Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Communication Aix-Marseille 1
et Environnement
Master 2 Recherche
Sciences et technologies de l’Information et de la Communication
Mémoire de recherche
Nfally COLY
Sous la direction de :
Françoise BERNARD
Professeur des Universités
Responsable du Master
Responsable du CREPCOM
Juin 2008
DEDICACE
REMERCIEMENTS
Merci à
- Françoise BERNARD pour l’encadrement et la formation que vous nous avez dispensé tout
au long de ces deux années de Master.
Merci à
- Tous les professeurs et personnels du Département d’Information Communication
Merci infiniment à
- Daouda DJIBA et Issakha DIABY (deux anciens collègues universitaires et amis
d’enfance), pour votre disponibilité et votre générosité. Vous avez suspendu vos projets, le
temps de m’accompagner parcourir le Sénégal pour l’étude empirique.
Un grand Merci à
Ma Chère épouse Ndèye Binta DOUCOURE pour ton soutien financier et moral
A vous tous qui m’avez accompagné de près ou de loin, je vous suis très reconnaissance.
1. Projet du mémoire
L’objet de ce mémoire est d’étudier les dispositifs et pratiques de communication en
matière d’éducation à l’environnement en Afrique subsaharienne et plus particulièrement au
Sénégal.
En effet, la réflexion sur la relation existante entre communication et développement
durable intéresse de plus en plus théoriciens et praticiens. De ce fait, « de nombreux
programmes de développement dans les domaines tels que l’agriculture, la santé,
l’environnement, la population et l’industrie ont recours à la communication pour se donner
des chances de réussite »1. Ainsi, divers modèles ont été développés. Ces modèles ont la
particularité de proposer une pluralité de conception et souvent une divergence au niveau des
objectifs.
Cependant, pour être efficace, ces modèles doivent permettre à la population de mieux
reformuler les objectifs et les activités de façon constante. Cela semble, par ailleurs, être la
condition sine qua non pour susciter la participation et l’implication, de façon durable, de la
population. En Afrique subsaharienne, plus particulièrement au Sénégal, la radio rurale
demeure l’outils le mieux utilisé dans ce sens.
Ce mémoire propose, ainsi, une étude détaillée de l’usage de la radio rurale, des
pratiques de médiation et de médiatisation pour l’éducation au Sénégal et les pays avoisinants.
1
Hughyjhes Kone, La communication pour le développement durable, Lettre d’information Vol.11 no.2
2. Problématique
Comment faire en sorte que les populations rurales valorisent la culture qu’elles
possèdent déjà et acquièrent de nouvelles connaissances et de nouveaux comportements
leur permettant de devenir des acteurs partenaires s’impliquant durablement dans la
protection de l’environnement ? Tel est le but principal de ce mémoire. Cette problématique
centrée sur la question du changement nous montre, dès le début, qu’il ne suffit pas tout
simplement d’informer et de sensibiliser. Certes l’information et sensibilisation sont
nécessaires car « elles servent au fil du temps à modifier les savoirs, les idées, les attitudes et
même, certainement, à provoquer de réelles prises de consciences. Mais, elles ne sont pas, en
tant que telles, suffisantes pour promouvoir de nouvelles habitudes »2. Alors, comment
susciter le passage d’un état de conscience à un état d’action ? Pour répondre à cette
question nous nous appuierons sur de nombreuses études et travaux empiriques qui ont fait
leurs preuves en France, aux Etats-Unis et même en Afrique subsaharienne. Mais, essayons,
d’abord, de voir :
Comment la communication est-elle conçue et exploitée en vue de promouvoir
l’éducation à l’environnement, dans la zone rurale, au Sénégal ? Quels sont les dispositifs et
pratiques de communication utilisés ? Quels enseignements peut-on en tirer ?
3. Méthodologie
Il nous paraît indispensable, avant toute chose, de procéder par une collecte
d’informations pertinentes et fiables afin de mieux comprendre certains concepts et
paradigmes comme « l’environnement », « le développement durable », « l’écocitoyenneté »,
« la communication participative », « la communication engageante », etc.
C’est, donc, une démarche hypothético-déductive basée sur une approche
pluridisciplinaire dont les vertus sont bien perçus par les Sciences de l’Information et de la
Communication. Car, dans ce domaine (SIC), « il est devenu habituel de considérer que les
chercheurs mettent en œuvre un pluralisme méthodologique ; une position régulièrement
affirmée, notamment dans la littérature grise (mémoires et thèses) »3. Nous ferons, donc,
appel à la sociologie, à la psychosociologie, à l’histoire, à la communication, la liste n’est pas
2
Fr. Bernard, R.-V. Joule, Le pluralisme méthodologique en Sciences de l’Information et de la Communication à
l’épreuve de la « communication engageante », Question de communication, 2005, 7, p.185-207
3
Id, p.184
4. Terrain empirique
Notre ambition, à l’origine de ce mémoire, était de parcourir le Sénégal ou du moins la
presque totalité du pays pour avoir une large représentativité de la population enquêtée.
Cependant, faute de temps et surtout de moyens financiers, nous sommes contraints de
revoir le plan de l’étude empirique.
En effet, nous avons décidé de nous focaliser sur trois localités assez représentatives
des problèmes environnementaux du Sénégal. Il s’agit de Dakar, de Linguère et de Kolda.
4
Id, p.184
Sénégal. Parmi ces activités, nous pouvons en citer le déclenchement volontaire des feux
précoces pour le défrichage des terres.
5. Cibles
1. La responsabilité environnementale
Il est plus que jamais certain que nous sommes confrontés à une crise
environnementale qui affecte la planète entière. L’ « industrialisation » de la nature (Beck,
2001) porte atteinte à l’environnement voire à la vie elle-même. Cette crise, globale ou locale,
résulte pour une grande partie d’un mode prédominant de production et de consommation,
donc de choix particuliers de modèles économique, social et politique, qui reflètent
entièrement le système des valeurs de nos sociétés modernes. Selon Laurent Giroux5 « la
menace qui pèse de plus en plus sur la vie terrestre oblige à des interrogations fondamentales :
depuis la responsabilité reconnue des humains à l’endroit de leurs semblables, ne doit-on pas
s’élever à l’idée d’une responsabilité trans-individuelle et trans-sociale à l’égard du monde de
vie en général […] menacé dans son être même par l’excès de pouvoir et l’audace téméraire
de la technique en marche ? »
Ainsi, les méthodes correctives, par le biais de technologies adaptées, ne suffisent pas
par en elles-mêmes pour résoudre les problèmes environnementaux. Les solutions, à court et à
long terme, ne peuvent s’imposer sans une modification profonde de nos modes de pensée et
d’action. C’est ce qu’affirme Hans Jonas, dans son ouvrage intitulé Le Principe
Responsabilité, en soulignant « en l’humain, la nature s’est perturbée elle-même et c’est
seulement dans son aptitude morale […] qu’elle a laissé ouverte une compensation incertaine
pour la sécurité ébranlée et l’auto-régulation » (all. p.248 ; fr.p.189).
Par ailleurs, Jonas nous invite à reconnaître un droit propre de la nature à respecter :
« il n’est pour le moins plus dépourvu de sens de se demander si l’état de la nature extra-
humaine, la biosphère dans son ensemble…qui se trouve maintenant soumise à notre pouvoir,
n’est pas justement devenu par là un bien confié à l’humain et n’a pas en quelque sorte une
exigence morale à notre égard – non seulement pour l’amour de nous, mais pour l’amour de
lui-même et de son droit propre » (all. p.29 ; fr.p.26). Nous avons ainsi « le devoir solennel
de protéger et d’améliorer l’environnement pour les générations présentes et futures »
(déclaration de Stockholm, 1972). Pour cela, nous devons, comme le préconise Jonas, agir de
5
LAURENT GIROUX, «Hans Jonas (1903-1993) : le Principe Responsabilité», L’Agora, vol. 7, no 2, janvier-février
2000.
façon que les effets de nos actions soient compatibles avec la permanence d’une vie
authentiquement sur terre. Nous ne devrons, donc, pas compromettre les conditions pour la
vie de l’humanité sur Terre. C’est pour encourager cette prise de conscience et ce passage à
l’action qu’émerge l’éducation à l’environnement.
En effet, cette éducation, qu’elle soit formelle (école), non formelle (famille,
entourage,…), ou informelle (à travers les médias), insiste sur la responsabilité commune de
l’humanité de sauvegarder le droit à la vie pour tous les peuples de la planète, pour les
générations futures mais aussi pour toute forme de vie.
Dorénavant, c’est l’ensemble des publics qui est concerné : des jeunes aux adultes, de
la famille à la vie professionnelle, des pays du Nord aux pays du Sud. Car, pour atteindre, de
manière efficace, sa mission, l’éducation à l’environnement doit cerner les questions
complexes environnementales, en prenant en compte les interdépendances étroites entre les
facteurs écologique, économique et socioculturel.
Dans ce contexte, « nous allons considérer le concept de l’environnement comme un
ensemble de réalités complémentaires »6. C'est-à-dire que l’environnement est la fois la
nature, qu’il faut impérativement respecter et protéger, un ensemble de ressources à gérer et
partager. C’est aussi un système de relation à comprendre pour mieux vivre en harmonie avec
l’ensemble de ses composants.
6
Sauvé. L (1997), Pour une éducation relative à l’environnement, Montréal : Guerin, 2e édition
construction de savoirs pertinents au regard du contexte et la transformation des
réalités qui posent problème. Robotton et Hart (1993), considère, à travers cette
action, qu’en fin de compte c’est la transformation des acteurs qui est visée, une
transformation vers plus d’autonomie et de pouvoir-faire.
• Le courant du biorégionalisme : celui-ci est axé sur la valorisation de la culture et des
talents des individus. Selon Traina et Darley-Hill, (1995), les caractéristiques et
potentialités du milieu biophysique contribuent à un développement local, endogène et
responsable.
• Le courant de l’écoformation : ce courant prône la « re-création » des liens
d’appartenance pour mieux « habiter la terre » et y développer une qualité d’être
(Pineau et coll, 2005).
L’éducation à l’environnement a pour objectifs d’engendrer des compétences critique,
éthique, stratégique et esthétique permettant de provoquer des relations harmonieuses entre
l’homme et la nature. Elle doit être considérée comme un processus par lequel les êtres
humains et les sociétés réalisent leurs pleins potentiels. Cette éducation est indispensable pour
modifier les attitudes.
Aussi, est-elle essentielle « pour susciter une prise de conscience des questions
écologiques et éthiques, ainsi que des valeurs et des attitudes, des compétences et des
comportements compatibles avec le développement durable »7.
Ainsi, l’horizon de l’éducation à l’environnement est d’assurer la participation
effective du public aux prises de décisions. Elle se base fondamentalement sur les valeurs de
citoyenneté, de responsabilité et de solidarité.
De plus, la formation de citoyens responsables, appelés en l’occurrence écocitoyens,
contribue au développement de la vie démocratique, en garantissant la participation des
populations. Il s’agit, donc, de redonner aux citoyens leur rôle de décideurs et d’acteurs
capables en toute liberté de formuler des idées, d’effectuer des choix en connaissance de
cause, donc « de faire vivre au mieux les instances pour échanger et débattre sur les projets »8.
Dans ce sens, l’éducation à l’environnement ne peut être découplée de l’éducation à la
citoyenneté.
Par ailleurs, pour être efficace, l’éducation relative à l’environnement doit s’imposer
de nouvelles postures, et interroger de nouveaux champs notamment la communication, la
psychologie sociale, etc.
