : ainsi,
Rotrude, un temps fiancée au fils de l’impératrice Irène, eut un
fils du comte Rorgon, membre d’une puissante famille de la
région du Maine, les Rorgonides. Berthe, elle, eut deux fils du
poète Angilbert, chapelain de la cour et abbé de Saint-Riquier :
il s’agit de Nithard, le chroniqueur de la guerre civile des
années 840, et de Hartnid (leurs noms, composés des mêmes
syllabes agencées différemment, illustrent l’un des principes
de l’onomastique d’alors). Ces agissements choquaient
certains membres du clergé, mais personne ne s’y opposa du
vivant de Charlemagne. En revanche, quand il succéda à son
père en 814, Louis le Pieux s’empressa de chasser du palais
ses sœurs et il contrôla plus sévèrement les mœurs de la cour.

Pépin le Bossu
Parmi les enfants de Charlemagne, il y avait un personnage
gênant : son fils aîné. Il avait reçu le nom de son grand-père,
38 CHARLEMAGNE

ce qui prouve qu’à sa naissance, vers 769, il était destiné à


hériter du royaume. Or il était difforme, ce qui lui barra la
route du pouvoir autant que l’ambition de sa belle-mère,
Hildegarde, pour ses propres fils : à cette époque, on conce-
vait difficilement que la faveur de Dieu pût reposer sur une
personne affectée d’un handicap. L’indice le plus évident de
la disgrâce de Pépin le Bossu est le changement de nom du
deuxième fils que Charlemagne eut de la reine Hildegarde :
en 781, lors de son baptême par le pape, Carloman reçut le
nom royal de Pépin. L’aîné attendit son heure. En 792, alors
que Charlemagne, occupé à combattre les Avars, devait faire
face à une révolte des Saxons et à des troubles dans les
confins pyrénéens et bénéventins, Pépin le Bossu s’allia à
une partie de l’aristocratie pour tenter d’éliminer ses demi-
frères. Mais Charlemagne eut vent du complot et il condamna
son fils à la réclusion à perpétuité au monastère de Prüm,
dans l’Eifel.

Les héritiers du royaume


Comme nous l’avons vu, les seuls fils légitimes de Char-
lemagne étaient ceux qu’il eut de la reine Hildegarde. L’aîné
fut appelé Charles, comme son père et son arrière-grand-père.
Il naquit vers 773. Le deuxième, né en 777, fut initialement
appelé Carloman. L’année suivante, alors qu’elle accompa-
gnait Charlemagne en route vers l’Espagne, Hildegarde mit
au monde des jumeaux qui naquirent au palais de Chasse-
neuil, au nord de Poitiers. On tira parti de cette naissance en
Aquitaine pour renouer avec les traditions mérovingiennes :
ils furent appelés Clovis et Clotaire (ou Lothaire), du nom
de certains des rois mérovingiens les plus prestigieux, à com-
mencer par le vainqueur de Vouillé. Un seul de ces jumeaux,
Clovis, survécut ; nous le désignerons dorénavant sous le nom
de Louis.
Charlemagne attendit longtemps pour faire sacrer son
aîné : le pape Léon III lui conféra l’onction royale à l’occa-
sion du couronnement impérial de Noël 800, à Rome. Quant
aux cadets, ils avaient été sacrés dès le voyage de 781 :
CHARLEMAGNE 39

Carloman (désormais appelé Pépin) reçut le royaume d’Italie


et Louis, celui d’Aquitaine, créé pour lui. Ainsi Charlemagne
renforçait-il les structures de contrôle dans ces régions en
disposant de relais du pouvoir central tout en flattant l’orgueil
des aristocraties locales. Ce partage territorial fut confirmé
en 806, lorsque l’empereur régla sa succession : grosso modo,
Charles devait recevoir la Neustrie et l’Austrasie, Pépin,
l’Italie et la Bavière, et Louis, l’Aquitaine et les territoires
des alentours. Personne n’hériterait du pouvoir impérial, mais
les trois frères devraient veiller de conserve à la protection
de l’Église romaine. La mort prématurée de Pépin, en 810,
et celle de Charles, en 811, firent de Louis le seul héritier.

Charlemagne, un père soucieux de l’avenir de ses enfants


L’héritage du royaume était réservé aux fils de la reine
Hildegarde. L’empereur ne négligea toutefois pas d’assurer
l’avenir de ses fils illégitimes et de ses filles.
En 811, il rédigea un testament, par lequel il distribua tous
les biens meubles dont il disposait ; ce document fut copié
par Éginhard à la fin de sa biographie de Charlemagne. Le
souverain fit procéder à l’inventaire des richesses se trouvant
dans sa « chambre » et il attribua l’essentiel de son trésor aux
églises métropolitaines. Un tiers fut cependant réservé à ses
enfants, aux pauvres et aux serviteurs du palais. Les filles de
Charlemagne avaient également reçu des domaines : c’est là
qu’elles se retirèrent en 814. Quant aux garçons, qui étaient
encore tout jeunes, ils furent confiés à la bonne garde de leur
demi-frère lors de son couronnement en 813. Nous verrons
que Louis ne tint pas sa promesse, ce qui n’empêcha pas les
fils d’une concubine du nom de Régine d’accéder à de hautes
fonctions : Drogon devint évêque de Metz et Hugues reçut
plusieurs abbayes.
40 CHARLEMAGNE

CONQUÊTES ET RECONQUISTA

La guerre est inhérente à l’histoire carolingienne ; durant


tout le VIIIe siècle, il s’agit d’une guerre d’offensive, afin
d’agrandir le territoire et d’accumuler du butin. Les annalistes
notent comme un fait exceptionnel les années sans campagne
militaire. Le règne de Charlemagne est marqué par l’expan-
sion du royaume des Francs, liée à celle de la chrétienté.
C’est ce qu’exprime, vers 806, un capitulaire de mobilisa-
tion : tous doivent être prêts à combattre « pour le service de
Dieu et le profit du roi ».

Le ban du roi
Le service militaire était dû par tous les hommes libres,
désignés désormais comme « francs » ; leur faculté de porter
des armes et de rejoindre l’ost (l’armée, en français médiéval)
les distinguait des personnes de condition servile. Ils étaient
mobilisés en vertu du « ban » du roi, c’est-à-dire son pouvoir
d’ordonner, de contraindre et de punir. Ne pas rejoindre
l’armée ou refuser de contribuer à l’équipement d’un com-
battant était sanctionné par une forte amende, dite « hériban »
ou « ban de l’armée ». Payable en argent ou en objets pré-
cieux, elle est souvent mentionnée dans les textes législa-
tifs – preuve, éventuellement, que les manquements en
matière militaire ne devaient pas être rarissimes. Quant à la
désertion, dite « hérisliz », elle était normalement punie de
mort. Il s’agissait d’un crime de lèse-majesté, qui entraînait
également la confiscation des biens du coupable.

La mobilisation
Au milieu du VIIIe siècle, le rassemblement de l’ost avait
lieu en même temps que l’assemblée politique. Vers 755, en
raison de l’importance croissante de la cavalerie, on déplaça
ce rassemblement du mois de mars vers celui de mai, d’où
CHARLEMAGNE 41

il tire le nom de « champ de mai ». Néanmoins, le plaid et


le départ en campagne tendirent à se dissocier. Sauf dans les
cas urgents, la mobilisation était organisée selon une procé-
dure assez lourde, dans laquelle les représentants du souve-
rain qu’étaient les missi (ses « envoyés »), les évêques et les
comtes, jouaient un rôle de premier plan. Le comte mobilisait
tous les hommes libres, sauf ceux qui vivaient sur un territoire
bénéficiant de l’immunité ; c’était aux bénéficiaires de ce
privilège que cette tâche incombait alors. Les évêques, les
abbés et les vassaux royaux devaient convoquer leurs propres
vassaux ; par exemple, à Saint-Riquier, on sait qu’au IXe siècle
l’abbé avait cent dix vassaux, tous cavaliers. Les estimations
concernant les contingents sont difficiles. Les rois francs
étaient peut-être en mesure de rassembler trente-cinq mille
cavaliers, auxquels s’ajoutait une masse de piétons et d’auxi-
liaires d’environ cent mille hommes. Il est cependant vrai-
semblable que l’ensemble des troupes ne fut jamais réuni. Il
se peut qu’une opération de grande envergure, comme la
campagne de 796 contre les Avars, ait rassemblé entre quinze
mille et vingt mille hommes.

Les combattants
Pour le règne de Pépin le Bref et la plus grande partie de
celui de Charlemagne, on ne sait pas exactement qui visent
les sources dont on dispose lorsqu’elles évoquent « tous ceux
qui doivent s’armer ».
À partir de 806, on a quelques renseignements. Il est de
plus en plus fréquemment fait mention des vassaux dotés
d’un bénéfice foncier et de « cavaliers », c’est-à-dire les
hommes libres aisés servant à cheval. La fréquence des
mentions de vassaux illustre le renforcement de la vassalité.
On peut interpréter la référence au bénéfice de deux
manières : soit comme une étape vers la restriction du service
armé à ceux qui en sont pourvus, soit comme l’expression
du lien de dépendance très fort qui unissait à leur seigneur
les vassaux n’en ayant pas (il serait par conséquent inutile
de les mentionner explicitement). Il semble en tout cas évi-
42 CHARLEMAGNE

dent que les zones dans lesquelles on cherchait à implanter


les vassaux étaient principalement les régions directement
menacées ou à proximité de ces dernières, ce qui facilitait
leur mobilisation. Par ailleurs, sous Charlemagne, se mit en
place le système des partants et des aidants : les hommes
libres qui n’étaient pas assez riches pour s’équiper eux-
mêmes devaient s’associer pour financer le départ de l’un
d’entre eux. Le nombre des aidants pouvait varier de deux à
six selon l’époque, la région concernée et le théâtre des opé-
rations.

Les troupes d’élite


Les Carolingiens disposaient de cavaliers d’élite, groupés
dans des unités appelées scarae, qu’un contemporain désigne
comme « une légion de guerriers excellents ». Ces guerriers
étaient particulièrement bien armés et disposaient du meilleur
équipement. On confiait aux scarae les manœuvres délicates,
les raids en pays ennemi (chez les Avars, par exemple) ou la
surveillance des frontières.
En 776, Charlemagne installa de telles troupes dans les
forteresses qu’il avait édifiées pour contenir les Saxons. Ces
détachements étaient vraisemblablement composés le plus
souvent de vassaux, qui disposaient des richesses nécessaires
et jouissaient de la possibilité d’un entraînement continu. Il
est également possible que ces scarae aient été en partie
constituées de certains « nourris » du palais. C’est grâce à
l’action coordonnée de ces troupes d’élite et des contingents
d’hommes libres que Charlemagne parvint à étendre consi-
dérablement le royaume des Francs.

La conquête de l’Italie
La première victime des ambitions franques fut l’Italie, qui
paya le soutien du roi lombard Didier à la veuve et aux enfants
de Carloman et, surtout, fit les frais de l’alliance du pape
Hadrien Ier avec Charlemagne. En 773, ce dernier répondit à
CHARLEMAGNE 43

l’appel de l’évêque de Rome. Pour diviser les forces


ennemies, il fit passer ses troupes par deux routes différentes :
par le Grand-Saint-Bernard et par le Mont-Cenis, où les
Lombards furent d’emblée battus. Parvenus devant Pavie, les
Francs entamèrent un siège très long : la capitale lombarde
ne tomba qu’en juin 774. Charles profita de ce voyage pour
se rendre à Rome, où il fut somptueusement accueilli. Char-
lemagne justifiait son intervention en Italie en exhumant le
titre de « patrice des Romains » que le pape Étienne II avait
accordé à Pépin et à ses fils en 754, mais qu’ils n’avaient
jamais porté : cette vocation à défendre Rome était désormais
utile. Charlemagne respecta l’intégrité du royaume lombard.
Sa titulature – « roi des Francs et des Lombards » – montre
qu’il s’agit en fait de l’union personnelle de deux royaumes.
Ce n’est que peu à peu que les cadres se francisèrent. La
conquête du royaume lombard permit à Charles de pousser
plus au sud, avec l’annexion du duché de Spolète et la sou-
mission du duché de Bénévent, qui dut acquitter le paiement
d’un tribut à la fin des années 780.

Au-delà des Pyrénées


En dépit de la conquête rapide de la péninsule Ibérique
par les Arabes au début du VIIIe siècle, l’émir de Cordoue
n’était pas le maître absolu de l’Espagne. Non seulement la
reconquête chrétienne avait très tôt commencé depuis les
Asturies et les monts Cantabriques, mais le pouvoir
ommeyade devait aussi faire face aux révoltes de certains
gouverneurs de province. C’est ainsi que le wali de Saragosse
s’était rendu jusqu’à Paderborn en 777, pour demander son
aide à Charlemagne. Le roi céda à sa demande et se rendit
en Espagne dès l’année suivante. La conquête du versant
méridional des Pyrénées ainsi entamée peut sembler avant
tout un mouvement de reconquête religieuse, visant à rendre
l’Espagne à la foi chrétienne. Les motivations religieuses sont
incontestables, mais l’enjeu était également stratégique : il
importait de garantir la sécurité du royaume. L’Aquitaine
étant une région peu sûre, il s’avérait nécessaire de supprimer
44 CHARLEMAGNE

les possibilités de repli des opposants au régime en maîtrisant


les deux versants des Pyrénées. L’expédition de 778 fut un
échec. Au retour, Pampelune, qui avait refusé d’ouvrir ses
portes, fut toutefois détruite. C’est ensuite qu’eut lieu l’un
des épisodes les plus célèbres des campagnes franques dans
la région. Le 15 août 778, l’arrière-garde de l’armée de Char-
lemagne fut attaquée par des Basques (ou des Gascons) dans
les Pyrénées, en un lieu que la tradition fixe au passage de
Roncevaux. Plusieurs membres de l’aristocratie furent tués
dans cette embuscade, dont le souvenir est à l’origine d’un
des monuments de la littérature médiévale, où les traîtres sont
présentés à tort comme des Sarrasins.
Vers la fin du VIIIe siècle, le roi d’Aquitaine, Louis, eut pour
mission de consolider la frontière méridionale du royaume.
Pour l’assister, Charlemagne installa en 790 le comte Guil-
laume, son parent, à Toulouse. Il s’agit du Guillaume d’Orange
des chansons de geste, qui se retira en 806 et mourut au monas-
tère de Gellone (Saint-Guilhem-le-Désert), qu’il avait fondé.
Plusieurs campagnes militaires furent organisées contre les
Sarrasins sous la conduite de Louis le Pieux et de Guillaume,
dont le titre ducal exprime l’ampleur de ses attributions mili-
taires. Ces expéditions aboutirent à la prise de Barcelone en
801. Un glacis protecteur fut alors organisé entre les Pyrénées
et l’Èbre : la marche d’Espagne, établie par d’autres campagne
de Louis, notamment entre 808 et 812.
À la fin du VIIIe siècle et au début du IXe siècle, la région (en
particulier la Septimanie) fut également peuplée d’émigrants
chrétiens d’origine wisigothique fuyant le gouvernement de
l’émir de Cordoue : ils bénéficiaient d’un régime particulier
(l’aprision) leur permettant de devenir propriétaires des terres
mises en valeur au bout de trente ans d’exploitation.

La Chanson de Roland

Éginhard relate la déroute de Roncevaux dans sa Vie de Char-


lemagne. Il cite le nom de trois personnages importants tombés
lors de ce combat, dont celui de Roland, qui commandait la
marche de Bretagne. C’est la seule information certaine que nous
CHARLEMAGNE 45

ayons sur ce personnage, dont le nom, vers 840, était encore


« connu de tous », d’après le biographe de Louis le Pieux. Les
plus anciens témoignages écrits des exploits légendaires du com-
pagnon d’Olivier datent cependant des environs de 1100. La
Chanson de Roland, comme d’autres chansons de geste, est
fondée sur quelques détails authentiques, mais le récit est entiè-
rement légendaire.

La déposition de Tassilon
Plus vers l’est, Charlemagne exploita l’attitude du duc Tas-
silon III, son cousin, pour intégrer la Bavière au royaume des
Francs. Tassilon avait prêté serment de fidélité à Pépin le
Bref en 757, mais cela ne l’empêcha pas de mener une poli-
tique intérieure et extérieure qui le mit dans une position
quasi royale, notamment en s’imposant face à l’Église de
Bavière et en développant des relations diplomatiques avec
les Lombards et la papauté. Le roi des Francs lui reprocha
surtout de ne pas faire preuve d’une obéissance à toute
épreuve à son égard. En 787, Charlemagne exigea qu’il
renouvelle le serment de fidélité prêté jadis. Le roi établit son
camp sur les bords du Lech, une rivière qui marquait la
frontière de la Bavière. Selon un chroniqueur, Tassilon vint
à la rencontre du roi et il lui « rendit sa patrie par un bâton
à l’extrémité duquel se trouvait la représentation d’un
homme », il devint son vassal et lui livra son fils, Théodon,
en même temps que douze autres otages. En suite de quoi
Tassilon « reçut à nouveau son duché, par la munificence du
roi », comme l’écrit un auteur proche de la cour. Néanmoins,
dès l’année suivante, le duc fut déposé pour collusion avec
les Avars. En 794, il fut en outre contraint de renoncer à tous
ses droits et à ceux de sa dynastie, lors du concile de Franc-
fort. Charlemagne avait désormais les coudées franches en
Bavière, dont l’administration fut confiée à un « préfet »,
Gérold, qui n’était autre que le frère de la reine Hildegarde.
46 CHARLEMAGNE

Les Annales royales

Les Annales royales constituent la principale source narrative


consacrée à l’histoire du royaume des Francs, du règne de Pépin
le Bref à celui de Louis le Pieux. Rédigé par les soins de clercs
anonymes sous la forme de notices consacrées chacune à une
année, ce récit fut commencé à l’occasion du procès de Tassilon,
dont il devait illustrer la traîtrise, et fut continué jusqu’en 829. Le
témoignage des Annales royales est d’autant plus précieux qu’il
s’avère une analyse de la vie politique proche de la cour carolin-
gienne, et pour ainsi dire, contemporaine des faits relatés.

Le trésor des Avars


L’annexion de la Bavière fit des Avars, qui se trouvaient
dans la région du lac Balaton, les voisins directs des Francs.
Ceux-ci veillèrent à protéger le royaume en organisant, à
partir de 791, plusieurs campagnes. L’importance de cet
enjeu est illustrée par les grands travaux alors entrepris sur
l’ordre de Charlemagne : il s’agissait de creuser un canal pour
permettre de circuler plus facilement en reliant le Danube au
Main, qui se jette dans le Rhin. Cette « fosse Caroline » fut
commencée en 793, mais jamais achevée. En revanche, l’ef-
fort militaire fut poursuivi ; en 796, les expéditions en terre
ennemie, menées sous la conduite du roi Pépin d’Italie et du
marquis Éric de Frioul, furent couronnées par la prise de la
forteresse contenant le trésor des Avars, le « ring ». Il s’agit
du butin le plus important jamais amassé par les Francs. Un
annaliste contemporain éprouve une fierté non dissimulée
quand il évoque les richesses accumulées par les « khans »
depuis des siècles. Ces objets précieux furent transportés
jusqu’à Aix-la-Chapelle, où l’on organisa une sorte de
triomphe. Les membres de l’aristocratie associés à cette cam-
pagne bénéficièrent sans doute des largesses du roi.
CHARLEMAGNE 47

LA SOUMISSION DE LA SAXE

Parmi les conquêtes de Charlemagne, la guerre de Saxe


fut, au témoignage d’Éginhard, l’entreprise militaire la plus
difficile : « Aucune ne fut plus longue, plus atroce, plus
pénible pour le peuple franc. Car les Saxons […] étaient d’un
naturel féroce ; ils pratiquaient le culte des démons, se mon-
traient ennemis de notre religion et ne voyaient rien de dés-
honorant à violer ou transgresser les lois divines ou
humaines. » On ne saurait mieux souligner le lien entre le
glaive et la Croix.

Une guerre d’usure


Les Saxons étaient depuis longtemps en contact avec les
Francs et multipliaient les incursions en territoire franc depuis
le début du VIIIe siècle. Surtout, ils étaient complètement her-
métiques aux missionnaires. C’est ce qui explique que la
première action d’envergure, outre la prise de la forteresse
d’Eresburg (qui dominait le cours de la Diemel), fut la des-
truction de l’Irminsul, en 772 : il s’agissait d’un arbre sacré,
supposé être le support de la voûte céleste. Cette campagne
militaire n’était pas destinée à inaugurer une véritable
conquête du territoire ; il s’agissait plutôt de donner à ces
turbulents voisins un vigoureux coup de semonce de la part
des Francs. Mais la réaction des Saxons fut si vive que les
années suivantes furent marquées par une escalade de la vio-
lence, où chacun faisait de la surenchère dans la riposte : on
en vint à une guerre totale. Grâce aux annales et aux autres
sources de nature historiographique, nous sommes assez bien
renseignés sur les campagnes ayant rythmé ce conflit, qui
dura une trentaine d’années. Ce fut une guerre d’usure, une
guérilla marquée par l’attaque ponctuelle de places fortes et
le harcèlement des troupes franques. Pour ces dernières,
l’opposition saxonne s’avérait d’autant plus difficile à mater
que les Saxons étaient divisés en plusieurs tribus et qu’il
n’était pas suffisant de frapper en un lieu central pour anéantir
48 CHARLEMAGNE

ou soumettre l’ensemble des populations. Une personnalité


allait cependant cristalliser les énergies.

Les places fortes saxonnes

En Westphalie, il existait des places fortes, dont la construction


remontait souvent à l’âge du fer. Mais nombre de constructions
furent également entreprises entre le VIIe et le Xe siècle : on
dénombre une trentaine de nouvelles fortifications. À propos des
guerres de Saxe, cinq d’entre elles sont mentionnées dans les
Annales royales : Iburg (près de Paderborn), Sigiburg (près de
Dortmund), Brunsburg (près de Höxter), Skidrioburg (sur la Lippe)
et, surtout, Eresburg (à une trentaine de kilomètres au sud de
Paderborn). Cette forteresse, où se trouvait l’Irminsul, avait une
superficie de vingt-quatre hectares, ce qui en faisait de loin l’une
des plus vastes.

Le baptême de Widukind
Le chef de file de la résistance saxonne fut un certain
Widukind, d’origine westphalienne (les Westphaliens étaient
l’un des peuples saxons). La première mention de Widukind
date de 777 : il avait refusé de se rendre au plaid convoqué
par Charlemagne à Paderborn et avait trouvé refuge auprès
du roi danois Siegfried, qui soutenait d’autant plus volontiers
la résistance des Saxons aux Francs qu’il était également
païen. En effet, Widukind refusait non seulement de colla-
borer avec le pouvoir franc, mais aussi de renoncer à ses
dieux.
Dans les années suivantes, il organisa l’opposition armée
en Saxe. Il remporta plusieurs succès dès 778. En 782, il
infligea aux armées conduites par des missi de Charlemagne
une cuisante défaite au mont Süntel, dont on ignore l’empla-
cement précis. Bien qu’il jouît de l’appui des Frisons, Widu-
kind fut poursuivi par les Francs jusqu’à la vallée de l’Elbe
et fut contraint de capituler, en 785. Il eut la vie sauve en
CHARLEMAGNE 49

échange de sa conversion, scellée par son baptême. Ce dernier


fut célébré au palais d’Attigny, en présence de Charlemagne
qui devint son parrain. Widukind fut ensuite peut-être investi
d’une charge comtale ; mais il n’est pas impossible qu’il ait
été envoyé finir ses jours à l’abbaye de Reichenau, en tant
que moine. Toujours est-il que la conversion du rebelle saxon,
en 785, marque un tournant ; l’auteur des Annales royales
note alors que « toute la Saxe fut désormais soumise ».

Un régime cruel
Cette soumission n’était cependant pas définitivement
acquise, bien que Charlemagne ait levé des troupes saxonnes
pour participer à certaines campagnes militaires, par exemple
contre le duc de Bavière, Tassilon III, en 787 ou contre
d’autres peuples païens, tels les Wilzes en 789 ou les Avars
en 791. Le ralliement de l’aristocratie saxonne à la foi chré-
tienne et à la cause carolingienne ne fut pas aisé, comme
l’illustre un diplôme de Charlemagne datant de la fin de son
règne : il s’agit d’un acte établi en faveur d’un comte. Celui-ci
était le fils d’un Saxon passé au service du roi des Francs.
Comme d’autres membres de l’élite saxonne, ce personnage
était parvenu à s’intégrer dans la hiérarchie du royaume
franc – l’introduction de l’administration comtale en Saxe
date du plaid tenu en 782 aux sources de la Lippe. Mais cela
ne se fit pas sans mal, car le père de ce comte avait dû quitter
sa terre d’origine pour demeurer fidèle au pouvoir franc et il
s’était approprié une part de forêt défrichée entre la Weser et
la Fulda, après avoir tenté en vain de s’installer en un lieu
peuplé de Francs et de Saxons. Ainsi, on peut se faire une
idée des dissensions que la conquête franque suscita au sein
de la société saxonne et des difficultés d’insertion des per-
sonnes alors déplacées en raison des transformations poli-
tiques.
Les déboires de ce Saxon passé au service du pouvoir franc
s’expliquent par l’effroi et la haine suscités en Saxe par les
hommes de Charlemagne. Car les Francs firent tout d’abord
preuve d’une grande dureté : il s’agissait pour eux de sou-
50 CHARLEMAGNE

mettre les Saxons. En 782, le « bain de sang » de Verden (sur


l’Aller, un affluent du Weser au sud-est de Brême) en est la
meilleure illustration : en représailles de la défaite du mont
Süntel, Charlemagne fit décapiter quatre mille cinq cents
Saxons. La même année, le roi promulgua un capitulaire qui
instaurait un régime de fer : presque toutes les infractions
pouvant être interprétées comme une contestation du nouvel
ordre social, qu’elles mettent en cause la foi chrétienne ou le
pouvoir royal, étaient sanctionnées par la mort. Ce régime de
terreur dura jusqu’en 797. À partir de 792 (année marquée
par une nouvelle révolte après une longue accalmie), la
répression fut renforcée par des déportations massives.

Charlemagne, pacificateur de la Saxe


Face à la dureté du régime en Saxe, qui ne portait somme
toute que peu de fruit, des voix s’élevèrent à la cour pour
contester cette politique : Alcuin, tout particulièrement, pré-
conisa le recours à la persuasion, et non à la force, pour
convertir les Saxons. Il ne fait pas de doute qu’il influença
Charlemagne dans sa décision de promulguer un nouveau
capitulaire pour la Saxe, en 797 : désormais, le but recherché
n’était plus l’humiliation, mais l’assimilation des Saxons,
dont les devoirs et les droits s’avéraient similaires à ceux des
Francs. On en a l’illustration dans le fait que, désormais, le
roi imposait aux Saxons le même service militaire que celui
dû par les Francs. Ils étaient donc placés sur un pied d’égalité
avec leurs conquérants.
Le souverain, une fois devenu empereur, alla jusqu’au bout
de cette logique : de même que les Francs jouissaient, depuis
Clovis, d’une loi écrite, les Saxons eurent eux aussi leur
propre loi, rédigée à la faveur d’une révision de la législation
en 802. Il s’agit bien là d’une reconnaissance juridique de
l’identité saxonne. L’origine de certains des premiers évêques
attestés dans les nouveaux diocèses de Saxe (un Saxon à
Paderborn, des Frisons à Münster et à Osnabrück) illustre
également le succès de la politique carolingienne.
CHARLEMAGNE 51

La Germanie carolingienne
La conquête de la Saxe paracheva la transformation de la
Germanie, en cours depuis le commencement du VIIIe siècle.
Elle permit de mettre en place une nouvelle géographie ecclé-
siastique dont Boniface avait posé les fondements. Dès le
début du conflit saxon (lors du plaid tenu à Paderborn en
777), Charlemagne avait déclaré la Saxe terre de mission.
Paderborn, où le roi avait fait construire un palais, fut l’un
des principaux centres d’évangélisation ; il fut érigé en siège
épiscopal par le pape Léon III lors de sa visite en Saxe, en
799. Ce diocèse fut rattaché à la province ecclésiastique de
Mayence, comme celui de Halberstadt. Quant à celui de Hil-
desheim, sa fondation date du règne de Louis le Pieux ; le
premier évêque de Verden est attesté à la même époque.
Divers autres sièges épiscopaux, fondés également vers la fin
du VIIIe siècle ou le début du IXe, furent placés sous l’autorité
de l’évêque métropolitain de Cologne, honoré du titre archié-
piscopal depuis le règne de Charlemagne : c’est le cas
d’Osnabrück, de Münster, de Brême et de Minden, dont le
premier pasteur, originaire de Fulda, s’était d’abord installé
à Hameln. Certains monastères jouèrent en effet un rôle de
premier plan dans l’évangélisation de la Saxe ; outre Fulda,
citons par exemple Brunshausen (près de Bad Gandersheim)
ou Herford.

ALCUIN, MAÎTRE À PENSER DE CHARLEMAGNE

L’une des personnalités les plus marquantes du règne de


Charlemagne fut assurément Alcuin, avec qui le roi entrete-
nait des rapports d’élève à maître – à lui seul, ce détail
extraordinaire justifie que l’on s’intéresse à cet érudit venu
d’outre-Manche.
52 CHARLEMAGNE

Le diacre de York
Alcuin, né vers 730 en Northumbrie, fut éduqué à York,
où il exerça la fonction d’écolâtre à partir de 766. Il s’agissait
de l’une des écoles les plus prestigieuses d’Occident, qui
bénéficiait d’une importante bibliothèque. Alcuin célébra cet
endroit dans son poème « sur les évêques, les rois et les saints
de York ». C’est en 781 à Parme qu’il rencontra Charlemagne,
en chemin pour Rome. Le roi le persuada de passer à son
service. Après quelques séjours en Angleterre (en 786, puis
entre 789 et 793), Alcuin s’installa définitivement dans le
royaume des Francs, où il fut l’artisan principal du rayonne-
ment culturel de la cour carolingienne. L’influence d’Alcuin,
fondée sur son savoir, est d’autant plus remarquable qu’il
n’accéda ni à la prêtrise, ni à l’épiscopat : toute sa vie, il
demeura humblement diacre. Cela ne l’empêcha toutefois pas
de devenir l’abbé de plusieurs établissements. Ce précieux
conseiller de Charlemagne fut en effet récompensé par l’attri-
bution de diverses abbayes, dont la plus prestigieuse était
celle de Saint-Martin de Tours, où il se retira en 796. C’est
sur les bords de Loire qu’il vécut les dernières années de sa
vie et mourut le 19 mai 804, laissant une œuvre importante.

Un savant
Les connaissances d’Alcuin étaient très vastes. On en a le
reflet dans ses œuvres, où la pédagogie occupe une large
place. Il affectionnait la forme dialoguée, comme le montre
la Dispute entre le roi Pépin [d’Italie] et le maître Albin. Son
traité d’orthographe, sa grammaire, un ouvrage sur la dialec-
tique et son Dialogue sur la rhétorique et les vertus témoi-
gnent de son intérêt pour le trivium (la base des arts libéraux,
constituée par la grammaire, la dialectique et la rhétorique).
Alcuin révisa également le texte de la Bible et améliora le
style de certaines vies de saints. On conserve de lui de nom-
breux poèmes et une correspondance volumineuse. C’est en
raison de sa science qu’il fut souvent consulté, notamment
en matière de dogme.
CHARLEMAGNE 53

Les débats théologiques


L’orthodoxie était un souci majeur pour Charlemagne et
l’élite politique carolingienne. Le roi des Francs s’intéressa
par exemple à la question du baptême (particulièrement
importante pour celui qui avait organisé la conversion en
masse de populations païennes) et, sur ce point, il consulta
divers théologiens. Il dut également prendre position à propos
de controverses théologiques et réunir plusieurs conciles pour
condamner des hérésies. Le plus célèbre est celui de Franc-
fort, où le diacre qu’était Alcuin prit exceptionnellement part
aux débats « parce qu’il était très versé dans les questions de
doctrine » – de fait, il composa des traités de théologie.

