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PHILIPPE
DEPREUX
C
DU MÊME AUTEUR
CHARLEMAGNE
et la dynastie carolingienne
TALLANDIER
Éditions Tallandier, 2007
2, rue Rotrou – 75006 Paris
www.tallandier.com
SOMMAIRE
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7
Le roi et sa famille . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33
Conquêtes et reconquista . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 40
La soumission de la Saxe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47
Alcuin, maître à penser de Charlemagne . . . . . . . . . . . . . . . 51
La cour d’Aix-la-Chapelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55
Le couronnement impérial . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 58
Charlemagne, roi et empereur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 63
La guerre civile . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 87
Une monarchie contractuelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93
D’Orléans à Metz . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 96
Faire face aux Vikings . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 102
La chimère impériale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 106
Généalogies . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 159
Chronologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 167
INTRODUCTION
Dagobert Ier (le « bon roi Dagobert »), en le faisant roi d’Aus-
trasie. Dagobert Ier fut doté d’un palais autonome, c’est-à-dire
d’un personnel qui le conseillait en matière de gouvernement
et gérait ses domaines. Le responsable de la cour, appelé
« maire du palais », fut Pépin Ier. Son influence déclina tou-
tefois lorsque Dagobert Ier régna sur l’ensemble du territoire
franc (629-639), car le souverain s’entoura de conseillers
neustriens et confia la mairie du palais d’Austrasie à un autre
membre de l’aristocratie de ce royaume vers 633, lorsqu’il y
établit comme roi son tout jeune fils, Sigebert III. Pépin ne
recouvra la mairie du palais qu’à la mort de Dagobert Ier, et
pour quelques mois seulement : il décéda peu après.
Saint Amand
Les Widonides
La bataille de Tertry
Pépin II, alors seulement maire du palais d’Austrasie, pro-
fita des conflits internes à l’aristocratie de Neustrie, qui,
grosso modo, comprenait les régions entre Loire et Somme :
en 687, certains opposants au maire du palais de ce royaume,
Berchaire, invitèrent le Pippinide à prendre le pouvoir chez
eux. Pépin se rendit en Neustrie à la tête d’une armée ; il
rencontra Berchaire et ses troupes à Tertry, près de Vermand.
Lors de cette bataille, Pépin remporta la victoire et Berchaire
prit la fuite, mais ce n’est qu’après le meurtre de ce dernier,
l’année suivante, que le maire du palais d’Austrasie put gou-
verner sur l’ensemble des territoires francs : il reçut le roi
Thierry III sous sa protection, prit le contrôle de ses trésors
et se fit reconnaître par lui comme unique maire du palais.
Bien que Pépin II mît quelque temps à s’imposer, la bataille
de Tertry fut très tôt considérée comme l’un des tournants de
l’histoire des Pippinides.
La bataille de Poitiers
Charles Martel poursuivit l’œuvre de Pépin II en soumet-
tant la Frise à son autorité. Depuis 719, la région d’Utrecht
et de Dorestad était définitivement passée sous la domination
franque. En 734, le maire du palais soumit la Frise centrale,
étendant son autorité jusqu’à la région de Groningue ; il s’agit
de la seule expédition militaire des temps carolingiens pour
laquelle nous savons que les Francs mobilisèrent une flotte.
Mais Charles est surtout célèbre pour ses victoires sur les
Sarrasins, notamment celle qu’il remporta en 732, la
« bataille de Poitiers » : par ce fait d’armes, il fut considéré
comme le rempart de la chrétienté contre l’islam. L’enjeu
était surtout symbolique, car les Sarrasins menaçaient de s’en
16 CHARLEMAGNE
Charles et l’Église
Le succès de Charles Martel tient tout à la fois à ses
victoires militaires et à sa politique religieuse. Le maire du
palais réussit à se faire reconnaître par le pape comme son
seul véritable interlocuteur dans l’espace franc ; Grégoire III
(731-741) est censé lui avoir fait envoyer les clefs du tombeau
de saint Pierre, pour lui signifier qu’il entendait se placer
sous sa protection. Le maire du palais a soutenu l’action
évangélisatrice de Willibrord, l’apôtre de la Frise, et de Boni-
face, un moine originaire du Wessex qui avait qualité de
représentant du pape en Germanie. Paradoxalement, Charles
fut ultérieurement décrié par certains clercs, qui désiraient
lui faire expier en enfer son attitude à l’égard des biens
d’Église, motivée par sa politique militaire. En effet, il avait
attribué à ses vassaux des terres appartenant à des établis-
sements ecclésiastiques, pour rémunérer leur service armé.
Ces biens ou bénéfices, octroyés à la suite d’une « prière »
(d’où leur nom de « précaire »), n’étaient toutefois pas cédés
en pleine propriété.
LES PIPPINIDES AU POUVOIR 17
Vers 737, Charles Martel conclut avec Liutprand, qui régnait sur
le nord de l’Italie depuis 712, une alliance politique : son fils Pépin
(le Bref) fut envoyé à la cour du roi lombard, qui lui coupa les
cheveux et lui offrit des cadeaux, avant de le laisser repartir en
Francie. Il s’agit d’un geste d’adoption : dans son Histoire des
Lombards, rédigée à la fin du VIIIe siècle, Paul Diacre affirme qu’en
lui coupant les cheveux, Liutprand était devenu comme un père
pour Pépin.
La conversion de Carloman
En dépit de la qualité du gouvernement de Carloman, c’est
Pépin le Bref qui récolta les fruits de la politique à laquelle
il avait été étroitement associé. En effet, en 747, Carloman
renonça au pouvoir pour se faire moine et il se retira en
l’abbaye du Mont-Cassin, au sud du Latium, qui avait été
fondée vers 529 par saint Benoît de Nursie ; cet établisse-
ment, qui avait été détruit par les Lombards à la fin du
e e
VI siècle, fut restauré au début du VIII siècle grâce à l’appui
de la papauté, qui lui accorda l’exemption, c’est-à-dire le
privilège de dépendre directement du Saint-Siège. Le rayon-
nement de ce monastère, qui contribua à la diffusion de l’ob-
servance bénédictine dans la seconde moitié du VIIIe siècle,
est illustré par le séjour qu’y firent également d’autres hôtes
de marque, tels Sturmi, l’abbé de Fulda, ou Adalhard,
petit-fils de Charles Martel et futur abbé de Corbie.
Le fils de Carloman, Drogon, devait succéder à son père,
mais son oncle, Pépin, l’évinça dans des conditions obscures.
Les raisons profondes du choix de Carloman nous échappent :
peut-être réalisa-t-il le désir de son cœur. Il n’est cependant
pas exclu que Pépin l’ait convaincu de s’effacer – comme le
note un contemporain, le pouvoir de Pépin fut renforcé par
cette succession. Toujours est-il que Carloman tenta ensuite
de s’opposer à la politique d’alliance entre son frère et le
pape Étienne II. Il fut empêché de se rendre à la cour et
retenu à Vienne, où il mourut le 17 août 754.
20 CHARLEMAGNE
Le sacre de Pépin
Pépin exerçait le pouvoir depuis presque dix ans lorsqu’il
envoya à Rome une ambassade composée de Burchard, évêque
de Würzburg, et du chapelain Fulrad, afin de demander au pape
Zacharie son avis sur la situation politique dans le royaume
des Francs. Le pape répondit qu’il valait mieux appeler roi
celui qui en avait la puissance, plutôt que celui qui en était
dénué. Ainsi, pour que l’ordre ne fût pas troublé, il ordonna
que Pépin fût fait roi. On a ici l’illustration de la conception
médiévale d’un ordre établi par Dieu, qui régit les rapports
sociaux. Quant à la composition de l’ambassade, elle résume
les aspects essentiels de la donne politique d’alors : Fulrad est
issu d’une famille ayant de riches propriétés entre Meuse et
Moselle et liée depuis longtemps aux Pippinides ; quant à Bur-
chard, il s’agit d’un Anglo-Saxon, collaborateur de Boniface
qui l’a nommé évêque de Würzburg en 742. Cette ambassade
rappelle donc le poids de l’aristocratie austrasienne et le sou-
tien apporté par les Pippinides à l’entreprise d’évangélisation
menée par les missionnaires anglo-saxons. Fort de la bénédic-
tion du pape, le maire du palais fit tonsurer le roi Childéric III :
par ce geste, il privait ce « roi chevelu » du pouvoir. Pépin le
Bref se fit élire roi à Soissons, en novembre 751, et acclamer
par les grands du royaume.
C’est également là qu’il reçut l’onction royale de la main
de plusieurs évêques. L’acte liturgique du sacre était une
nouveauté dans le monde franc, bien qu’il fut connu dans
l’Espagne wisigothique ; il se fondait sur un précédent
biblique : l’onction que David avait reçue du prophète
Samuel. Désormais, la vigueur royale n’appartenait plus aux
Mérovingiens en vertu de leur sang, mais à la famille choisie
par Dieu.
Ce récit classique, qui correspond à la vulgate historiogra-
phique, est actuellement remis en question par certains his-
toriens, qui arguent du fait que les sources – rédigées pour
la plupart environ une génération après les événements –
avaient pour principale raison d’être de légitimer le pouvoir
LES PIPPINIDES AU POUVOIR 21
La conquête de la Septimanie
Alors que l’Aquitaine fut conquise par les Francs en 507,
la Septimanie (c’est-à-dire, grosso modo, le Languedoc et le
Roussillon) demeura une partie du royaume wisigothique
jusqu’à son effondrement au début du VIIIe siècle. C’est alors
que les maires du palais francs tentèrent de l’arracher aux
musulmans, qui avaient installé un wali à Narbonne. Dès 737,
Charles Martel tenta plusieurs offensives – en vain. Son fils,
Pépin, réussit pour sa part à s’emparer de la Septimanie :
après plusieurs années d’efforts, les Francs entrèrent à Nar-
bonne en 759. Cette victoire avait une portée stratégique car
elle isolait l’Aquitaine, vers laquelle les efforts allaient se
concentrer.
LE CONTRÔLE DE L’ÉGLISE
Un réseau de monastères
Dans la société d’alors, l’attitude des grands aristocrates
face au clergé, chargé de prier Dieu pour eux, constituait un
élément essentiel de la vie politique. À cette époque, la vie
monastique était caractérisée par une grande diversité de
règles, dans lesquelles les traditions irlandaises importées par
saint Colomban étaient cependant prépondérantes.
Les Pippinides s’appuyèrent sur plusieurs monastères,
auxquels ils apportaient une dotation foncière ; en contre-
partie, ils nommaient le responsable de ces véritables lieux
de pouvoir, dans lesquels on entretenait le souvenir des
défunts fondateurs et bienfaiteurs. L’un des établissements
les plus célèbres est celui de Nivelles, fondé vers 650 par
saint Amand et Itte, la veuve de Pépin de Landen, dont la
première abbesse fut leur fille Gertrude. Il s’agissait d’un
monastère double (comprenant une communauté d’hommes
et une autre de femmes), particulièrement typique, avec les
établissements purement féminins, des monastères « privés »,
sur lesquels la famille du fondateur exerçait protection et
contrôle. Un peu plus tard, vers 690, Begga, l’autre fille de
Pépin de Landen, devenue alors veuve d’Ansegisel, fonda le
monastère féminin d’Andenne.
