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L'Aquila of the future: strategies, spatialities and sociabilities of a post-quake city View project
The Evolution of Segregation in Large Italian Metropolises, since 1991 View project
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Espaces bâtis et
bâtisseurs de lieux
Usages de l'espace urbain en une unité paysagère de
grands ensembles. Le cas du centre-ville de Saint-Priest.
Mémoire de Master 2
Directrice : Christiane Weber
Co-directrice : Laurence Florentino-Granchamp
Tutrice de stage : Léa Marchand
Étudiant : Matteo Del Fabbro
A.A. 2011/2012
UNIVERSITÉ DE STRASBOURG
FACULTÉ DE GÉOGRAPHIE
Master Géographie Environnementale – spécialité Systèmes géographiques et environnements
Espaces bâtis et
bâtisseurs de lieux
Usages de l'espace urbain en une unité paysagère de
grands ensembles. Le cas du centre-ville de Saint-Priest.
Mémoire de Master 2
Directrice : Christiane Weber
Co-directrice : Laurence Florentino-Granchamp
Tutrice de stage : Léa Marchand
Étudiant : Matteo Del Fabbro
A.A 2011/2012
Image de couverture
En arrière-plan, des balayeurs sont en train de terminer le nettoyage après le marché et le camion vert
derrière l'arbre est là pour la même raison. Sur la droite, le fourgon « Yamaha » est en train de livrer
des nouveaux exemplaires au magasin de motos qui se trouve en dehors du cadre, à droite. Après le
départ des forains, les premières voitures sont venues se garer sur le parking, qui reste toutefois
relativement dégagé. Les hommes en premier plan, en train de discuter autour d'un banc et sous
l'ombre d'un arbre, profitent de cet espace temporairement libéré des voitures. La discussion sous un
arbre est une scène universelle. L'arbre est un symbole du rattachement des personnes au lieu, de
l'enracinement des hommes dans un espace. Un arbre a, en effet, besoin de temps pour croître et
s'épanouir, il est donc le signe vivant que des personnes ont investi ce lieu, dans la durée. En
échange, avec son feuillage il offre aux hommes la possibilité de se poser et parler à l'abri du soleil et
donc de se sentir un peu plus « chez soi ».
Place Salengro à Saint-Priest, mardi 15 mai 2012 à 14h environ. Auteur : Matteo Del Fabbro.
Introduction..............................................................................................5
1. Le cadre théorique..............................................................................9
1.1 Le projet suivi pendant stage : « Visions de ville ».....................................................9
1.2 La problématique : l'amélioration des conditions de vie en milieu urbain...........11
1.3 Les apports de l'anthropologie à un urbanisme nouveau........................................17
2. La zone d'étude.................................................................................23
2.1 Cadre historique-géographique : trajectoire d'un quartier......................................23
2.2 Cadre social.....................................................................................................................30
2.3 Unités paysagères urbaines..........................................................................................34
3. La méthodologie...............................................................................40
3.1 Les contraintes de notre recherche..............................................................................40
3.2 Définition de l'objet d'étude..........................................................................................40
3.3 Formulation des hypothèses.........................................................................................44
3.4 Les techniques d'enquête .............................................................................................46
3.5 L'échantillonnage ..........................................................................................................52
4. Le terrain............................................................................................55
4.1 Place Molière ..................................................................................................................55
4.2 Square Monnet ...............................................................................................................56
4.3 Place Ottina (Hôtel de Ville) ........................................................................................58
4.4 La promenade du samedi après-midi ........................................................................58
5. Les résultats.......................................................................................59
5.1 Grille d’analyse des données d'observation...............................................................59
5.2 Tableaux récapitulatifs de la relation entre individus et lieux observés................64
5.3 Cartographie des relations entre individus et lieux observés.................................65
5.4 Interprétation des résultats obtenus............................................................................66
Conclusion..............................................................................................69
Sources.....................................................................................................73
Bibliographie .........................................................................................................................73
Autres sources........................................................................................................................76
Annexes...................................................................................................77
How many roads must a man walk down
Before you call him a man ?
Le cadre de recherche dans lequel se pose ce travail est celui du droit à la ville. Avec
« droit à la ville », nous entendons la possibilité effective d'accès, de part de tout citadin, à un
cadre de vie de qualité, en termes matériels et spirituels. Dire droit à la ville, par ailleurs, c'est
dire droit de citoyenneté. Cela nous est éclairci par l'analyse étymologique des termes « ville » et
« cité ». Si le premier vient du latin « villa », c'est-à-dire l'habitation de campagne avec ses
annexes, le deuxième est issu de « civitas » qui, au sens propre, indique l'ensemble des « cives »,
soit les individus jouissant des droits civiques et politiques. Cela nous montre la profondeur des
liens entre dimension urbaine et démocratie.
Les enjeux liés à la qualité de vie en ville sont aujourd'hui sur le devant de la scène pour
1
Pour une approche de la cognition spatiale intra-urbaine , Cybergeo : European Journal of Geography, mis en
ligne le 27 janvier 1999. URL : http://cybergeo.revues.org/5043.
2
Le droit à la ville, Anthropos, Paris, 1968, p. 155.
5
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux Introduction
des millions de personnes sur toute la planète. Le questionnement théorique et pratique des
moyens mis en place pour répondre aux besoins de ces populations se renouvelle et se décline
suivant les formes urbaines locales. Les conflits urbains nous évoquent une difficulté croissante
des outils traditionnels de gestion urbaine. Nous n'avons pas encore de nouveaux outils pour les
remplacer, toutefois les efforts pour aller dans cette direction créative et novatrice ne manquent
pas et ce travail a l'ambition de s'inscrire dans cette direction.
La voie tracée, depuis au moins deux décennies, pour reformer les pratiques
traditionnelles d'aménagement, est double. D'un côté, on propose qu'une véritable « science de
la ville » se définisse à la hauteur des habitants. L'hypothèse sous-jacente est que les habitants
sont doués de connaissances et compétences 3 qui leur permettent d'aménager l'espace selon
leurs besoins. Il s'agit de la capacité d'une communauté à façonner son espace de vie selon une
logique précise et efficace, ce qui engendre à la fois la production physique de bâtiments et une
identité urbaine partagée. D'un autre coté, l'innovation est liée au concept de « participation ».
Se positionner du point de vue des habitants, cela veut dire leur donner la possibilité de choisir
le futur de leur quartier ou leur ville. Cette idée s'est traduite par la mise en œuvre de nombreux
outils de « démocratie participative », qui doivent toutefois faire face à un risque majeur: celui
de l'échec dû à l'arbitrage final des élus. Même si cette considération restera dans l'arrière-plan
de notre travail, car elle relève plutôt des sciences politiques, nous partageons l'idée qu'un
travail d'ingénierie politique est nécessaire, pour rééquilibrer les pouvoirs entre élus,
techniciens et population 4. Ce double positionnement attribue donc aux habitants d'un lieu la
capacité d'apporter des solutions pour l'aménagement de leur territoire et également la capacité
de donner une plus grande légitimité aux choix, grâce à un partage du processus décisionnel.
Les moyens aptes à saisir ces connaissances et compétences « habitantes » revêtent ainsi un
rôle central dans le développement de pratiques novatrices. L'idée que nous voulons développer
est qu'une approche anthropologique du phénomène urbain puisse améliorer la compréhension
des besoins et des attentes des habitants/usagers/citoyens. Cette idée est issue du constat que
l'anthropologie se base sur les représentations et le point de vue des groupes enquêtés pour
construire son savoir. Cette attitude méthodologique nous semblait approchable à celle des
pratiques de « participation », qui visent à saisir les attentes, exigences, besoins des
habitants/usagers par rapport aux projets urbains. Comment ces deux démarches – celle de la
recherche ethnographique et celle de la participation – peuvent-elles dialoguer? La visée de ce
travail est de répondre à cette question, à travers l’expérimentation sur un cas concret.
L'hypothèse est qu'une approche ethnographique peut améliorer les démarches de participation.
L'anthropologie a été définie « science de l'écoute et de la traduction » et en tant que telle, ne
peut-elle pas avoir un rôle actif dans les procès d'aménagement urbain, où la pluralité des
acteurs, des points de vue et des voix est l'une des caractéristiques principales ? Quel espace
peut-elle trouver ? Quels avantages peut-elle amener ? C'est ce type de questions que nous nous
sommes posé au début de notre étude.
Une piste pour préciser ultérieurement notre problème de recherche nous a été fournie
par l'article cité en exergue, où Colette Cauvin décrit une recherche menée sur la ville de
3
On fait référence aux concepts de « expertise habitante » ou de « mente locale », ce dernier proposé par
l'anthropologue italien Franco La Cecla.
4
Voir à ce sujet Michel Callon, Yannick Barthes et Pierre Lascoumes, Agir dans un monde incertain. Essai sur la
démocratie technique, Seuil, Paris, 2001.
6
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux Introduction
Strasbourg. Une fois indiquées les trois opérations (identification, localisation et description)
nécessaires à se former une « image de la ville », elle explique comme les deux premières
opérations peuvent être efficacement analysées par des techniques quantitatives 5, mais lorsqu'il
s'agit de traiter les données de description Cauvin se trouve face à « une foule d'informations »,
difficilement traitables avec des procédés statistiques. Dans un article successif 6, elle confirme
ses difficultés : « it is quite difficult to propose a precise protocol to study the descriptions ».
Nous pouvons affirmer que le moteur principal de ce mémoire, pourrait être vu comme une
tentative de contribuer à dépasser cet obstacle. Autrement dit, est-ce que l'anthropologie peut
fournir des techniques et des méthodes de recherche capables d'offrir un traitement scientifique
des « pratiques habitantes » et de la « parole habitante » ?
Il s'agit de combiner des questions déjà largement abordées, mais d'une façon originale.
L'anthropologie urbaine d'un coté possède une tradition non négligeable. Les démarches dites
« participatives », elles, comptent une bibliographie immense et un nombre également
important d'exemples concrets. Mais une combinaison de ces deux champs est assez rare et ici
demeure l'intérêt de notre travail. Concernant les travaux de recherche en anthropologie, nous
avons deux références principales : la première, un ouvrage paru en 2008 et coordonné par
Amalia Signorelli et Costanza Caniglia Rispoli, respectivement professeure d'anthropologie
culturelle et urbaniste de l'Université de Naples « Federico II », résume et met au point le travail
mené pendant dix ans dans un séminaire interdisciplinaire. L'autre, publié en 2011 et
coordonné par Federico Scarpelli et Angelo Romano, chercheurs en anthropologie urbaine à
l'Université de Rome « La Sapienza », est un ouvrage collectif comprenant des contributions de
anthropologues, urbanistes et géographes. Concernant les démarches participatives, nous avons
fait référence à celles mises en place par Robins des Villes, l'organisme auprès duquel nous
avons effectué notre stage de fin d'études. Pour cette raison nous présenterons dans la suite la
méthodologie utilisée par l'association et les principes sur lesquels elle s'appuie.
Les apports de l'approche ethnographique aux démarches Robins des Villes ont pris deux
formes différentes. D'une part, nous avons proposé et développé avec les collègues des outils de
recueil de la parole habitante issus de travaux de recherche. Notamment, il s'agit des cartes
mentales et de l'usage de la photographie comme support pour mener une interview. Ces outils
ont été appliqués directement, lors d'un des ateliers avec les habitants 7. Mais nous nous sommes
concentrés davantage sur la réalisation d'une étude d'ethnographie de l'espace du territoire
concerné par la mission de stage. Ainsi, à la fin de notre étude, nous avons pu envisager les
contributions que notre approche pourrait apporter aux démarches Robins des Villes. Le
mémoire se développe ainsi sur deux niveaux, méthodologique et thématique, car pour
répondre à cette question méthodologique, nous sommes passés à travers un cas particulier, où
nous avons dû préciser une méthodologie, une problématique et une hypothèse. Les chapitres
qui suivent illustrent les étapes de cette étude de cas, tandis que les réponses aux questions
méthodologiques sont contenues dans la conclusion générale, en symétrie avec l'introduction
générale.
5
Notamment un traitement statistique pour l'identification et un procédé cartographique de régression
bidimensionnelle pour la localisation.
6
Colette Cauvin, Cognitive and cartographic representations : towards a comprehensive approach , Cybergeo :
European Journal of Geography, mis en ligne le 15 janvier 2002. URL : http://cybergeo.revues.org/194.
7
Le développement de ces outils ne rentre pas dans notre sujet de recherche, c'est pourquoi nous nous limitons à
fournir un exemple en annexe.
7
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux Introduction
Dans le chapitre 1 nous présentons les enjeux du projet suivi pendant le stage et procédons
à sa problématisation, en fournissant un cadre théorique de référence. Le chapitre 2 est consacré
à la présentation du territoire étudié, d'un point de vue historico-géographique, social et
paysager, afin d'éclaircir le contexte spécifique de la recherche. Cette approche préalable au
terrain nous a permis aussi de délimiter le périmètre d'étude. La partie méthodologique est
contenue dans le chapitre 3, où nous définissons l'objet d'étude, formulons les hypothèses,
présentons les techniques et outils de recueil des données et les critères d’échantillonnage. Le
chapitre 4 contient un extrait des séances de terrain, l'intégralité des données exploitées étant
fournie en annexe. L'analyse des résultats obtenus et leur interprétation, par rapport aux
hypothèses, concluent notre étude d'ethnographie de l'espace, dans le chapitre 5. Dans la
conclusion générale, nous reprenons les hypothèses méthodologiques formulées dans
l'introduction et procédons à indiquer des pistes de réponse, en faisant référence à notre
recherche de terrain.
Nous sommes conscients que la démarche relative à ces hypothèses méthodologiques est
incomplète, car il manque une comparaison analytique entre l'approche ethnographique et la
méthodologie Robins des Villes, ce qui n'a pas été possible vu le temps et les ressources à notre
disposition. Nous croyons, par contre, que l'étude de cas des chapitres 1-5 possède la rigueur
scientifique qui est demandée pour un mémoire de fin d'études. Nous aurions pu, donc, limiter
notre travail à cette partie, en ne considérant que les aspects « thématiques ». Cependant, nous
avons choisi de maintenir les questions méthodologiques, en début et fin de mémoire, comme
cadre élargi de cette étude de cas. En premier lieu, parce que l'effort de mettre au point une
approche ethnographique et de construire des références théoriques (qui ont mis en dialogues
des productions académiques italiennes et françaises 8), était motivé à la base par ces questions
méthodologiques. En conséquence, maintenir ce cadre plus vaste offre des pistes de recherche
ou d'application ultérieures, pour l'organisme de stage, qui a la possibilité de prendre en compte
les conclusions de notre travail pour expérimenter des nouvelles méthodologies d'actions.
8
Toutes les traductions de l'italien d'ouvrages non publiés en France sont de l'auteur.
8
1. Le cadre théorique
9
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 1. Le cadre théorique
Pour problématiser le projet sur lequel nous avons été investis pendant le stage et le
rendre ainsi un sujet de recherche, nous allons développer dans les pages suivantes un cadrage
théorique sur les enjeux de la participation et un état des lieux sur les apports de l'anthropologie
à l'urbanisme.
