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Pourquoi il est grand temps de


quitter les villes
Publié: 19 janvier 2023, 12:48 CET

auteur

Guillaume Faburel
Professeur, chercheur à l'UMR
Triangle, Université Lumière Lyon
2

Déclaration d’intérêts

Guillaume Faburel ne travaille pas, ne


conseille pas, ne possède pas de parts, ne
reçoit pas de fonds d'une organisation qui
pourrait tirer profit de cet article, et n'a
déclaré aucune autre affiliation que son
organisme de recherche.

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En 2022 à Saint-Denis, sur le chantier du futur village des athlètes des JO de 2024. FRANCK FIFE/AFP

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le pas, le géographe Guillaume Faburel nous invite à considérer le
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débranchement urbain dans son texte « Vider les villes ? », dont nous
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vous proposons des extraits. Retrouvez cette réflexion et bien d’autres
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Vider les villes ? Voilà bien a priori une hérésie. La ville, c’est le gratuitement, sur papier
progrès et l’émancipation. Tous les grands moments de notre ou en ligne, en utilisant
notre licence Creative
civilisation y sont chevillés, des cités-États aux villes-monde et Commons.
métropoles d’aujourd’hui. Pourquoi diable vouloir les vider ?
Republier cet article
Simplement parce que tous les mois à travers le monde
l’équivalent d’une ville comme New York sort de terre. À moins
de croire dans le solutionnisme technologique et le durabilisme
des transitions, il est temps de rouvrir une option envisagée dès
les années 1970 : la désurbanisation de nos sociétés. Voici peut-
être l’unique solution face à la dévastation écologique. Un seul
« s » sépare demeure et démesure, celui de notre propre survie.

Aujourd’hui, 58 % de la population mondiale est urbaine, soit


près de 4,4 milliards d’habitants (dont presque 40 % résidant aux
États-Unis, en Europe et en Chine), contre 751 millions en 1950.
Cette proportion est même annoncée à 70 % en 2050 par
l’Organisation des Nations unies (ONU).

[…]

Avec plus de vingt millions d’habitants, Mumbaï a vu sa


superficie bâtie presque doubler entre 1991 et 2018, perdant ainsi
40 % de son couvert végétal. Dhaka, dont la population de
l’agglomération excède aussi vingt millions d’habitants, a vu
disparaître 55 % des zones cultivées, 47 % des zones humides et
38 % du couvert végétal entre 1960 et 2005. Pendant que la
superficie bâtie augmentait de 134 %.

Vue aérienne de Dacca, capitale du Bangladesh, la ville la plus densément peuplée au monde, avec 43 797 habitants au
km carré. Elle manque d’espaces verts et l’air y est irrespirable pour ses 15 millions d’habitants. Shutterstock

Plus près de nous, le Grand Paris est le chantier d’aménagement


le plus important de l’histoire de la capitale depuis le Second
Empire (XIXe siècle), avec pas moins de deux cents kilomètres de
lignes de métro supplémentaires, cent soixante kilomètres de
tunnels à percer, soixante-huit gares à construire, quatre-vingt
mille logements par an à sortir de terre.

En France d’ailleurs, la population urbaine a augmenté de 20 %


entre 1960 et 2018, pour officiellement dépasser les 80 % de la
population hexagonale en 2020, ramenés toutefois à 67 % en ne
tenant plus uniquement compte de l’influence des villes mais
aussi de la taille des peuplements (critère de densité des
constructions). Près de la moitié vit dans l’une des vingt-deux
grandes villes (dont quatre millionnaires en nombre d’habitants),
à ce jour officiellement dénommées métropoles. Et, depuis ces
centres métropolitains jusqu’aux couronnes périurbaines,
comme dans un bon tiers des périmètres de villes moyennes et
d’inter-communalités (elles-mêmes grossissantes par
volontarisme réglementaire), l’urbanisation croît deux fois plus
vite en surface qu’en population (et même trois fois dans les
années 1990, soit annuellement la taille de Marseille, un
département tous les dix ans, la Région Provence-Alpes-Côte
d’Azur en cinquante ans).

