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Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux. Usages de l'espace urbain en une unité


paysagère de grands ensembles. Le cas du centre-ville de Saint-Priest

Thesis · June 2012

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1 author:

Matteo Del Fabbro


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L'Aquila of the future: strategies, spatialities and sociabilities of a post-quake city View project

The Evolution of Segregation in Large Italian Metropolises, since 1991 View project

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UNIVERSITÉ DE STRASBOURG
FACULTÉ DE GÉOGRAPHIE
Master Géographie Environnementale – spécialité Systèmes géographiques et environnements

Espaces bâtis et
bâtisseurs de lieux
Usages de l'espace urbain en une unité paysagère de
grands ensembles. Le cas du centre-ville de Saint-Priest.

Mémoire de Master 2
Directrice : Christiane Weber
Co-directrice : Laurence Florentino-Granchamp
Tutrice de stage : Léa Marchand
Étudiant : Matteo Del Fabbro
A.A. 2011/2012
UNIVERSITÉ DE STRASBOURG
FACULTÉ DE GÉOGRAPHIE
Master Géographie Environnementale – spécialité Systèmes géographiques et environnements

Espaces bâtis et
bâtisseurs de lieux
Usages de l'espace urbain en une unité paysagère de
grands ensembles. Le cas du centre-ville de Saint-Priest.

Mémoire de Master 2
Directrice : Christiane Weber
Co-directrice : Laurence Florentino-Granchamp
Tutrice de stage : Léa Marchand
Étudiant : Matteo Del Fabbro
A.A 2011/2012
Image de couverture
En arrière-plan, des balayeurs sont en train de terminer le nettoyage après le marché et le camion vert
derrière l'arbre est là pour la même raison. Sur la droite, le fourgon « Yamaha » est en train de livrer
des nouveaux exemplaires au magasin de motos qui se trouve en dehors du cadre, à droite. Après le
départ des forains, les premières voitures sont venues se garer sur le parking, qui reste toutefois
relativement dégagé. Les hommes en premier plan, en train de discuter autour d'un banc et sous
l'ombre d'un arbre, profitent de cet espace temporairement libéré des voitures. La discussion sous un
arbre est une scène universelle. L'arbre est un symbole du rattachement des personnes au lieu, de
l'enracinement des hommes dans un espace. Un arbre a, en effet, besoin de temps pour croître et
s'épanouir, il est donc le signe vivant que des personnes ont investi ce lieu, dans la durée. En
échange, avec son feuillage il offre aux hommes la possibilité de se poser et parler à l'abri du soleil et
donc de se sentir un peu plus « chez soi ».
Place Salengro à Saint-Priest, mardi 15 mai 2012 à 14h environ. Auteur : Matteo Del Fabbro.

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Pour contacter l'auteur : ledteo@yahoo.it


À ma grand-mère Vincenza
Remerciements
à Christiane Weber et Laurence Florentino-Granchamp, pour avoir accepté de diriger mon travail et
pour leurs indications ;
à Léa Marchand et Fabien Bressan, pour leur disponibilité et aux Robins des Villes sous toutes leurs
formes : salarié(e)s, bénévoles, stagiaires, adhérent(e)s ;
à Stefano Allovio et Marie-Pierre Gibert, pour les précieuses indications ;
au personnel des bibliothèques et centres de documentation auxquels je me suis adressé pendant mes
recherches, en particulier à celui des Bibliothèques de la Faculté de Géographie de l'Université de
Strasbourg, de la Maison Rhodanienne de l'Environnement et de la Manufacture – Université Lyon 3 ;
à Stéphane Collacciani et Nicolas Rochette, pour leur disponibilité ;
à Thierry Ramadier et Christophe Enaux, pour avoir accepté de faire partie du jury ;
à mes ami(e)s qui, sans le savoir, m'ont donné les meilleures idées.
Un remerciement spécial à toutes les personnes qui ont accepté de se faire interviewer.
Sommaire

Introduction..............................................................................................5
1. Le cadre théorique..............................................................................9
1.1 Le projet suivi pendant stage : « Visions de ville ».....................................................9
1.2 La problématique : l'amélioration des conditions de vie en milieu urbain...........11
1.3 Les apports de l'anthropologie à un urbanisme nouveau........................................17

2. La zone d'étude.................................................................................23
2.1 Cadre historique-géographique : trajectoire d'un quartier......................................23
2.2 Cadre social.....................................................................................................................30
2.3 Unités paysagères urbaines..........................................................................................34

3. La méthodologie...............................................................................40
3.1 Les contraintes de notre recherche..............................................................................40
3.2 Définition de l'objet d'étude..........................................................................................40
3.3 Formulation des hypothèses.........................................................................................44
3.4 Les techniques d'enquête .............................................................................................46
3.5 L'échantillonnage ..........................................................................................................52

4. Le terrain............................................................................................55
4.1 Place Molière ..................................................................................................................55
4.2 Square Monnet ...............................................................................................................56
4.3 Place Ottina (Hôtel de Ville) ........................................................................................58
4.4 La promenade du samedi après-midi ........................................................................58

5. Les résultats.......................................................................................59
5.1 Grille d’analyse des données d'observation...............................................................59
5.2 Tableaux récapitulatifs de la relation entre individus et lieux observés................64
5.3 Cartographie des relations entre individus et lieux observés.................................65
5.4 Interprétation des résultats obtenus............................................................................66

Conclusion..............................................................................................69
Sources.....................................................................................................73
Bibliographie .........................................................................................................................73
Autres sources........................................................................................................................76

Annexes...................................................................................................77
How many roads must a man walk down
Before you call him a man ?

[Bob Dylan, Blowin' in the wind, 1962]


Introduction

« Toute ville est – ou devrait être – organisée, structurée pour


ses habitants. En effet, ces derniers sont sans cesse confrontés à
des problèmes spatiaux ; ils doivent se déplacer, se repérer,
localiser des lieux comme le précise G. Hewes. La ville doit donc
être lisible; elle doit répondre aux besoins spatiaux de ses
usagers; mais les décideurs, les acteurs de la ville connaissent-
ils les besoins réels, appréhendent-ils aisément ce que
« ressentent » ces usagers qui pratiquent la ville
quotidiennement? Il semble qu'il existe très souvent un
« écart », une « distance » entre les propositions techniques, les
réalisations concrètes des ingénieurs et la manière dont les
citadins vivent ces constructions, ces installations ».
Colette Cauvin1

Le droit à la ville se manifeste comme forme supérieure des


droits : droit à la liberté, à l'individualisation dans la
socialisation, à l'habitat et à l'habiter. Le droit à l'œuvre (à
l'activité participante) et le droit à l'appropriation (bien distinct
du droit à la propriété) s'impliquent dans le droit à la ville.
Henri Lefebvre2

Le cadre de recherche dans lequel se pose ce travail est celui du droit à la ville. Avec
« droit à la ville », nous entendons la possibilité effective d'accès, de part de tout citadin, à un
cadre de vie de qualité, en termes matériels et spirituels. Dire droit à la ville, par ailleurs, c'est
dire droit de citoyenneté. Cela nous est éclairci par l'analyse étymologique des termes « ville » et
« cité ». Si le premier vient du latin « villa », c'est-à-dire l'habitation de campagne avec ses
annexes, le deuxième est issu de « civitas » qui, au sens propre, indique l'ensemble des « cives »,
soit les individus jouissant des droits civiques et politiques. Cela nous montre la profondeur des
liens entre dimension urbaine et démocratie.
Les enjeux liés à la qualité de vie en ville sont aujourd'hui sur le devant de la scène pour

1
Pour une approche de la cognition spatiale intra-urbaine , Cybergeo : European Journal of Geography, mis en
ligne le 27 janvier 1999. URL : http://cybergeo.revues.org/5043.
2
Le droit à la ville, Anthropos, Paris, 1968, p. 155.
5
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux Introduction

des millions de personnes sur toute la planète. Le questionnement théorique et pratique des
moyens mis en place pour répondre aux besoins de ces populations se renouvelle et se décline
suivant les formes urbaines locales. Les conflits urbains nous évoquent une difficulté croissante
des outils traditionnels de gestion urbaine. Nous n'avons pas encore de nouveaux outils pour les
remplacer, toutefois les efforts pour aller dans cette direction créative et novatrice ne manquent
pas et ce travail a l'ambition de s'inscrire dans cette direction.
La voie tracée, depuis au moins deux décennies, pour reformer les pratiques
traditionnelles d'aménagement, est double. D'un côté, on propose qu'une véritable « science de
la ville » se définisse à la hauteur des habitants. L'hypothèse sous-jacente est que les habitants
sont doués de connaissances et compétences 3 qui leur permettent d'aménager l'espace selon
leurs besoins. Il s'agit de la capacité d'une communauté à façonner son espace de vie selon une
logique précise et efficace, ce qui engendre à la fois la production physique de bâtiments et une
identité urbaine partagée. D'un autre coté, l'innovation est liée au concept de « participation ».
Se positionner du point de vue des habitants, cela veut dire leur donner la possibilité de choisir
le futur de leur quartier ou leur ville. Cette idée s'est traduite par la mise en œuvre de nombreux
outils de « démocratie participative », qui doivent toutefois faire face à un risque majeur: celui
de l'échec dû à l'arbitrage final des élus. Même si cette considération restera dans l'arrière-plan
de notre travail, car elle relève plutôt des sciences politiques, nous partageons l'idée qu'un
travail d'ingénierie politique est nécessaire, pour rééquilibrer les pouvoirs entre élus,
techniciens et population 4. Ce double positionnement attribue donc aux habitants d'un lieu la
capacité d'apporter des solutions pour l'aménagement de leur territoire et également la capacité
de donner une plus grande légitimité aux choix, grâce à un partage du processus décisionnel.
Les moyens aptes à saisir ces connaissances et compétences « habitantes » revêtent ainsi un
rôle central dans le développement de pratiques novatrices. L'idée que nous voulons développer
est qu'une approche anthropologique du phénomène urbain puisse améliorer la compréhension
des besoins et des attentes des habitants/usagers/citoyens. Cette idée est issue du constat que
l'anthropologie se base sur les représentations et le point de vue des groupes enquêtés pour
construire son savoir. Cette attitude méthodologique nous semblait approchable à celle des
pratiques de « participation », qui visent à saisir les attentes, exigences, besoins des
habitants/usagers par rapport aux projets urbains. Comment ces deux démarches – celle de la
recherche ethnographique et celle de la participation – peuvent-elles dialoguer? La visée de ce
travail est de répondre à cette question, à travers l’expérimentation sur un cas concret.
L'hypothèse est qu'une approche ethnographique peut améliorer les démarches de participation.
L'anthropologie a été définie « science de l'écoute et de la traduction » et en tant que telle, ne
peut-elle pas avoir un rôle actif dans les procès d'aménagement urbain, où la pluralité des
acteurs, des points de vue et des voix est l'une des caractéristiques principales ? Quel espace
peut-elle trouver ? Quels avantages peut-elle amener ? C'est ce type de questions que nous nous
sommes posé au début de notre étude.
Une piste pour préciser ultérieurement notre problème de recherche nous a été fournie
par l'article cité en exergue, où Colette Cauvin décrit une recherche menée sur la ville de
3
On fait référence aux concepts de « expertise habitante » ou de « mente locale », ce dernier proposé par
l'anthropologue italien Franco La Cecla.
4
Voir à ce sujet Michel Callon, Yannick Barthes et Pierre Lascoumes, Agir dans un monde incertain. Essai sur la
démocratie technique, Seuil, Paris, 2001.
6
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux Introduction

Strasbourg. Une fois indiquées les trois opérations (identification, localisation et description)
nécessaires à se former une « image de la ville », elle explique comme les deux premières
opérations peuvent être efficacement analysées par des techniques quantitatives 5, mais lorsqu'il
s'agit de traiter les données de description Cauvin se trouve face à « une foule d'informations »,
difficilement traitables avec des procédés statistiques. Dans un article successif 6, elle confirme
ses difficultés : « it is quite difficult to propose a precise protocol to study the descriptions ».
Nous pouvons affirmer que le moteur principal de ce mémoire, pourrait être vu comme une
tentative de contribuer à dépasser cet obstacle. Autrement dit, est-ce que l'anthropologie peut
fournir des techniques et des méthodes de recherche capables d'offrir un traitement scientifique
des « pratiques habitantes » et de la « parole habitante » ?
Il s'agit de combiner des questions déjà largement abordées, mais d'une façon originale.
L'anthropologie urbaine d'un coté possède une tradition non négligeable. Les démarches dites
« participatives », elles, comptent une bibliographie immense et un nombre également
important d'exemples concrets. Mais une combinaison de ces deux champs est assez rare et ici
demeure l'intérêt de notre travail. Concernant les travaux de recherche en anthropologie, nous
avons deux références principales : la première, un ouvrage paru en 2008 et coordonné par
Amalia Signorelli et Costanza Caniglia Rispoli, respectivement professeure d'anthropologie
culturelle et urbaniste de l'Université de Naples « Federico II », résume et met au point le travail
mené pendant dix ans dans un séminaire interdisciplinaire. L'autre, publié en 2011 et
coordonné par Federico Scarpelli et Angelo Romano, chercheurs en anthropologie urbaine à
l'Université de Rome « La Sapienza », est un ouvrage collectif comprenant des contributions de
anthropologues, urbanistes et géographes. Concernant les démarches participatives, nous avons
fait référence à celles mises en place par Robins des Villes, l'organisme auprès duquel nous
avons effectué notre stage de fin d'études. Pour cette raison nous présenterons dans la suite la
méthodologie utilisée par l'association et les principes sur lesquels elle s'appuie.
Les apports de l'approche ethnographique aux démarches Robins des Villes ont pris deux
formes différentes. D'une part, nous avons proposé et développé avec les collègues des outils de
recueil de la parole habitante issus de travaux de recherche. Notamment, il s'agit des cartes
mentales et de l'usage de la photographie comme support pour mener une interview. Ces outils
ont été appliqués directement, lors d'un des ateliers avec les habitants 7. Mais nous nous sommes
concentrés davantage sur la réalisation d'une étude d'ethnographie de l'espace du territoire
concerné par la mission de stage. Ainsi, à la fin de notre étude, nous avons pu envisager les
contributions que notre approche pourrait apporter aux démarches Robins des Villes. Le
mémoire se développe ainsi sur deux niveaux, méthodologique et thématique, car pour
répondre à cette question méthodologique, nous sommes passés à travers un cas particulier, où
nous avons dû préciser une méthodologie, une problématique et une hypothèse. Les chapitres
qui suivent illustrent les étapes de cette étude de cas, tandis que les réponses aux questions
méthodologiques sont contenues dans la conclusion générale, en symétrie avec l'introduction
générale.
5
Notamment un traitement statistique pour l'identification et un procédé cartographique de régression
bidimensionnelle pour la localisation.
6
Colette Cauvin, Cognitive and cartographic representations : towards a comprehensive approach , Cybergeo :
European Journal of Geography, mis en ligne le 15 janvier 2002. URL : http://cybergeo.revues.org/194.
7
Le développement de ces outils ne rentre pas dans notre sujet de recherche, c'est pourquoi nous nous limitons à
fournir un exemple en annexe.
7
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux Introduction

Dans le chapitre 1 nous présentons les enjeux du projet suivi pendant le stage et procédons
à sa problématisation, en fournissant un cadre théorique de référence. Le chapitre 2 est consacré
à la présentation du territoire étudié, d'un point de vue historico-géographique, social et
paysager, afin d'éclaircir le contexte spécifique de la recherche. Cette approche préalable au
terrain nous a permis aussi de délimiter le périmètre d'étude. La partie méthodologique est
contenue dans le chapitre 3, où nous définissons l'objet d'étude, formulons les hypothèses,
présentons les techniques et outils de recueil des données et les critères d’échantillonnage. Le
chapitre 4 contient un extrait des séances de terrain, l'intégralité des données exploitées étant
fournie en annexe. L'analyse des résultats obtenus et leur interprétation, par rapport aux
hypothèses, concluent notre étude d'ethnographie de l'espace, dans le chapitre 5. Dans la
conclusion générale, nous reprenons les hypothèses méthodologiques formulées dans
l'introduction et procédons à indiquer des pistes de réponse, en faisant référence à notre
recherche de terrain.
Nous sommes conscients que la démarche relative à ces hypothèses méthodologiques est
incomplète, car il manque une comparaison analytique entre l'approche ethnographique et la
méthodologie Robins des Villes, ce qui n'a pas été possible vu le temps et les ressources à notre
disposition. Nous croyons, par contre, que l'étude de cas des chapitres 1-5 possède la rigueur
scientifique qui est demandée pour un mémoire de fin d'études. Nous aurions pu, donc, limiter
notre travail à cette partie, en ne considérant que les aspects « thématiques ». Cependant, nous
avons choisi de maintenir les questions méthodologiques, en début et fin de mémoire, comme
cadre élargi de cette étude de cas. En premier lieu, parce que l'effort de mettre au point une
approche ethnographique et de construire des références théoriques (qui ont mis en dialogues
des productions académiques italiennes et françaises 8), était motivé à la base par ces questions
méthodologiques. En conséquence, maintenir ce cadre plus vaste offre des pistes de recherche
ou d'application ultérieures, pour l'organisme de stage, qui a la possibilité de prendre en compte
les conclusions de notre travail pour expérimenter des nouvelles méthodologies d'actions.

8
Toutes les traductions de l'italien d'ouvrages non publiés en France sont de l'auteur.
8
1. Le cadre théorique

1.1 Le projet suivi pendant stage : « Visions de ville »


La recherche est menée en même temps qu'un stage de six mois (9 janvier-29 juin 2012)
chez Robins des Villes, une association basée à Lyon qui s'occupe de démarches participatives en
milieu urbain. Elle est née en 1997 d'un groupe d'étudiants en architecture, se définit comme un
« relais citoyen » entre la population des quartiers touchés par des transformations urbaines, et
les pouvoirs publics qui mettent en œuvre ces opérations. Elle comptait à l'époque du stage huit
salariés, dont une responsable d'une antenne à Marseille. Une antenne parisienne a été
inaugurée pendant notre stage. L'association fonctionne par réponse à appels d'offres publics ou
par proposition de projets à des partenaires divers.
La mission de stage portait sur un projet situé dans la ville de Saint-Priest, commune de
40.000 habitants environ, de la deuxième couronne lyonnaise. Dans le cadre de la Politique de
la Ville, la Ville de Saint-Priest et la Communauté Urbaine de Lyon (Grand Lyon) ont décroché
un financement de l'Agence Nationale de la Rénovation Urbaine (Anru) pour démarrer une
Opération de Renouvellement Urbain (ORU), concernant le centre ville. Six barres de
logements, un groupe scolaire et d'autres édifices mineurs ont été ou vont être démolis. A leur
place, sont prévus une nouvelle et plus importante offre de logements, la reconstruction de
l'école et un « mail », élément de voirie structurant et visant à mieux relier les différents parties
du quartier entre elles et le quartier même avec le reste de la ville. Concernant le calendrier de
l'opération, le démarrage de la concertation a eu lieu en 2003-2004, aujourd'hui on aborde la
phase de démolition, tandis que l'horizon temporel de livraison des nouvelles réalisations est
situé à 2020.
En ce cadre, Robins des Villes a été appelée par l'équipe DSU (Développement Social
Urbain) centre-ville pour mener des actions d'« accompagnement à la transformation », avec
deux classes de l'école Joseph Brenier et auprès de divers habitants. Cela signifie recueillir la
parole habitante, afin de saisir le rattachement aux lieux que les riverains ont pu développer.
Concrètement, les actions cherchent à repérer des lieux qui symbolisent et synthétisent le
rapport des habitants avec leur quartier. Ces lieux seront utilisés ensuite pour construire un
parcours urbain dans le quartier, qui montre les lieux les plus chargés de sens pour les habitants ,

9
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 1. Le cadre théorique

qu'ils soient amenés à changer ou pas dans le cadre de l'ORU.


La commande de la ville consiste en faire émerger et garder des mémoires de ces lieux par
les gens qui les ont habités. L'enjeu regarde la construction d'une mémoire et à la limite d'une
identité collective liée au territoire. Il n'est pas question d'utiliser cette parole pour apporter des
propositions aux aménagements en cours, la démarche de l'ORU n'étant pas en lien direct avec
celle de « Visions de ville », même si il est évident que ce travail de recueil de mémoire est fait
en ce moment particulier, juste avant que le quartier change complètement. Un autre but de
l'action est de favoriser et dynamiser le lien social et l'interconnaissance entre habitants de
différents sous-quartiers, qui semblent partiellement fermés sur eux-mêmes.
L'enjeu, pour la ville, est donc de recueillir des paroles de populations qui manquent d'une
identité clairement affichée et reconnue au sein des représentations collectives. Autrement dit,
ce type de quartier et de population, dans la représentation publique (médias, politiques
urbaines, production savante...) est souvent marqué comme « anonyme » ou « problématique ».
La partielle classification en Zone Urbaine Sensible contribue à la construction de cette image.
De plus, il manque des mouvements organisés en opposition à la rénovation urbaine, comme ce
fut le cas dans d'autres moments et d'autres milieux sociaux, par exemple lors des rénovations
urbaines des années '50. Il n'y aurait pas, en somme, un mouvement d’émancipation collective
chez cette population, lequel aurait produit tout seul des mémoires, aurait valorisé des vécus et
formé une identité territoriale ; pensons par contre au mouvement ouvrier, qui a pu se
construire une identité collective, liée aussi aux lieux de vie et travail. La motivation de l'action
par l'équipe DSU réside, donc, dans la conviction que aussi dans ce type de quartier, les
habitants aient développé des formes de rattachement au territoire, et qu'il soit important de les
saisir et les garder. Certes, on peut apercevoir une contradiction dans les actions des pouvoirs
publics, qui d'un côté relogent des centaines de personnes et changent radicalement l'aspect du
quartier, et de l'autre côté essaient de comprendre ce que cela signifie pour les gens.
C'est sous cette lumière qu'il faut comprendre l'appel à Robins des Villes : l'association est
considérée en tant que « professionnel du recueil de la parole habitante ». Ce dont a besoin la
ville, est de toucher des publics qui restent souvent en dehors des canaux de la communication
institutionnelle, et pour faire cela il est jugé nécessaire de les approcher d'une façon novatrice.

Pour problématiser le projet sur lequel nous avons été investis pendant le stage et le
rendre ainsi un sujet de recherche, nous allons développer dans les pages suivantes un cadrage
théorique sur les enjeux de la participation et un état des lieux sur les apports de l'anthropologie
à l'urbanisme.

10
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 1. Le cadre théorique

1.2 La problématique : l'amélioration des conditions de vie en


milieu urbain
Ce n'est que depuis un siècle et demi environ, que la conscience d'un changement radical
dans les villes européennes et puis américaines s'est développée. Cette conscience correspond à
l'essor de l'urbanisation, commencé dans la deuxième moitié du XIX s. en Europe occidental et
poursuivi au début du XX s. aux Etats-Unis, qui constitue l'un des effets les plus remarquables de
la révolution industrielle. Paris, Londres dans un premier temps, Chicago dans un second,
constituent les lieux-symboles de ce bouleversement. Ce changement radical dans l'aspect et les
caractéristiques des villes (croissance urbaine, rationalisation du développement urbain,
nouveaux enjeux de qualité de vie), a trouvé sa représentation artistique chez les grands
romanciers français et anglais et ensuite dans la littérature américaine de début XX siècle. En
même temps, il s'est traduit par l'essor de l'urbanisme et des tentatives de maîtriser cette
croissance urbaine, inédite dans l'histoire de l'homme, et les problèmes qu'elle posait.

1.2.1 Les solutions traditionnelles : le couple élu/professionnel


Dans les pays occidentaux, les solutions trouvées et pratiquées pour améliorer les
conditions de vie urbaine, reposent sur deux principes : la légitimité politique, attribuée aux élus
et la légitimité technique, attribuée aux scientifiques dont la compétence est reconnue par un
diplôme qui attesterait leur capacité à analyser et résoudre les problèmes de la planification et
de l'aménagement urbain. « Une approche de l’exercice du pouvoir et des relations avec les
citoyens basée sur le principe d’une double délégation, politique et scientifique-technique »,
selon Jodelle Zetlaoui-Léger, professeur à l'ENSA Paris la Villette 1.
Questionner les pratiques d'aménagement signifie donc questionner les pratiques
politiques de gestion de la ville. Le rôle central recouvert par les professionnels de
l'aménagement représente, en effet, le moyen grâce auquel le pouvoir politique a pu contrôler
les territoires urbains, surtout dans les deux derniers siècles : « Une constante de l’exercice du
pouvoir politique sur le territoire est la nécessité qu'il a de faire recours à la médiation du savoir
technique. […] Du début de l'âge industriel ces professionnels ont géré une sorte de monopole
du savoir-faire »2.

1.2.2 Des nouvelles solutions envisagées : la légitimité technique et


politique de l'habitant/usager
Néanmoins, dans certaines réflexions théoriques et certaines pratiques, depuis une
vingtaine d'années, ces deux principes sont remis en cause, par l'introduction d'un nouveau
principe de légitimité, à la fois technique et politique, attribuée directement aux habitants ou
usagers. Selon ce postulat, l'amélioration des conditions de vie urbaine ne pourrait plus
renoncer aux compétences dont les habitants seuls disposent. Il s'agit de « reconnaître aux
habitants et usagers d’un territoire leur compétence d’expert en usage. En effet, ce sont qui le

1
Jodelle Zetlaoui-Léger, Fondements historiques et sociologiques de la concertation , texte de la conférence tenue
à la formation Robins des Villes, Lyon, 19 mars 2012.
2
Costanza Caniglia Rispoli, Amalia Signorelli (sous la dir. de), La ricerca interdisciplinare tra antropolgia urbana
e urbanistica, Guerini, Milano, 2008, pp. 11-12.
11
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 1. Le cadre théorique

pratiquent, le vivent et l’animent. Bien que souvent non formulée, cette expertise semble
essentielle à l’aménageur, afin que les transformations apportées par les projets urbains soient le
mieux à même d’intégrer les réalités du territoire et de répondre aux attentes et besoins de ses
habitants »3. Le deuxième volet de ce postulat porte sur les processus politiques de prise de
décision, où l'on suppose l'existence de « ce que les auteurs appellent une « crise de la
représentativité », qui nécessite de trouver des formes de partage du pouvoir »4.
Il est nécessaire d'expliciter quelques concepts cachés derrière l'expression « expertise
habitante ». Le premier porte sur l'opposition de ce terme avec la façon des professionnels de
regarder la ville. L'approche de l'urbanisme traditionnel est en effet surtout quantitatif, visé à
apporter des solutions standardisées à un public plus ou moins standardisé. L'approche basé sur
l'expertise habitante valorise au contraire une connaissance de la ville qualitative et sensible, qui
prend en compte les perceptions, les expériences, les valeurs personnelles ou collectives.
Le second point à clarifier est relatif au type d'expertise que l'on peut avoir d'un espace :
celle-ci peut être au moins cognitive (reconnaissance d'un lieu et capacité de s'orienter),
fonctionnelle (connaissance des différentes activités que l'on peut mener dans différents lieux)
ou émotionnelle (connaissance d'un lieu selon les sensations qu'il suscite). La « révolution
copernicienne » d'une approche intégrant l'expertise habitante consiste justement dans la
valorisation aux fins de l'aménagement de ce type de connaissances, traditionnellement
retenues comme incapables de donner des indications à l'aménagement car « non scientifiques ».
Selon ce postulat, la question « comment les conditions de vie en milieu urbain peuvent
être améliorées ? » peut se traduire donc de la façon suivante : « comment peut-on faire émerger
l'expertise habitante relative aux lieux et comment peut-on efficacement partager les prises de
décision ? ». La deuxième partie de la question (« comment partager les prises de décision »)
introduit le sujet de la démocratie participative, qui a fait couler beaucoup d'encre et où il n'est
point facile de s'orienter parmi les définitions, les expériences et les théorisations. Nous avons
choisi d'adopter les références théoriques et la méthodologie utilisées par Robins des Villes.
Nous allons donc les présenter, en proposant deux documents.

3
Fabien Bressan, La concertation dans les projets d'aménagement , Vad. Centre d'échanges et de ressources pour
la qualité environnementale des bâtiments et des aménagements en Rhône-Alpes, juin 2007.
4
Ibidem.
12
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 1. Le cadre théorique

1.2.2.1 DOC 1. Les différents niveaux d'implication des habitants dans les
projets urbains5

L’information
Porter à la connaissance de tous les différentes données et décisions relatives à
un projet. L’information peut prendre différentes formes et supports (diffusion
par la presse locale, expositions, site Internet etc.). Elle peut être diffusée par tout
type d’acteur impliqué dans un projet. L’information est à distinguer de la
« communication » qui relève d’une stratégie de diffusion de l’information.
La consultation
Ayant arrêté tout ou partie d’un projet, le maître d'ouvrage demande un avis aux
habitants. Le citoyen peut ainsi éclairer le décideur avant une décision. Ce
dernier n'est toutefois pas obligé de suivre cet avis. Ainsi, certaines consultations,
sous la forme d'enquêtes publiques, ont été rendues obligatoires par la loi, mais
elles interviennent généralement alors que le projet est déjà très avancé ; c'est
pourquoi, le seul recours pour les citoyens de remettre en question un projet,
devient de type juridique. Les réunions publiques sont souvent des moments
d’information, de communication et de consultation. Les référendums d’initiative
municipale ou populaire mais sous certaines conditions : ce sont des modes de
consultation, ils n’ont pas une valeur exécutoire en France.
La concertation
La concertation est un processus de discussion organisé entre un ou des groupes
de personnes qui produisent des propositions contribuant directement à la
définition d’un point de vue et d’une action. L’autorité administrativement ‐
politiquement compétente choisit en général ses interlocuteurs, et garde le
monopole de la décision. Pendant longtemps, dans le cadre de la planification
urbaine la concertation s'est caractérisée par l'examen de projets entre
représentants d'institutions, d’organismes officiels (élus, décideurs économiques,
techniciens, experts) : il s'agissait donc d'une concertation politico‐
administrative et technique. Un degré d'ouverture supplémentaire est
aujourd'hui atteint lorsque des habitants, membres ou non d'associations, sont
associés à ces groupes de réflexion. Ce]e implication peut leur donner la
possibilité d'influencer les caractéristiques du projet, en amont voire tout au long
du processus, avant que les éléments de projet ne soient définis par les
techniciens et que des décisions ne soient prises par la maîtrise d'ouvrage.
Lorsque des groupes d'habitants travaillent directement avec des techniciens, à la
définition du projet, on peut dire que la concertation s'apparente à une forme de
"coproduction faible".
La participation
Terme générique pour désigner l’implication des habitants dans la gestion des
affaires de la Cité.
Acception forte : permettre l'implication de tous les habitants concernés et qui
en expriment le souhait ‐ quitte à ce qu’il y ait un tirage au sort si le nombre de
personnes concernées est important ‐ , à tous les stades d'élaboration d'un projet,
pour en définir le contenu et‐ou prendre des décisions qui concernent l'évolution
de celui‐ci, et‐ou en assurer la gestion.

5
Jodelle Zetlaoui-Léger, op. cit.
13
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 1. Le cadre théorique

La coproduction
Les habitants contribuent à la réalisation des projets. Ils ne se contentent pas de
faire des propositions dont disposent ensuite les techniciens (programmistes,
concepteurs) pour définir les éléments de projet, mais ils collaborent plus
directement avec ces derniers.
Codécision, cogestion
Les élus partagent une partie de leur pouvoir de décision avec les habitants. Ils
acceptent de négocier avec ces derniers pour prendre une décision. La pratique
des "enveloppes "budgétaires de quartier" permet à des instances participatives
de quartier de décider librement de l'utilisation d'une partie modeste de l'argent
public, au profit de petits aménagements ou de travaux de voisinage. Les élus
s'engagent à légaliser le choix des habitants, en acceptant sans modification, les
dépenses décidées par l'instance de quartier.
Démocratie directe, autogestion autoconstruction
Les habitants, utilisateurs, usagers décident eux‐mêmes des projets, voire les
réalisent également. Ils s'auto‐administrent directement.

1.2.2.2 DOC 2. La méthodologie de concertation Robins des Villes6

Cette méthodologie se décompose en trois grandes phases : une de diagnostic,


une de sensibilisation et une de propositions opérationnelles. Elle se veut
pédagogique car miroir du déroulement d’un processus de projet, afin que les
participants comprennent comment fonctionne un projet urbain.
Le diagnostic partagé des usages
La première phase consiste à construire un diagnostic partagé des espaces
extérieurs (publics et/ou collectifs), par la vision qu’en ont ceux qui les vivent et
les pratiquent, à savoir les habitants, les usagers et / ou les citoyens. L’objectif est
double : enrichir l’analyse du territoire des professionnels par une approche
sensible et identifier les secteurs à enjeux du quotidien. Deux étapes
s’enchaînent, les rencontres et déambulations suivies de la mise en dialogue.
La première étape de « Rencontres et déambulations », est une phase de lecture
et de compréhension du territoire. Pour ceci, plusieurs outils sont proposés :
- Une lecture complète des documents produits sur le territoire : projets
antérieurs, diagnostics, historiques, productions artistiques…
- Une reconnaissance du site et de ses usages sur plusieurs périodes (jour/nuit,
saisons différentes, jours de semaine et de week-end) opérée par plusieurs profils
professionnels, cette pluridisciplinarité assurant un riche croisement de regards.
- Une rencontre des acteurs (institutionnels, techniciens, associations, structures
socioculturelles, habitants) sous forme d’entretiens formels, d’interventions
auprès de groupes constitués (réunions, évènements sur l’espace public, …) ou de
discussions informelles avec des personnes rencontrées sur l’espace public.
Cette étape débouche sur une analyse sensible du territoire sous forme de
cartographies sommaires des lieux de concertation, des usages, des
perceptions…. appelée « pré-diagnostic ».