Alcuin et le concile de Nicée


Alcuin fut ainsi impliqué dans la contestation des décisions
du concile de Nicée II (787), imposant le culte des images.
La position carolingienne avait déjà été définie lors du concile
réuni par Pépin le Bref à Gentilly, en 767. Vingt ans plus
tard, c’est moins la question dogmatique qui, pour Charle-
magne, représentait un enjeu que le fait de contester le carac-
tère œcuménique de ce concile et de se poser en souverain
de l’Occident. La condamnation des décisions de Nicée II,
exposée dans les livres carolins dont le maître d’œuvre fut
Théodulfe, s’avéra d’autant plus naturelle que les actes de ce
concile avaient été transmis au pape Hadrien Ier dans une
traduction fautive. L’autre question brûlante, au VIIIe siècle,
concernait le Christ : alors considéré comme le roi par excel-
lence, il prit une place centrale dans la théologie franque. Or,
vers 780, Élipand, évêque métropolitain de Tolède, établit
une distinction entre les deux natures du Christ, pour défendre
son humanité : Jésus, fils « adoptif » de Dieu en tant
qu’homme, est fils de Dieu au regard de sa divinité. Cette
doctrine, appelée l’adoptianisme, fut condamnée avec
vigueur à Francfort. La menace était d’autant plus importante
54 CHARLEMAGNE

que l’évêque d’Urgel, Félix, dont le diocèse faisait partie du


royaume franc, s’était rallié à cette thèse, assimilée à la résur-
gence d’une hérésie du Ve siècle, le nestorianisme. Déjà en
792, Félix d’Urgel avait dû se rétracter devant le concile de
Ratisbonne. Ensuite, il entretint une controverse avec Alcuin
sur ce thème.

Le concile de Francfort (794)

En juin 794, Charlemagne réunit un concile, en même temps que


le plaid général du royaume, pour régler de nombreuses
questions relatives à la doctrine et travailler à la poursuite de la
politique de réformes annoncée dans l’Admonitio generalis de
789, dont les articles furent alors confirmés. L’assemblée des
évêques se prononça sur le culte des images, sur l’adoptianisme
et sur des questions de discipline ecclésiastique, en confirmant
la prééminence du roi sur le pape ou sur le concile ; ils entérinè-
rent la réforme des poids et mesures et de la monnaie. Tassilon
de Bavière comparut alors et renonça à tous ses droits.

Alcuin, théoricien du pouvoir


L’influence d’Alcuin sur le gouvernement est indiscu-
table : il contribua à la rédaction de documents essentiels par
lesquels Charlemagne définit son pouvoir. Il participa à la
rédaction du grand capitulaire de 789, l’Admonitio generalis,
exposant le programme de réforme du roi. Alcuin est à l’ori-
gine de l’assouplissement de la politique à l’égard des
Saxons, en 797. Comme le pèlerinage de Charlemagne à
Tours, au printemps de l’an 800, permet de le supposer, il
prépara aussi la promotion du roi des Francs à l’Empire. Il
est d’ailleurs l’auteur d’une lettre envoyée par Charles au
pape Léon III en 795 pour le féliciter de son élection, qui
décrit la répartition des rôles souhaitée à la cour franque : au
roi, il appartient de défendre l’Église par les armes et de
promouvoir la foi ; au pape, il revient de lever les mains au
CHARLEMAGNE 55

ciel pour prier Dieu d’accorder son soutien à celui qui s’est
imposé comme le principal souverain d’Occident.

LA COUR D’AIX-LA-CHAPELLE

Les Romains appréciaient déjà l’endroit où Charlemagne


s’installerait de façon permanente à la fin du VIIIe siècle, en
raison de l’existence d’une source d’eau chaude. Aix-la-
Chapelle est un lieu thermal : son nom vient d’aquis, une
forme du mot latin aqua (eau). Éginhard évoque la foule des
palatins pataugeant dans la piscine en compagnie du roi, qui
parfois y parlait théologie avec Alcuin. Le palais est attesté
comme résidence d’hiver dès le règne de Pépin le Bref ; la
proximité de l’Ardenne, fort giboyeuse, en faisait un lieu de
départ idéal pour la chasse.

La résidence royale
Le palais d’Aix était constitué de divers bâtiments ayant
chacun une fonction particulière. Nous ne connaissons que
les édifices de prestige, construits en pierre, au contraire des
bâtiments d’habitation. Tous les grands personnages du
royaume se devaient d’y avoir un pied-à-terre. Le palais était
ouvert sur l’extérieur, à la manière d’une villa antique, et non
d’un château comme on en construirait plus tard. De
Ravenne, Charlemagne avait importé nombre de colonnes et
d’éléments décoratifs, ainsi que la statue de Théodoric, placée
devant le porche menant aux principaux édifices par une
galerie. D’un côté, il y avait la salle de réception. De l’autre
s’élevait la basilique octogonale, précédée d’un atrium et
flanquée de bâtiments dont l’un était appelé le Latran : une
manière de faire d’Aix une nouvelle Rome. Le roi avait sa
place à la tribune, où il faisait figure de médiateur entre son
peuple et le Christ de mosaïque représenté sur la coupole.
56 CHARLEMAGNE

Les institutions du palais


C’est à Aix que l’on conservait la « chape » (ou manteau)
de saint Martin : d’où le nom de « chapelle » donné à
l’ensemble du clergé servant le souverain. On y recrutait les
notaires qui rédigeaient les diplômes royaux, ainsi que les
scribes chargés de calligraphier et d’enluminer les manuscrits
de luxe produits dans le scriptorium du palais, un atelier
d’écriture fort réputé sous Charlemagne. La structure du
palais carolingien fut décrite par Hincmar de Reims. Dans
un traité « sur l’ordonnancement du Palais » rédigé en 882
pour le roi Carloman, fils de Louis le Bègue et petit-fils de
Charles le Chauve, le vieil archevêque prétend s’inspirer d’un
texte qu’Adalhard de Corbie aurait composé jadis pour l’un
des fils de Charlemagne, le roi Pépin d’Italie : vers la fin du
e
IX siècle, on considérait donc toujours la cour de Charle-
magne comme un modèle pour gouverner le royaume.
Le responsable de la chapelle était le premier personnage
de la cour, administrée par des officiers s’occupant chacun
d’un aspect de la vie politique et domestique du palais. Parmi
les principaux dignitaires, le chambrier veillait sur les trésors
et le comte du palais avait en charge la justice, le sénéchal
était une sorte d’intendant et le bouteiller commandait aux
échansons, alors que le connétable était préposé aux
transports. Il y avait également les veneurs et le fauconnier,
indispensables pour la chasse. La cour était peuplée de
conseillers, de domestiques, et de jeunes nobles, les
« nourris », venus servir le roi et se former à l’exercice du
pouvoir.

École et académie
Le fleuron de la cour carolingienne fut « l’école du
palais ». Certes, il y avait à la cour des érudits, appelés
« maîtres », qui dispensaient un enseignement ; mais le
tableau que brosse le moine Notker le Bègue, à la fin du
e
IX siècle, n’est pas fidèle : il décrit Charlemagne inspectant
CHARLEMAGNE 57

la classe de l’Irlandais Clément et distribuant les bons points.


Il ne faut pas imaginer non plus « l’académie du palais »
comme une institution bien rigide : elle regroupait tout sim-
plement les érudits de la cour, qui aimaient à discuter avec
le souverain des questions les plus diverses, en toute liberté.
Un climat d’amitié paraît avoir présidé à ces débats, même
si l’estime laissait parfois la place à l’ironie. Les lettrés se
livraient à des concours de poésie où ils maniaient le com-
pliment et la pique assassine (tel le jeu de mots « Scottus,
sottus » assimilant les Irlandais à des imbéciles) – bref, les
membres de la cour carolingienne étaient de vrais courtisans.

Les surnoms à la cour de Charlemagne

Les lettrés de la cour avaient recours à des pseudonymes, en


majorité empruntés à l’Antiquité classique ou à la Bible. Alcuin
était ainsi appelé Flaccus (en référence à Horace) alors qu’Angil-
bert portait le surnom d’Homère. Un même individu pouvait être
désigné de différentes manières, tel Charlemagne, appelé tantôt
David, tantôt Salomon ou Énée, ou encore Éginhard, alias
Nardulus ou Bézéléel. L’archichapelain Hildebold portait aussi un
surnom biblique : il était appelé Aaron.

Des érudits de tous horizons


Les artisans de la « renaissance carolingienne » et les
lettrés de la cour du temps de Charlemagne étaient, pour
l’essentiel, des « étrangers » : des Wisigoths, des Lombards
et, surtout, des Anglo-Saxons ou des Irlandais. Le cas
d’Alcuin n’était pas isolé : Charlemagne accueillit à la cour
les meilleurs esprits de son temps. On peut citer le théologien
Théodulfe, venu d’Espagne se réfugier auprès du roi, le géo-
graphe Dicuil et le poète André-Cadac, tous deux d’origine
irlandaise, ou encore Paul Diacre, qui venait d’Italie comme
le grammairien Pierre de Pise. Paul était moine au Mont-
Cassin, où il enseignait. Pour obtenir la libération de son
58 CHARLEMAGNE

frère, Arichis, fait prisonnier en 774 lors de la conquête du


royaume de Lombardie par Charlemagne, l’écolâtre se rendit
à la cour en 782 : le roi accéda à sa requête… à condition
de le garder auprès de lui quelques années. Paul servit la
cause carolingienne en rédigeant une histoire des évêques de
Metz.
Cette diversité des origines ne doit pas éclipser les érudits
et lettrés d’origine franque, tels Angilbert ou Éginhard, mais
force est de constater qu’ils furent surtout nombreux au
e
IX siècle, lorsque la « renaissance » commença de porter ses
fruits. Les précurseurs venaient d’autres horizons.

LE COURONNEMENT IMPÉRIAL

Charlemagne fut couronné empereur à la Noël de l’an 800.


Cette cérémonie s’explique en partie par la situation dans
laquelle se trouvait l’Empire byzantin : si le couronnement
impérial de Charlemagne fut ressenti comme une usurpation
à Byzance, inversement, à Aix-la-Chapelle et à Rome, on
considérait comme vacant le trône occupé par l’impératrice
Irène. Mais surtout, la promotion impériale de Charlemagne
s’inscrit dans le prolongement de la politique de protection
de l’Église et de défense de la foi menée par les Carolingiens
depuis plusieurs générations.

Réformer la société
Les conquêtes territoriales à elles seules ne justifiaient pas
le prestige de Charlemagne. Son accession à l’Empire sanc-
tionne aussi un effort de renouvellement du royaume des
Francs. On a coutume de parler de la « renaissance carolin-
gienne » (nous évoquerons ce phénomène ultérieurement,
lorsque nous dresserons un bilan de l’expérience carolin-
gienne) ; en fait, l’idée essentielle est celle de « correc-
tion » – correction des mœurs, des institutions, de la langue,
CHARLEMAGNE 59

etc. Le document qui nous permet au mieux de connaître ce


programme politique est le capitulaire de mars 789, connu
sous le nom d’Admonitio generalis : ce texte normatif est une
« exhortation générale » par laquelle, à l’instar du roi Josias
de l’Ancien Testament qui s’était efforcé de « ramener au
culte du vrai Dieu le royaume que ce dernier lui avait donné
en le parcourant, en le corrigeant et en l’exhortant », le roi
franc voulait « corriger les erreurs, supprimer ce qui est
superflu et encourager ce qui est juste », en requérant le
soutien des évêques et de tous les membres du clergé. Char-
lemagne avait peu légiféré auparavant, ce qui prouve qu’il
plaçait initialement ses priorités dans l’action militaire. En
revanche, l’historien dispose d’une profusion de textes nor-
matifs datant de la seconde moitié de son règne. Le capitulaire
de 789, dont l’essentiel fut confirmé lors du concile de Franc-
fort de 794, expose clairement que la mission du roi est de
conduire son peuple au salut. La plupart des aspects de la vie
sociale et ecclésiale y sont évoqués. Quant aux raisons immé-
diates du couronnement impérial, elles s’avèrent en réalité
beaucoup plus prosaïques : les déboires du pape en sont à
l’origine.

Léon III en Saxe


Le 25 avril 799, au cours d’une procession à Rome, le
pape Léon III fut victime d’un attentat fomenté par des
parents de son prédécesseur, Hadrien Ier, qui avaient monté
l’aristocratie romaine contre lui : ses agresseurs voulurent
l’aveugler et lui couper la langue, pour l’empêcher d’exercer
ses fonctions. Ils n’y parvinrent pas, mais Léon fut fait pri-
sonnier et gardé dans des monastères grecs de Rome. C’est
de là qu’il réussit à s’échapper ; il se rendit à la cour de
Charlemagne pour lui demander justice au début de l’été 799.
Le roi des Francs choisit de recevoir le pape en son palais
de Paderborn : ainsi il opposait à la détresse du pontife le
faste d’un roi victorieux des opposants les plus rebelles et se
posait en champion de la foi. Les négociations qui eurent
alors lieu portèrent essentiellement sur la question de la
60 CHARLEMAGNE

possibilité juridique de juger le pape, certains – comme


Alcuin – étant d’avis qu’on n’en avait pas le droit. Il fut par
conséquent décidé que l’on raccompagnerait le pape avec
tous les honneurs dus… et que l’on aviserait aux mesures à
prendre une fois à Rome.

Charlemagne à Rome
Le roi des Francs se laissa le temps de la réflexion. Ce
n’est qu’un an plus tard, et après avoir abondamment consulté
ses conseillers, que Charlemagne se mit en route pour l’Italie.
À Rome, des missi avaient enquêté à la fois sur les agis-
sements des conspirateurs et sur les griefs qu’ils avaient à
l’égard du pape. Le procès, qui avait commencé peu avant
l’arrivée du roi des Francs, se retourna contre les détracteurs
du pape, qui s’accusèrent réciproquement d’être responsables
de l’affaire. Charlemagne exigea alors de Léon III la presta-
tion d’un serment purgatoire, c’est-à-dire qu’il se soumette à
une ordalie : on tenait alors pour incontestable que Dieu le
punirait sur-le-champ s’il mentait. C’est ainsi que le pape
jura qu’il était innocent de tout ce qu’on lui reprochait, le
23 décembre 800, devant un concile réuni à Saint-Pierre.
Quant aux accusateurs du pontife romain, on remit leur
procès à un peu plus tard, lorsque Charlemagne pourrait légi-
timement les accuser de lèse-majesté pour avoir troublé
l’ordre public en s’en prenant au pape : il ne faisait de doute
pour personne que le roi des Francs allait ceindre la couronne
impériale.

Noël 800
Divers indices ne laissaient personne dupe : Charlemagne
avait entrepris ce nouveau pèlerinage à Rome pour y être
couronné empereur. Son arrivée triomphale dans la ville en
était la preuve : contrairement aux fois précédentes, le pape
était venu l’accueillir non plus à six milles, mais à douze
milles de Rome, où Charlemagne entra non à pied, mais à
CHARLEMAGNE 61

cheval, au milieu des bannières et sous les acclamations de


la foule. Nous avons affaire là au protocole réservé à l’arrivée
de l’empereur. Par ailleurs, le jour de Noël, la messe aurait
dû être célébrée à Sainte-Marie-Majeure, et non à la basilique
Vaticane : le couronnement impérial ne résulta donc pas
d’une initiative toute spontanée du pape (réputé être le dépo-
sitaire des insignes impériaux en vertu de la fausse donation
de Constantin), mais fut le fruit d’une minutieuse préparation.
Éginhard affirme pourtant que Charlemagne était mécontent
de ce qui s’était passé à Saint-Pierre et qu’il n’y serait pas
entré s’il avait connu les desseins du pape. C’est que ce
dernier n’avait pas respecté le protocole convenu ; il avait
profité de ce que le roi des Francs était agenouillé devant
l’autel dit « de la Confession de saint Pierre » pour le cou-
ronner, déclenchant des cris d’acclamation, sur le modèle des
Laudes royales : « À Charles, Auguste, couronné par Dieu,
grand et pacifique empereur des Romains, vie et victoire. »
De manière fort habile, le pape avait inversé le rituel, en
conférant au couronnement et à la bénédiction de l’empereur
(et non à son sacre, attesté pour la première fois en 816) le
caractère constitutif normalement attaché à l’acclamation par
l’armée et le peuple. Par la suite, le couronnement impérial
de Charlemagne fut compris comme l’expression d’une conti-
nuité voulue par la Providence, depuis les empereurs romains
jusqu’à ceux du Moyen Âge.

La renommée de Charlemagne
Charlemagne, dès avant son couronnement impérial, peut
être considéré comme le maître de l’Occident. En 798, une
délégation d’opposants à l’impératrice Irène était d’ailleurs
venue à la cour franque pour offrir l’Empire au roi des Francs,
qui avait refusé. Charlemagne entretenait des relations
amicales avec le roi anglo-saxon Offa de Mercie († 796) et
avec le roi des Asturies, Alphonse II († 842), qui avait besoin
de son soutien face à l’émir de Cordoue. L’auteur des Annales
royales fait mention du cadeau somptueux qu’il envoya à
Charlemagne en 798. Le renom de ce dernier était en effet
62 CHARLEMAGNE

grand chez les peuples étrangers, ce dont témoigne la pro-


tection que le roi des Francs exerçait sur les sanctuaires
chrétiens de Terre sainte. Des représentants du patriarche de
Jérusalem arrivèrent d’ailleurs à point nommé à Rome en
décembre 800, pour remettre à Charlemagne les clefs du
Saint-Sépulcre. Le souverain était en effet intervenu auprès
du calife de Bagdad pour lui demander de mettre un terme
aux vexations exercée sur les chrétiens de Palestine. En
octobre 801, un éléphant du nom d’Abul Abaz arriva à la
cour d’Aix : c’était un cadeau du calife Harûn al-Rashid. Il
fut placé dans la réserve zoologique du palais et mourut en
810. La présence de cet animal à la cour franque fit vraiment
sensation.

Les relations avec Byzance


Le couronnement impérial de Charlemagne n’améliora en
rien les relations déjà tendues avec Byzance. Cependant on
évita tout conflit : Irène envoya une ambassade à Aix-la-
Chapelle pour connaître les intentions de Charlemagne et ce
dernier envoya à son tour des grands du royaume à Byzance.
Il semble qu’on ait songé à régler tout problème de rivalité
par un mariage entre Charlemagne et Irène ; le renversement
de cette dernière, en 802, rendit ce projet définitivement
caduc.
Après quelques tentatives de rapprochement également
infructueuses au début du règne de Nicéphore Ier (802-811),
les relations se tendirent à nouveau. Elles se traduisirent par
des actions militaires sur les côtes de l’Adriatique et par un
coup d’éclat théologique : l’affaire du Filioque, lorsqu’en 809
Charlemagne fit modifier le texte du Credo défini au concile
de Nicée en 325 (désormais, il fallait confesser que le Saint-
Esprit procède du Père « et du Fils »). Par ailleurs, les
Vénitiens s’étant ralliés aux Francs, Byzance dut négocier.
Le nouvel empereur, Michel Ier Rangabé, reçut une ambas-
sade franque dépêchée en 811 et, l’année suivante, envoya
des cadeaux à Charlemagne, reconnaissant ainsi sa dignité
CHARLEMAGNE 63

impériale. Désormais, le souverain d’Occident était réputé


être le « frère » du basileus.

CHARLEMAGNE, ROI ET EMPEREUR

Après Noël 800, Charlemagne s’abstint de porter le titre


d’empereur des Romains : il se disait « sérénissime Auguste,
couronné par Dieu grand et pacifique empereur, gouvernant
l’empire des Romains ». Surtout, il n’abandonna pas ses titres
royaux : le pouvoir du roi des Francs et des Lombards était
rehaussé par la dignité impériale, qui ne s’y substituait pas.
En fait, Charlemagne s’avéra le « phare de l’Europe »,
comme l’écrit un poète.

Les réformes de 802


Le couronnement impérial de Charlemagne fut l’occasion
pour lui de faire le point sur sa politique de réforme et de
réfléchir à la manière dont il pourrait la renforcer. C’est ce
qu’il fit en 802, une année durant laquelle il n’y eut aucune
campagne militaire. Charlemagne envoya des missi dans tout
l’empire, pour rendre justice aux églises et aux pauvres. En
octobre, il réunit une grande assemblée à Aix-la-Chapelle.
Là, il fit relire divers textes juridiques, ainsi que la Règle de
saint Benoît, et procéda à une révision du droit ; les dernières
lois « barbares », telles que la Loi des Saxons ou la Loi des
Frisons, furent alors rédigées. Le contrôle administratif des
comtes et des évêques, exercé par les missi, fut renforcé grâce
à l’instauration de vastes circonscriptions, les missatica.

Charlemagne à la chasse
Le pouvoir d’un souverain se mesure à la faculté qu’il a
de préserver la paix dans le royaume – autrement dit, au
64 CHARLEMAGNE

contrôle qu’il exerce sur la violence. De manière significative,


le poète qui décrit la visite de Léon III à Paderborn nous
présente le souverain s’adonnant à la chasse. De fait, il s’agis-
sait d’une des activités préférées du roi des Francs. Mais la
chasse n’était pas un sport comme les autres. La vaillance au
combat et l’habileté dans le maniement des armes étaient
parmi les principales caractéristiques de la noblesse, voire de
la royauté ; les chasses réputées royales, telles la chasse aux
animaux féroces et la chasse à courre, étaient nécessaires,
parce que le roi y reproduisait un simulacre de la guerre,
manifestant ainsi son pouvoir de commandement et la
maîtrise qu’il exerçait sur la violence. Jusqu’à la fin de son
règne, Charlemagne fut un roi chasseur : Éginhard affirme
que, « malgré son âge », il partit encore chasser aux environs
d’Aix durant l’automne de 813.

La mort de Charlemagne
C’est durant l’hiver que l’empereur tomba malade. Il
mourut le 28 janvier 814 et fut inhumé à Aix-la-Chapelle, le
jour même. Éginhard dit que « son corps, suivant le rite, une
fois lavé et la toilette faite, fut porté à l’église et inhumé au
milieu de la désolation du peuple tout entier… ». On mit sa
tombe sous une arcade dorée avec son portrait et une inscrip-
tion, dont voici le texte : « Sous cette pierre repose le corps
de Charles, grand et orthodoxe empereur, qui noblement
accrut le royaume des Francs et pendant quarante-sept années
le gouverna heureusement… » Éginhard ne parle pas du sar-
cophage ; il n’est guère mentionné que dans des sources
tardives, liées à l’ouverture de la sépulture en l’an mil, ou
bien à la translation opérée le 29 décembre 1165 à l’occasion
de la canonisation faite par Pascal III sur l’ordre de Frédéric
Barberousse. Le texte d’Éginhard, très sobre, est en contra-
diction avec les témoignages ultérieurs, liés à l’invention des
restes de Charlemagne par Otton III. Il est possible que
l’empereur ait été inhumé à l’aplomb du trône et qu’on ait
masqué la tombe pour la protéger des Normands venus à Aix
CHARLEMAGNE 65

en 881, ce qui expliquerait la peine qu’Otton III eut à la


trouver.

Le sarcophage de Charlemagne

Le sarcophage choisi pour contenir la dépouille de Charlemagne


fut réalisé à Rome au début du IIIe siècle de notre ère. La scène
sculptée, qui représente l’enlèvement de la fille de Cérès, Pro-
serpine, par Pluton, illustre l’intérêt que les lettrés de la cour
carolingienne éprouvaient pour l’Antiquité. L’alternance du séjour
de Proserpine sur terre et dans l’Hadès est liée au retour cyclique
des saisons. L’explication de ce mythe est fournie, entre autres,
par saint Augustin dans sa Cité de Dieu, un ouvrage dont Char-
lemagne appréciait tout particulièrement la lecture.

Le souvenir de Charlemagne
Chaque année, à la date anniversaire de son décès, on priait
pour Charlemagne dans les nombreuses églises dont il fut le
bienfaiteur, comme le prouve la mention de son nom dans
leurs nécrologes. Wandalbert de Prüm, l’auteur d’un marty-
rologe composé vers 848, témoigne du respect attaché au
souvenir de l’empereur : il fait mémoire de « Charles, lumière
et honneur du monde, objet de l’amour de la patrie, porteur
de l’insigne dignité impériale et dont la mort a plongé la terre
entière dans le deuil ».

Un empereur de légende
Le temps de Charlemagne devint vite un âge d’or. Nithard,
un témoin privilégié de la crise politique des années 830/840,
considère qu’« au temps de Charlemagne, la paix et la
concorde régnaient en tout lieu » et que « c’était partout
l’abondance et la joie », sa propre époque étant marquée par
« la misère et la tristesse ». Pour Notker le Bègue, un moine
66 CHARLEMAGNE

de Saint-Gall qui écrivit une Geste de Charlemagne à l’inten-


tion de Charles le Gros, vers 883, le règne du grand empereur
fut heureux car c’était un souverain vaillant aux combats,
mais plein d’humanité. Avec beaucoup d’humour, Notker
nous rapporte les multiples anecdotes qui couraient alors sur
Charlemagne et témoigne de la formation d’une légende.
Cette dernière fut véhiculée par les chansons de geste au
Moyen Âge central. La Chanson de Roland est le texte le
plus célèbre, mais c’est loin d’être le seul. Dans ce récit, on
ne garda que le souvenir des guerriers qu’étaient Charles et
ses compagnons ; de manière significative, les lettrés de la
cour n’ont pas place dans les chansons de geste, contraire-
ment à l’évêque de Reims, Tilpin (appelé Turpin), qui mul-
tiplie les prouesses militaires.
Chapitre III

LOUIS LE PIEUX
814-840

LA LONGUE ATTENTE DU POUVOIR

Sous le règne de Louis le Pieux, on racontait qu’Alcuin


aurait prédit à Charlemagne que son fils cadet lui succéderait.
Cela se serait passé au printemps de l’an 800, lorsque le roi
s’était rendu à Tours : au contraire de ses frères, Louis seul
aurait fait preuve de l’humilité et de la piété nécessaires pour
régner ; son comportement lors de ce pèlerinage aurait donc
révélé qu’il était digne de recevoir l’héritage. Mais son père
n’était pas pressé de l’associer au pouvoir.

Louis, roi des Aquitains


En 781, alors qu’il n’avait pas encore trois ans, Louis fut
sacré roi d’Aquitaine et couronné par le pape Hadrien Ier, lors
des fêtes de Pâques que Charlemagne célébra à Rome. Il fut
envoyé en Aquitaine avec un régent. On le transporta en litière
jusqu’à Orléans ; là, il fut armé et hissé sur un cheval, afin
de faire une entrée royale dans son nouveau royaume. Cette
séparation de son père n’était pourtant pas définitive : Louis
revint plusieurs fois à sa cour, notamment pour mener le
contingent aquitain à l’ost quand il en recevait l’ordre. Ce fut
le cas dès l’été de 785, lorsque le roi des Francs réunit sa
famille à Paderborn, en Saxe. L’enfant de sept ans qu’était
alors Louis entreprit donc ce long déplacement à cheval,
« parce que son père craignait que son fils, étant donné son
68 CHARLEMAGNE

âge tendre, n’adoptât quelque coutume étrangère dont il lui


serait ensuite difficile de se débarrasser ». Ce ne fut pas le
seul voyage que le roi effectua hors d’Aquitaine : il accom-
pagna son père lors de plusieurs campagnes en Saxe et
conduisit aussi son contingent jusqu’en Italie du Sud en 792,
lorsqu’il fut envoyé avec son frère, Pépin d’Italie, combattre
le prince de Bénévent. C’est cependant aux confins méridio-
naux de son propre royaume que Louis eut vraiment l’occa-
sion d’exercer le pouvoir de commandement.

L’apprentissage du pouvoir
Une fois majeur, c’est-à-dire à quinze ans, Louis ne se
contenta plus de conduire son ost sur tel lieu de bataille et
d’observer les combats : il prit lui-même le commandement
et multiplia les campagnes militaires dans les Pyrénées. Une
de ses plus belles victoires fut la prise de Barcelone, en 801.
Toutes les campagnes qu’il entreprenait étaient soumises à
l’approbation de Charlemagne : le roi d’Aquitaine était aux
ordres de son père et ne jouissait pas d’une réelle autonomie.
Pourtant, les apparences étaient sauves : il avait à sa dispo-
sition un personnel formant son palais, il avait des revenus
propres et des résidences attitrées. Nous savons que la cour
séjournait en alternance dans quatre palais : à Doué-la-
Fontaine (en Anjou), à Chasseneuil en Poitou (là où Louis
était né), à Angeac (sur la Charente) et à Ébreuil-sur-Sioule
(au nord du Massif central). C’est toutefois de préférence à
Toulouse, dans l’ancienne capitale du royaume wisigothique,
que Louis réunissait le plaid général, c’est-à-dire l’assemblée
des grands du royaume. C’est là que les grandes décisions
politiques étaient prises, là qu’on jugeait les affaires impor-
tantes. Mais il n’était pas nécessaire d’attendre la réunion
d’un plaid pour obtenir justice du roi d’Aquitaine : Louis
tenait tribunal trois jours par semaine.
LOUIS LE PIEUX 69

Le couronnement à Aix
Louis le Pieux avait été confirmé dans son royaume en
806, lorsque Charlemagne régla sa succession, mais le décès
de ses frères, Pépin et Charles, modifia la donne politique :
aux yeux des contemporains du roi d’Aquitaine, il était évi-
dent que Dieu avait ainsi manifesté son désir de préserver
l’intégrité du royaume des Francs et de promouvoir le ben-
jamin, Louis, à l’Empire. Charlemagne mit du temps à l’ac-
cepter ; pourtant, certains de ses conseillers, conscients de
son âge relativement avancé pour l’époque, avaient profité
d’une visite du fauconnier de Louis à la cour impériale pour
inviter le roi d’Aquitaine à se rendre à Aix-la-Chapelle, afin
d’être associé au gouvernement de l’Empire. Mais Louis
n’osa pas prendre l’initiative d’un tel voyage, par crainte de
son père. Il attendit donc que l’empereur se résolve à le
convoquer, en 813. C’est un dimanche de septembre qu’eut
lieu le couronnement dans la chapelle d’Aix, en présence des
grands du royaume. Après avoir prodigué moult conseils à
son fils et lui avoir demandé de s’engager à les suivre, Char-
lemagne lui ordonna de prendre une couronne déposée à cette
fin sur l’autel du Sauveur et de s’en ceindre la tête. Louis
était désormais coempereur. Il s’en retourna en Aquitaine et
attendit son heure à Doué-la-Fontaine, le palais situé à la
frontière septentrionale de son royaume.

Un voyage triomphal
À la mort de Charlemagne, un messager fut dépêché en
toute hâte auprès de Louis le Pieux : il mit cinq jours pour
se rendre d’Aix-la-Chapelle à Doué-la-Fontaine. L’héritier,
qui rongeait son frein, avait convoqué un plaid pour la Chan-
deleur : il en profita pour se faire acclamer par les siens.
Ensuite, Louis prit son temps pour se rendre au palais de son
père : le voyage dura trois semaines, car c’était l’occasion
pour le peuple de manifester sa liesse. Le poète Ermold le
Noir décrit les gens se jetant à l’eau pour traverser la Loire
à la nage et voir de près le nouveau souverain. Ce voyage
70 CHARLEMAGNE

triomphal lui permit également de recevoir sur le chemin


l’hommage des grands, qui le reconnaissaient ainsi comme
leur seigneur. Une fois parvenu à Orléans, Louis gagna Aix
en passant par Paris et par Herstal, où le comte Wala, un
cousin de Charlemagne, et une bonne partie de l’aristocratie
franque lui firent leur soumission. Wala fut utilisé par Louis
le Pieux, qui l’envoya à Aix avec un parent de la reine Ermen-
garde, son épouse, et deux membres de la famille des
Widonides, pour mettre de l’ordre à la cour avant son arrivée :
c’est en réalité dans un contexte assez tendu que le nouvel
empereur s’établit à Aix, car ce remue-ménage fut l’occasion
de règlements de comptes et il y eut mort d’homme.

L’ENTHOUSIASME DES DÉBUTS

Peu après son installation à Aix-la-Chapelle, Louis le


Pieux renvoya la plupart des conseillers de Charlemagne. Ce
fut le cas du comte Wala, qui devint moine à Corbie, et de
l’abbé Adalhard, son frère, exilé à Noirmoutier. Une nouvelle
génération prenait le pouvoir, avec la ferme intention de
réformer l’Empire au moment même où il était le plus flo-
rissant.