7
Agenda 21 : chapitre 36 : Promotion de l’éducation, de la sensibilisation et la formation
8
Colloque organisé pour favoriser la rencontre entre universitaires, chercheurs et praticiens de l’EEDD
(Education à l’Environnement pour le Développement Durable), le 7 et 8 juin à l’IUFM de Montpellier.
3. Communiquer pour instituer des valeurs et des
Comportements environnementaux
La question sur la relation entre communication et éducation à l’environnement a pris
de l’ampleur depuis la conférence intergouvernementale tenue à Tbilissi en ex URSS en
1997.
En effet, la déclaration de cette conférence stipule : « l’éducation à l’environnement
doit former les habitants de ce monde à être à la fois aptes et prêts à choisir des modes de vie
et de comportements compatibles avec la participation de l’environnement en tant qu’espace
de production et de milieu assurant la survie de l’espèce. En d’autres termes, il s’agit de faire
des apprenants, des gens qui ne soient pas des analphabètes en matière d’environnement et qui
contribuent à un développement durable et sain du point de vue de l’environnement ». Cet
engouement mis dans l’éducation et notamment sur la communication en vue du changement
d’attitudes vis-à-vis de l’environnement, trouve une de ses justifications dans de nombreuses
thèses développées par des chercheurs. Selon ces chercheurs l’éducation relative à
l’environnement est devenue l’affaire de tous.
En effet, tout le monde a son rôle à jouer, ses intérêts et ses responsabilités. Ainsi,
« arriver à combler le faussé entre ce chaque groupe souhaite obtenir et ce qu’il peut retirer de
l’interaction avec d’autre groupe est un terreau fertile pour la communication »9. La
communication joue un rôle indispensable. Selon Alfred E. Opubor, la communication est
ingrédient incontournable des relations au sein et entre les parties prenantes de l’éducation
relative à l’environnement. Elle permet à cet effet, « de rendre service à la société en
l’informant sur les problèmes communautaires, de faire participer le public aux processus de
décision sur les questions d’intérêt commun, notamment l’environnement »10. Il faut ajouter
qu’elle aide à promouvoir l’émergence de nouvelles idées nécessaires pour le changement
social.
Communiquer c’est avant tout produire, apprendre, échanger des idées. En effet, la
communication relative à l’éducation environnementale, permet aux différents acteurs de
9
Alfred E. Opubor, La communication au service de l’éducation à l’environnement : accroître la participation et
l’engagement des parties prenantes
10
Wilbur Scharmm : as communication and national development the role of information in developing
countries, Stanford University Press, Stanford 1964
donner un sens à leur rôle, leurs responsabilités et aussi à comprendre et accepter ceux des
autres. Cela suppose que le processus de la communication est bien plus qu’une simple mise
en scène d’émetteurs et de récepteurs par le biais d’un canal adapté.
La communication relative à l’éducation environnementale doit s’effectuer dans une
synergie des acteurs, qui deviennent, dès lors, des acteurs-partenaires. Ce partenariat permet
aux parties prenantes d’avancer dans une même direction, de partager les mêmes idées et
d’œuvrer en faveur d’intérêts communs. Ainsi, s’installe un climat de confiance nécessaire à
la réalisation des objectifs de la communication.
La communication peut, donc, servir de multiples fonctions dans les relations de
partenariat pour l’éducation, (Opubor, 2001) et notamment l’éducation relative à
l’environnement.
Le public est encore loin d’être conscient de l’interaction de toutes les activités
humaines et de l’environnement, et ce, en raison de l’inexactitude ou de l’insuffisance des
informations, (Agenda 21). La communication permet de sensibiliser le public aux problèmes
d’environnement et de développement. L’objectif principal est de conscientiser les individus
et d’amener chacun de nous à poser un discours favorable, en l’occurrence la protection de
l’environnement.
Les campagnes de communication centrée sur l’information et la sensibilisation sont
nécessaires. Car « elles servent au fil du temps à modifier les savoirs, les idées, les attitudes et
même, certainement, à provoquer de réelles prise de consciences. Mais elles ne sont pas, en
tant que telles, suffisantes pour promouvoir de nouvelles habitudes »11.
La communication doit veiller à ce que tous les points de vue soient exprimés. Elle doit
permettre aux publics d’obtenir des informations pertinentes et fiables des questions abordées
et en même temps émettre leurs propres points de vue. Car les individus sont mieux engagés
quand ils ont le sentiment d’avoir pris les décisions par eux-mêmes. La communication
contribue, ainsi à travers le dialogue, à instaurer la confiance. Selon Opubor, « la conscience
de partager des intérêts mutuels, des points communs et l’instauration d’un climat de
11
Fr. Bernard, R.-V. Joule, (2005) Le pluralisme méthodologique en Sciences de l’Information et de la
Communication à l’épreuve de la « communication engageante », Questions de communication, p. 185
confiance ne sont pas choses innées ; ils n’apparaissent pas seuls, de façon naturelle ou
spontanée. En revanche, ils peuvent être le fruit d’une communication planifiée ».
Arriver à établir un consensus est une évolution considérable du débat pour la prise de
décision. Car émettre des idées en faveur de la protection de l’environnement est une bonne
chose, mais le passage à l’action s’avère très difficile. Beaucoup de facteurs sont à l’origine
de cette inertie. C’est le cas de la pauvreté, qui gangrène les pays en voie de développement,
et qui tend à compromettre les politiques environnementales.
La communication peut jouer un rôle crucial. Car une fois que les parties prenantes ont
été informées et qu’elles ont eu la possibilité d’exprimer leur point de vue, et que leurs
préoccupations ont été prises en compte de façon adéquate, il devient alors possible d’arriver
à un accord sur des lignes d’action, des répartitions de responsabilités (Opubor, 2001).
3.1.4. Plaidoyer
Aujourd’hui, nous sommes tous conscients que grand nombre de pratiques de l’homme
va à l’encontre du développement durable dont l’objectif est « de répondre aux besoins des
générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures de satisfaire leurs
besoin ». Ces pratiques néfastes résultent d’un mode effréné de production et de
consommation d’une société hypermoderne ; société qui privilégie ses intérêts économiques et
politiques, donc intérêts individuels, au détriment de la nature, intérêts globaux. C’est le cas
notamment des Etats-Unis d’Amérique, qui, pendant très longtemps ont refusé de ratifier le
protocole de Kyoto. Dans cette même logique, de grands penseurs, scientifiques n’ont pas
hésité à réfuter la thèse de la disparition des ressources naturelles causée par l’action de
l’homme. Des « anti-Al gore » ou des « ant-Hulot » ont fleuris partout à travers les médias.
Ces individus et institutions sont vraisemblablement peu disposés à changer leurs modes de
pensée et d’action. Ce faisant, ils deviennent prompts à bloquer les nouvelles idées s’ils les
jugent menaçantes.
La communication peut ainsi conduire à obtenir l’engagement de ces acteurs de
pouvoir et d’influence, en les amenant à changer leur vision, leur comportement, et par
conséquent utiliser leur influence en faveur du progrès, notamment la protection de
l’environnement.
Cette communication sous forme de plaidoirie est de plus en plus courante. On peut en
citer « le pacte écologique » de Nicolas Hulot qui a amené l’ensemble des acteurs politiques
français à poser une signature favorable pour la protection de l’environnement. Ce pacte a
ainsi conduit, en France, à l’organisation d’un grenelle de l’environnement (octobre 2007).
Les présentations de l’ex vice-président Al gore en sont aussi exemplaires.
Au Sénégal, deux grandes figures utilisent ce type de communication : Ali Aidar de
l’association Océanium et Ousmane Sow Huchar du Rassemblement des Verts de l’Afrique.
En somme, s’il est vrai que la communication joue un rôle incontournable dans la
résolution des problèmes sociétaux, en l’occurrence l’environnement, il faut noter que bon
nombre de campagnes d’information et de sensibilisation n’ont pas réussi à provoquer, chez
les destinataires, le changement de comportement attendu.
L’écart entre les discours et la réalité pourrait considérablement diminuer voire même
disparaître. Les recherches sur la communication engageante montrent « qu’il suffit de peu de
chose pour passer des idées aux actes »13. Ce peu de chose « passe notamment par l’obtention
d’actes préalables peu coûteux, et donc relativement facile à obtenir ». Ces actes dits
« préparatoires » ont un double intérêt :
rendre les personnes qui les auront réalisés plus sensibles aux messages qui leur seront
communiqués par la suite,
les préparer à se comporter conformément à ces messages14.
3.2.2. L’engagement
Charles Kiesler (1971)15 définit l’engagement comme étant «le lien qui existe entre
l’individu et ses actes ». Donc, contrairement à ce que nous pensons, il ne suffit pas d’avoir de
bonnes idées pour poser des actes favorables. Car nous ne sommes ni engagés par nos idées ni
par nos sentiments, mais par nos actions, nos conduites effectives, donc « des agissements que
les autres peuvent ou pourraient voir ». Par ailleurs, cet engagement est variable et graduel
d’un individu à un autre. Car le « lien qui existe entre un individu et son comportement n’est
pas régi par la lois du tout ou rien ». Le degré d’engagement ne sera le même selon qu’on soit
dans une condition de libre décision ou de décision forcée. En effet, les individus se trouvant
dans la première condition seront plus engagés que ceux se trouvant dans la seconde. Cet
engagement peut-être manipulé en fonction de la situation dans laquelle on se trouve. On peut
ainsi manipuler l’engagement par « le caractère public de l’acte ». C’est-à-dire, considérer
« qu’il est plus engageant de faire quelque chose sous le regard d’autrui…que de la faire dans
l’anonymat ». Manipuler l’engagement peut aussi consister à « amener les sujets
expérimentaux à réaliser plusieurs fois le même acte ou au contraire qu’une fois », etc.
Les projets engageants se veulent, alors, d’intégrer tous les acteurs, notamment la
population qui devient « acteur-partenaire » susceptible de contribuer aussi bien par ses idées
que par son action. Car, l’on ne peut s’engager que lorsqu’on est réellement impliqué dans le
12
Paradigme de communication d’action et d’utilité sociétale fondé par Joule et Bernard, professeurs et
chercheurs au CREPCOM, Université de Provence, Aix-Marseille1
13
Joule, R.V., 2004, Des intentions aux actes citoyens. Cerveau & Psycho, 7, 12-17
14
Joule, Py et Bernard, 2004, Qui dit quoi, à qui, en lui faisant faire quoi ? Vers une communication engageante,
Paris : Dunod
15
Kiesler, C.A., 1971, The psychology of commitment. Experiments liking behavior to belief, New York,
Academic Press
projet. De cette implication et cet engagement, découle la pérennisation de l’action, élément
fondamental de tout projet efficace.
En somme, le recours à la communication engageante devrait permettre aux
institutions, associations et ONG d’impliquer davantage la population et de les engager
durablement en vue de la pérennisation de l’action.
Deuxième partie : Communiquer pour instituer les
questions environnementales
Chapitre I: L’émergence du débat environnemental
16
Barry Abdoulaye est membre du Groupe Recherche Environnement Presse (GREP) au Sénégal. Lors de
l’assemblée Générale du GREP, avril 2006, il a tenté d’apporter des réponses au sujet « quels traitements de
l’information environnementale dans les médias : presse écrite, radio et télévision ? »
2. Emergence et développement de l’enjeu
environnemental : de Rio à Dakar
Le Plan national d’action pour l’environnement a été initié en février 1995 dans le
cadre d’un processus participatif et décentralisé de préparation de la stratégie de gestion des
ressources naturelles et de l’environnement. Il a été adopté en 1997. Il constitue un cadre
global de référence qui identifie les problèmes et les acteurs concernés et suggère des
solutions concertées. À ce titre, il accorde un rang de priorité élevé à l’intégration de
l’environnement dans le processus de planification macro-économique.