Parmi les monastères accueillant des communautés
d’hommes, on peut citer celui d’Echternach, fondé grâce à
une donation faite par Irmina, abbesse d’Œren (à Trèves), à
Willibrord en 697/698. Irmina était vraisemblablement la
mère de Plectrude. En 706, Willibrord reçut le reste de la
villa d’Echternach de Plectrude et de Pépin II, pour construire
un véritable monastère. Celui-ci devint un établissement royal
26 CHARLEMAGNE
Le soutien de la mission
La conversion au christianisme est un processus sans fin,
qui, pendant tout le Moyen Âge, marque l’histoire des cam-
pagnes de l’Occident. Sous les Pippinides, l’accent fut
d’abord surtout mis, pour des raisons géopolitiques, sur la
conversion (liée à la soumission) des peuples voisins. Pour
les missionnaires, l’attrait de ces régions était d’autant plus
important que le risque (ou, à leurs yeux, la chance) était
grand d’encourir le martyre. Vers la fin du VIIe siècle et au
e
VIII siècle, la Frise et la Saxe furent donc sillonnées par des
missionnaires originaires d’Angleterre qui venaient évangé-
liser la terre de leurs ancêtres dans un esprit d’ascèse typique
de la spiritualité insulaire (il s’agit d’une forme de la vie
monastique bien connue sur le continent depuis l’époque de
Colomban : la « pérégrination pour le Christ »). Ces ini-
tiatives personnelles de ceux que les sources de l’époque
appellent des « athlètes de Dieu » reçurent l’appui du pouvoir
séculier franc, qui s’en servit pour étendre son autorité sur
les populations voisines, encore païennes. C’est ainsi que
Willibrord († 739) bénéficia du soutien de Pépin II lorsqu’il
entreprit d’évangéliser les Frisons, vers 690, et qu’il fonda le
siège épiscopal d’Utrecht à cette fin. Son disciple, Winfrid
(† 754), est plus connu sous le nom de Boniface, qu’il reçut
du pape Grégoire II en 719, lorsqu’il fut officiellement chargé
de la mission en Germanie. Boniface fut ordonné évêque en
722 et, dix ans plus tard, il reçut le pallium (une sorte
d’écharpe de laine munie de croix) des mains mêmes de
Grégoire III, qui lui conférait ainsi autorité sur la Germanie.
Avec l’appui de Charles Martel, Boniface y mit en place les
structures ecclésiastiques, fondant les diocèses de Würzburg,
d’Erfurt et de Büraburg, près de Fritzlar. Nommé légat
du pape à l’issue d’un troisième pèlerinage à Rome, en 738,
LES PIPPINIDES AU POUVOIR 27
Fulda
L’œuvre de Chrodegang
Cette action réformatrice de Boniface fut poursuivie par
Chrodegang de Metz († 766), l’un des membres de la haute
aristocratie austrasienne (son parent, le comte Cancor, fonda
vers 762/763 le monastère de Lorsch). Il avait été référen-
daire, c’est-à-dire en quelque sorte chancelier, au palais de
Charles Martel, avant de devenir évêque de Metz en 742. À
la mort de Boniface (en 754), il reçut la dignité d’archevêque.
Il jouissait de la primauté au sein du clergé franc ; en tant
que seul détenteur du pallium, il assumait la responsabilité
de convoquer les conciles et d’ordonner les évêques.
Chrodegang poursuivit cette politique de réunion de
conciles : à Ver en 755, à Verberie en 756, à Compiègne en
757, à Attigny en 762. Lors de cette dernière assemblée, les
participants conclurent un engagement réciproque, celui de
prier les uns pour les autres lorsque l’un d’eux viendrait à
mourir : dans les décennies suivantes, ce genre d’association
LES PIPPINIDES AU POUVOIR 29
CHARLEMAGNE
768-814
LE ROI ET SA FAMILLE
Épouses et concubines
Charlemagne eut de nombreuses épouses : nous avons déjà
évoqué Himiltrude, la fille du roi Didier et Hildegarde, à
laquelle le roi demeura attaché jusqu’à sa mort, le 30 avril 783.
Elle lui donna de nombreux enfants, notamment ses héritiers :
Charles, Pépin et Louis. Mais nous savons peu de choses de
cette reine, dont l’action fut éclipsée par celle de sa belle-
mère. Charles, Pépin et Louis ne furent pas les seuls fils de
Charlemagne, mais les enfants mâles nés par la suite ne lui
venaient pas d’épouses légitimes. La reine Fastrade, épousée
après seulement quelques mois de veuvage, ne lui donna que
des filles. C’est elle qu’Éginhard rend responsable des
complots fomentés contre le roi du temps de leur union, en
raison de sa cruauté pour ses ennemis politiques. En tout cas,
plusieurs décennies plus tard, on se souvenait encore qu’elle
avait fait exécuter en sa présence un homme accusé d’homi-
cide : de telles mentions sont rarissimes à cette époque. Il
n’empêche que Charlemagne était fort attaché à elle, comme
le prouve sa correspondance. La dernière épouse du roi fut
Liutgarde, dont il n’eut pas d’enfant ; à sa mort, le 4 juin 800,
Charlemagne ne souhaita pas conclure un autre mariage, peut-
être afin de ne pas compromettre la stabilité du royaume des
Francs par la naissance de nouveaux héritiers. Ce choix,
cependant, n’en fit pas un chaste : on connaît le nom de quatre
concubines choisies sur le tard et dont il eut des enfants.
Charlemagne avait épousé la fille de Didier pour des
raisons diplomatiques ; ses autres unions légitimes servirent
au contraire à renforcer ses alliances avec les familles de
l’aristocratie franque. Ses épouses ne furent pas inhumées au
même endroit : leurs lieux de sépulture illustrent le caractère
itinérant de la cour. Hildegarde rendit l’âme à Thionville et
sa dépouille fut déposée à Saint-Arnoul de Metz ; Fastrade,
qui mourut en 794 à Francfort, fut inhumée à Saint-Alban de
CHARLEMAGNE 37
Pépin le Bossu
Parmi les enfants de Charlemagne, il y avait un personnage
gênant : son fils aîné. Il avait reçu le nom de son grand-père,
38 CHARLEMAGNE
CONQUÊTES ET RECONQUISTA
Le ban du roi
Le service militaire était dû par tous les hommes libres,
désignés désormais comme « francs » ; leur faculté de porter
des armes et de rejoindre l’ost (l’armée, en français médiéval)
les distinguait des personnes de condition servile. Ils étaient
mobilisés en vertu du « ban » du roi, c’est-à-dire son pouvoir
d’ordonner, de contraindre et de punir. Ne pas rejoindre
l’armée ou refuser de contribuer à l’équipement d’un com-
battant était sanctionné par une forte amende, dite « hériban »
ou « ban de l’armée ». Payable en argent ou en objets pré-
cieux, elle est souvent mentionnée dans les textes législa-
tifs – preuve, éventuellement, que les manquements en
matière militaire ne devaient pas être rarissimes. Quant à la
désertion, dite « hérisliz », elle était normalement punie de
mort. Il s’agissait d’un crime de lèse-majesté, qui entraînait
également la confiscation des biens du coupable.
La mobilisation
Au milieu du VIIIe siècle, le rassemblement de l’ost avait
lieu en même temps que l’assemblée politique. Vers 755, en
raison de l’importance croissante de la cavalerie, on déplaça
ce rassemblement du mois de mars vers celui de mai, d’où
CHARLEMAGNE 41
Les combattants
Pour le règne de Pépin le Bref et la plus grande partie de
celui de Charlemagne, on ne sait pas exactement qui visent
les sources dont on dispose lorsqu’elles évoquent « tous ceux
qui doivent s’armer ».
À partir de 806, on a quelques renseignements. Il est de
plus en plus fréquemment fait mention des vassaux dotés
d’un bénéfice foncier et de « cavaliers », c’est-à-dire les
hommes libres aisés servant à cheval. La fréquence des
mentions de vassaux illustre le renforcement de la vassalité.
On peut interpréter la référence au bénéfice de deux
manières : soit comme une étape vers la restriction du service
armé à ceux qui en sont pourvus, soit comme l’expression
du lien de dépendance très fort qui unissait à leur seigneur
les vassaux n’en ayant pas (il serait par conséquent inutile
de les mentionner explicitement). Il semble en tout cas évi-
42 CHARLEMAGNE
La conquête de l’Italie
La première victime des ambitions franques fut l’Italie, qui
paya le soutien du roi lombard Didier à la veuve et aux enfants
de Carloman et, surtout, fit les frais de l’alliance du pape
Hadrien Ier avec Charlemagne. En 773, ce dernier répondit à
CHARLEMAGNE 43
La Chanson de Roland
La déposition de Tassilon
Plus vers l’est, Charlemagne exploita l’attitude du duc Tas-
silon III, son cousin, pour intégrer la Bavière au royaume des
Francs. Tassilon avait prêté serment de fidélité à Pépin le
Bref en 757, mais cela ne l’empêcha pas de mener une poli-
tique intérieure et extérieure qui le mit dans une position
quasi royale, notamment en s’imposant face à l’Église de
Bavière et en développant des relations diplomatiques avec
les Lombards et la papauté. Le roi des Francs lui reprocha
surtout de ne pas faire preuve d’une obéissance à toute
épreuve à son égard. En 787, Charlemagne exigea qu’il
renouvelle le serment de fidélité prêté jadis. Le roi établit son
camp sur les bords du Lech, une rivière qui marquait la
frontière de la Bavière. Selon un chroniqueur, Tassilon vint
à la rencontre du roi et il lui « rendit sa patrie par un bâton
à l’extrémité duquel se trouvait la représentation d’un
homme », il devint son vassal et lui livra son fils, Théodon,
en même temps que douze autres otages. En suite de quoi
Tassilon « reçut à nouveau son duché, par la munificence du
roi », comme l’écrit un auteur proche de la cour. Néanmoins,
dès l’année suivante, le duc fut déposé pour collusion avec
les Avars. En 794, il fut en outre contraint de renoncer à tous
ses droits et à ceux de sa dynastie, lors du concile de Franc-
fort. Charlemagne avait désormais les coudées franches en
Bavière, dont l’administration fut confiée à un « préfet »,
Gérold, qui n’était autre que le frère de la reine Hildegarde.
46 CHARLEMAGNE
LA SOUMISSION DE LA SAXE
Le baptême de Widukind
Le chef de file de la résistance saxonne fut un certain
Widukind, d’origine westphalienne (les Westphaliens étaient
l’un des peuples saxons). La première mention de Widukind
date de 777 : il avait refusé de se rendre au plaid convoqué
par Charlemagne à Paderborn et avait trouvé refuge auprès
du roi danois Siegfried, qui soutenait d’autant plus volontiers
la résistance des Saxons aux Francs qu’il était également
païen. En effet, Widukind refusait non seulement de colla-
borer avec le pouvoir franc, mais aussi de renoncer à ses
dieux.
Dans les années suivantes, il organisa l’opposition armée
en Saxe. Il remporta plusieurs succès dès 778. En 782, il
infligea aux armées conduites par des missi de Charlemagne
une cuisante défaite au mont Süntel, dont on ignore l’empla-
cement précis. Bien qu’il jouît de l’appui des Frisons, Widu-
kind fut poursuivi par les Francs jusqu’à la vallée de l’Elbe
et fut contraint de capituler, en 785. Il eut la vie sauve en
CHARLEMAGNE 49
Un régime cruel
Cette soumission n’était cependant pas définitivement
acquise, bien que Charlemagne ait levé des troupes saxonnes
pour participer à certaines campagnes militaires, par exemple
contre le duc de Bavière, Tassilon III, en 787 ou contre
d’autres peuples païens, tels les Wilzes en 789 ou les Avars
en 791. Le ralliement de l’aristocratie saxonne à la foi chré-
tienne et à la cause carolingienne ne fut pas aisé, comme
l’illustre un diplôme de Charlemagne datant de la fin de son
règne : il s’agit d’un acte établi en faveur d’un comte. Celui-ci
était le fils d’un Saxon passé au service du roi des Francs.
Comme d’autres membres de l’élite saxonne, ce personnage
était parvenu à s’intégrer dans la hiérarchie du royaume
franc – l’introduction de l’administration comtale en Saxe
date du plaid tenu en 782 aux sources de la Lippe. Mais cela
ne se fit pas sans mal, car le père de ce comte avait dû quitter
sa terre d’origine pour demeurer fidèle au pouvoir franc et il
s’était approprié une part de forêt défrichée entre la Weser et
la Fulda, après avoir tenté en vain de s’installer en un lieu
peuplé de Francs et de Saxons. Ainsi, on peut se faire une
idée des dissensions que la conquête franque suscita au sein
de la société saxonne et des difficultés d’insertion des per-
sonnes alors déplacées en raison des transformations poli-
tiques.
Les déboires de ce Saxon passé au service du pouvoir franc
s’expliquent par l’effroi et la haine suscités en Saxe par les
hommes de Charlemagne. Car les Francs firent tout d’abord
preuve d’une grande dureté : il s’agissait pour eux de sou-
50 CHARLEMAGNE
La Germanie carolingienne
La conquête de la Saxe paracheva la transformation de la
Germanie, en cours depuis le commencement du VIIIe siècle.