6
Fabien Bressan, La participation des habitants dans les projets urbains , revue de l'école d'architecture de
Bruxelles La Cambre, en cours de publication.
14
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 1. Le cadre théorique

La deuxième étape consiste à mettre en dialogue du pré-diagnostic, c’est-à-dire


de le confronter aux groupes mobilisés pendant les rencontres-déambulations.
Des ateliers sont donc organisés afin de faciliter l’échange et le débat avec les
participants. […]
Ces deux étapes débouchent donc sur la production d’un diagnostic partagé des
usages, présenté à la maîtrise d’ouvrage sous la forme de cartographies
commentées (voir exemples ci-dessous). L’outil cartographique a pour avantage
de permettre le dialogue entre les différents acteurs. En effet, les professionnels
appréhendent une parole habitante subjective grâce à un outil qu’ils utilisent au
quotidien. Pour les habitants, dont la grande majorité comprend un plan ou une
carte avec un minimum d’explications, c’est une valorisation de leur expertise : ils
ont l’impression d’être au même niveau que les autres.
La phase de sensibilisation : les ateliers thématiques
Le diagnostic partagé des usages va permettre de dégager des grandes
thématiques sur lesquelles un travail plus poussé va être engagé. Très souvent, le
choix se porte sur celles qui ont le potentiel conflictuel le plus élevé, qui relèvent
du plus grand intérêt ou celles qui sont le moins maîtrisées par le grand public.
[...] La forme est diverse : présentation en salle, visite de sites, expositions,
alternant travaux en petits groupes et séances plénières.
Ces ateliers ont trois objectifs :
-Donner des clés de compréhension de la thématique aux participants, par
l’apport de connaissances théoriques, d’interventions de spécialistes extérieurs,
de visites de site.
-Permettre un premier niveau général d’expression de propositions. Cette étape
est d’autant plus importante et intéressante en amont du projet, par exemple
pendant la définition de la programmation. Elle permet également un premier
débat, puisque ces ateliers sont « ouverts », et donc que les différents acteurs s’y
rencontrent et confrontent leurs opinions parfois divergentes.
-Proposer au concepteur de prendre le temps d'écouter les arguments des
usagers.

La phase opérationnelle : les ateliers de coproduction


Enfin, la troisième phase est plus opérationnelle. Il ne s’agit plus de récolter des
avis sur des thématiques mais bien de passer à des propositions d’aménagement
d’un micro-espace. Le choix de lieu se fait par la maîtrise d’ouvrage, qui en est le
propriétaire et qui financera les réalisations. Ce choix s’effectue en fonction d’une
identification de tous les espaces à enjeux (issue des résultats des deux premières
étapes) mais également des potentialités du projet urbain général. Ainsi, on ne
partira pas sur un espace public dont le devenir est d’être remplacé par un
bâtiment. Là encore, les groupes sont « mélangés » pour confronter les opinions
et forcer l’argumentation. Par contre, les ateliers sont successifs et évoluent
chronologiquement. Par exemple, sur un square, on va choisir de faire trois
ateliers :
- Le premier permettra de se rendre sur place, afin que chacun en partage une
même vision. Puis on donnera l’ensemble des informations sur le projet urbain et
ses avancées (temporalités, acteurs, budgets…), sur les règles des ateliers (durée,
écoute, rôle de chacun, etc.), sur les limites fixées (marges de manœuvre, résultat
attendu, etc.) et sur l’objet même de l’atelier (lois, normes, enjeux…). Enfin ce
premier atelier se terminera par un temps d’expression libre sur toutes les
propositions d’aménagement possibles.

15
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 1. Le cadre théorique

- Le deuxième atelier repartira sur la base de ces propositions. Mises par écrit par
Robins des Villes entre les deux ateliers, il s’agira de les traduire spatialement. On
va donc utiliser les outils de représentation dont se servent les professionnels :
plans et / ou maquettes. Chaque proposition va être positionnée, argumentée,
débattue, afin d’aboutir à une proposition d’aménagement commune.
Néanmoins, le but n’est pas d’arriver à tout prix au consensus. Si une proposition
unique n’émerge pas, il pourra être proposé plusieurs scénarii, la seule règle étant
que les participants acceptent alors que la maîtrise d’ouvrage fasse un choix et
que celui-ci devra être respecté.
- Le troisième atelier consistera à finaliser et valider le ou les documents. Par
exemple, des photos de références seront adjointes au plan. C'est également un
dernier temps de débat entre les participants, qui peut se finir par un temps
convivial et l’annonce du calendrier de validation.
Le résultat fourni se présente sous la forme de documents écrits descriptifs,
illustrés de visuels réalisés avec les participants (plans, maquettes, photos…) et
qui contribuent à l’établissement du cahier des charges technique
d’aménagement. Ce dernier document est ensuite validé politiquement et
techniquement par la maîtrise d’ouvrage avant d’être présenté sous sa forme
finale (explication des choix retenus ou non, chiffrage exact, échéancier de
réalisation…) aux habitants pour une dernière validation.

16
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux

1.3 Les apports de l'anthropologie à un urbanisme nouveau


Après cette aperçue des méthodes pratiquées par Robins des Villes, nous allons présenter
une panoramique des auteurs qui ont eu un positionnement critique envers la manière
traditionnelle de projeter la ville et nous allons positionner ces courants dans le débat
scientifique plus général.

1.3.1 Le paradigme scientifique


Comme on le verra par la suite, la méthode appliquée dans notre étude intègre la notion
que l'observateur influence la réalité observée et donc les résultats. Cela constitue une négation
d'un des principes fondamentaux de la méthode scientifique « traditionnelle », dont les racines
remontent à la Révolution scientifique et à la philosophie du XVII siècle, notamment à Galileo
Galilei, René Descartes et ensuite Isaac Newton ; approche reprise et développée par le
positivisme au XIX siècle. Ce paradigme scientifique est encore diffusé dans la mentalité
collective, dans la mesure où lorsqu'on dit « scientifique », cela est synonyme de « objectif et
auto-évident ». Cependant, ses bases ont été mises en crise à partir du début du XX siècle, entre
autres par la théorie de la relativité de Einstein et le principe d’indétermination de Heisenberg.
Ces découvertes ont contribué à construire un nouveau paradigme scientifique, accepté
aujourd'hui par la plupart des chercheurs, celui de la complexité1. Nous assistons donc, dans le
domaine de l'aménagement du territoire, à la confrontation plus générale entre ces deux
paradigmes – le cartesianisme/positivisme et la complexité – qui sont porteurs de croyances,
généralisations, valeurs et théories différentes. D'après Kuhn 2, en effet, la communauté et la
pratique scientifique se construisent sur la reconnaissance et le partage d'un paradigme
scientifique commun, qui permet de définir les procédures dites « scientifiques », les données
« pertinentes » et les problèmes de recherche à développer. Cette question n'est pas purement
théorique, car le paradigme dominant influence les applications pratiques de découvertes
scientifiques, notamment les formes politiques et techniques de gestion du territoire. A
contrario, lors d'un conflit entre deux paradigmes opposés, ce n'est pas que pour des raisons
univoques et « objectives » que l'un prévaut sur l'autre, puisque les paradigmes scientifiques se
forment toujours dans un contexte historique et social, dont ils sont partiellement le reflet.
En ce qui concerne l'aménagement du territoire, le système traditionnel de gestion,
caractérisé par le couple élu/professionnel, peut être considéré comme la traduction d'un
paradigme scientifique positiviste, qui considère le territoire comme un système simple, où à un
problème correspond une action pour le résoudre. Cette vision de la gestion du territoire est
changée depuis quelques décennies, lorsqu'on ne parle plus de « gouvernement du territoire »
mais de « gouvernance ». Cette expression indique que les décisions ne sont plus exclusivement
sous la responsabilité des organismes institutionnellement prévus à cet effet, mais sont partagées
avec les nombreux acteurs qui agissent dans un territoire, économiques, sociaux, culturels etc.
Aujourd'hui on assiste à une ultérieure évolution: « d’une gouvernance dite représentative, où
d’abord les élus puis les associations, syndicats, « représentants des citoyens », participaient à
1
Pour un exemple dans le domaine géographique, voir Alexandre Moine, Le territoire comme un système
complexe : un concept opératoire pour l'aménagement et la géographie , L'Espace géographique 2/2006 (Tome
35), p. 115-132. URL : www.cairn.info/revue-espace-geographique-2006-2-page-115.htm.
2
Cité par F. Brioschi, C. Di Girolamo, M. Fusillo, Introduzione alla letteratura, Carocci, Roma, 2003, pp. 11-12.
17
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux

l’élaboration et à la mise en œuvre des aménagements urbains dans les instances administratives,
la fin du vingtième siècle voit se développer la notion de gouvernance participative, où le
citoyen/habitant/usager lui-même s’implique dans la production voire la gestion de son
environnement »3. Toutefois l'affirmation de cette nouvelle façon de gérer le territoire ne
dépend pas que de son efficacité, mais aussi de l'acceptation du paradigme scientifique sous-
jacent ; et cela dépend en partie du contexte général de la société, des pouvoirs économiques et
politiques en jeu. Nous précisons que nous considérons ces éléments de contexte comme des
conditions nécessaires et non suffisantes à l'affirmation d'un nouveau modèle de gestion du
territoire.
Nous allons donc détailler comment le paradigme « complexe » s'est décliné dans la pensée
urbanistiques, en présentant certains auteurs qui ont proposé une approche alternative au
couple élu/professionnel.

1.3.2 Approches alternatives à l'urbanisme traditionnel


Un pionnier dans la définition de ce champ de recherche fut l'écossais Patrick Geddes,
auteur de l'ouvrage Cities in evolution publié en 1915. Selon l'anthropologue Françoise Choay,
Geddes fut le promoteur d'un urbanisme qui « veut réintégrer le problème urbain dans son
contexte global, en se basant sur les informations de l'anthropologie descriptive »4. Mais c'est à
l'américain Kevin Lynch qui appartient une place de premier plan dans ce domaine. Avec son
ouvrage de 1960, Image of the city, il put mettre des bases très solides à la compréhension de la
perception cognitive de l'environnement urbain. Il arriva à indiquer cinq éléments structurants
de la perception de la ville : les voies, les limites, les quartiers, les nœuds et les points de repère.
Lynch a été repris, entre autres, par la géographe française Colette Cauvin, qui, dans un article
de 19995, reprend de l'auteur américain les trois « opérations » nécessaires à un individu pour
construire son image de l'espace urbain: l'identification, la localisation et la description.
L'identification consiste en la reconnaissance de certains endroits ou éléments de l'espace; la
localisation comporte de placer ces éléments en un rapport spatial entre eux; la description
regarde les caractéristiques attribuées par les personnes aux lieux. Une ultérieure référence est
celle de Henri Lefebvre et son ouvrage de 1968, Le droit à la ville : « Le caractère novateur de
Lefebvre réside aussi dans son opposition, par sa critique, aux outils traditionnels d’analyse de
l’urbanisation, à l’emprise de la technocratie qui faisait de la ville son terrain privilégié
d’intervention, à l’approche parcellaire de la recherche. Pour saisir et agir sur cette nouvelle
réalité il propose une démarche globale qui s’appuie principalement sur le matérialisme
historique de Marx »6. Lefebvre est celui qui a parlé en premier de la « disparition de l'urbain »,
suite à l'éclatement des périphéries industrielles et résidentielles :

Si l'on définit la réalité urbaine par la dépendance vis à vis du centre, les banlieues sont
urbaines. Si on définit l'ordre urbain par un rapport perceptibles (lisible) entre la
centralité et la périphérie, les banlieues sont désurbanisées. Et l'on peut dire que la
3
Fabien Bressan (2007), op. cit.
4
Citée par Alberto Sobrero, I'll teach you differences , in Federico Scarpelli et Angelo Romano (sous la dir. de),
Voci della città, Carocci, Roma, 2011, p. 42.
5
Colette Cauvin (1999), op. cit.
6
Laurence Costes, Le Droit à la ville de Henri Lefebvre : quel héritage politique et scientifique ? , Espaces et
sociétés, 2010/1 n° 140-141, p. 177-191. DOI : 10.3917/esp.140.0177.
18
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux

« pensée urbanistiques » des grands ensembles s'est littéralement acharnée sur la ville
et l'urbain pour les extirper. Toute la réalité urbaine perceptible (lisible) a disparu :
rues, places, monuments, espaces de rencontre7.

Ces mots s'adaptent extrêmement bien à notre cas d'étude et pour cette raison nous nous
permettons une brève divagation, en anticipant le contenu des prochains chapitres 8. Notre
hypothèse est que ce n'est pas l'urbain tout court à être disparu, mais plutôt une forme de
l'urbain, notamment celle historiquement développée en Europe de l'antiquité jusqu'à la
révolution industrielle. La forme des villes modernes, qui n'est plus lisible selon le regard
traditionnel, ne constituerait pas la fin de l'urbain, et donc de l'urbanité, mais plutôt une
nouvelle forme de l'urbain , qui est en train de se former, en un rapport interactif avec ses
citadins.
On a vu donc la contribution d'un psychologue, d'un urbaniste et d'une géographe à la
question posée. L'article de Colette Cauvin notamment, nous paraît riche d'intérêt, pour trois
raisons principales. La première est que l'ancienne chercheuse de l'Université de Strasbourg
indique la motivation de cet axe de recherche dans son application pratique, dans sa capacité
d'améliorer la réalité urbaine: « ces recherches […] n'ont de sens que si elles permettent de
comprendre les réalités pratiques de groupes d'individus, de personnes, qui utiliseront ces
espaces que l'on aménage pour nous, pour eux ». Une deuxième raison est qu'elle exprime sa
conscience qu'il s'agit d'une recherche « pluri-, trans- ou interdisciplinaires, au gré de
l'évolution des termes ». Enfin, nous ne cachons pas un besoin de légitimité: on choisit
l'approche d'une géographe, afin de pouvoir plus légitimement traiter ces sujets en tant que
problématique géographique.
Comme dit au départ, notre hypothèse est que l'anthropologie puisse s'ajouter à ces
approches alternatives à l'aménagement urbain. Nous allons donc présenter les traditions
scientifiques dans lesquelles le dialogue entre anthropologie et ville a déjà pris forme.

1.3.3 L'anthropologie urbaine


Cette branche de la discipline trouve traditionnellement ses fondateurs dans l'école de
Chicago aux États-Unis et dans l'école de Manchester au Royaume-Uni. En France une tradition
importante s'est également développée, liée au Laboratoire d'Anthropologie Urbaine de
l'Université Paris X – Nanterre. En générale, c'est à partir des années soixante, soixante-dix que
les travaux d'anthropologie urbaine ont gagné une présence constante dans la littérature
scientifique.
Pour un traitement approfondi de ses fondements théoriques, notre référence a été
Alberto Sobrero et son ouvrage Antropologia della città, paru en 1992. Les questions auxquelles
il essaie de répondre sont: est-ce possible une anthropologie urbaine? Si oui, avec quelles
contraintes et quelles limites? Le point de départ de sa réflexion est le constat que les outils
développés autrefois par l'ethnographie des sociétés dites « traditionnelles » ne sont pas
applicables avec profit dans les contextes urbains complexes. Notamment, c'est le concept de
« culture », comme vision totalisant du monde et partagée par tous les membres d'une
communauté, qui montre des fortes limites en ce nouveau milieu de recherche. La réponse à ce
7
Henri Lefebvre, op. cit., p. 23.
8
Notamment le paragraphe 3.3 « Formulation des hypothèses ».
19
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux

problème donnée par les auteurs majeurs est opposée: d'un côté Claude Lévi-Strauss, considère
que l'anthropologie ne peut s'occuper que des sociétés dites « froides » ou « simples »; de l'autre
Clifford Geertz, redéfini le concept de culture de manière qu'il puisse être adapté à l'étude des
sociétés urbaines, et amener en même temps un nouveau regard sur celles traditionnelles. Il
s'agit du courant connu comme « anthropologie interprétative ».
Dans l'ouvrage de Anne Raulin, Anthropologie urbaine, paru en 2007, on trouve par
contre une panoramique très complète des avancées plus récentes et des thématiques principales
abordées par cette sous-discipline.
Les auteurs font référence aussi à l'existence de deux courants principaux dans le champ
de l'anthropologie urbaine : celui de l'anthropologie de la ville et celui de l'anthropologie dans
la ville. Le premier se traduit par une « anthropologie de l'espace », c'est-à-dire une étude de
comment l'espace physique (urbain, en ce cas) est utilisé par les différents groupes humains
pour accomplir les différents fonctions et besoins individuels et collectifs 9. La seconde tend à
une étude de groupes sociaux particuliers, dont l'environnement de vie est un environnement
urbain10.
Bien que l'anthropologie urbaine soit désormais un domaine de recherche consolidé, les
échanges entre une approche anthropologique et la planification urbaine restent rares. D'après
nos recherches bibliographiques, les auteurs qui ont abordé directement cette piste de recherche
ne sont pas nombreux et nous allons donc présenter ceux que nous avons pu repérer.

1.3.4 Contributions de l'anthropologie à l'urbanisme. État des lieux


C'est sur les deux ouvrages cités en Introduction, La ricerca interdisciplinare tra
antropologia urbana e urbanistica et Voci della città11, que nous nous appuyons pour éclaircir
l'apport potentiel que l'anthropologie peut amener à l'urbanisme. Voyons dans la suite les
différentes formulations de cette idée chez les auteurs qu'on vient de citer.
Signorelli et Rispoli affirment : « Les anthropologues n'ont pas, eux non plus, aucune
compétence pour établir a priori ce que les habitants d'un quartier ou d'une ville désirent,
apprécient ou apprécieraient : mais, s'ils sont capables, les anthropologues ont une compétence
disciplinaire qui leur permet d'aller chez les habitants, présents ou futurs, et se le faire dire par
eux. L'habitude avec la recherche sur le terrain, la conséquente capacité d'observer et écouter, la
capacité de se faire dire les choses et de savoir les « traduire » critiquement dans d'autres
langages, l'entraînement à garder sous contrôle critique son point de vue sont les compétences
spécifiques des anthropologues »12.
Alberto Sobrero écrit: « faire de l'ethnographie, pour observer la ville comme espace vécu,

9
Voir aussi à ce propos Jean-Charles Depaule, L'anthropologie de l'espace, in J.Castex, JL.Cohen, JC. Depaule,
Histoire urbaine, anthropologie de l'espace, CNRS Éditions, Paris, 1995.
10
La tradition de l'anthropologie urbaine française nous semble plutôt associée à cette deuxième tendance. Pour
les lecteurs italiens, voir par exemple Sara Roncaglia, Nutrire la città, Bruno Mondadori, Milano, 2010.
11
La traduction des titres est la suivante : « La recherche interdisciplinaire entre anthropologie urbaine et
urbanisme » et « Voix de la ville ». En sachant que la langue italienne ne possède pas deux termes comme
« ville » et « cité », qui sont traduits avec « città », donc dans la traduction de l'italien au français le choix entre
« ville » et « cité » reste un peu arbitraire.
12
Rispoli, Signorelli, op. cit., p. 67.
20
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux

comme ensemble de « lieux » et pas simplement extension spatiale. […] Nous pouvons offrir une
façon différente d'observer, mais principalement, et grâce à cela, nous pouvons offrir une façon
différente de penser la ville »13.
Angela Giglia, anthropologue qui travail en équipe avec des urbanistes à l'Université de
Mexico, soutient que l'anthropologie peut offrir un apport aux démarches urbanistiques, « en
nous fournissant horizons de compréhension réciproque […]. Les anthropologues devraient être
donc les spécialistes de la traduction interculturelle dans un monde de plus en plus
interconnecté mais de moins en moins homogène et intelligible. Et ils devraient réclamer ce
rôle dans tous les champs dans lesquels il est nécessaire de mettre en œuvre cette capacité de
traduction »14. Y compris, évidemment, le champ de l'aménagement urbain.
Ces affirmations semblent avoir un premier point de convergence: plutôt que la discipline
anthropologique en entier, ce qui importe est l'ethnographie, la méthode d'enquête privilégiée
de l'anthropologie. La caractéristique majeure de cette méthode, ne se trouve pas dans ses outils,
ni dans la présence sur le terrain en tant que telle: « C'est plus une question de centre de gravité
que de boîte à outils », selon Federico Scarpelli, qui précise: « nous mettons la recherche sur le
terrain à la base non seulement des pratiques de documentation, mais de l'entier projet de
connaissance »15.

1.3.5 La nécessaire interdisciplinarité


Angela Giglia rappelle que la contribution de l'anthropologie n'est qu'une contribution
aux études urbains, pas plus et pas moins que cela. Les résultats obtenus avec la méthode
ethnographique doivent s'intégrer réciproquement avec ceux obtenus par les méthodes utilisées
traditionnellement par d'autres disciplines (géographie, urbanisme, sociologie, psychologie,
science politique...): « [l'anthropologue] se trouve dans la position la plus indiquée pour offrir
une contribution d'enrichissement des problématiques générales de la réalité urbaine à partir de
l'étude de réalités urbaines locales »16. La façon dont cette interdisciplinarité est mise en œuvre
n'est pas univoque : nous avons dégagé à ce propos au moins deux tendances principales.
La première est exprimée par la précédente citation de Sobrero et par l'ouvrage de Rispoli
et Signorelli et se concrétise en une « anthropologie de l'espace ». Angela Giglia, parle
explicitement de « anthropologie des espaces urbains ». Sur le plan du rapport avec les autres
disciplines, nous pouvons indiquer que cette première piste vise à une approche intégrée,
comme on peut le lire clairement dans l'ouvrage de Rispoli et Signorelli. En ce cas, ethnographie
et urbanisme visent à construire une connaissance partagée de la réalité étudiée, capable de
fournir des indication d'aménagement assez précises et ponctuelles.
Une deuxième piste, est celle décrite par Andrea Filpa et Federico Scarpelli, urbaniste l'un,
anthropologue l'autre, qui figurent parmi les membres de l'équipe multi-disciplinaire qui a
rédigé le Plan communal d'urbanisme de la ville de Pienza, en Toscane. En ce cas, les
compétences des différents spécialistes sont restées plus séparées: « professionnels et traditions
disciplinaires différentes travaillent ensemble et sont confrontés réciproquement, tout en
13
Alberto Sobrero, op. cit., p. 43.
14
Angela Giglia, Studiare la città, in Scarpelli, Romano, op. cit., p. 78. Italic de l'auteur.
15
Federico Scarpelli, Place-telling, in Scarpelli, Romano, op. cit., p. 110.
16
Angela Giglia, op. cit., p. 76.
21
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux

gardant bien distingués profils et responsabilités »17. Les anthropologues n'ont pas abordé
directement l'usage de l'espace, mais ils se sont concentrés plutôt sur le concept de nostalgie
(« ce qui est émergé est un passé qui a sens dans le présent et, plus ou moins explicitement, en
relation au futur »18) et sur la représentation des habitants des deux centres urbains qui
composent la ville de Pienza. « Se faire raconter les transformations du lieu – souligne Scarpelli
– me semble donc une possibilité importante – même si pas forcement la seule – pour montrer
la voie à connaissances et évaluations actuelles et complexes, mais relativement marginalisées
ou incomprises au sein du débat public . Une voie d'accès au lieu ». Il précise que « utiliser la clef
du passé sert à empêcher que l'attraction d'un discours directement « fonctionnel » (il faudrait
plus de parkings, plus d'éboueurs, plus de police) réduise sur soi l'espace de narration »19. En ce
cas donc l'anthropologue n'enquête pas directement l'espace et ses usages, plutôt il recueil des
« voix » fournissant des « représentations » de l’espace, afin qu'elles soient valorisées pour saisir
les ambitions, les attentes, les craintes des habitants, et en un éventuel deuxième temps, qu'elles
trouvent une traduction « spatiale », ouvrée par les spécialistes d'autres domaines20.

17
Scarpelli, op. cit., p. 104.
18
Ibi, p. 115.
19
Ibi, p. 114.
20
Un exemple concret très intéressant est fourni par Andrea Filpa, Il contributo dell'antropologia nel piano di
Pienza, in Scarpelli, Romano, op. cit., pp. 89-90: « Les interviews avaient mis en évidence la nette préférence
des habitants de Pienza pour le paysage traditionnel mais […] en même temps il avait été signalé par les
anthropologues la limite culturelle – et donc non seulement opérationnelle – liée à la possibilité de proposer
dans le plan des politiques et actions visées à récupérer et si possible étendre un paysage du métayage sans
métayers.
Cet élément de préoccupation n'a pas constitué un point de blocage, mais en revanche il a stimulé une réflexion
plus large et transversale. Les écologues végétaux ont souligné la meilleure performance du paysage agricole
traditionnel en termes de sauvegarde de la biodiversité, l'urbaniste/paysagiste en a argumenté les plus grandes
qualités perceptives et son accumulation d'héritage culturel (il s'agit du paysage qui a contribué le plus à la
reconnaissance de la Vallée d'Orcia comme patrimoine mondial Unesco), les géologues en ont mis en évidence
la plus grande efficacité afin de la protection des sols de l'érosion. Les économistes du territoire, enfin, ont
rappelé le stricte lien entre paysage traditionnel et productions de qualité. […] Le plan de Pienza a donc assumé
en pleine conscience le choix de viser à la réaffirmation du paysage traditionnel, […] avec la certitude de ne pas
proposer une opération anti-historique ».
22
2. La zone d'étude

Avant de commencer la véritable phase de terrain, nous avons essayé de saisir les
caractéristiques historiques, urbaines, sociales de la zone d'étude, afin de préparer mieux le
recueil des données. Nous avons effectué à cette fin des déambulations sur le terrain, des
interviews documentaires, des recherches documentaires, outre que profiter des présences que
nous avons assurées dans le cadre du stage1.

2.1 Cadre historique-géographique : trajectoire d'un quartier


Nous étions intéressés à une reconstruction historique pour comprendre les dynamiques
de peuplement de la ville et du quartier. Ceci est un facteur toujours relevant et d'autant plus
dans notre cas puisque par une simple fréquentation de la ville on s'aperçoit qu'y vivent des
populations d'origines très variées. Un autre point d'intérêt, résidait dans la reconstruction des
dynamiques d'urbanisation, dans le but de comprendre les origines des divers types d'habitat
présents. La période sur laquelle nous nous sommes concentrés est donc le XX siècle, où les
transformations majeures concernant Saint-Priest se sont produites.

2.1.1 Saint-Priest avant 1922, un bourg agricol


Saint-Priest était un bourg agricole dans la plaine du Dauphiné, avec un noyau central
autour du Château et deux hameaux, Manissieux et La Fouillouse. Nous pouvons le constater
d'un extrait de la Carte de Cassini de 1758.

1
Voir le chapitre « Sources » pour le détail.
23
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 2. La zone d'étude

Saint-Priest se situe
au pieds de la moraine
glaciale, bien représentée
ici, et entre deux routes :
celle qui va de La
Guillotière (porte d'entrée
à Lyon) à Heyrieux au
Sud, et celle de Lyon à
Grenoble au Nord, où l'on
trouve aussi une halte de
poste. Trois chemins avec
des édifices partent du
centre, symbolisé par le
dessin du château. Un
quatrième chemin en Extrait de la carte de Cassini. Source: http://loisirs.ign.fr
pointillé traverse le centre
de Ouest à Est. Le pointillé pourrait indiquer une allée arborée ou un chemin mal défini. Le
morceau Ouest, du château à la route d'Heyrieux, correspond à l'actuelle avenue Jean Jaurès ;
tandis que le chemin en direction Sud-Ouest correspond à l'actuelle rue Henri Maréchal. Ces
deux voies, avec la route d'Heyrieux, définissent déjà le périmètre de l'actuelle Opération de
Renouvellement Urbain !
En 1831, grâce au
cadastre napoléonien,
nous pouvons constater
que la réalité n'a pas
changé remarquablement,
mais nous possédons une
représentation du
territoire beaucoup plus
fine et précise.
Nous observons que
le périmètre triangulaire
Extrait du cadastre napoléonien. Source: archives municipales
de l'actuelle Oru est très
bien défini ; l'avenue Jean Jaurès est nommé « chemin de Vénissieux à St. Priest », rue Henri
Maréchal correspond au « chemin de St. Symphorien à St. Priest », tandis que rue Anatole
France est la « route de Lyon à Heyrieux ». Aussi l'actuelle rue Diderot est bien visible, nommée
« chemin de Corbas à St. Priest ». Deux toponymes sont affichés : « Guigue » pour le quart Sud-
Est, et « La Carnière et les Ronces » pour le quart Nord-Est. En ce qui concerne le bâti, nous
trouvons une grande maison avec des annexes sur l'actuelle place Salengro, au coin entre la
route d'Heyrieux et rue Henri Maréchal, dénommée « Maison Reymond » ; un autre
regroupement à moitié de rue Henri Maréchal, au niveau de l'actuelle Esplanade des Arts ; et
enfin quatre maisons le long d'avenue Jean Jaurès, à partir du croisement avec rue Diderot en
direction du château.

24
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 2. La zone d'étude

La carte de 1898,
nous propose le premier
changement important :
l'arrivée de la voie ferrée.
Mais à cette époque la
gare de Saint-Priest est au
milieu de la campagne,
éloignée du centre de vie.
Aucune usine ne s'est
encore implantée et
Saint-Priest reste un
bourg agricole dont le
territoire est traversé par
le chemin de fer Lyon-
Grenoble. Nous
Carte de Saint-Priest en 1898, détail de l'actuel centre-ville.
remarquons toutefois la Source : archives municipales.
création d'une autre
infrastructure : le doublement de la voie pour Heyrieux. À l'ancien chemin (dénommé
maintenant « Ancienne route d'Heyrieux ») une nouvelle « Route départementale » a été
ajoutée.
Le chemin de Vénissieux a changé de nom et maintenant il est indiqué comme « Avenue
de l'Allée », une dénomination moins anonyme et valorisant l'axe en direction du château. Nous
voyons apparaître « Le Bessay », « Ferrachat » et le « Quartier de la Route d'Heyrieux ». Des
nouvelles maisons sont indiquées, le long des chemins: entre la nouvelle route départementale
(aujourd'hui rue Aristide Briand) et l'ancienne route d'Heyrieux (aujourd'hui rue Anatole
France), sur les rues Diderot et Henri Maréchal. La population a augmenté doucement : de 1718
habitants en 1831 à 2584 en 1896.

2.1.2 Entre 1922 et 1944, le développement industriel


Le premier après-
guerre marque l'entrée de
Saint-Priest dans
l'industrialisation. À partir
de 1922 deux
établissements productifs
s'implantent sur la
commune : d'abord
Berliet, usine
d'automobiles et camions,
en un endroit excentré par
rapport au village, à la
limite avec la commune
de Vénissieux ; ensuite les
usines textiles Maréchal,
Plan de Saint-Priest
25en 1935. Source: archives municipales
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 2. La zone d'étude

sur un terrain compris entre la route d'Heyrieux et la gare.


Les dynamiques d'urbanisation typiques de l'âge industriel se vérifièrent bien à Saint-
Priest, où les premières vagues d'immigration venant travailler dans ces industries arrivèrent. Il
s'agissait pour la plupart d'italiens et d'espagnols. Le besoin de logements pour cette population
ouvrière poussa les patrons des industries à construire des nouveaux quartiers à coté des
établissements, appelés justement « Cité Maréchal » et « Cité Berliet ». Les immigrés
déménagèrent ici avec la famille dès qu'il leur fut possible. C'est dans ces années là qu'on
enregistre aussi la première intervention publique pour satisfaire les nouveaux besoins de
logements : 64 appartements Hbm (habitat à bon marché) furent édifiés en 1938, près de
l'actuelle place Salengro. Le premier essor démographique et urbain de Saint-Priest vit ainsi le
jour : les 2704 habitants que la commune comptait encore en 1921 étaient devenus 5336 quinze
ans après, en 1936. Cette croissance fut évidemment arrêtée par la guerre. Le plan communal de
1935 témoigne des changements en cours en cette période.
Nous pouvons remarquer que la morphologie urbaine émergeant est polarisée sur « Le
Bourg » d'une part, et sur les abords des usines Maréchal d'autre part. Saint-Priest à cette époque
est divisée entre une activité agricole encore très répandue et la nouvelle activité
manufacturière. Les toponymes « La Carnière et les Ronces » et « Guigue » sont également
maintenus. Le développement du bâti dans le triangle de l'actuelle Oru suit toujours les voies de
communication, en particulier sur l'axe de l'ancienne et de la nouvelle route d'Heyrieux.