10
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 1. Le cadre théorique
1
Jodelle Zetlaoui-Léger, Fondements historiques et sociologiques de la concertation , texte de la conférence tenue
à la formation Robins des Villes, Lyon, 19 mars 2012.
2
Costanza Caniglia Rispoli, Amalia Signorelli (sous la dir. de), La ricerca interdisciplinare tra antropolgia urbana
e urbanistica, Guerini, Milano, 2008, pp. 11-12.
11
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 1. Le cadre théorique
pratiquent, le vivent et l’animent. Bien que souvent non formulée, cette expertise semble
essentielle à l’aménageur, afin que les transformations apportées par les projets urbains soient le
mieux à même d’intégrer les réalités du territoire et de répondre aux attentes et besoins de ses
habitants »3. Le deuxième volet de ce postulat porte sur les processus politiques de prise de
décision, où l'on suppose l'existence de « ce que les auteurs appellent une « crise de la
représentativité », qui nécessite de trouver des formes de partage du pouvoir »4.
Il est nécessaire d'expliciter quelques concepts cachés derrière l'expression « expertise
habitante ». Le premier porte sur l'opposition de ce terme avec la façon des professionnels de
regarder la ville. L'approche de l'urbanisme traditionnel est en effet surtout quantitatif, visé à
apporter des solutions standardisées à un public plus ou moins standardisé. L'approche basé sur
l'expertise habitante valorise au contraire une connaissance de la ville qualitative et sensible, qui
prend en compte les perceptions, les expériences, les valeurs personnelles ou collectives.
Le second point à clarifier est relatif au type d'expertise que l'on peut avoir d'un espace :
celle-ci peut être au moins cognitive (reconnaissance d'un lieu et capacité de s'orienter),
fonctionnelle (connaissance des différentes activités que l'on peut mener dans différents lieux)
ou émotionnelle (connaissance d'un lieu selon les sensations qu'il suscite). La « révolution
copernicienne » d'une approche intégrant l'expertise habitante consiste justement dans la
valorisation aux fins de l'aménagement de ce type de connaissances, traditionnellement
retenues comme incapables de donner des indications à l'aménagement car « non scientifiques ».
Selon ce postulat, la question « comment les conditions de vie en milieu urbain peuvent
être améliorées ? » peut se traduire donc de la façon suivante : « comment peut-on faire émerger
l'expertise habitante relative aux lieux et comment peut-on efficacement partager les prises de
décision ? ». La deuxième partie de la question (« comment partager les prises de décision »)
introduit le sujet de la démocratie participative, qui a fait couler beaucoup d'encre et où il n'est
point facile de s'orienter parmi les définitions, les expériences et les théorisations. Nous avons
choisi d'adopter les références théoriques et la méthodologie utilisées par Robins des Villes.
Nous allons donc les présenter, en proposant deux documents.
3
Fabien Bressan, La concertation dans les projets d'aménagement , Vad. Centre d'échanges et de ressources pour
la qualité environnementale des bâtiments et des aménagements en Rhône-Alpes, juin 2007.
4
Ibidem.
12
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 1. Le cadre théorique
1.2.2.1 DOC 1. Les différents niveaux d'implication des habitants dans les
projets urbains5
L’information
Porter à la connaissance de tous les différentes données et décisions relatives à
un projet. L’information peut prendre différentes formes et supports (diffusion
par la presse locale, expositions, site Internet etc.). Elle peut être diffusée par tout
type d’acteur impliqué dans un projet. L’information est à distinguer de la
« communication » qui relève d’une stratégie de diffusion de l’information.
La consultation
Ayant arrêté tout ou partie d’un projet, le maître d'ouvrage demande un avis aux
habitants. Le citoyen peut ainsi éclairer le décideur avant une décision. Ce
dernier n'est toutefois pas obligé de suivre cet avis. Ainsi, certaines consultations,
sous la forme d'enquêtes publiques, ont été rendues obligatoires par la loi, mais
elles interviennent généralement alors que le projet est déjà très avancé ; c'est
pourquoi, le seul recours pour les citoyens de remettre en question un projet,
devient de type juridique. Les réunions publiques sont souvent des moments
d’information, de communication et de consultation. Les référendums d’initiative
municipale ou populaire mais sous certaines conditions : ce sont des modes de
consultation, ils n’ont pas une valeur exécutoire en France.
La concertation
La concertation est un processus de discussion organisé entre un ou des groupes
de personnes qui produisent des propositions contribuant directement à la
définition d’un point de vue et d’une action. L’autorité administrativement ‐
politiquement compétente choisit en général ses interlocuteurs, et garde le
monopole de la décision. Pendant longtemps, dans le cadre de la planification
urbaine la concertation s'est caractérisée par l'examen de projets entre
représentants d'institutions, d’organismes officiels (élus, décideurs économiques,
techniciens, experts) : il s'agissait donc d'une concertation politico‐
administrative et technique. Un degré d'ouverture supplémentaire est
aujourd'hui atteint lorsque des habitants, membres ou non d'associations, sont
associés à ces groupes de réflexion. Ce]e implication peut leur donner la
possibilité d'influencer les caractéristiques du projet, en amont voire tout au long
du processus, avant que les éléments de projet ne soient définis par les
techniciens et que des décisions ne soient prises par la maîtrise d'ouvrage.
Lorsque des groupes d'habitants travaillent directement avec des techniciens, à la
définition du projet, on peut dire que la concertation s'apparente à une forme de
"coproduction faible".
La participation
Terme générique pour désigner l’implication des habitants dans la gestion des
affaires de la Cité.
Acception forte : permettre l'implication de tous les habitants concernés et qui
en expriment le souhait ‐ quitte à ce qu’il y ait un tirage au sort si le nombre de
personnes concernées est important ‐ , à tous les stades d'élaboration d'un projet,
pour en définir le contenu et‐ou prendre des décisions qui concernent l'évolution
de celui‐ci, et‐ou en assurer la gestion.
5
Jodelle Zetlaoui-Léger, op. cit.
13
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 1. Le cadre théorique
La coproduction
Les habitants contribuent à la réalisation des projets. Ils ne se contentent pas de
faire des propositions dont disposent ensuite les techniciens (programmistes,
concepteurs) pour définir les éléments de projet, mais ils collaborent plus
directement avec ces derniers.
Codécision, cogestion
Les élus partagent une partie de leur pouvoir de décision avec les habitants. Ils
acceptent de négocier avec ces derniers pour prendre une décision. La pratique
des "enveloppes "budgétaires de quartier" permet à des instances participatives
de quartier de décider librement de l'utilisation d'une partie modeste de l'argent
public, au profit de petits aménagements ou de travaux de voisinage. Les élus
s'engagent à légaliser le choix des habitants, en acceptant sans modification, les
dépenses décidées par l'instance de quartier.
Démocratie directe, autogestion autoconstruction
Les habitants, utilisateurs, usagers décident eux‐mêmes des projets, voire les
réalisent également. Ils s'auto‐administrent directement.
6
Fabien Bressan, La participation des habitants dans les projets urbains , revue de l'école d'architecture de
Bruxelles La Cambre, en cours de publication.
14
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 1. Le cadre théorique
15
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 1. Le cadre théorique
- Le deuxième atelier repartira sur la base de ces propositions. Mises par écrit par
Robins des Villes entre les deux ateliers, il s’agira de les traduire spatialement. On
va donc utiliser les outils de représentation dont se servent les professionnels :
plans et / ou maquettes. Chaque proposition va être positionnée, argumentée,
débattue, afin d’aboutir à une proposition d’aménagement commune.
Néanmoins, le but n’est pas d’arriver à tout prix au consensus. Si une proposition
unique n’émerge pas, il pourra être proposé plusieurs scénarii, la seule règle étant
que les participants acceptent alors que la maîtrise d’ouvrage fasse un choix et
que celui-ci devra être respecté.
- Le troisième atelier consistera à finaliser et valider le ou les documents. Par
exemple, des photos de références seront adjointes au plan. C'est également un
dernier temps de débat entre les participants, qui peut se finir par un temps
convivial et l’annonce du calendrier de validation.
Le résultat fourni se présente sous la forme de documents écrits descriptifs,
illustrés de visuels réalisés avec les participants (plans, maquettes, photos…) et
qui contribuent à l’établissement du cahier des charges technique
d’aménagement. Ce dernier document est ensuite validé politiquement et
techniquement par la maîtrise d’ouvrage avant d’être présenté sous sa forme
finale (explication des choix retenus ou non, chiffrage exact, échéancier de
réalisation…) aux habitants pour une dernière validation.
16
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux
l’élaboration et à la mise en œuvre des aménagements urbains dans les instances administratives,
la fin du vingtième siècle voit se développer la notion de gouvernance participative, où le
citoyen/habitant/usager lui-même s’implique dans la production voire la gestion de son
environnement »3. Toutefois l'affirmation de cette nouvelle façon de gérer le territoire ne
dépend pas que de son efficacité, mais aussi de l'acceptation du paradigme scientifique sous-
jacent ; et cela dépend en partie du contexte général de la société, des pouvoirs économiques et
politiques en jeu. Nous précisons que nous considérons ces éléments de contexte comme des
conditions nécessaires et non suffisantes à l'affirmation d'un nouveau modèle de gestion du
territoire.
Nous allons donc détailler comment le paradigme « complexe » s'est décliné dans la pensée
urbanistiques, en présentant certains auteurs qui ont proposé une approche alternative au
couple élu/professionnel.
Si l'on définit la réalité urbaine par la dépendance vis à vis du centre, les banlieues sont
urbaines. Si on définit l'ordre urbain par un rapport perceptibles (lisible) entre la
centralité et la périphérie, les banlieues sont désurbanisées. Et l'on peut dire que la
3
Fabien Bressan (2007), op. cit.
4
Citée par Alberto Sobrero, I'll teach you differences , in Federico Scarpelli et Angelo Romano (sous la dir. de),
Voci della città, Carocci, Roma, 2011, p. 42.
5
Colette Cauvin (1999), op. cit.
6
Laurence Costes, Le Droit à la ville de Henri Lefebvre : quel héritage politique et scientifique ? , Espaces et
sociétés, 2010/1 n° 140-141, p. 177-191. DOI : 10.3917/esp.140.0177.
18
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux
« pensée urbanistiques » des grands ensembles s'est littéralement acharnée sur la ville
et l'urbain pour les extirper. Toute la réalité urbaine perceptible (lisible) a disparu :
rues, places, monuments, espaces de rencontre7.
Ces mots s'adaptent extrêmement bien à notre cas d'étude et pour cette raison nous nous
permettons une brève divagation, en anticipant le contenu des prochains chapitres 8. Notre
hypothèse est que ce n'est pas l'urbain tout court à être disparu, mais plutôt une forme de
l'urbain, notamment celle historiquement développée en Europe de l'antiquité jusqu'à la
révolution industrielle. La forme des villes modernes, qui n'est plus lisible selon le regard
traditionnel, ne constituerait pas la fin de l'urbain, et donc de l'urbanité, mais plutôt une
nouvelle forme de l'urbain , qui est en train de se former, en un rapport interactif avec ses
citadins.
On a vu donc la contribution d'un psychologue, d'un urbaniste et d'une géographe à la
question posée. L'article de Colette Cauvin notamment, nous paraît riche d'intérêt, pour trois
raisons principales. La première est que l'ancienne chercheuse de l'Université de Strasbourg
indique la motivation de cet axe de recherche dans son application pratique, dans sa capacité
d'améliorer la réalité urbaine: « ces recherches […] n'ont de sens que si elles permettent de
comprendre les réalités pratiques de groupes d'individus, de personnes, qui utiliseront ces
espaces que l'on aménage pour nous, pour eux ». Une deuxième raison est qu'elle exprime sa
conscience qu'il s'agit d'une recherche « pluri-, trans- ou interdisciplinaires, au gré de
l'évolution des termes ». Enfin, nous ne cachons pas un besoin de légitimité: on choisit
l'approche d'une géographe, afin de pouvoir plus légitimement traiter ces sujets en tant que
problématique géographique.
Comme dit au départ, notre hypothèse est que l'anthropologie puisse s'ajouter à ces
approches alternatives à l'aménagement urbain. Nous allons donc présenter les traditions
scientifiques dans lesquelles le dialogue entre anthropologie et ville a déjà pris forme.
problème donnée par les auteurs majeurs est opposée: d'un côté Claude Lévi-Strauss, considère
que l'anthropologie ne peut s'occuper que des sociétés dites « froides » ou « simples »; de l'autre
Clifford Geertz, redéfini le concept de culture de manière qu'il puisse être adapté à l'étude des
sociétés urbaines, et amener en même temps un nouveau regard sur celles traditionnelles. Il
s'agit du courant connu comme « anthropologie interprétative ».
Dans l'ouvrage de Anne Raulin, Anthropologie urbaine, paru en 2007, on trouve par
contre une panoramique très complète des avancées plus récentes et des thématiques principales
abordées par cette sous-discipline.
Les auteurs font référence aussi à l'existence de deux courants principaux dans le champ
de l'anthropologie urbaine : celui de l'anthropologie de la ville et celui de l'anthropologie dans
la ville. Le premier se traduit par une « anthropologie de l'espace », c'est-à-dire une étude de
comment l'espace physique (urbain, en ce cas) est utilisé par les différents groupes humains
pour accomplir les différents fonctions et besoins individuels et collectifs 9. La seconde tend à
une étude de groupes sociaux particuliers, dont l'environnement de vie est un environnement
urbain10.
Bien que l'anthropologie urbaine soit désormais un domaine de recherche consolidé, les
échanges entre une approche anthropologique et la planification urbaine restent rares. D'après
nos recherches bibliographiques, les auteurs qui ont abordé directement cette piste de recherche
ne sont pas nombreux et nous allons donc présenter ceux que nous avons pu repérer.
9
Voir aussi à ce propos Jean-Charles Depaule, L'anthropologie de l'espace, in J.Castex, JL.Cohen, JC. Depaule,
Histoire urbaine, anthropologie de l'espace, CNRS Éditions, Paris, 1995.
10
La tradition de l'anthropologie urbaine française nous semble plutôt associée à cette deuxième tendance. Pour
les lecteurs italiens, voir par exemple Sara Roncaglia, Nutrire la città, Bruno Mondadori, Milano, 2010.
11
La traduction des titres est la suivante : « La recherche interdisciplinaire entre anthropologie urbaine et
urbanisme » et « Voix de la ville ». En sachant que la langue italienne ne possède pas deux termes comme
« ville » et « cité », qui sont traduits avec « città », donc dans la traduction de l'italien au français le choix entre
« ville » et « cité » reste un peu arbitraire.
12
Rispoli, Signorelli, op. cit., p. 67.
20
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux
comme ensemble de « lieux » et pas simplement extension spatiale. […] Nous pouvons offrir une
façon différente d'observer, mais principalement, et grâce à cela, nous pouvons offrir une façon
différente de penser la ville »13.
Angela Giglia, anthropologue qui travail en équipe avec des urbanistes à l'Université de
Mexico, soutient que l'anthropologie peut offrir un apport aux démarches urbanistiques, « en
nous fournissant horizons de compréhension réciproque […]. Les anthropologues devraient être
donc les spécialistes de la traduction interculturelle dans un monde de plus en plus
interconnecté mais de moins en moins homogène et intelligible. Et ils devraient réclamer ce
rôle dans tous les champs dans lesquels il est nécessaire de mettre en œuvre cette capacité de
traduction »14. Y compris, évidemment, le champ de l'aménagement urbain.