Elle permit de mettre en place une nouvelle géographie ecclé-
siastique dont Boniface avait posé les fondements. Dès le
début du conflit saxon (lors du plaid tenu à Paderborn en
777), Charlemagne avait déclaré la Saxe terre de mission.
Paderborn, où le roi avait fait construire un palais, fut l’un
des principaux centres d’évangélisation ; il fut érigé en siège
épiscopal par le pape Léon III lors de sa visite en Saxe, en
799. Ce diocèse fut rattaché à la province ecclésiastique de
Mayence, comme celui de Halberstadt. Quant à celui de Hil-
desheim, sa fondation date du règne de Louis le Pieux ; le
premier évêque de Verden est attesté à la même époque.
Divers autres sièges épiscopaux, fondés également vers la fin
du VIIIe siècle ou le début du IXe, furent placés sous l’autorité
de l’évêque métropolitain de Cologne, honoré du titre archié-
piscopal depuis le règne de Charlemagne : c’est le cas
d’Osnabrück, de Münster, de Brême et de Minden, dont le
premier pasteur, originaire de Fulda, s’était d’abord installé
à Hameln. Certains monastères jouèrent en effet un rôle de
premier plan dans l’évangélisation de la Saxe ; outre Fulda,
citons par exemple Brunshausen (près de Bad Gandersheim)
ou Herford.
Le diacre de York
Alcuin, né vers 730 en Northumbrie, fut éduqué à York,
où il exerça la fonction d’écolâtre à partir de 766. Il s’agissait
de l’une des écoles les plus prestigieuses d’Occident, qui
bénéficiait d’une importante bibliothèque. Alcuin célébra cet
endroit dans son poème « sur les évêques, les rois et les saints
de York ». C’est en 781 à Parme qu’il rencontra Charlemagne,
en chemin pour Rome. Le roi le persuada de passer à son
service. Après quelques séjours en Angleterre (en 786, puis
entre 789 et 793), Alcuin s’installa définitivement dans le
royaume des Francs, où il fut l’artisan principal du rayonne-
ment culturel de la cour carolingienne. L’influence d’Alcuin,
fondée sur son savoir, est d’autant plus remarquable qu’il
n’accéda ni à la prêtrise, ni à l’épiscopat : toute sa vie, il
demeura humblement diacre. Cela ne l’empêcha toutefois pas
de devenir l’abbé de plusieurs établissements. Ce précieux
conseiller de Charlemagne fut en effet récompensé par l’attri-
bution de diverses abbayes, dont la plus prestigieuse était
celle de Saint-Martin de Tours, où il se retira en 796. C’est
sur les bords de Loire qu’il vécut les dernières années de sa
vie et mourut le 19 mai 804, laissant une œuvre importante.
Un savant
Les connaissances d’Alcuin étaient très vastes. On en a le
reflet dans ses œuvres, où la pédagogie occupe une large
place. Il affectionnait la forme dialoguée, comme le montre
la Dispute entre le roi Pépin [d’Italie] et le maître Albin. Son
traité d’orthographe, sa grammaire, un ouvrage sur la dialec-
tique et son Dialogue sur la rhétorique et les vertus témoi-
gnent de son intérêt pour le trivium (la base des arts libéraux,
constituée par la grammaire, la dialectique et la rhétorique).
Alcuin révisa également le texte de la Bible et améliora le
style de certaines vies de saints. On conserve de lui de nom-
breux poèmes et une correspondance volumineuse. C’est en
raison de sa science qu’il fut souvent consulté, notamment
en matière de dogme.
CHARLEMAGNE 53
ciel pour prier Dieu d’accorder son soutien à celui qui s’est
imposé comme le principal souverain d’Occident.
LA COUR D’AIX-LA-CHAPELLE
La résidence royale
Le palais d’Aix était constitué de divers bâtiments ayant
chacun une fonction particulière. Nous ne connaissons que
les édifices de prestige, construits en pierre, au contraire des
bâtiments d’habitation. Tous les grands personnages du
royaume se devaient d’y avoir un pied-à-terre. Le palais était
ouvert sur l’extérieur, à la manière d’une villa antique, et non
d’un château comme on en construirait plus tard. De
Ravenne, Charlemagne avait importé nombre de colonnes et
d’éléments décoratifs, ainsi que la statue de Théodoric, placée
devant le porche menant aux principaux édifices par une
galerie. D’un côté, il y avait la salle de réception. De l’autre
s’élevait la basilique octogonale, précédée d’un atrium et
flanquée de bâtiments dont l’un était appelé le Latran : une
manière de faire d’Aix une nouvelle Rome. Le roi avait sa
place à la tribune, où il faisait figure de médiateur entre son
peuple et le Christ de mosaïque représenté sur la coupole.
56 CHARLEMAGNE
École et académie
Le fleuron de la cour carolingienne fut « l’école du
palais ». Certes, il y avait à la cour des érudits, appelés
« maîtres », qui dispensaient un enseignement ; mais le
tableau que brosse le moine Notker le Bègue, à la fin du
e
IX siècle, n’est pas fidèle : il décrit Charlemagne inspectant
CHARLEMAGNE 57
LE COURONNEMENT IMPÉRIAL
Réformer la société
Les conquêtes territoriales à elles seules ne justifiaient pas
le prestige de Charlemagne. Son accession à l’Empire sanc-
tionne aussi un effort de renouvellement du royaume des
Francs. On a coutume de parler de la « renaissance carolin-
gienne » (nous évoquerons ce phénomène ultérieurement,
lorsque nous dresserons un bilan de l’expérience carolin-
gienne) ; en fait, l’idée essentielle est celle de « correc-
tion » – correction des mœurs, des institutions, de la langue,
CHARLEMAGNE 59
Charlemagne à Rome
Le roi des Francs se laissa le temps de la réflexion. Ce
n’est qu’un an plus tard, et après avoir abondamment consulté
ses conseillers, que Charlemagne se mit en route pour l’Italie.
À Rome, des missi avaient enquêté à la fois sur les agis-
sements des conspirateurs et sur les griefs qu’ils avaient à
l’égard du pape. Le procès, qui avait commencé peu avant
l’arrivée du roi des Francs, se retourna contre les détracteurs
du pape, qui s’accusèrent réciproquement d’être responsables
de l’affaire. Charlemagne exigea alors de Léon III la presta-
tion d’un serment purgatoire, c’est-à-dire qu’il se soumette à
une ordalie : on tenait alors pour incontestable que Dieu le
punirait sur-le-champ s’il mentait. C’est ainsi que le pape
jura qu’il était innocent de tout ce qu’on lui reprochait, le
23 décembre 800, devant un concile réuni à Saint-Pierre.
Quant aux accusateurs du pontife romain, on remit leur
procès à un peu plus tard, lorsque Charlemagne pourrait légi-
timement les accuser de lèse-majesté pour avoir troublé
l’ordre public en s’en prenant au pape : il ne faisait de doute
pour personne que le roi des Francs allait ceindre la couronne
impériale.
Noël 800
Divers indices ne laissaient personne dupe : Charlemagne
avait entrepris ce nouveau pèlerinage à Rome pour y être
couronné empereur. Son arrivée triomphale dans la ville en
était la preuve : contrairement aux fois précédentes, le pape
était venu l’accueillir non plus à six milles, mais à douze
milles de Rome, où Charlemagne entra non à pied, mais à
CHARLEMAGNE 61
La renommée de Charlemagne
Charlemagne, dès avant son couronnement impérial, peut
être considéré comme le maître de l’Occident. En 798, une
délégation d’opposants à l’impératrice Irène était d’ailleurs
venue à la cour franque pour offrir l’Empire au roi des Francs,
qui avait refusé. Charlemagne entretenait des relations
amicales avec le roi anglo-saxon Offa de Mercie († 796) et
avec le roi des Asturies, Alphonse II († 842), qui avait besoin
de son soutien face à l’émir de Cordoue. L’auteur des Annales
royales fait mention du cadeau somptueux qu’il envoya à
Charlemagne en 798. Le renom de ce dernier était en effet
62 CHARLEMAGNE
Charlemagne à la chasse
Le pouvoir d’un souverain se mesure à la faculté qu’il a
de préserver la paix dans le royaume – autrement dit, au
64 CHARLEMAGNE
La mort de Charlemagne
C’est durant l’hiver que l’empereur tomba malade. Il
mourut le 28 janvier 814 et fut inhumé à Aix-la-Chapelle, le
jour même. Éginhard dit que « son corps, suivant le rite, une
fois lavé et la toilette faite, fut porté à l’église et inhumé au
milieu de la désolation du peuple tout entier… ». On mit sa
tombe sous une arcade dorée avec son portrait et une inscrip-
tion, dont voici le texte : « Sous cette pierre repose le corps
de Charles, grand et orthodoxe empereur, qui noblement
accrut le royaume des Francs et pendant quarante-sept années
le gouverna heureusement… » Éginhard ne parle pas du sar-
cophage ; il n’est guère mentionné que dans des sources
tardives, liées à l’ouverture de la sépulture en l’an mil, ou
bien à la translation opérée le 29 décembre 1165 à l’occasion
de la canonisation faite par Pascal III sur l’ordre de Frédéric
Barberousse. Le texte d’Éginhard, très sobre, est en contra-
diction avec les témoignages ultérieurs, liés à l’invention des
restes de Charlemagne par Otton III. Il est possible que
l’empereur ait été inhumé à l’aplomb du trône et qu’on ait
masqué la tombe pour la protéger des Normands venus à Aix
CHARLEMAGNE 65
Le sarcophage de Charlemagne
Le souvenir de Charlemagne
Chaque année, à la date anniversaire de son décès, on priait
pour Charlemagne dans les nombreuses églises dont il fut le
bienfaiteur, comme le prouve la mention de son nom dans
leurs nécrologes. Wandalbert de Prüm, l’auteur d’un marty-
rologe composé vers 848, témoigne du respect attaché au
souvenir de l’empereur : il fait mémoire de « Charles, lumière
et honneur du monde, objet de l’amour de la patrie, porteur
de l’insigne dignité impériale et dont la mort a plongé la terre
entière dans le deuil ».
Un empereur de légende
Le temps de Charlemagne devint vite un âge d’or. Nithard,
un témoin privilégié de la crise politique des années 830/840,
considère qu’« au temps de Charlemagne, la paix et la
concorde régnaient en tout lieu » et que « c’était partout
l’abondance et la joie », sa propre époque étant marquée par
« la misère et la tristesse ». Pour Notker le Bègue, un moine
66 CHARLEMAGNE
LOUIS LE PIEUX
814-840
L’apprentissage du pouvoir
Une fois majeur, c’est-à-dire à quinze ans, Louis ne se
contenta plus de conduire son ost sur tel lieu de bataille et
d’observer les combats : il prit lui-même le commandement
et multiplia les campagnes militaires dans les Pyrénées. Une
de ses plus belles victoires fut la prise de Barcelone, en 801.
Toutes les campagnes qu’il entreprenait étaient soumises à
l’approbation de Charlemagne : le roi d’Aquitaine était aux
ordres de son père et ne jouissait pas d’une réelle autonomie.
Pourtant, les apparences étaient sauves : il avait à sa dispo-
sition un personnel formant son palais, il avait des revenus
propres et des résidences attitrées. Nous savons que la cour
séjournait en alternance dans quatre palais : à Doué-la-
Fontaine (en Anjou), à Chasseneuil en Poitou (là où Louis
était né), à Angeac (sur la Charente) et à Ébreuil-sur-Sioule
(au nord du Massif central). C’est toutefois de préférence à
Toulouse, dans l’ancienne capitale du royaume wisigothique,
que Louis réunissait le plaid général, c’est-à-dire l’assemblée
des grands du royaume. C’est là que les grandes décisions
politiques étaient prises, là qu’on jugeait les affaires impor-
tantes. Mais il n’était pas nécessaire d’attendre la réunion
d’un plaid pour obtenir justice du roi d’Aquitaine : Louis
tenait tribunal trois jours par semaine.