L’empereur qui ne riait jamais


Dans les premières années de son règne, Louis le Pieux
réunit plusieurs plaids généraux pour imposer ses idées en
matière de gouvernement et réformer le clergé, grâce à l’aide
de son ami, l’abbé Benoît d’Aniane, pour qui un nouveau
monastère fut fondé à Inden, non loin d’Aix-la-Chapelle.
L’empereur aimait à s’y retirer pour réfléchir et prier. Thégan,
l’un de ses biographes, raconte qu’à la cour, Louis était obligé
de distraire ses convives en invitant des histrions à se produire
lors des banquets, mais que lui-même ne s’abandonnait
jamais au rire : son idéal était tout monastique, ce qui ne veut
LOUIS LE PIEUX 71

pas dire que Louis le Pieux était pour autant le jouet des
clercs, bien que ce fût en prenant conseil auprès de « ceux
qui pensent sagement », comme il l’affirme dans l’un de ses
capitulaires, que l’empereur prit une série de mesures visant
au « renouveau du royaume des Francs ». Très vite, Louis fut
désigné comme « le Pieux », mais cela ne signifie pas qu’il
était particulièrement « bigot » : il s’agit d’une épithète fai-
sant partie des titres habituels de l’empereur, qui est censé
être en toute occasion « très pieux », « très heureux » ou
« invaincu ». Certes, nous savons que Louis était animé d’une
foi intense et qu’il assistait aux offices chaque jour – comme
Charlemagne, du reste. Cependant, les traits de son caractère
qui ont frappé ses contemporains étaient, pour l’essentiel, sa
générosité, sa sobriété, son sérieux. Certains historiens l’ont
appelé « Louis le Débonnaire » pour insister sur une bonté
confinant à la faiblesse. Il est difficile de se livrer à une
analyse psychologique. Il semble toutefois incontestable que
Louis laissa parfois trop libre cours à ses sentiments ou se
montra intransigeant dans la poursuite de ses idéaux ; il
n’était pas à l’aise dans les louvoiements de la vie politique.

La protection du souverain
Quelques mois après être monté sur le trône, Louis le Pieux
convoqua une grande assemblée politique à Aix-la-Chapelle,
en août 814. Il accueillit alors une ambassade byzantine pour
confirmer la paix entre les deux empires et une délégation
envoyée par le prince Grimoald promit le paiement annuel
d’un tribut, geste par lequel il reconnaissait la dépendance
du duché de Bénévent à l’égard du souverain franc. L’empe-
reur reçut également l’hommage vassalique de son neveu, le
roi Bernard d’Italie, qui avait succédé à Pépin en 812, sur la
décision de Charlemagne. Au cours de cette assemblée, Louis
le Pieux ordonna l’envoi de missi, c’est-à-dire de repré-
sentants du souverain munis de larges pouvoirs, afin de rendre
justice dans toutes les régions de l’Empire et de rétablir dans
leurs droits ceux qui avaient pu être lésés par les agents
publics du temps de Charlemagne : la défense des « pauvres »
72 CHARLEMAGNE

– c’est-à-dire des veuves, des orphelins et de toutes les per-


sonnes n’ayant pas de protecteur – faisait partie des devoirs
d’un prince qui se voulait juste. En outre, de nombreux
évêques et abbés profitèrent de leur venue à la cour pour faire
renouveler leurs privilèges par le nouvel empereur ; les
notaires du palais furent tout particulièrement sollicités
durant les premières années du règne. Ce renouvellement
massif des privilèges était voulu par Louis le Pieux, qui subor-
donna désormais à l’entrée dans sa « mainbour » (mot d’ori-
gine germanique signifiant protection) la jouissance du pri-
vilège d’immunité, qui interdisait aux agents publics l’entrée
sur les terres du bénéficiaire – à charge pour ce dernier d’y
faire respecter le ban du roi. Cette mesure renforça l’influence
du souverain sur les établissements religieux. À cette occa-
sion, on rédigea de nouveaux diplômes, que Louis le Pieux
souscrivit de sa main.

De nouveaux usages de chancellerie


La rédaction de ces actes d’autorité que sont les diplômes
offre un bel exemple de ce qu’on appelle la « renaissance
carolingienne ». On conserve le texte d’une trentaine de
diplômes authentiques de Pépin le Bref, qui régna dix-sept
ans, et six fois plus d’actes établis au nom de Charlemagne,
qui régna quarante-cinq ans (donc presque trois fois plus
longtemps que son père). Cette augmentation se poursuivit
sous Louis le Pieux : en seulement vingt-six ans, ses notaires
rédigèrent trois fois plus de diplômes que ceux de son père.
Or les scribes, d’abord soumis à l’autorité de l’archichance-
lier Hélisachar, déjà en fonction lorsque Louis régnait en
Aquitaine, puis à celle de Fridugise, l’abbé de Saint-Martin
de Tours, ne rédigèrent pas seulement plus d’actes que leurs
devanciers : ils le firent mieux. Le formulaire des actes fut
en effet profondément modifié : la langue fut amendée, la
syntaxe devint plus claire et on épura la calligraphie.
Désormais, la rédaction des privilèges et autres documents
manifestant la volonté royale répondit à des règles plus
LOUIS LE PIEUX 73

précises, à une typologie plus stricte qui marqua pour


longtemps les usages de chancellerie.

Le sacre à Reims
Durant les premières années de son règne, Louis le Pieux
multiplia les initiatives montrant qu’il prenait ses distances
par rapport au gouvernement de son père. Le sacre célébré à
Reims en apporta également la preuve. La cérémonie de 813
avait été bien différente du couronnement impérial de
l’an 800, car Charlemagne avait voulu affranchir le pouvoir
impérial de l’autorité du pape. Au contraire, Louis souhaitait
être confirmé dans ses fonctions par le successeur de Pierre,
qui conférerait ainsi à la dignité impériale une dimension
spirituelle : pour le nouvel empereur comme pour les
membres de son entourage, Dieu est en effet à l’origine de
tout pouvoir. Louis avait pour devise la « rénovation du
royaume des Francs » : lui, qui était un nouveau Clovis, invita
par conséquent le pape Étienne IV à Reims, là même où le
roi des Francs avait été régénéré par le baptême. Étienne IV
fut reçu avec faste à Saint-Remi. Le 5 octobre 816, au terme
de plusieurs jours de fêtes et de banquets, le pape sacra Louis
le Pieux en tant qu’empereur dans la cathédrale ; il le ceignit
d’une couronne apportée spécialement de Rome (elle était
réputée avoir appartenu à Constantin) et couronna également
son épouse, Ermengarde.

L’ordinatio imperii de 817


Quelques mois plus tard, Louis prit la décision la plus
lourde de conséquences de tout son règne. Lors des fêtes de
Pâques de l’an 817, la cour se trouvait à Aix-la-Chapelle. Le
jeudi saint, au retour de la célébration de la messe, la galerie
de bois qui reliait la chapelle au reste du palais s’écroula au
passage de l’empereur et de sa suite. On craignit que cet
accident ne fût un mauvais présage : Louis, qui avait déjà
presque quarante ans, décida de régler sa succession. Lors
74 CHARLEMAGNE

du plaid général de juillet, après avoir ordonné trois jours de


jeûne et de prière, l’empereur décida d’associer au pouvoir
son fils Lothaire, alors âgé de vingt-deux ans, établissant ainsi
pour la première fois une distinction qui privilégiait l’aîné
dans l’héritage.
Lors du plaid de l’été de 814, Louis le Pieux avait établi
Lothaire comme roi de Bavière ; désormais, ce royaume fut
attribué au frère benjamin de l’empereur associé, Louis (que
l’on appellerait « le Germanique »), encore mineur à
l’époque. Pépin, le frère puîné de Lothaire, devait garder
l’Aquitaine, qu’il avait également reçue en 814. L’essentiel
de la décision prise en 817 porte donc moins sur les partages
territoriaux que sur la répartition des pouvoirs : Pépin et Louis
devaient se montrer soumis à l’autorité de leur frère aîné qui,
en tant qu’empereur, avait la haute main sur la diplomatie
franque. Louis le Pieux prévoyait également que Lothaire
régnerait en Italie, ignorant ainsi les droits de son neveu, le
roi Bernard. En cette affaire, l’empereur commit deux
erreurs : d’une part, l’inélégance avec laquelle il tentait de
récupérer pour sa propre lignée l’intégralité de l’héritage de
Charlemagne ne pouvait qu’inciter Bernard à la révolte ;
d’autre part, en exigeant des fidèles qu’ils s’engagent par
serment à respecter cet accord, le souverain liait leur salut
dans l’au-delà à la stabilité politique de l’Empire – ce que,
plus tard, on ne manquerait pas de lui reprocher.

UNE POLITIQUE MISSIONNAIRE

Louis le Pieux fut un « soldat du Christ », qui travailla à


la diffusion du christianisme. C’est ce qu’exprime de manière
particulièrement claire un poème figuré de Raban Maur repré-
sentant l’empereur : contrairement à l’usage, il n’est pas
montré « en majesté », assis sur un trône, mais debout, armé
d’une croix et du bouclier de la foi.
LOUIS LE PIEUX 75

La conversion des campagnes


La christianisation des campagnes s’avérait d’autant plus
urgente que des peuples, à l’origine païens, avaient été
intégrés dans l’Empire ou étaient en passe d’entrer dans la
mouvance carolingienne : les Francs, dont la Loi rappelait en
son prologue qu’ils étaient « aimés du Christ », se devaient
de montrer l’exemple. La lutte contre les pratiques supersti-
tieuses était depuis longtemps l’une des préoccupations du
clergé ; elle le demeura sous Louis le Pieux, comme le prou-
vent plusieurs écrits de l’archevêque de Lyon, Agobard, qui
dénoncent les croyances des paysans de son diocèse selon
lesquelles, par exemple, certains sorciers pouvaient provo-
quer une tempête, faire tomber la grêle ou déclencher le
tonnerre. À tout prendre, mieux valait s’en remettre au saint
local. C’est ce qu’illustre un miracle de saint Hubert, dans le
deuxième quart du IXe siècle. Peu de temps avant, ses reliques
avaient été transférées de Liège à l’abbaye d’Andage. Alors
que diverses calamités météorologiques ravageaient le pays,
les paysans prièrent saint Hubert et le clergé organisa une
procession afin de lui demander son intercession – avec
succès. Pour célébrer sa protection bienveillante, les popu-
lations des environs gardèrent l’habitude de se rendre à
l’abbaye une fois par an et d’y apporter des offrandes. On
tient là un exemple de la façon dont les établissements monas-
tiques pouvaient exercer le contrôle spirituel des fidèles alen-
tour.
Les grands propriétaires fonciers contribuèrent beaucoup
au développement des paroisses rurales par la fondation, sur
leurs domaines, d’églises « privées » : il s’agissait de lieux
de culte construits et dotés par eux de revenus propres dont
ils gardaient le contrôle. On observe alors la mise en place
d’un réseau paroissial, renforçant la communauté des fidèles
en leur permettant de disposer d’un lieu de culte assez proche
de leur lieu d’habitation. C’est ainsi que les paysans dépen-
dant de l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés qui habitaient
Gif-sur-Yvette avaient une église sur place, bien qu’ils fissent
partie du domaine de Palaiseau, où il y en avait aussi une.
Ce n’est qu’un exemple parmi d’autres du rôle essentiel que
76 CHARLEMAGNE

les grands établissements ecclésiastiques jouèrent dans l’en-


cadrement spirituel des campagnes durant le Moyen Âge.

L’action missionnaire à Salzbourg

La christianisation des confins sud-orientaux de l’Empire nous est


bien connue, grâce à un mémoire sur « la conversion des
Bavarois et des Carinthiens », rédigé dans les années 870 pour
défendre les droits de l’Église de Salzbourg, concurrencés par
ceux de l’archevêque de Sirmium, saint Méthode (le frère de saint
Cyrille, l’inventeur de l’alphabet glagolitique). Ce texte, qui montre
bien que conversion et soumission politique étaient liées, relate
en particulier comment l’archevêque Arn († 821) non seulement
établit un chorévêque (c’est-à-dire un « évêque de la cam-
pagne ») en Carinthie, mais aussi « ordonna des prêtres partout
et les envoya dans le territoire des Slaves ».

Évangéliser les hommes du Nord


Louis le Pieux s’illustra tout particulièrement par le soutien
qu’il apporta à un prince danois, Harold. Ce dernier, en butte
à la rivalité d’autres princes de sa région d’origine, fit le pari
d’un rapprochement avec le souverain franc pour s’imposer
chez lui, grâce au soutien que lui offrirait son puissant allié.
En 814, Harold se rendit à la cour d’Aix-la-Chapelle et, plaçant
ses mains dans celles de l’empereur, devint son vassal. Il fut
ensuite envoyé en Saxe, pour attendre le moment opportun ;
en 815, il bénéficia d’une aide militaire pour franchir l’Eider
et reconquérir le Schleswig. Quelques années plus tard, en 826,
Harold et sa famille rendirent visite à Louis le Pieux, qui les
reçut avec faste au palais d’Ingelheim, sur le Rhin, et leur fit
administrer le baptême : l’empereur assuma le rôle de parrain
pour Harold, l’impératrice fut la marraine de son épouse et le
fils du prince danois devint le filleul de Lothaire. Tous les
Danois qui les accompagnaient furent également baptisés.
Harold et sa famille reçurent des vêtements brodés d’or ; aux
LOUIS LE PIEUX 77

autres, on distribua des habits à la mode franque : la conversion


au christianisme supposait une acculturation. Cependant, le
caractère tout relatif de ces conversions massives pour des
raisons essentiellement diplomatiques est illustré par une
anecdote que rapporte Notker le Bègue, à propos de la popu-
larité des baptêmes collectifs du temps de Louis le Pieux. Un
jour où l’affluence était grande, l’empereur aurait fait confec-
tionner des habits blancs en toute hâte, car il n’y en avait pas
pour tout le monde ; c’est alors qu’au sortir de l’eau, un Danois
âgé se serait plaint vivement : il avait déjà pris un bain à la cour
une vingtaine de fois, et jamais il n’avait reçu un vêtement de
si piètre qualité !
En 826, Harold demanda à Louis le Pieux de lui accorder
un missionnaire pour le raccompagner. Ce n’était pas la pre-
mière fois que l’empereur envoyait quelqu’un chez les
Danois : en 822, l’archevêque de Reims, Ebbon, avait déjà
entrepris un tel voyage, peut-être pour essayer de convertir
Harold. Cette fois, le choix de Louis se porta sur Anschaire,
un moine de Corvey, la « nouvelle Corbie », alors tout récem-
ment fondée en Saxe. Cette première mission tourna court.
Mais Anschaire repartit vers la Scandinavie en 829 et se
rendit jusqu’à Birka, où il évangélisa les populations durant
plusieurs mois. De retour dans l’Empire franc, il obtint en
831 la création d’un diocèse de mission, dont le siège fut
établi à Hambourg. L’année suivante, lors d’un voyage à
Rome, le pape Grégoire IV lui remit le pallium et en fit son
légat pour la Suède, le Danemark et les terres slaves au
nord-est de l’Empire.

LES FORCES DE LA DÉSUNION

Après quelques années prometteuses, le règne de Louis le


Pieux fut ébranlé par plusieurs crises, qu’il serait simpliste
d’expliquer uniquement par l’opposition de l’aristocratie
franque aux réformes imposées par les partisans du maintien
de l’unité de l’Empire au titre de l’unité de la foi. Plusieurs
78 CHARLEMAGNE

facteurs sont à l’origine de cette évolution, où les événements


familiaux jouèrent un grand rôle.

Bégon, l’ami du roi

Bégon fut comte en Aquitaine du temps de Louis le Pieux, dont


il épousa une fille ; c’est lui qui porta la nouvelle de la prise de
Barcelone à Charlemagne, en 801. Il avait reçu de ses contem-
porains le surnom d’« ami du roi », une expression qui soulignait
bien le rôle particulier qu’il jouait dans l’entourage royal ; il était,
par exemple, auprès de Louis lorsqu’on lui annonça la mort de
son père. Bégon devint ensuite comte de Paris, où il restaura la
vie monastique à Saint-Maur-des-Fossés. D’aucuns lui repro-
chaient sa cupidité : un récit de vision le présente condamné à
boire de l’or en fusion dans l’au-delà, pour étancher sa soif de
richesses.

Bernard d’Italie
Peu après le plaid de juillet 817, au cours duquel Louis le
Pieux régla sa succession et décida que son fils Lothaire
recevrait l’Italie après sa mort, le roi Bernard se révolta. Il
fomenta une conjuration des villes italiennes et ferma les
passages des Alpes. Louis le Pieux mobilisa immédiatement
l’ost et contraignit son neveu à rendre les armes en décembre,
près de Chalon-sur-Saône : Bernard se jeta aux pieds de
l’empereur et confessa ses fautes.
De hauts personnages avaient activement participé à ce sou-
lèvement ; l’évêque Théodulfe d’Orléans fut accusé d’y avoir
trempé. Tous furent jugés à Aix-la-Chapelle au printemps
suivant. Bernard fut condamné à mort, mais l’empereur le
gracia : il devait cependant être aveuglé. Le roi d’Italie
succomba-t-il à ses blessures ou préféra-t-il se suicider ?
Toujours est-il qu’il rendit l’âme le 17 avril 818 ; sa mort pèse-
rait désormais sur le règne de Louis le Pieux. Par ailleurs, cette
révolte fit prendre peur à l’empereur : alors qu’il s’était
LOUIS LE PIEUX 79

jusqu’alors occupé avec soin de ses demi-frères, Hugues,


Drogon et Thierry, comme il l’avait promis à Charlemagne, il
les fit tonsurer et enfermer dans des monastères.

La pénitence d’Attigny
Louis le Pieux ne fut pas en mesure de maintenir
longtemps le cap, et il dut composer. La disparition de plu-
sieurs membres importants de son entourage peut expliquer
son attitude : l’un de ses principaux conseillers, son gendre
Bégon, était mort en 816 ; son épouse, Ermengarde, était
décédée en octobre 818 à Angers, où elle fut inhumée ;
enfin, l’abbé Benoît, principal artisan de la réforme monas-
tique, mourut en février 821. Un personnel nouveau prit la
direction du palais : en 819, la chapelle fut confiée à l’abbé
de Saint-Denis, Hilduin ; vers la même époque, la chancel-
lerie passa sous la direction de Fridugise. Le changement
politique qui se préparait alors fut annoncé par le retour en
grâce de l’abbé Adalhard, en octobre 821. Il s’agissait d’un
compromis, puisque, à la même époque, Louis le Pieux
exigea un serment de ceux qui n’avaient pas encore
approuvé le partage de 817.
Le revirement fut consommé en août 822, au palais
d’Attigny. Lors d’une grande assemblée, l’empereur fit
publiquement acte de contrition : il reconnut avoir mal agi
envers son neveu, ses demi-frères et les cousins de son père,
Adalhard et Wala. Leur retour aux affaires signifiait la vic-
toire de la vieille garde : l’abbé de Corbie servit désormais
d’intermédiaire entre certains grands et l’empereur, et reçut
l’ordre d’accompagner Lothaire, qui représenta désormais
son père en Italie ; Lothaire fut sacré à Rome par le pape
Pascal Ier en avril 823 et négocia la « constitution » de 824,
qui réglait les relations entre l’Empire, la papauté et l’aris-
tocratie romaine. Paradoxalement, la pénitence d’Attigny fut
considérée comme une cérémonie toute à l’honneur de Louis
le Pieux – ne suivait-il pas ainsi l’exemple de Théodose ?
L’empereur ne fut d’ailleurs pas le seul à reconnaître ses
erreurs ; ce plaid s’avéra l’occasion d’un bilan critique de
80 CHARLEMAGNE

l’état de l’Empire, et des évêques reconnurent certaines


négligences, notamment dans le développement des lieux
d’enseignement. On pouvait donc s’attendre à un renouveau.
Il n’en fut rien.

La belle Judith
Le renouvellement du palais que nous venons d’évoquer
eut lieu à peu près en même temps que le remariage de Louis
le Pieux avec la fille du comte souabe Welf. Judith, dont
Thégan affirme qu’elle était « de toute beauté », fut sélec-
tionnée lors d’une sorte de concours, d’origine byzantine : en
819, l’empereur avait convoqué de nombreuses filles nobles
et c’est parmi elles qu’il fit son choix. Peu après son mariage,
Judith commença à peser dans la vie publique : elle fit venir
à la cour ses frères, Conrad et Raoul, elle agit en faveur de
sa famille, en plaçant sa mère à la tête de l’abbaye de Chelles
et en mariant sa sœur, Emma, à Louis le Germanique en 827.
À cette époque, son influence était considérable car cette
femme, au demeurant cultivée et dotée d’une grande intelli-
gence, avait donné un fils à l’empereur : Charles, l’enfant
chéri que Louis eut sur le tard. Les adversaires de la politique
menée vers la fin des années 820 ne s’y tromperaient pas :
si l’on voulait peser sur l’empereur, il fallait écarter son
épouse – ce qu’ils feraient en l’accusant d’adultère avec le
chambrier Bernard.

Bernard de Septimanie

Bernard était le fils de Guillaume de Toulouse et le filleul de Louis


le Pieux. En 824, son mariage avec Dhuoda fut célébré à la cour
d’Aix ; il devint ensuite comte de Barcelone. En 829, Louis le
nomma chambrier. En tant que responsable du Trésor, il devait
travailler en étroite relation avec Judith, qui gérait les cadeaux
royaux. Grande était alors son influence ; c’est lui qui poussa
l’empereur à envoyer l’ost en Bretagne en mars 830, en plein
carême ! Peu après, Bernard fut accusé d’adultère avec Judith. Il
LOUIS LE PIEUX 81

se purifia par serment en 831, mais ne regagna pas le cercle des


familiers de l’empereur ; au contraire, le duc de Septimanie reven-
diqua une certaine autonomie par rapport au pouvoir central.

Charles le dernier-né
Deux enfants naquirent de l’union de Louis le Pieux et de
Judith : une fille, Gisèle, qui épouserait le marquis Évrard de
Frioul vers la fin des années 830, et un fils, Charles, dont la
date de naissance exacte est indiquée dans plusieurs chroni-
ques – phénomène rarissime, qui prouve le retentissement
que cet événement eut alors. Tous les archevêques de l’Em-
pire furent d’ailleurs informés de la naissance de Charles à
Francfort-sur-le-Main, le 13 juin 823, puisque l’impératrice
envoya une bague à chacun d’entre eux en leur demandant
de prier pour l’enfant. Louis le Pieux éprouvait une grande
affection pour son fils, et il fit rapidement en sorte de lui
réserver une part d’héritage, violant ainsi le partage de 817,
scellé par maints serments. Dès 829, Charles reçut un terri-
toire au cœur de l’Empire, constitué par une partie de la
Bourgogne et l’Alémanie. La politique alors adoptée par
Louis le Pieux allait conduire à la révolte ses fils, qui vou-
laient influer sur le gouvernement de leur père. Le principal
enjeu de la seconde moitié du règne de Louis le Pieux devait
se réduire à la question du devenir de Charles – on comprend
la déception de certains, tel Éginhard, qui se retira alors des
affaires publiques.

Le partage des responsabilités


Le conflit qui opposa Louis le Pieux à ses fils et à certains
membres de l’aristocratie était motivé par leur désir d’être
consultés, voire associés aux décisions. Le renvoi de Lothaire
en Italie, à l’issue du plaid de 829 tenu à Worms, fut d’autant
plus mal perçu que le fils aîné de l’empereur avait, lors des
dernières années, participé plus étroitement au gouvernement.
82 CHARLEMAGNE

C’est ce qu’illustrent les diplômes, de 825 à 829 : ils sont


établis au nom de « Louis et Lothaire, par l’ordonnance de
la divine Providence, empereurs augustes ». Cette mesure
s’avère l’application, dans le gouvernement, d’un principe
exposé vers la même époque dans un capitulaire fondamental
pour l’histoire des idées politiques, l’Admonition à tous les
ordres du royaume : la notion de « ministère », c’est-à-dire
de « service ». Pour Louis le Pieux, qui s’inspire de la
conception paulinienne de corps mystique, chaque détenteur
d’une charge publique, quel que soit son rang, a part au
« ministère » impérial. D’où l’idée d’association de chacun
au pouvoir qui, sortie de son contexte mystique, peut servir
d’argument contre celui qui occupe le trône, s’il faillit à sa
tâche.

La révolte de 830
La fin des années 820 fut une période difficile. La desti-
tution des comtes d’Orléans et de Tours, Matfrid et Hugues,
en constitue les prodromes : en février 828, ils furent sanc-
tionnés pour le retard (apparemment voulu) avec lequel ils
avaient conduit l’ost en marche d’Espagne, menacée l’été
précédent par les Sarrasins. Par ailleurs, voici que divers
fléaux s’abattirent sur l’Empire : épidémies, épizooties,
famines – peut-être y était-on plus sensible en cette période
où chacun était conscient de la montée de tensions politiques.
Toujours est-il qu’on y vit le doigt de Dieu, sanctionnant ainsi
l’action des dirigeants. Quatre synodes furent convoqués par
l’empereur au printemps de 829, à Mayence, à Paris, à Lyon
et à Toulouse. Les conclusions des Pères réunis à Paris furent
rédigées par l’évêque d’Orléans, Jonas : elles révèlent une
profonde aspiration à une réforme de la vie publique et rap-
pellent, comme une menace, que le roi doit agir droitement ;
sinon, c’est un tyran. C’est dans ce contexte que tous les lésés
par la politique de Louis le Pieux prirent prétexte, en 830, de
la convocation de l’ost à une date inhabituelle, en plein
carême, pour aller réprimer des troubles en Bretagne et se
rebellèrent : ils se révoltèrent, non pas contre l’empereur,
LOUIS LE PIEUX 83

mais contre ses mauvais conseillers. Pépin d’Aquitaine se


joignit au mouvement et rétablit Hugues et Matfrid dans
leurs fonctions. Le chambrier Bernard s’enfuit ; Judith fut
contrainte de prendre le voile à Sainte-Radegonde de Poitiers
et ses frères furent tonsurés. Quant à Lothaire, qui rencontra
Louis le Pieux à Compiègne, il exigea de l’empereur son
rappel aux affaires. En réalité, comme Nithard l’écrirait
quelques années plus tard, Louis et son fils Charles demeu-
rèrent plusieurs mois « sous liberté surveillée ».

Le comte Matfrid d’Orléans

Matfrid, qui était probablement originaire de l’Eifel, est attesté


comme comte d’Orléans à partir de 815. Il s’agit de l’un des
grands personnages du règne de Louis le Pieux, qui commanda
plusieurs fois l’ost impérial et qui jouissait d’un prestige certain à
la cour. Son influence était connue, puisqu’il fut sollicité à plu-
sieurs reprises pour introduire des requêtes auprès de l’empereur.
Opposé à la politique de Louis le Pieux dans la fin des
années 820, il fut l’un des meneurs de la « révolte loyale » de 830
et prit les armes en faveur de Lothaire en 833. Il l’accompagna
dans son exil en Italie, où il mourut en 836.

LE « DÉSHONNEUR DES FRANCS »

Louis le Pieux mit quelque temps à recouvrer le pouvoir.


Lors du plaid d’octobre 830 à Nimègue, il écarta les hommes
forts du moment ; il rétablit Judith dans ses prérogatives lors
du plaid réuni à Aix, le 2 février 831. Lothaire dut regagner
l’Italie. Un nouveau partage des territoires eut lieu. En dépit
des apparences, l’Empire était loin d’être pacifié : au contraire,
la révolte semble désormais endémique.
84 CHARLEMAGNE

Rémunérer les fidélités


Dès la fin de l’année 831, Pépin d’Aquitaine reprit les
armes contre son père. Au début de 832, Louis le Germanique
tenta d’envahir le territoire de Charles. Tour à tour, l’empe-
reur soumit le roi de Bavière, emprisonna celui d’Aquitaine
et installa Charles à sa place. Il négocia aussi un nouvel
accord avec Lothaire. Un jeu de dupes s’instaura, où chacun
tentait d’acheter l’appui de l’autre, au mépris de toute bonne
foi. Cette attitude eut des répercussions sur les relations entre
le souverain et ses vassaux. En effet, le conflit entre Louis
le Pieux et ses fils les conduisit à se livrer à de la surenchère
pour garder leurs fidèles, voire débaucher ceux de leurs
rivaux. L’attribution de bénéfices n’y suffisait plus, car ces
biens pouvaient être récupérés par le seigneur en cas de man-
quement à la foi promise. C’est donc en toute propriété que
l’empereur commença à distribuer les terres appartenant au
fisc, enclenchant un processus qui devait contribuer à l’appau-
vrissement des souverains carolingiens, ainsi qu’à l’affaiblis-
sement du pouvoir royal. L’empereur compensait de la sorte
la diminution du butin, occasionnée par l’essoufflement des
conquêtes territoriales au début du IXe siècle.

Le « champ du mensonge »
Pépin d’Aquitaine réussit à s’échapper de Trèves, où il
était retenu prisonnier, et prépara un nouveau soulèvement
avec ses frères. Lothaire força le passage des Alpes et les
rejoignit en Alsace. L’archevêque de Lyon, Agobard, se fit
leur porte-parole pour dénoncer les agissements de Louis, en
l’accusant de parjure. Le pape Grégoire IV était là aussi : il
avait accepté de suivre Lothaire sous le prétexte que lui seul
parviendrait à réconcilier le père et ses fils. Sa présence
ébranla fortement les partisans de Louis le Pieux ; mais la
corruption contribua également au succès de ceux qui se
présentaient comme les garants de l’unité de l’Empire. À
l’issue de plusieurs jours de tractations aux environs de
Colmar, le camp de Louis se vida subitement dans la nuit du
LOUIS LE PIEUX 85

29 au 30 juin 833, la plupart des évêques et des grands laïques


passant dans celui de Lothaire : cet endroit fut désormais
appelé le « champ du mensonge ». L’empereur n’eut pas
d’autre choix que de se placer sous la protection de ses fils,
qui le séparèrent de Judith.
Lothaire prit le pouvoir et prépara la déposition de son
père. Le 1er octobre 833 à Compiègne, une assemblée eut à
connaître de ses fautes. Sous la présidence d’Ebbon de Reims,
les évêques reconnurent que Dieu l’avait privé du pouvoir et
lui accordèrent de se réconcilier avec Lothaire, au prix d’une
pénitence publique qui l’écarterait définitivement du trône.
Louis fut alors conduit en l’église Saint-Médard de Soissons,
pour s’avouer fauteur de scandale, coupable de sacrilège,
d’homicide et de parjure. Il fut ensuite contraint de se défaire
de ses armes et reçut l’habit de pénitent. La trahison de
l’empereur et la cérémonie qui s’ensuivit choquèrent certains
contemporains, qui les désignèrent dans les chroniques
comme le « déshonneur des Francs ».

Le procès d’Ebbon de Reims

Ebbon était le frère de lait de Louis le Pieux. D’origine servile, il


devint pourtant le bibliothécaire du roi d’Aquitaine, et fut promu
archevêque de Reims. En 833, il accepta de trahir son bienfaiteur
contre l’abbaye de Saint-Vaast (à Arras) et poussa l’ignominie
jusqu’à présider le tribunal devant lequel Louis comparut. Quand
l’empereur reprit le pouvoir, Ebbon s’enfuit chez les Danois, où il
avait conduit une mission douze ans plus tôt. Ils fut toutefois
rattrapé et jugé. Le 4 mars 835, à Thionville, Ebbon confessa ses
fautes et signa son acte de démission. Il fut gardé prisonnier
jusqu’à la mort de Louis le Pieux, d’abord à Fulda, puis à Fleury.