2.1.3 Entre 1945 et 1961, une croissance modérée


Les besoins de
logement sont loin d'être
satisfaits et à cette époque
c'est l'Office Public
d'Habitat, créé en 1931
par le maire Charles
Ottina, qui intervient en
ce sens-là. Des nouveaux
bâtiments d'Hlm sont
construits, cette fois bien
plus imposants que les
quatre édifices Hbm
réalisés en l'avant-guerre :
six ensembles pour un
total de 267 logements. La
population double une
deuxième fois, atteignant
Plan de Saint-Priest en 1962. Détail. Source: archives
les 10681 habitants en municipales.
1962, juste avant de la
plus grande et rapide transformation urbaine, qui va donner à la ville son aspect actuel. Nous
pouvons constater la progression de l'urbanisation en cette période sur le plan communal de
1962.

26
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 2. La zone d'étude

Entre autres, nous pouvons remarquer la naissance de deux zones de maisons


pavillonnaires, à l'intérieur du triangle Oru. Les toponymes « La Carnière et les Ronces » et
« Guigue » sont encore présents.

2.1.4 Entre 1962 et 1977, l'explosion urbaine


Celle-ci est la
période décisive de
l'urbanisation sanpriote :
la population double deux
fois en 15 ans, atteignant
les 36734 unités en 1975,
ce qui restera a peu près le
niveau de population
jusqu'à nos jours
(actuellement autour de
41000 habitants). Notre
zone d'étude est investie
par le développement
urbain, avec l'idée de
rapprocher les deux pôles
urbains existants ; la
mairie y est transférée, de
l'ancien siège au cœur du Plan de Saint-Priest en 1975, détail. Source: archives municipales.
bourg. À l'intérieur de ce périmètre, en cette période, 45 bâtiments d'habitat collectif abritant
environ 1875 logements surgissent. De ce total, les trois quarts environ sont des copropriétés et
le restant des Hlm. Voyons le plan de 1975 pour comprendre la transformation.
Mais pour qui ces ensembles d'habitat ont-ils été bâtis, à cette vitesse stupéfiante ?
L'urgence première fut entre 1962 et 1965 pour les Pieds-Noirs, les rapatriés d'Algérie. Ensuite
des nouvelles vagues d'immigration arrivèrent, des pays du Maghreb, du Portugal, de la
Turquie. La croissance économique de cette époque attirait les nouveaux arrivants dans les
agglomérations urbaines :

Dans l'histoire de l'urbanisation accélérée qui suivit la fin de la Seconde Guerre


Mondiale en France, Saint-Priest ne représente évidemment pas un cas unique:
il suffit de regarder ses proches voisines, Vénissieux, Vaulx-en-Velin, Rillieux,
Villeurbanne pour constater partout une même frénésie de construction. Tout
autour de la métropole lyonnaise, les mêmes besoins urgents de logements se
sont fait sentir pour combler les insuffisances de l'avant-guerre […], apporter un
toit aux populations nées du baby-boom et à celles que l'on est allé chercher à
l'étranger pour pallier l'absence de travailleurs dans certains secteurs clés de
l'économie2.

2
Christiane Roussé, Saint-Priest ville mosaïque : populations, identités, interculturalité : 1945-1980 , Presses
universitaires de Lyon, Lyon, 2000, p. 16.
27
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 2. La zone d'étude

2.1.5 De 1978 à nos jours, la consolidation d'un tissu urbain


« Le développement
ultérieur après 1980, assez
modéré d'ailleurs, ne fera
que corriger, diversifier
l'œuvre accomplie de 1962
à 1977 ; il ne pourra plus
changer de façon radicale
ce qui a été réalisé à
l'époque »3. Pour constater
cela, nous pouvons
observer le plan cadastral
correspondant à 2008.
Plan cadastral en 2008. Source: géoportail.fr

Revenons ainsi au cadre initial de cette reconstruction historique, celui de la carte de


Cassini qui comprenait la plaine du Dauphiné à l'Est de Lyon, aujourd'hui correspondant plutôt
au secteur Sud-Est de l'agglomération lyonnaise. Témoignage de ce glissement d'identité
territoriale, en soit le passage de la Commune de Saint-Priest du Département de l'Isère à celui
du Rhône, en occasion de l'adhésion à la Communauté Urbaine de Lyon, en 1968. Ci-dessous
nous pouvons observer l'occupation du sol actuelle en cette aire.

En rouge et rouge
foncé sont affichées les
« zones de tissu urbain
continu et discontinu » ;
en violet les « zones
industrielles ou
commerciales » ; en jaune
les « territoires agricoles ».
Nous pouvons remarquer
que Saint-Priest constitue
un noyau détaché des
centres urbains
environnants. Son
Occupation du sol (Corine Land Cover) du quart Sud-Est de
territoire est délimité à l'agglomération lyonnaise. Source: notre élaboration sur image
l'Ouest et au Sud par des Géoportail.
zones d'activité
productive, au Nord par un axe routier majeur (héritier de l'ancienne « route de Lyon à
Grenoble ») et à l'Est par des zones agricoles.

3
Ibidem.
28
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 2. La zone d'étude

Enfin, nous
proposons un graphique Population de Saint-Priest
représentant la croissance
de la population sanpriote 50000

en la période considérée : 40000


30000
Nous remarquons
20000
que l'allure de la courbe
est très irrégulière, avec 10000
un moment de hausse, 0
1831184618611876189119061921193619461962197519902006
entre 1962 et 1977,
beaucoup plus marqué
que le reste.
La structure urbaine de Saint-Priest avait donc été fixée et avec elle les défauts que
aujourd'hui on aborde de manière radicale, par cette opération de rénovation urbaine, poussée
par le Programme Nationale de Rénovation Urbaine (Pnru), dont l'Anru est l'organisme
opérationnel.

2.1.6 Saint-Priest d'ici 2020, l'ambition de connecter les quartiers


L'Opération de
Renouvellement Urbain a
été lancée en 2003 et son
horizon s'étale jusqu'à
2020, date prévue de
livraison des dernières
habitations. Elle prévoit
une restructuration
profonde de la
morphologie urbaine du
territoire délimité par les
rues Aristide Briand, Jean
Jaurès et Henri Maréchal.
Ce périmètre est le centre Avant/après de l'ORU. Auteur: M. Del Fabbro
géographique de la ville, par contre il ne recouvre que certaines des fonctions d'un vrai centre-
ville, notamment la fonction administrative mais il manque d'un rôle attractif pour les habitants
des autres quartiers. Dans les intentions de ses promoteurs, l'Oru devrait donner une plus
grande cohérence urbaine et favoriser l'attractivité de ce territoire.
Dans le cadre de l'Oru, six barres de logements (deux en copropriété, quatre en Hlm) sont
destinées à la démolition, fonctionnelle à la création d'un « mail », sorte d'allée tous modes qui
reliera la zone des services publiques (mairie, poste, médiathèque) aux autres sous-quartiers.
Environ 400 ménages sont donc concernés par un relogement définitif, tandis que environ 600
autres ménages sont touchés par la réhabilitation de leur immeuble, dont a peu près la moitié
habitant en copropriété.

29
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 2. La zone d'étude

2.2 Cadre social


La zone en question contient environ 7000 habitants ( ante démolitions), soit 17 % de la
population de la ville, sur une surface d'environ 50 ha. La densité s’élève donc à 1400 hab/km 2.
Nous allons présenter quelques indicateurs socio-démographiques.

2.2.1 Données socio-démographiques4

Part des personnes non scolarisées de 15 ans ou


plus sans diplôme en 2006
Taux de chômage des 15-64 ans en 2006.

Part des personnes étrangères en 2006


Part des personnes de moins de 25 ans en 2006

4
Source : http://sig.ville.gouv.fr/, site du Système d'information géographique de la Politique de la ville.
30
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 2. La zone d'étude

Rapport entre le revenu fiscal médian 2006 des


IRIS et de l'Unité Urbaine de Lyon
Part de résidences principales Hlm en 2006

Part des familles monoparentales

2.2.2 Caractérisation sociale de la zone d'étude


D'après les données affichées, deux observations majeures s'imposent : la première, à
l'échelle inter-quartiers, est que une ligne de fracture entre le Nord et le Sud de la Commune
apparaît, qui suit l'axe de avenue Jean Jaurès – rue du Grisard. Les auteurs du diagnostic du
territoire en Oru réalisé en 2003 décrivent ainsi cette réalité : « on trouve au Nord un habitat
individuel dominant (tissu pavillonnaire récent ou maisons de village), avec une population plus
favorisée [...]. Au Sud par contre, on a une part importante d'habitat collectif (centre-ville et
Bel-Air), et des indicateurs qui signalent une plus grande précarité de la population. C'est dans
cette moitié Sud que se trouve le centre-ville, périmètre de l'ORU ».

31
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 2. La zone d'étude

La deuxième observation
regarde l'échelle intra-quartier : on
remarque en effet qu'à l'intérieur du
triangle de l'Oru un secteur cumule
plusieurs indices de faiblesse sociale,
celui de Bellevue-Mozart,
correspondant à la copropriété
« Bellevue ». Cette aire, en effet, avec
les copropriétés « Alpes » et « Alpes-
Azur », compose l'étendue de la Zone
Urbaine Sensible (Zus) « Alpes-
Bellevue », qui en 2006 contenait Îlots cumulant les indices de fragilité. Source:
2621 habitants. diagnostic Oru.

Les auteurs du diagnostic


repèrent trois secteurs
particulièrement sensibles : Jaurès,
Alpes LOPOFA et Bellevue. Il s'agit
des sous-secteurs où les interventions
les plus fortes se sont déroulées ou
bien sont envisagées : les secteurs
Jaurès et Alpes-Lopofa sont ceux
investis par les démolitions, alors que
Bellevue n'est pas touché par le projet
urbain en cours mais des
interventions y sont envisagées dans
Part des logements dont l'occupant est propriétaire.
l'avenir. Deux de ces trois secteurs Source: diagnostic Oru.
(Bellevue et Alpes) sont compris dans
le périmètre Zus ; il est intéressant de pointer le regard sur l'autre secteur de la Zus, celui de la
copropriété Alpes-Azur. Il affiche en effet moins de valeurs indiquant une faiblesse sociale et au
contraire on y trouve des indicateurs de stabilité.

2.2.3 Une approche ethnographique pour une nouvelle


représentation des « quartiers difficiles » ?
Les données présentes sur le site de la Politique de la Ville représentent incontestablement
des réalités : on sait qu'il y a plus de familles monoparentales, plus d'étrangers, plus de jeunes de
moins de 25 ans, plus de chômeurs et plus de non diplômé(e)s que dans d'autres parts de Saint-
Priest et que chez la moyenne de l'agglomération lyonnaise. Mais pourquoi et comment ces
données devraient-elles nous fournir une image, une représentation globale du quartier ? Cela
arrive lorsqu'on lie ces données dans un cadre unique et pour cela faire nous avons besoin d'une
clé de lecture, capable de connecter ces données entre elles et faire en sorte qu'elles se
valorisent l'une l'autre.
Nous avons besoin donc d'une « machine à significations », d'un système de valeurs et de
savoirs qui puisse nous guider dans la transformations de données brutes en connaissance d'une

32
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 2. La zone d'étude

certaine réalité, soit une rhétorique. La « hétorique » consiste, dans son sens premier, en l' art de
la persuasion en utilisant des argumentations et une certaine façon d'utiliser les paroles, c'est-à-
dire de présenter les faits. En ce sens là, elle constitue une puissante « machine à significations »
car elle exprime, organise et connecte les faits « réels », les données de l'expérience.
Quelle rhétorique est donc demandée, pour connecter et donner du sens aux données
brutes présentées sur le site de la Politique de la Ville ? Il s'agit d'une rhétorique que nous
pourrions définir « de l'écart à la moyenne », dans le sens où la qualité de vie d'un quartier est
compréhensible par des comparaisons avec des autres zones, et où cette comparaison est faisable
par des méthodes quantitatives et statistiques. Il est évident qu'en utilisant cette rhétorique, un
territoire comme celui-ci ne peut être défini que comme « problématique ». Et à partir de cette
définition, les politiques de rénovation urbaine trouvent leur justification et les médias trouvent
l'empreinte de leurs représentations.
Cette rhétorique, ne prend pas en compte des facteurs endogènes, indépendant de
l'extérieur, tels que la dignité des personnes qui habitent ces quartiers et leur rattachement aux
lieux. Il s'agit de phénomènes quantifiables avec moins de précision et qui demandent aussi une
approche qualitative ; toutefois, les méthodes restent des méthodes, des outils, et nulle chose
n'empêche d'aborder le rattachement au quartier ou la solidarité de voisinage avec des méthodes
quantitatives.
La rhétorique de « l'écart à la moyenne », de plus, a une vision plutôt synchronique, elle
prend une instantanée du territoire ; elle n'évalue pas l'état actuel du territoire par rapport à une
trajectoire douée d'une certaine direction. Le cas en étude est exemplaire, car ce territoire est
d'un point de vue urbain un « bébé », en ayant été été peuplé il n'y a que 50 ans. Ses habitants
sont en train de s'enraciner dans ce lieu ou, plus anthropologiquement, ils sont en train de
transformer cet « espace » en un « lieu »5.
Tout cela échappe à la rhétorique dont nous avons parlé, et il pourrait être l'apport de
l'anthropologie, de saisir toutes ces réalités, qui existent et influencent la dynamique urbaine.

5
Voir ci-dessous, p.47.
33
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 2. La zone d'étude

2.3 Unités paysagères urbaines


Lors de nos déplacements sur le terrain, nous avons été frappés par la variété et la diversité
des typologies d'habitat présentes à l'intérieur de la zone d'étude. Voici nos impressions suite à
la déambulation de mercredi 7 mars :

Se sentir perdus, dépaysés, ne pas savoir où regarder, parce qu'il y a des typologies urbaines
trop différentes l'une de l'autre, un rapprochement dérangeant. Ne pas savoir s'orienter.
Impression de passage, de choses qui se passent à côté sans communiquer.

Nous avons essayé donc d'analyser cette variété, afin de s'approprier plus en profondeur la
zone d'étude. En un premier temps, nous avons retenu la différence la plus évidente parmi les
formes d'habitat visibles : d'un coté les grands ensembles et de l'autre les maisons individuelles.
À leur fois, nous avions l'impression que les grands ensembles ne constituaient pas un ensemble
homogène, mais qu'on trouvait des immeubles plus dégradés et d'autres réfléchissant un niveau
de revenues plus élevé de ses occupants. Le premier critère de classification dont nous avons fait
l'hypothèse est donc un critère architectonique, relatif aux dimensions et à la forme des
bâtiments. En effet, le contraste entre grands ensembles et petites maisons individuelles était
vraiment frappant.
Ensuite, nous nous sommes aperçu que la catégorie des « maisons individuelles » n'était pas
homogène non plus, puisque dans les alentours de place Salengro nous avions une sensation
différente qu'en rue Anatole France. Il est vrai que du point de vue architectonique, les
bâtiments se ressemblaient, toutefois nous avions l'impression de franchir une frontière,
lorsqu'on passait de place Salengro à rue Anatole France. En cherchant d'expliquer cette
sensation, nous avons trouvé que les maisons de place Salengro et de ses alentours possédaient
une caractéristique qui les différenciaient des autres : elles formaient une continuité de bâti. Ce
deuxième est un critère de texture urbaine. En deuxième lieu, nous avons remarqué que cette
continuité bâtie était alignée dans le même sens que la voie publique et donc les éléments privés
(les maisons) et publics (la voie) formaient ensemble un paysage unitaire. Cette deuxième
caractéristique, l'alignement des bâtiments d'habitat avec la voie publique, était partagé avec les
zones de maisons individuelles, mais permettait de distinguer ultérieurement maisons
individuelles et bâti continu d'un coté, grands ensemble de l'autre coté.
Enfin, nous avons pu observer très attentivement les grands ensembles, lorsqu'on a
effectué le comptage des appartements dans chaque immeuble. Cela nous intéressait pour
mesurer la densité d'habitat dans les différentes sous-zones, mais finalement a été un moyen
pour dégager un autre élément qui contribue à caractériser le paysage urbain : la technique de
construction. En effet, tous ces grands ensembles sont construits par modules de cinq niveaux et
dix appartements chacun, qui se répètent de deux à neuf d'une façon linéaire, et forment ainsi
ces « barres » qui marquent le paysage des quartiers construits dans cette période d'expansion
urbaine. Cela est relevable même des photos aériennes de Géoportail.fr, où il est encore possible
de compter les modules des deux bâtiments du quartier Diderot rasés en 2008. En effet, plus que
les choix architecturaux, c'est les techniques de construction adoptées qui déterminent
l'apparence extérieure de ces grands ensembles. Notamment, il s'agit de techniques industrielles
et standardisées, qui permirent de répondre à l'urgente demande de logements, tout en gardant
une faisabilité économique pour les promoteurs, publics ou privés. Par ailleurs, il s'agit de
34
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 2. La zone d'étude

l'application sur vaste échelle des idées architecturales « modernistes », prônées en premier par
Le Corbusier : des logements avant tout fonctionnels et rationnels, pour une société de masse.
En utilisant ces critères, nous avons pu classifier l'ensemble des bâtiments d'habitat
présents dans la zone d'étude, en trois unités paysagères urbaines : tissu urbain continu ; tissu
discontinu en maisons individuelles (pavillonnaire) ; tissu discontinu en habitat collectif (grands
ensembles).

35
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 2. La zone d'étude

2.3.1 Tableau des critères de classification paysagère dans le


centre-ville de Saint-Priest
Tissu urbain discontinu
Tissu urbain continu Maisons individuelles Habitat collectif
(pavillonnaire) (grands ensembles)
Pour la plupart, maisons Barres ou tours de
Maisons à un étage, toit
à un étage, avec cour grandes dimensions,
en pente, entourées par
Typologie intérieure, toit en pente. formes et décor des
un jardin avec
architecturale Quelques immeubles de façades uniquement
éventuellement petits
plusieurs étages et toit carrés, toits horizontaux.
annexes.
horizontal. Esthétique rationaliste.
Entreprises de bâtiment
Techniques de
petites ou moyennes ;
Technique de Entreprises de bâtiment construction industrielle,
parfois techniques
construction petites ou moyennes. grands promoteurs
traditionnelles locales
publics ou privés.
(pisé).
Alignement à la voie
Oui Oui Non
publique
Continuité du bâti Oui Non Non

2.3.2 Cartographie des unités paysagères urbaines

Note méthodologique6

6
Nous aurions envisagé d'utiliser un Sig et nous avions préparé une bases de données relatives aux unités
36
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 2. La zone d'étude

2.3.3 Illustrations des unités paysagères urbaines7


Tissu urbain continu :

Tissu discontinu en habitat collectif (grands ensembles) :

Tissu discontinu en maisons individuelles (pavillonnaire) :

paysagères . Toutefois, nous n'avons pas pu récupérer le fond de carte en shapefile. Ni le service Urbanisme ni le
Dsu de la Ville de Saint-Priest disposaient de cet outil. Nous avons donc évalué de faire les cartes à la main, du
moment où la quantité et le type de données pouvaient être gérés sans l'aide d'un outil informatique.
7
Photos de l'auteur.
37
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 2. La zone d'étude

La catégorie de l'habitat collectif, qui est la plus représentée, gardait une certaine
hétérogénéité à son intérieur. Cette variété relève surtout de l'état d'entretien extérieur des
immeubles. Ce critère peut être considéré comme un critère anthropologique, car le soin –
collectif – de l'environnement physique où l'on vie fait partie des action de « valorisation » qui
ne sont pas fonctionnelles mais sont plutôt explicables par le besoin de « rendre et maintenir
chez-soi » un lieu.

Nous allons comparer cette analyse paysagère avec d'autres découpages relatifs à la zone
d'étude, afin de comprendre quels autres éléments sont associés aux différentes formes urbaines
repérées. Nous prenons en considération trois autres critères d'analyse territoriale :

1. L'époque d'urbanisation:

2. La forme juridique de gestion des immeubles :

Source: diagnostic Oru


38
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 2. La zone d'étude

3. les indicateurs de faiblesse sociale :

Périmètre de la Zus Alpes-Bellevue. Source: sig.ville.gouv.fr


Nous constatons, en comparant ces trois dernières cartes avec celle des unités paysagères
urbaines, qu'il y a des correspondances entre celles-ci et les époques d'urbanisation, tandis que
les autres périmètres (celui qui distingue Hlm et copropriétés, et celui qui regroupe les
population en faiblesse sociale), ne sont pas superposables aux unités paysagères urbaines. Nous
en concluons que les formes urbaines sont révélatrices des différentes vagues d'urbanisation et
de peuplement, et non d'une situation sociale ni d'un statuts résidentiel (propriétaire ou locatif
social).
Notamment, nous pouvons remarquer que les zones de maisons individuelles et de tissu
urbain continu remontent globalement à la période 1831-1962, avec une prévalence des maisons
individuelles en 1831-1935 et une prévalence du tissu urbain continu en 1935-1962. La période
1962-1975 est caractérisée uniquement par la construction du paysage d'habitat collectif, tandis
que entre 1975 et 1997 nous assistons au complètement de l'urbanisation du centre-ville, avec
des immeubles et des maisons individuelles.

Cette classification nous sera utile pour choisir le périmètre retenu pour notre étude, car
nous aurons à disposition différents découpages, exprimant différents critères d'analyse du
territoire. Nous choisirons celui qui nous semblera le plus adapté, ce que nous allons détailler
dans le prochain chapitre.

39
3. La méthodologie

3.1 Les contraintes de notre recherche


Toute recherche se déroule dans un contexte administratif et social donné. Ce contexte,
souvent négligé, mérite d'être rappelé, car il détermine l'envergure et les objectifs et influence
aussi les résultats du travail. Dans notre cas, nous avons repéré quatre contraintes principales.
Une contrainte administrative et temporelle, selon laquelle le rendu du travail devait se
faire avant le 13 juin 2012, la durée de la recherche atteignant ainsi cinq mois, car le début du
stage fut le 9 janvier 2012.
Une contrainte éthique, envers trois sujets : l'organisme de stage, les personnes impliquées
dans la recherche et le chercheur même. Envers l'organisme de stage, le travail de recherche est
censé apporter quelque chose ; envers les « informateurs » ou ceux qui ont aidé le travail de
recherche, nous considérons correcte de leur pouvoir rendre un aboutissement du travail ;
envers nous-mêmes, il est juste qu'on puisse tirer du travail une satisfaction personnelle.
Une contrainte économique, relative au montant financé par la mairie de Saint-Priest à
Robins des Villes pour mener le projet. Ce chiffre déterminait la quantité d'heures que l'équipe
Robins consacrait au projet.
Une contrainte personnelle, dans le sens où nous n'étions pas motivés à poursuivre le
travail de recherche après la soutenance.
Ces facteurs ont influencé les objectifs de la recherche et les méthodes adoptées, car celles-
ci peuvent se déployer sur un espace et un temps plus ou moins étendus.

3.2 Définition de l'objet d'étude1


Nous ouvrons cette partie avec une citation de l'ouvrage de Rispoli et Signorelli car nous
en avons adopté la définition de l'objet de recherche, tout en ajoutant des précisions qui nous
paraissaient pertinentes.

1
Ce sous-chapitre reprend le chapitre 3 de l'ouvrage cité de Rispoli et Signorelli.
40
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 3. La méthodologie

La prémisse théorique sur laquelle se fonde cette définition de notre objet d'étude est la
suivante : les sujets humains individuels ou collectifs sont toujours sujets localisé ; de
manière complémentaire les lieux de la vie humaine sont lieux subjectivés. Ce qui veut
dire : il n'existe pas d'être humains qui ne soient pas dans un certain endroit ; et il
n'existe pas d'endroit qui ne soit pas humanisé, si ce n'était que pour avoir été pensé
par des êtres humains. Donc, nous considérons extrêmement réducteur et
dangereusement détournant de penser les êtres humains comme s'ils n'étaient pas
localisé, comme des pures entités abstraites dont le placement dans les lieux est
insignifiant ; mais également réducteur et détournant il nous semble de penser les lieux
comme pur espace abstrait, euclidien, à remplir par des objets bâtis aussi bien
abstraitement dessinés en fonction de pas moins abstraits et génériques besoins
humains2.

C'est donc les rapports entre sujets et lieux, ou mieux, « sujets localisés en relation avec
espaces subjectivés » qui sont pris en compte comme objet d'étude.

3.2.1 La structure des rapports entre sujets et lieux


Rispoli et Signorelli proposent une classification de la structure du rapport entre individus
et lieux basée sur trois possibilités : rapports entre un sujet (individuel et/ou collectif) et les
lieux ; rapports entre sujets (individuels et/ou collectifs) dans les lieux ; rapports entre lieux dans
l'expérience et les représentations mentales des sujets (individuels et/ou collectifs).

3.2.1.1 Rapports entre un sujet et les lieux


Ce type de rapport est le plus enquêté dans la recherche et la planification ; il comprend
deux aspects principaux : les rapports fonctionnels, où la relation entre lieux et sujets est
caractérisée par les différentes activités que l'on peut mener dans les différents lieux, on peut
parler donc de satisfaction des besoins ; les rapports affectifs, où le lien entre lieux et individu
n'est pas fonctionnel mais au contraire formé par des souvenirs, des sentiments, des sensations.

3.2.1.1.1 Rapport fonctionnel


Champ de la nécessité
◦ satisfaire les besoins de survie matérielle et sociale: se nourrir, se soigner, se loger, se
déplacer, faire des démarches administratives, communiquer;
◦ travailler ou activités économiques informelles;
◦ faire partie d'une famille;
◦ études, formation ;
Champ du temps libre:
◦ activités identitaires ou festives: religieuses, politiques, associatives, sportives
(support d'une équipe);
◦ activités récréatives: soin de soi, culture, shopping, pratique sportive, se promener;
◦ sociabilité: amitiés, amours, rencontres.

2
Rispoli, Signorelli, op. cit., p. 43.
41
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 3. La méthodologie

Une relation de type esthétique entre individus et lieux est transversale à toutes les
précédentes (si on a le choix, on préfère un lieu « plus beau » pour faire n'importe quelle
activité).

3.2.1.1.2 Rapport affectif


Un espace peut mettre à l'aise ou mal à l'aise selon plusieurs facteurs : organisation
physique de l'espace ; type de gens et d'activité ; connu/inconnu ; sens de sécurité/insécurité ;
souvenirs positifs ou négatifs.

3.2.1.2 Rapports entre sujets dans les lieux

Les rapports qui s'établissent entre sujets individuels et/ou collectifs dans les lieux
nous intéressent pour comprendre le conditionnement que les rapports entre sujets
exercent sur les lieux et, vice versa, celui que les lieux exercent sur les rapports entre
sujets3.

À partir des rapports de type fonctionnel établis ci-dessus, nous avons procédé à une
classification des différents types de relations que l'on peut rencontrer dans l'espace :
 à la première catégorie (besoins de survie), correspondent des relations aléatoires, de
trafique (dans les transports en commun, les bureaux publics) ou de courtoisie (dans les
magasins);
 à la deuxième, troisième et quatrième catégorie (activité économiques, famille, études)
correspondent des relations d'obligation, formalisée (travail, études) ou non (famille);
 aux trois dernières catégories (activités identitaires et festives, activité de loisir,
sociabilité) correspondent des relations de choix, formalisé (activité identitaires) ou non
(activités récréatives et sociabilité).

3.2.1.3 Rapports entre les lieux dans l'expérience et les représentations des
sujets
Cet aspect semble rejoindre partiellement la théorisation de Lynch sur les images de
l'espace urbain, puisque Rispoli et Signorelli affirment que « Tout sujet est porteur d'un plan
mental du monde qui lui permet de s'orienter dans les rapports avec les lieux et les autres sujets
et, par les représentations, d'être mentalement en rapport avec d'autres lieux et des sujets
eloignés. D'où l'importance de ce plan, qui a pour nous en tant que sujets une fonction cognitive
et une fonction d'évaluation du monde ».

3.2.2 Les modalités des rapports entre sujets et lieux


Les auteures passent ici à considérer les modalités selon lesquelles les sujets établissent le
rapport avec les lieux et vivent ce rapport. Trois modalités de rapport entre sujets et lieux sont
indiquées : l'affectation des sujets aux lieux ; l'appropriation des lieux par les sujets ; la
valorisation des lieux par les sujets.

3
Ibi, p. 47.
42
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 3. La méthodologie

3.2.2.1 Affectation

Nous considérons un rapport


d'affectation celui qu'un sujet
(individuel et/ou collectif) a avec
un ou plusieurs lieux donnés en
un temps donné, lorsque ce
même sujet n'a pas les capacités
et/ou les ressources pour
modifier remarquablement les
caractéristiques des lieux et donc
les conditions que ces lieux
imposent à son action4.

L'exemple classique de cette


modalité est l'affectation, justement,
de logements sociaux aux locataires.
L'affectation exprime la modalité du
Ensemble Hlm dans le centre-ville de Saint-Priest,
pouvoir dans le rapport entre sujets et exemple d'affectation à l'espace. Photo: M. Del Fabbro
lieux.

3.2.2.2 Appropriation
On s'approprie un lieu en le conquérant par la force, en l'occupant illégalement, ou
encore, plus simplement, en l'utilisant. Les processus d'appropriations peuvent varier beaucoup
par leurs entité et dimensions ; ils peuvent être individuels ou collectifs, concerner lieux privés,
publics ou semi-publics, être réversible ou non, nuisibles ou inoffensifs, mais ils ont tous cela en
commun, d'être utiles pour ceux qui les réalisent . Des exemples peuvent être les bâtiments
abusifs, les commerces ambulants, les terrasses des bars, ou encore des passages piétons
informels... L'appropriation constitue la modalité de l'usage pratique des lieux par les individus.
Le magasin de motos,
pendant les horaires
d'ouvertures, occupe une partie
de la chaussée avec des motos
d'occasion. Cette action, comme
il nous a été expliqué par le
patron du magasin, a une
finalité commerciale, car les
exemplaires d'occasion sont
exposés à l'extérieur et une
fonction pratique, car elle offre
aux clients un parking en face
du magasin et surveillé. En plus,
cette action a un effet
esthétique sur l'ensemble de la
place, car les motos exposées à
Exemple d'appropriation de l'espace en place Salengro à
4 Saint-Priest. Photo : M. Del Fabbro.
Ibi, p. 51.
43
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 3. La méthodologie

l'extérieur constituent un élément caractéristique.

3.2.2.3 Valorisation (« appaesamento »)5


« Appaesamento », signifie « faire d'un lieu un chez soi », c'est « le processus par lequel un
sujet humain individuel ou collectif investit de valeur une portion d'espace, en la transformant
ainsi en lieu-symbole de cette même valeur »6. La variété des processus de valorisation des lieux
est aussi large que celle de l'appropriation : on la voit ouvrer chaque fois qu'on aperçoit un signe
matériel posé sur ou dans un lieu, dont la présence ne peut pas être expliquée par la fonction ou
la satisfaction d'un besoin. La couleur d'un mur, un fresque, un édicule, ou bien des objets posés
dans sa chambre, sa cour, son bureau, ou encore, les scénographies architecturales dans les
grandes villes du monde... La valorisation est la modalité de la valeur dans les rapports entre
sujets et lieux.
Un « tag » sur un mur
dans un ensemble résidentiel,
dans le centre-ville de Saint-
Priest, est un exemple de
valorisation d'un lieu. En effet,
ce mur se trouve en marge d'un
espace de jeu en bas d'un
groupe de bâtiments, où les
enfants se retrouvent jouer. La
décoration du mur n'a aucune
utilité pratique, au contraire,
elle marque l'investissement
affectif et esthétique de cet
espace de part de certains de ses
usagers. Exemple de valorisation de l'espace dans un espace
résidentiel du centre-ville de Saint-Priest. Photo: David
Desaleux.