Dans la partie consacrée à l’analyse des enjeux, l’audit environnemental souligne la
dégradation du cadre de vie lié notamment à l’absence de systèmes efficaces de gestion des
déchets urbains. Il signale également que dans le cadre de la réalisation des actions urbaines
les impératifs d’ordre économique prennent le pas sur les enjeux environnementaux. Les
éléments de stratégie reposent notamment sur la réforme de la fiscalité locale pour permettre
aux collectivités locales d’assumer les compétences transférées et de prendre en charge le
renforcement des capacités techniques des collectivités locales, l’appui aux initiatives des
communautés de base, la réalisation de programme de sensibilisation grand public17.
17
La gestion des ordures ménagères dans les villes du Sénégal : Vers des politiques municipales incluant les
quartiers périphériques, Gret-collection Etudes et travaux – Série en ligne n°8, 2006
18
La gestion des ordures ménagères dans les villes du Sénégal : Vers des politiques municipales incluant les
quartiers périphériques, Gret-collection Etudes et travaux – Série en ligne n°8, 2006
L’objectif global est d’assurer la durabilité du développement économique et social
dans une perspective de croissance compatible avec la préservation des ressources naturelles
et de l’environnement. Les objectifs spécifiques sont notamment :
- d’atténuer la dégradation des ressources en mettant en place un dispositif institutionnel et
réglementaire efficace s’appuyant sur les conventions internationales;
- d’améliorer les capacités de planification et de coordination des actions de préservation de
l’environnement dans un contexte de plus grande responsabilisation des acteurs ;
- de promouvoir des activités génératrices de revenus et des infrastructures collectives
combinant la lutte contre la pauvreté et la dégradation de l’environnement;
- d’augmenter la desserte des populations en ouvrages d’assainissements collectifs autonomes
- de réglementer la gestion des déchets solides urbains, d’élaborer les plans directeurs
régionaux de gestion des déchets et de renforcer les équipements de collecte et de nettoiement
- de promouvoir des attitudes et comportements citoyens en faveur d’une bonne gestion de
l’environnement et des ressources naturelles par le développement de l’éducation, de la
sensibilisation, de l’information et de la formation environnementale.
La stratégie d’intervention, selon le texte, repose d’abord sur un processus de
concertation pour permettre aux différents acteurs de partager leur perception des problèmes
et d’adhérer aux réponses proposées. Les actions devront être développées en synergie afin
d’améliorer leur efficacité, leur durabilité et leur crédibilité auprès des bénéficiaires19.
La lettre de politique sectorielle propose ensuite les grands axes d’un programme
d’action :
– améliorer la base de connaissance des ressources naturelles et de l’environnement en vue de
mieux mesurer leurs capacités de charge (éducation, information et communication) ;
– mettre en place un dispositif institutionnel et réglementaire efficace ;
– promouvoir des activités génératrices de revenu et des infrastructures collectives combinant
lutte contre la pauvreté et dégradation de l’environnement (gestion de la biodiversité, gestion
de la faune, lutte contre la désertification et la dégradation des terres, aménagement et
production forestière, gestion intégrée de la zone côtière et marine) ;
– assurer une gestion/utilisation rationnelle des produits chimiques et une gestion des déchets
solides et de la propreté du cadre de vie. « Dans cette optique, les structures responsables
devront constituer un dispositif, en amont et en aval, pour accompagner et soutenir les
initiatives des collectivités locales et des OCB notamment dans les domaines de la
planification des programmes, de l’appui matériel, du suivi évaluation et de leur mise en
19
République du Sénégal, Lettre de politique sectorielle de l’environnement, 2004
oeuvre, de l’information et de la sensibilisation pour l’instauration de comportements
civiques, de la recherche opérationnelle pour enrichir la base de données sur la gestion des
déchets, du renforcement des capacités des acteurs qui interviennent dans la gestion de la
propreté » ;
– promouvoir des modes de production et de consommation durables (notamment efficacité
énergétique dans les bâtiments) ;
– protéger l’environnement urbain par le traitement des eaux résiduaires et des matières de
vidange et, à long terme, par l’épuration avant rejet vers la mer des eaux vannes et ménagères.
Les savoirs endogènes sont souvent perçus comme une sagesse ancienne transmise à
travers d’innombrables générations. Chaque génération s’approprie les outils cognitifs et les
notions requises pour vivre dans un monde en évolution croissante. Elle tente, par ailleurs,
d’adapter ces connaissances à ses propres expériences et aux perspectives qu’elle s’offre.
Ainsi, pour que les savoirs et techniques endogènes puissent être, de façon soutenue,
appliqués au développement, ils doivent faire l’objet d’une réappropriation critique qui les
intègre au mouvement de la recherche vivante au sein des populations bénéficiaires, ou plus
exactement, au sein d’une élite intellectuelle portée et contrôlée par ces populations,
(Hountondji, 2001).
L’éducation relative à l’environnement devra, elle aussi, exploiter les savoirs endogènes
afin de les intégrer dans une démarche pédagogique orientée vers les populations concernées.
Ces savoirs intègrent à la fois une dimension culturelle, historique et ethnique de la
population. Ils peuvent renforcer le processus pédagogique suivant une démarche qui
considère la population cible dans sa spécificités et non dans sa globalité. Car au sein de
chaque éco-culture, chaque ethnie a ses propres préoccupations, édifie un système de
référence, des valeurs, un langage, un ensemble de stratégies qui lui permettent de se repérer,
de décrire, de comprendre et de vivre dans son environnement, (Sarr, 1995).
En somme les communautés rurales disposent des informations, des savoir-faire et des
circuits d’échanges, de concertation qui leur ont permis de s’adapter à des situations
techniques, économiques et sociales en pleine évolution.
La mise en place de ces dispositifs n’est pas gagnée d’avance quand on sait que la
plupart des sociétés africaines sont caractérisées par une grande diversité de groupes
humaines et linguistiques. Au Sénégal, ces ethnies sont réparties ou cohabitent, quelquefois,
sur des territoires immenses avec des moyens de communication limités et des taux de
scolarisation très faibles.
Dans un tel contexte, la radiodiffusion a toujours constitué le moyen le plus adapté, le
plus fiable et le moins coûteux pour communiquer avec le monde rural, en surmontant les
barrières de la distance, de l’analphabétisme et de la diversité des groupes ethniques
concernés20.
20
FAO, Actes de l’Atelier international sur le développement de la radio rurale en Afrique, Archives des
documents de la FAO
Chapitre II : Communication et culture au Sénégal
1. La communication traditionnelle
1.1 Le griot
Au Sénégal, le phénomène de griot trouve ses origines dans les anciens royaumes 23. Le
griot est à la fois le messager et le porte-parole du roi. Chargé de la conservation de la
mémoire collective, le griot est aussi médiateur et conseiller auprès des familles. Son statut
(homme de caste) en fait un arbitre et un modérateur dans le jeu social, précise Konaté
Doulaye24. Equipé de tambour, le griot est chargé de faire passer des informations à travers le
rythme joué. Le son peut annoncer un décès, une mobilisation des troupes pour une guerre, la
convocation du conseil des sages, etc. (Mbengue, M., 2004).
21
DANUTAT, S., 1984, L’administration du système d’information, Paris : DUNAUD
22
MBENGUE, M., Contribution des usages citoyens de l’Internet à la gouvernance locale et au développement
communautaire au Sénégal : le cas des Systèmes d’Information Populaires, DEA, Université Paris 8, sept 2004
23
Ancienne division administrative du Sénégal avant l’époque coloniale : Kayor, Baol, Walo, Sine Saloum, etc.
24
Konaté Doulaye est Professeur et président de l’association des historiens africains. Il a publié une recherche
intitulée : « Oralité et écriture dans la communication usuelle au Mali : traditions et modernité », revue
électronique publié par les Université de Bamako, UGB, UCAD, janvier 2007
Ce système de communication est toujours utilisé en Afrique et plus particulièrement
au Sénégal. Beaucoup de campagnes s’inspirent de ce mode communication, qui a
considérablement évolué en intégrant des dispositifs modernes (voiture, haut-parleur, etc.).
C’est le cas du camion de l’association Océanium qui parcourt les régions du Sénégal pour
prêcher la bonne parole en faveur de l’environnement.
En Afrique, la communication au quotidien est régie par des procédures voire des
protocoles dont l’ignorance ou l’inobservation peut conduire à des blocages. Ces procédures
varient selon les milieux et la nature de la rencontre. Les espaces publics, où se déroule cette
communication, sont nombreux, mais certains jouent un rôle particulier.
Variante africaine du parlement, la palabre est l’une des institutions traditionnelles les
plus importantes du continent noir.
En effet, la palabre désigne les assemblées où sont librement débattues quantité de questions
et où sont prises des décisions importantes concernant la communauté25.
Principal parlement traditionnel en Afrique, la palabre a pour objectif de résoudre les
conflits, de prendre des décisions, de valider ou rejeter les projets et éventuellement de faire
des comptes rendus.
A cet effet, la palabre réunit généralement sous un arbre mythique (d’où le nom
« arbre à palabre ») l’ensemble des composantes de la communauté. Les participants ont tous
droit à la parole. Par conséquent, ils peuvent exposer en public leurs points de vue, plaintes
ou demandes ainsi que ceux de leur communauté.
Au courant de cette assemblée, les participants ont également le droit et la possibilité
de se faire représenter par des griots pour donner plus de poids et de considération à leurs
plaidoyers.
Cependant, vue d’un œil occidental, la palabre soulève un problème de démocratie. En
effet, même si le système a considérablement évolué, offrant presque à toutes les personnes la
possibilité de s’exprimer, il faut noter que la palabre a longtemps été réservée aux seuls
dignitaires, notables, sages, et dans certaines communautés (notamment les diolas, une ethnie
du sud du Sénégal) aux hommes ayant déjà effectuer le passage aux bois sacrés26.
La place des femmes reste toujours relative. Selon les communautés les femmes
participent activement aux prises de décisions ou se contentent uniquement de conseiller leur
mari, en dehors des assemblées.
La palabre pourrait devenir une des plus importantes institutions démocratiques de la
société africaine traditionnelle, à condition de s’ouvrir d’avantage aux femmes.
25
Sopova Jasmina, journaliste courrier de l’Unesco
26
Le passage aux bois sacrés est un rite effectué notamment chez les Diolas, une communauté située au sud du
Sénégal. Dans la culture Diolas comme dans nombre de cultures africaines le bois sacré est une étape cruciale
pour le passage à l’homme. On ne devient homme et par conséquent avoir le droit de siéger au conseil de la
communauté que lorsqu’ on aura franchi les épreuves du bois sacré. Cette cérémonie peut se dérouler selon les
communautés tous les 20 ans.
Réunissant tous les fidèles cinq fois par jour, les mosquées sont aussi des lieux
privilégiés de dialogue, de concertation et de prise de décisions. Cette activité se déroule après
chaque prière.
2.3. Le marché
En Afrique, le marché n’est pas uniquement réservé aux échanges économiques. C’est
également un espace qui sert à la communication.
En effet, c’est au marché que s’échange toutes les nouvelles de la contrée et du pays,
d’autant que les marchands viennent souvent de très loin et de tous les côtés, (Konaté, D.
2007).