LOUIS LE PIEUX 69
Le couronnement à Aix
Louis le Pieux avait été confirmé dans son royaume en
806, lorsque Charlemagne régla sa succession, mais le décès
de ses frères, Pépin et Charles, modifia la donne politique :
aux yeux des contemporains du roi d’Aquitaine, il était évi-
dent que Dieu avait ainsi manifesté son désir de préserver
l’intégrité du royaume des Francs et de promouvoir le ben-
jamin, Louis, à l’Empire. Charlemagne mit du temps à l’ac-
cepter ; pourtant, certains de ses conseillers, conscients de
son âge relativement avancé pour l’époque, avaient profité
d’une visite du fauconnier de Louis à la cour impériale pour
inviter le roi d’Aquitaine à se rendre à Aix-la-Chapelle, afin
d’être associé au gouvernement de l’Empire. Mais Louis
n’osa pas prendre l’initiative d’un tel voyage, par crainte de
son père. Il attendit donc que l’empereur se résolve à le
convoquer, en 813. C’est un dimanche de septembre qu’eut
lieu le couronnement dans la chapelle d’Aix, en présence des
grands du royaume. Après avoir prodigué moult conseils à
son fils et lui avoir demandé de s’engager à les suivre, Char-
lemagne lui ordonna de prendre une couronne déposée à cette
fin sur l’autel du Sauveur et de s’en ceindre la tête. Louis
était désormais coempereur. Il s’en retourna en Aquitaine et
attendit son heure à Doué-la-Fontaine, le palais situé à la
frontière septentrionale de son royaume.
Un voyage triomphal
À la mort de Charlemagne, un messager fut dépêché en
toute hâte auprès de Louis le Pieux : il mit cinq jours pour
se rendre d’Aix-la-Chapelle à Doué-la-Fontaine. L’héritier,
qui rongeait son frein, avait convoqué un plaid pour la Chan-
deleur : il en profita pour se faire acclamer par les siens.
Ensuite, Louis prit son temps pour se rendre au palais de son
père : le voyage dura trois semaines, car c’était l’occasion
pour le peuple de manifester sa liesse. Le poète Ermold le
Noir décrit les gens se jetant à l’eau pour traverser la Loire
à la nage et voir de près le nouveau souverain. Ce voyage
70 CHARLEMAGNE
pas dire que Louis le Pieux était pour autant le jouet des
clercs, bien que ce fût en prenant conseil auprès de « ceux
qui pensent sagement », comme il l’affirme dans l’un de ses
capitulaires, que l’empereur prit une série de mesures visant
au « renouveau du royaume des Francs ». Très vite, Louis fut
désigné comme « le Pieux », mais cela ne signifie pas qu’il
était particulièrement « bigot » : il s’agit d’une épithète fai-
sant partie des titres habituels de l’empereur, qui est censé
être en toute occasion « très pieux », « très heureux » ou
« invaincu ». Certes, nous savons que Louis était animé d’une
foi intense et qu’il assistait aux offices chaque jour – comme
Charlemagne, du reste. Cependant, les traits de son caractère
qui ont frappé ses contemporains étaient, pour l’essentiel, sa
générosité, sa sobriété, son sérieux. Certains historiens l’ont
appelé « Louis le Débonnaire » pour insister sur une bonté
confinant à la faiblesse. Il est difficile de se livrer à une
analyse psychologique. Il semble toutefois incontestable que
Louis laissa parfois trop libre cours à ses sentiments ou se
montra intransigeant dans la poursuite de ses idéaux ; il
n’était pas à l’aise dans les louvoiements de la vie politique.
La protection du souverain
Quelques mois après être monté sur le trône, Louis le Pieux
convoqua une grande assemblée politique à Aix-la-Chapelle,
en août 814. Il accueillit alors une ambassade byzantine pour
confirmer la paix entre les deux empires et une délégation
envoyée par le prince Grimoald promit le paiement annuel
d’un tribut, geste par lequel il reconnaissait la dépendance
du duché de Bénévent à l’égard du souverain franc. L’empe-
reur reçut également l’hommage vassalique de son neveu, le
roi Bernard d’Italie, qui avait succédé à Pépin en 812, sur la
décision de Charlemagne. Au cours de cette assemblée, Louis
le Pieux ordonna l’envoi de missi, c’est-à-dire de repré-
sentants du souverain munis de larges pouvoirs, afin de rendre
justice dans toutes les régions de l’Empire et de rétablir dans
leurs droits ceux qui avaient pu être lésés par les agents
publics du temps de Charlemagne : la défense des « pauvres »
72 CHARLEMAGNE
Le sacre à Reims
Durant les premières années de son règne, Louis le Pieux
multiplia les initiatives montrant qu’il prenait ses distances
par rapport au gouvernement de son père. Le sacre célébré à
Reims en apporta également la preuve. La cérémonie de 813
avait été bien différente du couronnement impérial de
l’an 800, car Charlemagne avait voulu affranchir le pouvoir
impérial de l’autorité du pape. Au contraire, Louis souhaitait
être confirmé dans ses fonctions par le successeur de Pierre,
qui conférerait ainsi à la dignité impériale une dimension
spirituelle : pour le nouvel empereur comme pour les
membres de son entourage, Dieu est en effet à l’origine de
tout pouvoir. Louis avait pour devise la « rénovation du
royaume des Francs » : lui, qui était un nouveau Clovis, invita
par conséquent le pape Étienne IV à Reims, là même où le
roi des Francs avait été régénéré par le baptême. Étienne IV
fut reçu avec faste à Saint-Remi. Le 5 octobre 816, au terme
de plusieurs jours de fêtes et de banquets, le pape sacra Louis
le Pieux en tant qu’empereur dans la cathédrale ; il le ceignit
d’une couronne apportée spécialement de Rome (elle était
réputée avoir appartenu à Constantin) et couronna également
son épouse, Ermengarde.
Bernard d’Italie
Peu après le plaid de juillet 817, au cours duquel Louis le
Pieux régla sa succession et décida que son fils Lothaire
recevrait l’Italie après sa mort, le roi Bernard se révolta. Il
fomenta une conjuration des villes italiennes et ferma les
passages des Alpes. Louis le Pieux mobilisa immédiatement
l’ost et contraignit son neveu à rendre les armes en décembre,
près de Chalon-sur-Saône : Bernard se jeta aux pieds de
l’empereur et confessa ses fautes.
De hauts personnages avaient activement participé à ce sou-
lèvement ; l’évêque Théodulfe d’Orléans fut accusé d’y avoir
trempé. Tous furent jugés à Aix-la-Chapelle au printemps
suivant. Bernard fut condamné à mort, mais l’empereur le
gracia : il devait cependant être aveuglé. Le roi d’Italie
succomba-t-il à ses blessures ou préféra-t-il se suicider ?
Toujours est-il qu’il rendit l’âme le 17 avril 818 ; sa mort pèse-
rait désormais sur le règne de Louis le Pieux. Par ailleurs, cette
révolte fit prendre peur à l’empereur : alors qu’il s’était
LOUIS LE PIEUX 79
La pénitence d’Attigny
Louis le Pieux ne fut pas en mesure de maintenir
longtemps le cap, et il dut composer. La disparition de plu-
sieurs membres importants de son entourage peut expliquer
son attitude : l’un de ses principaux conseillers, son gendre
Bégon, était mort en 816 ; son épouse, Ermengarde, était
décédée en octobre 818 à Angers, où elle fut inhumée ;
enfin, l’abbé Benoît, principal artisan de la réforme monas-
tique, mourut en février 821. Un personnel nouveau prit la
direction du palais : en 819, la chapelle fut confiée à l’abbé
de Saint-Denis, Hilduin ; vers la même époque, la chancel-
lerie passa sous la direction de Fridugise. Le changement
politique qui se préparait alors fut annoncé par le retour en
grâce de l’abbé Adalhard, en octobre 821. Il s’agissait d’un
compromis, puisque, à la même époque, Louis le Pieux
exigea un serment de ceux qui n’avaient pas encore
approuvé le partage de 817.
Le revirement fut consommé en août 822, au palais
d’Attigny. Lors d’une grande assemblée, l’empereur fit
publiquement acte de contrition : il reconnut avoir mal agi
envers son neveu, ses demi-frères et les cousins de son père,
Adalhard et Wala. Leur retour aux affaires signifiait la vic-
toire de la vieille garde : l’abbé de Corbie servit désormais
d’intermédiaire entre certains grands et l’empereur, et reçut
l’ordre d’accompagner Lothaire, qui représenta désormais
son père en Italie ; Lothaire fut sacré à Rome par le pape
Pascal Ier en avril 823 et négocia la « constitution » de 824,
qui réglait les relations entre l’Empire, la papauté et l’aris-
tocratie romaine. Paradoxalement, la pénitence d’Attigny fut
considérée comme une cérémonie toute à l’honneur de Louis
le Pieux – ne suivait-il pas ainsi l’exemple de Théodose ?
L’empereur ne fut d’ailleurs pas le seul à reconnaître ses
erreurs ; ce plaid s’avéra l’occasion d’un bilan critique de
80 CHARLEMAGNE
La belle Judith
Le renouvellement du palais que nous venons d’évoquer
eut lieu à peu près en même temps que le remariage de Louis
le Pieux avec la fille du comte souabe Welf. Judith, dont
Thégan affirme qu’elle était « de toute beauté », fut sélec-
tionnée lors d’une sorte de concours, d’origine byzantine : en
819, l’empereur avait convoqué de nombreuses filles nobles
et c’est parmi elles qu’il fit son choix. Peu après son mariage,
Judith commença à peser dans la vie publique : elle fit venir
à la cour ses frères, Conrad et Raoul, elle agit en faveur de
sa famille, en plaçant sa mère à la tête de l’abbaye de Chelles
et en mariant sa sœur, Emma, à Louis le Germanique en 827.
À cette époque, son influence était considérable car cette
femme, au demeurant cultivée et dotée d’une grande intelli-
gence, avait donné un fils à l’empereur : Charles, l’enfant
chéri que Louis eut sur le tard. Les adversaires de la politique
menée vers la fin des années 820 ne s’y tromperaient pas :
si l’on voulait peser sur l’empereur, il fallait écarter son
épouse – ce qu’ils feraient en l’accusant d’adultère avec le
chambrier Bernard.
Bernard de Septimanie
Charles le dernier-né
Deux enfants naquirent de l’union de Louis le Pieux et de
Judith : une fille, Gisèle, qui épouserait le marquis Évrard de
Frioul vers la fin des années 830, et un fils, Charles, dont la
date de naissance exacte est indiquée dans plusieurs chroni-
ques – phénomène rarissime, qui prouve le retentissement
que cet événement eut alors. Tous les archevêques de l’Em-
pire furent d’ailleurs informés de la naissance de Charles à
Francfort-sur-le-Main, le 13 juin 823, puisque l’impératrice
envoya une bague à chacun d’entre eux en leur demandant
de prier pour l’enfant. Louis le Pieux éprouvait une grande
affection pour son fils, et il fit rapidement en sorte de lui
réserver une part d’héritage, violant ainsi le partage de 817,
scellé par maints serments. Dès 829, Charles reçut un terri-
toire au cœur de l’Empire, constitué par une partie de la
Bourgogne et l’Alémanie. La politique alors adoptée par
Louis le Pieux allait conduire à la révolte ses fils, qui vou-
laient influer sur le gouvernement de leur père. Le principal
enjeu de la seconde moitié du règne de Louis le Pieux devait
se réduire à la question du devenir de Charles – on comprend
la déception de certains, tel Éginhard, qui se retira alors des
affaires publiques.
La révolte de 830
La fin des années 820 fut une période difficile. La desti-
tution des comtes d’Orléans et de Tours, Matfrid et Hugues,
en constitue les prodromes : en février 828, ils furent sanc-
tionnés pour le retard (apparemment voulu) avec lequel ils
avaient conduit l’ost en marche d’Espagne, menacée l’été
précédent par les Sarrasins. Par ailleurs, voici que divers
fléaux s’abattirent sur l’Empire : épidémies, épizooties,
famines – peut-être y était-on plus sensible en cette période
où chacun était conscient de la montée de tensions politiques.