Ces affirmations semblent avoir un premier point de convergence: plutôt que la discipline
anthropologique en entier, ce qui importe est l'ethnographie, la méthode d'enquête privilégiée
de l'anthropologie. La caractéristique majeure de cette méthode, ne se trouve pas dans ses outils,
ni dans la présence sur le terrain en tant que telle: « C'est plus une question de centre de gravité
que de boîte à outils », selon Federico Scarpelli, qui précise: « nous mettons la recherche sur le
terrain à la base non seulement des pratiques de documentation, mais de l'entier projet de
connaissance »15.
gardant bien distingués profils et responsabilités »17. Les anthropologues n'ont pas abordé
directement l'usage de l'espace, mais ils se sont concentrés plutôt sur le concept de nostalgie
(« ce qui est émergé est un passé qui a sens dans le présent et, plus ou moins explicitement, en
relation au futur »18) et sur la représentation des habitants des deux centres urbains qui
composent la ville de Pienza. « Se faire raconter les transformations du lieu – souligne Scarpelli
– me semble donc une possibilité importante – même si pas forcement la seule – pour montrer
la voie à connaissances et évaluations actuelles et complexes, mais relativement marginalisées
ou incomprises au sein du débat public . Une voie d'accès au lieu ». Il précise que « utiliser la clef
du passé sert à empêcher que l'attraction d'un discours directement « fonctionnel » (il faudrait
plus de parkings, plus d'éboueurs, plus de police) réduise sur soi l'espace de narration »19. En ce
cas donc l'anthropologue n'enquête pas directement l'espace et ses usages, plutôt il recueil des
« voix » fournissant des « représentations » de l’espace, afin qu'elles soient valorisées pour saisir
les ambitions, les attentes, les craintes des habitants, et en un éventuel deuxième temps, qu'elles
trouvent une traduction « spatiale », ouvrée par les spécialistes d'autres domaines20.
17
Scarpelli, op. cit., p. 104.
18
Ibi, p. 115.
19
Ibi, p. 114.
20
Un exemple concret très intéressant est fourni par Andrea Filpa, Il contributo dell'antropologia nel piano di
Pienza, in Scarpelli, Romano, op. cit., pp. 89-90: « Les interviews avaient mis en évidence la nette préférence
des habitants de Pienza pour le paysage traditionnel mais […] en même temps il avait été signalé par les
anthropologues la limite culturelle – et donc non seulement opérationnelle – liée à la possibilité de proposer
dans le plan des politiques et actions visées à récupérer et si possible étendre un paysage du métayage sans
métayers.
Cet élément de préoccupation n'a pas constitué un point de blocage, mais en revanche il a stimulé une réflexion
plus large et transversale. Les écologues végétaux ont souligné la meilleure performance du paysage agricole
traditionnel en termes de sauvegarde de la biodiversité, l'urbaniste/paysagiste en a argumenté les plus grandes
qualités perceptives et son accumulation d'héritage culturel (il s'agit du paysage qui a contribué le plus à la
reconnaissance de la Vallée d'Orcia comme patrimoine mondial Unesco), les géologues en ont mis en évidence
la plus grande efficacité afin de la protection des sols de l'érosion. Les économistes du territoire, enfin, ont
rappelé le stricte lien entre paysage traditionnel et productions de qualité. […] Le plan de Pienza a donc assumé
en pleine conscience le choix de viser à la réaffirmation du paysage traditionnel, […] avec la certitude de ne pas
proposer une opération anti-historique ».
22
2. La zone d'étude
Avant de commencer la véritable phase de terrain, nous avons essayé de saisir les
caractéristiques historiques, urbaines, sociales de la zone d'étude, afin de préparer mieux le
recueil des données. Nous avons effectué à cette fin des déambulations sur le terrain, des
interviews documentaires, des recherches documentaires, outre que profiter des présences que
nous avons assurées dans le cadre du stage1.
1
Voir le chapitre « Sources » pour le détail.
23
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 2. La zone d'étude
Saint-Priest se situe
au pieds de la moraine
glaciale, bien représentée
ici, et entre deux routes :
celle qui va de La
Guillotière (porte d'entrée
à Lyon) à Heyrieux au
Sud, et celle de Lyon à
Grenoble au Nord, où l'on
trouve aussi une halte de
poste. Trois chemins avec
des édifices partent du
centre, symbolisé par le
dessin du château. Un
quatrième chemin en Extrait de la carte de Cassini. Source: http://loisirs.ign.fr
pointillé traverse le centre
de Ouest à Est. Le pointillé pourrait indiquer une allée arborée ou un chemin mal défini. Le
morceau Ouest, du château à la route d'Heyrieux, correspond à l'actuelle avenue Jean Jaurès ;
tandis que le chemin en direction Sud-Ouest correspond à l'actuelle rue Henri Maréchal. Ces
deux voies, avec la route d'Heyrieux, définissent déjà le périmètre de l'actuelle Opération de
Renouvellement Urbain !
En 1831, grâce au
cadastre napoléonien,
nous pouvons constater
que la réalité n'a pas
changé remarquablement,
mais nous possédons une
représentation du
territoire beaucoup plus
fine et précise.
Nous observons que
le périmètre triangulaire
Extrait du cadastre napoléonien. Source: archives municipales
de l'actuelle Oru est très
bien défini ; l'avenue Jean Jaurès est nommé « chemin de Vénissieux à St. Priest », rue Henri
Maréchal correspond au « chemin de St. Symphorien à St. Priest », tandis que rue Anatole
France est la « route de Lyon à Heyrieux ». Aussi l'actuelle rue Diderot est bien visible, nommée
« chemin de Corbas à St. Priest ». Deux toponymes sont affichés : « Guigue » pour le quart Sud-
Est, et « La Carnière et les Ronces » pour le quart Nord-Est. En ce qui concerne le bâti, nous
trouvons une grande maison avec des annexes sur l'actuelle place Salengro, au coin entre la
route d'Heyrieux et rue Henri Maréchal, dénommée « Maison Reymond » ; un autre
regroupement à moitié de rue Henri Maréchal, au niveau de l'actuelle Esplanade des Arts ; et
enfin quatre maisons le long d'avenue Jean Jaurès, à partir du croisement avec rue Diderot en
direction du château.
24
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 2. La zone d'étude
La carte de 1898,
nous propose le premier
changement important :
l'arrivée de la voie ferrée.
Mais à cette époque la
gare de Saint-Priest est au
milieu de la campagne,
éloignée du centre de vie.
Aucune usine ne s'est
encore implantée et
Saint-Priest reste un
bourg agricole dont le
territoire est traversé par
le chemin de fer Lyon-
Grenoble. Nous
Carte de Saint-Priest en 1898, détail de l'actuel centre-ville.
remarquons toutefois la Source : archives municipales.
création d'une autre
infrastructure : le doublement de la voie pour Heyrieux. À l'ancien chemin (dénommé
maintenant « Ancienne route d'Heyrieux ») une nouvelle « Route départementale » a été
ajoutée.
Le chemin de Vénissieux a changé de nom et maintenant il est indiqué comme « Avenue
de l'Allée », une dénomination moins anonyme et valorisant l'axe en direction du château. Nous
voyons apparaître « Le Bessay », « Ferrachat » et le « Quartier de la Route d'Heyrieux ». Des
nouvelles maisons sont indiquées, le long des chemins: entre la nouvelle route départementale
(aujourd'hui rue Aristide Briand) et l'ancienne route d'Heyrieux (aujourd'hui rue Anatole
France), sur les rues Diderot et Henri Maréchal. La population a augmenté doucement : de 1718
habitants en 1831 à 2584 en 1896.
26
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 2. La zone d'étude
2
Christiane Roussé, Saint-Priest ville mosaïque : populations, identités, interculturalité : 1945-1980 , Presses
universitaires de Lyon, Lyon, 2000, p. 16.
27
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 2. La zone d'étude
En rouge et rouge
foncé sont affichées les
« zones de tissu urbain
continu et discontinu » ;
en violet les « zones
industrielles ou
commerciales » ; en jaune
les « territoires agricoles ».
Nous pouvons remarquer
que Saint-Priest constitue
un noyau détaché des
centres urbains
environnants. Son
Occupation du sol (Corine Land Cover) du quart Sud-Est de
territoire est délimité à l'agglomération lyonnaise. Source: notre élaboration sur image
l'Ouest et au Sud par des Géoportail.
zones d'activité
productive, au Nord par un axe routier majeur (héritier de l'ancienne « route de Lyon à
Grenoble ») et à l'Est par des zones agricoles.
3
Ibidem.
28
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 2. La zone d'étude
Enfin, nous
proposons un graphique Population de Saint-Priest
représentant la croissance
de la population sanpriote 50000
29
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 2. La zone d'étude
4
Source : http://sig.ville.gouv.fr/, site du Système d'information géographique de la Politique de la ville.
30
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 2. La zone d'étude
31
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 2. La zone d'étude
La deuxième observation
regarde l'échelle intra-quartier : on
remarque en effet qu'à l'intérieur du
triangle de l'Oru un secteur cumule
plusieurs indices de faiblesse sociale,
celui de Bellevue-Mozart,
correspondant à la copropriété
« Bellevue ». Cette aire, en effet, avec
les copropriétés « Alpes » et « Alpes-
Azur », compose l'étendue de la Zone
Urbaine Sensible (Zus) « Alpes-
Bellevue », qui en 2006 contenait Îlots cumulant les indices de fragilité. Source:
2621 habitants. diagnostic Oru.
32
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 2. La zone d'étude
certaine réalité, soit une rhétorique. La « hétorique » consiste, dans son sens premier, en l' art de
la persuasion en utilisant des argumentations et une certaine façon d'utiliser les paroles, c'est-à-
dire de présenter les faits. En ce sens là, elle constitue une puissante « machine à significations »
car elle exprime, organise et connecte les faits « réels », les données de l'expérience.
Quelle rhétorique est donc demandée, pour connecter et donner du sens aux données
brutes présentées sur le site de la Politique de la Ville ? Il s'agit d'une rhétorique que nous
pourrions définir « de l'écart à la moyenne », dans le sens où la qualité de vie d'un quartier est
compréhensible par des comparaisons avec des autres zones, et où cette comparaison est faisable
par des méthodes quantitatives et statistiques. Il est évident qu'en utilisant cette rhétorique, un
territoire comme celui-ci ne peut être défini que comme « problématique ». Et à partir de cette
définition, les politiques de rénovation urbaine trouvent leur justification et les médias trouvent
l'empreinte de leurs représentations.
Cette rhétorique, ne prend pas en compte des facteurs endogènes, indépendant de
l'extérieur, tels que la dignité des personnes qui habitent ces quartiers et leur rattachement aux
lieux. Il s'agit de phénomènes quantifiables avec moins de précision et qui demandent aussi une
approche qualitative ; toutefois, les méthodes restent des méthodes, des outils, et nulle chose
n'empêche d'aborder le rattachement au quartier ou la solidarité de voisinage avec des méthodes
quantitatives.
La rhétorique de « l'écart à la moyenne », de plus, a une vision plutôt synchronique, elle
prend une instantanée du territoire ; elle n'évalue pas l'état actuel du territoire par rapport à une
trajectoire douée d'une certaine direction. Le cas en étude est exemplaire, car ce territoire est
d'un point de vue urbain un « bébé », en ayant été été peuplé il n'y a que 50 ans. Ses habitants
sont en train de s'enraciner dans ce lieu ou, plus anthropologiquement, ils sont en train de
transformer cet « espace » en un « lieu »5.
Tout cela échappe à la rhétorique dont nous avons parlé, et il pourrait être l'apport de
l'anthropologie, de saisir toutes ces réalités, qui existent et influencent la dynamique urbaine.
5
Voir ci-dessous, p.47.
33
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 2. La zone d'étude
Se sentir perdus, dépaysés, ne pas savoir où regarder, parce qu'il y a des typologies urbaines
trop différentes l'une de l'autre, un rapprochement dérangeant. Ne pas savoir s'orienter.
Impression de passage, de choses qui se passent à côté sans communiquer.
Nous avons essayé donc d'analyser cette variété, afin de s'approprier plus en profondeur la
zone d'étude. En un premier temps, nous avons retenu la différence la plus évidente parmi les
formes d'habitat visibles : d'un coté les grands ensembles et de l'autre les maisons individuelles.
À leur fois, nous avions l'impression que les grands ensembles ne constituaient pas un ensemble
homogène, mais qu'on trouvait des immeubles plus dégradés et d'autres réfléchissant un niveau
de revenues plus élevé de ses occupants. Le premier critère de classification dont nous avons fait
l'hypothèse est donc un critère architectonique, relatif aux dimensions et à la forme des
bâtiments. En effet, le contraste entre grands ensembles et petites maisons individuelles était
vraiment frappant.
Ensuite, nous nous sommes aperçu que la catégorie des « maisons individuelles » n'était pas
homogène non plus, puisque dans les alentours de place Salengro nous avions une sensation
différente qu'en rue Anatole France. Il est vrai que du point de vue architectonique, les
bâtiments se ressemblaient, toutefois nous avions l'impression de franchir une frontière,
lorsqu'on passait de place Salengro à rue Anatole France. En cherchant d'expliquer cette
sensation, nous avons trouvé que les maisons de place Salengro et de ses alentours possédaient
une caractéristique qui les différenciaient des autres : elles formaient une continuité de bâti. Ce
deuxième est un critère de texture urbaine. En deuxième lieu, nous avons remarqué que cette
continuité bâtie était alignée dans le même sens que la voie publique et donc les éléments privés
(les maisons) et publics (la voie) formaient ensemble un paysage unitaire. Cette deuxième
caractéristique, l'alignement des bâtiments d'habitat avec la voie publique, était partagé avec les
zones de maisons individuelles, mais permettait de distinguer ultérieurement maisons
individuelles et bâti continu d'un coté, grands ensemble de l'autre coté.
Enfin, nous avons pu observer très attentivement les grands ensembles, lorsqu'on a
effectué le comptage des appartements dans chaque immeuble. Cela nous intéressait pour
mesurer la densité d'habitat dans les différentes sous-zones, mais finalement a été un moyen
pour dégager un autre élément qui contribue à caractériser le paysage urbain : la technique de
construction. En effet, tous ces grands ensembles sont construits par modules de cinq niveaux et
dix appartements chacun, qui se répètent de deux à neuf d'une façon linéaire, et forment ainsi
ces « barres » qui marquent le paysage des quartiers construits dans cette période d'expansion
urbaine. Cela est relevable même des photos aériennes de Géoportail.fr, où il est encore possible
de compter les modules des deux bâtiments du quartier Diderot rasés en 2008. En effet, plus que
les choix architecturaux, c'est les techniques de construction adoptées qui déterminent
l'apparence extérieure de ces grands ensembles. Notamment, il s'agit de techniques industrielles
et standardisées, qui permirent de répondre à l'urgente demande de logements, tout en gardant
une faisabilité économique pour les promoteurs, publics ou privés. Par ailleurs, il s'agit de
34
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 2. La zone d'étude
l'application sur vaste échelle des idées architecturales « modernistes », prônées en premier par
Le Corbusier : des logements avant tout fonctionnels et rationnels, pour une société de masse.