Partant du principe que la population vienne au marché non seulement pour acheter ou
vendre mais aussi pour s’informer et informer les autres, les institutions, ONG, et associations
y exposent différentes techniques pour la protection de l’environnement. (Voir annexe).
C’est le cas notamment de l’expérimentation, intitulée « Des forestiers au marché
villageois », réalisée par l’OAPF27 au Mali.
Afin « d’accrocher » le passant et de déclencher le débat, les agents forestiers exposent
sur leur stand des images grand formant illustrant différents thèmes liés à la gestion des
ressources naturelles.
Ces animateurs sont installés comme n’importe quel vendeur au marché. Le
public défile devant leur aire de vente, regarde les produits et demande des
renseignements. Les passants, hommes, femmes et enfants, posent souvent dans ce cadre
des questions qu’ils ne poseront pas dans les réunions ou assemblées générales des
villages.
Selon l’OAPF, l’évaluation de cette expérimentation met en évidence un certain
nombre d’avantages notamment l’ambiance décontractée qui facilite le dialogue,
l’intensification des échanges entre forestiers et paysans, la régulation des contacts paysan-
forestier, etc. Parmi les points négatifs, l’OAPF souligne le fait que la plupart des gens
perçoivent les forestiers comme des commerçants, avec l’idée qu’ils veulent profiter des
paysans.
Ainsi, nous pouvons remarquer là un problème d’identification de l’action causé par le
statut premier du lieu d’expérimentation. Même si en Afrique le marché est un lieu propice à
la communication interpersonnelle, l’identification spontanée de toute action qui s’y déroule
est sans doute celle du commerce.
27
OAPF
Il est donc nécessaire dès le début d’insister sur le caractère non commercial de
l’expérimentation afin de permettre aux expérimentés de mieux identifier l’action. C’est le cas
de la recherche-action, portant sur le « développement d’un site Internet ‘engageant’ pour des
ampoules à économie d’énergie », à laquelle nous avons l’occasion de participer en tant
qu’expérimentateurs. Cette recherche-action, qui s’inscrit dans le cadre du programme de
l’ANR en partenariat avec l’ADEME, s’est déroulé à Castorama (Aix-les Milles, France).
En effet, Il s’agit pour nous de « valider l’efficacité de ce dispositif par
expérimentation en milieu naturel ».
Pour éviter toute confusion et méfiance des participants (les gens vont à Castorama),
nous leur rassurons dès le départ que nous ne vendons rien, c’est uniquement à des fins
universitaires, etc. Ainsi, ils acceptent facilement de participer.
En somme, la transformation du marché à un lieu d’information et de sensibilisation a
considérablement renforcé la communication d’utilité sociétale28 en Afrique et
particulièrement en Afrique subsaharienne. Désormais, on peut éviter les démarches pénibles
de porte-à-porte ou encore les protocoles29 de l’arbre à palabre, des assemblées villageoises.
Un nouveau public va apparaître : le public féminin.
En effet, les femmes vont pouvoir participer pleinement au débat et en deviennent
même des acteurs indispensables. Contrairement aux palabres et aux mosquées, où l’accès et
la présence ne leur sont pas facilités, le marché érige les femmes au premier rang de leader
d’opinion.
De plus, ce phénomène pourrait favoriser la mise en place de réseaux d’échanges de
programmes. Car, en participant aux campagnes de communication, les gens, venant
d’horizons diverses, peuvent émettre leurs idées et repartir avec d’autres. Ces derniers
pourraient être des ambassadeurs de la bonne parole, des leaders d’opinion, une fois retournés
chez eux. L’opération de sensibilisation pourrait atteindre son but, c’est-à-dire toucher le
maximum de public, dans une société où la bouche-a-oreille est très vivante.
28
Nous empretons le terme « communication d’utilité sociétale » à Robert Vincent Joule et Françoise Bernard,
professeurs et chercheurs au CREPCOM, Aix-Marseille1. Par communication d’utilité sociétale nous mettons
l’ensemble des communications traitant de l’environnement, de la santé, de l’éducation, de l’alimentation, de la
propreté, bref tous les intérêts sociétaux à exploiter et à préserver pour les générations futures.
29
L’organisation de l’arbre à palabre ou des assemblées villageoises passe par le chef du village seul habilité à
donner son accord. Il fait convoqué par son griot les couches sociales autorisées à assister au débat.
3. Les figures influentes de la communication
Les théories sur le pouvoir des médias ont longtemps inspiré de nombreuses politiques
de communication de masse.
Ainsi, en Afrique, dès les premières années de l’indépendance, les dirigeants,
convaincus du pouvoir de fascination et de mobilisation de la radio, ont largement utilisé ce
médium dans des campagnes de vulgarisation.
Cependant, de nombreuses études ont, au fil du temps, nuancé, relativisé, voire même
remis en cause le pouvoir médiatique.
En effet, les médias sont certes des canaux d’information, mais les canaux d’influence
sont souvent ailleurs. Au Sénégal, cette remise en cause du pouvoir médiatique est due à la
force du pouvoir maraboutique et ses conséquences sur le comportement des acteurs sociaux.
Le vocable marabout, au Sénégal, est évoqué pour désigner les chefs de grandes
confréries islamiques30. Dotés d’une légitimité reliée pour partie à leurs connaissances du
Coran, les marabouts exercent une autorité et un pouvoir sur les masses en raison de facteurs
historiques et sociologiques, (N. Loum, 2005).
En effet, le pouvoir maraboutique, au Sénégal, « s’exprime avec plus de force que tous
les autres pouvoirs légitimement établis », précise Ndiaga Loum à travers son étude intitulée
La remise en cause de l’autonomie du champ médiatique par le champ maraboutique,
Question de communication, 2005. Ce pouvoir s’élargit grâce au développement exponentiel
des dahiras (écoles confessionnelles mises en places avec la caution du marabout). Le milieu
scolaire n’a pas échappé à l’évolution de ce mouvement maraboutique. Car, il existe
aujourd’hui, dans presque tous les lycées et universités du Sénégal, des regroupements de
disciples chargés de pérenniser les activités de la confrérie.
Il faut noter que pour ces disciples la parole du marabout est précieuse voire même
sacrée. Donc, contester l’acte ou la décision de ces pouvoirs religieux, reviendrait à risquer la
vindicte populaire.
On remarque dès lors que le pouvoir maraboutique a pu poser les bases d’une nouvelle
organisation sociale, où leurs voix pèsent considérablement dans les processus de prise de
décisions.
30
Au Sénégal la religion musulmane est subdivisée en plusieurs familles religieuses ou confréries parmi
lesquelles : les tidjanes, les mourides, quadyrs, les layennes, etc.
3.2. Le chefs de village : maillon fort en zone rurale
Les chanteurs sénégalais sont considérés comme des griots modernes. Ils se
définissent eux-mêmes comme des messagers du peuple. L’engouement populaire qu’ils
suscitent, fait de sorte qu’ils sont sollicités partout. Les publicitaires ont parfaitement compris
ce phénomène. Ainsi, quand on regarde la publicité sénégalaise, environ 95% sont représentés
par des chanteurs.
D’ailleurs, autour de la plupart des chanteurs sénégalais, se constituent des groupes
soutiens appelés « fans club ». Ces « fans club » soutiennent souvent leur idole (le chanteur)
dans sont métier mais aussi dans ses engagements sociétaux.
Aujourd’hui, les chanteurs les plus populaires du Sénégal, notamment Youssou
NDOUR, Baba MALE,…, sont sollicités pour accompagner les campagnes de lutte contre le
paludisme, le sida, la déforestation, l’échec scolaire, etc. Ils sont mêmes nommés
ambassadeurs par des organisations internationales telles que l’ONU, l’UNESCO, la FAO,
etc.
Le pouvoir des médias est de plus en plus relativisé, depuis que des études (two steps
flow, théories de la réception de Hall, etc.) ont montré qu’ils sont « certes de canaux
d’information », mais « les canaux d’influence sont ailleurs »31, par exemple dans le réseau de
communication entre personnes.
Cependant, même si le pouvoir des médias est relatif, les théories des effets directs
continuent à inspirer de nombreuses politiques de communication de masse utilisant
particulièrement l’audiovisuel en Afrique. « L’usage de la télévision et de la radio dans le
domaine de la vulgarisation des techniques liées au développement est souvent situé dans
cette perspective »32. De plus, la question environnementale était très marginalisée dans les
médias et plus particulièrement dans la presse. Force, donc, est de constater que le résultat de
cette pratique serait, sans conteste, une inertie totale de la population, un échec du projet.
Aujourd’hui, les pratiques ont beaucoup évolué. En effet, la télévision, la radio, et la
presse s’emparent de la question environnementale et tentent d’ouvrir, au sein des rédactions,
des rubriques traitant ce sujet. Ils tentent tous d’aller plus loin, au fin fond du Sénégal, pour
sensibiliser et offrir la parole aux populations. C’est dans cette perspective que se situent des
émissions comme « Quartier à la Une » de la chaîne Canal Info, « Rèni ComCom »33 de la
RTS (Radio Télévision du Sénégal), pour ne citer que ceux-la.
Concernant les nouveaux médias, le Sénégal a consenti des investissements importants
pour se doter de nouvelles technologies de l’information et de la communication. C’est le cas,
31
Melvin L. Defleur : understanding mass communications EVERETTE E. Denis, New York, 1991, p 507
32
Antoine Ngor Faye, Communication et Environnement : pour une synergie des acteurs, présenté à l’Assemblée
générale du Groupe Recherche Environnement Press (GREP) les 22 et 23 avril 2006 à Dakar
33
Dans « Rèni ComCom », nous avons « Rèn » qui est un mot wolof (langue nationale du Sénégal) qui signifie
« racine », « source » et « comcom », de cette même langue qui veut dire « ressources naturelles ». Donc, on
pourrait littéralement traduire cela comme suite : source de ressources naturelles.
en particulier, de « la télédétection et les systèmes d’information géographique pouvant être
utilisés pour collecter, traiter et organiser l’information relative à l’environnement »34.
En effet, aujourd’hui des milliers de satellites lancés dans l’espace permettent de
prendre à des fréquences très rapprochées des informations sur la terre. Ces informations sont
utilisées par les services de suivi écologiques, des eaux et forêts,…, pour renforcer la
sensibilisation de la population.
En somme, chacun de ces dispositifs contribue à alimenter et à améliorer la
communication environnementale au Sénégal. Cependant, un dispositif nous semble bien
particulier : la radio rurale ou radio communautaire.
38
Touré S. Ousmane, Quelles radios rurales : publiques, communautaires, associatives, privées, locales,
régionales, nationales ? Archives de documents de la FAO
Au Sénégal, la création de la radio éducative rurale en 1968 avait pour but de réduire
le malaise paysan39. C’est le cas de l’émission Dissoo, qui signifie en wolof 40 dialogue dans la
confiance, diffusée avec l’intervention de la population rurale exprimant son point de vue.
39
Tudesq, André Jean, 1983, La radio en Afrique noire, Paris : Pedone,
40
Le wolof est la première langue nationale du Sénégal. Elle est parlé dans toutes les régions du Sénégal, soit
43% de la population sénégalaise.
Troisième partie : Présentation de l'étude et résultat des
enquêtes
1. Présentation de l’étude
L’étude empirique que nous avons mené au Sénégal concernant ce sujet est
particulièrement axée sur des entretiens et des questionnaires.
