Vous êtes sur la page 1sur 316

THÈSE

En vue de l’obtention du

DOCTORAT DE L’UNIVERSITÉ DE TOULOUSE

Délivré par : Université Toulouse 3 Paul Sabatier (UT3 Paul Sabatier)


Cotutelle internationale : Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD)

Présentée et soutenue le 10/07/2014 par :

Yangane DIONE
PARTICIPATION DU PUBLIC ET POLITIQUES D’ACCÈS À L’EAU POTABLE EN MILIEU RURAL SÉNÉGALAIS
LES ASSOCIATIONS D’USAGERS DES RÉSEAUX D’EAU POTABLE DANS LA RÉGION DE SAINT LOUIS

JURY
Marie Gabrielle SURAUD – Professeure en sciences de l'information et de la communication, Université
Toulouse 3 Paul Sabatier (UT3 Paul Sabatier)
Alioune KANE – Professeur de géographie, Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD)
Stefan BRATOSIN – Professeur en sciences de l'information et de la communication, Université Paul Valéry
Montpellier 3
Amadou DIOP – Professeur de géographie, Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD)
Denis SALLES – Directeur de Recherche Sociologie, IRSTEA

Ecole doctorale et spécialité :


ALLPH@ : Sciences de l’information et de la communication

Ecole doctorale de cotutelle :


EDEQUE
Unité de Recherche :
CERTOP (UMR 5044, CNRS, U2J, UPS)

Directeur(s) de Thèse :
Marie Gabrielle SURAUD et Alioune KANE
Rapporteurs :
Denis Salles et Amadou DIOP
Participation du public et politiques d’accès à l’eau potable en milieu rural sénégalais

Les Associations d’Usagers des Réseaux d’Eau Potable dans la région de Saint Louis

Ce travail propose une analyse communicationnelle des dispositifs de gestion des réseaux
d’eau potable dans la région de Saint Louis. Partant d’une étude de cas, celle de l’ASUREP de
Lampsar, nous montrons que la proximité territoriale et culturelle n’engendre pas de façon
mécanique la prise de parole publique des villageois dans les débats locaux mis en place par
les autorités politiques. En outre, ces débats publics institutionnels tendent à accentuer les
désaccords. Ces contestations s’expriment alors au sein des associations mais aussi dans les
espaces traditionnels d’échange (la rue, le marché, le lac, la borne-fontaine…). La
multiplication des espaces publics autonomes dans les villages, notamment l’espace
associatif, contribue à une évolution des formes d’intervention des populations à la vie
politique. Ces dernières engagent des actions qui rompent avec les traditions (barrage de
route, destruction de biens « publics »…). Ces formes de mobilisation révèlent l’émergence
d’un « espace public » et sa tendance à l’autonomisation vis-à-vis des autorités politiques et
traditionnelles (chef de village, chef religieux…)

Mots clefs : communication, ASUREP, eau potable, participation, milieu rural, Sénégal.

Public participation and policies for access to drinking water in the rural areas of Senegal.The
associations of the users of drinking water networks in the region of Saint Louis

This thesis is an attempt to analyse how communication is carried out by drinking water
management agencies in the Saint Louis region, Senegal. Based on a case study, that of
Lampsar's ASUREP (Association of the users of drinking water networks), it shows that
territorial and cultural proximity does not automatically encourage villagers to speak during
local dabates organized by the public authorities. Besides, these institutional public debates
tend to intensify misunderstanding. These disagreements are then expressed in associations'
meetings, and also in traditional meeting places (the street, the marketplace, the lake, the
drinking fountain, etc.). The multiplication of the autonomous public spaces in villages,
especially associations, contribute to change the forms in which populations are involved in
public affairs. They undertake actions that go against traditional practices (blocking roads,
damaging « public » utilities...) These forms of demonstration show the emergence of a «
public space » seeking its own independence from political and traditional authorities (chief
of village, religious leader...).

Key words: communication, ASUREP, drinking water, participation, rural area, Senegal
Dédicace

Je dédie ce travail à mes parents. Mais plus particulièrement à ma mère, cette femme
formidable qui a fait beaucoup de sacrifices pour financer une grande partie de mes études
primaires et secondaires.

Je me suis souvenu de ton courage sans cesse et de ton optimisme pour dépasser à chaque fois
les difficultés rencontrées durant ce travail.

Merci pour ta bienveillance et pour tous les efforts consentis.


Remerciements

Je tiens à remercier toutes les personnes qui ont contribué d’une manière ou d’une autre à la
réalisation de ce travail.

Une pensée particulière pour mes directeurs de thèse Marie Gabrielle Suraud et Alioune
Kane. Vos relectures, vos remarques, vos conseils, vos suggestions et vos soutiens ont été
essentiels pour l’avancement et l’aboutissement de ce travail.

Je veux remercier aussi Amadou Diop, Denis Salles et Stefan Bratosin qui ont accepté de faire
partie de mon jury de soutenance.

A l’équipe ECORSE du CERTOP, un grand merci. Vos encouragements, vos conseils et les
échanges multiples ont représenté une aide considérable pour moi.

Merci à mes collègues doctorants de l’équipe ECORSE sans qui les moments de désespoirs
auraient été plus difficiles à dépasser. Vos soutiens m’ont permis de tenir bon et de relativiser
les difficultés.

Aux autorités sénégalaises, à Monsieur Oumar Sakhogui Ndiaye, conseiller technique au


Ministère de l’Hydraulique, à Monsieur Ousmane Thiam, Président du CETUD, à Monsieur
Diallo du PEPAM, merci pour vos disponibilités et vos multiples recommandations.

Je veux exprimer ma gratitude également à mon laboratoire d’accueil de Dakar « Hydrologie


et Morphologie ». A Awa Niang pour son accueil et sa disponibilité, aux doctorants de l’Ecole
Doctorale Eau Qualité et Usages de l’Eau (EDEQUE), à Bassirou Diatta en particulier qui a
facilité mon intégration. Je tiens aussi à remercier Adrien Coly et ses doctorants. A plusieurs
reprises, ils m’ont facilité le travail en m’accueillant dans leurs locaux à Saint Louis.

Mon travail de thèse n’aurait pas débuté sans le soutien de ma sœur Aïssatou Dione, de Benoît
Ndour et son épouse Véronique Dione. Ils ont été présents tout au long de mon parcours et
ont participé considérablement à l’aboutissement de ce travail.

Je veux saluer aussi le soutien régulier de Géraldine Caplot, de Magaly Morsière et leurs
familles respectives. J’ai pu compter sur elles pendant les moments difficiles.
Une pensée à Jean Marie Dembélé et son épouse Pauline, à Joseph Ndione pour leur accueil
pendant mon séjour à Saint louis. Je n’oublie pas la sympathie et l’hospitalité de Badara Seck
et son épouse ainsi que la disponibilité de tous les membres de la FASUREP de Saint Louis.

Une attention particulière à mes collègues « CRDOCiens » : Anne, Gaëlle, Nacima, Johanna,
Maïté, Cécile C., Cécile T., Michel, Stéphanie, Florence ; à Catherine du CDRSHS. Merci
pour les encouragements, les soutiens et les différentes relectures.

Merci à mes collègues géographes, notamment Pape Diatta, Simon Goudiaby, Yaram Diop,
pour la réalisation des cartes d’illustration.

Un grand remerciement à Thérèse Ndour, à Jean Ndour, à Victor Weber, à Francine Rifaut, à
Adrien, à Marie, à Florian, à Emmanuel, à Lamine Ndiaye, pour les relectures et les
différentes remarques.

Je pense à tous les échanges et belles rencontres effectués pendant ces années de recherches,
ils ont été d’une grande importance dans la réalisation de ce travail.

Si je suis arrivé au bout de ce long chemin, c’est aussi grâce à vous.


Sommaire
Introduction générale : La question de l’accès à l’eau potable en milieu rural sénégalais ..... 7

PARTIE 1 : Une approche communicationnelle de la participaticipation civique ............... 15

CHAP 1 : La gestion des réseaux d’eau potable en milieu rural sénégalais.......................... 16


CHAP 2 : La communication comme cadre théorique et méthodologie ............................... 33

PARTIE 2 : La participation du public dans les politiques étatiques au Sénégal : formes et


enjeux dans le domaine de l’eau. .................................................................................... 49

CHAP 3 : Histoire de la participation au Sénégal : influences internationales et dynamiques


locales. .................................................................................................................................. 50
CHAP 4 : Evolution politique et économique de la politique d’accès à l’eau potable en
milieu rural sénégalais. ......................................................................................................... 81

PARTIE 3 : Effets « communicationnels » du débat public : engagement civique et mutation


des formes d’expression et d’intervention des usagers ...................................................131

CHAP 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales.
Le cas de l’ASUREP de Lampsar (2006-2013) ..................................................................... 132
CHAP 6 : Evolution des formes de mobilisation des usagers : de la « contestation muette »
à l'expression publique . ..................................................................................................... 235

Conclusion générale : Renforcement du « système » ou vitalisation de l’ « espace public


autonome » ? ....................................................................................................................... 266

BIBLIOGRAPHIE ................................................................................................................... 270


TABLE DES MATIERES.......................................................................................................... 290
TABLE DES ILLUSTRATIONS ................................................................................................. 296
SIGLES ET ABREVIATIONS.................................................................................................... 298
ANNEXES ............................................................................................................................. 301
Introduction générale

Introduction générale

La question de l’accès à l’eau potable en milieu rural sénégalais

La volonté de l’Etat sénégalais de renforcer le débat entre les différents usagers des
réseaux d’eau potable s’est traduite en milieu rural1 par la création d’associations d’usagers
dans le cadre d’une « Réforme du Système de Gestion des Forages Motorisés Ruraux »
(REGIFOR) en 1997. Dans les localités où les populations s’approvisionnent à partir de
forages utilisant essentiellement la ressource souterraine, l’Etat a mis en place des
Associations d’Usagers de Forages (ASUFOR) en charge de la gestion et du partage de l’eau
au quotidien.

Dans la région de Saint Louis où les eaux de surface (lac de Guiers, fleuve Sénégal,
Gorom Lampsar) constituent la première source d’approvisionnement, l’Etat a créé des
« stations de traitement d’eau » pour satisfaire la demande en eau potable des populations
riveraines. Ces stations utilisent spécialement l’eau de surface. Cette eau, une fois pompée, est
traitée par des procédés chimiques et techniques afin de la rendre propre à la consommation.
Ce mode d’approvisionnement consiste à alimenter en eau potable plusieurs villages à partir
d’une seule « station de traitement d’eau » appelée « station centre ». Les associations
d’usagers en charge de la gestion de ces « stations de traitement d’eau » sont appelées dans la
région de Saint Louis Associations d’Usager des Réseaux d’Eau Potable (ASUREP). Elles ont
les mêmes prérogatives et les mêmes objectifs que les ASUFOR.

Ces dispositifs (ASUFOR/ASUREP) ont institutionnalisé la participation des


populations dans la gestion des réseaux d’eau potable en milieu rural sénégalais. A travers des
assemblées générales annuelles exigées par l’Etat, les usagers de l’eau ont la possibilité de
discuter des règles communes de gestion de leur réseau d’eau. Ainsi, par le débat public, les
populations desservies par le même réseau sont supposées fixer les horaires d’ouverture des
bornes-fontaines2 et définir le prix de l’eau et nommer les fontainiers chargés de la
distribution de l’eau au quotidien, notamment. L’Etat vise, par le développement de ces

1
Sont considérées comme rurales les agglomérations de moins de 5000 habitants. Selon le dernier recensement
de 2013, 55% de la population sénégalaise vit en milieu rural.
2
Une borne-fontaine est un point d’eau public. Elle est gérée par un fontainier ou une fontainière. L’eau y est
vendue au détail.

7
Introduction générale

dispositifs, à responsabiliser les populations et à renforcer leurs prises de parole dans les
débats liés à l’accès à l’eau potable.

Le développement de ces dispositifs de débat dans les villages sénégalais s’ancre dans
des pratiques spécifiques à chaque région. Ainsi, les nouvelles formes d’accès à la parole que
ces dispositifs ont engendrées, les formes de débat qu’elles ont institutionnalisées et les
nouvelles règles de distribution de l’eau qu’elles ont instaurées se heurtent à des modes de
débat et de prise de décision et d’organisation propres aux territoires ainsi qu’à des habitudes
de partage de l’eau historique dans les villages :

« Toute intervention extérieure de type volontariste, qu'elle vise à implanter de


nouveaux modes de gestion, de nouvelles règles juridiques, de nouvelles formes
d'autorité et de légitimité ou de nouvelles techniques de production ne trouve
jamais un terrain institutionnel vierge, mais elle investit des arènes
sociopolitiques locales complexes, déjà structurées et traversées par des groupes
stratégiques aux intérêts multiples et parfois contradictoires »3 .

Les ASUFOR et les ASUREP sont relativement peu étudiées par les sciences de la
communication. En revanche, elles font l’objet de différents travaux en sociologie, en
géographie et en anthropologie. Ces travaux, notamment en sociologie, se focalisent sur les
conflits générés par ces dispositifs (Dia, 2002 ; Diop, 2008 ; Bonnassieux, 2010). Dans la
plupart de ces travaux, la question centrale est celle de la pérennité de la ressource. Si les
ASUFOR et les ASUREP sont interrogées, c’est par rapport à leur capacité à favoriser une
gestion durable de la ressource en eau. La question démocratique au sens de l’ouverture des
débats aux citoyens ordinaires est peu traitée. Certains d’entre eux attirent d’ailleurs
l’attention sur le risque de favoriser la participation de ces citoyens au détriment d’une gestion
en quantité et en qualité de la ressource en eau.

D’autres travaux vont aborder le fonctionnement des dispositifs participatifs du point


de vue de la gouvernance. C’est le cas des travaux réalisés par Sène (2008) sur le
développement durable dans la vallée du fleuve Sénégal. Son analyse est faite sous l’angle de
la participation des groupes organisés, telles que les fédérations paysannes, les associations
d’agriculteurs, les sociétés d’Etat, les sociétés privées, les ONG. La question que l’auteur pose
3
Blundo G., 1998, « Logiques de gestion publique dans la décentralisation sénégalaise : participation
factionnelle et ubiquité réticulaire », Bulletin de l’APAD, n°15, mis en ligne le 20 décembre 2006, consulté le
05 mars 2010, URL : http://apad.revues.org/.

8
Introduction générale

est de savoir comment ces groupes d’individus organisés et partageant des intérêts plus ou
moins semblables participent aux politiques de développement durable dans la vallée du
fleuve Sénégal.

Dans la même perspective Coly (2003) suggère d’impliquer plus fortement des
associations d’élus dans la gestion de la ressource en eau ainsi que des organisations
communautaires locales dans le but de favoriser une gestion équilibrée et écologique de la
ressource en eau. L’auteur souligne la nécessité d’impliquer dans la gestion de l’eau les
groupes organisés et les institutionnels, c’est-à-dire les organisations paysannes, les
associations d’élus et les Associations Régionales des Conseillers Ruraux (ARCR). La
participation des citoyens n’appartenant pas à des structures civiques organisées n’est jamais
privilégiée.

Les travaux existant en anthropologie analysent généralement les dispositifs de gestion


des réseaux d’eau en termes de construction de « bien public » ou d’« intérêt public ». Ces
travaux tentent de répondre à un certain nombre de questions : les dispositifs de gestion
participatifs favorisent-ils la gestion collective d’un bien commun (forage, par exemple) ? Ces
dispositifs renforcent-t-ils la construction d’un « bien public » ? Des études de cas réalisées
dans les pays africains apportent des réponses mitigées (Olivier de Sardan, 2000 ; Tidjiana,
2006 ; Répussard, 2011).

De façon générale, l’ensemble de ces travaux n’abordent pas les conditions d’accès
aux débats et la participation des citoyens ordinaires. Certains travaux (Aquino, Camara,
Diop, 2002) vont jusqu’à affirmer que les citoyens ordinaires ne peuvent pas participer à la
gestion de l’eau parce qu’ils ne maîtrisent pas suffisamment les enjeux qui accompagnent les
projets de gestion de la ressource en eau. Pour ces auteurs, la participation directe aux débats
des citoyens fait courir le risque de manipulation par les « porteurs de projets », notamment
l’Etat, les ONG et les bailleurs de fonds. Ils suggèrent ainsi, de privilégier une participation
des représentants des différentes catégories d’usagers et des associations faisant l’hypothèse
que ces représentants sont mieux informés et davantage en mesure de discuter les enjeux des
projets. En outre, l’ensemble des travaux n’abordent jamais les effets des dispositifs
participatifs.

Il s’agit de prendre en compte cet aspect dans ce travail. L’analyse s’appuie sur les
ASUREP de la région de Saint Louis et plus particulièrement sur celle du village de Lampsar.

9
Introduction générale

Nous allons, ainsi, étudier, à la fois, les formes et les conditions d’accès des citoyens
ordinaires aux débats qui président à la définition des règles d’usage de l’eau potable et
les effets des dispositifs de débat public dans l’« espace public autonome » tel qu’il est
défini par Suraud (2007) :

« L’espace public autonome est propre à la société civile, c’est-à-dire au tissu de


groupes associatifs et syndicaux s’érigeant face au « système » ».

De ce point de vue, notre objectif consiste à montrer comment le débat


institutionnalisé dans l’ASUREP favorise les prises de parole et l’engagement des populations
dans la vie locale et politique. En retour, il s’agira de repérer comment la dynamique des
villageois dans l’ « espace autonome » pèse dans les débats et les prises de décisions liés au
fonctionnement des bornes-fontaines.

Cette approche communicationnelle s’appuie, d’une part, sur le concept de


communication tel qu’il est défini par Habermas (1987). Ainsi, nous n’envisageons pas la
communication comme une interaction médiatisée par les nouvelles techniques de
l’information et de la communication (Miège, 2010) ou comme une diffusion d’information
ou encore comme une négociation. Elle est ici conceptualisée comme condition d’entente
sociale. Elle renvoie à la formation d’un accord sur des thèmes ou des valeurs à caractère
universel, par exemple, l’accès à l’eau potable, le respect de l’environnement, la lutte contre
les maladies, la lutte contre la pauvreté :

« Je parle d’actions communicationnelles, lorsque les plans d’actions des


acteurs participants ne sont pas coordonnés par des calculs de succès
égocentriques, mais par des actes d’intercompréhension. Dans l’activité
communicationnelle, les participants ne sont pas primordialement orientés vers le
succès propre; ils poursuivent des objectifs individuels avec la condition qu’ils
puissent accorder mutuellement leurs plans d’actions sur des fondements de
définitions communes de situations »4. (Habermas, 1987, p. 395)

D’autre part, notre approche s’inspire des travaux de l’équipe Communication, Risque,
Santé et Environnement, notamment ceux de Marie Gabrielle Suraud dans le laboratoire
CERTOP. L’apport de ces travaux en sciences de la communication est d’avoir montré la

4
Habermas J, 1987, op. cit., p. 395

10
Introduction générale

façon dont l’espace institutionnel de débat « structure et revitalise l’espace public autonome »
propre aux organisations civiques :

« La portée démocratique des débats institutionnels se situe alors tant au niveau


de leur capacité à faire passer des points de vue « civiques » dans la décision,
qu’au niveau de leurs « effets » en retour sur la formation et la structuration de
l’espace public autonome » (Suraud, 2007, p.12)

La question qui guide notre réflexion est la suivante : quels sont les effets des
dispositifs de débat public mis en place dans le cadre de la réforme de 1997 (création des
ASUFOR/ASUREP) sur l’ « espace publique autonome » ? Cette question renvoie à plusieurs
aspects. En quoi la création des dispositifs de débat mis en place par l’Etat entre en tension
avec :

 Les pratiques historiques de discussion et de confrontation entre villageois


 Les légitimités locales traditionnelles
 Les modes d’intervention et de mobilisation traditionnels des populations

Nous analyserons dans cette perspective le cas de l’ASUREP de Lampsar.


L’hypothèse que nous proposons de questionner est la suivante : les ASUREP telles qu’elles
sont mises en place en milieu rural, favorisent l’émergence d’autres espaces de débat
autonomes dont le contrôle échappe aux autorités politiques et traditionnelles (notables, chefs
de village, imams). Les villageois ne s’expriment pas sur le fonctionnement des réseaux d’eau
potable lors des séances de débat institutionnel, débats cadrés par les autorités politiques. Ils
s’expriment, en revanche, dans des espaces plus « autonomes », au sein des associations ou
dans les lieux traditionnels d’échange (le marché, le lac, la borne-fontaine, etc.). Ces échanges
dans « l’espace public autonome » ont pour effet la formation d’une solidarité entre les
usagers de l’eau qui favorise elle-même, l’engagement dans des actions de contestation et des
mobilisations civiques.

11
Introduction générale

Structure générale

Notre travail est composé de trois parties. Dans la partie 1, nous présentons le contexte
de l’étude et le cadre théorique dans lequel nous nous inscrivons. Dans la partie 2, nous
analysons l’histoire de la participation et ses rapports à la politique de l’eau au Sénégal. La
partie 3 présente nos résultats. Chacune de ces parties est constituée de deux chapitres.

Partie 1 :

Dans le chapitre 1, nous présentons la situation de l’accès à l’eau potable en milieu


rural. Celle-ci est marquée par des inégalités entre les populations vivant en zone rurale et
celles qui habitent dans les villes. Ces inégalités existent aussi entre les régions et entre les
localités d’une même communauté rurale. Il s’agit également de traiter des raisons qui ont
motivé le choix de l’accès à l’eau potable comme objet d’étude et la région de Saint Louis
comme terrain.

Le chapitre 2 rend compte de l’approche communicationnelle adoptée dans ce travail.


Celle-ci s’appuie sur le concept de « communication » développé par Habermas J. dans sa
théorie de l’agir communicationnel (1987). Elle s’inspire aussi des travaux de Marie Gabrielle
Suraud sur l’ « espace publique autonome » et notamment sur le renforcement de celui-ci par
la création d’espaces institutionnels de débat par les autorités. Il s’agit aussi de décrire les
méthodes de recueil de données et d’analyse de matériaux que nous avons choisies. Il sera
question également des difficultés rencontrées sur le terrain et les stratégies d’adaptation
adoptées.

Partie 2 :

Le chapitre 3 analyse l’histoire de la participation du public au Sénégal. Cette


participation s’appuie sur un contexte environnemental en forte dégradation. La
multiplication des problèmes environnementaux a favorisé l’émergence du parti écologique
sénégalais qui a été relativement influent dans le développement de la participation. Il défend
l’idée selon laquelle la résolution des problèmes environnementaux nécessite l’implication
des populations concernées. L’approche participative s’est développée aussi grâce à l’action
d’ONG internationales porteuses de projets de développement dans le domaine de l’eau et de
l’environnement. La réalisation de ces projets se fait à travers l’expérimentation de dispositifs
participatifs recommandés par ceux qui financent les projets, notamment, la Banque

12
Introduction générale

Mondiale, le Fond Monétaire Internationale, l’Agence Française de Développement, etc. La


participation est également renforcée par l’Organisation pour la Mise en Valeur du Fleuve
Sénégal (OMVS) qui adopte, de plus en plus, des textes législatifs et des instruments de
gestion de l’eau (PGIRE, SDAGE) en faveur de la participation et incite les Etats membres,
dont le Sénégal, à inscrire leurs actions en matière de gestion de l’eau dans un cadre
participatif.

Dans le chapitre 4, nous traitons de l’évolution des politiques d’accès à l’eau potable
au Sénégal. Cette évolution, notamment en milieu rural, est marquée par trois phases dont
chacune accorde une place plus ou moins importante à la participation des populations. L’Etat
et son administration décident des règles de fonctionnement des points d’eau potable
jusqu’aux années 1983. A partir de 1984, deux dispositifs de gestion de l’eau ayant des enjeux
différents vont être mis en place par l’Etat. Le premier appelé Comité de Gestion de Forage
(CGF) vise plus à faire contribuer financièrement les usagers aux frais de fonctionnement de
leur forage ainsi qu’à les responsabiliser. Le second, les Associations d’Usagers de Forages
ou Associations de Réseaux d’Eau potable, a pour objectif de les impliquer dans les débats et
prises de décisions relatifs aux réseaux d’eau potable. Dans cette évolution, il n’existe pas de
ruptures claires. Généralement, les règles de gestion des réseaux d’eau supposées être
dépassées à travers l’élaboration d’un nouveau dispositif persistent malgré les exigences de
l’Etat pour entériner de nouvelles formes de gestion.

Partie 3 :

Le cinquième chapitre porte sur le fonctionnement de l’ASUREP du village de


Lampsar, son rapport aux populations et ses effets sur l’amélioration du service de l’eau
potable. Nous interrogeons la façon dont les débats publics organisés par l’ASUREP
favorisent l’ « exportation des désaccords » dans l’espace associatif villageois et dans d’autres
espaces publics autonomes comme les rencontres au marché, celles autour des bornes-
fontaines et au bord du lac. Nous allons montrer également qu’il n’y a pas une relation
évidente, telle qu’elle est présupposée par les autorités, entre la participation des
populations et l’amélioration de leurs conditions d’accès à l’eau potable.

Dans le chapitre six, l’analyse porte sur la remise en cause des ASUREP par les
populations et sur les formes de mobilisation engagées pour exprimer les désaccords. Selon
les autorités étatiques, l’ASUREP vise à réduire les conflits entre les usagers de l’eau. La mise

13
Introduction générale

en place d’un espace débat public vise à faire émerger les différents points de vue afin de
trouver des accords élargis sur les règles de fonctionnement des réseaux d’eau potable. Dans
la réalité, les désaccords se multiplient mais ne sont pas exprimés pendant les débats officiels.
Ils ont également pris des formes différentes telles que les contestations publiques, les
barrages de rue, les destructions de biens collectifs.

14
Partie 1 : Une approche communicationnelle de la participation civique

Partie 1

Une approche communicationnelle de la participation civique

Chapitre 1

La gestion des réseaux d’eau potable en milieu rural sénégalais

Chapitre 2

La communication comme cadre théorique et méthodologie

15
Partie 1 : Une approche communicationnelle de la participation civique

Chapitre 1

La gestion des réseaux d’eau potable en milieu rural sénégalais

Introduction

L’accès à l’eau potable reste encore un défi à relever pour les gouvernements africains.
Une grande partie de la population vivant en milieu rural et dans les banlieues n’a pas accès à
une eau de qualité. Malgré la mobilisation de la communauté internationale et des
organisations civiques (ONG, associations) pour améliorer la situation ces dernières années, le
problème se pose encore avec acuité. Parmi les 783 millions de personnes qui n’ont pas accès
à l’eau potable, plus de 300 millions vivent en Afrique5. Le manque d’eau de qualité est aussi
un enjeu de santé publique. Plus de 80 % des maladies dans les pays africains sont liées à la
consommation d’une eau polluée. Ces maladies touchent en majorité des enfants avec des
mortalités très élevées selon les pays et les régions, ce qui peut expliquer les propos de
Camdessus (2004) : « L’eau c’est la vie ! L’absence d’eau, c’est la maladie et la mort ! »6.

L’accès à l’eau potable est également considéré par les autorités étatiques comme un
levier de développement. Le faible taux d’accès à l’eau potable contribue à augmenter la
pauvreté en milieu rural. Les initiatives pour multiplier les réseaux d’eau potable sont de ce
point de vue considérées comme des vecteurs de développement. Hirji et al. (2002), fait une
corrélation entre la pauvreté et le niveau d’accès à l’eau. Cette pauvreté est responsable du
faible niveau d’accès à l’eau des populations rurales pour deux raisons :

Plus les populations sont en situation de précarité, moins les dépenses qu’elles
consacrent à l’accès à l’eau potable sont faibles. Dans les villages, payer la consommation
d’eau quotidienne à la borne-fontaine est une difficulté pour un certain nombre de familles. Le
peu d’économie dont elles disposent est consacré à nourrir la famille. Ainsi, les puits non
sécurisés restent leur source d’approvisionnement.

La baisse du niveau d’accès à l’eau potable favorise également les maladies hydriques
(paludisme, diarrhée, choléra etc.) qui sont la première cause de mortalité infantile en Afrique.

5
Doukouré I., 2012, secrétaire général de l’Agence Intergouvernementale Panafricaine Eau et Assainissement
pour l’Afrique (EAA), Réunion des ministres, experts et professionnels de l’eau, Dakar, Décembre 2012.
6
Camdessus M. (Dir.), 2004, Eau, Paris, éd. Laffront, p. 7
Chapitre 1 : La gestion des réseaux d’eau potable en milieu rural sénégalais.
16
Partie 1 : Une approche communicationnelle de la participation civique

Les budgets consacrés à la lutte contre les maladies liées à l’eau sont des indicateurs de la
politique d’accès à l’eau potable des pays africains. Quand le niveau d’accès à l’eau potable
est faible, les dépenses de l’Etat et des familles relatives aux maladies hydriques sont
susceptibles d’augmenter. Le transport de l’eau potable au domicile occupe également les
femmes et les jeunes filles qui y consacrent beaucoup de temps au détriment de leur formation
et de leur éducation, ce qui entraîne une baisse du taux de scolarité des jeunes filles7.

Le gouvernement sénégalais, jusqu’alors plus préoccupé par l’accès à l’eau des


populations urbaines, met en place, de plus en plus, des programmes dans les zones rurales
afin de limiter les disparités entre milieu rural et zones urbaines. Nous allons analyser dans ce
chapitre la situation de l’accès à l’eau potable au Sénégal et plus particulièrement celle du
milieu rural.

Dans le premier point, nous traitons des initiatives institutionnelles, techniques et des
programmes mis en œuvre par l’Etat pour améliorer l’accès à l’eau potable. Il sera aussi
question de mettre l’accent sur les inégalités existantes entre les localités en matière d’accès à
une eau de qualité. Nous analyserons également les différentes formes de gestion des réseaux
d’eau potable dans cette première partie. Le second point traite des raisons qui ont motivé le
choix de notre sujet et celui de la région de Saint Louis comme zone d’étude.

I. Situation de l’accès à l’eau potable dans le milieu rural

Depuis les années 1980, le problème d’accès à l’eau potable occupe une place centrale
dans les politiques étatiques du gouvernement sénégalais. Le manque d’eau récurrent connu
dans la capitale sénégalaise, dans les grandes villes et plus encore dans les villages éloignés
des centres urbains a suscité une réaction de l’Etat qui s’est traduite par la mise en place d’un
cadre institutionnel et d’un programme d’action dans le secteur de l’eau potable.

La réforme de 1997 relative à la gestion des forages motorisés ruraux va introduire les
Associations d’Usagers de Forage (ASUFOR) et les Associations d’Usagers des Réseaux
d’Eau potable (ASUREP) à la place des Comités de Gestion de Forage (CGF) jusqu’alors
chargés de la gestion des forages en milieu rural. D’une part, par cette réforme, l’Etat vise à
institutionnaliser la gestion des réseaux d’eau potable par les populations via des associations

7
PNUE, 2010, Afrique : Atlas de l’eau, 48p.
Chapitre 1 : La gestion des réseaux d’eau potable en milieu rural sénégalais.
17
Partie 1 : Une approche communicationnelle de la participation civique

reconnues d’utilité publique avec un statut et des prérogatives bien identifiés. D’autre part, il
cherche à formaliser la collaboration entre le secteur public, les populations, le secteur privé
et les ONG, collaboration qui était déjà connue en matière d’accès à l’eau potable en milieu
rural. La gestion des réseaux d’eau qui relève de la direction de l’hydraulique rurale et
particulièrement de la Direction de l’Exploitation et la Maintenance (DEM) est déléguée aux
ASUFOR et aux ASUREP. Ces dernières ont la possibilité de passer des contrats de
maintenance avec des entreprises privées, avec des ONG dans le but d’améliorer les
conditions d’accès à l’eau potable des populations et de rendre durable le service d’eau
potable.

Cette réforme s’inscrit dans la politique générale du secteur de l’eau potable redéfinie
par l’Etat dans la « lettre de politique sectorielle de l’hydraulique et de l’assainissement ».
Dans cette lettre de 2005, l’augmentation des réseaux d’eau potable en milieu rural est
clairement affichée comme objectif par le gouvernement sénégalais :

« Les enjeux du sous-secteur de l’hydraulique rurale sont liés à la nécessité


d’augmenter le taux de desserte, de réaliser la recommandation de l’Organisation
Mondiale de la Santé (OMS) concernant la mise en disposition d’une qualité de
l’eau potable de 20 litres par habitant et par jour en milieu rural et de maintenir
dans un état satisfaisant l’important patrimoine d’ouvrages hydrauliques déjà
réalisés »8.

Cette nouvelle orientation de la politique du secteur de l’eau potable s’appuie sur une
stratégie d’actions résumée dans le Programme d’Eau Potable et d’Assainissement du
Millénaire (PEPAM). Le PEPAM est un cadre d’interventions unifiées dans le domaine de
l’eau potable et de l’assainissement. Ce cadre est défini par le gouvernement sénégalais
depuis 2005 pour l’atteinte des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) fixés
par l’ONU en 2000. L’un de ces objectifs consiste à réduire de moitié la population mondiale
qui n’a pas accès à l’eau potable et à l’assainissement d’ici 2015.

Le PEPAM vise trois objectifs essentiels. Dans un premier temps, il s’agit d’avoir un
état des lieux de la situation d’accès à l’eau potable dans toutes les régions du Sénégal. Pour
cela, l’Etat organise des « revues régionales » annuelles dédiées à l’eau potable et à

8
République du Sénégal, 2005, Lettre de politique sectorielle de l’hydraulique et de l’assainissement en milieu
rural et urbain, p.2
Chapitre 1 : La gestion des réseaux d’eau potable en milieu rural sénégalais.
18
Partie 1 : Une approche communicationnelle de la participation civique

l’assainissement. Elles consistent à réunir tous les acteurs intervenant dans le secteur de l’eau
potable et de l’assainissement (Etat, collectivités locales, ONG, fédérations d’associations
d’usagers des réseaux d’eau, associations d’agriculteurs, ressortissants basés à l’extérieur,
etc.) afin de faire un état des lieux par l’évaluation des progrès réalisés, les difficultés
rencontrées et les besoins réels des populations. Les « revues régionales » permettent une
connaissance approximative de l’évolution des conditions d’accès à l’eau potable et à
l’assainissement région par région. Elles permettent également d’identifier les zones cibles
devant faire l’objet de nouveaux investissements.

Dans un second temps, il s’agit pour le PEPAM de coordonner et d’harmoniser les


différentes interventions dans le secteur de l’eau potable et de l’assainissement. Plusieurs
projets sont mis en œuvre par des associations d’immigrés, par des ONG, par la coopération
décentralisée afin d’améliorer les conditions d’accès à l’eau potable. Généralement, les modes
d’interventions sont divers et la forme d’organisation demandée de la part des populations
pour gérer les réseaux d’eau potable nouvellement créés varient d’un projet à un autre. Les
multiples acteurs et leurs modes d’intervention divers donnent l’impression que le secteur de
l’hydraulique rurale est désorganisé. Le PEPAM vise à coordonner les différentes
interventions en définissant un cadre d’intervention dans lequel chaque acteur doit inscrire
son projet d’accès à l’eau potable.

Enfin, le PEPAM inscrit les actions du secteur de l’eau dans une nouvelle et unique
forme d’organisation. Depuis 2008, les populations doivent s’organiser en ASUFOR ou en
ASUREP pour gérer les réseaux d’eau qui leur sont destinés. Tous les porteurs de projets
d’alimentation en eau potable sont tenus d’organiser les populations et les sensibiliser sur le
fonctionnement des ASUFOR et des ASUREP (sélection des délégués des différents villages
connectés au réseau, élection bureau exécutif et administratif, tenue d’assemblées générales).

I. 1. Les inégalités dans l’accès à l’eau potable

Les évolutions institutionnelles, organisationnelles et techniques ont permis


d’améliorer les conditions d’accès à l’eau notamment en milieu rural. Le nombre de
personnes qui a accès à un réseau d’eau potable a doublé ces dix dernières années. Sur une
population rurale estimée à plus de 6 445 290 habitants fin 2010, 77,5% ont accès à l’eau

Chapitre 1 : La gestion des réseaux d’eau potable en milieu rural sénégalais.


19
Partie 1 : Une approche communicationnelle de la participation civique

potable. Dans certaines régions comme celle de Saint Louis, ce taux atteint plus de 82,9%
selon les conclusions de la « revue annuelle conjointe du secteur de l’eau potable et de
l’assainissement » de 2011 :

« En milieu rural, plus de trois personnes sur quatre ont accès à l’eau à partir au
moins d’une source améliorée d’eau potable, au sens des OMD alors qu’au moins
trois personnes sur cinq ont accès à l’eau potable à partir d’un forage motorisé
ou une unité de potabilisation »9.

Années 2004 2006 2009 2010 2011

Taux
d’accès à
64% 70% 74% 73,6% 77,5%
l’eau
potable

Figure 1 : Evolution de l’accès à l’eau potable en milieu rural sénégalais de 2004 à 2011. Source : PEPAM

Ces progressions notées ces dernières années ne doivent pas cacher les fortes
disparités qui existent dans le secteur. L’écart en termes d’accès à l’eau potable entre le milieu
urbain et le milieu rural est encore très important. Pendant que le milieu urbain a presque
atteint les objectifs des OMD10 avec un taux d’accès à l’eau potable de 98,5%, plus de 500
localités rurales n’ont pas accès à une ressource d’eau de qualité. Cette disparité entre les
zones rurales et les milieux urbains a des origines très anciennes. Elle date d’avant les
indépendances. Elle résulte d’une politique de l’accès à l’eau potable menée par
l’administration coloniale et poursuivie par les gouvernements successifs. Celle-ci a toujours
favorisé l’alimentation en eau des grands centres urbains au dépend des populations rurales.
La disparité existe également entre les régions comme indiqué dans la figure suivante.

9
PEPAM, 2011, Revue annuelle conjointe du secteur de l’eau potable et de l’assainissement, p.3
10
Les OMD sont huit mesures adoptées par 193 pays membres et 23 organisations internationales lors de la
conférence de l’ONU en 2000 à New York. Ces objectifs concernent des enjeux relatifs à la lutte contre la
pauvreté, à l’accès à l’eau potable, à la lutte contre le sida, à la protection de l’environnement etc. Pour l’accès à
l’eau potable, le gouvernement sénégalais s’est fixé des objectifs. Pour le milieu rural, l’objectif est de passer de
64% en 2004 à 82% en 2015. Pour le milieu urbain cet objectif consiste à passer de 91% en 2004 à 100% en
2015
Chapitre 1 : La gestion des réseaux d’eau potable en milieu rural sénégalais.
20
Partie 1 : Une approche communicationnelle de la participation civique

Accès global en eau


Régions Population rurale
potable en milieu rural

Diourbel 532 326,73 87,4%

Thiès 776 560,73 89,6%

Saint Louis 445 268,15 82,9%

Kaolack 543 839,00 91,6%

Louga 685 875,94 74,1%

Matam 490 892,51 80,3%

Kaffrine 494 180,23 89,5%

Fatick 614 826,13 79,9%

Ziguinchor 375 667,95 86,0%

Tambacounda 504 875,59 63,5%

Sédhiou 375 240,26 57,9%

Kédougou 108 611,00 82,2%

Kolda 497 126,19 36,8%

Total 6 445 290,39 77,5%

Figure 2 : Taux d’accès à l’eau potable en milieu rural et disparités entre régions. Source : PEPAM

En dépit de ces résultats, la situation d’accès à l’eau potable reste encore fragile au
Sénégal. Les « manifestions de la soif » au mois de septembre 2013 à Dakar sont révélatrices
de l’instabilité du secteur. Pendant plus de trois semaines, la capitale sénégalaise et certains
villages riverains du lac de Guiers ont été privés d’eau potable à cause d’un incident technique
qui s’est produit à l’usine de traitement d’eau de Keur Momar Sarr11. Le fonctionnement
irrégulier et la faiblesse des infrastructures, le manque de suivi et les problèmes relatifs aux
formes de gestion des réseaux d’eau accentuent les difficultés d’accès à l’eau. Dans certains
villages, c’est le mode de gestion contesté des points d’eau, les bornes-fontaines par exemple,
qui limite le service de l’eau.

11
Keur Momar Sarr est la deuxième usine de traitement d’eau installée sur le lac de Guiers. Il assure plus de
30% de la consommation d’eau potable de Dakar.
Chapitre 1 : La gestion des réseaux d’eau potable en milieu rural sénégalais.
21
Partie 1 : Une approche communicationnelle de la participation civique

I.2 Des règles de gestion de l’eau multiples dans un même village.

L’une des caractéristiques du secteur de l’eau potable en milieu rural est la multiplicité
des dispositifs en charge de la gestion des points d’eau. Leur objectif étant de responsabiliser
les populations et d’assurer la pérennité du service de l’eau, ces dispositifs restent divers dans
leur fonctionnement et se superposent dans certains cas. Pour un même
village, il n’est pas rare de trouver une gestion de type ASUREP et une gestion de type
Comité de Gestion de Forage (CGF) ou une gestion assurée par un Groupement d’Intérêt
Economique (GIE) ou encore des réseaux d’eau confiés à des organisations paysannes.

Dans les deux premiers cas (ASUREP, CGF), le réseau d’eau potable est géré par un
bureau dont les membres sont supposés être nommés par les populations usagères. Le bureau
de l’association s’occupe de la distribution de l’eau, de l’encaissement des recettes et se
charge de l’entretien du réseau d’eau. Dans les deux derniers cas, la gestion du réseau d’eau
est confiée à une association dont les financeurs du projet pensent être en capacité de
s’occuper correctement de la gestion et de la distribution de l’eau dans le village. Dans tous
les cas, le débat est généralement relégué au second rang par rapport aux aspects techniques et
économiques. Par exemple, le tracé du réseau d’eau potable, les villages à desservir et la place
des bornes-fontaines sont déterminés, généralement, par les techniciens en charge de la
construction du forage ou de la station de traitement d’eau, en accord avec les autorités
traditionnelles (notable, chef de village, imam), sans l’avis des populations bénéficiaires. Et
dans le cas où les bornes-fontaines fonctionnent correctement, c’est-à-dire sans déficit
budgétaire, sans pannes, peu de questions sont mises en débat.

La forme de gestion de type ASUREP qu’il s’agit d’analyser ici est actuellement la
plus adoptée en milieu rural, notamment, dans la région de Saint Louis. Depuis la loi sur le
Service de l’Eau Potable et de l’Assainissement (SPEPA) de 200812, tout nouveau réseau
d’eau potable doit être géré par une association de type ASUFOR ou ASUREP.

D’autres formes de gestions persistent encore en milieu rural malgré la volonté du


gouvernement d’imposer les ASUFOR ou les ASUREP comme seul modèle de gestion des
réseaux d’eau potable. Les réseaux d’eau potable mis en place par la Sénégalaise des Eaux

12
Cette loi constitue un nouveau pas dans l’organisation du service de l’eau potable en milieu rural et urbain.
Elle permet d’institutionnaliser les principes de délégation de gestion et de contractualisation déjà testés au
niveau des ASUFOR et des ASUREP depuis leur mise en œuvre en 1997.
Chapitre 1 : La gestion des réseaux d’eau potable en milieu rural sénégalais.
22
Partie 1 : Une approche communicationnelle de la participation civique

(SDE) sont gérés, dans certains cas, par les populations elles-mêmes à tour de rôle. Il faut
préciser que la SDE est une entreprise privée qui s’occupe de la distribution de l’eau dans les
villes et dans certaines communes et communautés rurales dans le cadre d’un contrat
d’affermage13 passé avec l’Etat. Cependant, certains villages situés le long de ses conduites
d’eau souterraines sont branchés directement sur son réseau d’eau. Dans ce cas de figure, la
SDE demande aux populations soit de s’organiser pour pouvoir payer les factures mensuelles
de leur borne-fontaine, soit elle confie la gestion à des tiers qui s’occupent de la distribution et
de l’encaissement des recettes issues de la vente de l’eau.

Dans le premier cas, les points d’eau, notamment les bornes-fontaines, sont gérées à
tour de rôle par les différentes familles du village. Les tarifs fixés par la SDE et appliqués au
niveau des bornes-fontaines doivent tenir compte des frais de fonctionnement d’entretien du
réseau. Durant le mois où une famille est en charge de la gestion de la borne-fontaine, elle
s’occupe des horaires d’ouverture, de la vente de l’eau. A la fin du mois, elle paye le montant
de la facture d’eau à la SDE. Cette forme de gestion a des avantages pour les familles. Une
fois la facture de la SDE payée, le restant des recettes issues de la vente de l’eau revient à la
famille en charge de la distribution de l’eau. Le désavantage est qu’en cas de perte, la famille
doit rembourser la différence.

Dans le second cas, la gestion de la borne-fontaine est confiée à un tiers. Celui-ci


s’occupe de la vente de l’eau. Il est aussi responsable des horaires d’ouverture de la borne-
fontaine. A la fin du mois, une fois sa facture payée à la SDE, il encaisse, pour son compte,
les bénéfices.

L’existence de ces différentes formes de gestion entraîne un manque de lisibilité et de


transparence dans la gestion des réseaux d’eau potable. Les règles de fonctionnement varient
selon qu’on applique une gestion à tour de rôle fondée sur une logique de « gestion
communautaire » ou la gestion par ASUREP basée sur des principes démocratiques. De la
même façon, les règles de gestion établies par un CGF ne sont pas identiques à celles définies
par un tiers en charge de la gestion d’une borne-fontaine mise en place par la SDE. En
fonction de la forme de gestion en vigueur, les tarifs de l’eau et les horaires d’ouverture des
13
Le contrat d’affermage est une délégation du service public par laquelle l’autorité délégante confie à un tiers
un mandat de gérer un service public de l’eau à ses frais, risques et périls, et lui impose le maintien en bon état
de fonctionnement des installations d’eau et/ou assainissement collectifs en fin de fournir ce service, y compris
la responsabilité de la maintenance et de tout ou partie des investissements de renouvellement, mais sans la
responsabilité des investissements d’installations d’eau et d’assainissement collectif, le financement de ces
installations incombant à l’autorité délégante (Loi sur l’Eau Potable et l’Assainissement, 2008).
Chapitre 1 : La gestion des réseaux d’eau potable en milieu rural sénégalais.
23
Partie 1 : Une approche communicationnelle de la participation civique

points d’eau peuvent varier. On peut se trouver, ainsi, dans une situation où les populations
sont face à deux formes de gestion dans le même village. Par exemple, des bornes-fontaines
gérées d’un côté par un CGF et de l’autre des bornes-fontaines dont la gestion dépend d’une
ASUREP. Il en résulte souvent des situations de tensions avec les populations qui ne
comprennent pas toujours l’existence de plusieurs règles de gestion pour des bornes-fontaines
censées appartenir aux populations d’un même village. Dans ce cas de figure, les règles qui
sont moins en phase avec les besoins des populations sont souvent contestées.

Ce manque d’uniformité des formes de gestion résulte du fait que le milieu rural a fait
l’objet de différentes interventions à l’initiative d’acteurs divers. Pendant longtemps, ces
acteurs intervenant dans le secteur de l’eau potable suivent le modèle de gestion qui leur est
recommandé par le financeur du projet. Une ONG financée par les américains n’adopte pas
forcément le même modèle de gestion testée par une ONG financée par l’Agence Française de
Développement (AFD). Chaque ONG adopte souvent l’idéologie et les principes
d’intervention de l’organisme ou de l’Etat qui finance ses projets. On se trouve dans une
situation où plusieurs formes de gestion sont innovées par des acteurs qui se soucient plus de
l’atteinte des résultats fixés par les financeurs et se préoccupent peu de l’implication des
villageois. Cette situation est accentuée par la faible présence de l’Etat dans certaines régions
confrontées aux problèmes d’accès à l’eau potable, ce qui a favorisé l’émergence de
différents acteurs dans le secteur.

II. Choix du sujet de thèse et du terrain.

II.1 Pourquoi l’accès à l’eau potable ?

Interroger la capacité des ASUREP à favoriser l’expression des populations en dehors


de l’espace institutionnel de débat (assemblée générale), telle est notre question de départ.
Cette question résulte d’un constat fait après mes premiers entretiens exploratoires et
observations de débat au début de la thèse.

Alors que j’envisageais de travailler sur la gestion de l’eau en France et le rôle de


médiation des agences de l’eau, la participation à un débat organisé par l’agence de l’eau
Adour Garonne (Toulouse) sur l’élaboration de son Schéma Directeur d’Aménagement et de

Chapitre 1 : La gestion des réseaux d’eau potable en milieu rural sénégalais.


24
Partie 1 : Une approche communicationnelle de la participation civique

Gestion des Eaux (SDAGE)14 a été déterminante dans la nouvelle orientation de ma thèse. En
effet, lors de cette réunion, j’ai rencontré une délégation de l’Organisation pour la Mise en
Valeur du Fleuve Sénégal (l’OMVS) venue pour renouveler son partenariat avec l’agence de
l’eau Adour Garonne. Il s’agissait également pour l’OMVS qui était sur le point de mettre en
place un SDAGE sur le fleuve Sénégal de solliciter l’expérience de ses partenaires en matière
de gestion de l’eau. L’idée m’est venue, après avoir discuté avec quelques membres de la
délégation, de changer de terrain car j’avais là une opportunité de suivre le processus de mise
en place du SDAGE de l’OMVS. Avec l’accord de mes directeurs de thèse, j’ai changé de
terrain. Je décidais à ce moment-là de travailler sur le processus de mise en place du SDAGE
de l’OMVS et notamment sur la participation des citoyens dans l’élaboration de ce dispositif
de gestion de l’eau. C’est dans cette perspective que j’ai participé aux séminaires de
validation du SDAGE de l’OMVS au niveau local et national en 2009 et 2010.

Le SDAGE a suivi plusieurs phases pendant son élaboration : la phase de diagnostic,


la phase d’élaboration des schémas sectoriels et l’étape de validation du SDAGE. Il y avait
également plusieurs volets : le transport, l’agriculture, la pêche, le tourisme, l’énergie et
l’accès à l’eau potable. J’ai choisi de mettre l’accent sur la question de l’accès à l’eau potable
des populations vivant à proximité des eaux du fleuve et notamment dans la région de Saint
Louis.

Ce choix se justifie par l’enjeu que constitue la question de l’accès à l’eau potable.
Tout au long des débats institutionnels sur la validation du SDAGE, l’Etat sénégalais insistait
sur la nécessité d’augmenter le taux de remplissage du lac de Guiers et du Gorom Lampsar.
Le Sénégal dépend en grande partie du lac de Guiers pour alimenter certaines grandes villes
dont Dakar. La Mauritanie, frontalière du Sénégal et membre de l’OMVS, attirait l’attention
sur la nécessité de contrôler et de réguler les volumes d’eau prélevés du fleuve par le Sénégal.
Elle accusait directement le Sénégal d’abuser de l’eau du fleuve. C’est à l’issue de ces
premiers débats que le choix a été fait de travailler sur la question de l’accès à l’eau potable
en milieu rural et particulièrement dans la région de Saint Louis. Il s’agissait de voir comment

14
Le SDAGE est un outil de planification qui indique, pour une période donnée, les grandes orientations de la
politique de l’eau à l’échelle locale, les objectifs à atteindre et les moyens mis en place pour l’atteinte de ces
objectifs. Les SDAGE ont été mis en place en France depuis la loi sur l’eau de 1992 dans un contexte de
décentralisation des politiques de l’eau au niveau du bassin et dans une perspective de gestion intégrée de la
ressource (Barraqué B, 1995). Depuis la Directive Cadre de l’Union Européenne de 2000, le SDAGE constitue
un référentiel de gestion européenne de l’eau. Les Etats membres de l’UE sont dans l’obligation de réaliser
chacun un SDAGE d’ici 2015 avec des objectifs de « bon état » de l’eau et de non détérioration des milieux
aquatiques (cours d’eau, lacs, zones humides, eaux souterraines, eaux côtières et de transition).
Chapitre 1 : La gestion des réseaux d’eau potable en milieu rural sénégalais.
25
Partie 1 : Une approche communicationnelle de la participation civique

la mise en place du SDAGE pouvait avoir des impacts sur la gestion des réseaux d’eau par les
ASUREP. Le fonctionnement des forages et leur gestion impliquaient directement ou
indirectement trois acteurs à des échelles différentes.

L’OMVS d’abord, parce que l’eau potable consommée par les populations riveraines
du lac de Guiers et de l’axe hydraulique Gorom Lampsar provient du Fleuve Sénégal dont la
gestion et le partage de la ressource est sous la responsabilité de l’OMVS. Le lac de Guiers et
le Gorom-Lampsar sont alimentés par le Fleuve Sénégal.

La gestion des « stations de traitement d’eau » implique ensuite l’Etat. L’eau ne fait
pas partie des compétences décentralisées, elle reste encore une compétence de l’Etat. La
gestion du lac de Guiers et du Gorom Lampsar, deux ressources en eau nationales, dépend
directement de l’Etat du Sénégal. Ces ressources sont, certes, alimentées par le fleuve Sénégal
mais leur gestion dépend de l’Etat sénégalais. Le cadre institutionnel de la gestion des réseaux
d’eau potable dans les villages est également défini par l’Etat.

Enfin, la gestion des réseaux d’eau potable implique les populations. Si l’Etat a défini
les contours institutionnels des ASUFOR et des ASUREP, leur fonctionnement au quotidien
est assuré par les populations bénéficiaires. Celles-ci sont représentées dans ces dispositifs par
les délégués des différents villages connectés sur le réseau d’eau. Ces délégués doivent être
choisis pendant des réunions publiques impliquant tous les habitants des villages concernés.

Pendant les débats institutionnels portant sur le SDAGE, débats organisés par
l’OMVS, nous avons fait trois constats déterminants dans la suite de notre travail :

 Une forte présence des acteurs institutionnels. La quasi-totalité des participants à ces
réunions au niveau national était constituée de représentants de différents ministères et
organismes étatiques liés à la gestion de l’eau : ministère de l’hydraulique, ministère de
la pêche, du tourisme, de l’environnement, de l’énergie, la SAED, etc. Au niveau local,
les participants au débat sont également issus des instances locales décentralisées (élus
locaux) et des services déconcentrés de l’Etat (préfets, conseillers régionaux,
hydraulique régionale, services des eaux et forêts etc.)
 Une présence d’ONG, notamment, le Conseil des Organisation de la Société civil pour
la Défense de l’Environnement du Fleuve (CODESEN) et d’organisations paysannes
dont l’Amicale Socio-Economique Sportive et Culturelle des Agriculteurs du Walo

Chapitre 1 : La gestion des réseaux d’eau potable en milieu rural sénégalais.


26
Partie 1 : Une approche communicationnelle de la participation civique

(ASESCAW) mais peu d’associations locales. Ces grandes organisations sont habituées
à travailler avec l’OMVS dans différents programmes de gestion de l’eau. Cependant,
les associations locales telles que les associations villageoises, les associations de
promotions féminines, les associations de jeunes ne sont pas présentes.
 Une marginalisation de certains participants. Certains représentants des villages
concernés par le SDAGE ne parlent pas la langue officielle du débat, le français. La
langue constitue un handicap parce qu’elle limite la prise de parole de ceux qui ne la
maîtrisent pas. Ces derniers sont doublement en difficulté : d’abord parce que leur
capacité de compréhension est réduite, ensuite, ils font souvent l’objet de raillerie de la
part des autres participants qui maîtrisent la langue française.

Concernant mes premiers entretiens portant sur les conditions d’accès à l’eau, les
autorités étatiques que j’ai rencontrées mettent en avant les résultats chiffrés obtenus par le
gouvernement sénégalais en matière d’accès à l’eau potable (taux d’accès à l’eau potable,
nombre de forages, projets en cours, financement obtenus). Ces résultats en matière d’accès à
l’eau potable sont significatifs par rapport aux autres pays de la sous-région, ce que les
personnes interrogées mettent en évidence.

Sur la question de la participation également, l’idée selon laquelle les populations


elles-mêmes s’occupent de la gestion des réseaux d’eau potable à travers des dispositifs de
proximité (ASUFOR/ASUREP) est évoquée par les autorités comme un acquis.

Cette description assez positive de la situation par les institutionnels a suscité des
interrogations de ma part. Peu à peu, je me suis rapproché des populations. L’analyse des
premiers entretiens passés avec les villageois situés à proximité des axes hydrauliques (lac de
Guiers et Gorom Lampsar) montre un désaccord entre ces villageois et les autorités. En effet,
l’eau est disponible en quantité mais les populations n’y ont pas toujours accès. De plus, la
plupart des villages n’ont pas accès à une eau de qualité. Les eaux de surface qui constituent
la première source d’approvisionnement sont devenues polluées provoquant des maladies et
de nombreux décès. Ainsi, pour la majorité des villages situés le long de ces eaux de surface,
l’urgence est de régler d’abord les besoins d’accès à une eau potable.

Partant de cette réalité, notre interrogation s’est portée sur l’articulation entre le
besoin en eau des populations et leur capacité à faire valoir ces besoins et à rendre
visible les difficultés éprouvées. Dans un contexte socioéconomique difficile où les

Chapitre 1 : La gestion des réseaux d’eau potable en milieu rural sénégalais.


27
Partie 1 : Une approche communicationnelle de la participation civique

populations sont en situation de manque d’eau potable, les dispositifs de gestion des réseaux
d’eau potable fondés sur la participation sont-ils saisis comme une opportunité par les
populations pour exprimer leurs points de vue ?

Quant au choix de la région de Saint Louis, comme zone d’étude, il est déterminé par
l’écart que nous avons constaté entre le potentiel en eau douce et les problèmes d’eau
rencontrés par les populations dans cette région, problèmes de plus en plus dénoncés par les
villageois.

II.2 Saint Louis : « une région du fleuve » qui connaît des difficultés
d’accès à l’eau potable

Située dans la partie nord du Sénégal, la région de Saint-Louis s’étend sur une
superficie de 19.034 km². La population est estimée à 882400 habitants en 2011 dont 476 000
vivent en milieu rural. Du point de vue administratif, la région est subdivisée en trois
départements dont Saint Louis, Dagana et Podor. Elle compte 19 communes, 18
communautés rurales et 533 villages.

Sur le plan économique, la région est dominée par l’activité agricole. Celle-ci est
favorisée par un capital foncier important avec près de la moitié des terres irrigables. Plus de
70% de la population active pratiquent l’agriculture. La riziculture occupe une place
importante dans les pratiques agricoles de la région. Aujourd’hui cette culture cohabite avec
une culture intensive d’oignons, de tomates et de cannes à sucre dominée par deux grands
industriels : la Compagnie Sucrière Sénégalaise (CSS) spécialisée dans la culture de cannes à
sucre et le Grand Domaine du Sénégal (GDS) qui produit des fruits et légumes.

Saint Louis est une région du Delta caractérisée par un réseau hydrologique important
représenté ci-dessous

Chapitre 1 : La gestion des réseaux d’eau potable en milieu rural sénégalais.


28
Partie 1 : Une approche communicationnelle de la participation civique

Figure 3: Réseau hydrologique de la zone du Delta. Réalisation : Diop Y.

Ainsi, la région de Saint Louis dispose des ressources en eau suffisantes pour
l’alimentation en eau de sa population. Ces ressources sont majoritairement constituées d’eau
de surface. Saint Louis est traversée à l’est et au nord par le fleuve Sénégal ainsi que ses
affluents et défluents dont le Gorom amont, le Gorom aval, le Lampsar, le grand lac, le lac de
Guiers. C’est grâce à ce potentiel en eau douce, que Saint Louis est appelée la « région du
fleuve ».

Cette région joue un rôle déterminant dans le dispositif d’alimentation en eau potable
du Sénégal. Le lac de Guiers, long de 200 km et large de 7 km, est l’une des ressources d’eau
douce les plus importantes du Sénégal. Alimenté par le fleuve Sénégal à son extrémité nord
via le canal de la Tahouey à richard Toll, le lac de Guiers assure l’alimentation en eau potable
de Dakar à hauteur de 80% à partir de l’usine de traitement d’eau de Gnith et celle de Keur
Momar Sarr. Il fournit également la totalité de la consommation en eau potable de la ville de
Saint louis et d’autres grandes villes sénégalaises dont Louga, Tivaouane, Thiès.

Chapitre 1 : La gestion des réseaux d’eau potable en milieu rural sénégalais.


29
Partie 1 : Une approche communicationnelle de la participation civique

Ces cinq dernières années, l’accès à l’eau potable des populations vivant à proximité
des eaux de surface s’est amélioré. Plus de 82,9% de population rurale de la région de Saint
Louis ont accès à l’eau potable. Cette amélioration des conditions d’accès à l’eau potable
relève d’une nouvelle orientation de la politique de l’Etat qui consiste à satisfaire la demande
en eau potable des populations riveraines par les eaux de surface. Deux projets d’accès à l’eau
vont illustrer cette nouvelle orientation dans la région de Saint Louis.

D’abord le « Projet Sectoriel Eau à Long Terme » [(PSLT) 2002-2007)] dont l’un des
objectifs est de « doter les villages riverains du lac de Guiers de systèmes d’adduction en eau
potable et d’assainissement à faible coût »15. Différentes localités riveraines du lac de Guiers
dont Mbane, Rosse Béthio et keur Momar Sarr ont bénéficié d’adductions d’eau potable. En
donnant la priorité aux localités situées le long des eaux du lac de Guiers, il est question pour
l’Etat de lutter contre la consommation des eaux de mauvaise qualité. Il s’agit également de
réduire la pénibilité liée au transport de l’eau par les femmes et les jeunes filles, mais surtout
de répondre à la demande en eau des populations exprimée souvent par des manifestations
publiques.

Ensuite, en 2009, le « Projet d’alimentation en eau potable des localités de la zone du


Gorom Lampsar », mis en œuvre par l’Etat sénégalais a permis la construction de treize
stations d’alimentation en eau potable afin d’améliorer l’accès à l’eau potable de plusieurs
villages situés sur l’axe hydraulique Gorom Lampsar16. L’amélioration des conditions d’accès
à l’eau potable dans la région de Saint Louis est à attribuer aussi aux différentes interventions
d’ONG telles que « Eau Vive », « Union Pour la Solidarité et l’Entraide », « Aquassitance ».
Ces ONG sont soutenues financièrement par d’autres ONG implantées dans les pays
développés, par des institutions internationales (Banque Mondiale, Union Européenne,
Agence Française de Développement) et par des collectivités du nord dans le cadre de la
coopération décentralisée nord-sud (Région Nord-Pas- De- Calais, Région Midi-Pyrénées).

Malgré ces efforts en matière d’accès à l’eau potable, certaines populations sont
confrontées aux problèmes d’eau dans la région. Celles qui habitent à proximité des eaux de
surface ne sont pas les premières bénéficiaires des ressources en eau disponibles dans la
région. Pendant nos enquêtes de terrain, nous avons pu constater le décalage existant

15
République du Sénégal, Direction de la Gestion et de la Planification des Ressources en Eau, 2005, La mise en
œuvre du plan d’action du lac de Guiers : approvisionnement en eau potable et en assainissement, p.3
16
République du Sénégal, Direction de l’Hydraulique Rurale, (2009), Travaux et fourniture pour l’exécution du
Projet d’alimentation en eau potable des localités de la zone du Gorom-Lampsar, 10 p.
Chapitre 1 : La gestion des réseaux d’eau potable en milieu rural sénégalais.
30
Partie 1 : Une approche communicationnelle de la participation civique

entre la ressource disponible et les besoins en eau potable des populations riveraines.
Dans le village de Gnith qui abrite l’usine de traitement d’eau de Gnith qui alimente la
capitale sénégalaise en eau potable depuis 1971, le réseau d’eau potable se limitait en 2010 à
quelques bornes-fontaines publiques pour le village et les autres villages environnants. Même
si la situation a évolué actuellement, le taux d’accès à l’eau potable de la communauté rurale
de Gnith reste encore très bas (35%) par rapport à la moyenne nationale. Le manque d’eau
potable concerne d’autres communautés rurales à proximité du lac de Guiers. C’est le cas de
la communauté rurale de Mbane 29% et celle de Bokhol 18%. Certains villages consomment
encore directement l’eau du lac avec un risque élevé de maladies hydriques (bilharziose,
paludismes, diarrhées).

Ainsi, le problème d’eau dans ces localités n’est pas lié à un manque de
ressources comme c’est le cas dans d’autres régions du Sénégal. L’eau est disponible en
quantité suffisante. Son manque est lié à une mauvaise répartition. Celle-ci, une fois pompée
et traitée, est majoritairement transportée à des milliers de kilomètres pour approvisionner les
grandes villes sénégalaises (Villes de Saint Louis, Thiès, Louga et Tivaoune). Cette situation
explique les propos tenus souvent par nos interlocuteurs : « nous sommes le robinet de Dakar
mais on a pas d’eau ». Ils démontrent le sentiment d’injustice qui anime les populations qui
voient « leur eau » transportée alors qu’un nombre important d’entre elles n’a pas accès à une
eau de qualité, ou pas suffisamment.

D’autre part le problème de l’eau résulte de la forme de gestion mise en place par
l’Etat ou une ONG. Dans certains cas, les bornes-fontaines existent, mais les différends
proviennent de la manière dont elles sont gérées. Les tarifs appliqués à la borne-fontaine
peuvent être remis en cause par les usagers, la légitimité des membres du bureau de
l’association contestée ou les horaires d’ouverture et les unités de mesures appliquées par les
fontainiers dénoncés. Dans les trois cas, les désaccords affectent le service de l’eau. Dans ce
contexte, l’existence d’un réseau d’eau ne résout pas totalement le problème d’accès à l’eau
potable. Les formes de gestion sont aussi au cœur de la problématique de l’accès à l’eau
potable en milieu rural.

Chapitre 1 : La gestion des réseaux d’eau potable en milieu rural sénégalais.


31
Partie 1 : Une approche communicationnelle de la participation civique

Conclusion du chapitre 1

Dans le secteur de l’accès à l’eau potable et plus particulièrement dans le milieu rural,
la politique de l’Etat vise à limiter les disparités qui existent entre ville et milieu rural, entre
régions, entre communes et communautés rurales. Les différentes interventions dans le
secteur, actuellement coordonnées dans le cadre du PEPAM, ont amélioré les conditions
d’accès à l’eau des populations rurales.

Cependant, dans certains villages, notamment dans la région de Saint louis, des
populations ont faiblement accès à l’eau potable. Une partie importante des riverains des eaux
de surface continue à utiliser les eaux polluées et les puits non protégés pour sa consommation
d’eau quotidienne. Cette situation est paradoxale vu le rôle que la région de Saint Louis joue
dans le dispositif d’alimentation en eau des grandes villes sénégalaises dont la capitale Dakar.
Les eaux douces de Saint Louis, notamment le lac de Guiers, alimente Dakar en eau potable à
hauteur de 80%. Les conduites souterraines transportant cette eau traversent des villages qui
n’ont pas accès à l’eau potable.

Les interventions d’acteurs divers dans le secteur de l’eau en milieu rural ont engendré
la multiplication de dispositifs de gestion des réseaux d’eau potable. Dans certains villages
l’existence de différentes adductions d’eau potable implique des règles multiples de partage
de la ressource qui s’imposent généralement aux populations.

La mise en place en 1997 des associations d’usagers des réseaux d’eau potable
(ASUFOR/ASUREP) vise à instaurer un modèle de gestion unique en milieu rural. Ces
dispositifs, notamment les ASUREP qu’il s’agit d’étudier dans ce travail, seront analysés sous
l’angle de la communication.

Chapitre 1 : La gestion des réseaux d’eau potable en milieu rural sénégalais.


32
Partie 1 : Une approche communicationnelle de la participation civique

Chapitre 2

La communication comme cadre théorique et méthodologie

Introduction
Le recours à des dispositifs participatifs dans l’élaboration et dans l’exécution des
politiques étatiques est une pratique récurrente ces dernières années (Blondiaux, Sintomer,
2002). Dans le domaine de l’eau, de l’environnement et de l’aménagement, ces dispositifs
sont utilisés fréquemment par les autorités dans les pays développés. En France, par exemple,
les expériences sont multiples et diverses. Des conseils de quartiers, en passant par les jurys
citoyens, les débats publics, les budgets participatifs, des dispositifs se développent dans
l’objectif de démocratiser l’action étatique (Bacqué, Sintomer, 2005). Il est question
d’impliquer ceux qui traditionnellement ne décident pas dans le processus de décision, de
« décider de concert avec ceux qui ne décident pas » (Bratosin, 2001, p.17).

Dans les pays africains, ces dispositifs participatifs sont expérimentés dans différents
domaines. Ils sont considérés par les autorités politiques comme un moyen de renouvellement
de la participation des citoyens. Ces derniers sont de plus en plus sollicités pour exprimer
leurs avis et échanger avec les autorités.

L’évaluation des enjeux démocratiques de ces dispositifs par les chercheurs s’appuie
sur différents modèles théoriques. Certains d’entre eux s’appuient sur la théorie de la
délibération dérivée de la philosophie d’Habermas (1997). Ils mettent l’accent sur le cadre
institutionnel qui permet l’échange entre les différentes parties prenantes (Blondiaux,
Sintomer, 2002 ; Le Bourhis, 2003 ; Molénat, 2009 ; Lewis, 2001). Dans cette perspective,
c’est la capacité des procédures institutionnelles à favoriser un débat élargi qui est interrogé.

L’apport de ces travaux est d’avoir montré la portée des débats publics dans les
perspectives de démocratisation de l’action étatique. Le débat rend public la parole des
citoyens. Il permet de confronter les savoirs venant des parties prenantes de la société civile et
l’expertise détenue par le pouvoir politico-administratif (Rui, Villechaise-Dupont, 2005). Ces
travaux ont permis aussi de penser les transformations des rapports sociaux et des rapports de
pouvoir (Rui, 2004 ; Blondiaux, 2008). Ils ont permis également d’analyser la transformation
des relations entre les politiques (élus), l’administration et les citoyens par le biais de
dispositifs sociotechniques (Monnoyer-Smith, 2011). Le point commun d’un certain nombre

Chapitre 2 : La communication comme cadre théorique et méthodologie


33
Partie 1 : Une approche communicationnelle de la participation civique

d’entre eux est d’avoir mis l’accent sur l’un des aspects de la démocratie chez Habermas : la
définition procédurale de la démocratie. Les questions de la procéduralisation des débats
précédant la décision occupe une place importante dans la théorie de la démocratie chez
Habermas J. Elle implique de porter une attention particulière aux conditions dans lesquelles
les débats ont lieu avec l’idée que la légitimité des décisions reposent sur un processus de
délibération conduit rationnellement et équitablement entre les individus libres et égaux
(Habermas, 1997).

D’autres travaux s’inspirant également de la théorie de la délibération (Suraud, 2007)


évaluent la portée démocratique des dispositifs participatifs au regard de la dynamique
civique qu’ils favorisent. De ce point de vue, ce qui est interrogé, c’est la façon dont « les
citoyens s’organise dans l’ « espace public autonome pour identifier, interpréter et formuler
leur exigence vis-à-vis de l’autorité publique ». Sous ce regard, l’enjeu démocratique des
dispositifs n’est pas seulement à évaluer du point de vue des débats institutionnels mais plutôt
selon les formes d’organisation civique qu’elle engendre dans l’ « espace public autonome ».

Notre approche s’inscrit dans cette ligne théorique défendue par Marie Gabielle
Suraud et qui a fait l’objet de plusieurs travaux au sein de l’équipe communication, Risque,
Santé et Environnement du laboratoire CERTOP (Centre d’Etudes et Recherche, Travail,
Organisation et Pouvoir). Avec cette posture, notre objectif est d’évaluer la portée
démocratique des dispositifs de gestion de réseaux d’eau potable en milieu rural sénégalais et
plus particulièrement dans la région de Saint Louis.

Dans une première partie, nous développerons les fondements et la portée de la théorie
de la délibération. Nous allons porter l’accent sur deux aspects : la définition procédurale de
la légitimité et la formation de l’opinion dans l’ « espace public ».

La deuxième partie traitera de la place de l’ « espace public autonome » dans le


processus de démocratisation. La porosité entre cet espace et l’espace institutionnel de débat
sera interrogée.

Dans une troisième partie, nous expliquerons l’apport du concept de communication


tel qu’il est défini par Habermas.

Dans un quatrième point, nous rendrons compte de notre démarche métrologique et


des adaptations opérées face aux difficultés rencontrées sur le terrain.

Chapitre 2 : La communication comme cadre théorique et méthodologie


34
Partie 1 : Une approche communicationnelle de la participation civique

I. Fondement de la théorie délibérative

L’un des aspects de la théorie de la délibération est de prendre en compte l’avis des
citoyens. Ces derniers peuvent ainsi participer aux débats qui concernent leurs modes de vie.
De ce point de vue, Habermas fait une distinction entre le processus institutionnel de
délibération et de décision propre à certains espaces (espace parlement, juridique et
administratifs) et la formation de l’opinion dans l’ « espace public ».

I.1 Une définition procédurale de la légitimité

L’un des éléments déterminants de la théorie délibérative est la définition procédurale


de la légitimité politique. Les décisions politiques trouvent leur légitimité dans la façon dont
elles ont été débattues. De ce point de vue, Habermas place la légitimité au cœur des décisions
politiques. Cette légitimité ne dépend pas des statuts des décideurs. Elle dépend du processus
décisionnel lui-même, c’est-à-dire du processus de formation de la volonté politique :

« La politique délibérative acquiert sa force de légitimation grâce à la structure,


fondée sur la discussion, d’une formation de l’opinion et de la volonté qui ne peut
remplir sa fonction d’intégration sociale que dans l’entente, dont elle fait l’objet,
d’une qualité raisonnable de ses résultats. C’est pourquoi le niveau de discussion
des débats publics constitue ici la variable la plus importante » (Habermas, 1997,
p. 329).

Le processus argumentatif des participants à la délibération et les conditions dans


lesquelles ils débattent jouent un rôle déterminant. Il s’agit de favoriser les conditions d’une
confrontation d’arguments et une mise en cause de points de vue dans le but de faire émerger
des opinions largement partagées. La force d’un argument dans ce cas de figure résulte de sa
capacité à s’imposer à l’issue de la discussion :

« La « force » d’un argument se mesure, dans un contexte donné, au bien-fondé


des raisons ; ce bien-fondé se montre, entre autres, dans la capacité d’une
expression à convaincre les participants d’une discussion, c’est-à-dire
l’admission d’une prétention à la validité » (Habermas, 1987, p.34).

Chapitre 2 : La communication comme cadre théorique et méthodologie


35
Partie 1 : Une approche communicationnelle de la participation civique

Dans ces conditions, une décision est légitime si elle est fondée sur des raisons
publiques résultant d’un processus de délibération inclusif et équitable, auquel tous les
citoyens peuvent participer et dans lequel ils sont appelés à coopérer librement (Blondiaux,
Sintomer, 2002)

De ce fait, le processus de légitimation de la décision politique distingue l’approche


délibérative des autres modèles de démocratie notamment les « modèles libéraux
traditionnels » accordant un fort intérêt à la négociation entre intérêts particuliers. C’est le
processus de formation des volontés qui confère sa légitimité aux résultats dans le modèle
délibératif (Manin, 2004).

Dans l’espace délibératif les participants à la discussion sont théoriquement censés


trouver le consensus par l’échange argumenté. Mais du fait qu’on ne pourrait pas indéfiniment
discuter dans la réalité, et qu’il faut dans certaines circonstances décider, Habermas considère
que la délibération est mieux appropriée à l’espace décisionnel tel que le parlement, l’espace
judiciaire etc :

« D’une façon générale, les délibérations ont pour but de réaliser une entente
rationnellement motivée et peuvent en principe être indéfiniment poursuivies ou
reprises à tout moment. Il reste que, compte tenu de la nécessité de trancher, les
délibérations politiques doivent aboutir à des décisions prises à la majorité »
(Habermas, 1997, p.331).

Cependant, Habermas établit un lien entre les délibérations qui ont lieu dans les
espaces régulés et le processus informel de formation de l’opinion qui se déroule dans
l’ « espace public ».

I.2 La participation des citoyens à la formation de l’opinion.

La formation de l’opinion dans l’ « espace public » est un aspect important de la


théorie de la délibération. L’ « espace public » est défini comme le lieu où sont débattus les
besoins et les problèmes relatifs à la vie des citoyens, où sont débattus les principes qui
fondent l’ordre politique, où sont critiqués les pouvoirs ; le lieu où se façonnent et émergent
des opinions pouvant accéder aux ordres du jour des institutions politiques et faire l’objet de
décisions. Il constitue un « filtre ». Les débats qui s’y développent permettent de faire sortir

Chapitre 2 : La communication comme cadre théorique et méthodologie


36
Partie 1 : Une approche communicationnelle de la participation civique

de la « confusion babylonienne des voix dans l’espace public » les problèmes liés à la vie des
citoyens et de les faire accéder aux ordres du jour des institutions de décisions (Habermas,
2008). L’ « espace public » est, ainsi, un espace de formation de l’opinion, son rôle étant
de de faire émerger des points de vue pouvant être intégrés aux décisions.

Dans cette perspective, l’ « espace public » propre aux organisations civiques sert à
identifier les problèmes et à les faire émerger :

« L’espace public a vocation à entretenir le lien vivant entre critique, recherche


coopérative de la vérité, autonomie et émancipation et ce par le biais d’une
communication libre et non entravée » (Dupeyrix, 2009, p.38).

L’espace public reste tout de même déterminant dans le processus démocratique du


fait qu’il thématise et transpose les problèmes de la société dans l’espace de délibération. De
ce point de vue, la « théorie de la délibération doit s’accompagner d’une formation
communicationnelle de la volonté politique (…). Elle renvoie, ainsi, à un processus coopératif
de recherche commune de vérité et de la justice, par une montée en généralité des positions,
favorisée par l’échange rationnel d’arguments » (Suraud, 2007, p.179)

II. Une lecture communicationnelle de la théorie délibérative

Au-delà des dimensions procédurales et argumentatives mises en évidence dans


beaucoup de travaux s’inspirant de la théorie de la délibération, l’approche
communicationnelle développée par Marie Gabrielle Suraud consiste à penser l’articulation
entre les formes d’organisation de l’ « espace public autonome » et les conditions de
participation des citoyens dans le dispositif institutionnel de débat. En d’autres termes, il
s’agit de faire l’articulation entre l’espace institutionnel de débat et l’ « espace public
autonome ».

Le postulat sur lequel s’appuie cette approche consiste à dire que l’analyse de la portée
démocratique des dispositifs participatifs ne peut pas se limiter aux échanges institutionnalisés
de débat :

« La prise en compte de l’articulation entre les dispositifs de concertation et


l’espace civique autonome est d’autant plus essentielle qu’est largement reconnue

Chapitre 2 : La communication comme cadre théorique et méthodologie


37
Partie 1 : Une approche communicationnelle de la participation civique

la nécessité de procéduraliser plus ou moins fortement les débats » (Suraud, 2007,


p.32)

L’ « espace public autonome » joue un rôle essentiel dans la démocratie. Les


problèmes liés à la vie des citoyens y émergent, ils y sont débattus et problématisés avant de
faire l’objet de décisions politiques. L’existence de l’ « espace public autonome » et de
l’espace institutionnel de débat dans le processus démocratique permet de garder deux aspects
importants : le rôle de la sphère politique à décider d’une part, et d’autre part, la capacité des
organisations civiques à faire émerger les problèmes sociaux et à les transporter de la
périphérie du système politique en son sein. La sphère publique dispose d’un « pouvoir
communicationnel », c’est-à-dire la capacité des citoyens à porter, au niveau de la sphère du
pouvoir, les problèmes qui les affectent.

Cette approche communicationnelle des dispositifs de participation et plus


précisément l’articulation entre le dispositif institutionnel de débat et la dynamique de
l’ « espace public autonome » constitue une originalité sur le terrain sénégalais. Les travaux
sur les dispositifs participatifs ne prennent pas en compte cette dimension. Si les dispositifs
de participation sont souvent étudiés (Mbacké, 2003) c’est au regard de l’amélioration
de l’implication des citoyens. Leurs effets dans le renforcement des débats dans
l’ « espace public autonome » sont peu analysés

Pour nous, il est question d’étudier la façon dont les débats cadrés par les autorités
dans le cas des ASUREP renforcent les prises de positions critiques et la mise en visibilité
dans l’ « espace public autonome » des problèmes liés au fonctionnement des réseaux d’eau
potable.

Le concept de communication tel qu’il est conceptualisé par Habermas nous semble
pertinent pour saisir cette dynamique et les échanges qui se passent en dehors des dispositifs
de participation institutionnels.

III. La communication comme recherche d’une entente propre à


l’ « espace public autonome »

Pour Habermas, ce qui caractérise l’espace de communication, c’est son autonomie


par rapport, au « système » qu’il définit d’une part, comme l’espace du pouvoir régulé par le

Chapitre 2 : La communication comme cadre théorique et méthodologie


38
Partie 1 : Une approche communicationnelle de la participation civique

média du pouvoir, d’autre part, le marché (sphère économique) qui est régulé par le média de
l’argent. Au sein du système, il ne peut pas y avoir communication.