De nouveau empereur
Par méfiance, Lothaire garda Louis le Pieux prisonnier près
de lui. Or, son attitude despotique suscita très rapidement
86 CHARLEMAGNE

l’hostilité de ses frères, qui travaillèrent à la libération de leur


père. Le 28 février, Pépin d’Aquitaine et Louis le Germanique
dirigèrent leurs troupes vers Saint-Denis. Lothaire prit la
fuite. Le lendemain, une assemblée d’évêques accueillit
Louis le Pieux dans la communion des fidèles et le rétablit
dans la plénitude de ses fonctions. Après avoir été rejoint par
Judith, l’empereur se lança à la poursuite de Lothaire, dont
il obtint la soumission près de Blois, vers la fin de l’été. Le
fils rebelle et ses partisans furent contraints de s’exiler en
Italie. Le triomphe de Louis le Pieux n’était cependant pas
complet : il lui fallait être solennellement réinvesti du pouvoir
impérial, ce qui eut lieu au cours de l’assemblée réunie à
Thionville, le 2 février 835. La procédure de 833 fut alors
annulée : la pénitence publique était sans valeur, puisqu’elle
n’était pas spontanée. On se rendit ensuite à Metz, où Louis
fut couronné au cours d’une grand-messe célébrée par
l’évêque Drogon, son demi-frère.
Durant les dernières années de son règne, Louis le Pieux
renouvela sensiblement la composition de son palais. La
direction de la chapelle et celle de la chancellerie furent
confiées à ses demi-frères, Drogon et Hugues. L’objectif prin-
cipal de l’empereur demeurait cependant inchangé : il s’agis-
sait d’assurer une part d’héritage importante à Charles ;
Judith y veillait. C’est elle qui, à cette fin, incita son époux
à se réconcilier avec Lothaire. Les retrouvailles eurent lieu à
Worms, durant l’été de 839. Louis le Pieux procéda à un
nouveau partage des territoires, entre Lothaire et Charles…
au détriment de Louis le Germanique et de Pépin II d’Aqui-
taine, qui revendiquait l’héritage de son père, mort en
décembre 838. Comme on pouvait s’y attendre, Louis le Ger-
manique prit mal la chose : il se révolta une nouvelle fois.
L’empereur préparait la riposte lorsqu’il mourut au palais
d’Ingelheim, le 20 juin 840. La guerre civile était en germe.
Chapitre IV

CHARLES LE CHAUVE
840-877

LA GUERRE CIVILE

En 840, l’Empire carolingien plongea dans la guerre


civile : les fils de Louis le Pieux laissèrent libre cours à leurs
ambitions concurrentes et réglèrent leurs différends par les
armes. Cette situation résultait de la politique menée par leur
père depuis la naissance de Charles, passé à la postérité en
tant que Charles « le Chauve » : elle consistait à favoriser le
benjamin à tout prix, quitte à monter les frères les uns contre
les autres.

L’héritage de Louis le Pieux


Alors qu’il sentait la mort venir, Louis le Pieux avait fait
faire l’inventaire des objets précieux, des armes et des livres
en sa possession, afin de les distribuer entre les établissements
ecclésiastiques, les pauvres et ses fils, c’est-à-dire Lothaire
et Charles. Quant à Louis le Germanique, il était exclu de
l’héritage des trésors accumulés par son père, car il avait osé
formuler des protestations contre l’accord négocié à ses
dépens entre l’empereur, son fils aîné et le cadet. Louis le
Pieux avait tout particulièrement recommandé à son demi-
frère, l’archichapelain Drogon, d’envoyer à Lothaire une cou-
ronne et une épée d’or serties de pierres précieuses qu’il
recevrait à la condition expresse de se montrer loyal à l’égard
de Charles et de sa mère, Judith, et de protéger la « part de
88 CHARLEMAGNE

royaume » attribuée à son enfant chéri. Mais très vite,


Lothaire fit montre d’une volonté d’hégémonie au sein de
l’Empire carolingien.

Le lot de Charles
Vers la fin de l’été de 838, lors d’une assemblée tenue au
palais de Quierzy, Louis le Pieux avait armé son fils Charles,
au cours d’une cérémonie marquant son entrée dans l’âge
adulte, et il l’avait investi d’une portion de la Neustrie. Ce
territoire, centré sur le duché du Maine, était constitué des
régions entre Seine et Loire. Un serment de fidélité à l’égard
du fils de l’empereur fut exigé de tous les hommes libres.
La mort de Pépin d’Aquitaine, à la fin de la même année,
incita Louis le Pieux à voir plus grand pour son fils dernier-
né : il ambitionna de lui attribuer le royaume qu’il avait lui-
même reçu autrefois de Charlemagne, au mépris des droits
de son neveu, Pépin II, dont nous évoquerons plus tard les
démêlés avec Charles. Toujours est-il que, lors du plaid de
juin 839, Louis le Pieux divisa l’Empire en deux parties, à
l’exception de la Bavière, à laquelle le territoire de Louis le
Germanique était restreint : Lothaire choisit ce qui se trouvait
à l’est de la Meuse et Charles reçut les régions occidentales.
Il devait donc être le maître non seulement de toute la Neus-
trie et de l’Aquitaine, mais aussi de l’essentiel du territoire
actuel de la Belgique, et des régions allant de la Bourgogne
à la Provence, jusqu’aux contreforts des Alpes. C’est pour
défendre ses droits sur ce royaume et sauvegarder son indé-
pendance à l’égard de Lothaire que Charles fut contraint de
recourir aux armes peu après la mort de son père.

Un jugement de Dieu
Dès le mois de juin 840, Lothaire, qui séjournait en Italie,
se mit en route pour s’imposer comme le successeur de Louis
le Pieux ; il franchit les Alpes et dirigea son armée contre
Louis le Germanique, qui réussit à le maintenir hors de son
CHARLES LE CHAUVE 89

royaume. Après avoir négocié une trêve à Francfort-sur-le-


Main, Lothaire se tourna vers Charles le Chauve, après lui
avoir enjoint de ménager son neveu, Pépin II, qui attisait alors
l’opposition en Aquitaine. La position de Charles était fort
précaire non seulement dans cette région, mais aussi en Neus-
trie, où plusieurs membres de l’aristocratie firent défection
et se rallièrent à Lothaire. Ce fut par exemple le cas de l’abbé
de Saint-Denis, Hilduin, ou du fils de Bernard d’Italie, le
comte Pépin, à l’origine de la maison de Vermandois. À
Orléans, une trêve fut également négociée, en novembre 840.
Un plaid serait convoqué en mai de l’année suivante, au palais
d’Attigny : c’est là qu’on trancherait les différends. Charles
profita de ce répit pour rassembler des troupes. Toutefois,
l’assemblée prévue n’eut pas lieu et, au terme de plusieurs
tergiversations, Louis le Germanique se joignit à Charles dans
la région d’Auxerre, pour combattre Lothaire, auquel s’allia
Pépin II d’Aquitaine. L’affrontement eut lieu à Fontenoy-en-
Puisaye, le 25 juin 841, au terme de plusieurs jours de pour-
parlers : ne pouvant parvenir à un accord, les fils de Louis le
Pieux décidèrent de s’en remettre au sort des armes. Confor-
mément aux ordalies auxquelles on avait alors recours, Dieu
devait accorder la victoire au parti de la justice et du droit :
les troupes de Charles et de Louis battirent les hommes de
Lothaire, qui prirent la fuite. Ce fut un carnage, dont le spec-
tacle ébranla tous les témoins. Le lendemain, un dimanche,
Louis, Charles et leurs partisans « enterrèrent les morts, amis
et ennemis, fidèles et infidèles, sans distinction », comme le
rapporte Nithard avec émotion.

Les serments de Strasbourg


Les rivalités étaient alors telles qu’elles avaient conduit à
un affrontement fratricide. Bien qu’ils en fussent choqués,
les membres de l’aristocratie oublièrent vite leurs états d’âme
pour se replonger dans l’action militaire et les calculs poli-
tiques. Car Lothaire ne s’avouait pas vaincu : il se lança
successivement à la poursuite de Louis, puis de Charles, qui
bénéficia du ralliement de certains membres de l’aristocratie
90 CHARLEMAGNE

jusqu’alors prudents, tel Bernard de Septimanie. Lothaire


tenta de s’imposer militairement, mais il eut aussi recours à
la diplomatie, proposant à Charles de s’allier à lui contre
Louis. L’aîné ne réussit toutefois pas à monter ses frères l’un
contre l’autre : au contraire, ils s’engagèrent solennellement
à se porter secours lorsque leurs armées firent leur jonction,
au début de l’année 842. Le 14 février, ils se rencontrèrent
à Strasbourg et s’adressèrent chacun aux troupes de l’autre :
Louis le Germanique s’exprima en langue romane, et Charles
en francique, c’est-à-dire en langue germanique. Le texte de
leurs allocutions ainsi que celui du serment qu’ils pronon-
cèrent alors nous ont été transmis par l’historien Nithard : ils
constituent l’un des témoignages majeurs de l’évolution lin-
guistique des diverses parties de l’Empire carolingien. « Pour
l’amour de Dieu et le salut du peuple chrétien », les deux
frères s’engagèrent, d’une part, à se secourir mutuellement
et, d’autre part, à ne conclure avec Lothaire aucun accord
nuisible à l’autre. Ensuite, les troupes, chacune dans sa langue
cette fois, s’engagèrent à ne pas suivre leur seigneur au cas
où il se tournerait contre celui auquel il venait de jurer assis-
tance : les vassaux revendiquaient en quelque sorte le droit
de résistance.

Les jeux de Worms


Après avoir scellé leur alliance par des serments, les deux
frères se rendirent à Worms, chacun par un chemin différent :
Louis descendit le Rhin et fit étape à Spire, tandis que Charles
longeait le massif des Vosges en passant par Wissembourg.
Lorsqu’ils se retrouvèrent à Worms, vers la fin du mois de
février, ils eurent à cœur de célébrer leur bonne entente : ils
prirent alors tous leurs repas en commun, partagèrent le
même logis et se firent de nombreux cadeaux. Leurs troupes
furent associées à cette unanimité en apparence retrouvée :
on organisa des jeux. Plusieurs jours durant, on se réunit dans
un endroit assez vaste pour contenir toute la foule, qui se
rangeait sur les côtés. Divers groupes composés de Saxons,
de Gascons, d’Austrasiens ou de Bretons s’engageaient alors
CHARLES LE CHAUVE 91

dans une course ou simulaient des combats. Ensuite, les rois


entraient en lice et, à cheval, ils rejoignaient la mêlée, où les
accompagnaient tous les jeunes nobles. Nithard vante ce
spectacle, où l’on pouvait non seulement voir la fine fleur de
l’aristocratie, mais aussi (et peut-être surtout) admirer la maî-
trise de soi que supposait ce simulacre de bataille : on n’y
proférait aucune injure et on ne cherchait pas à blesser autrui.
Il s’agissait à la fois d’un moyen de défoulement, d’une
occasion de mesurer ses forces et de prouver sa bravoure, et
d’une manière de rappeler à tous que les souverains avaient
le contrôle de la violence. Ces mêlées où l’on « jouait à la
guerre » sont à l’origine des tournois.

Le soutien d’Adalhard
En dépit de la victoire de Fontenoy-en-Puisaye, interprétée
officiellement par les évêques comme un combat « pour la
justice et l’équité », et malgré l’alliance scellée avec son frère
Louis, les années qui suivirent la mort de son père furent
pour Charles une période particulièrement difficile, car son
autorité était vacillante au sein même de son royaume. Il
bénéficiait néanmoins de l’appui de certains membres de
l’aristocratie, notamment du sénéchal Adalhard, qui s’était
imposé comme l’un des principaux conseillers de Louis le
Pieux au cours des années 830 et avait été récompensé en
recevant l’abbatiat de Saint-Martin de Tours. Charles eut
recours aux services d’Adalhard en plusieurs occasions dif-
ficiles. Il lui confia par exemple la responsabilité de certaines
négociations : ainsi, durant l’automne de l’année 840, il avait
fait partie de l’ambassade dépêchée auprès de Lothaire pour
l’exhorter à respecter ses engagements ; à l’issue de la bataille
du 25 juin 841, où il commanda une partie de l’armée, c’est
également lui qui fut envoyé auprès des membres encore
réticents de l’aristocratie pour tenter de les convaincre de se
rallier à Charles. Son influence à la cour connut son apogée
lorsque le roi se maria, en décembre 842, au palais de
Quierzy : Charles épousa en effet Ermentrude, la nièce
d’Adalhard. À en croire Nithard, le calcul politique avait
92 CHARLEMAGNE

prévalu dans ce choix, car Adalhard semble être l’un de ceux


qui avaient incité Louis le Pieux à multiplier les donations
aux vassaux, lesquelles furent en partie à l’origine de l’affai-
blissement du pouvoir royal ; c’est pour cette raison que le
sénéchal était populaire au sein de l’aristocratie. Or Charles
s’allia à la famille d’Adalhard parce qu’il espérait ainsi
« attirer à lui la plus grande partie du peuple ».

Le partage de Verdun
C’est aussi en 842 que les trois frères s’accordèrent sur la
nécessité de négocier un partage de l’Empire en trois
royaumes indépendants. Les préliminaires eurent lieu au
printemps, en Bourgogne. Il fallait proposer une division
équitable, qui permît à chacun de récompenser ses fidèles.
Plusieurs négociations furent alors engagées, simplement
pour qu’on se mît d’accord sur les grandes lignes de ce
partage, dont le détail fut reporté à une assemblée convoquée
à l’automne. Après quelques négociations visant à assurer la
sécurité des délégués chargés de procéder au partage, cent
vingt membres de l’aristocratie (quarante pour chaque frère)
se réunirent à Saint-Castor de Coblence, le 19 octobre 842.
Il fut toutefois impossible de conclure un accord, parce que
les délégués n’avaient pu sillonner l’Empire pour acquérir
une connaissance exacte des territoires : Lothaire fut accusé
d’avoir mis obstacle aux enquêtes nécessaires. Après un mois
de tergiversations, on se réunit de nouveau à Thionville, pour
conclure simplement une trêve jusqu’à la mi-juillet de l’année
suivante. En fait, l’assemblée eut lieu à Verdun au mois
d’août 843 (on ignore la date précise). Un annaliste affirme
que, entre-temps, les représentants des souverains avaient
parcouru le royaume et établi un « inventaire des manses » :
on aurait donc vraiment procédé à un dénombrement des
domaines et à une estimation des richesses. Les rois confir-
mèrent par serment le partage en trois parties égales préparé
par l’aristocratie : grosso modo, Louis le Germanique reçut
tout ce qui se trouvait à l’est du Rhin et au nord des Alpes
et Lothaire eut la partie médiane, de la région entre Escaut
CHARLES LE CHAUVE 93

et Rhin jusqu’à l’Italie – Aix-la-Chapelle lui échut par consé-


quent, seule concession à son titre impérial. Quant à Charles,
il reçut tout le territoire se trouvant à l’ouest, qu’on appelle
pour cette raison la Francie occidentale. La frontière courait
à peu près parallèlement à quatre cours d’eau : le long de
l’Escaut, en-deçà de la Meuse, un peu au-delà de la Saône
et bien en-deçà du Rhône. À peu de choses près, cette limite
orientale du royaume devait être maintenue durant plus de
quatre siècles.

UNE MONARCHIE CONTRACTUELLE

Dans son Admonition à tous les ordres du royaume, Louis


le Pieux avait associé tous les titulaires d’une charge publique
à son « ministère », leur donnant ainsi prise sur lui. Presque
vingt ans plus tard, les membres de l’aristocratie de Francie
occidentale franchirent le pas suivant : à la faveur de la guerre
civile, ils posèrent leurs conditions concernant leur ralliement
au roi Charles, dont la position était encore précaire.
Désormais, la reconnaissance du souverain par les grands
serait soumise à un engagement de la part du candidat au
trône.

Les accords de Coulaines


Lors de la conclusion du traité de Verdun, la situation de
Charles en Francie occidentale était loin d’être stable : la
Bretagne s’était révoltée sous la conduite du comte
Nominoé ; de nombreux nobles d’Aquitaine soutenaient le
neveu de Charles, Pépin II, qui revendiquait la couronne de
son père. Par ailleurs, le royaume était soumis à la pression
de plus en plus forte des « hommes du Nord », les Vikings.
Nous reparlerons plus loin du rôle majeur qu’ils jouèrent dans
l’histoire du monde franc au IXe siècle. La discorde entre les
fils de Louis le Pieux favorisa en tout cas leur essor. Bref, en
94 CHARLEMAGNE

843, de nombreuses menaces pesaient sur le royaume de


Charles. Dans ce contexte tendu, les membres de l’aristocratie
prirent l’initiative d’une rencontre dans un domaine situé non
loin du Mans, à Coulaines, dans le courant du mois de
novembre 843. Les évêques, qui se posaient en véritables
censeurs de la vie politique depuis 829, et les grands laïques
dénoncèrent la « zizanie » qui menaçait l’Église et le royaume
et prirent certaines mesures, dans l’intérêt de tous. C’est alors
seulement qu’ils firent part de leurs décisions à Charles. Ce
dernier se rallia à leur avis et fit rédiger un document pré-
sentant les engagements auxquels il consentait pour rétablir
la concorde : c’est un véritable « traité », souscrit de la main
du roi et des grands. Le roi renonça aux mesures qu’il avait
prises jusqu’alors « par manque d’expérience ». Il s’engagea
à protéger les églises et à ne priver arbitrairement aucun grand
de ses fonctions. En échange, les membres de l’aristocratie
s’engagèrent à lui demeurer fidèles et à dénoncer toute ten-
tative de complot. La forme de cet accord – un « traité » entre
le roi et les membres de l’aristocratie – est tout à fait excep-
tionnelle. Sa teneur l’est tout autant : pour la première fois,
un roi reconnaissait qu’il tenait son pouvoir de ses fidèles,
qu’il se devait d’honorer en retour. De plus, Charles, qui avait
certes reçu une couronne des mains de son père en 838, n’était
alors toujours pas sacré : bien que, selon saint Paul, il ne soit
point de pouvoir qui ne vienne de Dieu, les évêques n’avaient
pas encore manifesté aux yeux de tous que le jeune roi était
son élu.

La promesse avant le sacre


Charles reçut plusieurs fois le sacre dans sa vie : après sa
victoire en Aquitaine, après sa conquête du royaume de
Lotharingie et pour son accession à la dignité impériale. Nous
reparlerons de ces événements en leur temps. Il importe tou-
tefois de souligner ici que les engagements pris par Louis le
Pieux, en 813, devant son père et, surtout, que les concessions
que Charles avait dû faire aux membres de l’aristocratie en
843, s’il voulait s’imposer comme roi, avaient ouvert la voie
CHARLES LE CHAUVE 95

à l’instauration d’engagements conditionnant l’accession au


pouvoir royal et la réception du sacre. En 869, avant de
recevoir l’onction des mains de l’archevêque Hincmar,
Charles dut faire une promesse dont la teneur était similaire
aux accords de Coulaines – il avait d’autant plus besoin du
soutien de l’épiscopat que, comme nous le verrons, son cou-
ronnement en tant que roi de Lotharingie était contestable. À
la mort de Charles, c’est encore Hincmar de Reims qui officia
lors du sacre de son fils, Louis le Bègue, en 877, et qui exigea
la même promesse du candidat au trône. Cette pratique
s’imposa donc lors de l’avènement des rois à la fin du
e
IX siècle : la promesse préalable au sacre fit désormais partie
intégrante de la cérémonie de couronnement des rois de
France.

Des décisions concertées


À Coulaines, en 843, les grands avaient pris l’initiative des
mesures visant au maintien de la cohésion du royaume. Ils
n’abandonnèrent pas totalement ce rôle par la suite. Certes,
il était depuis longtemps de coutume d’associer les hommes
libres, ou du moins les plus nobles d’entre eux, à la prise des
décisions, puisque les capitulaires étaient promulgués au
cours des plaids généraux. Néanmoins, la forme de ces textes
évolue quelque peu sous Charles le Chauve, en ce sens où il
ne s’agit plus systématiquement de l’énoncé d’ordres donnés
par le roi seul : la référence au « consentement des fidèles »,
qui était plutôt rare auparavant, devient relativement fré-
quente ; les capitulaires firent donc réellement l’objet d’un
examen de la part des membres de l’aristocratie. Le capitu-
laire promulgué à Quierzy en juin 877 offre le plus bel
exemple de cette association des grands aux décisions : la
version qu’on en conserve garde trace, pour plusieurs des
mesures alors prises, de la proposition de Charles le Chauve
et de la réponse qu’il obtint de ses fidèles.
96 CHARLEMAGNE

Vers la patrimonialisation des honneurs


Lors de ce plaid de Quierzy, tenu en juin 877 au moment
où Charles le Chauve s’apprêtait à partir en Italie, on prit une
décision révélatrice du poids de plus en plus grand des
familles aristocratiques dans la vie politique du monde franc :
il fut décidé que, si un comte venait à mourir en l’absence
du souverain, son fils exercerait ses pouvoirs sous réserve
d’être ensuite confirmé dans ses fonctions. Il ne s’agit pas
de l’institution de l’hérédité des charges publiques, mais de
la reconnaissance d’un usage : il était de plus en plus fréquent
qu’une famille assume l’administration d’un comté et s’ins-
talle au pouvoir, préludant aux principautés qui apparurent à
la fin de l’époque carolingienne et dont nous reparlerons. Le
fait, pour les grands, de disposer de réseaux locaux durables
diminuait la marge d’action du roi.

D’ORLÉANS À METZ

Les premières années du règne de Charles le Chauve furent


incertaines : le souverain, en effet, mit du temps à s’imposer
dans son royaume. Néanmoins, il parvint non seulement à
rallier la majeure partie de l’aristocratie, mais aussi à étendre
son autorité au-delà de la Francie occidentale. Pour ce faire,
le soutien de l’épiscopat lui fut particulièrement précieux.

Pépin II d’Aquitaine
Le partage établi par Louis le Pieux en 839 faisait fi du
particularisme aquitain. C’est ce qui incita une partie de
l’aristocratie de ce royaume à se rallier à la cause de Pépin II,
le fils de Pépin d’Aquitaine, qui revendiquait l’héritage
paternel. Certains parmi les grands firent toutefois preuve de
loyalisme à l’égard de l’empereur et se rallièrent très tôt à
son fils ; ce fut, par exemple, le cas de l’évêque de Poitiers,
Ébroïn, qui avait été le chancelier de Pépin Ier et passa au
CHARLES LE CHAUVE 97

service de Charles, dont il devint l’archichapelain du vivant


de Louis le Pieux. Il fut l’un des principaux agents de la lutte
contre Pépin II. Une anecdote, relatée par Nithard, montre
qu’il n’était pas le seul à soutenir Charles : en avril 841, le
jour du samedi saint, alors que le roi sortait du bain et s’apprê-
tait à se rhabiller, des messagers venus d’Aquitaine lui appor-
tèrent une couronne et des vêtements d’apparat ; on ne
manqua pas de considérer cela comme un heureux présage.
En revanche, les affaires de Pépin II tournèrent mal : de
manière logique, il s’était rallié à Lothaire ; il partagea donc
sa défaite à Fontenoy-en-Puisaye, en juin 841. Mais, lorsque
l’heure des négociations sonna, il fut tenu à l’écart du partage
scellé par le traité de Verdun. Après avoir tenté de résister
encore et avoir remporté une victoire militaire sur Charles en
Angoumois en 844, il fit la paix avec lui en juin 845, à
Saint-Benoît-sur-Loire : Pépin II jura fidélité à son oncle, qui
lui accorda en contrepartie autorité sur toute l’Aquitaine, sauf
le Poitou, l’Aunis et la Saintonge.

Le sacre à Orléans
Il semble que Pépin II ne se soit pas montré à la hauteur
et que son incompétence lui ait aliéné une bonne partie de
l’aristocratie qui le soutenait à l’origine. C’est pourquoi
Charles fut finalement élu roi d’Aquitaine. Le sacre eut lieu
à Orléans, le 6 juin 848, et fut célébré par l’archevêque
Wénilon.
Charles, qui s’intitula « roi des Francs et des Aquitains »
dans certains diplômes, considérait que cette cérémonie inau-
gurait véritablement son règne en scellant le ralliement de
l’épiscopat à sa cause. Paradoxalement, en 848, il était dans
une situation privilégiée : Lothaire avait été sacré empereur
par le pape, mais Louis le Germanique n’avait jamais reçu
d’onction. Charles fut donc le seul des héritiers de Louis le
Pieux à être sacré explicitement en tant que souverain du
royaume sur lequel il avait autorité – et cela, qui plus est, par
les évêques de son propre royaume, qui officialisaient ainsi
le choix de Dieu.
98 CHARLEMAGNE

Il n’empêche que c’est par les armes que Charles dut


ensuite se rendre maître de l’ensemble de son territoire.
Pépin II lui fut livré en 852 et il fut emprisonné à Saint-
Médard de Soissons. Le péril suscité par sa libération, en
854, à la faveur d’une campagne militaire du fils de Louis le
Germanique, Louis le Jeune, contre son oncle en Aquitaine,
contraignit ce dernier à faire une concession au particularisme
aquitain : Charles le Chauve envoya en Aquitaine son fils
Charles le Jeune ; il fut sacré à Limoges en octobre 855.
Quant à Pépin II, il ne fut arrêté qu’en 864, après avoir noué
alliance avec les « Normands » ; définitivement retenu pri-
sonnier à Senlis, il mourut en captivité.

Le régime de la fraternité
Durant plusieurs années, les fils de Louis le Pieux tentèrent
de maintenir une certaine entente entre eux ; c’est ce que l’on
appelle le régime de la fraternité. Il n’était en effet pas conve-
nable que des rois chrétiens s’affrontent par les armes, pac-
tisent avec le diable en incitant les Vikings à dévaster le
royaume de leur frère, et déchirent la « robe sans couture »
que formait l’Église. Les évêques y veillèrent. C’est ainsi
qu’ils se réunirent, en octobre 844, au palais de Yutz, proche
de Thionville, sous la présidence de l’évêque de Metz,
Drogon, pour inciter Lothaire, Louis et Charles à maintenir
la paix entre eux et leur donner des conseils de gouverne-
ment ; les trois frères promirent alors de ne plus agir en
violation de leurs liens de « fraternité » et de « charité ». Pour
mettre en application leurs résolutions, ils envoyèrent un mes-
sage à tous ceux qui étaient en révolte contre Charles
(Pépin II, le comte de Nantes, Lambert, et le duc des Bretons,
Nominoé), pour leur enjoindre de se soumettre à leur roi. Ces
bonnes résolutions demeurèrent cependant lettre morte. Mais
la menace extérieure était de plus en plus préoccupante. Les
Vikings multipliaient les raids dans les royaumes de Lothaire
et de Charles. En 846, les Sarrasins tentèrent de prendre
Rome et mirent à sac la basilique Saint-Pierre, qui n’était
alors pas entourée de murailles – c’est à la suite de ce désastre
CHARLES LE CHAUVE 99

que le pape Léon IV fit fortifier le Vatican. Sous la pression


de ces divers dangers, les frères acceptèrent de se réunir une
nouvelle fois, pour mettre en œuvre le programme de gou-
vernement auquel ils s’étaient engagés : ils se rencontrèrent
à Meerssen, près de Maastricht, en février 847. Néanmoins,
les résolutions alors prises étaient trop vagues pour avoir une
portée réelle. Ce n’est qu’au cours des années suivantes que
les trois frères rétablirent entre eux une certaine connivence,
grâce à diverses rencontres qui permirent de conclure un
accord apparemment solide : en mai 851, une nouvelle
entrevue eut lieu au palais de Meerssen. Désormais, Lothaire
acceptait de rentrer dans le rang : les trois frères se recon-
naissaient « pairs », c’est-à-dire égaux. Or, de manière sur-
prenante, c’est Louis le Germanique qui fit cette fois
défection : alors que Charles et Lothaire gouvernèrent
désormais dans un véritable esprit de coopération jusqu’à la
mort de ce dernier (en 855), le roi de Francie orientale se
lança dans plusieurs entreprises de subversion. C’est ainsi
qu’en 854, il envoya son fils, Louis, en aide aux Aquitains
révoltés.

Le royaume de Bretagne
La Bretagne n’avait jamais été vraiment soumise au pou-
voir franc, sauf en Vannetais, où l’un des membres de l’aris-
tocratie bretonne, Nominoé, avait été institué comte par Louis
le Pieux, avec les pouvoirs d’un missus, représentant spécial
de l’empereur dans la marche de Bretagne. Nominoé avait
fini par se rallier à Charles le Chauve. Mais les ambitions de
l’aristocratie franque dans le sud de la Bretagne, qui donnè-
rent lieu à un affrontement armé sur le passage de la Vilaine
à Messac, en mai 843, le firent entrer dans la révolte ouverte.
À sa mort, en 851, Charles le Chauve tenta de soumettre son
fils, Érispoé, à son pouvoir en lui livrant bataille près de Beslé
(en un autre lieu de franchissement de la Vilaine), en août
de la même année : ce fut une cuisante défaite. À l’instar de
l’accord conclu quelques années plus tôt entre Pépin II
d’Aquitaine et Charles, ce dernier consentit à un arrangement
100 CHARLEMAGNE

en faveur d’Érispoé. Le prince breton se rendit à Angers, en


octobre 851, et il fit hommage au roi, devenant ainsi son
vassal. En contrepartie, Érispoé reçut les insignes royaux et
quelques territoires supplémentaires : le Rennais, le Nantais
et le pays de Retz. La Bretagne était élevée au rang de
royaume ; elle le demeura jusqu’au début du Xe siècle, quand
les Vikings s’en rendirent maîtres. Érispoé fut fidèle à ses
engagements et gouverna de manière loyale envers Charles.
C’est pour cette raison qu’il fut tué, en 857, par son cousin
Salomon, qui s’empara du pouvoir.

Une tentative d’invasion


Charles le Chauve dut faire face, à plusieurs reprises, à la
défection d’une partie de l’aristocratie de Francie occidentale,
ce qui prouve le caractère instable de son pouvoir. Après
l’avoir longtemps soutenu, Louis le Germanique se retourna
contre lui. D’abord, il attisa les oppositions, comme l’illustre
l’envoi de son fils, Louis le Jeune, en Aquitaine au cours de
l’année 854. Quatre ans plus tard, l’ambition du roi de Francie
orientale ne connut plus de limite : convoitant la couronne de
Charles le Chauve, il envahit son royaume. En 858, Charles
était particulièrement occupé à combattre les Vikings, qui
s’étaient retranchés sur l’île d’Oscelle, dans la vallée de la
Seine. Alors que Lothaire II avait rejoint le roi de Francie
occidentale pour lui prêter main-forte, Louis le Germanique
saisit l’occasion de répondre à un nouvel appel d’une partie
des grands. Le 1er septembre, il se trouvait au palais de Pon-
thion, où il reçut les premiers serments de fidélité des traîtres
à la cause de Charles le Chauve. Il poursuivit sa marche
triomphale vers Sens et Orléans, où il rejoignit ses partisans
d’Aquitaine, de Neustrie et de Bretagne. Puis Louis rebroussa
chemin pour affronter son frère cadet à Brienne-le-Château,
mais ce dernier, abandonné de toutes parts, battit en retraite.
La situation semblait désespérée quand les évêques de
Francie occidentale, menés par Hincmar de Reims, se pro-
noncèrent en faveur de Charles : dans une lettre à Louis le
Germanique, ils dénoncèrent son entreprise avec d’autant
CHARLES LE CHAUVE 101

plus de vigueur qu’ils condamnaient toute atteinte à l’« oint


du Seigneur » qu’était le roi de Francie occidentale. Ce sou-
tien permit à Charles de reprendre courage : à la mi-
janvier 859, il lança une attaque à l’improviste contre son
frère, qui dut se réfugier sur ses terres. Au terme de plusieurs
tentatives de négociation, les deux frères firent la paix à
Coblence, en juin 860, grâce à l’entremise des évêques et de
leur neveu, Lothaire II.

Wénilon de Sens

L’archevêque de Sens, Wénilon, fut le seul prélat de Francie occi-


dentale à épouser la cause de Louis le Germanique. Sa trahison
était d’autant plus choquante qu’il avait présidé la cérémonie du
sacre de Charles dix ans plus tôt : au Moyen Âge, l’idée de traîtrise
fut tellement associée à son souvenir que son nom (sous la forme
de Ganelon) fut donné au traître dans La Chanson de Roland !
Wénilon échappa au jugement lors d’un synode réuni en juin 859
à Savonnières (près de Toul), car il était absent. Il se réconcilia
avec son roi un peu plus tard dans l’année.

Le couronnement à Metz
Les années 860 furent une période essentielle du règne de
Charles le Chauve. Il prit plusieurs mesures décisives dans
le raffermissement du royaume, dont le plus bel exemple est
le capitulaire de juin 864 promulgué à Pîtres, par lequel le
roi réaffirma son autorité sur les comtes et réglementa la
frappe de la monnaie, l’exercice du commerce ou l’organi-
sation du service dû au souverain. Charles, qui s’appuyait sur
la législation de ses prédécesseurs, renoua aussi avec la tra-
dition de l’envoi de missi chargés d’inspecter le royaume. Le
roi, qui organisa la défense contre les Vikings (dont nous
reparlerons), entendait également être maître de l’aristo-
cratie ; c’est ce que prouve la condamnation à mort pour
trahison de son beau-frère Guillaume, peu de temps seule-
102 CHARLEMAGNE

ment après le sacre de la reine Ermentrude à Saint-Médard


de Soissons, le 25 août 866. Quant à la revanche sur Louis
le Germanique, elle devait intervenir en 869.
À la mort de Lothaire II, en août, le royaume de Lotha-
ringie était en quelque sorte à prendre. En effet, Lothaire
n’était pas parvenu à obtenir son divorce de la reine Theut-
berge, pour faire légitimer son union avec Waldrade, dont il
avait un fils du nom d’Hugues. Charles profita de ce que son
frère Louis était alors gravement malade pour se précipiter à
Metz et s’y faire sacrer, le 9 septembre 869. Le roi de Francie
orientale n’abandonna toutefois pas la partie : il força son
frère à conclure un accord à Meerssen, en 870, par lequel le
royaume de Lotharingie fut complètement dépecé ; à cette
occasion, Charles perdit Aix-la-Chapelle. Entre-temps, il
avait toutefois pu y célébrer ses noces. Veuf d’Ermentrude
depuis l’automne, Charles épousa Richilde dans le palais de
son aïeul, le 22 janvier 870. Il s’alliait ainsi à une famille
noble de la région.