Aujourd’hui au Sénégal, il y’a une réelle prise de conscience de l’importance de la
communication dans l’élaboration et l’exécution des projets sociétaux, en l’occurrence
l’éducation à l’environnement. Cela se justifie notamment par la spécialisation de plus en plus
nombreuse des journalistes dans ce domaine ainsi que la prolifération de radios
communautaires qui désenclavent le monde rural.
Face à cette situation sans précédant, nous avons jugé nécessaire de nous entretenir
avec ces spécialistes, qui sont souvent des journalistes convertis aux causes
environnementales, et qui désormais prêchent la bonne parole. Nous avons d’abord pris
connaissance de leurs travaux avant de recueillir leur point de vue sur les pratiques de
communication environnementale au Sénégal. C’est le cas par exemple de « Quartier à la
Une », une émission hebdomadaire qui traite des questions environnementaux en offrant à la
population une prise de parole.
Ensuite, nous avons sollicité la contribution du Groupe de Recherche Environnement
et Presse (GREP). Créé en 2002, le GREP est un réseau de chercheurs, de journalistes,
d’écologistes, d’ONG, etc. Cette structure autonome traite des pratiques et enjeux de la
communication environnementale. Nous nous sommes entretenus avec certains chercheurs du
GREP qui nous ont ensuite mis en relation avec des ONG tel que le WWF (Fond Mondial
pour l’Environnement).
Cette première phase terminée, nous nous sommes dirigés vers le monde rural pour
nous entretenir avec les acteurs de terrain. Ainsi, nous avons fait cap dans le département de
Linguère, à 305 km de Dakar, au centre du Sénégal. Dans cette localité, nous avons travaillé
avec deux radios rurales.
La première s’appelle « Aida FM », elle porte le nom d’une femme (Aida) qui en est la
marraine, mais aussi le choix de ce nom témoigne de la considération, de l’hommage rendue
aux femmes, selon le staff de cette radio.
La deuxième radio porte le nom de « Djolof FM ». « Djolof » est le nom d’un
royaume dans l’ancienne division administrative du Sénégal avant l’époque coloniale. C’est
donc dans cet ancien royaume que se situe le département de Linguère. Là aussi le choix du
nom témoigne de l’encrage voire de l’enracinement de cette radio dans le paysage rural où
elle est implantée.
Après avoir pris connaissance des travaux effectués par les deux radios
communautaires de Linguère, nous avons sollicité la contribution des autorités locales. Il faut
signaler au passage que ceux-ci sont fortement impliqués dans les processus de
communication. Ainsi, nous avons eu un entretient avec le Préfet, qui est l’autorité suprême
du département.
Ensuite, grâce à la collaboration du Préfet, nous avons pu recueillir des informations
au niveau de la Direction des Eaux et Forêts, ainsi qu’à l’Inspection académique du
département.
Nous avons souhaité renforcer l’étude empirique par une comparaison avec une autre
localité. C’est ainsi que nous nous sommes rendus à Kolda, au sud du Sénégal, à 670 km de
Dakar. Ici, nous avons travaillé avec la radio communautaire « Kolda FM » et le Lycée Alpha
Molo Baldé.
2. Difficultés rencontrées
Les difficultés rencontrées dans le cadre de ce projet peuvent être résumées en deux
points :
Comme nous avons bien mentionné sur la première partie du mémoire, intitulée
« Analyse communicationnelle de l’émergence des pratiques environnementales et
d’éducation à l’écocitoyenneté : le cas du Sénégal », très peu d’ouvrages ont été réalisés
concernant le secteur environnemental et l’éducation à l’écocitoyenneté au Sénégal.
C’est donc un secteur qui n’attire pas jusque là beaucoup de chercheurs et d’écrivains.
C’est, en effet, à une date très récente, dans les années 90, que le sujet, à savoir le respect et la
protection de l’environnement, a émergé comme une priorité qui réunit à la fois les
institutions, les populations et les associations au Sénégal.
2.2. Un accès difficile des Institutions
Au niveau des Institutions nationales, les démarches n’ont pas été très fructueuses
malgré le soutien de personnes influentes que nous avons sollicité.
En effet, nous nous sommes rendus plusieurs fois au Ministère de l’Environnement et
à la Direction de l’Environnement, mais en vain. Aucun entretien ne nous a été accordé. Ils
ont souvent justifié ce fait par un manque de temps, par un nombre incalculable de dossiers
qu’ils ont à traiter.
Ils nous ont, ensuite, proposé de nous rappeler ou de répondre par mail, mais sans suite
malgré les relances que nous avons effectuées.
Ce renfermement des Institutions pourrait, d’une part, être justifié par la situation
sociopolitique assez tendue que traversait le Sénégal en cette période. Il s’agit de la flambée
des prix qui a touché le monde entier et a engendré, selon les pays, des réactions plus ou
moins violentes de la part des populations.
Le Sénégal, à l’instar des pays en voie de développement, a connu des périodes de
perturbations au niveau des transports, du pouvoir d’achat, de l’éducation scolaire, etc.
Nous avons donc suspendu à deux reprises les démarches empiriques à cause des
mouvements de protestation organisés par la population dans la capitale du Sénégal.
D’autre part, ce comportement des Institutions pourrait être interprété comme un refus
délibéré de s’ouvrir, donc un manque total de transparence de la part ces dernières.
Quoiqu’il en soit, à l’état actuel du monde, rien ne devrait empêcher aux institutions
de s’ouvrir et de contribuer à la recherche pour le développement du Sénégal, de l’Afrique et
du monde entier. Cela va donc de l’intérêt de tous d’obtenir des informations concrètes, de
contribuer à la recherche d’idées, de solutions, pour un développement durable. D’ailleurs,
aucune grande puissance n’a réussi à s’imposer sans la recherche.
Nous souhaitons, donc, du fond du cœur pour le bien de tous (générations présentes et
futures), que les institutions africaines et sénégalaises en particulier prennent conscience de
l’intérêt de la recherche et contribue largement à son épanouissement.
3. Résultats de l’étude empirique
Les résultats obtenus à travers les « entretiens acteurs terrain » décrivent, pour la
grande majorité, un tableau noir concernant l’état de l’environnement du Sénégal.
En effet, même si le Sénégal, est dépourvu de grosses industries et d’infrastructures
polluantes, ce pays n’est pas à l’abri d’une dégradation environnementale inquiétante. Le
Nord du pays subit de plein fouet la désertification, qui avance à grand pas vers le Centre (la
zone de Linguère où nous avons mené une partie de l’étude empirique). La pratique de la
monoculture et l’usage des produits chimiques ont fini par rendre inexploitables les terres.
Les régions côtières subissent une surexploitation des ressources marines. Au Sud, le
recours aux feux de brousse pour le défrichage, la recherche abondante du charbon de bois, du
bois de chauffe, fait de disparaître à grand pas ce poumon vert du Sénégal.
Face à cette situation alarmante, les Institutions sénégalaises ont réagi par la mise en
place d’une politique environnementale. Mais celle-ci ne semble pas être en phase aux
pratiques actuelles. En effet, la plupart des « acteurs terrains » soutiennent que cette politique
environnementale est dépassée. Car elle se caractérise entre autre par des conférences, des
séminaires inaccessibles à la population.
Au niveau des écoles, l’introduction de module environnemental dans le curricula
scolaire, permet d’éduquer la jeunesse sur l’utilité de l’environnement.
Le constat qu’on peut faire, à travers cette grille de résultat, c’est que cette politique
n’intègre pas la population dans le processus de prise de décision. En effet, celle-ci est
considérée comme un simple récepteur. Elle se contente, donc, d’être informée, sensibilisée,
sans aucune possibilité de donner son avis.
La conséquence majeure de ce phénomène est sans conteste l’absence d’engagement
de la population, donc l’échec du projet.
Aujourd’hui, la communication au Sénégal tente petit à petit de prendre en compte ce
facteur. Grâce à la prolifération de dispositifs de proximités tel que les radios
communautaires, la population peut s’exprimer et participer à la recherche de solution.
D’ailleurs, les populations sont, actuellement de plus en plus, impliquées dans les processus
de prise de décisions qu’il devient « impératif de les consulter, leur expliquer clairement les
tenants et les aboutissants des projets et d’avoir leur aval » (voir annexes BALDE Mbaye
Babacar).
La communication au Sénégal répond aussi à des pratiques particulières, dont il est
indispensable de connaître.
Il s’agit dans un premier temps de la connaissance des maillons forts de cette
communication, autrement dit les figures influentes. Les entretiens ont confirmé le poids,
l’influence, bref le rôle déterminant des marabouts, des chefs de villages dans la mise en
œuvre d’un projet de communication.
Dans un second temps, il faut prendre connaissance de l’ensemble des espaces de
médiation et de médiatisation dont le marché, l’arbre à palabre, les lieux de culte, etc. Certains
de ces espaces sont réservés à un public particulier (les lieux de culte), d’autres réunissent
toutes les couches de la société (le marché). D’autres encore ont longtemps été réservés aux
hommes uniquement mais qu’aujourd’hui, ils s’ouvrent davantage au public féminin. Il faut
également ajouter que ce public devient de plus en plus incontournable dans les processus de
prise de décision.
En fin, pour améliorer la communication et l’engagement de la population, la tendance
majeure des « acteurs terrains » est de tabler sur le renforcement des moyens financiers afin
de se doter de dispositifs efficaces permettant de sensibiliser la population. En effet, la plupart
des radios communautaires possèdent peu de moyens pour organiser des antennes
décentralisées (émissions interactives organisées en direct des villages) pour donner
directement la parole aux populations. La tendance mineure mise sur la consultation
permanente du public pour mobiliser davantage leur participation.
Les résultats du « questionnaire citoyen » pourraient nous donner une idée sur les
pratiques de communication effectuées par le biais des radios rurales ou communautaires.
En effet, des études41 ont montré l’importance voire même l’impact de ces radios sur la
population. Ce que pourrait confirmer la fréquence d’écoute au niveau des lycéens enquêtés
(tendance forte : plusieurs fois par jour).
41
Atelier sous-régional, Relier la recherche agricole et la radio rurale, Dakar, 6-11 juin 2005
De plus, cette fréquence d’écoute assez importante est indispensable à la diffusion
d’émission sur l’environnement. A travers ces émissions, les populations reçoivent et
retiennent des messages clés qui leur permettront d’adopter un comportement responsable et
écocitoyen.
Il est difficile de mesurer l’impact de ces émissions sur la population, mais des
indicateurs (notamment les agents des Eaux et Forêts) ont montré qu’il y’a une nette
diminution des feux de brousse, suite à ces émissions.
4. Approche réflexive
Il faut reconnaître, de nos jours, que la communication occupe une place importante
voire même primordiale dans la recherche de solution pour le développement durable.
En effet, de nombreuses études ont montré que la résolution des problèmes de
développement durable, en l’occurrence d’environnement, ne devrait pas se limiter aux
aspects financiers et techniques. Il faut également et surtout tabler sur la communication pour
changer les comportements. Cela signifie qu’il faut aller au-delà de l’information et de la
sensibilisation, qui sont certes nécessaires pour modifier les savoirs, les idées et mêmes
certainement provoquer de réelles prises de consciences. « Mais elles ne sont pas, en tant que
telles, suffisantes pour promouvoir de nouvelles habitudes » (Bernard & Joule, 2005).
Nous avons, donc, pu constater qu’il y’avait un écart considérable entre nos discours
et nos actes. En d’autres termes nous ne faisons pas forcément ce que nous disons. Ainsi, il
n’est pas étonnant de voir le nombre de projets échoués malgré la tenue considérable de
campagnes de sensibilisation.
Alors, comment réduire voire mettre en phase nos discours et nos actes ?