La communication renvoie, ainsi, à l’interaction entre deux ou plusieurs individus


capables de s’entendre par la discussion sur un projet collectif ou sur une réalité partagée. Elle
est la recherche d’une entente sur des thèmes ou des valeurs universalisables (environnement,
lutte contre la pauvreté) (Habermas, 1987). Dans cette activité communicationnelle, les
participants à la discussion sont motivés par l’entente. Cette communication diffère de la
négociation qui vise un équilibre entre intérêts particuliers. Elle n’est pas non plus de la
stratégie qui vise le succès.

L’autonomie d’un espace public est la condition sine qua non pour qu’il y ait
communication. Celle-ci suppose une « liberté communicationnelle » des participants au
débat, c’est-à-dire leur possibilité à prendre position sur les sujets soumis à la discussion sans
aucune contrainte (Habermas, 2003). Elle nécessite également « une rationalité
communicationnelle » définie comme la capacité qu’a chaque partie prenante d’orienter son
action en fonction de prétentions à la validité subjectivement reconnues, c’est-à-dire « leur
capacité à porter une affirmation en la fondant face à une critique en indiquant les évidences
qui correspondent à cette affirmation » (Habermas, 1987, p.31)

Concevoir l’activité communicationnelle propre à l’ « espace public autonome » en


tension avec les modes d’échange qui caractérisent les dispositifs institutionnels de débat, tel
est le parti pris assumé dans ce travail.

Dans un milieu rural où les populations s’organisent de plus en plus en


association, où les dispositifs de participation sont peu fréquentés, la question du
rapport entre le fonctionnement des dispositifs de débat institutionnalisés et le
renforcement de l’ « espace public autonome » propre aux organisations civiques
représente un enjeu démocratique.

Notre cadre théorique étant circonscrit, nous allons détailler dans la partie qui suit, la
démarche scientifique que nous avons adoptée au cours de ce travail de recherche, les
obstacles auxquels nous nous sommes confrontés et la stratégie adoptée pour les dépasser.

Chapitre 2 : La communication comme cadre théorique et méthodologie


39
Partie 1 : Une approche communicationnelle de la participation civique

IV. Démarche méthodologique, contraintes et adaptation au terrain.

Dans le cadre de ce travail, nous avons fait usage de méthodes de recherche que nous
pensons être adaptées à la réalité de notre terrain. Trois méthodes ont été essentiellement
utilisées : la recherche documentaire, l’entretien semi-directif et l’observation non participante
majoritairement et participante dans de rares cas. Dans le choix des deux dernières méthodes
de recherche, le terrain a été très déterminant.

IV.1 La délimitation du terrain

Lors de mon premier voyage d’étude au Sénégal, mon objectif était de travailler sur les
villages de la région de Saint Louis situés à proximité du lac de Guiers et du Gorom Lampsar.
Il s’agissait, notamment des villages de Lampsar, de Ndiawdoune, de Mbakhana, de
Mboubène, de Mboltogne et de Mbane. Le choix de ces villages était lié au contexte de mise
en place du SDAGE de l’OMVS. L’un des objectifs de cet outil de gestion et d’aménagement
du fleuve Sénégal était d’améliorer les conditions d’accès à l’eau des populations vivant à
côté des eaux de surface. Mes premiers entretiens ont porté sur les populations de ces villages,
sur leurs conditions de participation à la gestion des réseaux d’eau potable. A la fin de mon
premier séjour, j’ai décidé de réduire le champ d’étude suite aux difficultés rencontrées pour
accéder au terrain. Certains villages étaient mal desservis par les transports en commun. Il
m’est arrivé plusieurs fois de passer la nuit au village, chez mon interlocuteur, faute de moyen
de transport pour mon retour. Le passage des transports en commun n’était pas fréquent, ce
qui générait des conséquences sur l’organisation de mon travail.

Compte tenu des difficultés liées aux déplacements dans ces villages, j’ai réduit mon
étude au réseau d’eau potable de Lampsar. Ce réseau d’eau potable dessert trois villages :
Lampsar centre, Lampsar Peulh et Ndialam. Sa gestion est déléguée par l’Etat à l’ASUREP
appelée « ASUREP de Lampsar ». L’appui de l’université Paul Sabatier, grâce à la bourse de
mobilité qui m’a été accordée deux fois, m’a permis de faire le travail d’enquête nécessaire au
Sénégal.

Chapitre 2 : La communication comme cadre théorique et méthodologie


40
Partie 1 : Une approche communicationnelle de la participation civique

Au total, j’ai effectué quatre voyages au Sénégal : du 20 avril au 30 septembre 2010,


du 06 novembre 2010 au 03 janvier 2011, du 19 février au 18 juin 2011 et du 30 juin au 02
novembre 2012.

Au cours de ces séjours, j’ai réalisé 89 entretiens avec des villageois, des associatifs,
des membres d’ONG et quelques responsables étatiques et autorités traditionnelles. J’ai
assisté également, en tant qu’observateur, à 3 débats liés à la mise en place du SDAGE de
l’OMVS, 3 débats liés à la gestion des réseaux d’eau potable, notamment l’assemblée
générale de l’ASUREP de Lampsar, l’assemblée générale de l’ASUREP de Mboltogne et
celle de l’ASUREP de Thilène.

J’ai observé également, dans le village de Lampsar, 3 réunions associatives dont les
deux sont à l’initiative de l’Association Sportive et Culturelle (ASC) et la troisième à
l’initiative des femmes constituées en Groupement de Promotion Féminine (GIE).

IV.2 Conditions de recueil de données

J’ai utilisé trois méthodes pour la collecte des informations nécessaires à ma


recherche : la recherche documentaire, l’entretien et l’observation.

IV.2.a La recherche documentaire

La recherche documentaire s’est faite tout au long de la thèse. Elle porte sur des
publications scientifiques, sur des documents administratifs et sur des rapports réalisés par des
acteurs non-étatiques (ONG, FMI, AFD, OMS, BM) (cf. à la liste des sigles et des
abréviations). La question de l’eau et celle de la participation font l’objet de nombreuses
publications. Pour les publications scientifiques, elles sont faites, d’une part, par des
chercheurs installés à l’étranger mais qui travaillent sur des terrains sénégalais. D’autre part,
elles sont le produit de chercheurs locaux qui travaillent généralement dans le cadre de projets
financés par l’Etat, par des ONG ou par des acteurs économiques. Un grand nombre d’entre
elles est constitué de rapports, d’études de recherches. L’accès à ces publications s’est fait
sans difficultés, contrairement aux documents administratifs.

Chapitre 2 : La communication comme cadre théorique et méthodologie


41
Partie 1 : Une approche communicationnelle de la participation civique

Accéder à la documentation et aux informations en provenance de l’administration est


difficile. J’ai été confronté à la réticence de l’administration à livrer certaines informations.
Comme me le précisait un cadre de la Direction de la Gestion et de la Planification des
Ressources en Eau (DGPRE) : « Pour l’Etat, donner de l’information c’est perdre une partie
de son pouvoir ».

En ce qui me concerne, l’accès aux informations a été facilité par la demande officielle
que j’ai faite auprès du Ministère de l’Hydraulique, sous forme de courrier. L’acceptation de
ma demande par les services du Ministre de l’Hydraulique été décisif. La présentation du
courrier signé par le Ministre réduisait, dans certains cas, les réticences. Les recherches
documentaires réalisées au début de la thèse m’ont permis d’avoir une vision d’ensemble de
la question de l’eau.

IV.2.b L’entretien : une méthode d’enquête qui a ses limites dans les villages
sénégalais

L’entretien est la méthode de collecte de données la plus utilisée dans ce travail. Nos
entretiens ont été réalisés avec des villageois, des ONG et des responsables de
l’administration (Ministère de l’Hydraulique, PEPAM, Hydraulique Régionale, Direction de
l’Hydraulique Rurale) et des autorités traditionnelles. Dans certains cas, ils ont été menés en
wolof (langue locale). J’ai donc du traduire en français l’ensemble de ces entretiens.

En ce qui concerne les entretiens réalisés auprès des villageois, les personnes
interviewées m’ont été indiquées, dans certains cas, par le président de l’ASUREP. Dans la
majorité des cas, j’ai choisi d’interroger certaines personnes parce que lors des entretiens
précédents mes interlocuteurs évoquaient un certain nombre de problèmes et me conseillaient
de rencontrer telle ou telle personne pour les approfondir. Dans d’autres, le choix des
personnes était motivé par un contexte. Il m’est arrivé, par exemple, d’interroger une
personne ayant suscité une vive réaction devant un membre du bureau de l’ASUREP. Il est
arrivé également que des personnes m’interpellent directement parce qu’elles souhaitaient
parler de la gestion des bornes-fontaines. C’est le cas d’un groupe de femmes rencontré au
marché du village et qui m’avait demandé directement pourquoi je ne les interrogeais pas.
Pour d’autres, la décision de les rencontrer survient à la suite d’une discussion informelle, où
à la suite d’une réunion.

Chapitre 2 : La communication comme cadre théorique et méthodologie


42
Partie 1 : Une approche communicationnelle de la participation civique

Dans les villages, le choix des personnes interrogées n’a pas été fondé principalement
sur le statut des personnes, sauf pour de rares cas (chefs de village, notables). Au-delà des
membres du bureau de l’ASUREP, j’ai souhaité discuter directement avec des personnes
n’ayant pas de responsabilité dans la gestion du réseau d’eau potable. Mon premier objectif
était de comprendre comment les populations percevaient la gestion de ce réseau d’eau par
l’ASUREP.

L’avantage de l’entretien, surtout en milieu rural, consiste à favoriser la discussion


autour de problèmes que les interviewés ont du mal à exprimer publiquement (assemblée
générale) par peur d’être jugés ou de susciter des conflits. Les contraintes qui pèsent sur les
participants pendant les débats publics sont absentes lors de l’entretien en tête à tête. Il permet
de comprendre certains non-dits perçus pendant les débats. Il faut préciser, cependant, que
l’entretien a aussi ses limites.

Ce qui caractérise généralement les villages, c’est leur hospitalité. J’ai été touché par
l’accueil qui m’a été réservé17. L’ « étranger est un roi » ont-ils l’habitude de dire. Dans les
faits et gestes, ce sens de l’accueil est régulièrement exprimé. Mais si le sens de l’hospitalité
est bien connu chez les villageois, ils restent tout de même méfiants vis-à-vis de celui qui
n’habite pas le village. Certes, l’ « étranger est roi », mais ce statut ne lui donne pas tous les
droits et en particulier celui de rentrer dans la vie des populations. Un des principes bien
connu au village consiste à dire que le secret de famille doit rester au sein de la famille, les
problèmes du village doivent être traités au village, ils n’ont pas à être communiqués à un
étranger. Il m’a été très difficile au début de faire parler les villageois sur les problèmes de
fonctionnement de l’ASUREP, sur les problèmes de gestion des bornes-fontaines. Il m’est
arrivé lors d’un entretien avec une femme, que son mari vienne participer à l’entretien sans y
être invité, ce qui a tout de suite changé la nature de l’entretien. La gêne est exprimée par des
réponses très courtes, des réponses par « oui » ou « non », « je ne sais pas ». Quand il
s’agissait de parler des besoins du village en termes d’accès à l’eau potable, mes

17
L’hospitalité se manifestait par le lait caillé ou le thé sénégalais qui m’était souvent offert par mes cousins
Peulhs (évidemment ils ne pouvaient pas se comporter autrement puisque je suis leur « BUUR » (chef en wolof)
et qu’ils sont mes « JAAM » (esclave en wolof). Il faut préciser que le mot « esclave » n’a pas un sens péjoratif
dans ce genre de situation. Il est utilisé dans un contexte de cousinage entre les Peulhs et les Sérères dont je fais
partie. Il rentre dans le cadre d’une plaisanterie. Ces contextes de cousinage limitent les situations de conflits qui
peuvent exister entre les « cousins » : Sérères et Peulhs-Toucouleurs ; Sérères et Diolas. Entre ces « cousins »,
toutes les plaisanteries sont tolérées. Cette relation très amicale qui perdure entre les sérères et les Peuls m’a très
souvent facilité l’accès à l’information. Il m’est souvent arrivé également d’être invité à déjeuner où à dîner
après chaque entretien.
Chapitre 2 : La communication comme cadre théorique et méthodologie
43
Partie 1 : Une approche communicationnelle de la participation civique

interlocuteurs étaient très bavards. Ils le sont moins quand il s’agit de parler du
fonctionnement au quotidien des bornes-fontaines.

Devant la difficulté à faire parler les villageois, ma stratégie s’est déclinée en trois
phases.

(a) La première consistait à se familiariser avec ces villageois. D’abord, en revenant au


village régulièrement sans forcément avoir des entretiens prévus. Plusieurs fois, accompagné
du président de l’ASUREP où de ses enfants, j’ai fait la connaissance de nouvelles personnes
en rentrant dans les maisons. Cette familiarisation nécessitait l’adoption d’un certain nombre
de codes et de pratiques connus au village. Ainsi, par courtoisie, il m’arrivait de prendre avec
moi un kilo de sucre, un peu de thé ou de cola afin de les offrir aux personnes âgées. Ce geste
pouvant être interprété par ces personnes comme une volonté d’intégration de l’étranger que
je suis dans la vie du village.

(b) La seconde consistait à participer à certaines activités collectives dans le village.


J’ai été amené, ainsi, à participer à la récolte et au transport du riz des champs au village. Ces
activités sont accomplies de manière collective et associent tous les habitants du village à
différents niveaux. Les hommes récoltent le riz. Après cette récolte, les femmes interviennent
dans le transport du riz vers la batteuse. Une fois le riz traité et mis dans des sacs, il est
transporté au village, via des charrettes, par des jeunes (plus de 15 ans). Les personnes âgées,
restés souvent à la maison, intervenaient pendant le déchargement, notamment en préparant la
place ou le local dans lequel les sacs de riz doivent être rangés. Participer aux activités des
villageois était pour moi une façon de limiter les méfiances et les prises de distance qu’ils
pouvaient avoir à mon égard. Ainsi, ces efforts d’intégration, par mon implication dans les
activités du village, facilitaient mes contacts dans le village.

(c) La troisième stratégie consistait à rester un peu plus avec les personnes et leur
famille après l’entretien formel. Ceci me permettait de continuer les discussions de façon
informelle. Ces moments de discussion informelle sont très riches en information. Les
personnes sont plus bavardes, certains de leurs propos pouvant contredire ceux avancés
pendant l’entretien officiel. Il m’arrivait également de retourner voir des personnes déjà
interrogées une fois la confiance établie. On découvre alors qu’entre l’entretien initial et les
entretiens suivants le discours des personnes interrogées peut évoluer radicalement.

Chapitre 2 : La communication comme cadre théorique et méthodologie


44
Partie 1 : Une approche communicationnelle de la participation civique

La familiarité entre le chercheur et les personnes interrogées a, cependant, des risques.


Ce dernier peut être submergé par des sentiments d’affection, ce qui peut réduire la prise de
distance nécessaire à toute recherche scientifique. Et ce risque est d’autant plus important
dans un contexte rural où existent des situations de précarité qui peuvent conduire à prendre
position. Malgré ce risque, la familiarité constitue une phase importante dans ce type de
territoire pour instaurer une confiance nécessaire entre le chercheur et les personnes
interrogées.

IV.2.c L’observation

L’observation a été utilisée principalement pendant les réunions publiques (assemblées


générales), pendant les rencontres organisées par l’ASUREP et lors des réunions de la
fédération des ASUREP de la région de Saint Louis. J’ai été présent à trois rencontres
associatives et six réunions publiques portant sur la gestion des réseaux d’eau et sur la
participation autour du SDAGE de l’OMVS. J’ai également participé à la phase de
préparation de l’assemblée générale de Lampsar. Cette phase a fait l’objet de réunion avec le
bureau exécutif de l’ASUREP et une réunion impliquant le bureau exécutif et le comité
administratif de l’ASUREP.

En milieu rural, l’observation peut se révéler déterminante. Elle permet de se focaliser


sur des comportements pendant les débats, sur des gestes qui peuvent être révélateurs de l’état
d’esprit des personnes observées. Lors des débats, certains participants ne prennent pas la
parole et peuvent avoir du mal à exprimer leurs opinions. Ainsi, leurs faits et gestes pendant
les débats peuvent être révélateurs de leurs opinions. Il est donc possible d’observer des
gestuelles qui en disent long sur l’état d’esprit des participants. L’intérêt de l’observation dans
ce cas de figure, est de permettre au chercheur de repérer des désaccords non exprimés
publiquement et d’en parler lors des entretiens en dehors du débat. De même, la disposition de
salle de débats, la manière dont les chaises sont rangées, la façon dont les personnes sont
assises, peut donner des indices sur l’inégalité des participants au débat selon les statuts. En
réunions ou en assemblée générale les femmes sont souvent assises par terre. C’est le cas
également pour les jeunes. Bien que les femmes soient généralement les plus nombreuses
pendant ces réunions, elles prennent rarement la parole parce que leur statut social dans le
village ne leur permet pas de se mettre au-devant de la scène.

Chapitre 2 : La communication comme cadre théorique et méthodologie


45
Partie 1 : Une approche communicationnelle de la participation civique

Si l’observation constitue une méthode intéressante de collecte de données, le


chercheur qui observe peut se trouver dans une situation complexe lors des débats. Dans mon
cas, à l’ouverture de chaque débat, j’étais présenté aux participants. A la fin de la réunion
également, on me donnait la parole pour que j’exprime mon opinion sur la réunion, sur ce qui
a été dit. Il m’a même été demandé pendant une réunion de la fédération des ASUREP de me
prononcer sur la réforme sur les ASUREP, réforme qui par ailleurs est contestée par la
fédération. Certains participants de la réunion me demandaient des renseignements sur la
position du gouvernement par rapport à la réforme, estimant que je disposais d’informations
puisque j’étais en contact avec certaines administrations (Direction Hydraulique Rurale,
Hydraulique Régionale, Ministère de l’Hydraulique). Dans ce cas de figure, ma position
d’observateur était embarrassante puisque je passais de l’observation à la participation. J’étais
soumis au devoir de réserve, ne pouvant pas divulguer les informations que je tenais des
acteurs étatiques. En même temps, j’étais gêné de ne pas pouvoir satisfaire les demandes de
ces personnes qui ont accepté sans réserve à ce que j’assiste à leur réunion. Ma seule issue
consistait à dire que j’étais là en tant que simple observateur et que mon rapport final de thèse
serait à leur disposition s’ils le souhaitaient.

La recherche documentaire, les entretiens et l’observation ont été utilisés tout long de
ce travail. Pour exploiter les données de terrains, nous avons privilégié l’analyse heuristique et
la méthode à fiche (Kaufmann, 2006 ; Mayère, 2008).

Mon « analyse heuristique » consiste à élaborer un tableau à trois colonnes. Dans la


première colonne figurent les discours retranscrits des personnes interrogées. Dans la suivante
sont notés les différents thèmes ressortis de l’entretien. Enfin, dans la troisième, il s’agit de
mettre des éléments de contexte de l’entretien et des remarques sur le comportement des
personnes interrogées. Ces tableaux, effectués dans un premier temps sur chaque entretien,
m’ont permis de mettre en évidence des thèmes récurrents, de repérer des paradoxes dans le
discours des personnes interrogées et des contradictions. Dans un second temps, il s’agit de
croiser tous les éléments ressortis des différents entretiens afin d’identifier des thèmes
centraux, de repérer des perceptions et des pratiques propres aux personnes enquêtées.

La méthode à fiche complète l’analyse heuristique. Elle consiste à élaborer des fiches
d’analyse d’entretiens en identifiant des extraits d’entretiens qui renvoient aux mêmes thèmes,
mais également des expressions pouvant nous donner des indications sur l’état d’esprit des
personnes interrogées sur la gestion du réseau d’eau, des phases récurrentes et des éléments de

Chapitre 2 : La communication comme cadre théorique et méthodologie


46
Partie 1 : Une approche communicationnelle de la participation civique

contradiction. Dans ces fiches, également, sont notés mes propres commentaires et mes
interprétations.

Chapitre 2 : La communication comme cadre théorique et méthodologie


47
Partie 1 : Une approche communicationnelle de la participation civique

Conclusion du chapitre 2

L’approche communicationnelle développée dans ce travail de recherche met l’accent


sur les effets des débats institutionnalisés dans l’ « espace public autonome ». Ainsi, les
dispositifs de gestion des réseaux d’eau potable (ASUFOR/ASUREP) sont analysé au regard
de leur capacité à favoriser l’expression des villageois dans cet « espace public autonome ».
Celui-ci est de plus en plus dynamique et mieux structuré par des organisations associatives
dans les villages.

Ces associations fréquentent peu les espaces de débats institutionnels alors que les
dispositifs visant à favoriser l’expression des populations se sont développés dans divers
domaines. Les populations, notamment, les jeunes et les femmes qui ne s’expriment pas
habituellement sur des problèmes relatifs au fonctionnement des villages, reconstituent de
plus en plus des espaces alternatifs de débat.

L’articulation entre le fonctionnement des dispositifs de débat et l’ « espace public


autonome » permet de prendre en compte les points de vue des villageois exprimés en dehors
de l’espace de débat institutionnel.

Chapitre 2 : La communication comme cadre théorique et méthodologie


48
Partie 2 : La participation du public dans les politiques étatiques au Sénégal : formes et enjeux dans le domaine
de l’eau.

Partie 2

La participation du public dans les politiques étatiques au Sénégal : formes


et enjeux dans le domaine de l’eau.

Chapitre 3

Histoire de la participation au Sénégal : influences internationales et


dynamiques locales

Chapitre 4

Evolution politique et économique de la politique d’accès à l’eau potable en


milieu rural sénégalais

49
Partie 2 : La participation du public dans les politiques étatiques au Sénégal : formes et enjeux dans le domaine
de l’eau.

Chapitre 3

Histoire de la participation au Sénégal : influences internationales et


dynamiques locales.

Introduction

Dans ce chapitre, il est question d’analyser les éléments de contexte national, sous-
régional et international qui ont favorisé l’institutionnalisation de la participation au Sénégal.
Il sera aussi question de traiter les formes et les enjeux de cette participation institutionnelle.
En quoi elle contribue à créer une rupture dans l’élaboration et la mise en œuvre des
politiques étatiques notamment en matière de gestion de l’eau ?

La participation institutionnelle renvoie à des pratiques et procédures qui visent à


associer les citoyens aux débats et processus de prise de décision relatifs à des enjeux
collectifs (Blondiaux, 2005). Elle vise des publics différents et peut avoir des enjeux divers
selon les pays. Dans les pays développés mais également dans les pays en développement, la
participation institutionnelle est actuellement érigée en norme dans les politiques étatiques,
notamment, dans le domaine de l’eau (Baron, Belarbi, 2010).

Au Sénégal, la participation du public a pris des formes diverses depuis les


indépendances. Les expériences en matière de participation se sont développées surtout en
milieu rural, notamment, dans un contexte environnemental en forte dégradation. Le parti
écologique sénégalais ainsi que les ONG ont joué un rôle majeur dans la diffusion du principe
de participation auprès des citoyens et des autorités. Plusieurs initiatives en matière de
participation sont sous l’impulsion des financeurs internationaux de projets de développement
tels que la Banque Mondiale, l’Union Européenne et le Fond Montataire International.

Chapitre 3 : Histoire de la participation au Sénégal : influences internationales et dynamiques locales


50
Partie 2 : La participation du public dans les politiques étatiques au Sénégal : formes et enjeux dans le domaine
de l’eau.

I. L’émergence de la participation du public au Sénégal

Au Sénégal, la participation du public n’est pas un thème nouveau. Dès le début des
indépendances, elle est promue par un certain nombre de leaders politiques dont Mamadou
Dia (premier Premier Ministre du Sénégal) dans le but de développer les territoires ruraux
notamment. Pour ce leader politique, il faut sortir de l’ « économie de traite »18 instaurée par
le colonisateur et concevoir un nouveau mode de développement qui s’inspire des expériences
locales en matière de participation (associations paysannes, associations de jeunes) et des
modes de vie communautaire (Colin, 2011).

La participation du public est généralement perçue par les dirigeants politiques


sénégalais comme un levier de développement, notamment en milieu rural. Plusieurs
pratiques en milieu rural, à l’initiative du gouvernement socialiste de l’époque (1960-1980),
sont considérées par les autorités politiques comme de la participation. C’est le cas des
« animations rurales » qui consistent à organiser les populations rurales autour d’objectifs
fixés par l’Etat :

« En faisant un bref historique, il est utile de rappeler que la participation


populaire est un thème récurrent des politiques agricoles en Afrique
subsaharienne. Au moment des indépendances, elle a été l’option initiale de
développement de nombreux pays africains sous des vocables divers : animations
rurales, éducation rurale, promotion humaine, développement communautaire.
La participation responsable et le développement contractuel étaient déjà des
options de développement rural sénégalais au début des indépendances »19.

Dans la pratique, ce qui est appelé « participation » dans les années 1980 est une
forme de contribution financière des populations aux projets qui leur sont destinés. Cette
« participation » a deux objectifs principaux :

18
Cette économie de traite favorise la culture de l’arachide et développe des rapports clientélistes entre les
notables locaux (imams, chefs de village) et les grandes firmes internationales spécialisées dans la
transformation de l’arachide. Elle est fondée sur l’idée selon laquelle les populations colonisées qui « avaient un
retard social et culturel » devaient être conduites vers la civilisation par le colonisateur, une forme de
transmission d’un développement conçu par la tutelle colonisatrice (Colin R., 2011)
19
Mercoret M. R., 1994, « La participation populaire n'est pas une nouvelle notion » in
Promotion de systèmes agricoles durables dans les pays d'Afrique Soudano- Sahélienne, FAO - CIRAD, p.185 -
197
Chapitre 3 : Histoire de la participation au Sénégal : influences internationales et dynamiques locales
51
Partie 2 : La participation du public dans les politiques étatiques au Sénégal : formes et enjeux dans le domaine
de l’eau.

Dans un premier temps, elle permet de partager le coût des investissements avec
les populations bénéficiaires. Dans la lutte contre la déforestation, par exemple, les
populations sont sollicitées par les porteurs de programmes de reboisement (Etat, ONG,
association) pour contribuer financièrement ou physiquement à l’exécution des programmes
de lutte contre la déforestation. Elles contribuent au reboisement en donnant de leur temps et
de leur force physique, par exemple. En ce qui concerne l’accès à l’eau potable, les donateurs
ou financeurs de forages exigent une contribution financière des populations. Pour bénéficier
d’un forage, par exemple, les populations d’un village doivent cotiser pour pouvoir prendre en
charge 1% des frais de réalisation du forage.

Dans un second temps, la contribution financière est censée responsabiliser les


populations. En sollicitant la contribution à l’exécution des politiques étatiques, les financeurs
de projets cherchent à lutter contre un sentiment d’irresponsabilisation qui est la conséquence
d’un manque d’association des populations au projet selon Baldé (2000). On assiste d’ailleurs
pendant cette période à la mise en place, avec l’appui de l’Etat, d’associations sportives et
culturelles, d’associations villageoises, de mouvements paysans dont l’objectif principal est
de faciliter la prise en charge des populations par elles-mêmes (Jacob, Delville, 1994). Le
thème de la participation va être adopté dans les discours autour du développement en milieu
rural. Faire participer les populations devient une nécessité face à un « Etat faible » qui n’a
plus les moyens de satisfaire la demande des populations en matière de service public selon
Diouf (1979).

Dans les années 1990, les pratiques de la participation vont évoluer. La


participation renvoie à la consultation des bénéficiaires pour avoir leur avis. L’objectif de
cette consultation est de mettre en adéquation les politiques de développement et les
aspirations des destinataires. Les interventions de l’Etat doivent se faire avec les populations à
travers des enquêtes menées par des « animateurs ruraux », par des ONG ou par des
sociologues ou encore par des anthropologues. Ces différents enquêteurs interviennent dans
plusieurs domaines (accès à l’eau potable, alphabétisation, sensibilisation contre les maladies
etc.). L’expression des populations, la connaissance de leurs besoins permettent de réajuster
les politiques de l’Etat. Dans cette perspective, la participation vise trois objectifs selon Jaglin
(2004) : faire émerger des besoins des populations ; lutter contre l’inadaptation des solutions
apportées ; permettre d’assurer l’implication, sur le long terme, de l’ensemble des parties
prenantes dans un système de gestion local.

Chapitre 3 : Histoire de la participation au Sénégal : influences internationales et dynamiques locales


52
Partie 2 : La participation du public dans les politiques étatiques au Sénégal : formes et enjeux dans le domaine
de l’eau.

Actuellement, l’institutionnalisation de la participation du public vise à susciter le


débat entre différents usagers. Des collectivités locales (régions, communes, communautés
rurales) en passant par les ONG, les organisations associatives locales (ASUREP,
organisations paysannes, associations de pêcheur), l’Etat prend des initiatives pour susciter le
débat entre des usagers qui ont des rapports différents à l’eau. Cette participation telle qu’elle
est pratiquée n’est pas une exigence de la population locale. Elle est une recommandation des
agences de développement (BM, FMI, UE) dans le but d’améliorer les résultats des politiques
de l’Etat. Il est question d’une participation formulée de l’extérieur et parfois imposée comme
nouveau mode d’action étatique. Elle sert à valider des programmes de développement dont
les schémas d’exécution sont définis sans l’avis des destinataires (Mercoret, 1994 ; Mbacké,
2003). Les financeurs de projets, généralement étrangers, viennent avec des méthodes de
participation déjà appliquées dans leur pays d’origine. Refuser d’adopter ces méthodes
participatives peut entraîner un refus de financement de la part des porteurs de projet. Dans
certains cas, la forme de participation proposée par le financeur est validée par les décideurs
(Etat, conseil régional). Les populations sont devant le fait accompli, obligées de s’inscrire
dans un cadre qui est déjà dessiné pour pouvoir bénéficier du projet.

La participation du public est toujours perçue par les représentants politiques


et leurs partenaires financiers comme un vecteur de réussite des politiques étatiques. Son
évolution au Sénégal et son institutionnalisation dépendent, en partie, du calendrier des grands
sommets internationaux. Ces sommets et les engagements qui y sont pris par l’Etat sénégalais
ont été à l’origine de textes législatifs dont l’objectif affiché est le renforcement de la
participation institutionnelle.

I.1 De l’international au national

La participation du public au Sénégal dans sa forme actuelle est une


participation « imposée » parce qu’elle ne résulte pas d’un processus d’apprentissage, ni
d’une dynamique interne. Elle n’est pas revendiquée par les populations elles-mêmes.
Face aux échecs des politiques de développement verticales où l’Etat prend toutes les
décisions sans consulter les populations, les agences de développement privilégient un
nouveau mode de gouvernance qui responsabilise les populations et implique davantage les

Chapitre 3 : Histoire de la participation au Sénégal : influences internationales et dynamiques locales


53
Partie 2 : La participation du public dans les politiques étatiques au Sénégal : formes et enjeux dans le domaine
de l’eau.

collectivités locales. Dans cette perspective, l’aide au développement s’accompagne de


dispositifs de participation que l’Etat destinataire est appelé à expérimenter. Dans la plupart
des cas, le financement de la de la participation est aussi extérieur, c’est-à-dire les financeurs
d’un projet financent en même temps le volet participatif relatif à la mise en œuvre du projet.
De ce point de vue, la participation ressemble à une « une injonction à la participation par les
bailleurs » (Baron, 2007)20. Elle ne relève pas d’une dynamique endogène. Elle est une
participation « suscitée » ou « provoquée » parce qu’elle vise souvent à obtenir l’adhésion
des populations concernées. Cette forme de participation que Dejeux (1987) appelle
« participation par assimilation »21, est beaucoup pratiquée dans les pays en développement,
notamment en matière d’aménagement et de gestion des ressources en eau.

Le contexte d’émergence de la participation au Sénégal est différent de celui de la


France. En France la participation a émergé grâce à des initiatives portées par des
mouvements civiques (Le Bourhis, 2004 ; Rosanvallon, 2006 ; Paoletti, 1997). Pour ces
auteurs, l’idée de participation en France est d’abord soutenue par des mouvements civiques
apparus à la fin des années 1960 dans certaines communes. Cette « participation à la
française » est portée par des mouvements associatifs qui militent en faveur d’une plus grande
participation des citoyens. Ces mouvements exigent de peser plus sur les décisions qui
concernent leur vie. C’est le cas des mobilisations contre la hausse des tarifs des transports en
commun à Paris, l’aménagement des horaires de ceux-ci et le refus de la hausse des loyers.

Dans cette partie, nous analysons le rapport entre les grands sommets
internationaux et la dynamique participative au Sénégal. Les réformes portant sur la
décentralisation et sur la gestion des ressources environnementales restent très dépendantes
des grands sommets internationaux.

20
Baron C. 2007, dans un article intitulé « Société civile et nouvelles réformes de partenariat pour l’accès à l’eau
dans les pays en développement », parle d’injonction à la participation parce que celle-ci est exigée par les
agences de développement. Cette participation dit-elle relève d’un désengagement des autorités publiques des
domaines qui relèvent de leur mission traditionnelle.
21
Dejeux D., reprend ici un terme utilisé par Crozier et Friedberg. Il oppose à la « participation par
assimilation » la « participation critique » dans laquelle la population concernée participe à la définition même
des objectifs du projet.
Chapitre 3 : Histoire de la participation au Sénégal : influences internationales et dynamiques locales
54
Partie 2 : La participation du public dans les politiques étatiques au Sénégal : formes et enjeux dans le domaine
de l’eau.

I.1.a L’influence des sommets internationaux sur l’évolution de la


participation

L’agenda des réformes au Sénégal a été influencé par les grands sommets
internationaux comme le montre le tableau ci-dessous.

Sommets internationaux Réformes nationales


Rio 1992 -1993 Création du premier ministère en
charge de l’environnement

-1995 Réforme de la gestion de l’eau en


milieu urbain

-1997 Réforme du système de gestion des


forages motorisés ruraux en milieu rural
New York 2000 -2001 Elaboration du nouveau code de
l’environnement.

-2004 Elaboration du Plan d’Action de


Gestion Intégrée des Ressources en Eau
(PAGIRE)

-2005 Mise en place du Programme d’Eau


potable et d’Assainissement du Millénaire
(PEPAM)
Johannesburg 2002 -2002 Création du ministère du Plan et du
Développement Durable pour mettre en place
les recommandations de l’agenda 21.

Figure 4 : Lien entre sommets internationaux et évolutions des politiques étatiques.

Dans le secteur de l’eau et l’environnement, les réformes ont été lancées au


lendemain de ces sommets (Rio 1992, New York 2000, Johannesburg en 2002). Ces sommets
mettent le citoyen au centre des préoccupations environnementales. Ainsi, le sommet de la

Chapitre 3 : Histoire de la participation au Sénégal : influences internationales et dynamiques locales


55
Partie 2 : La participation du public dans les politiques étatiques au Sénégal : formes et enjeux dans le domaine
de l’eau.

Terre à Rio a considéré que l’information, la participation au processus de décision et


l’implication de tous dans la vie de la cité sont des conditions essentielles pour mener une
politique de développement durable :

« La meilleure façon de traiter les questions d’environnement est d’assurer la


participation de tous les citoyens concernés au niveau qui convient. Au niveau
national, chaque individu doit avoir dûment accès aux informations relatives à
l’environnement que détiennent les autorités publiques, y compris aux
informations relatives aux substances dangereuses dans leur collectivité, et avoir
la possibilité de participer au processus de décision »22.

Dans ce principe, l’expression de la citoyenneté est encouragée par le biais de


la « démocratie participative ». Il est question également de valoriser l’échelon local
censé être l’échelle la plus appropriée pour la participation des populations. Le local,
lieu de la proximité est considéré comme l’échelle de la mise en cohérence et de
l’intégration de l’action publique. N’étant pas affecté par les problèmes que connaît le
national parce que « plus simple, moins complexe », le local semble être l’échelle la plus
appropriée pour remédier à la crise que traversent les institutions politiques et la crise
environnementale. Le local nous ramènerait vers la démocratie originelle :

« C’est la communauté de base, les rapports sociaux simplifiés; la fin de la


complexité. On se retrouve ainsi à l’échelle humaine, sans la distance du pouvoir
et l’opacité de l’opinion publique. A l’échelle locale on se connaît, on se
comprend. C’est authentique. C’est la société mais en plus petit, en plus simple,
en moins complexe»23.

Le local est aussi censé être un lieu d’apprentissage des pratiques démocratiques,
nécessaire pour trouver des solutions face aux enjeux environnementaux.

Dans le domaine de l’eau, le principe de « Gestion Intégrée des Ressources en


Eaux » (GIRE) est privilégié. Il devient un principe de gestion de la ressource depuis la
conférence de 1992. Cette « gestion intégrée » consiste à gérer l’eau en tenant compte des
différentes situations liées à l’eau, c’est-à-dire les problèmes de pollution, les problèmes
22
10ème principe de la déclaration de Rio sur l’environnement et le développement durable, 3-14 juin 1992
23
Wolton D., 2000, « Le local, la petite madeleine de la démocratie », Hermès N° 26-27, Paris, CNRS édition,
p. 89-90
Chapitre 3 : Histoire de la participation au Sénégal : influences internationales et dynamiques locales
56
Partie 2 : La participation du public dans les politiques étatiques au Sénégal : formes et enjeux dans le domaine
de l’eau.

d’usage, les problèmes de baisse de la ressource ainsi que les conséquences sociales des
problèmes environnementaux, notamment la pauvreté et l’immigration. La GIRE essaie de
concilier des intérêts divergents voire contradictoires. Elle prend en compte des pluralités
d’acteurs, des préoccupations différentes, des usages multiples dans la décision (Lepage,
Gauthier, Champagne, 2003). De ce point de vue, la GIRE diffère d’une gestion sectorielle de
l’eau qui se contente de mettre en place des plans de gestion par secteur d’activité sans se
soucier des conséquences qu’ils peuvent avoir sur d’autres secteurs. Ainsi, d’une politique
sectorielle qui sépare la politique agricole de la politique environnementale, la lutte contre les
pollutions de la politique de l’accès à l’eau potable, on passe à une politique globale qui prend
en compte toutes les dimensions de la ressource en eau.

La GIRE consiste également à favoriser l’échange des différents usagers de l’eau


(agriculteurs, consommateurs d’eau potable, pêcheurs, environnementalistes, touristes) qui
peuvent avoir des points de vue différents sur l’eau. Elle est adoptée au niveau international
comme modèle de gestion de l’eau, elle devient le guide de la politique de l’eau des
gouvernements des cinq continents grâce à l’influence de la Banque Mondiale qui en est le
principal inspirateur en partenariat avec les agences spécialisées de l’ONU qui travaillent
dans le domaine de l’eau (Petrella, 2012)24.

Pour les pays du sud, l’adoption de la GIRE constitue une condition de financement
des programmes d’accès à l’eau. Les bénéficiaires des financements de la Banque Mondiale et
des Agences de l’ONU s’engagent à traduire au niveau national la « gestion intégrée » par
l’adoption d’outils de gestion comme les Agendas 2125, les Plans d’Action de Gestion
Intégrée des Ressources en Eau (PAGIRE).

Au Sénégal, pour mettre en place les principes de gestion issus du sommet de la


terre de Rio, un ministère de l’environnement et de la nature en charge des problèmes
environnementaux est mis en place, pour la première fois, en juin 1993. Certes, les problèmes

24
L’auteur parle d’une imposition d’un modèle de gestion de l’eau à tous les gouvernements du monde par la
Banque Mondiale. L’adoption de la gestion intégrée comme modèle de gestion de l’eau va définitivement faire
de l’eau un bien économique, l’eau devient « un capital bleu », elle doit être payante partout dans le monde.
25
L’agenda 21 va être adopté lors du sommet de la terre de Rio 1992 comme outil de gestion. Dans le
dictionnaire du développement durable (Brodhag, Breuil, Natacha, François, 2004), il est défini comme un
processus de réflexion stratégique pour mettre en place au niveau local un projet de développement durable. Ce
processus est de nature participative, à l’échelle d’un territoire. Participative parce qu’associant tous les acteurs
concernés, c’est-à-dire tous les individus et organisations qui vivent sur le même territoire. C’est une
combinaison de démocratie élective, de participation citoyenne et d’approches rationnelles de la décision basée
sur des indicateurs et des évaluations (cf. Dione, 2008)
Chapitre 3 : Histoire de la participation au Sénégal : influences internationales et dynamiques locales
57
Partie 2 : La participation du public dans les politiques étatiques au Sénégal : formes et enjeux dans le domaine
de l’eau.

liés à l’environnement existent depuis longtemps. Cependant, la volonté de les prendre en


compte est affichée par l’Etat au lendemain de la conférence de Rio. Il faut rappeler qu’avant
cette conférence, la gestion des problèmes environnementaux dépendait du ministère des
affaires étrangères parce que ce dernier représentait le Sénégal lors des sommets
internationaux.

Au lendemain du sommet mondial sur le développement durable, tenu à


Johannesburg en 2002, il fut créé un nouveau Ministère du Plan et du Développement
Durable. Ce ministère est chargé de l’élaboration et de la mise en œuvre de la politique
nationale en matière de développement durable. Il évalue les projets et programmes de
développement selon les critères de durabilité, c’est-à-dire selon un « mode de développement
qui répond aux besoins des générations présentes sans compromettre la capacité des
générations futures à répondre à leurs propres besoins »26.

Parallèlement à ces innovations, des programmes d’actions vont être mis en œuvre
dans le but de protéger l’environnement. Il s’agit du plan d’action forestier de 1993 qui est «
une politique qui vise la conservation du potentiel forestier et des équilibres socio-
écologiques. C’est une stratégie fondée sur la foresterie rurale par l’intégration de l’arbre
dans le paysage agraire et par l’implication et la responsabilisation des populations à travers
une approche participative »27. Il s’agit aussi des plans d’actions contre les feux de brousse,
des programmes de lutte contre les braconnages fréquents dans les parcs nationaux, des
programmes d’actions contre les déchets ménagers et industriels etc. Ces programmes
élaborés dans un contexte environnemental difficile (sécheresse, déforestation, augmentation
des feux de brousse en milieu rural), ont tous en commun l’implication des populations. Leur
financement est soumis à une condition de participation des populations bénéficiaires. Des
concertations décentralisées sont initiées par le gouvernement sous recommandation des
financeurs des programmes. Il faut impliquer les populations et les collectivités dans le
processus de définition des programmes d’actions.

26
Notre avenir à tous, Rapport de la commission mondiale sur l’environnement et le développement (dite
commission Brundtland), éd. Fleuve, 1989, traduction française de « Our Common Future » 1987. Il existe
quatre critères de durabilité: le critère économique parce que le développement durable doit permettre de
produire des richesses mais aussi des emplois ; le critère social et culturel parce le développement durable doit
être capable d’intégrer des conditions de justice sociale, d’écoute, de reconnaissance des diversités ; le critère
environnemental pour offrir une meilleure qualité de vie, il doit générer des ressources en limitant les pollutions ;
et le critère démocratique parce que les problèmes environnementaux doivent être ouverts au débat public.
27
NGaïdo M., 2002, La politique environnementale du Sénégal (1960-2002), projet « Assistance Conseil à la
Gestion et à la Protection des Ressources Naturelles au Sénégal, Rapport d’étude pour le compte de la
coopération Allemande, p.17
Chapitre 3 : Histoire de la participation au Sénégal : influences internationales et dynamiques locales
58
Partie 2 : La participation du public dans les politiques étatiques au Sénégal : formes et enjeux dans le domaine
de l’eau.

Dans le domaine de l’accès à l’eau potable et notamment en milieu rural, c’est en


1997 que les recommandations de Rio vont être mises en application avec la « réforme du
système de gestion des forages motorisés ruraux ». Cette réforme va institutionnaliser la
participation du public dans la gestion des réseaux d’eau avec la mise en place des ASUFOR
et des ASUREP dont l’objectif est, d’une part, de « renforcer la démocratie de proximité » et
d’autre part, de généraliser la vente de l’eau au volume en milieu rural.

Corrélativement à ces programmes et réformes, des outils de gestion de l’eau vont


être mis en place par l’Etat sénégalais avec comme principe la participation du public. C’est le
cas du Plan d’Action de Gestion intégrée des Ressources en Eau (PAGIRE) qui va être mis
en place en 2004 pour appliquer les recommandations du sommet mondial sur le
développement durable en 200228. L’un des axes du PAGIRE consiste à « améliorer la
communication, l’information, l’éducation et la sensibilisation sur l’eau (…) mais aussi de
renforcer la participation des femmes et des autres catégories sociales défavorisées dans la
gestion des ressources en eau»29. Son élaboration a, certes, fait l’objet de concertation. Plus
de 43 rencontres de concertation départementales et régionales ont été organisées et animées
par le Partenariat National de l’Eau du Sénégal (PNES)30. Notre analyse des documents
relatifs au processus d’élaboration du PAGIRE montre une forte participation des
institutionnels et des experts : Conseil Supérieur de l’Eau, Comité Technique de l’Eau,
Direction de la Planification et de la Gestion des Ressources en Eau, le Ministère de
l’Hydraulique, la Société Nationale des Eaux du Sénégal, l’Association Sénégalaise pour la
Promotion de l’Irrigation et du Drainage des Organisations Agricoles, Association de
Groupements Féminins et des universitaires. Ainsi, les avis de la représentation
institutionnelle ont été privilégiés dans l’élaboration du PAGIRE.

28
Le sommet mondial sur le développement durable recommande le principe de gestion intégrée de la ressource
en eau pour faire face aux problèmes de qualité et de quantité de la ressource en eau. Cette gestion intégrée est
un « processus favorisant le développement coordonné de l’eau, des sols et des ressources associées, afin de
maximiser d’une manière équitable le bien-être économique et social sans compromettre la pérennité des
écosystème ».
29
République du Sénégal, Ministère de l’Hydraulique, Plan d’Action de Gestion Intégrée des Ressources en
Eau, p.4
30
Le PNES est une association à but non lucratif crée en 2005 par un réseau de personnes représentant des
groupes d’intérêts différents (associations d’usagers, associations de femmes, ONG, instituts de formation et de
recherche, élus, secteur privé, service technique de l’Etat). Elle a pour objectif de favoriser l’application des
principes de la GIRE au niveau national par la concertation et la sensibilisation. Son plan d’action se résume en
trois composants : la diffuser de connaissances et de savoir-faire auprès des usagers et des décideurs nationaux ;
la mise en disposition de ces connaissances et savoir-faire auprès des publics peu impliqués dans le processus de
décision (jeunes, femmes) ; le respect du principe de participation, de la représentation et de l’équité dans la mise
en œuvre du PAGIRE
Chapitre 3 : Histoire de la participation au Sénégal : influences internationales et dynamiques locales
59
Partie 2 : La participation du public dans les politiques étatiques au Sénégal : formes et enjeux dans le domaine
de l’eau.

L’engagement de l’Etat à mettre en œuvre les recommandations issues des


sommets internationaux se traduit par l’adoption de nouveaux textes législatifs et
l’expérimentation de nouveaux outils de gestion qui plébiscitent la participation des
représentants, c’est-à-dire ceux qui sont impliqués dans le débat sont des représentant
(représentants de l’Etat, des ONG, des collectivités locales, des organisations paysannes, des
associations de groupements féminins). Avec la coopération décentralisée entre les
collectivités du nord et celles du sud, les pratiques de participation se développent d’avantage
en milieu rural notamment grâce à l’expérimentation de dispositifs participatifs.

I.1.b La coopération internationale décentralisée : un vecteur de transformation


des formes d’actions étatiques.

La coopération internationale décentralisée est une forme de solidarité entre les


pays du nord et les pays du sud. Elle se traduit par la mise en place de partenariats entre ces
pays. Ces coopérations peuvent être sous forme de jumelage, sous forme d’assistance
technique ou sous forme d’actions humanitaires ou encore sous forme d’aides au
développement. La coopération décentralisée est reconnue dans la loi sénégalaise sur la
décentralisation de 1996 :

« Les collectivités locales peuvent dans le cadre de leurs compétences propres,


entreprendre des actions de coopération avec des collectivités locales de pays
étrangers ou d’organismes internationaux publics ou privés de
développement »31 .

Cette coopération décentralisée joue un rôle important dans la lutte contre la


pauvreté et l’accès à l’eau des populations rurales du sud. Les collectivités du nord apportent
à celles du sud des appuis financiers notamment dans la réalisation des adductions d’eau
potable, la préservation des milieux aquatiques, le traitement des eaux usées etc. La
coopération décentralisée constitue aussi un vecteur de transformation des modes de
définition de l’action étatique à travers l’expérimentation de dispositifs participatifs tels que

31
Loi n° 96-06 du 22 mars 1996 portant code des Collectivités locales, art.17
Chapitre 3 : Histoire de la participation au Sénégal : influences internationales et dynamiques locales
60
Partie 2 : La participation du public dans les politiques étatiques au Sénégal : formes et enjeux dans le domaine
de l’eau.

les conseils de quartiers, les budgets participatifs, les comités d’usagers de l’eau, les Schémas
Directeurs d’Aménagement et de Gestion de l’Eau (SDAGE).

En France, la loi d’orientation relative à l’administration territoriale de 1992


prévoit des aides au développement dans le cadre des coopérations entre des collectivités
françaises et celles du sud. Depuis 2005, les collectivités locales françaises, mais également
les agences de l’eau peuvent consacrer 1% de leur budget à des actions de solidarités pour
accompagner des projets dans les pays du sud dans le domaine de l’accès à l’eau potable et à
l’assainissement32.

Dans le cadre de cette coopération décentralisée, la région Midi-Pyrénées, en


collaboration avec la Fondation Nicolas Hulot, en 2005, a contribué financièrement à hauteur
de 180.000 millions à la réhabilitation des « Trois Marigots » située dans la région de Saint
Louis33. L’objectif de ce projet est de restaurer ces trois marigots qui ont disparus
successivement depuis les années de sècheresse des années 1970. Il s’agit de creuser des
canaux pour les réalimenter en eau. Du point de vue socioéconomique, ces marigots
constituaient une source d’alimentation en eau des populations de villages environnants pour
les activités agricoles, la pêche, le maraîchage et les besoins d’eau au quotidien. Par ces
différentes activités, les « Trois Marigots » participaient au développement économique et
social des populations des villages environnants. Du point de vue de l’environnement, le
projet « Trois Marigots » vise aussi à restaurer la biodiversité par l’introduction de nouvelles
espèces et à reboiser les espaces autour des marigots.

Les populations étaient chargées de veiller sur suivi des actions mises en œuvre et
leur entretien. En contrepartie, des projets de développement relatifs au maraîchage, à
l’agriculture, à l’accès à l’eau potable, à la santé sont financés. Le projet est mis en place
suivant un processus de participation défini par la Fondation Nicolas Hulot en accord avec le
conseil régional de Saint Louis. Des « Comités d’Usagers » (CU) sont mis en place grâce à
l’appui du coordonnateur du projet et les injonctions de la fondation Nicolas Hulot. Les CU
sont censés représenter les différentes catégories d’usagers situées dans la même zone. Les

32
Ministère de l’écologie et du développement durable, 2007, L’action internationale des agences de l’eau. Pour
une solidarité universelle des usagers de l’eau, 6 p.
33
Le projet de réhabilitation « Trois Marigots », dans le cadre de la coopération décentralisée, est financé par la
région Midi-Pyrénées, la région Nord-Pas-de-Calais, la région Rhône-Alpes, la fondation Nicolas Hulot, le Fond
Français pour l’Environnement Mondial et la région de Saint Louis du Sénégal.
Chapitre 3 : Histoire de la participation au Sénégal : influences internationales et dynamiques locales
61
Partie 2 : La participation du public dans les politiques étatiques au Sénégal : formes et enjeux dans le domaine
de l’eau.

jeunes, les éleveurs, les femmes, les agriculteurs, les pêcheurs doivent être dans le comité
d’usagers.

Cette forme de participation dont les règles sont définies généralement par le
financeur du projet est adoptée par les autorités locales parce qu’elle conditionne le
financement des projets. Les populations l’acceptent dans l’espoir de bénéficier des
retombées économiques des projets en se conformant aux exigences de participation des
porteurs de projets. Tant qu’elles peuvent bénéficier de la réalisation d’une borne-fontaine,
du financement de projets agricoles etc., elles acceptent les exigences de la participation. De
ce point de vue, ce qui motive les populations à s’impliquer dans le processus de participation
défini par les financeurs du projet, ce sont généralement les enjeux économiques du projet.
Les populations d’un village vont se mobiliser pour répondre aux réunions organisées
par les porteurs de projets parce qu’elles savent que sans cette mobilisation, elles ne
peuvent pas bénéficier du projet. Cependant, une fois le projet réalisé, les dispositifs de
participation connaissent des problèmes de fonctionnement dans la durée. Les exigences
formulées dans le cadre de ces dispositifs en matière de participation ne sont pas suivies
par les populations dans le long terme.

D’autres dispositifs de participation vont apparaître dans les collectivités locales


avec la coopération décentralisée. Dans certaines régions du Sénégal, notamment, à Saint
Louis, les « Conseils de Quartiers » sont en phase d’expérimentation avec l’appui de l’Agence
Française de Développement (AFD). Les conseils de quartiers sont des dispositifs de
participation à l’échelle d’un quartier. Ils ont été généralisés en France depuis la loi Vaillant
de 2002 dans les communes de plus de 80 000 habitants. Ils regroupent « un petit nombre de
citoyens désignés en fonction de diverses modalités, ils constituent une instance inscrite dans
la durée censée se faire le porte-voix des habitants »34. Contrairement à la France où ces
dispositifs sont rendus obligatoires par la loi, au Sénégal, leur mise en place est une
suggestion des collectivités locales du nord ou de partenaires de développement comme
l’AFD. Les élus ne sont pas contraints par la loi à les mettre en place. Les « Conseils de
Quartiers » sont des espaces de discussion au sein desquels les problèmes du quartier sont
débattus dans le but de trouver des solutions sans forcément attendre l’aide de l’Etat ou les
collectivités locales. Les problèmes d’hygiène et de propreté du quartier, les problèmes

34
Bacqué M. H., Sintomer Y., 2005 « La démocratie participative, un nouveau paradigme de l’action
publique ? », in gestion de proximité et démocratie participative, Paris, la Découverte, p.15
Chapitre 3 : Histoire de la participation au Sénégal : influences internationales et dynamiques locales
62
Partie 2 : La participation du public dans les politiques étatiques au Sénégal : formes et enjeux dans le domaine
de l’eau.

d’inondations, les sensibilisations contre le paludisme sont des thèmes récurrents qui font
l’objet de débat dans ces « Conseils de Quartier ». Ces derniers sont généralement constitués
de personnes influentes du quartier (présidents d’associations), de personnes ayant un certain
niveau d’instruction (enseignants) et de notables du quartier (imams, chefs de quartier). Dans
un contexte où les élus locaux ont du mal à assurer les services de base faute de budgets
suffisants, les « Conseils de Quartiers » se substituent au service municipal surtout dans le
domaine du ramassage des ordures et de l’entretien des rues. Dans ce cas, les familles
contribuent financièrement chaque mois. L’argent récolté auprès des différentes familles du
quartier permet de payer les indemnités de l’équipe chargée de faire le ramassage des déchets
ménagers et l’entretien des rues. Cette équipe fait du porte-à-porte dans le quartier pour vider
les poubelles. A la fin de chaque mois, elle est indemnisée par le « Conseil de Quartier ». Ces
pratiques se sont multipliées dans beaucoup de petites communes qui bénéficient de l’aide
internationale. Ces petites communes qui généralement ont une main-d’œuvre jeune sont
encouragées à adapter leurs moyens à la voirie fragile et étroite. Elles utilisent ainsi des
moyens de transport locaux (ânes, charrettes) pour le ramassage des déchets35.

Cette participation dans le cadre de la coopération décentralisée est cadrée par les
financeurs de projets qui s’inspirent souvent des pratiques de participation connues dans leur
pays d’origine (Sillonville, 2003). Les populations destinataires de ces dispositifs ne les ont
pas demandés. Elles ne font que suivre des instructions qui leur sont données, le plus
important étant pour elles de bénéficier des projets. De ce point de vue, la participation
reste ponctuelle, elle est très circonscrite dans le temps. De ce fait, il existe plusieurs
dispositifs de participation dont la durée de vie ne dépasse pas celle des projets.

La coopération décentralisée a favorisé les pratiques de participation à travers


l’expérimentation d’un certain nombre de dispositifs dans l’exécution des projets financés par
les pays du nord. Cette influence extérieure dans le cadre de la coopération entre collectivités
du nord et celles du sud (la région de Saint et la région Midi-Pyrénées par exemple) favorise
la transformation des formes d’intervention en matière de politiques étatiques au Sénégal.

Il faut souligner cependant, que l’adoption des principes de gestion participative


recommandés pendant les sommets internationaux ou expérimentés dans le cadre de la
coopération décentralisée n’est pas contraignante. La meilleure manière d’inciter les Etats à
35
Dorier-Appril E., Meynet C., 2005, « Les ONG : acteurs d’une gestion disputée des services de base dans les
villes Africaines », Autrepart, N° 35, p 19-37
Chapitre 3 : Histoire de la participation au Sénégal : influences internationales et dynamiques locales
63
Partie 2 : La participation du public dans les politiques étatiques au Sénégal : formes et enjeux dans le domaine
de l’eau.

les respecter est de les inscrire dans les conditions de financement de projets des pays en
développement.

Depuis les années 1990, l’Organisation pour la Mise en Valeur du Fleuve Sénégal
(OMVS) élabore un cadre réglementaire et adopte des outils de gestion participative incitant
les pays membres dont le Sénégal à intégrer le principe de participation. Dans la partie qui
suit, nous analysons les initiatives entreprises par l’OMVS en matière de participation dans la
gestion du fleuve Sénégal. Il s’agira également de traiter des effets de ces initiatives sur les
modalités d’intervention des pays membres, et particulièrement le Sénégal, dans le domaine
de l’eau et de l’environnement

I.1.c L’impulsion des pratiques de participation par l’OMVS.

L’OMVS est un organisme interétatique constituée par le Mali, la Mauritanie, la


Guinée et le Sénégal, quatre pays traversés par le fleuve Sénégal. Elle est créée en 1972 dans
un contexte de sécheresse et de famine qui a affecté durement l’ensemble des pays membres.
La mission principale de l’OMVS consiste à promouvoir le développement socio-économique
des populations situées sur le bassin du fleuve Sénégal sur des bases durables. L’OMVS vise
à satisfaire les besoins d’aménagements hydro-agricoles, les besoins en eau potable des
populations. Elle poursuit plusieurs objectifs dont l’autosuffisance alimentaire pour les
populations du bassin et de la sous-région, la sécurisation et l’amélioration des revenus des
populations de la vallée et la préservation de l’équilibre des écosystèmes dans la sous-région.
La population du bassin du fleuve est estimée à plus 4,2 millions de personnes en 2008, soit
16% de la population des 4 pays riverains36.

Dans ses programmes de gestion, de partage de la ressource et de développement


du bassin du fleuve, l’OMVS agit en coordination avec les Etats membres. Tous les
programmes de gestion de la ressource en eau à l’initiative de l’OMVS doivent être validés
par les chefs d’Etat membres avant d’être exécutés. Cependant, l’adoption de nouveaux outils
de gestion de l’eau à initiative de l’OMVS (Programme de Gestion Intégrée des Ressources
en Eau, Schéma Directeur d’Aménagement et de Gestion des Eau) et la mise en place de

36
OMVS, 2009, Schéma Directeur d’Aménagement et de Gestion de l’Eau du fleuve Sénégal (SDAGE), phase
diagnostic, 457p.
Chapitre 3 : Histoire de la participation au Sénégal : influences internationales et dynamiques locales
64
Partie 2 : La participation du public dans les politiques étatiques au Sénégal : formes et enjeux dans le domaine
de l’eau.

dispositifs participatifs ( Comités locaux de Coordination, Associations d’Usagers) dans les


Etats membres marquent une volonté de l’organisation d’inciter ces Etats membres à adopter
un nouveau mode de gestion censé intégrer le point de vue des populations riveraines. En
d’autres termes, il est question de convaincre les Etats membres d’adopter des politiques
plus respectueuses de l’environnement et d’impliquer leurs populations dans la gestion
de l’eau.

Depuis 1990, cette organisation sous-régionale a connu des mutations dans ces
formes d’intervention et a évolué dans ses objectifs. Il faut rappeler qu’au débat de sa création
l’OMVS menait une politique de construction de barrages décidée de façon unilatérale sans
l’avis des riverains du fleuve. De ce point de vue, Baldé (1999) considère que la participation
dans la vallée du fleuve Sénégal est inexistante. Les organisations locales de la société civile
telles que les organisations paysannes et les ONG ne sont impliquées dans les projets de
gestion des eaux.

Actuellement, l’OMVS passe à une politique de développement des localités


traversées par le Fleuve Sénégal plus ouverte aux débats avec les populations riveraines. Cette
mutation s’explique par l’échec de ses politiques au début de sa création en 1972. Ces
politiques avaient pour objectif de favoriser le développement agricole, de faciliter la
navigation dans le fleuve, de satisfaire la demande en eau potable des populations. C’est dans
cette perspective que deux barrages ont été créés : le barrage anti-sel de Diama en 1986 et
celui de Manantali en 1987 avec une production d’électricité de 800 gigawatts/heure, un
réseau de 1500 km de ligne de transport auquel sont interconnectés tous les Etats membres
depuis 2002. A la fin des années 1990, nous assistons dans la vallée du fleuve Sénégal à une
augmentation de maladies liées à la mauvaise qualité de l’eau. Les difficultés d’accès à l’eau
potable des populations riveraines se sont multipliées, le développement des plantes
aquatiques comme le typha a rendu difficile la navigation et la pêche dans le fleuve. Cette
période est aussi celle où un certain nombre de programmes à caractères sociaux et
environnementaux vont être mis en place. L’OMVS passe de la phase de réalisation
d’infrastructures à une phase de gestion de la ressource et de lutte contre la pauvreté. Dans
cette nouvelle perspective, les populations sont associées à la gestion de l’eau. Les projets
portant sur la lutte contre la pollution et le partage de la ressource font de plus en plus l’objet
de participation afin de prendre les préoccupations des différents usagers.

Chapitre 3 : Histoire de la participation au Sénégal : influences internationales et dynamiques locales


65
Partie 2 : La participation du public dans les politiques étatiques au Sénégal : formes et enjeux dans le domaine
de l’eau.

Cette nouvelle orientation de la politique de l’OMVS cherche, d’une part, à


améliorer l’image de l’OMVS auprès des populations riveraines qui la considèrent comme
responsable d’un certain nombre de problèmes dont ils sont confrontés : maladie liée à l’eau,
baisse des niveaux de l’eau dans les canaux d’irrigation des agriculteurs, disparation de la
pêche artisanale à cause de la baisse accrue des poissons dans le fleuve. D’autre part, elle vise
à mieux répondre aux besoins des populations. Pour cette raison, leur implication est
considérée comme une nécessité pour l’OMVS.

Notre analyse des dispositifs participatifs à l’initiative de l’OMVS concerne la


partie sénégalaise du Fleuve. Il s’agit pour nous de comprendre comment ces dispositifs ont
pu renforcer l’élan participatif au Sénégal et particulièrement à Saint Louis.

 Les Comités Locaux de Coordination et la participation locale

Créés en 1996, les Comité Locaux de coordination (CLC) sont des dispositifs de
proximité censés faciliter l’échange entre les différents usagers de l’eau et les acteurs
institutionnels (Etat et OMVS)37. Ils constituent les premiers dispositifs institutionnalisés mis
en place par l’OMVS dans les Etats membres et au sein desquels différentes parties prenantes
de la gestion de l’eau au niveau local sont représentées. Les services techniques locaux de
l’Etat, les collectivités locales, les organisations de la société civile, les organisations
socioprofessionnelles, les Groupements de Promotion Féminine, les organisations paysannes,
les maisons des éleveurs et les associations de jeunes sont représentés.

Au Sénégal, ils sont au nombre de sept. Ils sont mis en place dans les régions
frontalières du fleuve Sénégal (Louga, Saint-Louis, Dagana, Podor, Kanel, Matam et Bakel)
dans le cadre du « Projet Energie ». Ce projet consiste à la création d’une centrale
hydroélectrique au niveau du barrage de Manantali pour la production d’électricité et
l’installation de lignes électriques devant transporter l’électricité du barrage vers les capitales
des pays membres de l’OMVS. Plusieurs populations dont les habitations se situent sur ce
tracé de lignes électriques vont être déplacées. Certains paysans vont perdre également leurs
champs. Pour indemniser les déplacés et rendre public les études d’impacts
environnementaux, la Banque Mondiale et la Banque Africaine de Développement, financeurs
37
OMVS, 2010, Une décennie d’approche participative transfrontalière et innovante, 6p.
Chapitre 3 : Histoire de la participation au Sénégal : influences internationales et dynamiques locales
66
Partie 2 : La participation du public dans les politiques étatiques au Sénégal : formes et enjeux dans le domaine
de l’eau.

du projet, vont exiger à l’OMVS une concertation. Celle-ci a permis la prise en compte des
préoccupations des populations déplacées :

« Ces cellules ont permis d’intégrer les préoccupations des populations sur le
tracé de la ligne électrique du projet « Energie de l’OMVS »38.

Dans l’exécution du Programme d’Atténuation et de Suivi des Impacts


Environnementaux (PASIE), les CLC ont joué également un rôle important dans la
sensibilisation et la mobilisation des populations. Le PASIE est un programme d’actions
constituées d’un ensemble de mesures de correction, d’optimisation et de surveillance des
impacts sur l’environnement dans le cadre de la mise en valeur des ressources du fleuve
Sénégal. Il s’agit de reboisements de plantes forestières, de maraîchage biologique, de
fonçage de puits et de constructions de réseau d’eau, de restauration des berges du fleuve, de
nettoyages de l’axe hydraulique du Gorom Lampsar, de lutte contre la prolifération des
végétaux aquatiques nuisibles. Dans la mise en œuvre de ces actions, les CLC ont été des
lieux d’échange entre les parties prenantes institutionnelles (OMVS, Etat) et les populations
riveraines.

Cependant, l’influence des CLC est relative quand il s’agit d’élaborer des
programmes de gestion de l’eau. Ceux-ci émanent de l’OMVS et des Etats membres et sans
débats avec les populations. Ces dernières sont associées en réalité dans l’exécution des
mesures décidées par l’OMVS et les Etats. Le fonctionnement des CLC laisse peu la
possibilité aux usagers de peser sur le processus de décision relatif à la gestion du fleuve
Sénégal. Les CLC restent des organes de consultation et d’exécution de programmes dont le
fonctionnement dépend du préfet. Ce dernier désigne par exemple les représentants des
différentes catégories d’usagers dans le CLC. IL est également le seul à pouvoir le convoquer.
Ainsi, dans leur fonctionnement, les CLC ont favorisé d’une part, la sensibilisation des
populations aux problèmes environnementaux qui se posent au niveau du fleuve Sénégal
depuis les années 1990. D’autre part, ils ont permis à l’Etat et à l’OMVS d’inciter les
populations à assurer le service après-vente des programmes de gestion du fleuve Sénégal.

L’OMVS connaît également une évolution institutionnelle caractérisée par la mise


en place de dispositifs juridiques favorables à l’association des usagers à la gestion de la

38
Coly A., 2003, « Enjeux de la participation des collectivités locales à la gestion intégrée des ressources en eau
du fleuve Sénégal », Cahiers du Giradel, N°1, p.19-27
Chapitre 3 : Histoire de la participation au Sénégal : influences internationales et dynamiques locales
67
Partie 2 : La participation du public dans les politiques étatiques au Sénégal : formes et enjeux dans le domaine
de l’eau.

ressource. C’est dans cette perspective qu’une charte des eaux du fleuve Sénégal a été mise en
place par l’OMVS.

 La charte des eaux de l’OMVS

La charte des eaux du fleuve Sénégal a été adoptée en 2002. Elle a quatre objectifs
essentiels détaillés dans l’article 2.

 L’objectif premier consiste à fixer les principes et les modalités de la répartition des
eaux du fleuve Sénégal entre les différents secteurs d’utilisation : l’agriculture,
l’élevage, la pêche, la faune et la flore, l’énergie hydroélectrique et l’alimentation en
eau des populations urbaines et rurales.
 Pour le second objectif, il est question de définir les modalités d’examen et
d’approbation des nouveaux projets d’utilisateurs pouvant affecter la qualité et la
quantité de l’eau du fleuve.
 Le troisième objectif consiste à déterminer les règles relatives à la préservation et à la
protection de l’environnement pour ce qui concerne la faune et la flore mais également
les zones humaines.
 Le quatrième objectif porte sur la participation. Il consiste à définir le cadre
participatif permettant aux différents usagers du fleuve de participer aux débats et
prises de décisions relatifs à des projets nationaux pouvant avoir des impacts sur la
ressource en eau et sur les populations riveraines.

Même si les conditions de participation et les modalités restent floues dans la


charte, le principe de participation du public est clairement mentionné comme objectif pour
tout nouveau projet en rapport avec l’eau du fleuve. Tout projet d’utilisation de l’eau du
fleuve pouvant entraîner des modifications sur la qualité et la quantité de l’eau du fleuve et de
l’environnement doit faire l’objet de débats avec les différents usagers de l’eau du fleuve. Un
Etat porteur de projets pouvant avoir des impacts sur la ressource et sur les populations
riveraines doit informer les autres pays membres. Il est tenu d’informer également les
populations riveraines pouvant être affectées par le projet. Les autorités nationales de chaque
pays membre ont l’obligation d’appliquer ce principe de participation du public depuis
l’adoption de la charte. Cependant, si le principe de participation du public a pris une place
Chapitre 3 : Histoire de la participation au Sénégal : influences internationales et dynamiques locales
68
Partie 2 : La participation du public dans les politiques étatiques au Sénégal : formes et enjeux dans le domaine
de l’eau.

déterminante dans la gestion de l’eau du fleuve par l’OMVS, son application au niveau des
Etats se fait avec difficulté. Les textes en matière de participation varient d’un Etat à un autre,
ce qui a des conséquences sur les pratiques de participation. Quand certains Etats font du
principe de la participation du public une priorité, d’autres la relèguent au second plan.

 Les Associations d’Usagers de l’eau

Dans la même perspective d’impliquer les populations dans la gestion du fleuve


Sénégal, l’OMVS a été à l’initiative d’Associations d’Usagers (AdU) au Sénégal mais aussi
dans les autres pays membres de l’OMVS. Mis en place en 2004, les AdU ont pour objectif de
développer l’approche participative initiée dans le cadre du projet PASIE et du « Projet
Energie » afin de susciter une réflexion collective au niveau des différentes catégories
d’usagers de l’eau du fleuve Sénégal et d’inciter une « mobilisation sociale » autour de ces
projets. La création des AdU est fondée sur le principe de proximité. Il s’agit de partir de
l’hypothèse selon laquelle les populations qui pratiquent la même activité, qui sont liées par
une proximité (géographique, culturelle ou professionnelle) et qui ont un intérêt commun sont
plus faciles à organiser. Ces groupes de populations sont ainsi censés être motivés et mieux
armés pour gérer et entretenir ensemble un patrimoine (eau, environnement) qui leur
appartient, entretenir un axe hydraulique, un affluent ou un réseau d’eau potable. Il est
question de susciter le rapprochement des populations utilisatrices d’un même axe
hydraulique au sein d'AdU sur la base de points communs (utilisation de l’eau pour la même
activité) et de les pousser à la réflexion collective au niveau des villages, par exemple. Cette
démarche a pour objectif de créer une dynamique collective chez les populations en vue de
garantir la pérennité des projets à l’initiative de l’OMVS.

Aujourd’hui les AdU sont au nombre de 11 au Sénégal. Les membres viennent de


différentes catégories d’usagers avec une attention portée sur l’implication des femmes et des
jeunes. L’échange entre ces différents usagers est supposé élargir la vision qu’ont les usagers
sur l’eau. Au-delà de leurs territoires et de leurs préoccupations immédiates liées à leurs
activités, chaque usager doit penser que son activité peut avoir des conséquences sur celle des
autres39. En d’autres termes, l’agriculteur qui est en amont qui conteste un lâchage d’eau doit

39
OMVS, 2010, Le journal de l’OMVS, N°6, 4 p.
Chapitre 3 : Histoire de la participation au Sénégal : influences internationales et dynamiques locales
69
Partie 2 : La participation du public dans les politiques étatiques au Sénégal : formes et enjeux dans le domaine
de l’eau.

savoir que ces lâchages sont nécessaires pour ses collègues en aval. De même, l’industriel qui
déverse ses eaux usées dans le fleuve doit se rendre compte que cette pollution engendre des
augmentations de tarif de l’eau à la borne-fontaine. Plus l’eau est polluée, plus son traitement
nécessite des frais supplémentaires, ce qui entraîne une augmentation du prix de l’eau. Ainsi,
les AdU sont supposées favoriser l’échange entre usagers qui ont des rapports différents a
l’eau.

Il faut préciser, cependant, que les AdU restent des organisations non structurées,
elles ne disposent pas de statut juridique. Leurs activités restent très ponctuelles comme les
CLC. Elles sont le plus souvent mobilisées que dans le cadre de projets à l’initiative de
l’OMVS, leur relation avec les ASUREP est inexistante par exemple.

Le thème de la participation au Sénégal s’est développé grâce à l’influence des


sommets internationaux, la coopération décentralisée et des initiatives de l’OMVS. Le
contexte local environnemental difficile a aussi favorisé le débat sur la nécessité d’impliquer
les populations dans les politiques de l’environnement. Le parti écologique sénégalais a joué
un rôle dans le développement de la participation du public dans le domaine de
l’environnement en général.

I.2 L’écologie et la participation civique

Le milieu rural sénégalais dans les années 1990 est caractérisé par deux facteurs
qui vont être déterminants dans l’institutionnalisation de la participation. Dans un premier
temps, nous assistons à « une crise écologique » sans précédent dont les caractéristiques sont
multiples. En milieu rural, les feux de brousse se multiplient avec comme conséquences des
hectares de forêts disparues. A ces déforestations liées aux feux de brousse, s’ajoute la
déforestation faite par les populations. Ces dernières, au nom d’impératif de développement,
coupent des forêts pour s’installer et cultiver la terre, mais aussi pour faire du charbon de bois
destiné à la vente dans le marché national. Le rapport de 2005 de l’Observatoire de
l’Environnement de l’OMVS estime que la diminution des surfaces de forêts a été de 800.000
ha au Sénégal dans les années 1990. Ces déforestations vont avoir des conséquences dans le
monde rural. Les paysans dont les terres sont de moindre qualité, ont des difficultés à produire

Chapitre 3 : Histoire de la participation au Sénégal : influences internationales et dynamiques locales


70
Partie 2 : La participation du public dans les politiques étatiques au Sénégal : formes et enjeux dans le domaine
de l’eau.

suffisamment pour assurer leur autosuffisance alimentaire. Ils quittent la campagne pour
s’installer dans les villes.

Dans la région de Saint Louis, les eaux de surfaces (fleuve, lacs) sont envahies par
des herbes aquatiques nuisibles limitant les possibilités de pêche artisanale source de revenus
des populations riveraines. En ce qui concerne la faune sauvage, le parc de Niokolo-Koba
situé dans la région de Saint Louis est victime du braconnage. Il faut ajouter à cela la
pollution des eaux du fleuve Sénégal par la Compagnie Sucrière Sénégalaise (CSS) située
dans la commune de Richard Toll, mais aussi l’accident industriel de la Société Nationale de
Commercialisation des Oléagineux du Sénégal (amoniaque) en 1992 et celui des entrepôts de
Shell (Gaz) en 1993 (Gérard, 1994). Cette « crise écologique » va entraîner l’émergence d’un
mouvement politique et civique.

Certes, la conscience environnementale a toujours existé en milieu rural et


notamment chez les sérères (Faye, 2000). Pour l’auteur l’arbre était considéré comme un lieu
sacré pour ce peuple, « même l’abattage de l’arbre destiné à la construction d’une pirogue
était considéré comme un attentat qui exigeait tout un processus, pour réparer les dommage
de l’acte ». La dégradation des rapports entre l’homme et la nature est liée à une densité
démographique, au changement climatique et à l’introduction de nouveaux schémas
économiques en milieu rural qui ont des impacts négatifs sur l’environnement.

Cependant, la prise de conscience des conséquences du « déséquilibre écologique »


est le fait, dans un premier temps, d’universitaire sénégalais dont le Professeur Cheikh Anta
Diop. Ces universitaires ont été des lanceurs d’alerte mettant l’accent sur la nécessité de
préserver l’environnement pour la sauvegarde de la biodiversité et pour le progrès social.

Dans un second temps, la prise de conscience des problèmes environnementaux est


le fait d’ONG telles qu’Enda Tiers-Monde et l’Union Internationale pour la Conservation de
la Nature (UICN). Ces associations ont mené des actions d’abord dans les villes en initiant
des journées de propreté fondées sur l’implication des populations et particulièrement celle
des associations sportives et culturelles et des associations de quartiers (Ngaïdo, 2002). Les
travaux de Ly (1994) soulignent également le rôle déterminant que ces associations, sous
l'impulsion des ONG, vont jouer dans l'organisation des journées de propreté de la mairie de
Dakar. Celles-ci vont avoir pour objectif de lutter contre la dégradation des espaces publics,
d'améliorer le cadre de vie des populations et soutenir les actions d'assainissement dans les
Chapitre 3 : Histoire de la participation au Sénégal : influences internationales et dynamiques locales
71
Partie 2 : La participation du public dans les politiques étatiques au Sénégal : formes et enjeux dans le domaine
de l’eau.

villes et les quartiers. Avec le succès qu'elles ont connu dans la capitale, ces actions vont
s’étendre dans les autres villes sénégalaises mais aussi en milieu rural. De plus, dans le milieu
rural, plusieurs journées de reboisement vont être organisées dans les villages exposés au
phénomène de désertification sous l’initiative d'ONG. Ces ONG mobilisent les citoyens pour
participer à la protection de l’environnement. Selon elles, les campagnes de reboisement
doivent être faites en étroite collaboration avec les populations. Il question de revoir les
modalités d’intervention dans le domaine de l’environnement longtemps caractérisée par la
centralité des décisions et le monopole des services de l’Etat dans la gestion
environnementale. Pour les ONG, ce changement est d’autant plus nécessaire que les services
de l’Etat en charge de la protection de l’environnement (services des eaux et forêts) ont peu
de moyens pour accomplir leurs missions. Ces ONG font également pression sur les
partenaires économiques de l’Etat afin que le principe de participation soit pris en compte
dans les projets qu’ils financent.

Le premier parti Vert sénégalais, dans un troisième temps, a joué un rôle important
dans la prise de conscience des problèmes de l’environnement. Créé en 1992 à l’initiative de
personnes qui étaient jusqu’alors en dehors de la sphère politique, la première préoccupation
du ce parti écologique est la prise en compte des problèmes environnementaux :

« Les motivations de ce noyau initial du mouvement vert sénégalais relèvent d’une


prise de conscience progressive de l’ampleur de la dégradation de
l’environnement de leur pays, doublée d’une conviction que rien n’était engagé,
au plan des politiques publiques, pour tenter d’enrayer le phénomène » (Gérard,
1994, p.4).

La campagne électorale du parti pour les élections de 1992 a porté essentiellement


sur le reboisement des forêts dévastées, sur la dégradation des sols et des eaux. Le parti fait
également le lien entre les problèmes environnementaux et la pauvreté dans le monde rural. Il
explique la crise sociale connue en milieu rural dans les années 1990 par une crise
environnementale. Les déforestations ont un impact sur la baisse de la pluviométrie. Celle-ci
entraîne une chute de la production agricole et donc une précarité dans le milieu rural. Le
candidat des Verts, profitant de la couverture médiatique de l’élection, oriente sa campagne
sur la nécessité de protéger l’environnement pour lutter contre la pauvreté en milieu rural. Il
défend l’idée selon laquelle la participation est la base du succès des politiques

Chapitre 3 : Histoire de la participation au Sénégal : influences internationales et dynamiques locales


72
Partie 2 : La participation du public dans les politiques étatiques au Sénégal : formes et enjeux dans le domaine
de l’eau.

environnementales, elle est donc un levier de développement. Ce présupposé est fait depuis le
sommet de Rio et les institutions internationales en font un principe d’action dans les pays
pour lutter contre la pauvreté. Un rapport de la Banque Mondiale portant sur le
développement dans le monde en 1998 considère que les programmes de développement ont
plus de succès s’ils sont exécutés avec les populations destinataires.

Les sommets internationaux, les accords de coopération décentralisée, l’influence


sous-régionale et les initiatives locales portées par des universitaires, des ONG et le parti vert
sont déterminants dans l’intégration des principes de participation dans les politiques étatiques
au Sénégal. Ils ont influencé l’Etat sénégalais dans l’adoption des textes réglementaires qui
font de la participation un principe de plus en plus intégré dans les politiques étatiques.