3.3 Formulation des hypothèses


Le long de nos permanences à Saint-Priest, nous avons pu repérer certaines
caractéristiques marquantes de l'espace urbain. Notamment, nous avons eu l'impression que
certains espaces étaient plus chargés de sens que d'autres, c'est-à-dire qu'ils étaient plus investis
par l'usage des habitants. Il s'agit de trois catégories d'espaces : dans l'unité paysagère de « tissu
urbain continu » c'est la grande place ; dans l'unité de « maisons individuelles » la rue à laquelle
les maisons font face ; dans l'unité de « habitat collectif » ce sont les espaces annexes aux
5
Le mot « appaesamento » est formé à partir de la racine « paese », qui dans la langue italienne indique soit la
nation, soit ce qu'en français on indique par « village », c'est-à-dire un bourg de campagne. L'usage de « pays »
au sens de « région autour d'un petit centre urbain » correspond plutôt à « provincia » ou « contrada ». C'est donc
en ce deuxième sens que le mot « paese » est pris ici, un sens qui est généralement connoté d'une façon positive,
car il évoque souvent le lieu d'origine par rapport à une émigration, où l'on retrouve les personnes et les signes
qu'on a dû (ou voulu) quitter. Nous n'avons pas trouvé de correspondant en français du mot italien
« appaesamento », sauf qu'en inventant un mot tel que « enpaysement » ou « chez-soisisation ».
6
Ibi, p. 55.
44
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 3. La méthodologie

immeubles d'habitation.
Comme on l'a vu, l'urbanisation dans l'unité paysagère d'habitat collectif s'est faite par des
grands ensembles, souvent regroupés de manière cohérente vers l'intérieur (entre eux) et de
manière incohérente vers l'extérieur (envers le tissu urbain environnant). En effet, l'espace dans
le centre-ville est organisé beaucoup plus autour de ces ensembles résidentiels que de rues ou
places publiques. En plus, ces grands ensembles disposent toujours de surfaces plus ou moins
importantes en bas ou entre les bâtiments, parfois équipées avec jeux d'enfants, bancs, etc. En
effet, ces « cours d'immeubles », dont place Molière et square Monnet constituent deux
exemples, sont presque les seuls endroits où un aménagement de l'espace apparaît clairement.
Au contraire, en ce qui concerne les espaces publics, nous avons remarqué que les
éléments morphologiques qui composent l'espace urbain traditionnel des villes européennes
sont de fait manquants. Parmi ceux-ci, nous trouvons que le principal est la rue, au sens qu'on
trouve dans l'édition 2006 du dictionnaire « Le petit Robert » : « Voie bordée, au moins en
partie, de maisons, dans une agglomération ». Cette définition exprime très bien la dimension de
la rue comme lieu typiquement urbain, dans le sens où elle est à la fois lieu de passage, d'activité
économique et de rencontre.
Pour avoir une confirmation de l'importance que cet élément physique a dans les relations
et le style de vie « urbain » dans l'histoire de la société européenne, nous pouvons même faire
référence à la littérature7 : c'est « passando per una via »8, que Dante Alighieri, au XIII siècle,
place son deuxième rencontre avec Beatrice, la femme qui incarne l'Amour terrain et puis divin.
Ou encore, et à l'envers, c'est dans les rues pleines de foule de Paris au XIX siècle, que le regard
de Charles Baudelaire peut se croiser avec celui d'une inconnue, dont il peut tomber amoureux
et pourtant ne plus jamais la revoir. Selon Jane Jacobs, rues et trottoirs font partie des « organes
vitaux » d'une ville9.
Cet élément morphologique principal est ensuite articulé avec d'autres : les places, lieux
ouverts où les rassemblement formels ou informels sont possibles ; et puis les boulevards, les
squares... Ces éléments définissent des rapports entre pleins et vides, qui constituent
l'environnement physique d'une ville et, en même temps, rendent possible ce sens d' urbanité
qui concerne le type d'activités et de relations urbaines.
Or, dans l'unité paysagère urbaine de grands ensembles on ne trouve pas ces éléments : il
n'y a pas de rues au sens qu'on vient de préciser, ni de places. Celle-ci est une caractéristique
commune des grands ensembles, comme le précise Anne Raulin : « L'image de la barre demeure
l'horizon de ces réalisations, et l' absence de rues signe la volonté de s’affranchir de l'ancien
quartier ouvrier et de ses sociabilités publiques »10. On ne trouve pas dans ce secteur les
éléments morphologiques qui ont favori le développement d'une urbanité au sens traditionnel,
comme il est indiqué par Henri Lefebvre : « La vie urbaine, la société urbaine, en un mot
7
Sur l'usage de sources littéraires ou artistiques, quelques précisions sont nécessaires. Ces témoignages peuvent
être considérés fiables, dans la mesure où on s'en sert correctement. L'usage d'éléments paysagers par les poètes
peut révéler comment cet élément était considéré à l'époque et dans la société de l'auteur, car afin de
communiquer avec le lecteur, il a besoin d'utiliser des images et des sens partagés. Au contraire, il peut arriver
que un élément du paysage (la mer, la levée et le coucher du soleil à titre d'exemple) soit chargé d'un sens
symbolique ou personnel qui ne concerne pas l'image de cet élément dans la société donnée. Il s'agit donc de
cerner en amont cela, avant de se servir de sources artistiques comme témoignages d'une époque.
8
« En passant par une rue », Vita Nova, II.
9
Cité par Anne Raulin, op. cit., p. 96.
10
Ibidem.
45
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 3. La méthodologie

l'urbain […] ne peuvent se passer d'une base pratico-sensible, d'une morphologie. […] L' urbain
n'est pas une âme, un esprit, une entité philosophique »11.
L'espace public dans cette unité paysagère est très faiblement structuré : on a la possibilité
de passer à pieds par une infinité de chemins, que ce soient des trottoirs, des parkings, des
passages résidentiels ou autres passages informels. Par contre, les habitants disposent de ces
espaces semi-publics ou semi-privés, au milieu et autour des bâtiments d'habitat. Ces espaces
ont été conçus comme lieux de convivialité pour les occupants des résidences et plut ôt fermés
vers l'extérieur. La structuration de ces espaces favorise ainsi le développement de rapports et
relations entre voisins d'un même ensemble de bâtiments. D'ailleurs, le manque d'espaces
publics accueillants est un facteur qui renforce la formation de sous-secteurs au sein du centre-
ville (Diderot, Les Alpes, Bellevue, Mozart sont les principaux).

Notre hypothèse est donc que ces espaces annexes aux résidences recouvrent un
rôle majeur dans la pratique de l'espace urbain des habitants et que cela se fait au
détriment des espaces traditionnellement investis par les usages des citadins, c'est-à-dire
les espaces publics. Cet usage des espaces urbains constituerait ainsi un nouveau type
d'urbanité, lié à la nouvelle morphologie urbaine dont nous avons parlé.

3.4 Les techniques d'enquête


Comme on a pu le voir, la caractéristique de la méthode ethnographique, est d'expliquer
les phénomènes sociaux de l'intérieur, c'est-à-dire, en utilisant les catégories et les points de vue
des sujets qui vivent ces phénomènes. Les outils classiques de l'ethnographie sont l'interview et
l'observation participante12. Nous allons proposer une rapide aperçue de ces techniques dans la
tradition ethnographique et ensuite nous allons détailler comment nous nous en sommes servis.

3.4.1 La tradition ethnographique


L'interview n'est pas exclusive de la méthode ethnographique, elle est utilisée au contraire
par sociologues, géographes, urbanistes... Ce qui différencie l'interview ethnographique des
autres, est qu'elle recouvre le rôle central dans la construction de la connaissance scientifique.
Les autres informations relatives à la zone d'étude, de type historique, sociologique,
architectural etc forment le contexte de cette matière centrale, constituée par les interviews.
Souvent, chez les autres disciplines, il arrive le contraire, c'est-à-dire l'interview est d'appui à
d'autres analyses, statistiques, d'archive, etc.
Une autre caractéristique de l'interview ethnographique, est que le vrai centre d'intérêt ne
repose pas sur les informations que l'interviewé(e) communique au chercheur, mais plutôt sur
les façons de lire et d'expliquer la réalité, sur la « vision du monde » sous-jacente aux
affirmations de l'informateur. La recherche historique, par exemple, conçoit les informateurs en
premier lieu comme des sources documentaires alternatives ou complémentaires aux sources
écrites ; l'anthropologue est intéressé plutôt à la façon dont les informateurs conçoivent une

11
Henri Lefebvre, op. cit., p. 56.
12
Le texte de référence pour la méthodologie de recherche a été Mariano Pavanello, Fare antropologia, Zanichelli,
Bologna, 2010.
46
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 3. La méthodologie

certaine pratique sociale ou un certain phénomène. Il peut utiliser, bien sûr, les informateurs
comme des sources d'histoire locale, mais cela fera partie des recherches de contexte, finalisées à
la compréhension préalable de la population étudiée.
L'observation participante est l'autre technique principale de la recherche
ethnographique, ou peut-être la technique principale. En effet, elle est beaucoup plus liée à la
tradition anthropologique, car elle a été formalisée et utilisée pour la première fois par les
anthropologues, notamment le père de l'observation participante est considéré Bronislaw
Malinowski, auteur polonais naturalisé britannique qui publia en 1922 « Argonautes du
Pacifique occidental », où il reporta son expérience de terrain entre 1914 et 1916 aux îles
Trobriand, en Mélanesie. À la base de cette technique est l'idée que le chercheur doit participer
à la vie quotidienne de la population objet d'étude, pour qu'il puisse « s’imprégner » des façons
de concevoir le monde propres aux indigènes. Cela peut s'appliquer à tout objet de la vie sociale,
que ce soient les formes du pouvoir, l'organisation familiale, les rites d'échanges (comme le
fameux kula décrit par Malinowski), les formes d'éducation, la conception du temps, ou bien,
l'organisation de l'espace.
Les phénomènes sociaux sont conçus en anthropologie comme des actes de « anthropo-
poïesis », c'est-à-dire comme des moyens par lesquels les sociétés « construisent » les hommes,
dans le sens où les individus deviennent véritables membres de la société après avoir incorporé
déterminées façons de régler la vie sociale qui ne sont pas naturellement données mais au
contraire culturellement déterminées13. En ce sens là, on parle aussi de « koino-poïesis », là où ce
n'est pas l'individu qui est « construit » mais la société.
En notre cas, nous pourrions parler de « topo-poïesis », car les « espaces » sont
construits et transformés en « lieux », selon des pratiques et des usages précis, qui sont
appris par les membres du groupe social. Barbara Kirshenblatt-Gimblett parle par exemple
« des moyens grâce auxquels les habitants d'un espace donné transforment ce dernier en un lieu
palpable, créent un réseau relationnel, donnent forme à des valeurs et découvrent des
possibilités d'action »14.
Le débat théorique sur l'observation participante a depuis Malinowski accompagné la
pratique anthropologique. Nous ne pouvons pas le résumer exhaustivement, toutefois, il est
nécessaire d'en rappeler au moins deux points principaux, car si le principe à la base de
l'observation participante est encore valide, sa formulation théorique a sensiblement évoluée.
Une première question regarde la distance que le chercheur doit maintenir entre soi et la
population étudiée. En effet, si le principe de l'observation participante est que le chercheur
doit s'intégrer au groupe étudié, en participant à la vie quotidienne de ses membres, cela ne peut
pas se traduire en une identification totale du point de vue du chercheur avec celui des
indigènes. Et cela, en deux sens. En premier lieu, cette « identification » ne serait point possible,
car le chercheur est porteur de sa propre vision du monde qui lui dérive de ses origines, sa
culture, ses expériences... Il serait illusoire de penser que par une permanence, même prolongée,
sur le terrain, le chercheur puisse se dépouiller de ses pré-convictions et adopter intégralement
le point de vue des locaux. En deuxième lieu, cela ne serait souhaitable aux fins de la recherche,
13
Voir Stefano Allovio, La foresta di alleanze, Laterza, Roma-Bari, 1999, pp. 108-136.
14
Cahiers de litterature orale, 1988, n° 24, p. 17, cit. in Anne Raulin, Anthropologie urbaine, Armand Colin, Paris,
2007.
47
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 3. La méthodologie

puisque l'observation et la description de visions du monde « autres » n'est possible que si ces
visions du monde restent différenciées et différentiables de celles du chercheur.
Cela signifie – voici la deuxième question – que le chercheur ne se limite à utiliser des
techniques et outils de recherche, mais lui même est une technique de recherche, car sa simple
présence dans un contexte « autre » provoque des interactions qui font émerger des objets de
recherche. Son travail sur le terrain, consistera, entre autres, en la tentative de gérer ces
interactions. Cela ne signifie pas qu'il doit faire semblant ou se construire une masque fausse
vis-à-vis des locaux, toutefois il doit apprendre à porter sa masque, réciter son rôle pour pouvoir
être accepté dans les dynamiques de la population locale. L'observation de pratiques et rites
sociaux ne se fera qu'après cette phase de « catégorisation » et acceptation du chercheur par la
population locale. Dans la recherche ethnographique, il y a donc une double observation, celle
du chercheur sur la population locale, et celle des locaux sur le chercheur. La façon dont les
phénomènes étudiés se manifesteront au chercheur sera influencée par ce système complexe
d'interactions. Autrement dit, les phénomènes observés sont influencés par l'observateur.

3.4.2 Les techniques d'enquête utilisées pour notre étude


Nous avons adoptés les deux grandes techniques décrites : l'observation et l'interview. Ces
deux techniques sont complémentaires et permettent d'approfondir différents aspects de l'objet
d'étude. En effet l'observation est une technique où les données sont relevées par le chercheur,
tandis que dans l'interview les données sont déclarées par les sujets. L'observation est donc plus
adaptée à enquêter la relation fonctionnelle entre individus et lieux et la relation entre
individus dans les lieux, alors que pour aborder la relation affective entre individus et lieux et la
relation entre lieux dans les cartes mentales des individus, l'interview semble être plus indiquée.
Toutefois, le temps et les ressources à notre disposition nous ont permis de mener
rigoureusement seulement la première phase, celle des observations, que nous allons donc
exploiter pour confirmer ou démentir l'hypothèse émise. Nous avons commencé la deuxième
phase, celle des interviews, mais nous n'avons pas pu constituer un échantillon significatif, donc
nous nous sommes appuyés surtout sur les observations pour tirer nos conclusions.

3.4.2.1 Observation
Il n'a pas été possible de pratiquer une observation participante au sens classique du terme,
car la période d'observation n'a pas pu être constante et prolongée dans le temps. Toutefois,
comme on l'a vu plus haut, il n'y a pas une durée minimale du séjour sur le terrain, à partir de
laquelle on peut définir une méthode comme « ethnographique » ; une approche est définie
ethnographique plutôt par le choix de l'objet d'étude et de l'attitude du chercheur envers le
terrain.
Le type d'observation que nous avons mené peut être définie comme « externe » et non
« participante », car nous avons plutôt essayé d'observer les usages d'un lieu de part des
habitants, sans interagir forcement avec eux. Il s'agit donc d'un travail d'observation et
d’interprétation. Nous avons donc préparé un outil, une grille d'observation, afin d'obtenir des
données plus facilement formalisables.
La grille d'observation a été inspirée, encore une fois, aux indications contenues dans

48
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 3. La méthodologie

l'ouvrage de Rispoli et Signorelli et prévoyait donc quatre types d'informations à collecter :


relatives au poste d'observation ; relatives au lieu dans ses caractéristiques physiques ; relatives
aux personnes présentes dans le lieu et aux activités qu'elles y mènent ; relatives aux relations
entre personnes qu'y se développent.
Ces informations sont à structurer sur un axe temporal, couvrant la plupart de la journée
(du matin au soir). Lorsqu'on a débuté la transcription des notes de terrain, nous nous sommes
rendus compte qu'il fallait ajouter des lignes, en dehors des tranches horaires, pour pouvoir
donner la juste place à d'autres catégories d'information recueillies pendant la permanence sur
le terrain. La version définitive de la grille est donc la suivante :
Poste d'observation Lieu Personnes Interactions entre
personnes
9h-12h
12h-14h
14h-18h
18h-22h
Réflexions
Rencontres
Autres lieux
En effet, les séances d'observation se sont déroulées partiellement en dehors du lieu
principal de la séance : pour diverses raisons, il est apparu pertinent d'effectuer des brèves
déambulations ou de se déplacer momentanément du lieu d'observation choisi. En outre, il est
arrivé de faire des rencontres, d'avoir des échanges avec les individus présents dans les lieux et il
nous est apparu préférable de décrire ces interactions comme une catégorie à part, car
structurellement différente des observations « externes » des individus. En plus de cela, souvent
il nous est arrivé de formuler des généralisations, à partir des faits observés et nous avons essayé
de garder ce type de réflexion détaché du reste, bien que nous sachions qu'il n'existe pas
d'observation « pure », « objective », car toute description porte déjà en soi des éléments
d'interprétation.

3.4.2.2 Rencontres de terrain


Pendant nos permanences sur le terrain, il nous est arrivé de rencontrer et échanger avec
certaines personnes. Ces rencontres n'ont pas été cherchés, au contraire ils ont été imprévus et
nous nous sommes adaptés à la situation à chaque fois.
Nous pouvons les considérer comme une partie de l'activité d'observation du lieu, car nous
sommes rentrés en contact avec des personnes qui fréquentent stablement les lieux observés.
Dans un certain sens, on pourrait dire qu'elles font partie du paysage urbain, car elles peuplent
stablement ces lieux. Ces échanges ne sont pas tout à fait considérables comme des interviews
ethnographiques, car le sujet de conversation ne regarde pas les liens des sujets avec les lieux et
nous n'avons essayé non plus d'amener les dialogues en cette direction. La richesse de ces
échanges en effet réside plutôt dans un approfondissement de la connaissance du lieu, à travers
la connaissance des personnes qui le fréquentent et utilisent. À partir de ces rencontres
toutefois, nous avons pu demander ensuite à certaines de ces personnes une vraie interview.

49
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 3. La méthodologie

Comme dit, nous avons rencontrés des usagers des lieux observés : en place Salengro et rue
Aristide Briand, les gardiens des salles municipales et deux commerçants ; au square Monnet et
en place Molière, les jeunes et les enfants qu'y passent leur temps ; à la mairie et à la
médiathèque les employé(e)s.
Un autre point d'intérêt, en suivant toujours une approche ethnographique, réside dans
l'auto-observation de notre comportement lors des interactions avec ces personnes. Recouvrir
un rôle ethnographique sur le terrain n'est pas facile, car les indigènes sont considérés comme
une source potentielle de connaissance à tout moment et toute situation : cela crée un intérêt
constant vers eux, une curiosité de les connaître qui est soumise à un double risque. D'une part,
le risque de résulter envahissant, en posant des questions trop directes, et donc d'
« artificialiser » la situation. Il est donc nécessaire une certaine spontanéité de part du chercheur
lors de ces échanges, comme s'il s'agissait de n'importe quelle rencontre de sa vie quotidienne.
Cela implique de rester sincères, de dire ce que l'on dirait dans n'importe quel contexte, tout en
essayant de mettre à l'aise l'interlocuteur pour qu'il s'exprime le plus possible. D'autre part, cette
spontanéité ne doit pas se traduire par un rapprochement excessif, où l'intérêt de recherche
passerait en deuxième plan. La curiosité pour les systèmes de représentation et pour les visions
du monde des indigènes doit bien rester la finalité de l'échange pour le chercheur. En voie
générale, nous avons remarqué qu'en ces moments tout le mieux et tout le pire d'une
personnalité émerge, car comme nous l'avons expliqué le chercheur se trouve à gérer des
interactions complexes, qui sont à la fois des normaux échanges interpersonnels et des moments
de recherche. Il fait donc appel à toutes ses ressources relationnelles et parfois il s'en découvre
dépourvu.

3.4.2.3 L'interview
Comme dit, l'interview aurait été nécessaire pour approfondir les éléments observés
pendant les observations et pour aborder d'autres aspects de la relation entre individus et lieux,
qui ne pouvaient pas être révélés par les observations, notamment l'investissement affectif aux
lieux et les « cartes mentales » des lieux vécus.

3.4.2.3.1 L'interview ethnographique


La caractéristique d'une approche ethnographique, comme on l'a rappelé, est de considérer
tout moment, toute situation comme potentiellement révélatrice d'une façon de voir le monde ;
y compris le moment de l'interview. L'interview ethnographique est donc, en même temps
qu'un échange verbale, une interaction entre sujets, qui prend en compte la globalité des
modalités communicatives qui peuvent s'instaurer entre eux. Et les paroles, les récits seront
évidemment influencés par les autres aspects de l'interaction entre interviewé(e) et
intervieweur. En conséquence, nous avons opté pour des interviews semi-directives, où les
thématiques à aborder sont fixées en avance mais la formulation des questions, les liens entre
thématiques, et l'ordre des questions est laissé au déroulement de l'interview. Pour chaque
macro-thème, des sous-thèmes sont également préparés, afin de faire avancer l'interview, au cas
où les questions résultent en un premier temps non efficaces ; la proposition de ces sous-thèmes
n'est pas toutefois forcement à prévoir. Une question introductive, visée à une présentation
réciproque par l'interviewé(e) et l'intervieweur est également importante et pas à considérer
comme un élément accessoire, car ce moment établit la relation entre les deux sujets et donc
50
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 3. La méthodologie

influence toute la suite. La grille de l'interview est donc structurée de la façon suivante:
1. Pre-interview. Présentation réciproque par l'interviewé(e) et l'intervieweur, raisons et
modalités de l'arrivée à Saint-Priest, durée de la résidence ici (en nombre de
générations);
2. questions relatives à l'investissement affectif des lieux du quartier :
a) organisation physique de l'espace ;
b) type de gens et d'activité ;
c) connu/inconnu ;
d) sécurité/insécurité ;
e) souvenirs positifs ou négatifs ;
3. questions relatives aux liens que l'interviewé(e) estime d'avoir avec des lieux externes au
quartier, construction de la carte mentale du sujet;
4. questions visées à vérifier les hypothèses formulées suite à la première phase de terrain
(observation) sur certains lieux qui nous semblent être chargés de significations
particulières.
5. Post-interview. L'intervieweur laisse un contact (adresse e-mail ou téléphone), pour que
l'interviewé(e) puisse, si intéressé(e) prendre vision de l'usage qui aura été fait de ses
paroles.

3.4.2.3.2 Micro-trottoirs
Un autre type d'interview que nous avons pratiqué est celui dénommé « micros-trottoirs »,
du jargon journalistique. Cette technique consiste en aborder les passants dans la rue, en leur
posant le même type de questions que pour l'interview ethnographique, mais d'une manière
adaptée à la situation communicative. L'intérêt de cette technique, où le chercheur se présente
le dictaphone à la main, réside dans le type d'interaction que s'établit. En effet, souvent la
personne interrogée refuse de s'arrêter et répondre, mais si elle accepte, elle est souvent très
sincère et directe et elle fera un effort de synthèse pour répondre à une question imprévue. Ce
type d'interaction très dynamique fait que les réponses données sont souvent très vivaces et
brillantes. Le majeur défaut de cette technique, l'absence totale d'échantillonnage, peut se
transformer en un avantage, tant qu'on cherche des données de type qualitatif. En se confiant au
hasard, on tombe souvent sur des histoires et des personnages spéciaux, qu'on aurait
difficilement rencontrés autrement.
Cette technique, mutualisée des enquêtes journalistiques, offre des aspects intéressants si
elle est intégrée dans une méthode de recherche plus vaste et rigoureuse.

3.4.3 L'influence de l'observateur sur les phénomènes observés


Les journées de terrain nous ont permis d'auto-réfléchir sur les caractéristiques dont nous
étions porteurs inconsciemment ou implicitement. Comme nous l'avons rappelé, les données de
l'approche ethnographique consistent en les pratiques et les mentalités des êtres humains, et la
seule façon de recueillir ce type de données est d'observer et de parler avec les individus. Mais
51
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 3. La méthodologie

lorsqu'il mène ces activités, le chercheur ne peut pas s'abstraire des caractéristiques sociales,
physiques, culturelles dont il est inévitablement porteur, en tant qu'individu. Ces
caractéristiques vont influencer le recueil des données car elles permettront d’accéder plus
facilement à certains milieux et moins à d'autres.
Ces considérations s'ouvrent sur la question générale de la rigueur scientifique de toute
approche qualitative et de la fiabilité des résultats obtenus. En effet ceux-ci pourraient
apparaître arbitraires, lorsqu'on remarque qu'ils sont lourdement influencés par des éléments
subjectifs, tels que les origines, les convictions, voir le caractère et l'apparence physique du
chercheur. Toutefois, nous retenons que la différence entre méthodes qualitatives et
quantitatives (qui sont censées amener à une connaissance plus « objective ») soit une différence
de degré et non pas de nature. En clair, à notre avis la connaissance produite par des méthodes
qualitatives se distingue de celle produite par des méthodes quantitatives non pas pour être
objective ou subjective ; mais plutôt pour le niveau de contrôle que le chercheur peut avoir sur
les techniques de recherche et sur les résultats. La démarche scientifique est donc la même, mais
déclinée différemment : elle comprend toujours une partie arbitraire et cependant elle possède
toujours un caractère scientifique. Scientifique, dans le sens où le chercheur a conscience des
limites de ses outils et donc de ses résultats. Il a conscience justement du fait que la modélisation
de la réalité – que ce soit par un logarithme, une philosophie ou une représentation artistique –
reste toujours une modélisation, qui ne pourra pas rendre compte intégralement de la
complexité du réel et ne sera jamais la seule possible. En cela demeure le caractère arbitraire de
toute recherche scientifique.
Nous allons donc indiquer les caractéristiques qui – à notre avis – ont influencé le recueil
des données, pendant les journées de terrain. Connaître ces caractéristiques est un peu comme
connaître l'épaisseur de la loupe d'un microscope, cela nous permet de prévoir quels limites
peuvent avoir les données que nous avons recueillies et analysées.
Être étudiant nous a souvent facilité la tâche, car les personnes se sont montrées
disponibles à aider la recherche ; ou, au moins, cela nous donnait une certaine « neutralité » qui
n’empêchait pas les relations. Être de sexe masculin était une autre caractéristique importante ;
nous supposons qu'elle nous a permis de rapprocher plus rapidement des sujets également
masculins (la plupart de nos rencontres de terrain). Notre accent a été une clé formidable pour
établir des relations, car il nous rendait un objet de curiosité pour les indigènes ; le même vaut
pour la « tête d'italien ou d'espagnol » qui nous a été évoquée plusieurs fois. L'être effectivement
italien favorisait finalement la conversation, à Saint-Priest en particulier parce que certaines
personnes avaient des origines italiennes ou des amis d'origine italienne, vu que la ville a
accueilli dans la première moitié du XX siècle une immigration italienne importante. Notre age
a été également un facteur relevant. Notre code de vêtements, plutôt casual, communiquait
aussi beaucoup, et surtout notre manière de porter ces habits. Les outils du métier pouvaient
être révélateurs de notre activité : stylo, bloc-notes, éventuellement dictaphone. Enfin, la teint
claire de notre peau était sûrement un facteur à non négliger même si, au final, nous est semblé
moins marquant que les autres cités.

3.5 L'échantillonnage
Il reste un dernier élément à aborder pour illustrer la méthodologie suivie : les critères
d'échantillonnage appliqués. En notre cas, nous devons faire un choix de lieux, où mener les

52
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 3. La méthodologie

observations, et un choix de population, à interviewer. Deux grandes voies existent pour cette
opération : échantillonnage quantitatif ou qualitatif. Le premier considère les variables socio-
demographique classiques, telles que l'age, le sexe, la catégorie socio-professionnelle etc ; le
deuxième prend en considération des éléments qualitatifs qui apparaissent significatifs aux yeux
du chercheur pour caractériser la zone d'étude. Vu que nous avons adopté des méthodes
qualitatives jusque-là, nous avons choisi cette deuxième option.
Une possibilité d'échantillonnage à écarter – à notre avis – serait celle basée sur
l'« ethnicisation » de la réalité. En effet, Saint-Priest et en particulier le centre-ville pourrait se
prêter à une telle opération, puisque la ville s'est agrandie à partir du début du XX siècle par des
vagues successives d'immigration – italiens, espagnols, Pieds Noirs, maghrébins, portugais, turcs,
africains. Mais un échantillonnage de ce type supposerait un postulat que nous ne partageons
pas : que l'intégration dans une société et un espace urbain passe en premier par la provenance
nationale ou ethnique ; et en particulier dans notre cas, que l'usage de l'espace est influencé par
ces facteurs. Comme nous le savons, au contraire, la ségrégation ethnique ou l'intégration sont
souvent l'effet final de conditions socio-économiques plus ou moins favorables.
Le critère d'échantillonnage que nous avons formulé, suite à la caractérisation de la zone
d'étude, porte plutôt sur les conditions de vie matérielle des habitants de ce quartier. En notre
cas, nous nous référons aux conditions d'habitat et donc nous avons adopté comme critère
d'échantillonnage les trois unités paysagères urbaines que nous avons repérées à l'intérieur de la
zone d'étude. Ce critère met en relief le fait que les différents paysages urbains sont le reflet des
différentes périodes d'urbanisation et de peuplement de la ville ; de l'autre coté, il se base sur
l'hypothèse que « l'habitat fait l'habitant », c'est-à-dire que l'environnement physique de vie
influence les pratiques de l'espace des individus.
Concernant les lieux, il nous est paru pertinent de choisir au moins un lieu pour chaque
unité paysagère urbaine. Pour le paysage de maisons pavillonnaires, nous avons choisi rue
Anatole France, où elles se concentrent le plus. Pour le paysage de tissu urbain continu, nous
avons choisi place Salengro, le centre de vie de cette zone. Pour le paysage de grands ensembles,
nous avons choisi deux lieux annexes aux résidences, place Molière et square Monnet, et un lieu
public, place Ottina (la place de l'hôtel de ville). En plus, nous avons fait un échantillonnage sur
le temps : on a décidé donc d'observer certains endroits pendant le week-end, notamment la
place Salengro le dimanche, lors du marché, place Ottina le samedi après-midi, moment de
détente et temps libre, et les équipements sportifs du centre-ville le dimanche, en occasion
d'événements sportifs. Nous avons ainsi mené huit séances d'observation :
1. mercredi 28 mars, 10h30-22h30, place Salengro ;
2. vendredi 30 mars, 10h30-16h30, place Molière ;
3. dimanche 1er avril, 11h00-15h00, marché du dimanche en place Salengro et événements
sportifs au stade Jacques Joly ;
4. mardi 3 avril, 10h00-14h00, rue Anatole France ;
5. jeudi 5 avril, 14h00-22h00, place Molière ;
6. samedi 7 avril, 15h00-19h00, place Ottina ;
7. mercredi 11 avril, 9h45-13h00 et 14h00-19h00, square Monnet et place Ottina ;
53
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 3. La méthodologie

8. jeudi 12 avril, 9h45-13h00 et 16h00-16h30, place Ottina et square Monnet.


Concernant les personnes, nous aurions envisagé de interviewer au moins un habitant de
chaque unité paysagère mais cela n'a pas été possible pour les limites de temps et ressources.
Nous avons néanmoins mené cinq interviews ethnographiques avec des personnes rencontrés
sur le terrain lors des observations. Cette matière est pertinente pour notre étude car toutes ces
personnes ont un lien fort avec le centre-ville mais nous retenons qu'il serait nécessaire d'élargir
l'échantillon. Nous avons mené au total cinq interviews et une séance de micros-trottoirs 15 :
1. mardi 17 avril, Danielle Torres, présidente du Centre culturel récréatif hispano-français
de Saint-Priest, rapatriée d'Algérie et ancienne habitante du centre-ville ;
2. vendredi 11 mai, Guy Laurent, ancien patron du magasin « Laurent motos » en place
Salengro, grandi et vécu à Saint-Priest jusqu'à l'age de trente ans, travaillant encore au
magasin ;
3. vendredi 11 mai, Omar Askratni16, gardien de la salle municipale Le Concorde et du
groupe scolaire Edouard Herriot (place Salengro), né à Saint-Priest et habitant le centre-
ville ;
4. vendredi 11 mai, séance de micros-trottoirs au quartier Diderot et à la sortie d'école du
groupe scolaire Jospeh Brenier ;
5. dimanche 13 mai, Moustafa, employé aux services techniques de la ville de Saint-Priest,
grandi à Saint-Priest et habitant le centre-ville ;
6. mardi 15 mai, Eric Laellée, gardien de la salle municipale Mosaïque, grandi et vécu à
Saint-Priest pendant 43 ans.

Notre hypothèse ne concerne que l'unité paysagère de grands ensembles : la


vérification n'aura besoin donc que de certaines parmi les observations effectuées.
Notamment, nous allons vérifier l'hypothèse en analysant les usages de place Molière et
square Monnet d'un coté, en tant que lieux annexes aux résidences, de place Ottina de
l'autre coté, en tant que principal lieu public du secteur considéré.

15
Le texte des interviews est disponible en annexe.
16
Nous nous excusons avec l'intéressé pour le mauvais orthographe.
54
4. Le terrain

Pour raisons de lisibilité, nous fournissons ici seulement certains éléments. L'intégralité de
la matière recueillie est disponible en annexe.

4.1 Place Molière


Date: vendredi 30 mars et jeudi 5 avril
Déambulations: oui, rue Gambetta, village, square Monnet, Blv Edouard Herriot, rue
Maréchal Leclerc (30 mars); jardins publics et place Salengro (5 avril).
Pérmanence sur le terrain: 10h30-16h30 (30 mars), 14h-22h (5 avril).
Météo: ensoleillé et venteux (30 mars), ensoleillé et frais (5 avril).

4.1.1 Rencontre : les enfants en place Molière et au square Monnet


Date : 30 mars
En place Molière, à l'après-midi,
terminée l'école, des enfants viennent
jouer. L'un d'entre eux me reconnaît en
tant que Robins des Villes et ils
commencent ainsi à me poser des
questions sur ce que je fais là, ce que
j'écris, quelle age j'ai, ils me demandent
de leur lire des mots en italien de mon
carnet et ils s'amusent à en déviner la
signification. Ils sont d'origine turque. Je
leur pose des questions, ils définissent
l'aire de jeux comme « c'est pour les
bébés ». Ensuite, ils m'invitent à jouer au
foot avec eux, j'accepte et donc je
m'intègre avec eux en jouant.
Ortophoto de place Molière. Source: géoportail.fr.