La métropolisation du monde
Les foyers premiers ainsi que le modèle principal de cette
croissance sont assurés par les grandes agglomérations, au
premier chef les sept villes-monde (New York, Hongkong,
Londres, Paris, Tokyo, Singapour et Séoul) et leurs épigones, cent
vingt métropoles internationales. Elles représentent en cumul
12 % de la population mondiale pour 48 % du Produit Intérieur
Brut (PIB) mondial. Il y a donc du capital à fixer et de la
« richesse » à produire… À condition de continuer à grossir.
Tokyo a déjà un PIB supérieur à celui du Canada, Paris à celui de
la Suisse…

Engagée depuis une quarantaine d’années dans les pays


occidentaux, la métropolisation représente le stade néolibéral de
l’économie mondialisée : polarisation urbaine des nouvelles
activités dites postindustrielles et conversion rapide des pouvoirs
métropolitains aux logiques de firme marchande.

Elle incarne l’avantage acquis ces dernières décennies par les


grandes villes : articulation des fonctions de commandement
(ex : directions d’entreprises) et de communication (ex :
aéroports, interconnexions ferroviaires, etc.), polarisation des
marchés financiers (ex : places boursières et organismes
bancaires), des marchés d’emplois de « haut niveau » – que
l’Insee qualifie de métropolitains depuis 2002 (conception-
recherche et prestations intellectuelles, commerce
interentreprises et gestion managériale, culture et loisirs) ou
encore de marchés segmentés de consommation (tourisme, art,
technologies…).

[…]

Une empreinte environnementale et sanitaire


déplorable
Or, occupant seulement 2 % de la surface de la Terre, le fait
urbain décrit produit 70 % des déchets, émet 75 % des émissions
de gaz à effet de serre (GES), consomme 78 % de l’énergie et émet
plus 90 % de l’ensemble des polluants émis dans l’air pour,
souvenons-nous, 58 % de la population mondiale.

Pour les seuls GES, vingt-cinq des cent soixante-sept plus


grandes villes du monde sont responsables de près de la moitié
des émissions urbaines de CO2 – la fabrication du ciment
représentant près de 10 % des émissions mondiales, en
augmentation de 80 % en dix ans. À ce jour, 40 % de la population
urbaine mondiale vit dans des villes où l’exposition à la chaleur
extrême a triplé sur les trente-cinq dernières années.

À lire aussi : Canicule et urbanisme : arrêtons de densifier nos


villes !

Plusieurs mégapoles s’enfoncent annuellement de plusieurs


centimètres sous le poids de la densité des matériaux de
construction et du pompage des nappes phréatiques (Mexico,
Téhéran, Nairobi, Djakarta…). La prévalence des maladies dites de
civilisation est nettement plus importante dans les grandes villes,
responsables de quarante et un millions de décès annuels à
travers le monde (cancers, maladies cardiovasculaires et
pulmonaires, diabète et obésité, troubles psychiques et maladies
mentales).

Enfin, selon le Fonds monétaire international, à l’horizon de la


fin du siècle, 74 % de la population mondiale (annoncée en 2100
urbaine à 80 %) vivra des canicules mortelles plus de vingt jours
par an. Un point de comparaison : la canicule de 2003 en France,
15 000 morts, en dix-huit jours. D’ailleurs, en France, les
pollutions atmosphériques des grandes villes sont responsables
de 50 000 morts annuellement.

Le secteur du bâtiment-travaux publics (BTP), toutes


constructions confondues (mais à 90 % dans les aires définies
comme urbaines), représente 46 % de la consommation
énergétique, 40 % de notre production de déchets et 25 % des
émissions de GES. L’autonomie alimentaire des cent premières
villes est de trois jours (98 % d’alimentation importée) et Paris,
par tous ses hectares nécessaires, a une empreinte écologique
trois cent treize fois plus lourde que sa propre superficie.