FAIRE FACE AUX VIKINGS

Les premiers Carolingiens avaient entrepris un grand


nombre de conquêtes en concentrant leurs forces sur un seul
objectif à la fois ; en revanche, les structures militaires
n’étaient pas adaptées à la défense du territoire face à des
assauts multiples et subits. La raison de leur impuissance est
aussi d’ordre psychologique : ces « hommes du Nord » qui
ravageaient leur royaume étaient perçus comme le jouet de
la vengeance divine. C’était toutefois le commerce qui avait,
à l’origine, attiré les Vikings, dont le nom pourrait venir du
terme vicus, qui désigne un lieu d’échanges commer-
ciaux – tel le « vic de la Canche » qu’était Quentovic.
CHARLES LE CHAUVE 103

Les hommes du Nord


Les sources contemporaines parlent des « hommes du
Nord », dont les Normands tirent leur nom ; elles parlent aussi
des « Danois ». De fait, les Scandinaves qui ravagèrent
l’Empire carolingien venaient essentiellement du Danemark.
Les Vikings avaient été mis en contact avec les richesses du
Sud par le biais des navigateurs frisons, qui maîtrisaient le
commerce dans la mer du Nord. L’apparition et l’essor de
lieux d’échanges dans le Jutland, à Hedeby et à Ribe, au cours
du VIIIe siècle, témoignent de ces contacts. Les missionnaires
emboîtèrent le pas aux marchands. On a prétendu que les
Scandinaves s’étaient lancés à la conquête de l’Europe parce
que la pression démographique les contraignait à l’exil ; en
réalité, ils étaient surtout mus par l’appât de l’or. Les premiers
raids eurent lieu vers la fin du VIIIe siècle ; dès l’an 800, Char-
lemagne tenta de les entraver en inspectant les côtes de la
Manche et en créant une flotte – sans grand succès. Jusqu’à la
fin du règne de Louis le Pieux, il s’agit toutefois d’expéditions
sporadiques, de coups de force qui n’étaient pas susceptibles
d’ébranler l’Empire. Les Vikings s’attaquèrent en priorité
aux lieux où se concentraient les richesses, notamment les
monastères et les centres de commerce – c’est ainsi que la
place de Dorestad fut mise à sac en 834. La guerre civile
sonna l’heure des opérations de grande envergure.

Au long des côtes et des fleuves


Les Scandinaves se déplaçaient grâce à de longs bateaux
à voile carrée unique et à rames, caractérisés par la forme
effilée de l’étrave et le montage à clin des bordages. Un
bateau viking pouvait naviguer dans les deux sens, ce qui
était particulièrement pratique lorsqu’on remontait les
fleuves : pour faire demi-tour, il suffisait de changer de place
la tête de « dragon », d’où le drakkar tire son nom, pour fixer
cette figure protectrice à l’autre extrémité – la poupe devenait
alors la proue. Au IXe siècle, les Scandinaves étaient les
maîtres de la mer et ils remontèrent la plupart des fleuves ;
104 CHARLEMAGNE

la Seine et ses affluents furent particulièrement affectés. Dans


un premier temps, il s’agissait de raids estivaux. Puis ils
s’installèrent sur certaines îles qui leur servaient de relais,
telle l’île de Noirmoutier (au large de l’estuaire de la Loire),
qu’ils fréquentèrent régulièrement dès le règne de Louis le
Pieux. On comprend dès lors la facilité avec laquelle ils
purent dévaster le pays nantais en 843 et mener diverses
expéditions le long de la Loire, en 853 ou en 862. Ils multi-
plièrent aussi les raids dans la vallée de la Seine, au cœur du
royaume de Charles le Chauve, où se trouvaient de riches
monastères : Saint-Wandrille fut dévasté en 852, Saint-
Germain-des-Prés fut pillé trois fois entre 845 et 886, année
où Sainte-Colombe de Sens reçut également la visite des
pillards. Vers le milieu du IXe siècle, les envahisseurs prirent
pour habitude d’hiverner sur place, installant leur campement
sur des îles de la Seine, comme celle de Jeufosse (en 853 et
en 856). En pillant les monastères, les Vikings pouvaient faire
main basse sur de nombreux objets précieux. Ils disposaient
aussi d’un moyen encore plus efficace d’amasser de l’argent :
rançonner les populations. À plusieurs reprises, ils négo-
cièrent leur départ ou la libération d’otages, tels l’archichan-
celier Louis, abbé de Saint-Denis, et son frère Gauzlin en
858, contre des sommes importantes, estimées souvent en
milliers de livres de métal précieux. C’est ce qu’on appelait
le danegeld, c’est-à-dire l’« argent des Danois ». Cette
somme était la plupart du temps acquittée par le roi, qui levait
pour cela un impôt exceptionnel.

L’exode des saints


Face à la menace des Vikings, certaines communautés
monastiques prirent la route de l’exil, emportant avec elles
leurs trésors les plus précieux, c’est-à-dire les reliques des
saints qu’elles vénéraient. L’exemple le plus célèbre est
fourni par les moines de Saint-Philibert, qui quittèrent Noir-
moutier pour s’installer à Déas, près du lac de Grandlieu, en
836 ; dix ans plus tard, ils abandonnèrent le pays nantais pour
s’établir plus en amont dans la vallée de la Loire, à Cunault ;
CHARLES LE CHAUVE 105

en 862, ils allèrent dans le Poitou, à Messay. En 871, Charles


le Chauve leur donna un domaine en Auvergne, à Saint-
Pourçain-sur-Sioule, où ils se réfugièrent, puis il leur offrit
l’abbaye de Tournus ; c’est là qu’ils finirent leur course en
875. Les reliques de saint Philibert furent loin d’être les seules
à être déplacées : pensons, dans la même région, à celles de
saint Martin (qui furent plusieurs fois éloignées temporaire-
ment de Tours) et de saint Florent, qui furent transférées de
Saint-Florent-le-Vieil à Saumur au terme d’un long périple
similaire à celui des moines de Noirmoutier ; dans la vallée
de la Seine, on peut citer saint Wandrille, qui fut enlevé de
Fontenelle pour être déposé à Boulogne, puis à Chartres (au
début du Xe siècle, il fut finalement transféré à Gand). Ces
translations de reliques conditionnent la manière dont l’his-
torien appréhende l’impact des raids vikings, car les récits
les plus circonstanciés viennent de moines apeurés et
indignés.

La défense du royaume
C’est en raison de ces témoignages très négatifs et de ces
lamentations qu’on a souvent sous-estimé la riposte opposée
par le roi et les grands. Les défaites furent certes nombreuses,
mais il y eut aussi des victoires, dues à la volonté de résistance
dont témoignent certaines mesures prises par Charles le
Chauve dans les années 860, à une époque où il n’hésitait
plus à passer à l’offensive contre les « Normands ».
La mesure la plus spectaculaire fut la construction de for-
tifications. En 862, le roi ordonna la construction d’un pont
fortifié sur la Seine, près de Pîtres : Pont-de-l’Arche devait
bloquer la remontée du fleuve. Il est peu probable que ce
système se soit vraiment révélé efficace, sinon les Vikings
n’auraient pas pu se rendre à Paris en 865, « pour acheter du
vin » comme l’affirme un annaliste ; toujours est-il que
Charles fit également construire des ponts semblables à
Auvers-sur-Oise et à Charenton-le-Pont, sur la Marne. En
873, il fit de même aux Ponts-de-Cé, près d’Angers. Vers la
même époque, les remparts de certaines cités furent égale-
106 CHARLEMAGNE

ment renforcés, à Tours, au Mans, à Orléans. Toute l’organi-


sation de l’ost ne fut toutefois pas sensiblement remise en
cause, comme l’illustrent les conditions dans lesquelles
l’archevêque Hincmar mourut. En 882, il s’enfuit avec les
reliques de saint Remi jusqu’à Épernay, où il devait bientôt
s’éteindre, car il n’y avait personne pour défendre Reims :
ses hommes d’armes avaient rejoint l’ost du roi Carloman,
laissant la cité sans défenseur. En revanche, la nécessité de
coordonner les opérations avait conduit à une réorganisation
du pouvoir de commandement. C’est ainsi que Robert le Fort
concentra dans ses mains les pouvoirs en Neustrie.

Robert le Fort
En 840, Robert le Fort, qui était originaire de Rhénanie,
passa au service de Charles le Chauve ; ce dernier le nomma
comte d’Angers et abbé de Marmoutier en 852. L’année sui-
vante, il exerça les fonctions de missus en Anjou, dans le
Maine et en Touraine. Les rapports entre Robert et son roi
furent tourmentés. Néanmoins, sont nom est attaché à la
défense contre les Vikings, dans les années 860. Il était alors
marquis de Neustrie, c’est-à-dire qu’il cumulait diverses
charges comtales en disposant de pouvoirs militaires spé-
ciaux. Son dévouement fut encouragé par l’octroi du presti-
gieux abbatiat de Saint-Martin de Tours. C’est lors d’un
combat contre les « Normands », à Brissarthe, que Robert le
Fort trouva la mort, en 866. Un cousin maternel du roi le
remplaça : Hugues († 886), dit « l’Abbé », en raison des nom-
breuses abbayes qu’il dirigeait. Ce fut l’un des hommes forts
de la fin du règne de Charles le Chauve.

LA CHIMÈRE IMPÉRIALE

Toute sa vie durant, Charles le Chauve s’était efforcé de


maintenir son rang ; la majeure partie de son règne se résume
CHARLES LE CHAUVE 107

en une lente conquête du pouvoir. À l’âge de cinquante-deux


ans, il saisit l’opportunité d’accéder au titre impérial, alors
que la sagesse voulait qu’il s’occupât de son royaume.

L’appel du pape
Le 12 août 875, l’empereur Louis II, le fils de Lothaire,
mourut près de Brescia, après avoir consacré ses dernières
années à la lutte contre les Sarrasins en Italie du Sud. Il fallait
quelqu’un d’énergique pour lui succéder : le pape Jean VIII
et le sénat romain souhaitaient se placer sous la protection
de Charles et lui offrirent la couronne impériale. Mais il fallait
faire vite, car le préalable au couronnement à Rome était
l’obtention de la couronne d’Italie. Or une partie des
« grands » de ce royaume, soutenue par la veuve de Louis II,
avait pour candidat l’un des fils de Louis le Germanique,
Carloman. Après avoir réuni en toute hâte une assemblée à
Ponthion à la fin du mois d’août, Charles quitta son royaume
le 1er septembre et franchit le Grand-Saint-Bernard. Il s’agis-
sait de prendre de vitesse Carloman, qui arrivait par le
Brenner. Le 29 septembre, Charles était à Pavie. En se mon-
trant fin stratège et diplomate, il réussit à se faire reconnaître
par la plupart des membres de l’aristocratie italienne. C’est
alors que, « répondant à l’invitation du pape, Charles se rendit
à Rome ».

Soixante-quinze ans après Charlemagne


Le 17 décembre 875, Charles le Chauve fut accueilli par
Jean VIII au Vatican. Le jour de Noël, il fit donation à saint
Pierre de nombreux objets précieux. C’est là que l’homonyme
de Charlemagne fut oint et couronné empereur, soixante-
quinze ans jour pour jour après son grand-père. À la diffé-
rence de ce dernier, il fut appelé « empereur des Romains ».
Au début du mois de janvier 876, l’empereur s’en retourna
vers Pavie, où il prit des dispositions pour le gouvernement
d’Italie, confié à son beau-frère, Boson, qu’il couronna duc.
108 CHARLEMAGNE

Il importait de ne pas rester trop longtemps loin de la Francie


occidentale, car Louis le Germanique avait tenté de profiter
de son absence pour envahir une nouvelle fois son royaume ;
mais les grands étaient restés fidèles à Charles, qui fut rejoint
en mars par son épouse, Richilde, aux environs de Besançon.
Le couple célébra les fêtes de Pâques à Saint-Denis. Puis,
Charles réunit une assemblée au palais de Ponthion, du
21 juin au 16 juillet ; une cinquantaine d’évêques participè-
rent à ce synode, préparé par le pape. Les cérémonies sont
décrites avec une précision inhabituelle par Hincmar, tant on
y déployait de faste. Le dernier jour de cette assemblée,
Charles fit sensation : alors qu’il avait jusqu’alors porté des
vêtements francs, l’empereur apparut couronné et vêtu à la
mode byzantine. Les légats qui l’accompagnaient portaient
les vêtements liturgiques en usage à Rome. On ne pouvait
mieux montrer que la nature de son pouvoir avait changé. Le
dimanche et les jours de fête, l’empereur prit pour habitude
de revêtir une tunique large descendant jusqu’aux pieds,
fermée par une très longue ceinture ; il portait un voile de
soie sur la tête, qu’il ceignait d’un diadème.

L’hostilité des grands


Les membres de l’aristocratie franque comprirent très vite
que cette promotion impériale détournait Charles de leurs
intérêts. L’auteur des Annales de Fulda, beaucoup plus libre
dans ses propos que l’archevêque Hincmar, dernier en date
des auteurs de leur pendant occidental, les Annales de Saint-
Bertin, n’hésite pas à dénoncer la nouvelle mode vestimen-
taire de Charles le Chauve ; il n’était certainement pas le seul
à être choqué. En Francie orientale, l’attitude de Charles
suscita d’autant plus d’opposition qu’à la mort de son frère,
Louis le Germanique, le 28 août 876, l’empereur se lança
dans une campagne militaire pour récupérer la partie de la
Lotharingie qui lui avait échappé six ans plus tôt ; il fut
lamentablement battu par son neveu, Louis le Jeune, le
8 octobre, à Andernach. Ce n’était pas pour cela que Charles
avait été fait empereur, mais pour défendre la papauté et
CHARLES LE CHAUVE 109

chasser d’Italie les Sarrasins ! Les demandes de Jean VIII


pour que Charles lui vienne en aide se firent de plus en plus
pressantes. C’est pourquoi le souverain réunit un plaid à
Quierzy, en juin 877, afin de régler à l’avance tous les pro-
blèmes qui pourraient survenir en son absence. Puis il se mit
en route pour l’Italie, alors qu’il ne s’était pas rendu maître
des Vikings qui infestaient la vallée de la Seine depuis près
d’un an. Plusieurs annalistes disent que Charles partit contre
l’avis de ses grands : il n’allait pas tarder à le payer. Une fois
arrivé en Lombardie, il fut toutefois accueilli par le pape, qui
procéda au couronnement impérial de Richilde. Mais Car-
loman voulait en découdre avec son oncle, et il se dirigea
contre lui à la tête d’une puissante armée. Quant aux renforts
attendus, ils ne vinrent pas : ceux qui devaient conduire l’ost,
tels Boson et Hugues l’Abbé, s’étaient révoltés contre
l’empereur.

Saint-Corneille de Compiègne

Depuis l’époque mérovingienne, Compiègne fut une résidence


royale. C’est là que Charles le Chauve décida d’ériger une collé-
giale sur le modèle de la chapelle d’Aix, qu’il n’était pas parvenu
à récupérer en 876. L’église, qu’il dota de manière à ce que cent
clercs pussent y assurer le culte, fut consacrée le 5 mai 877 par
les légats du pape. À ce qu’il semble, l’église Saint-Corneille
reproduisait le plan octogonal de la chapelle d’Aix, dont elle ser-
vait de substitut.

La mort de Charles le Chauve


Charles n’eut plus qu’à battre en retraite. C’est alors qu’il
tomba malade. Pris de fièvre, il passa le col du Mont-Cenis
sur une litière et mourut quelque part dans la vallée de la
Maurienne, le 6 octobre 877. Hincmar de Reims prétend que
l’empereur avait été empoisonné par son médecin juif. On
éviscéra la dépouille, qui fut plongée dans un tonneau de vin
110 CHARLEMAGNE

pour être transportée jusqu’à Saint-Denis. Cependant, ses


restes furent mis en terre au monastère de Nantua, en raison
de la puanteur qu’ils exhalaient. Ce n’est que quelques années
plus tard qu’on transféra les ossements de Charles le Chauve
jusqu’à l’abbaye de Saint-Denis.
Chapitre V

LE « RENOUVEAU
DU ROYAUME DES FRANCS »
789-877

GUIDER LE PEUPLE AU SALUT

La fin de règne de Charles le Chauve marque aussi celle


d’une époque : la tradition des études fut entretenue en
certains endroits, mais ce n’était plus le fruit d’une politique
voulue par le souverain à l’échelle du royaume. Avant de
quitter la période carolingienne « classique », il convient de
dresser un bilan de l’action des Carolingiens quant à la for-
mation de la culture occidentale.

La légende des bulles d’or


Le soutien apporté par Charlemagne aux lettrés et aux
artistes s’inscrit dans un programme beaucoup plus large,
dont les légendes des sceaux métalliques portent témoignage.
En général, les privilèges octroyés par les rois carolingiens
étaient validés par un sceau de cire plaqué sur le document ;
beaucoup plus rarement, ils étaient munis d’un sceau d’or
pour en souligner la solennité. Les bulles d’or avaient pour
légende des formules qui sont de véritables programmes poli-
tiques : les souverains appelaient de leurs vœux, tel Charle-
magne, le « renouvellement de l’Empire romain » ou celui
du « royaume des Francs », comme ce fut le cas sous Louis
le Pieux. Qu’entendaient-ils par-là ?
112 CHARLEMAGNE

Renaissance ou renouveau ?
On parle généralement de la « renaissance carolingienne »,
expression forgée sur le modèle de la véritable Renaissance,
qui marque le déclin du Moyen Âge. Les historiens ont
recours à cette notion pour qualifier plusieurs moments de
l’histoire médiévale, mais il ne faut pas se leurrer : bien que
les Carolingiens aient profondément admiré les auteurs
antiques et qu’ils aient joué un rôle essentiel dans la trans-
mission de leurs œuvres, ils n’entendaient pas restaurer leur
culture, mais s’en nourrissaient pour mener à bien leur propre
dessein, celui de réformer la société. L’idée essentielle des
temps carolingiens est en effet moins celle de renaissance,
de restauration d’un âge révolu, que celle de « correction ».
L’amélioration des connaissances et l’amendement des
mœurs devaient permettre de renouveler le corps social dans
une perspective spirituelle, puisque le roi avait pour mission
de favoriser l’accès de ses sujets au salut. La société du haut
Moyen Âge était profondément marquée par le christianisme,
comme l’exprime la légende de certains deniers : l’expression
« religion chrétienne » rappelait à tous que l’empereur devait
défendre et propager la foi. Une autre expression qui devient,
elle aussi, courante à l’époque carolingienne exprime de
manière éloquente combien la religion conditionnait la vie
sociale : dans les textes officiels, les rois faisaient part de
leurs décisions à tout un chacun en s’adressant « aux fidèles
de Dieu et aux nôtres », c’est-à-dire en mettant sur le même
plan la foi et la fidélité, désignées par le même terme en latin
médiéval. Par conséquent, l’action législative des souverains
revêtait une dimension spirituelle, voire eschatologique.

Une législation abondante


Charlemagne et Louis le Pieux ont beaucoup légiféré. La
multiplication des capitulaires est à la fois l’illustration de la
volonté qu’avaient les souverains de la fin du VIIIe siècle et
du IXe siècle d’agir sur la société et l’expression de leur
LE « RENOUVEAU DU ROYAUME DES FRANCS » 113

puissance : c’est précisément au moment où le pouvoir royal


se mit à décliner que les textes de ce genre disparurent – le
dernier capitulaire promulgué en Francie occidentale le fut
par Carloman, en 884. En France, il faudra attendre le redres-
sement du pouvoir royal, au XIIe siècle, pour qu’apparaissent
les ordonnances. On appelle « capitulaires » les manifes-
tations de la volonté royale présentées en chapitres, d’où leur
nom. Ces documents revêtent des formes variables : mesures
d’ordre général ou ordres de mission à l’intention des agents
du pouvoir ; notes prises par les participants aux assemblées,
lorsque les décisions étaient proclamées par le souverain ;
ou, au contraire, textes officiels diffusés par le palais. Cer-
tains capitulaires visaient également à compléter les lois
nationales. Paradoxalement, les capitulaires révèlent aussi les
limites du pouvoir royal : la répétition inlassable d’inter-
dictions ou de consignes similaires illustre éloquemment la
difficulté à les faire appliquer. Il fallut attendre le règne de
Louis le Pieux pour disposer d’un recueil de la législation en
vigueur : en 827, l’abbé de Fontenelle, Anségise, rassembla
les capitulaires de Charlemagne et de son fils en quatre livres,
consacrés à la législation ecclésiastique et séculière de chaque
souverain. Cette Collection de capitulaires, qui connut très
rapidement un franc succès et fut presque considérée comme
un code officiel, consacre l’importance de l’Admonitio
generalis de 789, le grand capitulaire réformateur de Char-
lemagne.

Les miroirs du prince


Dans l’Admonitio generalis de 789, Charlemagne se dit
« roi » et « recteur » du royaume des Francs, « défenseur »
et « auxiliaire » de l’Église. On ne saurait concevoir meilleure
définition du rôle du roi, dont on trouve l’écho dans nombre
de traités moraux appelés « miroirs », puisqu’ils présentaient
au prince l’image de ce qu’il devait être, telle la Voie royale
exposée par l’abbé Smaragde de Saint-Mihiel à Louis le
Pieux, lorsqu’il était encore roi d’Aquitaine. La titulature
adoptée par Charlemagne en 789 s’inspire de la pensée
114 CHARLEMAGNE

d’Isidore de Séville, qui définit le roi comme celui qui « cor-


rige » et agit « droitement ». Au début du VIIe siècle, Isidore
avait ainsi composé une œuvre encyclopédique promise à un
énorme succès, dans laquelle les explications se fondaient sur
l’étymologie. L’importance de cette analyse est prouvée par
la citation des Étymologies dans le rapport que les évêques
soumirent à Louis le Pieux à l’occasion du concile de Paris
de 829 ; son rédacteur fut Jonas, évêque d’Orléans, qui déve-
loppa également cette idée dans son traité Au sujet de l’ins-
titution royale, adressé au roi Pépin Ier d’Aquitaine vers la
fin de l’année 831.
Isidore affirme que les deux vertus royales par excellence
sont la justice et la piété. Par « piété », il faut comprendre à
la fois la crainte de Dieu, le respect des traditions et des
ancêtres, et la bienveillance. On en trouve une illustration
parfaite dans un poème composé par Ermold le Noir à l’inten-
tion de Louis le Pieux, vers 826. Il s’agit d’un chant à la
louange de l’empereur, qui nous présente un gouvernement
idéal. Le poète affirme que le pape et l’empereur doivent
« paître les brebis du Seigneur par le moyen de la piété »,
c’est-à-dire veiller par le dogme, la loi et la foi au salut et à
l’unité du peuple. Ces conseils aux princes, qui fleurirent à
la fin du VIIIe siècle en s’inspirant d’une longue tradition
ecclésiastique de lettres d’exhortation adressées au souverain,
furent prodigués durant tout le IXe siècle – entre autres par
Sedulius Scottus, qui composa un Livre des recteurs chrétiens
à l’intention de Lothaire II, ou par Hincmar de Reims, dont
le traité consacré au palais devait enseigner au roi Carloman
les règles d’un bon gouvernement.

Le message des visionnaires


Les obligations auxquelles les souverains devaient se sou-
mettre furent aussi exposées dans les récits de visions, qui
connurent un succès certain au Moyen Âge, car la littérature
onirique permettait de faire circuler des messages politiques
en leur conférant l’autorité d’une information de l’au-delà.
Charlemagne fit l’objet d’un tel récit. En 824, un moine de
LE « RENOUVEAU DU ROYAUME DES FRANCS » 115

l’abbaye de Reichenau, Wetti, aurait vu l’empereur en rêve :


un animal lui arrachait les parties génitales, mais l’ange qui
accompagnait Wetti l’assura que Charlemagne était prédes-
tiné au sort des élus – cependant, il devait auparavant se
repentir et faire pénitence pour sa vie licencieuse. Ce texte
est d’autant plus intéressant qu’il fut rédigé dans le milieu
réformateur de la cour de Louis le Pieux.
L’entourage de Louis fut également visé par un récit de
vision, rapporté par une pauvre femme de la région de Laon.
On y reconnaît une condamnation de l’attitude de l’empereur
à l’égard de son neveu, Bernard d’Italie, dont le nom res-
plendissait en lettres d’or parmi ceux des élus, alors que le
nom de Louis était à peine lisible. Dans un autre récit de
vision, attribué à Charles le Gros, les proches des souverains
expient les crimes qu’ils ont perpétrés et les mauvais conseils
qu’ils ont dispensés, alors que les membres de la famille
royale sont arrachés au supplice grâce à l’intercession de saint
Pierre et de saint Remi, par l’effet des aumônes, des messes
et des prières offertes à Dieu par leurs parents et le clergé.

L’épée de Charlemagne
La Vision de Charlemagne composée à Mayence dans la
seconde moitié du IXe siècle est de tout autre nature. Selon
le récit de Raban Maur, qui lui-même tenait l’information
d’Éginhard, Charlemagne aurait reçu, de nuit, la visite d’un
ange qui lui aurait remis une épée dégainée de la part de
Dieu. Elle portait quatre inscriptions évoquant l’abondance
de toute chose, mais aussi la défection des peuples soumis,
l’accaparement injuste des biens d’Église et la fin de la
dynastie. Le clerc de Mayence, qui reconnaissait que cer-
taines de ces prophéties s’étaient réalisées au moment où il
écrivait ces lignes, nous livre un témoignage des troubles
politiques et religieux de l’Empire dans les années 850 à 900.
Cette vision, où est introduit le thème du glaive envoyé par
le ciel à Charlemagne pour la défense de la foi, confirme
l’imbrication du politique et du religieux : le mauvais gou-
vernement du prince ne compromettait pas seulement son
116 CHARLEMAGNE

propre salut, mais l’ordre du monde lui-même. En effet, les


intempéries, les mauvaises récoltes, les épidémies et les
famines étaient considérées comme la sanction infligée par
Dieu lorsque les agissements du peuple ou du souverain
s’écartaient de ses voies – de fait, Louis le Pieux justifia la
réunion de conciles réformateurs, en 829, par la multiplica-
tion des fléaux naturels. Les vies de saints et tous les autres
récits hagiographiques ne nous disent pas autre chose.

Se remettre en question
La littérature onirique et hagiographique trahit la volonté
du clergé d’infléchir l’action des souverains. Le rôle de cen-
seur des mœurs et de la vie politique attribué aux clercs, dont
les « miroirs » sont aussi l’expression, fut encore renforcé
par la tenue de conciles réformateurs, tels ceux du printemps
de 813. Charlemagne ordonna la réunion de cinq assemblées
simultanées, à Mayence, à Reims, à Chalon-sur-Saône, en
Arles et à Tours. Les évêques furent d’abord consultés sur
des questions dogmatiques et liturgiques, mais aussi sur la
réforme du mode de vie des clercs, sur la protection des biens
ecclésiastiques ou encore sur le comportement des laïcs.
L’influence des évêques se renforça sous Louis le Pieux,
qui organisa de véritables examens de conscience collectifs,
comme en 822 à Attigny, ou bien encore en 829, lorsque des
synodes furent réunis à Mayence, à Paris, à Lyon et à Tou-
louse. Dans un contexte politique et social tendu, l’empereur
se tourna vers les évêques pour leur demander conseil « au
sujet de la commune correction ». Celle des simples fidèles
était conditionnée par un contrôle plus strict de leur vie quo-
tidienne : l’un des débats d’actualité, au début du IXe siècle,
fut le développement de la confession privée et le recours à
une tarification des fautes – cet usage insulaire, connu par
les « pénitentiels », s’imposa dans l’Église carolingienne,
bien qu’il fût contesté par certains évêques parce qu’il s’écar-
tait des usages antiques. L’une des raisons traditionnellement
invoquées pour expliquer les manquements aux règles de la
vie chrétienne fut la méconnaissance des Écritures et de la
LE « RENOUVEAU DU ROYAUME DES FRANCS » 117

législation canonique dans laquelle se trouvaient les clercs,


qui devaient pourtant enseigner ces préceptes au peuple. Par
conséquent, une réforme de la société commençait par une
réforme des études.

L’IMPORTANCE DES ÉTUDES

La fin du VIIIe siècle et l’essentiel du IXe sont caractérisés


par un effort politique, coordonné à l’échelle de l’Empire,
visant à la promotion des études. L’amélioration des connais-
sances du clergé était chose nécessaire vers le milieu du
e
VIII siècle, comme l’illustre cette lettre de Boniface où le
prélat évoque le cas d’un prêtre assez ignare pour baptiser
« au nom de la patrie, de la fille et du Saint-Esprit ».

Charlemagne, promoteur des belles-lettres


L’initiative de cette réforme revient à Charlemagne, qui en
développa l’idée dans son Admonitio generalis de 789 et dans
une lettre circulaire aux évêques et aux abbés « sur l’étude
des belles-lettres », dont on ne conserve que le texte de
l’exemplaire envoyé à l’abbé de Fulda, Baugulf. Dans cette
lettre, le roi dénonce le « langage inculte » dans lequel cer-
taines communautés lui ont envoyé des messages l’assurant
de leurs prières à son intention. Par conséquent, Charlemagne
insiste sur la nécessité, pour les membres du clergé, d’avoir
des connaissances grammaticales suffisantes pour com-
prendre les Écritures ainsi que la règle qu’ils se sont engagés
à suivre, afin de pouvoir enseigner et célébrer la liturgie
correctement. L’importance qui fut accordée à cette entre-
prise de réforme de l’enseignement est illustrée par la décla-
ration des évêques lors du plaid réuni par Louis le Pieux en
août 822, au palais d’Attigny. À l’exemple du souverain, ils
confessèrent leurs manquements : parmi les fautes dont ils
s’accusèrent, figure le peu d’intérêt que certains avaient
118 CHARLEMAGNE

manifesté à l’égard des écoles. En évoquant ces dernières à


un tournant du règne de Louis le Pieux, à un moment où il
s’agissait de rassembler les forces vives de l’Empire au ser-
vice d’un programme de réforme fédérateur, les évêques nous
administrent la preuve que l’entreprise de promotion des
études s’avérait un aspect essentiel du « renouvellement du
royaume des Francs », contribuant à la stabilité et à la pros-
périté de l’Empire.

La minuscule caroline
Le renouveau des études supposait un meilleur accès à la
connaissance érudite et, partant, une réflexion sur la manière
d’écrire. Les manuscrits du haut Moyen Âge sont caractérisés
par une grande diversité des écritures. Les scribes travaillaient
dans un atelier d’écriture qu’on appelle le scriptorium. La
plupart du temps, dans les abbayes, il s’agissait d’une pièce
attenante à l’église, et ce pour deux raisons : d’une part, ce
bâtiment de pierre assurait une meilleure protection des
manuscrits contre le vol et l’incendie (trésor et bibliothèque
étaient souvent regroupés au même endroit) ; d’autre part,
cette proximité du sanctuaire renforçait le prestige, voire le
caractère sacral de l’écrit. Presque chaque scriptorium avait
ses propres usages, où se mêlaient la tradition, les éventuelles
innovations calligraphiques de scribes locaux et l’influence
d’éléments extérieurs, du fait des échanges de personnes ou
de manuscrits. Parmi les exemples les plus significatifs du
e
VIII siècle, on peut citer les manuscrits appartenant au type
du lectionnaire de Luxeuil et ceux de Tours ou de Corbie.
Vers la fin du siècle, plusieurs scriptoria firent preuve du
même effort de simplification de la calligraphie ; ce fut, par
exemple, le cas à Saint-Gall ou à Chelles, où l’abbesse n’était
autre que Gisèle, la sœur de Charlemagne. Toutefois, c’est à
Corbie que fut mis au point l’ancêtre de la minuscule caroline,
du temps de l’abbé Maurdramne. La minuscule caroline pré-
sente l’avantage d’être particulièrement facile à lire : elle
contribue à l’effort des érudits carolingiens pour améliorer
les textes en limitant les risques d’erreurs de lecture. Sa
LE « RENOUVEAU DU ROYAUME DES FRANCS » 119

diffusion ne fut pas immédiate (même à la cour, il fallut


attendre le règne de Louis le Pieux pour qu’on l’adopte dans
la rédaction des diplômes). Certains établissements, pourtant
très liés au pouvoir royal, telle l’abbaye de Fulda, demeurè-
rent attachés longtemps à leurs traditions calligraphiques.
Même après avoir adopté les principes de la minuscule caro-
line, les scriptoria du IXe siècle entretinrent certaines spéci-
ficités, qui présentent indéniablement un avantage pour le
paléographe (l’historien des écritures anciennes) : c’est, pré-
cisément, la connaissance de l’évolution des usages locaux
qui lui permet de dater la plupart des manuscrits.

e
Les controverses théologiques du IX siècle

En 809, Charlemagne réunit à Aix-la-Chapelle un concile pour


débattre de la procession du Saint-Esprit, à la suite d’une contro-
verse entre des moines francs vivant à Jérusalem et des moines
grecs. Il fit ajouter au Credo une formule affirmant que l’Esprit
procède du Père « et du Fils » (Filioque). Un peu plus tard, vers
le milieu du IXe siècle, d’autres questions agitèrent certains théo-
logiens francs, notamment celle de la prédestination, qui opposa
Gottschalk d’Orbais à Raban Maur à propos de la grâce. Deux
moines de Corbie, Paschase Radbert et Ratramne, rédigèrent
aussi des traités contradictoires sur la nature des espèces eucha-
ristiques.