II. L’institutionnalisation de la participation au Sénégal

L’objectif dans cette partie n’est pas de faire le lien entre participation et
développement (Denieuil, 2008) ni de comprendre les rapports entre décentralisation et
développement (Piveteau, 2005, Mback, 2001). Il s’agit d’analyser les effets de
l’institutionnalisation de la participation dans le processus de démocratisation de l’action
étatique dans le domaine de l’eau.

L’institutionnalisation de la participation au Sénégal s’est traduite dans les années


1990 par l’adoption de textes législatifs et d’arrêtés favorables à la participation des
populations. Ces textes portent sur la gestion des ressources naturelles et sur la gestion
administrative des collectivités locales. Ils s’inscrivent dans la politique de décentralisation de
l’Etat sénégalais introduite avec la loi de 1996 encore appelée loi sur la décentralisation.
Celle-ci est censée donner plus de pouvoir de décisions aux collectivités locales et impliquer
davantage les populations dans les débats et les prises de décision qui les concernent à des
échelles de proximité.

Au point de vue social, le monde rural est marqué dans les années 1990 par
un immobilisme social (Dia, 2006). Les services de base liés à l’accès à l’eau potable, à la
santé et à l’éducation ne fonctionnent pas régulièrement faute de moyens. L’Etat qui assure le
fonctionnement de ces services sociaux de base par le biais de subventions allouées aux

Chapitre 3 : Histoire de la participation au Sénégal : influences internationales et dynamiques locales


73
Partie 2 : La participation du public dans les politiques étatiques au Sénégal : formes et enjeux dans le domaine
de l’eau.

collectivités locales n’a plus les moyens de sa politique sociale menée en milieu rural depuis
les indépendances. Nous assistons à la fermeture fréquente de centres de santé dans les
villages faute de moyens. Les rares centres existants encore sont des « coquilles vides » parce
qu’ils ne disposent plus de personnels ni de médicaments nécessaires pour soigner les
populations. Des « centres d’animation culturelle » qui fonctionnaient grâce aux subventions
de l’Etat ferment également. Dans le domaine de l’agriculture, la SAED, jusqu’alors société
publique qui assiste les paysans dans l’agriculture en leur fournissant de l’engrais et des
semences, est appelée à évoluer dans ses modes d’intervention. Elle incite désormais les
populations à se prendre en charge, ce qui va entraîner dans l’immédiat une baisse de la
production agricole dans la vallée du fleuve Sénégal.

Face à cette situation de précarité sociale où les services de base ne fonctionnent


quasiment jamais, des populations dans certains villages refusent de s’acquitter de l’impôt
collecté chaque année, censé financer les services de base (eau, dispensaire, éducation etc.)
Dia (2006), citant un rapport du gouvernement sénégalais publié en 1993 sur la situation
rurale avant la réforme, analyse le refus des populations de la vallée du Fleuve Sénégal
(Matam, Podor) à payer l’impôt à l’administration. Pour l’auteur, ces impôts fixés à 1000 F
CFA (1.52 euros) par personne imposable étaient difficilement acceptables par les populations
vu les difficultés économiques auxquelles elles sont confrontées. En plus, l’impôt devenait
injuste pour les populations qui avancent le fait que les investissements réalisés dans le village
comme les dispensaires, les forages et les écoles ne proviennent pas de l’Etat mais
d’associations immigrées basées à l’étranger. Du moment que leurs impôts ne servent plus à
financer les services de base, les populations ne voient plus l’utilité de le payer à l’Etat.

Dans la partie qui suit, il s’agit de voir, dans un premier temps, comment le
principe de participation du public s’est traduit concrètement dans la réforme de 1996 à des
échelles de proximité. Dans un second temps, il est question de comprendre ses effets sur
l’information.

Chapitre 3 : Histoire de la participation au Sénégal : influences internationales et dynamiques locales


74
Partie 2 : La participation du public dans les politiques étatiques au Sénégal : formes et enjeux dans le domaine
de l’eau.

II.1 La consécration du principe de participation et de proximité dans la


loi de 1996

Dans la loi de 1996 portant sur la décentralisation le principe de participation du


public à des échelles de proximité est annoncé. Au-delà du fait que les collectivités locales
(régions, communes, communauté rurales) peuvent désormais s’« administrer librement », la
loi affirme la possibilité de tout citoyen à participer aux réunions du conseil de sa localité s’il
le souhaite.

La loi met l’accent sur deux aspects : dans un premier temps, il est question d’un
transfert de compétence de l’Etat central vers les collectivités locales ; dans un second temps,
il s’agit de mettre en place des dispositifs de proximité dans le but d’associer les populations
aux débats et à la prise de décision au niveau le plus proche. De ce point de vue, Alissoutin
(2008) considère la décentralisation comme un processus en double mouvement :

« D’une part, redistribuer les compétences du haut vers le bas afin de régler les
problèmes au niveau où ils se posent concrètement ; d’autre part, rapprocher les
citoyens de l’exercice des décisions touchant à leur avenir »40.

Du point de vue de l’administration des collectivités locales, dès 1996, la loi de


décentralisation permet le transfert de neuf compétences41 dont l’environnement, la santé,
l’éducation, la jeunesse, aux collectivités locales (régions, communes communautés rurales).
Cependant, l’eau reste une compétence de l’Etat qui a le monopole en matière de gestion des
ressources en eau.

Cette nouvelle loi sur la décentralisation, nous apprend Touré (2012), ne fait que
généraliser dans tout le territoire national un transfert de pouvoir déjà initié à l’époque des
royaumes et prolongé pendant la période coloniale42. En effet, face à la prise de conscience
des populations colonisées qui contestent de plus en plus l’autorité administrative coloniale, le
colonisateur est conduit à créer des communes dans une perspective de décentralisation

40
Alissoutin R., 2008, Les défis du développement local au Sénégal, Codesia, p.18
41
Avec la loi de décentralisation, en plus de l’environnement, la santé et la jeunesse, la planification,
l’urbanisme et l’habitat, l’éducation et la formation professionnelle, la jeunesse, le sport et les loisirs et la culture
sont transférés aux collectivités locales
42
Selon Touré I., le transfert de pouvoir du centre vers la périphérie est une pratique endogène. Il existait avant
même la colonisation. Les principes d’« autonomie » et de délégation étaient déjà à l’expérience dans les
institutions locales traditionnelles notamment les royaumes : Baol, Saloum, Waalo, Djoloff, Cayor.
Chapitre 3 : Histoire de la participation au Sénégal : influences internationales et dynamiques locales
75
Partie 2 : La participation du public dans les politiques étatiques au Sénégal : formes et enjeux dans le domaine
de l’eau.

censée faciliter le développement. Les communes de Saint Louis, Thiès, Rufisque et Dakar
sont créées. La décentralisation va se poursuivre après les indépendances avec une avancée
notoire en 1996 notamment par la reconnaissance des régions, des communes et communautés
rurales comme collectivités locales dotées de personnalités juridiques auxquelles l’Etat a
transféré neuf compétences.

La loi de décentralisation a abouti à un certain nombre de résultats positifs. Des


acteurs locaux, notamment, les organisations de la société civile vont émerger et s’impliquer
davantage dans le processus de décision locale. De même, le pouvoir de contrôle des citoyens
sur les élus est relativement renforcé :

« En effet, la création des collectivités territoriales est accompagnée


parallèlement du positionnement de dirigeants locaux élus au suffrage universel,
de la légitimité de la société civile, dont la présence active est fortement
encouragée par les bailleurs de fonds »43.

La loi de 1996 a favorisé aussi la mise en place de dispositifs participatifs censés


améliorer la participation du public. Dans le domaine de l’eau, la loi sur la « gestion des
forages motorisés » en 1997 fait de la démocratie de proximité un principe de gestion des
réseaux d’eau potable par la mise en place des ASUFOR et des ASUREP. Même si l’Etat a le
monopole sur la gestion des ressources en eau, il délègue le pouvoir de gestion des réseaux
d’eau potable aux populations usagères.

D’autre dispositifs participatifs vont apparaître en milieu rural dans le but de


responsabiliser les populations et de les impliquer à des échelles de proximité. C’est le cas du
Cadre Local de Concertation des Organisation sPaysannes (CLCOP). Ce dernier dispositif est
supposé favoriser l’émergence de mécanismes d’échanges entre les agriculteurs ruraux eux-
mêmes mais aussi entre ces agriculteurs et des partenaires intérieurs tels que l’Agence
Nationale du Conseil Agricole et Rural (ANSAR)44 et des partenaires extérieurs comme les
ONG (Sène, 2008).

43
Diop A., 2008, « Les enjeux de la décentralisation au Sénégal : un bilan d’étape contrasté », in Développement
local, gouvernance territoriale. Enjeux et perspectives, p. 200
44
ANSAR est une société à participation publique majoritaire mise en place en 1997 pour accompagner les
paysans à se prendre en charge eux-mêmes. Elle appuie aussi les agriculteurs dans la recherche de partenaires
capables de financer des projets de développement agricoles ou de participer à la formation des paysans.
Chapitre 3 : Histoire de la participation au Sénégal : influences internationales et dynamiques locales
76
Partie 2 : La participation du public dans les politiques étatiques au Sénégal : formes et enjeux dans le domaine
de l’eau.

En même temps, la création d’associations villageoises, d’associations de femmes,


d’associations d’agriculteurs situées dans le même axe hydraulique (associations d’usagers)
est encouragée par l’Etat. Il s’agit de favoriser la solidarité connue dans le village afin de
faciliter l’échange entre les différents composants à l’échelle du village. De ce point de vue,
l’Amicale Socio-Economique Sportive et Culturelle des Agriculteurs du Walo (ASESCAW)
est un exemple. Cette association est créée dans la communauté rurale de Ross Béthio (région
de Saint Louis) en 1978 par des jeunes paysans décidés à s’organiser autour de projets sociaux
et hydroagricoles gérés par les paysans eux-mêmes. Elle constitue aujourd’hui un cadre de
concertation et de solidarité entre paysans, éleveurs et femmes maraîchères. Constituée au
départ par des résidents de la communauté rurale de Ross Béthio, l’association fédère
actuellement 13000 membres venus de 12 collectivités locales situées dans la région de Saint
Louis et de Louga45. Au-delà du projet de solidarité entre différents usagers de l’eau à
l’initiative de cette association, ce qui apparaît dans le fonctionnement de cette association,
c’est la volonté d’échanger autour de projets collectifs de développement. A travers l’échange
entre ces membres, l’association a pu mettre en place des mécanismes de commandes
groupées d’engrais, de semences et de commercialisation collective évitant ainsi les lourdes
charges liées à l’achats et la vente individualisée. L’association organise également des
séminaires impliquant les associatifs et les responsables institutionnels en charge de la gestion
du fleuve Sénégal (OMVS, SAED, Hydraulique régionale) sur les enjeux de la gestion et du
partage de la ressource afin de faciliter l’échange entre différents usagers mais également
entre ces usagers et les institutionnels.

Dans le nouveau code de l’environnement de 2001, la participation des populations


dans la gestion de l’environnement est réaffirmée. L’article 4 définit la participation comme
« un engagement des populations dans le processus de décision avec trois phases :
information, consultation et audience publique »46. Cette participation des populations à la
politique de l’environnement « répond à une volonté de démocratiser le processus de prise de
décision et elle est garantie par l’Etat dans le sens de la décentralisation et de la
régionalisation »47.

Cependant, au-delà de ces acquis, la décentralisation n’a pas atteint les objectifs
escomptés en matière de participation. Celle-ci est limitée en milieu rural par l’influence des
45
ASESCAW, 2007, ASESCAW : présentation et zones d’intervention, 6 p.
46
Loi N° 2001 - 01 du 15 Janvier 2001 portant code de l’environnement, titre 2, art.L2, déf.22
47
Loi N° 2001 - 01 du 15 Janvier 2001 portant code de l’environnement, titre 5, art.53
Chapitre 3 : Histoire de la participation au Sénégal : influences internationales et dynamiques locales
77
Partie 2 : La participation du public dans les politiques étatiques au Sénégal : formes et enjeux dans le domaine
de l’eau.

chefs traditionnels encore très influents dans le processus de débat et de prise de décision au
niveau local (Diop, 2008). D’autres travaux (Jaglin, 2005 ; Baron, 2007) vont dans cette
perspective en considérant la décentralisation comme un transfert de charge. L’Etat a transféré
des compétences aux collectivités locales sans leur donner l’expertise et les moyens financiers
nécessaires. Ces collectivités locales n’ont pas toujours les compétences et les moyens de
leurs politiques, ce qui a pour conséquence leur dépendance vis-à-vis de l’aide extérieure.
Mar et Magrin, citant Pivetau (2005) considèrent la décentralisation comme une « stratégie de
décharge », c’est une manière pour l’Etat sénégalais de détourner une demande sociale qu’il
ne peut pas satisfaire vers le niveau locale48. Les fonds qui financent la décentralisation
viennent des institutions internationales de développement (BM, FMI) et de la coopération
décentralisée par le biais des ONG et des associations locales. Ainsi en termes de résultat, la
décentralisation n’a pas permis de diminuer la pauvreté en milieu rural alors que la lutte
contre cette pauvreté est l’un de ces objectifs :

« Une lecture attentive des principes de la réforme laisse apparaître que, non
seulement la démocratie locale reste à construire mais aussi le développement à
la base semble se confondre à une gestion de la pauvreté (…) En règle générale,
la décentralisation semble avoir été instrumentalisée par l’Etat Africain pour,
d’une part obtenir la paix civile, et d’autre part, retrouver la confiance des
bailleurs de fonds internationaux »49.

Nous pouvons constater, cependant, un relatif succès de la loi de décentralisation


en matière d’information des populations. En effets, dans le domaine de l’environnement mais
également en ce qui concerne la gestion de leurs collectivités, le droit des populations à
accéder à l’information est reconnu par la loi.

48
Mar D. F., Magrin G, 2008, « Peut-on décentraliser des ressources naturelles stratégiques ? L’articulation des
niveaux de gestion autour du lac de Guiers (Sénégal), Monde en Développement, N°141, p 47-61
49
Mback C. N., 2001, La décentralisation en Afrique : enjeux et perspectives, Revue Afrique Contemporaine,
N° spécial 3° trimestre, p.95
Chapitre 3 : Histoire de la participation au Sénégal : influences internationales et dynamiques locales
78
Partie 2 : La participation du public dans les politiques étatiques au Sénégal : formes et enjeux dans le domaine
de l’eau.

II.2 Les effets de la loi 1996 sur l’information

La loi sur la décentralisation consacre le droit à l’information. Tout habitant d’une


collectivité a la possibilité d’accéder aux délibérations du conseil régional, communal ou
rural :

« Tout habitant ou contribuable a le droit de demander à ses frais


communication, de prendre copie totale ou partielle des procès-verbaux du
conseil régional, du conseil municipal ou du conseil rural, des budgets et des
comptes, des arrêtés »50.

Ce droit à l’information existait déjà dans le code de l’environnement mais il


concerne l’étude d’impact des projets de captage de la ressource en eau (cf. annexe 1). En
effet, tout projet de captage d’eau pouvant avoir des conséquences négatives sur les
populations et sur la ressource doit faire l’objet d’une information des populations
potentiellement exposées par voie d’affiche. Avec la loi de décentralisation le droit à
l’information s’étend aux délibérations des collectivités.

Cependant, même si la loi donne théoriquement la possibilité aux populations


d’accéder à l’information, dans la réalité, ces populations y ont rarement accès. Dia (2006),
précise que dans le cas des délibérations des collectivités locales, les canaux de transmission
de l’information ne sont pas toujours appropriés au contexte socioéconomique. L’accès à
l’information suppose que le citoyen ait un savoir et un savoir-faire, c’est-à-dire, qu’il faut
qu’il ait la possibilité de lire une délibération. Ainsi, même si la réglementation existe, elle
n’est pas connue. Un producteur agricole, par exemple, peut ne pas connaître ses obligations
pour protéger l’eau qu’il utilise tous les jours. L’accès à l’information des populations est
également limité du fait de l’analphabétisme et du manque d’instruction des populations
concernées.

50
Loi N° 96-06 du 22 mars 1996 portant code des collectivités locales, Titre 1, art.3,
Chapitre 3 : Histoire de la participation au Sénégal : influences internationales et dynamiques locales
79
Partie 2 : La participation du public dans les politiques étatiques au Sénégal : formes et enjeux dans le domaine
de l’eau.

Conclusion du chapitre 3

L’histoire de la participation institutionnelle au Sénégal est liée, d’une part, à des


exigences internationales. Les agences de développement (BM, FMI, UE) ont érigé en modèle
de gouvernement l’approche participative face à l’échec des politiques étatiques centralisées.
Cette approche est censée ajuster ces politiques étatiques aux préoccupations des populations
et notamment les plus démunies. Le développement de la participation est, d’autre part,
dépendante de contextes internes, notamment la crise environnementale. La prise de
conscience de la dégradation de l’environnement grâce à l’action d’ONG et d’universitaires
sénégalais a favorisé l’émergence de pratiques participatives dans le domaine de l’eau et de
l’environnement.

Plusieurs textes réglementaires ont été votés par le gouvernement sénégalais afin de
renforcer l’information et la participation des populations dans l’action étatique. Ils portent
généralement sur la gestion de l’eau et de l’environnement mais également sur l’implication
des populations dans les décisions qui les concernent à l’échelle locale. Dans les faits, cette
participation institutionnalisée favorise une meilleure implication des groupes biens structurés
et bien organisés dans le processus de débat et de prise de décision. De ce point de vue, elle
est de l’ordre de la représentation parce qu’elle implique davantage des représentants et des
institutionnels au détriment des citoyens non-organisés.

Dans le domaine de l’accès à l’eau potable, nous allons voir dans le chapitre qui suit,
comment la politique d’accès à l’eau potable a évolué en milieu rural dans un contexte où la
participation dans la gestion des réseaux d’eau potable s’est traduite par la mise en place de
dispositifs, notamment les Comité de Gestion et les associations d’usagers (ASUFOR/
ASUREP), qui n’ont pas souvent les mêmes finalités. Les Comité de Gestion de Forage mis
en place en milieu rural en 1984 visent essentiellement à faire contribuer les populations aux
frais de fonctionnement des forages. Les ASUFOR et les ASUREP créées en 1997, au-delà de
la contribution financière, ont pour objectif de renforcer la prise de parole des populations
dans la gestion des réseaux d’eau potable.

Chapitre 3 : Histoire de la participation au Sénégal : influences internationales et dynamiques locales


80
Partie 2 : La participation du public dans les politiques étatiques au Sénégal : formes et enjeux dans le domaine
de l’eau.

Chapitre 4

Evolution politique et économique de la politique d’accès à l’eau potable en


milieu rural sénégalais.

Introduction

L'histoire des politiques d'accès à l'eau potable au Sénégal est marquée par des
réformes qui visent à améliorer l’accès à l’eau potable et à démocratiser les formes de gestion
des réseaux d’eau. Aux différents problèmes rencontrés dans la gestion des points d’eau
depuis le début des années 1980, plusieurs réponses institutionnelles et organisationnelles ont
été apportées par l'Etat. Notre objectif dans ce chapitre est d’analyser cette évolution de la
politique d’accès à l’eau en milieu rural marquée par la mise en place de dispositifs de gestion
de l’eau : les Comités de Gestion de Forage (CGF), les ASUFOR et les ASUREP.

Le Sénégal dispose d’un réseau hydrologique important qui lui permet de satisfaire la
demande en eau de sa population. Selon la lettre de politique sectorielle de l’hydraulique et de
l’assainissement de 2005, les ressources disponibles en eau de surface est estimée à 4747
m3/habitant/an. Elle est en dessus de la valeur de référence de pénurie d’eau égale à 1000 m3/
habitant/an selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS). En matière d'eau douce, le pays
est alimenté par deux fleuves : le fleuve Sénégal et le fleuve Gambie. Concernant la ressource
souterraine, malgré une baisse de la pluviométrie, le Sénégal dispose d'une ressource
renouvelable assez relativement importante. Ainsi, par rapport aux besoins en forte
augmentation ces dernières (agriculture, industrie, énergie, accès à l’eau potable), l’eau existe
de manière suffisante. Cependant, ce potentiel ne signifie pas toujours que la ressource en eau
est accessible. Un nombre important de la population rurale souffre encore du manque d’eau
potable.

Pour exploiter la ressource en eau disponible, plusieurs programmes sont mis en


œuvre par le gouvernement sénégalais, mais aussi par des organisations civiques (ONG). Il
s’agit par exemple du programme « Décennie Internationale de l’Eau et de l’Assainissement »
(1980-1990), du « Programme Sectoriel Eau » (1996-2004), du « Programme Eau Long
Terme » (2000-200), du « Programme d’Eau Potable et d’Assainissement du Millénaire »
Chapitre 4 : Evolution politique et économique de la politique d’accès à l’eau potable en milieu rural sénégalais.
81
Partie 2 : La participation du public dans les politiques étatiques au Sénégal : formes et enjeux dans le domaine
de l’eau.

(2005-2015) etc. Ces différents programmes sont exécutés dans une perspective
d’amélioration du taux d’accès à l’eau potable en milieu urbain. Ils ont permis la
multiplication des réseaux d’eau potable et l’amélioration du taux global d’accès à l’eau
potable des populations rurales.

Ces programmes, dans leur élaboration et leur mise en œuvre, font de plus en plus
l’objet de débats institutionnels. Ces débats sont organisés par les initiateurs de ces
programmes pour expliquer leurs enjeux aux populations destinataires mais également pour
prendre en compte leurs suggestions. Il est question, par ces débats, de valoriser l’expression
des différents types d’usagers : agriculteurs, éleveurs, consommateurs courants d’eau potable
etc. L’expression de tous les usagers de forages est d’autant plus valorisée que la ressource en
eau fait l’objet de plusieurs types d’usages et plusieurs perceptions de la part des usagers. Les
industriels n’ont pas les mêmes usages et les mêmes besoins et donc pas les mêmes exigences
vis-à-vis de la ressource en eau. Leurs préoccupations sont différentes de celles des
agriculteurs, des pêcheurs, des associations ou des touristes. Quand les associations de
défense de l’environnement se soucient, par exemple, de la bonne qualité de la ressource et de
la protection des espèces vivant dans l'eau (faune et la flore), l'agriculteur se soucie plus des
rendements agricoles enfin le touriste souhaite disposer d'une eau de qualité dans laquelle il
peut se baigner (Le Bourhis, 2004). Face à ces multiples usages et les rapports différents à
l’eau, le débat entre usagers est considéré comme une nécessité afin de favoriser la prise en
compte des préoccupations des uns et des autres et trouver une issue aux désaccords.

Corrélativement à ces débats institutionnels, des réformes touchant le secteur de


l’accès à l’eau potable ont été menées par l’Etat entre 1984 et 2008. En milieu rural, l’un des
objectifs des réformes est d’impliquer davantage les populations rurales dans la gestion des
réseaux d’eau potable. Cette implication des populations à travers des dispositifs participatifs
est supposée favoriser une gestion de proximité. Les Comités de Gestion de Forage (CGF),
créés en 1984, les ASUFOR et les ASUREP, mises en place depuis 1997 suivent cette voie. Il
est question de susciter chez les usagers des pratiques de gestion plus démocratiques grâce à
une gestion de proximité. Il est, ainsi, donné aux usagers la possibilité de décider des
modalités de fonctionnement de leur réseau d’eau.

Malgré les différents programmes pour améliorer le service de l’eau potable et les
multiples initiatives pour valoriser la parole des populations, l’accès à l’eau potable reste

Chapitre 4 : Evolution politique et économique de la politique d’accès à l’eau potable en milieu rural sénégalais.
82
Partie 2 : La participation du public dans les politiques étatiques au Sénégal : formes et enjeux dans le domaine
de l’eau.

encore un problème pour de nombreuses populations vivant en milieu rural. Certaines d’entre
elles, continuent à s’approvisionner directement à partir des eaux de surface non potables ou
de puits non protégés.

I. Les enjeux de la politique d'accès à l'eau potable en milieu rural

La politique d’accès à l’eau au Sénégal répond d’abord à un impératif social et vital :


la satisfaction des besoins en eau potable des populations. De la quantité et de la qualité de
l’eau dépend la vie des populations. La politique d’accès à l’eau potable est caractérisée dans
les années 1980 par une centralisation des prises de décision liées à la gestion des réseaux
d’eau potable et l’importance accordée à la dimension technique et économique. Ces trente
dernières années, cette politique a connu plusieurs évolutions entraînant des améliorations du
service d’eau potable en milieu rural, mais également des changements sur les formes de
gestion des points d’eau potable.

I.1 Caractéristiques de la politique d’accès à l’eau dans les années 1980

La création des premiers forages en milieu rural sénégalais remonte aux années 1950.
Ils ont été mis en œuvre par le colonisateur pour l’accès à l’eau potable des populations
autochtones mais surtout pour favoriser un développement de l’élevage afin d’améliorer la
production en quantité de viande destinée aux quatre villes considérées comme des communes
françaises (Saint Louis, Dakar, Gorée, Rufisque)51. Avec la Décennie Internationale de l’Eau
et de l’Assainissement (1980-1990)52, financée par les Etats-Unis (DIEPA), le gouvernement
a multiplié les forages en zone rurale à travers le « Programme d’Urgence d’Hydraulique
Rurale ». L’objectif visé par ce programme est d’améliorer les conditions d’accès à l’eau
potable des ménages ruraux mais également de satisfaire les besoins en eau du cheptel
notamment dans le Ferlo, au nord du Sénégal, réputé être une zone aride et très fréquenté par

51
Ces quatre villes, pendant la période coloniale, étaient des communes françaises. Leurs habitants étaient
considérés comme des citoyens français.
52
L’objectif de la Décennie Internationale de l’Eau et de l’Assainissement (DIEPA) est de réduire de moitié le
nombre de personnes n’ayant pas accès à l’eau potable et à l’assainissement dans le monde mais surtout dans les
pays du Tiers-Monde.
Chapitre 4 : Evolution politique et économique de la politique d’accès à l’eau potable en milieu rural sénégalais.
83
Partie 2 : La participation du public dans les politiques étatiques au Sénégal : formes et enjeux dans le domaine
de l’eau.

des éleveurs en période sèche. La mise en œuvre de ces programmes s’est faite selon trois
principes: la centralisation des prises de décisions, l’importance de la dimension technique et
économique et la gratuité de l’Eau.

I.1.a Une politique centralisée

Juste après les indépendances, c’est la théorie de l’«Etat fort » qui est au centre des
politiques étatiques. Cette théorie est le fondement des politiques étatiques dans les pays
africains en général. Face aux divisions internes liées aux luttes pour obtenir les
indépendances, face aux enjeux économiques et sociaux de développement, seul un « Etat
fort » peut être à la hauteur de la tâche :

« En effet pour l’élite africaine aux commandes des jeunes Etats indépendants,
seul un pouvoir central fort, une administration centralisée et des sociétés
nationales d’intervention étaient en mesure de conduire à l’atteinte d’un double
objectif : l’unité nationale et la modernisation des jeunes Etats indépendants »53.

Cette force de l’Etat dans le domaine politique va se manifester par le phénomène de


parti unique. Après les indépendances, rares sont les gouvernements qui tolèrent le
multipartisme considéré par les gouvernements en place comme un vecteur de divisions de la
nation. Dans le domaine économique, c’est la période des nationalisations. Dans le monde
rural plusieurs sociétés publiques d’encadrement sont créées pour accompagner les
populations rurales dans le développement. Dans le domaine social, c’est le développement
des politiques de « l’offre » surtout en milieu rural. L’Etat décide tout seul pour les
populations. Des « animateurs ruraux » sont formés par l’Etat. Ils sont considérés comme des
« moteurs de développement local ». Ils sont envoyés auprès des populations rurales pour
animer des séminaires sur l’élevage, l’agriculture, l’alphabétisation, le maraîchage etc. Selon
la théorie de l’« Etat fort », l’Etat doit assister et répondre aux besoins des populations surtout
les plus faibles. Ainsi, les services de base comme l’eau, la santé, l’éducation sont accessibles
gratuitement aux populations rurales dans la majorité des cas (Diop, 1992).

53
Dia A. H., 2006, Décentralisation et développement local. Le cas de la vallée du fleuve Sénégal, thèse de
doctorat en sociologie, université Toulouse II le Mirail, p.78
Chapitre 4 : Evolution politique et économique de la politique d’accès à l’eau potable en milieu rural sénégalais.
84
Partie 2 : La participation du public dans les politiques étatiques au Sénégal : formes et enjeux dans le domaine
de l’eau.

La théorie de l’« Etat fort » s’est traduite par un mode d’intervention centralisé dans le
secteur de l’eau. L’Etat avec ses services techniques, notamment la Société Nationale des
Forages décide de la politique d’accès à l’eau mais aussi du fonctionnent au quotidien des
réseaux d’eau. Il construit les adductions d’eau potable pour les populations rurales et
s’occupe de leur gestion. Il finance leur installation, achète le carburant et s’occupe de leur
entretien. Le « conducteur de forage » est un fonctionnaire payé par l’Etat pour s’occuper des
ouvertures et fermeture du forage. Il est chargé également de signaler les pannes des forages
aux services techniques de l’Etat, notamment, la Société Nationale des Forages (SANAFOR)
en charge de la maintenance des forages. L’Etat prend tout en charge, de la construction au
fonctionnement quotidien des forages.

Ce mode d’intervention s’inscrit dans une logique de production d’action étatique


fondée sur la fourniture de services d’eau aux populations. Il atteste du triomphe d’un Etat
disposant de moyens d’actions capables de satisfaire les besoins de base de l'ensemble des
citoyens. Les forages sont financés par de l’argent public. Les collectivités locales reçoivent
des subventions afin que l’eau soit gratuite pour tous. Les services techniques de maintenance
des forages disposent également de budgets suffisants pour intervenir en cas de pannes de
forages.

Au-delà de ce monopole de l’Etat, ce qui caractérise la politique d’accès à l’eau


potable dans les années 1980, est l’importance accordée aux solutions techniques et
économiques.

I.1.b Prévalence des solutions techniques et économiques.

Des solutions techniques et économiques sont privilégiées pour régler les problèmes
de l’eau dans les pays africains. Si la ressource est disponible dans la plupart des cas, son
exploitation et son traitement pour la rendre potable nécessite beaucoup de moyens dont les
pays ne disposent pas toujours. C’est dans cette perspective que la Décennie Internationale de
l’eau et de l’Assainissement (DIEPA) (1980-1990) a été financée par les Nations-Unies. Elle
est un programme d’actions dans le domaine de l’eau potable et de l’assainissement. Elle
constitue un appui financier important pour les pays africains afin de relever le défi de l’accès
à l’eau potable surtout pour les populations rurales durement touchées par le manque d’eau.
Chapitre 4 : Evolution politique et économique de la politique d’accès à l’eau potable en milieu rural sénégalais.
85
Partie 2 : La participation du public dans les politiques étatiques au Sénégal : formes et enjeux dans le domaine
de l’eau.

L’objectif de cette Décennie est de réduire le nombre de personnes n'ayant pas accès à l'eau
potable et à l'assainissement dans le monde mais surtout dans les pays du Tiers-Monde. Il est
aussi question d’augmenter la consommation d’eau potable des populations à 35 litres par
jour. Cet objectif principal est fixé par les Nations-Unies et les moyens financiers pour
l’atteindre sont attribués aux Etat africains. Cependant, la traduction de cet objectif en
programme d’actions revient aux gouvernements qui choisissent les zones prioritaires en
matière d’accès à l’eau potable.

Bénéficiant de financements durant cette « décennie de l’eau », l’Etat du Sénégal à


travers un « Programme d’Urgence d’Hydraulique Rurale », a pour objectif l’amélioration des
conditions d’accès à l’eau potable en milieu rural. Pour cela, il a agi sur deux volets : celui des
infrastructures et celui de la formation des services de l’Etat en charge de la maintenance des
forages.

Du point de vue des infrastructures, l’État a réalisé plusieurs nouveaux forages, des
bornes-fontaines publiques et des puits modernes54. Deux types de forages sont être réalisés
en milieu rural

Il y a les forages-puits réalisés généralement dans les zones habitées majoritairement


par les éleveurs dans le but de les sédentariser. Ils ont une profondeur qui dépasse 60 mètres
qui leur permet de capter l’eau même si la nappe est profonde. L’avantage de ces forages-
puits se situe dans le fait que même en cas de pannes, l’utilisation de l’exhaure manuelle
permet aux usagers de forages de continuer à s’approvisionner en eau. La multiplication de
ces types de forages dans les zones pastorales limite le déplacement des éleveurs surtout en
saison sèche.

Il y a également les forages motorisés. Leur profondeur est beaucoup plus importante.
Ils ont une capacité de pompage plus importante et desservent une population plus large. Ces
deux modèles de forages sont multipliés dans les zones rurales.

La construction des forages s’accompagne d’une formation technique des services de


l’Etat. Des « Brigades de Puits et Forage» sont créées dans chaque région pour assurer la

54
Les puits modernes sont dotés de dalles anti-bourbier et un système d’évacuation des eaux stagnante autour du
forage. Ils sont munis d'un système de poulie et de treuil qui facile la sortie de l'eau. Ces puits ont l’avantage de
garantir un accès à une eau potable et d'assurer une capacité de production d'eau assez importante pouvant
satisfaire la demande d'approvisionnement en eau des populations et du bétail (Ngom, 2010).
Chapitre 4 : Evolution politique et économique de la politique d’accès à l’eau potable en milieu rural sénégalais.
86
Partie 2 : La participation du public dans les politiques étatiques au Sénégal : formes et enjeux dans le domaine
de l’eau.

maintenance des forages. Elles sont constituées par des techniciens de l’Etat formés à la
maintenance. Ils dépendent du ministère de l’Hydraulique qui leur alloue un budget de
fonctionnement tous les ans. La « Brigade des Puits et Forages » intervient en cas de pannes
des forages surtout s’il s’agit de réparation importante notamment les changements de moteur.
Quant à la maintenance préventive (nettoyage du moteur ou des châteaux d’eau), elle est
assurée par le « conducteur de forage » qui a un statut de fonctionnaire formé par la
« Brigade des Puits et Forages ».

La dimension technique et économique occupe une place centrale dans les politiques
d’accès à l’eau potable. Cependant, la prise en compte des pratiques locales n’est pas intégrée
aux modes d’actions cadrées par l’Etat.

Malgré l’importance des moyens financiers accordés à l’exploitation et au traitement


de l’eau, l’Etat opte pour la gratuité de l’eau en milieu rural. Des raisons sociales et culturelles
expliquent cette gratuité.

I.1.c La gratuité de l’eau

L’eau est rendue gratuite dans la majorité des villages ruraux jusqu’aux années 1980
pour des raisons sociales et culturelles. Du point de vue social, les populations en milieu rural
ont des revenus faibles. L’agriculture qui est la principale activité est une agriculture vivrière.
Elle est pratiquée généralement en saison des pluies entre le mois de juin et le mois de
septembre. La production agricole par saison dépasse rarement les besoins en alimentation des
familles. La culture de l’arachide commercialisée qui constitue la principale source de
revenue connaît une forte baisse avec la diminution de la pluviométrie. Face à cette situation,
l’Etat a mené une politique d’aide aux populations. Les populations font usage gratuitement
de l’eau parce que leurs revenus financiers ne leur permettent pas de la payer.

La gratuité de l’eau s’explique aussi par des raisons culturelles et religieuses. Pour les
populations rurales la ressource en eau est un don de Dieu qui doit être à la disposition de
tout ce qui vit et a soif (Wane, 2000). Pour cette raison, elle doit être gratuite pour tous. Les
premières tentatives pour faire payer l’eau aux populations rencontrent une opposition forte
de la part des populations comme le précise Ancey et al. (2008). En effet, dans les années

Chapitre 4 : Evolution politique et économique de la politique d’accès à l’eau potable en milieu rural sénégalais.
87
Partie 2 : La participation du public dans les politiques étatiques au Sénégal : formes et enjeux dans le domaine
de l’eau.

1960, le gouverneur de la région de Saint Louis a voulu faire payer l’eau des forages aux
éleveurs. Il demande une contribution financière à tous Les éleveurs du Ferlo qui utilisent le
forage pour abreuver leurs troupeaux. Pour montrer leur opposition, les éleveurs, de manière
collective, vont tout simplement refuser de conduire leurs troupeaux vers les forages pendant
des semaines. Ils vont préférer faire des kilomètres de marche pour conduire leurs troupeaux
vers le fleuve. Selon l’auteur, ce premier signal envoyé au gouverneur de la région a suffi
pour qu’il abandonne l’idée de faire payer l’eau.

Jusqu’à la fin des années 1980, l’Etat est le seul acteur de la politique d’accès à l’eau.
La politique de l’hydraulique rurale fondée sur l’innovation technique et la gratuité de l’eau
n’atteint pas les objectifs fixés. Malgré les investissements financiers réalisés, la
modernisation et la multiplication des infrastructures hydrauliques (forages, puits), l’accès à
l’eau est toujours un problème pour les populations rurales. Les solutions techniques et
financières n’ont pas permis de régler le problème. Celui-ci résulte de la baisse des budgets
alloués au secteur de l’eau potable. Il est lié également à la baisse en en qualité de la ressource
et aux problèmes de gestion des forages.

I.2. Les problèmes d’accès à l’eau en milieu rural sénégalais

Les problèmes d’accès à l’eau en milieu sont étroitement liés aux formes
d’interventions étatiques dans la mise en place des adductions d’eau potable. Celles-ci sont
marquées par une faible prise en compte des préoccupations des villageois dans le
fonctionnement des points d’eau. L’une des conséquences est la rupture des services d’eau
dans beaucoup de villages. A ce problème majeur s’ajoute la question de la qualité de l’eau et
ses conséquences sur la santé des usagers.

I.2.a Des réseaux d’eau potable perçus comme une propriété de l’Etat

Le premier problème auquel l’Etat est confronté dans la gestion des adductions d’eau
en milieu rural est leur manque d’appropriation par les populations. L’Etat a pensé qu’il
suffisait de multiplier les réseaux d’eau pour résoudre la problématique de l’accès à l’eau en

Chapitre 4 : Evolution politique et économique de la politique d’accès à l’eau potable en milieu rural sénégalais.
88
Partie 2 : La participation du public dans les politiques étatiques au Sénégal : formes et enjeux dans le domaine
de l’eau.

milieu rural. Leurs modes de gestion étaient pensés par l’Etat et mis en œuvre par ses services
techniques. Les forages, par exemple, étaient installés selon des logiques d’aménagement
centralisées. Leurs lieux d’implantation sont choisis par l’Etat sans forcément se préoccuper
des attentes réelles des populations destinataires. Or Le « parachutage »55 des forages en
milieu rural a contribué à leur faible appropriation par les populations. Pour ces dernières, les
forages appartiennent à l’Etat. C’est l’Etat qui les a amenés au village, il doit s’occuper de
leur gestion et de leur maintenance. Dans cette perspective, les populations utilisent les
forages sans se soucier de leur entretien parce qu’elles considèrent que c’est à l’Etat
d’assumer ce rôle. Elles portent peu d’intérêt à la gestion au quotidien des forages. Elles les
considèrent comme des biens de l’Etat et ce qui appartient à l’Etat personne ne peux se
l’approprier parce que « alalu buur kenn moomuko » (en Wolof)56.

L’intégration de l’idée selon laquelle les forages sont la propriété de l’Etat aboutit au
fait que les populations ont seulement un rapport d’usage vis-à-vis des forages. Elles utilisent
l’eau pour satisfaire leurs besoins. Pour l’entretien des forages, les populations considèrent
que leur responsabilité n’est pas engagée. En d’autres termes, elles pouvaient faire usage du
forage sans se préoccuper d’éventuels problèmes notamment les pannes. Pour un certain
nombre d’auteurs (Desjeux, 1985 ; Niang, 1987) ces pannes répétitives des forages
s’expliquent par le manque d’appropriation des forages par les populations mais aussi par la
baisse des subventions de l’Etat. Pour les auteurs, le manque d’appropriation est accentué par
le fait que les populations ne sont pas impliquées dans l’élaboration, l’exécution et le suivi des
programmes d’accès à l’eau.

L’affaiblissement de l’Etat va avoir des conséquences sur le service de l’eau en milieu


rural. Dès 1982, les pannes de forages se multiplient occasionnant des ruptures dans le service
d’eau. D’une part, ces pannes sont liées, au manque de carburant. L’Etat qui devait assurer la
distribution de ce carburant a des difficultés financières à cause de la crise du pétrole des
années 1980. Le pétrole est devenu plus cher, ce qui va se répercuter sur la dotation des
forages en carburant. Il existe plus de lenteur, voire de rupture dans l’approvisionnement des
forages en carburant.

55
Dans son article de 2008, cité précédemment, Ancey V. et al. (2008), emploie le mot parachutage pour mettre
en évidence le rôle central de l’Etat dans la politique d’accès à l’eau en milieu rural. Les populations voient
arriver les forages sans que leurs avis soient demandés.
56
Cette expression signifie que ce qui appartient à l’Etat n’appartient à personne parce que personne ne peut se
l’approprier. Il ne revient à personne de fixer des règles d’usage si ce n’est l’Etat ou son représentant. A
l’absence de l’Etat, chacun utilise le forage comme il veut sans se soucier de son entretien.
Chapitre 4 : Evolution politique et économique de la politique d’accès à l’eau potable en milieu rural sénégalais.
89
Partie 2 : La participation du public dans les politiques étatiques au Sénégal : formes et enjeux dans le domaine
de l’eau.

D’autre part, le manque d’entretien du matériel du forage mais aussi la forte demande
en eau qui dépasse parfois la capacité de production du forage favorise les pannes. On assiste
à des arrêts fréquents du service d’eau potable liés à des pannes de moteur. Ces pannes sont
d’autant plus longues que la « Brigade des Puits et Forages » chargée d’assurer le dépannage
des forages ne dispose pas toujours du savoir technique nécessaire pour effectuer son travail.
La plupart du matériel technique des forages provient de l’étranger. L’importation de ce
matériel technique ne s’accompagne pas toujours d’un transfert de savoir technique
permettant aux techniciens locaux d’assurer le dépannage en cas de problème. Il arrive
également que la « Brigade des Puits et Forages » ne dispose pas de moyens financiers pour
remplacer le matériel défectueux à l’origine de la panne du forage. Dans un rapport de 1982
sur la maintenance des forages, la « Brigade des Puits et Forages » explique la durée des
pannes de certains forages par le fait que certains moteurs de forages sont commercialisés à
l’étranger et leur importation peut prendre des semaines voire des mois, ce qui entraîne
beaucoup de retard dans la reprise de service des forages.

A ce problème d’ordre technique et financier liés essentiellement à l’affaiblissement


de l’Etat la faible prise en compte des préoccupations des populations, s’ajoute les problèmes
de qualité de la ressource.

I.2.b La baisse en qualité de la ressource en eau et ses conséquences

Malgré les sécheresses de 1971, 1982 et 1983 entraînant une diminution de la


pluviométrie, le problème de l’eau, notamment, à Saint Louis est plus lié à la qualité de l’eau
qu’à la quantité. Certes, les prélèvements pour les besoins de l’agriculture irriguée ont
augmenté. En 2008, les besoins en eau des 31 321 ha cultivés en contre saison et des 29 312
ha pendant d’hivernage étaient estimés à 1.105.424.219 m³57. Les eaux de surface sont
utilisées également, de plus en plus, pour satisfaire les besoins des populations en eau potable.
Jusqu’aux années 1990, l’eau du fleuve Sénégal, via le lac de Guiers, servait à alimenter les
populations des grandes villes sénégalaises. Aujourd’hui, avec les développements des
« stations de traitement d’eau » sur l’axe hydraulique Gorom Lampsar et sur le lac de Guiers,
l’eau du fleuve sert aussi à alimenter les populations riveraines. En 2008, plus de 5.880.387

57
OMVS, 2009, SDAGE du fleuve Sénégal. Etat des lieux et diagnostic, p.177
Chapitre 4 : Evolution politique et économique de la politique d’accès à l’eau potable en milieu rural sénégalais.
90
Partie 2 : La participation du public dans les politiques étatiques au Sénégal : formes et enjeux dans le domaine
de l’eau.

m³ ont été prélevés pour les besoins en eau potable58. Nonobstant ces prélèvements
importants, les ressources disponibles restent encore importantes. Cependant, leur dégradation
en qualité s’est accentuée avec l’activité industrielle et agricole.

 La pollution agricole

L’existence de ces eaux douces constitue pour le gouvernement sénégalais une


opportunité pour le développement de l’agriculture irriguée. Ce potentiel hydrique
s’accompagne d’un important capital foncier avec près de la moitié des terres irrigables dont
plus de 75000 ha aménagés par la SAED (Société d’Aménagement et d’Exploitation des
terres du Delta) dans la vallée du fleuve Sénégal. Avec les sécheresses des années 1970 et
1980, l’agriculture irriguée devient, pour le gouvernement sénégalais un secteur stratégique
pour la réduction de la pauvreté. Elle s’est beaucoup développée avec la multiplication des
Groupements d’Intérêt Economique (GIE) le long des eaux de surface. Ces GIE gèrent des
périmètres irrigués avec des rendements en augmentation. L’agriculture constitue
actuellement une source importante de création d’emplois et de richesses. Elle occupe plus de
65% de la population active sénégalaise vivant en milieu rural. Cette activité agricole était
jusqu’alors destinée à assurer la souveraineté alimentaire des paysans. La culture du maïs, du
mil et du riz devait assurer l’autosuffisance alimentaire du monde paysan.

Depuis 1a création du barrage de Diama, une agriculture industrialisée se


développement dans le delta du fleuve Sénégal. Elle a favorisé l’emploi d’engrais chimiques
tels que les pesticides, herbicides, nitrates, etc. L’utilisation de ces produits chimiques pour
améliorer la production agricole a des conséquences sur la qualité de la ressource en eau. Elle
a favorisé le rejet de produits phytosanitaires dans les eaux de surface. En saison de pluie, par
ruissellement, ces produits sont drainés dans les eaux de surface.

Cette pollution par l’agriculture est accentuée par une pollution d’origine industrielle.
L’implantation d’usines industrielles à côté des ressources en eau de surface constitue une
menace pour les populations utilisatrices de des eaux de surface.

58
Ibidem p.309
Chapitre 4 : Evolution politique et économique de la politique d’accès à l’eau potable en milieu rural sénégalais.
91
Partie 2 : La participation du public dans les politiques étatiques au Sénégal : formes et enjeux dans le domaine
de l’eau.

 La pollution industrielle

Les rejets industriels constituent la plus importante source de pollution des eaux de
surface. Ils proviennent, en partie, des eaux usées de la Compagnie Sucrière Sénégalaise
(CSS). Implantée depuis 1970 au bord du fleuve Sénégal, la CSS exploite la moitié des terres
(7000 ha) situées le long du lac de Guiers pour la production de la canne à sucre. Elle joue,
certes, un rôle important dans le développement socioéconomique de la région de Saint Louis.
La CSS emploie un nombre important de salariés dont certains viennent des localités à
proximité du lac de Guiers (Richard Toll, Pakh, Thiago, Temmy Peul, Mbane de la région de
Saint Louis ect.). Plus de 3000 salariés sont employés de manière permanente dans l’usine
(Mar, Magrin, 2008). D’autre part, la CSS autorise les agriculteurs situés le long de ses
canaux d’irrigation à utiliser son eau pour pratiquer l’agriculture irriguée. Ces agriculteurs
utilisent les canaux d’irrigation de la CSS sans payer la taxe de l’eau, celle-ci étant payée par
la CSS. La CSS participe également à l’aménagement d’abreuvoirs pour les éleveurs, à la
création de points d’eau potable pour les populations. Cette politique de la CSS vis-à-vis des
populations riveraines a été menée pour « acheter la paix sociale » avec ces populations car
l’activité de l’usine cause aussi des dommages considérables à ces populations. Les canaux
d’irrigations de l’usine causent des inondations qui compromettent les cultures des paysans et
créent des dégâts dans leurs habitations.

La culture de la canne à sucre par la CSS, sa transformation en sucre engendre des


déchets qui sont déversés directement dans le lac de Guiers comme l’illustre cette photo ci-
dessous.

Chapitre 4 : Evolution politique et économique de la politique d’accès à l’eau potable en milieu rural sénégalais.
92
Partie 2 : La participation du public dans les politiques étatiques au Sénégal : formes et enjeux dans le domaine
de l’eau.

Figure 5: Un point de déversement des eaux usées de la CSS dans le Lac de Guiers. Photo prise par Dione
Y.

Le Grand Domaine du Sénégal (GDS) installé en 2003 et spécialisé dans la production


de légumes et l’implantation en 2007 de la Fondation Agir pour l’Education et la Santé
(FAES), spécialisée dans la production d’engrais, constituent aussi une nouvelle source de
pollution. Il existe aujourd’hui plus de 18 points de rejets d’eau polluées dans le fleuve
Sénégal et dans le lac de Guiers et le Gorom Lampsar. Plus de 90 000 m3 par jour d’eaux
usées sont déversées directement dans le lac de Guiers, ce qui constitue un danger pour les
consommateurs de l’eau du lac.

La pollution industrielle est une contrainte qui pèse sur la santé des populations vivant
à proximité des eaux de surface. Elle constitue également une menace pour la faune et la
flore. Nous assistons actuellement à la disparition de certaines espèces comme la carpe. Cette
disparition est favorisée par la pollution des herbes aquatiques, herbes qui constituent l’une
des principales sources d’alimentation de la carpe. Il y a également le développement de la
douve du foie qui tue le bétail des éleveurs et qui a pris de l’ampleur dans les localités à

Chapitre 4 : Evolution politique et économique de la politique d’accès à l’eau potable en milieu rural sénégalais.
93
Partie 2 : La participation du public dans les politiques étatiques au Sénégal : formes et enjeux dans le domaine
de l’eau.

proximité des eaux de surface. A cela s’ajoute une diminution des poissons dans le lac.
Traditionnellement, les lacs et le fleuve étaient aussi des zones de pêche pour les populations
riveraines. Actuellement les possibilités sont réduites parce que le lac n’est plus accessible à
cause du développement du typha59.

 La pollution domestique

Les rejets d’origine agricole et industrielle constituent la source de pollution la plus


importante des eaux de surface. Cependant, les rejets proviennent aussi des activités
domestiques, les eaux usées des villes, notamment. A défaut d’avoir des systèmes
d’assainissement, les populations déversent les eaux usées directement dans les eaux de
surface sans aucune épuration. Plus de 85% des pollutions d’origines anthropiques
finissement dans les eaux de surface à proximité des zones d’habitation avec des
conséquences telles que la disparition des espèces aquatiques, la réduction piscicole source
de revenus et les problèmes de santé pour beaucoup de populations60. Les populations
déposent également les ordures ménagères dans les eaux de surface, ce qui augmente les
risques de pollution. Le linge et la vaisselle s’effectuent au bord du fleuve. Les eaux usées y
sont versées quotidiennement par les riverains. Pour une partie de ces derniers, le lac est une
source d’approvisionnement en eau de boisson, mais ils y déposent en même temps des
ordures de toutes sortes. Des ordures ménagères, des carcasses de voitures et des animaux
morts sont jetés dans le lac.

Ces différentes pollutions d’origines agricoles, industrielles et domestiques participent


à la fragilisation de la santé des populations. Pour les besoins de leur alimentation en eau de
boisson mais également pour assurer les autres activées domestiques, les populations sont
obligées d’être en contact avec les eaux de surface infectées.

59
Le typha est une herbe aquatique autochtone qui s’est propagé excessivement dans les eaux de surface avec la
mise en place du barrage de Diama et les rejets multiples issus des périmètres irrigués, des rejets industriels et
domestiques (SDAGE du fleuve Sénégal, 2009).
60
Lors de l’assemblée générale du Réseau International des Organisations de Bassin (RIOB) tenue à Dakar du
21 au 23 janvier à Dakar 2010, la pollution des eaux de surface liée à un manque de réseaux d’assainissement va
être au centre des débats. La nécessité d’améliorer l’assainissement est un des points clés de la déclaration finale
de l’assemblée générale.
Chapitre 4 : Evolution politique et économique de la politique d’accès à l’eau potable en milieu rural sénégalais.
94
Partie 2 : La participation du public dans les politiques étatiques au Sénégal : formes et enjeux dans le domaine
de l’eau.

 Qualité de l’eau et santé des populations

Les maladies d’origines hydriques comme la bilharziose, le choléra et le paludisme se


sont développées dans les villages autour du lac de Guiers et du Gorom-Lampsar. Ces
maladies, causées par la présence des eaux de surface polluées, se sont développées au
Sénégal notamment dans la région de Saint Louis avec la création du barrage de Diama. Ce
barrage a, certes, permis au gouvernement sénégalais de développer l’agriculture irriguée et
de satisfaire en grande partie les besoins alimentaires des populations riveraines. Si, avec
l’aménagement de plusieurs périmètres irrigués, l’Etat a pu améliorer la production agricole
notamment celle du riz, du maïs et des oignons, la qualité de la ressource en eau est par contre
fragilisée. La construction de ce barrage sur le fleuve Sénégal a modifié l’écologie dans le
bassin du fleuve avec des conséquences sanitaires, socioéconomiques et physiques multiples.

Qu’est-ce qu’une maladie hydrique ?

Les Maladies hydriques sont de deux sortes : Il y a celles qui sont liées à la consommation de
l’eau non potable comme le choléra, poliomyélite, fièvre, typhoïde etc. Ces maladies sont
directement liées au déficit d’hygiène et en particulier au péril fécal, avec la contamination
des aliments ou du milieu environnant.

Il y a aussi celles qui sont transmises par un agent intermédiaire, c’est le cas de la bilharziose.
Elle est favorisée par des mollusques qui abritent les parasites et transmettent la maladie
quand l’homme entre en contact avec l’eau contaminée.

Le paludisme et la fièvre jaune sont des maladies d’origine hydrique particulières. Elles se
transmettent d’homme à homme par l’intermédiaire de moustiques vecteurs qui prolifèrent à
cause de la présence de l’eau douce.

Source : OMVS, Bulletin de santé, février, 2009.

Du point de vue sanitaire, la présence de l’eau douce a augmenté le développement des


moustiques vecteur de paludisme dans les villages à proximité des eaux du fleuve Sénégal,
du lac de Guiers et du Gorom Lampsar. En 1999, une étude portant sur les populations jeunes

Chapitre 4 : Evolution politique et économique de la politique d’accès à l’eau potable en milieu rural sénégalais.
95
Partie 2 : La participation du public dans les politiques étatiques au Sénégal : formes et enjeux dans le domaine
de l’eau.

vivant dans la zone du lac de Guiers, réalisée par l’ONG « Espoir Pour la Santé61 », révèle un
taux de prévalence de 60% chez les populations jeunes et adultes qui vivent à proximité des
eaux du lac de Guiers. Dans certains villages notamment à Temmey Peul, situés à moins de
100 mètres du lac de Guiers, ce taux atteint 75% chez les jeunes de 6 à 10 ans. La
consommation des eaux de surface non potables constitue un facteur déterminant dans la
prolifération des maladies hydriques. Ces maladies sont les premières causes de mortalité
chez les plus jeunes. Le paludisme cause chaque année de multiples décès dans les villages à
proximité des eaux douces, plus 80%. Pour les enfants ce taux atteint 100% dans certaines
zones proches du fleuve 62

Les travaux de Michel, Sodaz, Philip, Daoud, (2011), « Le bassin versant du fleuve
Sénégal, situation sanitaire de 2010 » confirment ce lien entre la pollution des eaux et le
développement de certaines maladies (paludisme, choléra, bilharziose, trachome,
leptospirose). L’épidémie de choléra de 2005 a été plus mortelle dans les zones à proximité
des eaux de surface. Plus 30000 cas vont être notifiés en 18 mois en majorité dans la région de
Saint Louis. La bilharziose urinaire est très présente dans cette région notamment dans le
département de Podor et de Dagana. Plus de 83% dans le district de Dagana et plus de 76%
dans le district de Goudiry63.

L’eau, incolore, inodore et sans saveur est source de vie. Elle devient source de
maladies voire de morts quand elle n’est pas potable. 80 % des maladies dans les pays en

61
« Espoir pour la santé », est une ONG née d’un programme de coopération appelé ESPOIR entre le
gouvernement sénégalais et l’Institut Pasteur de Lille en 1992. Ce programme avait pour objectif de lutter contre
la bilharziose par le développement d’un vaccin. Aujourd’hui cette ONG internationale basée à Saint Louis,
travaille en collaboration avec le conseil régional de Saint Louis, le Gouvernement Sénégalais, la région Nord-
Pas-de-Calais et l’INSERM (institut national de la santé de la recherche médicale basée en France) pour lutter
contre la bilharziose.
62
OMVS, 2009, L’offensive de l’OMVS : une approche régionale pour maîtriser le paludisme et les
bilharzioses, Dakar, 8p
63
D’autres localités utilisatrices des eaux souterraines polluées sont fortement touchées par le développement
des maladies hydriques. Les travaux de Thioune, (2010), sur la communauté rurale de Darou khoudoss montrent
une forte corrélation entre le développement de certaines maladies (diarrhées, bilharziose, dysenterie) et la
consommation des eaux de mauvaise qualité. Les différents rapports publiés par les postes de santé situés dans la
communauté rurale (poste de santé de Sao, de Fass Boy, de Darou khoudoss) et que l’auteur a repris indiquent
que la mauvaise qualité de l’eau reste la première cause de maladies des populations. L’eau dans ces zones est
contaminée par l’infiltration de produits toxiques issus des établissements industriels implantés dans la
communauté rurale. Elle est aussi polluée par l’utilisation en forte augmentation des pesticides par les
agriculteurs. Selon l’auteur, la consommation de l’eau polluée touche toutes les catégories de la population à des
niveaux variés. Les enfants de 0 à 5, dans tous les cas, restent les plus affectés notamment pour ce qui concerne
la diarrhée et la bilharziose.
Chapitre 4 : Evolution politique et économique de la politique d’accès à l’eau potable en milieu rural sénégalais.
96
Partie 2 : La participation du public dans les politiques étatiques au Sénégal : formes et enjeux dans le domaine
de l’eau.

développement sont liées à la consommation d’eau non potable 64 ; près de 300 000 personnes
y sont tuées par la bilharziose.

Du point de vue socioéconomique, la pollution a accentué le développement du typha.


Plus de 100 000 ha sont infestés par cette végétation aquatique, ce qui rend difficile la
navigation et la pêche dans certaines parties du fleuve. Ce développement du typha
notamment dans le fleuve Sénégal, le lac de Guiers et le Gorom Lampsar a également des
conséquences sur l’agriculture. La présence du typha a favorisé l’augmentation d’habitats
d’oiseaux devenant des menaces pour les paysans. Les oiseaux détruisent les champs des
paysans surtout à l’approche des récoles de riz, de maïs ou de mil. La présence des oiseaux
destructeurs est source de conflits entre les défenseurs de l’environnement et les paysans. Ces
derniers cherchent à éliminer les oiseaux dévastateurs en utilisant de produits toxiques dans
leurs champs. Les défenseurs de l’environnement dénoncent ces pratiques qui entraînent un
taux de mortalité élevé chez les oiseaux.

Figure 6: Présence du typha dans le lac de Guiers. Photos prise par Dione Y.

64
Le Monde, « combattre la crise de l’eau, une urgence pour l’O.N.U », 12 mars 2009
Chapitre 4 : Evolution politique et économique de la politique d’accès à l’eau potable en milieu rural sénégalais.
97
Partie 2 : La participation du public dans les politiques étatiques au Sénégal : formes et enjeux dans le domaine
de l’eau.

Les problèmes d’accès à l’eau en milieu rural sont le fait d’une politique de l’Etat qui
a privilégié les aspects techniques et économiques. Ils ont aussi pour origine la baisse en
qualité de la ressource en eau qui constitue l’un des handicaps majeurs pour l’accès à l’eau
potable en milieu rural. Ces différents problèmes vont susciter des réactions de la part des
populations victimes du manque d’eau et de la part des organisations civiques (ONG) qui vont
faire de l’accès à l’eau un problème national.

II. Les réactions civiques face aux problèmes de l’eau

Depuis les années 1980, le secteur de l’eau potable en milieu rural est très fragilisé.
Pour certaines régions (Saint Louis) le problème de l’eau est lié à la présence du sel dans l’eau
souterraine et la pollution des eaux de surface. Dans d’autres (Diourbel, Fatick, Kaolack),
c’est la baisse du niveau des nappes phréatiques qui entraîne le tarissement des puits et le
faible débit des forages. Certaines femmes passent des journées entières à guetter le liquide
précieux. D’autres font des kilomètres à la recherche d’eau. Avec la pollution en forte
augmentation, les populations rurales qui consommaient l’eau de surface connaissent des
problèmes d’eau avec la multiplication des maladies hydriques.

Ce contexte généralisé de la situation de l’eau en milieu rural va susciter des


réactions fortes de la part des populations rurales pour l’accès à l’eau potable. Ces
réactions sont soutenues par l’action des ONG consistant à problématiser la
consommation d’eau non potable en termes de risque sanitaire (diarrhées, paludisme,
bilharziose).

II.1 Les mobilisations contre le manque d’eau.

Les pannes de forages multiples et fréquentes occasionnent une irrégularité du service


de l’eau en milieu rural. Plusieurs actions à l’initiative des populations confrontées aux
problèmes d’eau vont être menées pour demander la reprise de service des forages en pannes.
Ces actions vont prendre des formes différentes et finissement par politiser le problème
d’accès à l’eau.

Chapitre 4 : Evolution politique et économique de la politique d’accès à l’eau potable en milieu rural sénégalais.
98
Partie 2 : La participation du public dans les politiques étatiques au Sénégal : formes et enjeux dans le domaine
de l’eau.

Dans les localités situées à proximité des eaux de surface, la dénonciation du manque
d’eau va prendre des formes qui sortent du cadre légale. L’anecdote racontée par un ancien
directeur régional de l’hydraulique de Saint Louis atteste d’une situation tendue qui prévaut
dans certains villages à cause de la rareté de l’eau. Dans la communauté rurale de Syer (région
de Louga) les populations qui s’alimentent à partir des forages vont connaître des difficultés
d’eau suite à une panne de moteur de leur forage (cf. annexe 6). Certains villages de la
commune sont traversés par le réseau d’eau de la SDE qui alimente en eau potable la capitale
sénégalaise à partir de l’usine de traitement d’eau de Keur Momar Sarr installée au bord du
lac de Guiers. Pour s’approvisionner en eau, les populations font des actions de sabotage du
réseau de la SDE. Elles occasionnent des fuites du réseau de la SDE en endommageant les
canalisations pendant la nuit. Ces zones de fuite d’eau vont être les principales sources
d’alimentation en eau des populations le temps qu’elles soient repérées et réparées par la
SDE.

Ces actions de sabotage de plus en plus fréquentes sont dénoncées par le préfet de la
région qui va convoquer les chefs de villages de la communauté rurale de Syer suite aux
plaintes de la SDE auprès du préfet. Devant ce problème sensible, la « Brigade des Puits et
Forages » de la région de Saint Louis va effectuer des travaux de réparation afin de permettre
une reprise du forage.

Dans les régions de Fatick et Kaolack où les populations s’approvisionnent à partir des
forages, les mobilisations contre les pannes fréquentes liées à l’irrégularité du service d’eau
deviennent plus régulières. Elles prennent de plus en plus des tournures politiques. Les
travaux de Thioune (2010) expliquent l’importance de la question de l’accès à l’eau dans la
campagne électorale de 1981. Dans beaucoup de villages, les populations vont conditionner
leur vote à la reprise de leur forage. Lors de la visite du Président de la république dans la
région, certains villages vont faire de l’accès à l’eau potable leur priorité. Le problème de
l’eau potable sera au centre de la campagne électorale. Il sera exprimé comme le premier
besoin des populations rurales. Obtenir le vote de ces populations passe par la satisfaction des
demandes en eau formulées où par des promesses de les régler dans les meilleurs délais.

Avec l’élection présidentielle de 1988, la problématique de l’accès à l’eau potable


revient au centre de la compagne électorale. La demande forte des villageois à disposer
d’adductions d’eau potable est régulièrement exprimée pendant les meetings. Les promesses

Chapitre 4 : Evolution politique et économique de la politique d’accès à l’eau potable en milieu rural sénégalais.
99
Partie 2 : La participation du public dans les politiques étatiques au Sénégal : formes et enjeux dans le domaine
de l’eau.

d’installation de forages du candidat socialiste sortant, Abdou Diouf, vont se multiplier. A


cause de ses engagements multiples à réaliser des forages dans les villages, Abdou Diouf va
être surnommé « monsieur forage » par Abdoulaye Wade, le candidat du parti démocratique.

En même temps, l’idée d’une contribution financière commence à émerger chez les
villageois afin d’assurer une régularité dans le service de l’eau. Pour la première fois, certains
villages habitués à la gratuité de l’eau envisagent l’idée de contribuer financièrement au
fonctionnement de leur forage.

« Des villages vont exprimer des vœux pour une institutionnalisation de leur
participation à la gestion des forages ruraux(…) Certaines populations
commençaient à s’organiser spontanément en cotisant pour acheter leur
carburant en cas de rupture »65.

Meublat (2001) analyse l’ampleur de ces mobilisations pour l’accès à l’eau dans les
pays africains comme un échec de la politique de « l’offre d’eau » qui a dominé le secteur de
l’hydraulique rural jusqu’aux années 1980. Pour l’auteur, cette politique n’a pas permis
d’atteindre les objectifs qui étaient fixés par les Nations-Unies dans le cadre de la Décennie
Internationale de l’Eau Potable et de l’Assainissement (DIEPA), c’est-à-dire l’amélioration
des conditions d’accès à l’eau potable en milieu rural. Face à cet échec des premières
politiques d’accès à l’eau en milieu rural, un nouveau mode d’intervention est expérimenté
par les ONG. Il est fondé, d’une part, sur l’organisation des populations afin qu’elles gèrent
directement les adductions d’eau potable. D’autre part, il est question de demander aux
populations une contribution financière pour un service plus régulier de l’eau potable.

II.2 La remise en cause des politiques antérieures

C’est à l’action des ONG que l’on doit, en partie, à la toute fin des années 1980,
l’apparition de dispositifs de gestion de forages impliquant les populations dans la gestion de
l’eau. Face aux problèmes récurrents de l’eau, plusieurs ONG dont l’Union pour la Solidarité
et l’Entraide (USE) et Caritas Internationale vont s’implanter en milieu rural sénégalais. Ces

65
Thioune K. A., 2010, Problèmes de l’approvisionnement en eau potable en milieu : le cas de la communauté
rurale de Darou Khoudoss, Mémoire de DEA de géographie, Université Cheikh A Diop de Dakar, p.89
Chapitre 4 : Evolution politique et économique de la politique d’accès à l’eau potable en milieu rural sénégalais.
100
Partie 2 : La participation du public dans les politiques étatiques au Sénégal : formes et enjeux dans le domaine
de l’eau.

organisations ont pour mission de participer au développement économique et social des


populations rurales. Elles interviennent dans plusieurs secteurs dont celui de l’accès à l’eau,
secteur pour lequel l’Etat a des difficultés à répondre aux besoins en eau des populations.

L’approche développée par ces ONG pour améliorer le service de l’eau en milieu
rural est différente de celle jusqu’alors adoptée par l’Etat. Elle consiste à organiser les
populations pour qu’elles s’occupent elles-mêmes de la gestion des leurs adductions
d’eau potable. Cette nouvelle approche est fondée sur l’hypothèse selon laquelle
l’implication des populations dans la gestion des réseaux d’eau peut améliorer le service
de l’eau. En d’autres termes, pour les ONG, l’implication des populations facilite
l’appropriation des réseaux d’eau réalisés, c’est-à-dire qu’elles cessent de les considérer
comme un bien de l’Etat. Elles en font leur bien collectif parce qu’elles ont contribué à sa
réalisation et les gèrent au quotidien. Pour ces ONG la responsabilisation des populations
peut être un gage d’amélioration des politiques d’accès à l’eau en milieu rural parce
qu’elle susciterait des « logiques d’appropriation collective ».

Ainsi dans la région de Fatick (cf. annexe 6), l’ONG Caritas Internationale a mis en
place des puits et des forages dans les années 1970. Son mode d’intervention change par
rapport à celui de l’Etat. Les populations sont associées à la réalisation des infrastructures
d’abord de manière financière. L’ONG leur demande une contribution symbolique (cotisation
par famille). Elle leur demande surtout de s’organiser pour gérer les infrastructures. En même
temps au niveau international, les ONG vont plaider pour un changement dans la façon de
gérer les forages en milieu rural au niveau des pays africains. Leurs résultats positifs en
matière d’accès à l’eau constituent un argument de taille pour inciter les bailleurs de fonds
(BM, FMI, AFD) des programmes d’accès à l’eau potable dans les pays africains à faire
pression sur les Etats pour une généralisation de cette nouvelle forme de gestion des réseaux
d’eau potable.

II.2.a Une responsabilisation des populations

Dans le milieu rural sénégalais, plusieurs forages vont être réalisés par des ONG
suivant ce nouveau mode d’intervention. Dans la région de Saint Louis, par exemple, l’ONG
Union pour la Solidarité et l’Entraide (USE), intervenant dans la région depuis 1976, a
Chapitre 4 : Evolution politique et économique de la politique d’accès à l’eau potable en milieu rural sénégalais.
101
Partie 2 : La participation du public dans les politiques étatiques au Sénégal : formes et enjeux dans le domaine
de l’eau.

construit des forages pour les populations vivant le long de la vallée du fleuve Sénégal.
Contrairement à l’Etat qui venait « offrir » des forages aux populations en prenant tout en
charge (frais de construction et de fonctionnement), l’ONG a impliqué les destinataires du
forage dès la phase de construction. Pour réaliser le réseau d’eau, les populations du village
doivent contribuer soit physiquement, c’est-à-dire aider à transporter le matériel de
constructions (ciment, fer etc.), soit elles contribuent financièrement. Et dans ce dernier cas,
un montant faible, généralement symbolique, est demandé aux populations. Ces dernières se
cotisent pour s’acquitter de leur contribution. Une fois le réseau d’eau construit, sa gestion est
aussi confiée à la population du village qui s’organise avec l’appui de l’ONG en « Comités
Villageois ». Les membres de ces « Comités Villageois» sont nommés par les villageois qui
font usage de l’eau au cours de réunions publiques organisées par l’ONG. Pour réunir la
population du village, l’ONG passe généralement par les autorités locales du village, le chef
de village par exemple. Ce dernier qui bénéficie d’une certaine considération de la part des
populations a plus de chance de réunir tout le village. L’ONG n’intervient pas dans le choix
des personnes qui composent les « Comités Villageois ». Son rôle consiste à expliquer le
mode de fonctionnement du comité et à apporter éventuellement son soutien matériel et
parfois financier pour la bonne tenue des réunions.

Le « Comité Villageois » est en charge du fonctionnement au quotidien du point


d’eau. Il est chargé de la distribution de l’eau, de l’achat du gasoil et doit gérer les pannes
éventuelles du forage. Pour cela il définit un mode de payement de l’eau pour pouvoir faire
face à d’éventuelles pannes et à l’achat de carburant. Un montant est demandé à toutes les
familles du village. Ce montant est collecté par le « Comité Villageois » à la fin de chaque
mois. Cette contribution est fortement recommandés par les l’ONG pour éviter les ruptures
de service connues dans les forages gérés par l’Etat.

Les ONG qui ont mis en place les « Comités Villageois » se sont appuyées sur les
formes d’organisation qui préexistaient dans les villages. Dans le monde rural et notamment
dans le secteur de l’agriculture, dans la gestion des forêts, dans le domaine de la pêche, dans
le maraîchage, des organisations existaient au sein desquelles certaines catégories de la
population étaient représentées. Mais ces organisations regroupaient les mêmes catégories
socioprofessionnelles. Les agriculteurs se constituent en « comité », par exemple, pour
résoudre les problèmes auxquels ils sont confrontés, les maraîchers s’organisent pour gérer
des terrains destinés aux cultures maraîchères, les jeunes se mettent en association pour

Chapitre 4 : Evolution politique et économique de la politique d’accès à l’eau potable en milieu rural sénégalais.
102
Partie 2 : La participation du public dans les politiques étatiques au Sénégal : formes et enjeux dans le domaine
de l’eau.

mener des activités socio-culturelles etc. Le « Comité Villageois » mis en place par l’ONG est
aussi un dispositif qui s’ancre dans des pratiques déjà existantes, il s’inspire des modes
d’organisations locales, des dynamiques collectives locales connues dans le milieu rural.

Ce qui est nouveau également avec le « Comité villageois », c’est le fait qu’il n’est
pas seulement constitué par un seul groupe de la population ou une seule catégorie. Il est
constitué par les différentes catégories socio-professionnelles du village. Ce sont les
agriculteurs du village, les pêcheurs, les jeunes et les femmes qui choisissent ses membres.
Ainsi, les forages mis en place par les ONG dans les années 1970 et 1980 sont gérés par des
« Comités Villageois » dans la plupart des cas. Pour chaque réseau d’eau réalisé, les ONG
ont demandé aux villages bénéficiaires de s’organiser pour s’occuper de sa gestion. Cette
forme de gestion a amélioré l’accès à l’eau des populations rurales situées dans les zones
d’intervention de certaines ONG comme « Eau Vive » et USE qui orientent leurs
interventions dans la région de Saint Louis dont certains départements sont très touchés par le
manque d’eau. L’USE avec son programme « Hydraulique Villageoise et Pastorale », débuté
en 1977, a permis la réalisation de 130 puits et de 48 forages dont la gestion est confiée à des
« Comités Villageois »66. Ce programme a permis d’améliorer les conditions d’accès à l’eau
de plusieurs villages qui s’alimentaient majoritairement à partir des eaux du fleuve Sénégal
non potables.

Ces nouvelles formes d’organisation autour des réseaux d’eau constituent une réponse
aux multiples pannes de carburant. Les populations en se cotisant prennent en charge les frais
de fonctionnement de leur forage. Elles s’organisent pour payer le carburant et assurent la
continuité du service de l’eau.

II.2.b Les stratégies pour influencer la politique de l’eau

En dehors de l’organisation des populations autour de la gestion des forages, les ONG
vont utiliser d’autres leviers d’actions pour influencer l’orientation des politiques d’accès à
l’eau. Se positionnant comme défenseurs des intérêts des populations en difficultés, elles vont
s’adresser directement aux partenaires de développement, en l’occurrence la Banque

66
Union pour la Solidarité et l’Entraide (USE), 2008, Présentation USE, 22p.
Chapitre 4 : Evolution politique et économique de la politique d’accès à l’eau potable en milieu rural sénégalais.
103
Partie 2 : La participation du public dans les politiques étatiques au Sénégal : formes et enjeux dans le domaine
de l’eau.

Mondiale, l’Agence Française de Développement (AFD), pour attirer leur attention sur la
nécessité d’associer les populations dans la mise en place des programmes d’accès à l’eau.
Leurs discours sur cette nécessité d’impliquer les populations dans la gestion des forages vont
avoir des échos auprès des partenaires au développement d’autant plus que dans le secteur de
l’accès à l’eau, les résultats obtenus par les Etat africains ne sont pas à la hauteur des
investissements réalisés dans le secteur par l’Etat. Ainsi, prenant acte des préoccupations des
ONG, les partenaires au développement vont conditionner le financement des programmes
d’alimentation en eau à l’implication des populations dans la gestion des réseaux d’eau.
Certains d’entre eux vont travailler directement avec les populations en soutenant des
programmes locaux ou passer par des ONG qui jouent le rôle d’intermédiaires entre l’État et
les populations locales. En plus de ce travail d’influence des politiques étatiques, les ONG
mènent également un travail de sensibilisation sur les enjeux liés à la ressource en eau et les
enjeux environnementaux en général.

Des actions de sensibilisation sont menées par les ONG sur la nécessité de protéger la
qualité de la ressource en eau. Ces actions consistent à faire des études sur la qualité de l’eau
et ses conséquences sur la santé des populations. L’Union Internationale pour la Conservation
de la Nature (UICN), financée par les Nations-Unies va mener une étude sur l’impact des
activités de la compagnie sucrière sénégalaise (CSS) sur le fleuve Sénégal. L’étude met en
évidence une forte présence de produits polluants dans le fleuve. Par cette étude, l’ONG attire
surtout l’attention sur les problèmes de santé causés par cette pollution. Cette étude constitue
pour les ONG un moyen de pression sur l’Etat censé protéger les populations vivant à
proximité des eaux polluées de tous risques sanitaires. En mettant en lumière les
conséquences de la pollution et en désignant les responsables, les ONG pressent l’Etat à
prendre des dispositions pour lutter contre cette pollution.

La publication des résultats des études réalisées est aussi un moyen de sensibiliser les
populations sur les risques liés à la consommation des eaux de surface polluées. Mais c’est un
moyen surtout de les pousser à revendiquer leur droit à une eau potable. Dans cette
perspective, le rôle de L’ONG consiste à exercer une influence sur les populations pour que
ces dernières expriment leurs préoccupations auprès des décideurs.

Les problèmes de l’eau vont avoir une résonnance vers la fin des années1980 à
l’échelle nationale mais aussi au niveau international grâce aux mobilisations des populations

Chapitre 4 : Evolution politique et économique de la politique d’accès à l’eau potable en milieu rural sénégalais.
104
Partie 2 : La participation du public dans les politiques étatiques au Sénégal : formes et enjeux dans le domaine
de l’eau.

rurales et à l’action des ONG. Ces actions vont pousser l’Etat à évoluer dans son mode
d’action en matière de politiques d’accès à l’eau.

III. Les évolutions de la politique d’accès à l’eau en milieu rural


(1980-1996)

L’évolution de la politique d’accès à l’eau en milieu rural est liée essentiellement à


deux facteurs : une crise de l’Etat et des mobilisations civiques en milieu rural.

Le premier facteur a été accentué par les exigences de la Bande Mondiale (BM) et du
Fond Monétaire International (FMI) adressées à l’Etat sénégalais, afin qu’il stabilise son
économie. Pour la BM, cela passe par l’arrêt des nationalisations au profit d’une libéralisation
des prix. L’Etat sénégalais est pressé de demander aux usagers des services publics de base de
contribuer financièrement à leur fonctionnement. Désormais, tout projet de demande de
financement soumis à la BM doit être accompagné d’un projet de réforme qui doit, en théorie,
permettre d’améliorer la situation économique du pays. Ces réformes vont toucher tous les
secteurs : l’éducation, la santé, l’accès à l’eau potable. Dans ces différents secteurs la
contribution des populations, même les plus pauvres, est demandée (Traoré, 2001).

On a assisté dans ce contexte à une baisse substantielle voire à une annulation des
subventions qui ont permis de sauvegarder jusqu’alors la gratuité de l’eau. Des forages vont
arrêter de fonctionner par faute de carburant, les pannes de moteur vont durer des mois par
manque d’argent. Cette situation connue dans le secteur de l’eau va déclencher le second
facteur, c’est-à-dire une série de mobilisations civiques à l’origine d’un changement important
dans l’orientation des politiques de l’eau. Ces changements portent également sur le mode de
gestion des forages. L’Etat qui assumait jusqu’alors la gestion des forages la transfère aux
populations rurales.

Chapitre 4 : Evolution politique et économique de la politique d’accès à l’eau potable en milieu rural sénégalais.
105
Partie 2 : La participation du public dans les politiques étatiques au Sénégal : formes et enjeux dans le domaine
de l’eau.

III.1 La Contribution financière des populations à la gestion des forages


(1984)

L’une des raisons qui a poussé l’Etat à mettre en place les « Comités de Gestion »
(CGF) est économique. La circulaire parle d’« organisation des populations pour gérer les
forages elles-mêmes». Ainsi, il s’agit de régler les problèmes budgétaires connus dans le
secteur de l’hydraulique rurale. En effet, devant les ruptures de service d’eau liées aux pannes
de moteur ou manque de gasoil, les populations se cotisaient déjà pour la reprise de service de
leur forage.

La circulaire du ministère de l’hydraulique et de l’assainissement ne fait qu’officialiser


la gestion des forages par les populations. Elle définit les prérogatives, le but, la forme et la
composition des CGF. Les populations qui font usage du forage doivent choisir les membres
du CGF : un président, un vice-président et un trésorier. Le CGF est chargé du
fonctionnement au quotidien du forage en lieu et place des conducteurs des forages, chargés
jusqu’alors de cette fonction. Il doit s’occuper de la distribution de l’eau, il assure l’ouverture
et la fermeture du forage. Il détermine le mode de payement de l’eau du forage aux différents
usagers à un prix défini, en principe, avec l’accord des populations. La contribution des
populations est forfaitaire, une cotisation mensuelle est demandée à toutes les familles
utilisant l'eau du forage en fonction du nombre de personnes appartenant à la famille, à
chaque éleveur en fonction du nombre de têtes d’animaux qui constituent son troupeau. Pour
les autres usages, (le cas des constructions de bâtiment, par exemple), l'eau est vendue à
l'usager généralement au détail selon un tarif déterminé par le CGF. L’usager qui a payé son
forfait au CGF dispose d’un droit d’accès à l’eau illimité.