Ensuite, en traversant le square Monnet, je passe devant l'entrée d'un immeuble, où il y a un groupe

55
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 4. Le terrain

d'enfants, de 10 ans environ. Je les regarde en passant, puis je m'arrête sur un d'entre eux car il me
semble de le reconnaître des ateliers à l'école. Il me regarde un instant et puis me dit quelque chose
dont je ne saisie que les mots « sœur » et « dire » mais non la signification globale de la phrase.
Instinctivement et irrationnellement, je suppose qu'il me dise quelque chose comme « Que veux-tu,
pourquoi tu regardes ? ». Alors je répond, « Je veux rien dire », en faisant un signe comme pour dire
« c'est bon », et je m'en vais. Derrière l'angle, je comprend, il avait dit « Tu veux lui dire de rendre à ma
sœur... ? ». En effet, apparemment un enfant avait pris quelque chose à la sœur de cet enfant et il ne
voulait pas lui rendre. En me reconnaissant, il m'avait demandé d'utiliser mon autorité de grand pour
réparer à ce tort.
Ce rencontre me donna en tout premier de la honte, car un enfant demanda mon aide et je pris peur
d'une manière irrationnelle. En conséquence, je donnai la pire réponse, avec laquelle je m'en fichai de sa
demande d'utiliser l'autorité qu'il m'attribuait. Cette autorité resta ainsi confinée derrière les parois de
l'institution scolaire. En un deuxième temps, cela me fit réfléchir sur le fait que en cet espace, assez
renfermé, n'importe quel grand présent dans l'espace public peut être considéré comme doué de la
légitimité pour intervenir lors d'une dispute entre petits. Ce fait semble impliquer d'ailleurs, que les
parents ou les frères aînés ne sont pas près des enfants pour recouvrir ce rôle.

4.2 Square Monnet


Date: mercredi 11 et jeudi 12 avril
Déambulations: non.
Pérmanence sur le terrain: 9h45-13h00 (11 avril), 16h00-16h30 (12 avril).
Météo: variable avec averses.

4.2.1 Rencontre : les jeunes en square Monnet


Date : 11 avril
Au bout de deux heures et demi
d'observation, lorsque la présence de
jeunes dans l'espace central du square
avait atteint les trois-quatre unités, l'un
d'eux se dirigea vers moi et d'une
manière assez agressive il m'adressa la
parole : « Qu'est-ce que tu fais ici ? Ça
fait combien de temps que tu es là ? Qui
t'a envoyé ici ? ».
Je me levai et en m'approchant à lui,
j'essayais de le rassurer. Quand je fus
près de lui, il me dit « On est des
travailleurs ici, on travaille ». Celui qui
était assis sur la table de ping-pong, au
milieu du square, il me fis signe de
m'approcher et je fis ainsi. Arrivé devant
lui, je dis « Je suis un étudiant, je fais une
recherche sur Saint-Priest, je fais des
observations de l’espace public ». Je
sous-lignai « espace public » pour Ortophoto du square Monnet. Source: géoportail.fr.
marquer qu'on se trouvait dans un espace qui était censé être accessible à tous. Il me répondit d'aller
faire ça ailleurs et ainsi il fit, en un souffle, la liste des quartiers qu'il connaissait de Saint-Priest :
« Village, Ménival, Bel Air 1, Bel Air 2, Bel Air 3.... ». Je lui dis que j'avais été aussi dans d'autres

56
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 4. Le terrain

endroits.
Une espèce de perquisition suivit : il me demanda qu'est-ce que j'avais dans mon sac et je lui montrai ; le
fait d'avoir un billet de train pour Milan comme marque-page m'aida beaucoup. Il demanda puis de
soulever ma veste au niveau du ventre pour voir si je cachais quelque chose (éventuellement un pistolet
si j'avais étais un flic ? mais d'ailleurs il est évident qu'en ce cas je ne me serais pas autant rapproché).
Une fois vérifié que j'étais « clean », ils essayèrent presque d'expliquer leur attitude agressive : il me dit :
« ici c'est comme à Rome, à Naples ». « C'est-à-dire, que c'est dangereux ? ». « Non, mais c'est
contrôlé ». Et il ajouta : « ça nous fait bizarre... », en sous-entendant « que quelqu'un qu'on ne connaît
pas reste nous observer ». Dans cette phase de connaissance, où ils essayaient de me cadrer, ils
demandèrent si j'étais gay et je fis une blague un peu homophobe. Comme quoi, si on est sous pression
on peut dire n'importe quoi.
[...]
À ce moment-là, j'étais donc installé à coté d'eux. Ils commencèrent à me poser des questions sur mon
cursus d'études et sur mes perspectives de travail : j'expliquai que j'étais en géographie à l'Université de
Strasbourg et que j'étais à Lyon pour mon stage obligatoire de fin d'études :
« Tu es Bac plus... ? »
« Bac plus 5 »
« Quelle age as-tu ? »
« 25 ans »
« Et quand tu commences à travailler ? »
« Là, en septembre »
« Et on gagne bien avec ton travail ? »
« ça dépend... »
« Et alors tu as fait tout ça pour rien ? »
« Il y a quand même beaucoup de diplômés qui galèrent à trouver un bon travail ».
Au bout d'un moment, celui qui m'avait parlé au début et « fouillé », dit : « géographie... j'ai une
question géographique pour toi. Mais c'est une question piège ! » Il me dit d'observer l'alignement des
arbres autour du square et il me demanda, si je remarquais quelque chose. Je dis, non. Alors il
m'emmena dans un endroit et il me montra qu'il y avait deux arbres manquants, un dans la rangée
intérieure et un dans celle extérieure du square. « ça nous fait un trou! » il affirma. « ça vous dérange? »
« Non, mais on est curieux, on veut savoir ». Et il me dit que, si je parlerais avec les gens de la mairie et
je découvrirais pourquoi ces deux arbres manquaient, de passer le leur dire. Cet échange montrait qu'il
avait compris très vite et assez précisément ce que je faisais, au moins quel était mon rôle, que je
pouvais être en contact avec la mairie. Il écoutait de la musique rap, en même temps. Ces deux échanges
ont montré une forte curiosité de leur part envers moi, qui étais un objet inhabituel peut- être pour leurs
fréquentations.

En restant un peu avec eux, environ de 12h30 à 13h00, j'ai pu assister à la dynamique de sociabilité qui
se développe en ce contexte : en effet, tous les jeunes résidents du square peuvent passer échanger
quelque mot, selon l'envie de chacun. Un jeune par exemple arriva en voiture, habillé avec une tenue de
travail, il fit signe en souriant et monta chez lui. Un autre vint, salua tous y compris moi, et s'arr êta
parler d'actualité. Ils abordèrent trois sujets de conversation, tous caractérisés par une dimension
symbolique en rapport aux questions identitaires : les faits de Mohammed Merah, la mort de bin Laden
et le 11/9. Je pus entendre dans la façon dont ils parlaient de la rage ; en plus, ils affirmaient que les
médias mystifient la réalité et ne sont pas du tout fiables.

57
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 4. Le terrain

4.3 Place Ottina (Hôtel de Ville)


Date: mercredi 11 et jeudi 12 avril
Déambulations: non.
Pérmanence sur le terrain: 14h00-19h00 (12 avril), 9h45-13h00 (11 avril).
Météo: variable avec averses.

Ortophoto de place Ottina. Source: géoportail.fr.

4.4 La promenade du samedi après-midi


Date: samedi 7 avril.
Déambulations: oui, à vélo aux hameaux de Manissieux et La Fouillouse.
Pérmanence sur le terrain: 15h00-19h00.
Météo: nuageux.

Ortophoto de place Ottina et boulevard Edouard Herriot. Source: géoportail.fr.

58
5. Les résultats

5.1 Grille d’analyse des données d'observation


Nous utilisons la conceptualisation des relations entre sujets et lieux faites au chapitre 3,
pour construire une grille qui nous aide à formaliser les données des observations.
Type de relation fonctionnelle Type de relation entre individus
Activité
entre individu et lieu dans le lieu
Besoins
trafic : relations avec inconnus
formalisées par des codes de
comportement partagés (distance des
corps, formules pour adresser la
Se nourrir, se loger, se soigner, se parole...). Exemple : sur les transports
déplacer, faire des démarches Nécessaire. en commun.
administratives, communiquer. Courtoisie : échanges d'informations,
renseignements réciproques
relativement rapides. Exemple : clients
habituels dans un magasin, rencontre
casuelle dans la rue.
Travailler, activités économiques Obligation formalisée : les sujets en
Économique.
informelles. relation ont des obligations
réciproques, fixées par des contrats ou
Étudier, se former. Formative. des accords informels.
Obligation non formalisée : les sujets
en relation doivent accomplir à
Faire partie d'une famille ou d'une
Familiale. certaines obligations non choisies pour
communauté de vie.
continuer à être acceptés dans la famille
ou communauté.
Temps libre
Pratique religieuse, support d'une Identitaire ou festive. Choix formalisé : les individus se
équipe sportive, militance politique ou choisissent l'un l'autre, par le biais d'une
associative, participation à événements appartenance commune à un projet,
59
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 5. Les résultats

collectifs (défilées, fêtes), création


une foi, un rite reconnu publiquement.
d'une famille ou d'une communauté.
Entretenir des amitiés, des relations Choix non formalisé : les individus se
Sociable.
d'amour, des liens sociaux. choisissent pour le plaisir réciproque,
Soin de soi, shopping, pratique sans que ce lien soit reconnu
Récréative. publiquement.
sportive, activités culturelles, de loisir.

5.1.1 Place Molière


Relations entre individus et Relations entre individus Relation entre lieux pour les
le lieu dans le lieu individus
Au matin : très peu de passage, Courtoisie : entre voisins, Les joueurs de boules parlent en
uniquement personnes qui lorsqu'on se croise dans les allées espagnol, cela indique un lien
rentrent chez elles : relation de l'espace commun. encore fort avec les régions
nécessaire (se loger, se nourrir). Obligation non formalisée d'origine.
(rapports familiaux.)

À l'après-midi : retraités jouent


aux boules ; enfants de toute age,
des bébés aux adolescents, se
retrouvent pour jouer et discuter. Choix non formalisé* .
Les petits sont accompagnés par
les mamans. Relation familiale,
sociable et récréative.
* Il est à remarquer que les enfants avec qui nous avons parlé nous ont dit d'habiter aussi dans d'autres
lieux de résidence, donc on peut considérer ces relations vraiment issues du champ du choix et non
contraintes par le lieu de vie commun. Cela caractérise donc cet espace comme semi-public, car ils s'y
passent des relations à l'échelle inter-quartiers.

Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux


En cet environnement nous n'avons pas remarqué des conflits évidents entre différents
usagers de l'espace. Les dimensions de cet environnement font que différentes catégories de
personnes peuvent se partager les différents endroits sans problème. Au contraire, il est à sous-
ligner, à notre avis, plutôt un sous-usage de cet espace, qui semble être sur-dimensionné pour
les activités qu'y se déroulent. Surtout au matin, quand cette étendue reste pratiquement vide.
Nous avons de même observé des pratiques intéressantes : le jeu de boules se passe en effet sur le
terrain de basket, en raison de la couverture en graviers et cailloux de ce terrain, inadapté et
dangereuse pour le basket mais qui se prête très bien aux boules. Ensuite, nous avons observé
plusieurs vélo sur les balcons et aucun dans l'espace commun, où d'ailleurs il n'y a pas de
structures aptes à garer les vélos. Cela est probablement une règle imposée par la copropriété,
qui fait que au niveau du sol, autour des bâtiments il n'y a que une série innombrable de place
de stationnement pour voitures.

60
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 5. Les résultats

5.1.2 Square Monnet


Relations entre individus et Relations entre individus Relation entre lieux pour les
le lieu dans le lieu individus
Personnes qui rentrent chez Courtoisie : entre voisins, mais il Auto-comparaison du square à
elles : relation nécessaire et prédomine des relations de « Rome ou Naples », faite par les
familiale. véritable connaissance. jeunes rencontrés, du fait que
Obligation non formalisée : c'est un endroit « contrôlé ».
rapports familiaux. Récit d'un voyage en bateau de
Gênes ; donc vers la rive Sud de
Personnes qui réparent et lavent la Méditerranée.
les voitures : relation Obligation formalisée* . Nous avons observé que les
économique (activité informelle habitants sortent souvent à pied
d'auto-réparation) et sociable. pour ses courses, cela est un signe
de proximité de cet ensemble
Personnes de différentes ages en résidentiel aux services de la vie
bas des immeubles à discuter : quotidienne.
relation sociable. Choix non formalisé**.
Enfants qui roulent en vélo :
relation récréative.
* Malgré que ce soient des activités économiques informelles, nous considérons que l'entraide forme
des relations de donner-recevoir qui peuvent se considérer formalisées, du moment où un service non
rendu brise la règle implicite et peut donner lieu à une reproche de(s) l'autre(s) sujets concernés par
l'échange de biens ou services.
** En ce cas, il est légitime de s'interroger sur le degré de vrai choix plutôt que de contrainte dans les
relations sociales observées, car la plupart des personnes stationnant dans cet endroit habitent ici
même. On reviendrait donc sur des relations plutôt aléatoires, dans le sens où ces personnes ne se sont
pas choisies en tant que voisins. Mais il est vrai aussi que tous les résidents ne participent pas à cette
sociabilité, donc on retrouve une composante de choix.

Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux


La présence constante de jeunes à l'entrée du square (coin rue Maréchal Leclerc)
décourage l'entrée des passants par le square. Nous avons également remarqué que, à l'envers de
place Salengro, il y a très peu de véhicules qui transitent par le square, bien qu'il soit ouvert des
deux cotés avec des voies publiques. Ce fait rend l'endroit assez sécurisé et favorise une
appropriation de l'espace par les résidents : les enfants peuvent rouler sans soucis en vélo dans la
rue, il est possible de mener des activités autour des voitures (lavage, réparation). Ils manquent
du tout des éléments de mobilier urbain, les seuls endroit pour s'asseoir étant des niches aux
entrées des cages des immeubles, la table de ping-pong, les trottoirs et les jeux d'enfants. Cela
rend fort improbable le stationnement de personnes « extérieures » à ce lieu (non résidant ou
sans liens avec les résidents), et donc augmente la sensation que ces espaces sont utilisés
uniquement par des personnes qui s'entre-connaissent.
Nous avons observés que les jeunes se sifflent dans la rue et d'en bas aux fenêtres pour se
faire signe, communiquer, se saluer. Également, il arrive qu'ils se parlent de loin, d'un coté du
jardin à l'autre, et en conséquence ils font cela à voix haute. Ces façons de faire, de
communiquer, caractérisent l'environnement sonore de cet endroit. En même temps, le fait de
se siffler n'est possible que grâce à la structure physique de cet espace, où les bâtiments sont

61
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 5. Les résultats

relativement rapprochés les uns aux autres et l'espace public est assez restreint par les édifices.
Ceci ne serait point possible à place Molière, pour ses dimensions.

5.1.3 Place Ottina (Hôtel de Ville)


Relations entre individus et le lieu Relations entre Relation entre lieux
individus dans le lieu pour les individus
Semaine
Internet point ; camionnette annonçant le cirque : activité de
communication, relation nécessaire. Trafic.
Arrêt du tram, passage véhiculaire : relation nécessaire (se
déplacer).
Personnes arrivent, garent la voiture et font des
commissions à la mairie, à la poste, dans un magasin... : Courtoisie.
relation nécessaire (existence administrative ou besoin).

Groupes d'employé(e)s de la poste, de la mairie, de la


médiathèque viennent manger à la brasserie : relation
économique et nécessaire. Courtoisie (clochard) ;
Un clochard reste devant la vitrine du bar/tabac : relation obligation formalisée.
économique (informelle).
Livreurs chez les magasins : relation économique.

Quelqu'un s’assoit sur les bancs ; à l'intérieur de la brasserie


le comptoir est tout rempli par des hommes buvant un demi
ou un petit verre de vin : relation sociable.
Deux jeunes debout à l'entrée de la galerie marchande : Choix non formalisé.
relation sociable.
Une famille se promène, puis un groupe d'adolescents en
trottinette1 ; un groupe d'enfants va au cinéma : relation
récréative.
Weekend
Les magasins sont ouverts, il y a des clients : relation Obligation formalisé, Diverses personnes,
économique et récréative. choix non formalisé. dont des adolescentes,
attendent le bus
Gens se promènent et parfois se rencontrent dans la rue, Courtoisie (rencontres communal qui traverse
quelqu'un est assis au café : relation récréative et sociable. dans la rue) et choix non les autres quartiers à
formalisé. l'Est du centre-ville et
termine au hameau de
Il y a un mariage un cours : activité festive. Choix formalisé. La Fouillouse.

Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux


Nous n'avons pas remarqué des conflits entre usagers de l'espace ; plutôt sont visibles dans
cet endroit deux tendances opposées au niveau de l'aménagement urbain, qui favorisent ou
moins l'usage de cet espace comme « centre-ville ». En effet on peut rappeler que l'implantation
de la mairie ici (anciennement hébergée dans le vieux village), a été un acte assez volontariste,

1
La journée d'observation était en une période de vacances scolaires.
62
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 5. Les résultats

visé à valoriser la nouvelle zone d'expansion urbaine, aux années '60-'70, comme on l'a vu. À
partir de là, au fil des années d'autres mesures d'aménagement se sont succédées, toujours
finalisées à créer un espace de centralité et d'activité au milieu des nouvelles barres et tours de
logements.
Aujourd'hui on voit à l'œuvre, sur les usages de cet espace, les effets plus ou moins réussi
de ces tentatives de valorisation. Il y a en effet des éléments de l'espace physique qui favorisent
l'usage du lieu comme lieu central et poussent les personnes à s'y rendre et d'autres éléments qui
rendent cet endroit peu attirant. La route traversant place Ottina est à deux voies avec des
places de stationnement sur les abords. Comme on peut le voir encore aujourd'hui sur un plan
de l'agglomération lyonnaise, cette rue (Boulevard Edouard Herriot) est marqué comme une
voie de communication inter-communale. Aujourd'hui, elle ne l'est plus, grâce à des
aménagements routiers, dont la surélévation de la chaussée en correspondance de la mairie, qui
ont visiblement essayé de rendre cette rue plus apaisée. Toutefois, elle reste moyennement
bruyante et sa traversée demande un certain degré d'attention. En particulier, nous avons
observé que les voitures provenant de la descente de rue Edmond Rostand, roulent parfois à une
vitesse remarquable. En plus de cela, il nous est arrivé d'observer diverses fois des conducteurs
faisant des manœuvres sportives (inversions, coups de frein violents) pour divertissement, ce qui
rend l'endroit encore moins attirant pour un passage apaisé. En ce qui concerne
l'environnement sonore, le passage du tram est aussi une source de bruit, car il fait une courbe à
hauteur de l’îlot de la mairie.
Pendant la pause midi, la majorité des commerçants baisse son rideau et globalement cela
donne une image de désertification pendant cet horaire, où le passage piéton s'intensifie car les
employé(e)s du coin (de la mairie principalement) sortent pour acheter son repas. Il serait
intéressant de savoir pourquoi les commerçants adoptent cette pratique, s'il y a eu des épisodes
particuliers qui les ont poussés à cela. Au contraire, quand les magasins sont ouverts, ils donnent
un sens d'ouverture et de vivacité à l'endroit, en constituant une continuité au rez-de-chaussée
du coté Sud de la place. Les deux bâtiments d'angle de rue Gallavardin ont une forme arrondie
avec des grandes vitrines, qui donne une allure de zone commerciale. De l'autre coté, ce sont les
services publics et culturels qui se concentrent : mairie, centre communale d'action sociale
(Ccas), médiathèque, cinéma, artothèque et brasserie sur la pointe de l'îlot, d'où on peut jouir
d'une vue agréable derrière une paroi vitrée. Ces services génèrent un passage et une attraction
importants, qui se fait à pied ou en voiture. Par contre, en ce qui concerne le cadre bâti, les deux
édifices qui font face à la mairie ont un aspect assez opprimant et laid, ils nous évoquent la
périphérie d'une grande ville ex-soviétique et gâchent un peu l'ambiance de centre-ville.

63
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 5. Les résultats

5.2 Tableaux récapitulatifs de la relation entre individus et lieux


observés
Relation entre Place Molière Square Monnet Place Ottina – Place Ottina –
individus et lieu semaine weekend
Nécessaire Se loger, se nourrir Se loger, se nourrir Démarches
administratives,
achats, se déplacer,
communiquer, se
nourrir
Économique Activités Commerces, Shopping
informelles livraisons, quête
Formative Médiathèque
Familiale
Identitaire/festive Mariage
Sociable Enfants, Jeunes, personnes Brasserie, kebab Brasserie, kebab
adolescents, de toute age
retraités, mamans
Récréative Jeu d'enfants, Jeu d'enfants Cinéma Promenade,
boules shopping

Relations entre les Place Molière Square Monnet Place Ottina – Place Ottina –
individus semaine weekend
trafic
Courtoisie
Obligation
formalisée
Obligation non
formalisée
Choix formalisé
Choix non
formalisé

64
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 5. Les résultats

5.3 Cartographie des relations entre individus et lieux observés

5.3.1 Relation fonctionnelle entre individus et lieux

5.3.2 Relations entre individus dans les lieux

65
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 5. Les résultats

Commentaire des cartes


Nous remarquons que dans les deux espaces « résidentiels » se développent des relations de
« choix non formalisé », issues des usages comme lieu de loisir. Ceci est déjà un premier élément
non forcement attendu dans un espace résidentiel : cela donne à ces lieux une importance au
sein du quartier qui dépasse les simples fonctions d'habitat et de foyer familial. En plus, nous
voyons que dans un de ces espaces, square Monnet, il y a encore un autre type de relations qui
s'y développent : celles de « obligation formalisée », issues des activités économiques. Si nous
comparons donc les relations présentes au square Monnet – plutôt un espace résidentiel – avec
celles de place Ottina – un espace public –, nous constatons que les différences sont limitées aux
relations de « trafic », issues du passage véhiculaire et piéton, et de « obligation non formalisée »,
issues des relations familiales. Pour le reste, ces deux lieux se ressemblent et ceci confirme que
le rôle de ces espaces publics et ces espaces privés se différencie de celui qu'on trouve dans la
tradition des villes européennes.
D'autre part, nous remarquons qu'au weekend, les espaces publics reprennent une
distinction plus marquées avec les espaces résidentiels : c'est le seul cas où on ne repère pas des
usages liés à la nécessité et le seul cas où l'on observe des usages festifs des lieux (mariage). Cela
indique que le rôle traditionnel de l'espace public, comme espace d'événements collectifs et
espace de liberté, est vivant, même si en une moindre mesure que dans le centre des
agglomérations ou des cités historiques.

5.4 Interprétation des résultats obtenus


D'abord, nous remarquons que les espaces semi-résidentiels (place Molière et square
Monnet) ne se limitent pas à recouvrir des fonctions de nécessité primaire (se loger, se nourrir)
et de vie privé mais ils sont des lieux de détente, de rencontre voire de petite activité
économique. Cela confirme notre hypothèse que ce type de lieux sont investis par des usages
importants des habitants.
Ces espaces résidentiels présentent des dynamiques remarquables : en place Molière, un
espace sur-dimensionné, un accès public à un espace formellement privé et des usages non
correspondants à la fonction originaire (terrain de basket utilisé pour jouer aux boules) ; au
square Monnet, des phénomènes très marqués d'appropriation de l'espace public, qui est
converti en aire de jeu et lieu d'activités variées. Ces espaces semblent recouvrir une double
fonction : d'un coté ils permettent le développement d'un réseau de voisinage, de connaissance
et de solidarité ; de l'autre ils risquent de constituer le seul horizon de sociabilité de ses
habitants. L'attachement qui s'est produit au fil du temps à ces sous-quartiers est témoigné par
exemple par la publication éditée par la Maison de quartier Diderot, où les récits de vie de
plusieurs résidents ont été recueillis en 2008, lors de la démolition des deux premiers bâtiments.
Nous pouvons donc nous interroger sur quelles pratiques sont mises en place par les
habitants pour contre-agir à cette organisation de leur espace de vie, c'est-à-dire quelles
relations ils entretiennent en dehors de son espace de résidence, si cela se fait à l'échelle du
centre-ville, à l'échelle de Saint-Priest ou de l'agglomération.
La comparaison entre place Molière et square Monnet nous permet aussi de faire une autre
considération : la plus grande vivacité qu'on trouve dans le deuxième est liée à la structure
physique de l'espace. Comme on l'a dit, place Molière est sur-dimensionnée pour les usages
66
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 5. Les résultats

qu'elle est censée avoir ; au contraire les dimensions, les rapports entre hauteur des bâtiments,
espace libre, rue et trottoir en square Monnet favorisent un usage intense de cet espace, jusqu'au
point de pouvoir s'appeler à la fenêtre en sifflant, ce qui serait physiquement impossible en
place Molière. Finalement, on peut remarquer que les dimensions de l'espace favorisant un
usage intense sont mieux proportionnées aux dimensions du corps humain. On a pu vérifier cela
aussi au Village, où la rue étroite crée un environnement sonore agréable et permet des
rencontres, des salutations dans l'espace public ; ou encore en rue Anatole France, avec l'épisode
du clac-sonnage vers une fenêtre pour saluer quelqu'un.
Au contraire, la place de la mairie répond surtout à des fonctions de nécessité et besoin ;
les activité de sociabilité et récréatives ne sont pas absent mais semblent avoir un rôle
secondaire dans les usages de ce lieu. Pendant la semaine, ce lieu est fréquenté surtout pour y
faire des commissions, et les usages de loisir ou de rencontre restent minoritaires. L'observation
du samedi après-midi a permis de relever que effectivement les activités typiques d'un centre-
ville y sont présentes ; toutefois avec une intensité qui nous est semblé assez réduite. Pour
évaluer cet aspect, il serait nécessaire une approche quantitative, afin de comparer le nombre de
personnes, le volume d'affaires du centre-ville de Saint-Priest avec celui d'autres communes de
couronne des agglomérations urbaines. Nous remarquons également que dans le week-end les
relations de nécessité ont disparu et par contre nous sommes tombés sur le seul usage festif
relevée. Ceci est un autre indicateur de « centralité » : la présence de moments spéciaux,
symboliques.

Notre hypothèse est donc confirmée partiellement : d'un coté, nous avons vérifié
que les espaces annexes aux résidences recouvrent un rôle très important pour les
habitants du centre-ville, qui va au-delà des fonctions traditionnelle des espaces
résidentiels ; de l'autre, nous avons trouvé une réalité nuancée dans l'espace public. C'est
vrai que celui-ci est surtout un lieu de passage, un lieu utilisé pour les services qu'y se
concentrent, et cela confirme notre hypothèse, car il ne s'agit pas d'un espace public
traditionnel, où les relations sociales et la symbologie publique se mettent en scène. Par
ailleurs, ce lieu n'est pas que un lieu de service : une certaine sociabilité y est, il est
choisi par certains habitants pour y passer leur temps libre, notamment le samedi après-
midi en faisant du shopping, et il devient un lieu d'événements publics, lors des
mariages. Comme nous le disions déjà, il bénéficie des choix volontaristes faites par les
aménageurs et les décideurs mais il n'est que partiellement investi par les habitants
comme vrai lieu « central » de l'espace urbain.

Nous constatons donc que une nouvelle forme d'urbanité est à l'œuvre ici, une urbanité
que les gens venus habiter Saint-Priest ont développée autour des bâtiments organisant cet
espace. Il s'agit d'une urbanité où les lieux privés et les lieux publics n'ont plus les m êmes
fonctions et caractéristiques que dans la ville européenne traditionnelle, la ville « dense ». À ce
sujet sont très claires les mots de Cécile Gouy-Gilbert, à propos de Saint-Martind'Hères, ville de
l'agglomération grenobloise :

67
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 5. Les résultats

« Penser une ville » à partir de l'existant, définir quelle pourrait être sa place au sein de
l'agglomération peut sembler difficile hors des références à la ville traditionnelle,
attachées à une certaine théâtralité et à une immédiate visibilité, ou à celles des petites
villes rurales. C'est beaucoup moins vrai si, au-delà de ces images spontanées et un peu
naïves, on conçoit la ville comme un réseau, ou un assemblage à la fois unifié et
diversifié […] ayant vocation à se relier à d'autres réseaux dans le cadre d'une
agglomération. Saint-Martin-d'Hères, avec sa propre histoire, ses politiques, ses
propres contraintes, s'est peut-être déjà engagée dans l'expérimentation de cette
nouvelle forme d'urbanité2.

Le rôle des pouvoirs publics en ces dynamiques est remarquable, mais il n'est pas le seul :
ils peuvent adresser ou adapter des pratiques de l'espace déjà existantes, liées plutôt à la
structuration de l'espace et aux choix des groupes et des individus. Certes, la rénovation urbaine
promue au sein de la Politique de la ville à Saint-Priest aura des impacts très relevants, toutefois
elle ne pourra pas se suffire pour façonner cette urbanité, avant tout parce que la plupart des
ensembles résidentiels qui structurent l'espace du centre-ville resteront. Et d'autre part, il est
légitime de s'interroger sur quelle urbanité est proposée, par le biais de projets de rénovation
urbaine comme celui-ci. Il nous paraît qu'il ne s'agisse pas de l'urbanité « traditionnelle », du
type qu'on trouve au « Village » à Saint-Priest. En effet, bien qu'aux apparences assez différentes
que les barres construites dans les années '60, il s'agit toujours de grands immeubles, bâtis selon
des techniques industrielles, qui n'intègrent pas une continuité bâtie mais qui vont plutôt la
créer. Le type d'urbanité sous-jacent à ces réalisations ne nous semble pas plus loin de l'urbanité
de grands ensembles, que de l'urbanité de la ville dense. Pour cette raison, il demeure important
d'analyser l'urbanité des grands ensembles, car avec des apparences différentes – plus ou moins
de standing – elle est destinée à être reproposée dans la construction et la reconstruction des
villes de demain.

2
Cécile Gouy-Gilbert, De la mémoire et de ses usages: politique culturelle d'une ville périphérique , in AA VV,
Villes, patrimoines, mémoires. Action culturelle et patrimoines urbains en Rhône-Alpes , Direction régionale
des affaires culturelles de Rhône-Alpes et Délégation régionale du Fonds d'action sociale, 2000, p. 42.
68
Conclusion

Nous avons terminé l'étude d'ethnographie de l'espace. Nous sommes partis du principe
que pour une analyse satisfaisante d'une réalité complexe, telle que la ville, les approches
« techniciennes » traditionnelles ne sont pas suffisantes et doivent être intégrées par des apports
des sciences dites « souples ». Parmi celles-ci, nous avons approfondi les contributions
potentielles de l'anthropologie, car son attitude méthodologique nous semblait rejoindre la
nécessité ou l'exigence d'impliquer davantage les citadins dans les décisions relatives à
l'aménagement urbain. L'anthropologie, et plus précisément l'ethnographie, semblait disposer
de méthodes et techniques d'enquêtes utiles à recueillir, traiter et interpréter la matière issue de
récits verbaux ou de pratiques de l'espace.
Nous avons donc élaboré une approche ethnographique au territoire concerné par notre
étude. Cela s'est traduit premièrement par une attitude envers les phénomènes observés, les
personnes rencontrées et la façon de recueillir les données ; et aussi par les techniques d'enquête
choisies, notamment l'observation et les interviews. Notre objet d'étude ont été les relations
entre individus et lieux et nous nous sommes servis à cette fin de la théorisation de deux
chercheuses italiennes.
L'analyse du territoire étudié s'est basée sur l'analyse des formes et de la morphologie
urbaine. Nous avons ainsi repéré trois unités paysagères urbaines à l'intérieur de ce territoire,
caractérisées par une homogénéité des formes urbaines : le « tissu urbain continu », les « grands
ensembles » et le « pavillonnaire ». Nous nous sommes concentrés sur l'unité de grands
ensemble, car nous y avons repéré un élément intéressant : l'absence de rues au sens
traditionnel du terme, comme lieu de vie publique d'un milieu urbain.
Nous avons donc fait l'hypothèse que les activités qui caractérisent traditionnellement
l'espace public, avaient lieu dans des espaces de statut différent, notamment les espaces qu'on
trouve en bas et autour des ensembles résidentiels. Nous avons observé les relations entre
individus et lieu en trois espaces, dont deux annexes aux résidences et un public, pour vérifier
cette hypothèse. L'espace public a été observé à deux moments différents, pendant la semaine et
dans le weekend, ce qui a révélé des phénomènes sensiblement différents.