Loup de Ferrières
L’un des meilleurs exemples illustrant le fait que l’amé-
lioration de l’écriture conditionnait celle des manuscrits, et,
partant, la connaissance savante, nous est fourni par l’activité
érudite de Loup de Ferrières. Ce moine originaire du monas-
tère de Ferrières-en-Gâtinais, dont il fut nommé abbé par
Charles le Chauve en 840, nourrissait une véritable passion
pour la littérature antique. Sa correspondance nous le montre
à la recherche de manuscrits dans tout l’Empire carolingien
120 CHARLEMAGNE

et même au-delà : il raviva les relations établies avec York


du temps d’Alcuin (qui avait été abbé de Ferrières) pour
importer d’outre-Manche des ouvrages de Quintilien, de saint
Jérôme ou de Bède le Vénérable (les relations des abbés de
Ferrières avec l’Angleterre étaient grandement facilitées par
la possession de la « celle » de Saint-Josse, près de Quen-
tovic). Cet intérêt pour les manuscrits apparaît déjà dans la
première lettre dont nous conservons le texte, une déclaration
d’amitié que Loup avait envoyée à Éginhard vers 829, du
temps où le jeune moine effectuait un séjour d’étude à Fulda
auprès de Raban Maur. Il s’agit d’une demande d’ouvrages
de Cicéron et d’Aulu-Gelle. Loup possédait certains de ces
textes, mais dans des versions corrompues ; il désirait se livrer
à un véritable travail d’érudition et d’édition. De fait, nous
conservons plusieurs manuscrits écrits par Loup ou portant
des corrections de sa main. Son intérêt pour les œuvres
antiques est révélateur d’un phénomène beaucoup plus large,
même si d’aucuns lui reprochaient de préférer la philologie
à la théologie (ce qui ne l’empêcha pas de jouer un rôle actif
dans plusieurs synodes du milieu du IXe siècle) : une part
importante des textes de l’Antiquité latine nous sont connus
grâce aux copies qu’on en fit sous Charlemagne et ses suc-
cesseurs. Cette connaissance de la littérature antique n’était
cependant pas une fin en soi : elle s’avérait le moyen de
développer une pensée théologique, qui s’épanouissait dans
les écoles monastiques.

Les écoles monastiques


L’autre action d’envergure des Carolingiens toucha à la
multiplication des lieux d’enseignement : la production litté-
raire et artistique du IXe siècle témoigne du succès de cette
entreprise. Charlemagne avait explicitement ordonné aux
évêques et aux abbés de veiller à l’amélioration des études.
Nous savons que certains établissements non seulement assu-
raient l’éducation des oblats (les jeunes enfants offerts aux
abbayes pour y faire profession monastique), mais accueil-
laient également d’autres élèves au sein d’une « école
LE « RENOUVEAU DU ROYAUME DES FRANCS » 121

externe » – tel était apparemment le cas à Saint-Gall. La


plupart du temps, toutefois, les oblats et les enfants venant
de l’extérieur dépendaient du même maître et recevaient le
même enseignement. On commençait l’apprentissage de la
lecture en déchiffrant les psaumes qu’on avait appris par
cœur, puis on étudiait les arts libéraux : le trivium (c’est-
à-dire les « trois voies » que forment la grammaire, la rhéto-
rique et la dialectique) et le quadrivium (second cycle
comprenant l’arithmétique, la géométrie, la musique et
l’astronomie). Dans un capitulaire célèbre, l’évêque Théo-
dulfe d’Orléans énumère les principales écoles de son dio-
cèse : « Si quelque prêtre veut envoyer à l’école son neveu
ou quelque autre parent, nous lui accordons le droit de le
faire dans l’église de Sainte-Croix (la cathédrale d’Orléans)
ou dans le monastère de Saint-Aignan d’Orléans, de Saint-
Benoît-sur-Loire ou de Saint-Lifard de Meung, dont la direc-
tion nous a été confiée. » Il s’agit d’un témoignage excep-
tionnel. En général, nous ne connaissons pas l’ensemble des
lieux d’enseignement : seuls les plus célèbres se distin-
guent – pensons à Saint-Martin de Tours, à Fulda ou encore
à Saint-Germain d’Auxerre. Plusieurs maîtres de qualité
(Murethach, Haymon, Heiric et Remi) s’y succédèrent des
environs de 830 jusqu’au début du Xe siècle, assurant le
renom de leur établissement, où la diversité de la production
témoigne de l’intensité de l’activité savante, de l’exégèse
biblique et de la réflexion théologique à la métrique ou à la
musique. On retrouve ici le réseau d’érudits irlandais venus
s’installer dans l’Empire carolingien, comme à l’école cathé-
drale de Laon, où s’illustra le seul véritable helléniste de
l’époque, Jean Scot Érigène. Charles le Chauve eut recours
à sa science à plusieurs reprises.

Des « petites écoles » avant la lettre


Le développement de ces grands centres d’érudition ne
servait de rien pour l’encadrement des populations : il fal-
lait également veiller à ce qu’un enseignement de base fût
diffusé plus largement. C’est essentiellement par les textes
122 CHARLEMAGNE

réglementaires publiés par les évêques lors des synodes dio-


césains (les « capitulaires épiscopaux ») que l’on dispose de
quelque information sur les rudiments d’instruction dispensés
dans les paroisses.
Les écoles rurales sont attestées dans le diocèse d’Orléans
du temps de Théodulfe. Dans le capitulaire cité plus haut,
l’évêque prend la décision suivante : « Que les prêtres aient
des écoles dans chaque village ou bourgade. Qu’ils ne refu-
sent pas de recueillir les enfants que les fidèles voudront leur
confier pour qu’ils apprennent les lettres, mais qu’ils les leur
enseignent avec une grande charité. » Ces écoles rurales
étaient probablement plus nombreuses qu’on ne le pense
généralement ; les décisions prises par Riculf de Soissons à
la fin du IXe siècle supposent, par exemple, un certain succès
de ce genre d’enseignement. Ainsi, lorsqu’un évêque évoque
la présentation de candidats à la cléricature par son propre
clergé, on peut penser qu’il s’agit de ceux qui, formés sur le
tas par le prêtre, pouvaient le remplacer dans certaines cir-
constances.

Les rudiments requis pour être prêtre


Les exigences des évêques à l’égard de leur clergé n’étaient
pas négligeables. Hincmar de Reims demandait à ses prêtres
de connaître le Credo, le Notre Père, le canon de la messe et
le psautier, ainsi que diverses formules (de baptême, de béné-
diction ou d’exorcisme). Ils devaient également connaître les
homélies de Grégoire le Grand et maîtriser le comput et le
chant. En matière de prédication, les prêtres devaient pouvoir
expliquer le dogme et les lectures faites à la messe. En outre,
ils devaient se procurer divers livres liturgiques – même les
prêtres des villages y étaient astreints. Ces recommandations,
que certains considéreront peut-être comme des vœux pieux,
ne permettent pas d’apprécier le niveau exact de formation
des prêtres ; en revanche, elles nous offrent l’occasion de
saisir d’une manière concrète l’un des enjeux de la renais-
sance carolingienne.
LE « RENOUVEAU DU ROYAUME DES FRANCS » 123

LE CONTRÔLE DU CLERGÉ SÉCULIER

Charlemagne entendait guider son peuple en s’appuyant


sur les agents à son service, mais aussi et surtout sur les
évêques et le clergé, dont il souligna en 789 le devoir de
prédication et d’encadrement dans l’Admonitio generalis. Le
roi instaura un système de surveillance sévère pour extirper
crimes et délits tant chez le peuple que dans le clergé, en
interdisant notamment la simonie et le nicolaïsme (c’est-
à-dire la vente des sacrements et le commerce charnel de la
part des personnes consacrées).

La chapelle, une pépinière d’évêques


Les évêques jouèrent un rôle fondamental dans la réforme
du clergé carolingien. Certains d’entre eux, comme Hincmar
de Reims, étaient issus des milieux monastiques – mais son
appartenance à la communauté de Saint-Denis n’empêcha pas
le futur archevêque de Reims de faire un séjour à la cour. En
effet, la chapelle se transforma, au cours du IXe siècle, en une
véritable pépinière d’évêques. Les jeunes clercs y rivalisaient
pour se faire remarquer du souverain, ainsi que l’observe le
biographe de Radbod, évêque d’Utrecht : ce dernier, lorsqu’il
fréquentait la cour de Charles le Chauve, se mesurait à ses
deux amis, Étienne et Mancion – tous trois devinrent évêques.
On pourrait citer le nom de nombreux prélats issus de la
chapelle du fils de Louis le Pieux, tels Jonas d’Autun ou
Énée de Paris. Ce n’est pas par hasard que Notker le Bègue,
vers la fin du siècle, se gausse des membres du palais, quand
il les montre se précipitant auprès de Charlemagne pour sol-
liciter un siège épiscopal dès que la mort d’un évêque est
annoncée à la cour. Il n’empêche que cette communauté
d’origine au service du roi contribua à l’uniformisation de
l’épiscopat.
124 CHARLEMAGNE

Les desservants de paroisse


Toutefois, l’un des phénomènes majeurs du haut Moyen
Âge est d’un autre ordre. Il concerne le renforcement du
réseau paroissial : à peu près chaque lieu important d’habitat
groupé dispose désormais d’une église et d’un desservant.
Lorsque l’église est privée, c’est-à-dire lorsqu’elle est élevée
sur le domaine d’un grand propriétaire qui en a financé la
construction et la dotation, le seigneur du lieu a un « droit
de présentation » de celui qui aura la cure des âmes. Il n’est
pas rare que le desservant soit un ancien serf : il est affranchi
pour satisfaire aux exigences du droit canon, mais il demeure
l’obligé de son ancien maître, ce qui garantit à ce dernier un
droit de regard sur l’action pastorale (un fait contre lequel
les évêques protesteraient encore souvent en vain durant plu-
sieurs siècles). Comme nous l’avons vu plus haut, les capi-
tulaires épiscopaux nous permettent d’apprécier la nature de
la formation des prêtres, peut-être pas aussi déplorable qu’on
le pense généralement. Il n’empêche que des problèmes de
mœurs et de discipline devaient surgir assez souvent au sein
de ce bas clergé que rien, somme toute, ne distinguait des
ouailles qui lui étaient confiées – c’est ce qu’illustre l’histoire
de Trising.

Trising, un prêtre aux mœurs douteuses

Comme ils rentraient d’une auberge où ils s’étaient saoulés (en


violation de la législation canonique), le prêtre Trising fut accusé
par le frère de sa belle-sœur de coucher avec la fille que cette
dernière avait eue d’un premier lit. L’affaire s’envenima et Trising
blessa son accusateur, alors qu’il s’interposait pour sauver son
propre fils, que le prêtre voulait tuer pour se venger. Cette affaire
est exposée dans une lettre au pape Hadrien II, où Hincmar de
Reims justifie la suspense prononcée à l’encontre de Trising, dans
l’attente (demeurée vaine) de sa comparution devant le synode
provincial. L’archevêque avait néanmoins entendu le prêtre, qui
LE « RENOUVEAU DU ROYAUME DES FRANCS » 125

avait avoué la volonté de perpétrer le meurtre, mais réfutait toute


accusation de nicolaïsme.

L’entretien du clergé
Les évêques veillaient toutefois à ce que les desservants
de paroisse mènent une vie décente. Pour que ces derniers
puissent se consacrer à leur tâche pastorale, l’église à laquelle
ils étaient attachés devait être dotée. Dans sa législation,
Hincmar de Reims demande aux doyens de vérifier que les
prêtres disposent bien d’un manse de douze bonniers (mesure
de surface d’une centaine d’ares, dont l’importance varie
selon les régions), d’une cour bordée par l’église et leur
maison, et de quatre dépendants serviles. La population par-
ticipait à l’entretien du clergé par des dons obligatoires, telle
la dîme, imposée par Pépin le Bref en 765 et confirmée en
779 par Charlemagne, à Herstal. Cet impôt, destiné à la sub-
sistance du prêtre et aux travaux concernant l’église, de même
qu’à l’évêque et à ses œuvres charitables, représentait le
dixième des produits de la terre, d’où son nom. Lors de la
célébration de la messe et de l’administration des sacrements,
le ministre du culte recevait également divers cadeaux.

L’encadrement des laïcs


Le prêtre devait baptiser les enfants (pratique généralisée
à l’époque carolingienne), entendre les confessions, célébrer
la messe et l’inhumation en terre chrétienne. Les fidèles,
quant à eux, devaient s’efforcer de respecter les lieux saints
(par leurs bonnes manières et l’exclusion des animaux de
l’enceinte sacrée) et ils avaient obligation de participer régu-
lièrement au culte (les capitulaires interdisent le travail le
dimanche pour cette raison). L’assistance à la messe s’impose
donc : la communauté religieuse étant aussi communauté de
vie, il est indispensable de ne pas s’en exclure, mais la com-
munion n’est pas fréquente. Certains évêques carolingiens
126 CHARLEMAGNE

ont contribué à l’élaboration d’une morale propre à la vie de


couple, mais le mariage n’est pas encore considéré comme
un sacrement et sa célébration échappe au clergé.

UNE VIE COMMUNAUTAIRE BIEN RÉGLÉE

Comme nous venons de le voir, le souverain franc était


soucieux d’améliorer les conditions de vie du clergé séculier
et les évêques veillaient au respect des principes moraux de
base. Vers le début du IXe siècle, un pas supplémentaire fut
franchi : il s’agissait de réformer en profondeur le mode de
vie des hommes de Dieu.

Prier pour le souverain…


Les clercs et les moines devaient prier pour le souverain.
Nous avons vu que Charlemagne et Alcuin considéraient que
le rôle du pape était de lever les mains au ciel pour prier Dieu
d’accorder son soutien à l’action du roi des Francs. De même,
les moines soutenaient la société tout entière par leurs prières
incessantes. En effet, les moines, qui bénéficiaient des lar-
gesses du souverain, devaient prier jour et nuit : le système
de la « louange perpétuelle », selon lequel des groupes de
moines se relayaient sans cesse, se répandit depuis le monas-
tère de Saint-Maurice d’Agaune (où il fut pratiqué d’abord)
jusqu’à l’ensemble du monde franc. La prière de ces hommes
voués à Dieu était réputée particulièrement efficace, car ils
se trouvaient au sommet de l’échelle de perfection : avant
que ne s’impose l’idée (élaborée au IXe siècle) selon laquelle
la société était constituée de ceux qui prient, de ceux qui
combattent et de ceux qui travaillent la terre, la hiérarchie
idéale des modes de vie se décomposait entre les moines, les
clercs, puis les laïcs – alors même que, paradoxalement, les
moines étaient pour l’essentiel de pieux laïcs, puisque,
LE « RENOUVEAU DU ROYAUME DES FRANCS » 127

e
jusqu’au X siècle, rares étaient ceux qui accédaient à la clé-
ricature.

… un devoir strictement défini


Les souverains carolingiens, en particulier Charles le
Chauve, firent des donations aux monastères auxquels ils
étaient le plus liés pour financer des banquets donnés au jour
anniversaire de leur couronnement (ces fêtes devaient ensuite
être déplacées au jour anniversaire de leur décès), afin que
les moines aient particulièrement à cœur de prier pour eux,
les membres de leur famille et la stabilité du royaume. Un
document du temps de Louis le Pieux s’avère particulière-
ment éloquent sur le soutien qu’il attendait des moines : il
s’agit d’une liste des services auxquels divers monastères
étaient astreints. Certains établissements devaient fournir un
contingent pour l’ost et offrir des cadeaux lors des plaids
annuels, d’autres n’étaient astreints qu’au don de cadeaux et
certains n’avaient qu’une obligation : prier pour le salut de
l’empereur et de ses fils, ainsi que pour l’Empire.

Un désir d’uniformisation
Pour que la prière des moines fût unanime, il fallait que
leur mode de vie fût uniforme. Or la première moitié du
e
VIII siècle était encore marquée par une grande diversité des
règles : de saint Augustin, de Jean Cassien, de Césaire
d’Arles, de saint Benoît ou de saint Colomban. Bon nombre
d’établissements observaient une règle dite « mixte », c’est-
à-dire comprenant des usages venus de diverses traditions
(notamment un mélange d’influences colombaniennes et
bénédictines). Toutefois, la règle de saint Benoît († 547), au
rayonnement de laquelle contribua le pape Grégoire le Grand
(† 604), eut tendance à s’imposer au cours du VIIIe siècle. En
effet, les abbayes italiennes de Farfa et de Saint-Vincent au
Volturne furent d’observance bénédictine dès leur fondation
au début du VIIIe siècle, de même que les abbayes austra-
128 CHARLEMAGNE

siennes de Gorze et de Lorsch, fondées vers le milieu du


e
VIII siècle. Plus à l’est, Boniface introduisit la règle béné-
dictine en Thuringe, en Saxe (où se trouve Fulda) et en
Bavière, tandis que Saint-Gall et Reichenau servaient de pôles
de diffusion en Alémanie. En choisissant la règle bénédictine
après en avoir essayé d’autres, Benoît d’Aniane s’inscrivit
donc dans une tendance assez générale, dont il contribua
toutefois au triomphe.

Benoît d’Aniane
Benoît est le nom en religion de Witiza, qui était le fils
d’un comte de Maguelone : son changement de nom exprime
l’importance de la référence à saint Benoît de Nursie dans la
vie de ce jeune noble d’origine wisigothique. Né vers 751, il
servit comme échanson à la cour de Pépin le Bref et de
Charlemagne, avant de se consacrer à la vie monastique.
Après plusieurs années passées dans l’abbaye de Saint-Seine
(en Bourgogne), il se retira sur un domaine de sa famille à
Aniane, où il fonda un monastère. Benoît se fit un ardent
défenseur de la règle de saint Benoît, qu’il introduisit dans
de nombreux établissements d’Aquitaine, du temps où Louis
le Pieux y était roi. Lorsque ce dernier devint empereur, il fit
venir l’abbé réformateur au monastère alsacien de Marmou-
tier, puis aux environs immédiats d’Aix-la-Chapelle, car il ne
pouvait pas se passer de ses conseils : c’est ce qui explique
la fondation de l’abbaye d’Inden. C’est là que Benoît passa
les dernières années de sa vie (il mourut en 821), qu’il
consacra à imposer la règle bénédictine dans tout l’Empire.

Gellone

L’un des monastères où Benoît d’Aniane put s’exercer à l’intro-


duction de la règle bénédictine fut celui de Gellone, fondé non
loin d’Aniane (sur l’autre rive de l’Hérault) par le duc Guillaume,
qui y finit ses jours sous l’habit monastique en 806. Le monastère
fut placé sous l’autorité de Benoît, qui y installa des disciples ; on
LE « RENOUVEAU DU ROYAUME DES FRANCS » 129

ignore combien de temps exactement cet établissement dépendit


d’Aniane. L’attachement des moines de Gellone à la politique
carolingienne de réforme, qui se traduit, par exemple, par la roma-
nisation du culte, est illustré par le fait qu’ils possédaient un exem-
plaire du « sacramentaire gélasien », un recueil des oraisons de
la messe s’avérant le principal témoignage, dans le monde franc,
de la diffusion de la liturgie attribuée au pape Gélase.

Sous la règle de saint Benoît


La règle bénédictine, elle-même synthèse de plusieurs tra-
ditions monastiques, est fondée sur les vœux de stabilité, de
conversion des mœurs et d’obéissance. Toute la communauté
monastique est placée sous l’autorité de l’abbé, dont le nom
signifie « père ». Saint Benoît de Nursie avait prévu que
l’abbé serait élu à vie par les moines, qui le choisiraient au
sein de la communauté. Alors que ce principe allait contre la
pratique courante de la désignation de l’abbé par la famille
du fondateur (dans le cadre des monastères privés que nous
avons déjà évoqués), le soutien accordé par les Carolingiens
aux abbayes d’observance bénédictine se manifesta tout par-
ticulièrement par l’octroi aux moines, sous la forme d’un
privilège lié à celui de l’immunité, de la garantie de pouvoir
librement élire leur abbé. Déjà, Charlemagne avait encouragé
les moines à se rallier à la règle de saint Benoît, en la faisant
par exemple publiquement relire lors de l’assemblée
d’octobre 802, si essentielle pour l’analyse de la manière dont
le nouvel empereur concevait son rôle. L’uniformisation fut
toutefois décrétée par son fils, Louis le Pieux. En août 816
et en juillet 817, pendant l’assemblée où l’empereur pro-
mulgua l’Ordinatio imperii, la règle bénédictine fut imposée
à l’ensemble des moines de l’Empire. Cette réforme, menée
parallèlement à celle des chapitres canoniaux, ne fut pas sans
susciter des réactions.
130 CHARLEMAGNE

Cormery

Les tensions qui survenaient au sein des communautés reli-


gieuses, suscitées par la volonté de réforme monastique attestée
dès le règne de Charlemagne, sont illustrées par l’installation à
Cormery, sur les bords de l’Indre, de frères de Saint-Martin de
Tours désireux de vivre selon la règle bénédictine. Vers 800,
Alcuin, déçu de la volonté de la majorité de sa communauté de
ne pas changer de statut, avait rassemblé dans ce monastère
fondé un peu plus tôt par son prédécesseur, Ithier, des moines
de Saint-Martin et des disciples de Benoît d’Aniane venus de
Septimanie. Assez rapidement, la communauté fut dirigée par un
abbé en propre, dont l’élection était soumise à l’agrément de celui
de Saint-Martin.

La réforme de la vie communautaire


Louis le Pieux demanda aux membres des communautés
religieuses masculines de choisir : ou bien ils adoptaient la
règle de saint Benoît ou bien ils se conformaient à celle des
chanoines – c’est-à-dire que les communautés devaient se
prononcer pour ou contre une réelle vie commune, et décider
de refuser ou de permettre à leurs membres de posséder
personnellement des biens et de toucher des revenus (les
prébendes). En ce qui concerne la règle des chanoines, Louis
le Pieux et ses conseillers s’inspiraient de l’expérience de
Chrodegang de Metz, vers le milieu du VIIIe siècle. Quant aux
communautés féminines, elles n’avaient pas le choix : leurs
membres devaient se conformer à la règle des moniales
définie lors de l’assemblée d’août 816. Cet effort de clarifi-
cation du statut des communautés religieuses n’était pas nou-
veau : déjà, Charlemagne avait demandé aux clercs de
Saint-Martin de Tours de renoncer à leur règle bâtarde. Sous
Louis le Pieux, la réforme fut en revanche imposée, mais non
sans mal : c’est ainsi que la majorité de la communauté de
Saint-Denis se prononça pour l’adoption de la règle des cha-
noines, lorsque Benoît d’Aniane voulut y introduire la
LE « RENOUVEAU DU ROYAUME DES FRANCS » 131

réforme en 817. Une minorité préféra adopter la règle béné-


dictine et fut installée ailleurs. En s’y prenant à deux reprises,
en 829 et en 832, l’abbé Hilduin parvint toutefois à imposer
l’observance bénédictine à l’ensemble de ses frères.

LES ARTS AU SERVICE DE DIEU ET DU ROI

C’est essentiellement dans les arts qu’on observe le mieux


la raison d’être de ce que l’on appelle couramment la « renais-
sance carolingienne » : il s’agissait de mettre toute les com-
pétences au service de Dieu. Néanmoins, l’exaltation du
souverain, le principal mécène, y était souvent associée. En
chantant ses louanges, ne célébrait-on point Celui qui l’avait
établi sur le trône ?

L’élu de Dieu
Pour les théoriciens du pouvoir des temps carolingiens,
Dieu avait choisi la famille de Pépin le Bref pour l’établir à
la tête du royaume. C’est ce qu’exprime un moine de
Saint-Denis dans un petit texte servant à dater un manuscrit
hagiographique : lors du sacre de 754, le pape aurait interdit
aux Francs d’élire à la royauté une personne étrangère à la
lignée que la divine Providence venait d’exalter. Ce choix
divin fut rappelé par les artistes qui représentèrent ensuite le
souverain ; dans le poème figuré de Raban Maur où est repré-
senté Louis le Pieux, l’empereur porte un nimbe composé de
lettres formant la légende suivante : « Toi, ô Christ, couronne
Louis ! » Ce rappel du choix divin est aussi explicite dans
les enluminures faisant apparaître la main de Dieu, bénissant
le souverain. Tel est le cas dans plusieurs manuscrits réalisés
du temps de Charles le Chauve, où ce dernier est représenté
trônant en majesté : citons la Bible de Vivien, le psautier de
Charles le Chauve ou le « livre doré » de Saint-Emmeram de
Ratisbonne.
132 CHARLEMAGNE

Chants de louange
Le lien entre le pouvoir royal et la puissance divine était
également rappelé dans les chants d’acclamation liturgique
du souverain que constituent ce que l’on appelle les « laudes
royales », des litanies composées vers la fin du VIIIe siècle à
la faveur du renforcement des contacts entre le monde franc
et Rome. Elles s’ouvrent par la formule : « Le Christ vainc,
le Christ règne, le Christ est empereur. » Grâce aux neumes
qui accompagnent le texte, nous pouvons en reconstituer la
mélodie. En effet, les clercs des temps carolingiens sont
directement à l’origine de la musique occidentale. En inven-
tant ces petits signes qui, placés sur le texte ou dans la marge,
indiquent le mouvement de la mélodie, les chantres de la
région de Metz, de Saint-Gall ou d’Auxerre mirent au point
une première forme de notation musicale. Certes, ces indi-
cations ne remplaçaient pas l’apprentissage du chant par
l’audition et la reproduction de ce qu’on avait entendu : ils
s’agit plutôt d’un aide-mémoire au service de la célébration
de l’office. À partir de la fin du IXe siècle, nombreux sont les
livres liturgiques comportant de tels neumes.

Les livres liturgiques


Le service de la gloire divine n’était pas seulement assuré
par la splendeur de la liturgie, mais aussi par le raffinement
des livres alors en usage, qu’il s’agisse de ceux utilisés pen-
dant la messe (par exemple, le sacramentaire, qui contient
l’ensemble des oraisons, ou l’évangéliaire, pour les lectures)
ou des livres de l’office divin (tels le psautier ou l’antipho-
naire, qui contient les antiennes et les répons). On connaissait
ces textes par cœur, ce qui explique le caractère parfois com-
pliqué de la mise en page. Pensons, dans le canon de la messe,
au début de la prière d’intercession Te igitur, ou bien encore
à l’In principio qui ouvre l’Évangile de Jean : les clercs
n’avaient pas besoin de lire le texte pour le dire, seul importait
LE « RENOUVEAU DU ROYAUME DES FRANCS » 133

le fait que le livre fût ouvert à la bonne page. Rares pourtant


étaient ceux qui pouvaient contempler ces lettres d’or parfois
entrelacées sur fond pourpre : elles étaient une offrande à
Dieu. Il n’empêche que certaines illustrations, notamment du
psautier, constituaient une véritable exégèse du texte sacré.
Tel est le cas du psautier de Stuttgart, réalisé à Saint-Germain-
des-Prés, ou de celui d’Utrecht, un produit du scriptorium de
Hautvillers (près de Reims) : tous deux datent de la première
moitié du IXe siècle. Les ateliers d’écriture monastiques jouè-
rent un grand rôle dans la production de livres liturgiques de
qualité, mais l’impulsion était venue du scriptorium du palais
de Charlemagne. C’est là que furent réalisés de nombreux
volumes richement ornés, comme le psautier de Dagulf (il
s’agit du nom du scribe) vers 790, l’évangéliaire d’Ada
(d’après le nom de sa commanditaire) vers 800, ou bien
encore l’évangéliaire de Lorsch, réalisé vers 810. Les pre-
mières réalisations de l’école du palais étaient fortement
marquées par les traditions insulaires. Toutefois, un style dif-
férent fut également développé par les scribes du palais de
Charlemagne, dans un esprit antiquisant probablement
influencé par Byzance : l’évangéliaire du couronnement,
conservé à Vienne, en offre un bel exemple.

Copier la Bible
Le livre par excellence était la Bible. On la copia beaucoup
au Moyen Âge ; certains scriptoria s’en firent une spécialité,
comme celui de Saint-Martin de Tours. On estime que cet
atelier fut en mesure de produire deux bibles de grand format
par an, durant toute la première moitié du IXe siècle : outre
le nombre de scribes nécessaires (ces bibles n’étaient pas les
seules productions du scriptorium), cette intense activité
témoigne de la richesse de l’établissement tourangeau, car
chaque volume nécessitait l’abattage de plus de deux cents
moutons ! La copie de la Bible était liée à un réel travail
d’étude philologique, qui illustre bien les enjeux de la
« renaissance carolingienne ». Certains érudits de cette
époque s’efforcèrent en effet d’améliorer le texte des
134 CHARLEMAGNE

Écritures en en revoyant la traduction – eu égard aux diverses


versions qui circulaient à cette époque, Charlemagne avait
souhaité disposer d’un texte unique de référence. Celui établi
par Alcuin connut un certain succès, mais ne supplanta pas
d’autres traductions, comme celle de Théodulfe d’Orléans.
L’apparition de bibles ou de psautiers glosés témoigne aussi
de l’intense activité de réflexion qui accompagnait l’étude
des Écritures à l’époque carolingienne.

Les arts somptuaires


Il était courant de revêtir les manuscrits précieux d’une
reliure coûteuse, dont les plaques étaient rehaussées d’ivoires,
d’émaux et de pierreries. Les artistes des temps carolingiens
maîtrisaient parfaitement les techniques de l’orfèvrerie et des
autres arts somptuaires. Parmi les objets liturgiques, les
calices, les croix et les reliquaires viennent d’emblée à l’esprit
(qu’on pense par exemple à la croix-reliquaire du pape
Pascal Ier ou au coffret d’argent qu’il fit réaliser pour une
autre croix), mais on pourrait également citer des objets a
priori plus inattendus, comme les peignes liturgiques. Cer-
taines plaques d’ivoire sculptées à la cour du temps de Char-
lemagne font preuve d’un grand raffinement et d’une certaine
inventivité, en dépit du poids des traditions antiques, que l’on
perçoit, par exemple, dans les plaques de l’évangéliaire de
Lorsch : en témoignent la représentation de David et de
Jérôme sur les plaques du psautier de Dagulf ou encore les
scènes de la vie du Christ ou de la Passion que l’on retrouve
dans la production de l’école de Metz du troisième quart du
e
IX siècle, où furent réalisés les panneaux représentant
l’évêque Drogon célébrant la messe. À cette époque, les
artistes de Lotharingie s’illustrèrent également par la taille
de cristaux de roche : la représentation de l’histoire de
Suzanne en est un splendide exemple.
LE « RENOUVEAU DU ROYAUME DES FRANCS » 135

L’art monumental
La réalisation architecturale la plus célèbre des temps caro-
lingiens est bien évidemment la chapelle octogonale d’Aix,
construite sur l’ordre de Charlemagne d’après le modèle de
l’église San Vitale de Ravenne. C’est loin d’en être le seul
exemple : on estime qu’une trentaine de cathédrales, une cen-
taine de palais et quatre fois plus de monastères furent
construits au moment de la « renaissance carolingienne ». Ces
constructions révèlent parfois une réelle source d’inspiration
antique : c’est notamment le cas du porche de l’abbaye rhé-
nane de Lorsch, élevé comme un arc de triomphe. Les
constructeurs de l’époque carolingienne développèrent égale-
ment des formes particulières, notamment le « massif occi-
dental », ou Westwerk, destiné à accueillir la liturgie pascale
dans certaines abbatiales, comme à Saint-Riquier du temps
d’Angilbert. La façade occidentale de l’église de Corvey, qui
date de la fin du IXe siècle, est particulièrement bien conservée.