Les fonds récoltés doivent être gérés par le trésorier du CGF et sont destinés à acheter
du carburant mais aussi à assurer les frais de dépannage, le changement de pièces, par
exemple. Le CGF doit aussi organiser des réunions publiques pour informer les populations
sur la situation des forages, les problèmes, les bénéfices de la vente de l'eau etc. Aussi, en cas
de panne de moteur par exemple, le CGF doit informer la Brigade des Puits et Forages. Ainsi,
par le biais du CGF, les populations prennent en charge les frais de fonctionnement du forage
(achat de carburant). Le renouvellement du forage et sa maintenance est, par contre, toujours
pris en charge par l’Etat. La contribution financière met fin à la gratuité de l’eau en milieu
rural.

Chapitre 4 : Evolution politique et économique de la politique d’accès à l’eau potable en milieu rural sénégalais.
106
Partie 2 : La participation du public dans les politiques étatiques au Sénégal : formes et enjeux dans le domaine
de l’eau.

La formalisation des CGF s’inscrit dans une réorientation de la politique de l’Etat qui
introduit une rupture par rapport aux politiques issues des indépendances selon lesquelles
l’Etat doit tout fournir des services gratuits aux populations en situation de précarité. Avec les
nouvelles politiques d’ajustement structurel imposées au Sénégal et dans les autres pays
africains, l’Etat se trouve en incapacité de donner gratuitement l’eau aux populations. Déjà en
1970, le Sénégal est confronté à des difficultés économiques majeures. L’économie fondée en
partie sur la vente de l’arachide est en baisse à cause des sécheresses qui ont entrainé des
baisses de production. Les institutions financières (BM, FMI), vont exiger de l’Etat des
réformes pour faire face au déséquilibre économique. C’est dans cette perspective que le
Sénégal va adopter le plan de stabilisation économique de 1979 et le plan de redressement
économique et financier qui va s’étendre sur la période de 1980 à 1984 (Diop M.C. 2004). Les
difficultés économiques ont entraîné des baisses budgétaires entraînant une capacité limitée de
l’Etat en matière de service public. Pour cette raison, il incite de plus en plus les populations à
se prendre en charge notamment dans le domaine de l’eau. La mise en place des Comités de
Gestion est « le résultat de l’incapacité de l’Etat à continuer à honorer ses engagements par
rapport à la gratuité de l’eau en milieu rural »67. Dans la circulaire du 16 juin 1983, le
ministère de l’hydraulique s’exprime en ces termes :

« Les charges d’exploitation des forages ruraux se sont multipliées (…). Elles
atteignent un montant qui est hors de proportion avec les moyens de la puissance
publique. Les difficultés financières rencontrées par le ministère de l’hydraulique
pour garantir le fonctionnement et l’exploitation des forages impose la mise en
œuvre d’une politique de tarification de l’eau en milieu rural »

Le partage de charges entre l’Etat et les populations est censé améliorer les conditions
d’accès à l’eau potable. Il est d’autant plus nécessaire que l’Etat qui assumait la totalité des
charges de fonctionnement des forages n’a plus les moyens financiers pour assurer la
continuité de sa politique de gratuité de l’eau. Désormais, les populations devront payer l’eau.
Elles devront se constituer en CGF pour gérer les forages.

67
Alissoutain R.L, 2006, op.cit., p 215
Chapitre 4 : Evolution politique et économique de la politique d’accès à l’eau potable en milieu rural sénégalais.
107
Partie 2 : La participation du public dans les politiques étatiques au Sénégal : formes et enjeux dans le domaine
de l’eau.

III.2.a Objectifs du transfert des charges aux populations.

La mise en place des « Comités de Gestion » (GGF) en milieu rural vise à faire
contribuer économiquement les populations à la gestion des forages mais également à les
responsabiliser. L’aspect financier va prendre le dessus sur l’implication des populations dans
la gestion. Pour l'Etat, cette gestion par les populations peut fonctionner en milieu rural au
moins pour trois raisons.

(a) D’abord parce qu’en milieu rural, les populations sont habituées à régler leur
problèmes par le dialogue. Les différends entre personnes ou entre familles sont réglés au
niveau du village. Un problème entre personnes d’une même famille, par exemple, est réglé
avec la médiation du chef de famille des personnes en conflit. Ce dernier convoque
généralement les personnes en conflit et tente de trouver une entente entre les deux. Avec son
statut de chef de famille, la médiation aboutit souvent à un accord. De ce point de vue, les
différends restent souvent internes à la famille. Leur sortie sur la place publique est toujours
déconseillée voire très mal vécue par les chefs de familles parce que cela remet en cause leur
autorité, c’est-à-dire leur capacité à jouer le rôle de chef capable de créer des accords au sein
de la famille. Si le chef de famille malgré tout échoue à susciter l’accord entre les personnes
en conflit, le problème est porté au niveau du chef de village. Ce dernier à son tour s’attèle à
créer un consensus en convoquant généralement les personnes concernées par le conflit et
leurs chefs de familles respectifs. Ce processus de règlement des conflits en milieu rural limite
l’ampleur des conflits pouvant exister au sein des familles, au sein des villages.

(b) Ensuite l’Etat s’appuie sur l’hypothèse selon laquelle les populations seraient
solidaires en milieu rural. La presque totalité des familles qui habitent dans le même village
ont souvent des liens de parenté ; elles forment un même réseau familial. Cette solidarité peut
faciliter l’organisation des populations du village à supporter le coût de fonctionnement du
forage, c'est-à-dire l’achat du carburant et les réparations des petites pannes.

(c) Enfin, l’idée sur laquelle s’appuie l’Etat pour mettre en place les CFG consiste à
dire que les populations rurales sont habituées à la gestion collective. Par catégories socio-
professionnelles ou par classe d’âges, elles gèrent déjà de façon collective des exploitations
agricoles pour les agriculteurs, des projets de maraîchage pour les femmes, des centres
culturels pour les jeunes. A travers des associations, chaque catégorie socio-professionnelle

Chapitre 4 : Evolution politique et économique de la politique d’accès à l’eau potable en milieu rural sénégalais.
108
Partie 2 : La participation du public dans les politiques étatiques au Sénégal : formes et enjeux dans le domaine
de l’eau.

ou classe d’âges va essayer de trouver, de façon collective, des solutions à ses difficultés. Ces
formes d’organisation font supposer que la gestion des forages par les Comités de Gestion a
des chances d’aboutir à un meilleur service d’eau.

La recherche de consensus, les solidarités et les initiatives collectives supposées


exister en milieu rural, sont pour l’Etat des atouts qui peuvent faciliter l’autogestion des
forages et garantir la transparence et la responsabilisation de toute la communauté concernée
par le forage. S’appuyant sur cette hypothèse, l’Etat va mettre en place les CGF sans définir
des règles de fonctionnement claires.

Or même si la recherche de consensus, les solidarités et les initiatives collectives


existent en milieu rural, elles se réalisent dans des conditions particulières. Ceci limite la
pertinence des hypothèses de l’Etat. La gestion collective, par exemple, concerne souvent
une catégorie de personnes du village, des groupes de personnes qui, parce qu’elles partagent
les mêmes problèmes ou ont la même activité, s’associent. C’est dans ce sens que les jeunes
d’une même classe d’âge, par exemple, se mettent en association parce qu’ils ont les mêmes
centres d’intérêts. Cependant, dès qu’il s’agit de la gestion d’un bien collectif qui concerne
toute la population d’un village où celle de plusieurs villages, les règles de fonctionnement
qui valaient dans la gestion d’un bien appartenant à une catégorie ne sont plus opérantes.

Répussard (2008), a montré dans ses travaux au nord du Sénégal, que le présupposé
de la gestion collective sur lequel l’Etat s’est appuyé pour mettre en place les CGF, se vérifie
s’il s’agit d’un bien collectif qui appartient à un groupe de personnes bien défini (une
pépinière qui appartient aux femmes du village, par exemple). Elle ne se vérifie pas toujours,
cependant, dans la gestion d’un forage utilisé par plusieurs villages:

« Les Comités de Gestion censés gérer un service collectif concernant le village


trouvent des règles et des légitimités existant déjà au sein du village, et qui
concernent la gestion des affaires communes. D’autres associations existent
souvent, mais concernent rarement l’ensemble du village (association de
producteur, de classe d’âge, de femmes etc.). La référence associative fondant les
Comités de Gestion peut faire sens dans ces groupements. S’il s’agit d’un
fonctionnement intégrant l’ensemble des villages, d’autres références font

Chapitre 4 : Evolution politique et économique de la politique d’accès à l’eau potable en milieu rural sénégalais.
109
Partie 2 : La participation du public dans les politiques étatiques au Sénégal : formes et enjeux dans le domaine
de l’eau.

légitimement sens où les références des Comités de Gestion se confrontent »68.

La solidarité telle qu’elle est prétendue par l’Etat existe, certes, au sein d’un même
réseau familial, au sein d’une même catégorie socio-professionnelle et au sein du même
village. Elle est moins évidente quand il s’agit d’un réseau plus large associant plusieurs
familles, plusieurs villages. Dès lors, la gestion d’un bien collectif comme le forage peut
faire l’objet de concurrence entre les différents groupes (jeunes, femmes, agriculteurs),
entre les différents villages. Chaque groupe cherche à se positionner pour le contrôle du
bien collectif, ce qui entraîne des conflits entre les différents usagers concernés par ce
bien collectif à gérer.

Les CGF sont créés dans un milieu rural déjà structuré par différents groupes (jeunes,
femmes, éleveurs, agriculteurs) qui ont des intérêts et des pratiques différents. Les villages
peuvent être en concurrence s’il s’agit d’une gestion d’un bien collectif.

III.2.b Les limites de la délégation des réseaux d’eau potable aux CGF

La gestion des forages par les CGF s’est confrontée à un certain nombre de problèmes
liés à l’organisation des populations rurales en plusieurs catégories socio-professionnelles
parfois concurrentes entre elles. Ces dispositifs, dans la plupart des cas, seront sous le contrôle
des autorités traditionnelles (chefs de village, notables, chefs religieux) et les forages gérés
comme des biens privés.

 Une mainmise des autorités traditionnelles.

Les autorités traditionnelles sont les premiers interlocuteurs de l’Etat et des acteurs de
développement au niveau local. Dans l’exécution des programmes de développement, elles
assurent les relations entre l’Etat et les populations locales. Ce rôle des autorités locales

68
Répussard C., 2008, « A la recherche d’une légitimité politique dans la gestion villageoise du service de
l’eau ? Comité de gestion, configuration politique et fonctionnement des services d’eau potable au nord du
Sénégal », Coopérer Aujourd’hui, N° 63, p.7
Chapitre 4 : Evolution politique et économique de la politique d’accès à l’eau potable en milieu rural sénégalais.
110
Partie 2 : La participation du public dans les politiques étatiques au Sénégal : formes et enjeux dans le domaine
de l’eau.

traditionnelles n’est pas nouveau au Sénégal. Après l’indépendance du Sénégal en 1960, les
chefs traditionnels vont être des relais de l’Etat dans le milieu rural. Les programmes de
développement de l’Etat sont exécutés en collaboration avec ces chefs locaux qui sont ses
seuls interlocuteurs. Selon Diouf (2008), ce parti pris de l’Etat est stratégique, c’est « une
manière de limiter le pouvoir des associations autonomes des jeunes, des femmes, des
syndicats et des partis politiques ». Les chefs religieux, par exemple, ont joué un rôle
déterminant dans l’émergence des hommes politiques depuis les années 1960. Senghor L. S.,
le premier président socialiste du Sénégal, s’est fortement appuyé sur les confréries
religieuses pour obtenir les votes des communautés musulmanes.

Le bureau du CGF doit être nommé lors d’une assemblée villageoise ouverte à tous les
villages qui font usage du forage. Ce sont les villages qui utilisent le forage qui doivent
choisir les membres CGF. Ce choix élargi est censé garantir une plus grande implication des
utilisateurs. Cependant, ce principe d’ouverture n’est pas toujours respecté. Ce qui est
considéré comme une assemblée générale dans le cas des CGF n’est rien d’autre qu’une
réunion de notables des villages. Ces derniers se réunissent généralement chez le chef de
village pour déterminer celui qui va occuper tel ou tel poste dans le CGF.

Les membres du CGF viennent généralement du village qui abrite le forage. Les autres
villages ne participent pas à leur désignation parce que n’ayant pas été informés de la tenue de
la réunion. Ils sont informés de l’existence du CGF et mis devant le fait accompli. Pour le
village qui abrite le forage, le contrôle du CGF est déterminant. Contrôler le CGF, c’est avoir
un pouvoir de décision sur le prix de l’eau ; c’est avoir aussi le pouvoir de sanction sur les
familles qui ne s’acquittent pas de leurs contributions financières. C’est également avoir le
pouvoir d’accorder des avantages aux usagers de son village.

Le choix du CGF par un seul village va susciter des problèmes. La légitimité du CGF,
les décisions qu’il prend sur les heures d’ouvertures, sur le prix de l’eau sont souvent
contestées par les populations des autres villages qui ne sont pas représentées au sein du CGF.
Certains éleveurs, par exemple, vont accuser le CGF de favoritisme à l’égard des éleveurs du
village qui abrite le forage. Les travaux de Ngom (2009) montrent une différence de prix
selon que l’éleveur habite dans le village d’implantation du forage, selon les liens de parenté
qu’il a avec les membres du CGF. Pour dénoncer ces pratiques certains éleveurs vont refuser
de payer l’eau au tarif qui leur est fixé par le CGF. Ce refus entraîne souvent des sanctions

Chapitre 4 : Evolution politique et économique de la politique d’accès à l’eau potable en milieu rural sénégalais.
111
Partie 2 : La participation du public dans les politiques étatiques au Sénégal : formes et enjeux dans le domaine
de l’eau.

prises par le CGF qui a le pouvoir de refuser l’accès au forage aux mauvais payeurs. Ces
sanctions arbitraires sont souvent sources de conflits entre le CGF et les éleveurs. Ces derniers
accusant au aux membres du CGF de faire une gestion partisane du forage.

Les premiers forages ont été installés par l’Etat devant les maisons des chefs de
village ou celles des chefs religieux. Dans le choix des membres du CGF, les autorités
traditionnelles respectent aussi l’organisation sociale hiérarchique du village. Cette
organisation sociale est fondée sur le statut, c’est-à-dire pour pouvoir gérer quelque chose, il
faut avoir le statut social qui le permet parce que n’importe qui ne peut gérer n’importe quoi
en milieu rural69. Ainsi, les chefs de village ou chefs religieux, considérés comme des
notables du village et déterminants dans gestion des affaires communes du village, vont
contrôler les CGF. La présidence du comité est assurée généralement par une autorité
traditionnelle et ce dernier nomme les autres membres du comité sans assemblée générale.
Dans le cas où le président convoque une assemblée générale, c’est pour faire part de ses
choix portant sur telle ou telle personne. Ainsi, le CGF est souvent entre les mains d’une
autorité traditionnelle qui fixe le prix de l’eau, détermine les heures d’ouverture et de
fermeture du forage. Cette monopolisation de la gestion du forage engendre souvent une
situation où la gestion financière des fonds issus de la vente de l’eau n’est pas contrôlée par
les populations qui utilisent le forage. Or, l’un des objectifs des CGF est de permettre aux
populations de contrôler la gestion du forage, notamment, les recettes issues de la vente de
l’eau. Ce manque de contrôle de la part des populations mais également de la part de l’Etat
aboutit, dans certains cas, à des détournements de fonds très fréquents. Certains forages vont
être en arrêt parce que le CGF ne dispose pas de fonds pour acheter du carburant ou pour
réparer des pannes. Dans ce contexte, le CGF ne fait que perpétuer les problèmes qu’il est
supposé résoudre. Avec les détournements, les forages continuent de tomber en panne sans
que les CGF ne disposent de l’argent pour les dépanner.

N’ayant pas l’opportunité de changer le mode de fonctionnement de la gestion du


forage, certaines familles vont refuser de payer leur cotisation pour protester contre
cette gestion qui manque de transparence.

69
Niang M., 1985, « Politique de l’eau et participation des populations rurales au Sénégal », in Conac G.,
Savonnet-Guyot C., Conac F., Les politiques de l’eau en Afrique. Développement agricole et participation
paysanne, Paris, Economica, p.109-114
Chapitre 4 : Evolution politique et économique de la politique d’accès à l’eau potable en milieu rural sénégalais.
112
Partie 2 : La participation du public dans les politiques étatiques au Sénégal : formes et enjeux dans le domaine
de l’eau.

Le manque de transparence dans la gestion du CGF peut aussi entraîner des départs de
certains usagers notamment les éleveurs vers d’autres forages qui parfois se situent à plusieurs
kilomètres de leur lieu d’habitation. Parce qu’ils ne sont pas contents de la gestion de leur
forage et n’ayant pas la possibilité de changer les membres du CGF, les éleveurs vont
transhumer vers d’autres forages dont le service d’eau est plus constant. Leur départ constitue
une perte de ressources financières pour le CGF de départ, un manque à gagner qui peut
affecter le service du forage (Répussard, 2011). Quand les recettes du CGF sont moins
importantes, cela réduit les possibilités du CGF à assurer l’achat régulier de carburant.

 Confusion entre bien collectif et bien personnel

Le contrôle des CGF par l’autorité traditionnelle a conduit souvent à une confusion
entre bien commun et bien personnel. Ce qui caractérise le bien commun, c’est le fait qu’il
profite à tous, le bien commun doit être accessible à tous sans restriction (Quéau, 2000).
Aucun individu ou aucun groupe, quel que soit son statut, ne peut se donner le droit de le
contrôler. Dans cette perspective, le forage peut être qualifié de bien commun parce que tous
les villages bénéficiaires peuvent, en principe, en faire usage du moment qu’ils respectent les
règles de fonctionnent établies par le CGF supposé être leur représentant.

Dans la réalité, certains forages sont presque gérés comme une propriété du chef de
village et de sa famille. Dans certains villages, le forage porte le nom du chef de village (on
dira par exemple le « forage de Samba Sow», Samba Sow étant le chef de village. Cette
nomination en dit long sur le rapport qu’entretiennent les chefs de village à l’égard du bien
collectif dont le forage. Le forage n'est plus perçu comme un bien commun mais comme un
bien personnel du chef de village. Il arrive que le chef de village qui a instruit la demande
d’installation d’un forage pour son village, en fait presque une propriété privée une fois que le
forage est réalisé. La gestion personnalisée des infrastructures collectives, notamment les
forages, débouche souvent sur une « appropriation privative ». Cette gestion privative peut
avoir des conséquences sur le service de l’eau potable. Les populations qui considèrent le
forage comme un bien qui appartient au chef de village, vont l’abandonner. En d’autres
termes l’appropriation privative du forage par les chefs traditionnels locaux pousse les

Chapitre 4 : Evolution politique et économique de la politique d’accès à l’eau potable en milieu rural sénégalais.
113
Partie 2 : La participation du public dans les politiques étatiques au Sénégal : formes et enjeux dans le domaine
de l’eau.

populations en zone rurale à abandonner les équipements hydrauliques pour se replier sur
d’autres sources non potable comme les marres, le fleuve ou le lac.

 Conflits entre usagers

Les CGF, au lieu de favoriser une gestion collective des forages, vont renforcer les
conflits en milieu rural. Pour le contrôle du CGF, des générations (jeunes et personnes âgées)
vont entrer en conflits. Certes, ces conflits ne sont pas nouveaux en milieu rural. Les travaux
de Blundo (1998) ont montré que le milieu rural est traversé par des conflits entre familles,
conflits entre adversaires politiques, conflits entre personnes. Ces conflits naissent pour le
contrôle des ressources locales, un programme de développement, par exemple. Selon
l’auteur, les acteurs locaux (chef de village, association, chef religieux) déploient de multiples
stratégies qui visent à leur donner plus de crédit auprès des populations locales. Ainsi un chef
de village peut chercher à s’approprier d’un projet d’accès à l’eau potable afin de redorer son
image auprès des habitants de son village.

Pour Olivier de Sardan (2000), la présence du CGF a exacerbé les conflits en milieu
rural. Ces dispositifs en mettant l’argent au cœur de la gestion du forage et la vente de l’eau,
ont introduit en milieu rural des soupçons et des accusations de détournements de fonds dans
le village. Les adversaires politiques des membres du CGF les accusent de détourner les
contributions financières des populations. Ces adversaires organisent des contestations en
faisant circuler, sans preuve parfois, l’idée selon laquelle les biens matériels des membres du
CGF ont été acquis par l’argent détourné.

Les conflits peuvent être également intergénérationnels. Ils résultent de la volonté de


chaque génération de contrôler le CGF. Dans certains villages, les personnes âgées mènent
des actions d’influence pour pousser les jeunes à la sortie du CGF sans forcément améliorer
les conditions d’accès à l’eau :

« La gestion du service de l'eau par les vieux n'a pas non plus abouti aux résultats
escomptés. En plus des pannes fréquentes du moteur, imputables à un défaut
d'entretien dû au manque de compétence du conducteur, plusieurs facteurs de
contreperformance ont émaillé leur mandat. En effet, les résultats du diagnostic

Chapitre 4 : Evolution politique et économique de la politique d’accès à l’eau potable en milieu rural sénégalais.
114
Partie 2 : La participation du public dans les politiques étatiques au Sénégal : formes et enjeux dans le domaine
de l’eau.

effectués en 1995 par l'équipe des volontaires de l'ONG Ingénieurs Sans


frontières (ISF) dans le cadre du projet de réhabilitation du réseau hydraulique
du village sont révélateurs. La tenue des comptes est loin d'être transparente, et
les problèmes de gestion, y compris ceux liés aux rapports entre le comité de
gestion et les usagers du réseau hydraulique du village, sont en partie à l'origine
des dysfonctionnements et de la qualité relative du service de l'eau dans le
village ».70

Les conflits peuvent être accentués par des considérations religieuses. Par exemple
sous le prétexte que le forage se trouve dans un village chrétien, les villages voisins, à
majorité musulmane, refusent de s’y approvisionner. Ils les accusent d’un certain nombre de
pratiques (boire de l’alcool, manger du porc, élever des porcs) qu’ils considèrent être en
contradiction avec leurs principes religieux.

III.2.c Les comités de gestion et le service de l’eau en milieu rural

Les résultats en termes d’accès à l’eau potable avec les CGF sont mitigés. Dans
certains villages, la contribution financière a permis de maintenir le service de l’eau. Les
recettes récoltées par le CGF permettent l’achat de carburant et le payement les frais de
réparation en cas de panne. Une étude sur la gestion des forages par les CGF commanditée par
l’Etat en 1996 montre une amélioration du service de l’eau dans beaucoup de villages
sénégalais. Cette amélioration est notée dans les villages où les forages n’ont pas connus de
pannes importantes, pannes de moteur, par exemple. Tant que les frais se limitent à l’achat du
carburant, les forfaits payés par les populations couvrent les charges. Ainsi, les populations
qui ont bénéficié de forages nouvellement construits ont un service d’eau régulier parce que
les pannes sont rares. Par la contribution forfaitaire, elles assurent l’achat régulier du
carburant.

Pour la majorité des villages par contre, ce transfert de charges à la population va être
une contrainte. D’abord parce qu’avec le vieillissement des installations de forages, les
pannes vont se succéder. Ne disposant pas de moyens financiers importants pour réparer le

70
Dia A. H., 2002, « La gestion locale‑internationale de l'enjeu hydraulique à Kanel : appropriation forcée et
stratégies d'acteurs », Bulletin de L’A.P.A.D, p.7
Chapitre 4 : Evolution politique et économique de la politique d’accès à l’eau potable en milieu rural sénégalais.
115
Partie 2 : La participation du public dans les politiques étatiques au Sénégal : formes et enjeux dans le domaine
de l’eau.

forage, le CGF va faire appel à l’Etat. Mais avec la lenteur des interventions, l’accès à l’eau
va redevenir un problème. Les populations retournent aux puits et eaux de surface non
protégées.

Les pannes peuvent être liées aussi au manque de carburant. Certaines familles ne
sont pas régulières dans le payement de leur forfait. Dans un milieu rural où l’agriculture reste
l’activité principale, s’acquitter de sa contribution mensuelle n’est pas toujours une chose
facile pour des familles en situation de précarité. Or, au cas où la famille ou l'éleveur ne paye
pas sa cotisation, son droit d'accès au forage doit être suspendu par le CGF. Dans la réalité, les
choses se passent autrement. Le CGF suspend rarement les mauvais payeurs parce que les
familles dans les villages ont des liens de parenté. Dans ce contexte, il est difficile pour les
membres CGF de refuser à leur parents l’accès à l’eau du forage (Ancey et al., 2008). Le
CGF, ainsi, va procéder à des crédits d'eau, c'est-à-dire des familles en difficulté vont utiliser
l'eau du forage tout en promettant de payer dès que leur situation financière sera rétablie.
Avec ce système de crédit, le CGF se trouve dans une situation d'incapacité de payer le
carburant qui fait fonctionner le forage. Cette situation où les usagers consomment sans payer
leur forfait aboutit à des déficits financiers et donc à des ruptures d’eau fréquentes. Des
forages vont régulièrement tomber en panne en milieu rural sans être réparés parce que le
CGF ne dispose pas d’assez de recettes pour couvrir les frais de fonctionnement.

Dans certains cas les impayés sont liés à des situations économiques difficiles que
vivent certaines familles. Dans d'autres cas, c’est parce que des stratégies sont développées
par certains usagers pour profiter des limites du système tarifaire. Dans ses travaux cités
précédemment, Ancey et al. , (2008) décrit un certain nombre de stratégies adoptées par les
éleveurs dans le Ferlo, au nord du Sénégal, pour bénéficier au maximum du payement de
l’eau au forfait. Le forfait que doit payer chaque éleveur est déterminé par le CGF en fonction
du nombre de têtes du troupeau. Un « recensement » est réalisé par l’éleveur et communiqué
au CGF qui fixe un prix mensuel global pour l’abreuvement du troupeau. Cependant, dans ce
cas de figure, il n’y pas de garantie que tout le cheptel soit recensé par l’éleveur, le CGF n’est
pas autorisé à faire ce recensement du cheptel. Selon certaines croyances chez les éleveurs, le
comptage du cheptel pourrait freiner son développement. Le tarif payé par l’éleveur est, dans
ce contexte, une estimation négociée avec le CGF. L’estimation est basée sur les déclarations
des éleveurs. Ces derniers payent rarement la consommation exacte de leurs troupeaux, ce qui
cause des pertes au CGF.

Chapitre 4 : Evolution politique et économique de la politique d’accès à l’eau potable en milieu rural sénégalais.
116
Partie 2 : La participation du public dans les politiques étatiques au Sénégal : formes et enjeux dans le domaine
de l’eau.

Les éleveurs utilisent également d’autres stratégies pour payer le minimum. Selon
Ancey et al. , ils prétextent, par exemple, que les petits ruminants ne vont pas au forage pour
boire. Pour pouvoir les abreuver chez eux, ils utilisent des chambres à air pouvant contenir
jusqu'à 600 litres transportées par des charrettes. Cependant, le contrôle du nombre de
charrettes est rarement fait par le CGF encore moins le nombre de voyages effectués dans la
journée, ce qui favorise les abus et une surexploitation.

La réforme de 1984 a introduit la contribution financière des populations et a


institutionnalisé l’organisation des populations autour des forages à travers les CGF. La
gestion des CGF se heurte à des pratiques locales notamment la monopolisation des
prises de décisions par l’autorité locale, le manque de transparence dans la gestion des
recettes issues de la contribution financière des populations et les problèmes de
tarifications de l’eau. Ces problèmes vont limiter les améliorations du service d’eau notées
dans la gestion des forages par les CGF. La majorité des villages vont être confrontés aux
ruptures fréquentes du service d’eau. Faces aux problèmes d’eau qui persistent, l’Etat va
introduire une réforme en 1997 appelée « Réforme de Gestion des Forages Motorisés »
(REGIFOR). Avec cette réforme, il s’agit de limiter le pouvoir des autorités traditionnelles au
profit d’une implication plus forte des populations. Il s’agit également de faire évoluer les
CGF vers des ASUFOR et des ASUREP afin de renforcer la participation institutionnelle des
populations dans la gestion des réseaux d’eau potable.

III.2 Le dessaisissement des autorités traditionnelles de la gestion des


réseaux d’eau potable (1997)

La réforme de 1997 vise deux objectifs essentiels. Il est question, d’une part, de
rendre autonome la gestion des forages en renforçant notamment la prise de parole des
populations d’une part, assurer la continuité du service de l’eau potable en milieu rural.
Il s’agit, d’autre part « de renforcer la responsabilité des populations et de les rendre
plus autonomes. Il est aussi question de rendre continu le service l’eau »71.

71
République du Sénégal, 2004, Projet de réforme de gestion des forages motorisés dans la région de Diourbel,
Fatick, Kaolack et Thiès, p.2
Chapitre 4 : Evolution politique et économique de la politique d’accès à l’eau potable en milieu rural sénégalais.
117
Partie 2 : La participation du public dans les politiques étatiques au Sénégal : formes et enjeux dans le domaine
de l’eau.

Le rapport de diagnostic de l’Agence Française de Développement (AFD) sur lequel


s’appuie la réforme pointe un certain nombre de difficultés de l’hydraulique rurale :

 Une monopolisation de la gestion des forages par les autorités locales


traditionnelles, les CGF étant sous le contrôle de ces autorités locales. Le rapport préconise de
faire évoluer les CFG vers des structures de type associatif (ASUFOR) et ASUREP reconnues
d’utilité publique et disposant d’un statut juridique clair.

 Un manque de transparence dans la gestion et la prise de décisions relatives au


fonctionnement du forage et dans la gestion des recettes issues de la vente de l’eau. La tenue
annuelle d’une assemblée générale est recommandée afin que les ASUFOR et les ASUREP
informent les populations et rendent publique leur gestion.
 Les limites de la vente forfaitaire appliquée par les CGF. La vente de l’eau au
volume est préconisée afin que les usagers de l’eau puissent payer le coût de fonctionnement
de leur réseau d’eau.
 Un vieillissement des infrastructures hydrauliques rurales notamment les
forages qui nécessitent des investissements du secteur privé. Il est ainsi recommandé de
favoriser le « partenariat public-privé » dans la gestion des réseaux d’eau.

La réforme est expérimentée au début dans quatre régions confrontées à des difficultés
d’accès à l’eau à la fin des années 1980 : les régions de Diourbel, de Fatick, de Kaolack et de
Thiès (cf. annexe 6). Elle porte sur 300 forages. Pour les autres régions, l’adhésion à la
réforme est volontaire. Cette adhésion doit être matérialisée par une demande formelle
remplie et transmise à la « Brigade des Puis et Forages ». Un bilan de la réforme effectué en
2000 fait état de 239 nouvelles adhésions formulées72. En 2008, l’Etat a généralisé la réforme
dans tout le territoire national. Tous les CGF sont appelés à évoluer en ASUFOR ou
ASUREP.

La réforme repose sur trois principes : la démocratie de proximité, la vente de l’eau


volume (« principe de vérité des prix ») et la professionnalisation de la gestion des
forages.

72
DEM, 2000, Rencontre de concertation des acteurs dans le domaine de l’hydraulique au Sénégal, Dakar, du
18 au 19 octobre, 52p.

Chapitre 4 : Evolution politique et économique de la politique d’accès à l’eau potable en milieu rural sénégalais.
118
Partie 2 : La participation du public dans les politiques étatiques au Sénégal : formes et enjeux dans le domaine
de l’eau.

III.2.a Une démocratie de proximité de l’eau

La réforme vise à limiter l’influence des autorités locales dans la gestion des
forages au profit d’une ouverture des débats et prises de décisions aux populations
concernées. Dans cet objectif, la réforme instaure deux contraintes : La mise à l’écart
des autorités locales traditionnelles et la tenue de débats publics.

Dans un premier temps, la réforme limite le pouvoir d’influence des autorités locales
traditionnelles par la procédure. Ces autorités locales traditionnelles ne peuvent pas être ni
membres du comité directeur, ni siéger au comité administratif, deux instances au sein
desquelles la majorité des décisions relatives à la gestion des forages sont validées. Les chefs
de villages ainsi que les élus locaux sont exclus de ces instances. Les compétences techniques,
la professionnalisation et le niveau scolaire sont privilégiés pour être dans ces instances-là, ce
qui constitue un obstacle pour les autorités traditionnelles souvent illettrées.

Si l’Etat cherche à limiter l’influence des autorités locales traditionnelles, c’est


parce que leur présence dans les espaces de décision peut limiter la dynamique
participative. Le fonctionnement de la chefferie locale fondée sur le statut et la
hiérarchisation constitue un obstacle à la mise en place d’espaces de débat public.

La volonté d’écarter la chefferie locale des deux instances décisionnelles de


l’association d’usagers est aussi liée au fait qu’elle constitue un recourt en cas de conflits. Les
autorités locales, en cas de conflit dans la gestion de l’eau, constituent les premiers médiateurs
pour régler les différends entre usagers. Avant d’interpeller le préfet ou le sous-préfet,
l’association d’usager s’adresse aux autorités locales pour résoudre les conflits entre usagers.
Dans cette perspective la neutralité des autorités locales constitue une nécessité pour que leur
médiation soit acceptée par les personnes en conflit.

Dans un second temps, la réforme instaure l’assemblée générale comme instance de


décision suprême. Les décisions relatives à la gestion des réseaux d’eau potable ne peuvent
être légitimes que si elles sont validées par l’assemblée générale. Chaque association
d’usagers à l’obligation d’organiser une assemblée générale annuelle afin de rendre public
son bilan. Pendant ces assemblées générales sont présentés les rapports techniques mensuels,

Chapitre 4 : Evolution politique et économique de la politique d’accès à l’eau potable en milieu rural sénégalais.
119
Partie 2 : La participation du public dans les politiques étatiques au Sénégal : formes et enjeux dans le domaine
de l’eau.

les bons de caisses, les fiches de décompte des bornes-fontaines, les relevés de compteurs des
bornes-fontaines. Pendant ces assemblées également, sont définis le prix de l’eau, les heures
d’ouverture des bornes-fontaines les modalités de vente de l’eau. L’assemblée générale vote
également les budgets de l’association d’usagers et décide des extensions du réseau d’eau
potable.

Les assemblées générales sont ouvertes à tous les villages connectés au réseau du
forage concerné ainsi qu’aux catégories socioprofessionnelles dont les activités sont liées à
l’eau. Cette assemblée générale doit être tenue dans un lieu public accessible à tous. En plus
de l’assemblée générale qui était l’instance de débat ouverte à toute la population, les usagers
sont représentés dans le comité directeur par des délégués qu’ils ont censé choisir. En termes
de légitimité, le comité directeur est la deuxième instance après l’assemblée générale. Il est
constitué de délégués choisis par les différents villages lors de l’assemblée générale. Il définit
les grands axes de la politique d’exploitation et de gestion du forage. Il est chargé aussi de
contrôler l’application par le bureau exécutif, des directives qui lui sont confiées par
l’assemblée générale. Il contrôle toutes les dépenses de l’association dont les rapports lui sont
présentés chaque mois par le bureau exécutif. Le nombre des représentants peut varier d’un
village à un autre. Il dépend du nombre de bornes-fontaines dont dispose le village. Le village
qui dispose de plus de bornes-fontaines, a plus de représentants dans le comité directeur.

Chapitre 4 : Evolution politique et économique de la politique d’accès à l’eau potable en milieu rural sénégalais.
120
Partie 2 : La participation du public dans les politiques étatiques au Sénégal : formes et enjeux dans le domaine
de l’eau.

Figure 7: Comité directeur. Source : D.E.M

Quant au bureau exécutif, il est constitué d’un président, de deux vice-présidents, d’un
secrétaire et son adjoint, d’un trésorier et d’un surveillant général. Ces membres sont nommés
par le comité directeur. Le bureau exécutif se réunit tous les mois pour faire le bilan de la
gestion du forage. La mission principale du comité exécutif est d’appliquer les décisions
prises par le comité directeur ou l’assemblée générale. Il est chargé d’effectuer les démarches
administratives de l’association et de représenter celle-ci à toutes les rencontres relatives aux
questions d’accès à l’eau potable. Il est aussi chargé de la gestion et de l’établissement du
budget de fonctionnement de l’association.
Chapitre 4 : Evolution politique et économique de la politique d’accès à l’eau potable en milieu rural sénégalais.
121
Partie 2 : La participation du public dans les politiques étatiques au Sénégal : formes et enjeux dans le domaine
de l’eau.

A travers ces instances, les populations sont censées s’exprimer davantage sur la
gestion des réseaux d’eau potable. Elles peuvent renouveler leurs représentants au sein des
différentes instances, contrôler le prix de l’eau, déterminer la place des bornes-fontaines et
valider de nouvelles extensions du réseau d’eau potable dans les villages. De ce point de vue,
la mise en plus place des associations d’usagers (ASUFOR/ASUREP) en milieu rural
constitue une évolution par rapport au CGF parce qu’elle implique des changements profonds
dans le processus décisionnel au niveau local (Ménard, 2001). La participation des
populations est renforcée parce que les points de vue et les préoccupations sont supposés être
pris en compte dans les différentes instances de décisions qui leur sont désormais ouvertes.

De plus, un certain nombre de pratiques sont proposées pour améliorer la transparence


qui était inexistante avec les CGF. Par exemple, toutes les assemblées générales, les réunions
du comité exécutifs et du bureau exécutifs doivent faire l’objet de rapports. Ces rapports
mentionnent le nombre des participants à la réunion, l’ordre du jour, les questions débattues,
les décisions prises. Dans ces rapports également doivent être mentionnés les problèmes
rencontrés, les recettes encaissées par l’association d’usagers et les dépenses justifiées. Les
différents rapports sont présentés lors des assemblées générales. Les populations ont la
possibilité de les consulter à tout moment.

L’association d’usagers a l’obligation d’ouvrir des comptes, un compte courant et un


compte d’épargne pour y sécuriser les recettes générées par l’exploitation du forage et les
autres ressources de l’association. Les comptes bancaires sont ouverts au nom de
l’association d’usagers. Les comptes ne peuvent être débités que sous la double signature de
mandataires désignés par le comité directeur. La sécurisation des recettes de l’ASUREP a
pour objectif de limiter les détournements connus avec les CGF et qui ont causés des
ruptures dans l’approvisionnement en carburant des forages.

L’association d’usagers (ASUREP/ASUFOR) est une organisation laïque et apolitique


qui a pour objet d’assurer la distribution de l’eau à partir du forage dont l’exploitation lui est
confiée par une licence décernée par les services compétents du ministère de l’hydraulique.
Elle est constituée d’une assemblée générale, d’un comité directeur, d’un comité exécutif et
d’une commission de contrôle

Chapitre 4 : Evolution politique et économique de la politique d’accès à l’eau potable en milieu rural sénégalais.
122
Partie 2 : La participation du public dans les politiques étatiques au Sénégal : formes et enjeux dans le domaine
de l’eau.

L’assemblée générale est constituée par l’ensemble des populations et des groupes
socioprofessionnels (éleveurs, agriculteurs, associations etc.) du village abritant le réseau
d’eau et des villages connectés au réseau. Elle a pour prérogative de fixer le prix de l’eau,
d’élire et de renouveler les membres du comité directeur et du bureau exécutif, d’approuver
les projets d’extension et de densification du réseau d’eau potable. Elle est également appelée
à se prononcer sur les budgets provisionnels et les dépenses de l’association d’usagers. Elle
se réunit tous les ans pour faire un bilan des comptes de l’association, le bilan du comité
directeur et du comité exécutif.

Le comité directeur est élu par les délégués choisis lors de l’assemblée générale. Il
définit les grands axes de la politique d’exploitation et de gestion du réseau d’eau. Il est
chargé aussi de contrôler l’application par le bureau exécutif élu, des directives qui lui sont
confiées par le l’assemblée générale. Il contrôle également toutes les dépenses de l’association
d’usagers dont les rapports lui sont présentés chaque mois. Il est composé de délégués choisis
par les villages alimentés par le même réseau d’eau, de représentants de chaque catégorie
socioprofessionnel, de représentants, des associations de jeunes et de femmes. Le nombre des
représentants peut varier d’un village à un autre selon que le village ait une borne-fontaine ou
pas ou encore selon le nombre de bornes-fontaines. Le comité directeur constitue la seconde
instance de décision après l’assemblée dont il est issu.

Le comité exécutif est constitué d’un président, de deux vice-présidents, d’un


secrétaire et son adjoint, d’un trésorier et d’un surveillant général. Il se réunit tous les mois.
Ces différents membres sont nommés par le comité directeur. La mission principale du comité
exécutif est d’appliquer les décisions prises par le comité directeur ou l’assemblée générale. Il
est chargé d’effectuer les démarches administratives de l’association et de représenter celle-ci
lors des réunions relatives aux questions d’accès à l’eau potable. Il est aussi chargé de la
gestion et de l’établissement du budget de fonctionnement de l’association d’usagers.

L’association d’usagers est aussi dotée d’une commission de contrôle constituée d’un
représentant local du ministère de l’hydraulique, d’un représentant de la collectivité qui abrite
le forage et du préfet de cette localité. Cette commission a des prérogatives pour contrôler la
bonne gestion du service public de l’eau et le bon fonctionnement de l’association d’usagers

Chapitre 4 : Evolution politique et économique de la politique d’accès à l’eau potable en milieu rural sénégalais.
123
Partie 2 : La participation du public dans les politiques étatiques au Sénégal : formes et enjeux dans le domaine
de l’eau.

III.2.b La vente de l’eau au volume

La vente de l’eau en milieu rural existe depuis 1984 avec les CGF. Mais cette vente
était forfaitaire, c’est-à-dire le tarif demandé à l’usager est une estimation de sa
consommation et non la consommation réelle. La tarification forfaitaire a du mal à assurer la
viabilité financière des CGF, viabilité nécessaire pour assurer la continuité de
l’approvisionnement en carburant des forages.

Avec les ASUREP et les ASUFOR, la vente de l’eau tient compte de la consommation
réelle des usagers. Ces dispositifs instaurent le système des compteurs d'eau pour ce qui
concerne les bornes-fontaines publiques mais aussi pour les branchements privés (maison,
mosquées, dispensaire). Chaque branchement au réseau d'eau fait l'objet d'une installation de
compteur d'eau. Ces compteurs sont destinés à mesurer la quantité exacte d'eau consommée
par les usagers. Les factures d'eau correspondent à la consommation réelle, elles varient en
fonction des volumes consommés. La vente de l'eau au volume est censée avoir deux intérêts:

Le premier serait économique. La vente de l'eau au volume permettrait de mettre en


pratique le principe de « vérité des prix » qui, selon les instances financières internationales
(FMI, BM), est nécessaire pour régler le problème de l'eau rencontré dans les pays africains.
Selon ce principe, le service de l'eau a un coût. La construction des réseaux d’eau, leur
entretien, le captage de l'eau, son traitement et son transfert nécessitent beaucoup de frais. Les
usagers de l’eau doivent supporter la totalité des coûts de fonctionnement du service d’eau en
payant cette eau à un prix qui prend en compte tous ces frais. Cette tarification au volume
permet aux populations, en plus de supporter les frais d’exploitation (achat carburant et
petites pannes dans le cas des comités de gestion), de prendre en charge aussi le coût de
maintenance et de renouvellement des forages.

Le second intérêt de la vente de l'eau au volume serait la lutte contre la surexploitation


de la ressource. Le rapport volume/prix aurait des effets positifs parce qu’il limiterait une
exploitation abusive de la ressource. Les usagers soucieux de leur porte-monnaie utiliseraient
l'eau uniquement en cas de besoin. De ce fait, la vente de l'eau est un moyen de lutter contre le
gaspillage et donc de préservation la ressource. Elle permet également d'améliorer l'hygiène
des populations parce qu'elle est la garantie d'un service de l'eau potable durable. Elle aurait

Chapitre 4 : Evolution politique et économique de la politique d’accès à l’eau potable en milieu rural sénégalais.
124
Partie 2 : La participation du public dans les politiques étatiques au Sénégal : formes et enjeux dans le domaine
de l’eau.

l'avantage, de ce point de vue, de concilier la dimension environnementale et économique de


l'eau mais surtout d'assurer un service durable de l'eau en milieu rural.

III.2.c La professionnalisation de la gestion des réseaux d’eau potable

Le troisième principe de la réforme consiste à professionnaliser la gestion des réseaux


d’eau potable. Avec les CGF, la gestion des forages était « informelle ». La Direction de
l’Exploitation et de la Maintenance (DEM) qui devait assurer la formation des CGF n’avait
pas les moyens (techniques, humains et financiers) pour assurer sa mission.

Avec la nouvelle réforme, notamment dans la première phase (1997-2007) il est


question de favoriser la contractualisation entre les associations d’usagers
(ASUFOR/ASUREP) et des opérateurs privés de maintenance représentée ci-dessous

Figure 8 : Schéma de délégation de la gestion des réseaux d’eau : phase 1. Source : D.E.M

Chapitre 4 : Evolution politique et économique de la politique d’accès à l’eau potable en milieu rural sénégalais.
125
Partie 2 : La participation du public dans les politiques étatiques au Sénégal : formes et enjeux dans le domaine
de l’eau.

Dans cette nouvelle configuration, l'Etat qui était chargé d’assurer la maintenance des
infrastructures hydrauliques (forages, stations) évolue dans son rôle. Il favorise, par le biais de
ses services techniques notamment la Direction de l'Exploitation et de la Maintenance (DEM),
la signature de contrats de maintenance entre les associations d’usagers et les opérateurs
privés :

« Il convient de faire un recentrage du rôle de l’Etat sur des missions d’appui-


conseil et de formation auprès des acteurs, d’agréments des opérateurs, de
contrôle des prestations, de suivi-d’évaluation de l’exploitation, d’arbitrage des
litiges »73.

Pour la maintenance, un contrat de maintenance est établi entre ces associations


d’usagers et des opérateurs privés pour une durée de 5 ans. Ces opérateurs privés ont pour
objectif de maintenir en bon état les des réseaux d’eau potable et d'intervenir en cas de panne,
d'assurer la formation et l'appui technique des gérants (fontainières, conducteurs de station),
de fournir un stock de pièces de rechange et d'établir des rapports de maintenance à
destination des associations d’usagers. La rémunération de ces prestations est forfaitaire pour
ce qui concerne les contrôles périodiques et sur présentation de devis pour l'exécution des
interventions de dépannage, de maintenances préventives et de rechange de matériel.

Les associations d’usagers se chargent de la distribution et de la vente de l’eau au


quotidien. Elles peuvent signer également un contrat de gérance avec des opérateurs privés.
Dans ce cas de figure, ces derniers sont en charge de la production, de la distribution, de la
vente de l'eau et de sa qualité. Ils déterminent un prix qui prend en compte à la fois ses
prestations mais aussi les autres frais de fonctionnement du forage.

Dans la seconde phase de la réforme (2008-2013), il est question pour l’Etat de


renforcer l’implication du secteur privé dans la maintenance mais également dans le
traitement et la distribution de l’eau. Il est également question d’impliquer davantage les
collectivités locales dans la gestion des réseaux d’eau en milieu rural. Cette nouvelle
orientation de la politique de s’inscrit dans la loi de 2008 qui organise le service de l’eau
potable et de l’assainissement en milieu rural et urbain. Elle redéfinit les rapports, schématisés

73
Diop M., Direction de la Maintenance de l’hydraulique rurale, Atelier régional sur la mise en place de l’Office
de Gestion des Forages (OFOR), février 2013
Chapitre 4 : Evolution politique et économique de la politique d’accès à l’eau potable en milieu rural sénégalais.
126
Partie 2 : La participation du public dans les politiques étatiques au Sénégal : formes et enjeux dans le domaine
de l’eau.

ci-dessous, entre les parties prenantes intervenant dans la gestion des réseaux d’eau en milieu
rural.

Figure 9 : Schéma de délégation de la gestion des réseaux d’eau : phase 2. Source : D.E.M

Dans cette nouvelle phase de la réforme, l’Etat souhaite diviser en 5 zones le milieu
rural : une zone nord, une zone sud, une zone est, une zone ouest et une zone centre. Chaque
zone sera gérée par un opérateur privé. Tous les ASUREP et les ASUFOR seront sous le
contrôle d’un Office de Gestion des Forages (OFOR). Créé par l’Etat, cet « établissement
public à caractère industriel et commercial » constitue désormais l’autorité délégante. Il est
composé de représentants d’ASUFOR et d’ASUREP, des collectivités locales et de l’Etat. Au
nom de l’Etat, l’OFOR délègue la gestion des réseaux d’eau potable aux associations
d’usagers ou à un opérateur privé. Il a pour rôle de « gérer le patrimoine de l’hydraulique
rural, de déléguer l’exploitation des forages ruraux motorisés à des ASUFOR ou à des

Chapitre 4 : Evolution politique et économique de la politique d’accès à l’eau potable en milieu rural sénégalais.
127
Partie 2 : La participation du public dans les politiques étatiques au Sénégal : formes et enjeux dans le domaine
de l’eau.

opérateurs privés, d’assurer le suivi de la qualité de l’eau distribuée et de procéder à des


audits périodiques de gestion »74.

En réalité, l'objectif pour l'Etat est de reproduire en milieu rural le même modèle
de gestion existant en milieu urbain. Ce modèle de gestion est fondé sur le « Partenariat
Public-Privé » (PPP)75. La gestion de l’eau est sous la responsabilité de la Sénégalaise des
Eaux (SDE), une entreprise privée liée à l’Etat par un contrat d’affermage.
L’introduction du privé dans la gestion des réseaux d’eau en milieu rural a un double enjeu
pour l'Etat. Elle permettrait de professionnaliser la gestion des forages parce que celle-ci est
confiée désormais à des professionnels compétents dans le domaine de la maintenance et de
l'exploitation des forages. Ce coût de maintenance est payé par les usagers du réseau d’eau
potable et non plus par l’Etat. Pour ce dernier, cela permet d'assurer un service d’eau durable
et de qualité aux populations sans l’intervention financière de sa part, les frais de
fonctionnement du réseau devant provenir de la vente de l’eau. Il question également avec
l'implication du privé, de faire payer aux ASUFOR et ASUREP la redevance de l'eau par un
système de taxation des recettes issues de la vente de l'eau. Ainsi cette redevance qui était
jusqu'alors payée par l'Etat devrait revenir aux associations d’usagers (ASUFOR/ASUREP).

La réforme de 1997 a permis, d’une part, d’institutionnaliser la délégation des charges


liées au fonctionnement des forages aux populations bénéficiaires. L’Etat n’assume désormais
que son rôle régalien. Il s’occupe du contrôle de qualité de l’eau distribuée aux populations et
s’assure du bon fonctionnement des services d’eau. Le fonctionnement au quotidien du
forage, sa maintenance est assumée par les ASUFOR et les ASUREP qui peuvent signer des
contrats de gérance et de maintenance avec des privés. La réforme vise également à
institutionnaliser la participation des populations par la mise en place de procédures de débats
et de prises de décisions supposées améliorer la prise en compte des préoccupations des
populations.

74
Diop M., op.cit
75
Cissé A., 2006, définit le Partenariat Public-Privé (PPP) comme un accord entre des entreprises, des
institutions ou des pays ayant des intérêts communs. Ce partenariat mène à un partage des risques et des
bénéfices reliés à la réalisation du projet. De ce point de vue, il considère le PPP comme un outil de gestion
permettant à l’Etat et son partenaire privé de partager les risques dans la gestion de projets, l’Etat bénéficie ainsi
de la capacité du privé à mobiliser des fonds et de sa rigueur de gestion, et le privé pourra étendre son action tout
en limitant les risques. La finalité du PPP est d’améliorer la performance des services publics et le service aux
usagers.
Chapitre 4 : Evolution politique et économique de la politique d’accès à l’eau potable en milieu rural sénégalais.
128
Partie 2 : La participation du public dans les politiques étatiques au Sénégal : formes et enjeux dans le domaine
de l’eau.

Conclusion du chapitre 4

Les problèmes d’accès à l'eau auxquels la population rurale est confrontée vont
nécessiter des mesures réglementaires et une réforme institutionnelle pour améliorer la
protection de la ressource et le service d’eau potable. Du point de vue de la réglementation, il
est aussi question d’informer les populations sur les problèmes de santé liés à la
consommation d’eau de mauvaise qualité. Pour la première fois, l'Etat institutionnalise en
1981 le devoir d'informer les populations vivant autour des points d'eau et pour tout projet
pouvant impacter négativement la ressource en eau. Même si les décrets d'application de la loi
ne sont votés qu'en 1995, le code de l'eau manifeste la volonté politique de rendre obligatoire
l'information.

Il est question également pour l’Etat de favoriser une gestion prenant en compte les
besoins et les différents usages de la ressource. Cette volonté d'ouverture va encore se
manifester à travers la mise en place d'instances de décisions relatives à la gestion des réseaux
d’eau en milieu rural. Les CGF en cherchant à organiser les populations autour de la gestion
des réseaux d’eau vont constituer une évolution organisationnelle dans la politique de l'eau
notamment en milieu rural. Cependant, même si des améliorations sont notées avec les CGF,
le contraste va être saisissant entre le nombre de réseaux d’eau construits et le nombre de
populations qui ont accès à l'eau réellement. Ce paradoxe est attribué au fait que l'Etat, de
1980 à 1990, a accordé beaucoup d'importance à la dimension économique. Les CGF vont
produire des effets inverses. Leur contrôle par des groupes influences en milieu rural (notable,
chef religieux) va limiter l’atteinte des objectifs visés.

En 1997, l’Etat introduit une nouvelle forme de gestion des réseaux d’eau fondée sur
trois principes : l’amélioration de la prise de parole des populations dans la gestion des
forages, la vente de l’eau au volume et la professionnalisation de la gestion des forges. Cette
réforme s’inscrit dans un contexte « participationniste » et de décentralisation. Dans le
domaine de l’environnement, de l’agriculture et en matière de gestion de l’eau, des initiatives
sont prises par l’Etat mais également par les organisations de la société civile pour renforcer
la prise en compte des avis des populations. Les politiques étatiques depuis les années 1990
font appel de plus en plus à des formes de participation institutionnelle. Ces formes de
participation sont expérimentées dans des contextes variés. Elles sont diverses et ont des
enjeux multiples. Pour ce qui concerne la gestion des réseaux d’eau en milieu rurale, même

Chapitre 4 : Evolution politique et économique de la politique d’accès à l’eau potable en milieu rural sénégalais.
129
Partie 2 : La participation du public dans les politiques étatiques au Sénégal : formes et enjeux dans le domaine
de l’eau.

s’il existe une volonté affichée de l’Etat de les autonomiser par la création des ASUFOR et
des ASUREP, l’eau reste toujours une compétence non transférée. Dès lors une question se
pose : comment autonomiser la gestion d’une ressource qui est encore sous le contrôle de
l’Etat ? Quelles relations les associations d’usagers (ASUFOR/ASUREP) entretiennent-elles
avec l’Etat dans la nouvelle configuration de la gestion des réseaux d’eau en milieu rural ?
Ces nouveaux dispositifs constituent-ils un levier de démocratisation de la gestion des réseaux
d’eau en milieu ?

Pour répondre à ces questions, nous avons choisi d’étudier l’ASUREP de Lampsar qui
dessert trois villages : Lampsar centre, Lampsar Peul et Ndialam.

Chapitre 4 : Evolution politique et économique de la politique d’accès à l’eau potable en milieu rural sénégalais.
130
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

Partie 3

Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique


et mutation des formes d’expression et d’intervention des usagers

Chapitre 5

Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations


locales. Le cas de l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)

Chapitre 6

Evolution des formes de mobilisation des usagers : de la « contestation


muette » à l’expression publique.

131
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

Chapitre 5

Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations


locales. Le cas de l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)

Introduction

Dans ce chapitre, il est question d’étudier le fonctionnement de l’ASUREP de


Lampsar et les tensions que ce nouveau dispositif a fait émerger. Comment les principes de la
réforme de 1997 se confrontent aux réalités locales des villages connectés au réseau de
Lampsar ? En quoi la démocratisation de la gestion de l’eau visée par l’ASUREP peut-elle
améliorer le service de l’eau en milieu rural ?

L’arrivée de l’ASUREP constitue une nouvelle forme de débat et de prise de décision


qui remet en cause le processus de débat et de décision traditionnellement connu dans le
village. L’assemblée générale devenue l’espace institutionnel d’échange est ouvert à tous les
usagers du réseau d’eau appelés désormais à donner leurs points de vue dans la gestion des
réseaux d’eau potable. Cet espace d’échange diffère de l’espace de débat traditionnel qui
valorise l’expression des personnes qui ont un statut (hommes, notables, chefs de village,
chefs religieux).

L’ASUREP instaure de nouvelles règles dans la distribution de l’eau. Contrairement


aux puits où l’accès est libre quelles que soient les heures, les bornes-fontaines publiques ont
des heures d’ouverture et de fermeture. De plus, de nouvelles unités de mesure de l’eau
apparaissent avec les ASUREP. Désormais l’unité de mesure qui s’impose est le litre. Le tarif
que l’usager paie est proportionnel au nombre de litres consommés. Or cette unité de mesure
diffère de celle connue traditionnellement en milieu rural. L’eau y est généralement
transportée du puits vers la maison par des bassines (baignoires)76 ou des seaux. Le
transporteur de l’eau pouvant remplir son récipient d’eau sans aucune restriction.

76
Le terme baignoire est utilisé par les populations pour désigner les bassines servant à transporter l’eau. Elles
sont utilisées par les femmes pour transporter l’eau du puits vers la maison.
Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
132
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

Les unités de mesure, les tarifs et les horaires d’ouvertures ne sont pas toujours les
mêmes. Ils diffèrent d’un réseau à un autre, d’un village à un autre et parfois d’un quartier à
un autre. Ces nouvelles règles qui s’appliquent aux villageois sans débat sont à l’origine des
désaccords entre l’ASUREP et les populations.

Ces désaccords ne sont pas toujours exprimés pendant le débat institutionnalisé. Les
villageois reconstituent des espaces autonomes (espace associations, le marché du village etc.)
dans lesquels les problèmes portant sur la gestion du réseau d’eau potable sont débattus.
Ainsi, le débat institutionnel renforce l’espace communicationnel autonome du village.

Le renforcement de la démocratie de proximité est une visée des ASUREP. Pour ce


qui concerne l’ASUREP de Lampsar, la proximité n’implique pas la participation des
villageois dans le débat institutionnel. Au contraire, elle constitue un obstacle à la prise de
parole publique.

La relation supposée par les autorités étatiques entre la participation des villageois et
l’amélioration des conditions d’accès à l’eau potable n’est pas évidente. Le débat
institutionnel peut engendrer des tensions qui impactent le service de l’eau (boycott des
bornes-fontaines, destruction de matériels des bornes-fontaines, fuites d’eau occasionnées
volontairement)

Dans un premier temps, il s’agit d’analyser le contexte sociopolitique et civique dans


lequel l’ASUREP de Lampsar s’est créée. Dans un second temps, notre réflexion porte sur la
procédure de mise en place de l’ASUREP, le rôle de l’Etat et des experts dans cette
procédure. Les effets du débat institutionnel dans l’ « espace public autonome » sont traités
dans un troisième temps. Enfin, nous rendons compte, dans un troisime temps, de
l’amélioration des conditions d’accès à l’eau avec l’ASUREP.

Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
133
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

I. Histoire sociopolitique et dynamique civique dans le village de


Lampsar

Figure 10 : Carte de localisation de la zone étudiée. Réalisation : Diatta P

Le village de Lampsar se situe dans la communauté rurale de Gandon, département


et région de Saint Louis. Il fait partie des villages les plus anciens de la région. Avant
l’occupation de cette région par les Français pendant la période coloniale, Lampsar
existait depuis plus de 133 ans77.

77
Selon un mythe raconté par les anciens du village, deux versions existent en ce qui concerne l’origine du nom
du village de Lampsar. Dans la version musulmane, le nom Lampsar vient de « ansar», en référence aux
habitants de Médine qui avaient accueilli et soutenu le prophète Mahomed pendant son exil de la Mecque vers
Médine. Au cours des différents conflits religieux, de nombreuses populations de Médine sont déplacées vers la
Mauritanie et vers le nord du Sénégal. C’est en fuyant le conflit que ces populations devinrent les premiers
habitants de Lampsar. Ils sont alors considérés comme des musulmans descendants des «ansars », et le village
devint Lampsar. Selon cette version, c’est la présence de ces premiers musulmans de Médine dans le village
ainsi que le passage d’un des petits fils du prophète, El Hadji Omar Tall dans la localité, qui explique
Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
134
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

Le village de Lampsar a joué un rôle déterminant pendant la période coloniale. En


effet, la ville de Saint louis, située au nord du Sénégal, à la frontière entre la Mauritanie et le
Sénégal, est une région stratégique notamment en raison du fleuve Sénégal. De ce fait, elle
était convoitée par les maures venus de la Mauritanie mais aussi par les Français. Ces
derniers, pour pourvoir contrôler la région, encore appelée « la région du fleuve », vont
s’installer dans le village de Lampsar. Il va accueillir, par sa position géographique (en
hauteur par rapport aux villages voisins), l’un des forts de l’armée française78, sous le
commandement de Faidherbe. Cette présence étrangère pendant toute la période coloniale a
des impacts dans l’organisation sociale et politique actuelle du village de Lampsar mais aussi
dans le rapport que le village entretient avec la sphère polico-administrative.

Avant d’analyser le fonctionnement de l’ASUREP de Lampsar ainsi que son rapport


avec les populations, nous allons traiter des caractéristiques du village de Lampsar. Ces
caractéristiques notamment sociopolitiques et civiques sont déterminantes dans le
fonctionnement actuel de l’ASUREP.

I.1 Caractéristiques hydrologiques et enjeux de l’eau à Lampsar

I.1.a L’eau dans le développement socioéconomique de Lampsar

Le village de Lampsar est traversé par l’axe hydraulique Gorom Lampsar. Cet axe
hydraulique, long de 95 km, prend sa source au fleuve Sénégal et finit sa course à l’entrée de
la ville de Saint Louis. Avant les différents ouvrages hydrauliques (ponts et barrages) réalisés
par la SAED79, le Gorom Lampsar, était un marigo appelé le kassack. Pour B. A. N., l’un des

l’orientation religieuse des habitants du village de Lampsar. La population est constituée de plus de 99% de
musulmans. Dans la version « ceddo », c’est-à-dire les non musulmans, Lampsar vient de « lam » qui signifie
bijou en wolof (langue nationale). Les premiers habitants de Lampsar étaient des bijoutiers, connus pour la
qualité de leurs bijoux. En référence à ces bijoux fabriqués par la famille Sarr, les habitants de la localité disaient
que les « lammu saar yi » (bijoux fabriqués par les Sarr) étaient de bonne qualité. Selon cette version «ceddo »,
Lampsar est en rapport avec ces fabricants de bijoux de qualité qui portaient le nom Sarr, ce qui donne le nom «
Lampsar » au village
78
Pour contrôler Saint Louis, la « région du fleuve », trois forts vont être installés dans la région notamment à
Lampsar, à Podor et à Dagana.
79
La SAED est une société nationale créée par l’Etat en 1965 pour le développement de l’agriculture irriguée
dans le delta du fleuve Sénégal. Depuis sa création, la SAED a connu plusieurs évolutions institutionnelles.
Chargée en 1965 de l’aménagement des terres agricoles, de la production et de la vente des produits égricoles,
elle n’est responsable aujourd’hui que de l’aménagement des terres agricole et de la construction des structures
Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
135
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

notables du village, ce potentiel en eau douce a favorisé l’implantation des premières


populations dans le village de Lampsar. La présence de l’eau, des terres mais aussi le
sentiment de sécurité lié à la présence de l’armée française, a beaucoup facilité, d’une certaine
façon, les conditions de vie dans le village de Lampsar.

Le Gorom Lampsar joue un rôle déterminant dans le développement socioéconomique


du village. Dans le village plusieurs tâches domestiques notamment la vaisselle et le linge se
font au bord du Gorom Lampsar, comme le montre l’image si dessous.

Figure 11 : Des usages multiples du Gorom Lampsar. Photo prise par Dione Y.

Les femmes, qui sont en charge de ces activités au village, se retrouvent au lac pour
effectuer leur vaisselle ou faire le linge. La plupart des femmes préfèrent faire des centaines

hydroagricoles. La production et la vente des produits agricoles sont assurées par les filières paysannes
impliquées de plus en plus depuis les années 1980.

Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
136
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

de mètres pour effectuer ces tâches ménagères malgré la présence d’autres sources d’eau
(robinets, puits) plus proches. Si les femmes préfèrent le lac aux autres sources d’eau plus
proches, c’est parce que le lac est aussi un espace de rencontre et d’échange sur le vécu
quotidien de ces femmes. Elles se racontent ce qui s’est passé chez elles la veille, discutent
des problèmes du village, se réconfortent et se donnent des conseils. Le lac devient alors un
espace de discussions avec une certaine liberté où les femmes se confient entre elles :

« Moi mon mari me demande tout le temps pourquoi je vais au lac alors que le
robinet est à la maison. Mais je préfère aller là-bas parce que là tu trouves des
femmes et vous pouvez discuter de beaucoup de choses, tu rencontres des
personnes que tu n’as pas vu depuis un moment. Tu fais ton travail sans le sentir
parce qu’il y a d’autres femmes qui sont là et qui font le même travail que toi,
vous discutez, c’est mieux »80.

De ce point de vue, le lac est un espace de discussion où se raconte ce qui se passe à la


maison, les rumeurs qui circulent dans le village, mais aussi les problèmes liés à la gestion des
bornes-fontaines.

Le Gorom Lampsar a été pendant longtemps aussi une source d’accès à l’eau pour
beaucoup de populations du village. L’eau de boisson consommée dans les maisons provenait
du Gorom Lampsar. Elle était décantée par un tissu pour séparer l’eau des autres particules.
Elle était ensuite javellisée pour tuer les microbes. Après ce procédé plutôt informel, l’eau
était utilisée pour la boisson mais aussi pour la cuisine. Jusqu’aux années 1960, la première
source d’alimentation en eau du village est le Gorom lampsar. C’est après les indépendances
que le premier puits va être creusé dans le village afin d’améliorer l’accès à une eau de
meilleure qualité pour les populations.

Le Gorom Lampsar a également favorisé le développement de l’agriculture irriguée.


Depuis la création de la Société d’Aménagement et d’Exploitation des terres du Delta du
fleuve Sénégal (SAED) en 1965, l’agriculture irriguée est la première activité agricole du
village. L’aménagement et la mise en place de structures hydroagricoles par cette société
nationale a permis le développement de la riziculture. En 2009, plus de 88% des terres

80
A. K, entretien, juillet 2012.
Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
137
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

aménagées étaient destinées à la production de riz81. Cette production est destinée à assurer
l’autosuffisance alimentaire des populations du village. Elle est de plus en plus
commercialisée aujourd’hui. Des familles organisées en Groupements d’Intérêts Economiques
(GIE) disposant de moyens financiers et des groupes privés louent des terres pour une
production commercialisée. Cette augmentation de la production à des fins commerciales
exerce une pression sur la quantité de la ressource en eau. Les plus importants prélèvements
d’eau du Gorom Lampsar sont faits par les agriculteurs et particulièrement les GIE et les
groupes privés. Du point de vue de la qualité, l’utilisation d’engrais chimiques par les
agriculteurs à des impacts sur la qualité des eaux. En période de pluie, sous l’effet du
ruissellement, les substances chimiques atterrissent dans les eaux du Gorom Lampsar en
changeant ainsi la couleur et l’odeur de l’eau (odeur puante de l’eau en période de pluie)

Figure 12 : Un champ de riz à Lampsar. Photo prise par Dione Y.

81
Source SAED
Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
138
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

I.1.b Les difficultés d’accès à l’eau potable à Lampsar

Au-delà du potentiel en eau douce, le village Lampsar dispose également de ressources


souterraines importantes. Ce qui est frappant, à première vue quand on rentre dans le village
de Lampsar, c’est le nombre de puits qui y sont construits. Ils en existent plus de 20. Il est
aussi très fréquent de constater qu’il en existe d’autres dans les champs alentours. La
multiplication des puits s’explique par l’histoire des problèmes de l’eau dans le village.

En effet, le village de Lampsar, malgré les ressources en eau douce, a très tôt connu
des difficultés d’accès à l’eau potable. Dès le XIX siècle, ce village, comme tous les autres de
la région de Saint Louis, connaît des problèmes d’accès à l’eau. Pendant les périodes de
décrue du fleuve Sénégal, l’eau de mer envahit le Delta. Avec cette remontée de l’eau de
mer, le Kassack, est salé pendant une bonne période de l’année. Ce problème de salinité des
eaux de surface touche les populations autochtones mais aussi l’administration coloniale
française et particulièrement les militaires français installés dans le village de Lampsar. En
réponse à ce problème d’eau, une réunion de l’administration coloniale va se tenir, en
septembre 1946, dans la ville de Saint Louis considérée à cette époque comme une commune
française. L’objectif de cette réunion dirigée par le gouverneur de Saint Louis de l’époque,
Oswald D., est de trouver des solutions aux problèmes de l’eau à Saint Louis. Il est question
de réfléchir sur la possibilité de rendre les eaux de surface potable. C’est dans cette
perspective que l’idée de construire le barrage de Tahouey a été retenue afin de remplir le lac
de Guiers. Cette eau traitée devait alimenter la population de Saint Louis mais aussi celle de
Dakar, une autre commune française82. Le village de Lampsar et les autres villages riverains
ne devaient pas y avoir accès.

Cette difficulté d’accès à l’eau par les populations des villages du site est également
soulignée par Thilman (1998) dans ses travaux effectués dans le village de Mbakhana situé à
proximité du village de Lampsar. L’auteur explique que la rareté de l’eau de boisson entraîne
une répartition inégale de l’eau au XIX siècle. Selon le statut des individus (officier, militaire,
polygame) le nombre de litres qui est attribué peut varier considérablement. Ainsi, l’officier

82
Oswald D. 1946, Colonie du Sénégal, réunion d’étude pour l’élaboration d’un plan d’équipement hydraulique
du Sénégal, 36p.
Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
139
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

bénéficie de 81 litres par jours, les hommes de troupe 40 litres par jour par personne. Pour les
polygames (qui ont deux ou plusieurs femmes) le nombre de litres varie en fonction du
nombre de femmes83.

L’entrée en service de la première usine d’Afrique noire en 1967, installée sur les eaux
du Gorom-Lampsar, n’a pas réglé les problèmes d’accès à l’eau potable des populations. A
nouveau, l’eau produite par cette usine est destinée à satisfaire les besoins en eau des
populations de la ville de Saint Louis au détriment des populations vivant à proximité du
Gorom Lampsar.

Figure 13 : Première usine de traitement d'eau installée sur les eaux du Gorom Lampsar. Photo prise par
Dione Y.

Les habitants de Lampsar, malgré l’usine d’eau, vont continuer à boire les eaux
saumâtres du Gorom Lampsar. Si le premier puits de Lampsar créé par l’Etat sénégalais date

83
Thimans G., 1998, Mbakhana : la plus ancienne usine à vapeur d’Afrique noire, 63p.
Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
140
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

de 1963, c’est à partir des années 1970 que d’autres puits vont être créés dans le village pour
améliorer les conditions d’accès à l’eau potable des populations. Dans le cadre d’un projet
d’accès à l’eau des populations rurales de Saint Louis, financé par la France, sept nouveaux
puits vont être créés dans le village. Les travaux de construction de ces puits sont confiés au
fils du chef de village par ailleurs agent de développement rural (animateur) formé par
l’administration locale.

Figure 14 : Premier puits dans le village de Lampsar. Photo prise par Dione Y.

La multiplication des puits dans le village de Lampsar dans les années 1970 permet
aux populations de bénéficier d’une eau dont la qualité est meilleure par rapport à l’eau de
surface provenant du Gorom Lampsar. De plus, au-delà d’une amélioration de l’accès à l’eau,
la fonction du puits est aussi de sécuriser la terre des paysans.

Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
141
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

I.1.c Qui possède le puits possède la terre

Dans la tradition sénégalaise, posséder la terre, c’est posséder en même temps l’eau
qui s’y trouve, qui y coule. Un marigot ou une marre qui se trouve dans un champ appartient
aussi au propriétaire du champ. Ce lien entre la terre et l’eau est présent dans le droit
coutumier (Traoré, 2002). En d’autres termes, le propriétaire de la terre dispose des eaux qui
se trouvent dans son champ et les environs.

Dans le cas de Lampsar, c’est l’eau qui sécurise la terre. Le puits sert à sécuriser les
champs des paysans. En effet, le changement du droit coutumier en droit moderne à des
impacts sur l’affectation des terres en milieu rural. Ces terres qui appartenaient aux paysans
sont devenues une propriété de l’Etat avec le droit moderne. Le principe de domaniabilité de
la terre et de l’eau s’exerce dans tout le territoire national. L’utilisation de la terre ou de l’eau
nécessite, en principe, une autorisation auprès de l’Etat. Ainsi, pour des projets d’intérêt
public, l’Etat a le droit de disposer de champs surtout non exploités sans l’accord, ni
l’indemnisation des propriétaires. Dans ce contexte, le puits construit dans le champ est un
système de défense, il garantit le champ. Le puits livre des informations sur l’identité du
propriétaire du champ. Sur la partie extérieure cimentée du puits, est toujours inscrit le nom
du propriétaire du puits, celui de la personne qui a réalisé les travaux de construction du puits,
la date et l’année de sa construction. Ces indications inscrites sur le puits permettent
d’identifier le propriétaire du champ. Elles signifient que le champ n’est pas abandonné, qu’il
appartient bien à telle personne ou à telle famille. Ainsi, même si le champ n’est pas exploité,
le puits constitue une garantie au cas où l’Etat serait tenté de le récupérer.

Le puits est aussi une preuve en cas de conflit lié au champ. En milieu rural, la
location des champs à des voisins ou à des parents aboutit parfois à des conflits. Une personne
qui n’exploite pas son champ peut le prêter ou le louer. Dans ce cas, la personne à qui on a
prêté ou loué le champ peut l’exploiter pendant des années tant que le propriétaire du champ
ne réclame pas son bien. Il arrive, cependant, que le propriétaire réclame son bien et que le
locataire refuse de le lui rendre sous prétexte qu’il a passé plusieurs années à l’entretenir.
Dans une telle situation, le puits est une preuve matérielle pour identifier le vrai propriétaire
du champ. Le puits n’est pas seulement une source d’accès à l’eau, il est, dans ce cas aussi, un
système de protection de la terre contre toutes formes d’appropriation abusive.

Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
142
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

Cette fonction de sécurité du puits n’est pas nouvelle. Elle a toujours existé dans les
sociétés traditionnelles africaines. Les terres appartenaient à des « maîtres de la terre » qui
avaient la possibilité de les distribuer aux populations :

« Celui qui creuse un puits ou plante un arbre sur une terre attribuée par le
maître de la terre se voit reconnaître le droit coutumier de cultiver la terre qu’il a
mise en valeur »84.

Le puits permet de faire sienne la terre attribuée par le « maître de la terre ».


Après les indépendances, la terre va être domanialisée par l’Etat. Les terres du domaine
national qui ne sont pas protégées par un titre de propriété reviennent à l’Etat.

I.1.d L’eau et la santé des populations de Lampsar

En termes de quantité, le village de Lampsar dispose d’un potentiel en eau de surface


et en eau souterraine très important. Cependant, la qualité de cette eau est mauvaise. Cette
détérioration de la qualité de l’eau a des conséquences sur la santé des populations de
Lampsar mais également sur les populations vivant à proximité des eaux de surface et
utilisant ces eaux comme source d’approvisionnement. Les conséquences néfastes sur la santé
des populations sont confirmées par un certain nombre d’études. En effet, l'Etude réalisée par
l'ONG Espoir Pour La Santé (EPLS) en 2003 faisait du village de Lampsar le premier foyer
de la bilharziose. Cette maladie favorisée par le contact avec les eaux de mauvaise qualité
touche la population la plus jeune. Elle est responsable de la mort de plusieurs enfants dans le
village chaque année. Une autre étude plus récente, réalisée par l’Organisation pour la Mise
en Valeur du Fleuve Sénégal (O.M.V.S), en 2010, a montré un fort taux de maladies liées à
l’eau (paludisme, diarrhée, bilharziose) chez les populations vivant le long des eaux de
surface dont le Gorom Lampsar et le Lac de Guiers. L’étude diagnostic portant sur la santé,
dans le cadre de la mise en place du Schéma Directeur d’Aménagement et de Gestion des
Eaux (SDAGE) de l’O.M.V.S, a mis en évidence que les maladies du péril fécal (qui sont des
maladies diarrhéiques) sont la première cause de consultation médicale pour les populations

84
Sinaï A., 2010, « Appel à la solidarité de collectivités, de chercheurs, de fondations et d’associations. Faléa
sous la menace de l’uranium », Revue Durable, N°39, p. 63
Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
143
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

qui consomment les eaux de surface comme eau de boisson (65% des cas de diarrhées) 85. A
cela s’ajoute l’intoxication de salariés de l’usine agroindustrielle, le Grand Domaine du
Sénégal (G.D.S), installée à quelques kilomètres du village de Lampsar. En 2007, plus de 20
salariés sont malades après avoir consommé l’eau distribuée par l’usine. Cette eau provient
du Gorom Lampsar, elle est stockée dans un château d’eau et distribuée, après traitement, aux
salariés. Les analyses réalisées sur certains malades pendant l’hospitalisation révèlent une
intoxication liée à une eau contaminée.

Les problèmes liés à l’eau et particulièrement l’augmentation de maladies


hydriques sont la première cause de tensions entre les populations et les autorités
étatiques. L’eau de Saint Louis servait à alimenter en eau potable Dakar alors que les
personnes vivant près de ces sources d’eau d’en bénéficient pas. Ces tensions s’expriment
à l’approche des échéances électorales, période où les hommes politiques font des visites de
proximité auprès des populations. Elles peuvent prendre la forme d’une manifestation
publique. C’est dans cette perspective que le village, à l’initiative de l’Association Sportive et
Culturelle (ASC) des jeunes va manifester pendant la campagne des élections législatives de
2009. Cette manifestation médiatisée par la presse (radio, télévision) avait pour objectif de
mettre en évidence les problèmes d’eau que les populations du village rencontrent

« Il y avait l’eau qui quittait ici pour alimenter Dakar à des centaines de
kilomètres. Les populations étaient frustrées par rapport à cette situation. Le
village de Gnith, par exemple, qui abrite l’usine de traitement d’eau de la S.D.E,
quand les populations ont eu de l’eau potable c’est récent. Elles n’avaient pas
d’eau potable. La station de traitement d’eau était dans le village mais les
populations n’en bénéficiaient pas au profit de Dakar.»86.

I.2 L’organisation sociale et politique du village de Lampsar

La création de l’ASUREP de Lampsar s’est faite dans un contexte social, politique et


civique particulier. Du point de vue social, les activités collectives caractérisent le village. En

85
O.M.V.S, 2010, Schéma Directeur d’Aménagement et gestion des Eaux du fleuve Sénégal, p. 239
86
Habitant village de Ndialam, entretien, mai 2011.
Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
144
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

ce qui concerne la vie associative, Lampsar est marqué par une dynamique associative forte.
Ces associations se forment par catégorie d’âge, par genre et par catégorie
socioprofessionnelle. Au point de vue politique, le chef de village mais également les deux
premières familles à s’installer dans le village restent très déterminants dans l’organisation et
les décisions relatives à la vie du village.

L’explicitation de ces caractéristiques du village permet de comprendre les


changements constatés avec l’ASUREP en termes d’émergence de nouvelles légitimités, de
nouvelles formes de débats et de nouveaux processus de décisions. En effet, la mise en place
de l’ASUREP a rendu plus dynamiques les débats dans l’espace associatif notamment et
favorisé une remise en cause les modes de décisions traditionnellement ancrés dans le
village.

I.2.a La primauté du collectif sur l’individu : une longue tradition

Confrontées aux nouvelles règles de l’administration coloniale et la présence des


maures (venus de la Mauritanie) à la recherche d’esclaves, les populations du village de
Lampsar ont senti très tôt la nécessité de s’organiser pour faire face aux menaces extérieures :

« Au temps de l’esclavage, chaque famille cherchait à protéger ses membres. Il y


avait les maures d’un côté qui volaient les enfants pour en faire des esclaves en
Mauritanie, de l’autre, il y avait les français. Les faibles étaient anéantis. Les
gens du village devaient rester solidaires pour se protéger, ils faisaient tout en
groupe.»87.

Pour faire face aux différents problèmes et menaces, la nécessité de vivre en collectif
s’est vite imposée aux populations de Lampsar. Dans cette perspective, autrui apparaît comme
une nécessité sans laquelle la sécurité n’est pas complètement assurée. L’individu essaie de se
définir à dans le groupe. Pour reprendre les mots de Ndaw (1997), le « moi » ne se pose pas
comme une entité rigidement structurée, se distinguant du groupe, il n’existe que dans le
groupe.