[…]

Si l’on croise les données de nos impacts écologiques avec celles


des limites planétaires, on constate que l’empreinte moyenne de
chaque Français va devoir être divisée par quatre à six pour
prétendre à la neutralité carbone à horizon de 2050. Pour ce
faire, loin du technosolutionnisme ambiant et du durabilisme du
verdissement, l’autonomie, comprise comme autosubsistance et
autogestion, est le seul moyen de se figurer l’ensemble de nos
pressions et de les contenir par l’autodétermination des besoins,
au plus près des ressources et de leurs écosystèmes. Ceci, sans
pour autant négliger nos interdépendances sociales et quelques-
unes de nos libertés.

Une pancarte sur une statue indique « Grand Péril Express » à côté d’un drapeau du mouvement Extinction-Rebellion lors
d’une manifestation contre les projets d’urbanisation des terres agricoles en Île-de-France, devant l’Hôtel de Ville de
Paris, le 10 octobre 2021. Thomas Samson/AFP

Or pour faire autonomie, toute ville devrait produire 100 % de


son énergie, qui plus est renouvelable (or, à ce jour, Lyon et
Bordeaux n’en produisent par exemple que 7 % à 8 % à Bordeaux,
non renouvelables), remettre en pleine terre entre 50 % et 60 %
des sols pour la production vivrière et le respect du cycle de l’eau
(à ce jour, entre 1 % et 1,5 % dans les villes labellisées Métropoles
françaises), ou encore restituer aux écosystèmes au moins 15 %
des sols urbanisés pour la biodiversité. Tout ceci est infaisable
morphologiquement et, quoi qu’il en soit, impensable dans le
cadre d’une ville devenue médiation première du capital.

Nous n’avons en fait pas d’autre choix que de nous affranchir des
grandes centralités et de leurs polarités, comme certains espaces
périurbains commencent à le faire ; en déconcentrant et en
relocalisant, en décentralisant, sans omettre de décoloniser
quelques habitudes et modes de vie.

Mais comment passer de l’ère de taire l’inconséquence de nos


écologies urbaines à l’âge du faire des géographies posturbaines,
sans pour autant rétrécir la société par le jeu des identités et le
retour de quelques barbelés ? Quelles sont les conditions d’une
désurbanisation sans perte d’altérité, et sans oublier cette fois la
communauté biotique ?

Bientôt, le débranchement urbain ?


Cette autre géographie est d’ores et déjà en construction, à bas
bruit. Les espaces plus ouverts, ceux des campagnes, offrent
d’autres possibilités, sous condition de révision de quelques
comportements, particulièrement ceux liés à nos mobilités,
connectivités et divertissements. En France, cela correspond au
foisonnement d’alternatives au sein des espaces dessinés par les
treize mille petites villes et petites villes de proximité, bourgs et
villages centre, auxquels il faut ajouter les milliers d’autres
villages, hameaux et lieux-dit : néoruralités qui connaissent leur
septième vague d’installation, néopaysanneries dynamiques,
zones à défendre, communautés existentielles/intentionnelles,
écolieux et fermes sociales…

À lire aussi : Vers un tournant rural en France ?

Permaculture et autosubsistance vivrière, chantiers participatifs


et autoconstruction bioclimatique, épiceries sociales ambulantes
et médiathèques villageoises itinérantes, fêtes locales et savoirs
vernaculaires… sont clairement ici en ligne de mire. Et l’on
pourrait imaginer des foires locales aux logements, puisque près
de trois millions sont vacants dans les périphéries, alors que ce
secteur est prétendument en crise. Et, toute cette effervescence
ne concerne pas moins de 30 % du territoire hexagonal.

Là serait la raison du débranchement urbain : cesser d’être les


agents involontaires des méga-machines urbaines en recouvrant
de la puissance d’agir, non plus pour faire masse contre la nature
mais pour faire corps avec le vivant. Le triptyque habiter la terre,
coopérer par le faire, autogérer de manière solidaire peut
constituer la matrice d’une société écologique posturbaine. À
condition de vider les villes, les grandes, et de cheminer enfin
vers le suffisant.

 pollution urbanisation villes déchets empreinte environnementale

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Jennifer Gallé
Cheffe de rubrique Environnement + Énergie

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