Nous ne prétendons pas posséder La solution. Par ailleurs, nous proposons, avec
conviction, une démarche validée par de nombreuses recherches (psychologie sociale,
communication, etc.), et dont nous avons pu, nous-mêmes, vérifier à travers les
expérimentations empiriques effectuées au courant de ces deux années de Master (voir
annexes) .
Pour mettre en phase nos discours et nos actes, il faut susciter l’engagement de tous les
acteurs concernés.
En effet, l’engagement est «le lien qui existe entre l’individu et ses actes » (Charles
Kiesler ,1971). Ainsi, contrairement à ce que nous pensons, il ne suffit pas d’avoir de bonnes
idées pour poser des actes favorables. Car nous ne sommes ni engagés par nos idées ni par nos
sentiments, mais par nos actions, nos conduites effectives, donc « des agissements que les
autres peuvent ou pourraient voir ».
Donc, nous devrions encourager les individus à prendre publiquement des décisions.
Ce faisant, nous serions plus à mesure d’honorer nos engagements. Il faut ajouter que cet
engagement ne pourrait exister que si les individus s’identifient librement à l’action : « c’est
dans ma nature de protéger l’environnement ».
Pour réduire cet écart entre nos discours et nos actes, il s’agit aussi de revoir la place
que nous octroyons à la population dans les processus de prise de décisions. Dans la plupart
des cas, la population se contente uniquement de recevoir les décisions finales sans en émettre
son avis.
De plus, ces décisions sont souvent contraignantes et ne tiennent pas compte des vraies
aspirations de la population. Il est, donc, fort probable que les projets structurés de cette façon
ne connaissent pas le succès escompté, pour ne pas dire échouent lamentablement. Et pourtant
on aura l’impression d’avoir bien informé et sensibilisé mais l’absence de débat, de
concertation avec la population cause le refus et le rejet des projets.
Alors, il faut redéfinir le rôle de la population. C’est-à-dire de « simple récepteur » elle
passe à un « acteur-partenaire » participant pleinement et librement à la prise de décisions. Il
faut, enfin, responsabiliser cette population et les impliquer davantage aux projets.
De plus, certaines populations possèdent des savoirs endogènes valorisants et efficaces
à la résolution des problèmes. D’ailleurs, « certains ethnologues ont trouvé dans les
représentations picturales, les pratiques agricoles, les techniques de chasses indigènes et
l’exploitation traditionnelle des ressources, des savoirs d’intérêt pour l’éducation à
l’environnement »42. Il faut, donc, prendre en compte ces pratiques, voire même les privilégier
en offrant à ces populations une réelle prise de parole et une possibilité d’agir.
Conclusion
Tout au long de ce mémoire, nous avons tenté de montrer l’importance de la
communication à travers des recherches théoriques, des expérimentations, des démarches
empiriques, etc. Aujourd’hui, nul doute des vertus de cette communication, dont la
particularité se distingue d’un continent à l’autre. C’est dans ce sens que nous avons pu
montrer un certain nombre de dispositifs et pratiques qui régissent la communication au
Sénégal et en Afrique subsaharienne en général. Il est donc intéressant voire indispensable de
prendre connaissance de ces pratiques locales et endogènes pour s’offrir davantage de chance
de réussite des projets.
Par ailleurs, il serait intéressant d’intégrer, dans ces pratiques, le paradigme de la
communication engageante pour provoquer le changement de comportements.
En effet, avec une population bien informée, consultée, impliquée et s’identifiant
librement au projet, l’engagement et le passage à l’action deviennent plus probables. De plus,
les espaces de médiation et de médiatisation que nous avons cité à travers ce mémoire,
(l’arbre à palabre, les assemblées villageoises, etc.), nous semblent propices à l’application de
ce type de communication, surtout à la prise de décision publiquement.
La combinaison de ces deux pratiques pourrait produire des résultats remarquables
pouvant renforcer ma recherche de solutions pour le changement de comportement.
42
Urbain Njatang, Influence des moyens de communication sur l’éducation relative à l’environnement en
Afrique sud-saharienne : le cas du Cameroun, Education relative à l’environnement, Vol. 4, 2003
Eléments bibliographiques
Littérature grise
Rapport de la conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement (Rio de
Janeiro, 3-14 juin 1992) :
Faye, A. Ngor, Communication et Environnement : pour une synergie des acteurs. Assemblée
générale du GREP 22-23 Avril 2006
Atelier sous-régional, Relier la recherche agricole et la radio rurale, Dakar, 6-11 juin 2005
Yolanda Ziaka, publié en 2004, Grèce- L’éducation à l’environnement pour les adultes à
travers les médias : aspects didactiques dans le cas de la presse écrite, thèse soutenue en
1995
BOYE, K., COLY, N., DIATTA, A., Analyse communicationnelle de l’émergence des
pratiques environnementales et d’éducation à l’écocitoyenneté : le cas du Sénégal,
Mémoire de Master 1, soutenu en juin 2007, Université de Provence, Aix-Marseille1.
Sarr, M., (1990), Etude critique d’un thème d’éducation relative à l’environnement :
l’utilisation rationnelle et la gestion des ressources naturelles. Thèse de doctorat,
Université de Paris 7
Ndione, E. et Coll (1992) : Avenir des terroirs : la ressources humaine. Enda Collection
Recherches populaires
SOW P. S., KANTE S. (SVD, Ministère de la Ville), Pour une nouvelle stratégie de gestion
des déchets dans les communes de l’intérieur, ministère de la Ville, Agetip, Sahélienne de
valorisation des déchets (S.V.D.), Rapport d’études, 1996, SVD.
JOULE, R V., PY, J. et Bernard F., Qui dit quoi, à qui, en lui faisant faire quoi ? Vers une
communication engageante. Dans M. Bromberg et A. Trognon (eds). Psychologie sociale et
communication. Paris : Dunod, 2004
Annexes
Journaliste Environnementaliste
Secrétaire du Groupe de Recherche Environnement et Presse (GREP)
Le GREP est créé en juin 2002 à Dakar. C’est une structure qui travaille en collaboration avec le
WWF : le Fond Mondial pour l’Environnement. C’est ce Fond mondial pour l’environnement qui a
l’idée de sensibiliser et d’encourager des journalistes de mettre en place ce réseau qu’est le GREP.
Donc, le GREP est une structure autonome financée par le WWF et l’Ambassade des Pays-Bas.
Pour mettre tout le monde au même pied d’égalité, on encourage aujourd’hui l’implantation
de radio communautaire. La communication à travers les grandes stations était très limitée.
Pour corriger ce manquement, le gouvernement table sur la prolifération des radios
communautaires. Cela permet de toucher le citoyen qui se trouve au fin fond du Sénégal.
La particularité de ces radios communautaires par rapport aux autres médias c’est qu’elles
sont beaucoup plus proches à la population et celle-ci s’identifie même à ces radios. C’est la
population même qui anime ces radios et il n’y a pas de tabou. D’ailleurs, la grande révélation
c’est que la population c’est que la population s’est approprié ces radios. Elle a découvert un
outil qui prend en compte leurs préoccupations quotidiennes.
Quant à l’engagement, pour la population pusse s’y mettre il faut qu’elle soit convaincue de la
fiabilité du projet. J’ai assisté à des rencontres notamment dans la région de Thiès où on
devait implanter un jardin botanique alors que certaines personnes cultivaient tout au tour. Il a
fallu des séances de discussion pour leur faire comprendre que ce jardin botanique
n’influençait en rien sur leurs cultures. Ils craignaient que les produits utilisés dans ce jardin
aient des conséquences néfastes sur leurs cultures. Donc, il faut des discussions pour éclaircir
et convaincre la population de la fiabilité du projet. C’est ainsi qu’elle pourra s’engager.
Aujourd’hui, le gouvernement n’ose pas implanter un projet sans concerter et impliquer la
population, s’il ne veut pas que ces projets soient voués à l’échec.
Les dispositifs traditionnels de communication sont très importants. C’est vrai que la radio, la
télé, la presse et l’Internet sont là, mais le griot à encore sa place dans le système de
communication sénégalais. Il est écouté et suivi. Même les politiques essayent de passer par
son canevas pour faire véhiculer leurs messages. C’est dire l’importance du griot dans la
communication au Sénégal. Les messages qu’il véhicule sont considérés comme des messages
vrais et bétons. Les griots sont ainsi des leaders d’opinion et conservateur de la tradition de
nos sociétés africaines.
Les chefs de villages sont aussi des personnes influentes qu’on ne peut nullement dévier
quand on veut mettre en place un projet dans leur localité. Aujourd’hui, un président de
communauté rurale, quelque soit son pouvoir, ne peut prendre certaines décisions sans
l’implication des chefs de village. Ces personnes sont très importantes car ce sont les seuls
capables de réunir toute la population. De plus, ce sont les personnes les plus écoutées au
niveau local.
Le marché c’est là où tout le monde se retrouve, c’est là où tout monde cherche ce dont il a
besoin. C’est donc un noyau où tout s’échange. Le message véhiculé dans ce lieu est
constamment là. Et chaque personne qui y met les pieds prendra un peu de ce message. Il
essayera ensuite de le transmettre aux personnes de sa communauté. C’est dire que le marché
est un des lieux les plus prisés pour faire passer les messages. Le gouvernement du Sénégal a
même ciblé des marchés pour organiser des campagnes de sensibilisation (notamment la
campagne contre le choléra). Ils avaient implanté des haut-parleurs, des micros, il y’avait
aussi des animateurs qui faisaient rire les gens. Donc, ils sont partis de cette atmosphère
détendue pour faire passer le message, pour dire à la population les bonnes pratiques à faire
pour garder un environnement propre et éviter les maladies.
Pour améliorer la communication environnementale il faut un renforcement des capacités des
journalistes pour qu’ils portent le bon message. Car un message pour le porter il faut savoir sa
quintessence, faire le pour et le contre. Parce que si on donne le mauvais message il peut avoir
d’autres conséquences.
Il faut aussi davantage d’approches en vers les populations pour leur expliquer la raison et le
but des projets. Il faut qu’il ait un échange et que tout le monde s’approprie cette question
environnementale. Il faut former cette population pour qu’elle puisse assurer la pérennité des
projets au niveau local.
SANE Abba
Rédacteur en chef Kolda FM
La radio Kolda FM est fondamentalement et profondément rurale, car elle est née au
niveau de trois départements : Kolda, Sédhiou et Vélingara. Le feedback nous parvient à
travers les émissions que participent ces auditeurs. La téléphonie rurale étant en place
actuellement, nous parvenons à échanger avec cette population qui nous suggère de traiter tel
ou tel thème jugé intéressant. Alors, on s’est rendu compte que la population s’est impliquée
et qu’elle participe pleinement aux programmes. Nous sommes en milieu urbain, mais la
majeure partie de nos auditeurs appartient au milieu rural.
Nous organisons des émissions environnementales en rapport avec des ONG. La radio
nationale a signé un protocole avec la direction nationale des Eaux et Forêts. Ce protocole a
été décentralisé au niveau régional. Ainsi, l’inspection régionale des Eaux et Forêts a des
émissions en partenariat avec Kolda FM. Personnellement j’ai été faire des émissions
décentralisées par rapport à la lutte contre les feux de brousse. On a fait toutes les
communautés rurales de Kolda et de Vilingara pour sensibiliser la population par rapport à la
lutte contre les feux de brousse, à la préservation des espèces tel que le bamboo, qui
aujourd’hui est en train de générer des revenus pour ces populations. Car une fois en maturité,
les populations s’en servent pour clôturer leur maison, créer des lits ou encore des paniers…
L’émission « Naforé laddé » qui signifie l’importance de la forêt abonde dans ce sens.