En utilisant ces critères, nous avons pu classifier l'ensemble des bâtiments d'habitat
présents dans la zone d'étude, en trois unités paysagères urbaines : tissu urbain continu ; tissu
discontinu en maisons individuelles (pavillonnaire) ; tissu discontinu en habitat collectif (grands
ensembles).
35
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 2. La zone d'étude
Note méthodologique6
6
Nous aurions envisagé d'utiliser un Sig et nous avions préparé une bases de données relatives aux unités
36
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 2. La zone d'étude
paysagères . Toutefois, nous n'avons pas pu récupérer le fond de carte en shapefile. Ni le service Urbanisme ni le
Dsu de la Ville de Saint-Priest disposaient de cet outil. Nous avons donc évalué de faire les cartes à la main, du
moment où la quantité et le type de données pouvaient être gérés sans l'aide d'un outil informatique.
7
Photos de l'auteur.
37
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 2. La zone d'étude
La catégorie de l'habitat collectif, qui est la plus représentée, gardait une certaine
hétérogénéité à son intérieur. Cette variété relève surtout de l'état d'entretien extérieur des
immeubles. Ce critère peut être considéré comme un critère anthropologique, car le soin –
collectif – de l'environnement physique où l'on vie fait partie des action de « valorisation » qui
ne sont pas fonctionnelles mais sont plutôt explicables par le besoin de « rendre et maintenir
chez-soi » un lieu.
Nous allons comparer cette analyse paysagère avec d'autres découpages relatifs à la zone
d'étude, afin de comprendre quels autres éléments sont associés aux différentes formes urbaines
repérées. Nous prenons en considération trois autres critères d'analyse territoriale :
1. L'époque d'urbanisation:
Cette classification nous sera utile pour choisir le périmètre retenu pour notre étude, car
nous aurons à disposition différents découpages, exprimant différents critères d'analyse du
territoire. Nous choisirons celui qui nous semblera le plus adapté, ce que nous allons détailler
dans le prochain chapitre.
39
3. La méthodologie
1
Ce sous-chapitre reprend le chapitre 3 de l'ouvrage cité de Rispoli et Signorelli.
40
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 3. La méthodologie
La prémisse théorique sur laquelle se fonde cette définition de notre objet d'étude est la
suivante : les sujets humains individuels ou collectifs sont toujours sujets localisé ; de
manière complémentaire les lieux de la vie humaine sont lieux subjectivés. Ce qui veut
dire : il n'existe pas d'être humains qui ne soient pas dans un certain endroit ; et il
n'existe pas d'endroit qui ne soit pas humanisé, si ce n'était que pour avoir été pensé
par des êtres humains. Donc, nous considérons extrêmement réducteur et
dangereusement détournant de penser les êtres humains comme s'ils n'étaient pas
localisé, comme des pures entités abstraites dont le placement dans les lieux est
insignifiant ; mais également réducteur et détournant il nous semble de penser les lieux
comme pur espace abstrait, euclidien, à remplir par des objets bâtis aussi bien
abstraitement dessinés en fonction de pas moins abstraits et génériques besoins
humains2.
C'est donc les rapports entre sujets et lieux, ou mieux, « sujets localisés en relation avec
espaces subjectivés » qui sont pris en compte comme objet d'étude.
2
Rispoli, Signorelli, op. cit., p. 43.
41
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 3. La méthodologie
Une relation de type esthétique entre individus et lieux est transversale à toutes les
précédentes (si on a le choix, on préfère un lieu « plus beau » pour faire n'importe quelle
activité).
Les rapports qui s'établissent entre sujets individuels et/ou collectifs dans les lieux
nous intéressent pour comprendre le conditionnement que les rapports entre sujets
exercent sur les lieux et, vice versa, celui que les lieux exercent sur les rapports entre
sujets3.
À partir des rapports de type fonctionnel établis ci-dessus, nous avons procédé à une
classification des différents types de relations que l'on peut rencontrer dans l'espace :
à la première catégorie (besoins de survie), correspondent des relations aléatoires, de
trafique (dans les transports en commun, les bureaux publics) ou de courtoisie (dans les
magasins);
à la deuxième, troisième et quatrième catégorie (activité économiques, famille, études)
correspondent des relations d'obligation, formalisée (travail, études) ou non (famille);
aux trois dernières catégories (activités identitaires et festives, activité de loisir,
sociabilité) correspondent des relations de choix, formalisé (activité identitaires) ou non
(activités récréatives et sociabilité).
3.2.1.3 Rapports entre les lieux dans l'expérience et les représentations des
sujets
Cet aspect semble rejoindre partiellement la théorisation de Lynch sur les images de
l'espace urbain, puisque Rispoli et Signorelli affirment que « Tout sujet est porteur d'un plan
mental du monde qui lui permet de s'orienter dans les rapports avec les lieux et les autres sujets
et, par les représentations, d'être mentalement en rapport avec d'autres lieux et des sujets
eloignés. D'où l'importance de ce plan, qui a pour nous en tant que sujets une fonction cognitive
et une fonction d'évaluation du monde ».
3
Ibi, p. 47.
42
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 3. La méthodologie
3.2.2.1 Affectation
3.2.2.2 Appropriation
On s'approprie un lieu en le conquérant par la force, en l'occupant illégalement, ou
encore, plus simplement, en l'utilisant. Les processus d'appropriations peuvent varier beaucoup
par leurs entité et dimensions ; ils peuvent être individuels ou collectifs, concerner lieux privés,
publics ou semi-publics, être réversible ou non, nuisibles ou inoffensifs, mais ils ont tous cela en
commun, d'être utiles pour ceux qui les réalisent . Des exemples peuvent être les bâtiments
abusifs, les commerces ambulants, les terrasses des bars, ou encore des passages piétons
informels... L'appropriation constitue la modalité de l'usage pratique des lieux par les individus.
Le magasin de motos,
pendant les horaires
d'ouvertures, occupe une partie
de la chaussée avec des motos
d'occasion. Cette action, comme
il nous a été expliqué par le
patron du magasin, a une
finalité commerciale, car les
exemplaires d'occasion sont
exposés à l'extérieur et une
fonction pratique, car elle offre
aux clients un parking en face
du magasin et surveillé. En plus,
cette action a un effet
esthétique sur l'ensemble de la
place, car les motos exposées à
Exemple d'appropriation de l'espace en place Salengro à
4 Saint-Priest. Photo : M. Del Fabbro.
Ibi, p. 51.
43
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 3. La méthodologie
immeubles d'habitation.
Comme on l'a vu, l'urbanisation dans l'unité paysagère d'habitat collectif s'est faite par des
grands ensembles, souvent regroupés de manière cohérente vers l'intérieur (entre eux) et de
manière incohérente vers l'extérieur (envers le tissu urbain environnant). En effet, l'espace dans
le centre-ville est organisé beaucoup plus autour de ces ensembles résidentiels que de rues ou
places publiques. En plus, ces grands ensembles disposent toujours de surfaces plus ou moins
importantes en bas ou entre les bâtiments, parfois équipées avec jeux d'enfants, bancs, etc. En
effet, ces « cours d'immeubles », dont place Molière et square Monnet constituent deux
exemples, sont presque les seuls endroits où un aménagement de l'espace apparaît clairement.
Au contraire, en ce qui concerne les espaces publics, nous avons remarqué que les
éléments morphologiques qui composent l'espace urbain traditionnel des villes européennes
sont de fait manquants. Parmi ceux-ci, nous trouvons que le principal est la rue, au sens qu'on
trouve dans l'édition 2006 du dictionnaire « Le petit Robert » : « Voie bordée, au moins en
partie, de maisons, dans une agglomération ». Cette définition exprime très bien la dimension de
la rue comme lieu typiquement urbain, dans le sens où elle est à la fois lieu de passage, d'activité
économique et de rencontre.
Pour avoir une confirmation de l'importance que cet élément physique a dans les relations
et le style de vie « urbain » dans l'histoire de la société européenne, nous pouvons même faire
référence à la littérature7 : c'est « passando per una via »8, que Dante Alighieri, au XIII siècle,
place son deuxième rencontre avec Beatrice, la femme qui incarne l'Amour terrain et puis divin.
Ou encore, et à l'envers, c'est dans les rues pleines de foule de Paris au XIX siècle, que le regard
de Charles Baudelaire peut se croiser avec celui d'une inconnue, dont il peut tomber amoureux
et pourtant ne plus jamais la revoir. Selon Jane Jacobs, rues et trottoirs font partie des « organes
vitaux » d'une ville9.
Cet élément morphologique principal est ensuite articulé avec d'autres : les places, lieux
ouverts où les rassemblement formels ou informels sont possibles ; et puis les boulevards, les
squares... Ces éléments définissent des rapports entre pleins et vides, qui constituent
l'environnement physique d'une ville et, en même temps, rendent possible ce sens d' urbanité
qui concerne le type d'activités et de relations urbaines.
Or, dans l'unité paysagère urbaine de grands ensembles on ne trouve pas ces éléments : il
n'y a pas de rues au sens qu'on vient de préciser, ni de places. Celle-ci est une caractéristique
commune des grands ensembles, comme le précise Anne Raulin : « L'image de la barre demeure
l'horizon de ces réalisations, et l' absence de rues signe la volonté de s’affranchir de l'ancien
quartier ouvrier et de ses sociabilités publiques »10. On ne trouve pas dans ce secteur les
éléments morphologiques qui ont favori le développement d'une urbanité au sens traditionnel,
comme il est indiqué par Henri Lefebvre : « La vie urbaine, la société urbaine, en un mot
7
Sur l'usage de sources littéraires ou artistiques, quelques précisions sont nécessaires. Ces témoignages peuvent
être considérés fiables, dans la mesure où on s'en sert correctement. L'usage d'éléments paysagers par les poètes
peut révéler comment cet élément était considéré à l'époque et dans la société de l'auteur, car afin de
communiquer avec le lecteur, il a besoin d'utiliser des images et des sens partagés. Au contraire, il peut arriver
que un élément du paysage (la mer, la levée et le coucher du soleil à titre d'exemple) soit chargé d'un sens
symbolique ou personnel qui ne concerne pas l'image de cet élément dans la société donnée. Il s'agit donc de
cerner en amont cela, avant de se servir de sources artistiques comme témoignages d'une époque.
8
« En passant par une rue », Vita Nova, II.
9
Cité par Anne Raulin, op. cit., p. 96.
10
Ibidem.
45
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 3. La méthodologie
l'urbain […] ne peuvent se passer d'une base pratico-sensible, d'une morphologie. […] L' urbain
n'est pas une âme, un esprit, une entité philosophique »11.
L'espace public dans cette unité paysagère est très faiblement structuré : on a la possibilité
de passer à pieds par une infinité de chemins, que ce soient des trottoirs, des parkings, des
passages résidentiels ou autres passages informels. Par contre, les habitants disposent de ces
espaces semi-publics ou semi-privés, au milieu et autour des bâtiments d'habitat. Ces espaces
ont été conçus comme lieux de convivialité pour les occupants des résidences et plut ôt fermés
vers l'extérieur. La structuration de ces espaces favorise ainsi le développement de rapports et
relations entre voisins d'un même ensemble de bâtiments. D'ailleurs, le manque d'espaces
publics accueillants est un facteur qui renforce la formation de sous-secteurs au sein du centre-
ville (Diderot, Les Alpes, Bellevue, Mozart sont les principaux).
Notre hypothèse est donc que ces espaces annexes aux résidences recouvrent un
rôle majeur dans la pratique de l'espace urbain des habitants et que cela se fait au
détriment des espaces traditionnellement investis par les usages des citadins, c'est-à-dire
les espaces publics. Cet usage des espaces urbains constituerait ainsi un nouveau type
d'urbanité, lié à la nouvelle morphologie urbaine dont nous avons parlé.
11
Henri Lefebvre, op. cit., p. 56.
12
Le texte de référence pour la méthodologie de recherche a été Mariano Pavanello, Fare antropologia, Zanichelli,
Bologna, 2010.
46
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 3. La méthodologie
certaine pratique sociale ou un certain phénomène. Il peut utiliser, bien sûr, les informateurs
comme des sources d'histoire locale, mais cela fera partie des recherches de contexte, finalisées à
la compréhension préalable de la population étudiée.
L'observation participante est l'autre technique principale de la recherche
ethnographique, ou peut-être la technique principale. En effet, elle est beaucoup plus liée à la
tradition anthropologique, car elle a été formalisée et utilisée pour la première fois par les
anthropologues, notamment le père de l'observation participante est considéré Bronislaw
Malinowski, auteur polonais naturalisé britannique qui publia en 1922 « Argonautes du
Pacifique occidental », où il reporta son expérience de terrain entre 1914 et 1916 aux îles
Trobriand, en Mélanesie. À la base de cette technique est l'idée que le chercheur doit participer
à la vie quotidienne de la population objet d'étude, pour qu'il puisse « s’imprégner » des façons
de concevoir le monde propres aux indigènes. Cela peut s'appliquer à tout objet de la vie sociale,
que ce soient les formes du pouvoir, l'organisation familiale, les rites d'échanges (comme le
fameux kula décrit par Malinowski), les formes d'éducation, la conception du temps, ou bien,
l'organisation de l'espace.
Les phénomènes sociaux sont conçus en anthropologie comme des actes de « anthropo-
poïesis », c'est-à-dire comme des moyens par lesquels les sociétés « construisent » les hommes,
dans le sens où les individus deviennent véritables membres de la société après avoir incorporé
déterminées façons de régler la vie sociale qui ne sont pas naturellement données mais au
contraire culturellement déterminées13. En ce sens là, on parle aussi de « koino-poïesis », là où ce
n'est pas l'individu qui est « construit » mais la société.
En notre cas, nous pourrions parler de « topo-poïesis », car les « espaces » sont
construits et transformés en « lieux », selon des pratiques et des usages précis, qui sont
appris par les membres du groupe social. Barbara Kirshenblatt-Gimblett parle par exemple
« des moyens grâce auxquels les habitants d'un espace donné transforment ce dernier en un lieu
palpable, créent un réseau relationnel, donnent forme à des valeurs et découvrent des
possibilités d'action »14.
Le débat théorique sur l'observation participante a depuis Malinowski accompagné la
pratique anthropologique. Nous ne pouvons pas le résumer exhaustivement, toutefois, il est
nécessaire d'en rappeler au moins deux points principaux, car si le principe à la base de
l'observation participante est encore valide, sa formulation théorique a sensiblement évoluée.
Une première question regarde la distance que le chercheur doit maintenir entre soi et la
population étudiée. En effet, si le principe de l'observation participante est que le chercheur
doit s'intégrer au groupe étudié, en participant à la vie quotidienne de ses membres, cela ne peut
pas se traduire en une identification totale du point de vue du chercheur avec celui des
indigènes. Et cela, en deux sens. En premier lieu, cette « identification » ne serait point possible,
car le chercheur est porteur de sa propre vision du monde qui lui dérive de ses origines, sa
culture, ses expériences... Il serait illusoire de penser que par une permanence, même prolongée,
sur le terrain, le chercheur puisse se dépouiller de ses pré-convictions et adopter intégralement
le point de vue des locaux. En deuxième lieu, cela ne serait souhaitable aux fins de la recherche,
13
Voir Stefano Allovio, La foresta di alleanze, Laterza, Roma-Bari, 1999, pp. 108-136.