69
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux Conclusion

Nous avons vérifié que les espaces résidentiels sont effectivement investis, par
certains habitants, par des activités qui traditionnellement trouvent place à l'extérieur
du lieu de vie, dans l'espace public. Au contraire, nous avons aussi vérifié que l'espace
public observé (la place de la mairie) revêt pendant la semaine surtout un rôle de service,
et moins de lieu de vie publique. Ce constat change dans le weekend, où on a repéré des
relations entre individus et lieu non dictées par la nécessité et où cet espace recouvre
certaines des caractéristiques traditionnelles des espaces publics.

L'analyse morphologique a permis d'un coté d'éviter toute classification basée sur la
provenance ethnique, de l'autre coté de développer une réflexion sur le concept d' urbanité. En
effet, la forme physique de l'environnement urbain est ce qui crée les conditions pour le
développement des relations et des activités qu'on attribue traditionnellement à la ville, en
opposition à la campagne. L'absence des éléments morphologiques urbains traditionnels fait
surgir des questions sur les nouveaux types d'urbanité qui se développent en ces milieux. Cela
est d'autant plus intéressant, lorsqu'on considère que la zone d'étude a été urbanisée il n'y a que
50 ans, donc nous pouvons supposer que les pratiques urbaines de ces citadins, face à ces formes
urbaines inédites, sont douées d'une très grande dose de créativité.
L'approche adoptée prend en considération des dynamiques de long terme, voire très long
terme. En effet cette nouvelle forme urbaine, qui a été interprétée par certains comme la fin de
l'urbain, vient remplacer la forme « traditionnelle », définie « modèle urbain européen » par
Anne Raulin1 et dont l'étendue temporelle va de l'antiquité jusqu'à la révolution industrielle.
Anne Raulin a raison, lorsqu'elle rappelle que les premières villes, se développèrent suite à des
conditions économiques favorables, notamment l'apparition de l'agriculture. Cela nous fait
comprendre que la réalité urbaine est liée à un certain type de système économique. Il devient
beaucoup plus compréhensible alors que, suite à un autre changement de système économique,
dû à l'apparition et le développement de l'industrie, la réalité urbaine est amenée à se
transformer en profondeur. Ce qui nous apparaît comme l'apparition de nouvelles formes
urbaines et d'urbanité, serait plutôt une partie du processus global de ré-organisation du
territoire. Nous sommes tellement habitués à la ville, au type traditionnel de ville, que nous
oublions qu'elle aussi, elle est un phénomène historiquement situé et, en tant que tel, soumis à
la transformation.
L'approche adoptée est de type purement qualitatif. Nous avons pu vérifier l'existence
d'un certain type de relation entre individus, ou son absence. C'est pourquoi, il serait fort
intéressant d'essayer de quantifier ces phénomènes, pour pouvoir comparer différentes
situations locales et ainsi préciser mieux comment l'urbanité d'un lieu est en train d'évoluer.

Maintenant, nous essayons de répondre aux questions posées dans l'introduction, c'est-à-
dire quelle contribution une approche ethnographique peut amener aux démarches
participatives, et plus en particulier à celles que nous avons connues directement, soit celles
portées par Robins des Villes. Il faut faire référence aux deux documents reportés aux pages 13-

1
Op. cit.
70
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux Conclusion

16, pour saisir correctement ce que nous allons exposer. Nous souhaitons ainsi donner notre
petite contribution à la construction du « droit à la ville ».

Un diagnostic partagé 2.0 ?


L'analyse territoriale que nous avons proposée prend en compte la relation globale entre
individus et lieux. Comme nous l'avons vu, cette relation se compose de plusieurs éléments,
dont l'usage du lieu est un parmi d'autres. La relation affective entre individus et lieux ; la
relation entre individus dans les lieux ; la relation entre lieux dans la représentation des
individus sont les autres composantes de la relation entre individus et lieux. Nous n'avons pas
pu aborder l'analyse de tous ces aspects, faute de temps et de ressources, mais nous avons
analysé la relation entre individus dans les lieux. En effet, l'exploration des deux autres types de
relation, demande surtout de réaliser des interviews, ce que nous avons pu juste commencer. Le
rendu de ces analyses, comme Robins des Villes le fait déjà dans le « Diagnostic partagé des
usages », serait cartographique, comme nous l'avons fait pour les relations entre individus dans
les lieux. Il s'agit en effet d'informations toujours spatialisées.
L'avantage d'un diagnostic considérant globalement les relations entre individus et lieux,
est qu'il pourrait être appliqués tant dans les missions de « concertation » que dans celles de
« sensibilisation ». En effet, aujourd'hui le diagnostic partagé des usages est utilisé dans les
projets de « concertation », où l'avis des habitants est demandé pour être pris en compte dans les
aménagements. Dans les projets de sensibilisation, par contre, la parole des habitants n'est pas
recherchée pour contribuer à la définition des nouveaux espaces, mais « seulement » pour
dynamiser le lien social, valoriser des vécus, créer des mémoires et des identités partagées.
Comme c’est le cas à Saint-Priest.
Enquêter sur les relations non fonctionnelles entre individus et lieux, peut fournir des
éléments très importants même dans une démarche de concertation, à partir du moment où
l'aménagement d'un lieu ne se limite pas à satisfaire les besoins matériels des individus. Au
contraire, comprendre les usages des lieux est fondamental dans une démarche de
sensibilisation, car les liens affectifs, sociaux, cognitifs entre individus et lieux passent
forcement aussi par l'usage qui des lieux est fait. Ce serait donc un outil d'analyse plus vaste et
applicables à plus de projets qu'il ne l'est aujourd'hui.
D'ailleurs, l'analyse que nous proposons présente aussi un manque : elle n'a pas été
« partagée » avec les habitants et usagers concernés. En effet, l'atout du diagnostic partagé des
usages est double, il réside dans le contenu et dans la méthode. Proposer une innovation au
niveau du contenu, comme nous le faisons, ne doit pas entraîner un oubli de l'autre volet, celui
de la méthode partagée avec les habitants ou usagers. En conséquence, il faut que le contenu du
diagnostic reste accessible à une population non spécialisée et de tout niveau scolaire. Ici nous
voyons une possible limite de notre proposition, peut-être excessivement abstraite pour un
public générique. D'ailleurs, la seule façon pour le découvrir, serait de la tester dans la réalité. Et
il ne faut pas oublier l'importance de la façon dont un outil est proposé au public, en effet une
approche spécialisée peut toujours être traduit de sorte qu'il soit plus facilement accessible et
que, en même temps, il ne soit pas banalisée.

71
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux Conclusion

Un saut d'échelle ?
L'analyse territoriale que nous avons proposée permettrait aussi d'aborder des territoires
de plus grandes dimensions que ceux investis d'habitude par les démarches de concertation
Robins des Villes. L'étendue de notre zone d'étude, correspondant au triangle ORU, était
d'environ 50 ha. Le choix de Robins des Villes au contraire est d'intervenir sur des micro-
espaces, parce que c'est surtout à cette échelle que l' expertise habitante, c'est-à-dire la
compétence et la connaissance spatiale des habitants/usagers, se dégage.
Notre proposition pour aborder des espaces plus vastes ne dément pas ce principe, au
contraire elle le confirme encore plus. En effet, nous avons pu analyser et caractériser un
territoire plus vaste en prenant en considération plusieurs micro-espaces compris dans ce
territoire. Le type d'analyse porte toujours sur les espaces dont on peut faire une expérience
directe, autrement dit, les espaces dont les dimensions physiques sont mesurables aux
dimensions du corps humain. Nous avons constaté que c'est ce type d'espaces qui est investi
davantage par les habitants/usagers. Par exemple, place Molière est sur-dimensionnée, alors que
square Monnet offre des conditions physiques plus favorables pour y développer des activités,
des relations. Ou encore, la largeur, le revêtement de sol et la présence d'édifices longeant la
Grand'Rue au Village, permettent même d'entendre le bruit de la marche des passants, quand il
n'y a pas de voitures. C'est bien à partir de micro-espaces que nous avons aussi mené notre
étude.
La caractérisation d'un territoire plus vaste est possible alors lorsqu'on met en dialogue
plusieurs micro-espaces, chacun avec ses caractéristiques. La question est alors : comment
choisir les espaces à observer ? Quels critères utiliser ? Nous avons proposé une analyse
paysagère urbaine. Ce type d'analyse permet de caractériser un territoire relativement vaste et
ensuite de choisir, à l'intérieur de chaque zone repérée, un ou plusieurs espaces qui paraissent
importants, publics ou privés, à différents moments de la journée et de la semaine. Ce type
d'analyse se base sur la classification des formes urbaines, l'apparence des bâtiments et sur
l'ambiance globale ressentie. Le « ressenti » de l'observateur est un important indicateur : une
homogénéité de paysage comporte une homogénéité de ressenti, à partir du moment où le
concept de « paysage » prend en compte à la fois les aspects physiques et perçus.

Une expertise « sensible » ?


Enfin, à la lumière des considérations faites, nous revenons sur les principes à la base de la
méthodologie Robins des Villes. Un des postulats, est que les usagers d'un lieu sont des « experts
en usage ». Nous proposons d'élargir ce concept et de considérer les habitants/usagers aussi
comme des « experts sensibles ». Si on accepte en effet que la globalité des relations
individu/lieu dépasse les relations strictement fonctionnelles, il s'en suit que les
habitants/usagers d'un lieu ont des compétences et connaissances aussi dans les autres types de
relations individu/lieu. Et si on part du principe que l'aménagement d'un espace est bien plus
qu'une réponse à des nécessités matérielles, ces compétences « sensibles » peuvent être
mobilisées pour aménager et améliorer un espace en fonction des attentes de ceux et celles qui
l'utilisent.

72
Sources

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Luigi BOBBIO, (sous la dir. de), A più voci. Amministrazioni pubbliche, imprese,
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74
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux Sources

Id. (sous la dir. de), Amministrare con i cittadini, Viaggio tra le pratiche di partecipazione
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Fabien BRESSAN, La concertation dans les projets d'aménagement, Vad. Centre d'échanges
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Rhône-Alpes, juin 2007
Id., La participation des habitants dans les projets urbains, revue de l'école d'architecture
de Bruxelles La Cambre, en cours de publication ;
Michel CALLON, Yannick BARTHES et Pierre LASCOUMES, Agir dans un monde incertain. Essai
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Pierre HAMEL, Ville et débat public, Les Presses de l'Université Laval, Québec, 2008 ;
Marianella SCLAVI et alii, Avventure urbane. Progettare una città con gli abitanti ,
Elèuthera, Milano, 2002 ;
Jodelle ZETLAOUI-LÉGER, Fondements historiques et sociologiques de la concertation , texte
de la conférence tenue à la formation Robins des Villes, Lyon, 19 mars 2012.

Saint-Priest
Christiane ROUSSÉ, Saint-Priest : histoire des immigrations italienne et espagnole (1922-
1945), Editions lyonnaises d'art et d'histoire, Lyon, 1996 ;
Id., Saint-Priest ville mosaïque : populations, identités, interculturalité : 1945-1980 ,
Presses universitaires de Lyon, Lyon, 2000 ;
Philippe VIDELIER, Saint-Priest: le fil des jours, Paroles d'Aube, Grigny, 1999 ;

Autres
F. BRIOSCHI, C. DI GIROLAMO, M. FUSILLO, Introduzione alla letteratura, Carocci, Roma, 2003 ;
François DUBET, La galère: jeunes en survie, Librairie Arthème Fayard, Paris, 1987 ;
Cécile GOUY-GILBERT, De la mémoire et de ses usages: politique culturelle d'une ville
périphérique, in AA VV, Villes, patrimoines, mémoires. Action culturelle et patrimoines
urbains en Rhône-Alpes, Direction régionale des affaires culturelles de Rhône-Alpes et
Délégation régionale du Fonds d'action sociale, 2000 ;
Alexandre MOINE, Le territoire comme un système complexe : un concept opératoire pour
l'aménagement et la géographie, L'Espace géographique 2/2006 (Tome 35), p. 115-132. URL :
www.cairn.info/revue-espace-geographique-2006-2-page-115.htm ;
Saskia SASSEN, Cities in a world economy, Pine Forge Press, Thousand Oaks, 1994 (trad. it.
Le città nell’economia globale, Il Mulino, Bologna 1997) ;
Yannis TSIOMIS et al., Ville-cité. Des patrimoines européens, Picard, Paris, 1998 ;

75
Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux Sources

Autres sources

Présences dans le cadre de la mission de stage


Les premiers déplacements ont eu lieu le 1er et 2 février et ont constitué le premier impact
avec la zone d'étude. Ces présences se sont poursuivies et intensifiées à partir du mois d'avril,
pour un total d'une trentaine de déplacements.

Interviews documentaires
28 février, Léa Marchand, responsable pôle sensibilisation à Robins des Villes ;
29 février, Nicolas Rochette, agent de développement social de l'équipe Dsu/Oru centre-
ville de Saint-Priest ;
7 mars, Jean-Louis Sackur, ancien directeur du Centre culturel Théo Argence ;
15 mai, Stéphane Collacciani, chef de l'équipe Dsu/Oru centre-ville de Saint-Priest.

Déambulations
15 février, 11h-12h15 ;
7 mars, 10h30-12h30, avec David Desaleux, photographe professionnel qui collabore avec
Robins des Villes.

Recherches documentaires
 http://sig.ville.gouv.fr/, site du Système d'information géographique de la Politique de la
ville ;
 http://www.geoportail.fr/, Le portail des territoires et des citoyens ;
 archives municipales de la Ville de Saint-Priest ;
 presse locale: Couleurs (magazine municipal), Le Progrès (édition Est Lyonnais) ;
 fonds Robins des Villes ;
 fonds Dsu centre-ville de Saint-Priest.

76
Annexes

a) Grilles d'observation
b) Interviews ethnographiques
c) Micro-trottoirs
d) Outils développés pour les ateliers Robins des Villes
e) Carte du centre-ville de Saint-Priest (détachable)

77
a) Grilles d'observation

Place Molière
Horaire Poste d'observation Lieu Personnes Interactions entre
personnes
9-12 Banc au croisement des Voir dessins: plan de 11h30 2 mamans rentrent avec enfants et une poussette
deux chemins près des situation, façades des tours, dans une tour : ont-elles pris les petits à l'école Brenier ?
tours. modules constructifs des Dehors, quelqu'un qui a fait es courses, quelqu'un qui
immeubles. promène son chien. Personne dans l'espace ouvert.
Terrain de basket : gravier
et cailloux, dangereux.
Vélos sur les balcons : il n'y
a pas de place dans la cour
[malgré l'espace libre à
disposition].
Comptage des places de
stationnement (effectué
entre 11h30 et 12h30) : 282
voitures sur 445 places
prévues (NB 410
appartement dans
l'ensemble) = 59%.
Places libres : 183*.
12-14
14-18 Banc au croisement des Une camionnette de la Retraité promène son chien. 15H00 un retraité s'assied
deux chemins près des police passe, ils avaient fait sur une banc, un autre descend avec les boules. Ça y est,
tours. le tour de la viabilité 3 personnes sur un banc, une dame avec son chien.
interne. 15h30 les équipes se montent. 15H45 ils commencent à
Dans le terrain de basket être nombreux : 8. Portugais ? Non, espagnols. Dame
des personnes âgées avec son chien.
jouent aux boules, aussi 16h45 2 petites avec 2 femmes voilées dans l'aire de
grâce au revêtement du jeux. 2 gamins avec papa (patron de la boîte 2T3M, dont
terrain. il prend le furgon).
Quelques enfants arrivent à mon babc. Des mamans
aussi (3) avec poussettes. 17H30 je m'en vais
18-22 Merles viennent se baigner
19h00 Retraités sont partis, des adolescents sont arrivés
dans une flaque. sur un banc, les enfants qui ont joué au foot (10 ans)
Je recompte les places de
sont autour d'une table de ping-pong, un couple d'ados
stationnement, places
arrive sur un banc et 2 petits enfants dans l'aire de jeux.
libres : 62. 2 jeunes s'installent sur une table.
19h30-40 Partent les enfants et les filles adolescentes.
20h00 je me lève, il y a 6 garçons 16-17 ans et encore 2
petites filles dans l'aire de jeux.
* le total est supérieur au nombre de places prévues parce que il y a des nombreuses places de stationnement hors les cases.

Tableau du comptage des places de stationnement


comptage entre 11h30 et 12h30 comptage à 12h30 comptage entre 20h et 20h30
cases cases cases cases libres taux de cases cases taux de variation cases cases cases libres
disponibles occupées informelles effectives remplissage occupées informelles remplissage libres informelles effectives
25 8 2 15 40 10 4 56 16 13 2 11
21 4 17 19 1 1 0
40 16 24 40 23 0 23
30 50 15
20 6 14 30 16 0 16
21 10 3 8 62 3 4 -1
12 6 2 4 67 5 4 1
39 19 20 49 8 5 3
7 3 5 -1 114 1 8 -7
13 6 7 0 100 3 3 0
24 12 12 50 12 0 12
5 2 3 40 12 0 12
14 5 9 0 100 3 4 -1
26 10 16 38 6 6 0
9 4 1 4 56 0 3 -3
30 9 7 14 53 5 0 5
12 10 2 0 100 6 8 -2
18 8 10 44 0 6 -6
18 12 6 0 100 3 5 -2
23 13 5 5 78 6 4 2
9 7 2 78 4 9 -5
21 19 2 90 4 3 1
4 3 1 75 0 4 -4
10 6 4 60 4 4 0
24 7 8 9 63 5 3 2
445 170 92 183 59 2 6 -4
5 6 -1
18 8 10
62
Square Monnet
Notes de terrain antérieures et postérieures:
28 mars, midi
5+2 jeunes, 20 ans environ, arabes à l'apparence, à l'entrée du square assis ou debout. Ils me regardent. Enfants jouent dans l'aire de jeux.
30 mars, midi
L'appropriation est plus claire : un monsieur m'a carrément salué, comme pour dire « bienvenue chez nous ». auparavant il m'avait observé attentivement,
lors de mon entrée, pendant qu'ils réparait une voiture avec deux autres. Prédominance de personnes à l'apparence maghrébines. Groupe de jeunes toujours
là ; ils semblent inoffensifs, ils semblent tout simplement traîner. Cris et sifflements de la cour aux fenêtres pour communiquer.
7 avril, après-midi
Mort par rapport à l'habituel, un seul homme à la place habituelle. Les autres : traînent à Lyon le samedi après-midi ?

Poste d'observation Lieu Personnes Interactions entre


personnes
9-12 Difficulté à trouver un Il n'y a pas de bancs, Une dame âgée discute assise avec un homme à une des Première personne qui
poste d'observation. Seule pauvreté du mobilier cages d'immeuble. m'a demandé que je fais
place pour s'asseoir sont urbain. Jeunes se sifflent pour se saluer, se faire signe, « ici ». Saine curiosité (il
petites niches à coté des Il n'y a pas encore communiquer. me semble). Il doit être
cages des immeubles. quelqu'un à stationner au 2 messieurs, un âgé, travaillent sur le moteur d'une turc. Il a une fille aux yeux
Poste : inconfortable. Le coin vers le centre social. voiture. bleues et la peau claire.
mur est froid parce que la Très tranquille : gens sont (Les jeunes qui stationnent ne peuvent faire rien de mal, « C'est quoi, arpentage ? »,
façade est exposée au déjà partis au travail ; les il y a un tel passage. Ceux dans l'autre parc si par il me demande.
Nord. places de stationnement contre). Tout le monde me regarde
libres restent peu de toute Monsieur turc était en train de laver et nettoyer une de toute façon, je suis
façon. Taux de voiture, maintenant une autre : elles sont à lui toutes les objet de curiosité.
remplacement des deux ou il fait ce service aux voisins ? 2 Audi, de toute Rapports de voisinage : les
parkings très rapide. façon. grands avaient demandé
Passage des personnes qui 11h00 2 jeunes s'installent en bas à discuter. aux petits si un leur ami
sont allés faire des petites 11h40 un jeune descend avec de la musique du était passé...
courses (à pied). En plus, téléphone, il semble chercher quelqu'un, un autre passe
des autres qui arrivent, par là avec les courses, il lui dit bonjour mais celui avec
repartent. les courses semble ne pas avoir envie de s'arrêter.
12h00 bon odeur de Une deuxième postière passe, après le premier passé à
nourriture, ça semble des 11h. 2 enfants jouent en vélo*.
pâtes à l'ail. Les deux jeunes sortis il y a quelque temps, rentrent. Un
Personnes qui sortent ne enfant parle à l'interphone pour demander si l'ami peut
prennent pas forcement la descendre.
voiture. 2 gamins, ils doivent avoir 12 ans, sur un scooter avec le
Le square est ensoleillé, casque passent en cabrant . 2 enfants arrivent dans l'aire
quand il y a du soleil. de jeux. Un monsieur qui attendait depuis 20-30 minutes
Le périmètre est une très et avait appelé à l'interphone, finalement trouve la
bonne piste pour le vélo ; personne qui lui ouvre : une jeune femme voilée qui
espace partagé par porte un pli de papiers sous le bras.
enfants et voitures qui 2 jeunes sont devant une cage à parler de footbal ; en
circulent lentement ; pour français intercalé de « Uallah » [= « je te jure »] ; ils se
le 99% ce sont des sont rencontrés sur le trottoir, un est arrivé en voiture.
voitures qui arrivent ou Avec ou sans rendez-vous ?
repartent, non pas qui Quelqu'un rentre du travail pour dejeuner. Les
passent par le square, qui jeunes attendent. Ils s'asseoint aux cages ou sur la
circulent vraiment, bien table de ping-pong et attendent que quelqu'un
que le square soit un d'autre arrive. Un est sorti e a sifflé deux fois pour
espace public ouvert des communiquer avec un autre. Ils se parlent aussi à
deux cotés sur la rue. distance, donc à voix haute.
Un seul vélo accrohé sur 12h30 les jeunes commencent à être plus nombreux : 3,
le trottoir. 4 en nombre variable.
12h30 gens continuent à
arriver pour la pause midi.
Le commissariat de Police
est à l'autre bout de la rue.
12-14
14-18 Debout, trottoir Nord personne ne passe, c'est un peu une zone off-limits, que Ce que les résidents
les résidents ; pensent de moi : un
même avec pluie il y a deux sentinelles aux deux monsieur sort et en me
coins/entrées. Sifflements ; voyant debout observer la
lorsqu'il arrête de pleuvoir, une dame sort son chien. place, c'est-à-dire la même
activité des jeunes, il
m'identifie comme un
d'eux, donc comme si le
contrôle sur la place étaient
augmenté ;
je prend position par
rapport aux autres deux : je
prend véritablement les
distances, je ne peux pas
rester trop proche, donc
j'occupe un espace
intermédiaire entre les
deux.
* c'était une période de vacances scolaires.

Place Ottina (Hôtel de Ville)


Poste d'observation Lieu Personnes Interactions entre
personnes
9-12 Banc à coté du kiosque de Gens arrivent et repartent en voiture, Passage continu de gens en toutes les
journaux. c'est une zone pour faire les directions.
11h15 change de poste, je commissions : services publics, Diversi livreurs, soprattutto alla farmacia.
vais en terrasse à la commerces. Divers livreurs, surtout à la pharmacie. La
brasserie, la vue ouverte sur Assez bruyante quand-même, route à présence du phone center est aussi
trois cotés : en face rue deux voies, ce n'est pas apaisé. significative : contact avec l'extérieur, avec
Gallavardin ; Bd Herriot Voitures parfois arrivent vite de la le monde.
dans les autres deux sens, descente. À 10h30 un monsieur âgé s'est assis sur les
avec le profil d'un hauteur Un jeune s'amuse à faire Schumacher bancs en face de moi, il y est resté 15-20
en direction des bâtiments dans la rue (et il n'est pas le pre,ier que minutes.
des Alpes. j'ai vu). “Cet après-midi le cirque avec tous les
Certains magasins baissent le rideau à la animaux et les clowns”, une camionnette
pause midi. Ça fait un mauvais effet, de passe faire cet annonce.
désolation. Est-ce normal ? Ou y a-t-il 3 hommes discutent à coté de la brasserie
une raison particulière ? quand je suis arrivé. C'est à l'intérieur qui se
La boulangerie s'est remplie, gens en passe quelque chose en réalité, la grande
pause midi comme Nicolas [Rochette]. vitre qui donne sur l'extérieur fait un très
bel effet ; le comptoir est bourré
d'hommes qui boivent un demi ou un
verre de vin. Personnes aux tables
également. Le serveur dresse les tables. Il y
a aussi le journal en libre lecture.
Le sifflement est vraiment l'appel entre les
jeunes, habillés en tenue de jogging.
Deux restent à l'entrée du portique (Central
Place) [le passage couvert qui amène en
square Monnet], parce qu'il pleut, mais ils
donnent l'impression d'un limite, ils ne
s'aventurent pas dans l'espace public et
protègent quelque chose derrière eux.
Le clochard est toujours là.
Groupe de femmes arrivé à dejeuner.
Collègues ? Où travaillent-elles ? À la
mairie ! 5 jeunes sont venus prendre un
café.
12-14
14-18 16H00 ils me demandent Centre : de toute façon lieu de Clochard du centre-ville : tout le monde 15h35-48: tempo al tavolino
de me déplacer de l'autre rencontres, quoi que rapides : salut ça l'aime bien, il est connu par les passants. dei due, hanno avuto il
coté de la terrasse pour va et chacun poursuit son chemin, mais Après tout il est aussi toléré par le patron tempo di parlare con un
débarrasser : ici il y a moins c'est bien ce type de rencontre du bar/tabac sur lequel il est appuyé amico che passa: calcio,
de vent, la vue est plus qu'on s'attend d'avoir en centre et (arménien). Lui, il fait bien une observation Lione-Ajaccio, e lavoro.
belle, plus vaste, sur la qui determinent en notre sensation intense ! Lui è lavoratore a chiamata.
montée vers Bel Air avec que nous nous trouvons en Il y a trois hommes qui parlent en face de la Uno degli altri due (il
les rails de tram. « centre ». porte. Une famille entière se promène avec grande e il piccolo) dice: a
17h00 cambio postazione: Il y a eu un averse maintenant il est poussette incluse. me 1800€ al mese vanno
panchine sullo spiazzo redevenu variable. 15h30 deux hommes s'asseoint à la petite bene. Tra di loro parlano di
je change de poste : bancs Toutes les vitrines sont ouvertes. C'est table à coté de la mienne. Cordialité entre lavoro, è la preoccupazione
sur l'esplanade devant le chouette. clients et serveuse de la brasserie. maggiore, non ce n'è.
cinéma. Arboré. Arrivé de l'autre coté [de la terrasse] un Il y a du monde assis sur les bancs vers la Passa una signorina in
17h30 je vais en commis de la brasserie refait les médiathèque. lacrime, che piange e questo
bibliothèque. jardinières (il met de la terre), il me fait Aux autres 3 tables, 3 hommes seuls, dont 2 signore si alza e le chiede
remarquer qu'ici c'est plus tranquille, « parlent maintenant au téléphone, 1 parle de che succede signorina? “j'ai
il y a moins de bruit, c'èst plus travail. perdu un enfant”.
silencieux ». Mais il y a le bruit du tram 2 femmes noires en habits typiques de Si prende appuntamento in
qui passe. l'Afrique de l'Ouest. questo bar.
Deux coins de la rue arrondis avec L'autre n'est ici pour travail non plu : il a C'è gentilezza nell'aria:
commerces au rez-de-chaussée, une bière et il est allé au tabac acheter un un client del bar aiuta a
c'est agréable, ça donne un sens jeu à gratter. 5 jeunes, 19-20 peut-être, svolgere i nodi che la
d'ouverture, vivacité et la haute tour au- stationnent sous le toit du gymnase qui est pompa ha fatto, mentre il
dessus du coin de gauche « fait ville », derrière moi. signore del bar cura le
c'est-à-dire lieu où les édifices sont Groupe de jeunes se promène en fioriere.
élevés = artificiels, imposants, voulus trottinette, ce sont les vacances. Gens
fortement par l'homme, type de s'arrêtent parler du coté du magasin de
bâtiment qui marque son être artificiel. chaussures.
Au final, le princip des magasins Il y a du monde assis sur ces bancs. 17h00-
arrondis est le même que celui des 17h30: 2 femmes âgées sur les bancs.
animations en Trafalgar Square. 18h20 employées de la poste et de la
Médiathèque et cinéma créent passage, bibliothèque sortent.
vivacité, services culturels de la ville qui Ah, la journée est terminée, on perçoit un air plus
s'ajoutent à la mairie. Fonctions de detendu.
centre-ville. Puis il y a la poste et une Groupes de personnes stationnent temps
banque. en temps parler. À 14h00 il y avait une
Gros bâtiments à gauche sont projection avec enfants au cinéma.
vraiment horribles, opprimants, de
périphérie du bloque soviétique, Prague
ou Bucarest. C'est la vue qu'on a aussi
de certaines fenêtres de la
médiathèque ; c'est angoissant.
17h30 il fait un autre averse qui à 18h00
est déjà terminé, 18h30 bancs déjà secs
le soleil est sorti. Belle journée de
printemps.
La promenade du samedi après-midi
Poste d'observation Lieu Personnes Interactions entre
personnes
14-18 Promenade entre Commerces sont ouverts, Il y a quelques promeneurs ; il y a aussi échange de
Esplanade des Arts et la d'habits beaucoup, mots, socialité (dans la rue ou dans les magasins) et il y
mairie. plusieurs opticiens. a bars ouverts avec personnes assises.
Il y a un mariage : grosses voitures (louées
probablement, certaines ont targue allemande) qui font
carrousel plusieurs fois.