87
B. A. D., entretien, op. cit.
Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
145
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

Ce rapport de l’individu par rapport au groupe va se traduire dans les activités du


village mais également dans le partage des ressources naturelles. Le travail dans les champs
se faisait collectivement. Ainsi, que ce soit en période de défrichage, de semence ou de
récolte, l’activité agricole se fait de manière collective. Les travaux champêtres au niveau des
champs sont effectués à tour de rôle. Dans ce contexte, c’est le collectif qui prime sur
l’individu. Les difficultés individuelles des uns et des autres sont masquées par l’effet de
groupe :

« Si à la fin de la récole, le village constatait que telle famille n’avait pas assez de
récoltes, les notables du village se réunissaient et décidaient discrètement de lui
déposer dans sa cour, pendant la nuit, quelques sacs de plus. Le chef de famille
ne doit pas savoir la provenance de ces récoltes parce que les anciens
considéraient qu’apporter de l’aide à quelqu’un au grand jour l’asservissait alors
que le soutien fait de manière discrète est vu comme un acte de solidarité »88.

Traditionnellement, les notables du village jouent un rôle important dans la vie


collective. Ils ont une influence forte dans la définition des règles de solidarité et des règles de
partage des ressources communes au village. Ils fixent ainsi le début et la fin des activités
agricoles du village. La décision d’ouvrir et de fermer la pêche dans le marigot de Lampsar ou
de commencer les récoltes leur revient également. Ils décident aussi du jour de repos dans le
village. Pour le village de Lampsar, le jeudi est un jour de repos. Les activités agricoles
peuvent se faire tous les jours de la semaine sauf le jeudi. Autour du choix du jeudi comme
jour de repos s’est construit un mythe qui s’est transmis de génération en génération dans le
village de Lampsar. L’ancêtre de la famille M. N., l’une des premières familles à s’installer
dans le village, avait conseillé aux populations d’aller semer après la première pluie de la
saison hivernale. Cette pluie qui correspondait au début des activités champêtres est tombée
un mercredi. Le jeudi suivant, M. N., pour des raisons non connues, avait déconseillé aux
populations d’aller aux champs. Selon le mythe, travailler le jeudi, c’est prendre le risque
d’avoir une faible récolte. De ce fait le jeudi reste toujours le jour de repos sauf en période de
récolte, ce qui est une particularité dans le village de Lampsar.

88
B.A.D., entretien, op. cit.
Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
146
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

Cette forme d’organisation sociale caractérisée par la primauté du collectif se


manifeste dans l’implantation des différentes structures du village. Ces structures appartenant
à la communauté sont construites au centre du village. C’est le cas du premier puits de
Lampsar, construit dans les années 1963 et situé au centre du village. Le nom du puits « tenu
mbolo » en wolof, c’est-dire le puits qui appartient à la communauté, indique bien cette
suprématie du collectif par rapport aux individus. C’est le cas également du dispensaire et de
la mosquée qui sont construits au centre du village. Le lieu d’implantation de la structure
collective est déterminant pour éviter d’éventuels conflits :

« Les infrastructures sont construites au centre du village pour éviter que


certaines personnes disent que vous avez favorisé tel quartier par rapport à
d’autres. Quand tu creuses le puits au centre du village, personne ne peut te dire
que tu as favorisé telle famille parce que le centre du village ce n’est pas toi qui
l’a décidé »89.

Cette forme d’organisation sociale dont les règles sont généralement définies par les
notables du village laisse encore des traces dans les différentes activités du village mais aussi
dans les lieux d’implantation des structures appartenant à tout le village. Elle est, cependant,
de plus en plus remise en question par une partie de la population, notamment les jeunes qui
dénoncent le décalage entre les enjeux de développement du village et cette forme
d’organisation traditionnelle. Ces remises en question concernent surtout l’organisation
politique du village et la forme de gestion des structures collectives.

I.2.b Le rôle du chef de village dans la vie sociopolitique du village

Le statut de chef de village a été défini pour la première fois par l’administration
coloniale. Les chefs de village étaient des relais du pouvoir colonial. Les premiers d’entre eux
sont issus de l’administration coloniale. Ils sont généralement des « mulâtres », c’est-à-dire
issus de parents noirs et blancs. Intermédiaire entre les blancs et les noirs, les « mulâtre »
avaient un statut supérieur à celui des noirs autochtones. Face au refus des populations d’obéir

89
M.S., entretien, juillet 2012
Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
147
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

à ces autorités, l’administration coloniale va alors choisir le chef de village parmi les
autochtones. Ils devaient ainsi être natifs des villages qu’ils sont censés gouverner.

Après les indépendances, les chefs de village vont continuer à jouer un rôle important
entre la nouvelle administration et les villageois. Du point de vue administratif, il est le
représentant de l’Etat au niveau du village. Il est sous l’autorité du sous-préfet.

« Le chef de village est nommé par arrêté du préfet sur proposition du sous-préfet
après consultation des chefs de carré »90.

Cependant, même si le sous-préfet dispose du droit de nommer le chef de village, cet


acte est laissé aux populations du village qui, théoriquement ont la possibilité de choisir leur
chef de village. En réalité, la nomination de ce dernier obéit à des critères traditionnels de
choix (le fait que la famille soit autochtone ou pas, la ligné familiale etc.)

 La nomination du chef de village

L’histoire des nominations des chefs de village à Lampsar est en tension avec les
principes démocratiques affichés par l’ASUREP, principes qui consistent à associer les
jeunes, les femmes et toutes les catégories sociales au processus de débat et de prise de
décision. Traditionnellement, le chef de village à Lampsar est issu des deux premières
familles qui se sont installées dans le village. Le statut conféré par l’appartenance à ces deux
familles restait déterminant dans le choix du chef de village.

Dans le village de Lampsar, le chef de village est issu de la famille S, l’une des deux
premières familles à s’être installée dans le village. Cette famille S. est la deuxième famille à
s’installer dans le village après la famille D. Théoriquement, le chef du village devait être issu
de cette famille D. Mais l’ancêtre de cette famille, ne pouvant pas assumer le rôle de chef de
village à cause de ces activités agricoles, a confié la gestion du village à la famille S :

« Les anciens du village avaient choisi mon grand-père M. D. comme chef de


village mais il a dit je vais confier le village à M. S. (ancêtre de la famille S.).

90
Art. 34, Decret n°96-228 du 22 mars 1996.
Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
148
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

Quand on lui a demandé pourquoi il n’a pas choisi dans la famille, il répond que
la famille S. va au champ tard le matin alors que les autres y vont très tôt. Si
quelque chose se passe dans le village elle sera témoin et pourra nous rendre
compte »91.

La famille S. reste encore très influente dans l’organisation politique du village. Tous
les chefs de village qui se sont succédé à Lampsar sont issus majoritairement de cette famille.
Ils se succèdent, en effet, de père en fils, du plus âgé au plus jeune. Sur les sept chefs de
village de Lampsar, seul deux d’entre eux ne sont pas issus de la famille S.

Cette influence d’une seule famille est traditionnellement tolérée par les habitants
parce que la fonction de chef de village est perçue comme une charge. Le chef de village doit
être disponible et répondre aux sollicitations de ses habitants. Dans un contexte rural où la
principale activité reste l’agriculture, être chef de village, c’est aussi ne pas pouvoir aller au
champ chaque jour à cause des sollicitations diverses des habitants (extrait de naissance,
règlement de conflits, réception de l’impôt). La maison du chef de village est aussi une
maison d’accueil. Le chef de village doit être en mesure d’accueillir et de loger un étranger
qui n’a pas de contact dans le village. Les étrangers qui viennent dans le village sont
automatiquement orientés vers le chef de village s’ils ne connaissent personne dans le village.
En tant que représentant de l’Etat au niveau du village, le chef de village, au même titre que
le commissariat qui accueille momentanément une personne malade ou en difficulté, a le
devoir d’héberger les personnes qui en expriment le besoin.

 Le rôle de médiation du chef de village

Le rôle premier du chef de village est d’accomplir les actes administratifs des
habitants qui sont sous son autorité. Ces actes peuvent être la collecte des impôts auprès des
populations du village, les démarches pour l’obtention des papiers d’identité notamment les
extraits de naissance, les cartes d’identités nationales.

91
B.A. N., entretien, op.cit
Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
149
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

Au-delà de ces actes administratifs, le rôle du chef de village est de régler les conflits
dans le village. Ces conflits peuvent exister entre les populations du village qui ont des
activités différentes. Le troupeau d’un éleveur peut dévaster le champ d’un agriculteur, par
exemple. Il peut concerner aussi deux familles, l’exemple donné par le chef de village est
celui d’une construction qui a débordée sur le terrain des voisins. Le conflit peut également
surgir dans la famille entre le mari et la femme. Dans ce type de conflit, le chef de village joue
un rôle de médiation entre les personnes en conflit, en essayant de résoudre le problème au
niveau du village. Dans cette perspective, la médiation consiste à trouver un compromis entre
deux personnes en conflit. En d’autres termes, le chef de village ne reste pas en dehors de la
discussion pour trouver un accord, il participe de manière active à la résolution du conflit.
Dans ce travail de médiation, il est souvent assisté par quelques notables du village choisis
parce qu’ils sont connus pour leur « neutralité » dans le village mais aussi pour « leur
franchise ». Le nombre de témoins varie selon le degré du conflit, la nature des personnes en
conflit (les personnes en conflit sont-elles de bon voisins ou pas ?). Ces témoins participent
également de manière active à la recherche d’un accord entre les personnes en conflit :

« S’il y a un problème, les gens viennent souvent me voir, ils me disent telle
personne m’a fait ceci ou cela. Je prends deux ou trois personnes neutres, nous
convoquons les plaignants, nous les écoutons d’abord, chacun dit ce qu’il
reproche à l’autre. Après, je demande aux personnes participant à la médiation
de me dire leurs points de vue. Chacune dit ce qu’elle pense, et après nous disons
que telle personne a tort. A la fin de la médiation, je demande à chaque fois aux
personnes en conflit de se serrer la main (…) Le mieux c’est de trouver un accord
ici au village, nous sommes tous des parents ici. Si vous avez un problème, c’est le
voisin qui est le premier à vous assister»92.

Dans un contexte économique local difficile, chercher un compromis entre les


personnes en conflit sans passer par le système judiciaire a un double avantage pour les
populations. D’abord, les personnes en conflit gagnent du temps en trouvant un accord au
niveau du village. Les commissariats, les tribunaux régionaux sont éloignés des villages, ils se
trouvent dans les centres urbains. Les distances qui les séparent des villages sont assez
importantes. Répondre aux convocations de la justice c’est aussi perdre une journée et par

92
Chef de village, entretien, juillet 2012.
Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
150
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

conséquent perdre du temps qui pouvait être consacré aux travaux agricoles, par exemple. En
outre, pour répondre aux convocations de la gendarmerie, il faut payer les trajets allers et
retours qui peuvent parfois être multiples avant de trouver un accord. Refuser la médiation du
chef de village, c’est donc prendre le risque d’engager des dépenses supplémentaires.

La capacité du chef de village à susciter un accord en cas de conflit reste l’un des
critères déterminants pour le choix du chef de village. Déjà pendant la période coloniale, le
colonisateur en faisait un élément déterminant. Le chef de village devait être en mesure de
régler les désaccords entre l’administration et les populations du village. Pour ces différends
très fréquents portant généralement sur les terres agricoles, le colonisateur avait besoin de la
coopération du chef de village. Avoir cette coopération, c’est aussi augmenter la probabilité
de faire passer des projets d’aménagement portés par l’administration coloniale. Avec les
indépendances, cet intérêt porté aux chefs de villages pour régler les conflits entre les
populations et l’administration reste d’actualité. Au-delà des leaders d’opinion dans le village
(personnalité politique, porteurs de projets de développement), le chef de village a été pour
l’administration sénégalaise et le secteur privé un relais déterminant pour faire passer « des
projets de développement » et pour contenir d’éventuelles contestations à l’initiative des
populations. La capacité des chefs de villages à avoir une certaine influence sur les habitants
et à contenir la contestation des populations est un enjeu de taille pour l’Etat, notamment
quand il s’agit de mettre en place des projets en milieu rural.

Dans l’axe hydraulique Gorom Lampsar, l’acquisition des terres d’implantation de


l’usine Grand Domaine du Sénégal (GDS) en est un exemple. Cette usine spécialisée dans la
culture de fruits (bananes, melons, cerises) et de légumes (tomates, concombres, poivrons)
s’est installée en 2003 sur des hectares de terres pris aux paysans locaux. L’implantation de
cette usine a été possible grâce à l’implication et la complicité des chefs de village dont les
terres étaient concernées. Il s’agit du chef de village de Mbakhana et celui de Ndiawdoune qui
ont autorisé l’installation de l’usine au désavantage des populations :

« Les chefs des villages concernés ont attribué des terres à la GDS. Ils ont signé
des documents dont ils ignoraient le contenu sans contrepartie pour les
populations. En s’engageant, ils ont engagé les villages sans débat »93.

93
Membre de l’Association Sportive et Culturelle (ASC) des jeunes de Ndiawdoune, entretien, mai 2011
Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
151
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

Cependant l’influence du chef de village sur sa population reste un critère important


mais pas suffisant pour administrer les villages aujourd’hui. Il faut disposer d’autres
compétences, avoir un certain niveau de scolarité et d’éducation qui permet de lire et écrire.
La légitimé fondée uniquement sur l’origine familiale ne suffit plus pour administrer les
villages. Ce qui est reproché au chef de village de Lampsar, c’est son manque d’instruction :
il est analphabète. Même pour remplir des actes de naissance, lire un courrier ou signer des
dossiers, il est obligé de solliciter ses enfants qui savent lire et écrire. Ce qui fait dire à
certaines personnes dans le village que ce n’est pas le chef de village qui administre le village
mais son fils parce que c’est ce dernier qui lit les dossiers, les signe à la place de son père et
accomplit d’autres actes administratifs.

Pour un certain nombre de personnes interrogées dans le village de Lampsar,


notamment les jeunes, les enjeux de développement du village nécessitent que le chef de
village dispose d’autres atouts pour que les intérêts des populations soient pris en compte. Le
chef de villages doit pouvoir lire, parler et écrire le français parce que dans les projets de
développement actuels, la négociation avec les porteurs de projet (Etat, ONG, secteur privé),
la prise en compte des intérêts des populations locales est nécessaire. Il faut donc connaître et
avoir une maîtrise des enjeux des projets qui sont en cours dans son village. Ne pas maîtriser
ces enjeux, c’est augmenter le risque que les préoccupations de la population ne soient pas
prises en compte dans les projets. Ainsi les jeunes du village de Lampsar exigent de nouveaux
critères et de nouvelles procédures de désignation du chef élargie à la population. La
succession de père en fils est remise en question. Le fait d’être fils d’un chef de village ne
donne plus automatiquement la légitimité pour être chef de village.

I.2.c Une remise en cause de l’organisation politique du village

La remise en cause du fonctionnement du village de Lampsar est endogène. Elle est à


l’initiative d’associatifs soutenus généralement par des jeunes. Elle s’est traduite par la
contestation du mode de désignation traditionnel du chef de village.

Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
152
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

 Quand l’élection entraîne des tensions entre générations

L’organisation politique du village de Lampsar dépendait, en grande partie, de la


famille S. Les chefs de village sont issus en majorité de cette famille au niveau du village. Au
niveau de la communauté rurale, l’influence de la famille S. reste également très forte. Le seul
conseiller municipal originaire du village vient de cette famille. Le père a d’abord occupé ce
poste de conseiller municipal puis le fils a pris la relève.

En 2011, on assiste à une remise en question de cette forme de représentation issue


d’une seule et même famille. L’actuel chef de village, devant succéder à son frère décédé
après 20 ans à la tête du village, est contesté par une partie de la population, notamment par
les jeunes. Ce qui est contesté ce n’est pas le maintien d’un chef de village mais le mode de
désignation du chef de village. La légitimité par la succession au sein de la même famille est
dénoncée au profit d’une élection à laquelle tous les habitants du village peuvent participer.

Cette contestation de la légitimité par l’appartenance à la famille S est à l’initiative de


quelques membres de l’association « widoum » qui existe dans le village depuis 1974. Le
nom de l’association vient d’un chant Peul généralement chanté pendant les périodes de fêtes
(baptêmes, mariages..). Le chant « widoum-widoum » accompagnait les pas de danses des
femmes Peulhs pour fêter ces évènements heureux. L’association est formée par une classe
d’âges (hommes et femmes). Ils se réunissaient pendant les fêtes (tabaski, korité, nouvel an)
mais aussi pendant les vacances scolaires pour organiser des manifestations sportives
(tournois de football) et culturelle, des « feccu tubaab »94 (en wolof), c’est-à-dire des soirées
dansantes. Les membres de l’association font partie de la première génération qui a fréquenté
l’école française après les indépendances ; leur aspiration à la modernité est manifeste. Ces
membres de l’association sont également réputés pour leur implication dans la vie et le
développement du village :

« Les widoums (les membres de l’association widoum) sont des gens influents
dans le village. Parfois quand on a un problème dans le village qui perdure sans

94
« Toubab » est mot utilisé par les sénégalais pour désigner les occidentaux. Cette nomination ne fait pas la
distinction selon le pays d’origine ; les « toubab » renvoie à la population blanche de l’occident et dans les
villages plus reculés le mot « toubab » fait référence à toutes les personnes qui ont la peau blanche (français,
arabes, américain, chinois, japonais etc.). « Feth Toubab » signifie ici une danse pratiquée par le blanc, c’est-à-
dire les soirées dansantes.
Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
153
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

solution, on fait appel à eux en leur disant: qu’est-ce que vous attendez pour
réagir, vous n’êtes pas au courant de la situation ? »95.

Les membres de l’association, soutenus par des jeunes du village, ont d’abord présenté
un jeune candidat face au candidat issu de la famille S. L’objectif de cette candidature à
l’initiative de « widoum » est de changer le mode de désignation du chef de village. A
l’opposé du mode de désignation fondé sur l’origine familiale, l’association « widoum »
souhaite un choix du chef de villages s’appuyant sur une élection ouverte à tous les habitants
du village :

« Le village ne peut plus fonctionner à l’ancienne. Il y a des familles qui pensent


qu’elles sont les seules à pouvoir diriger le village ; les temps changent. Tu ne
peux plus dire que c’est mon grand-père qui était chef de village et donc moi je le
serai forcément. Un chef de village qui ne sait pas lire ni écrire ce n’est plus
acceptable »96.

L’enjeu pour l’association « widoum » est de porter au poste de chef de village une
personne qui a les qualités requises pour développer le village, c’est-à-dire une personne en
mesure d’attirer des investisseurs et qui dispose de réseaux politiques pouvant faciliter la
construction de structures collectives dans le village (forages, dispensaire, écoles, mosquées).

Ainsi, l’association « widoum » insiste sur deux volets pour réfuter l’élection du
candidat issu de la famille S. D’ abord, le fait que ce candidat refuse de se soumettre à la
volonté des populations du village par le vote. Ensuite, la remise en question du candidat de la
famille S. est liée au fait qu’il ne dispose pas d’un niveau scolaire qui lui permette « de saisir
les enjeux de développement du village » et de négocier avec les porteurs de projets comme
l’Etat ou le secteur privé :

« L’Etat vend nos terres, il faut en contrepartie des projets pour le développement
du village. Mais cela suppose que le chef de village comprenne le discours des
porteurs de projets et défendre l’intérêt du village. Mais un chef de village qui

95
Membre de l’Association Sportive et Culturelle (ASC), op.cit
96
Membre de l’association widoum, entretien, juillet 2012
Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
154
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

demande où il doit signer, qui ne sait même pas lire, c’est fini. Nous les jeunes,
quand on a dit ça, ça a créé un tollé dans le village »97

La volonté de l’association « widoum » est d’instaurer un chef de village plutôt


« jeune » et de favoriser l’élection comme mode de désignation du chef de village. En accord
avec les jeunes du village, « widoum » a présenté un de ses membres comme candidat. Ce
dernier soutenu par les jeunes est contestée par les vieux (plus de 70 ans)98 du village. Ces
derniers considèrent le candidat des jeunes ayant 52 ans, « encore jeune » pour occuper le
poste de chef de village. Le refus de confier le village à une personne « pas assez âgée » n’est
d’ailleurs pas nouveau. A chaque fois que la famille S. se retrouvait dans une situation où le
successeur dans la famille était « jeune », la gestion du village était confiée à un notable du
village plus âgé. Pour les vieux, gouverner, c’est aussi avoir l’âge de gouverner.

Dans un second temps, l’élection est perçue par les vieux comme une source de
division du village. La compétition entre les différents candidats engendre des tensions entre
les familles :

« Le sous-préfet nous a dit : si vous n’arrivez pas à vous mettre d’accords, il faut
voter. Nous, nous ne voulions pas du vote. Le vote n’est pas bien, ça divise le
village, il y aura des ennemis dans le village après »99.

Les vieux privilégient la « discussion fermée » (une discussion à laquelle seuls les
notables du village participent) à l’élection ouverte pouvant aboutir à des tensions publiques
dans le village. Le désaccord entre les jeunes et les vieux sur le mode de désignation du chef
de village engendre une situation de crise politique dans le village.

97
Idem
98
Vieux n’est pas ici un terme péjoratif, c’est en général une appellation affective. Il désigne une personne âgée
qui a un certain savoir et une certaine expérience de la vie. Ces qualités font qu’ils sont bien appréciés et leur
présence dans une famille est généralement bien perçue. Les vieux sont des régulateurs de la vie sociale dans le
village.
99
B.A.D, entretien, op.cit
Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
155
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

 La crise politique dans le village de Lampsar

Face à l’opposition des vieux, les jeunes changent de stratégie. Ils proposent un
nouveau candidat plus âgé. L’idée pour les jeunes consistait à entourer ce candidat, une fois
élu chef de village, d’une équipe de jeunes, une sorte de « commission de contrôle ». Cette
stratégie des jeunes permet de répondre aux exigences des plus âgés qui ont mis en avant le
critère de l’âge pour réfuter le premier candidat des jeunes. Cette nouvelle candidature est,
cependant, contestée par le candidat de la famille S. Pour ce dernier, le candidat des jeunes ne
doit pas diriger le village parce que leur présence dans le village est récente. Il met en avant
un autre critère lié à l’ancienneté dans le village. Pour lui, le chef de village doit venir des
premières familles à s’installer dans le village et pas de celles installées plus récemment:

« Quand ils ont proposé M. D. comme chef de village, nous avons refusé. Nous
avons dit : cette personne ne va pas nous diriger. Il est qui pour diriger le
village ? Il vient d’où ? ».100

Pour la famille S., la légitimité à diriger le village dépend plus de l’appartenance à


l’une des premières familles à s’installer dans le village. Pour diriger le village il ne suffit pas
d’être né, d’habiter et de payer des impôts dans le village. Il faut surtout appartenir aux
familles fondatrices du village (la famille S. et la Famille D.)

Devant la difficulté de trouver un accord entre le souhait des jeunes de porter à la tête
du village un « jeune » par le biais de l’élection et la volonté des vieux d’écarter l’élection, le
village de Lampsar va connaître une crise politique. Pendant six mois, il est resté sans chef de
village.

La perception de l’élection comme source de division au village n’est pas propre au


village de Lampsar. Dans la société traditionnelle sénégalaise et plus particulièrement en
milieu rural, l’élection a toujours été considérée comme un facteur de division. Elle met en
scènes des candidats en compétition ; chacun de ces candidats disposant de soutiens affichés.
L’affichage du soutien à un camp peut être perçu par le camp adverse comme un affrontement
ouvert. Dans un contexte rural où les désaccords sont rarement exprimés de façon publique,
l’élection peut générer des camps. Pour cette raison, elle a été traditionnellement très peu

100
Chef de village, entretien, juillet 2012
Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
156
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

utilisée comme mode de désignation des chefs de village. Cette élection, considérée dans la
Grèce antique mais aussi dans les sociétés modernes comme un instrument de démocratie, est
perçue comme source de division dans le village. Parce qu’il met en scène la concurrence et
les rivalités, l’élection crée une situation de méfiance et de mépris entre les familles.

Dans ses travaux effectués au nord du Sénégal, Schmitz (2000) analyse le conflit qui
oppose les habitants de Méri, un village Peulh situé dans le département de Podor (région de
Saint Louis). Les habitants de ce village ont mis trois années pour désigner leur chef de
village. Différentes solutions vont être proposées aux candidats pour éviter à tout prix le vote.
De la médiation des notables du village au tirage au sort, tout est fait pour éviter le vote qui
peut conduire à des conflits entre familles voire à l’éclatement du village :

« En effet, dans un univers villageois caractérisé par le face à face quotidien et le


fait que tout le monde se connaisse, toute élection à la majorité révèle et
cristallise des conflits qui peuvent aller jusqu’à générer la guerre civile »101.

Ce qui est en jeu avec la crise politique dans le village de Lampsar, c’est la remise en
cause de l’autorité traditionnelle incarnée par les deux premières familles et les notables du
village, mais également leur mode de désignation. Cette remise en cause entraîne des conflits
au sein des familles:

«Mon père nous disait : vous les jeunes, vous êtes en train de diviser le village. A
votre naissance le village existait déjà, avait son fonctionnement (...). Il ne voulait
pas accepter que nous ne soyons pas de son avis. Nous, le changement que nous
voulons est bénéfique pour tout le village. Mais les vieux quand tu n’es pas de
leur avis, ils pensent que tu contestes leur autorité »102.

 La médiation conduite par les villages voisins

Le désaccord persistant entre les jeunes et les vieux autour des modalités de choix du
chef de village va susciter une réaction au niveau des villages voisins (Mbakhana, Rao et
101
Schmitz J., 2000, « L’élection divise : la politique au village dans la vallée du Sénégal », Afrique
contemporaine, N° 194, p.35
102
A.S., entretien, juillet, 2012
Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
157
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

Diawdoune). L’implication de ces villages dans la recherche de solution est une étape
importante. En effet, à l’initiative du sous-préfet de Rao, une délégation de six personnes est
constituée pour conduire la médiation entre les deux parties adverses. Cette délégation est
formée d’un délégué du village de Mbakhana, d’un délégué du village de Roa, d’un délégué
du village de Ndiawdoune et de trois délégués du village de Lampsar. Ces six délégués,
choisis par le sous-préfet sont des notables dans leurs villages respectifs. Leur mission
consiste à susciter un accord entre les deux parties adverses au cours d’une assemblée
générale convoquée et présidée par le sous-préfet. Cette médiation publique aboutit à un
désistement du candidat des jeunes. Ce dernier a changé de position lors de l’assemblée
générale. Son désistement, perçu par les jeunes comme une trahison, va amplifier le désaccord
entre les deux camps dans un premier temps :

« Quand on est allé en assemblée générale, le vieu qui était notre candidat nous a
trahi, il a désisté en disant qu’il n’était plus candidat. Nous avons dit si c’est
comme ça, nous n’aurons pas de chef de village parce que nous n’allons pas
choisir le candidat de la famille S. chef de village ».

Devant ce fait inattendu, les jeunes vont se radicaliser en refusant la possibilité que le
candidat de la famille S. devienne chef de village sans passer par une élection. C’est dans ce
contexte que le secrétaire générale de l’association « widoum » a proposé une forme gestion
élargie du village aux jeunes qui est acceptée par les deux parties. Elle consiste à faire du
candidat des vieux (candidat de la famille S.) le chef du village, mais ce dernier doit être
assisté dans son administration par un comité constitué de jeunes. Ce comité est appelé
« Comité d’Information, de Veille et de Suivi du Patrimoine de Lampsar » (CIVSP). Il est
présidé par un membre de l’association « widoum ». Il est constitué par des représentants de
différentes catégories du village (jeunes, femmes, agriculteurs). Il doit se réunir et donner son
avis pour toutes décisions relatives au patrimoine de Lampsar :

« C’est vrai, c’est le vieux qui signe si ça engage le village, mais on le contrôle
maintenant, c’est ça notre victoire. Nous avons réussi à créer un bouclier au tour

Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
158
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

de lui, il prend les décisions, il signe, mais on a un pouvoir d’influence


maintenant »103.

Le fait que le chef de village soit obligé de tenir informer les membres du CISVP
pour toute décision relative au patrimoine de Lampsar (vente de terres, par exemple) est perçu
par les jeunes comme une évolution dans la vie politique de Lampsar. Désormais, à travers le
CISVP, ils peuvent s’opposer à toute décision du chef de village qui ne privilégie pas l’intérêt
du village.

Cette crise politique a mis en relief une tension entre les familles mais aussi entre les
générations. La remise en cause de l’organisation politique traditionnelle du village est en
majorité le fait de jeunes qui fréquentent les mêmes organisations associatives (Association
Sportive et Culturelle, par exemple) dans le village. La dynamique associative touche toutes
les classes d’âges et les domaines d’activités. Elle constitue l’une des caractéristiques du
village de Lampsar.

I.3 Organisation et évolution de la vie associative à Lampsar

Le village de Lampsar se caractérise, en effet, par une dynamique associative forte.


Les associations touchent actuellement toutes les catégories sociales mais aussi les secteurs
d’activités. L’Association Sportive et Culturelle (ASC) est constituée de jeunes filles et de
jeunes garçons du village. L’ASC n’est pas récente, elle date d’avant les indépendances. Les
plus anciens laissent le fonctionnement et l’organisation de l’ASC aux nouveaux jeunes, ces
derniers devront ensuite laisser la place à d’autres jeunes en âge de majorité. L’ASC reste très
active pendant les vacances d’été, période pendant laquelle les jeunes qui étaient partis dans
les villes pour étudier ou pour travailler reviennent au village. La vie de l’ASC notamment en
vacances d’été est rythmée par des réunions mensuelles. Elles peuvent porter sur
l’organisation de manifestations sportives et culturelles, sur des questions environnementales
(nettoyage du village ou du lac, reboisement) etc.

103
Membre du « comité d’information, de veille et de suivi du patrimoine de Lampsar », entretien, septembre
2012
Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
159
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

Des associations de jeunes filles appelées Organisations de Jeunes Filles (OJF)


existent également dans le village. Elles sont constituées par des jeunes filles d’une même
classe d’âge. Quant aux Groupements de Promotion Féminine (GPF), ils sont généralement
propres à chaque quartier. Ils sont constitués au début de projets en élevage, en maraîchage,
en micro commerce etc. Le GPF peut fédérer les femmes d’un même quartier. Cependant
dans le village, il existe une union de GPF qui fédère tous les autres. Les GPF restent plus
actifs surtout au début des projets. Ils se sont développés dans le village dans le but d’aider
les femmes à avoir une certaine indépendance financière. Ces GPF sont financés par des
ONG ou organismes travaillant pour la promotion de la femme (ONG PLAN International,
USAID).

Dans le domaine de l’agriculture, différentes organisations appelées Groupement


d’Intérêt Economique existent (GIE)104. Ils sont au nombre de quatre dans le village de
Lampsar. Ces GIE peuvent être constitués par des personnes qui ont des liens de parenté. Une
famille, si elle le souhaite peut constituer un GIE. Les agriculteurs situés sur le même axe
hydraulique peuvent former un GIE aussi. Les différents GIE forment une fédération de GIE
appelée union des GIE de Lampsar. Ces GIE sont encouragés par la Société d’Exploitation de
terres du Delta (SAED) depuis les années 1980. Cette société nationale dont l’objectif est de
développer l’agriculture irriguée dans le Delta et la vallée du fleuve Sénégal a beaucoup
évolué dans ses missions. D’un statut d’établissement public organisant l’activité agricole
(aménagement des terres agricole, don d’engrais et de matériel agricole, formation des
agriculteurs, écoulement de la production agricole) dans les années 1980, la SAED se
désengage actuellement de toutes les fonctions productives et marchandes et incite à l’auto-
organisation des agriculteurs et l’introduction du secteur privé dans la production agricole105.
C’est dans cette perspective d’auto-organisation que les GIE se sont développés afin de
faciliter aux agriculteurs le paiement des factures d’eau, l’achat des entrants et les prêts auprès
des banques, un rôle traditionnellement assumé par l’Etat à travers la SAED.

La dynamique de ces organisations associatives n’est pas la même. L’ASC s’investit


plus et de manière affichée dans la vie politique et le développement du village. Cette
association constitue un espace de débat et un lieu d’émergence, par le débat entre jeunes, de

104
Les GIE sont des structures régies par la loi N°84-37 du 11 mai 1984. En encourageant ces structures,
l’objectif de l’Etat est de faciliter l’accès des paysans au crédit pour l’achat des entrants et de l’engrais.
105
Ministère de l’agriculture, 2010, Rappel de l’évolution institutionnelle de la SAED, p.3
Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
160
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

problèmes relatifs au quotidien du village (fonctionnement de l’ASUREP, électrification du


village, problème de santé). La structuration des associations, leurs secteurs d’activités et
leurs thèmes de revendication ont évolué également entre le début des indépendances et
aujourd’hui. Certes, il est toujours question de mettre en valeur des initiatives collectives et de
privilégier l’action collective. Mais de plus en plus, l’association devient un espace de
revendication.

Dans la partie qui suit, il s’agira de décrire et d’analyser cette évolution de la vie
associative en trois phases : d’abord, l’association comme expression de la solidarité dans
l’activité agricole, ensuite, l’association comme une structure de développement du village et
enfin l’association comme un espace de débat et de revendication.

I.3.a L’association : expression de la solidarité villageoise

Avant même les indépendances, la vie associative était bien connue dans les villages,
elle y était le symbole de la solidarité. La seule finalité de l’association pendant cette période
(jusqu’aux années 1970) est d’initier et de soutenir des actions collectives notamment dans le
domaine agricole.

Le développement des associations dans le village de Lampsar est lié au mode


d’organisation des populations du village dans les différentes activités. Dans les travaux des
champs, les populations du village associent leur force de travail pour réaliser leurs activités
de manière collective. Dans les différentes phases de travaux agricoles (défricher, semer et
récolter) le travail se fait collectivement. A tour de rôle, les travaux des champs sont
effectués. Le village peut décider de soutenir une famille qui a du mal à réaliser ses travaux
agricoles. Cette solidarité fait que les travaux des champs dans le village débutent et se
terminent ensemble :

Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
161
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

« A notre temps, on s’entraidait pendant les travaux des champs. Si tu avais


terminé ton travail plutôt, tu aidais le voisin. Donc on terminait presque tous en
même temps le travail des champs»106.

L’association peut aussi décider de soutenir des familles en difficulté dans le village.
Dans ce cas, la famille aidée assure la nourriture aux jeunes de l’association en guise de
remerciement. Cette restauration n’est pas une obligation. La famille soutenue, si elle en a la
possibilité, peut s’occuper de la restauration. Dans le cas contraire, à l’heure du déjeuner,
chaque famille dans le village amène son repas au champ pour partager avec tout le monde.

L’association, dans certains cas, peut offrir sa force collective de ses membres à de
riches paysans qui habitent dans le village ou dans les villages voisins. En contrepartie, les
membres de l’association sont récompensés pour le travail réalisé. Cette récompense se fait
généralement en nature et dépend de l’activité accomplie. Il dépend également du statut de la
personne qui a sollicité les jeunes. Pour la récolte de son champs, par exemple, un riche
paysan peut offrir comme récompense un animal (vache, mouton, chèvre etc.). La récompense
peut être également des sacs de riz, s’il s’agit d’un champ de riz ou des sacs de mil, s’il s’agit
d’un champ de mil. Ces récompenses sont vendues à la fin de la saison. L’argent issu de la
vente permet aux jeunes de l’association d’organiser des fêtes pendant la saison sèche.

La forme d’organisation de ces associations est le reflet de l’organisation sociale du


village. Elle respecte la hiérarchie du village107. La famille traditionnelle a besoin d’un chef
de famille, le plus âgé de la famille en général. Dans l’organisation de l’association
également, la présence d’un tuteur est nécessaire pour assurer la stabilité et pour éviter les
conflits potentiels au sein de l’association. Ainsi, l’association est présidée par une personne
qui ne fait pas partie de la classe d’âge des jeunes membres de l’association. Cette personne
joue le rôle de coordonnateur des activités de l’association. Elle est aussi chargée de gérer les
ressources économiques de l’association qui proviennent des cotisations des membres et des
récompenses des riches paysans, par exemple. Le tuteur est également chargé de veiller à
l’entente au sein du groupe. Le choix d’une personne extérieure à la classe d’âge des jeunes

106
K. S., notable au village de Lampsar, entretien, août 2012
107
Bâ H. A., dans Amkoullel. L’enfant peul, Mémoire I, 1992, décrit cette dynamique de la vie associative dans
les sociétés traditionnelles rurales. Le développement des associations s’appuie fortement sur la structuration
sociale connue au niveau des villages, structuration qui marque une nette différence de statut entre jeunes et
vieux, entre l’enfant et son aîné, entre hommes et femmes.
Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
162
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

de l’association permet d’éviter une concurrence possible dans le groupe pouvant mener à des
conflits internes.

« Nous étions tous au même pied d’égalité, tu es de la même génération que moi,
pas de chef, nous étions tous pareil. Tu vois maintenant les jeunes dans les
associations, quand on te dit tu es le président, tu penses que tu es le chef, tu veux
contrôler tout. Nous, c’était différent, on avait tous le même statut »108.

Dans ce contexte, les associations cadettes (associations constituées de jeunes qui ont
moins de 18 ans) dans le village étaient parrainées aussi par une association aînée. Cette
association aînée jouait le rôle de conseil et de protection auprès de l’association cadette. Il
fallait également choisir un président d’honneur de l’association, une sorte de doyen de
l’association. Ce doyen est généralement une personne âgée. Il y a d’abord les jeunes qui
forment les membres de l’association, il y a ensuite le président qui est extérieur au groupe et
qui joue le rôle d’aîné et il y a enfin le président d’honneur qui joue le rôle de père ou de
grand père.

Jusqu’aux années 1960, la forme et le fonctionnement des associations expriment le


mode de vie des populations villageoises dont l’une des caractéristiques est la solidarité et la
supériorité du groupe par rapport à l’individu. Les travaux de Dupuy (1990), effectués dans
les villages de la Casamance, une région au sud du Sénégal (cf. annexe 6), vont dans cette
perspective. L’auteur fait une relation entre les formes d’engagement associatives dans les
villages de la casamançaise, le développement de l’activité agricole traditionnelle et la
solidarité exprimée autour de cette activité :

« L’association villageoise était la forme organisée traditionnelle d’expression de


ses appartenances individuelles à la communauté (…). Mais c’était au niveau des
travaux des champs que le phénomène associatif était historiquement le plus fort.
Se groupant au sein de société de culture, les membres de la communauté
associaient leur force de travail pour défricher et exploiter des champs collectifs

108
K. S., notable au village de Lampsar, op.cit.,
Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
163
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

ou pour louer collectivement leurs bras à des particuliers lors des labours, des
semences ou des cueillettes »109.

A partir des années 1970, la forme et la finalité de l’associatif va évoluer. Au-delà de


la mission première de l’association qui est de développer la solidarité au niveau du village,
l’association va participer activement au développement économique et social du village. Elle
devient ainsi une structure plus formelle qui a un fonctionnement plutôt administratif.

I.3.b L’évolution de l’association en une structure de développement


locale

Il s’agit, dans cette partie, d’analyser les changements apparus dans l’orientation et la
finalité des associations mais également dans leur organisation interne.

Ces changements sont liés au contexte des villages, contexte marqué par une précarité
sociale suite aux sécheresses des années 1970 et 1980. Ils sont le fait, également, d’une
politique sociale du gouvernement socialiste de l’époque. La politique sociale de ce
gouvernement en milieu rural consistait à libérer les initiatives locales. Dans cette perspective,
il va encourager les populations à s’organiser en association au niveau local. Cette orientation
de la politique socialiste s’appuie sur l’idée selon laquelle le développement doit partir de la
base. Pour l’Etat, il existe des initiatives locales, il faut les appuyer pour développer le monde
rural. Ce développement local permet de fixer les populations et d’éviter l’exode rural qui
commençait à prendre une certaine dimension surtout avec la sécheresse des années 1970 et
1980.

Dans le village Lampsar, nous assistons à un développement rapide des organisations


associatives. Il faut rappeler qu’avant les années 1970, seule l’ASC constitue l’association du
village de Lampsar. Actuellement, les associations se sont développées en fonction de l’âge,
du sexe mais aussi en fonction des activités (agriculteurs).

109
Dupuy C., 1990, « Les associations villageoises au Sénégal : fonctionnement économique et modalité de
financement », Tiers-Monde, tome 31, N°122, p.354
Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
164
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

Au point de vue de leur organisation interne, les associations actuelles diffèrent des
premières associations. Elles ne s’appuient plus sur l’organisation sociale du village. Elles
s’appuient plutôt sur une organisation à dominante administrative. Le bureau de l’association
est constitué d’un président, d’un vice-président, un secrétaire général, un secrétaire
administratif, un commissaire aux comptes, un trésorier etc. Dans le cas de l’ASC de
Lampsar, plusieurs commissions existent dont la commission organisation, la commission
sociale et la commission culture. Cet organigramme de l’association a été imposé par
l’Etat dans l’objectif d’institutionnaliser les associations. Le bureau de l’association, le
président en particulier, devient un interlocuteur des acteurs de développement au niveau
local. L’association peut avoir des partenaires intérieurs et extérieurs, monter des projets,
solliciter des financements et participer ainsi au développement du village.

Les membres occupant les différents postes de l’association sont choisis généralement
en assemblée générale. Contrairement aux associations traditionnelles qui nommaient un
président extérieur à la classe d’âge des membres de l’association, les associations actuelles
élisent un bureau parmi les membres. L’un des critères de sélection de ces membres est leur
capacité à créer un réseau externe. Le président de l’association, par exemple, est choisi pour
sa capacité à créer un réseau de personnalités capables de soutenir le village dans ses projets
de développement. Le président doit, par exemple, connaître des politiciens de la région et
être capable de les inviter pendant les fêtes religieuses ou les manifestations culturelles qui
ont lieu dans le village. Faire déplacer un ministre pour qu’il assiste à ces manifestations, c’est
aussi bénéficier de ses largesses. Ce dernier ne vient jamais avec les mains vides, il amène
avec lui une contribution financière. Des projets vont être financés dans le domaine agricole
notamment dans le maraîchage, la riziculture, le reboisement et également dans l’élevage géré
par les groupements de femmes. La structuration nouvelle s’impose aux associations afin
qu’elles puissent être en phase avec les exigences des acteurs de développement. Plus
l’association est structurée mieux elle augmente ses chances d’obtenir des financements.

L’autre critère de choix du président de l’association, c’est sa capacité à participer


financièrement au bon fonctionnement de l’association :

« Généralement, le bureau est choisi en assemblée générale. Mais pour le


président, on ne vote pas en général. On réfléchit, on dit que telle personne a de
l’argent, il connaît du monde politique, il a un réseau et on le choisit parce que
Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
165
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

pendant les navétanes (tournoi de football), on cotise parfois, on a besoin de


l’argent. Si le président est quelqu’un qui a de l’argent, il peut nous aider »110.

La capacité à créer un réseau de personnalités et le fait de disposer de moyens


financiers sont des critères déterminants dans le choix des membres du bureau. Dès lors,
l’association devient une structure de développement pour le village mais aussi un relais de
développement pour l’administration étatique et les acteurs de développement. Pour les
villageois, l’association est un moyen pour attirer des porteurs de projets de développement
dans le village. Multiplier les associations, c’est multiplier les chances de « coopter » des
financements extérieurs pour l’intérêt du village :

« Nous, à l’ASC, on a fait venir plusieurs fois des politiques. Si on a une


manifestation, on les invite parce qu’ils viennent avec des enveloppes de soutien.
Les autres associations aussi font pareil. Notre objectif est de développer le
village »111.

La multiplication de ces manifestations religieuses ou culturelles au village permet de


récolter des fonds qui vont servir à réaliser des actions de développement. Ainsi, avec ces
fonds, l’ASC organise des cours de vacances scolaires pour les élèves du village. Elle
organise des journées de propreté (SET-SETAL en wolof) pour nettoyer le village ou nettoyer
l’axe hydraulique Gorom Lampsar.

I.3.c L’association : un espace de revendication

A partir des années 1990, les associations du village de Lampsar notamment l’ASC et
l’association « widoum » villageoise investissent et organisent de plus en plus les espaces de
débat au niveau local. Elles font émerger des problèmes du village et en font une
revendication locale. Ces associations s’expriment dans divers débats touchant des domaines
divers. Plusieurs évènements vont marquer cette évolution de l’engagement associatif au
niveau du village de Lampsar.

110
M. D, vice-président de l’ASC de Lampsar, entretien, juillet 2012
111
M.D, vice-président de l’ASC de Lampsar, op.cit.
Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
166
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

Avec la multiplication des maladies liées à l’eau dans le village dans les années 90
comme le paludisme mais surtout la bilharziose, l’ASC fait de l’accès à l’eau potable une
priorité. En coopération avec l’ONG Plan international, une journée de sensibilisation va être
menée dans le village en 1997. Cette journée de sensibilisation a lieu dans le village de
Lampsar, mais les villages voisins y sont invités. Sont présents dans ces journées de
sensibilisation des jeunes et des familles du village mais aussi les chefs de villages concernés.
Cette sensibilisation vise à changer le rapport des populations à l’eau mais c’est également
une occasion d’interpeler les autorités locales et nationales par rapport aux problèmes d’accès
à l’eau auxquels les populations sont confrontées. Les journées de sensibilisation sont
généralement médiatisées par les médias classiques (radio ou télévision). Cette médiatisation
permet d’attirer l’attention des autorités sur les problèmes du village.

Dans d’autres domaines, notamment dans le domaine de l’éducation, la réaction des


jeunes de l’ASC va entraîner des changements notables dans le fonctionnement de l’école
primaire du village de Lampsar. Après des échecs répétés aux examens d’entrée en sixième (0
admis en 2005), les jeunes de l’ASC vont porter le débat sur le manque de résultats des
enseignants de l’école. A l’initiative du président de l’association de l’ASC, un débat est
organisé pour comprendre les raisons de cet échec. A l’issu de ce débat, la décision d’écrire à
l’inspecteur est prise afin de remplacer les différents enseignants de l’école du village pour
manque de résultats. Devant le refus de l’inspecteur de remplacer les enseignants, une autre
réunion va être convoquée à l’initiative du président de l’association. A l’issue de cette
réunion, les parents d’élèves décident de ne plus envoyer les enfants à l’école tant que
l’équipe pédagogique n’est pas remplacée :

« L’inspecteur nous a dit : ce n’est pas à vous de choisir les enseignants, ni de les
renvoyer. Nous avons convoqué une nouvelle assemblée générale dans le village,
et nous avons dit qu’à l’ouverture des classes les enfants ne vont pas aller à
l’école. Nous avons aussi appelé la radio sud FM pour les informer de la
situation. A l’ouverture, le directeur de l’école n’a vu aucun élève, ni parents
d’élèves. Après une semaine sans classe, l’inspecteur est venu constater. Et
finalement, il a affecté les enseignants »112.

112
Membre de l’ASC de Lampsar, entretien, mai 2011.
Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
167
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

Ces différentes actions à l’initiative de l’association illustrent une mutation dans


l’engagement de la vie associative. Restée dans le volet social et le développement local au
début, l’association est actuellement à l’initiative de débats portant sur les problèmes du
village.

L’association va jouer un rôle déterminant, en particulier dans le fonctionnement de


l’ASUREP, non pas en participant directement au débat institutionnel, mais en favorisant
l’expression des désaccords dans des espaces en périphérie de l’espace officiel de débat
(assemblée générale). L’espace associatif devient ainsi, un espace d’émergence des problèmes
du village, un lieu où sont discutés les problèmes relatifs au fonctionnement politique du
village et au fonctionnement de l’ASUREP.

II. Le rôle de l’Etat et des experts dans le processus de création de


l'ASUREP de Lampsar (2006)

L’ASUREP du village de LAMPSAR existe depuis 2006 (cf. annexe 2). Elle a été
créée dans le cadre du « Projet d’Alimentation en Eau Potable des Localités du Gorom
Lampsar ». Porté par le gouvernement sénégalais, ce projet financé en partie par la Banque
Islamique de Développement (BID) à hauteur de 7, 3 milliard de francs CFA, a pour objectif
d’améliorer l’accès en eau potable de 35 villages situés sur l’axe hydraulique Gorom
Lampsar. Plus de 15 stations de traitement d’eau sont construites avec ce projet pour une
population estimée à 60.000 habitants. Ces stations, contrairement aux forages classiques qui
utilisent l’eau souterraine, utilisent l’eau de surface. Celle-ci est pompée et transportée par des
conduites souterraines et stockée dans une bassine. Après la filtration et le traitement par le
sulfate d’aluminium, le chlore et l’eau de javel, l’eau est stockée dans un château d’eau avant
d’être distribuée aux populations à travers des bornes-fontaines publiques.

Le « Projet d’Alimentation en Eau Potable des Localités du Gorom Lampsar »


s’inscrit dans le « Programme d’Eau Potable et d’Assainissement du Millénaire » (PEPAM).
L’un des objectifs de ce programme est d’améliorer l’accès à l’eau potable des populations
situées à proximité du fleuve Sénégal, du lac de Guiers et du Gorom Lampsar :

Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
168
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

« L’objectif principal de ce volet est de garantir et d’améliorer un accès durable


et satisfaisant à l’eau potable pour les populations du bassin du fleuve Sénégal
»113.

L'ASUREP de Lampsar fédère 3 villages situés dans la zone de l’axe Gorom Lampsar.
Il s’agit du village de Lampsar centre, du village de Lampsar Peulh et du village de Ndialam,
représentés ci-dessous.

Figure 15 : Localisation des trois villages constituant le réseau d’eau potable de Lampsar

Le village de Lampsar centre qui constitue le centre administratif des trois villages et,
par ailleurs le plus peuplé, abrite la station de traitement et le château d’eau. Dans le village
de Ndialam et de Lampsar Peulh, existent des bornes-fontaines relais connectées au réseau.
La population de ces 3 villages desservis par le réseau d’eau est estimée à plus de 1782
habitants. Ces populations s'alimentaient à partir des puits traditionnels et des eaux de surface.

113
Gouvernement du Sénégal, 2005, PEPAM : composante accès eau potable en milieu rural, 3p.
Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
169
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

Le rôle de l’ASUREP de Lampsar est de s’occuper de la gestion du réseau d'eau potable qui
dessert ces trois villages.

La mise en place de l’ASUREP s'inscrit dans le cadre de la réforme de gestion des


forages de 1997 qui vise à articuler service public de l'eau potable en milieu rural, gestion
démocratique des points d’eau et vente de l’eau au volume. Il s’agit pour l’Etat de déléguer la
gestion des réseaux d’eau aux populations bénéficiaires. C’est l’Etat et ses partenaires
(cabinets d’études) qui définissent le schéma d’organisation des ASUREP, organisent les
populations et fixent les objectifs attendus. Le fonctionnement au quotidien du forage revient,
cependant, aux populations via l’ASUREP.

II.1 Un processus de création et un cadre de fonctionnement définis par


l’Etat

Le processus de création de l'ASUREP de Lampsar est défini par l’Etat. Ce processus


passe par trois phases. Dans un premier temps, la mise en place de l’ASUREP nécessite « un
diagnostic participatif de l’existant » en matière de gestion de réseau d’eau potable dans les
trois villages concernés. Cette première phase doit permettre de faire la situation d’accès à
l’eau potable, de recenser les difficultés connues dans le passé en matière de gestion des
réseaux d’eau, de présenter la loi de 1997 qui est à l’origine des ASUREP, de remettre les
documents administratifs relatifs à la mise en place de l’ASUREP (statut de l’ASUREP,
licence d’exploitation, contrat de maintenance, contrat de gérance) à l’autorité locale du
village, notamment le chef de village.

La seconde phase consiste à organiser une assemblée générale constitutive du bureau


de l’ASUREP. Elle est ouverte à tous les villageois bénéficiaires du réseau d’eau potable.
Cette assemblée doit permettre d’expliquer :

« Le rôle et les attributs dévolus aux usagers, le cadre organisationnel dans


lequel ils seront appelés à les exercer (organisations de l’ASUREP, choix des

Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
170
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

délégués, tenue d’assemblée générale annuelle, comité exécutif, comité directeur


et les documents administratifs) »114.

L’assemblée générale doit aussi permettre de recueillir les avis des populations
concernées sur la qualité de l’eau précédemment consommée dans le village. Elle est
également censée permettre aux usagers de discuter des modes de gestion qui ont prévalu
jusqu’alors dans les villages concernés, de proposer des délégués qui vont les représenter au
sein de l’ASUREP.

La troisième phase consiste à la mise en place effective de l’ASUREP. Pendant cette


dernière phase de constitution du bureau, la présence du sous-préfet des villages concernés, du
chef de brigade des puits et forages et du président de la communauté rurale permettent
d’assurer la régularité des choix des délégués.

Au-delà de cette procédure, l’Etat définit également le mode d’organisation de


l’ASUREP. Il définit les différentes instances qui composent l’ASUREP (assemblée générale,
le comité directeur et le comité exécutif) et leur rôle.

L’Etat définit le cadrage administratif de l’ASUREP mais sa mise en place sur le


terrain est confiée à un cabinet d’études, le Groupe d’Etude, de Recherche et d’Appui au
Développement (GERAD).

II.2 Le GERAD : l’expert en charge d’organiser les populations en


ASUREP.

La conception et la mise en œuvre de la participation du public dans le cadre de


L’ASUREP sont confiées au Groupe d'Etude de Recherche et d'Appui au Développement
(GERAD). Ce cabinet d’études est spécialisé dans la gestion des réseaux d’eau potable en
milieu rural, dans l’aménagement des territoires urbains et ruraux. Dénommé au début de sa
création en 1993 « Association pour la Recherche du développement au Sénégal » (ARDIS),

114
Gouvernement du Sénégal, Direction de l’Exploitation et de la Maintenance (DEM), 2004, Projet de Réforme
du Système de Gestion des Forages Motorisés Ruraux dans les régions de Diourbel, Fatick, Kaolack et Thiès.
Séminaire de restitution des résultats du projet, p.110
Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
171
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

le GERAD passe du statut d’association à un cabinet d’études en 1999. Basé à Dakar, il allie
recherche universitaire et développement local. Depuis 2003, le GERAD travaille avec le
gouvernement du Sénégal dans le domaine de l’hydraulique villageoise. En 2003, dans le
« projet eau potable pour tous » financé par l’agence japonaise de coopération internationale,
le GERAD, après appel d’offres du gouvernement sénégalais, sera chargé de la formation des
« brigade des puits et forages », chargés jusqu’alors de mettre en place les associations
d’usagers et d’assurer leur formation. En 2007, le GERAD conduit la sensibilisation et la mise
en place d’associations d’usagers de réseaux d’eau potable dans le bassin arachidier,
notamment dans les régions de Fatick, Kaolack et Diourbel (cf. annexe 6).

Le GERAD, sur la base d'un cahier de charges défini par l'Etat, élabore un « guide de
participation » dans lequel sont décrits le processus de création de l’ASUREP, les différentes
instances qui la composent et leurs différentes prérogatives. Dans ce « guide de participation »
écrit en français, les fonctions des membres du comité administratif et du comité exécutif sont
illustrées par des images pour faciliter la compréhension de ceux qui ne lisent pas le français.

Ainsi, la mission du GERAD, consiste à expliquer aux populations les enjeux de la


réforme, le mode d'organisation et de fonctionnement de l’ASUREP. Elle consiste aussi à
assister les populations dans la mise en place du bureau de l’ASUREP suivant le cadre décrit
par l’Etat. Une fois le bureau déterminé par les populations lors d’une assemblée générale, le
GERAD doit former les membres. Pour accomplir cette mission, le GERAD recrute des
« animateurs » encore appelés « experts en organisation »115.

L’origine géographique des « experts en organisation » et sa capacité à parler la langue


locale, font partie des critères de recrutement :

« Le GERAD voulait des animateurs qui connaissent ces localités, qui parlent les
langues de ces populations. Et donc dans chaque zone, il y avait un animateur

115
Dans la fiche de description du projet du Gorom Lampsar, le GERAD parle des animateurs en termes
d’experts en organisation des populations. D’autres auteurs parlent de « professionnels de la participation » pour
désigner les « administrateurs de la participation » (cabinets d’études, chercheurs et ONG chargés de mettre en
pratiques les processus de participation), voir à ce sujet Mazeaud A., 2012, « Administrer la participation :
l’invention d’un métier entre valorisation du militantisme et professionnalisation de la démocratie locale »,
QUADERNI, N° 79, p.46-56 ; Bonaccorsi J., Nonjon M., 2012, « La participation en Kit : l’horizon funèbre de
l’idéal participatif », QUADERNI, N° 79, p.29-42
Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
172
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

qui connaît bien le terroir. Il voulait (GERAD) des gens qui connaissent les
localités, des gens qui puissent être acceptés par les populations »116.

Le choix des « experts en organisation » est généralement fondée sur l’hypothèse


suivante : s’ils parlent la langue locale, ils ont plus de facilité à mobiliser les populations et à
échanger avec elles parce qu’ils les connaissent.

Or, cette hypothèse ne se vérifie pas toujours sur le terrain. Les entretiens
réalisés avec des villageois montrent, au contraire, que la proximité géographique, le fait
que les populations connaissent l’ « expert en organisation » peut être un facteur de
démobilisation. En d’autres termes, la connaissance de la langue locale et le fait d’habiter
dans le village n’est pas un critère suffisant pour mobiliser les populations, ceci pour deux
raisons :

Dans un premier temps, connaître l’ « expert en organisation » pour les villageois peut
être un obstacle pour participer à un débat. Pour eux, cette connaissance est parfois une
contrainte pour dire la « vérité en face ». Dans le milieu rural où les rapports entre les
personnes sont encore fondés sur le respect et le refus d’être en conflit ouvert avec les
personnes avec qui on partage des liens de parenté, la meilleure façon de montrer qu’on n’est
pas satisfait de la manière dont les choses fonctionnent, c’est de ne pas aller dans les espaces
de débat relatifs à ce fonctionnement. Ainsi les villageois, convaincus qu’ils ne pourront pas
contredire ou exprimer leurs désaccords devant l’ « expert en organisation », ne vont pas dans
les réunions convoquées par ce dernier :

« Ici personne n’est prophète chez soi. Quand tu nais dans le village, tu grandis
ici, tu étudies avec tout le monde, quand tu y viens sensibiliser les populations
viennent rarement quand tu les convoques. Mais si tu es de l’extérieur, ils peuvent
venir t’écouter, ils savent que quand ils ne sont pas d’accords avec toi, ils te le
disent sans problème »117.

Le fait que l’ « expert en organisation » soit étranger au village peut favoriser


l’expression des points de vue sans complaisance. Quand ce dernier n’y est pas connu, les
participants à la réunion expriment sans contraintes leurs désaccords.
116
Animateur, entretien, octobre, 2012
117
M. S. entretien, juillet 2012.
Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
173
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

Ainsi, la proximité avec l’ « expert en organisation » constitue un obstacle à la


participation des villageois. De ce point de vue, l’éloignement, c’est-à-dire le fait que
l’ « expert en organisation soit étranger du village » est préférée à la proximité. Le
proche, le familier limite la prise de parole publique et l’expression des désaccords.

La création de l’ASUREP de Lampsar passe par trois phases décrites par l’Etat : la
phase relative à l’information et au recueil des avis des villageois concernés par le réseau ;
l’étape de constitution du bureau de l’ASUFOR et, enfin, la phase de formation et de suivi du
bureau mis en place.

II.2.a De l’information à l’adhésion des populations

La première mission de l’ « expert en organisation » est d’organiser une réunion


d’informer ouverte aux populations de tous les villages censés utiliser le réseau d’eau potable.
Pour accomplir sa mission, il peut passer par le chef de village. Ce dernier informe les
populations de la rencontre souhaitée par l’ « expert en organisation » via des canaux divers.
Il peut demander à l’imam, après une prière à la mosquée, de passer un communiqué relatif à
la réunion. Il peut s’appuyer aussi sur les organisations associatives pour faire passer
l’information relative à la tenue d’une réunion.

L’objectif de la réunion d’information organisée par l’ « expert en organisation » est


de faire un état des lieux de la manière dont les structures hydrauliques (puits et forages) sont
gérées dans les villages concernés, les personnes qui les gèrent et la façon dont elles ont été
choisies, les problèmes rencontrés dans cette gestion, etc. Elle permet également de préciser
les qualités et compétences souhaitées pour occuper les différentes fonctions ainsi que le rôle
de chaque membre du bureau de l'ASUREP. Le ou la président(e) de l'association doit
pouvoir lire et parler le français mais surtout être disponible car c'est lui qui représente le plus
souvent l'ASUREP lors des rencontres organisées par l'Etat par exemple, et relatives à la
gestion de forages. Il est le premier interlocuteur de l'Etat et a la charge de faire les démarches
administratives de l'ASUREP (reconnaissance juridique de l'ASUREP, l’obtention d'une
licence d’exploitation, la signature des documents contractuels etc.) De la même façon, le ou

Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
174
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

la trésorier (e) chargé (e) de la gestion des rentrées et des sorties des recettes de l'ASUREP
doit avoir un certain niveau d'études.

A partir de cette réunion d’information, l’ « expert en organisation » établit un compte


rendu supposé faciliter la prise en compte des préoccupations des bénéficiaires de l’ASUREP.

« Avant l’implantation de l’ASUREP, il y avait une phase d’information pour que


les gens comprennent le fonctionnement et le déroulement de l’ASUREP au fur et
à mesure de l’avancement des travaux. Cette information portait aussi sur les
enjeux d’une eau de qualité, les maladies causées par l’utilisation des eaux de
surface non traitées, les problèmes de fonctionnement rencontrés dans les
structures collectives du village».118

Il faut préciser, cependant, la faible présence des villageois à cette réunion


d’information. Celles qui sont présentes sont généralement les autorités locales (notables,
chefs de village, présidents de la communauté rurale). Les populations ne participent pas à la
réunion parce que, dans un premier temps, elles n’ont pas été informées et n’y sont pas
invitées. L’ « expert en organisation » cible les représentants des populations déjà organisées
(associations, groupement de femmes, associations paysannes) au détriment des populations
elles-mêmes. Ceci justifie d’ailleurs la présence importante de femmes dans ce type de
réunion parce qu’elles sont organisées en association.

Une autre raison qui explique la faible présence des populations à cette réunion est le
manque de crédibilité qu’elles accordent à ces « experts en organisations » :

« Ici les gens viennent toujours te poser des questions, ils font des réunions mais
après tu ne les vois plus. S’ils ont ce qu’ils cherchent tu ne les vois plus. Ils
viennent pour leurs intérêts, ils nous fatiguent, ils font des enquêtes mais c’est
pour leurs intérêts. On voit tout le temps des gens qui nous demandent ce qui nous
manque, mais ils ne reviennent pas. Maintenant quand ils convoquent une
réunion, si tu as des choses à faire, tu n’y vas pas parce qu’ils racontent toujours
les mêmes choses »119.

118
Membre bureau exécutif de l’ASUREP de Lampsar, entretien, mai, 2011
119
Habitant de Ndialam, entretien, juillet 2012
Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
175
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

L’ « expert en organisation » est perçu comme une personne qui ne travaille que pour
son intérêt et l’intérêt de son employeur (ONG, cabinets d’études). A force de sensibiliser sur
des projets qui ne se réalisent pas, à force de susciter des espoirs déçus, l’« expert en
organisation » est moins écouté par les populations. Celles-ci se déplacent de moins en moins
pour assister aux réunions. Dans ce cas, quel que soit l’enjeu du projet, accès à l’eau potable,
par exemple, les populations ne participent pas aux réunions.

L’absence des populations s’explique également par des tensions internes dans le
village. Dans le village de Lampsar deux tendances existent. Il y a, d’un côté, le chef de
village et ceux qui sont favorables à son maintien en tant que chef de village. De l’autre, il y a
ses opposants qui ne souhaitent plus que la même famille soit la seule à diriger le village.
Dans ce contexte une réunion convoquée par le chef de village est généralement boycottée par
ses opposants. De la même manière, une réunion convoquée par un adversaire du chef de
village sera désertée par les partisans de ce dernier. Les clivages politiques existants dans le
village ont des conséquences sur la participation des populations à une réunion.

L’ « expert en organisation » a pour mission aussi de susciter une contribution


financière des populations appelée « adhésion au projet ». Tous les habitants des villages y
compris les plus jeunes doivent contribuer. Cette contribution est fixée à 100F CFA par
personne. Chaque famille, en fonction de ses membres, doit contribuer financièrement à la
réalisation du projet. Selon les autorités, l’acceptation de cette contribution financière
symbolise l’engagement et la volonté des populations à disposer d’un réseau d’eau potable.
Elle est censée donner également aux populations le droit d’accès au réseau. Ainsi, les
personnes à jour de leur cotisation ont le droit d’utiliser le réseau d’eau potable. De plus, la
contribution donne le droit à la parole pendant les assemblées générales. Une personne du
village qui refuse de donner sa contribution financière, peut être privée de parole, en théorie,
pendant les assemblées générales. Ainsi, les 100F CFA demandés aux populations sont censés
leur donner un droit à la parole et un droit d’usage. Dans cette perspective, le rôle de
l’ « expert en organisation » est aussi d’expliquer les enjeux de cette contribution et d’inciter
toutes les populations du village à s’en acquitter. Dans les faits, il a été demandé à toutes les
familles potentiellement bénéficiaires du projet de cotiser. Or dans le tracé du réseau d’eau
potable de Lampsar réalisé par la Sénégalaise de Voirie de Travaux Publics et de Génie Civil

Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
176
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

(SVTP/GC)120, certaines maisons n’étaient pas raccordables au réseau. Par conséquent, leurs
habitants ne devaient pas cotiser parce que seuls ceux supposés bénéficier du réseau devaient
s’en acquitter. Malgré tout, ils vont donner leur cotisation, ce qui va être source de problèmes
quand la phase de réalisation des bornes-fontaines va démarrer. Certaines familles qui ont
cotisé vont exiger d’avoir des bornes-fontaines chez elles « comme tout le monde » parce
qu’elles ont cotisé « comme tout le monde » :

« Nous n’avons pas de bornes-fontaines alors que tout le monde ici a adhéré
(cotisé), même les bébés ont cotisé, nous devons tous être égaux, on a tous cotisé.
On a mis tout à Lampsar centre, pourtant on a demandé à tous les membres de
nos familles, y compris les nouveaux nés, de cotiser. Moi j’attends l’assemblée
générale, soit on nous rembourse soit on nous donne des bornes-fontaines »121.

La couverture réelle du réseau d’eau potable de Lampsar n’inclut pas toutes les
familles qui ont cotisé au départ. Ceci fait dire à un membre du bureau de l’ASUREP que
« l’Etat nous a délégué des problèmes en nous déléguant la gestion des réseaux d’eau
potable, il a demandé à tous les villages de cotiser alors qu’il savait que certains d’entre eux
ne pouvaient pas être raccordés au réseau».

Précisons, cependant, que les membres de l’ASUREP avaient aussi un intérêt à


recueillir le maximum de cotisations de la part des populations. Ces cotisations étaient
destinées à assurer les premières dépenses de l’ASUREP (déplacement des membres pour les
réunions, leur restauration, impression de documents, fond de caisse de l’ASUREP). Ainsi,
c’était plus aisé pour l’ASUREP d’avoir un nombre important de personnes ayant cotisé. Ce
problème lié aux cotisations va être au centre des débats pendant l’assemblée générale
annuelle de l’ASUREP.

II.2.b La constitution du bureau de l’ASUREP par le GERAD

Le bureau de l’ASUREP représente toutes les catégories socio-professionnelles des


villages bénéficiaires du réseau d’eau potable. Pour chaque village, par exemple, il faut des

120
SVTP/GC était maître d’ouvrage dans le projet Gorom Lampsar
121
Habitant village de Lampsar Peulh, Entretien, Septembre, 2012
Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
177
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

représentants. Un village qui a une borne-fontaine doit avoir un délégué dans le bureau de
l’ASUREP. Cependant, c'est à chaque catégorie socio-professionnelle, à chaque village de
décider de ses représentants au sein de l'ASUREP. Le nombre de représentants correspond au
nombre de bornes-fontaines dont disposent le village. Ainsi, chacun des trois villages
connectés au réseau du forage nomme des représentants qui doivent correspondre au nombre
de bornes-fontaines dont il dispose :

« En fait, c’est le GERAD qui décline les grandes orientations et qui dit : il y aura
tant de représentants d’éleveurs, tant de représentants de pêcheurs, tant de
représentants d’agriculteurs, etc. Mais le choix des personnes dépend des
populations. Les agriculteurs se réunissent entre eux et choisissent leurs
représentants, chaque entité choisit ses représentants »122.

Nos enquêtes de terrain dans le village de Lampsar Peulh123 ont démontré que le choix
des délégués est parfois fait sans débat. Certains d’entre eux sont désignés sans que les
populations qu’ils sont censées représenter soient au courant. Ce sont les premiers
intermédiaires de l’ « expert en organisation » dans le village, c’est-à-dire le chef de village et
sa famille qui influencent le choix des délégués. Ils proposent à certains le poste de délégué
du village et les populations découvrent ce délégué lors de l’assemblée générale, sans aucun
débat :

« C.S, m’a appelé un jour pour me dire qu’il y a un projet d’eau et S, voulait un
délégué pour le village. C.S m’a proposé d’être le délégué et j’ai accepté »124.

Ces propos attestent, d’une certaine façon, le manque d’implication des populations
dans le choix de leurs délégués. Ce manque d’implication a été confirmé par les propos de
C.S (éleveur à Lampsar Peulh) lors de l’assemblée générale de l’ASUREP de Lampsar en
septembre 2012. Prenant la parole pour dénoncer l’augmentation des tarifs de la borne-
fontaine de Lampsar Peulh, C.S s’adresse en ces termes au délégué qu’il a lui-même choisi
sans débat avec les autres villageois :
122
Membre du comité exécutif de l’ASUREP Lampsar, entretien, avril, 2011
123
Précision que le village de Lampsar Peulh est constitué en majorité d’éleveurs. Leurs habitations sont
éloignées les unes des autres. Or dans la mise en place des bornes-fontaines par l’Etat, les zones assez fortement
habitées sont favorisées afin que la borne-fontaine soit rentable. Une zone qui concerne 10 maisons sera
privilégiée à celle qui concentre 5 maisons, par exemple. Ceci explique que certaines populations éloignées du
centre du village font des kilomètres pour venir s’approvisionner à la borne-fontaine.
124
Délégué village Lampsar Peulh, entretien, Août 2012.
Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
178
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

« S.S. tu n’es pas le propriétaire de la borne-fontaine. C’est moi qui t’ai choisi
comme délégué, avant de prendre une décision sur les tarifs tu devais me
consulter».

Dans d’autres cas, le choix de délégué ressemble plus à une récompense que les
anciens du village veulent faire à un des leurs qui a beaucoup fait pour le village quand il
vivait encore en ville. En effet, la personne qui est présentée par les anciens du village comme
délégué vivait à Dakar, la capitale sénégalaise, depuis plus de 20 ans. Fonctionnaire de l’état,
il participait financièrement à la dynamique du village. Pendant les manifestations religieuses
ou les tournois de football (navétanes), sa contribution financière était toujours effective. Il
était également connu pour ses soutiens pendant les cérémonies de mariage, de baptême et
décès. Le fonctionnaire, de retour au village après sa retraite, méritait selon les anciens une
récompense après les nombreux services rendus dans le village. Ainsi, le poste de délégué lui
a été attribué par ces anciens du village.

« Même notre délégué du village, quand il était nommé, il n’était pas là. Parce
qu’il venait de rentrer au village, et comme il était à la retraite on lui a donné le
poste. C’est comme un partage, lui-même n’était pas candidat, les gens sont
nommés sans discussion »125.

Dans certains cas, cependant, le choix du délégué a fait l’objet de discussion. Dans le
village de Lampsar centre, des membres de l’association « widoum » se sont réunis avant
l’assemblée générale pour déterminer, au sein de leur association, les candidats à présenter le
jour de l’assemblée constitutive.

Les différents délégués doivent présenter leur candidature à main levée. Pour chaque
poste, les candidats lèvent la main pour manifester leur intérêt par rapport au poste. Dans le
cas où plusieurs candidats se manifestent, les participants procèdent à un vote à main levée.
Cependant, ce mode de désignation pose problème dans le village. Le premier candidat à
lever la main est généralement celui qui est désigné. Une seconde main pour présenter une
nouvelle candidature peut être perçue par les participants comme le signe manifeste d’un
conflit entre les deux candidats. Dans la pratique, celui qui sera désigné n’est pas celui qui

125
D.S, entretien, juillet 2012
Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
179
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

obtient l’accord majoritaire de l’assemblée. Il est désigné parce qu’il est le premier à lever la
main :

« L’expert en organisation dit que celui qui veut être secrétaire général lève la
main. Moi je voulais postuler, mais il y avait un autre gars qui habite à Ndialam,
il avait levé la main le premier. Je lui ai dit non, vas-y, c’est pareil. Il m’a dit,
non, non, vas-y. Il a pris finalement le poste, je l’ai laissé candidater seul parce
que je ne voulais pas qu’il prenne mal ma candidature ».

La concurrence, la compétition entre candidats, même si elle est théoriquement


possible, n’existe pas en réalité. Le premier à lever la main sera élu. Dans ce cas, le vote
à main levée a plus d’inconvénients que d’avantages.

Lors de la constitution du bureau de l’ASUREP, la présence des représentants de l’Etat


au niveau local (le Préfet, la brigade des puits et forages, le service régional de l’hydraulique
rurale) et du président de la communauté rurale est obligatoire. Cependant, ces derniers ne
doivent pas prendre part à l’élection du bureau ni influencer le choix des populations. Les
représentants des différents villages constituent le comité directeur de l’ASUREP. Ce comité
nomme en son sein un comité exécutif.

A l'issue de cette assemblée tenue le 17 juillet 2006, l'ASUREP de Lampsar a été


constituée avec un comité directeur de 23 personnes qui a désigné en son sein un comité
exécutif de 9 personnes (cf. annexe 2).

II.2.c La formation des membres du bureau de l’ASUREP par le GERAD

La dernière étape dans la création de l'ASUREP consiste à former des membres du


comité directeur et du comité exécutif. Dans la réalité, seul le comité exécutif a été formé.
Cette formation est assurée par le GERAD. Elle consiste à expliquer aux différents membres
leur rôle, à leur apprendre l'usage des outils administratifs pour mieux exercer leur mission
(fiche de paie, carnet de dépense, fiche de décompte des bornes-fontaines etc.) Il s'agit
d'expliquer, par exemple, comment remplir les fiches d’enregistrement de la vente de l’eau,
les carnets de pompage du conducteur, comment faire un contrat de travail, comment faire un

Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
180
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

bon de caisse etc. Cette formation est réalisée à partir d’images géantes et des annexes
fournis dans des supports pédagogiques élaborés à cet effet par le GERAD. Pour le bureau
exécutif, par exemple, les attributions de chaque membre (le président, le trésorier, le
secrétaire général, le surveillant et l’opérateur) sont présentées en image pour interpeler
chaque membre sur son rôle ainsi que les outils qu’il doit utiliser pour accomplir sa mission.
Trois séances de formation vont être réalisées par le GERAD.

La première séance de formation porte sur l’organisation et le fonctionnement de


l’ASUREP. Dans cette séance, il est question d’expliquer les objectifs généraux de
l’ASUREP, de faire comprendre le sens de l’assemblée générale, de décliner la composition
du comité directeur et du comité exécutif et le rôle de chacun de ses membres. L’ASUREP a
l’obligation de convoquer une assemblée générale chaque année. Cette assemblée générale est
l’occasion pour le bureau de l’ASUREP de faire le bilan d’une année de fonctionnement
(gestion des points d’eau, dépenses d’exploitation etc.) Elle permet également de donner la
parole à la population pour qu’elle donne son avis sur le fonctionnement de l’ASUREP, sur la
gestion des bornes-fontaines, sur le prix de l’eau.

La seconde séance de formation porte sur les mécanismes de contrôle et de partage de


l’information relative à la gestion du forage et au fonctionnement de l’ASUREP. Il s’agit dans
cette seconde phase de mettre l’accent sur le contrôle financier des comptes de l’ASUREP,
sur la nécessité pour le comité directeur et le bureau exécutif de tenir des réunions mensuelles
avec la production de rapports d’activités pour chaque réunion. Il est aussi question de revenir
sur la nécessité de convoquer l’assemblée générale pour « garantir une bonne circulation et
une gestion transparente de l’information, et mettre tout le monde au même niveau
d’information 126».

La troisième séance de formation concerne les outils de gestion : fiches


d’enregistrement des ventes de l’eau, bons de caisse, factures d’eau, contrats de travail etc.
L’objectif de cette dernière séance est de doter les participants d’outils nécessaires à la gestion
de l’ASUREP afin de matérialiser toutes les opérations financières de l’association. La
justification de toutes les opérations avec preuves écrites à l’appui devient une obligation.

126
République du Sénégal, Projet d’adduction en eau potable des localités de la zone de Gorom Lampsar, guide
de formation des associations d’usagers de forages, janvier 2006, 29 p.
Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
181
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

Ces différentes formations ont été réalisées au début des travaux de construction de la
station de traitement d’eau en 2006, elles concernaient les membres du comité exécutif.
Cependant, les opérateurs et les fontainiers chargés respectivement de la potabilisation de
l’eau et de la vente de l’eau au détail ne sont pas formés par le GERAD. L’opérateur gère le
fonctionnement technique du forage. Il se charge du processus de traitement de l’eau. Le
pompage de l’eau brute, la décantation de cette eau et sa potabilisation par le chlore, le sulfate
et l’eau de javel est du ressort de l’opérateur. Ainsi, du pompage de l’eau brute jusqu’à sa
distribution dans le réseau, l’opérateur est présent. Vu l’enjeu sanitaire de l’eau, la formation
de l’opérateur est en réalité d’une importance capitale parce que la vie des consommateurs,
leur santé est entre ses mains. La mauvaise qualité de l’eau, un excès de chlore, par exemple,
peut engendrer des conséquences néfastes sur la santé des consommateurs.

Le cas s’est produit à Lampsar au début du mois de juillet 2011. L’opérateur ayant
constaté que l’eau brute pompée du lac avait une odeur nauséabonde, avait décidé, sans unité
de mesure appropriée, d’augmenter le taux de chlore, de sulfate et de javel habituellement
utilisé pour la potabilisation. L’excès de ces produits chimiques a entraîné des cas de
diarrhées dans le village :

« L’eau avait une odeur forte de javel, certains disaient qu’ils ont eu de la
diarrhée. Moi je suis allé dans les maisons m’excuser, Dieu merci, il n y a pas eu
de cas très graves. Le bureau ne veut pas comprendre les risques que je prends, je
peux aller en prison pour ça. Je le dis à B.S. tout le temps, mais ici le bureau ne
veut pas dépenser de l’argent pour notre formation »127.

L’opérateur ne dispose pas de matériel adéquat pour mesurer le chlore, le sulfate et


l’eau de javel, il ne fait que des estimations, ce qui augmente les risques sanitaires chez les
consommateurs.

Les fontainières en charge de la vente de l’eau à la borne-fonataine n’ont pas reçu non
plus de formation pour pouvoir gérer les problèmes auxquels ils sont confrontés à la borne-
fontaine. A Lampsar, tous les gérants des bornes-fontaines sont des femmes, donc des
fontainières. Il faut préciser que dans les villages, ce sont généralement les femmes qui
s’occupent de tout ce qui est lié à l’eau de consommation, et particulièrement le transport de

127
Opérateur Lampsar, entretien, septembre 2012.
Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
182
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

l’eau à la maison. Les fontainières jouent un rôle déterminant dans le processus de distribution
de l’eau. Elles vendent l’eau à la borne-fontaine et par conséquent sont en contact direct avec
les autres femmes usagères. Elles doivent gérer parfois les humeurs des utilisateurs et les
conflits entre usagers liés notamment au non-respect de l’ordre de passage. Le premier arrivé
doit être le premier servi. Certaines femmes ne respectent pas l’ordre de passage, ce qui
engendre des conflits fréquents entre usagers. Le rôle de la fontainière est aussi d’éviter ces
conflits. Elle joue également un rôle essentiel dans la qualité de l’eau distribuée aux
consommateurs. L’environnement de la borne-fontaine doit être propre pour éviter la
contamination de l’eau pendant la distribution.

Dans le processus de mise en place de l'ASUREP, l'Etat et le GERAD ont joué un rôle
déterminant dans la forme et les orientations que doivent prendre l’ASUREP. Ceci peut à
première vue susciter des interrogations quant à l'autonomie de ces ASUREP vis-à-vis de
l'Etat. Mais qu’en est-il de son fonctionnement au quotidien ? L'ASUREP améliore-t-elle les
conditions d’accès à l’eau potable ? Favorise-t-elle la démocratisation de la gestion des
réseaux d’eau potable ?