14
Cahiers de litterature orale, 1988, n° 24, p. 17, cit. in Anne Raulin, Anthropologie urbaine, Armand Colin, Paris,
2007.
47
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 3. La méthodologie
puisque l'observation et la description de visions du monde « autres » n'est possible que si ces
visions du monde restent différenciées et différentiables de celles du chercheur.
Cela signifie – voici la deuxième question – que le chercheur ne se limite à utiliser des
techniques et outils de recherche, mais lui même est une technique de recherche, car sa simple
présence dans un contexte « autre » provoque des interactions qui font émerger des objets de
recherche. Son travail sur le terrain, consistera, entre autres, en la tentative de gérer ces
interactions. Cela ne signifie pas qu'il doit faire semblant ou se construire une masque fausse
vis-à-vis des locaux, toutefois il doit apprendre à porter sa masque, réciter son rôle pour pouvoir
être accepté dans les dynamiques de la population locale. L'observation de pratiques et rites
sociaux ne se fera qu'après cette phase de « catégorisation » et acceptation du chercheur par la
population locale. Dans la recherche ethnographique, il y a donc une double observation, celle
du chercheur sur la population locale, et celle des locaux sur le chercheur. La façon dont les
phénomènes étudiés se manifesteront au chercheur sera influencée par ce système complexe
d'interactions. Autrement dit, les phénomènes observés sont influencés par l'observateur.
3.4.2.1 Observation
Il n'a pas été possible de pratiquer une observation participante au sens classique du terme,
car la période d'observation n'a pas pu être constante et prolongée dans le temps. Toutefois,
comme on l'a vu plus haut, il n'y a pas une durée minimale du séjour sur le terrain, à partir de
laquelle on peut définir une méthode comme « ethnographique » ; une approche est définie
ethnographique plutôt par le choix de l'objet d'étude et de l'attitude du chercheur envers le
terrain.
Le type d'observation que nous avons mené peut être définie comme « externe » et non
« participante », car nous avons plutôt essayé d'observer les usages d'un lieu de part des
habitants, sans interagir forcement avec eux. Il s'agit donc d'un travail d'observation et
d’interprétation. Nous avons donc préparé un outil, une grille d'observation, afin d'obtenir des
données plus facilement formalisables.
La grille d'observation a été inspirée, encore une fois, aux indications contenues dans
48
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 3. La méthodologie
49
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 3. La méthodologie
Comme dit, nous avons rencontrés des usagers des lieux observés : en place Salengro et rue
Aristide Briand, les gardiens des salles municipales et deux commerçants ; au square Monnet et
en place Molière, les jeunes et les enfants qu'y passent leur temps ; à la mairie et à la
médiathèque les employé(e)s.
Un autre point d'intérêt, en suivant toujours une approche ethnographique, réside dans
l'auto-observation de notre comportement lors des interactions avec ces personnes. Recouvrir
un rôle ethnographique sur le terrain n'est pas facile, car les indigènes sont considérés comme
une source potentielle de connaissance à tout moment et toute situation : cela crée un intérêt
constant vers eux, une curiosité de les connaître qui est soumise à un double risque. D'une part,
le risque de résulter envahissant, en posant des questions trop directes, et donc d'
« artificialiser » la situation. Il est donc nécessaire une certaine spontanéité de part du chercheur
lors de ces échanges, comme s'il s'agissait de n'importe quelle rencontre de sa vie quotidienne.
Cela implique de rester sincères, de dire ce que l'on dirait dans n'importe quel contexte, tout en
essayant de mettre à l'aise l'interlocuteur pour qu'il s'exprime le plus possible. D'autre part, cette
spontanéité ne doit pas se traduire par un rapprochement excessif, où l'intérêt de recherche
passerait en deuxième plan. La curiosité pour les systèmes de représentation et pour les visions
du monde des indigènes doit bien rester la finalité de l'échange pour le chercheur. En voie
générale, nous avons remarqué qu'en ces moments tout le mieux et tout le pire d'une
personnalité émerge, car comme nous l'avons expliqué le chercheur se trouve à gérer des
interactions complexes, qui sont à la fois des normaux échanges interpersonnels et des moments
de recherche. Il fait donc appel à toutes ses ressources relationnelles et parfois il s'en découvre
dépourvu.
3.4.2.3 L'interview
Comme dit, l'interview aurait été nécessaire pour approfondir les éléments observés
pendant les observations et pour aborder d'autres aspects de la relation entre individus et lieux,
qui ne pouvaient pas être révélés par les observations, notamment l'investissement affectif aux
lieux et les « cartes mentales » des lieux vécus.
influence toute la suite. La grille de l'interview est donc structurée de la façon suivante:
1. Pre-interview. Présentation réciproque par l'interviewé(e) et l'intervieweur, raisons et
modalités de l'arrivée à Saint-Priest, durée de la résidence ici (en nombre de
générations);
2. questions relatives à l'investissement affectif des lieux du quartier :
a) organisation physique de l'espace ;
b) type de gens et d'activité ;
c) connu/inconnu ;
d) sécurité/insécurité ;
e) souvenirs positifs ou négatifs ;
3. questions relatives aux liens que l'interviewé(e) estime d'avoir avec des lieux externes au
quartier, construction de la carte mentale du sujet;
4. questions visées à vérifier les hypothèses formulées suite à la première phase de terrain
(observation) sur certains lieux qui nous semblent être chargés de significations
particulières.
5. Post-interview. L'intervieweur laisse un contact (adresse e-mail ou téléphone), pour que
l'interviewé(e) puisse, si intéressé(e) prendre vision de l'usage qui aura été fait de ses
paroles.
3.4.2.3.2 Micro-trottoirs
Un autre type d'interview que nous avons pratiqué est celui dénommé « micros-trottoirs »,
du jargon journalistique. Cette technique consiste en aborder les passants dans la rue, en leur
posant le même type de questions que pour l'interview ethnographique, mais d'une manière
adaptée à la situation communicative. L'intérêt de cette technique, où le chercheur se présente
le dictaphone à la main, réside dans le type d'interaction que s'établit. En effet, souvent la
personne interrogée refuse de s'arrêter et répondre, mais si elle accepte, elle est souvent très
sincère et directe et elle fera un effort de synthèse pour répondre à une question imprévue. Ce
type d'interaction très dynamique fait que les réponses données sont souvent très vivaces et
brillantes. Le majeur défaut de cette technique, l'absence totale d'échantillonnage, peut se
transformer en un avantage, tant qu'on cherche des données de type qualitatif. En se confiant au
hasard, on tombe souvent sur des histoires et des personnages spéciaux, qu'on aurait
difficilement rencontrés autrement.
Cette technique, mutualisée des enquêtes journalistiques, offre des aspects intéressants si
elle est intégrée dans une méthode de recherche plus vaste et rigoureuse.
lorsqu'il mène ces activités, le chercheur ne peut pas s'abstraire des caractéristiques sociales,
physiques, culturelles dont il est inévitablement porteur, en tant qu'individu. Ces
caractéristiques vont influencer le recueil des données car elles permettront d’accéder plus
facilement à certains milieux et moins à d'autres.
Ces considérations s'ouvrent sur la question générale de la rigueur scientifique de toute
approche qualitative et de la fiabilité des résultats obtenus. En effet ceux-ci pourraient
apparaître arbitraires, lorsqu'on remarque qu'ils sont lourdement influencés par des éléments
subjectifs, tels que les origines, les convictions, voir le caractère et l'apparence physique du
chercheur. Toutefois, nous retenons que la différence entre méthodes qualitatives et
quantitatives (qui sont censées amener à une connaissance plus « objective ») soit une différence
de degré et non pas de nature. En clair, à notre avis la connaissance produite par des méthodes
qualitatives se distingue de celle produite par des méthodes quantitatives non pas pour être
objective ou subjective ; mais plutôt pour le niveau de contrôle que le chercheur peut avoir sur
les techniques de recherche et sur les résultats. La démarche scientifique est donc la même, mais
déclinée différemment : elle comprend toujours une partie arbitraire et cependant elle possède
toujours un caractère scientifique. Scientifique, dans le sens où le chercheur a conscience des
limites de ses outils et donc de ses résultats. Il a conscience justement du fait que la modélisation
de la réalité – que ce soit par un logarithme, une philosophie ou une représentation artistique –
reste toujours une modélisation, qui ne pourra pas rendre compte intégralement de la
complexité du réel et ne sera jamais la seule possible. En cela demeure le caractère arbitraire de
toute recherche scientifique.
Nous allons donc indiquer les caractéristiques qui – à notre avis – ont influencé le recueil
des données, pendant les journées de terrain. Connaître ces caractéristiques est un peu comme
connaître l'épaisseur de la loupe d'un microscope, cela nous permet de prévoir quels limites
peuvent avoir les données que nous avons recueillies et analysées.
Être étudiant nous a souvent facilité la tâche, car les personnes se sont montrées
disponibles à aider la recherche ; ou, au moins, cela nous donnait une certaine « neutralité » qui
n’empêchait pas les relations. Être de sexe masculin était une autre caractéristique importante ;
nous supposons qu'elle nous a permis de rapprocher plus rapidement des sujets également
masculins (la plupart de nos rencontres de terrain). Notre accent a été une clé formidable pour
établir des relations, car il nous rendait un objet de curiosité pour les indigènes ; le même vaut
pour la « tête d'italien ou d'espagnol » qui nous a été évoquée plusieurs fois. L'être effectivement
italien favorisait finalement la conversation, à Saint-Priest en particulier parce que certaines
personnes avaient des origines italiennes ou des amis d'origine italienne, vu que la ville a
accueilli dans la première moitié du XX siècle une immigration italienne importante. Notre age
a été également un facteur relevant. Notre code de vêtements, plutôt casual, communiquait
aussi beaucoup, et surtout notre manière de porter ces habits. Les outils du métier pouvaient
être révélateurs de notre activité : stylo, bloc-notes, éventuellement dictaphone. Enfin, la teint
claire de notre peau était sûrement un facteur à non négliger même si, au final, nous est semblé
moins marquant que les autres cités.
3.5 L'échantillonnage
Il reste un dernier élément à aborder pour illustrer la méthodologie suivie : les critères
d'échantillonnage appliqués. En notre cas, nous devons faire un choix de lieux, où mener les
52
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 3. La méthodologie
observations, et un choix de population, à interviewer. Deux grandes voies existent pour cette
opération : échantillonnage quantitatif ou qualitatif. Le premier considère les variables socio-
demographique classiques, telles que l'age, le sexe, la catégorie socio-professionnelle etc ; le
deuxième prend en considération des éléments qualitatifs qui apparaissent significatifs aux yeux
du chercheur pour caractériser la zone d'étude. Vu que nous avons adopté des méthodes
qualitatives jusque-là, nous avons choisi cette deuxième option.
Une possibilité d'échantillonnage à écarter – à notre avis – serait celle basée sur
l'« ethnicisation » de la réalité. En effet, Saint-Priest et en particulier le centre-ville pourrait se
prêter à une telle opération, puisque la ville s'est agrandie à partir du début du XX siècle par des
vagues successives d'immigration – italiens, espagnols, Pieds Noirs, maghrébins, portugais, turcs,
africains. Mais un échantillonnage de ce type supposerait un postulat que nous ne partageons
pas : que l'intégration dans une société et un espace urbain passe en premier par la provenance
nationale ou ethnique ; et en particulier dans notre cas, que l'usage de l'espace est influencé par
ces facteurs. Comme nous le savons, au contraire, la ségrégation ethnique ou l'intégration sont
souvent l'effet final de conditions socio-économiques plus ou moins favorables.
Le critère d'échantillonnage que nous avons formulé, suite à la caractérisation de la zone
d'étude, porte plutôt sur les conditions de vie matérielle des habitants de ce quartier. En notre
cas, nous nous référons aux conditions d'habitat et donc nous avons adopté comme critère
d'échantillonnage les trois unités paysagères urbaines que nous avons repérées à l'intérieur de la
zone d'étude. Ce critère met en relief le fait que les différents paysages urbains sont le reflet des
différentes périodes d'urbanisation et de peuplement de la ville ; de l'autre coté, il se base sur
l'hypothèse que « l'habitat fait l'habitant », c'est-à-dire que l'environnement physique de vie
influence les pratiques de l'espace des individus.
Concernant les lieux, il nous est paru pertinent de choisir au moins un lieu pour chaque
unité paysagère urbaine. Pour le paysage de maisons pavillonnaires, nous avons choisi rue
Anatole France, où elles se concentrent le plus. Pour le paysage de tissu urbain continu, nous
avons choisi place Salengro, le centre de vie de cette zone. Pour le paysage de grands ensembles,
nous avons choisi deux lieux annexes aux résidences, place Molière et square Monnet, et un lieu
public, place Ottina (la place de l'hôtel de ville). En plus, nous avons fait un échantillonnage sur
le temps : on a décidé donc d'observer certains endroits pendant le week-end, notamment la
place Salengro le dimanche, lors du marché, place Ottina le samedi après-midi, moment de
détente et temps libre, et les équipements sportifs du centre-ville le dimanche, en occasion
d'événements sportifs. Nous avons ainsi mené huit séances d'observation :
1. mercredi 28 mars, 10h30-22h30, place Salengro ;
2. vendredi 30 mars, 10h30-16h30, place Molière ;
3. dimanche 1er avril, 11h00-15h00, marché du dimanche en place Salengro et événements
sportifs au stade Jacques Joly ;
4. mardi 3 avril, 10h00-14h00, rue Anatole France ;
5. jeudi 5 avril, 14h00-22h00, place Molière ;
6. samedi 7 avril, 15h00-19h00, place Ottina ;
7. mercredi 11 avril, 9h45-13h00 et 14h00-19h00, square Monnet et place Ottina ;
53
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 3. La méthodologie
15
Le texte des interviews est disponible en annexe.
16
Nous nous excusons avec l'intéressé pour le mauvais orthographe.
54
4. Le terrain
Pour raisons de lisibilité, nous fournissons ici seulement certains éléments. L'intégralité de
la matière recueillie est disponible en annexe.
Ensuite, en traversant le square Monnet, je passe devant l'entrée d'un immeuble, où il y a un groupe
55
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 4. Le terrain
d'enfants, de 10 ans environ. Je les regarde en passant, puis je m'arrête sur un d'entre eux car il me
semble de le reconnaître des ateliers à l'école. Il me regarde un instant et puis me dit quelque chose
dont je ne saisie que les mots « sœur » et « dire » mais non la signification globale de la phrase.
Instinctivement et irrationnellement, je suppose qu'il me dise quelque chose comme « Que veux-tu,
pourquoi tu regardes ? ». Alors je répond, « Je veux rien dire », en faisant un signe comme pour dire
« c'est bon », et je m'en vais. Derrière l'angle, je comprend, il avait dit « Tu veux lui dire de rendre à ma
sœur... ? ». En effet, apparemment un enfant avait pris quelque chose à la sœur de cet enfant et il ne
voulait pas lui rendre. En me reconnaissant, il m'avait demandé d'utiliser mon autorité de grand pour
réparer à ce tort.