Architecture et politique
Le plan de l’abbatiale de Corvey, dont la construction fut
entreprise au début du IXe siècle sous l’abbé Adalhard de
Corbie, illustre aussi comment la conception même de l’édi-
fice pouvait s’intégrer dans un programme politique ou bien,
au contraire, s’ériger en manifeste de contestation. Alors que
la réforme prônée par Benoît d’Aniane recommandait la
construction de petits édifices suffisants pour abriter la seule
communauté monastique, certains opposants à Louis le Pieux
revinrent très vite à des plans beaucoup plus vastes, qui cor-
respondaient aux usages sous Charlemagne. À cet égard, on
observe un revirement spectaculaire chez Éginhard : alors que
son église de Steinbach était de proportions modestes, la
basilique qu’il édifia ensuite à Seligenstadt renouait avec le
faste ancien.
Chapitre VI

LES DERNIERS CAROLINGIENS


877-987

UNE PÉRIODE DE CRISE

La mort de Charles le Chauve, en 877, ouvrit une période


difficile. Alors que les Vikings continuaient leurs incursions
en Francie occidentale, plusieurs souverains se succédèrent
à la tête du royaume. La mort qui frappa coup sur coup Louis
le Bègue, deux de ses fils et son cousin, l’empereur Charles
le Gros, compromit l’efficacité du gouvernement et la stabi-
lité de la dynastie.

Louis II le Bègue
Ce n’est qu’en raison de la mort de son frère, Charles le
Jeune, que Louis le Bègue devint roi d’Aquitaine, en 867. Il
dut attendre neuf ans encore pour que Charles le Chauve
consente à désigner comme son successeur ce fils apparem-
ment peu à même de régner. À plusieurs reprises, la maladie
entrava le gouvernement de ce souverain qui, d’emblée, eut
maille à partir avec certains membres de l’aristocratie. Dès
l’annonce de la mort de son père, il avait en effet distribué
les abbayes et les charges comtales en dépit du bon sens.
C’est au prix d’un rétablissement de l’équilibre entre la
famille des Welfs, à laquelle appartenait Hugues l’Abbé, et
celle des Rorgonides, dont l’un des membres les plus
importants était l’abbé Gauzlin, que Louis put recevoir le
sacre des mains de l’archevêque Hincmar de Reims, le
138 CHARLEMAGNE

8 décembre 877 à Compiègne. Il fut à nouveau couronné par


le pape Jean VIII, le 7 septembre 878, à l’occasion d’un
concile réuni à Troyes. La même année, au cours d’une
entrevue à Fouron (près de Meerssen), Louis II conclut un
accord avec son cousin, Louis le Jeune, roi de Germanie,
pour confirmer les frontières de leurs royaumes respectifs.
Le pouvoir de Louis II était en apparence consolidé, mais
la révolte du marquis Bernard de Gothie montre que son
autorité s’avérait bien fragile. Une nouvelle rechute frappa le
roi lorsqu’il se mit en route pour Autun, pour combattre le
rebelle ; à l’agonie, il rebroussa chemin vers Compiègne, où
il mourut le 10 avril 879.

Bernard Plantevelue
Parmi les grands qui apportèrent leur soutien à Louis II figure Ber-
nard Plantevelue, l’un des fils de Bernard de Septimanie et de
Dhuoda. Comte d’Autun, il s’opposa à Charles le Chauve, qui le
déposa. Une fois réconcilié avec le roi, en 869, ce dernier lui confia
l’Auvergne et le Velay, puis les comtés de Toulouse, de Limoges et
de Rodez à la faveur de la répression d’une rébellion, en 872.
Charles le Chauve en fit le conseiller de son fils, que Bernard aida
lors de la révolte du marquis de Gothie, en 878 ; cela lui valut de
recevoir du roi la Gothie et le comté de Bourges. Son habileté poli-
tique lui permit également d’obtenir ensuite le Mâconnais, puis le
Lyonnais. Il posa les fondements du duché d’Aquitaine, à la tête
duquel son fils, Guillaume le Pieux, allait s’illustrer à partir de 886.

Louis III et Carloman


Louis le Bègue avait fait envoyer les insignes du pouvoir à
son fils, Louis III. Mais les grands ne l’entendirent pas de cette
oreille : les anciennes dissensions au sein de l’aristocratie
réapparurent et certains, menés par l’abbé Gauzlin, firent
appel au roi de Germanie. Face à ce risque, les grands,
regroupés autour d’Hugues l’Abbé, firent sacrer les deux fils
du roi défunt par l’archevêque de Sens, en septembre 879 à
LES DERNIERS CAROLINGIENS 139

Ferrières. Le royaume fut partagé entre eux en mars 880, à


Amiens : Louis III reçut la Francie et la Neustrie, Carloman la
Bourgogne et l’Aquitaine. Néanmoins, le cadet recueillit très
vite l’ensemble de l’héritage : son frère fut victime d’un acci-
dent de cheval, le 5 août 882, et mourut. Entre-temps, il avait
eu l’occasion de s’illustrer contre les Vikings en remportant la
bataille de Saucourt-en-Vimeu, le 3 août 881 ; cette victoire
est à l’origine de l’un des monuments de la littérature en
ancien haut allemand, le Ludwigslied. Carloman fut reconnu
roi par les grands du royaume de son frère lors d’un plaid réuni
à Quierzy, le 9 septembre 882. Son règne, marqué lui aussi par
la lutte contre les Vikings, fut également éphémère : il mourut
à son tour d’un accident en décembre 884, alors qu’il chassait
le sanglier dans une forêt près des Andelys.

Charles le Gros
À la mort de Carloman, les grands élurent Charles le Gros,
le dernier des fils de Louis le Germanique encore en vie, qui
avait ceint la couronne impériale en 881. En répondant à
l’invitation de l’aristocratie en 885, Charles réunit une der-
nière fois l’ensemble des territoires de l’Empire carolingien,
excepté la Provence, sous l’autorité d’un même souverain. En
juin, il se rendit à Ponthion pour recevoir le serment de fidélité
des grands. La concentration des pouvoirs entre les mains de
Charles le Gros était inadaptée à la situation politique des
divers royaumes, qui connaissaient désormais un destin
propre. Plus que tout, l’empereur n’était pas en mesure de
coordonner la riposte au péril normand. C’est ce qu’illustre
son attitude à Paris, en 886 : alors que le comte Eudes com-
battait vaillamment les Vikings qui assiégeaient la ville depuis
un an, les renforts envoyés par l’empereur furent battus et,
lorsque Charles vint lui-même à Montmartre, ce fut pour
acheter la tranquillité de la cité en payant un tribut. Par
ailleurs, son gouvernement suscita des troubles en Germanie.
En novembre 887, il fut déposé par son neveu Arnoul, un
bâtard, qui se fit élire roi de Germanie à Tribur. Abandonné de
tous et gravement malade, Charles mourut le 13 janvier 888.
140 CHARLEMAGNE

La contestation des droits du sang


Dès la mort de Louis II, les droits de la famille carolin-
gienne furent contestés par l’un de ses alliés, le comte de
Provence, Boson. Frère de la veuve de Charles le Chauve et
père de la fiancée de Carloman, il se fit élire roi de Provence
en octobre 879. Les ambitions de certains membres de l’aris-
tocratie et leur compétence « sur le terrain » les conduisirent
à ne plus considérer les Carolingiens comme seuls aptes à
régner. Ce phénomène se renforça en 888. Chaque royaume,
comme le dit Réginon, choisit un roi « issu de ses entrailles » :
ainsi en Italie et en Francie occidentale, où le comte de Paris,
Eudes, fut élu roi à Compiègne, en février. Il ne fit toutefois
pas l’unanimité ; une partie de l’aristocratie, dont l’âme était
l’archevêque Foulques de Reims, souhaitait confier la cou-
ronne à Arnoul. Pour se faire accepter, Eudes dut se rendre
auprès de ce dernier, à Worms, où un pacte d’amitié les lia
désormais : c’était, de la part du Robertien, une concession au
prestige attaché à la famille du Carolingien.

LE RÈGNE DE CHARLES LE SIMPLE

En élisant Eudes roi, les grands choisirent celui des leurs


qui semblait le plus à même de défendre le royaume. C’était
un choix dicté par les circonstances. Quelques années plus
tard, la cause du fils posthume de Louis II allait cristalliser
les énergies du parti légitimiste.

Un héritier contesté
Lorsque Louis II mourut, sa seconde épouse, Adélaïde,
était enceinte de quelques mois : le 17 septembre 879, elle
mit au monde un enfant mâle, appelé comme son grand-père
LES DERNIERS CAROLINGIENS 141

et passé à la postérité sous le nom de Charles « le Simple ».


À l’origine, cette épithète était plutôt laudative, mais plus
tard, on fit de ce roi « sans détour » un « simplet ». Charles
était âgé de cinq ans à la mort de Carloman et il en avait huit
à la mort de Charles le Gros : on comprend que les grands
n’aient pas élu cet enfant alors que la présence des Vikings
demandait un homme énergique. En revanche, à long terme,
il représentait un danger pour Eudes. On l’accusa donc de
bâtardise. Le reproche était d’autant plus aisé que le mariage
de Louis II avec la descendante du comte Bégon avait eu lieu
sur l’ordre de Charles le Chauve, du vivant d’Ansgarde, la
première femme de Louis, épousée contre l’avis de son père.
Cela n’empêcha pas les opposants au roi Eudes de se rallier
à la cause du jeune Charles : à treize ans, le 28 janvier 893,
il fut sacré à Reims par l’archevêque Foulques. Le choix du
jour s’avérait éloquent : c’était l’anniversaire de la mort de
Charlemagne. On ne pouvait pas plus clairement opposer la
légitimité carolingienne aux origines d’Eudes. Une période
de guerre civile s’ensuivit. Pourtant, en 897, les deux rivaux
parvinrent à un accord, selon lequel Charles succéderait à
Eudes quand ce dernier mourrait, ce qui arriva en janvier 898 :
les grands se réunirent à Reims et « rétablirent Charles sur
le trône de son père ».

Foulques de Reims

Foulques était un membre de la haute aristocratie de Francie


occidentale. Il devint archevêque de Reims en 883. Cet ancien
membre de la cour de Charles le Chauve se fit l’ardent défenseur
de la légitimité carolingienne, en soutenant Arnoul, puis Charles
le Simple – en partie par opportunisme politique. Foulques res-
taura les murs de Reims et fit fortifier Épernay. Le 17 juin 900, il
fut tué sur l’ordre du comte de Flandre, Baudouin II, car il refusait
de lui rendre l’abbaye de Saint-Vaast d’Arras, que le roi lui avait
attribuée après en avoir privé Baudouin pour sanctionner ses
appétits territoriaux.
142 CHARLEMAGNE

Le traité de Saint-Clair-sur-Epte
La reconnaissance de la légitimité de Charles ne signifiait
pas pour autant que les grands étaient disposés à abandonner
entre ses mains les pouvoirs qu’ils exerçaient dans les prin-
cipautés alors en cours de formation. À cet égard, une ini-
tiative du roi mérite notre attention : c’est le traité qui est à
l’origine de la Normandie. Pour obtenir des Vikings qu’ils
laissent le royaume en paix, Charles eut recours au même
type d’accord que le roi Alfred de Wessex face à Guthrum
une génération plus tôt : en échange du baptême, le roi offrit
au chef normand Rollon de lui concéder le territoire sur lequel
il était déjà implanté. C’est ainsi qu’un traité fut conclu dans
la seconde moitié de l’année 911, à Saint-Clair-sur-Epte. Les
Normands reçurent divers pays côtiers autour de Rouen. Cet
accord n’est pas l’expression d’une faiblesse des Francs à
l’égard de leurs adversaires – au contraire, ils venaient de
remporter une écrasante victoire à Chartres, le 20 juillet 911.
Il s’agissait d’une solution politique permettant d’intégrer ces
païens à la chrétienté. Cette mission fut confiée au successeur
de saint Remi, l’archevêque de Reims, Hervé. Dès 912,
Rollon reçut le baptême. Son parrain n’était autre que le
défenseur de Chartres, le comte Robert, frère du défunt roi
Eudes.

Le mirage lotharingien
On met souvent en rapport la cession de la région de Rouen
à Rollon et l’acquisition de la Lotharingie, la même année ;
il n’est en effet pas improbable que Charles le Simple ait
souhaité avoir les mains libres à l’ouest pour mener à bien
la conquête du royaume de Lotharingie, où se trouvait Aix-
la-Chapelle. La mort du dernier Carolingien de Francie orien-
tale, Louis l’Enfant, lui offrit l’occasion d’obtenir « un plus
large héritage », selon l’expression servant désormais à dater
ses diplômes. Monté sur le trône en 900 alors qu’il était
encore enfant, Louis, âgé de dix-huit ans, était mort sans
LES DERNIERS CAROLINGIENS 143

héritier au mois de septembre 911. L’aristocratie de Lotha-


ringie, menée par Régnier au Long-Col (le fils d’un comte
de la région mosellane, qui avait épousé une fille de
Lothaire Ier), était alors révoltée contre le roi. Les raisons en
sont obscures, mais il est logique que ces grands n’aient pas
participé à l’élection du duc de Franconie, Conrad, en
novembre à Forchheim ; au contraire, ils offrirent la couronne
à Charles le Simple, auquel Régnier avait d’ailleurs autrefois
prêté serment de fidélité, lors d’une révolte contre le prédé-
cesseur de Louis l’Enfant. Dès lors, Charles le Simple ne
s’intitula plus « roi » tout court, mais « roi des Francs »,
renouant ainsi avec la tradition de ses ancêtres. Conrad ne se
résolut pas immédiatement à perdre la Lotharingie, mais seu-
lement après avoir tenté en vain de la récupérer par les armes
en 912 et en 913. Ce rattachement de la Lotharingie à la
Francie occidentale fut cependant éphémère : Henri l’Oise-
leur tira profit des déboires de Charles le Simple pour imposer
définitivement l’autorité des rois de Germanie sur ce duché.

Henri l’Oiseleur

Sentant la mort venir, le roi Conrad est censé avoir donné l’ordre
à son frère de transmettre les insignes du pouvoir à Henri l’Oise-
leur ; c’est ainsi que les grands, réunis à Fritzlar en mai 919,
élurent à la royauté ce comte saxon, marié à une descendante
lointaine de Widukind, le meneur de l’opposition à la conquête
franque du temps de Charlemagne. Henri refusa d’être sacré,
pour exprimer sa solidarité avec le reste de l’aristocratie. Son
avènement marque l’accès au pouvoir de la dynastie ottonienne.

Haganon
Charles le Simple était lié à l’aristocratie lotharingienne
par sa femme, Frérone, qu’il avait épousée en 907 et dont il
eut six filles. Il est probable que ce fut à l’occasion du mariage
de sa parente qu’Haganon se rendit à la cour du roi de Francie
144 CHARLEMAGNE

occidentale. Toutefois, il n’est attesté comme l’un des prin-


cipaux conseillers de Charles le Simple que quelques années
après l’acquisition de la Lotharingie.
L’origine du fidèle Haganon, devenu comte grâce à la
faveur royale, est assez difficile à établir ; il est en tout cas
certain que les grands de Francie occidentale prirent très mal
l’ascension politique de ce personnage dont Charles le Simple
« fit un puissant alors qu’il était issu de la classe moyenne »,
délaissant leurs propres avis : cette description, due au cha-
noine de Reims Flodoard, a longtemps marqué l’historiogra-
phie, bien qu’elle reflète probablement avec plus de fidélité
le rejet d’Haganon par l’aristocratie de Francie occidentale
que la nature véritable de son extraction. Richer, un moine
de Saint-Remi qui écrivait vers la fin du Xe siècle, rapporte
que l’intimité entre Charles et Haganon était si grande que
ce dernier pouvait se permettre de prendre le bonnet de la
tête du roi pour s’en coiffer en public. La première semonce
eut lieu en 920 : certains membres de l’aristocratie, sous la
conduite de Robert, le frère du roi Eudes, se rebellèrent contre
Charles, qui fut sauvé grâce à l’intervention de l’archevêque
de Reims, Hervé. Le roi ne renonça toutefois pas à son ami ;
au contraire, ses largesses à son égard devaient le mener à sa
perte.

Au milieu du Rhin
Les membres de l’aristocratie lotharingienne se lassèrent
également du comportement du roi Charles. Le fils de
Régnier, Giselbert, qui avait succédé à son père, s’était révolté
dès 918, en bénéficiant de l’appui du roi de Germanie.
Charles le Simple était parvenu à le faire rentrer dans le rang
en 920, mais il ne s’en tint pas là : pour punir Henri l’Oiseleur
d’avoir soutenu le rebelle, il entreprit de ravager ses terres,
mais il fut mis en fuite non loin de Worms. C’est pour
conclure la paix que les deux souverains se réunirent près de
Bonn, le 7 novembre 921, après s’être observés quelques
jours durant en campant sur les deux rives du Rhin : la ren-
contre eut lieu au milieu du fleuve, sur un bateau. Aucun des
LES DERNIERS CAROLINGIENS 145

deux ne perdant la face en venant dans le territoire de l’autre,


Charles et Henri se jurèrent paix et amitié, manifestant ainsi
l’égalité du « roi des Francs de l’Ouest » et du « roi des
Francs de l’Est », ainsi que l’appartenance de la Lotharingie
au royaume occidental. Les déboires de Charles le Simple
avec ses grands allaient réduire à néant cet équilibre.

Un roi sans royaume


Les largesses de Charles envers Haganon furent à l’origine
de sa déposition : pour contrer l’influence de la famille rober-
tienne, le roi avait dessaisi sa tante, Rothilde (fille de Charles
le Chauve et belle-mère d’Hugues le Grand, le fils du comte
Robert), de l’abbaye de Chelles, et il en avait confié la direc-
tion à Haganon. La riposte ne se fit pas attendre. En avril 922,
Hugues marcha sur Reims pour s’en prendre au roi, qui
s’enfuit en Lotharingie. Durant deux mois, les pillages se
succédèrent, notamment à Laon. Les partisans de Robert
débauchèrent ceux de Charles, si bien que le frère d’Eudes
put se faire sacrer à Reims par l’archevêque de Sens, en
juin 922. Charles ne s’avoua pas vaincu : il réunit une armée
et affronta Robert près de Soissons, le 15 juin 923. L’usur-
pateur mourut dans la bataille, mais les troupes de Charles
furent battues et ce dernier s’avéra incapable de rallier les
grands à sa cause : en juillet 923, ils élurent à la royauté le
duc de Bourgogne, Raoul. La même année, Charles fut fait
prisonnier par Herbert II deVermandois, qui s’en saisit à la
faveur d’une trahison. C’est en captivité que le roi mourut,
le 7 octobre 929, à Péronne. Il fut inhumé dans l’église Saint-
Fursy de cette ville.

LOUIS IV OU L’ILLUSION D’UNE RESTAURATION

La mort du roi Raoul, en janvier 936, sonna l’heure du


retour sur le trône de la dynastie carolingienne. Était-ce pour
146 CHARLEMAGNE

autant son retour au pouvoir effectif ? Le véritable maître de


la vie politique d’alors était Hugues le Grand, le fils du roi
Robert. C’est lui qui fit venir d’Angleterre le fils de Charles
le Simple.

Un prince en exil
On aurait pu s’attendre à ce qu’Hugues le Grand succède
à Raoul, mort sans descendant mâle. Le comte neustrien était
le plus puissant des membres de l’aristocratie ; par sa femme,
une fille du roi de Wessex Édouard l’Ancien, il était le beau-
frère de Charles le Simple et d’Otton Ier ; il avait cependant
des rivaux, notamment Herbert II de Vermandois (un descen-
dant de Bernard d’Italie) et Hugues le Noir, le frère de Raoul.
C’est pourquoi le Robertien jugea plus prudent de recourir
au prince Louis, appelé « Louis d’Outremer » car il vivait
exilé en Angleterre : lorsque son père fut fait prisonnier, sa
mère, Ogive (la seconde épouse du roi), retourna en effet
outre-Manche. Hugues et les grands envoyèrent donc une
ambassade auprès du roi Athelstan, qui avait recueilli son
neveu à la mort d’Édouard. Le roi accepta de laisser partir
Louis, alors âgé de seize ans environ, à la condition que les
membres de l’aristocratie lui fissent hommage dès qu’il pose-
rait pied sur le territoire des Francs.

De Boulogne à Laon
Louis IV prit donc la mer et se rendit à Boulogne, où
l’attendaient Hugues et certains grands de Francie occiden-
tale. Là, sur la plage, chacun se « recommanda » au nouveau
roi : plaçant leurs mains dans les siennes, ils le reconnurent
pour seigneur. Ensuite, toute la troupe chevaucha vers Laon,
la principale résidence des derniers Carolingiens. Le 19 juin
936, Louis y fut sacré par l’archevêque de Reims, Artaud,
en présence d’une vingtaine d’évêques. Cette restauration
semble avoir fait l’unanimité. Dans les premiers mois,
Hugues le Grand tenta d’imposer sa politique au nouveau roi,
LES DERNIERS CAROLINGIENS 147

qui l’appelait « le second après nous dans tout le royaume ».


Un titre exprime cette place exceptionnelle : le roi reconnais-
sait en Hugues un « duc des Francs ». Cette expression, cal-
quée sur celle de « roi des Francs », illustre le rang éminent
du Robertien, qui n’est pas sans rappeler celui de maire du
palais sous les derniers Mérovingiens. En 936, Hugues le
Grand avait mené le roi en Bourgogne, pour s’en prendre aux
possessions d’Hugues le Noir. Néanmoins, Louis IV se rendit
compte assez rapidement qu’il devait se libérer de l’emprise
du duc des Francs s’il voulait se maintenir sur le trône.

La reine Gerberge

Pour mieux contrôler Giselbert, le duc de Lotharingie, Henri


l’Oiseleur lui avait donné sa fille en mariage. À la mort du duc, en
939, le roi tenta de la remarier avec le duc de Bavière. Finalement,
elle épousa le jeune Louis IV, qui devint ainsi le beau-frère
d’Hugues le Grand. Les alliances matrimoniales, centrées sur la
maison de Wessex à la génération précédente, l’étaient
désormais sur celle de Saxe. Gerberge devint le lien entre la cour
d’Otton Ier et celle du roi de Francie occidentale. Elle survécut
quatorze ans à son mari, auprès de qui elle fut inhumée.

Un jeu de dupes
Il serait vain de retracer ici tous les rebondissements du
règne de Louis IV, qui fut marqué par plusieurs renversements
d’alliances où chacun s’efforçait de saper l’autorité de l’autre.
Le contrôle de la région de Reims et de Laon fut l’un des
principaux enjeux. Le rival de Louis IV y était Herbert II de
Vermandois, qui avait fait ériger une citadelle à Laon et tenta
d’imposer son fils Hugues, un enfant, comme archevêque de
Reims. Plusieurs sièges, plusieurs combats eurent lieu à ce
propos. La mort de Guillaume Longue Épée, en 942, permit
au roi de s’affirmer en Normandie, en prenant le jeune
Richard sous sa tutelle. Cette année semblait d’autant plus
148 CHARLEMAGNE

favorable qu’elle vit la mort du comte Herbert et le partage


de son héritage entre ses fils. Mais Hugues le Grand prit
ombrage de cette bonne fortune : en 945, alors que le roi
chevauchait en Normandie, il fut capturé et livré au duc des
Francs, qui le garda plusieurs mois en geôle. Ce n’est qu’en
juin 946 qu’Hugues le Grand rétablit le roi dans ses préro-
gatives. Flodoard dit que le duc rendit à Louis IV « sa dignité
et son nom » de roi – en fait, son pouvoir était grandement
diminué ; même le contrôle de Laon lui échappait. C’est alors
qu’intervint Otton Ier, qui ne tint pas rancune à son beau-frère
d’avoir tenté d’étendre son autorité sur la Lotharingie en 939,
à la faveur d’une révolte fomentée par le duc Giselbert. Otton
agissait moins par philanthropie que pour défendre l’autorité
royale.

L’influence d’Otton Ier


Le roi de Germanie intervint à la demande de sa sœur,
Gerberge. En 946, il vint à Laon et à Reims, à la tête d’une
armée qu’avait rejointe le roi de Bourgogne transjurane,
Conrad. Le principal problème était le contrôle de Reims,
d’où l’archevêque Hugues s’était enfui. Artaud fut rétabli sur
son siège épiscopal, mais il convenait de régler cette question
autrement que par les armes : plusieurs synodes furent convo-
qués – à Verdun, à Mouzon, à Ingelheim. La solution était
entre les mains d’Otton Ier, qui jouait le rôle de véritable maître
de la vie politique dans l’ancien empire de Charlemagne.
Louis IV était son obligé – ne le voit-on pas passer les fêtes de
Pâques 947 à Aix, à la cour de son beau-frère ? Donc, en 948,
le pape Agapet II ordonna la réunion d’un concile général
dans le palais du roi de Germanie, sous la présidence du légat
Marin. Louis IV y exposa ses griefs envers Hugues de Ver-
mandois, qui fut excommunié. Hugues le Grand le fut aussi
par un concile réuni ensuite à Laon, alors que le roi avait levé
une armée pour combattre ses opposants. Ce n’est que deux
ans plus tard que le duc se réconcilierait avec lui.
Louis IV réussit à se faire reconnaître hors de la région
dans laquelle il séjournait (par exemple, en Aquitaine, au
LES DERNIERS CAROLINGIENS 149

cours de l’année 951) ; le bilan de son règne n’est donc pas


négatif, bien qu’il ait été frappé par la mort quand il était
encore dans la force de l’âge : il fut victime d’un accident de
chasse en 954. Si l’on compare son action à celle d’Otton,
force est toutefois de reconnaître que le retour du Carolingien
n’avait pas permis de poser les jalons d’un renouveau, tandis
que son beau-frère établissait les bases d’un pouvoir royal
solide en Germanie.

L’ESSOR DES PRINCIPAUTÉS

Depuis la fin du IXe siècle, en Francie occidentale, on


observe une évolution générale conduisant à la médiatisation
du pouvoir public : qu’il soit « usurpé » ou bien au contraire
concédé par le roi, le pouvoir de ban et le contrôle de l’Église
sont passés aux mains des « princes », dont certains revendi-
quent le titre ducal. Vers le milieu du Xe siècle, le royaume
est ainsi divisé en plusieurs territoires, appelés principautés.
Ce phénomène a profondément marqué la géographie poli-
tique de la France.

La Flandre
La principauté flamande tire son nom du « pays » côtier
aux environ de Bruges, qu’un comte Baudouin contrôlait du
temps de Charles le Chauve : cet ambitieux, qui organisa le
« rapt » de Judith (la fille du roi des Francs, alors veuve du
roi anglo-saxon Æthelwulf, puis de son fils Æthelbald, était
consentante – mais pas son père !) et l’épousa, réussit à
étendre son autorité sur toute la région. Après sa mort, en
879, son fils homonyme poursuivit la même politique d’ex-
tension territoriale. À la faveur des raids vikings et de la
rivalité entre le roi Eudes et le prétendant carolingien, Charles
le Simple, Baudouin II soumit à son autorité toute la région
allant du Boulonnais et de la Canche jusqu’à l’Escaut. Dans
150 CHARLEMAGNE

son appétit de pouvoir, il ne recula pas devant le meurtre de


l’archevêque de Reims, Foulques. Le titre de « marquis »
dont il jouit au début du Xe siècle exprime alors son impor-
tance ; petit-fils de Charles le Chauve, il fut aussi gendre du
roi de Wessex, Alfred le Grand. En 918, lorsque Baudouin II
mourut, ses fils se partagèrent son territoire, mais le décès
de son cadet, en 933, permit à Arnulf de recueillir l’ensemble
de l’héritage. Il consolida ses positions vers le sud : aux
confins de la Normandie, en s’emparant du Ponthieu et de la
forteresse de Montreuil ; du côté du Vermandois, en s’impo-
sant en Artois et en épousant Adèle, la fille de son ennemi,
le comte Herbert II de Vermandois. Le comté connut une
grave crise à la mort d’Arnulf le Grand, en 965.

La Normandie
En dépit des difficultés que connut le comté de Flandre
lorsque Arnulf II, le petit-fils d’Arnulf le Grand, lui succéda,
ce dernier et, surtout, les comtes du XIe siècles parvinrent à
faire de la Flandre un modèle de gouvernement. Ce fut aussi
le cas de la Normandie, dont le maître prit le titre de duc
sous les premiers Capétiens. La période qui précède fut moins
glorieuse : il s’agissait avant tout pour Rollon († 932) et pour
son fils, Guillaume Longue Épée († 942), d’imposer l’ordre
dans le territoire que Charles le Simple avait accordé à ces
Vikings probablement originaires de Norvège, pour pacifier
la région et barrer l’accès de Paris aux autres « Normands »,
dont certains groupes rivaux étaient implantés ailleurs sur la
côte de Neustrie. Cette notion de « territoire à conquérir »
s’applique tout particulièrement à la région de Caen, attribuée
au comte de Rouen par le roi Raoul. Par cette mesure, la
Normandie acquit très rapidement ses frontières presque défi-
nitives. À la mort de Guillaume Longue Épée, le roi Louis IV
tenta en vain de s’imposer au détriment du jeune Richard,
qui profita d’un très long gouvernement (il mourut en 996)
pour asseoir les bases de son pouvoir ; du temps de Lothaire,
ce prince était d’ailleurs désigné comme « marquis ».
LES DERNIERS CAROLINGIENS 151

L’Aquitaine et le Midi
Dans le sud du royaume, deux familles rivalisaient pour le
contrôle de l’Aquitaine : celle des descendants de Bernard de
Septimanie et celle des comtes de Poitiers, dont l’origine
remontait au comte Ramnulf, en place du temps de Charles
le Chauve, qui était lui-même fils du comte Gérard
d’Auvergne et d’une princesse carolingienne. Comme nous
l’avons vu, Bernard Plantevelue avait légué à son fils, Guil-
laume le Pieux (886-918), un pouvoir s’étendant sur de vastes
territoires, qui lui permit de prendre le titre de « duc des
Aquitains » : de fait, Guillaume régnait sur l’Auvergne, le
Berry, le Limousin, la Septimanie, le Lyonnais et le
Mâconnais ; il était aussi abbé de Saint-Julien de Brioude.
On lui doit la fondation de Cluny. Après avoir été successi-
vement exercé par deux neveux de Guillaume, le pouvoir
ducal passa aux mains de la famille comtale poitevine, qui
s’imposa vers le milieu du Xe siècle. Guillaume Tête d’Étoupe
(943-963) profita des incertitudes occasionnées par le décès
de Louis IV pour se faire reconnaître par l’aristocratie auver-
gnate. L’ost royal fut dirigé contre lui, mais la mort d’Hugues
le Grand, en 956, lui fut favorable : dès l’année suivante, il
était en mesure de s’affirmer « duc des Aquitains ». Ce titre
ne fut pas contesté à son fils, Guillaume Fier-à-Bras
(963-995).

Cluny

C’est le duc Guillaume le Pieux, comte de Mâcon, qui fonda en


910 l’abbaye de Cluny, dont le prestige, le rayonnement et la
richesse furent sans égal au Moyen Âge. Il dédia le monastère
aux apôtres Pierre et Paul et en confia la direction à l’abbé
Bernon. D’emblée, Guillaume plaça cette fondation sous le signe
de la réforme du monachisme bénédictin : il accorda aux moines
la liberté de l’élection abbatiale et plaça l’établissement sous la
protection de l’évêque de Rome.
152 CHARLEMAGNE

Entre val de Loire et Bourgogne


Au nord de l’Aquitaine s’étendaient les terres des
Robertiens, où régnait Hugues le Grand, duc des Francs.
Petit-fils de Robert le Fort et fils du marquis homonyme qui
serait élu roi en 922, il avait, dès 914, reçu l’assurance de
Charles le Simple qu’il succéderait à son père dans toutes
ses charges. De fait, il fut maître de la vallée de la Loire et
de la région de Paris ; à ses pouvoirs civils et militaires s’ajou-
taient l’abbatiat des établissements tourangeaux de Saint-
Martin et de Marmoutier et celui de Saint-Denis. La position
éminente d’Hugues sous le règne de Raoul se renforça sous
celui de Louis IV, qu’il avait lui-même rappelé d’exil. En
943, le roi lui accorda la Bourgogne, qu’il reçut à nouveau
de Lothaire onze ans plus tard. Ses héritiers durent attendre
quatre ans après sa mort, survenue en 956, pour succéder à
leur père : Otton reçut la Bourgogne, alors que le fils homo-
nyme du duc (passé à la postérité en tant qu’Hugues Capet)
hérita de la Francie médiane, autrement dit l’ancienne Neus-
trie. Petit-fils de rois par ses deux parents, gendre du duc
d’Aquitaine Guillaume Tête d’Étoupe, dont il épousa la fille
en 970, Hugues Capet s’imposa comme le chef de l’aristo-
cratie sous le roi Lothaire.