Toujours est-il qu’on y vit le doigt de Dieu, sanctionnant ainsi
l’action des dirigeants. Quatre synodes furent convoqués par
l’empereur au printemps de 829, à Mayence, à Paris, à Lyon
et à Toulouse. Les conclusions des Pères réunis à Paris furent
rédigées par l’évêque d’Orléans, Jonas : elles révèlent une
profonde aspiration à une réforme de la vie publique et rap-
pellent, comme une menace, que le roi doit agir droitement ;
sinon, c’est un tyran. C’est dans ce contexte que tous les lésés
par la politique de Louis le Pieux prirent prétexte, en 830, de
la convocation de l’ost à une date inhabituelle, en plein
carême, pour aller réprimer des troubles en Bretagne et se
rebellèrent : ils se révoltèrent, non pas contre l’empereur,
LOUIS LE PIEUX 83
Le « champ du mensonge »
Pépin d’Aquitaine réussit à s’échapper de Trèves, où il
était retenu prisonnier, et prépara un nouveau soulèvement
avec ses frères. Lothaire força le passage des Alpes et les
rejoignit en Alsace. L’archevêque de Lyon, Agobard, se fit
leur porte-parole pour dénoncer les agissements de Louis, en
l’accusant de parjure. Le pape Grégoire IV était là aussi : il
avait accepté de suivre Lothaire sous le prétexte que lui seul
parviendrait à réconcilier le père et ses fils. Sa présence
ébranla fortement les partisans de Louis le Pieux ; mais la
corruption contribua également au succès de ceux qui se
présentaient comme les garants de l’unité de l’Empire. À
l’issue de plusieurs jours de tractations aux environs de
Colmar, le camp de Louis se vida subitement dans la nuit du
LOUIS LE PIEUX 85
De nouveau empereur
Par méfiance, Lothaire garda Louis le Pieux prisonnier près
de lui. Or, son attitude despotique suscita très rapidement
86 CHARLEMAGNE
CHARLES LE CHAUVE
840-877
LA GUERRE CIVILE
Le lot de Charles
Vers la fin de l’été de 838, lors d’une assemblée tenue au
palais de Quierzy, Louis le Pieux avait armé son fils Charles,
au cours d’une cérémonie marquant son entrée dans l’âge
adulte, et il l’avait investi d’une portion de la Neustrie. Ce
territoire, centré sur le duché du Maine, était constitué des
régions entre Seine et Loire. Un serment de fidélité à l’égard
du fils de l’empereur fut exigé de tous les hommes libres.
La mort de Pépin d’Aquitaine, à la fin de la même année,
incita Louis le Pieux à voir plus grand pour son fils dernier-
né : il ambitionna de lui attribuer le royaume qu’il avait lui-
même reçu autrefois de Charlemagne, au mépris des droits
de son neveu, Pépin II, dont nous évoquerons plus tard les
démêlés avec Charles. Toujours est-il que, lors du plaid de
juin 839, Louis le Pieux divisa l’Empire en deux parties, à
l’exception de la Bavière, à laquelle le territoire de Louis le
Germanique était restreint : Lothaire choisit ce qui se trouvait
à l’est de la Meuse et Charles reçut les régions occidentales.
Il devait donc être le maître non seulement de toute la Neus-
trie et de l’Aquitaine, mais aussi de l’essentiel du territoire
actuel de la Belgique, et des régions allant de la Bourgogne
à la Provence, jusqu’aux contreforts des Alpes. C’est pour
défendre ses droits sur ce royaume et sauvegarder son indé-
pendance à l’égard de Lothaire que Charles fut contraint de
recourir aux armes peu après la mort de son père.
Un jugement de Dieu
Dès le mois de juin 840, Lothaire, qui séjournait en Italie,
se mit en route pour s’imposer comme le successeur de Louis
le Pieux ; il franchit les Alpes et dirigea son armée contre
Louis le Germanique, qui réussit à le maintenir hors de son
CHARLES LE CHAUVE 89
Le soutien d’Adalhard
En dépit de la victoire de Fontenoy-en-Puisaye, interprétée
officiellement par les évêques comme un combat « pour la
justice et l’équité », et malgré l’alliance scellée avec son frère
Louis, les années qui suivirent la mort de son père furent
pour Charles une période particulièrement difficile, car son
autorité était vacillante au sein même de son royaume. Il
bénéficiait néanmoins de l’appui de certains membres de
l’aristocratie, notamment du sénéchal Adalhard, qui s’était
imposé comme l’un des principaux conseillers de Louis le
Pieux au cours des années 830 et avait été récompensé en
recevant l’abbatiat de Saint-Martin de Tours. Charles eut
recours aux services d’Adalhard en plusieurs occasions dif-
ficiles. Il lui confia par exemple la responsabilité de certaines
négociations : ainsi, durant l’automne de l’année 840, il avait
fait partie de l’ambassade dépêchée auprès de Lothaire pour
l’exhorter à respecter ses engagements ; à l’issue de la bataille
du 25 juin 841, où il commanda une partie de l’armée, c’est
également lui qui fut envoyé auprès des membres encore
réticents de l’aristocratie pour tenter de les convaincre de se
rallier à Charles. Son influence à la cour connut son apogée
lorsque le roi se maria, en décembre 842, au palais de
Quierzy : Charles épousa en effet Ermentrude, la nièce
d’Adalhard. À en croire Nithard, le calcul politique avait
92 CHARLEMAGNE
Le partage de Verdun
C’est aussi en 842 que les trois frères s’accordèrent sur la
nécessité de négocier un partage de l’Empire en trois
royaumes indépendants. Les préliminaires eurent lieu au
printemps, en Bourgogne. Il fallait proposer une division
équitable, qui permît à chacun de récompenser ses fidèles.
Plusieurs négociations furent alors engagées, simplement
pour qu’on se mît d’accord sur les grandes lignes de ce
partage, dont le détail fut reporté à une assemblée convoquée
à l’automne. Après quelques négociations visant à assurer la
sécurité des délégués chargés de procéder au partage, cent
vingt membres de l’aristocratie (quarante pour chaque frère)
se réunirent à Saint-Castor de Coblence, le 19 octobre 842.
Il fut toutefois impossible de conclure un accord, parce que
les délégués n’avaient pu sillonner l’Empire pour acquérir
une connaissance exacte des territoires : Lothaire fut accusé
d’avoir mis obstacle aux enquêtes nécessaires. Après un mois
de tergiversations, on se réunit de nouveau à Thionville, pour
conclure simplement une trêve jusqu’à la mi-juillet de l’année
suivante. En fait, l’assemblée eut lieu à Verdun au mois
d’août 843 (on ignore la date précise). Un annaliste affirme
que, entre-temps, les représentants des souverains avaient
parcouru le royaume et établi un « inventaire des manses » :
on aurait donc vraiment procédé à un dénombrement des
domaines et à une estimation des richesses. Les rois confir-
mèrent par serment le partage en trois parties égales préparé
par l’aristocratie : grosso modo, Louis le Germanique reçut
tout ce qui se trouvait à l’est du Rhin et au nord des Alpes
et Lothaire eut la partie médiane, de la région entre Escaut
CHARLES LE CHAUVE 93
D’ORLÉANS À METZ
Pépin II d’Aquitaine
Le partage établi par Louis le Pieux en 839 faisait fi du
particularisme aquitain. C’est ce qui incita une partie de
l’aristocratie de ce royaume à se rallier à la cause de Pépin II,
le fils de Pépin d’Aquitaine, qui revendiquait l’héritage
paternel. Certains parmi les grands firent toutefois preuve de
loyalisme à l’égard de l’empereur et se rallièrent très tôt à
son fils ; ce fut, par exemple, le cas de l’évêque de Poitiers,
Ébroïn, qui avait été le chancelier de Pépin Ier et passa au
CHARLES LE CHAUVE 97
Le sacre à Orléans
Il semble que Pépin II ne se soit pas montré à la hauteur
et que son incompétence lui ait aliéné une bonne partie de
l’aristocratie qui le soutenait à l’origine. C’est pourquoi
Charles fut finalement élu roi d’Aquitaine. Le sacre eut lieu
à Orléans, le 6 juin 848, et fut célébré par l’archevêque
Wénilon.
Charles, qui s’intitula « roi des Francs et des Aquitains »
dans certains diplômes, considérait que cette cérémonie inau-
gurait véritablement son règne en scellant le ralliement de
l’épiscopat à sa cause. Paradoxalement, en 848, il était dans
une situation privilégiée : Lothaire avait été sacré empereur
par le pape, mais Louis le Germanique n’avait jamais reçu
d’onction. Charles fut donc le seul des héritiers de Louis le
Pieux à être sacré explicitement en tant que souverain du
royaume sur lequel il avait autorité – et cela, qui plus est, par
les évêques de son propre royaume, qui officialisaient ainsi
le choix de Dieu.
98 CHARLEMAGNE
Le régime de la fraternité
Durant plusieurs années, les fils de Louis le Pieux tentèrent
de maintenir une certaine entente entre eux ; c’est ce que l’on
appelle le régime de la fraternité. Il n’était en effet pas conve-
nable que des rois chrétiens s’affrontent par les armes, pac-
tisent avec le diable en incitant les Vikings à dévaster le
royaume de leur frère, et déchirent la « robe sans couture »
que formait l’Église. Les évêques y veillèrent. C’est ainsi
qu’ils se réunirent, en octobre 844, au palais de Yutz, proche
de Thionville, sous la présidence de l’évêque de Metz,
Drogon, pour inciter Lothaire, Louis et Charles à maintenir
la paix entre eux et leur donner des conseils de gouverne-
ment ; les trois frères promirent alors de ne plus agir en
violation de leurs liens de « fraternité » et de « charité ». Pour
mettre en application leurs résolutions, ils envoyèrent un mes-
sage à tous ceux qui étaient en révolte contre Charles
(Pépin II, le comte de Nantes, Lambert, et le duc des Bretons,
Nominoé), pour leur enjoindre de se soumettre à leur roi. Ces
bonnes résolutions demeurèrent cependant lettre morte. Mais
la menace extérieure était de plus en plus préoccupante. Les
Vikings multipliaient les raids dans les royaumes de Lothaire
et de Charles. En 846, les Sarrasins tentèrent de prendre
Rome et mirent à sac la basilique Saint-Pierre, qui n’était
alors pas entourée de murailles – c’est à la suite de ce désastre
CHARLES LE CHAUVE 99
Le royaume de Bretagne
La Bretagne n’avait jamais été vraiment soumise au pou-
voir franc, sauf en Vannetais, où l’un des membres de l’aris-
tocratie bretonne, Nominoé, avait été institué comte par Louis
le Pieux, avec les pouvoirs d’un missus, représentant spécial
de l’empereur dans la marche de Bretagne. Nominoé avait
fini par se rallier à Charles le Chauve. Mais les ambitions de
l’aristocratie franque dans le sud de la Bretagne, qui donnè-
rent lieu à un affrontement armé sur le passage de la Vilaine
à Messac, en mai 843, le firent entrer dans la révolte ouverte.
À sa mort, en 851, Charles le Chauve tenta de soumettre son
fils, Érispoé, à son pouvoir en lui livrant bataille près de Beslé
(en un autre lieu de franchissement de la Vilaine), en août
de la même année : ce fut une cuisante défaite. À l’instar de
l’accord conclu quelques années plus tôt entre Pépin II
d’Aquitaine et Charles, ce dernier consentit à un arrangement
100 CHARLEMAGNE
Wénilon de Sens
Le couronnement à Metz
Les années 860 furent une période essentielle du règne de
Charles le Chauve. Il prit plusieurs mesures décisives dans
le raffermissement du royaume, dont le plus bel exemple est
le capitulaire de juin 864 promulgué à Pîtres, par lequel le
roi réaffirma son autorité sur les comtes et réglementa la
frappe de la monnaie, l’exercice du commerce ou l’organi-
sation du service dû au souverain. Charles, qui s’appuyait sur
la législation de ses prédécesseurs, renoua aussi avec la tra-
dition de l’envoi de missi chargés d’inspecter le royaume. Le
roi, qui organisa la défense contre les Vikings (dont nous
reparlerons), entendait également être maître de l’aristo-
cratie ; c’est ce que prouve la condamnation à mort pour
trahison de son beau-frère Guillaume, peu de temps seule-
102 CHARLEMAGNE
La défense du royaume
C’est en raison de ces témoignages très négatifs et de ces
lamentations qu’on a souvent sous-estimé la riposte opposée
par le roi et les grands. Les défaites furent certes nombreuses,
mais il y eut aussi des victoires, dues à la volonté de résistance
dont témoignent certaines mesures prises par Charles le
Chauve dans les années 860, à une époque où il n’hésitait
plus à passer à l’offensive contre les « Normands ».