Ce rencontre me donna en tout premier de la honte, car un enfant demanda mon aide et je pris peur
d'une manière irrationnelle. En conséquence, je donnai la pire réponse, avec laquelle je m'en fichai de sa
demande d'utiliser l'autorité qu'il m'attribuait. Cette autorité resta ainsi confinée derrière les parois de
l'institution scolaire. En un deuxième temps, cela me fit réfléchir sur le fait que en cet espace, assez
renfermé, n'importe quel grand présent dans l'espace public peut être considéré comme doué de la
légitimité pour intervenir lors d'une dispute entre petits. Ce fait semble impliquer d'ailleurs, que les
parents ou les frères aînés ne sont pas près des enfants pour recouvrir ce rôle.
56
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 4. Le terrain
endroits.
Une espèce de perquisition suivit : il me demanda qu'est-ce que j'avais dans mon sac et je lui montrai ; le
fait d'avoir un billet de train pour Milan comme marque-page m'aida beaucoup. Il demanda puis de
soulever ma veste au niveau du ventre pour voir si je cachais quelque chose (éventuellement un pistolet
si j'avais étais un flic ? mais d'ailleurs il est évident qu'en ce cas je ne me serais pas autant rapproché).
Une fois vérifié que j'étais « clean », ils essayèrent presque d'expliquer leur attitude agressive : il me dit :
« ici c'est comme à Rome, à Naples ». « C'est-à-dire, que c'est dangereux ? ». « Non, mais c'est
contrôlé ». Et il ajouta : « ça nous fait bizarre... », en sous-entendant « que quelqu'un qu'on ne connaît
pas reste nous observer ». Dans cette phase de connaissance, où ils essayaient de me cadrer, ils
demandèrent si j'étais gay et je fis une blague un peu homophobe. Comme quoi, si on est sous pression
on peut dire n'importe quoi.
[...]
À ce moment-là, j'étais donc installé à coté d'eux. Ils commencèrent à me poser des questions sur mon
cursus d'études et sur mes perspectives de travail : j'expliquai que j'étais en géographie à l'Université de
Strasbourg et que j'étais à Lyon pour mon stage obligatoire de fin d'études :
« Tu es Bac plus... ? »
« Bac plus 5 »
« Quelle age as-tu ? »
« 25 ans »
« Et quand tu commences à travailler ? »
« Là, en septembre »
« Et on gagne bien avec ton travail ? »
« ça dépend... »
« Et alors tu as fait tout ça pour rien ? »
« Il y a quand même beaucoup de diplômés qui galèrent à trouver un bon travail ».
Au bout d'un moment, celui qui m'avait parlé au début et « fouillé », dit : « géographie... j'ai une
question géographique pour toi. Mais c'est une question piège ! » Il me dit d'observer l'alignement des
arbres autour du square et il me demanda, si je remarquais quelque chose. Je dis, non. Alors il
m'emmena dans un endroit et il me montra qu'il y avait deux arbres manquants, un dans la rangée
intérieure et un dans celle extérieure du square. « ça nous fait un trou! » il affirma. « ça vous dérange? »
« Non, mais on est curieux, on veut savoir ». Et il me dit que, si je parlerais avec les gens de la mairie et
je découvrirais pourquoi ces deux arbres manquaient, de passer le leur dire. Cet échange montrait qu'il
avait compris très vite et assez précisément ce que je faisais, au moins quel était mon rôle, que je
pouvais être en contact avec la mairie. Il écoutait de la musique rap, en même temps. Ces deux échanges
ont montré une forte curiosité de leur part envers moi, qui étais un objet inhabituel peut- être pour leurs
fréquentations.
En restant un peu avec eux, environ de 12h30 à 13h00, j'ai pu assister à la dynamique de sociabilité qui
se développe en ce contexte : en effet, tous les jeunes résidents du square peuvent passer échanger
quelque mot, selon l'envie de chacun. Un jeune par exemple arriva en voiture, habillé avec une tenue de
travail, il fit signe en souriant et monta chez lui. Un autre vint, salua tous y compris moi, et s'arr êta
parler d'actualité. Ils abordèrent trois sujets de conversation, tous caractérisés par une dimension
symbolique en rapport aux questions identitaires : les faits de Mohammed Merah, la mort de bin Laden
et le 11/9. Je pus entendre dans la façon dont ils parlaient de la rage ; en plus, ils affirmaient que les
médias mystifient la réalité et ne sont pas du tout fiables.
57
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 4. Le terrain
58
5. Les résultats
60
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 5. Les résultats
61
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 5. Les résultats
relativement rapprochés les uns aux autres et l'espace public est assez restreint par les édifices.
Ceci ne serait point possible à place Molière, pour ses dimensions.
1
La journée d'observation était en une période de vacances scolaires.
62
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 5. Les résultats
visé à valoriser la nouvelle zone d'expansion urbaine, aux années '60-'70, comme on l'a vu. À
partir de là, au fil des années d'autres mesures d'aménagement se sont succédées, toujours
finalisées à créer un espace de centralité et d'activité au milieu des nouvelles barres et tours de
logements.
Aujourd'hui on voit à l'œuvre, sur les usages de cet espace, les effets plus ou moins réussi
de ces tentatives de valorisation. Il y a en effet des éléments de l'espace physique qui favorisent
l'usage du lieu comme lieu central et poussent les personnes à s'y rendre et d'autres éléments qui
rendent cet endroit peu attirant. La route traversant place Ottina est à deux voies avec des
places de stationnement sur les abords. Comme on peut le voir encore aujourd'hui sur un plan
de l'agglomération lyonnaise, cette rue (Boulevard Edouard Herriot) est marqué comme une
voie de communication inter-communale. Aujourd'hui, elle ne l'est plus, grâce à des
aménagements routiers, dont la surélévation de la chaussée en correspondance de la mairie, qui
ont visiblement essayé de rendre cette rue plus apaisée. Toutefois, elle reste moyennement
bruyante et sa traversée demande un certain degré d'attention. En particulier, nous avons
observé que les voitures provenant de la descente de rue Edmond Rostand, roulent parfois à une
vitesse remarquable. En plus de cela, il nous est arrivé d'observer diverses fois des conducteurs
faisant des manœuvres sportives (inversions, coups de frein violents) pour divertissement, ce qui
rend l'endroit encore moins attirant pour un passage apaisé. En ce qui concerne
l'environnement sonore, le passage du tram est aussi une source de bruit, car il fait une courbe à
hauteur de l’îlot de la mairie.
Pendant la pause midi, la majorité des commerçants baisse son rideau et globalement cela
donne une image de désertification pendant cet horaire, où le passage piéton s'intensifie car les
employé(e)s du coin (de la mairie principalement) sortent pour acheter son repas. Il serait
intéressant de savoir pourquoi les commerçants adoptent cette pratique, s'il y a eu des épisodes
particuliers qui les ont poussés à cela. Au contraire, quand les magasins sont ouverts, ils donnent
un sens d'ouverture et de vivacité à l'endroit, en constituant une continuité au rez-de-chaussée
du coté Sud de la place. Les deux bâtiments d'angle de rue Gallavardin ont une forme arrondie
avec des grandes vitrines, qui donne une allure de zone commerciale. De l'autre coté, ce sont les
services publics et culturels qui se concentrent : mairie, centre communale d'action sociale
(Ccas), médiathèque, cinéma, artothèque et brasserie sur la pointe de l'îlot, d'où on peut jouir
d'une vue agréable derrière une paroi vitrée. Ces services génèrent un passage et une attraction
importants, qui se fait à pied ou en voiture. Par contre, en ce qui concerne le cadre bâti, les deux
édifices qui font face à la mairie ont un aspect assez opprimant et laid, ils nous évoquent la
périphérie d'une grande ville ex-soviétique et gâchent un peu l'ambiance de centre-ville.
63
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 5. Les résultats
Relations entre les Place Molière Square Monnet Place Ottina – Place Ottina –
individus semaine weekend
trafic
Courtoisie
Obligation
formalisée
Obligation non
formalisée
Choix formalisé
Choix non
formalisé
64
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 5. Les résultats
65
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 5. Les résultats
qu'elle est censée avoir ; au contraire les dimensions, les rapports entre hauteur des bâtiments,
espace libre, rue et trottoir en square Monnet favorisent un usage intense de cet espace, jusqu'au
point de pouvoir s'appeler à la fenêtre en sifflant, ce qui serait physiquement impossible en
place Molière. Finalement, on peut remarquer que les dimensions de l'espace favorisant un
usage intense sont mieux proportionnées aux dimensions du corps humain. On a pu vérifier cela
aussi au Village, où la rue étroite crée un environnement sonore agréable et permet des
rencontres, des salutations dans l'espace public ; ou encore en rue Anatole France, avec l'épisode
du clac-sonnage vers une fenêtre pour saluer quelqu'un.
Au contraire, la place de la mairie répond surtout à des fonctions de nécessité et besoin ;
les activité de sociabilité et récréatives ne sont pas absent mais semblent avoir un rôle
secondaire dans les usages de ce lieu. Pendant la semaine, ce lieu est fréquenté surtout pour y
faire des commissions, et les usages de loisir ou de rencontre restent minoritaires. L'observation
du samedi après-midi a permis de relever que effectivement les activités typiques d'un centre-
ville y sont présentes ; toutefois avec une intensité qui nous est semblé assez réduite. Pour
évaluer cet aspect, il serait nécessaire une approche quantitative, afin de comparer le nombre de
personnes, le volume d'affaires du centre-ville de Saint-Priest avec celui d'autres communes de
couronne des agglomérations urbaines. Nous remarquons également que dans le week-end les
relations de nécessité ont disparu et par contre nous sommes tombés sur le seul usage festif
relevée. Ceci est un autre indicateur de « centralité » : la présence de moments spéciaux,
symboliques.
Notre hypothèse est donc confirmée partiellement : d'un coté, nous avons vérifié
que les espaces annexes aux résidences recouvrent un rôle très important pour les
habitants du centre-ville, qui va au-delà des fonctions traditionnelle des espaces
résidentiels ; de l'autre, nous avons trouvé une réalité nuancée dans l'espace public. C'est
vrai que celui-ci est surtout un lieu de passage, un lieu utilisé pour les services qu'y se
concentrent, et cela confirme notre hypothèse, car il ne s'agit pas d'un espace public
traditionnel, où les relations sociales et la symbologie publique se mettent en scène. Par
ailleurs, ce lieu n'est pas que un lieu de service : une certaine sociabilité y est, il est
choisi par certains habitants pour y passer leur temps libre, notamment le samedi après-
midi en faisant du shopping, et il devient un lieu d'événements publics, lors des
mariages. Comme nous le disions déjà, il bénéficie des choix volontaristes faites par les
aménageurs et les décideurs mais il n'est que partiellement investi par les habitants
comme vrai lieu « central » de l'espace urbain.
Nous constatons donc que une nouvelle forme d'urbanité est à l'œuvre ici, une urbanité
que les gens venus habiter Saint-Priest ont développée autour des bâtiments organisant cet
espace. Il s'agit d'une urbanité où les lieux privés et les lieux publics n'ont plus les m êmes
fonctions et caractéristiques que dans la ville européenne traditionnelle, la ville « dense ». À ce
sujet sont très claires les mots de Cécile Gouy-Gilbert, à propos de Saint-Martind'Hères, ville de
l'agglomération grenobloise :
67
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 5. Les résultats
« Penser une ville » à partir de l'existant, définir quelle pourrait être sa place au sein de
l'agglomération peut sembler difficile hors des références à la ville traditionnelle,
attachées à une certaine théâtralité et à une immédiate visibilité, ou à celles des petites
villes rurales. C'est beaucoup moins vrai si, au-delà de ces images spontanées et un peu
naïves, on conçoit la ville comme un réseau, ou un assemblage à la fois unifié et
diversifié […] ayant vocation à se relier à d'autres réseaux dans le cadre d'une
agglomération. Saint-Martin-d'Hères, avec sa propre histoire, ses politiques, ses
propres contraintes, s'est peut-être déjà engagée dans l'expérimentation de cette
nouvelle forme d'urbanité2.
Le rôle des pouvoirs publics en ces dynamiques est remarquable, mais il n'est pas le seul :
ils peuvent adresser ou adapter des pratiques de l'espace déjà existantes, liées plutôt à la
structuration de l'espace et aux choix des groupes et des individus. Certes, la rénovation urbaine
promue au sein de la Politique de la ville à Saint-Priest aura des impacts très relevants, toutefois
elle ne pourra pas se suffire pour façonner cette urbanité, avant tout parce que la plupart des
ensembles résidentiels qui structurent l'espace du centre-ville resteront. Et d'autre part, il est
légitime de s'interroger sur quelle urbanité est proposée, par le biais de projets de rénovation
urbaine comme celui-ci. Il nous paraît qu'il ne s'agisse pas de l'urbanité « traditionnelle », du
type qu'on trouve au « Village » à Saint-Priest. En effet, bien qu'aux apparences assez différentes
que les barres construites dans les années '60, il s'agit toujours de grands immeubles, bâtis selon
des techniques industrielles, qui n'intègrent pas une continuité bâtie mais qui vont plutôt la
créer. Le type d'urbanité sous-jacent à ces réalisations ne nous semble pas plus loin de l'urbanité
de grands ensembles, que de l'urbanité de la ville dense. Pour cette raison, il demeure important
d'analyser l'urbanité des grands ensembles, car avec des apparences différentes – plus ou moins
de standing – elle est destinée à être reproposée dans la construction et la reconstruction des
villes de demain.
2
Cécile Gouy-Gilbert, De la mémoire et de ses usages: politique culturelle d'une ville périphérique , in AA VV,
Villes, patrimoines, mémoires. Action culturelle et patrimoines urbains en Rhône-Alpes , Direction régionale
des affaires culturelles de Rhône-Alpes et Délégation régionale du Fonds d'action sociale, 2000, p. 42.
68
Conclusion
Nous avons terminé l'étude d'ethnographie de l'espace. Nous sommes partis du principe
que pour une analyse satisfaisante d'une réalité complexe, telle que la ville, les approches
« techniciennes » traditionnelles ne sont pas suffisantes et doivent être intégrées par des apports
des sciences dites « souples ». Parmi celles-ci, nous avons approfondi les contributions
potentielles de l'anthropologie, car son attitude méthodologique nous semblait rejoindre la
nécessité ou l'exigence d'impliquer davantage les citadins dans les décisions relatives à
l'aménagement urbain. L'anthropologie, et plus précisément l'ethnographie, semblait disposer
de méthodes et techniques d'enquêtes utiles à recueillir, traiter et interpréter la matière issue de
récits verbaux ou de pratiques de l'espace.
Nous avons donc élaboré une approche ethnographique au territoire concerné par notre
étude. Cela s'est traduit premièrement par une attitude envers les phénomènes observés, les
personnes rencontrées et la façon de recueillir les données ; et aussi par les techniques d'enquête
choisies, notamment l'observation et les interviews. Notre objet d'étude ont été les relations
entre individus et lieux et nous nous sommes servis à cette fin de la théorisation de deux
chercheuses italiennes.