Du Blésois au Vermandois
Les Robertiens n’étaient pas les seuls à exercer le pouvoir
public en val de Loire. Ils trouvèrent en Thibaut le Tricheur
(vers 940-† 975) un important rival. Il était le fils du vicomte
de Tours, un vassal du marquis Robert, que ce dernier avait
aussi installé à Blois pour y exercer le pouvoir comtal en son
nom. Fidèle à Hugues le Grand, il profita de la vacance du
pouvoir qui suivit la mort du duc des Francs pour s’imposer
en Dunois et en Chartrain et exercer le pouvoir de manière
autonome, ce qu’exprime le titre qu’il adopta alors : « comte
par la volonté de Dieu ». Son successeur, Eudes, se montra
LES DERNIERS CAROLINGIENS 153

favorable au roi Lothaire. Vers 944, Thibaut avait épousé une


fille d’Herbert II de Vermandois († 943). Il s’était ainsi lié à
une puissante famille d’origine carolingienne, qui se constitua
une principauté centrée sur la région de Saint-Quentin.

Le pouvoir châtelain
Le cas de Thibaut le Tricheur est exemplaire : il s’agit d’un
vicomte qui s’est émancipé et revendique pour lui-même les
droits qu’il exerçait à l’origine en vertu d’une délégation de
pouvoirs. Il est représentatif de l’évolution générale des ins-
titutions au cours du Xe siècle. Un facteur favorisa grandement
cet éclatement des pouvoirs : la multiplication des châteaux
et autres places fortes, des mottes en l’occurrence. L’érection
de fortifications avait été rendue nécessaire par les raids des
Vikings, mais aussi des Hongrois, vers la fin du IXe siècle et
au début du Xe siècle. Une fois la menace passée, on continua
d’élever des fortifications, qui servaient certes de lieux de
refuge en cas de danger, mais exprimaient aussi la puissance
du seigneur qui les avait fait élever. Une redistribution de
l’espace en fonction de ces châtellenies s’amorça alors :
désormais, le contrôle des populations et des territoires serait
conditionné par la possession d’un château. C’est ainsi que
l’ancienne viguerie de Chinon devint dès 973 la « viguerie
du château de Chinon » ou que la forteresse de Roucy, élevée
sous Louis IV, devint le siège d’un nouveau comté. C’est en
particulier par l’étude de ce phénomène de l’émergence du
pouvoir châtelain que l’on observe au mieux l’apparition du
Moyen Âge classique, caractérisé par la seigneurie banale.

LA FIN DE LA DYNASTIE CAROLINGIENNE

Le fils de Louis IV monta sur le trône un mois seulement


après la mort de son père. La relative rapidité avec laquelle
il fut sacré roi ne doit pas faire illusion : son élection fut
154 CHARLEMAGNE

négociée avec Hugues le Grand, dont la reine Gerberge avait


sollicité l’aide.

Lothaire
Pour obtenir le couronnement de son fils, alors âgé de
treize ans, Gerberge ne s’était pas seulement tournée vers
Hugues le Grand, le mari de sa sœur Hadwige et surtout
l’homme le plus influent du royaume. Elle avait également
fait appel à Otton Ier, qui se fit représenter par leur frère
commun, Bruno, à la fois archevêque de Cologne et duc de
Lotharingie. Le sacre de Lothaire eut lieu le 12 novembre
954 à Saint-Remi de Reims, dans l’église où son père avait
été inhumé quelques jours plus tôt. Hugues le Grand fut
récompensé de la bonne volonté dont il avait fait preuve : il
reçut la Bourgogne et l’Aquitaine du nouveau roi, dont on
compromettait le pouvoir en l’amputant d’emblée. La mort
du duc, en 956, modifia la donne politique, car son héritier,
Hugues Capet, n’était lui aussi âgé que d’une quinzaine
d’années. Les décisions politiques furent un temps assumées
par Bruno, auquel Otton Ier avait confié la tutelle de ses deux
neveux, le roi et le Robertien. La mort de Bruno (en 965) et
celle de Gerberge (en 969) permirent à Lothaire de gouverner
seul. Il osa critiquer son oncle et entreprit même, en 978, un
raid contre Aix-la-Chapelle pour contester l’attribution par
Otton II du duché de Basse-Lotharingie à son frère Charles.
Le soutien de l’aristocratie, lors de la campagne punitive
organisée par l’empereur, montre que le royaume de Francie
occidentale avait alors retrouvé une certaine cohésion, en
dépit du morcellement de l’autorité publique en plusieurs
principautés.

Le règne éphémère de Louis V


Pour assurer sa succession, Lothaire avait renoué avec la
pratique de l’association du fils au pouvoir, à laquelle les
premiers Carolingiens avaient eu recours. En fait, selon le
LES DERNIERS CAROLINGIENS 155

moine Richer, Lothaire demanda au duc Hugues Capet


d’élever son fils à la royauté : le 8 juin 979, le jour de la
Pentecôte, Louis fut acclamé roi à Compiègne et il reçut le
sacre des mains de l’archevêque de Reims, Adalbéron. Par
conséquent, personne ne songea à contester les droits du fils
de Lothaire quand ce dernier mourut, le 2 mars 986 ; Louis
avait dix-neuf ans. Cependant, la cour fourmillait alors
d’intrigues, dues en particulier à la politique menée par
Lothaire vers la fin de son règne : il s’était allié au duc de
Bavière contre Otton III et, en tentant de s’imposer en Lotha-
ringie, avait fait prisonnier le comte de Verdun, Godefroi, qui
n’était autre que le frère de l’archevêque Adalbéron, soup-
çonné lui-même de trahison en raison du soutien qu’il accor-
dait au roi de Germanie. La cour était donc divisée. Louis V
voulait faire juger celui qui l’avait sacré, en dépit de l’oppo-
sition de sa mère, Emma, qui soutenait de manière logique
le parti d’Otton III : elle était la fille du premier lit de l’impé-
ratrice Adélaïde, la grand-mère du roi de Germanie. Le der-
nier Carolingien n’eut cependant pas l’occasion de voir ce
procès. Il mourut d’un accident de chasse, le 22 mai 987.
Bien qu’il eût souhaité reposer près de son père, il fut inhumé
sur place, à Compiègne.

Le compétiteur d’Hugues Capet


Lorsque Louis V mourut, il était sans héritier direct. Certes,
en 982, il avait épousé Adélaïde, sœur du comte d’Anjou
Geoffroy Grisegonelle et veuve du comte Étienne de
Gévaudan. Mais son mariage s’était avéré un désastre et le
roi Lothaire était assez vite revenu en Aquitaine pour séparer
les époux ; aucun enfant n’était né de cette union. Un membre
de la famille revendiqua toutefois la couronne : Charles, fils
cadet de Louis IV et oncle du roi défunt. Charles aurait pu
régner, s’il était né un peu plus tôt. En effet, nous avons vu
que le partage du territoire était chose courante jusqu’à la fin
du IXe siècle. Ensuite s’imposa l’idée selon laquelle il valait
mieux ne pas porter atteinte à l’intégrité du royaume. Plu-
sieurs facteurs expliquent ce phénomène : l’analyse politique
156 CHARLEMAGNE

de l’épiscopat, une identité propre de plus en plus affirmée


des royaumes issus de l’Empire carolingien et les hasards
dynastiques. Louis IV était le seul héritier mâle de Charles
le Simple. À sa mort, on fit en revanche le choix de se rallier
aux usages prévalant désormais en Germanie : un seul fils
devait hériter. N’ayant rien obtenu de son frère, Charles se
tourna vers son cousin Otton II, qui le fit duc de Basse-
Lotharingie en 977. Charles fit les frais des rapports chan-
geants entre son frère et le souverain de Germanie. Il se
montra aussi maladroit – notamment lorsqu’il se proclama
roi à Laon l’année suivante, à l’occasion de la campagne
d’Otton II en Francie occidentale. Les membres de l’aristo-
cratie ne le soutinrent pas. Huit ans plus tard, il crut son
heure venue.

La fin d’une dynastie


En revendiquant la couronne en 978, Charles avait non
seulement agi contre son frère, le roi Lothaire, mais égale-
ment contre l’intérêt du royaume, qu’il contribuait ainsi à
affaiblir en un moment critique. Par ailleurs, en tant que duc
de Basse-Lotharingie, il était l’homme du roi de Germanie.
On comprend que les grands de Francie occidentale lui aient
préféré celui des leurs qui semblait le plus à même de
défendre leurs intérêts. Réunis à Senlis à la fin du mois de
mai 987, c’est-à-dire immédiatement après la mort de
Louis V pour profiter de la présence de nombreux princes,
ces derniers élurent Hugues Capet. Si l’on en croit le moine
Richer, le duc avait bénéficié de l’appui inconditionnel de
l’archevêque de Reims, que la mort du roi avait fait échapper
au procès alors imminent : Adalbéron aurait défendu l’idée
selon laquelle « le trône ne s’acquiert pas par droit hérédi-
taire », mais qu’il doit revenir à celui qui se distingue par sa
sagesse. En l’occurrence, Charles devait se discréditer peu
après, en prenant les armes contre le nouveau roi et en
s’emparant de Laon. Capturé grâce à une ruse de l’évêque
de cette cité, lui aussi nommé Adalbéron, il fut livré à Hugues
Capet en 991 et mourut en prison.
LES DERNIERS CAROLINGIENS 157

Le « retour à la souche de Charles »


De même que Charlemagne avait revendiqué l’héritage
mérovingien en appelant l’un de ses fils Louis (c’est-à-dire
Clovis), les Capétiens adoptèrent cet usage, alors qu’une
famille revendiquait haut et fort son sang carolingien : les
comtes de Vermandois, descendants du comte Pépin, le fils
de Bernard d’Italie. En épousant Adèle de Champagne,
Louis VII était conscient d’épouser une descendante de Char-
lemagne. Néanmoins, le « retour à la souche de Charles »
n’eut vraiment lieu qu’à la génération suivante, par le mariage
de Philippe Auguste avec Isabelle de Hainaut, descendante
du comte Baudouin de Flandre qui avait épousé Judith, la
fille de Charles le Chauve. Pour ne rien laisser au hasard,
Isabelle reçut en dot le Vermandois. C’est ainsi qu’on justi-
fiait la prophétie de saint Valery, qui aurait promis à Hugues
le Grand que son fils, Hugues Capet, et ses descendants
régneraient sur la France jusqu’à la septième génération. Vers
1205, Philippe Auguste appela « Pierre Charlot » le fils illé-
gitime qu’il eut d’une bourgeoise d’Arras. Après le nom de
Louis, celui de Charles fut également porté par des fils de
France : par Charles d’Anjou (le fils cadet de Louis VIII),
par Charles de Valois (le second fils de Philippe III), et par
Charles IV (l’un des fils de Philippe le Bel). Aucun des
Capétiens directs n’osa cependant donner ce nom à son fils
aîné, bien que, vers le milieu du XIIIe siècle, le chroniqueur
Matthieu Paris désigne Saint Louis comme le « successeur
de l’invincible Charlemagne ». Avec les Valois, cette pudeur
disparut.

Le legs de la royauté carolingienne


Au terme de cette évocation des règnes de ceux qu’on
appelait autrefois les souverains de la « seconde race », quel
bilan peut-on dresser lorsqu’on cherche à définir ce que les
Carolingiens ont apporté à la monarchie française ? Une
158 CHARLEMAGNE

réponse s’impose : le sacre. En fondant leur pouvoir sur le


choix divin manifesté par un sacrement conféré par les
évêques, les Carolingiens renouaient, certes, avec une tradi-
tion biblique également connue dans le monde wisigothique,
mais ils inventaient une nouvelle conception du pouvoir. À
partir du Moyen Âge central, les pouvoirs thaumaturgiques
du roi de France, qui sont en partie liés au sacre, retiennent
volontiers l’attention. Un autre phénomène, plus profond,
mérite qu’on le souligne : les Carolingiens et les évêques qui
les conseillaient développèrent une conception politique ori-
ginale de l’Église, qui s’avère fondamentale pour comprendre
le cours de l’histoire de l’Occident. Ils élaborèrent également
l’idée de « contrat » entre le souverain et son peuple,
exprimée par le serment préalable au sacre. Cette conception
contractuelle de la monarchie fut, elle aussi, une source de
réflexion particulièrement riche pour les théoriciens du pou-
voir.
GÉNÉALOGIES
LES PIPPINIDES

Arnoul Pépin Ier de Landen


(† v. 640), († v. 640),
évêque de Metz maire du palais,
Itta, sœur de l’évêque
de Trèves Modoald

Clodulphe Anségisel Begga Grimoald Ier Gertrude


(† ap. 670), († ap. 678) († v. 693) († v. 662) († v. 659),
évêque de Metz abbesse de Nivelle

Pépin II de Herstal Childebert


(† 714), maire du palais « l’Adopté »
Plectrude, fille de Hugobert († 662)
et d’Irmina d’Oeren,
Alpaïde

Charles Martel Drogon Grimoald II Childebrand


(688-741), († 708) († 714), († ap. 751)
maire du palais Adaltrude, fille maire du palais
Rotrude d’Anstrude et de Berchaire
(† 724)
Swanahilde
DE CHARLES MARTEL À CHARLES LE CHAUVE

Charles Martel († 741),


Les souverains (rois et empereurs) maire du palais,
sont encadrés Rodtrude,
Swanahilde

Pépin III le Bref († 768), Carloman Hiltrude Griffon Bernard


maire du palais de Neustrie († 754), († 754), († 753)
(741-751), maire du palais maire du palais Odilon,
d’Austrasie (747-751), duc de Bavière
roi des Francs (751-768),
Berthe (dite au Grand
Pied), fille de Héribert II,
comte de Laon

Charles Ier le Grand Carloman Gisèle Pépin Tassilon Adalbard Wala


dit Charlemagne (748-814), (751-771), († 810), († 761) († 826),
roi des Francs (768-814), roi des abbesse abbé
empereur d’Occident Francs de Chelles de Corbie
(800-814), (768-771),
La fille du roi des Lombards, Gerberge
Hildegarde,
Fastrade († 794),
Liutgarde d’Alémanie
(diverses concubines)

Pépin Charles Rotrude Pépin Louis Ier Lothaire Berthe Gisèle


le Bossu († 811) († 810), († 810), le Pieux († 780) († 823), († ap. 814)
roi d’Italie (778-840), Angilbert,
Rorico Ier, (781-810) empereur abbé de
comte d’Occident Saint-Riquier
du Maine (814-840),
Ermengarde,
Judith
de Bavière,
fille de Welf Ier
Louis Bernard Nithard Hartnid
(† 867), († 818), († 844),
abbé roi d’Italie abbé de
de (812-817) Saint-Riquier
Saint-Denis

Alpaïs Arnulf Lothaire Ier Pépin Ier Gisèle Louis Rotrude


Bégon, († ap. 841), (795-855), associé († 838), Eberhard, le Germanique
comte comte à son père en 817, roi d’Aquitaine marquis († 876),
de Paris de Sens empereur d’Occident (817-838), de Frioul roi de Germanie
(840-855), Ringarde (843-876),
Ermengarde Emma
en 821
DESCENDANTS DE LOTHAIRE ET DE LOUIS LE GERMANIQUE

Lothaire Ier (795-855), Louis le Germanique (806-876),


empereur d’Occident (840-855), roi de Germanie (843-876),
Ermengarde Emma, sœur de l’impératrice Judith

Louis II Lothaire II Charles Hildegarde Gisèle Ermengarde Carloman Louis Charles


(† 875), († 869), († 863), († 856) († 886), († 880), le jeune le Gros
empereur roi roi abbesse roi († 882), († 888),
d’Occident de Lotharingie de Provence de de Bavière roi empereur
(855-875), (855-869) (855-863), Chiemsee (876-880), de Germanie d’Occident
sans (875-882), (881-887),
Engelberge Theutberge, descendance Leusinde, roi
fille Luitgarde de Francie
Waldrade du comte de Saxe occidentale
Ernst (885-887),
Richarde
de Souabe

Ermengarde Gisèle, Arnulf Hildegarde Hugues Louis Bernard


(† 896), abbesse († 899), († 895) († 880) († 879) († 891)
Boson, de Brescia roi de Germanie
roi de Provence (887-899),
empereur d’Occident
(896-899).
Oda, fille du comte
de Bavière

Théodrade Drogon Hugues Thierry


(† av. 853), († 855) († 844) († ap. 818)
abbesse
d’Argenteuil
Zwentibold Louis l’Enfant
(† 900), (893-911),
Oda, roi de Germanie
fille d’Otton de Saxe (900-911), sans
descendance

Hildegarde Charles II dit le Chauve (823-877),


Gérard roi de Francie occidentale (840-877), Les rois de Francie occidentale
d’Auvergne empereur d’Occident (875-877), sont encadrés
Ermentrude, fille du comte
d’Orléans Eudes,
Richilde, sœur du roi de Provence
Boson
DE CHARLES LE CHAUVE
Les rois de Francie occidentale
sont encadrés Charles le Chauve (823-877),
roi de Francie occidentale (840-877),
empereur d’Occident (875-877),
Ermentrude, fille d’Eudes, comte d’Orléans († 869),
Richilde, sœur de Boson, roi de Provence

Judith Louis II le Bègue Charles l’Enfant Carloman Lothaire,


(† ap. 870), († 879), († 866), († 876), abbé de
Æthelwulf, roi de Wessex, roi de Francie roi d’Aquitaine abbé Saint-Germain
Æthelbald, roi de Wessex, occidentale (877-879), (855-866), d’Auxerre
Baudoin Ier Bras de fer, Ansgarde, sans
comte de Flandre Adélaïde descendance

Baudoin II
(† 918)

Maison de Flandre

Louis III Carloman Gisèle Hildegarde Ermentrude


(† 882), († 884), Robert,
roi roi de Francie comte
de Francie occidentale de Troyes
occidentale (879-884),
(879-882), sans
sans descendance descendance

Ermentrude Frérone Adélaïde


À LOUIS V

Ermentrude Hildegarde Rotrude Rothilde,


Roger,
comte du Maine

Hugues Ier
comte du Maine

Maison du Maine

Charles III le simple (879-929),


roi de Francie occidentale (898-923),
roi de Lotharingie (911-923)
Frérone, princesse lotharingienne († 917),
Edwige, fille du roi de Wessex Édouard Ier,
(plusieurs concubines)

Gisèle Rothrude Hildegarde Louis IV d’Outremer († 954),


roi de Francie occidentale (936-954),
Gerberge de Saxe, fille du roi
de Germanie Henri Ier († 984)

Lothaire Mathilde Charles Louis Charles Henri


(† 986), († 981), († 946) († av. 954) († 991) († 953)
roi de France (954-986), Conrad Ier, duc
Emma, fille du roi roi de Bourgogne de Basse-Lorraine,
d’Italie Lothaire Adélaïde

Louis V Eudes Otton Gerberge, Louis Charles Adélaïde


(† 987), († 1012), Lambert Ier,
roi de France (986-987), duc comte
Adélaïde, fille de Basse- de Louvain
du comte d’Anjou, Lorraine
sans descendance
Maison de Brabant
CHRONOLOGIE

POLITIQUE, GUERRES ET LETTRES ET ARTS AU MÊME MOMENT


SOCIÉTÉ, RELIGION DIPLOMATIE
687 • Bataille de
Tertry : Pépin II
s’empare de la
mairie du palais de
Neustrie
690 • Conquêtes des • Fondation du • Willibrord en
bouches du Rhin monastère féminin Frise
aux dépens des d’Andenne
Frisons
695 • Fondation de
l’évêché d’Utrecht
par Willibrord
714 • Mort de Pépin II.
La Neustrie se
soulève
716-717 • Victoires de
Charles Martel, fils
de Pépin II à
Amblève et à Vincy
718 • Victoire de • Pélage, roi des
Charles Martel à Asturies
Soissons
721 • Toulouse est • Évangéliaire de
défendue par le duc Lindisfarne
d’Aquitaine Eudes
722 • Boniface est sacré • Victoire des
évêque Asturiens à
Covadonga
168 CHARLEMAGNE

POLITIQUE, GUERRES ET LETTRES ET ARTS AU MÊME MOMENT


SOCIÉTÉ, RELIGION DIPLOMATIE

732 • Bataille de
Poitiers. Victoire de
Charles Martel sur
les Sarrasins

735 • Mort de Bède le


Vénérable

737 • Mort de
Thierry IV, seul roi
des Francs, sans
successeur

739 • Appel du pape


Grégoire III à
Charles Martel
contre les
Lombards qui
menacent Rome

741 • Mort de Charles


Martel. Ses fils
Carloman et Pépin,
maires du palais

743 • Childéric III


désigné comme roi
• « Concile
Germanique » :
chaque diocèse est
dirigé par un
évêque placé sous
l’autorité de
Boniface

744 • Conciles de • Fondation de


Soissons et des l’abbaye
Estinnes bénédictine de
Fulda

746 • Boniface s’établit • Victoire de


à Mayence Carloman à
Cannstatt contre le
duc d’Alémanie

747 • Carloman renonce


au pouvoir. Pépin le
Bref est seul maire
du palais.
CHRONOLOGIE 169

POLITIQUE, GUERRES ET LETTRES ET ARTS AU MÊME MOMENT


SOCIÉTÉ, RELIGION DIPLOMATIE

748 • Naissance de
Charlemagne

751 • Pépin le Bref


dépose
Childéric III et se
fait proclamer roi

754 • Mort de Carloman • Expédition de


à Vienne Pépin le Bref en
• Mort de Boniface Italie
• Sacre de Pépin le
bref à Saint-Denis

755 • Assemblée de • Chine : révolte


Ver : Pépin le Bref d’An Lou-chan
réglemente la • Abd-arl-Rahman,
frappe de la émir de Cordoue
monnaie d’argent

756 • Seconde • Création du


expédition de Pépin patrimoine de saint
en Italie. Victoire Pierre
sur le roi Aistulf

760-768 • Campagnes • 763 : Fondation


répétées, suivies de du monastère de
la soumission Lorsch
définitive de
l’Aquitaine.

771 • Mort de
Carloman.
Charlemagne, seul
roi des Francs

772 • Expéditions de
Charlemagne
contre les Saxons

773-774 • Campagne de
Charlemagne
contre l’Espagne
lombarde

778 • Naissance de • Révolte de


Louis le Pieux, fils Widukind
de Charlemagne • Charlemagne en
Espagne. Défaite
de l’armée à
Roncevaux.
170 CHARLEMAGNE

POLITIQUE, GUERRES ET LETTRES ET ARTS AU MÊME MOMENT


SOCIÉTÉ, RELIGION DIPLOMATIE

781 • Louis le Pieux est


promu roi
d’Aquitaine
• Baptême de
Carloman, fils de
Charlemagne qui
reçoit le nom de
Pépin

782 • Promulgation du • Soulèvement des • Alcuin à la cour • Paul Diacre en


capitulaire De Saxons et de Charlemagne Gaule
partibus Saxoniae répression par les
troupes de
Charlemagne

783 • Mort de la reine


Berthe
• Mort
d’Hildegarde,
épouse de
Charlemagne

785 • Capitulation de
Widukind devant
les Francs.
Soumission de la
Saxe

787 • Concile de • Révolte et • Téodulfe, évêque 786-788 :


Nicée II soumission de d’Orléans Construction de la
Tassilon de Bavière grande mosquée de
Cordoue

789 • Admonitio
generalis, de
Charlemagne

791 • Début de la guerre


contre les Avars

792 • Conspiration de
Pépin le Bossu

794 • Concile de • Tassilon III • Construction du • Kyoto devient


Francfort renonce à tous ses complexe palatial capitale du Japon
droits. d’Aix-la-Chapelle

796 • Soumission des • Alcuin, abbé de


Avars et prise de la Saint Martin de
forteresse, le Tours
« Ring »
CHRONOLOGIE 171

POLITIQUE, GUERRES ET LETTRES ET ARTS AU MÊME MOMENT


SOCIÉTÉ, RELIGION DIPLOMATIE

797 • Second • Ambassade • Irène, impératrice


capitulaire saxon byzantine auprès de de Byzance
Charlemagne

799 • Attentat contre


Léon III
• Visite du pape à
Paderborn

800 • 25 décembre : • Campagne de • Fondation de • Triomphe de


Couronnement Louis le Pieux en Conques l’hindouisme sur le
impérial de Espagne bouddhisme en
Charlemagne à Cachemire
Rome par Léon III

801-802 • Nouveau serment • Prise de la ville de • Début du règne de


de fidélité demandé Barcelone (801) Jayavarman II qui
aux sujets libres reconstitue l’unité
khmère

803 • Rupture entre • Harun al-Rashid


l’empereur met fin au pouvoir
d’Orient Nicéphore des Barmekides
et Charlemagne

806 • Projet de partage • Fin des opérations • Livre de Kells


de l’Empire de militaires au nord
Charlemagne entre de la Saxe
ses trois fils

810 • Mort de Pépin,


deuxième fils de
Charlemagne

811 • Mort de Charles,


fils aîné de
Charlemagne

813 • Louis est associé à


l’Empire

814 • Mort de
Charlemagne.
Louis le Pieux lui
succède.

816 • Louis le Pieux • Agobard évêque


sacré à Reims par de Lyon
Étienne IV
172 CHARLEMAGNE

POLITIQUE, GUERRES ET LETTRES ET ARTS AU MÊME MOMENT


SOCIÉTÉ, RELIGION DIPLOMATIE

817 • Lothaire est • Accords


associé à l’Empire franco-byzantins
• Réforme de la sur les frontières
règle bénédictine danubiennes
• Révolte de
Bernard d’Italie,
fils de Pépin

818 • Procès et mort de


Bernard

819 • Remariage de
Louis le Pieux avec
Judith

822 • Pénitence
d’Attigny de Louis
le Pieux

823 • Naissance de • Amalaire, De


Charles (le Chauve) officiis
à Francfort ecclesiasticis
• Lothaire couronné • Drogon, évêque
empereur de Metz

828 • Éginhard • Avènement de


commence la Vie de Théophile, fils de
Charlemagne l’empereur
Michel II

830-831 • Révolte des fils de • Expédition contre • Les Arabes


Louis Le Pieux les Bretons prennent Palerme

833-834 • Champ du • Sac de la place de • Fondation de


Mensonge : face à Dorestad par les l’abbaye de Redon
ses fils, Louis est Vikings
abandonné par ses
fidèles

835 • Restauration de • Procès d’Ebbon • Samarra, capitale


Louis le Pieux de Reims à des Abbassides
Thionville

840 • Mort de Louis le • Mort d’Éginhard • Début des grandes


Pieux près de invasions
Mayence normandes de
l’Angleterre

841 • Bataille de • Manuel de


Fontenoy-en- Dhuoda
Puisaye. Charles le
Chauve écrase
Lothaire
CHRONOLOGIE 173

POLITIQUE, GUERRES ET LETTRES ET ARTS AU MÊME MOMENT


SOCIÉTÉ, RELIGION DIPLOMATIE

842 • Serments de • À Byzance,


Strasbourg. Michel III succède
Alliance entre à Théophile :
Charles et Louis le Théodora régente
Germanique

843 • Traité de Verdun.


• Assemblée de
Coulaines

845 • Hincmar, • Victoire du Breton • Persécution en


archevêque de Nominoé sur Chine contre les
Reims Charles le Chauve à bouddhistes
• Prise de Paris par Ballon
les Normands

848 • Condamnation de
Gottschalk à
Mayence

850 • Bible de Charles


le Chauve
• Psautier
d’Utrecht

851 • Rupture de • Aggravation du • Rédaction des • Fondation de


l’entente entre péril normand « Fausses l’évêché de Nin en
Charles le Chauve décrétâles » du Croatie
et Louis le pseudo-Isidore
Germanique

855 • Mort de • Fondation de


Lothaire Ier. Partage l’abbaye de
de la Lotharingie Beaulieu, en
Limousin

869 • Mort de • À Byzance, Basile


Lothaire II tue et remplace
• Charles le Michel III
Chauve, roi de
Lotharingie

870 • Premier livre


imprimé en Chine

871 • Reprise de Bari • Alfred le Grand,


sur les Musulmans roi de Wessex

875 • Août : Mort de • Annexion de la • Les moines de


Louis II, fils de Provence Saint-Philibert
Lothaire s’installent à
• Charles le Chauve Tournus
couronné empereur
174 CHARLEMAGNE

POLITIQUE, GUERRES ET LETTRES ET ARTS AU MÊME MOMENT


SOCIÉTÉ, RELIGION DIPLOMATIE

877 • Mort de Charles le


Chauve. Son fils
Louis II le Bègue
lui succède

878 • Première
installation des
Danois en
Angleterre

879 • Mort de Louis II • Cantilène de


le Bègue Sainte Eulalie (en
langue romane)

881 • Charles le Gros, • Victoire de • Traité de partage


empereur Louis III sur les entre les Normands
Normands et les
Anglo-Saxons

882 • Mort de Louis III. • Fortifications de • De ordine palatii


Son frère Carloman Soissons d’Hincmar
devient seul roi.
• Eudes, comte de
Paris

884 • Mort de Carloman

885-886 • Les Normands • Achèvement du


assiègent Paris Westwerk de
• Charles le Gros, Corvey
roi de Francie
occidentale

888 • Mort de Charles le • Victoire de


Gros Montfaucon sur les
• Eudes élu et sacré Normands
roi des Francs

893 • Charles le simple, • Fondation de • Reprise de la


fils de Louis le l’abbaye d’Aurillac guerre entre
Bègue couronné et Byzantins et
sacré à Reims Bulgares.

898 • Mort d’Eudes.


Charles le Simple
lui succède

899 • Mort d’Alfred le


Grand, roi
d’Angleterre
CHRONOLOGIE 175

POLITIQUE, GUERRES ET LETTRES ET ARTS AU MÊME MOMENT


SOCIÉTÉ, RELIGION DIPLOMATIE

908-910 • 910 : Guillaume Chine : fondation


d’Aquitaine fonde de la dynastie Heou
le monastère de
Cluny

911 • La Lotharingie se Traité de • Conrad élu roi de


donne à Charles le Saint-Clair-sur- Germanie
Simple Epte

922 • Robert de
Neustrie couronné
roi
• Mort de Richard
de Bourgogne. Son
fils Raoul lui
succède

923 • Mort de Robert de


Neustrie. Mort de
Charles le Simple.
Raoul Ier roi de
France

936 • Mort de Raoul. • Otton Ier, roi de


Louis IV, devient Germanie
roi
• Hugues le Grand
duc des Francs

945 • Captivité de • Réforme du clergé


Louis IV anglo-saxon

954 • Mort de Louis IV. • Nouvelle


Son fils Lothaire, persécution contre
est sacré à Reims les bouddhistes en
Chine

955 • 10 août : Les


Hongrois battus au
Lechfeld par
Otton Ier

956 • Mort d’Hugues le


Grand

960 • Hugues Capet • Fondation de la


confirmé dans les dynastie Song en
fonctions de son Chine
père Hugues le
Grand

962 • Construction de • Otton Ier couronné


Gernrode empereur
POLITIQUE, GUERRES ET LETTRES ET ARTS AU MÊME MOMENT
SOCIÉTÉ, RELIGION DIPLOMATIE
978 • Raid militaire de
Lothaire contre
Otton II. Otton II
assiège Paris
980 • Hugues Capet
prend Montreuil à
Arnoul II de
Flandre
986 • Mars : Mort de
Lothaire
987 • 21 mai : Mort de • Al-Mansour
Louis V attaque Coimbra
• 3 juillet : Sacre
d’Hugues Capet

Dépôt légal : septembre 2007


No d’édition : 3190
ISBN : 978-2-84734-460-8
Imprimé en France

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