La mesure la plus spectaculaire fut la construction de for-
tifications. En 862, le roi ordonna la construction d’un pont
fortifié sur la Seine, près de Pîtres : Pont-de-l’Arche devait
bloquer la remontée du fleuve. Il est peu probable que ce
système se soit vraiment révélé efficace, sinon les Vikings
n’auraient pas pu se rendre à Paris en 865, « pour acheter du
vin » comme l’affirme un annaliste ; toujours est-il que
Charles fit également construire des ponts semblables à
Auvers-sur-Oise et à Charenton-le-Pont, sur la Marne. En
873, il fit de même aux Ponts-de-Cé, près d’Angers. Vers la
même époque, les remparts de certaines cités furent égale-
106 CHARLEMAGNE
Robert le Fort
En 840, Robert le Fort, qui était originaire de Rhénanie,
passa au service de Charles le Chauve ; ce dernier le nomma
comte d’Angers et abbé de Marmoutier en 852. L’année sui-
vante, il exerça les fonctions de missus en Anjou, dans le
Maine et en Touraine. Les rapports entre Robert et son roi
furent tourmentés. Néanmoins, sont nom est attaché à la
défense contre les Vikings, dans les années 860. Il était alors
marquis de Neustrie, c’est-à-dire qu’il cumulait diverses
charges comtales en disposant de pouvoirs militaires spé-
ciaux. Son dévouement fut encouragé par l’octroi du presti-
gieux abbatiat de Saint-Martin de Tours. C’est lors d’un
combat contre les « Normands », à Brissarthe, que Robert le
Fort trouva la mort, en 866. Un cousin maternel du roi le
remplaça : Hugues († 886), dit « l’Abbé », en raison des nom-
breuses abbayes qu’il dirigeait. Ce fut l’un des hommes forts
de la fin du règne de Charles le Chauve.
LA CHIMÈRE IMPÉRIALE
L’appel du pape
Le 12 août 875, l’empereur Louis II, le fils de Lothaire,
mourut près de Brescia, après avoir consacré ses dernières
années à la lutte contre les Sarrasins en Italie du Sud. Il fallait
quelqu’un d’énergique pour lui succéder : le pape Jean VIII
et le sénat romain souhaitaient se placer sous la protection
de Charles et lui offrirent la couronne impériale. Mais il fallait
faire vite, car le préalable au couronnement à Rome était
l’obtention de la couronne d’Italie. Or une partie des
« grands » de ce royaume, soutenue par la veuve de Louis II,
avait pour candidat l’un des fils de Louis le Germanique,
Carloman. Après avoir réuni en toute hâte une assemblée à
Ponthion à la fin du mois d’août, Charles quitta son royaume
le 1er septembre et franchit le Grand-Saint-Bernard. Il s’agis-
sait de prendre de vitesse Carloman, qui arrivait par le
Brenner. Le 29 septembre, Charles était à Pavie. En se mon-
trant fin stratège et diplomate, il réussit à se faire reconnaître
par la plupart des membres de l’aristocratie italienne. C’est
alors que, « répondant à l’invitation du pape, Charles se rendit
à Rome ».
Saint-Corneille de Compiègne
LE « RENOUVEAU
DU ROYAUME DES FRANCS »
789-877
Renaissance ou renouveau ?
On parle généralement de la « renaissance carolingienne »,
expression forgée sur le modèle de la véritable Renaissance,
qui marque le déclin du Moyen Âge. Les historiens ont
recours à cette notion pour qualifier plusieurs moments de
l’histoire médiévale, mais il ne faut pas se leurrer : bien que
les Carolingiens aient profondément admiré les auteurs
antiques et qu’ils aient joué un rôle essentiel dans la trans-
mission de leurs œuvres, ils n’entendaient pas restaurer leur
culture, mais s’en nourrissaient pour mener à bien leur propre
dessein, celui de réformer la société. L’idée essentielle des
temps carolingiens est en effet moins celle de renaissance,
de restauration d’un âge révolu, que celle de « correction ».
L’amélioration des connaissances et l’amendement des
mœurs devaient permettre de renouveler le corps social dans
une perspective spirituelle, puisque le roi avait pour mission
de favoriser l’accès de ses sujets au salut. La société du haut
Moyen Âge était profondément marquée par le christianisme,
comme l’exprime la légende de certains deniers : l’expression
« religion chrétienne » rappelait à tous que l’empereur devait
défendre et propager la foi. Une autre expression qui devient,
elle aussi, courante à l’époque carolingienne exprime de
manière éloquente combien la religion conditionnait la vie
sociale : dans les textes officiels, les rois faisaient part de
leurs décisions à tout un chacun en s’adressant « aux fidèles
de Dieu et aux nôtres », c’est-à-dire en mettant sur le même
plan la foi et la fidélité, désignées par le même terme en latin
médiéval. Par conséquent, l’action législative des souverains
revêtait une dimension spirituelle, voire eschatologique.
L’épée de Charlemagne
La Vision de Charlemagne composée à Mayence dans la
seconde moitié du IXe siècle est de tout autre nature. Selon
le récit de Raban Maur, qui lui-même tenait l’information
d’Éginhard, Charlemagne aurait reçu, de nuit, la visite d’un
ange qui lui aurait remis une épée dégainée de la part de
Dieu. Elle portait quatre inscriptions évoquant l’abondance
de toute chose, mais aussi la défection des peuples soumis,
l’accaparement injuste des biens d’Église et la fin de la
dynastie. Le clerc de Mayence, qui reconnaissait que cer-
taines de ces prophéties s’étaient réalisées au moment où il
écrivait ces lignes, nous livre un témoignage des troubles
politiques et religieux de l’Empire dans les années 850 à 900.
Cette vision, où est introduit le thème du glaive envoyé par
le ciel à Charlemagne pour la défense de la foi, confirme
l’imbrication du politique et du religieux : le mauvais gou-
vernement du prince ne compromettait pas seulement son
116 CHARLEMAGNE
Se remettre en question
La littérature onirique et hagiographique trahit la volonté
du clergé d’infléchir l’action des souverains. Le rôle de cen-
seur des mœurs et de la vie politique attribué aux clercs, dont
les « miroirs » sont aussi l’expression, fut encore renforcé
par la tenue de conciles réformateurs, tels ceux du printemps
de 813. Charlemagne ordonna la réunion de cinq assemblées
simultanées, à Mayence, à Reims, à Chalon-sur-Saône, en
Arles et à Tours. Les évêques furent d’abord consultés sur
des questions dogmatiques et liturgiques, mais aussi sur la
réforme du mode de vie des clercs, sur la protection des biens
ecclésiastiques ou encore sur le comportement des laïcs.
L’influence des évêques se renforça sous Louis le Pieux,
qui organisa de véritables examens de conscience collectifs,
comme en 822 à Attigny, ou bien encore en 829, lorsque des
synodes furent réunis à Mayence, à Paris, à Lyon et à Tou-
louse. Dans un contexte politique et social tendu, l’empereur
se tourna vers les évêques pour leur demander conseil « au
sujet de la commune correction ». Celle des simples fidèles
était conditionnée par un contrôle plus strict de leur vie quo-
tidienne : l’un des débats d’actualité, au début du IXe siècle,
fut le développement de la confession privée et le recours à
une tarification des fautes – cet usage insulaire, connu par
les « pénitentiels », s’imposa dans l’Église carolingienne,
bien qu’il fût contesté par certains évêques parce qu’il s’écar-
tait des usages antiques. L’une des raisons traditionnellement
invoquées pour expliquer les manquements aux règles de la
vie chrétienne fut la méconnaissance des Écritures et de la
LE « RENOUVEAU DU ROYAUME DES FRANCS » 117
La minuscule caroline
Le renouveau des études supposait un meilleur accès à la
connaissance érudite et, partant, une réflexion sur la manière
d’écrire. Les manuscrits du haut Moyen Âge sont caractérisés
par une grande diversité des écritures. Les scribes travaillaient
dans un atelier d’écriture qu’on appelle le scriptorium. La
plupart du temps, dans les abbayes, il s’agissait d’une pièce
attenante à l’église, et ce pour deux raisons : d’une part, ce
bâtiment de pierre assurait une meilleure protection des
manuscrits contre le vol et l’incendie (trésor et bibliothèque
étaient souvent regroupés au même endroit) ; d’autre part,
cette proximité du sanctuaire renforçait le prestige, voire le
caractère sacral de l’écrit. Presque chaque scriptorium avait
ses propres usages, où se mêlaient la tradition, les éventuelles
innovations calligraphiques de scribes locaux et l’influence
d’éléments extérieurs, du fait des échanges de personnes ou
de manuscrits. Parmi les exemples les plus significatifs du
e
VIII siècle, on peut citer les manuscrits appartenant au type
du lectionnaire de Luxeuil et ceux de Tours ou de Corbie.
Vers la fin du siècle, plusieurs scriptoria firent preuve du
même effort de simplification de la calligraphie ; ce fut, par
exemple, le cas à Saint-Gall ou à Chelles, où l’abbesse n’était
autre que Gisèle, la sœur de Charlemagne. Toutefois, c’est à
Corbie que fut mis au point l’ancêtre de la minuscule caroline,
du temps de l’abbé Maurdramne. La minuscule caroline pré-
sente l’avantage d’être particulièrement facile à lire : elle
contribue à l’effort des érudits carolingiens pour améliorer
les textes en limitant les risques d’erreurs de lecture. Sa
LE « RENOUVEAU DU ROYAUME DES FRANCS » 119
e
Les controverses théologiques du IX siècle
Loup de Ferrières
L’un des meilleurs exemples illustrant le fait que l’amé-
lioration de l’écriture conditionnait celle des manuscrits, et,
partant, la connaissance savante, nous est fourni par l’activité
érudite de Loup de Ferrières. Ce moine originaire du monas-
tère de Ferrières-en-Gâtinais, dont il fut nommé abbé par
Charles le Chauve en 840, nourrissait une véritable passion
pour la littérature antique. Sa correspondance nous le montre
à la recherche de manuscrits dans tout l’Empire carolingien
120 CHARLEMAGNE
L’entretien du clergé
Les évêques veillaient toutefois à ce que les desservants
de paroisse mènent une vie décente. Pour que ces derniers
puissent se consacrer à leur tâche pastorale, l’église à laquelle
ils étaient attachés devait être dotée. Dans sa législation,
Hincmar de Reims demande aux doyens de vérifier que les
prêtres disposent bien d’un manse de douze bonniers (mesure
de surface d’une centaine d’ares, dont l’importance varie
selon les régions), d’une cour bordée par l’église et leur
maison, et de quatre dépendants serviles. La population par-
ticipait à l’entretien du clergé par des dons obligatoires, telle
la dîme, imposée par Pépin le Bref en 765 et confirmée en
779 par Charlemagne, à Herstal. Cet impôt, destiné à la sub-
sistance du prêtre et aux travaux concernant l’église, de même
qu’à l’évêque et à ses œuvres charitables, représentait le
dixième des produits de la terre, d’où son nom. Lors de la
célébration de la messe et de l’administration des sacrements,
le ministre du culte recevait également divers cadeaux.
e
jusqu’au X siècle, rares étaient ceux qui accédaient à la clé-
ricature.
Un désir d’uniformisation
Pour que la prière des moines fût unanime, il fallait que
leur mode de vie fût uniforme. Or la première moitié du
e
VIII siècle était encore marquée par une grande diversité des
règles : de saint Augustin, de Jean Cassien, de Césaire
d’Arles, de saint Benoît ou de saint Colomban. Bon nombre
d’établissements observaient une règle dite « mixte », c’est-
à-dire comprenant des usages venus de diverses traditions
(notamment un mélange d’influences colombaniennes et
bénédictines). Toutefois, la règle de saint Benoît († 547), au
rayonnement de laquelle contribua le pape Grégoire le Grand
(† 604), eut tendance à s’imposer au cours du VIIIe siècle. En
effet, les abbayes italiennes de Farfa et de Saint-Vincent au
Volturne furent d’observance bénédictine dès leur fondation
au début du VIIIe siècle, de même que les abbayes austra-
128 CHARLEMAGNE
Benoît d’Aniane
Benoît est le nom en religion de Witiza, qui était le fils
d’un comte de Maguelone : son changement de nom exprime
l’importance de la référence à saint Benoît de Nursie dans la
vie de ce jeune noble d’origine wisigothique. Né vers 751, il
servit comme échanson à la cour de Pépin le Bref et de
Charlemagne, avant de se consacrer à la vie monastique.