III. Des conditions d’accès à l’eau potable améliorées avec l’ASUREP

Les populations des villages qui constituent le réseau d’eau potable de l’ASUFOR de
Lampsar ont été confrontées pendant longtemps aux problèmes d’accès à l’eau potable. Le
potentiel en eau douce y est important, mais la qualité de cette eau n’est pas bonne. Le contact
avec les eaux de surface du Gorom Lampsar renforce le risque d’augmentation des maladies
liées à la consommation d’eau propre (diarrhée, bilharziose, paludisme. Dans ces conditions,
certaines populations payaient l’eau potable très chère (jusqu’à 50F CFA le bidon de 20 litres)
avant l’arrivée de l’ASUREP. D’autres faisaient des kilomètres pour trouver un puits avec de
l’eau douce sans être sûres de sa qualité de cette eau. Les propos d’une femme de Lampsar
Peul décrivent bien les conditions difficiles d’accès à l’eau potable avant l’arrivée de
l’ASUREP :

« On avait une énorme difficulté pour avoir de l’eau potable. C’était un camion
qui allait s’approvisionner à Diama et venait nous vendre l’eau. On a acheté ici

Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
183
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

un bidon à 100 F CFA parce qu’il n’y’avait pas d’eau. On buvait cette eau, et
c’est le père de famille ou l’étranger qui avait droit à la douche avec cette eau.
Les enfants ne pouvaient pas se permettre de faire la douche avec cette eau. Dès
fois, à la fin des repas, les gens avaient leurs petites carafes (sorte de cruche en
plastique) et faisaient le tour des maisons pour demander un peu d’eau à boire
parce qu’ils n’y avaient rien à boire après les repas »128.

Avec la mise en place de l’ASUREP, la situation d’accès à l’eau des villages


connectés au réseau s’est améliorée comme l’illustre le tableau ci-dessous.

Villages connectés Nombre de bornes-fontaines publiques Nombre de bornes-fontaines privées

Lampsar centre 10 16

Lampsar Peulh 1 0

Ndialam 2 0

Total réseau 13 16

Figure 16: Réseau d’eau potable de l’ASUREP de Lampsar. Source : ASUREP de Lampsar

Le réseau d’eau de l’ASUREP compte 13 bornes-fontaines publiques et 16


branchements privés. La borne-fontaine est un point d’eau potable public et l’eau y est vendue
au détail en fonction des besoins et des moyens de l’usager. Ce dernier peut acheter un seau
d’eau, une baignoire, un bidon etc. La vente de l’eau au détail a pour objectif de répondre aux
besoins quotidiens en eau des populations sans que ces dernières aient à payer des factures
mensuelles qui peuvent être un problème surtout pour une population à revenus faibles. Le
service d’eau a démarré au niveau des bornes-fontaines en mai 2011.

Les branchements privés ont débuté fin mai 2012 avec un seul branchement. En juillet,
le nombre de branchements privés passe à 11 pour atteindre 16 en septembre 2012. Les
branchements privés sont des robinets privés installés dans les maisons et raccordées aux
réseaux de l’ASUREP. Pour bénéficier de ces branchements, l’usager doit faire une demande

128
F. F, habitant Lampsar Peulh, entretien, septembre 2012
Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
184
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

écrite adressée au comité exécutif de l’ASUREP et verser une somme d’argent de 65000 F
CFA (100 euros). Les 60000 F CFA couvrent les frais liés au branchement sur le réseau
(main-d’œuvre, achat matériel, plomberie etc.). Les 5000 F CFA restants sont déposés dans le
compte de l’ASUREP. Cependant, les membres du comité exécutif et du comité directeur ont
des tarifs avantageux concernant le branchement privé. Ils paient leur branchement à 55000 F
CFA. L’information relative à cet avantage accordé aux membres du bureau reste interne au
bureau de l’ASUREP, les populations n’en ont pas connaissance. Pour le président de
l’ASUFOR, cette réduction s’explique par le fait que les membres du bureau travaillent pour
l’association d’usagers alors que leurs indemnités ne sont pas à la hauteur des tâches qu’ils
accomplissent (20000 F CFA le mois, pour le président de l’ASUREP, le secrétaire général et
le surveillant chacun ; 7500 F CFA mensuel, pour les autres membres du bureau exécutif et
ceux du comité directeur).

Avec l’ASUREP, la consommation d’eau potable des populations, par jour, a atteint
10 litres129. Si cette consommation de 10 litres par jour est une amélioration par rapport aux
difficultés d’accès à l’eau potable connues par les populations avant l’arrivée des ASUREP,
elle reste très faible par rapport à la consommation « raisonnable » par jour recommandée par
l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) qui est de 20 litres par jours130. La faible
consommation d’eau potable par les populations n’est pas propre à l’ASUREP de Lampsar.
Les autres ASUREP de l’axe Gorom Lampsar connaissent le même problème. Malgré la
présence des bornes-fontaines les populations ne consomment pas suffisamment l’eau potable.

Dans le village de Lampsar, l’amélioration des conditions d’accès à l’eau potable est
notable depuis l’arrivée de l’ASUREP. Cependant, les désaccords portant sur la gestion des
bornes-fontaines et certains aspects culturels limitent l’utilisation des bornes-fontaines.

Pour certaines populations dans le village et particulièrement les plus âgées, l’eau de
puits est préférable à l’eau de la borne-fontaine. Pour elles, l’eau de puits est source de
« pouvoir mystique ». Cette perception de « l’eau naturelle » c’est-à-dire l’eau de pluie, l’eau
des puits, l’eau des mares et des marigots peut limiter la consommation de l’eau potable des

129
ASUREP Lampsar, bilan financier, op.cit.
130
Selon l’OMS, les populations sont considérées comme bénéficiant d'un accès "raisonnable" à l’eau si elles
disposent sur place d'une ou plusieurs bornes-fontaines, d'un puits ou d'un forage à motricité humaine, ainsi que
toutes les localités situées à moins de 1 km. La quantité normale d'eau potable représente au minimum 20 litres
d'eau par habitant et par jour.
Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
185
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

bornes-fontaines. Les travaux de Fay, Ndiaye, Tal-Dia, (2011) ont déjà montré le lien entre
les croyances traditionnelles et la consommation d’eau potable. En effet, dans leur étude sur
les populations du village de Ngohé (département de Diourbel, cf. annexe 6)) les auteurs
considèrent que certaines populations perçoivent l’eau des robinets comme une eau ayant
perdu sa « pureté naturelle » parce qu’elle est traitée par des substances non naturelles
comme le chlore. Pour cette raison, elles préfèrent l’eau des puits à l’eau du robinet.

Ainsi, dans le village de Lampsar, des personnes âgées considèrent que « l’eau
naturelle » (puits, marigot, lac etc.) a des « vertus ». L’eau naturelle des puits, par exemple, a
un pouvoir de purification. Les « bains de purification » sont toujours faits avec de l’eau de
puits ou de l’eau du marigot parce que cette eau est considérée comme symbole de la
puissance et de la purification. En d’autres termes, pour ces populations, l’eau des bornes-
fontaines est « impure » et celles des puits, du lac et de la pluie sont « pures ». D’ailleurs la
tradition dans le village de Lampsar veut que les populations fassent des bains avec l’eau du
Gorom Lampsar au moins une fois dans le mois « pour purifier leur corps ». Le fait que l’eau
du Gorom Lampsar soit considérée par certains comme une eau qui « nettoie le corps »
semble paradoxal surtout quand le contact avec l’eau du lac favorise la bilharziose, première
cause de mortalité des plus jeunes dans le village de Lampsar.

Il est aussi recommandé de boire de l’eau de puits souvent ou de se doucher avec.


L’eau de puits a également cette vertu de purification. Et malgré la présence des bornes-
fontaines censées produire une eau de qualité, certaines personnes disent consommer
volontairement l’eau des puits :

« Moi, je bois l’eau du puits parce qu’elle a un goût meilleur. Elle est meilleure
pour la santé aussi. Nos parents ont toujours bu cette eau sans avoir des
problèmes. Pourquoi on nous raconte aujourd’hui que c’est une mauvaise eau ?
Tu sais les gens qui font les bains de purification, ils utilisent jamais l’eau de
robinet, ils vont utiliser l’eau de puits ou celle du lac. Quand tu vas entrer dans le
village, tu vas voir que beaucoup de gens se douchent avec l’eau du lac ou celle
du puits parce qu’elle protège mieux et renforce les pouvoirs mystérieux. Même
les animaux se méfient des puits parce qu’ils symbolisent ce pouvoir mystérieux ;
l’eau de puits repousse le mal. Traditionnellement les détenteurs de savoir

Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
186
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

traditionnel ne se douchaient pas avec l’eau de robinet, celle-ci détruit le pouvoir


mystique»131.

Paradoxalement l’eau des bornes-fontaines, synonyme de bonne santé des populations


qui l’a consomment est perçue par certaines personnes comme étant impure et destructrice.
De la même manière, la qualité de l’eau potable est parfois remise en question parce qu’elle
est blanchâtre ou parce qu’elle sent de l’eau de javel. Les populations n’ont pas parfois les
mêmes critères d’évaluation de la qualité de l’eau. Pour certaines d’entre elles, l’eau de
qualité c’est une eau douce, sans couleur, ni odeur. Or l’eau de la borne-fontaine est moins
douce que l’eau de puits dans le village (moins de goût salé), sa couleur peut être aussi plus
ou moins blanchâtre, l’odeur plus ou moins forte en fonction du dosage des produits de
potabilisation (chlore, sulfate, eau de javel). Quand le sulfate est mal dosé, l’eau du robinet
peut avoir une couleur plutôt blanchâtre. De la même manière quand la quantité d’eau de javel
est mal estimée cela peut avoir des conséquences sur l’odeur de l’eau. Et le risque que l’eau
devienne blanchâtre, ait une odeur est d’autant plus grand que la formation des opérateurs,
chargées du traitement de l’eau, n’est pas toujours assurée. Les opérateurs ne disposent pas
non plus de testeur de chlore. Sur l’ensemble des ASUREP situés sur l’axe hydraulique
Gorom Lampsar, seul l’ASUREP de Ross Béthio dispose d’un testeur de chlore. Ainsi, quand
l’eau devient blanchâtre et a une odeur, les populations la perçoivent comme une eau de
mauvaise qualité. Dans ce cas, c’est l’eau de puits qu’elles préfèrent boire parce qu’elle est
plus douce et inodore. Dans le village de Lampsar, certaines personnes n’ont pas utilisé l’eau
des bornes-fontaines parce qu’elle était plutôt blanchâtre. Une rumeur portant sur la mauvaise
qualité de l’eau liée à sa blancheur a favorisé une hésitation des populations à utiliser les
bornes-fontaines.

La mise en place de l’ASUREP a amélioré la situation d’accès à l’eau potable dans le


village de Lampsar. Malgré ces changements, des problèmes d’ordres démocratiques existent.
Ils sont relatifs à la définition des horaires d’ouverture des bornes-fontaines, aux tarifs de
l’eau et aux unités de mesure appliquées par les fontainières.

131
D.S, entretien, op.cit
Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
187
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

IV. Une gestion des ASUREP contestée par les populations

Dans cette partie, il sera question d’expliciter les raisons de la remise en cause de
l’ASUREP dans le village de Lampsar. Cette remise en cause est liée à la mise en place de
règles sans débat avec les usagers.

IV.1 Du puits à la borne-fontaine : les nouvelles règles créent des


tensions dans le village

Les fontainières sont chargées de la gestion des bornes-fontaines, de la distribution et


de la vente de l’eau aux usagers. Elles sont censées être choisies par les populations du
quartier où se trouve la borne-fontaine. Dans le cas de l’ASUREP de Lampsar, il a été, dès le
départ, difficile de trouver des fontainières volontaires. D’une part, parce que leurs indemnités
sont très faibles. La fontainière est payée 100F CFA pour chaque mètre cube d’eau vendu.
Cette paie est très faible par rapport aux salaires des ouvriers qui travaillent dans l’usine
Grand Domaine du Sénégal (GDS). En effet, l’usine GDS, à quelques kilomètres du village de
Lampsar, emploie une grande partie de la population entre septembre et juin et plus
particulièrement les femmes.

D’autre part, les conditions exigées par le bureau de l’ASUREP sont considérées par
les populations comme strictes. Par exemple, la fontainière doit verser mensuellement la
somme d’argent équivalant au volume d’eau facturé par le surveillant. En cas d’écart entre la
facture à payer et la somme versée, la fontainière doit rembourser avec son propre argent.
Dans ce contexte, l’ASUREP, faute de trouver des volontaires, est obligée de recruter des
femmes qui acceptent d’être fontainières parce qu’elles ne peuvent pas travailler à l’usine
pour des raisons de santé ou des personnes âgées plus disponibles mais illettrées. Devant
l’impossibilité de trouver des fontainières qui répondent aux critères définis par l’Etat (de
préférence savoir lire un compteur, pouvoir écrire), le bureau de l’ASUREP recrute des
femmes qui ont souvent la santé fragile et des personnes âgées. Or ces personnes ne sont pas
en mesure d’aider les usagers qui en font la demande, elles ne peuvent pas aider un usager à
porter sa baignoire ou son bidon, par exemple. Cette impossibilité des fontainières à aider les

Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
188
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

usagers est perçue souvent comme un refus, ce qui engendre, dans certains cas, des situations
de tension.

IV.1.a Les problèmes liés aux horaires d’ouverture

Dans le statut de l’ASUREP, les horaires d’ouverture et de fermeture de la borne-


fontaine doivent être définis en accord avec les usagers. Dans la pratique, ce sont les
fontainières qui les définissent en fonction de leur disponibilité.

Ces horaires d’ouverture et de fermeture dans le village varient d’un quartier à un


autre. Elles constituent la première contrainte pour les populations qui étaient habituées à
utiliser l’eau des puits accessible à tout moment. Les nouveaux horaires leur sont imposés
dans la majorité des cas par les fontainières. La mise en place d’horaires fixes constitue une
contrainte pour les usagers. Les villageois ont un temps constitué sur la base des activités
économique ; leur temps est déterminé par les activités champêtres et pas seulement par les
tours d’une horloge (ouverture de la borne-fontaine entre 8h et 11h, par exemple). Or, avec
l’ASUREP, les horaires des bornes-fontaines ne tiennent pas toujours de cette réalité.

Les villageois vont aux champs le matin avant que le soleil ne se lève. A leur retour au
village à midi la borne-fontaine est déjà fermée. Les femmes qui font le marché se retrouvent
également dans la même situation. Très tôt le matin, elles se lèvent pour aller à Saint Louis
s’approvisionner en poissons et en légumes auprès des grands commerçants. Elles ne peuvent
pas faire leur provision en eau potable le matin, et au retour du marché les bornes-fontaines
sont généralement fermées. De plus, ces horaires ne sont pas toujours respectés par les
fontainières. Ces dernières dans la plupart du temps, allient la vente de l’eau avec une seconde
activité (commerce, maraîchage). N’étant pas bien rémunérées, elles se trouvent dans
l’obligation de mener d’autres activités pour pouvoir s’en sortir. Après le paiement de sa
facture établie sur la base de son compteur, la fontainière garde ses bénéfices qui constituent
sa paie. Toutefois, il est fréquent qu’elle se retrouve avec moins de 3000F (moins de 10 euros
pour un mois de travail). Ainsi, la solution pour les fontainières consiste à mener d’autres
activités leur permettant de gagner un peu plus comme le montre cette image ci-dessous. Elle
représente une fontainière qui, en plus de la vente de l’eau au détail dont elle a la charge, vend

Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
189
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

des légumes. Cette seconde activité l’oblige à fermer parfois sa borne-fontaine le temps
d’aller au marché central de Saint Louis pour s’approvisionner auprès des fournisseurs de
légumes.

Figure 17: Une fontainière, vendeuse de légumes. Photo prise par Dione Y.

Ces doubles activités des fontainières ont des conséquences sur la régularité des heures
d’ouverture des bornes-fontaines. Celles-ci ne sont pas toujours ouvertes quand les usagers
ont besoin de s’approvisionner. Les heures d’ouverture deviennent de plus en plus aléatoires.
Nous avons pu constater les fermetures fréquentes sur le terrain. Lors de nos déplacements
Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
190
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

dans le village de Lampsar, l’une des bornes-fontaines était régulièrement fermée tous les
matins durant presque tous le mois d’août. Elle était ouverte le soir vers 16 heures, les usagers
obligés de faire leur approvisionnement en fonction de la disponibilité de la fontainière. Pour
cette dernière ces fermetures sont liées à son activité agricole pendant cette période. En effet,
les mois d’août et de septembre correspondent avec la période de récolte de riz. La
fontainière, obligée d’aller au champ, ferme le matin le robinet ou confie la gestion à ses
enfants qui ne sont pas toujours présents :

« Moi, je dis : j’ouvre de telle heure à telle heure. Ceux qui peuvent venir
s’approvisionner à cette heure viennent, ceux qui ne peuvent pas patientent
jusqu’à mon retour. Ce que je gagne avec la borne-fontaine, ce n’est suffisant. Je
ne vais pas laisser mon activité agricole pour ça. Si je peux j’ouvre, si je ne peux
pas, ils attendent »132.

La fermeture fréquente de la borne-fontaine oblige les populations du quartier à faire


plusieurs centaine de mètres pour aller chercher de l’eau ailleurs dans d’autres quartiers :

« La borne-fontaine est rarement ouverte, parfois tu veux s’approvisionner mais


la fontainière n’est pas présente. Moi j’allais la voir pour qu’elle ouvre et me
vende de l’eau, mais tu ne peux pas lui demander ça tout le temps. Normalement,
elle devait être présente à la borne-fontaine tout le temps, mais elle n’est jamais
là. Notre borne-fontaine ne marche pas »133.

Les populations supposées définir les horaires d’ouvertures et de fermetures des


bornes-fontaines sont en réalité obligées de s’organiser en fonction de la présence
relativement régulière des fontainières.

IV.1.b Des conditions de vente remises en cause

La deuxième contrainte est liée aux unités de vente de l’eau au volume mise en place
par l’ASUREP et appliquées dans la distribution de l’eau par les fontainières. L’unité de

132
Fontainière, entretien, août 2012.
133
A. B, vendeuse au marché Lampsar, entretien, septembre 2012
Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
191
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

mesure à la borne-fontaine est le litre. Ce qui est vendu à l’usager, c’est un volume d’eau,
c’est-à-dire une quantité de litres. Le nombre de litre correspond au tarif qui doit être payé par
l’usager. Ainsi le bidon de 20 litres ou la bassine (baignoire) de 25 litres est vendu à 25F CFA
à l’usager. Cette unité de mesure est différente de celle connue jusqu’alors par les
populations. Au puits, l’unité de mesure est la bassine, le seau, le baril, par exemple. Pour
une personne qui cherche de l’eau au puits, la question du nombre de litres contenus dans son
seau ou dans sa baignoire ne se pose pas. L’important pour elle est de savoir si le seau ou la
bassine est bien rempli. Dans ce contexte, une personne qui vient chercher de l’eau à la borne-
fontaine avec une bassine, quelle que soit la taille de sa bassine, elle accepte difficilement
qu’elle soit remplie à moitié si elle paie 25 F CFA. Pour les populations, quand tu paies 25F
CFA tu dois remplir la bassine et pour elles, une bassine remplie, c’est une baignoire qui
déborde :

« La fontainière dit qu’il ne faut pas remplir pleinement la bassines sinon ça


dépasse 20 litres et elle perd de l’argent. Moi je dis une bassine, c’est une
baignoire. Si je paie 25F CFA, je remplis pleinement ma bassine. Si vous allez à
Ronkh (un village voisin), les usagers remplissent pleinement leurs bassines.
Pourquoi on nous l’interdit ici ?»134.

Certaines fontainières décident toutes seules de changer d’unité de mesure sans


concertation avec les usagers. La plupart d’entre elles, au lieu d’avoir des bénéfices,
connaissent des pertes. L’argent à leur disposition ne permet pas de payer la facture qui leur
est présentée par l’ASUREP. Et dans ce cas, la fontainière doit rembourser la différence.

L’une des causes de ces pertes est le remplissage des bassines et des seaux des usagers
qui ne correspondent pas en termes de volume à la somme que l’usager paie. Une baignoire
facturée à 25F CFA, par exemple, peut contenir réellement 30 litres au lieu des 25 litres
facturés à l’usager, ce qui entraîne une perte de 5 litre pour la Fontainière. En plus, certaines
femmes viennent exprès avec des bassinees qui dépassent largement 25 litres pour ramener le
maximum d’eau à la maison tout en payant le même tarif (25 F CFA). Ces abus ont, d’une
part, occasionné des pertes d’argent pour les fontainières. Pour les éviter certaines d’entre
elles ont décidé d’appliquer une unité de mesure unique, en accord avec le surveillant qui fait
les factures, mais sans passer par l’assemblée générale, c’est-à-dire sans que la mesure soit
134
F.G, vendeuse au marché de Lampsar, entretien, septembre 2012
Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
192
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

débattue. C’est le cas de la fontainière de Lampsar Peulh qui a connu des pertes régulières. A
chaque mois, elle était obligée de compléter avec son propre argent pour payer ses factures à
l’ASUREP. Désormais elle prend comme principale unité de mesure le bidon de 20 litres
qu’elle vend à 25F CFA comme en témoigne la photo ci-dessous.

Figure 18: Le bidon de 20 litres principale unité de vente de l'eau à la borne-fontaine. Photo prise par
Dione Y.

La fontainière refuse de se référer aux seaux et aux baignoires. La seule unité de


mesure devient le bidon de 20 litres. Elle remplit le bidon de 20 litres et le verse dans la
baignoire de l’usager. Cette décision de la fontainière constitue une contrainte supplémentaire
pour les femmes qui viennent avec leur baignoire. Il arrive que les 20 litres versés dans leur
baignoire ne la remplissent pas pleinement. Dans ce cas, l’usager exige que sa baignoire soit
remplie davantage parce qu’il a payé 25F CFA. Le refus de la fontainière peut engendrer un
conflit, un boycott de sa borne-fontaine.

Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
193
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

Cette nouvelle règle désavantage les usagers qui étaient jusqu’alors habitués à la
baignoire à 25F CFA et le seau à 15F CFA. En plus, pour les parents qui n’ont pas le temps
d’aller à la borne-fontaine, les filles, jeunes parfois, sont chargées du transport de l’eau.
N’étant pas en mesure de porter des baignoires, elles prennent souvent des seaux plus légers
pour le transport de l’eau. La fontainière refuse de leur vendre de l’eau sous le prétexte qu’elle
ne vend plus de seaux. Ce refus crée des tensions, des conflits avec les parents de la jeune fille
qui admettent difficilement que la fontainière applique des règles sans les discuter au
préalable avec les villageois :

« Ce jour-là, quand ma fille est venue me dire que la fontainière n’accepte plus de
vendre des seaux, j’étais furieuse, je suis allée la voir. Elle m’a dit : je ne vends
plus de seau, si vous voulez puiser vous venez vous-même. J’étais énervée mais on
est tous des parents ici, c’est elle qui va en avoir honte à un certain moment. Moi
je peux la regarder en face, mais si elle continue comme ça, elle ne pourra plus
regarder les gens du village en face, elle sera critiquée par tout le village »135.

Les nouvelles règles de fonctionnement et les unités de mesure nouvelles font l’objet
de tension dans le village. Leurs applications nécessitent des changements de pratiques et un
nouveau mode de partage de l’eau qui ne sont pas toujours acceptés par les populations. L’eau
aussi à un prix avec l’arrivée des ASUREP. Des compteurs sont mis en place, l’eau est
vendue à un tarif censé être fixé par les populations. Paradoxalement, le prix de l’eau crée des
situations de tensions pouvant affecter le service de l’eau potable. Les populations, se rendant
compte que les villages voisins achètent l’eau moins chère, remettent en cause des prix
qu’elles avaient acceptés au départ.

IV.1.c Prix de l’eau et conflits entre les villageois et l’ASUREP

La généralisation de la gestion des réseaux d’eau potable par les associations d’usagers
à partir de 2008 est l’objectif de la réforme de 1997. Ces associations sont passées de 102 en
1997 au début de la réforme à 926 en 2012. La généralisation de ces dispositifs en milieu rural
s’accompagne aussi d’une généralisation de la vente de l’eau au volume. La potabilisation et

135
Habitante du village de Lampsar Peulh, entretien, août, 2012
Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
194
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

le service de l’eau a un coût qui est désormais supporté par les consommateurs. Ces derniers
paient désormais l’eau au volume.

Cependant, cette généralisation de la vente de l’eau n’est pas synonyme d’un tarif
unique. L’Etat a défini une grille tarifaire à ne pas dépasser, 600 F CFA pour le mètre cube à
la borne-fontaine et 300 F CFA le mètre cube pour les branchements privés. Les associations
d’usagers (ASUFOR/ASUREP) ne respectent pas cette grille tarifaire de l’Etat sous prétexte
que la prise en charge des réseaux d’eau peut varier en fonction du nombre de
consommateurs. Ainsi, toutes les associations d’usagers n’appliquent pas les mêmes tarifs.
Leur grille tarifaire varie d’une région à une autre, d’un village à un autre, d’un quartier à un
autre et parfois même d’une borne-fontaine à une autre. Ces tarifs sont rarement discutés avec
les populations en assemblée générale, ils sont fixés généralement par le comité exécutif. Les
populations apprennent les tarifs appliqués de leurs fontainières. Ils suscitent des conflits
surtout quand les villages environnant appliquent des tarifs plus bas.

Selon les membres du comité exécutif, cette différence de prix s’explique. Pour eux les
associations d’usagers qui gèrent un réseau d’eau utilisant essentiellement l’eau souterraine
sont moins chères que ceux qui utilisent l’eau de surface parce que le coût de traitement de
l’eau n’est pas le même. Pour l’association d’usagers qui utilise l’eau souterraine, les
dépenses sont liées à l’achat de gasoil ou le paiement des factures d’électricité, à l’achat de
produits de potabilisation comme l’eau de javel ; le traitement de l’eau souterraine qui serait
moins contaminée coûte moins cher. Par conséquent, l’eau est vendu moins chère aux
usagers.

Pour les ASUREP qui font usage de l’eau de surface, au contraire, le traitement de
l’eau (avec le sulfate d’aluminium, le chlore et l’eau de javel) entraîne des dépenses
supplémentaires. L’eau de surface est plus contaminée et par conséquent les dépenses pour
son traitement sont plus élevées. La répercussion de ces dépenses de traitement sur le prix de
l’eau expliquerait le fait que les ASUREP vendent l’eau plus chère. Ainsi, les problèmes
environnementaux notamment la pollution des eaux de surface engendrent une inégalité
d’accès à l’eau.

Les ASUREP situées sur l’axe hydraulique Gorom Lampsar, dont l’ASUREP de
Lampsar, appliquent également des tarifs différents. En fonction de la taille de leur réseau

Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
195
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

d’eau, du nombre de consommateurs et du nombre de branchements privés, les ASUREP


déterminent leurs prix. Celles qui desservent une population plus importante et qui ont
beaucoup de branchements privés appliquent généralement des tarifs plus bas. Ces tarifs sont
déterminés en fonction du nombre d’usagers et du contexte socioéconomique du village. Plus
les usagers sont nombreux moins le tarif de l’eau est élevé. Ainsi, pour le comité exécutif, les
villages les plus densément peuplés se retrouvent à payer l’eau moins chère que les
populations qui habitent dans les villages à densité faible. Cette différence s’explique par le
fait que dans les villages fortement peuplés, la consommation d’eau est forte et l’ASUREP a
plus de marges pour baisser les tarifs sans avoir des déficits financiers. Pour l’axe hydraulique
Gorom Lampsar, nous pouvons citer l’exemple de l’ASUREP de Mboltogne. Cet ASUREP
qui dessert une population de 6 914 habitants (25 bornes-fontaines publiques et 25
branchements privés) vend la baignoire à 15F CFA et le seau à 10F CFA. L’ASUREP de
Lampsar qui dessert une population plus faible (1782 habitants) applique des tarifs plus chers
pour couvrir ses dépenses. Elle vend la baignoire à 20F CFA et le seau 20F CFA. Les écarts
entre les tarifs appliqués par les ASUREP situées dans la même région (Saint Louis) sont
relativement importants comme le montre le tableau ci-dessous136.

136
Les tarifs appliqués par les ASUREP sont également élevés par rapport à ceux de la Sénégalais des Eaux
(SDE), notamment, les branchements sociaux. En effet, les branchements sociaux sont propres à l’usage
domestique dans des quartiers prédéfinis où les populations ont des revenus faibles. La SDE, entreprise privée
qui dessert les centres urbains, reçoit des subventions de la part de l’Etat permettant de baisser le prix de l’eau
pour ceux qui bénéficie de ces branchements sociaux. Ainsi, pour une consommation inférieure à 20 mètres
cubes, l’usager bénéficiant d’un branchement social paie le mètre cube à 193,32F CFA contre 600F le mètre
cube pour les usagers des bornes-fontaines mise en place par l’ASUREP de Lampsar, par exemple. De ce point
de vue, les tarifs appliqué aux usagers de l’eau dans le territoire national ne sont pas les mêmes. Les villageois
usagers des bornes-fontaines des ASUREP paient l’eau plus chère que les bénéficiaires des branchements
sociaux en ville.
Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
196
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

Nom Tarifs borne-fontaine publique (franc Tarifs


ASUREP CFA) branchement privé
Baignoire 25 L - bidon Seau (franc CFA)
20 L 10 L
Diama 25 F 15 F 300F/m³

Lampsar 20 F 20 F 300F/m³

Mboltogne 15 F 10 F 300F/m³

Mboubène 25 F 15 F 500F/m³

Mbakhana 25 F 15 F 300F/m³

Ndiawdoune 15 F 10 F 300F/m³

Ndiaye 15 F 10 F 300F/m³

Ross Bethio 20 F 10 F 300F/m³

Thilène 15 F 10 F 300/ m³

Figure 19: Grille tarifaire de quelques ASUREP de l’axe hydraulique Gorom Lampsar. Source :
FASUREP de Saint Louis

Pour le réseau d’eau potable de Lampsar, si les tarifs sont remis en cause, c’est surtout
parce que les villages voisins vendent l’eau moins chère. Le village de Ndiawdoune, village
voisin de Lampsar, vend les 20 litres à 15F CFA alors que l’ASUFOR de Lampsar les vend à
20F CFA. Le village de Ndiaye également applique également des tarifs moins chers, 15F
CFA les 20 litres. Les populations du village de Lampsar se trouvent dans une situation où
elles sont obligées d’acheter l’eau plus chère que les villages voisins. Ce manque
d’harmonisation incite les populations à remettre en cause les prix qu’elles avaient acceptés
au départ pour la simple raison que les villages voisins payent l’eau moins chère :

Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
197
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

« Le prix de l’eau est cher, nos parents qui habitent dans les villages voisins
paient moins cher. Au début le bureau avait justifié ce prix cher par le fait que
l’ASUREP démarrait mais qu’après les prix allait baisser ; jusqu’à présent rien
ne change. Les populations commencent à critiquer. Mais moi je ne me fatigue
pas, si j’ai 25F je vais aller à la borne-fontaine, si je n’en ai pas je vais au
puits »137.

Avec la différence des tarifs, il arrive que des familles laissent les bornes-fontaines de
leur village pour aller s’approvisionner chez le village voisin. Pendant les jours de fêtes, par
exemple (mariage, baptême) où la consommation d’eau est forte, la famille organisatrice
préfère s’approvisionner chez les villages où l’eau est moins chère pour faire des économies.
Elle utilise une charrette remplie de bidons ou de barils pour transporter l’eau comme
l’illustre cette image ci-dessous

137
F.G, entretien, op.cit.
Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
198
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

Figure 20 : La charrette, un des moyens de transport de l’eau : photo prise par Dione Y.

Dans certains villages, il arrive que deux tarifs soient appliqués. Avant l’arrivée des
ASUREP, par exemple, certains villages avaient bénéficié de bornes-fontaines financées par
des ONG. Avec les ASUREP, ces villages bénéficient de nouvelles bornes-fontaines
supplémentaires. Cependant, celles nouvellement installées coûtent plus chères. Dans ces
conditions, les villageois paient des tarifs différents selon qu’ils fréquentent les bornes-
fontaines mises en place par l’ONG ou celles installées par l’ASUREP. Cette différence de
prix est souvent incompréhensible et difficilement acceptée par les populations. Dans le
village de Ndiawdoune situé à proximité du village de Lampsar, deux bornes-fontaines sont
installées dans l’école primaire. Une borne-fontaine mise en place par une ONG (PLAN
International en 2005) et une autre mise en place par l’ASUREP. Le prix appliqué par la
borne-fontaine de l’ASUREP coûte plus cher par rapport au prix appliqué par l’ONG. De ce
fait, le directeur de l’école conseille aux élèves et au personnel de l’établissement d’utiliser
l’eau du robinet mis en place par l’ONG, celui de l’ASUREP n’est presque jamais utilisé.
Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
199
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

Pour ce qui concerne le réseau d’eau potable de Lampsar, les règles appliquées sans
débat au niveau des bornes-fontaines suscitent des actions, de la part des populations, qui ont
des effets négatifs sur le service de l’eau.

IV.2 Quand les désaccords sur le fonctionnement des bornes-fontaines


impactent le service de l’eau.

Le docteur Halfan M., directeur général de l’Organisation Mondiale de la Santé


(OMS) entre 1973 et 1988, s’exprimait en ces termes :

« Le nombre de robinet d’eau pour 1000 habitants est le meilleur indicateur de


santé que le nombre de lits d’hôpitaux »138.

Pour lui, il suffit de construire des robinets pour que les populations aient accès à
l’eau potable et par conséquent aient une meilleure santé. Ce principe selon lequel
l’augmentation des points d’eau potable peut améliorer le taux d’accès à l’eau des populations
a été le fondement de nombreux programmes d’accès à l’eau financés par des institutions
internationales (ONU, OMS, BM). Il continue d’influencer les politiques d’accès à l’eau
potable dans les pays en développement. La dimension technique et économique reste encore
déterminante au détriment des aspects démocratiques. « Tant que le robinet marche et que
l’eau coule », les questions liées à l’entente autour des règles de fonctionnement du robinet
sont reléguées au second plan. Les propos de M. T, conseiller technique du Directeur de
l’Hydraulique Rurale attestent bien cette tendance à réduire la question de l’accès à l’eau à un
problème technique et économique :

« Tout ça, c’est un problème de financement. Si vous avez des financements vous
pouvez régler le problème. Mais pour construire un forage, vous savez, ça coûte
extrêmement cher, il faut que l’Etat, les collectivités locales, les ONG, tous
participent à la recherche de fonds »139.

138
Cité par Desjeux D., 1985, « Comprendre les enjeux de la décennie de l’eau », in Les politiques de l’eau en
Afrique. Développement agricole et participation paysanne, Economica, p.168-175
139
M. T, entretien, février, 2010
Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
200
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

Or la question de l’accès à l’eau potable ne se limite pas seulement à un problème


d’adduction d’eau. Dejeux (1985) précise que le lien souvent fait par les autorités entre
l’existence d’une borne-fontaine et l’amélioration des conditions d’accès à l’eau n’est pas
toujours évident :

« Dans un ensemble de villages indiens, un projet américain avait fait installer


des robinets d’eau courante dans toutes les maisons, pensant ainsi résoudre et
supprimer la pénible tâche du portage de l’eau par les femmes. Au bout de
quelques mois, ces robinets étaient inutilisés, les femmes ayant préférées
retourner chercher de l’eau à la source, pourtant distant de centaines de mètres
du village. L’anthropologue, chargé d’élucider les causes de cet échec, a fait
ressortir après enquête que cette source jouait un rôle social important. Elle
permettait aux femmes de se retrouver et de discuter ensemble » (Dejeux, 1987,
p.160)

Dans le cas de Lampsar, c’est le manque de débats dans le choix des règles de
fonctionnement des bornes-fontaine qui est la principale cause de leur abandon. La baisse de
fréquentation des bornes-fontaines est liée à un boycott des usagers qui contestent des règles
de fonctionnement qui ne leur conviennent pas. Les populations, parce qu’elles n’approuvent
pas le mode de fonctionnement des bornes-fontaines, vont les abandonner progressivement
pour s’alimenter à partir des puits ou chez les villages voisins. Elles remettent en cause les
horaires d’ouverture et les nouvelles règles de distribution de l’eau. Certaines fontainières, par
exemple :

« Là, par exemple, on a une borne-fontaine, mais les habitants du quartier


continuent d’aller chercher de l’eau au puits. On sait que l’eau des bornes-
fontaines est meilleure, c’est moins fatiguant, si les gens quittent les bornes-
fontaines, c’est parce qu’ils y a un problème quelque part. Les habitants de notre
quartier ne viennent plus puiser de l’eau à la borne-fontaine parce que la fille est
méchante, elle ne fait pas sons travail. Dès fois le robinet reste toute la journée
sans ouvrir. Les gens vont dans d’autres quartiers ou au puits pour chercher de
l’eau, ce n’est pas normal»140.

140
M. S, entretien, août 2012
Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
201
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

Pour dénoncer les comportements d’une fontainière, les populations du quartier


décident de ne plus aller chercher de l’eau à la borne-fontaine de leur quartier, même si elle
est ouverte. Ce boycott est une manière de dénoncer les règles de distribution et le
comportement de certaines fontainières sans rentrer en conflit frontal avec elle. Cette
contestation par le retrait a des conséquences sur les indemnités perçues par la fontainière.
Cette dernière est payée en fonction des volumes d’eau qu’elle vend. Plus ils sont importants
plus ses indemnités sont en hausse. Ainsi, pour les populations, le boycott est aussi une
manière de réduire les indemnités de la fontainière :

« Les gens parlent d’elle tout le temps, certaines femmes disent qu’elles ne vont
plus là-bas, comme ça, elle perd de l’argent. C’est elle qui perd si les habitants du
quartier abandonnent sa borne-fontaine. Pendant que les autres fontainières vont
gagner plus d’argent, elle va en perdre parce qu’elle est désagréable avec tout le
monde »141.

Dans le village de Lampsar Peulh, nous pouvons constater une baisse de la


consommation d’eau des populations au mois de juillet 2012. En effet, pendant ce mois la
fontainière, en accord avec le surveillant, avait mis en place le bidon de 20 litres comme seule
unité de mesure. Elle décide de ne plus vendre de seau, ni de baignoire. L’application de cette
nouvelle mesure sans l’accord des populations a entraîné une baisse de fréquentation de la
borne-fontaine. La fontainière qui a fait un versement de 2725 F CFA en fin juillet, verse en
début septembre un montant de 1575 FCF142 ; cette baisse la consommation implique
également une baisse de ces indemnités.

L’application de nouvelles règles de distributions non approuvées par les populations


peut avoir des conséquences sur le service d’eau potable. Dans ce cas, les bornes-fontaines
sont de moins en moins fréquentées par les populations qui se rabattent sur les puits par
exemple au lieu d’exécuter des règles décidées à leur insu.

La différence de tarifs de l’eau, les unités de mesure et les horaires d’ouverture font
l’objet de désaccords. L’assemblée générale, organisée une fois par année, est supposée
favoriser le débat et l’entente autour des règles de gestion commune. De ce point l’ASUREP

141
M S, entretien, op.cit
142
ASUREP de Lampsar, 2012, Bilan financier : analyse et conseils en gestion, 7 pages
Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
202
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

serait pour les autorités étatiques un levier de démocratie en matière de gestion des réseaux
d’eau potable.

Dans la partie qui suit, nous allons montrer que l’ASUREP ne favorise pas la prise de
parole publique des villageois. L’assemblée générale qui est l’espace de débat ouvert à tous
les usagers est peu fréquentée notamment par les femmes et les jeunes.

V. Le fonctionnement de l'ASUREP : une avancée de la démocratie


locale de l'eau ?

Le fonctionnement au quotidien de l’ASUREP est assuré par deux instances : le


comité directeur et le comité exécutif. Le comité directeur est constitué vingt-trois délégués
représentant les différents villages connectés sur le réseau d’eau potable de Lampsar. Il est la
deuxième instance la plus importante de l’ASUREP car tous les villages et toutes les
catégories socioprofessionnelles y sont représentées. Le comité directeur doit théoriquement
se réunir tous les trois mois pour faire le bilan des activités de l’ASUREP, examiner les
différents rapports relatifs à la gestion de l’eau, décider des actions à mener pour le bon
fonctionnement de l’association et contrôler l’action du comité exécutif

Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
203
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

Figure 21 : Hiérarchie des instances de débats et de prises de décisions de l’ASUREP de Lampsar.


Source : ASUREP de Lampsar.

Dans la réalité, il n’a pas d’influence sur le fonctionnement de l’ASUREP.


Paradoxalement, cette instance se réuni rarement. Depuis la création de l’ASUREP de
Lampsar, le comité directeur ne s’est réuni que deux fois alors qu’il est censé se réunir tous
les trois mois. Trois raisons peuvent expliquer le manque de dynamisme du comité directeur.

Dans un premier temps, le comité exécutif associe rarement le comité directeur dans le
fonctionnement de l’ASUREP. Les membres du comité directeur ne sont presque jamais
convoqués, ils sont rarement au courant des activités du comité exécutif qu’ils sont censés
contrôler :

« Nous ne sommes pas informés des réunions de l’ASUREP. Au début le comité


exécutif nous associait, maintenant il ne nous convoque plus. Je sais qu’il
organise des réunions à la station chaque mois mais personne ne nous y invite. La
dernière fois, les autres ASUREP de la région sont venus se réunir, ici, chez le

Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
204
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

président de l’ASUREP mais il ne nous a pas invité. Si on ne t’invite pas tu ne


peux pas aller comme ça dans une réunion »143.

Le manque d’implication du comité directeur dans la gestion de l’ASUREP est


confirmé par d’autres propos tenus lors de l’assemblée générale annuelle :

« L’ASUREP, ce n’est pas seulement le comité exécutif. Vous ne devez pas


prendre des décisions comme ça sans consulter le comité directeur.
L’augmentation des salaires doit être discutée avec le comité directeur, mais
personne ne nous informe, la gestion de l’ASUFOR c’est de l’anarchie144 ».

En effet, la décision d’augmenter les indemnités de l’opérateur, en charge du


traitement de l’eau, est prise par le comité exécutif sans débat avec le comité directeur censé
contrôler le budget de fonctionnement de l’ASUREP.

Le manque de dynamisme du comité directeur peut s’expliquer également par la façon


dont une organisation associative est perçue par les villageois. Pour un certain nombre d’entre
eux, l’association c’est d’abord son président, elle doit fonctionner sur les ordres de ce dernier
et les autres instances sont souvent reléguées au second degré. Dans les organisations
associatives du village, qu’elles soient associations de paysans, groupements de promotion
féminine (GPF) ou groupements d’intérêts économiques (GIE), c’est souvent la fonction de
président qui est la plus considérée. Il existe presque une unité entre le président et
l’organisation qu’il préside. Dans le discours des populations, cette unité apparaît souvent.
Dans les rues de Lampsar, quand j’étais en compagnie du président de l’ASUREP, il était très
fréquent de voir des personnes l’interpeler de manière courtoise, sur l’argent de l’association
« Président où est notre argent ? », sur le manque d’eau « Président on n’a pas d’eau », sur le
faible débit d’un robinet « Président, notre robinet ne marche pas bien, qu’est ce qui se
passe ? ». L’organisation est assimilée à son président qui est considéré comme responsable
de tout et doit tout faire.

A ces difficultés, s’ajoutent celles liées au manque de formation des membres du


comité directeur. La mise en place du comité directeur n’est pas toujours suivie d’une
formation de ces membres, ce qui fait qu’au final, il est une coquille vide, parce que les
143
Membre du comité directeur, entretien, juin 2011.
144
Assemblée générale Lampsar, octobre 2012
Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
205
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

membres qui le constituent ne maîtrisent pas forcément les raisons pour lesquelles ils sont au
sein de cette instance.

Ainsi, le fonctionnement au quotidien revient au comité exécutif qui décide finalement


de tout (encaissement de l’argent issu de la vente de l’eau, augmentation des indemnités,
définition des tarifs pour les branchements privés) sans débat avec le comité directeur supposé
représenter les différentes catégories d’usagers du réseau d’eau potable.

V.1 L’ASUREP et les populations

Le renforcement de la démocratie de proximité est l’un des enjeux des associations


d’usagers (ASUFOR/ASUREP). Dans le cas de l’ASUREP de Lampsar, la proximité ne
favorise pas la participation des villageois. Au contraire, elle est l’une des causes de leur
éloignement des espaces de débats institutionnels.

La démocratie locale renvoie généralement à des innovations locales (débat, conseil de


quartier, jury citoyen, ASUREP, CLC,) permettant l’implication des citoyens aux débats et
prises de décisions les concernant. Elle passe par la redéfinition de l’équilibre entre le pouvoir
« actif » ou encore le pouvoir des élus et le pouvoir « délibératif », par la transparence des
décisions des élus et la mise en œuvre de techniques et procédures permettant d’associer les
habitants au processus décisionnel. Dans cette perspective, Raséra (2002) considère que :

« La démocratie locale est à la fois représentative et participative. En premier


lieu, les citoyens désignent leurs représentants qui doivent avoir les moyens
d’exercer leurs responsabilités et de délibérer, en second lieu, les citoyens, sans
remettre en cause la compétence des autorités locales, participent au débat local
»145.

La proximité joue un rôle déterminant dans cette forme de démocratie. Le sens


commun attribue à la proximité les caractéristiques inverses de la distance. A la proximité de
l’élu avec les citoyens, de l’administration avec les administrés, s’oppose la distance
traditionnelle du système représentatif entre représentants et représentés, entre
145
Raséra M., 2002, La démocratie locale, ed. LGDJ-EJA, Paris, p.11
Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
206
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

l’administration et les administrés, avec les décisions venues « d’en haut ». Cette distance
ferait obstacle au rapprochement entre élus et représentés, elle génère une connaissance voilée
des problèmes quotidiens des citoyens. Cette conception de la proximité fait intervenir la
dimension spatiale, il s’agit de proximité géographique. De ce point de vue, ce qui est proche
serait plus visible, moins complexe, mieux considéré voire plus important (Wolton, 2000).

Cette forme de proximité aurait trois vertus : alors que l’intérêt général, le national
serait « abstrait et difficilement perceptible », la proximité géographique permettrait de rendre
l’intérêt local plus visible et plus palpable. Cet intérêt local peut prendre la forme d’un projet
de développement pour un village ou une commune, d’un programme régional ou
départemental de développement etc. Dans ce sens, les politiques locales opèrent « une
construction symbolique et pratique de l’intérêt local, et l’illustrent d’images identitaires à la
fois proches, rassurantes et valorisantes ».

La proximité peut apparaître ensuite comme un gage de réussite. L’intérêt général


défendu au niveau national est présenté souvent comme éloigné des réalités du terrain et
méprisant à l’égard de la population. Cet intérêt général éloigné favorise la production d’un
intérêt local censé refléter les besoins locaux des populations.

La proximité est enfin associée aux thèmes de l’écoute et du dialogue avec les citoyens
en opposition à un pouvoir central autoritaire. Elle permettrait de prendre en compte les
intérêts divergents des citoyens par le débat démocratique.

Nous constatons dans le cas de Lampsar que ce qui est proche n’est pas
forcément accessible, que la proximité géographique ne permet pas toujours la
participation des villageois. Dans le cas des assemblées générales de constitution de
l’ASUREP, la proximité, c’est-à-dire le fait que l’ « expert en organisation » soit connu dans
le village, est un obstacle à la participation des populations au débat. Le fait d’être résident
d’un village ou d’un quartier n’implique pas nécessairement une participation aux débats qui
y sont organisés. Selon Chevallier (1999), dans un environnement de plus en plus fragmenté,
la proximité suppose une forme de cohérence, de ressemblance entre les différents membres
d’une collectivité. La proximité nécessite une coïncidence entre les découpages territoriaux et
les réseaux concrets d’appartenance sociale. En des termes similaires Gilly et Torre (2000)146,

146
Gilly J.P., Torre A., 2000, Dynamique de proximité, Paris, Harmattan, p.12
Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
207
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

parlent de « proximité organisationnelle ». Cette proximité repose sur deux types de logiques
qu’ils qualifient respectivement de « similitude » ou de « ressemblance ». Selon la logique de
ressemblance, sont proches ceux qui appartiennent aux mêmes espaces de rapports, c’est-à-
dire ceux qui entretiennent des interactions. Selon la logique de similitude, sont proches ceux
qui se ressemblent et partagent les mêmes espaces de référence. La proximité serait aussi ce
qui est proche, ce qui est accessible et ce à quoi on peut s’identifier147.

L’ASUREP permet à des villages situés dans le même espace géographique


d’autogérer leur réseau d’eau potable. Ces villages qui partagent le même réseau d’eau
discutent entre eux pour trouver des règles de gestion applicable à tous. Cette mise en avant
du débat de proximité dans la mise en place des ASUREP s’appuie sur l’hypothèse selon
laquelle l’association des populations à la gestion de leur réseau d’eau peut favoriser une
amélioration des conditions de service d’eau en milieu rural. Mais la démocratie de proximité
implique-t-elle une amélioration du service de l’eau ? L’implication des populations ne
favorise-t-elle pas une situation de tension entre ces dernières et le bureau de l’ASUREP ? La
forme de débat (assemblée générale) introduite avec les associations d’usagers ne renforce-t-
elle pas l’exportation des contestations portant sur l’eau vers d’autres espaces moins
institutionnels (marché, lac, mosquée, association)?

V.1.a L’assemblée générale : une forme de débat en tension avec les


espaces de débats traditionnels

L’ASUREP a introduit une nouvelle forme d’échange et d’organisation dans le village.


Au niveau de la forme, l’ASUREP est censé redéfinir le droit à la parole. Tous les habitants
du village ont le droit de s’exprimer sur la gestion du forage quel que soit leur statut. L’espace
de débat institutionnel dans le cas de l’ASUREP réunit les jeunes, les vieux, les femmes et les
autorités étatiques. Traditionnellement, les jeunes discutent entre eux à l’association des
jeunes, les femmes débattent entre elles dans leur association et les notables discutent entre

147
Dione Y., 2008, Démocratie locale et agenda 21 : l’exemple de l’agenda 21 de la ville de Toulouse, Mémoire
de Master 2 recherche en information, communication et médiation sociotechnique, Université Paul Sabatier,
84p.
Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
208
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

eux. L’ASUREP vise à favoriser l’échange entre ces différents acteurs participants habitués à
fréquenter des espaces de débats différents.

Dans le statut des associations d’usagers défini par l’Etat (annexe 5), il est précisé que
toutes les personnes à jour de leur adhésion (cotisation 100F CFA) participent à l’assemblée
générale et ont le droit à la parole. En d’autres termes, le paiement de l’adhésion fixée à 100F
CFA, donne le droit de s’exprimer en assemblée générale :

« L’assemblée générale de l’association comprend tous ses membres à jour de


leur cotisation, sans distinction. Elle se réunit une fois par an, au moins, en
session ordinaire. Elle peut se réunir en session extraordinaire à chaque fois
qu’elle est convoquée par le bureau ou sur la demande du quart au moins de ces
membres (…) Les délibérations de l’assemblée générale ne peuvent être valables
que si le 1/3, au moins, de ses membres sont présents ou représentés »148.

De ce point de vue, l’assemblée générale est censée améliorer la participation des


populations dans la gestion du réseau d’eau et faire la promotion de la démocratie locale par
l'ouverture des débats et prises de décisions aux populations ordinaires qui ne sont pas
habituées à prendre part aux débats relatifs à la vie du village. Elle est censée renforcer
l'expression de ces populations qui sont appelées désormais à déterminer le prix de l'eau, à
s'exprimer sur les éventuelles extensions du réseau d'eau potable et à renouveler les membres
du bureau de l’ASUREP. Cette possibilité de débat élargi est une forme d’expression nouvelle
par rapport aux modes traditionnels de débats tels que les « palabres ».

Ces formes traditionnelles de débat ont toujours existé sur l’organisation et le


fonctionnement des villages en milieu rural ; la discussion comme règlement de conflit y a été
toujours un principe fondamental :

« Les pratiques de concertation ne sont pas nouvelles dans nos localités. Quand il
y avait un problème ça se règle au village avec le chef de village comme
intermédiaire dans la discussion ; les conflits entre personnes se règlent au
village sans intervention du politique ni de la justice »149.

148
Statut de l’ASUFOR, art.8
149
Membre comité directeur de l’ASUREP Lampsar, entretien, août 2010
Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
209
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

Ces débats sont monopolisés par certaine catégorie de la population. Ils impliquent
autorités traditionnelles, notamment le chef de village, les imams et les notables. N’importe
qui ne peut participer aux discussions, il faut avoir un certain statut pour participer à ces
discussions. Selon Bâ (1992) un célibataire, par exemple, n’a pas droit à la parole dans ces
discussions parce qu’il est perçu, du fait de son célibat, comme « une personne égoïste et
immature ». Dans certains cas, les jeunes ont la possibilité d’assister à ces discussions « à
condition de rester silencieux et tranquilles »150.

Les travaux de Bidimi (1997) confirment cette présence ancienne de l’esprit de débat
dans les sociétés africaines et notamment en milieu rural. Pour l’auteur, le débat a toujours
existé dans les sociétés africaines. Les conflits étaient réglés sous l’arbre à palabre par la
discussion :

« L’arrivée des dispositifs de participation n’a pas trouvé un terrain vierge dans
l’art de trouver une attente en cas de conflit ».

L’auteur décrit un certain nombre de conditions nécessaires à l’organisation de ces


débats dans la société africaine. Dans un premier temps, le lieu du débat doit être neutre. De
ce fait, les débats ont lieu souvent sous l’arbre au centre du village. Cet arbre symbolise la
neutralité. Dans un second temps, l’espace de débat n’est pas ouvert à tout le monde. Les
patriarches, par exemple, y ont accès mais pas les femmes et les jeunes parce que les
participants à ces débats doivent connaître « le visible et l’invisible », pouvoir expliquer les
« devinettes ». Ces connaissances et ces pouvoirs sont acquis après une longue expérience de
la vie mais également à travers des cérémonies d’initiation organisées périodiquement et
ouvertes à une classe d’âge. Cette initiation marque généralement le passage à l’âge adulte et
par conséquent l’accès à de nouveaux droits y compris celui de participer aux réservés aux
initiés.

Contrairement à cette forme de débat fermé, l’assemblée générale met en scène des
participants qui ont des statuts différents (vieux, jeunes, chefs de village, imams, hommes,
femmes) et qui ont également des rapports à l’eau différents (agriculteurs, consommateurs
d’eau potable, pêcheurs).

150
Bâ A. H., 1992, op. cit
Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
210
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

V.1.b Les conditions d’organisation de l’assemblée générale de


l’ASUREP de Lampsar.

L’assemblée générale est l’espace de débat ouvert à tous les usagers du réseau d’eau
potable. Sa tenue est précédée de différentes rencontres impliquant le comité exécutif et le
comité directeur. Elle a nécessité aussi le recrutement d’un consultant en gestion et en
comptabilité. Ce consultant, recommandé par le service régional de l’hydraulique, est l’ancien
directeur du centre de gestion et d’économie rurale151. Précisons que dans la préparation de
l’assemblée générale, les populations ne sont pas associées. Elles n’interviennent que dans le
débat en assemblée générale. L’organisation de ce débat est du ressort du comité directeur et
du comité exécutif.

La première réunion s’est tenue au village de Lampsar centre chez le président de


l’ASUREP. Elle constitue le premier contact entre le consultant et le bureau exécutif.
Cependant, seuls deux membres du comité exécutif (le président et le secrétaire général) sont
présents à cette réunion. Si certains membres du bureau justifient leur absence par le manque
de disponibilité, d’autres dénoncent le fait que le président convoque la réunion chez lui. Pour
ces derniers, les réunions doivent se tenir à la station de réseau d’eau potable et non chez le
président de l’ASUREP.

Cette première réunion a permis au consultant de mettre en lumière l’écart entre les
volumes d’eau vendue et l’argent disponible en caisse. En effet, il existe des pertes de
563000F CFA (860 euros) que les membres présents du bureau ne réussissent pas à justifier.
Cette situation embarrassante va précipiter une deuxième réunion entre le président, le
secrétaire général, le surveillant qui fait les relevés des compteurs, le trésorier qui encaisse
l’argent et le consultant. Cependant, pour éviter le conflit entre les populations (qui pourraient
dénoncer cet écart en assemblée générale) et le comité exécutif, le président suggère que ces
pertes ne soient pas divulguées :

151
Le centre de gestion et d’économie rurale a été financé par l’Agence Française de Développement en 2004
pour aider les agriculteurs et les G.I.E à gérer leurs économies.
Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
211
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

« Le président avait suggéré qu’on ne parle pas de ce déficit surtout lié aux
erreurs du surveillant pour éviter les conflits, des malentendus. Je lui ai suggéré
au moins de donner l’information en assemblée générale, de ne rien cacher,
comme ça, chacun prendra ses responsabilités prochainement 152».

La deuxième réunion a pour objectif de justifier les pertes de l’association par rapport
aux volumes vendus. Dans un premier temps, ces pertes sont justifiées par la gratuité de l’eau
au début du fonctionnement des bornes-fontaines. Pendant trois jours, des volumes d’eau
étaient distribués gratuitement aux populations. Cette gratuité était un moyen de sensibiliser
les populations sur le nouveau service des bornes-fontaines pour les pousser à abandonner les
puits. Pour le comité exécutif, cette gratuité expliquerait l’écart existant entre les volumes
d’eau utilisés et les recettes encaissées.

Dans un second temps, les pertes sont attribuées au travail du surveillant qui ne
relèverait pas correctement les compteurs, ce qui entrainerait le décalage entre les sommes
encaissées par les fontainières et les volumes d’eau réellement affichés sur les compteurs.
Pour le mois de mars 2012, il facture une fontainière 89 mètres cubes pour une consommation
réelle de 68 mètres cubes. Ces erreurs répétées expliqueraient le fait que certaines fontainières
paient des factures qui dépassent les volumes réels consommés. Dans le village de Lampsar
ces écarts fréquents ont amené certaines fontainières à démissionner et à rendre les clefs de
leur borne-fontaine au bureau de l’ASUREP.

Une troisième explication porte au travail des fontainières chargées de la vente de


l’eau à la borne-fontaine. Ces dernières ont régulièrement des pertes qui ont fait un total de
428 930F CFA (655 euros). Cette deuxième réunion fait apparaître des tensions entre les
membres du comité exécutif, chacun accusant l’autre d’être responsable. Elle montre aussi les
problèmes auxquels l’ASUREP était confronté au début de son fonctionnement :

« Vous ne me donnez pas de moyens, je suis fatigué avant d’arriver, quand je fais
des kilomètres de marche pour aller à Lampsar Peulh relever le compteur,
personne d’entre vous n’est là. D’accord, j’ai fait une erreur, mais c’est parce
qu’au début je ne comprenais rien, nous tous, personne ne savait comment il

152
Consultant, entretien, octobre 2012
Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
212
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

fallait faire. Parfois certaines fontainières me devaient 3000F CFA et me


donnaient 1000F CFA, vous ne me donnez pas les moyens »153.

Dans ce contexte, le rôle du consultant consiste à trouver une cohérence entre le


volume d’eau vendu et l’argent disponible pour éviter un conflit éventuel entre le bureau de
l’ASUREP et les populations en assemblée générale. Il fait un travail d’ajustement des
chiffres, soit en augmentant ou en baissant les volumes d’eau consommés, pour trouver un
équilibre entre ces volumes facturés et les recettes en caisse. Pour le comité exécutif, cet
ajustement est une nécessité pour éviter les critiques éventuelles dont il pourrait faire l’objet
pendant l’assemblée générale. De ce point de vue, le rôle du consultant n’est pas seulement de
récupérer les chiffres réels de l’eau consommée ainsi que les recettes encaissées et de faire la
comptabilité de l’ASUREP. Il est aussi sollicité par le comité exécutif pour « fabriquer des
chiffres présentables » qui ne génèrent pas beaucoup de critiques venant de la population.

La troisième réunion concerne le comité exécutif, le consultant et les fontainières. Elle


a pour but d’informer ces dernières de leurs pertes. Si les pertes liées aux erreurs de
facturation du surveillant sont épongées à la demande du président de l’ASUREP, celles liées
au non versement des fontainières doivent être remboursées avant la tenue de l’assemblée
générale. Le comité exécutif, notamment le président et le secrétaire général, exigent le
remboursement des pertes des fontainières liées à leur gestion « mauvaise et laxiste ». Pour le
président, il n’est pas question que le comité exécutif endosse la responsabilité de ces pertes
surtout au moment où les populations soupçonnent le bureau de l’ASUREP de détournement.

C’est dans cette perspective que la décision de publier en assemblée générale la liste
des fontainières et des autres usagers endettés a été prise par le comité exécutif. Il est
question de rendre publique, le jour de l’assemblée générale, la liste des personnes qui
« doivent de l’argent à l’ASUREP ».

La quatrième rencontre concerne le comité exécutif et le comité directeur. Cette


réunion a pour objectif de vérifier la conformité des résultats obtenus par le consultant et les
données qui sont à la disposition du trésorier. Pour avoir cette conformité, il a fallu un
nouveau réajustement :

153
Membre bureau exécutif, réunion bureau exécutif, octobre 2012
Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
213
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

« Il a fallu qu’on redresse le bilan à notre façon pour s’en sortir, sinon ce n’était
pas possible »154.

La dernière réunion a permis de présenter le bilan de l’ASUREP au comité directeur.


Cette réunion est marquée par la faible présence des membres de ce comité. Sur les 23
membres du comité directeur, seuls 9 sont présents. Malgré ce nombre limité, le bureau
exécutif décide de convoquer une assemblée générale. L’enjeu de l’assemblée générale est de
favoriser une prise de parole publique des populations qui font usage du réseau d’eau potable.
Cette prise de parole publique doit permettre aux populations de donner leurs points de vue
sur la gestion et le fonctionnement de l’ASUREP.

154
Membre du comité directeur, réunion de validation du bureau exécutif, octobre 2012
Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
214
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

V.1.c Les limites de la prise de parole publique en assemblée générale

Figure 22 : Assemblée générale de Lampsar. Photo prise par Dione Y.

L’assemblée générale annuelle est organisée par le bureau de l’ASUFOR de Lampsar.


Elle a pour but de présenter aux populations le bilan d’une année de fonctionnement du réseau
d’eau potable et de leur donner la parole pour qu’elles expriment leurs points de vue sur ce
fonctionnement. Elle s’est tenue le 10 octobre 2012. Cette assemblée générale supposée
favoriser la prise de parole, est peu fréquentée par les populations. Celles-ci ne viennent pas
ou s’expriment peu quand elles sont présentes. Elles reconstituent d’autres espaces alternatifs
de débats.

L’article 8 du statut des ASUREP, cité précédemment, donne la possibilité aux


populations de s'exprimer sur la gestion du réseau d’eau potable en assemblée générale. Les
réunions trimestrielles du comité directeur et les rencontres mensuelles du comité exécutif
doivent faire l’objet de rapports. Ces derniers détaillent les activités du comité exécutif et du
Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
215
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

comité directeur ainsi que les différentes dépenses liées au fonctionnement du forage, les
recettes issues de la vente de l'eau et la quantité d'eau consommée. Les différents rapports
d'activités et le bilan annuel de l’ASUREP sont censés être présentés aux populations lors de
l’assemblée générale ouverte à tous les usagers, au moins une fois par an.

En outre, l’ASUREP doit faire un bilan annuel du fonctionnement du réseau d’eau


potable. Ce bilan doit être présenté à l’assemblée générale qui peut le valider ou le remettre en
cause. Cette possibilité qu’ont les populations de s’exprimer sur le fonctionnement et la
gestion du forage n’est pas saisie comme une opportunité. En effet, l’assemblée générale était
prévue à 15 heures. Elle débute finalement à 18 heures parce qu’il n’y a pas beaucoup de
participants. Seules 76 personnes participent à l’assemblée générale sur une population totale
de 1782 habitants. La majorité des participants au débat est constituée de notables du village,
de membres du comité directeur et du comité exécutif, du personnel de l’ASUREP
(opérateurs chargés du traitement de l’eau, fontainiers chargés de la distribution de l’eau) et
de leaders politiques du village.

Certains membres du bureau de l’ASUREP essaient d’expliquer cette absence des


populations du débat en mettant en avant le lien de confiance qui existe entre le bureau et les
populations. Pour eux, si les populations ne viennent pas en assemblée générale, c’est parce
qu’elles font confiance au travail du bureau de l’ASUREP.

L’analyse des entretiens réalisés avec les villageois et l’observation de l’assemblée


générale montrent que la faible présence des populations dans les assemblées générales est
liée à l’inadaptation du dispositif de débat. Paradoxalement, l’assemblée générale, espace
censé favoriser la parole des populations, limite l’expression des points de vue. Les
désaccords existants ne sont pas toujours manifestés lors de ces assemblées générales de peur
de choquer la personne avec qui on est en désaccord. Contredire une personne âgée, par
exemple, est vécue comme une attaque personnelle, un manque de « respect » à l'égard de ce
dernier. De ce point de vue, même si les assemblées générales donnent théoriquement la
possibilité de s'exprimer, les rapports interpersonnels fondés sur le statut et la hiérarchie
sociale limitent les possibilités de débat :

Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
216
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

« Tu sais ici, quand tu convoques une assemblée générale, les gens ne viennent
pas. Parce que quand tu viens à la réunion, tu ne peux pas dire les choses qui ne
vont pas de peur de froisser des gens»155.

D’autres propos attestent cette difficulté de certaines personnes, notamment les jeunes,
à exprimer leur position en assemblée générale :

« Le problème est que le président veut tout contrôler, il veut tout faire en même
temps. Il va te dire de faire ceci, de faire cela. Moi quand je leur ai dit d’acheter
telle quantité de produit, ils achètent ce qu’ils veulent. Pourtant s’il y a un
problème, on va dire que c’est moi la responsable parce que c’est mon travail,
J’ai appelé à Ross Béthio une fois pour demander à mes collègues là-bas qui ont
plus d’expérience, ils m’ont dit que notre sulfate n’est pas bon »156.

Pourtant cette situation n’est pas soulignée pendant l’assemblée générale. La raison
évoquée par la personne interrogée est plus liée au rapport hiérarchique qu’elle a vis-à-vis du
président de l’ASUREP. Même si le débat lui permet théoriquement de dire tout ce qu’il
pense de la gestion de son forage et des problèmes confrontés, le jugement que le président
peut porter sur sa personne fait qu’il préfère taire certaines différences :

« Tu sais quand tu dis les choses, ils vont dire que tu es comme si, tu es comme ça,
tu as la tête dure. Dès fois tu laisses faire, même si ça peut avoir des
conséquences sur la santé des populations »157 .

La forme du débat mais aussi la présence de notables dans l’espace de débat (anciens
du village, imams, chefs de village, parents) limitent la possibilité de certains participants, les
jeunes par exemple, à prendre la parole. Dans une société hiérarchisée où l’âge et les liens de
parenté restent encore déterminants dans les relations, écouter sans contredire une personne
plus âgée quand il prend la parole, est une règle de bonne conduite bien ancrée dans le village
et qui doit être assimilée dès le plus jeune âge. Contredire une personne âgée ou une tante lors
d’un débat public peut être perçu négativement. Dans ce contexte, un discours critique sur la

155
M. S, membre ASC de Lampsar, entretien, mai 2011
156
Opérateur, entretien, octobre 2012.
157
Ibidem
Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
217
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

gestion du réseau d’eau potable tenu en dehors de l’espace public de débat se transforme en
un discours beaucoup plus conciliant dans l’espace de débat officiel :

« Les structures ne vont pas marcher parce que les gens ne se disent pas la vérité.
F., c’est un ami, mais dès fois, avant d’aller en réunion, on décide de défendre
une chose, mais devant les gens il dit le contraire. Et quand je lui dis à ce
moment-là : tu n’es pas sérieux; les gens ne comprennent pas pourquoi je lui dis
ça. Mais lui, il comprend parce qu’on avait décidé ensemble avant de venir en
réunion, et puis, il change de position, ce n’est pas sérieux»158.

La forme du discours (contestataire ou conciliante) varie selon que les sujets sont en
dehors ou dans l’espace du débat institutionnel.

J’étais très frappé par le comportement d’une dame que j’avais interviewée un mois
avant la tenue de l’assemblée générale. Commerçante au marché hebdomadaire de Lampsar,
elle était très critique à l’égard des tarifs de l’eau et du fonctionnement de la borne-fontaine de
son quartier. Elle attendait l’assemblée générale me disait-elle pour dénoncer cette situation
qu’elle jugeait anormale. Présente le jour de l’assemblée générale, elle n’a pas pris la parole.
Cependant, son attitude exprimait un certain désaccord lorsque le président de l’ASUREP
s’exprimait au sujet des tarifs des bornes-fontaines. Elle bougeait, murmurait, grimaçait sans
pourtant demander la parole et s’exprimer. Les principes auxquels elle se réfère en dehors de
l’espace de débat (dire la vérité, dire son opinion sans contrainte, dire la vérité publiquement
car c’est ce que la religion recommande etc.) ne s’appliquent pas dans l’espace de débat
institutionnel. Certains même boudent l’espace de débat officiel plutôt que d’affirmer leur
désaccord de façon publique :

« Tu m’as vu quand je partais, je ne pouvais plus supporter ce gars qui critiquait,


le premier orateur, le grand là, il a menti. Lui c’est le président de notre GIE
depuis 5 ans, il n’a jamais pourtant convoqué une assemblée générale, il nous a
jamais montré un sou alors que, normalement, chaque année, il doit convoquer
une assemblée générale pour s’expliquer sur la gestion du GIE. Ce qu’il demande
aux membres du bureau de l’ASUREP, lui-même ne le fait pas. C’est pourquoi je
suis parti énervé, il a son compte bancaire, il met l’argent dans son compte, il n’a

158
M.S, membre association Widoum, entretien, septembre 2012
Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
218
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

jamais convoqué une assemblée générale. C’est ça qui pose aussi problème, les
gens ne disent pas la vérité, mais si tu le dis en public tu es leur ennemi, tu es
incorrect, tu n’es pas poli »159.

Le discours conciliant dans l’espace de débat institutionnel n’est pas forcément la


manifestation d’une entente autour de la gestion du réseau d’eau. Il manifeste plutôt le refus
de rentrer en conflit ou de critiquer ouvertement les propos tenu par un frère, une tante, un
père, un ami etc. L’espace de débat est ainsi de plus en plus abandonné par une certaine
catégorie de population, notamment, les jeunes. Considérant l’espace de débat institutionnel
non adapté, les jeunes préfèrent boycotter ces espaces pour éviter d’être jugés de manière
négative par leurs parents ou leurs aînés :

« Dans la discussion, dans le rapport, tu ne peux pas tout dire, tout faire parce
que c’est ton père, il a l’âge de ton père, il peut être ta mère, donc il y a une
manière de dire les choses, sinon on te taxe d’impoli, donc tu retiens des choses,
tu n’oses pas tout dire. Quand les gens sont en réunion tu vois à chaque fois cette
barrière resurgir si bien que ça pose problème sur ce que tu dois dire. Tu vois
même des gens qui ne viennent plus aux réunions parce que quand tu parles pour
la bonne marche des choses, certains vont mal l’interpréter, ils ne comprennent
pas forcément ton propos, ils croient que c’est de l’attaque personnelle»160.

L’assemblée générale qui vise à améliorer la prise de parole de tous les utilisateurs du
réseau d’eau potable, à promouvoir l’égal accès à la parole, se heurte à l’existence de
coutumes traditionnelles qui déterminent les conditions de débat en milieu rural. Certes, au
village, les discussions pour trouver des solutions aux problèmes ne sont pas nouvelles ; mais
les règles qui les déterminent ne sont pas les mêmes que celles qui encadrent le débat en
assemblée générale. Quand le chef de village, par exemple, convoque la population du village
pour un débat à la place publique, la présence de tous à ce débat ne garantit pas l’accès de
tous les participants à la parole. La prise de parole reste encore liée aux statuts des personnes,
à la place qu’elles occupent dans le village, à la notoriété qu’elles bénéficient à l’égard des
habitants du village, à leur âge etc. La légitimité à prendre la parole répond plus à ces statuts
qu’à des règles démocratiques.

159
L. S., Membre ASC village Lampsar, entretien octobre 2012
160
M. S., membre ASC Lampsar, entretien, op.cit
Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
219
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

Dans ce contexte, la mise en place d’un dispositif de débat institutionnel n’implique


pas le débat élargi. La présence des femmes illustre bien ce fait. Dans l’assemblée générale de
Lampsar, elles sont généralement les plus présentes dans l’espace de débat. Sur les 76
participants à l’assemblée 42 sont des femmes. Mieux organisées en associations, elles sont
plus faciles à sensibiliser et à mobiliser lors des assemblées générales. Cette présence des
femmes ne signifie pas, cependant, qu’elles prennent la parole. Les femmes sont présentes
mais s’expriment peu ou de manière indirecte. Certaines d’entre elles présentes dans l’espace
de débat, au lieu d’exprimer publiquement leurs points de vue, demandent au surveillant
(chargé de faire les factures), de poser le problème des tarifs élevés de l’eau :

« Les femmes disent que l’eau est très chère, elles disent qu’il faut trouver un
moyen de réduire les tarifs »161.

D’autres femmes se rangent derrière les positions de leurs maris. Lors d’une réunion
du bureau de l’ASUREP organisée pour discuter des problèmes de gestion rencontrés par les
ASUREP de la région de Saint Louis, je constate que malgré la présence importante des
femmes, peu d’entre elles prennent la parole. Et à ma question posée à l’une d’entre elles à la
pause : pourquoi vous ne prenez pas la parole ? Elle répond en wolof : « sama kilifa waxna be
pare » (mon mari a déjà pris la parole). Pour cette dame, la prise de parole de son « kilifa »,
c’est-à-dire le chef de famille inclut sa parole. Même si elle n’est pas d’accord avec les propos
de son mari tenus en public, elle ne va pas manifester son désaccord, du moins publiquement.
Parce que le contredire en public signifie remettre en cause son autorité. Ce manque
d’implication des femmes dans le débat institutionnel interroge dans la mesure où elles jouent
un rôle déterminant dans la gestion des bornes-fontaines et dans le transport de l’eau. Toutes
les bornes-fontaines de Lampsar sont gérées par des femmes. Elles sont supposées connaître
mieux que tout autre les problèmes de l’eau.

La faible présence des populations dans l’espace public de débat (assemblée générale)
et les contraintes liées à la prise de parole publique font que le renouvellement des membres
de l'ASUREP, prévu en assemblée générale, est presque inexistant. Ce sont toujours les
mêmes qui dirigent. Diop et Dia (2011) voient dans le non renouvellement des membres de
l’ASUREP une stratégie assumée des populations. Pour ces auteurs, ne pas renouveler les

161
Surveillant ASUREP Lampsar, assemblée général, octobre 2012
Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
220
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

membres du bureau, c’est aussi une volonté des usagers de garder des personnes qui ont
construit un certain nombre de réseaux et acquis une certaine expérience :

« En réalité, pour eux, le fait d’avaliser un renouvellement des instances, c’est


aussi prendre le risque de voir les acquis s’effriter avec l’arrivée de nouveaux
membres qui ne maîtrisent pas les méthodes et les outils de gestion »162.

Blundo, (1994), dans la même perspective, considère le non renouvellement des


membres d’associations en milieu rural comme une stratégie locale de développement du
village et non comme une volonté des membres du bureau de s’accrocher à leur poste.
L’auteur explique que le non renouvellement des membres du bureau de l’association est lié à
la volonté des populations de garder des personnes capables de drainer des financements via
les associations.

Dans le cas de l’ASUREP de Lampsar, nous considérons que le non


renouvellement des membres du bureau est plutôt lié à l’inadaptation des espaces de
débat dans lesquels ces renouvellements sont effectués. Postuler, par exemple, à un poste
qui a été jusqu’alors occupé par une personne du village peut être interprété comme une
volonté de la part du nouveau postulant de lui « prendre sa place » :

« Au village on sait que ça ne marche pas mais en assemblée générale ils ne


disent rien, ils disent que les mêmes personnes continuent. Et puis au final, les
gens pensent que l’organisation qu’ils dirigent est pour eux parce qu’on ne les
remplace jamais même si leur gestion est mauvaise »163.

L'exemple d’une fontainière malade illustre bien la difficulté qu’ont les populations
de renouveler leurs représentants. Dans le village, une fontainière, après une longue maladie
décide de remettre les clefs de la borne-fontaine au président de l’ASUREP. Le comité
exécutif a essayé de trouver un remplaçant dans le quartier mais personne n’a voulu remplacer
cette personne malade. La peur que la famille du malade dise que : « tu es responsable de sa
maladie afin de lui prendre sa place » fait que personne ne souhaite reprendre la borne-
fontaine. Dans ces conditions c’est généralement un membre venant de la même famille que

162
Diop M., Dia H. A., 2011, « Réformes des services d’eau en milieu rural africain : enjeux et limites du
montage institutionnel de gestion. Une étude de cas au Sénégal », Monde en Développement, p.43
163
D.D., habitants du village de Ndialam, entretien, Octobre 2012
Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
221
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

le malade qui reprend la borne-fontaine. Ainsi, la gestion de cette borne-fonataine peut se


retrouver facilement entre les mains d’une seule famille. Les situations où le bureau de
l’ASUREP ferme une borne-fontaine parce qu’il ne retrouve plus de nouvelles fontainières
sont fréquentes. Il est fréquent qu’une borne-fontaine soit fermée pendant deux semaines
parce qu’après la démission de la fontainière personne ne voulait la reprendre.

V.1.d La dimension religieuse dans le débat en assemblée générale

La question religieuse reste déterminante dans le débat institutionnel parce que, d’une
part, la séance est ouverte et fermée par une prière et, d’autre part, les participants aux débats
font référence à la religion au début de leur prise de parole. La présentation du rapport annuel
par le consultant est suivie d’un débat ouvert par le président de l’ASUREP.

Il faut préciser que la religion a été toujours liée à l’eau en Afrique. Dans les religions
traditionnelles, l’eau est toujours présente. Les travaux de Kesteloot (1991), de Talkeu-
Tounouga (2000), de Naser, Asit, Murad (2000), ont montré le lien étroit entre la divinité et
l’eau. Dans les religions traditionnelles, le nom de Dieu renvoie souvent à l’eau. Pour
Kesteloot, par exemple, l’appellation de Dieu en wolof « Yalla Guedj», vient du « Yalla » qui
fait référence à « Allah » des musulmans présents au nord du Sénégal (Saint Louis) au 11
siècle, et de « Guedj » qui signifie l’océan. De la même façon, le Dieu des sérères, « Roog »
est proche de la pluie.

Si ces auteurs font le lien entre les dieux traditionnels et l’eau, il est question pour
nous d’analyser le rapport entre l’eau, la religion et la démocratie (au sens d’ouverture des
débats à la population ordinaire) (Dione, 2012). Comment la religion favorise-t-elle ou pas la
prise de parole publique sur des questions relatives à la gestion de l’eau ?

Ce qui frappe, à première vue, dans les réunions organisées au village sur l’eau, c’est
l’importance de la dimension religieuse. Aucune réunion ne commence sans que l’imam, ou
une personne qui maîtrise bien le coran, fasse une prière. A la fin de chaque réunion
également, c’est la prière qui clôture officiellement les discussions. Les réunions sont aussi
suspendues pendant les heures de prière pour permettre aux participants de prier.

Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
222
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

Dans le cas de l’assemblée générale de Lampsar, la prière du début et de la fin est


dirigée par l’imam du village. L’imam est ici le symbole de la connaissance religieuse, de
l’esprit de synthèse, de l’impartialité et de la « vérité ». Le discours religieux porte sur deux
aspects : d’abord sur la nécessité de la prise de parole pour dire son point de vue, ensuite sur
le lien entre l’eau et la religion.

Dans un premier temps, le discours religieux incite les populations à exprimer


publiquement leurs points de vue au lieu de « parler derrière le dos des autres ». L’iman
incite les participants à prendre la parole en leur rappelant que dire ce que l’on pense
publiquement correspond bien aux principes de la religion musulmane. La prise de parole
publique, « si elle est fondée sur la « vérité », est une forme de dévotion » (en wolof « wax
dëgg ci jaamu Yalla la bokk »). Et c’est « parler derrière le dos des autres » qui serait un
péché. Pour l’imam par exemple, les participants doivent dire la « vérité » parce que Dieu
aime la « vérité » :

« Le coran dit qu’il ne faut pas considérer comme ennemis les personnes qui vous
disent la vérité, il faut les prendre comme des amis. Si on sort de cette assemblée,
personne ne devrait plus rien dire normalement, tout ce qu’on a à dire, on doit le
dire devant l’assemblée »164.