L'analyse du territoire étudié s'est basée sur l'analyse des formes et de la morphologie
urbaine. Nous avons ainsi repéré trois unités paysagères urbaines à l'intérieur de ce territoire,
caractérisées par une homogénéité des formes urbaines : le « tissu urbain continu », les « grands
ensembles » et le « pavillonnaire ». Nous nous sommes concentrés sur l'unité de grands
ensemble, car nous y avons repéré un élément intéressant : l'absence de rues au sens
traditionnel du terme, comme lieu de vie publique d'un milieu urbain.
Nous avons donc fait l'hypothèse que les activités qui caractérisent traditionnellement
l'espace public, avaient lieu dans des espaces de statut différent, notamment les espaces qu'on
trouve en bas et autour des ensembles résidentiels. Nous avons observé les relations entre
individus et lieu en trois espaces, dont deux annexes aux résidences et un public, pour vérifier
cette hypothèse. L'espace public a été observé à deux moments différents, pendant la semaine et
dans le weekend, ce qui a révélé des phénomènes sensiblement différents.
69
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux Conclusion
Nous avons vérifié que les espaces résidentiels sont effectivement investis, par
certains habitants, par des activités qui traditionnellement trouvent place à l'extérieur
du lieu de vie, dans l'espace public. Au contraire, nous avons aussi vérifié que l'espace
public observé (la place de la mairie) revêt pendant la semaine surtout un rôle de service,
et moins de lieu de vie publique. Ce constat change dans le weekend, où on a repéré des
relations entre individus et lieu non dictées par la nécessité et où cet espace recouvre
certaines des caractéristiques traditionnelles des espaces publics.
L'analyse morphologique a permis d'un coté d'éviter toute classification basée sur la
provenance ethnique, de l'autre coté de développer une réflexion sur le concept d' urbanité. En
effet, la forme physique de l'environnement urbain est ce qui crée les conditions pour le
développement des relations et des activités qu'on attribue traditionnellement à la ville, en
opposition à la campagne. L'absence des éléments morphologiques urbains traditionnels fait
surgir des questions sur les nouveaux types d'urbanité qui se développent en ces milieux. Cela
est d'autant plus intéressant, lorsqu'on considère que la zone d'étude a été urbanisée il n'y a que
50 ans, donc nous pouvons supposer que les pratiques urbaines de ces citadins, face à ces formes
urbaines inédites, sont douées d'une très grande dose de créativité.
L'approche adoptée prend en considération des dynamiques de long terme, voire très long
terme. En effet cette nouvelle forme urbaine, qui a été interprétée par certains comme la fin de
l'urbain, vient remplacer la forme « traditionnelle », définie « modèle urbain européen » par
Anne Raulin1 et dont l'étendue temporelle va de l'antiquité jusqu'à la révolution industrielle.
Anne Raulin a raison, lorsqu'elle rappelle que les premières villes, se développèrent suite à des
conditions économiques favorables, notamment l'apparition de l'agriculture. Cela nous fait
comprendre que la réalité urbaine est liée à un certain type de système économique. Il devient
beaucoup plus compréhensible alors que, suite à un autre changement de système économique,
dû à l'apparition et le développement de l'industrie, la réalité urbaine est amenée à se
transformer en profondeur. Ce qui nous apparaît comme l'apparition de nouvelles formes
urbaines et d'urbanité, serait plutôt une partie du processus global de ré-organisation du
territoire. Nous sommes tellement habitués à la ville, au type traditionnel de ville, que nous
oublions qu'elle aussi, elle est un phénomène historiquement situé et, en tant que tel, soumis à
la transformation.
L'approche adoptée est de type purement qualitatif. Nous avons pu vérifier l'existence
d'un certain type de relation entre individus, ou son absence. C'est pourquoi, il serait fort
intéressant d'essayer de quantifier ces phénomènes, pour pouvoir comparer différentes
situations locales et ainsi préciser mieux comment l'urbanité d'un lieu est en train d'évoluer.
Maintenant, nous essayons de répondre aux questions posées dans l'introduction, c'est-à-
dire quelle contribution une approche ethnographique peut amener aux démarches
participatives, et plus en particulier à celles que nous avons connues directement, soit celles
portées par Robins des Villes. Il faut faire référence aux deux documents reportés aux pages 13-
1
Op. cit.
70
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux Conclusion
16, pour saisir correctement ce que nous allons exposer. Nous souhaitons ainsi donner notre
petite contribution à la construction du « droit à la ville ».
71
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux Conclusion
Un saut d'échelle ?
L'analyse territoriale que nous avons proposée permettrait aussi d'aborder des territoires
de plus grandes dimensions que ceux investis d'habitude par les démarches de concertation
Robins des Villes. L'étendue de notre zone d'étude, correspondant au triangle ORU, était
d'environ 50 ha. Le choix de Robins des Villes au contraire est d'intervenir sur des micro-
espaces, parce que c'est surtout à cette échelle que l' expertise habitante, c'est-à-dire la
compétence et la connaissance spatiale des habitants/usagers, se dégage.
Notre proposition pour aborder des espaces plus vastes ne dément pas ce principe, au
contraire elle le confirme encore plus. En effet, nous avons pu analyser et caractériser un
territoire plus vaste en prenant en considération plusieurs micro-espaces compris dans ce
territoire. Le type d'analyse porte toujours sur les espaces dont on peut faire une expérience
directe, autrement dit, les espaces dont les dimensions physiques sont mesurables aux
dimensions du corps humain. Nous avons constaté que c'est ce type d'espaces qui est investi
davantage par les habitants/usagers. Par exemple, place Molière est sur-dimensionnée, alors que
square Monnet offre des conditions physiques plus favorables pour y développer des activités,
des relations. Ou encore, la largeur, le revêtement de sol et la présence d'édifices longeant la
Grand'Rue au Village, permettent même d'entendre le bruit de la marche des passants, quand il
n'y a pas de voitures. C'est bien à partir de micro-espaces que nous avons aussi mené notre
étude.
La caractérisation d'un territoire plus vaste est possible alors lorsqu'on met en dialogue
plusieurs micro-espaces, chacun avec ses caractéristiques. La question est alors : comment
choisir les espaces à observer ? Quels critères utiliser ? Nous avons proposé une analyse
paysagère urbaine. Ce type d'analyse permet de caractériser un territoire relativement vaste et
ensuite de choisir, à l'intérieur de chaque zone repérée, un ou plusieurs espaces qui paraissent
importants, publics ou privés, à différents moments de la journée et de la semaine. Ce type
d'analyse se base sur la classification des formes urbaines, l'apparence des bâtiments et sur
l'ambiance globale ressentie. Le « ressenti » de l'observateur est un important indicateur : une
homogénéité de paysage comporte une homogénéité de ressenti, à partir du moment où le
concept de « paysage » prend en compte à la fois les aspects physiques et perçus.
72
Sources
Bibliographie
73
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux Sources
Démarches participatives
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Saint-Priest
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Autres
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Délégation régionale du Fonds d'action sociale, 2000 ;
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www.cairn.info/revue-espace-geographique-2006-2-page-115.htm ;
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75
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux Sources
Autres sources
Interviews documentaires
28 février, Léa Marchand, responsable pôle sensibilisation à Robins des Villes ;
29 février, Nicolas Rochette, agent de développement social de l'équipe Dsu/Oru centre-
ville de Saint-Priest ;
7 mars, Jean-Louis Sackur, ancien directeur du Centre culturel Théo Argence ;
15 mai, Stéphane Collacciani, chef de l'équipe Dsu/Oru centre-ville de Saint-Priest.
Déambulations
15 février, 11h-12h15 ;
7 mars, 10h30-12h30, avec David Desaleux, photographe professionnel qui collabore avec
Robins des Villes.
Recherches documentaires
http://sig.ville.gouv.fr/, site du Système d'information géographique de la Politique de la
ville ;
http://www.geoportail.fr/, Le portail des territoires et des citoyens ;
archives municipales de la Ville de Saint-Priest ;
presse locale: Couleurs (magazine municipal), Le Progrès (édition Est Lyonnais) ;
fonds Robins des Villes ;
fonds Dsu centre-ville de Saint-Priest.
76
Annexes
a) Grilles d'observation
b) Interviews ethnographiques
c) Micro-trottoirs
d) Outils développés pour les ateliers Robins des Villes
e) Carte du centre-ville de Saint-Priest (détachable)
77
a) Grilles d'observation
Place Molière
Horaire Poste d'observation Lieu Personnes Interactions entre
personnes
9-12 Banc au croisement des Voir dessins: plan de 11h30 2 mamans rentrent avec enfants et une poussette
deux chemins près des situation, façades des tours, dans une tour : ont-elles pris les petits à l'école Brenier ?
tours. modules constructifs des Dehors, quelqu'un qui a fait es courses, quelqu'un qui
immeubles. promène son chien. Personne dans l'espace ouvert.
Terrain de basket : gravier
et cailloux, dangereux.
Vélos sur les balcons : il n'y
a pas de place dans la cour
[malgré l'espace libre à
disposition].
Comptage des places de
stationnement (effectué
entre 11h30 et 12h30) : 282
voitures sur 445 places
prévues (NB 410
appartement dans
l'ensemble) = 59%.
Places libres : 183*.
12-14
14-18 Banc au croisement des Une camionnette de la Retraité promène son chien. 15H00 un retraité s'assied
deux chemins près des police passe, ils avaient fait sur une banc, un autre descend avec les boules. Ça y est,
tours. le tour de la viabilité 3 personnes sur un banc, une dame avec son chien.
interne. 15h30 les équipes se montent. 15H45 ils commencent à
Dans le terrain de basket être nombreux : 8. Portugais ? Non, espagnols. Dame
des personnes âgées avec son chien.
jouent aux boules, aussi 16h45 2 petites avec 2 femmes voilées dans l'aire de
grâce au revêtement du jeux. 2 gamins avec papa (patron de la boîte 2T3M, dont
terrain. il prend le furgon).
Quelques enfants arrivent à mon babc. Des mamans
aussi (3) avec poussettes. 17H30 je m'en vais
18-22 Merles viennent se baigner
19h00 Retraités sont partis, des adolescents sont arrivés
dans une flaque. sur un banc, les enfants qui ont joué au foot (10 ans)
Je recompte les places de
sont autour d'une table de ping-pong, un couple d'ados
stationnement, places
arrive sur un banc et 2 petits enfants dans l'aire de jeux.
libres : 62. 2 jeunes s'installent sur une table.
19h30-40 Partent les enfants et les filles adolescentes.
20h00 je me lève, il y a 6 garçons 16-17 ans et encore 2
petites filles dans l'aire de jeux.
* le total est supérieur au nombre de places prévues parce que il y a des nombreuses places de stationnement hors les cases.
Croquis:
Parce que c'est confiné, c'est moins vaste. ...de tout. Arméniens, algériens, Fatih il était
C'est le vieux village. Le mot village il a une du Maroc. Il n'y a pas de différences là.
importance dans ce que je dis. Village. Après Mais ils habitent plutôt Saint-Priest.
quand tu dis ville, c'est autre chose. Mais quand tu
À l'époque je te parle. Mes copains d'avant
dis village, oh, tu respires. La gentillesse, les
c'était de toute nationalité et c'était vraiment génial.
promenades, les gens qui marchent...
Je voulais dire, l'endroit où ils habitaient.
Au village les gens sont plus gentilles
qu'au centre-ville ? Saint-Priest.
Et dans Saint-Priest, est-ce qu'ils je me souviens on jetait des cailloux pour que les
habitaient un quartier particulier ? noix tombent, on mangeait les noix blanches. C'est
Là où j'habitais, Diderot, Jean Jaurès, c'était un bon quartier là, pour moi.
toujours confiné, j'avais des copains extérieurs qui Et tu restais beaucoup dans les alentours de la
venaient... j'en avait mais on allait plus à Bourgoin, maison ?
à l'extérieur. Vraiment amis, ceux dont je te parle il Non non, on partait au château, on montait
y a deux arméniens, un espagnol, un italien, Sidali l'avenue Jean Jaurès, cette avenue elle est mythique,
et Fatih, donc ça fait six, c'était fabuleux. Et ce qui j'ai vécu des trucs formidables, sur cette avenue.
faisait notre force, parce que dans toutes les On bloquait les rues et des copains en moto ils
situations où on était, le rire c'était primordial, puis faisaient des courses ! Oh là là c'était merveilleux.
chacun avait son comique spécial, on rigolait bien. C'était chez nous, notre rue. Mais on le faisait
toujours avec... attention. Pas d'accidents, pas de
Et t'es encore en contact avec ces bêtises, on cassait rien, tu vois ? On a plus
personnes là ? l'impression maintenant qu'ils se foutent de tout,
Par téléphone. Moins par visu, parce que alors que avec un petit peu de clairvoyance de ce
chacun fait sa vie en fait. Les enfants, il y en a qui qui va se passer après, tu arriveras mieux à
se sont éloignés, quand je dis loin je parle à peu respecter ton alentours. Quand ils voient quelque
près soixante kilomètres. Il est resté sur le Rhône- chose de neuf, c'est toute de suite cassé. Ce qui est
Alpes. Mais j'ai toujours contact, oui. dommage. Le château c'était bien, t'arrivais au
château, donc on avait ce grand parc, était
Et quand tu habitais à Diderot, est-ce magnifique, on se posait, on se marrait, il y avait un
qu'il y avait des espaces communs, dans la magasin, on y passait on s'achetait une bière, une
cour, avec les autres bâtiments ? limonade on se faisait des panachés et après on
Oui. Ça faisait trois bâtiments, et au milieu il y avait montait au village, parce qu'on pouvait pas se payer
ce terrain de jeu et ce qui était bien est qu'on les boissons à l'intérieur et puis on était trop
pouvait basculer derrière l'autre bâtiment et là on jeunes. On n'a jamais été virés, jamais engueulés,
avait une grande pelouse où il y avait un grand jamais eu de la police, et ça faisait des balades, par
transformateur où on jouait au football, pour les contre on était à pied, alors, après avec les
poteaux. En face de Diderot, il y avait encore un mobylettes c'était autre chose. Là on se faisait
espace d'herbe où on jouait puis il y avait un noyer, engueuler parce que on faisait trop de bruit.
c) Micros-trottoirs
Vendredi 11 mai. des locataires, est-ce que vos envies ont trouvé
une solution ?
Oui, on a trouvé ce qu'il nous fallait.
Diderot Si ce n'est pas indiscret, vous allez habiter où ?
1. madame 40 ans avec enfants En centre-ville.
Vous habitez ici ? Ça veut dire...
Oui. Les bâtiments qu'ils sont en train de construire.
Depuis combien de temps ?
Quatre ans. 2. Monsieur 50 ans avec sa petite fille
Est-ce qu'il y a des endroits particuliers de Vous habitez en ce quartier là, Diderot ?
Saint-Priest, où vous vous sentez à l'aise ? Non, je suis venu voir ma fille.
Non, je me sens bien partout. Parce que j'aime Et vous habitez Saint-Priest ?
bien Saint-Priest. Oui.
Et pourquoi ? Quel quartier ?
On a grandi là. Centre-ville.
Dans ces immeubles ? Et quand vous dites centre ville de Saint-
Non, à la Pointe-joie, c'est un quartier. Priest, qu'est-ce que vous entendez ?