Après plusieurs années passées dans l’abbaye de Saint-Seine
(en Bourgogne), il se retira sur un domaine de sa famille à
Aniane, où il fonda un monastère. Benoît se fit un ardent
défenseur de la règle de saint Benoît, qu’il introduisit dans
de nombreux établissements d’Aquitaine, du temps où Louis
le Pieux y était roi. Lorsque ce dernier devint empereur, il fit
venir l’abbé réformateur au monastère alsacien de Marmou-
tier, puis aux environs immédiats d’Aix-la-Chapelle, car il ne
pouvait pas se passer de ses conseils : c’est ce qui explique
la fondation de l’abbaye d’Inden. C’est là que Benoît passa
les dernières années de sa vie (il mourut en 821), qu’il
consacra à imposer la règle bénédictine dans tout l’Empire.
Gellone
Cormery
L’élu de Dieu
Pour les théoriciens du pouvoir des temps carolingiens,
Dieu avait choisi la famille de Pépin le Bref pour l’établir à
la tête du royaume. C’est ce qu’exprime un moine de
Saint-Denis dans un petit texte servant à dater un manuscrit
hagiographique : lors du sacre de 754, le pape aurait interdit
aux Francs d’élire à la royauté une personne étrangère à la
lignée que la divine Providence venait d’exalter. Ce choix
divin fut rappelé par les artistes qui représentèrent ensuite le
souverain ; dans le poème figuré de Raban Maur où est repré-
senté Louis le Pieux, l’empereur porte un nimbe composé de
lettres formant la légende suivante : « Toi, ô Christ, couronne
Louis ! » Ce rappel du choix divin est aussi explicite dans
les enluminures faisant apparaître la main de Dieu, bénissant
le souverain. Tel est le cas dans plusieurs manuscrits réalisés
du temps de Charles le Chauve, où ce dernier est représenté
trônant en majesté : citons la Bible de Vivien, le psautier de
Charles le Chauve ou le « livre doré » de Saint-Emmeram de
Ratisbonne.
132 CHARLEMAGNE
Chants de louange
Le lien entre le pouvoir royal et la puissance divine était
également rappelé dans les chants d’acclamation liturgique
du souverain que constituent ce que l’on appelle les « laudes
royales », des litanies composées vers la fin du VIIIe siècle à
la faveur du renforcement des contacts entre le monde franc
et Rome. Elles s’ouvrent par la formule : « Le Christ vainc,
le Christ règne, le Christ est empereur. » Grâce aux neumes
qui accompagnent le texte, nous pouvons en reconstituer la
mélodie. En effet, les clercs des temps carolingiens sont
directement à l’origine de la musique occidentale. En inven-
tant ces petits signes qui, placés sur le texte ou dans la marge,
indiquent le mouvement de la mélodie, les chantres de la
région de Metz, de Saint-Gall ou d’Auxerre mirent au point
une première forme de notation musicale. Certes, ces indi-
cations ne remplaçaient pas l’apprentissage du chant par
l’audition et la reproduction de ce qu’on avait entendu : ils
s’agit plutôt d’un aide-mémoire au service de la célébration
de l’office. À partir de la fin du IXe siècle, nombreux sont les
livres liturgiques comportant de tels neumes.
Copier la Bible
Le livre par excellence était la Bible. On la copia beaucoup
au Moyen Âge ; certains scriptoria s’en firent une spécialité,
comme celui de Saint-Martin de Tours. On estime que cet
atelier fut en mesure de produire deux bibles de grand format
par an, durant toute la première moitié du IXe siècle : outre
le nombre de scribes nécessaires (ces bibles n’étaient pas les
seules productions du scriptorium), cette intense activité
témoigne de la richesse de l’établissement tourangeau, car
chaque volume nécessitait l’abattage de plus de deux cents
moutons ! La copie de la Bible était liée à un réel travail
d’étude philologique, qui illustre bien les enjeux de la
« renaissance carolingienne ». Certains érudits de cette
époque s’efforcèrent en effet d’améliorer le texte des
134 CHARLEMAGNE
L’art monumental
La réalisation architecturale la plus célèbre des temps caro-
lingiens est bien évidemment la chapelle octogonale d’Aix,
construite sur l’ordre de Charlemagne d’après le modèle de
l’église San Vitale de Ravenne. C’est loin d’en être le seul
exemple : on estime qu’une trentaine de cathédrales, une cen-
taine de palais et quatre fois plus de monastères furent
construits au moment de la « renaissance carolingienne ». Ces
constructions révèlent parfois une réelle source d’inspiration
antique : c’est notamment le cas du porche de l’abbaye rhé-
nane de Lorsch, élevé comme un arc de triomphe. Les
constructeurs de l’époque carolingienne développèrent égale-
ment des formes particulières, notamment le « massif occi-
dental », ou Westwerk, destiné à accueillir la liturgie pascale
dans certaines abbatiales, comme à Saint-Riquier du temps
d’Angilbert. La façade occidentale de l’église de Corvey, qui
date de la fin du IXe siècle, est particulièrement bien conservée.
Architecture et politique
Le plan de l’abbatiale de Corvey, dont la construction fut
entreprise au début du IXe siècle sous l’abbé Adalhard de
Corbie, illustre aussi comment la conception même de l’édi-
fice pouvait s’intégrer dans un programme politique ou bien,
au contraire, s’ériger en manifeste de contestation. Alors que
la réforme prônée par Benoît d’Aniane recommandait la
construction de petits édifices suffisants pour abriter la seule
communauté monastique, certains opposants à Louis le Pieux
revinrent très vite à des plans beaucoup plus vastes, qui cor-
respondaient aux usages sous Charlemagne. À cet égard, on
observe un revirement spectaculaire chez Éginhard : alors que
son église de Steinbach était de proportions modestes, la
basilique qu’il édifia ensuite à Seligenstadt renouait avec le
faste ancien.
Chapitre VI
Louis II le Bègue
Ce n’est qu’en raison de la mort de son frère, Charles le
Jeune, que Louis le Bègue devint roi d’Aquitaine, en 867. Il
dut attendre neuf ans encore pour que Charles le Chauve
consente à désigner comme son successeur ce fils apparem-
ment peu à même de régner. À plusieurs reprises, la maladie
entrava le gouvernement de ce souverain qui, d’emblée, eut
maille à partir avec certains membres de l’aristocratie. Dès
l’annonce de la mort de son père, il avait en effet distribué
les abbayes et les charges comtales en dépit du bon sens.
C’est au prix d’un rétablissement de l’équilibre entre la
famille des Welfs, à laquelle appartenait Hugues l’Abbé, et
celle des Rorgonides, dont l’un des membres les plus
importants était l’abbé Gauzlin, que Louis put recevoir le
sacre des mains de l’archevêque Hincmar de Reims, le
138 CHARLEMAGNE
Bernard Plantevelue
Parmi les grands qui apportèrent leur soutien à Louis II figure Ber-
nard Plantevelue, l’un des fils de Bernard de Septimanie et de
Dhuoda. Comte d’Autun, il s’opposa à Charles le Chauve, qui le
déposa. Une fois réconcilié avec le roi, en 869, ce dernier lui confia
l’Auvergne et le Velay, puis les comtés de Toulouse, de Limoges et
de Rodez à la faveur de la répression d’une rébellion, en 872.
Charles le Chauve en fit le conseiller de son fils, que Bernard aida
lors de la révolte du marquis de Gothie, en 878 ; cela lui valut de
recevoir du roi la Gothie et le comté de Bourges. Son habileté poli-
tique lui permit également d’obtenir ensuite le Mâconnais, puis le
Lyonnais. Il posa les fondements du duché d’Aquitaine, à la tête
duquel son fils, Guillaume le Pieux, allait s’illustrer à partir de 886.
Charles le Gros
À la mort de Carloman, les grands élurent Charles le Gros,
le dernier des fils de Louis le Germanique encore en vie, qui
avait ceint la couronne impériale en 881. En répondant à
l’invitation de l’aristocratie en 885, Charles réunit une der-
nière fois l’ensemble des territoires de l’Empire carolingien,
excepté la Provence, sous l’autorité d’un même souverain. En
juin, il se rendit à Ponthion pour recevoir le serment de fidélité
des grands. La concentration des pouvoirs entre les mains de
Charles le Gros était inadaptée à la situation politique des
divers royaumes, qui connaissaient désormais un destin
propre. Plus que tout, l’empereur n’était pas en mesure de
coordonner la riposte au péril normand. C’est ce qu’illustre
son attitude à Paris, en 886 : alors que le comte Eudes com-
battait vaillamment les Vikings qui assiégeaient la ville depuis
un an, les renforts envoyés par l’empereur furent battus et,
lorsque Charles vint lui-même à Montmartre, ce fut pour
acheter la tranquillité de la cité en payant un tribut. Par
ailleurs, son gouvernement suscita des troubles en Germanie.
En novembre 887, il fut déposé par son neveu Arnoul, un
bâtard, qui se fit élire roi de Germanie à Tribur. Abandonné de
tous et gravement malade, Charles mourut le 13 janvier 888.
140 CHARLEMAGNE
Un héritier contesté
Lorsque Louis II mourut, sa seconde épouse, Adélaïde,
était enceinte de quelques mois : le 17 septembre 879, elle
mit au monde un enfant mâle, appelé comme son grand-père
LES DERNIERS CAROLINGIENS 141
Foulques de Reims
Le traité de Saint-Clair-sur-Epte
La reconnaissance de la légitimité de Charles ne signifiait
pas pour autant que les grands étaient disposés à abandonner
entre ses mains les pouvoirs qu’ils exerçaient dans les prin-
cipautés alors en cours de formation. À cet égard, une ini-
tiative du roi mérite notre attention : c’est le traité qui est à
l’origine de la Normandie. Pour obtenir des Vikings qu’ils
laissent le royaume en paix, Charles eut recours au même
type d’accord que le roi Alfred de Wessex face à Guthrum
une génération plus tôt : en échange du baptême, le roi offrit
au chef normand Rollon de lui concéder le territoire sur lequel
il était déjà implanté. C’est ainsi qu’un traité fut conclu dans
la seconde moitié de l’année 911, à Saint-Clair-sur-Epte. Les
Normands reçurent divers pays côtiers autour de Rouen. Cet
accord n’est pas l’expression d’une faiblesse des Francs à
l’égard de leurs adversaires – au contraire, ils venaient de
remporter une écrasante victoire à Chartres, le 20 juillet 911.
Il s’agissait d’une solution politique permettant d’intégrer ces
païens à la chrétienté. Cette mission fut confiée au successeur
de saint Remi, l’archevêque de Reims, Hervé. Dès 912,
Rollon reçut le baptême. Son parrain n’était autre que le
défenseur de Chartres, le comte Robert, frère du défunt roi
Eudes.
Le mirage lotharingien
On met souvent en rapport la cession de la région de Rouen
à Rollon et l’acquisition de la Lotharingie, la même année ;
il n’est en effet pas improbable que Charles le Simple ait
souhaité avoir les mains libres à l’ouest pour mener à bien
la conquête du royaume de Lotharingie, où se trouvait Aix-
la-Chapelle. La mort du dernier Carolingien de Francie orien-
tale, Louis l’Enfant, lui offrit l’occasion d’obtenir « un plus
large héritage », selon l’expression servant désormais à dater
ses diplômes. Monté sur le trône en 900 alors qu’il était
encore enfant, Louis, âgé de dix-huit ans, était mort sans
LES DERNIERS CAROLINGIENS 143
Henri l’Oiseleur
Sentant la mort venir, le roi Conrad est censé avoir donné l’ordre
à son frère de transmettre les insignes du pouvoir à Henri l’Oise-
leur ; c’est ainsi que les grands, réunis à Fritzlar en mai 919,
élurent à la royauté ce comte saxon, marié à une descendante
lointaine de Widukind, le meneur de l’opposition à la conquête
franque du temps de Charlemagne. Henri refusa d’être sacré,
pour exprimer sa solidarité avec le reste de l’aristocratie. Son
avènement marque l’accès au pouvoir de la dynastie ottonienne.