Vu sous cet angle, le discours religieux incite à la prise de parole publique. Les
participants au débat sont encouragés, voire contraints de dire ce qu’ils pensent de manière à
être en conformité avec les principes de leur religion. Ceci peut paraître paradoxal surtout
quand on est dans une perspective tendant à établir une ligne de séparation entre la religion et
la sphère publique (assemblée générale). Dans le cas de l’assemblée générale, la religion
interfère dans le débat public. Dans la pratique, les incitations de l’imam n’impliquent pas une
augmentation des prises de parole parce que, au village, au contraire, toute « vérité » n’est pas
bonne à dire en assemblée générale. Dire la « vérité » publiquement peut engendrer des
crispations dans les relations entre les populations, entre les familles.

Le discours religieux incitant à la prise de parole publique, qui fait de la discussion


portant sur l’eau un acte de dévotion, se met en tension avec les pratiques culturelles

164
Imam du village de Lampsar, assemblée générale, octobre 2012
Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
223
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

traditionnelles, comme celles qui conduisent à éviter de contredire publiquement un


responsable politique ou religieux, une personne âgée, un aîné ou un parent.

Dans un second temps, le discours religieux porte sur le lien entre l’eau et la religion.
L’eau et la religion sont intimement liées. Dans la religion musulmane, la prière passe par une
phase de purification de certaines parties du corps. Cette purification appelée ablution
concerne les parties du corps qui sont en rapport avec le monde extérieur et qui pourraient
favoriser le péché. Ces parties du corps, les pieds, les mains, la bouche, le nez, les yeux, les
oreilles, sont en rapport avec les cinq sens. Les pieds qui peuvent piétiner de la saleté, les
mains qui peuvent toucher quelque chose d’impropre, les yeux capables de voir des choses
qui favorisent le péché, la bouche qui peut prononcer des mots injustes ou mensongers et le
nez qui peut sentir une odeur qui rapproche du péché, doivent être nettoyés avec de l’eau
propre avant que le fidèle ne commence sa prière. Dans la religion musulmane, il existe
également un lien entre l’eau et l’accès au paradis selon l’imam. Au début de la réunion, il a
évoqué une anecdote pour illustrer ce lien :

« Un imam qui aimait le prophète était en train d’écrire un texte sur la religion
avec une plume et l’encre à côté. A sa mort, quelqu’un l’a rencontré au paradis
et l’a reconnu. Ce dernier disait à l’imam : tout le monde savait que tu allais
accéder au paradis parce que tu aidais tes proches, tu les soutenais dans les
moments difficiles, tu faisais que du bien. L’imam lui répond : ce n’est pas cela
qui m’a ouvert les portes du paradis. C’est plutôt parce que, un jour, en écrivant
avec l’encre, une mouche s’est posée sur ma plume, elle buvait l’encre, je l’ai
laissé se désaltérer avant de continuer l’écriture. C’est ce geste qui m’a fait
entrer au paradis »165.

Ainsi, pour l’imam, se réunir pour parler de l’eau, c’est une forme de prière parce que
« tous les êtres se réunissent autour de l’eau ». L’assemblée générale portant sur la question
de l’eau peut est perçue dans cette perspective comme un acte de prière. La réalité des débats
montre, cependant, que l’assemblée générale n’a pas favorisé la parole.

165
Imam du village de Lampsar, op.cit
Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
224
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

V.2. Les effets du débat en assemblée générale : émergence des conflits

L’un des enjeux de l’assemblée générale est de permettre aux usagers d’un réseau
d’eau potable de s’exprimer, de trouver un accord sur des règles de gestion de l’eau par les
moyens de l’argumentation. Plutôt que de favoriser une entente, il peut créer une situation de
tension entre les participants, voire des conflits affectant le service de l’eau.

Dans le cas de l’assemblée générale de l’ASUREP de Lampsar, le débat a créé les


conditions d’une division au sein du village. En effet, lors des débats en assemblée générale,
le bureau exécutif a publié les noms des mauvais payeurs. Toutes les personnes qui doivent de
l’argent au bureau de l’ASUREP, qu’elles soient fontainières ou consommateurs d’eau
potable, sont mises sur une liste. Celle-ci est lue publiquement par le consultant, en accord
avec les membres du bureau de l’ASUREP. Le bureau procède de cette manière pour ne pas
endosser la responsabilité des pertes d’argent liées aux dettes non payées. Dans un contexte
rural où la dette reste encore un tabou, publier les noms des endettés devant tout le monde
constitue un choc pour les personnes concernées mais également pour les autres participants
qui entendent leurs parents ou leurs amis être cités parmi les endettés. Le climat qui règne
dans l’assistance pendant la lecture de la liste atteste cette situation de gêne. Les participants,
la tête baissée, écoutent sans dire un mot. Après la lecture, certaines personnes sont parties
chez elles revenir pour payer leur dette devant tout le monde. Par cet acte, elles cherchent à
« laver leur honneur » devant tout le monde. D’autres ont quitté la réunion immédiatement
sans dire un mot.

Dans l’immédiat, cette situation n’a pas intensifié les divergences. En revanche, elle
exporte les tensions dans le village. Certaines personnes ne se saluent plus, des vendeuses du
marché du village ayant un membre de leur famille dans le bureau de l’ASUREP, voient leur
marchandise boycottée :

« Depuis l’assemblée générale, certaines personnes passent à côté de moi sans me


dire bonjour, c’est pareil pour ma femme, elle m’a dit que A. est passée devant
elle au marché sans un mot. Mais c’est leurs problèmes, je préfère ça que d’être
taxé de détournement. Si tu essaies de couvrir les personnes endettées, ça se
retourne contre toi. Ils (habitants du village) vont voir que tu as des chaussures
nouvelles, ils diront que tu les as achetées avec l’argent de la station de

Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
225
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

traitement d’eau. Au moins là, les choses sont claires, on sait qui doit quoi à
l’ASUREP »166.

Dans d’autres cas, après l’assemblée générale, le bureau a constaté la multiplication


des actes de sabotage (fuite d’eau, destruction de matériel de sécurisation des bornes-fontaines
etc.). Une plainte a même été déposée pour dégradation de biens collectifs par le comité
exécutif. L’assemblée générale, censée favoriser l’entente sur la gestion de l’eau, aboutit à
des conflits qui affectent les rapports entre les villageois. Et dans certains cas, les conflits ont
des effets sur le service de l’eau.

Ces résultats sont confirmés par d’autres travaux sur les débats publics. Ceux de Marie
Gabrielle Suraud (2007) sur la catastrophe d’AZF de Toulouse, ont montré que le débat peut
accentuer les désaccords et radicaliser les positions des participants :

« L’enjeu essentiel de la concertation publique, normativement conforté en cela


par le poids du courant délibératif, reste l’obtention d’un accord (…). Dans la
pratique, certaines expériences de débat public ont pu mettre en évidence que les
échanges pourtant fortement structurés et répondant en tendance à l’exigence
d’une confrontation argumentative fondée et étayée ont conduit, non pas à une
convergence des points de vue, mais au contraire à la polarisation de ces
derniers »167.

La mise en place de dispositifs de débat n’implique pas toujours un accès à la parole


en milieu rural. Les règles locales de débat rentrent souvent en tension avec les procédures
démocratiques de plus en plus imposées aux populations. Crouzel (2007) s’inscrit dans cette
perspective en soulignant que l’institutionnalisation de la participation en milieu rural ne
garantit pas une démocratie locale. Des contraintes d’ordres culturels, institutionnels et
organisationnels limitent les objectifs démocratiques des dispositifs participatifs :

« La mise en œuvre de dispositifs participatifs se heurte à l’existence de


dynamiques bien ancrées au sein de l’espace local. Un phénomène de dépendance
au sentier (path dependency) traduit, en effet, la persistance de logiques

166
Membre du comité exécutif de l’ASUREP, entretien, octobre 2012
167
Suraud M. G., 2007, La catastrophe d’AZF. De la concertation à la contestation, documentation Française,
p.34
Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
226
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

institutionnelles héritées qui continuent encore fortement à orienter le


comportement des acteurs. L’institutionnalisation d’une gouvernance
démocratique locale est confrontée à la résistance de routines institutionnelles,
fonctionnant sur d’autres registres d’interprétation. Dans ce cadre, la référence
démocratique de la gouvernance locale peine à s’imposer dans sa fonction de
structuration des croyances et des comportements des acteurs »168.

Les contraintes culturelles limitent la possibilité des populations ordinaires de


s’exprimer dans l’espace institutionnel, notamment l’assemblée générale. Elles abandonnent
de plus en plus ces espaces censés favoriser leur expression pour exprimer leurs
désaccords dans d’autres espaces moins institutionnels. Il nous semble nécessaire de porter
une attention particulière à l’expression des populations, aux formes qu’elles prennent dans
ces espaces autonomes en dehors des espaces institutionnels et ce qu’elles produisent comme
effets sur la formulation des problèmes et la façon dont ces problèmes sont réglés.

La différence de tarifs de l’eau, les unités de mesure et les horaires d’ouverture font
l’objet de critiques. Cependant, ces critiques ne sont pas toujours exprimées dans les
assemblées générales, mais plutôt dans des espaces plus autonomes, notamment l’espace
associatif. Au cours de nos entretiens auprès des populations, les critiques sont régulièrement
exprimées. Nous avons pensé que ces critiques venant de la part des populations allaient être
exprimées en assemblée générale. Or, ceux qui tenaient les propos critiques ne sont pas
présents en assemblée générale. Quand ils sont présents, ils prennent rarement la parole. Ou
alors, s’ils la prennent, ils adoptent un discours très conciliant. Les désaccords sur la gestion
des bornes-fontaines sont donc exprimés en dehors de l’espace officiel de débat. Ils prennent
de l’ampleur dans les espaces moins institutionnalisés.

168
Crouzel Y., 2007, « Démocratiser la gouvernance locale. Entre ouverture d’un espace public et inertie des
pratiques », Rapport, 25p.
Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
227
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

VI. L’exportation de la contestation dans l’« espaces public


autonome »

L’arrivée de l’ASUREP à introduit dans le village de Lampsar un nouveau rapport à


l’eau, de nouvelles règles de partage de la ressource, des unités de mesure nouvelles, de
nouvelles horaires d’ouverture des points d’eau. Ces nouvelles règles sont censées être
validées par les usagers avant leur application. Dans la réalité, elles ont été mises en place par
le bureau de l’ASUREP sans forcément l’avis des populations. Ces nouvelles règles font
l’objet de désaccords voire de conflits entre les fontainières chargées de les appliquer et les
usagers.

VI.1 Caractéristiques de l’« espace public autonome »

L’« espace public autonome », est caractérisé par la fluidité des informations qui y
sont diffusées. Dans l’« espace public autonome » l’information se diffuse rapidement en
s’amplifiant. Des rumeurs peuvent se transformer en une information partagée par tous les
habitants du village. Le cas de la bagarre qui a opposé le président de l’ASUREP et le
surveillant général en est un exemple. Le premier voulait avoir des informations sur les
factures effectuées et les montants encaissés, estimant qu’il était normal d’avoir ces
informations parce qu’il est le président de l’ASUREP. Le second refuse de donner les
informations considérant qu’il lui revient de relever les compteurs et de faire des factures.
Pour ce dernier, le président de l’ASUREP n’a pas à se mêler de son travail. Cette divergence
a engendré une bagarre. Cet évènement qui s’est passé en réunion du comité exécutif de
l’ASUREP, est sujet de discussion pendant la réunion de l’association des jeunes du village
tenue le 7 août 2012. Pourtant, cette réunion était prévue pour discuter de l’organisation d’un
match. L’information portant sur les tensions qui existent entre certains membres du bureau
de l’ASUREP est commentée dans l’« espace public autonome » et finit par faire le tour du
village. De la même façon, la fermeture fréquente de certaines bornes-fontaines est largement
commentée au marché et dans la rue :

« Certaines personnes disent que leur borne-fontaine ne marche pas, je ne sais


pas, c’est ce que j’ai entendu au marché. Les gens critiquent de gauche à droite,

Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
228
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

et ici, si les gens commencent à parler d’un chose comme ça dans la rue, assure-
toi que ça prend vite de l’ampleur »169.

Les informations s’amplifient et se diffusent rapidement dans les « espaces publics


autonomes » parce que ces espaces sont connectés entre eux. Les femmes qui critiquent la
fermeture fréquente de la borne-fontaine de leur quartier en faisant la vaisselle au lac, peuvent
se rencontrer au marché en faisant leurs courses. La circulation des informations et leur
amplification dans les espaces autonomes contribuent à élargir le débat sur l’eau. L’ « espace
public autonome » libéré des contraintes connues dans l’espace institutionnel, devient un
espace où sont débattus les problèmes relatifs à la gestion des bornes-fontaines.

Le débat dans l’ « espace public autonome » renforce également la prise de parole de


ceux qui, dans l’espace institutionnel ne prennent pas part aux débats. Les femmes, par
exemple, malgré leur rôle déterminant dans la gestion des réseaux d’eau potable, prennent
rarement la parole en assemblée générale. Elles font émerger, cependant, les problèmes liés à
la gestion des bornes-fontaines parce que dans l’« espace public autonome » leur parole n’est
pas soumise aux contraintes relatives aux coutumes (ne pas contredire son mari en public, sa
belle-mère, son beau-père). La façon dont les problèmes sont posés par les femmes dans
l’« espace public autonome » diffère de la manière dont ils sont discutés en assemblée
générale. L’autonomie vis-à-vis de l’autorité traditionnelle et des coutumes favorise l’égalité
de parole dans l’ « espace public autonome ». Les femmes y sont égales devant la prise de
parole parce qu’elles sont entre-elles, elles discutent entre-elles. De ce point de vue, celles qui
traditionnellement ne sont pas habituées à prendre part aux débats et prises de décision
concernant un bien collectif, notamment le réseau d’eau potable, intègrent le processus de
débat et influencent les décisions par le biais de l’« espace public autonome ».

Les débats dans l’« espace public autonome » favorisent l’émergence des problèmes,
mais surtout ils favorisent des modes d’organisation et des réactions censées dénoncer
certaines règles appliquées par des fontainières sans débats avec les consommateurs. La
décision de boycotter certaines bornes-fontaines résultent des débats propres à l’« espace
public autonome ».

169
F. G, vendeuse au marché de Lampsar, op.cit.
Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
229
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

VI.2 Quand l’« espace public autonome » élargit le débat sur la gestion
du réseau d’eau potable

Les frustrations sur la gestion des réseaux d’eau potable sont exprimées dans des
espaces publics moins codifiés et à la périphérie de l’espace institutionnel de débat. L’espace
associatif, le marché, la mosquée et le lac deviennent ainsi des espaces de débats où la gestion
de l’ASUREP est régulièrement évoquée et parfois devient le seul sujet de débat :

« Dès fois tout le monde sait que ça ne marche pas, les populations en parlent
chez elles, dans la rue, dans le marché, mais si tu décides de convoquer une
réunion pour en parler avec tout le monde, personne ne vient 170»

Le fait que les populations ne viennent pas ou ne s’expriment pas en assemblée


générale ne signifie pas toujours qu’elles sont d’accords avec la gestion du réseau d’eau par
l’ASUREP. Ils discutent des problèmes de gestion dans des espaces de débat moins cadrés.
Ainsi, les débats qui auraient dû avoir lieu au sein de l’ASUREP, notamment en assemblée
générale, s’exportent dans des « espaces publics autonomes », par exemple, l’espace
associatif. Ces espaces alternatifs au sein desquels la prise de parole se fait sans contrainte,
où la discussion est moins réglementée, constituent des espaces privilégiés de débat pour les
jeunes et les femmes. On assiste alors à un déplacement des désaccords de l’espace officiel de
débat vers des espaces moins formalisés avec des effets notables dans l’orientation des débats
et des prises de décision en assemblée générale.

La multiplication des espaces autonomes dans le village élargit non seulement le


débat sur l’eau qui n’est plus cantonné dans les instances institutionnelles de l’ASUREP,
mais surtout elle parvient à favoriser des changements dans la gestion. Les critiques
multiples, les frustrations exprimées dans les espaces autonomes arrivent de manière indirecte
dans les espaces officiels de débats où sont prises les décisions :

« La dernière fois, ma femme m’a dit : vous devez revoir votre gestion, tout le
monde en parle dans le village, les gens disent partout que l’eau est chère. Une
fois, elle m’a dit : il faut arrêter d’être président parce que les gens racontent
n’importe quoi dans le village(…) Certains disent que le prix à la borne-fontaine

170
Membre de l’ASC Lampsar, entretien, op.cit.
Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
230
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

est anormal, d’autres disent que nous avons détourné l’argent. Parfois c’est
n’importe quoi et ta famille en souffre »171.

Les critiques tenues dans les espaces autonomes et qui arrivent chez les membres
du bureau par l’intermédiaire d’un ami ou d’un parent ont précipité l’organisation de
l’assemblée générale. Pour le comité exécutif, ces critiques sur la gestion et les présupposés
détournements de l’argent de l’ASUREP par le bureau avaient pris une telle ampleur qu’il
fallait réunir le village pour s’expliquer sur le fonctionnement de l’ASUREP, sur les recettes
et les dépenses. Cette pression de l’ « espace public autonome » sur le bureau s’est manifestée
lors de la validation du bilan de l’ASUREP par le comité directeur. Vu la faible présence des
membres du comité directeur, un des participants à la réunion avait suggéré le report de la
validation du bilan par le comité directeur comme le prévoit le statut de l’ASUREP si les 1/3
des membres du bureau ne sont pas présents. Ce report qui allait repousser d’un mois la tenue
de l’assemblée générale est rejeté par le comité exécutif pour la simple raison qu’il y avait
beaucoup de soupçons de détournement d’argent et de mauvaise gestion exprimés partout
dans le village.

De plus, les critiques exprimées dans l’espace autonome ont permis de baisser les
tarifs de l’eau. La baisse des tarifs à la borne-fontaine de 25F CFA à 20F CFA la bassine, par
exemple, est proposée par le comité exécutif et validé en assemblée générale parce que dans
l’espace associatif, dans la rue, dans le marché, le prix de l’eau est régulièrement un sujet de
discussion. Ces critiques sur le prix de l’eau n’ont pas fait l’objet de mobilisations publiques.
Elles sont exprimées dans l’ « espace public autonome » de manière inattendue. Quand les
jeunes de l’ASC parlent des prix de l’eau dans une réunion, c’est de manière spontanée. La
réunion peut être convoquée au départ pour parler d’autres problèmes (organisation d’un
match, par exemple) et au cours de la discussion, le problème du prix de l’eau peut surgir.
Cependant, même si les critiques sur le prix et la gestion des bornes-fontaines ne font
pas l’objet de contestation dans la rue, il existe une porosité entre ces critiques et les
débats dans l’espace institutionnel (assemblée générale). Tout au long des réunions de
préparation de l’assemblée générale organisées par le comité exécutif, les critiques tenues
dans l’ « espace public autonome » sont déterminantes dans les choix faits par les membres

171
Membre de l’ASUREP Lampsar, op.cit.
Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
231
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

du comité exécutif. Les décisions sur le prix de l’eau sont étroitement liées à l’ampleur
des critiques qu’ils suscitent dans l’ « espace public autonome ».

L’Etat contraint les ASUREP à tenir une assemblée générale annuelle. Dans le cas de
Lampsar, l’organisation de l’assemblée générale et les décisions qui y sont prises sont en
étroites relations avec les débats et critiques exprimés dans l’ « espace public autonome ». Les
décisions prises en assemblée résultent, en partie, des débats tenus dans l’espace autonome.

La relation entre l’« espace public autonome » et l’espace de débat institutionnel est
mise en évidence par les travaux de Marie Gabrielle Suraud (2007). Selon cet auteur, les
conditions d’organisation du débat institutionnel renforcent la structuration et la dynamique
de l’ « espace public autonome ». Cette dynamique et le rapport de force qu’il crée permet
d’ « obtenir gain de cause ».

Frazer (2003) a montré également le lien entre l’espace public officiel de débat et les
espaces alternatifs qu’elle qualifie de « contre-publics subalternes ». Ces espaces sont des
arènes fréquentées par des groupes sociaux subordonnés qui y diffusent des contre-discours
leur permettant de fournir une interprétation de leur identité, de leurs intérêts et de leurs
besoins. L’auteur donne l’exemple des mouvements féministes qui à travers des journées
d’études, des conférences, de programmes universitaires, de congrès, ont pu inventer de
nouveaux termes pour leur réalité sociale et faire avancer leur cause en périphérie des
« espaces publics officiels» dans lesquels elles étaient désavantagées :

« Dans la mesure où ces contre-publics naissent en réaction aux exclusions au


sein des publics dominants, ils contribuent à élargir l’espace discursif. Ils
imposent en principe, que les hypothèses qui ne faisaient pas l’objet d’aucune
contestation, soient publiquement débattues. La prolifération de contre-publics
subalternes est en général synonyme d’un élargissement du discours
contestataire, ce qui est positif dans les sociétés stratifiées »172.

Dans le village de Lampsar, le débat en assemblée générale a favorisé l’expression des


points de vue dans l’ « espace public autonome ». Les débats dans cet espace autonome pèsent
dans les décisions prises en assemblée générale.
172
Frazer N., (2003), « Repenser l’espace public : une contribution à la critique de la démocratie réellement
existante », In où en est la théorie critique ?, éd. Découverte, p. 119
Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
232
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

Conclusion du chapitre 5

L’arrivée de l’ASUREP dans le village de Lampsar a amélioré les conditions d’accès à


l’eau potable. Même si certaines personnes continuent d’utiliser les puits et l’eau du lac pour
des raisons coutumières ou des désaccords avec les fontainières, l’utilisation de l’eau des
bornes-fontaines et des branchements privés est en forte augmentation.

L’ASUREP a aussi introduit une nouvelle forme de débat et de nouvelles de règles


d’usage de l’eau. L’assemblée générale, contrairement aux espaces de débat traditionnel, est
supposée favoriser le débat entre différents participants ayant des rapports à l’eau différents et
des statuts différents. Les personnes âgées, les jeunes et les femmes sont appelés à échanger
sur la gestion du forage et à trouver des règles de gestion partagées. Ainsi, d’un droit à la
parole fondé traditionnellement sur le statut, l’ASUREP vise l’égal accès à l’espace de débat
et à la prise de parole publique des usagers.

Dans la réalité, les problèmes relatifs à la gestion des bornes-fontaines ne sont débattus
dans l’assemblée générale. Ces problèmes liés, notamment aux horaires de bornes-fontaines,
aux prix et aux unités de vente de l’eau, sont exprimés en dehors de l’espace de débat
institutionnalisé. Cette espace de débat ne favorise la prise de parole publique des villageois et
l’expression des désaccords. Les villageois qui remettent en cause les règles de gestion des
bornes-fontaines s’expriment dans l’ « espace public autonome ». Ces villageois, parce que
l’espace institutionnel de débat est sous la contrainte des coutumes, préfèrent reconstituer
d’autres espaces de débat autonomes vis-à-vis de ces coutumes et de l’autorité traditionnelle.
Ainsi, la forme et les conditions de débat en assemblée générale favorisent l’exportation des
désaccords dans l’ « espace public autonome ».

De ce point de vue, le caractère démocratique de l’ASUREP ne peut pas être évalué au


regard de la participation renforcée des villageois. Ces derniers fréquentent peu l’espace de
débat institutionnel, ils n’expriment pas leurs désaccords pendant le débat public malgré les
incitations à la prise de parole publique de l’imam.

L’ASUREP est un levier de démocratie parce qu’elle suscite et renforce le débat dans
l’ « espace public autonome ». Il existe une porosité entre les positions exprimées dans cette

Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
233
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

espace autonome et les décisions prises en assemblée générale, notamment la baisse des tarifs
de l’eau à la borne-fontaine.

La multiplication des « espaces publics autonomes » en milieu rural tend à favoriser la


prise de parole de ceux qui traditionnellement ne s’expriment pas dans l’espace institutionnel
de débat. Les femmes et les jeunes jouent désormais un rôle déterminant dans l’orientation
des débats et prises de décisions relatives à la gestion des réseaux d’eau grâce à leur
dynamique dans l’ « espace public autonome ».

Cet « espace public autonome » joue aussi un rôle important dans la transformation
des formes d’expression. Les villageois, notamment les jeunes qui ne fréquentent pas les
espaces institutionnels de débat, y initient de plus en plus des manifestations publiques pour
signifier des désaccords. Dans le dernier chapitre qui suit, nous allons analyser la montée de
ces nouvelles formes de mobilisation.

Chapitre 5 : Création des ASUREP : la montée des mécontentements des populations locales. Le cas de
l’ASUREP de Lampsar (2006-2013)
234
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

Chapitre 6

Evolution des formes de mobilisation des usagers : de la « contestation


muette » à l’expression publique.

Introduction

L’accès à l’eau potable et les problèmes de pollution suscitent de plus en plus des
mobilisations dans la région de Saint Louis alors que les dispositifs participatifs
institutionnalisés y sont multipliés. Ces mobilisations sont généralement initiées par des
associations de jeunes. Elles diffèrent des formes de contestation traditionnellement connues
dans la région.

Dans cette région, les populations rurales se sont opposées dès les années 1980 à des
décisions de l’Etat, à des projets d’aménagement portés par la Société d’Aménagement et
d’Exploitation des terres du Delta (SAED), par exemple. Cette dénonciation se traduisait par
le refus des villageois d’assister aux réunions convoquées pour donner l’information relative à
ces projets. Le retrait, le repli sur soi constituait la forme de contestation la plus utilisée par
les villageois. Cette dimension culturelle de la contestation est relativement peu étudiée
contrairement aux mobilisations syndicales qui ont fait l’objet de différents travaux (Traoré,
2001; Dembélé, 2007).

Actuellement des mutations s’opèrent dans les formes de mobilisation des populations
rurales. De la « contestation muette », les populations s’expriment de plus en plus de façon
publique. Les désaccords ne sont pas exprimés dans les espaces de débat institutionnel, elles
s’expriment dans la rue ou dans l’espace associatif.

Les ONG ont joué un rôle important dans la montée de ces nouvelles formes de
mobilisation. D’abord, en rendant public les problèmes liés à la consommation des eaux de
mauvaise qualité et en suscitant une prise de conscience sur les conséquences sanitaires des
pollutions de l’eau. Ensuite, en former les populations rurales, notamment les associations

Chapitre 6 : Evolution des formes de mobilisation des usagers : de la « contestation muette » à l’expression
publique
235
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

locales aux méthodes de plaidoyer, c’est-à-dire leur apprendre à défendre une cause et à
exprimer publiquement leurs désaccords.

Il est question d’analyser, dans ce chapitre, les mutations des formes d’engament des
villageois, leurs effets sur les rapports entre les villageois et les autorités traditionnelles. Il
s’agit également d’étudier les impacts de ces mobilisations sur les relations entre les villageois
et la Fédération des Associations d’Usagers de Réseau d’Eau Potable (FASUREP) de
Saint Louis.

Le développement du chapitre se fera en trois phases. Nous parlerons, d’abord, de


l’évolution des formes de contestation des villageois dans la région de Saint Louis et en
particulier à Lampsar. Ensuite, nous analyserons le rôle des ONG dans cette montée des
nouvelles formes de mobilisation. Enfin, nous traiterons des enjeux de la FASUREP et son
rôle dans la remise en cause de l’entrée du secteur privé dans la gestion des réseaux d’eau
potable à Saint Louis. Il sera question également, dans ce dernier point, de montrer que les
villageois ne soutiennent pas cette dynamique de contestation portée par la FASUREP. La
réforme portant sur l’implication du secteur privé dans la gestion des réseaux d’eau potable
n’engendre pas une alliance entre les villageois et la FASUREP.

I. Evolution des formes de mobilisation des villageois

Les contestations à Saint Louis ne sont pas nouvelles. Les populations ont toujours
manifesté leurs désaccords si les décisions prises à leur égard sont inadaptées à leurs attentes.
Ce sont les formes que prennent ces contestions qui sont nouvelles et la médiatisation dont
elles bénéficient. L’histoire de cette contestation est liée à la politique agricole menée par
l’administration coloniale et poursuivie par l’Etat dans cette région. L’exploitation des terres
des paysans par l’Etat et par des groupes privés seront à l’origine des premiers conflits.

Chapitre 6 : Evolution des formes de mobilisation des usagers : de la « contestation muette » à l’expression
publique
236
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

I.1 La contestation « muette »

Les premières contestations dans la région de Saint Louis, qu’elles soient liées aux
questions foncières ou à l’accès à l’eau potable, ont été à l’initiative des populations elles-
mêmes. Nous les appelons « contestation muette » parce que le désaccord n’est pas
publiquement manifesté, ni formellement exprimé.

En ce qui concerne l’accès à l’eau potable, les contestations des villageois remontent
aux années 1950. La question de savoir s’il faut payer l’eau ou s’il faut la distribuer
gratuitement aux populations se pose dans la vallée du fleuve Sénégal. Dans le Diéri (partie
non inondable du fleuve), les premiers forages vont apparaître pour sédentariser les
populations. En 1957, plus de 51 forages vont être construits avec les Fonds d’investissement
pour le Développement Economique et Social (FIDES) (Ancey et al., 2008). Les frais de
fonctionnement et d’entretien de ces forages sont complètement pris en charge par l’Etat. Le
gouverneur de Saint Louis de l’époque, confronté à un déficit budgétaire, envisage de faire
contribuer financièrement les éleveurs à l’entretien de leur forage :

« La rumeur parvint très vite à la connaissance de certaines collectivités


d’éleveurs. Le 19 janvier 1957, le chef du territoire visitait le forage de Tatki.
Tous les éleveurs de la zone d’influence du forage se donnèrent le mot et, avec
une discipline jamais connue jusqu’à aujourd’hui, tous s’abstinrent d’envoyer
leur bêtes aux abreuvoirs »173.

Le refus de conduire les bêtes aux abreuvoirs le jour de la visite du gouverneur


manifeste le désaccord des éleveurs quant à l’idée de payer l’eau. Pour ces derniers, l’eau est
un bien que Dieu a offert aux êtres vivants, et qu’il est inacceptable de le faire payer. Face à
Cette contestation des éleveurs, le gouverneur abandonne l’idée de vendre l’eau.

Ces formes de contestation des villageois se sont multipliées également autour de


l’accès à la terre. Dans ce domaine, les rapports entre les populations rurales et l’Etat ont été
très souvent conflictuels.

173
Ancey V., 20008, « Payer l’eau au Ferlo. Stratégies pastorales de gestion communautaire de l’eau »,
Autrepart, N°47, p.54
Chapitre 6 : Evolution des formes de mobilisation des usagers : de la « contestation muette » à l’expression
publique
237
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

Dès les années 1950, la région de Saint Louis, fait l’objet de programme
d’aménagement à l’initiative du colonisateur. Cette région qui a un potentiel important en eau
douce (fleuve Sénégal, lacs) mais également en terres irrigables « va susciter d’immenses
espoirs de mise en valeur agricole basés sur l’irrigation, au regard de son potentiel
hydraulique »174. Les terres des villageois situées sur l’axe hydraulique Gorom Lampsar
seront concernées dans les différents programmes d’aménagement. Des rapports cités par Bâ
et Diop (1987) décrivent Saint Louis comme une région qui a un fort potentiel agricole par la
richesse des terres et la présence de l’eau mais également par la présence d’une main d’œuvre
« éclairée » et « intelligente ». Pour aménager des terres irrigables, l’administration coloniale
va tenter de récupérer celles jusqu’alors exploitées par des familles autochtones. Ces
tentatives de reprise des terres vont faire l’objet de résistances de la part des paysans selon
Diop.

En 1956, le maire de Saint Louis, dans un programme d’exploitation des terres situées
sur l’axe Gorom Lampsar, va affecter des terres à des commerçants qui habitent dans la
capitale Saint Louis175 pour le développement de la culture maraîchère. Les populations des
villages concernés par ce programme, notamment les habitants du village de Lampsar vont
s’opposer à ce projet :

« Quand ils ont appelé mon père qui était chef de village, ils ont dit qu’ils
voulaient faire du maraîchage. Quand ils sont partis, mon père a appelé les
villageois. Ces derniers se sont opposés au projet. Ils ne voulaient pas donner
leurs terres à des personnes étrangères, buveurs d’alcool (des non
musulmans)»176.

Devant l’opposition des populations manifestées par le refus de participer aux


réunions convoquées par le maire et le chef de canton, le projet va être abandonné.

Après les indépendances, les tensions entre les populations et l’Etat sénégalais vont se
poursuivre. La loi de 1965 du domaine national déclare que 1‘Etat est propriétaire des terres
nationales. Cette loi ignore les formes traditionnelles d’appropriation et lui substitue un

174
Bâ A., Diop N., 1987, « Les nouveaux enjeux dans la vallée du fleuve Sénégal », Revue de l’Association
Sénégalaise des Professeurs d’Histoire et de Géographie, p.79
175
Saint Louis était la capitale du Sénégal avant les indépendances.
176
Chef de village de Lampsar, entretien, juillet 2012
Chapitre 6 : Evolution des formes de mobilisation des usagers : de la « contestation muette » à l’expression
publique
238
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

régime censé être plus compatible avec la politique de développement. En dehors des zones
urbaines et des zones classées, les zones rurales sont divisées en zones pionnières,
normalement affectées par décret à des projets de développement et en zones de territoires
affectées aux membres des communautés rurales qui assurent leur mise en valeur et les
exploitent sous contrôle de l’Etat conformément à la de 1965. Avec cette loi, les populations
ont le droit d’usage des terres qu’elles exploitent. Ces terres sont, cependant, sous le contrôle
de la communauté rurale (Alissoutin, 2006).

Ainsi, dans les villages situés sur l’axe Gorom Lampsar, les terres vont être au centre
des conflits entre les populations et l’Etat. Avec la création de la Société d’Aménagement et
d’Exploitation des terres du Delta (SAED), l’Etat va opter pour le développement d’une
agriculture irriguée dans la vallée du fleuve Sénégal pour lutter contre la pauvreté suite aux
sécheresses des années 1970 et 1980. D’une part, les paysans vont voir leurs terres cultivables
réduites, 0,20 ha par jeune de plus de 18 ans. Avec l’évolution démographique, certaines
familles se retrouvent avec des surfaces cultivables insuffisantes pour assurer leur
autosuffisance alimentaire.

D’autre part, la SAED va aménager de nouvelles terres appartenant traditionnellement


à des paysans autochtones pour les affecter à de riches paysans ou à des groupes privés
disposant de moyens pour les exploiter. En 1981, la SAED réhabilite des terres situées sur
l’axe hydraulique Gorom Lampsar appartenant aux villages de Ndiaye, de Dellé et de
Lampsar. L’objectif de la SAED, était de désaffecter ces terres et de les réaffecter à la
communauté rurale. Le refus du chef de village de Lampsar, de signer la lettre de
désaffectation des terres va créer une situation de blocage du projet :

« La SAED avait demandé qu’on désaffecte nos anciennes terres et que le chef de
village signe une lettre pour reconnaître tout ça, et puis les terres reviendraient
après à la communauté rurale. J’ai dit à l’agent de la SAED de laisser la lettre.
J’ai appelé une réunion au village, les populations n’étaient pas d’accords. J’ai
refusé de signer. Les autres villages redemandent leurs lettres, ils désistent. La
SAED voulait nous isoler, elle ne nous parlait plus (…). Quand elle a vu qu’on ne
reculait pas, elle a dit que finalement les terres nous seront réaffectées après

Chapitre 6 : Evolution des formes de mobilisation des usagers : de la « contestation muette » à l’expression
publique
239
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

aménagement ; et effectivement c’est comme ça que les choses se sont passées


»177.

Les travaux de Boutillier (1989) ont montré également les tensions, dans la région de
Saint Louis, entre les populations et la SAED mais également entre les populations et des
groupes privés (Ndombo-Thiago avec la société CSS)178.

Les populations convoquées par une autorité au sujet d’un projet d’aménagement, par
exemple, peuvent décider de ne pas assister à la réunion pour montrer leur opposition. Ce
refus même s’il n’est pas exprimé publiquement peut avoir des conséquences sur les décisions
prises par l’autorité. Le fait de ne pas prendre en compte cette forme de contestation est
parfois à l’origine d’échecs de plusieurs projets de développement en milieu rural. Ainsi la
« contestation muette » a des conséquences sur l’action étatique et peut limiter ses résultats
dans la durée. L’Etat peut prendre des décisions, l’effort public en termes de financement
réalisé mais parce que les populations restent en retrait le projet échoue.

Si cette forme de contestation est traditionnellement ancrée dans les villages,


actuellement, elle change de forme. Les villageois organisent de plus en plus des
mobilisations pour exprimer leurs désaccords.

I.2 La contestation publique

Dans le domaine de l’eau, du foncier et de la pollution, ce sont les villageois


eux-mêmes qui luttent désormais pour défendre leurs droits d’accès à l’eau, à la terre et
à la santé. Les ONG ne sont pas nécessairement à l’origine des mobilisations. Les «
sans-pain » et les « sans-eau » revendiquent eux-mêmes leurs droits. Ils utilisent de
plus en plus la contestation pour manifester leurs désaccords, pour exprimer leurs
besoins et leurs droits à des services de base comme l’eau.

« Nos parents contestaient mais ils le faisaient devant leurs portes, c'est-à-dire
sans que les plaintes arrivent aux oreilles des concernés. Maintenant ça c’est fini,
177
Chef de village Lampsar, entretien, op.cit
178
Boutillier J. L., 1989, « Irrigation et problèmes foncier dans la vallée du Sénégal », Cahiers des Sciences
Sociales, 25 (4), p.469-488
Chapitre 6 : Evolution des formes de mobilisation des usagers : de la « contestation muette » à l’expression
publique
240
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

Nous avons le courage de nos opinions, quand nous ne sommes pas d’accords,
nous le faisons savoir publiquement»179.

Ces contestations sont dès lors à l’initiative d’associations de jeunes, les Associations
Sportives et Culturelles (ASC), par exemple. La forme utilisée est souvent le barrage d’une
route nationale ou la manifestation publique médiatisée par la radio ou la télévision.

Nom ASC et année de contestation Motifs de contestation

ASC village de Mbakhana (2012) Arrêt de service du réseau d’eau potable


géré par l’ASUREP de Mbakhana

ASC quartier Ndiagué, commune de Pollution de l’eau du fleuve et du lac de


Richard Toll (2011) Guiers

ASC village de Lampsar (2009) Electrification du village

ASC village de Ndiawdoune (2009) Dénonciation de la gestion du GIE du


village

Figure 23 : Des manifestations à l’initiative d’ASC dans des localités situées à proximité du lac de Guiers ou
du Gorom Lampsar

Ces contestations à l’initiative d’ASC font l’objet d’un débat interne. Une fois la
décision de manifester est prise au sein de l’ASC, les représentants des différentes catégories
sociales dans l’ASC vont relayer le message dans le village pour avoir l’avis des populations
et plus particulièrement les notables du village. Les jeunes filles dans l’ASC, par exemple,
vont discuter de la décision dans les associations de jeunes filles (OJF), les aînés qui restent
conseillers dans l’association relaient la décision dans leur classe d’âge.

« Dans l’association, il y a la majorité des membres qui est jeune, mais il y a


d’autres catégories d’âge. Il y a les aînés qui restent toujours des membres
d’honneur, et si on veut mobiliser le village on les implique, on passe par eux,
c’est des intermédiaires. Il y a aussi les jeunes filles. Pour les femmes, on peut
déléguer la marraine de l’ASC pour qu’elle discute avec elles »180.

179
Entretien collectif ASC de Ndiagué, op. cit
180
Membre de l’ASC Lampsar, entretien, op.cit
Chapitre 6 : Evolution des formes de mobilisation des usagers : de la « contestation muette » à l’expression
publique
241
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

Dans ce cas, la contestation est organisée à l’issue d’un processus de concertation


interne au village. Cette concertation débute au sein de l’ASC et touche ensuite toutes les
catégories sociales via des intermédiaires membres actifs ou membres d’honneur de l’ASC.
Avant de manifester aussi, les jeunes du village peuvent décider, d’abord, d’écrire les
autorités concernées pour exprimer leurs positions, leurs besoins. S’ils ne sont pas entendus
par ces autorités, ils passent par la manifestation publique :

« Avant la manifestation, il y a des réunions, on se concerte, on fait même des


démarches, on envoie des courriers aux autorités etc. Ce n’est pas toujours des
réactions spontanées, ce n’est pas parce que quelque chose ne nous a plus que
nous allons descendre automatiquement dans la rue. Il y a un processus de
concertation dans le village pour voir les décisions »181 .

Ainsi, en 2012, les habitants du village de Mbakhana vont se mobiliser pour dénoncer
les arrêts répétés de leur réseau d’eau potable géré par l’ASUREP. Ces ruptures de service
d’eau sont essentiellement liées au bouchage régulier des pompes installées dans le Gorom
Lampsar et qui font remonter l’eau dans le château d’eau. Ces pompes sont bouchées par le
typha, une herbe aquatique qui s’est développée dans le Gorom Lampsar. Dans le cas de
Mbakhana, la mobilisation des villageois vise surtout à interpeler l’Etat qui est en charge de la
gestion du Gorom Lampsar.

Avant la manifestation, nous sommes allés voir le président de l’ASUREP pour lui
dire que nous ne nous mobilisons pas directement contre lui, mais l’objectif c’est
l’Etat. Il n’y a pas de raison que les autres villages aient de l’eau et pas nous
alors que nous sommes dans la même zone. Les femmes font des kilomètres pour
chercher de l’eau à Ndiawdoune ou à Lampsar. Mais quand nous avons fait la
manifestation, quelques jours après, le président de l’ASUREP a convoqué une
réunion au village pour nous dire qu’il a rencontré le Directeur de l’Hydraulique
Régionale et que le problème allé faire l’objet d’une réunion avec les autorités de
l’hydraulique. Il nous a dit aussi qu’il a eu une aide financière de la part de

181
idem
Chapitre 6 : Evolution des formes de mobilisation des usagers : de la « contestation muette » à l’expression
publique
242
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

l’usine Grand Domaine du Sénégal (GDS) pour nettoyer les alentours de la


pompe »182.

Ces mobilisations des villageois et leur médiatisation constituent une pression sur les
autorités, une façon de les obliger à réagir :

« Nos autorités ne réagissent que quand tu cries fort, tant que tu ne manifestes
pas tu n’as rien. Quand tu cries fort et que tu appelles les médias, le lendemain
les autorités t’appellent »183.

Dans cette perspective, le 09 avril 2011, l’Association Sportive et Culturelle (ASC) du


foyer des jeunes du quartier de Ndiagué, commune de Richard Toll, a organisé une
manifestation pour dénoncer la pollution causée par l’usine « Bio-fertilisant » installée dans
leur quartier. Cette usine financée par la Fondation Agir pour l’Education et la Santé (FAES)
de l’ex-première dame du Sénégal, Viviane Wade, devait fabriquer de l’ « engrais bio » à
partir des déjections solides et liquides des animaux mélangées aux litières constituées de
pailles ou de produits dérivés. Avec la fermentation, les déjections dégagent de forte chaleur
et une odeur nauséabonde insupportable pour les populations environnantes. De plus, les eaux
usées de l’usine sont directement déversées dans le fleuve Sénégal. Pour l’association des
jeunes, l’objectif de la manifestation est de :

« Mobiliser les efforts à l’échelle communale afin de protéger et de promouvoir


les droits de tous les habitants, en particulier le droit de vivre dans un
environnement sain, sans contamination et sans pollution de proximité dans
toutes ses formes pouvant nuire au développement physique, mental, spirituel et
184
social de l’hommes » .

L’ampleur médiatique de cette manifestation va obliger l’ex-première dame du


Sénégal (Viviane Wade) à envoyer des collaborateurs sur le terrain pour engager des
discussions avec les jeunes du quartier. Après cette manifestation, la sécurité de l’usine est
aussi renforcée. Lors de notre visite à l’usine, il nous a été interdit, par la gendarmerie qui
assurait désormais la sécurité de l’usine de prendre des photos de l’installation. La

182
Membre ASC de Mbakhana, entretien, septembre 2012
183
Membre ASC village de Ndiawdoun, entretien, septembre 2012
184
ASC Ndiagué, entretien collectif, mai 2011
Chapitre 6 : Evolution des formes de mobilisation des usagers : de la « contestation muette » à l’expression
publique
243
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

mobilisation organisée par l’ASC a pu élargir le débat sur les risques sanitaires et les dangers
que peut causer l’implantation de cette usine dans le quartier.

Dans le village de Ndiowdoune, à proximité du Gorom Lampsar, la mobilisation à


l’initiative des jeunes de l’ASC vise à dénoncer le fonctionnement du GIE du village dont le
fonctionnement. En mai 2009, l’ASC a organisé une assemblée générale dans le village pour
discuter sur la gestion du groupement d’intérêt économique du village (GIE). Ce GIE existe
dans le village de Ndiawdoune depuis la création de l’usine « Grand Domaine du Sénégal »
(GDS) en 2003 sur des terres appartenant en grande partie aux populations du village de
Ndiawdoune. En contrepartie des terres prises aux paysans, le GIE était créé et financé par le
GDS dans le but de participer au développement du village de Ndiawdoune. Il est censé être
l’intermédiaire entre le village et l’usine GDS. Pour recruter des personnes du village, par
exemple, le GDS passe par le GIE. Ce dernier est chargé de faire le choix des personnes à
recruter d’abord au niveau du village et de les présenter à l’entreprise. Pour ce travail
d’intermédiation, le GIE perçoit, pour chaque salarié habitant dans le village, des
commissions. Cet argent est supposé financer des projets de développement dans le village
(construction d’écoles, de dispensaires, de mosquées etc.). L’objectif avec ce système consiste
à faire bénéficier à tous les habitants du village des avantages de l’usine implantée sur des
terres du village, à la fois pour ceux qui travaillent dans l’usine mais aussi pour ceux qui n’y
travaillent pas. En d’autres termes, ceux qui travaillent, par les commissions, partagent leur
gain avec ceux qui ne travaillent pas. Dans la réalité, le GIE « ne sert qu’aux intérêts des
membres du bureau ». Depuis sa création en 2003, il n’a été à l’origine d’aucun projet de
développement dans le village.

L’objectif de l’assemblée générale organisé par les jeunes de l’ASC est de sensibiliser
les populations, d’abord, sur les raisons d’existence du GIE, d’attirer leur attention sur la
mauvaise gestion du GIE. Ensuite une fois la population sensibilisée, de leur demander à
changer le bureau du GIE. L’assemblée générale dure toute la journée. Elle commence à 10
heures, les jeunes ont une chaîne à musique pour pouvoir attirer le maximum de personnes à
l’assemblée générale :

« Nous avons appelé une réunion à la place publique, avec une chaîne à musique
pour animer et attirer les villageois, de 08 heures à 18 heures 30 (…) ; Nous
voulions conscientiser le village et leur dire, il faut changer ce GIE et mettre en
Chapitre 6 : Evolution des formes de mobilisation des usagers : de la « contestation muette » à l’expression
publique
244
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

place un nouveau GIE qui concerne tout le village (…). Les gens disaient y en a
marre, nous avions mis des brassards rouges »185.

Convoquer une réunion publique pour dénoncer une gestion interne est une initiative
nouvelle. Jusqu’à présent, les populations critiquaient en dehors de l’espace officiel de débat.
L’initiative des jeunes va constituer une évolution dans la forme de mobilisation. Celle-ci est
considérée désormais comme une forme d’expression capable de favoriser une gestion plus
démocratique :

« Faire sortir ces gens-là (membres du bureau) était pour nous une manière de
changer les choses. Nous nous sommes dit si ça marche pour le GIE, ça va
marcher pour l’ASUREP, ça va marcher partout »186.

A ces différentes mobilisations s’ajoute celle organisée par l’ASC de Lampsar en 2009
pour exiger des autorités étatiques l’électrification du village. Cette manifestation a entraîné
un barrage de la route nationale.

Ces formes de mobilisation se sont amplifiées au Sénégal depuis les années 2000
(Dembélé, 2007)187. Mais contrairement aux mobilisations des syndicats qui visent
généralement des objectifs à long termes, celles à l’initiative des villageois sont motivées
généralement par des besoins immédiats, l’accès à l’eau potable, par exemple. Ce qui compte
le plus pour ces populations, c’est la satisfaction immédiate de leurs besoins. Pour reprendre
les mots d’Alissoutin (2006) :

« C’est pour échapper à l’étau des précarités économiques et sociales que les
populations locales se mobilisent ».

Autrement dit, l’engagement des populations rurales dans un mouvement de


contestation est lié à l’espoir que suscite ce mouvement quant à la satisfaction de leurs besoins
liés au quotidien.

185
Membre ASC Ndiawdoune, entretien, août 2012.
186
Ibidem
187
Pour l’auteur, les privatisations, notamment celle de la Société Nationale de l’Electricité (SENELEC), vont
entraîner des mobilisations diverses. Il décrit le Sénégal comme un chaudron social secoué par des grèves
fréquentes organisées par des syndicats, des étudiants, des organisations paysannes ou des associations
villageoises.
Chapitre 6 : Evolution des formes de mobilisation des usagers : de la « contestation muette » à l’expression
publique
245
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

Ces nouvelles formes de mobilisation ne sont pas propre à la région de Saint Louis,
elles ne sont pas spécifiques non plus au Sénégal. Dans ces travaux au Burkina Fasso,
Capitant (2008) analyse les protestations en rapport avec le contexte politique et les instances
politiques de concertation. Elle met en évidence le recours de plus en plus fréquent des
populations à des formes d’actions collectives malgré l’existence des instances politiques de
concertation censées favoriser le dialogue politique. Ainsi, dans un milieu rural où les
conflits étaient traditionnellement réglés par des intermédiaires (notables, chefs de
villages, chefs religieux, etc.), la contestation constitue pour les villageois un moyen
nouveau pour obtenir satisfaction. Le rapport de force qu’elle engendre favorise la
satisfaction des demandes des populations. De ce point de vue, les villageois sont plus
nombreuse à investir « l’espace public autonome» pour dénoncer des inégalités notamment
dans le domaine de l’accès à l’eau, pour refuser des conformismes établis entres leurs élus et
des « partenaires privés » (vente de terres des paysans par les élus).

Dans cette mutation des formes de mobilisation, les ONG ont joué un rôle important
en agissant sur l’engagement des villageois mais aussi en politisant les problèmes auxquels
ces villageois sont rencontrés.

II. Le rôle des ONG

Les ONG ont agi sur deux volets pour favoriser le processus de transformations des
formes de mobilisation des populations en milieu rural : dans un premier temps, elles incitent
les villageois à s’exprimer publiquement. Dans un second elles œuvrent pour la publicité des
problèmes de l’eau.

II.1 L’appui à l’engagement citoyen

Si les mouvements sociaux des années 1980 contre les ajustements structurels ont été à
l’initiative des ONG dans les grandes villes (Dembélé, 2007 ; Traoré, 2001), ceux connus en
milieu rural ces dernières années sont organisés par les villageois eux-mêmes. Ces
mobilisations en milieu rural reçoivent rarement le soutien affiché des ONG. Ces dernières,
Chapitre 6 : Evolution des formes de mobilisation des usagers : de la « contestation muette » à l’expression
publique
246
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

cependant, ont favorisés leur émergence. Les ONG incitent les populations à revendiquer leur
droit d’accès à l’eau, à exprimer leurs besoins, à s’engager dans des mouvements associatifs
pour être plus fortes et capables de peser sur la sphère étatique. Le rôle de l’ONG dans cette
perspective est de pousser les populations à s’exprimer, à défendre leurs intérêts :

« Nous, notre rôle c’est aussi de sensibiliser les populations aux maladies causées
par l’eau pour qu’elles aillent faire pression sur les élus de leurs localités, sur les
responsables politiques. Parce que ces élus vont dans les lieux où les décisions
sont prises. Nous ne sommes pas des politiques, nous ne sommes pas toujours là
où les décisions sont prises. Mais nous disons aux populations, exprimez vos
besoins, allez voir vos élus et poussez les à jouer leur rôle. C’est ça aussi la
démocratie. Il faut que les populations osent dire à leur élu : tu es là depuis cinq
ans, tu n’as pas résolu nos problèmes, nous ne votons plus pour toi »188.

L’ONG aide aussi les populations à avoir l’information. Pour dénoncer un projet ou
participer à son élaboration, il faut avoir d’abord l’information. Dans ce cas, le rôle de l’ONG
reste déterminant quant à l’accès des populations à l’information. La publication des études,
par l’ONG Espoir Pour la Santé en 1990, faisant le lien entre le développement des maladies
hydriques et la consommation des eaux de surface polluées, mais également celle de l’ONG
AQUASSISTANCE sur la qualité des eaux de surface dans l’axe Gorom Lampsar, vont être
déterminantes dans la contestation relative à l’accès à l’eau. Dans le cadre du programme
« Alizès »189 débuté en 1997 dans la région de Saint Louis, l’étude diagnostique sur la qualité
de l’eau met en évidence la pollution des eaux du Gorom Lampsar, eaux consommées
pourtant par une majorité de populations riveraines.

L’ONG joue le rôle d’alerte et travaille à l’émergence d’une « conscience citoyenne ».


Les leaders dans les mouvements associatifs ont reçu également des formations (comment
faire un plaidoyer) de la part des ONG. Fortes de ces formations en plaidoyer, les
associations, notamment de jeunes, formulent de manière cohérente leurs demandes,
réagissent de manière plus organisée quand il faut contester une décision et quand il faut
exprimer une demande :

188
T D, membre de l’ONG « Eau Vive » Sénégal, entretien, 15 mars 2011.
189
Le projet Alizés avait pour but d’alimenter en eau potable des populations vivant à proximité des eaux de
surface à partir de station d’eau fonctionnant grâce à l’énergie éolienne.
Chapitre 6 : Evolution des formes de mobilisation des usagers : de la « contestation muette » à l’expression
publique
247
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

« J’ai reçu une formation juridique, j’ai fait des animations, j’ai participé à des
journées de formation à Saint Louis. Donc on a des expériences comme ça et c’est
avec ces expériences qu’on se bat pour dire non, on n’accepte pas ça. Elles
(ONG) ne participent pas directement au combat, mais on a reçu d’elles des
formations qui nous permettent de défendre nos idées, là on ne peut pas le nier,
parce qu’aussi c’est grâce à elles qu’on est là pour dire qu’on a tel droit »190 .

Le plaidoyer aussi permet aux associations et aux populations locales d’influencer une
politique, un programme de gouvernement ou entraîner un changement de procédure de
décision. En d’autres termes, le plaidoyer est un processus d’influence organisé, sur des
questions d’intérêts partagés dans le but de changer une manière de faire, un comportement ou
les rapports de pouvoir. L’objectif des ONG, dans ce cas, est de politiser la population
riveraine et rendre public leurs problèmes. Cette politisation fait que des populations
habituées au silence, à l’« auto-exclusion dans le débat public » (Carrel M., 2004), passent à
une prise de parole critique.

Les ONG à travers la formation ont participé à l’émergence d’un discours critique des
populations, discours de plus en plus exprimé de manière publique. Mais elles ont également,
à travers la publicité des problèmes de l’eau (maladies liées à l’eau), renforcé une prise de
conscience des populations par rapport aux risques liés à la consommation des eaux polluées.
Cette prise de conscience est l’un des déclencheurs des contestations publiques chez les
populations vivant à proximité des eaux de surface (fleuve, lac etc.)

II.2 La publicité des problèmes de l’eau

Les problèmes d’accès à l’eau potable ne sont plus uniquement une affaire d’experts et
de politiques. Ils sont de plus en plus sujet de discussion dans l’espace civique. Cette publicité
des problèmes est liée à l’action d’ONG qui ont fait de ce problème l’un des centres d’intérêt
des politiques publiques de l’Etat sénégalais. Les débats organisés sur l’eau par des ONG,
notamment, les plaidoyers sur l’accès à l’eau, les forums sur l’eau et l’assainissement (forum
sur l’eau et l’assainissement, Dakar, décembre 2012), les conférences de presse sur les

190
Ancien président de l’ASC de Lampar, entretien, op.cit.
Chapitre 6 : Evolution des formes de mobilisation des usagers : de la « contestation muette » à l’expression
publique
248
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

problèmes d’eau et d’assainissement mettent en évidence les enjeux sanitaires de l’accès à


l’eau et installent le thème de l’eau au centre des décisions politiques. Le forum social
organisé à Dakar en 2003 sur le thème «quelles alternatives aux politiques destructrices du
néolibéralisme ? » a donné à des associations de jeunes, associations de femmes, associations
paysannes et des syndicats l’occasion de débattre sur les privatisations qui touchent un certain
nombre de secteurs (eau, électricité, transport, agriculture etc.). Ces débats, certes, n’ont pas
permis d’arrêter immédiatement les privatisations. Ils ont attiré, cependant, l’attention des
décideurs et surtout des populations sur la nécessité d’avoir des services de base en milieux
défavorisés. Ils ont également permis une nouvelle conscience citoyenne qui a engendré de
nouvelles formes de contestation publique (Dembélé, 2007)

Dans la même perspective, l’élaboration du « Livre bleu : l’eau, la vie et le


développement »191 en 2009 par la Conseil des ONG d’Appui au Développement (CONCAD)
et l’ONG Eau Vive a joué un rôle important dans l’orientation des politiques d’accès à l’eau
du gouvernement sénégalais. Il a été financé par le Secrétariat International de l’Eau (SIE),
l’Agence Française de Développement (AFD), l’Union Européenne et les Pays Bas. Ce « livre
bleu » constitue un Etat des lieux de la politique d’accès à l’eau et à l’assainissement du
Sénégal. Il met en lumière les enjeux de l’accès à l’eau potable et de l’assainissement, les
améliorations des conditions d’accès à l’eau des populations notées ces dernières années. Il
met l’accent également sur les problèmes du secteur de l’eau (problèmes de qualité de l’eau,
inégalité dans l’accès à l’eau, vieillissement des installations hydrauliques, problèmes de
démocratie etc.). Le « livre bleu » identifie un certain nombre de défis à relever par l’Etat
pour l’atteinte des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD). Le premier
consiste à lutter contre les inégalités dans l’accès à l’eau. Au-delà de l’inégal accès des
populations à des adductions d’eau potable, les inégalités portent sur la qualité du service, sur
la tarification. Les usagers de l’eau en milieu rural ne paient pas les mêmes tarifs que ceux des
villes, ils ne bénéficient pas non plus la même qualité d’eau. Le second défi consiste à
équilibrer la politique d’accès à l’eau et celle de l’assainissement. Les investissements de
l’Etat sont généralement orientés sur l’accès à l’eau au détriment de l’assainissement. Pour le
troisième défi, il question d’améliorer la qualité de l’eau distribuée, notamment en milieu
191
Le « livre bleu » est une initiative du Secrétaire International de l’Eau pour traduire les engagements pris par
l’Assemblée Mondiale des Sages pour l’Eau (AMSE) en marge du forum mondial sur l’eau à kyoto en 2003.
Plusieurs « livres bleus » sont publiés par certains pays africains (Burkina Fasso, Mali, Niger en 2005 ; Bénin,
Sénégal 2009). Ces « livres bleus » évaluent les actions des pays concernés pour l’atteinte des OMD. Ils
constituent également des références d’actions pour ces pays.
Chapitre 6 : Evolution des formes de mobilisation des usagers : de la « contestation muette » à l’expression
publique
249
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

rural par le renforcement de la formation des associations d’usagers (ASUFOR/ASUREP).


L’implication des collectivités locales (régions, communes, communautés rurales) et du
secteur privé dans la gestion des réseaux d’eau potable constitue le quatrième défi. Le livre
bleu recommande une décentralisation des moyens destinés au secteur de l’eau. Le transfert
des compétences aux collectivités doit s’accompagner d’un transfert de moyens financiers et
de compétences techniques. Le cinquième défi, enfin, consiste à favoriser la concertation
entre acteurs locaux (Associations d’usagers, fédération d’associations d’usagers, collectivités
locales, services déconcentrés de l’Etat). La multiplication des échelles d’intervention rend
plus complexe le secteur de l’eau. L’harmonisation des responsabilités par la concertation
simplifierait ainsi les interventions dans le secteur de l’eau. Le « livre bleu », présenté au
Forum mondial de l’eau en 2012 à Marseille, inspire aujourd’hui la politique de l’eau l’Etat
sénégalais. La seconde phase de la « Réforme du Système de Gestion des Forages Motorisés
Ruraux » (2008-2013) s’appuie sur les conclusions du « livre bleu », notamment l’implication
des collectivités locales et du secteur privé, l’amélioration de la qualité de l’eau, le
renforcement de la concertation entre parties prenantes du secteur de l’eau.

Des actions spectaculaires sont également menées par les ONG, notamment par la
Coordination des Organisations de la société civile pour la Défense de l’Environnement et le
Développement du bassin du fleuve Sénégal (CODESEN)192 pour « exiger que les
responsables politiques débattent des mesures à prendre, afin de garantir aux citoyens leurs
droits les plus élémentaires – l’accès à des sanitaires et une eau propre»193. En partenariat
avec la coalition internationale d’ONG appelée « mettre fin à la crise de l’eau et de
l’assainissement à travers le monde », la CODESEN organise des dizaines de personnes
formant une file d’attente devant des toilettes. Cette manifestation appelée « queue devant les
toilettes la plus longue au monde » s’est tenue dans le village de Keur Momar Sarr (région de
Louga, cf. annexe 6), le site de la deuxième usine de traitement d’eau installée à proximité du
lac de Guiers. Cet évènement citoyen vise à dénoncer la pollution des eaux du lac de Guiers
favorisée par l’activité industrielle et le manque de structures d’assainissement des villages

192
La CODESEN est un réseau d’associations et d’ONG qui intervient le long du fleuve Sénégal. Ses secteurs
d’intervention sont variés : l’accès à l’eau potable et à l’assainissement, la lutte contre les maladies hydriques
comme le paludisme et la bilharziose, l’alphabétisation des populations locales, l’agriculture et l’élevage. Elle
intervient directement auprès des populations au niveau local. Une fois les difficultés connues à cette échelle,
l’action de la CODESEN peut être à deux niveaux : soit elle agit directement pour apporter des solutions aux
problèmes repérés (creuser des puits, réaliser des forages, distribuer des moustiquaires etc.), soit elle attire
l’attention des autorités politiques par la publicisation des problèmes voire leur politisation.
193
CONDESEN, 2010, « La queue devant les toilettes la plus longue au monde », Compte rendu, 5p.
Chapitre 6 : Evolution des formes de mobilisation des usagers : de la « contestation muette » à l’expression
publique
250
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

environnants. Il est question également d’attirer l’attention sur le manque d’eau potable de ces
villages situés aux alentours du site de l’usine de traitement d’eau :

« L’objectif majeur de cette manifestation est de provoquer une prise de


conscience des décideurs, des partenaires au développement et des populations
face au manque d’eau potable et d’assainissement, qui a des conséquences sur
l’augmentation des maladies liées à l’eau et à l’assainissement »194.

Les différentes actions des ONG ont permis la publicité les problèmes d’accès à
l’eau potable et susciter une prise de conscience des populations les plus démunies. Cette
publicité engendre des manifestations à l’initiative des villageois. Ces mobilisations ont
un impact sur l’orientation des politiques d’accès à l’eau potable. Leur médiatisation
par la radio et la télévision poussent les décideurs à faire de l’accès à une eau de qualité
une priorité.

Les mobilisations qui se sont multipliées actuellement en milieu rural ont pour effets
la remise en cause du rôle des porteurs de voix traditionnels (élus, chefs de village, imams).

III. Le changement du rapport à l’autorité traditionnelle

Traditionnellement, les autorités au niveau des villages (imams, chefs de village,


notables, élus) jouent un rôle déterminant dans le contrat social de la société sénégalaise et
plus particulièrement en milieu rural (Xavier, 2004).

Actuellement, un glissement s’opère dans la relation entre la population rurale et ces


acteurs régulateurs de la société. Les populations attendent de moins en moins que les
autorités traditionnelles leur ordonnent ce qu’elles doivent faire. Elles ont tendance à exprimer
leurs besoins et leurs droits par elles-mêmes. Les intermédiaires (chef de village, chef
religieux), ont moins d’influence sur les populations rurales. Le chef de village a peu de
contrôle sur les habitants de son village. Les chefs religieux ont moins d’influence sur les

194
Membre de la CODESEN, entretien, janvier 2011
Chapitre 6 : Evolution des formes de mobilisation des usagers : de la « contestation muette » à l’expression
publique
251
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

choix de leurs fidèles. Les travaux de Brundo (1995) ont montré l’influence traditionnelle de
ces intermédiaires appelés « courtiers » dans la relation entre l’Etat et les populations locales :

« Au Sénégal, les relations entre l’Etat et les communautés locales ont toujours
été assurées par des groupes sociaux intermédiaires. Le rôle joué par les
confréries musulmanes et par les réseaux de patronage politique est assez bien
connu »195.

Les élections présidentielles de 2000 ont marqué un tournant dans l’autonomisation


des choix des villageois à l’égard des intermédiaires en milieu rural. Jusqu’en 2000, il était
difficile pour un homme politique sénégalais de gagner une élection sans avoir le soutien des
chefs de village et des chefs religieux. Ces derniers donnaient l’ordre à leurs fidèles de voter
pour tel ou tel candidat et ces fidèles exécutaient les choix de leur guide spirituel. Depuis les
indépendances, les hommes politiques conscients du pouvoir des chefs religieux, ont
entretenu avec eux des relations privilégiées pour avoir leur soutien en période électorale.
Ainsi, la ville de Touba, capital des mourides, l’une des plus grandes confréries religieuses du
Sénégal, a été souvent considérée « comme un Etat dans un Etat », à cause de son influence
politique. Actuellement, les fidèles respectent moins les consignes de vote de leur guide
spirituel. Pendant l’élection de 2000, malgré l’appel de la plupart des chefs religieux à voter
pour le candidat socialiste sortant Abdou Diouf, plusieurs fidèles et particulièrement les
jeunes vont voter pour le candidat du Parti Démocratique sénégalais (PDS) qui va remporter
les élections. Le même scénario s’est reproduit à l’élection présidentielle de 2012. Malgré
l’appel à voter de certains chefs religieux pour le candidat sortant Abdoulaye Wade, les
populations vont voter massivement contre lui.

Le rapport à l’autorité, qu’elle soit religieuse ou politique, change. Les jeunes


contestent de plus en plus dans les villages sans forcément chercher à avoir l’accord des
autorités locales traditionnelles. Cette perte d’influence des autorités traditionnelles, liée
notamment aux enjeux du développement local (accès à l’eau, à l’éducation, lutte contre la
pauvreté etc.), a favorisée les contestations en milieu rural.

195
Brundo G., 1995, « Les courtiers du développement en milieu rural sénégalais », Cahiers d'études
africaines. Vol. 35, N°137, p.74
Chapitre 6 : Evolution des formes de mobilisation des usagers : de la « contestation muette » à l’expression
publique
252
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

Ces nouvelles formes de mobilisation créent des situations conflictuelles entre ceux
qui traditionnellement étaient les porte-paroles (chefs de village, élus) et les initiateurs de la
contestation. Ces porteurs de voix traditionnelles ont tendance à faire des revendications des
populations une affaire personnelle. L’élu ou le chef de village voit derrière ces
revendications la main de ses opposants qui cherchent à le déstabiliser. Il vit les contestations
comme une attaque personnelle :

« Le président de la communauté rurale croit que si on fait des revendications, on


fait de la politique. Il a tendance à tout confondre avec la politique. Quand on fait
des revendications, quand on appelle les médias pour dire qu’on n’a pas d’eau,
qu’on n’a pas d’électricité, il pense qu’on est contre lui. Quand les jeunes ont
revendiqué pour que la route soit refaite avant le « Gamou »196 , le PCR l’a mal
pris en disant que les jeunes sont pour l’opposition »197.

L’anecdote qui nous a été racontée par un membre de l’Association Sénégalaise de


Recherche, d’Etude et d’Appui au Développement (ASREAD) est significative, de ce point de
vue. Cet associatif, en 2007, a été invité par le Conseil des ONG d’Aide au Développement
(CONGAD) à participer à un séminaire de formation sur le « budget participatif »198. A son
retour de cette formation, il devait faire un compte-rendu pour la population et le PCR. Mais
paradoxalement, il choisit de ne pas rendre compte du séminaire de peur d’être perçu par le
PCR comme un adversaire politique:

« Il y a toujours les pesanteurs politique, le PCR peut penser que tu t’immisces


dans ses affaires. Déjà il me taxe de politicien, si je viens leur parler de budget
participatif le maire va dire voilà maintenant N. veut me créer des problèmes
»199 .

196
Les Gamous sont des pèlerinages organisés par la confrérie Tijan. Ils ont lieu dans la ville de Tivaoune. Ils
constituent des journées de prière et de dévotion du guide spirituel. Ils sont organisés un fois dans l’année et
mobilisent des disciples de l’autorité religieuse qui l’organise.
197
Membre de l’ONG ASREAD, entretien, mai 2011
198
Le « budget participatif » est un dispositif qui a été inventé à Porto Alègre au Brésil. Il consiste à soumettre
une partie d’un budget d’une région, d’une commune ou d’une ville aux populations concernées. Ces dernières
peuvent éventuellement discuter ce budget, le changer, formuler des propositions où imposer des directives. Son
objectif est de favoriser une justice sociale en mettant l’accent sur les plus démunis (voire aussi Molénat X.,
2009 ; Blondiaux L., 2008)
199
Membre de l’ONG ASREAD, op. cit
Chapitre 6 : Evolution des formes de mobilisation des usagers : de la « contestation muette » à l’expression
publique
253
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

Dans un contexte local où la politique est aussi une affaire de famille, c’est-à-dire l’élu
a généralement le soutien des personnes de sa famille, des personnes avec qui il partage la
même ethnie, la même langue, la même religion, la contestation, même si elle n’est pas
dirigée contre l’élu, ce dernier ainsi que ses soutiens ont tendance à la percevoir comme une
agression. Dans cette perspective, les contestations, même si elles portent sur des enjeux
locaux (alimentation en eau potable), ne sont pas soutenues par les autorités traditionnelles et
les élus.

Les différentes mobilisations des populations en milieu rural marquent une évolution
dans la forme d’expression des populations. Ces dernières s’expriment de plus en plus dans
l’espace public. L’émergence de ces mobilisations en milieu rural montre également la perte
d’influence des intermédiaires locaux sur les villageois et plus particulièrement sur les jeunes.

Dans la région de Saint Louis, la volonté de l’Etat d’impliquer le privé dans la gestion
des réseaux d’eau potable suscite une opposition de la part des ASUREP de Saint Louis
constituées en fédération. Cette « Fédération des Associations d’Usagers des Réseaux
d’Eau Potable » (FASUREP) de Saint Louis, née en réaction contre l’Etat, vise une
autonomisation de la gestion des réseaux d’eau potable à Saint Louis. La partie qui suit traite
des problèmes qui limitent l’atteinte des objectifs visés par la FASUREP. Il s’agit également
question d’expliquer les raisons qui motivent les populations à se désolidariser de cette
fédération.

IV. La création de la FASUREP de Saint Louis. Enjeux d’une


autonomie de gestion des réseaux d’eau potable.

La Fédération des Associations d’Usagers des Réseaux d’Eau Potable (FASUREP) de


la région de Saint Louis est constituée actuellement de quinze ASUREP. Elle dispose de
récépissé de déclaration d’association, délivré par le gouverneur de la région de Saint Louis,
depuis le 24 octobre 2011 (cf. annexe 4). Elle est administrée par un bureau constitué de six
membres : un président et un vice-président, un secrétaire général et son adjoint, un trésorier
et son adjoint, tous élus lors d’une réunion réservée aux comités exécutifs de tous les
ASUREP membres.

Chapitre 6 : Evolution des formes de mobilisation des usagers : de la « contestation muette » à l’expression
publique
254
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

IV.1 Contexte d’émergence de la FASUREP : une réaction contre


l’Etat.

La création de la FASUREP s’est faite dans un contexte de tension avec l’Etat. Trois
évènements sont à l’origine de ces tensions :

Le premier est lié à l’arrêt des travaux d’installation des stations de traitement d’eau
du projet Gorom Lampsar. Alors que ces travaux étaient en cours, les bureaux exécutifs des
ASUREP ont commencé à instaurer une dynamique de contestation pour dénoncer ce qu’ils
considèrent comme une « injustice sociale ». En effet, les travaux construction des stations,
débutée en 2006, s’arrêtent en janvier 2007. Touchée par la crise financière de 2008, la
Banque Islamique de Développement (BID) qui a financé, en partie, le projet Gorom Lampsar
n’était plus en mesure de respecter les délais fixés pour la fin des travaux de construction des
stations de traitement d’eau. Entre 2007 et fin 2009, les travaux sont suspendus. Devant cette
situation, la FASUREP va mobiliser les populations des villages concernées par le projet
Gorom Lampsar afin de dénoncer l’arrêt des travaux :

« Comme nous avions déjà mis en place les bureaux des ASUREP, nous nous
sommes réunis entre comités exécutifs pour discuter de l’arrêt des travaux
d’installation des stations. Nous avons demandé une audience au gouverneur de
Saint Louis. Il nous a dit : les stations sont des infrastructures de l’Etat, les
entreprises ont été choisies par l’Etat, vous n’avez rien à voir avec tout ça, vous
attendez qu’on termine les travaux que l’Etat vous remette les clefs. Nous avons
écrit aussi une lettre au ministre de l’époque, il ne nous a pas répondu. Donc,
nous avons trouvé nécessaire de faire une manifestation, d’appeler les radios et
de marcher pour sensibiliser, informer l’opinion nationale en disant : l’Etat nous
a promis des stations depuis 2006, elles devaient être inaugurées en février 2009.
Nous attendons depuis deux ans alors que l’eau sort d’ici chaque jour pour
alimenter Saint Louis et Dakar »200.

200
Président de la FASUREP, entretien, op.cit
Chapitre 6 : Evolution des formes de mobilisation des usagers : de la « contestation muette » à l’expression
publique
255
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

Le second évènement est relatif au branchement des stations au réseau électrique de la


Société Nationale de l’Electricité (SENELEC). Pour ces branchements, la Sénégalaise de
Voirie de Travaux Publics et de Génie Civil (SVTP/GC), chargée de la construction des
stations de traitement d’eau, demande à chaque ASUREP de verser une caution de 1.800.000
F CFA (plus 2.700 euros). Cette contribution financière demandée aux ASUREP va susciter
une nouvelle réaction collective de la part des ASUREP du projet Gorom Lampsar.
Considérant le montant exigé très élevé par rapport à la situation économique qui prévaut
dans les villages, les ASUREP vont décider collectivement ne pas payer ce montant qui
n’était pas prévu au début des travaux :

« Le GERAD nous a dit depuis au début que nous allons intervenir qu’après la fin
des travaux, que l’Etat va nous remettre les clefs après la fin des travaux pour que
nous gérons le fonctionnement des stations. Maintenant, on vient nous dire que
c’est à nous de payer les cautions alors qu’au départ, on n’a jamais parlé de ça.
On s’est dit, on ne va pas accepter. On s’est réuni, on a discuté entre ASUREP,
les comités exécutifs ont demandé une audience au ministre pour discuter de tout
ça, il ne nous a pas répondu. Nous lui avons envoyé un courrier pour lui expliquer
la situation et nous sommes mobilisés pour dénoncer la caution »201.

Le troisième évènement est en rapport aux problèmes environnementaux, notamment


la présence du typha, la baisse du niveau de l’eau du Gorom Lampsar ainsi que ses
conséquences sur le service d’eau potable. La présence du typha impacte le bon
fonctionnement des stations. Cette herbe qui envahit le Grom Lampsar bouche souvent les
pompes qui transportent l’eau du Gorom Lampsar vers les stations de traitement. Les
ASUREP sont régulièrement confrontés à ce problème de bouchage des pompes, ce qui
entraîne l’arrêt du service d’eau. La station de Mbakhana à cause du bouchage de sa pompe
va arrêter de fonctionner. Le même problème est connu par l’ASUREP de Mboltogne qui
connaît des arrêts de services fréquents.

Face à ces problèmes multiples qui ont des conséquences sur le service de l’eau, les
ASUREP interpellent les services et organismes chargés de la gestion des eaux de surface
(SAED, Office du lac de Guiers, OMVS, Hydraulique Régionale, Ministère de
l’Hydraulique). Dans cette perspective, une réunion est organisée par les ASUREP de Saint
201
Idem
Chapitre 6 : Evolution des formes de mobilisation des usagers : de la « contestation muette » à l’expression
publique
256
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

Louis en septembre 2011. Trois points sont à l’ordre du jour : d’abord la vie des stations
(problèmes rencontrés par les ASUREP), ensuite la situation du Gorom Lampsar et enfin les
questions diverses. Le deuxième point de l’ordre du jour, va dominer les débats. Il est
question de définir des formes d’action en réponses aux arrêts multiples du service d’eau liés
aux problèmes environnementaux et à la baisse du niveau du Gorom Lampsar. Dans les prises
de parole, deux formes d’actions apparaissent. D’un côté, il y a ceux qui proposent des
initiatives procédurales pour interpeler les services chargés de la gestion du Gorom Lampsar
(envoyer un courrier au ministère de l’hydraulique, rencontrer la SAED, l’Office du lac de
Guiers et le directeur de l’hydraulique régionale)

« Je ne suis pas contre une manifestation mais nous devons informer d’abord les
autorités de la situation. S’ils ne réagissent pas, nous pourrons manifester»202.

De l’autre, c’est des mobilisations qui sont proposées pour obliger les autorités en
charge de la gestion du Gorom Lampsar de trouver des solutions. Pour certains participants, il
faut organiser une manifestation parce que si rien n’est fait et que le problème perdure, les
populations vont accuser les ASUREP d’être responsable de la situation :

« L’Etat ne connais pas la procédure, il faut qu’on mobilise les populations et


qu’on manifeste. Pendant que vous allez envoyer des courriers, les populations
elles font quoi ? Les populations veulent de l’eau, elles ne vont pas attendre, elles
vont se retourner contre nous. Tant que tu ne manifestes pas, rien ne change »203.

La FASUREP se trouve ainsi dans une situation assez complexe. D’un côté, il y a le
risque que les populations se soulèvent contre les ASUREP si l’eau manque. De l’autre, la
FASUREP cherche à éviter que les autorités en charge de l’eau au niveau locale lui
reprochent le fait de ne pas les tenir au courant.

202
Membre ASUREP Lampsar, réunion des ASUREP, septembre 2011
203
Membre ASUREP Mbakhana, réunion des ASUREP, septembre 2011
Chapitre 6 : Evolution des formes de mobilisation des usagers : de la « contestation muette » à l’expression
publique
257
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

Figure 24 : Réunion des ASUREP de Saint Louis. Photo prise par Dione Y.

Ces différentes actions menées de façon collective constituent le début d’une solidarité
entre les ASUREP et marquent les premiers actes fondateurs de la FASUREP :

« On a compris après les problèmes multiples auxquels nous nous sommes


rencontrés qu’il faut que nous soyons solidaires pour exister surtout face à des
institutions (Etat, SVTP/GC, SAED, OMVS) qui essaient de défendre leurs
intérêts. Il faut qu’on soit fort, solidaire. Si on reste uni, tout ce que nous voulons
nous pouvons l’obtenir. Il faut qu’on soit déterminé et dire d’une seule voix ce que
nous volons »204.

Depuis sa création, le bureau de la FASUREP organise des réunions mensuelles avec


les comités exécutifs des ASUREP. Ces réunions permettent d’échanger leurs propres

204
Ibidem
Chapitre 6 : Evolution des formes de mobilisation des usagers : de la « contestation muette » à l’expression
publique
258
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

expériences en matière de gestion et de potabilisation de l’eau et de discuter des problèmes


rencontrés par les différents ASUREP. Il est question également pour la FASUREP de
réfléchir sur les actions collectives à mener pour s’opposer à l’introduction du secteur privé
dans la gestion des réseaux d’eau potable.

IV.2 Une implication du privé contestée par la FASUREP

La question de l’entrée du secteur privé dans la gestion des réseaux d’eau potable reste
très présente dans les premières réunions de la FASUREP. Les prises de parole portent plus
sur la gestion déléguée au secteur privé que sur les problèmes internes aux ASUREP.
L’introduction du privé dans la gestion des réseaux d’eau en milieu rural, souhaitée par l’Etat,
consiste à confier la gestion des réseaux d’eau et leur maintenance à des entreprises privées.
Trois arguments justifient l’implication du privé selon l’Etat :

D’abord, il est reproché aux ASUREP de ne pas distribuer une eau de qualité par
manque de professionnalisme. Ensuite, l’Etat dénonce le fait que certaines ASUREP situées
dans d’autres régions, notamment dans la région de Fatick (cf. annexe 6), ne payent pas
régulièrement leurs factures d’électricité à la SENELEC. Ces factures impayées sont payées,
en principe, par l’Etat qui garantit les ASUREP. Enfin, l’Etat vise à instaurer un tarif unique
dans les villages.