Et vous n'êtes pas concernée par les Pratiquement, c'est près de la mairie.
relogement. Et ça fait longtemps que vous habitez à Saint-
Si, si. Priest ?
Et comment vous vivez cette situation ? Oui.
Plutôt pas mal, parce qu'on voulait déménager. Est-ce qu'il y a des endroits que vous aimez
Je sais que la mairie a fait des enquêtes auprès bien de Saint-Priest, spécialement ?
Spécialement, non. vous aimez bien ?
Et vous allez jamais vous promener... ? À Bel Air, je n'aime pas trop.
Non, je vais jamais. Et votre lieu préféré à Saint-Priest, c'est
Et vous allez où alors ? lequel ?
Moi je vais à Lyon, je vais voir ma fille, chez moi, Normalement, ici. Pour moi, mes enfants, le
mais pas spécialement à Saint-Priest. respect...
Pourquoi ?
Ça m'intéresse pas. 4. jeune femme
Par contre est-ce qu'il y a des endroits où vous Depuis combien de temps tu habites ici ?
êtes mal à l'aise, où vous n'aimez pas rester... ? Saint-Priest depuis 86, le quartier depuis 2003.
Non, non pas du tout. Est-ce qu'il y a des endroits que tu aimes bien
Peut-être vous avez des souvenirs particuliers à Saint-Priest ? Auxquels tu es rattachée ?
dans quelque endroits de Saint-Priest... Le centre-ville.
Non, non, non, c'est vague. Moi, ça me plaît Saint- Qu'est-ce que c'est le centre-ville pour toi ?
Priest, parce que moi j'habite ici, mes parents ma J'ai grandi là-bas.
mère habite ici, c'est pour ça que j'y reste... Je suis Oui, mais qu'est-ce que tu entends avec
bien là ! centre-ville de Saint-Priest ?
Et vous êtes concerné par les relogements ? Bellevue, Les Alpes.
Vous savez, il y a... D'accord. Parce que tu as des souvenirs liés à
[la fille intervient] : ce bâtiment et l'autre parallèle. cet endroit.
Non, je ne suis pas concerné. Oui d’enfance. Des choses qui m'ont marquée
aussi.
3. Monsieur 50 ans, avec les deux petites T'ont marquée comment ?
filles. Des soucis familiaux.
Vous habitez à Saint-Priest. Et du coup c'est à la fois des souvenirs positifs
À saint-Priest, depuis 22 ans. et negatifs.
Dans ce bâtiment là ? Oui.
Ce bâtiment là, qui va être démoli, et c'est C'est tout concentré dans cet endroit là.
dommage. Oui, voilà.
Pourquoi ? Tu habites le quartier Diderot, du coup tu es
Parce que on est bien là. concernée par les relogements aussi.
Vous allez déménager où ? Voilà, c'est ça.
Je sais pas. Moi j'aime bien rester par là. Et tu sais déjà où tu vas aller ?
Et la mairie, ils sont venus vous chercher, pour Non, je sais pas encore. J'ai déménagé d'un quartier
demander... qui vont démolir.
Oui oui, bien sûr. Lequel ?
Et le relogement, comment vous le vivez ? Les Alpes.
Ça fait mal. C'est obligé, mais ça fait mal. Tu as déménagé des Alpes, ici.
Et pourquoi ça fait mal ? Ici, et je dois encore déménager.
Parce que on a l'habitude, on connaît tout le Et comment ça se fait que tu as déménagé...
monde, personne ne casse la tête, tu vois, c'est ...ils savaient pas encore qu'ils allaient démolir.
impeccable. Comment tu vie le fait que tu dois déménager
Avec les voisins, ça se passe bien. encore ?
Avec les voisins, tous par là, jusqu'à là-bas [il J'espère qu'ils vont pas me mettre dans un
indique les bâtiments], beaucoup de respect, bâtiment qui vont encore démolir, c'est tout.
quelqu'un il voit une femme qui a à porter, va lui Tu aurais des préférences de quartiers où
donner un coup de main pour trois quatre étages... aller ?
C'est comme de la famille, ce sont des quartiers, Non, mais pas Bel Air.
familials ! Et pourquoi ?
Vous aimeriez aller où ? Je sais pas, j'aime pas.
Moi j'aimerais bien rester ici ! Tu voudrais rester sur Saint-Priest ?
Oui mais, il faut partir... Oui.
...à Saint-Priest ! Et si tu vas te promener, tu vas à Saint-Priest,
Et vos voisins, ils ont déjà décidé ? quand tu as du temps libre ?
Il y en a qui sont partis à Mions, à Corbas... À Saint-Priest, mais aussi ailleurs.
Est-ce qu'il y a des endroits à Saint-Priest que Et à Saint-Priest, tu vas où ?
À Auchan. Pour les enfants. Là.
[l'autre femme] : les petits jardins.
5. 3 adolescents Vous amenez vos enfants ?
Ils habitent Diderot, Les Alpes, Bellevue. Oui.
Ils présentent eux-mêmes et Saint-Priest comme Et vous rencontrez des gens ?
un lieu où il n'est pas facile d'entrer, dangereux ; [l'autre femme] : Oui, les mamans et tout, avec les
pas pour moi parce que je suis étranger, mais pour petits enfants, et on joue ensemble... c'est bien.
quelqu'un d'un autre quartier, d'une autre bande [la première femme] : il y a l'ambiance.
oui, « il y a des histoires ».
Ils ont affirmé que à Saint-Priest il y a « la 2. Adolescente
racaille », à ma demande de m'expliquer ce terme, Vous habitez Saint-Priest ?
ils ont répondu en citant la délinquance, la mafia, le Oui.
shit. Depuis combien de temps ?
J'ai demandé, où ils amèneraient un ami qui n'est Dix ans.
pas de Saint-Priest qui vient leur rendre visite : « il Est-ce que tu as un endroit préféré à Saint-
reste avec nous », ils fumeraient la chicha Priest ?
ensemble. Non.
Et des endroits qui te mettent à l'aise ou mal à
6. Dame voilée l'aise ?
Elle déménage dans du neuf et reste dans le Non.
quartier, donc c'est bien. Elle cite les voisins Et tu es bien ou pas à Saint-Priest ?
actuels comme élément positif. Elle voulait rester à Je l'aime bien, mais... sans plus.
Saint-Priest. Si il y a un ami ou une amie qui vient te visiter
Il n'y a pas de lieux où elle se sent mal à l'aise, c'est à Saint-Priest, tu l'amènerais où ?
20 ans qu'elle habite ici, « il y a l'habitude ». Vers les Portes des Alpes.
Comme lieu qu'elle aime bien, le centre-ville, il y a Faire du shopping ?
les magasins, tout est à « proximité ». Oui, vers Auchan.
Pour elle, c'est bien de changer.
3. Dame 50 ans
Sortie d'école J.Brenier Vous habitez à Saint-Priest depuis combien de
temps ?
1. dame 50 ans qui s'occupe de la traversée
Vingt ans.
piétonne en face de l'école
Quel quartier ?
Vous habitez Saint-Priest, depuis combien de
Le centre.
temps ?
Qu'est-ce que vous entendez avec centre ?
Depuis 78
Mairie.
Quel quartier ?
Est-ce qu'il y a un endroit qui vous met à l'aise
Là, Bellevue, Georges Sand, en face de la mairie.
ou mal à l'aise à Saint-Priest ? Où vous aimez
Est-ce qu'il y a des endroits que vous aimez
bien rester, passer votre temps...
bien à Saint-Priest ? Vos endroits préférés ?
Non, non.
J'aime tout.
Il n'y a pas d'endroits où vous allez vous
Il n'y a pas d'endroits que vous aimez plus que
promener... ?
d'autres ?
Au centre, non. Sur Saint-Priest ? Non, non plus.
C'est l'école.
Et vous êtes plutôt mal à l'aise à Saint-Priest ?
Et pourquoi ?
Il n' y a pas d'endroits où on se trouve bien.
Je suis tout le temps là. 32 ans je suis là. Mes
Et pourquoi à votre avis ?
enfants étaient là, je m'habitue à l'école.
Parce que c'est sale.
Est-ce qu'il y a des endroits qui vous mettent
Est-ce que vous avez des endroits auxquels
un peu mal à l'aise à Saint-Priest ?
vous rattachée au niveau affectif ? Si vous avez
Non non non.
des souvenirs peut-être.
Et qui vous mettent à l'aise, par contre ? Vous
L'ancien centre. Le village.
pouvez faire un exemple ?
Et pourquoi ?
Par exemple, le château c'est bien.
Parce que c'était plus intime.
[une autre femme intervient] : les petits jeux, les
Et vous avez habité là-bas ?
petits parcs aussi...
Non. J'ai connu ce centre, avant c'était le centre,
Les petits parcs... ?
parce qu'on avait la mairie, on avait tout. C'était
plus agréable. Place Molière. C'est juste à coté.
Pourquoi à votre avis c'était mieux ? Le square, vous parlez de quel square ?
C'était moins grand. C'était plus rural. Maintenant Le square qui est juste là [elle indique], le jardin
c'est la ville. d'enfants.
Vous êtes concernée par les relogements ? Est-ce qu'il y a des endroits, outre celui-ci, qui
Non. vous mettent à l'aise à Saint-Priest, où vous
aimez passer votre temps libre par exemple ?
4. Dame 62 ans. En bas de chez moi. Pareil. La place Molière.
Vous habitez à Saint-Priest ? Au contraire, est-ce qu'il y a des endroits où
Oui, je suis née à Saint-Priest. Ça fait 62 ans. Et vous n'aimez pas beaucoup passer ou rester ?
mes parents sont italiens naturalisés en France, Le centre-ville.
mais ils sont morts. C'est-à-dire ?
Pourquoi ils étaient venus à Saint-Priest ? Il n'y a pas de place pour se garer et... quand j'y
Pour travail aussi, à l'époque. vais c'est un peu embêtant.
De quelle région de l'Italie ? Quand vous dites centre-ville, vous entendez...
Ma mère était de Venise et mon père était de ...la mairie.
Parme. Vous n'aimez pas parce qu'il n'y a pas de
Est-ce que vous aimez Saint-Priest comme place pour se garer et... d'autres raisons aussi
ville ? ou pas ?
Parce que mes parents sont venus là et puis ben, je Non, juste ça en fait.
suis née là, donc je suis habituée à Saint-Priest et Et vous habitez Saint-Priest depuis combien
puis c'est une ville qui est quand-même agréable. Il de temps ?
y a tout, magasins, les transports et tout. Six ans.
Quand vous avez du temps libre vous le passez Du coup vous n'avez pas tellement de
à Saint-Priest ou plutôt à Lyon ou plutôt dans souvenirs, j'imagine.
d'autres... Non.
...des fois, l'hiver je vais sur Lyon faire un peu les
magasins, Saint-Priest ben il y a les piscines tout ça, 6. Couple sur la quarantaine
sinon je pars au camping, vous voyez... Vous venez d'arriver à Saint-Priest.
Vous habitez quel quartier à Saint-Priest ? Oui
Quartier de la gare. Et comment la ville vous paraît ?
Est-ce qu'il y a un endroit particulier que vous On vient de la campagne, donc ça nous fait bizarre
aimez à Saint-Priest ? Dans le sens, où ?
Non, pas particulier. J'aime bien tous les endroits Où on était, il n'y avait personne.
mais particulier non, pas spécialement. Et du coup pour le moment, vous devez vous
Vous n'avez pas un souvenir, peut-être. habituer encore ?
Où je suis née, la Cité Maréchal, mais qui n'existe On s'y fait pas ici. On va déménager. On repart à la
plus maintenant. C'est un quartier où je vie quand- campagne.
même encore, mais c'est des bâtiments maintenant. Qu'est-ce qu'il y a de Saint-Priest, de la ville,
Avant c'était des grandes maisons et tout. qui vous plaît pas ?
Par contre, est-ce qu'il y a des endroits qui Trop de monde, trop de monde.
vous mettent plutôt mal à l'aise, où vous Et vous êtes venus ici pour travail ?
n'aimez pas passer ou rester ? Non, non. On était à Meyzieu, puis on est allé en
Le quartier Bel Air j'aime pas trop passer. Si, vers Saône-et-Loire, la région était jolie mais moi je
la mairie, si j'aime bien. Le village est bien aussi. voyais pas ma famille la semaine, on a décidé de
Et pourquoi ? revenir sur Lyon, là on repart, soit dans l'Ain, soit
Parce que c'est animé, on se sent en sécurité, on est dans l'Isère. En maison. Là, là on a un appartement
bien. C'est bien animé et tout. et on s'y fait pas !
Qu'est que vous appréciez de vivre dans une
5. Jeune dame maison plutôt que dans un appartement ?
Vous habitez Saint-Priest ? Jardinage, être dehors, manger dehors, voilà.
Oui. [sa femme] : le voisin qui passe.
Quel quartier ? [lui] : t'as le voisin...
d) Outils développés pour les ateliers Robins des Villes
Carte mentale
Riassunto
Il miglioramento delle condizioni di vita in ambito urbano rappresenta una sfida sempre più complessa per
gli amministratori e gli esperti della città. Gli approcci tradizionali, basati sul binomio rappresentanti
politici/professionisti, sono messi in questione da approcci che valorizzano la legittimità tecnica e politica
degli abitanti e utenti dello spazio urbano. Questi ultimi sono considerati come portatori di una capacità a
migliorare i progetti urbani e a fornire maggiore legittimità alle scelte, grazie a una condivisione del
processo decisionale. Questo lavoro indaga gli apporti di un approccio etnografico alle pratiche di
urbanistica partecipata, per mezzo di uno studio sugli usi dello spazio urbano in un'unità paesaggistica di
grandi edifici residenziali, a Saint-Priest, città dell'area metropolitana lionese. Dopo una caratterizzazione
dell'area di studio secondo criteri paesaggistici, vengono analizzate le relazioni tra individui e luoghi, in
due spazi residenziali e uno spazio pubblico. I risultati mostrano che un' urbanità diversa da quella delle
città tradizionali è presente. L'applicazione di un approccio etnografico allo spazio urbano permette infine
di formulare delle proposte di miglioramento dei metodi di urbanistica partecipata.
Parole chiave : etnografia dello spazio urbano ; paesaggio urbano ; urbanità ; Saint-Priest ; Robins des
Villes ; diritto alla città.
Abstract
The improvement of living conditions in the urban context represents a more and more complex challenge
for cities' decision makers and experts. Traditional approaches, based on the alliance of political
representatives and technical professionals, are questioned by approaches developing technical and
political legitimacy of urban space inhabitants and users. The latter are considered as holders of a capability
to improve urban plans and give greater legitimacy to decisions, thanks to a shared process. This work
studies the contributions of an ethnographic approach to participative town planning processes, by means
of a study case on urban space practices in a large housing estate landscape unit , in the town of Saint-
Priest, in the urban area of Lyon. Having characterized the study zone by an urban landscape classification,
relations between individuals and places are analysed, in two residential spaces and one public space.
Results show that an urban life different from that of traditional cities is developing. The ethnographic
approach of urban space applied here, finally allows us to make some propositions in order to improve
participative town planning methods.
Key-words: urban space ethnography; urban landscape; urban life; Saint-Priest; Robins des Villes; urban
rights.