Croquis:

Vue depuis la terrasse de la brasserie. En face rue Gallavardin, des


L'entrée du cinéma. deux cotés Boulevard Herriot
b) Interviews ethnographiques

Danielle Torres Et ces activités elles sont pour les français


aussi ?
Mardi 17 avril, au Centre culturel Ah oui, parce que nous sommes un centre
récréatif hispano-français, rue Aristide Briand. espagnol-français ! Et c'est vrai que les français
aiment beaucoup la culture espagnole parce que
Comment est-ce que vous voyez le futur de
c'est une culture vivante, joyeuse, toujours de bon
l'association et du centre culturel, comme
humeur, et c'est latin quoi, c'est une langue latine
d'après ce que vous dites il y a eu ces vagues
donc automatiquement... c'est un peu comme
d'immigration et aujourd'hui...
l'italien.
...aujourd'hui il y en a de moins en moins, c'est vrai
Et donc elles ne s’adressent pas que, disons,
que en 2008 si je ne m'étais pas présentée comme
aux descendants...
présidente, peut-être que le centre n'existerait plus.
non, non, non, elles s'adressent à tout le monde.
Pour mois ça fait quand-même depuis 2004 que je
Et vous avez parmi les gens qui fréquentent
suis dans le bureau et que fin 2007, lorsque l'arrière
les activités des personnes d'origines
président a démissionné, ce n'était pas question
différentes ?
qu'on laisse tomber ce centre, donc je me suis
Oui. On a même deux adhérentes d'origine
présentée. C'est vrai que je n'ai peut-être pas une
musulmane... Nous de toute façon on a la porte
continuité, si vous voulez. C'est vrai que ce qu'ont
ouverte à tout le monde, c'est un centre qui ouvre
fait les anciens c'est pas du tout pareil, parce que
la porte, celui qui veut venir, il est bien accueilli.
les jeunes ne s'intéressent plus réellement... à
Par contre, quelle est l'histoire de la
l'histoire de l'Espagne, je ne vais pas dire ça, mais
communauté espagnole à Saint-Priest ? Et
dans la mesure où ils sont nés en France c'est un
l'histoire de votre famille ?
petit peu... c'est oublié. C'est vraiment une suite de
C'est plutôt les anciens qui peuvent vous
personnes qui sont depuis X années qu'on a au
renseigner sur l'histoire de l'Espagne, parce que je
centre...
vais vous dire honnêtement, même si je suis
Les jeunes, ils n'ont pas de raisons pour...
d'origine espagnole, ma mère était de la Provencia
voilà, ils n'ont pas de raisons. Pour la bonne cause,
d'Almeria, elle avait six ans quand elle est partie en
c'est que ben, ils sont nés en France, si vous
Algérie. Pour éviter que mon grand-père... parce
voulez, même si nos parents nous ont inculqué la
que tout ce qui était du coté de la Provencia
culture espagnole...
d'Almeria était beaucoup plus proche de l'Afrique
Vous voyez plutôt positivement ou
du Nord, et pour éviter la pauvreté. Donc moi, ma
négativement ? Je m'explique : positivement
mère quand elle est arrivée en Algérie elle avait six
dans le sens où c'est le signe que une vraie
ans.
intégration est désormais faite, ou
Et c'était dans les années 30 ?
négativement parce que peut-être on perd
Non, non, ma mère était né en 1907 donc elle est
quelque chose ?
arrivée en Algérie en 1913.
Disons que... alors, moi si vous voulez, le fait de
Et pourquoi ils sont partis pour l'Algérie ?
continuer à faire des cours de flamenco ; le fait
Parce que à cette époque là il n'y avait pas de
d'instaurer la langue espagnole, pour mois c'est du
travail. C'est pour ça qu'en Algérie, Oran parlait
positif parce que je veux justement que la culture
beaucoup espagnol, parce que la plupart des
espagnole continue. Maintenant c'est vrai que ben,
immigrés c'était des espagnols.
les jeunes ne s'intéressent plus comme avant. Moi
Et du coup votre famille faisait partie des
je peux vous dire que je fais partie peut-être de la
rapatriés d'Algérie.
dernière génération qui encore a ce... cette
Voilà. Ils sont des Pieds-noirs, moi je suis une
nostalgie de la culture espagnole. Mais que nos
pieds-noir. Mais c'est vrai que mois je suis d'origine
jeunes, sauf s'ils ont vraiment des parents... parce
espagnole mais ben, on est français d'origine
qu'il y a souvent des espagnols qui ont fini pour
espagnole. On est arrivé à l'indépendance, pendant
devenir français et qu'automatiquement les enfants
la guerre d'Algérie.
sont français... Je crois que il n'y a plus de jeunes
Et votre famille du coup habitait...
qui s'investissent. C'est pour ça que j'essaye de
Saint-Priest ! Oui.
maintenir encore la culture espagnole par les cours
Mais dans quel quartier ?
de flamenco, par les cours de langue espagnole, par
Attendez, quand j'étais jeune, donc moi j'ai
le repas familial typiquement espagnol qu'on fait...
fréquenté l'école de la gare, puisque quand je suis Je peux arrêter.
arrivée d'Algérie j'avais douze ans, et que je suis J'ai arrêté l'enregistrement et je l'ai repris ensuite.
rentrée au collège, à la gare, et puis au moment où Depuis que je suis au centre espagnol, je me sens
j'ai perdu papa j'avais dix ans. Mon père est resté espagnol-française. Et j'aime ce centre. Et puis
en Algérie, avec ma mère et mes neuf frères j'aime que les personnes qui viennent se sentent à
sommes venus en France, on habitait rue Maréchal l'aise et ils sont très heureux. Ils sont très heureux
Leclerc qu'ils viennent et puis on a de plus en plus
Et c'était une maison ou un grand bâtiment ? d'adhérents qui s'inscrivent. Parce que c'est la joie
Ah non, non, c'était un Hlm ! de vivre. Parce que il y a des gens ici qui viennent
Mais à cette époque la plupart de mes frères était passer un petit moment parce qu'ils sont des
mariée, donc je suis restée avec mon frère qui est personnes, soit ils sont veuves, sont leurs femmes
au-dessus que moi, autrement tous les autres frères sont en maladie et que venir ici passer un petit
ils étaient mariée et ils habitaient Saint-Priest. moment, après ils rentrent chez eux et ils sont
Est-ce qu'il y a des lieux symboliques pour la heureux. Et c'est ce qui me fait moi, que je suis
communauté espagnole à Saint-Priest ? contente de faire plaisir à ces gens là.
Des lieux symboliques... à part le centre espagnol- Il y a combien d'adhérents en ce moment ?
français... Ça dépend, si je prend en familles, actuellement on
...il n'y avaient pas de lieux où il y avait des en a 195. Maintenant si on parle en hommes, si
rencontres, des événements sportifs... ? vous multipliez par deux, ça fait presque 400. Et
Ici ! Toujours, à l'époque des fondateurs, ils avaient c'est vrai que de plus en plus quand les gens qui ne
une équipe de football, les majorettes... ah oui oui connaissent pas, c'est une ambiance bonne famille,
oui oui oui ! Il y avait des cours de guitare, des c'est la famille ! Qui se réunit autour d'une paella,
cours de flamenco, ils avaient... je vous ai dit des d'une salsuela et puis on fait des repas franco-
majorettes ? espagnols. Aussi bien espagnols que français.
Oui. Comment vous avez vécu le déménagement1 ?
Ah oui oui oui. Mais c'était à l'époque où en 1976 Et est-ce que celui-ci est un emplacement
tous les espagnols sont rentrés en France, où un définitif ?
lieu de rencontre c'était avoir un local et pouvoir se Oui, moi j’espère ! C'est-à-dire que là où nous
retrouver entre eux et pouvoir discuter de la étions avant, c'est un bâtiment qui va être détruit,
nostalgie de l'Espagne quoi ! D'ailleurs c'était très et c'est vrai que Mme le Maire nous avait promis,
important pour eux, à cette époque là. Et d'avoir elle a maintenu sa promesse, on est bien, on est
un lieu où ils pouvaient se rencontrer, voilà. content, c'est tout beau c'est tout neuf. Et là on va
Et par contre, sur Saint-Priest il y avait déjà recréer des activités, on va essayer de faire venir un
des espagnols qui s'étaient installés, non ? Il y enseignant d'espagnol pour le mois de septembre,
avait eu des vagues d'immigration d'Espagne. et on fait des expositions, des conférences.
Les rapports entre les espagnols qui venaient Vous ne vous sentez pas un peu éloignés de la
d'Algérie et les espagnols qui étaient à Saint- ville ?
Priest mais qui étaient venus d'Espagne, ça Non, parce qu'on a pris l'habitude. Et puis ben
s'est passé comment ? c'est vrai qu'au début il faut s'adapter. Mais
Alors là, là je serais pas vous dire, parce que si vous attendez, on va pas rechigner devant un local dont
voulez, on ne considère pas les espagnols qui sont beaucoup d'associations nous envient. On est chez
partis en Algérie, à l'heure actuelle on ne les nous ici. Regardez, vous avez le drapeau français et
considère pas comme des espagnols. C'est comme le drapeau espagnol. Et le drapeau européen aussi,
un espagnol qui va en Espagne, on ne le considère il faudrait que je le mette.
pas maintenant comme un espagnol. D'ailleurs ils Est-ce qu'il y a des adhérents qui ont été
se disent eux-mêmes « en Espagne nous sommes relogés ?
des français, et en France nous sommes des C'est vrai que je ne rentre pas dans la vie intime de
espagnols ». Donc, moi qui suis Pieds-noir c'est mes adhérents. Il y a de la confidentialité hein, les
vrai que, je suis peut-être encore autre chose, vu adhérents viennent là, ils me racontent leurs
mon age malgré tout, je suis pas jeune, je suis pas peines, leurs joies mais ils vont pas... c'est un peu
vieille non plus, mais à cette époque là je sais pas normal, chacun a sa vie privée.
comment les « vrais » espagnols acceptaient les 1
Pieds-noirs, parce que après tout on était français Le centre hispano-français s'est transferé de son siège
historique, en centre-ville, car le préfabriqué qui
aussi. Maman était espagnole mais après s'est fait l'hébérgeait sera démoli dans le cadre de l'Oru, à un
naturaliser française. Donc, je pense que... c'est dur nouveau préfabriqué au-délà de la rue Aristide Briand
parce que vous m'enregistrez. (route d'Heyrieux).
Mais vous en tant qu'association vous êtes Vous voulez commencer par vous présenter,
contents du nouvel emplacement. dire comment vous êtes arrivé à Saint-Priest...
Oui, bien sûr. Écoutez, c'est bien simple, quand on Je m'appelle Guy Laurent et mes parents sont
va au vieux centre et qu'on revient ici, on a dit mais arrivés en 1947 à Saint-Priest, après la guerre, mon
comment on a fait pour être resté aussi longtemps père était ancien prisonnier et il a monté un
dans ce centre là. Il n'y a rien de comparable. C'est commerce de cycles. Il n'y avait pas le motos, dans
déjà plus grand, c'était trop petit. C'est vrai que là ces années là il n'y avait plus rien, après la guerre et
c'est l'idéal... on est chez nous. il a commencé à assembler et fabriquer des châssis
Maintenant pour ce qui est de l'histoire de de bicyclette, assembler des bicyclettes pour les
l'Espagne, je ne saurais pas d'une grande utilité... vendre, il était installé route d'Heyrieux avec un
Je parlais plutôt de l'histoire des espagnols à petit magasin il était très ambitieux mon père, il a
Saint-Priest. acheté le terrain où on se trouve ici place Roger
Là, il aurait fallu rencontrer des personnes... Ils Salengro en 1950 et il a construit le magasin où on
sont très bien intégrés en France, d'ailleurs quand est en ce moment en 1952 et à ce moment là
vous leur dites « ça vous dirait pas de repartir en commençait des cyclomoteurs vendus par Saint-
Espagne », ils vous répondent « c'est la France qui Etienne. Saint-Etienne était le berceau du deux
m'a accueilli ». Donc ils ont reconnaissance envers roues tout un tas de fabricants français qui se
la France. trouvaient à Saint-Etienne issus de la manufacture
L'enregistrement est coupé de nouveau et repris ensuite.de Saint-Etienne armes et cycles et donc la région
Quand nous sommes arrivés d'Algérie il y avait que lyonnaise et stéphanoise étaient des gros faiseurs
les Bellevues et encore, c'était même pas des Hlm, des gros fabricants, plein de petites entreprises qui
c'était des copropriétés. Après nous on est allé rue fabriquaient des deux roues, cycles, cyclomoteurs
Maréchal Leclerc mais c'était des Hlm 2. Après il y a voir motos des petites marques qui ont disparu.
eu Diderot. Les Alpes c'était des copropriétés, Et votre père les revendait.
c'était pas pour les Pieds-noirs, par contre il y a eu Il vendait ça.
les Diderot, et il y a eu avenue Jean Jaurès aussi, les Pour qui en fait ? Les ouvriers ?
barres qu'ils ont détruites d'ailleurs. Justement, c'était un petit peu l'engin de l'ouvrier
Et Diderot c'était des Hlm. parce que la mobylette, comme on l'appelle
Oui. vulgairement, c'était l'engin pour aller travailler aux
Pour... les Pieds-noirs. usines Berliet avant que ce soit Renault industriel et
Oui. Nous, c'était Bellevue et tout ce qui est donc les gens allaient en bicyclette voire en petit
Diderot. C'est des bâtiments qui ont été construits cyclomoteur qu'on appelait la mobylette à l'époque,
quand les Pieds-noirs sont arrivés. Parce que nous qui n'était pas très chère et avant ça, j'ai brûlé une
quand on est arrivé d'Algérie, on n'a pas été bien étape. Il y avait aussi les motos, [dans les années]
reçus dans les appartements non plus, hein. Moi 52, 54 et après la moto s'est arrêtée dans les années
j'ai dormi à la Cordière, on était parqué dans des 57-58 parce que il y avait pas mal d'accidents, des
grandes salles, chaque famille séparée avec des tués, des blessés parce que le casque n'était pas
paravents et tout ça... obligatoire sur les deux roues. Dès qu'ils ont mis le
Ça a duré combien de temps ? casque obligatoire ça c'était pas un gros problème
Deux ou trois mois... nous quand on est arrivé on mais ils ont mis assurance obligatoire et l'assurance
est atterri à Toulouse on était quinze dans une coûtait plus chère que la moto ! Donc à l'époque la
pièce. Après on est arrivé à Saint-Priest, donc c'est moto coûtait 500 Francs et l'assurance coûtait 600
là où mon frère a eu un appartement après il nous Francs. Donc la moto a été anéantie en deux-trois
a fait venir... c'était les Bellevue. Les premiers, ça aans dans les années 54-55-56 et tous les petits
été les Bellevues, après il y a eu le bâtiment du fabricants français Peugeot Motobécane Folis ont
stade, il y a eu les Diderot, et puis après Saint- basculé.
Priest s'est agrandie. Il y a eu plus d'écoles, plus de Après ça a repris. Et peut-être c'est vous qui
collèges... arrivez ?
Alors, la voiture est arrivée, la quatre chevaux les
Guy Laurent voitures françaises, la deux chevaux tout ça. Les
gens, les jeunes roulaient la-dessus, donc il y a eu,
Vendredi 11 mai, au magasin de motos en pour reparler encore de notre profession, la
place Salengro. mobylette. C'était le petit cyclomoteur à pédales
qu'on vendait pour les gens pour aller au travail,
2
Il s'agit des Logements Populaires pour les Familles pas de besoin de permis, ça allait très bien. Et dans
(Lopofa). les années 67-68 les japonais commençaient à
arriver en Europe avec des motos exceptionnelles, nous tapait sur les doigts en mettant les doigts
les japonais étaient très innovants dans leur serrés avec sa règle ou sur la tête, il nous tapait
fabrication, ils sont arrivés aux marchés européens avec sa règle en bois, et qu'on disait surtout rien
et moi j'ai commencé donc à travailler en 67-68, aux parents parce que si on disait aux parents il
j'étais déjà dans l'entreprise mais commencer à nous mettait encore une correction aux parents
rouler avec ce genre de motos, avec une Yamaha que... voilà.
déjà à l'époque. On a pris la marque Suzuki au Est-ce qu'il y a des endroits de Saint-Priest où
départ après on a pris la marque Yamaha, vous vous sentez plutôt à l'aise ou mal à
maintenant on est exclusif Yamaha depuis quinze l'aise ?
ans, on a un secteur pour distribuer la marque. À l'aise, c'est ces endroits publics comme ça, où il y
Et du coup vous avez pris la place de votre a la maison du peuple, qui maintenant s'appelle la
père dans la gestion du magasin. salle Théo Argence je crois, que là quand on avait
J'ai pris la succession de mes parents et maintenant 16-17-18 ans il y avait un bal, il y avait au moins
depuis quatre ans mes enfants, ma fille et mon deux, trois bals et là ça se finissait toujours en
garçon ont pris la succession de moi, c'est bagarre parce que s'il y avait à l'époque des
troisième génération qui vendons des deux roues. blousons noirs... ça me rappelle des très bons
Moi je suis là encore un peu pour les aider pour souvenirs.
des conseils de commande mais c'est plus moi qui Par contre, ça me fait un peu mal au cœur mais j'ai
suis le patron ! connu... on va citer le groupe Bellevue qui était
Et du coup si vos fils ont pris le relais cette avant la campagne et tout ça au début il y a eu des
activité a de l'avenir. ouvriers, immigrés entre portugais, italiens,
Exactement. espagnols, des gens très bien. Ben, maintenant il y
Vous habitez Saint-Priest ? a d'autres occupants que ils ont un peu dénaturé
Non. J'habite Saint-Pierre de Chandieu. Mes cet endroit, qui était assez convivial, par leur façon
parents habitaient au-dessus du magasin, j'ai perdu de faire.
ma maman il y a six mois. Et donc moi j'ai vécu Dénaturé, dans quel sens ?
longtemps ici ma jeunesse et maintenant j'habite L'environnement est malsain... ils font des groupes
Saint-Pierre de Chandieu ainsi que mes enfants. de rencontre comme ça, puis ils s’accaparent un
Donc vous avez habité Saint-Priest pour petit peu des lieux que nous on a... on est mal à
combien de temps ? l'aise quand on traverse ces lieux là et puis c'est mal
Pendant 25 ans. Puis je me suis marié... mettons 30 entretenu, les allées sont sales des fois, les allées, les
ans. portes en fer sont déglinguées...
Entre quelles années ? Vous parlez du quartier Bellevue.
1950 et 1980. Bellevue, qui va être rénové, je crois. Voilà, ça
Est-ce qu'il y a des lieux auxquels vous êtes aurait pu être un... Heureusement que la mairie au
rattaché de façon affective ? milieu de tout ça qui relève un peu le ton, mais
Oui, on va parler de l'école. J'ai été écolier au ben, j'en doute que la mairie va faire peut-être
groupe scolaire des Quatre Chemins comment on quelque chose pour rénover, qu'on puisse un peu
l'appelle, j'ai vu construire ce groupe scolaire dans se balader tranquillement.
les années 50-52 et j'ai fait toute mon école la Du coup vous ne fréquentez pas beaucoup...
maternelle, jusqu'avant d'aller en sixième, après ...pas beaucoup, parce que, j'ai rien contre tous ces
mes parents m'ont mis en pensionnat à la Tour du gens là, mais quand je vais à la poste3, avec ma
Pin parce qu'ils n'avaient pas le temps de s'occuper moto, j'ai peur qu'on vole la moto devant la poste.
de moi mais j'ai encore un grand souvenir de Vous voyez ce que je veux dire ? Je suis pas comme
l'école qui est encore le groupe scolaire Edouard dans un village, qu'on se baladerait comme ça,
Herriot, qui était le maire de Lyon qui avait « hop, bonjour, mâchant »... non, moi
inauguré cette école que j'ai vue construire. On personnellement je suis mal à l'aise. J'aimerais avoir
était deux-trois cents enfants qui étaient à l'école, il un esprit de balade tranquille sur le trottoir pour
y avait beaucoup d'ouvriers des usines Berliet et flâner comme ça et je pense qu'il y a une coupure
des usines Maréchal et tous ces gens étaient entre ce quartier qui est pas loin et là-bas, il y a une
souvent des familles nombreuses, on va dire trois, espèce de frontière... hop, on arrive on est dans un
quatre, cinq enfants et j'ai encore des contacts avec quartier où il faut faire attention à ne pas se faire
des vieilles familles de Saint-Priest qui étaient à voler quelque chose. C'est une impression, ben.
l'école avec moi et que je revois ces gens là et que
on relate un peu les souvenirs d'école d'ici, qu'on 3
La poste se trouve dans le même îlot que la mairie,
avait un maître d'école Monsieur Renault et qui place Ottina.
Si vous deviez identifier des éléments qui font longtemps qui... ce serait pas grand chose, de
cette barrière là, qu'est-ce que ce serait ? modifier tout ça.
C'est-à-dire. Il faudrait des bancs. Des bancs, des Est-ce que vous vous baladez jamais à Saint-
choses comme ça, de la végétation qui, entre cette Priest, vous venez passer votre temps libre ?
place qui va être rénovée et là-bas, qu'il y ait pas Non, je suis au travail. Honnêtement, ma femme
cette barrière que cette place [place Salengro], va au cinéma, elle me le dit : « le cinéma, est très
qu'ils vont refaire, elle continue jusqu'au centre, peu fréquenté ». Elle est allée voir un très beau film
qu'il y ait pas au milieu cette espèce de quartier... qui sortait, en première, il y avait deux personnes
voilà. Avec quelques commerces, pourquoi pas, dans la salle. C'est quand-même incroyable, elle a
qu'il y ait pas que du bâtiment locatif, qu'il y ait un dit, l'ambiance était très froide.
peu de commerces et puis... là [il indique la place], Et vous parliez avant, vous aimeriez avoir des
c'est un coin tranquille, on est bien il y a des trottoirs, des endroits où on peut peut-être dire
commerces et tout ça, les gens sont sur la place et bonjour à quelqu'un dans la rue. Est-ce que
dès qu'on passe... ah. Il y a 500 mètres, après on vous reconnaissez ce type d'endroit à Saint-
arrive à un endroit... vous avez vu quand-même. Priest ?
Quand vous dites « on passe quelque chose », Au village. On y est bien.
est-ce qu'il y a un magasin, une rue, un Et pourquoi on y est bien ?
élément physique que vous identifiez pour Ça fait plus village, il y a des commerces anciens,
dire : ah, ... des petites boutiques tout ça, c'est vivant c'est
...à partir de la cordonnerie, à partir de là, il y a familial. Il y a une petite ambiance sympa, c'est
Century 21, le marchand de biens et là hop, il y a bien fréquenté, tout ça.
une espèce de barrière et ça dure, ça dure pas
longtemps, ça dure deux-cent mètres, et là... puis si À la fin de l'interview, il a ajouté : « c'est
on s’enfile un peu dans les petites impasses... voilà. bien de demander aux gens pour donner des
C'est dommage, parce qu'il y a ce centre ville et la
idées, ça va faire avancer la ville dans le bon
place là et il y a cet endroit qui dure pas très
sens ».

Le magasin en 1947 en rue Aristide Briand. Source : Guy Laurent.

Omar Askratni4 Pour commencer je te demanderais de te


présenter.
Vendredi 11 mai, à la salle municipale Le Omar Askratni, 35 ans, j'habite à Saint-Priest et j'ai
Concorde, avenue de la gare. toujours habité à Saint-Priest. Je suis né à Saint-
Priest.
4
Nous nous excusons avec l'intéressé pour le mauvais Et ta famille ça fait longtemps qu'elle est à
ortographe. Saint-Priest ?
Oui. Depuis toujours en fait. pas bien, où tu n'aime pas trop rester...
Excuse-moi, est-ce que tu as des origines Non.
françaises ou... Et tu habites dans une barre. Est-ce qu'il y a
...algériennes. des espaces communs ?
D'accord, donc ils se sont installés à Saint- Il y a un terrain de boules, un petit parc avec des
Priest. bancs, il y a de la verdure.
Oui, en quelle année je sais pas trop, en 67 ou 68. Et est-ce que tu fréquentes ces lieux là ?
Et ta famille ils étaient des Pieds-noirs ? Non, parce que je travaille, c'est plus les gens qui
Non, non des algériens. ont des enfants, ou ceux sortent leur chien.
Donc tu as grandi ici, tu as fait l'école à Saint- Et les personnes que tu fréquentes c'est plutôt
Priest. de Saint-Priest ou pas ?
J'ai grandi à la clinique Pasteur, à Bel Air, C'est des gens avec qui j'étais à l'école, que j'ai
maintenant elle est détruite. Ils ont construit la fréquenté à l'école, on était dans les mêmes classes
nouvelle clinique vers le Parc Technologique. J'étais et on est resté en contact jusqu'à maintenant.
à l'école Hector Berlioz en maternelle, puisque Et ils habitent le même quartier que toi, ils ont
j'habitais l'avenue de la Gare. Après on a déménagé bougé... ?
et j'étais à l'école Edouard Herriot, j'ai fait ma Non, il y en a qui ont déménagé, il y en a qui
primaire ici, maintenant je suis gardien dans cette n'habitent plus sur Saint-Priest, qui sont restés sur
école. Et après le collège, j'étais au collège Colette. Lyon, mais sont partis de Saint-Priest. Et puis il y
Donc tu travailles comme gardien de cette en a beaucoup qui sont restés sur Saint-Priest.
salle. Est-ce qu'ils habitent au même endroit plus ou
De la salle Concorde, en même temps je suis moins ?
gardien du groupe scolaire Edouard Herriot. Maintenant c'est tous des gens qui ont pris un
Tu as fait un grand souris quand tu as dit que logement, donc forcement ils ont déménagé, ils
tu es gardien, parce que... ont quitté la maison familiale, ils habitent plus avec
...parce que j'y étais à l'école quand j'étais petit. les parents, donc il y a des célibataires qui vivent
Et donc ça te fait plaisir d'y travailler. tous seuls qui ont pris un appartement et puis il y
C'est marrant. en a qui se sont mariés.
Tu habites où ? Et quand on dit centre-ville à Saint-Priest,
Rue Louis Loucheur, à coté de la place du marché pour toi qu'est-ce que c'est ?
[place Salengro]. Centre-ville, la mairie, la médiathèque, le cinéma, le
Dans les Hbm ? tramway.
C'est Hlm, c'est juste derrière ce dont tu parles, les
Hbm. C'est une grande barre. À la fin de l'interview, il nous a fait
Est-ce qu'il y a des lieux auxquels tu es visiter la « loge du gardien », une petite salle de
rattaché d'une manière affective, positive, à
détente aménagée avec canapé, télé,
Saint-Priest ?
La rue de l'industrie, le quartier où j'ai grandi. kitchenette, au-dessus de la salle de fêtes.
Les lieux où tu as des bons souvenirs...
...bons souvenirs, il y a le Fort de Saint-Priest. Puis Moustafa
surtout l'endroit où j'ai grandi.
Ou des mauvais souvenirs, peut-être ? Dimanche 13 mai, à salle municipale
Le feu d'artifices au château. J'ai ramassé un pétard Mosaïque, rue Aristide Briand, lors d'un vide-
dans l'oreille et depuis j'y suis jamais retourné. grenier.
Tu avais quelle age ?
Je devais avoir quatorze ans. Tu veux commencer par te présenter ? Dire
Est-ce qu'il y a des lieux où tu te sens à l'aise ton nom, ton age, comment tu es arrivé à
ou mal à l'aise, à Saint-Priest ? Des lieux où tu Saint-Priest...
aimes bien y aller, peut-être pour te promener, Je suis né à Lyon IIème mais je suis de Saint-Priest.
faire des activités, où tu as le plaisir d'y aller ? T'as vécu...
Oui, j'aime bien aller au Fort. ...toute ma vie à Saint-Priest. Depuis que je suis né.
Et dans le centre ville ? Et ta famille par contre...
Il n'y a pas vraiment de parcs ou de loisirs au ...de Saint-Priest aussi. Enfin, mes parents que sont
centre-ville. C'est pour prendre à la rigueur le vénus sont vénus vers Oullins mais autrement aux
tramway pour aller sur Lyon. années 65 qu'ils monté les Alpes, ils étaient là-bas.
Et au contraire, des endroits où tu ne te sens Moi je suis né en 71, dix janvier 71.
Et ta famille a des origines françaises ou d'un maison individuelle, plutôt que...
autre pays ? Mon rêve à moi, c'était d'habiter dans une maison.
Algériennes. De Batna, la région de Batna. Et pourquoi ?
N'Gaous exactement. Dans une maison on fait ce qu'on veut, c'est plus
D'accord, je connais pas la géographie de libre. Tu fais un barbecue tranquille, les enfants
l'Algérie. C'est pas la Kabylie ? sont dehors, sont tranquilles, il y a beaucoup de
Non. C'est dans l'Est algérien. circonstances qui ont fait que...
Et alors, tu as habité aux Alpes. ...tu préférais ce type de...
Toute ma jeunesse. ...je préfère ce type de... de vie, voilà. Ce type de
Jusqu'à quelle age ? vie, c'est meilleur.
14 ans. Est-ce que tu connais les nouveaux voisins
Et après tu as vécus dans quels quartiers ? que tu vas avoir ?
Après je suis parti vers la gare. Après je suis parti à Oui, je connais les voisins, oui. Un voisin je le
Diderot. Après je suis parti à Bel Air. connaissais avant, et à coté, je l'ai connu comme ça.
T'as bougé. Et donc pour vous, ça va changer un peu, au
Oui, j'ai fait beaucoup de quartiers. niveau des voisins, des connaissances que
Et pourquoi ? vous avez.
Jusqu'à 14 les Alpes, puis on est parti avec la Voilà. En plus, même on peut faire jardinage.
famille, on a eu un appartement à la gare, un peu Tu aimes bien.
meilleur et après... la famille s'est agrandie donc on J'aime bien planter les fleurs, les légumes, tout ça.
est parti à Diderot. Après j'étais grand et après... je J'aime bien... bricoler, c'est sympa.
suis parti me marier ! Donc je suis parti à Bel Air et Donc avoir de l'espace...
après Bel Air je suis atterri dans une maison ici, j'ai Voilà, avoir ma petite maisonnette pour poser tous
trouvé une maison ici. mes outils, que j'avais pas dans l'appartement.
Donc tu n'as pas été touché par les L'appartement tu peux pas poser tous les outils,
relogements qu'il y a eu. c'est pas grand grand.
Non, moi non. Et ta famille aussi, ils étaient d'accord avec ce
Et cette nouvelle maison est une maison plutôt changement.
individuelle. Ah, oui.
Exactement. Et tu as des enfants ?
Comment tu as découvert cette maison ? Oui, quatre enfants.
Après Bel Air, avec ma famille on habitait à Et eux ils sont contents d'aller dans une
Bellevue. Donc, j'ai acheté à Bellevue. Après quand maison ?
je venais de Bellevue jusqu'ici, la salle Mosaïque, au Oui, il sont contents.
travail, sur ma route il y a la maison. Même s'ils vont peut-être quitter les amis
Et tu passais à coté tous les jours. qu'ils ont ?
Je passe tous les jours à coté, j'ai vu, elle était en Mais les amis viennent à la maison, dorment à la
travaux, ceci, cela... et puis un jour elle était en maison, c'est pas loin.
vente. Parce que en ce moment tu habites encore à
Et tu l'as achetée ? Bel Air ?
Et après m'intéressait, en plus elle était sur Non, non j'habite à la maison maintenant ! Ça fait
internet, et puis après j'ai pu l'acheter. un moment.
J'ai vu qu'il y a des travaux maintenant, tu fais Depuis ?
des travaux. Ça fait deux ans.
Je finie les travaux que la personne avait déjà Ah. Et donc tu as commencé à faire ces
commencés. activités, jardinage, bricolage... ?
Donc elle était déjà bâtie la maison. Oui, oui, l'année dernière j'avais les tomates, j'avais
Oui. les oignons, j'avais tout.
Et donc c'est des travaux de... C'est pas mal ça.
...finition. Parce que la personne en fait elle a Là, j'ai encore cultivé...
agrandie la maison. Moi je finie ce qu'elle a fait. Puis j'ai des questions sur les lieux de Saint-
Par contre, c'est une maison individuelle et toi, Priest. Est-ce qu'il y a des lieux auxquels tu es
d'après ce que j'ai compris, avant tu as vécu rattaché au niveau affectif ? Si tu as des
dans de l'habitat collectif. Donc pour toi, pour souvenirs peut-être...
ta famille ça va être un changement d'habitat. C'est les Alpes.
Pourquoi vous avez choisi d'aller dans une Et quel type de rattachement tu as aux Alpes ?
Avant, les Alpes, ça n'a rien à voir avec comment Chacun est chez lui il s'occupe même pas du
c'était après, quand je suis parti. voisin. Celui qui dit le contraire est un menteur.
C'est-à-dire ? Tu peux faire des exemples, quand tu dis
L'ambiance. L'ambiance famille, tout le monde là, chacun pour soi, pour expliquer ça ?
c'était la famille. Très sympathique. Très familial. Je sais pas, moi j'ai des amis les personnes habitent
Il y avait beaucoup de connaissances entre quatrième étage, le voisin habite à coté il se fait
voisins ? cambrioler il n'y a personne... pourtant quand on
Avec les voisins, c'était une vie... une vie ! Une cambriole, on entend le bruit. Il n'y a personne qui
grande vie familiale, c'était une grande famille. Tu voit à coté qu'ils cambriolent, en pleine journée !
vois, c'est comme dans les villages, ils se Les gens se font agresser, il n'y a personne qui
connaissent tous. vient, donne un coup de main. Ils laissent faire,
Il y avait aussi de la solidarité ? chacun est pour soi. Tant que ce n'est pas moi
Voilà, aussi, solidarité tout ça. qu'on m'a touché...
Et après ça a changé ? À Saint-Priest, est-ce qu'il y a des lieux, des
Après ça a changé ! Il y avait des parkings à endroits où tu te sens à l'aise ? Des endroits
l'intérieur des Alpes, ils ont coupé les parkings ils particuliers où tu te sens bien, que tu aimes y
ont fait juste des jeux... tu sais, ça a tout changé. aller, passer ton temps ?
C'était pas pareil avant. Je vais à des snacks, j'aime bien où il y a des amis
Ça a changé en mieux ou en pire ? que je connais.
Moi, franchement c'est en pire, moi j'étais mieux Est-ce qu'il y a des endroits qui te mettent mal
avant. à l'aise ? Où tu n'aimes pas passer, tu n'aimes
Et pourquoi ? pas rester ?
L'ambiance, c'était pas pareil. Non. À Saint-Priest c'est sympa, c'est une ville
Il n'y avait plus cette ambiance familiale ? sympa. Il n'y a plus la même solidarité mais ben,
Plus, c'était terminé. Après c'était chacun pour soi. c'est sympathique la ville.
Même quand j'ai déménagé après, j'ai vu, c'était Dans te connaissances, les personnes que tu
chacun pour soi. fréquentes, est-ce qu'il y a une majorité qui
Et cela, après des travaux de réhabilitation ? habite un quartier précis ?
Non non non, ça est venu après. De partout moi, c'est mélangé. Ils sont tous
Mais quand tu dis, avant il y avait cette éparpillés, ils sont tous partis à droite et à gauche, à
ambiance positive, et après plus, c'est avant Oullins à Lyon, un peu partout. Donc on se revoit
quoi et après quoi ? Qu'est-ce qu'il est arrivé dans les kebabs à droite à gauche.
qui a fait changer cette ambiance ?
Quand moi je suis parti, il y a eu aussi d'autres
personnes qui sont parties. Commençaient à partir Eric Laellée
déjà. Il y a d'autres qui sont venus qu'on ne
connaissait pas, qui n'avaient pas cette mentalité. Mardi 15 mai, à la salle municipale
Parce que au début, quand tes parents ont Mosaïque.
emménagé là-bas, tous, ils avaient emménagé
La première fois qu'on s'est connu, quand
au même moment, c'est ça ?
Voilà, donc ils ont appris à se connaître tous au je me suis présenté, il a dit par rapport à mon
même moment. Après, à un moment donné, au travail : « tu fais remonter des trucs positifs ».
bout d'une dizaine d'années, diz-quinze, il y en a Tu peux commencer à te présenter.
qui veulent acheter une maison là-bas, l'autre veut
ça, donc après ça s'éparpille, donc il y a plus les Je suis Laellée Eric, je suis né en 1966 j'ai 46
gens que tu connaissais, que t'as tissé des liens avec ans et ça fait quand-même 43 ans de Saint-Priest.
eux, c'est terminé. Ils sont partis loin, c'est plus Je suis arrivé à l'âge de trois ans ici.
pareil avec les nouveaux qui arrivent, c'est plus Et ta famille pourquoi ils ont déménagé
pareil l'ambiance. à Saint-Priest ?
Et dans les autres quartier où tu as vécus, est-
ce que tu as retrouvé cette ambiance là ? Je suis natif du Tarn, le 81, mon père a été
Non non. Après quand t'arrives, le temps il avance mineur et comme la mine avait fermé il a cherché
il avance il avance, c'est fini la solidarité. Même autre chose il est venu là en tant que cheminots. Il
maintenant. a trouvé le travail de train là à Venissieux, on
Et aujourd'hui, si tu devais dire... appelle ça un roulant, il conduisait des trains. En
...il n'y a pas de solidarité. Chacun pour soi. 1969 on est venu habiter, on habitait rue Diderot.
Dans les Hlm ? lycée, Bel Air 3 parce que c'est un centre où
Oui, tout à fait. C'est une des barres qu'ils justement il y a la piscine, il y a les terrains, le Fort,
ont pas détruit, qui tombent pas, qui restent en ça fait un peu campagne, c'est pas que du béton,
place5. J'ai passé mon enfance là-bas, c'était génial. on voit beaucoup de verdure.
Donc tu passais ton temps libre ?
Du coup t'as grandi à Saint-Priest...
On allait là-bas, avec les copains, on jouait au
Oui oui oui, toute mon enfance, grandi,
ballon dans le fort, c'était génial. Et l'avenue Jean
appris. Après plus tard on a déménagé sur la Croix
Jaurès, que j'adore, qu'on faisait à pied, j'ai dû faire
Rousse à Lyon. Pas longtemps, après on est revenu
des millions de kilomètres, allée retour parce que
parce que les parents ont acheté une maison à
rien que pour promener sur cette avenue, qui
Saint-Priest encore, après ils ont divorcé et puis ma
montait directement au château, et ça faisait
maman s'est retrouvée avenue Jean Jaurès, à coté
princier. Et, il y a le village. Le vieux village de
de Diderot, on est revenu dans le quartier et voilà,
Saint-Priest, qui fait partie de mon enfance aussi.
j'ai fait carrément toute ma vie à Saint-Priest.
Parce que tu avais des copains dans cet
Et entre temps tu étais sorti de la
endroit ?
maison ?
Oui, on avait fait un petit groupe, on était
Non, je suis sorti tard, très tard. On est bien
dans les jupes de maman [rie]. J'ai fait mon armée à cinq six, on allait boire un petit coup là-bas, on
Toulon, à l'âge de 18 ans, je suis revenu, je suis festoyait on buvait une petit bière en terrasse, on se
resté un petit peu et puis je me suis mis en ménage racontait notre journée... les copines, on
avec une copine, je suis parti de la maison, j'avais rencontrait des copines. Quartier des Ormes aussi,
19-20 ans. On a eu un petit bébé et puis voilà, j'ai qui est juste là, où comme c'était beaucoup de
bâtiment, donc obligatoirement : beaucoup de
quatre enfants.
bâtiment, beaucoup de gens, donc beaucoup de
Toujours à Saint-Priest. gens beaucoup de filles, beaucoup de filles
Non non, là je suis à Saint-Pierre de beaucoup de garçons [rie]. C'est des endroits
Chandieu. Mais avec ma femme on a été à Miribel. comme ça qui me marquent, après centre-ville, j'y
Moi je suis revenu après, on a attrapé un étais pas trop attaché, puisque c'est plus rural quoi,
appartement à Saint-Priest, on est revenu, parce moi je suis plus proche de campagne, que de...
qu'on vivait chez son frère, le temps de se mettre... Et quand tu dis centre-ville, qu'est-ce
quand on a pu se prendre un appartement à Saint- que tu entend ?
Priest, on est revenu. Ça s'appelle Le Petit Bois,
Là. L'Hôtel de ville. C'était pas intéressant.
Avenue de la Gare et là je suis resté très longtemps.
Tu passais pas par là.
D'accord. Moi j'ai des questions sur les
lieux et un peu ta connaissance de Saint-priest, On y passait, on y allait, mais pour traverser
non pas les rues et le sens de l'orientation pour aller au marché, parce que le marché, la place
mais plutôt, par exemple, si tu as des liens du marché [place Salengro] j'aimais bien. Là c'était
affectifs avec certains lieux, des lieux auxquels génial, on voit du monde, connaissances,
tu es rattaché particulièrement. commerçants.
Oui oui. Il y a toujours cette rue Diderot, qui Donc si tu devais dire un lieu qui te met
fait partie de mon enfance ; j'ai du coté des à l'aise à Saint-Priest, un lieu où tu aimes bien
Garennes, qui est plus vers Gérard Philippe là-bas, rester.
c'est là où ils ont fait toutes les nouvelles maisons, Je vois le château de Saint-Priest, mais en
j'aime bien cet endroit, Bel Air 3, c'est plutôt vers même temps je suis plus pour le Fort de Saint-
la piscine, j'ai fait des bons trucs là-bas, le château. Priest.
Et pourquoi tu es lié à ces lieux ? Et pourquoi ?
Alors Diderot, c'est pour mon enfance, tout Parce que il y a énormément de verdure, il y
petit, les Garennes c'est parce que j'ai fait mon a un parcours de petit cross qui est intéressant
5
L'interviewé n'était pas au courant que aussi le bâtiment
même à pieds, on n'est pas obligé de courir, on
de rue Diderot, où il avait habité, va être démoli. Quand peut marcher. Moi je trouvais ça super, et puis dans
je lui ai dit cela, il a réagi en disant « Déjà pour les le même truc tu te rend comptes qu'il n'y a pas
bâtiments d'avenue Jean Jaurès, ça a été un chagrin, mais tellement de gens qui font... il y a beaucoup, mais
là, tu m'as blessé ».
on n'est pas surpeuplé, on n'est pas débordé, on Je dirais pas ça, parce que j'ai jamais eu
n'est pas embêté, c'est la tranquillité qu'on d'altercations avec qui que ce soit mais... plus
recherche quand on veut se balader et mâchant, souriant, oui.
quand tu as plein de monde autour de toi c'est pas Tu as quand-même cette sensation.
possible.
Tout à fait, oui. En plus c'est plus ou moins
Et quand tu habitais à Saint-Priest, tu logique, parce que le centre-ville c'est plus pour
allais jamais te promener, le samedi après- aller à la mairie, pour des papiers... faire certaines
midi, le dimanche ? choses quotidiennes donc t'as jamais bien le
Si, au Parc de la Tête d'Or, à Lyon, où mes sourire. C'est pas du plaisir. Quand on monte au
parents m'amenaient, on allait au bord de l'eau. village, on sait on va se mettre sur le bord d'une
C'est vrai qu'on sortait souvent de Saint-Priest. terrasse, même sur un banc, sans aller à un bar ou
Et par contre au centre-ville, où il y a un quoi que ce soit et là, tu respires quoi, voilà. Mais
le mot village, « age » c'est très important.
peu les magasins aussi ?
Mais tu peux expliquer mieux, pourquoi
Non. Il n'y avait rien de spécial en fait. À
c'est très important ?
part si t'avais un objectif fixe, je vais acheter des
lunettes, t'avais le marchand de lunettes ; un Déjà ma ville natale, qui était un village qui
costume, je me souviens d'un bagage, le bar tabac, est devenu une grande ville, Carmaux, qui était une
les petites brasseries mais sans plus, parce qu'on des villes minières de France, c'était pareil, tu me
n'était pas consommateurs... on n'était pas bien parles de ma ville, je t'en ferais un village, parce
riche non plus. qu'on avait toujours un endroit où aller, une grande
Est-ce qu'il y a un endroit à Saint-Priest place où les gens, on avait cette sensation qu'on
qui te met mal à l'aise, où tu n'aimes pas venait se... se vider. Sortir tout le mauvais qu'on
avait en nous. Que la ville non, la ville ça stresse.
passer ou rester, que tu préfères éviter ?
Et donc Lyon aussi, le centre-ville de
Un endroit où j'ai jamais vraiment mis les
Lyon, je pense à Bellecour...
pieds, j'ai encore envie de dire centre-ville. Si, tu
peux t'arrêter t'asseoir mais ben, pour quoi faire. C'est pareil, je mettrais dans le village.
Moi j'aime bien m'arrêter, c'est pour faire quelque Bellecour c'est là où les gens se promènent on voit
chose, pour respirer... tu peux respirer bien sûr, j'ai que les gens ils sourient, de toute façon tu vois ça
pas dit que c'est étouffant mais... il n'y a pas de au climat des gens, c'est sur leur visage tu vois tout
choses qui t'arrêtent. Tu vois, que tu t’assoit sur un de suite s'ils sont pas bien, ou si tout est bien.
pont, par exemple, avec un fleuve, tu t'assoit là, tu Donc tu t'arrêtes, parce que tu vois les gens
sais que tu as devant les yeux, c'est excellent. Et là, sourire, parce que tu vois les filles, elles sont
à part les voitures... belles... tu vois, je veux dire, c'est une balade
Et par contre au village... Par contre, c'est sur-dimensionné. On peut
pas mettre Saint-Priest, village, et puis Bellecour.
... ah, voilà, par contre...
Mais voilà, c'est ça. Lyon pareil, il y a certains trucs
...au village, ce n'est pas comme le Fort, à Lyon que je n'irais pas. Et là c'est pareil. C'est
parce que le Fort c'est à contact avec la nature, grand Saint-Priest hein, c'est immense. Mais ben
tout à fait c'est là où j'ai atterri, j'ai fait tous mes copains,
toutes mes copines...
le village, ce n'est pas à contact avec la
verdure et tout ça, et par contre tu dis que tu Et dans tes connaissances, tes
aimes bien te balader, te promener, pourquoi ? fréquentations, ils sont originaires...