Elle a permis à beaucoup de population de savoir les périodes propices aux pare-feux, aux
feux précoces. Par exemple les feux précoces doivent être mis entre novembre et décembre.
Mais avant mi-décembre on ne doit plus les mettre. Si c’est le cas on considère que c’est un
feu de brousse. Donc, ce sont ces émissions éducatives qui permettent à la population de
pouvoir préserver l’environnement. Ça permet à la population de corriger, d’avoir une
nouvelle manière de faire, parce que depuis quelques années ces populations sont en train de
quitter l’agriculture vers l’économie de plantation. En plantant, quand les feux de brousses
arrivent ils détruisent tout. Et c’est en adoptant les systèmes de préservation que la population
parvient à réduire le mal.
Nous avons fait un peu, à un moment donné, une étude auprès des présidents de
communautés rurales, mais également des populations elles-mêmes pour savoir si les
émissions avaient un impact. L’expérience de la commune de Sarré Bidji nous a convaincu.
Cette commune est aujourd’hui vraiment en avance par rapport à lutte pour la préservation de
l’environnement. A la suite des émissions, ils ont décidé de créer des comités de vigilance et
tous les matins un groupe de femme fait le tour des concessions pour vérifier si les feux sont
éteints au niveau des foyers, avant d’aller dans les champs. On leur a dit de planter pour éviter
les ravages des feux de brousse. C’est ainsi que l’anacarde est venu et toutes autres espèces.
Les présidents de communauté rurale sont impliqués autant que les populations. Quand nous
avons fait les sondages la majeure partie nous a dit qu’elle ne savait pas par exemple les
méthodes de lutte contre les feux de brousse avant qu’elle ait suivi nos émissions. Aussi,
grâce à ces émissions, les populations se sont organisé de sorte que les revenus issus de la
forêt leur reviennent. Aujourd’hui, plusieurs communautés rurales ont un compte au trésor.
Car dans l’exploitation du charbon, il y’a un taxe qui revient à la population concernée, les
produits de cueillette également.
Donc, on peut dire qu’il y’a une participation effective des auditeurs ?
Selon vous, qu’est-ce qui fait que la radio rurale soit considérée comme l’outil de
communication le plus important, pour l’éducation à l’environnement surtout dans le
monde rural ?
En fait, comme je l’ai dit nous sommes dans la commune, mais nous sommes une
radio principalement rurale. C’est parce que la population elle-même s’exprime pour dire leur
difficulté, leur expérience. A partir de ce moment là, la radio est devenue un outil important.
On nous appelle pour nous signaler un feu de brousse à tel endroit, ce qui n’existait pas avant.
Aujourd’hui, la radio traite de tous les problèmes sociétaux. Elle va sur le terrain discuter avec
les populations. La population elle-même a dit : « depuis que Kolda FM existe, nous ne disons
pas que nous sommes sorties de l’ignorance, mais ça nous a beaucoup aider surtout en terme
d’éducation dans plusieurs domaines ». Cela parce que Kolda FM, est une radio qui leur parle
dans leur langue, et ça c’est important. Ce qui ne se faisait pas à l’époque.
Selon vous, quel est l’apport des dispositifs traditionnels dans la communication portant
sur l’éducation relative à l’environnement ?
Les marabouts, chefs de village, ainsi de suite, et les griots traditionnels, ils ont
également un rôle à jouer. Ils existent toujours dans nos sociétés africaines. Quand nous
faisons des spots pour dire que tel jour nous organisons une émission dans tel endroit, en
général ce sont les griots qui complètent l’information. Donc, ce sont eux qui font la
sensibilisation et la mobilisation avant le jour. Ça c’est au niveau local. Au niveau général, on
s’est toujours appuyé sur leaders pour le travail. C'est-à-dire que quand on arrive, il faut
discuter avec le marabout d’abord, il faut l’impliquer dès les premières phases de repérage.
Parce que le marabout a de l’influence. Le manque d’implication de ces leaders d’opinion a
pour conséquence l’imminent échec du projet. Vous ne réussirez pas votre émission, vous ne
mobiliserez pas la population. C’est vrai que la radio est le médium le plus rapide pour
communiquer en un temps record et toucher un certain nombre de cible, mais sans la
contribution massive des marabouts, des chefs de village, et des femmes, le risque d’échec est
évidant.
Actuellement, qu’elle place occupe la femme dans les processus de prise de décision,
sachant qu’elles y ont longtemps été absentes ?
La femme aussi est une figure très influente car c’est elle qui continue à aller en
brousse après la saison des pluies, pendant que l’homme est à la maison. Les gens se sont
rendus compte que la femme est plus impliquée, et plus proche de la nature pour peu qu’elle
soit fréquemment en contact avec celle-ci. Elle est donc plus au courant de ce qui se passe
dans la nature. C’est vrai qu’avant des les processus de prise de décision quand il y’avait les
hommes, les femmes sont absentes et si le chef de village parle, c’est fini la femme ne plus
prendre la parole. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Les femmes interviennent et leur apport a
été déterminant dans la préservation de l’environnement. Elles sont beaucoup plus attentives à
l’environnement que les hommes. Par exemple, on s’est rendu compte que les feux de brousse
sont plus causés par les hommes. Quand les femmes allument du feu pour faire du charbon de
bois, elles s’occupent de bien nettoyer le périmètre de sécurité. Donc elles sont beaucoup plus
attentives et les hommes n’ont pas démenti. C’est un constat fait dans 9 communautés
rurales.
A travers toutes ces questions que nous venons de parcourir, peut-on dire qu’il y’a une
politique d’éducation à l’environnement au Sénégal ?
Pour ce qui est de la communication, nous croyons qu’il faut renforcer les moyens
pour pouvoir aller davantage sur le terrain, en contact avec la population. Il faut que l’Etat
investisse dans le secteur de l’environnement, car les populations même si elles sont
suffisamment sensibilisées, elles ont tendance à ne rien s’il n’y a pas de moyens. Autre
solution, c’est la création de forêts privées. C’est une idée qui a été soulevée par un ancien
ministre de l’environnement du Sénégal. Il fallait donc encourager et primer les gens se sont
lancés dans cette initiative. La question du prime pourrait motiver davantage les populations
car à l’arriver il y’a la récompense.
Introduction
Comment amener quelqu’un à faire ce qu’on souhaite le voir faire ?, voila bien une
question, aussi vielle que le monde, qui concerne tout le monde et dont les réponses fiables et
pertinentes sont soulignées à travers cet ouvrage intitulé Petit traité de manipulation à
l’usage des honnêtes gens. Publié en 1987 aux Presses Universitaires de Grenoble, par deux
chercheurs en psychologie sociale et professeurs des Universités, Robert-Vincent Joule et
Jean-Léon Beauvois, cet ouvrage scientifique démontre comment, dans la vie de tous les
jours, nous sommes amenés à prendre librement une décision qu’on ne prendrait pas
forcément par nous-même dans d’autres circonstances ?
En effet, il existe deux façons d’obtenir de quelqu’un qu’il fasse ce qu’on voudrait le
voir faire. Il s’agit de l’exercice du pouvoir et de la manipulation.
Le pouvoir : c’est malheureusement le moyens le plus recouru à travers le monde.
L’organisation hiérarchique de la société, de la famille, de l’entreprise (bureaucratie), favorise
l’usage du pouvoir comme moyens de faire faire à quelqu’un ce qu’on voudrait le voir faire.
Ce pouvoir basé l’ordre et la répression, n’est malheureusement pas à la portée de tous. Ceux
qui en bénéficient, peuvent se venter d’avoir une solution d’amener autrui à faire ce qu’ils
voudraient le voir faire. Cependant, « dans de tel cas, la personne soumise a néanmoins
conscience de la situation de dépendance dans laquelle elle se trouve, même s’il lui arrive
d’estimer juste les demandes qui lui sont adressées ou de juger utile le travail qu’on attend
d’elle. »43. Pour ceux qui n’ont de pouvoir ni de moyens de pression, la solution est de faire
recours « à une simple requête, voire même s’en remettent aux aléas de l’argumentation ou de
la séduction ». Seulement « ces stratégies d’argumentation ou de séduction requièrent des
compétences ou des attributs que tout le monde n’a pas ».
La manipulation reste, donc, « l’ultime recours dont disposent ceux qui sont dépourvus
de pouvoir ou de moyens de pression ». Avec elle, nul besoin d’être fin tacticien du discours
ou de la séduction. Seules la connaissance et la maîtrise de quelques techniques de
manipulation, (technologies comportementales périphériques, pour être politiquement plus
correct) proposées par cet ouvrage, suffisent pour arriver à ses fins. De plus, la manipulation
n’est pas vécue comme telle, car l’individu a le sentiment d’avoir agi en toute liberté.
Alors comment amène-t-on vraiment quelqu’un à faire, en tout liberté, ce qu’on attend
de lui sans qu’il se sente manipulé ? Voici des réponses proposées par ce Petit traité de
manipulation qui, fort de ses 9 chapitres, fait « appel à des techniques adossées, à des
théories scientifiques et ayant fait la preuve de leur efficacité dans des recherches
expérimentales de laboratoire ou de terrain.
43
Ce phénomène s’appelle la rationalisation : c’est un processus psychologique qui amène les gens à reconnaître
comme légitimes les conduites qui leur sont extorquées par l’exercice du pouvoir (Beauvois et Joule, 1981)
trouve que lorsque la requête était formulée directement, une personne sur dix seulement
acceptait de donner la somme demandée ; il s’en trouvait quatre fois plus lorsque
l’expérimentateur avait préalablement demandé l’heure44. C’est donc un stratagème à la
portée de tous. L’individu doit, pour obtenir un comportement escompté, passer un l’extorsion
d’un comportement préparatoire. Ainsi, « si au lieu de demander 20 centimes vous aviez
demandé l’heure, nul doute qu’on vous l’aurait volontiers donnée ». Il faut donc procéder par
un acte préparatoire (demander l’heure par exemple). Cet acte préparatoire est crucial car il
établit aussitôt un lien entre les deux individus. Le simple fait d’accepter librement de
répondre positivement à la requête initiale, peut nous amener à nous comporter tout autrement
que nous ne l’aurions fait spontanément. Dans ce contexte (absence de pouvoir, de pression),
ce n’est pas parce que nous sommes de nature serviable que nous acceptons de faire ce
qu’autrui voudrait nous voir faire, mais simplement parce que nous souvent engagés à le faire.
L’engagement
Charles Kiesler (1971)45 définit l’engagement comme étant «le lien qui existe entre
l’individu et ses actes ». Donc, contrairement à ce que nous pensons, il ne suffit pas d’avoir de
bonnes idées pour poser des actes favorables. Car nous ne sommes ni engagés par nos idées ni
par nos sentiments, mais par nos actions, nos conduites effectives, donc « des agissements que
les autres peuvent ou pourraient voir ». Par ailleurs, cet engagement est variable et graduel
d’un individu à un autre. Car le « lien qui existe entre un individu et son comportement n’est
pas régi par la lois du tout ou rien ». Le degré d’engagement ne sera le même selon qu’on soit
dans une condition de libre décision ou de décision forcée. En effet, les individus se trouvant
dans la première condition seront plus engagés que ceux se trouvant dans la seconde. Cet
engagement peut-être manipulé en fonction de la situation dans laquelle on se trouve. On peut
ainsi manipuler l’engagement par « le caractère public de l’acte ». C’est-à-dire, considérer
« qu’il est plus engageant de faire quelque chose sous le regard d’autrui…que de la faire dans
l’anonymat ». Manipuler l’engagement peut aussi consister à « amener les sujets
expérimentaux à réaliser plusieurs fois le même acte ou au contraire qu’une fois », etc.