L’entrée du privé dans la gestion des réseaux d’eau potable en milieu rural, domine les
débats mensuels de la FASUREP. Un des participants de la réunion de la réunion du 29 mai
2011 va d’ailleurs souligner cette focalisation des débats sur la gestion déléguée :

« J’ai constaté qu’à chaque fois qu’on se réunit, on parle que de gestion
déléguée. Cette question revient automatiquement par force dans l’ordre du jour
alors que nous devons parler d’autres problèmes».

Les interventions vont porter sur les conséquences éventuelles de l’entrée du privé
dans la gestion des réseaux d’eau en milieu rural. Pour les ASUREP membres de la
FASUREP, deux arguments sont avancés pour s’opposer à la gestion déléguée au secteur
privé :

Chapitre 6 : Evolution des formes de mobilisation des usagers : de la « contestation muette » à l’expression
publique
259
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

D’abord, il est question pour la FASUREP d’être autonome dans la gestion des
ASUREP pour adapter les prix de l’eau aux réalités économiques des populations. La
FASUREP considère que l’introduction du privé dans la gestion des forages rend impossible
le contrôle du prix de l’eau par les populations. Or dans des villages où la majorité des
populations vit de l’agriculture, l’augmentation du prix de l’eau peut limiter l’accès à l’eau
des populations les plus démunies :

« Le privé, il ne cherche pas à savoir si telle ou telle famille a de l’argent ou pas,


si vous ne payez pas votre facture, il vous coupe l’eau automatiquement. Alors
que nous, on se connaît entre paysans et entre villageois. On sait ceux qui ont les
moyens et ce qui n’en ont pas. S’il y a une famille, par exemple, qui ne peut pas
payer parce qu’elle a des difficultés, par mesure sociale, l’ASUREP peut lui payer
sa facture ou lui donner un délai supplémentaire »205 .

Cet enjeu social revient régulièrement dans les interventions pour s’opposer à
l’introduction du privé. La FASUREP considère qu’il y a un risque que les populations les
plus démunies retournent vers les eaux de source. D’ailleurs, des travaux de recherche
donnent sens à cette préoccupation de la FASUREP. Dans les milieux défavorisés
l’introduction du privée, contrairement à une amélioration de l’accès à l’eau des pauvres,
favorise une certaine inégalité d’accès à l’eau des populations (Cissé A., 2006 ; Baron C.,
2007). Pour ces auteurs, dans les banlieues de Dakar, la privatisation de l’eau a entraîné une
amélioration du taux d’accès à l’eau potable des familles aisées qui ont accès à des
branchements privés dans leurs domiciles. En revanche, pour les populations démunies vivant
majoritairement en banlieue et utilisant les bornes-fontaines, l’eau est payée plus chère parce
que le coût de l’entretien des bornes-fontaines est indexé au prix de l’eau.

Ensuite, la FASUREP soupçonne l’Etat de vouloir contrôler les économies réalisées


par les ASUREP. Ces économies sont importantes pour certaines ASUREP comme le montre
le tableau ci-dessous.

205
Vice-président FASUREP, entretien, juin 2011
Chapitre 6 : Evolution des formes de mobilisation des usagers : de la « contestation muette » à l’expression
publique
260
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

Nom ASUREP Bénéfices réalisés en franc CFA (2012)


Mboltogne 1 368 774 (2 086 euros)
Lampsar 1 252 603 (1 909 euros)
Ross Béthio 7 739 680 (11 798 euros)
Thilène 11 765 809 (17 935 euros)

Figure 25 : Bénéfices réalisés par quelques ASUREP membres de la FASUREP. Source : FASUREP

« Quand on bavait à la SENELEC pour connecter nos stations au réseau électrique on


n’a vu personne. Lorsque les choses étaient difficiles, on était seul, on n’avait pas vu l’Etat,
on n’avait pas vu la Société D’exploitation des Eaux du Sénégal (SDE). Et maintenant que les
ASUREP fonctionnent et qu’on commence à avoir de l’argent, l’Etat nous dit qu’il faut une
gestion déléguée au privé, ce n’est pas normal. L’Etat n’a qu’un but, c’est de contrôler les
ASUREP, ce sont nos bénéfices qui l’intéressent, le reste est un faux débat »206

Pour s’opposer à l’implication du privé dans la gestion des réseaux d’eau potable, la
FASUREP mène différentes formes d’actions :

Dans un premier temps, il s’agit d’envoyer un courrier au Ministre de l’Hydraulique


expliquant les raisons pour lesquelles la FASUREP s’oppose à la gestion déléguée à un privé
et les conséquences que cette délégation peut entraîner dans la gestion des réseaux d’eau.
Cette décision est prise à l’issue d’un débat organisé le 29 mai 2011 et impliquant les comités
exécutifs des différentes ASUREP de la région de Saint Louis.

« Il faut qu’on leur dise clairement que si la gestion déléguée est appliquée, ça va
être un soulèvement populaire dans la région »207.

Dans un second temps, il est question pour la FASUREP de relever le défi de la


professionnalisation. Elle s’engage à améliorer la formation des ASUREP, à ses frais, en
matière de technique de potabilisation de l’eau mais aussi à favoriser les échanges
d’expériences entre opérateurs :

206
Membre de l’ASUREP Mbakhana, entretien, op.ci.
207
Membre l’ASUREP de Mboltogne, entretien, réunion FASUREP, mai 2011.
Chapitre 6 : Evolution des formes de mobilisation des usagers : de la « contestation muette » à l’expression
publique
261
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

« C’est notre manière de gérer qui va bloquer la gestion déléguée à un privé ; il


faut que nous prouvons à l’Etat que notre gestion est une gestion de qualité. Si
nous gérons bien, il reconnaîtra la qualité de notre gestion. Pourquoi il veut la
gestion déléguée ? Parce qu’il nous reproche une gestion pas claire, une gestion
sans qualité, un manque de transparence. Il faut qu’on fasse tout ça »208.

Ainsi, pour la FASUREP, il s’agit de se donner les moyens en termes de formation


pour améliorer la qualité de l’eau distribuée aux populations afin de montrer à l’Etat que les
ASUREP sont capables de gérer les stations de traitement d’eau. C’est dans cette perspective
que la FASUREP organise, le 22 mai 2011, un séminaire de formation avec ses propres
moyens pour réexpliquer le rôle des membres de bureau. Il s’agit aussi de former les
opérateurs à l’utilisation des produits de potabilisation pour la bonne qualité de l’eau
distribuée aux populations

La troisième stratégie pour la FASUREP consiste à faire une « alliance stratégique »


avec les autorités étatiques locales chargées de l’accès à l’eau, notamment le Directeur
régional de l’Hydraulique de Saint Louis. Jusqu’alors, la FASUREP contournait ce dernier et
s’adresser directement au Ministère de l’Hydraulique. Estimant que le Directeur de
l’Hydraulique Régionale (DHR) ne relayait pas suffisamment leurs préoccupations :

Cette stratégie de contournement a suscité des tensions entre le DHR et les membres
de la FASUREP, notamment le président : « le directeur de l'hydraulique a dit qu'il a peur de
moi». Cette information rapportée par le président de la FASUREP lors de la réunion du 29
mai va susciter le débat sur une nouvelle stratégie impliquant le directeur de l’hydraulique
régionale. Ainsi, plusieurs intervenants vont demander au président de favoriser le dialogue,
de changer de stratégie avec le directeur de l’hydraulique régionale. Il est question désormais
de l’informer des activités de la FASUREP, de lui faire une copie des courriers envoyés au
Ministre de l’Hydraulique et de l’inviter aux réunions de la FASUREP. Ce changement vise à
obtenir le soutien de la Direction de l’Hydraulique Régionale par rapport aux positions que
défend la FASUREP :

208
Membre de l’ASUREP de Ndiaye, réunion FASUREP, mai 2011
Chapitre 6 : Evolution des formes de mobilisation des usagers : de la « contestation muette » à l’expression
publique
262
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

« Il faut être souple avec le Directeur de l’Hydraulique Régionale, le manque de


débat avec lui n’arrange pas les choses, c’est au contraire l’Etat que ça va
arranger parce qu’il (Etat) a un objectif, la gestion déléguée »209 .

Cependant, les villageois soutiennent relativement peu l’opposition de la


FASUREP à l’entrée du privé dans la gestion des réseaux d’eau potable.

V. Les villageois se désolidarisent de la FASUREP

Contrairement à la FASUREP, les villageois que nous avons interrogés préfèrent la


gestion privée. Pour eux les manquements notés dans la gestion des réseaux d’eau sont
multiples. Avec la présence du secteur privé, les problèmes de gestion (non-respect des heures
d’ouverture) peuvent être dénoncés par les populations parce que le seul lien qui les lie à
l’opérateur privé est le service de l’eau potable. Dans ce cas, la population achète un service
(fourniture d’eau) vendu par un opérateur qui n’habite pas dans le village. Il peut dénoncer la
gestion si ce service n’est pas bien rendu, ce qui n’est pas toujours le cas si c’est des
personnes du village qui s’occupent de la gestion.

« Ici personne n’est content de la gestion, chacun fait ce qu’il veut. Moi je préfère
payer chère et avoir de l’eau, et je sais que la majorité du village pense la même
chose »210.

L’argument de la FASUREP selon lequel l’entrée du privé risque d’augmenter les


tarifs de l’eau n’est pas la première préoccupation des populations. Pour elles, la priorité est le
bon fonctionnement des bornes-fontaines, c’est-à-dire le respect des horaires d’ouverture,
avoir une eau de qualité et un service continu de l’eau. De ce point de vu, le discours porté par
la FASUREP pour contester l’implication du secteur privé n’a pas toujours une résonnance
auprès de la population :

« Ce qui intéresse la FASUREP, c’est l’argent, à chaque fois les membres du


bureau te parlent d’argent, mais en même temps ils ne mettent pas les moyens

209
Membre ASUFOR Mboubène, réunion FASUREP, mai 2011
210
Habitant du village de Lampsar, septembre 2011
Chapitre 6 : Evolution des formes de mobilisation des usagers : de la « contestation muette » à l’expression
publique
263
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

pour la bonne qualité de l’eau. Depuis qu’ils sont là, ils n’ont pas construit
d’autres bornes-fontaines. A quoi sert l’argent ? Ils nous annoncent des bénéfices,
d’accord, mais il faut que la population ressent tout ça, il faut une meilleure
qualité, il faut plus de bornes-fontaines de plus dans les autres villages (…) Les
gens ne sont pas contents de la gestion, si tu leur demandes de donner la gestion à
un privé, ils vont être d’accords. Moi je pense que s’il y a un privé, au moins, on
aura une eau de qualité et puis on aura des fontainiers, des opérateurs qui vont
respecter les horaires d’ouverture. Je suis pour que le privé gère, je ne suis pas le
seul, tu vas voir, dans le village, les gens ne font pas confiance à la FASUREP, il
n’y a pas de traçabilité »211.

L’analyse des débats organisés par la FASUREP montre également qu’elle s’oppose à
l’introduction du privé plus pour sauvegarder ses privilèges que pour défendre l’intérêt des
populations. Certaines ASUREP ont des bénéfices importants avec la vente de l’eau. Ces
bénéfices n’ont pas toujours d’effets sur l’amélioration de la qualité de l’eau et sur
l’augmentation des bornes-fontaines. Ils n’entraînent pas non plus une baisse des tarifs de
l’eau à chaque fois.

Si les villageois ont du mal à rentrer dans la dynamique de contestation de la


FASUREP, c’est aussi à cause de la diversité des tarifs appliqués dans les villages. Certes, la
définition d’un tarif unique est une visée de la FASUREP. Elle fait l’objet de débat au sien de
la fédération, mais la volonté de chaque ASUREP de tenir compte des particularités des
villages qui constituent son réseau et la « course aux bénéfices » limitent les possibilités d’un
accord autour d’un tarif unique.

A la différence des prix, s’ajoute celle des indemnités des opérateurs et des
fontainières. Les ASUREP qui constituent la FASUREP ont des conditions de rémunération
différentes. L’ASUREP de Lampsar verse une indemnité de 35000F CFA (53 euros) par mois
alors que l’ASUREP de Mboltogne, un village situé dans la même zone, paie 75000F CFA
(114 euros) à son opérateur. Ces différences suscitent des interrogations de la part des
villageois et des prises de distance par rapport aux actions de la FASUREP.

211
Habitant du village de Lampsar, entretien, mai 2011
Chapitre 6 : Evolution des formes de mobilisation des usagers : de la « contestation muette » à l’expression
publique
264
Partie 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement civique et mutation des formes
d’expression et d’intervention des usagers

Conclusion chapitre 6

Dans le passé, les conflits entre l’Etat et les villageois font rarement l’objet d’une
manifestation dans la rue. Le désaccord se traduit par le boycott des réunions organisées par
l’autorité étatique. Cette forme de contestation traditionnellement ancrée en milieu rural
permet aux villageois de signifier leur opposition sans remettre en cause publiquement les
décisions prises par des autorités (Etat, élus, chefs de village etc.).

Jusqu’alors, les mobilisations étaient propres aux grandes villes. Elles étaient initiées
et encadrées par des organisations syndicales et des ONG. Il s’agissait pour ces organisations
de porter « la voix des sans voix », de défendre les intérêts des démunies face à l’Etat qui
privatise dans différents secteurs (électricité, eau, santé, agriculture) depuis les années 1982.

Les formes de mobilisation qui se développent actuellement dans les villages visent à
interpeler publiquement l’Etat, à exprimer des besoins et à exiger des droits. Elles émergent
dans l’ « espaces public autonome » villageois et prennent des formes différentes : sit-in,
manifestation de rue, barrage de route. Ils marquent une évolution dans les rapports de
pouvoir entre la sphère étatique (Chefs de village, élus, Etat) et la sphère civique (populations,
associations).

Les ONG sont des leviers de transformation des formes d’engagement des villageois.
Leurs actions en matière de sensibilisation, de transfert d’information et de formation des
associations villageoises aux méthodes de revendication sont déterminantes dans la montée
des nouvelles formes de contestation.

Pour ce qui concerne la gestion des réseaux d’eau potable dans la région de Saint
Louis, la contestation de l’entrée du privé dans la gestion des réseaux d’eau à l’initiative de la
FASUREP est peu soutenue par les villageois. L’absence de règles communes de gestion et
les divers problèmes d’ordres démocratiques limitent les possibilités d’une alliance entre la
FASUREP et les villageois.

Chapitre 6 : Evolution des formes de mobilisation des usagers : de la « contestation muette » à l’expression
publique
265
Conclusion générale

Conclusion générale

Renforcement du « système » ou vitalisation de l’« espace public autonome » ?

La mise en place des ASUREP en milieu rural a permis de répondre à un certain


nombre d’exigences de l’Etat en matière de service d’eau potable. Depuis 1997, le taux
d’accès à l’eau potable des populations n’a cessé d’augmenter. La régularité du service d’eau
de qualité est en nette amélioration. L’instauration de la vente de l’eau au volume et les
procédures contraignantes de gestion de l’argent issu de la vente de l’eau ont permis une
transparence dans la gestion des fonds de l’ASUREP. Ces recettes permettent aux ASUREP
de maintenir le service d’eau et d’installer, dans certains cas, de nouvelles bornes-fontaines
destinées à d’autres populations qui n’étaient pas préalablement connectées au réseau.

Dans le village de Lampsar, l’ASUREP a favorisé la consommation d’une eau de


meilleure qualité par rapport à l’eau des puits et du lac qui étaient les principales sources
d’approvisionnement. Même si les puits et le lac continuent d’être utilisés comme eau de
boisson, la majorité des populations s’alimente désormais à partir des bornes-fontaines et des
robinets privés connectés au réseau de l’ASUREP.

Cependant, du point de vue de la qualité de l’eau distribuée par l’ASUREP, des


problèmes persistent. L’ASUREP ne dispose pas du matériel technique de dosage des produits
(sulfate, chlore, javel) nécessaire à la potabilisation de l’eau. Les problèmes sanitaires sont
réels dans le village, notamment les diarrhées liées à la consommation de l’eau distribuée par
l’ASUREP. Ces problèmes d’ordres sanitaires ne sont pas propres à l’ASUREP de Lampsar.
Ils touchent les autres ASUREP de l’axe hydraulique Gorom Lampsar. Ainsi, les populations
vivent avec les risques de santé liées à la consommation d’une eau qui ne répond pas toujours
aux normes d’une eau potable. Actuellement, l’Etat qui est le garant de la santé public des
populations n’a pas encore pris de mesures concrètes allant dans le sens du renforcement de la
qualité de l’eau distribuée. Il se limite à inciter les ASUREP à renforcer, par leurs propres
moyens, la formation des opérateurs en charge de la potabilisation.

Ainsi, en dépit des progrès constatés dans le service de l’eau d’une meilleure qualité
avec l’ASUREP, les tensions persistent et les mécontentements perdurent. Plusieurs
problèmes peuvent être relevés :

266
Conclusion générale

Au niveau des bornes-fontaines, les règles appliquées par les fontainières sont remises
en causes. D’abord parce qu’elles ne sont pas toujours discutées avec les usagers. Les horaires
d’ouverture, les unités de vente de l’eau (baignoire, bidon 20 litres, seau), contrairement à ce
qui est prévu dans le statut de l’ASUREP, ne font pas toujours l’objet de débat. Elles sont
généralement décidées par le comité exécutif et les fontainières. Dans certains cas, ces
dernières décident de changer les règles d’usage à l’insu des populations. Ces règles ne
conviennent pas aux usagers qui les contestent. Cette remise en cause est accentuée par le fait
que les horaires d’ouverture et les tarifs varient d’un village à un autre, d’un quartier à un
autre, d’une ASUREP à une autre. Cette diversité de règles accentue les conflits entre les
usagers et les fontainières.

a) La proximité ne favorise pas la prise de parole publique

Du point de vue de la participation des villageois, l’ASUREP n’a pas renforcé la


démocratie de proximité. Le fait que les populations habitent dans le même village et utilisent
le même réseau ne facilite pas leur participation aux débats relatifs à la gestion du bien
collectif (réseau d’eau) mis en place par l’Etat. Au contraire, la proximité dans le cas de
Lampsar est un obstacle à la prise de parole publique des villageois. Ces derniers
boycottent l’espace de débat institutionnel parce qu’ils sont parents. La remise en cause
publique d’un propos tenu par un parent, un notable, une personne âgée y est souvent perçue
comme une attaque personnelle, un manque de respect à l’égard de la personne contredite. De
ce point de vue, la proximité contraint les populations à ne pas exprimer leurs
désaccords publiquement.

Ainsi, l’assemblée générale des ASUREP qui est devenue l’espace de débat
institutionnel pour ce qui concerne la gestion des réseaux d’eau potable, ne favorise pas la
prise de parole publique des populations. Au contraire, elle participe à « l’exportation » des
débats dans des espaces plus autonomes. La présence des autorités traditionnelles et l’emprise
des coutumes (ne pas contredire une personne âgée) incitent certaines personnes, notamment
les jeunes et les femmes à s’exprimer en dehors de cet espace institutionnalisé. Ainsi, l’espace
institutionnel renforce l’« espace public autonome » qui devient l’espace dans lequel les
problèmes de gestion du réseau d’eau sont débattus. Ces problèmes discutés dans l’« espace
public autonome » ne sont pas déconnectés des décisions prises dans l’espace de débat

267
Conclusion générale

institutionnel. Au contraire, il existe une porosité entre l’« espace public autonome » et
l’espace de débat institutionnel (l’assemblée générale). La dynamique de l’« espace public
autonome », les débats qui y sont tenus sont déterminants dans l’orientation des débats
institutionnels et les prises de décisions relatives à la gestion des bornes-fontaines.

b) Quand le débat accentue les désaccords et favorise la prise de parole dans les
espaces autonomes

Le débat institutionnel ne favorise pas l’entente dans le cas de l’ASUREP. La


transparence que suscite le débat institutionnel, notamment la désignation publique des
« mauvais payeurs », engendrent des conflits dans le village. Ainsi, le débat visant l’entente
entre différentes participants aboutit à une situation conflictuelle dans le village avec des
effets sur le service de l’eau, notamment le boycott de certaines bornes-fontaines.

La multiplication des « espaces publics autonomes » a contribué au renforcement de la


prise de parole des femmes et des jeunes traditionnellement peu impliqués dans le processus
institutionnel de débat et de prise de décision. Ces derniers investissent l’ « espace public
autonome » et la redynamisent. Par le biais de cet « espace public autonome », ils élargissent
le débat sur la gestion des bornes-fontaines et pèsent sur les décisions en assemblée générale.

c) Evolution des formes d’intervention et d’expression civique

Le renforcement des « espaces publics autonomes » a favorisé également une


évolution des formes d’expression des populations. Celles-ci s’expriment de plus en plus de
façon publique en utilisant des formes qui vont parfois au-delà de la légalité (barrage de route,
destruction de bien public). Ces formes de mobilisation sont plus fortes quand il s’agit de se
mobiliser contre une décision extérieure (décision prise par l’Etat, par exemple). Elles
concernent aussi, de plus en plus, des décisions internes au village et prises par des autorités
locales (chefs de village, notables, élus). Elles caractérisent l’émergence d’un espace public
rural et sa tendance vers l’autonomisation vis-à-vis de l’autorité politique et traditionnelle.

268
Conclusion générale

Les contestations publiques, de plus en plus à l’initiative des populations, affaiblissent


le rôle des intermédiaires locaux porteurs traditionnels des voix des villageois. Les chefs
traditionnels contrôlent de moins en moins ces mobilisations. Les villageois expriment eux-
mêmes leurs besoins, leurs désaccords, leurs droits sans forcément l’accord des autorités
traditionnelles.

Les ONG ont favorisé cette montée des contestations publiques dans les villages. Par
la publicité des problèmes de l’eau et leurs conséquences sanitaires, elles incitent les
villageois à problématiser leurs besoins et à les faire entendre auprès des autorités étatiques.
Ces nouvelles formes de mobilisation à l’initiative des villageois ont des effets sur
l’orientation des politiques d’accès à l’eau en milieu rural. Le rapport de force qu’elles
engendrent constitue une pression sur les décideurs locaux notamment.

La montée des revendications des villageois dans le domaine de l’eau est renforcée par
les conditions de gestion des réseaux d’eau potable exigées par l’Etat. Les exigences d’un
meilleur service d’eau et d’un usage rationalisé de la ressource en eau (contrôle des volumes
d’eau prélevés) a motivé l’Etat à généraliser la tarification de l’eau au volume. D’un statut de
bien collectif accessible à tous et de façon gratuite, l’eau devient un bien vendu aux
populations. L’usager doit payer le service d’eau à son « juste prix ». Le non-paiement de ce
service entraîne une suspension de ses droits d’usage.

Dans le domaine de l’eau et de l’environnement mais également en matière de


politique de santé et d’énergie, l’Etat fixe des règles qui encadrent la vie des citoyens. De ce
point de vue, les reformes connus dans les services étatiques ces dernières années constituent
une emprise de l’Etat dans le quotidien des usagers. La question dès lors qui nous semble
pertinente à développer est de savoir si cette présence forte du « système » dans l’espace de
vie quotidienne des populations ne contribue pas au renforcement de l’ « espace public » ? Le
rapport entre le développement du « système » et la montée d’un « espace public » rural
constitue une perspective de recherche au Sénégal surtout dans un contexte où les
mobilisations civiques échappent aux modes d’organisation et d’intervention proposés tant
par les syndicats que par les ONG. Une telle perspective permettra de redéfinir l’ « espace
public » considéré comme quasi inexistant (Olivier de Sardan, 1999) en milieu rural africain.
Notre travail montre que l’ « espace public » se vitalise au Sénégal et donc il doit être analysé
au regard de la dynamique civique actuelle dans l’espace associatif et pas seulement en
rapport avec les espaces institutionnels de débat et de prise de décision.

269
BIBLIOGRAPHIE

Ouvrages, Thèses et Mémoires

Alissoutin R. L., (2006), La gestion de l’eau en milieu aride, Thèse de doctorat en droit,
Université Gaston Berger de Saint Louis, 518 p.

Bâ H. A., (1992), Amkoullel, l’enfant peul, Mémoire I, actes sud, 541 p.

Bacqué M. H., Rey H., Sintomer Y., (2005), Gestion de proximité et démocratie
participative. Une perspective comparative, Paris, Découverte, 214 p.

Baldé M. L., (1999), L’aménagement des périmètres intermédiaires de la moyenne vallée


(rive gauche) : bilan et perspectives, Thèse de doctorat en géographie, Université Toulouse le
Mirail, p.113-201

Becker H. S., (2002), Les ficelles du métier. Comment conduire sa recherche en sciences
sociales, Paris, Découverte, 354 p.

Bidimi J.G., (1997), La palabre. Une juridiction de la parole, Paris, éd. Michalon, 127 p.

Blondiaux L., (2008), Le nouvel esprit de la démocratie. Actualité de la démocratie


participative, Paris, éd. Seuil, 110 p.

Blondiaux L., (2005), L’idée d’une démocratie participative : enjeux impensés et questions
récurrentes, Paris, Découverte, p.119-137

Bouguerra L. M., Darmame k., Diop M., (2001), Il y a loin de la coupe aux lèvres. Quand
l’accès à l’eau devient un enjeu de gouvernance, Paris, éd. Charles Léopold Mayer, p.44-105

Bouleau G., Guérin L., (2011), Des tuyaux et des hommes. Les réseaux d’eau en France,
Paris, éd. Quae, p.7-11

Bratosin S., (2001), La concertation : forme symbolique de l’action collective, Paris,


Harmattan, 285 p.

270
Brun A., Lassere F., (2006), Politiques de l’eau. Grands principes et réalités locales,
Québec, Presse universitaire du Québec, p. 91-109

Camara M., (2010), Approche participative dans la gestion intégrée des ressources en eau
de la zone des Niayes (de Dakar à Saint Louis), Mémoire de maîtrise en géographie,
Université Cheikh Anta Diop-Dakar, p. 5-82

Camdessus M. (dir.), (2004), Eau, Paris, Robert Laffront, 289 p.

Cissé A., (2006), Partenariats public-privé et gouvernance dans la gestion de l'eau : quelles
pratiques au Sénégal entre 1996 et 2006, Mémoire de master 2 recherche, Economie
appliquée, Université Toulouse I, 106 p.

Clément R., (2011), Le service public de l’eau potable en milieu rural au Sénégal : l’exemple
de la communauté rurale de Moudéry, Thèse de doctorat en anthropologie, Université Ex-
Marseille, 394 p.

Coulon C., (2000), Les Musulmans et le pouvoir en Afrique noire. Religion et contre-culture,
Paris, Karthala, 176 p.

Dejeux D., (1985), Les politiques de l’eau en Afrique. Développement agricole et


participation paysanne, Economica, p.168-175

Denis S., (2006), Les défis de l’environnement. Démocratie et efficacité, Paris, éd. Sylleps,
250 p.

Dia A. H., (2006), Décentralisation et développement local. Le cas de la vallée du fleuve


Sénégal, Thèse de doctorat en sociologie, Université du Mirail, 566 p.

Dia, I., (1988), Sociologie et écologie dans la problématique des aménagements hydro-
agricoles dans la moyenne vallée du fleuve Sénégal (Rive gauche), Thèse de doctorat en
sociologie, Université Cheikh Anta Diop de Dakar, p.13-197

Dione Y., (2008), Démocratie locale et Agenda 21 : l’exemple de l’agenda 21 local de la ville
de Toulouse, Mémoire de Master 2 recherche, Université Paul Sabatier, 84 p.

271
Diop M., (2008), Eau et développement : échelles, temporalités, acteurs et enjeux autour de
la gestion durable du service public de l’eau en milieu rural au Sénégal, Thèse de doctorat en
sociologie, Université Paris dauphin, p.12-465

Diop S. N., (2010), Elimination partielle du fluor et de la salinité des eaux souterraines du
bassin arachidier par nanofiltration et par absorption sur argile, Thèse en chimie, Université
cheikh Anta Diop de Dakar, 205 p.

Diop S., Rekacewicz P., (2003), Atlas mondial de l’eau : une pénurie annoncée, Paris, éd.
Autrement, 67 p.

Diop. M. C., (1992), Le Sénégal : trajectoire d’un Etat, Dakar, Codesria, 501 p.

Dupeyrix A., (2009), Comprendre Habermas, Paris, édit. Armand Colin, 196 p.

Durand P., (1999), Penser l’action publique, Paris, LGDJ-E.J.A, p.212

Fabrizio S., (1993), Recherche anthropologique et développement, Paris, éd. de l’institut


d’ethnologie, p.43-171

Gilly P.J., Torre A., (2000), Dynamique de proximité, Paris, Harmattan, p.9-33

Habermas J., (1990), L’espace public, Paris, éd. Payot, 324 p.

Habermas J., (1997), Droit et démocratie. Entre faits et normes, Paris, éd. Gallimard, 551p.

Habermas J., (2003), L'éthique de la discussion et la question de la vérité, Paris, éd. Grasset,
87p.

Habermas J., 1987, Théorie de l’agi communicationnel, Paris, éd. Fayard, 450 p.

Hugon P., (2007), La politique de l’eau : de la concurrence à la coordination. Vers une


nouvelle forme de gouvernance de l’eau, Thèse en géographie physique, Université Cheikh
Anta Diop de Dakar, 447 p.

Kane A. (1997), L’après-barrages dans la vallée du fleuve Sénégal. Modifications


hydrologiques, morphologiques, géochimiques et sédimentologiques. Conséquences sur le

272
milieu naturel et les aménagements hydro-agricoles. Thèse de doctorat en géographie
physique, Université Cheikh Anta Diop de Dakar, 447 p.

Kesteloot L., (1991), Dieux d’eau du Sahel. Voyage à travers les mythes de Seth à Tyamaba.,
Paris, éd. Terrail, 327 p.

Le Bourhis J. P., (2004), La publicisation des eaux. Rationalité et politique dans la gestion
de l’eau en France (1964-2003), Thèse de sciences politiques, Université Paris I Panthéon
Sorbonne, p.6-137

Lewis N., (2001), La gestion intégrée de l’eau en France : critique sociologique à partir
d’une étude de terrain (bassin Loire-Bretagne), Thèse en sociologie, Université d’Orléans,
p.12-199

Loubet Del Bayle J. L., (2000), Initiation aux méthodes des sciences sociales, Harmattan,
Paris, p. 5-141.

Ly I., (1994), Problématique du droit de l’environnement dans le processus de


développement économique et social d’un pays en développement : l’exemple du Sénégal,
Thèse de doctorat d’Etat en droit, Université Cheikh Anta Diop de Dakar, p.27-98

Maïga M., (1995), Le fleuve Sénégal et l’intégration de l’Afrique de l’ouest en 2011, Paris,
Karthala, 243 p.

Mbacké D. N., (2003), Problématique de la gestion participative des ressources du bassin


du fleuve Sénégal. Le cas du comité local de coordination de Dagana. Mémoire de maitrise,
sociologie, Université Gaston Berger de Saint Louis, 119 p.

Merzoug M. S., (2005), L’eau, l’Afrique, la solidarité : une nouvelle espérance, Paris,
Présence Africaine, 190 p.

Miège B., (2010), L’espace public contemporain, Presse universitaire de Grenoble, 227 p.

Monnoyer-Smith L., (2011), Communication et délibération. Enjeux technologiques et


mutation citoyennes, Paris, Lavoisier, 270 p.

273
Naser I.F., Asit K.B., Murad J.B., (2001), La gestion de l’eau selon l’islam, Paris, Karthala,
208 p.

Ndaw A., (1997), La pensée africaine. Recherche sur les fondements de la pensée négro-
africaine, Sénégal, Les Nouvelles Editions Africaines du Sénégal, 286 p.

Ngom T. M., (2010), La problématique de l’accès à l’eau potable en milieu rural et ses effets
sur la santé des populations : Etude de cas de la communauté rurale de Ndiaganiao,
Mémoire de Maîtrise en Géographie, Université Cheikh Anta Diop de Dakar, p.64-108

Niass M. (dir.) (2002), La gouvernance de l’eau en Afrique de l’Ouest, UICN, 264 p.

Niasse M., (1998), Approches sociales de l'irrigation et de la gestion collective de l'eau :


démarches et expériences dans la vallée du fleuve Sénégal, Thèse de doctorat en sociologie,
Université Gaston Berger de Saint Louis, p.8-201

Paoletti M., (1997), La démocratie locale et le référendum, Paris, Harmattan, p.7-23

Raséra M., (2002), La démocratie locale, éd. LGDJ, p. 5-52

Repussard C., (2011), Le service public de l’eau potable en milieu rural au Sénégal :
l’exemple de la communauté rurale de Moudéry, Thèse de doctorat en anthropologie,
Université Aix-Marseille, 398 p.

Rosanvallon P., (1992), Le sacré citoyen, Paris, éd. Gallimard, p.185-230

Rosanvallon P., (2006), La contre démocratie, la politique à l’âge de la défiance, Paris, éd.
du Seuil, p.9-38

Salem-Murdock M. (dir.), (1999), Les barrage de la controverse. Le cas de la vallée du


fleuve Sénégal, Paris, éd. Harmattan, 265 p

Sall A., (2005), L’eau au Sénégal. Les enjeux actuels de la privatisation, Dakar et Kaolack :
essai de géographie sociale, Thèse de doctorat en géographie, Université de Caen, p.20-153

Salles D., (2006), Les défis de l’environnement. Démocratie et efficacité, Paris, Syllepse,
250 p.

274
Schneier-Madanes G. (dir.), (2010), L’eau mondialisée, la gouvernance en question, Paris,
la Découverte, coll. Recherches, 492 p.

Schumpeter J., (1945), Capitalisme, Socialisme et Démocratie, Paris, éd. Payot, 433 p.

Sène A., (2008), Des institutions internationales à l’action locale. A quelle échelle le
développement durable est-il efficace ? Le cas des équipements structurant dans le bassin
versant du fleuve Sénégal, Thèse de géographie, Université Joseph Fourier, 588 p.

Sillonville K.J., (2003), Stratégies d’acteurs face à un projet de développement dans la


région Dakaroise : le cas du Programme Eau Long Terme, Mémoire de DEA, Université
Toulouse le Mirail, p.32-63

Singler F., (2008), L’enquête et ses méthodes : le questionnaire, Paris, éd. Armand Collin,
127p.

Sintomer Y., (1999), La démocratie impossible ? Politique et modernité chez Weber et


Habermas, Paris, Découverte, 404 p.

Suraud M. G., (2007), La catastrophe d’AZF. De la concertation à la contestation,


Documentation Française, coll. « Réponse environnement », 249 p.

Tangara, D. (1998). Les défis du développement régional et la dynamique des politiques


d’aménagement du bassin du fleuve Sénégal, Thèse de doctorat en géographie, Université
Gaston Berger de Saint Louis, p.10-139

Thioune K. A., (2010), Problématique de l’approvisionnement en eau potable en milieu


rural : Cas de la communauté rurale de Darou Khoudoss, Mémoire de maîtrise en
géographie, Université Cheikh Anta Diop de Dakar, p.7-86

Traoré A., (2001), L’Afrique dans un monde sans frontière, ACTES du Sud, 190 p.

Traoré R., (2012), Eau, Territoire et Conflits : analyse des enjeux de la gestion
communautaire de l'eau au Burkina Faso : l'exemple du bassin versant du Nakambé, Thèse
de doctorat en sociologie, Université Toulouse le Mirail, 379 p.

275
Articles, Colloques, Séminaires, Journées d’études, Rapports de recherches

Alissoutin R. L., (2008), « Les défis du développement local au Sénégal », Codeséria, 189 p.

Amzert M., (2001), « La participation et ses territoires : métamorphoses et métaphores du


développement », Géocarrefour, vol. 76, N°3, p.175-180

Ancey V. et al. (2008), « Payer l’eau au Ferlo. Stratégies pastorales de gestion


communautaire de l’eau », Autrepart, N°46, p.51- 66

Aquino P., Camara S., Diop B., (2002,) « La gestion des zones inondables par les
collectivités locales : le cas du fleuve Sénégal », In La gestion intégrée des ressources
naturelles en zone inondable tropicale, collection colloques et séminaires, Paris, IRD édition,
p.146-165

Ayeb H., Landy F., (2007), « Les associations d'usagers de l'eau en Égypte vue de l'Inde :
entre gouvernance, démocratie et accès à l'irrigation », Autrepart, N°42, 19 p.

Bâ A., Diop N., (1987), « Les nouveaux enjeux dans la vallée du fleuve Sénégal », Revue de
l’Association Sénégalaise des Professeurs d’Histoire et de Géographie, p.79-94

Bacqué M. H., Sintomer Y., (1999), « L’espace public dans les quartiers populaires d’habitat
social » In Neveu C., Espace public et engagement politique, p.115-147

Baron C., (2007), « Société civile et nouvelles formes de partenariat pour l’accès à l’eau dans
les pays en développement », Revue internationale et stratégique, N° 66, p.79-91

Baron C., Belari W., (2010), « Gouvernance participative et rôle des associations pour
l’accès à l’eau dans les périphéries de Casablanca (Maroc », In Schneier-Madanes G. (dir.)
L’eau mondialisée. La gouvernance en question, p.381-401

Barraqué B., (1998), « De l’appropriation à l’usage de l’eau patrimoine commun », Revue


juridique d’Auvergne, p.79-95

Barrau E., Frenoux C., (2010), « Vers l'institutionnalisation d'une délégation


communautaire ? Le cas de l'accès à l'eau potable dans les quartiers défavorisés de Port-au-
Prince », Tiers-Monde, N° 203, p. 123-140.

276
Batrix C., (2009), « La démocratie participative en représentation », Sociétés
Contemporaines, N° 74, p.97-115

Batrix C., (2012), « Des sciences de la participation : paysage participatif et marché des biens
savants en France », Quaderni, N°79, p.58-78

Blanchon D. (2001), « Les nouveaux enjeux géopolitiques de l'eau en Afrique australe »,


Hérodote, N°102, p. 113-137.

Blondiaux L., Sintomer Y., (2002), « L’impératif délibératif », Politix, Vol. 15, p.17-35

Blundo G. (1998), « Logiques de gestion publique dans la décentralisation sénégalaise :


participation factionnelle et ubiquité réticulaire », Bulletin de l’APAD, n°15, mis en ligne le
20 décembre 2006, consulté le 05 mars 2010, URL : http://apad.revues.org

Blundo G., (1994), « Le conflit dans l’ « entente ». Coopération et compétition dans les
associations paysannes du bassin arachidier sénégalais », In Les associations paysannes en
Afrique, p.99-119

Blundo G., (1995), « Les courtiers du développement en milieu rural sénégalais », Cahiers
d’Etudes africaines, Vol. 35, N°137, p.73-99

Bonaccorsi J., Nonjon M., (2012), « La participation en Kit : l’horizon funèbre de l’idéal
participatif », QUADERNI, N° 79, p.29-42

Bonnnassieux A., (2010), « Enjeux autour de l’accès à l’eau et diversification des modes de
gouvernance des infrastructures hydrauliques au Burkina Fasso », GEODOC, N° 57, p.185-
205

Bouquin D., Bocoum M. L., Valfrey B., (2002), Caractéristiques et facteurs de succès des
systèmes multi-villages au Sénégal, Rapport de recherche, 46 p.

Boutillier J. L., (1989), « Irrigation et problèmes foncier dans la vallée du Sénégal », Cahiers
des Sciences Sociales, 25 (4), p.469-488

Boutinot L., Diouf C. N., (2006), « Quand certaines approches participatives engendrent
des formes ambiguës de mobilisation de la société civile. Quelques exemples à propos de la

277
gestion des ressources naturelles au Sénégal », In Bertrand A. (dir.), L’Etat et la gestion
locale durable des forêts en Afrique francophone et à Madagascar, Paris, éd. Harmattan, p.
192-208.

Capitant S., (2008), « Montée des pratiques protestataires en Afrique : fragilisation ou


renforcement de la République ? », Congrès pour les 50 ans du Centre d’Etudes d’Afrique
Noire, CEAN, IEP Bordeaux, France, du 3 au 5 septembre 2008.

Champetier S., (dir.), (2003), « Que les « sans-pain » ne soient pas sans eau ! Partenariat
public-privé-ONG pour l’accès à l’eau des populations démunies », Etudes et Recherches,
N°230, p.27-50

Charles N. B., (2001), « La décentralisation en Afrique : enjeux et perspectives », Afrique


contemporaine, N°199, p. 95-114

Chaskiel P. Suraud M.G., (2007), « Travailleur ou citoyen ? L’après catastrophe de l’usine


AZF comme enjeu public », Natures Sciences Sociétés, Vol.15, p.370-378

Chevalier J., (1999), « Synthèse » In CURAPP/CRAPS, La démocratie locale.


Représentation, participation et espace public, p.405-415

Colin R., (2011), « Les animations participatives » en Afrique : naissance et fortune d’une
expérience politique endogène, Présence Africaine, N° 184, p.121-129

Coly A., (2003), « Enjeux de la participation des collectivités locales à la gestion intégrées
des ressources en eau du fleuve Sénégal », Les Cahiers de Giradel, N°, p.17-27

Crouzel Y., (2007), « Démocratiser la gouvernance locale. Entre ouverture d’un espace
public et inertie des pratiques », Rapport d’étude, 25 p.

Dembélé M. D., (2007), « Sénégal : vigueur et diversité des mobilisations », Alternative du


Sud, Vol.XIII, N°4, p.87-89

Denieul P. N., (2008), « Représentations comparées et limites de la notion de participation


suscitée en Afrique et en Amérique latine. La participation pour le développement de Albert
Meister», Tiers-Monde, n° 195, p. 647-660.

278
Dia A. H., (2002), « La gestion locale internationale de l'enjeu hydraulique à Kanel :
appropriation forcée et stratégies d'acteurs », Bulletin de l’A.P.A.D, N° 23, mis en ligne le 15
décembre 2006, consulté le 22 octobre 2010, URL : http://apad.revues.org/

Diawar K., (2000), « Les enjeux économiques de l’aménagement du fleuve Sénégal », Revue
culturel du monde noir, N° 161-162, p.171-195

Diome F., (2000), « Eau multiple », Présence Africaine, N°161-162, p.203-206

Dione A., (2007), « Contribution à l’étude des prières circonstancielles chez les sérères du
Sénégal », colloque, Paris, 6, 7, 8 juillet, 2007.

Dione Y., (2012), « Les associations d’usagers de forage à Saint Louis du Sénégal :
Autonomisation vis-à-vis de l’Etat et tensions avec les populations locales », Journées
d’études « nouvelles perspectives dans les recherches sur l’environnement », Université
Science Po Bordeaux (France), du 31 mai au 1 juin.

Dione Y., (2012), « Démocratie et amélioration du service de l’eau potable en milieu rural
Sénégalais. Le cas des Associations d’Usagers de Forages dans la région de Saint Louis »,
colloque PANAFRICAIN, Dakar (Sénégal), du 30 au 04 octobre 2012.

Dione Y., (2013), « Eau, religion et démocratie. Les paradoxes de la gestion des réseaux
d’eau potable par les associations d’usagers de forages en milieu rural sénégalais », Colloque
de l’Association des Sciences Régionales de Langue Française (ASRDLF), « culture,
patrimoine et savoirs », Mons (Belgique) du 8 au 11 juillet 2013.

Diop A. B., (2010), « Sénégal : les mouvements sociaux sous l’alternance », Alternative du
Sud, vol.17, p.139-145

Diop A., (2008), « Les enjeux de la décentralisation au Sénégal : un bilan d’étape contrasté »,
In Développement local, gouvernance territoriale. Enjeux et perspectives, p.197-227

Diop M., Dia A. H., (2011), « Réformes des services d’eau en milieu rural africain : enjeux et
limites du montage institutionnel de la gestion. Une étude de cas au Sénégal », Monde en
Développement, N°155, p.37-58

279
Diouf M. B. (1979) « Participation et réforme administrative sénégalaise », Ethiopiques,
N°18, p. 75-92

Diouf M., (2008), « Développement local, cultures communautaires et recompositions


institutionnelles » In Développement local, gouvernance territoriale. Enjeux et perspectives,
p.147-163

Dorier-Apprill E., Meynet C., (2005), « Les ONG : acteurs d'une « gestion disputée » des
services de base dans les villes africaines ? », Autrepart, N° 35, p. 19-37

Dramé H., (1998), « Les courtiers en développement : entre ONG et organisations


paysannes», In ONG et développement. Société, économie et politique, Paris, ed. Karthala, p.
214-226.

Dupuy C., (1990), « Les associations villageoises au Sénégal : fonction économique et


modalité de financement », Tiers-Monde, N°122, p.351-375

Durand P., Thoenig J. C., (1998), « L’Etat et la gestion publique territoriale », Revue
française de science politique, vol. 46/4, p. 580-623

Elster J., (1994), « Argumenter et négocier dans deux assemblées constituantes », Revue
française de science politique, Vol. 44, N°2, p.187-225

Fall, S. M., Traoré M. B, Sène A., (2001), « Problématique de la participation du public à la


gestion du fleuve Sénégal: cas de la partie sénégalaise du bassin ». Rapport de recherche
UICN, 39 p.

Faye A., (2000), « L’homme et la nature dans l’imaginaire sérère : dialogue à travers les
âges », Environnement africain, N°41-42, Vol. XI, p.81-101

Faye A., Ndiaye N.M., Faye D., Tal-Dia A., (2011), « Qualité de l’eau et
comportements hygiéniques des populations en milieu rural sénégalais », Revue Médecine
tropicale, p. 45-48

Frazer N., (2003), « Repenser l’espace public : une contribution à la critique de la démocratie
réellement existante », In Renault E., Sintomer Y. (dir.) Où en est la théorie critique ? Paris,
Découverte, p.103-133

280
Gaudin J. P., (2008), « Politiques publiques : dispositifs participation », In Giraud O., Warin
P. (dir.), Politiques publiques et démocratie, Paris, Découverte, p.263-280

Gérard J., (1994), « Un parti vert au Sénégal : une participation militante », Politique
africaine, N° 53, p. 75-88

Gorre-Dale E., (2006), « Les femmes et l’eau en Afrique », Responsabilité et


Environnement, 15 p.

Habermas J., (2008), « Qu’est-ce qu’une société « post-séculière » ? », Le Débat, N° 152,


p.4-15

Hilgers M., (2010), « Contester en contextes semi-autoritaires : espaces publics en Afrique »,


Alternatives Sud, vol. 17, N°205, p.205-209

Hounmenou B. G., (2006), « Gouvernance de l’eau potable et dynamiques locales en zone


rurale au Bénin », Développement durable et territoire, Dossier N°6, mis en ligne le 12 mai
2006, consulté le 12 septembre 2010, URL : http://developpementdurable.revues.org

Jaglin S., (2001), « L'eau potable dans les villes en développement : les modèles marchands
face à la pauvreté », Tiers-Monde, Vol.42, N° 166

Jaglin S., (2005), « La participation au service du néolibéralisme ? Les usagers dans les
services d’eau en Afrique subsaharienne », In Barraqué M. H., Rey H., Sintomer Y., Gestion
de proximité et démocratie participative, Paris, Découverte, p. 271-288

Janique E., Alain H., (2003), « Eau et assainissement en Afrique : croyances, modes et
modèles », Afrique contemporaine, N°205, p.103-117

Julien T., (2006), « Jouer les bons citoyens : Les effets contrastés de l'engagement au sein de
dispositifs participatifs », Politix, n° 75, p.11-31

Le Gal P. Y., Dia I. (1991), « Le désengagement de l’Etat et ses conséquences dans le delta
du fleuve Sénégal », In Crousse B., P. Mathieu et S. M. Seck (dir.), La vallée du fleuve
Sénégal : évaluations et perspectives d’une décennie d’aménagements, Paris, éd. Karthala,
384p.

Le Jallé C., Grondin M. P., (2005), « Eau, solidarité, proximité », POUR, p.192-199

281
Leclerc-Olive M., (1997), « Espaces métisses et légitimité de l'État : l'expérience Malienne
», In Les avatars de l'État en Afrique, Paris, Karthala, p. 177-192

Manin B., (2004), « Délibération et discussion », Revue suisse de science politique, vol.10,
N° 42, p.180-192

Mar D. F., Magrin G., (2008), « Peut-on décentraliser des ressources naturelles
stratégiques ? L’articulation des niveaux de gestion autour du lac de Guiers (Sénégal) »,
Monde en Développement, N° 141, p.47-61

Marc P., Gautier P., (2007), « L’invention africaine des sociétés civiles : déni théorique,
figure imposée, prolifération empirique », Monde en Développement, vol.3, N°139, p. 9-23

Marion C., (2006), « Politisation et publicisation : les effets fragiles de la délibération en


milieu populaire » Politix, N° 75, vol. 19, p.33-51

Mayère A., (2008), « L’analyse du matériau », Université Paul Sabatier Toulouse III, Master
2 recherche ICMST, Cours, 20 p.

Mazeaud A., (2012), « Administrer la participation : l’invention d’un métier entre


valorisation du militantisme et professionnalisation de la démocratie locale », QUADERNI,
N° 79, p.46-56

Mback C.N., (2001), « La décentralisation en Afrique ; enjeux et perspectives », Afrique


contemporaine, N°199, p.95-115

Menard C., (2001), « Enjeux d’eau : la dimension institutionnelle », Tiers-Monde, N°166,


p.259-273

Mercoiret M. R., (1994), « La participation populaire n'est pas une nouvelle


notion », Séminaire sur la promotion de systèmes agricoles durables dans les pays soudano-
sahélienne, Dakar, du 10 au 14 janvier 1994.

Meublat G., (2001) « De la gestion des fleuves internationaux en Afrique et du bassin du


fleuve Sénégal », Tiers-Monde, N°166, 28 p.

282
Micoud A., (2005), « Une nébuleuse associative au service de l’environnement », Revue
Sciences Humaines, N°49 p.54-58

Molénat X., (2009), « La démocratie participative », Sciences Humaines, N° 201, p. 25 29

Monnoyer-Smith L., (2006), « La pratique délibérative comme invention du politique »,


Sciences de la Sociétés, N°69, p.51-69

Ndiaye I. A., (2008) « L’Action collective protestataire au Sénégal. Grèves, marches, sit-in et
boycotts sous le « Sénégal de Wade » In Penser la République, congrès pour les 50 ans du
Centre d’Etudes d’Afrique Noire, CEAN, IEP Bordeaux, 3-5 septembre 2008.

Ngaïdo M., (2002), La politique environnementale du Sénégal de 1960 à 2002, Rapport


d’études, Dakar, 45 p.

Ngaïdo M., (2006), Analyse du cadre juridique et institutionnel des ressources en eau et de
l’environnement du fleuve Sénégal, Rapport d’études, Dakar, 103 p.

Niang M., (1985), « Politique de l’eau et participation des population rurales au Sénégal », In
Conac G, Savonnet G C, Conac F, Les politiques de l’eau en Afrique. Développement
agricole et participation paysanne, Actes du colloque de la Sorbonne, Paris, éd. Economica,
p. 609-614

Ofouémé-Berton Y., (2011), « L’approvisionnement en eau des populations rurales au


Congo-Brazzaville », Les Cahiers d’Outre-Mer, N°249, p.7-30

Olivier de Sardan J. P. (1999), « L’espace public introuvable. Chef de projets dans les
villages nigériens », Tiers-Monde, N°157, p.139-167

Olivier de Sardan J. P., Bagobi E. A., (2000), « La gestion communautaire sert-il l’intérêt
public ? Le cas de l’hydraulique villageoise au Niger », Politique Africaine, N° 80, p.153-168

Petitet S., (2002), « Problèmes et limites de la diffusion internationales d’un modèle de


gestion des services publics urbains « à la française » : le cas de l’eau potable », Entreprise et
Histoire, N°31, p.25-37

283
Petrella R., (2012), « La nouvelle narration marchande de l’eau. Analyse critique des
fondements idéologiques du « capitalisme bleu » et de « l’eau technologique », In Belaïdi N.,
Eau et société. Enjeux de valeurs, Bruxelles, Bruylant, p. 3-10

Piveteau A., (2005), « Décentralisation et développement local au Sénégal. Chronique d’un


couple hypothétique », Tiers-Monde, N° 181 p. 71-93

Polet F., (2010), « Les résistances africaines entre pressions et instrumentalisations »,


Aternatives Sud, vol. 17, N°205, p.7-13

Pouillon F., (1988), « Cens et puissance. Pourquoi les pasteurs nomades ne peuvent pas
compter leur bétail » Cahiers d'études africaines, Vol. 28, N°110, p.177-205

Quéau P., (2000), « Le concept de bien commun mondial », in La planète des esprits : pour
une politique du cyberespace, Paris, éd. Odile Jacob, p 175-209

Razafindrakoto M., Roubaud F., Wantchekon L., (2006), « Gouvernance et démocratie en


Afrique : la population a son mot à dire », Revue Afrique contemporaine, N° 220, p. 21-31

Répussard C., (2008), « À la recherche d’une légitimité politique dans la gestion villageoise
du service de l’eau ? Comités de gestion, configurations politiques et fonctionnement des
services d’eau potable au nord Sénégal », Coopérer Aujourd’hui, N° 63, 64 p.

Roche P. A., (2003), « L’eau, enjeu vital pour l’Afrique », Afrique contemporaine, N°205,
p.39-75

Rootes C., (2012), « Plaidoyer pour une remobilisation des populations », Revue durable, N°
44, p. 20-22

Ruault C., Lemery B. (2008), « La mise en place de dispositifs de gestion concertée de la


ressource en eau : question de méthode », In Méral P., Castellanet C., Lapeyre R., La gestion
concertée des ressources naturelles. L’épreuve du temps, éd. GRET- KARTHALA, p. 87-104

Rui S., (2006), « Le public fait-il la loi ? Le débat national sur l’eau, entre injonction
participative et néo-corporatisme, » Politix, N° 75, vol 19, p.125-142

Rui S., Villechaise-Dupont A., (2005), « Les associations face à la

284
participation institutionnelle : les ressorts d’une adhésion distanciée. », Espaces et Sociétés,
N° 123, p. 21-36

Samb S. S., (2010), La floraison des mouvements sociaux. Le syndrome de l’échec des
politiques et des syndicalistes, l’Observateur du 06 juin 2010, N°2010

Schmitz J., (2000), « L’élection divise : la politique au village dans la vallée du Sénégal »,
Afrique Contemporaine, N° 194, p.34-46

Sène, A. M., (2006), « Stratégies d'acteurs et développement durable dans la vallée du fleuve
Sénégal : quelle durabilité pour quel type d'acteur ? » Séminaire sahel et zone semi-aride,
Institut de Géographie Alpine, 11 p.

Sinaï A., (2010), « Appel à la solidarité de collectivités, de chercheurs, de fondations et


d’associations », Revue durable, N°39, p. 61-70

Sintomer Y., (2008), « Du savoir d’usage au métier de citoyen », Raisons Politiques, N°31,
p.115-134

Suraud M. G., (2007), « Entre Communication et Délibération : une nécessaire clarification.


Peut-on parler « d’échange délibératif » dans les espaces de débat propre à la société civile »,
Hermes, N°47, p.177-184

Suraud, M. G., (2006), « L'espace public : entre autonomie et institutionnalisation »,


Communication, vol. 24, N° 2, p.9-29

Talkeu-Tounouga C., (2000), « La fonction symbolique de l’eau en Afrique : une approche


culturelle de l’eau », Revue culturel du monde noir, N° 161-162, p. 32-45

Talpin T., (2006), « Jouer les bons citoyens: Les effets contrastés de l'engagement au sein des
dispositifs participatifs », Politix, 2006 n° 75, p. 11-31

Taric D., (2005), « L'espace public face aux apories des études africaines », Cahier d’Etudes
africaines, Vol.2, N°178, p.327-349

Tidjani A. M., (2006), « Les mini-adductions d’eau potable dans la région de Maradi : la
gestion du bien public », Etudes et Travaux, N° 42, 18p.

285
Torre A., Zindeau B., (2006), « Proximité et environnement », Revue développement
durable et territoire, Dossier n°7, mis en ligne le 18 mai 2006, consulté le 7 novembre 2011,
URL : http://deveoppementdurable.revues.org.

Touré I., (2012), « Autonomie et démocratie locale en Afrique. Une illustration par le cas du
Sénégal », Revue Internationale des Sciences Administratives, Vol. 78, p. 809-826.

Touré M., Karmen K., Abdoul M., Diène M., (2009), « Mobilisation sociale et participation
populaire au tour d’un projet d’accès à l’eau, à l’assainissement et à la santé. Cas de Malika et
Keur Massar (Ville de Pikine) », Etudes et Recherches, N°276, p.18-47

Wane M. A., (2000), « Gestion des ressources en eau partagées en Afrique subsaharienne.
Problématique et approche stratégique », Présence Africaine, p.184-197

Wolton D., (2000), « Le local, la petite madeleine de la démocratie » Hermès, N° 26-27,


p.83-97

Xavier A., (2004), « Du « "ndigël" avorté » au parti de la vérité. Évolution du rapport


religion/politique à travers le parcours de Cheikh Modou Kara (1999-2004) », Politique
africaine, N° 96, p. 99-118.

Documents administratifs et autres documents

ASESCAW, (2007), ASESCAW : présentation et zones d’intervention, 6 p.

CONDESEN, (2010), « La queue devant les toilettes la plus longue au monde », Compte-
rendu, 5 p.

CONGAD, Secrétariat International de l’Eau, 2012, Livre bleu. L’eau, la vie, le


développement : Sénégal, Rapport, 12 p.

Direction de l’Exploitation Nationale et de la Maintenance, (2000), Rencontre de


concertation des acteurs dans le domaine de l’hydraulique au Sénégal, Dakar, du 18 au 19
octobre, 52 p.

286
Eau Rizon, (2007), Quels sont les avantages d’un système de gestion de l’eau potable en
milieu rural pensé au niveau national ? Investigations menées sur un village sénégalais au
Fouta, Boukidiawé, Rapport, 33 p.

Eau Vive/BRLi, (2010), Conception et appui à la mise en œuvre du processus participatif et


consultatif dans le cadre de l’élaboration du Schéma d’Aménagement et de Gestion des Eaux
du fleuve Sénégal, Rapport, 58 p.

GERAD, (2005), Projet d’alimentation en eau potable des localités du Gorom Lampsar.
Etude de base, mise en place ASUFOR, formation bureau exécutif et suivi des activités des
ASUFOR, 39 p.

Kaba O., Aubourg G. (1998). Actes de la deuxième rencontre de concertation des acteurs
dans le domaine de l'hydraulique au Sénégal, pS-Eau - DEM – RADBF, 43 p.

Khady M., (2006), Problèmes socioéconomique du village de Lampsar, Rapport de stage,


Ecole Nationale des Travailleurs Sociaux Spécialisés (ENTSS), 42 p.

Mane J. P ; (2010), « A la découverte de la bilharziose. La pandémie qui empêche Saint


Louis de dormir », l’Observateur du 17 septembre 2010, N°2094.

OMVS (2009). L’offensive de l’OMVS : une approche régionale pour maîtriser le paludisme
et la bilharziose, 8 p.

OMVS, (2002), Charte des eaux du fleuve Sénégal, 19 p.

OMVS, (2007), « L’OMVS face aux usagers de l’eau », Journal de l’OMVS, N°3

OMVS, (2007), « La charte des Eaux à l’épreuve de l’opinion », Journal de l’OMVS, N°7

OMVS, (2007), Analyse diagnostique environnementale transfrontalière du fleuve Sénégal,


Dakar, 157 p.

OMVS, (2008), Projet de Gestion des Ressources en Eau et de l’Environnement du Bassin


du Fleuve Sénégal (GEF/BFS. La mise en œuvre au Sénégal du programme de micro
subventions, 28 p.

287
OMVS, (2008), Pour une gestion concertée et pérenne des ressources en eau du fleuve
Sénégal par l’ensemble des acteurs, Dakar, 109 p.

OMVS, (2009), Schéma Directeur d’Aménagement et Gestion de l’Eau du fleuve Sénégal :


état des lieux et diagnostic, Dakar, 548 p.

ONG PLAN International, (2006), Projet d’appui à l’extension du réseau d’adduction


d’eau potable dans le Thiagnaldé. Rapport tournées conjointes de sensibilisation, 11 p.

Oswald D., (1946), Colonie du Sénégal, réunion d’étude pour l’élaboration d’un plan
d’équipement hydraulique du Sénégal, Compte-rendu de réunion, 36 p.

PNU, (2010), Afrique : atlas de l’eau, 48 p.

République du Sénégal, (1995), Processus d’Elaboration du Plan National d’Actions pour


l’Environnement (PNAE), 170 p.

République du Sénégal, (2004), Programme national d’infrastructure rurale. Formation des


comités de gestion et d’entretien des infrastructures hydraulique, 46 p.

République du Sénégal, (2004), Projet de réforme du système de gestion des forages


motorisés ruraux dans les régions de Diourbel, Fatick, Kaolack et Thiès. Séminaire de
restitution des résultats du projet, 155 p.

République du Sénégal, (2005), La mise en œuvre du plan d’action du lac de Guiers :


approvisionnement en eau potable et en assainissement, 33 p.

République du Sénégal, (2005), Lettre de politique sectorielle de l’hydraulique et de


l’assainissement en milieu urbain et rural, 26 p.

République du Sénégal, (2005), Programme d’Eau Potable et d’Assainissement du


Millénaire (PEPAM), 11 p.

République du Sénégal, (2005), Projet Eau Long Terme. La mise en œuvre du plan d’action
du lac de Guiers, p. 11-33

288
République du Sénégal, (2006), Document de Stratégie pour la Croissance et la Réduction
de la Pauvreté, 103p.

République du Sénégal, (2008), Bilan du cadre des interventions unifiées du PEPAM, 13 p.

République du Sénégal, (2009), Enjeux de la réforme de troisième génération du secteur de


l’hydraulique urbaine et de l’assainissement après 2011 au Sénégal, 21 p.

République du Sénégal, (2009), Travaux et fourniture pour l’exécution du Projet


d’alimentation en eau potable des localités de la zone du Gorom Lampsar, 10 p.

République du Sénégal, (2010), Programme d’Eau Potable et d’Assainissement du


Millénaire. Note de présentation et projet de feuille de route pour la préparation et
l’organisation des revues régionales 2010 et de la revue annuelle conjointe 2011, 6p.

République du Sénégal, Ministère de l’agriculture, (2010), Rappel de l’évolution


institutionnelle de la SAED, 25 p.

République du Sénégal, Ministère de l’hydraulique (2004), Plan d’action de gestion


intégrée des ressources en eau, 7 p.

République du Sénégal, Ministère de l’hydraulique, (2004), Elaboration du Plan d’Action


pour la Gestion Intégrée des Ressources en Eau, 8 p.

Réseau Africain de la Société Civile sur l'Eau et l'Assainissement (ANEW), (2009),


Analyse des Politiques de l’'Eau et de l’Assainissement et l’état de la GIRE en Afrique,
Rapport, 55 p.

Réseau International des Organismes de Bassin (RIOB), 8° assemblée générale, 21-23


janvier, Dakar 2010, Déclaration finale, 13 p.

Thilmans G., (1998), Mbakhana : la plus ancienne usine à vapeur d’Afrique noire, 63 p.

Union Européenne, (2002), La gestion de l’eau dans les pays en développement : politique et
priorité de la coopération de développement de l’UE, Rapport de Commission, 28 p.

Union pour la Solidarité et l’Entraide (USE), (2008), Présentation USE, 22 p.

289
TABLE DES MATIERES

INTRODUCTION GENERALE .....................................................................................................7

La question de l’accès à l’eau potable en milieu rural sénégalais........................................................ 7

Structure générale ................................................................................................................................ 12

PARTIE 1 : Une approche communicationnelle de la participation civique


CHAP 1 : LA GESTION DES RESEAUX D’EAU POTABLE EN MILIEU RURAL SENEGALAIS ........16

Introduction.......................................................................................................................................... 16

I. Situation de l’accès à l’eau potable dans le milieu rural ................................................ 17

I.1 Les inégalités dans l’accès à l’eau potable.................................................................................... 19

I.2 Des règles de gestion de l’eau multiples dans un même village .................................................. 22

II. Choix du sujet de thèse et du terrain ........................................................................... 24

II.1 Pourquoi l’accès à l’eau potable ? .................................................................................................. 24

II.2 Saint Louis : « une région du fleuve » qui connaît des difficultés d’accès à l’eau potable ........... 28

Conclusion du chapitre 1 ...................................................................................................................... 32

CHAP 2 : LA COMMUNICATION COMME CADRE THEORIQUE ET METHODOLOGIE ............ 33

Introduction.......................................................................................................................................... 33

I. Fondement de la théorie délibérative........................................................................... 35

I.1 Une définition procédurale de la légitimité .................................................................................. 35

I.2 La participation des citoyens à la formation de l’opinion ............................................................. 36

II. Une lecture communicationnelle de la théorie délibérative ......................................... 37

III. La communication comme recherche d’une entente propre à l’ « espace public


autonome » .................................................................................................................... 38

IV. Démarche méthodologique, contraintes et adaptation au terrain ............................... 40

290
IV.1 La délimitation du terrain .......................................................................................................... 40

IV.2 Conditions de recueil de données ............................................................................................... 41

IV.2.a La recherche documentaire .................................................................................................. 41

IV.2.b L’entretien : une méthode d’enquête qui a ses limites dans les villages sénégalais............ 42

IV.2.c L’observation ......................................................................................................................... 45

Conclusion du chapitre 2 ...................................................................................................................... 48

PARTIE 2 : La participation du public dans les politiques étatiques au Sénégal :


formes et enjeux dans le domaine de l’eau
CHAP 3 : HISTOIRE DE LA PARTICIPATION AU SENEGAL : INFLUENCES INTERNATIONALES ET
DYNAMIQUES LOCALES .................................................................................................................... 50

Introduction.......................................................................................................................................... 50

I. L’émergence de la participation du public au Sénégal ................................................... 51

I.1 De l’international au national ....................................................................................................... 53

I.1.a L’influence des sommets internationaux sur l’évolution de la participation .......................... 55

I.1.b La coopération internationale décentralisée : un vecteur de transformation des formes


d’actions étatiques .......................................................................................................................... 60

I.1.c L’impulsion des pratiques de participation par l’OMVS .......................................................... 64

I.2 L’écologie et la participation civique ............................................................................................ 70

II. L’institutionnalisation de la participation au Sénégal ................................................... 73

II.1 La consécration du principe de participation et de proximité dans la loi de 1996 ...................... 75

II.2 Les effets de la loi 1996 sur l’information .................................................................................... 79

Conclusion du chapitre 3 ...................................................................................................................... 80

CHAP 4 : EVOLUTION POLITIQUE ET ECONOMIQUE DE LA POLITIQUE D’ACCES A L’EAU


POTABLE EN MILIEU RURAL SENEGALAIS ...............................................................................81

Introduction.......................................................................................................................................... 81

I. Les enjeux de la politique d'accès à l'eau potable en milieu rural .................................. 83

291
I.1 Caractéristiques de la politique d’accès à l’eau dans les années 1980 ......................................... 83

I.1.a Une politique centralisée ........................................................................................................ 84

I.1.b Prévalence des solutions techniques et économiques ........................................................... 85

I.1.c La gratuité de l’eau .................................................................................................................. 87

I.2. Les problèmes d’accès à l’eau en milieu rural sénégalais ............................................................ 88

I.2.a Des réseaux d’eau potable perçus comme une propriété de l’Etat ...................................... 88

I.2.b La baisse en qualité de la ressource en eau et ses conséquences .......................................... 90

II. Les réactions civiques face aux problèmes de l’eau ...................................................... 98

II.1 Les mobilisations contre le manque d’eau .................................................................................. 98

II.2 La remise en cause des politiques antérieures .......................................................................... 100

II.2.a Une responsabilisation des populations ............................................................................. 101

II.2.b Les stratégies pour influencer la politique de l’eau ........................................................... 103

III. Les évolutions de la politique d’accès à l’eau en milieu rural (1980-1996) ................. 105

III.1 La Contribution financière des populations à la gestion des forages (1984) ............................ 106

III.2.a Objectifs du transfert des charges aux populations ........................................................... 108

III.2.b Les limites de la délégation des réseaux d’eau potable aux CGF........................................ 110

III.2.c Les comités de gestion et le service de l’eau en milieu rural .............................................. 115

III.2 Le dessaisissement des autorités traditionnelles de la gestion des réseaux d’eau potable (1997)
......................................................................................................................................................... 117

III.2.a Une démocratie de proximité de l’eau............................................................................... 119

III.2.b La vente de l’eau au volume ............................................................................................... 124

III.2.c La professionnalisation de la gestion des réseaux d’eau potable ....................................... 125

Conclusion du chapitre 4 .................................................................................................................... 129

PARTIE 3 : Effets « communicationnels » du débat institutionnel : engagement


civique et mutation des formes d’expression et d’intervention des usagers
CHAP 5 : CREATION DES ASUREP : LA MONTEE DES MECONTENTEMENTS DES
POPULATIONS LOCALES. LE CAS DE L’ASUREP DE LAMPSAR (2006-2013) ......................... 132

292
Introduction........................................................................................................................................ 132

I. Histoire sociopolitique et dynamique civique dans le village de Lampsar ................... 134

I.1 Caractéristiques hydrologiques et enjeux de l’eau à Lampsar.................................................... 135

I.1.a L’eau dans le développement socioéconomique de Lampsar .............................................. 135

I.1.b Les difficultés d’accès à l’eau potable à Lampsar ................................................................. 139

I.1.c Qui possède le puits possède la terre ................................................................................... 142

I.1.d L’eau et la santé des populations de Lampsar ...................................................................... 143

I.2 L’organisation sociale et politique du village de Lampsar .......................................................... 144

I.2.a La primauté du collectif sur l’individu : une longue tradition ............................................... 145

I.2.b Le rôle du chef de village dans la vie sociopolitique du village ............................................. 147

I.2.c Une remise en cause de l’organisation politique du village .................................................. 152

I.3 Organisation et évolution de la vie associative à Lampsar ......................................................... 159

I.3.a L’association : expression de la solidarité villageoise ........................................................... 161

I.3.b L’évolution de l’association en une structure de développement locale ............................. 164

I.3.c L’association : un espace de revendication ........................................................................... 166

II. Le rôle de l’Etat et des experts dans le processus de création de l'ASUREP de Lampsar
(2006) ........................................................................................................................... 168

II.1 Un processus de création et un cadre de fonctionnement définis par l’Etat ............................. 170

II.2 Le GERAD : l’expert en charge d’organiser les populations en ASUREP..................................... 171

II.2.a De l’information à l’adhésion des populations .................................................................... 174

II.2.b La constitution du bureau de l’ASUREP par le GERAD ......................................................... 177

II.2.c La formation des membres du bureau de l’ASUREP par le GERAD ...................................... 180

III. Des conditions d’accès à l’eau potable améliorées avec l’ASUREP ............................. 183

IV. Une gestion des ASUREP contestée par les populations ............................................ 188

IV.1 Du puits à la borne-fontaine : les nouvelles règles créent des tensions dans le village ........... 188

IV.1.a Les problèmes liés aux horaires d’ouverture ...................................................................... 189

IV.1.b Des conditions de vente remises en cause ......................................................................... 191

IV.1.c Prix de l’eau et conflits entre les villageois et l’ASUREP ..................................................... 194

293
IV.2 Quand les désaccords sur le fonctionnement des bornes-fontaines impactent le service de l’eau
......................................................................................................................................................... 200

V. Le fonctionnement de l'ASUREP : une avancée de la démocratie locale de l'eau ? ...... 203

V.1 L’ASUREP et les populations ...................................................................................................... 206

V.1.a L’assemblée générale : une forme de débat en tension avec les espaces de débat
traditionnels .................................................................................................................................. 208

V.1.b Les conditions d’organisation de l’assemblée générale de l’ASUREP de Lampsar .............. 211

V.1.c Les limites de la prise de parole publique en assemblée générale ..................................... 215

V.1.d La dimension religieuse dans le débat en assemblée générale .......................................... 222

V.2. Les effets du débat en assemblée générale : émergence des conflits ...................................... 225

VI. L’exportation de la contestation dans l’« espaces public autonome » ...................... 228

VI.1 Caractéristiques de l’« espace public autonome » ................................................................... 228

VI.2 Quand l’« espace public autonome » élargit le débat sur la gestion du réseau d’eau potable 230

Conclusion du chapitre 5 .................................................................................................................... 233

CHAP 6 : EVOLUTION DES FORMES DE MOBILISATION DES USAGERS : DE LA


« CONTESTATION MUETTE » A L’EXPRESSION PUBLIQUE .................................................. 235

Introduction........................................................................................................................................ 235

I. Evolution des formes de mobilisation des villageois ................................................... 236

I.1 La contestation « muette » ......................................................................................................... 237

I.2 La contestation publique............................................................................................................. 240

II. Le rôle des ONG ........................................................................................................ 246

II.1 L’appui à l’engagement citoyen ................................................................................................. 246

II.2 La publicité des problèmes de l’eau ........................................................................................... 248

III. Le changement du rapport à l’autorité traditionnelle ............................................... 251

IV. La création de la FASUREP de Saint Louis. Enjeux d’une autonomie de gestion des
réseaux d’eau potable .................................................................................................. 254

IV.1 Contexte d’émergence de la FASUREP : une réaction contre l’Etat .......................................... 255

IV.2 Une implication du privé contestée par la FASUREP ................................................................ 259

294
V. Les villageois se désolidarisent de la FASUREP ........................................................... 263

Conclusion du chapitre 6 .................................................................................................................... 265

CONCLUSION GENERALE : RENFORCEMENT DU « SYSTEME » OU VITALISATION DE


L’ « ESPACE PUBLIC AUTONOME » ? .................................................................................... 266

BIBLIOGRAPHIE ...................................................................................................................... 270

TABLE DES MATIERES ............................................................................................................ 290

TABLES DES ILLUSTRATIONS .................................................................................................. 296

SIGLES ET ABREVIATIONS ...................................................................................................... 298

ANNEXES................................................................................................................................ 301

295
TABLE DES ILLUSTRATIONS

Figure 1 : Evolution de l’accès à l’eau potable en milieu rural sénégalais de 2004 à 2011.Source :
PEPAM ................................................................................................................................................ 20

Figure 2 : Taux d’accès à l’eau potable en milieu rural et disparités entre régions. Source : PEPAM
............................................................................................................................................................ 21

Figure 3 : Réseau hydrologique de la zone du Delta. Réalisation : Diop Y ......................................... 29

Figure 4 : Lien entre sommets internationaux et évolutions des politiques étatiques ....................... 55

Figure 5 : Un point de déversement des eaux usées de la CSS dans le Lac de Guiers. Photo prise par
Dione Y................................................................................................................................................ 93

Figure 6 : Présence du typha dans le lac de Guiers et le Gorom Lampsar. Photos prise par Dione Y
............................................................................................................................................................ 97

Figure 7: Comité directeur. Source : D.E.M ........................................................................................ 121

Figure 8 : Schéma de délégation de la gestion des réseaux d’eau : phase 1. Source : D.E.M ........... 125

Figure 9 : Schéma de délégation de la gestion des réseaux d’eau : phase 2. Source : D.E.M ........... 127

Figure 10 : Carte de localisation de la zone étudiée. Réalisation : Diatta P ....................................... 134

Figure 11 : Des usages multiples du Gorom Lampsar. Photo prise par Dione Y................................. 136

Figure 12 : Un champ de riz à Lampsar. Photo prise par Dione Y ...................................................... 138

Figure 13 : Première usine de traitement d'eau installée sur les eaux du Gorom Lampsar. Photo prise
par Dione Y ......................................................................................................................................... 140

Figure 14 : Premier puits dans le village de Lampsar. Photo prise par Dione Y ................................. 141

Figure 15 : Localisation des trois villages constituant le réseau d’eau potable de Lampsar ............. 169

Figure 16 : Réseau d’eau potable de l’ASUREP de Lampsar. Source : ASUREP de Lampsar............... 184

Figure 17 : Une fontainière, vendeuse de légumes. Photo prise par Dione Y..................................... 190

Figure 18 : Le bidon de 20 litres principale unité de vente de l'eau à la borne-fontaine. Photo prise par
Dione Y................................................................................................................................................ 193

Figure 19 : Grille tarifaire de quelques ASUREP de l’axe hydraulique Gorom Lampsar. Source :
FASUREP de Saint Louis ..................................................................................................................... 197

Figure 20 : La charrette : un des moyens de transport de l’eau : photo prise par Dione Y ................ 199

Figure 21 : Hiérarchie des instances de débat et de prise de décision de l’ASUREP de Lampsar. Source :
ASUREP de Lampsar ........................................................................................................................... 204

Figure 22 : Assemblée générale de Lampsar. Photo prise par Dione Y .............................................. 215

296
Figure 23 : Des manifestations à l’initiative d’ASC dans des localités situées à proximité du lac de
Guiers ou du Gorom Lampsar ............................................................................................................. 241

Figure 24 : Réunion des ASUREP de Saint Louis. Photo prise par Dione Y .......................................... 258

Figure 25 : Bénéfices réalisés par quelques ASUREP membres de la FASUREP. Source : FASUREP ... 261

297
SIGLES ET ABREVIATIONS

AdU : Association d’Usagers de l’Eau

AFD : Agence Française de Développement

AJAP : Association des Jeunes Agriculteurs de Pakh

ANSAR : Agence Nationale du Conseil Agricole et Rural

ARCR : Association Régionale des Conseillers Ruraux

ASC : Association Sportive et Culturelle

ASESCAW : Amicale Socio Economique Sportive et Culturelle des Agriculteurs du Walo

ASUFOR : Association d’Usagers de Forages

ASUREP : Association d’Usagers de Réseaux d’Eau Potable

BID : Banque Islamique de Développement

BM : Banque Mondiale

CACG : Compagnie d’Aménagement des Coteaux de Gascogne

CGF : Comité de Gestion de Forages

CIVSP : Comité d’Information de Veille et de Suivi du Patrimoine de Lampsar

SVTP/GC : Sénégalaise de Voirie de Travaux Publics et de Génie Civil

CLC : Comité Local de Coordination

CLCOP : Cadre Local de Concertation des Organisations Paysannes

CNC : Cellule Nationale de Coordination

CODESEN : Coordination des Organisations de la société civile pour la Défense de


l’Environnement du Fleuve Sénégal

298
CONGAD : Conseil des ONG d’Appui au Développement

CSE : Centre du Suivi Ecologique du Sénégal

CSS : Compagnie Sucrière Sénégalaise

CU : Comité d’Usagers

DEM : Direction de l’Exploitation et de la Maintenance

DGPRE : Direction de la Gestion et de la Planification des Ressources en Eau

DHR : Direction de l’Hydraulique Rurale

DIEPA : Décennie Internationale de l’Eau et de l’Assainissement

EPLS : Espoir Pour La Santé

FAES : Fondation Agir pour l’Education et la Santé

FASUREP : Fédération des Associations d’Usagers des Réseaux d’Eau Potable

FMI : Fond Monétaire International

GDS : Grand Domaine du Sénégal

GEF/BFS : Gestion des Ressources en Eau et de l’environnement du Bassin du Fleuve Sénégal

PNES : Partenariat National de l’Eau du Sénégal

GERAD : Groupe d'Etude de Recherche et d'Appui au Développement

GIE : Groupement d’Intérêt Economique

GPF : Groupement de Promotion Féminine

OJF : Organisation de Jeunes Filles

OMD : Objectifs du Millénaire pour le Développement

OMS : Organisation Mondiale de la Santé

OMVS : Organisation pour la Mise en Valeur du Fleuve Sénégal

299
ONU : Organisation des Nations-Unies

PAGIRE : Plan d’Action de Gestion Intégrée des Ressources en Eau

PEPAM : Programme d’Eau Potable et d’Assainissement du Millénaire

PNUD : Programme des Nations-Unies pour le Développement

PSLT : Projet Sectoriel Eau à Long Terme

REGIFOR : Réforme du Système de Gestion des Forages Motorisés Ruraux

RIOB : Réseau International des Organisations de Bassin

SAED : Société d’Aménagement et d’Exploitation des terres du Delta du fleuve Sénégal

SANAFOR : Société Nationale des Forages

SCP : Société du Canal de Provence

SDAGE : Schéma Directeur d’Aménagement et de Gestion des Eaux

SDE : Sénégalaise des Eaux

SENELEC : Société Nationale de l’Electricité

SONES : Société Nationale d'Exploitation des Eaux du Sénégal

SPEPA : Loi sur le Service Public de l’Eau Potable et de l’Assainissement

UE : Union Européenne

UICN : Union Internationale pour la Conservation de la Nature

UNESCO : Organisation des Nations Unies pour l'Education, la Science et la Culture

300
ANNEXES

Annexes 1 : Arrêté sur la participation du public

301
Annexe 2 : Procès-verbal de constitution de l’ASUREP de Lampsar

302
303
304
305
306
Annexe 3 : Présentation de l’ASUREP de Lampsar

307
308
309
310
Annexe 4 : Récépissé de déclaration de la FASUREP de Saint Louis

311
Annexe 5 : Statut des associations d’usagers (ASUFOR/ASUREP)

312
313
314
315
Annexe 6 : Carte régionale du Sénégal.

316

Vous aimerez peut-être aussi