Haganon
Charles le Simple était lié à l’aristocratie lotharingienne
par sa femme, Frérone, qu’il avait épousée en 907 et dont il
eut six filles. Il est probable que ce fut à l’occasion du mariage
de sa parente qu’Haganon se rendit à la cour du roi de Francie
144 CHARLEMAGNE
Au milieu du Rhin
Les membres de l’aristocratie lotharingienne se lassèrent
également du comportement du roi Charles. Le fils de
Régnier, Giselbert, qui avait succédé à son père, s’était révolté
dès 918, en bénéficiant de l’appui du roi de Germanie.
Charles le Simple était parvenu à le faire rentrer dans le rang
en 920, mais il ne s’en tint pas là : pour punir Henri l’Oiseleur
d’avoir soutenu le rebelle, il entreprit de ravager ses terres,
mais il fut mis en fuite non loin de Worms. C’est pour
conclure la paix que les deux souverains se réunirent près de
Bonn, le 7 novembre 921, après s’être observés quelques
jours durant en campant sur les deux rives du Rhin : la ren-
contre eut lieu au milieu du fleuve, sur un bateau. Aucun des
LES DERNIERS CAROLINGIENS 145
Un prince en exil
On aurait pu s’attendre à ce qu’Hugues le Grand succède
à Raoul, mort sans descendant mâle. Le comte neustrien était
le plus puissant des membres de l’aristocratie ; par sa femme,
une fille du roi de Wessex Édouard l’Ancien, il était le beau-
frère de Charles le Simple et d’Otton Ier ; il avait cependant
des rivaux, notamment Herbert II de Vermandois (un descen-
dant de Bernard d’Italie) et Hugues le Noir, le frère de Raoul.
C’est pourquoi le Robertien jugea plus prudent de recourir
au prince Louis, appelé « Louis d’Outremer » car il vivait
exilé en Angleterre : lorsque son père fut fait prisonnier, sa
mère, Ogive (la seconde épouse du roi), retourna en effet
outre-Manche. Hugues et les grands envoyèrent donc une
ambassade auprès du roi Athelstan, qui avait recueilli son
neveu à la mort d’Édouard. Le roi accepta de laisser partir
Louis, alors âgé de seize ans environ, à la condition que les
membres de l’aristocratie lui fissent hommage dès qu’il pose-
rait pied sur le territoire des Francs.
De Boulogne à Laon
Louis IV prit donc la mer et se rendit à Boulogne, où
l’attendaient Hugues et certains grands de Francie occiden-
tale. Là, sur la plage, chacun se « recommanda » au nouveau
roi : plaçant leurs mains dans les siennes, ils le reconnurent
pour seigneur. Ensuite, toute la troupe chevaucha vers Laon,
la principale résidence des derniers Carolingiens. Le 19 juin
936, Louis y fut sacré par l’archevêque de Reims, Artaud,
en présence d’une vingtaine d’évêques. Cette restauration
semble avoir fait l’unanimité. Dans les premiers mois,
Hugues le Grand tenta d’imposer sa politique au nouveau roi,
LES DERNIERS CAROLINGIENS 147
La reine Gerberge
Un jeu de dupes
Il serait vain de retracer ici tous les rebondissements du
règne de Louis IV, qui fut marqué par plusieurs renversements
d’alliances où chacun s’efforçait de saper l’autorité de l’autre.
Le contrôle de la région de Reims et de Laon fut l’un des
principaux enjeux. Le rival de Louis IV y était Herbert II de
Vermandois, qui avait fait ériger une citadelle à Laon et tenta
d’imposer son fils Hugues, un enfant, comme archevêque de
Reims. Plusieurs sièges, plusieurs combats eurent lieu à ce
propos. La mort de Guillaume Longue Épée, en 942, permit
au roi de s’affirmer en Normandie, en prenant le jeune
Richard sous sa tutelle. Cette année semblait d’autant plus
148 CHARLEMAGNE
La Flandre
La principauté flamande tire son nom du « pays » côtier
aux environ de Bruges, qu’un comte Baudouin contrôlait du
temps de Charles le Chauve : cet ambitieux, qui organisa le
« rapt » de Judith (la fille du roi des Francs, alors veuve du
roi anglo-saxon Æthelwulf, puis de son fils Æthelbald, était
consentante – mais pas son père !) et l’épousa, réussit à
étendre son autorité sur toute la région. Après sa mort, en
879, son fils homonyme poursuivit la même politique d’ex-
tension territoriale. À la faveur des raids vikings et de la
rivalité entre le roi Eudes et le prétendant carolingien, Charles
le Simple, Baudouin II soumit à son autorité toute la région
allant du Boulonnais et de la Canche jusqu’à l’Escaut. Dans
150 CHARLEMAGNE
La Normandie
En dépit des difficultés que connut le comté de Flandre
lorsque Arnulf II, le petit-fils d’Arnulf le Grand, lui succéda,
ce dernier et, surtout, les comtes du XIe siècles parvinrent à
faire de la Flandre un modèle de gouvernement. Ce fut aussi
le cas de la Normandie, dont le maître prit le titre de duc
sous les premiers Capétiens. La période qui précède fut moins
glorieuse : il s’agissait avant tout pour Rollon († 932) et pour
son fils, Guillaume Longue Épée († 942), d’imposer l’ordre
dans le territoire que Charles le Simple avait accordé à ces
Vikings probablement originaires de Norvège, pour pacifier
la région et barrer l’accès de Paris aux autres « Normands »,
dont certains groupes rivaux étaient implantés ailleurs sur la
côte de Neustrie. Cette notion de « territoire à conquérir »
s’applique tout particulièrement à la région de Caen, attribuée
au comte de Rouen par le roi Raoul. Par cette mesure, la
Normandie acquit très rapidement ses frontières presque défi-
nitives. À la mort de Guillaume Longue Épée, le roi Louis IV
tenta en vain de s’imposer au détriment du jeune Richard,
qui profita d’un très long gouvernement (il mourut en 996)
pour asseoir les bases de son pouvoir ; du temps de Lothaire,
ce prince était d’ailleurs désigné comme « marquis ».
LES DERNIERS CAROLINGIENS 151
L’Aquitaine et le Midi
Dans le sud du royaume, deux familles rivalisaient pour le
contrôle de l’Aquitaine : celle des descendants de Bernard de
Septimanie et celle des comtes de Poitiers, dont l’origine
remontait au comte Ramnulf, en place du temps de Charles
le Chauve, qui était lui-même fils du comte Gérard
d’Auvergne et d’une princesse carolingienne. Comme nous
l’avons vu, Bernard Plantevelue avait légué à son fils, Guil-
laume le Pieux (886-918), un pouvoir s’étendant sur de vastes
territoires, qui lui permit de prendre le titre de « duc des
Aquitains » : de fait, Guillaume régnait sur l’Auvergne, le
Berry, le Limousin, la Septimanie, le Lyonnais et le
Mâconnais ; il était aussi abbé de Saint-Julien de Brioude.
On lui doit la fondation de Cluny. Après avoir été successi-
vement exercé par deux neveux de Guillaume, le pouvoir
ducal passa aux mains de la famille comtale poitevine, qui
s’imposa vers le milieu du Xe siècle. Guillaume Tête d’Étoupe
(943-963) profita des incertitudes occasionnées par le décès
de Louis IV pour se faire reconnaître par l’aristocratie auver-
gnate. L’ost royal fut dirigé contre lui, mais la mort d’Hugues
le Grand, en 956, lui fut favorable : dès l’année suivante, il
était en mesure de s’affirmer « duc des Aquitains ». Ce titre
ne fut pas contesté à son fils, Guillaume Fier-à-Bras
(963-995).
Cluny
Du Blésois au Vermandois
Les Robertiens n’étaient pas les seuls à exercer le pouvoir
public en val de Loire. Ils trouvèrent en Thibaut le Tricheur
(vers 940-† 975) un important rival. Il était le fils du vicomte
de Tours, un vassal du marquis Robert, que ce dernier avait
aussi installé à Blois pour y exercer le pouvoir comtal en son
nom. Fidèle à Hugues le Grand, il profita de la vacance du
pouvoir qui suivit la mort du duc des Francs pour s’imposer
en Dunois et en Chartrain et exercer le pouvoir de manière
autonome, ce qu’exprime le titre qu’il adopta alors : « comte
par la volonté de Dieu ». Son successeur, Eudes, se montra
LES DERNIERS CAROLINGIENS 153
Le pouvoir châtelain
Le cas de Thibaut le Tricheur est exemplaire : il s’agit d’un
vicomte qui s’est émancipé et revendique pour lui-même les
droits qu’il exerçait à l’origine en vertu d’une délégation de
pouvoirs. Il est représentatif de l’évolution générale des ins-
titutions au cours du Xe siècle. Un facteur favorisa grandement
cet éclatement des pouvoirs : la multiplication des châteaux
et autres places fortes, des mottes en l’occurrence. L’érection
de fortifications avait été rendue nécessaire par les raids des
Vikings, mais aussi des Hongrois, vers la fin du IXe siècle et
au début du Xe siècle. Une fois la menace passée, on continua
d’élever des fortifications, qui servaient certes de lieux de
refuge en cas de danger, mais exprimaient aussi la puissance
du seigneur qui les avait fait élever. Une redistribution de
l’espace en fonction de ces châtellenies s’amorça alors :
désormais, le contrôle des populations et des territoires serait
conditionné par la possession d’un château. C’est ainsi que
l’ancienne viguerie de Chinon devint dès 973 la « viguerie
du château de Chinon » ou que la forteresse de Roucy, élevée
sous Louis IV, devint le siège d’un nouveau comté. C’est en
particulier par l’étude de ce phénomène de l’émergence du
pouvoir châtelain que l’on observe au mieux l’apparition du
Moyen Âge classique, caractérisé par la seigneurie banale.
Lothaire
Pour obtenir le couronnement de son fils, alors âgé de
treize ans, Gerberge ne s’était pas seulement tournée vers
Hugues le Grand, le mari de sa sœur Hadwige et surtout
l’homme le plus influent du royaume. Elle avait également
fait appel à Otton Ier, qui se fit représenter par leur frère
commun, Bruno, à la fois archevêque de Cologne et duc de
Lotharingie. Le sacre de Lothaire eut lieu le 12 novembre
954 à Saint-Remi de Reims, dans l’église où son père avait
été inhumé quelques jours plus tôt. Hugues le Grand fut
récompensé de la bonne volonté dont il avait fait preuve : il
reçut la Bourgogne et l’Aquitaine du nouveau roi, dont on
compromettait le pouvoir en l’amputant d’emblée. La mort
du duc, en 956, modifia la donne politique, car son héritier,
Hugues Capet, n’était lui aussi âgé que d’une quinzaine
d’années. Les décisions politiques furent un temps assumées
par Bruno, auquel Otton Ier avait confié la tutelle de ses deux
neveux, le roi et le Robertien. La mort de Bruno (en 965) et
celle de Gerberge (en 969) permirent à Lothaire de gouverner
seul. Il osa critiquer son oncle et entreprit même, en 978, un
raid contre Aix-la-Chapelle pour contester l’attribution par
Otton II du duché de Basse-Lotharingie à son frère Charles.
Le soutien de l’aristocratie, lors de la campagne punitive
organisée par l’empereur, montre que le royaume de Francie
occidentale avait alors retrouvé une certaine cohésion, en
dépit du morcellement de l’autorité publique en plusieurs
principautés.
Baudoin II
(† 918)
Maison de Flandre
Hugues Ier
comte du Maine
Maison du Maine
732 • Bataille de
Poitiers. Victoire de
Charles Martel sur
les Sarrasins
737 • Mort de
Thierry IV, seul roi
des Francs, sans
successeur
748 • Naissance de
Charlemagne
771 • Mort de
Carloman.
Charlemagne, seul
roi des Francs
772 • Expéditions de
Charlemagne
contre les Saxons
773-774 • Campagne de
Charlemagne
contre l’Espagne
lombarde
785 • Capitulation de
Widukind devant
les Francs.
Soumission de la
Saxe
789 • Admonitio
generalis, de
Charlemagne
792 • Conspiration de
Pépin le Bossu
814 • Mort de
Charlemagne.
Louis le Pieux lui
succède.
819 • Remariage de
Louis le Pieux avec
Judith
822 • Pénitence
d’Attigny de Louis
le Pieux
848 • Condamnation de
Gottschalk à
Mayence
878 • Première
installation des
Danois en
Angleterre
922 • Robert de
Neustrie couronné
roi
• Mort de Richard
de Bourgogne. Son
fils Raoul lui
succède