Parce que c'est confiné, c'est moins vaste. ...de tout. Arméniens, algériens, Fatih il était
C'est le vieux village. Le mot village il a une du Maroc. Il n'y a pas de différences là.
importance dans ce que je dis. Village. Après Mais ils habitent plutôt Saint-Priest.
quand tu dis ville, c'est autre chose. Mais quand tu
À l'époque je te parle. Mes copains d'avant
dis village, oh, tu respires. La gentillesse, les
c'était de toute nationalité et c'était vraiment génial.
promenades, les gens qui marchent...
Je voulais dire, l'endroit où ils habitaient.
Au village les gens sont plus gentilles
qu'au centre-ville ? Saint-Priest.
Et dans Saint-Priest, est-ce qu'ils je me souviens on jetait des cailloux pour que les
habitaient un quartier particulier ? noix tombent, on mangeait les noix blanches. C'est
Là où j'habitais, Diderot, Jean Jaurès, c'était un bon quartier là, pour moi.
toujours confiné, j'avais des copains extérieurs qui Et tu restais beaucoup dans les alentours de la
venaient... j'en avait mais on allait plus à Bourgoin, maison ?
à l'extérieur. Vraiment amis, ceux dont je te parle il Non non, on partait au château, on montait
y a deux arméniens, un espagnol, un italien, Sidali l'avenue Jean Jaurès, cette avenue elle est mythique,
et Fatih, donc ça fait six, c'était fabuleux. Et ce qui j'ai vécu des trucs formidables, sur cette avenue.
faisait notre force, parce que dans toutes les On bloquait les rues et des copains en moto ils
situations où on était, le rire c'était primordial, puis faisaient des courses ! Oh là là c'était merveilleux.
chacun avait son comique spécial, on rigolait bien. C'était chez nous, notre rue. Mais on le faisait
toujours avec... attention. Pas d'accidents, pas de
Et t'es encore en contact avec ces bêtises, on cassait rien, tu vois ? On a plus
personnes là ? l'impression maintenant qu'ils se foutent de tout,
Par téléphone. Moins par visu, parce que alors que avec un petit peu de clairvoyance de ce
chacun fait sa vie en fait. Les enfants, il y en a qui qui va se passer après, tu arriveras mieux à
se sont éloignés, quand je dis loin je parle à peu respecter ton alentours. Quand ils voient quelque
près soixante kilomètres. Il est resté sur le Rhône- chose de neuf, c'est toute de suite cassé. Ce qui est
Alpes. Mais j'ai toujours contact, oui. dommage. Le château c'était bien, t'arrivais au
château, donc on avait ce grand parc, était
Et quand tu habitais à Diderot, est-ce magnifique, on se posait, on se marrait, il y avait un
qu'il y avait des espaces communs, dans la magasin, on y passait on s'achetait une bière, une
cour, avec les autres bâtiments ? limonade on se faisait des panachés et après on
Oui. Ça faisait trois bâtiments, et au milieu il y avait montait au village, parce qu'on pouvait pas se payer
ce terrain de jeu et ce qui était bien est qu'on les boissons à l'intérieur et puis on était trop
pouvait basculer derrière l'autre bâtiment et là on jeunes. On n'a jamais été virés, jamais engueulés,
avait une grande pelouse où il y avait un grand jamais eu de la police, et ça faisait des balades, par
transformateur où on jouait au football, pour les contre on était à pied, alors, après avec les
poteaux. En face de Diderot, il y avait encore un mobylettes c'était autre chose. Là on se faisait
espace d'herbe où on jouait puis il y avait un noyer, engueuler parce que on faisait trop de bruit.

c) Micros-trottoirs
Vendredi 11 mai. des locataires, est-ce que vos envies ont trouvé
une solution ?
Oui, on a trouvé ce qu'il nous fallait.
Diderot Si ce n'est pas indiscret, vous allez habiter où ?
1. madame 40 ans avec enfants En centre-ville.
Vous habitez ici ? Ça veut dire...
Oui. Les bâtiments qu'ils sont en train de construire.
Depuis combien de temps ?
Quatre ans. 2. Monsieur 50 ans avec sa petite fille
Est-ce qu'il y a des endroits particuliers de Vous habitez en ce quartier là, Diderot ?
Saint-Priest, où vous vous sentez à l'aise ? Non, je suis venu voir ma fille.
Non, je me sens bien partout. Parce que j'aime Et vous habitez Saint-Priest ?
bien Saint-Priest. Oui.
Et pourquoi ? Quel quartier ?
On a grandi là. Centre-ville.
Dans ces immeubles ? Et quand vous dites centre ville de Saint-
Non, à la Pointe-joie, c'est un quartier. Priest, qu'est-ce que vous entendez ?
Et vous n'êtes pas concernée par les Pratiquement, c'est près de la mairie.
relogement. Et ça fait longtemps que vous habitez à Saint-
Si, si. Priest ?
Et comment vous vivez cette situation ? Oui.
Plutôt pas mal, parce qu'on voulait déménager. Est-ce qu'il y a des endroits que vous aimez
Je sais que la mairie a fait des enquêtes auprès bien de Saint-Priest, spécialement ?
Spécialement, non. vous aimez bien ?
Et vous allez jamais vous promener... ? À Bel Air, je n'aime pas trop.
Non, je vais jamais. Et votre lieu préféré à Saint-Priest, c'est
Et vous allez où alors ? lequel ?
Moi je vais à Lyon, je vais voir ma fille, chez moi, Normalement, ici. Pour moi, mes enfants, le
mais pas spécialement à Saint-Priest. respect...
Pourquoi ?
Ça m'intéresse pas. 4. jeune femme
Par contre est-ce qu'il y a des endroits où vous Depuis combien de temps tu habites ici ?
êtes mal à l'aise, où vous n'aimez pas rester... ? Saint-Priest depuis 86, le quartier depuis 2003.
Non, non pas du tout. Est-ce qu'il y a des endroits que tu aimes bien
Peut-être vous avez des souvenirs particuliers à Saint-Priest ? Auxquels tu es rattachée ?
dans quelque endroits de Saint-Priest... Le centre-ville.
Non, non, non, c'est vague. Moi, ça me plaît Saint- Qu'est-ce que c'est le centre-ville pour toi ?
Priest, parce que moi j'habite ici, mes parents ma J'ai grandi là-bas.
mère habite ici, c'est pour ça que j'y reste... Je suis Oui, mais qu'est-ce que tu entends avec
bien là ! centre-ville de Saint-Priest ?
Et vous êtes concerné par les relogements ? Bellevue, Les Alpes.
Vous savez, il y a... D'accord. Parce que tu as des souvenirs liés à
[la fille intervient] : ce bâtiment et l'autre parallèle. cet endroit.
Non, je ne suis pas concerné. Oui d’enfance. Des choses qui m'ont marquée
aussi.
3. Monsieur 50 ans, avec les deux petites T'ont marquée comment ?
filles. Des soucis familiaux.
Vous habitez à Saint-Priest. Et du coup c'est à la fois des souvenirs positifs
À saint-Priest, depuis 22 ans. et negatifs.
Dans ce bâtiment là ? Oui.
Ce bâtiment là, qui va être démoli, et c'est C'est tout concentré dans cet endroit là.
dommage. Oui, voilà.
Pourquoi ? Tu habites le quartier Diderot, du coup tu es
Parce que on est bien là. concernée par les relogements aussi.
Vous allez déménager où ? Voilà, c'est ça.
Je sais pas. Moi j'aime bien rester par là. Et tu sais déjà où tu vas aller ?
Et la mairie, ils sont venus vous chercher, pour Non, je sais pas encore. J'ai déménagé d'un quartier
demander... qui vont démolir.
Oui oui, bien sûr. Lequel ?
Et le relogement, comment vous le vivez ? Les Alpes.
Ça fait mal. C'est obligé, mais ça fait mal. Tu as déménagé des Alpes, ici.
Et pourquoi ça fait mal ? Ici, et je dois encore déménager.
Parce que on a l'habitude, on connaît tout le Et comment ça se fait que tu as déménagé...
monde, personne ne casse la tête, tu vois, c'est ...ils savaient pas encore qu'ils allaient démolir.
impeccable. Comment tu vie le fait que tu dois déménager
Avec les voisins, ça se passe bien. encore ?
Avec les voisins, tous par là, jusqu'à là-bas [il J'espère qu'ils vont pas me mettre dans un
indique les bâtiments], beaucoup de respect, bâtiment qui vont encore démolir, c'est tout.
quelqu'un il voit une femme qui a à porter, va lui Tu aurais des préférences de quartiers où
donner un coup de main pour trois quatre étages... aller ?
C'est comme de la famille, ce sont des quartiers, Non, mais pas Bel Air.
familials ! Et pourquoi ?
Vous aimeriez aller où ? Je sais pas, j'aime pas.
Moi j'aimerais bien rester ici ! Tu voudrais rester sur Saint-Priest ?
Oui mais, il faut partir... Oui.
...à Saint-Priest ! Et si tu vas te promener, tu vas à Saint-Priest,
Et vos voisins, ils ont déjà décidé ? quand tu as du temps libre ?
Il y en a qui sont partis à Mions, à Corbas... À Saint-Priest, mais aussi ailleurs.
Est-ce qu'il y a des endroits à Saint-Priest que Et à Saint-Priest, tu vas où ?
À Auchan. Pour les enfants. Là.
[l'autre femme] : les petits jardins.
5. 3 adolescents Vous amenez vos enfants ?
Ils habitent Diderot, Les Alpes, Bellevue. Oui.
Ils présentent eux-mêmes et Saint-Priest comme Et vous rencontrez des gens ?
un lieu où il n'est pas facile d'entrer, dangereux ; [l'autre femme] : Oui, les mamans et tout, avec les
pas pour moi parce que je suis étranger, mais pour petits enfants, et on joue ensemble... c'est bien.
quelqu'un d'un autre quartier, d'une autre bande [la première femme] : il y a l'ambiance.
oui, « il y a des histoires ».
Ils ont affirmé que à Saint-Priest il y a « la 2. Adolescente
racaille », à ma demande de m'expliquer ce terme, Vous habitez Saint-Priest ?
ils ont répondu en citant la délinquance, la mafia, le Oui.
shit. Depuis combien de temps ?
J'ai demandé, où ils amèneraient un ami qui n'est Dix ans.
pas de Saint-Priest qui vient leur rendre visite : « il Est-ce que tu as un endroit préféré à Saint-
reste avec nous », ils fumeraient la chicha Priest ?
ensemble. Non.
Et des endroits qui te mettent à l'aise ou mal à
6. Dame voilée l'aise ?
Elle déménage dans du neuf et reste dans le Non.
quartier, donc c'est bien. Elle cite les voisins Et tu es bien ou pas à Saint-Priest ?
actuels comme élément positif. Elle voulait rester à Je l'aime bien, mais... sans plus.
Saint-Priest. Si il y a un ami ou une amie qui vient te visiter
Il n'y a pas de lieux où elle se sent mal à l'aise, c'est à Saint-Priest, tu l'amènerais où ?
20 ans qu'elle habite ici, « il y a l'habitude ». Vers les Portes des Alpes.
Comme lieu qu'elle aime bien, le centre-ville, il y a Faire du shopping ?
les magasins, tout est à « proximité ». Oui, vers Auchan.
Pour elle, c'est bien de changer.
3. Dame 50 ans
Sortie d'école J.Brenier Vous habitez à Saint-Priest depuis combien de
temps ?
1. dame 50 ans qui s'occupe de la traversée
Vingt ans.
piétonne en face de l'école
Quel quartier ?
Vous habitez Saint-Priest, depuis combien de
Le centre.
temps ?
Qu'est-ce que vous entendez avec centre ?
Depuis 78
Mairie.
Quel quartier ?
Est-ce qu'il y a un endroit qui vous met à l'aise
Là, Bellevue, Georges Sand, en face de la mairie.
ou mal à l'aise à Saint-Priest ? Où vous aimez
Est-ce qu'il y a des endroits que vous aimez
bien rester, passer votre temps...
bien à Saint-Priest ? Vos endroits préférés ?
Non, non.
J'aime tout.
Il n'y a pas d'endroits où vous allez vous
Il n'y a pas d'endroits que vous aimez plus que
promener... ?
d'autres ?
Au centre, non. Sur Saint-Priest ? Non, non plus.
C'est l'école.
Et vous êtes plutôt mal à l'aise à Saint-Priest ?
Et pourquoi ?
Il n' y a pas d'endroits où on se trouve bien.
Je suis tout le temps là. 32 ans je suis là. Mes
Et pourquoi à votre avis ?
enfants étaient là, je m'habitue à l'école.
Parce que c'est sale.
Est-ce qu'il y a des endroits qui vous mettent
Est-ce que vous avez des endroits auxquels
un peu mal à l'aise à Saint-Priest ?
vous rattachée au niveau affectif ? Si vous avez
Non non non.
des souvenirs peut-être.
Et qui vous mettent à l'aise, par contre ? Vous
L'ancien centre. Le village.
pouvez faire un exemple ?
Et pourquoi ?
Par exemple, le château c'est bien.
Parce que c'était plus intime.
[une autre femme intervient] : les petits jeux, les
Et vous avez habité là-bas ?
petits parcs aussi...
Non. J'ai connu ce centre, avant c'était le centre,
Les petits parcs... ?
parce qu'on avait la mairie, on avait tout. C'était
plus agréable. Place Molière. C'est juste à coté.
Pourquoi à votre avis c'était mieux ? Le square, vous parlez de quel square ?
C'était moins grand. C'était plus rural. Maintenant Le square qui est juste là [elle indique], le jardin
c'est la ville. d'enfants.
Vous êtes concernée par les relogements ? Est-ce qu'il y a des endroits, outre celui-ci, qui
Non. vous mettent à l'aise à Saint-Priest, où vous
aimez passer votre temps libre par exemple ?
4. Dame 62 ans. En bas de chez moi. Pareil. La place Molière.
Vous habitez à Saint-Priest ? Au contraire, est-ce qu'il y a des endroits où
Oui, je suis née à Saint-Priest. Ça fait 62 ans. Et vous n'aimez pas beaucoup passer ou rester ?
mes parents sont italiens naturalisés en France, Le centre-ville.
mais ils sont morts. C'est-à-dire ?
Pourquoi ils étaient venus à Saint-Priest ? Il n'y a pas de place pour se garer et... quand j'y
Pour travail aussi, à l'époque. vais c'est un peu embêtant.
De quelle région de l'Italie ? Quand vous dites centre-ville, vous entendez...
Ma mère était de Venise et mon père était de ...la mairie.
Parme. Vous n'aimez pas parce qu'il n'y a pas de
Est-ce que vous aimez Saint-Priest comme place pour se garer et... d'autres raisons aussi
ville ? ou pas ?
Parce que mes parents sont venus là et puis ben, je Non, juste ça en fait.
suis née là, donc je suis habituée à Saint-Priest et Et vous habitez Saint-Priest depuis combien
puis c'est une ville qui est quand-même agréable. Il de temps ?
y a tout, magasins, les transports et tout. Six ans.
Quand vous avez du temps libre vous le passez Du coup vous n'avez pas tellement de
à Saint-Priest ou plutôt à Lyon ou plutôt dans souvenirs, j'imagine.
d'autres... Non.
...des fois, l'hiver je vais sur Lyon faire un peu les
magasins, Saint-Priest ben il y a les piscines tout ça, 6. Couple sur la quarantaine
sinon je pars au camping, vous voyez... Vous venez d'arriver à Saint-Priest.
Vous habitez quel quartier à Saint-Priest ? Oui
Quartier de la gare. Et comment la ville vous paraît ?
Est-ce qu'il y a un endroit particulier que vous On vient de la campagne, donc ça nous fait bizarre
aimez à Saint-Priest ? Dans le sens, où ?
Non, pas particulier. J'aime bien tous les endroits Où on était, il n'y avait personne.
mais particulier non, pas spécialement. Et du coup pour le moment, vous devez vous
Vous n'avez pas un souvenir, peut-être. habituer encore ?
Où je suis née, la Cité Maréchal, mais qui n'existe On s'y fait pas ici. On va déménager. On repart à la
plus maintenant. C'est un quartier où je vie quand- campagne.
même encore, mais c'est des bâtiments maintenant. Qu'est-ce qu'il y a de Saint-Priest, de la ville,
Avant c'était des grandes maisons et tout. qui vous plaît pas ?
Par contre, est-ce qu'il y a des endroits qui Trop de monde, trop de monde.
vous mettent plutôt mal à l'aise, où vous Et vous êtes venus ici pour travail ?
n'aimez pas passer ou rester ? Non, non. On était à Meyzieu, puis on est allé en
Le quartier Bel Air j'aime pas trop passer. Si, vers Saône-et-Loire, la région était jolie mais moi je
la mairie, si j'aime bien. Le village est bien aussi. voyais pas ma famille la semaine, on a décidé de
Et pourquoi ? revenir sur Lyon, là on repart, soit dans l'Ain, soit
Parce que c'est animé, on se sent en sécurité, on est dans l'Isère. En maison. Là, là on a un appartement
bien. C'est bien animé et tout. et on s'y fait pas !
Qu'est que vous appréciez de vivre dans une
5. Jeune dame maison plutôt que dans un appartement ?
Vous habitez Saint-Priest ? Jardinage, être dehors, manger dehors, voilà.
Oui. [sa femme] : le voisin qui passe.
Quel quartier ? [lui] : t'as le voisin...
d) Outils développés pour les ateliers Robins des Villes

Carte mentale

Dessine-moi ton centre-ville...


Les Robins de Villes cherchent à construire une balade urbaine qui traverse le centre-ville. Pour
cela, nous cherchons l'avis des habitants, pour repérer les lieux les plus aimés, les plus détestés ;
les lieux où, selon vous, il faut passer et s'arrêter, pour représenter le centre-ville.
Nous vous proposons de dessiner une carte mentale. Il s'agit d'une carte spéciale où on n'affiche
pas les distances et les toponymes officiels, mais votre image du centre-ville de Saint-Priest.
Nous vous proposons de suivre les 3 étapes suivantes :
1. CONSTRUCTION D'UN MAILLAGE DE FOND
quels sont les limites du centre-ville ?
quels sont les voies et les chemins principaux ?
Quels sont tes points de repère ?
Cela permet de fixer un maillage de fond.
Outils à utiliser : feutre et marquer noir.
2. REPERAGE ET PLACEMENT DES LIEUX DE « TON » CENTRE-VILLE
On te propose de faire une liste de tous les lieux que tu aimerais afficher : où tu passes ton temps
libre, où tu rencontres tes ami(e)s, les lieux que tu connais ou connais pas, qui te mettent à l'aise
ou mal à l'aise... tous ceux que tu veux !
Une fois que tu as complété cette liste, tu peux commencer à positionner ces lieux dans le fond
de carte (le « maillage ») que tu as déjà dessiné.
Cela permet de personnaliser la carte, en plaçant les lieux qui forment ton image de centre-ville.
Outils à utiliser : stylo.
3. HABILLAGE DE LA CARTE
Maintenant il s'agit de trouver un code pour communiquer les raisons du choix : qu'est-ce qui
représentent ces lieux pour vous ? Vous devez essayer de faire comprendre le sens de votre carte
à un lecteur quelconque.
Vous pouvez utiliser :
des textes, qui indiquent le nom des endroits et les activités que tu y fais ;
des couleurs, correspondant aux différentes activités ou pour embellir la carte ;
des photos, des collages, des petits objets ...
Outils à utiliser : tout le matos de bricolage !
Carte mentale du centre-ville de Saint-Priest, dessinée par un adolescent lors de
l'atelier au centre social L'Olivier le 30 mai 2012
Photo-interview
Cet outil consiste à proposer des images du quartier, réalisées par le photographe David
Desaleux, aux participants et à leur demander de réagir, en faisant des commentaires ou en
exprimant l'appréciation par des « pouces facebook » :

Photo-interview du groupe d'adolescents rencontrés lors de l'atelier du 30 mai


2012 au centre social L'Olivier
Résumé
L'amélioration des conditions de vie en milieu urbain représente un défi de plus en plus complexe pour les
administrateurs et les experts des villes. Les approches traditionnelles, basées sur le couple
élu/professionnel, sont remises en cause par des approches qui valorisent la légitimité technique et
politique des habitants et usagers de la ville. Ces derniers sont considérés comme porteurs d'une capacité à
améliorer les aménagements et à donner une plus grande légitimité aux choix, grâce à un partage du
processus décisionnel. Ce travail étudie les apports d'une approche ethnographique aux démarches
d'urbanisme participatif, par le biais d'une étude de cas sur les usages de l'espace urbain en une unité
paysagère de grands ensembles, à Saint-Priest, ville de l'agglomération lyonnaise. Après une caractérisation
de la zone d'étude selon des critères paysagers, sont analysées les relations entre individus et lieux en deux
espaces résidentiels et un espace public. Les résultats montrent qu'une urbanité différente de celle des villes
traditionnelles est à l'œuvre. L'application d'une approche ethnographique à l'espace urbain permet enfin
de formuler des préconisations pour l'amélioration des méthodes d'urbanisme participatif.
Mots-clés : ethnographie de l'espace urbain ; paysage urbain ; urbanité ; Saint-Priest ; Robins des Villes ;
droit à la ville.

Riassunto
Il miglioramento delle condizioni di vita in ambito urbano rappresenta una sfida sempre più complessa per
gli amministratori e gli esperti della città. Gli approcci tradizionali, basati sul binomio rappresentanti
politici/professionisti, sono messi in questione da approcci che valorizzano la legittimità tecnica e politica
degli abitanti e utenti dello spazio urbano. Questi ultimi sono considerati come portatori di una capacità a
migliorare i progetti urbani e a fornire maggiore legittimità alle scelte, grazie a una condivisione del
processo decisionale. Questo lavoro indaga gli apporti di un approccio etnografico alle pratiche di
urbanistica partecipata, per mezzo di uno studio sugli usi dello spazio urbano in un'unità paesaggistica di
grandi edifici residenziali, a Saint-Priest, città dell'area metropolitana lionese. Dopo una caratterizzazione
dell'area di studio secondo criteri paesaggistici, vengono analizzate le relazioni tra individui e luoghi, in
due spazi residenziali e uno spazio pubblico. I risultati mostrano che un' urbanità diversa da quella delle
città tradizionali è presente. L'applicazione di un approccio etnografico allo spazio urbano permette infine
di formulare delle proposte di miglioramento dei metodi di urbanistica partecipata.
Parole chiave : etnografia dello spazio urbano ; paesaggio urbano ; urbanità ; Saint-Priest ; Robins des
Villes ; diritto alla città.

Abstract
The improvement of living conditions in the urban context represents a more and more complex challenge
for cities' decision makers and experts. Traditional approaches, based on the alliance of political
representatives and technical professionals, are questioned by approaches developing technical and
political legitimacy of urban space inhabitants and users. The latter are considered as holders of a capability
to improve urban plans and give greater legitimacy to decisions, thanks to a shared process. This work
studies the contributions of an ethnographic approach to participative town planning processes, by means
of a study case on urban space practices in a large housing estate landscape unit , in the town of Saint-
Priest, in the urban area of Lyon. Having characterized the study zone by an urban landscape classification,
relations between individuals and places are analysed, in two residential spaces and one public space.
Results show that an urban life different from that of traditional cities is developing. The ethnographic
approach of urban space applied here, finally allows us to make some propositions in order to improve
participative town planning methods.
Key-words: urban space ethnography; urban landscape; urban life; Saint-Priest; Robins des Villes; urban
rights.

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