Voyons maintenant comment les techniques, décrites par ce Petit traité de
manipulation, manipulent l’engagement. Ces techniques sont « d’autres variétés de pièges qui
requièrent alors l’intervention d’autrui comme élément déclencheur et relèvent donc, à
proprement parler, de la manipulation d’un individu par un autre ». Et c’est sur les effets de la
persévération de l’activité de décision que va s’appuyer le manipulateur pour atteindre son
but. Cette idée de persévération de l’activité de décision, veut que l’individu adhère à sa
décision initiale en affirmant le caractère rationnel de celle-ci. Cela peut l’amener à s’enliser
dans une « escalade d’engagement ».
L’amorçage
Cette technique consiste à obtenir quelque chose de quelqu’un en lui cachant le coût
effectif de l’action. Ce Petit traité de manipulation parle de stratégie « d’appâter le pauvre
diable par une proposition affriolante afin de l’amener à décider en toute liberté de faire ce
qu’on souhaite le voir faire ». Cette technique repose sur une information erronée qui n’est
pas perçue comme telle par les individus qui la subissent. Car, ils ont tendance, à l’instar de
Madame O46 ou des étudiants de Cialdini47, à considérer que la décision initiale est la leur et
non celle d’autrui, et par conséquent ne sera pas remise en cause. L’efficacité de l’amorçage
44
Petit traité de manipulation, p. 13
45
Kiesler, C.A., 1971, The psychology of commitment. Experiments liking behavior to belief, New York,
Academic Press
résulterait dans ce sentiment de responsabilité et de liberté qu’éprouveraient les individus lors
de la prise de décision. « Il semble donc bien qu’une décision ne puisse déboucher sur des
effets d’amorçage que dans la mesure où elle s’accompagne d’un tel sentiment de
responsabilité personnelle ».
Le pied-dans-la-porte
Dans cette technique, l’obtention du comportement escompté passe par une extorsion
d’un comportement préparatoire non problématique et peu coûteux. « Ces comportements
sont suffisants pour rendre plus probable la réalisation d’autres comportements similaires,
mêmes s’ils sont plus coûteux ». Ce comportement préparatoire engage les individus dans
une identification de l’action. C’est le cas par exemple de l’expérience de Freedman et Fraser
où des ménagers ont été amenés à signer une pétition sur le thème de l’environnement.
« Celles-ci préfèrent-elles considérer cet acte comme un acte militant (je milite pour une
bonne cause), plutôt que de la considérer comme une simple réponse à la demande qui leur est
adressée (je milite une pétition) ». Le fait d’identifier l’action à un niveau élevé, peut
permettre l’engagement pour d’autres causes. On peut ainsi augmenter l’efficacité de cette
technique de pied-dans-la-porte en faisant recours à l’étiquetage. Cela a pour but de « gratifier
la personne qui vient d’être engagée dans un acte préparatoire d’une qualité abstraite,
psychologique ou morale ». Cet étiquetage permet donc d’aider les individus à identifier le
comportement préparatoire à un niveau élevé. Il peut consister à ceci : « Merci beaucoup,
j’aimerai rencontrer plus de gens comme vous prêts à se mobiliser pour les bonnes causes ».
La porte-au-nez
Cette stratégie regroupe une combinaison de techniques qui peuvent être utilisées
isolément pour amener quelqu’un à faire ce qu’on voudrait le voir faire. Ces techniques sont
entre autres :
46
Madame O. a été victime d’une technique de vente fondée sur les effets de persévération de l’activité de
décision. Voir Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens, p.55, 56, 57 ;
47
L’expérience de Cialdini et ses collaborateurs consistait à demander aux étudiants de faire un choix entre deux
tests (A et B). Le recours à la technique d’amorçage a permis d’obtenir un taux d’acceptation de 56 % alors que
seul 31 % ont accepté de participer à l’expérience lorsque la requête est formulée directement. Voir Petit traité de
manipulation, p. 60, 61, 62, 63
La technique du toucher : cette technique peut modifier considérablement la décision
de la personne qui la subit en faveur de celle qui l’utilise. Cette technique, selon Hornik,
1992, conduit à des clients à trouver plus agréable le magasin dans lequel ils pénètrent.
La technique du pied-dans-la-bouche : elle consiste à faire précéder sa requête d’une
banale formule de politesse notamment « comment allez-vous ? ». Face à cette question la
plupart des gens répondent que tout va bien créant ainsi un contexte favorable dans lequel la
requête finale va pouvoir être formulée avec plus d’efficacité. Car « être bien et ne rien faire
pour ce qui ne vont pas est une position psychologiquement inconfortable ».
La technique du mai-vous-êtes-libre-de : le sentiment de liberté un clé indispensable à
l’engagement de la personne dans l’acte qui lui est extorqué. En déclarant libre la personne
dont souhaite infléchir le comportement, on lui permet d’établir une « soumission librement
consentie ». L’individu aura le sentiment d’avoir agi en tout liberté, sans se sentir manipuler.
Conclusion
La liste des techniques proposées par ce Petit traité de manipulation est loin d’être exhaustive.
Chaque d’entre elles a sa particularité mais aussi peuvent se compléter les unes des autres.
Cette combinaison donne encore des résultats plus spectaculaires. En somme, deux éléments
peuvent être retenus : d’abord le fait que chacune de ces techniques propose une manipulation
bien particulière de l’engagement et ensuite le fait que les individus subissant ces techniques
aient le sentiment d’agir en toute liberté en répondant favorablement une requête formulée par
le biais des techniques manipulatrices, mensongères pour certaines
Présentation de la recherche-action
Les 7 et 10 novembre 2007, nous avons participé, en tant qu’expérimentateurs, à une
recherche-action portant sur le « développement d’un site Internet ‘engageant’ pour des
ampoules à économie d’énergie. En effet, Il s’agit pour nous de « valider l’efficacité de ce
dispositif par expérimentation en milieu naturel ». Cette recherche-action, s’inscrivant dans le
cadre du programme de l’ANR en partenariat avec l’ADEME, s’est déroulé à Castorama
(Aix-les Milles).
Cette recherche-action est une expérience riche et intéressante sur plusieurs points.
Nous étions plus que de simples expérimentateurs. En effet, nous étions fortement
impliqués dans la conception et la mise en place des étapes du processus de cette recherche-
action. Nous avons été amenés à débattre sur l’ensemble du dispositif. Ainsi, les trois
réunions, organisées avant l’expérimentation, nous ont permis de peaufiner le processus.
Cette première étape de la recherche-action est très intéressante dans la mesure qu’elle nous
montre l’importance de former, en amont, les expérimentateurs afin s’imprègne profondément
du processus de communication.
Expérimentation vécue
Théoriquement, nous savions que les messages destinés à informer, éduquer ou changer les
représentations et attitudes ne sont pas systématiquement suivis de changement effectif de
comportement. Nous savions aussi que pour qu’il ait changement de comportement il faut que
l’individu s’engage par ses actes. Mais comment amener l’individu à faire en toute liberté ce
que vous voulez qu’il fasse ? La réponse à question nous l’avons profondément vécue à
travers l’expérimentation faite à Castorama. En effet, pour amener les gens à remplacer, dans
leur domicile, les ampoules classiques par des ampoules à économie d’énergie, tout un
processus utilisant la logique de la communication persuasive engageante a été mis en place.
Il s’agit :
- d’un groupe d’accueil : posté à l’entrée du magasin, ce groupe utilise « un bon pied-
dans-la porte »48, en extorquant un oui aux gens quant à la question portant sur la
connaissance de l’outil informatique, puis un autre oui pour l’acceptation de « donner
son avis sur quelques pages d’un site Internet ». Cette technique parfaitement utiliser,
nous a permis d’atteindre voire même de dépasser le résultat escompté.
- d’un groupe écran : où les expérimentés devaient naviguer sur des sites (avec acte
préparatoire ou pas, gain ou pas, engagement ou pas)
- d’un groupe observation : chargé d’observer les expérimentés et les achats d’ampoules
à économie d’énergie.
- d’un groupe vente : communique avec le groupe observation sur les achats
- d’un groupe contrôle : il est composé de 2 groupe. Le premier visite un site qui n’a
aucun lien avec les ampoules avant de tomber sur l’engagement ou non à changer
leurs ampoules classiques. Le second groupe contrôle ne visite aucun site. Il se
contente uniquement d’extorquer des numéros de téléphone pour la suite de l’enquête.
C’est donc l’ensemble de ces étapes, parfaitement orchestrées, qui nous a permis de valider
l’efficacité de la communication persuasive engageante appliquée sur un dispositif
multimédia (site internet).
Cette expérimentation a renforcé nos connaissances sur la différence qui existe entre
communication persuasive engageante et communication persuasive classique. En effet, la
communication classique est essentiellement centrée sur l’information et la sensibilisation. On
vise, avec un tel modèle, à conscientiser et à amener chaque individu à poser un discours
favorable. Or, on sait qu’il y’a un écart entre nos discours et nos actes. Donc, on ne peut pas
espérer un changement effectif de comportement par nos bonnes idées. Alors comment faire ?
Les recherches en psychologie sociale nous montre qu’ « il suffit de peu de chose pour passer
des idées aux actes »49. La communication engageante se fonde sur ce « peu de chose » pour
amener les individus à changer de comportement. C’est, donc, l’engagement défini comme
étant « le lien qui existe entre un individu et ses actes »50. Ainsi, contrairement à ce que tout
un chacun pense à priori, nous ne sommes ni engagés par nos idées, ni par nos sentiments,
48
Une des techniques adossées servant à « amener quelqu’un à faire ce qu’on souhaite le voir faire ». Cette
technique est bien exposée dans l’ouvrage de Robert Vincent Joule et Jean-Léon Beauvois, intitulé Petit traité de
manipulation à l’usage des honnêtes gens, Presses Universitaire de Grenoble, 2002
49
Joule, R.-V, 2004, Des intentions aux actes citoyens. Cerveau & Psycho, 7, 12-17
mais par nos actions, nos conduites effectives. C'est-à-dire que l’individu doit se considérer
comme le producteur de son propre comportement. Par ailleurs, cet engagement est variable et
graduel. En d’autre terme, les individus sont engagés à des degrés divers.
L’expérimentation effectuée à Castorama nous a permis de confirmer ces thèses. En effet,
selon que les expérimentés se trouvent sur un poste ou un autre (poste avec acte préparatoire
ou non, gain ou non, message fort ou non, engagement ou non) les résultats sur l’engagement
ne sont pas les mêmes. Dans les cas où les expérimentés ont du mal à identifier l’action, le
degré d’engagement est très faible. En revanche cet engagement est très fort quand il est
précédé d’un acte préparatoire51, d’un gain52, et de messages forts53.
Conclusion
50
Kiesler, C.A., 1971, The psychology of commitment. Experiments liking behavior to belief, New York,
Academic Press
51
L’acte préparatoire “a saynète acteur”était traduit sur le site par un jeu où les enquêtés devaient à l’aide de la
souris remplacer les ampoules classiques par des ampoules à économie d’énergie de manière à faire le plus
d’économie. Lorsqu’il n’y avait pas d’acte préparatoire “a saynète récepteur” le jeu défilait automatiquement
sans l’intervention de l’enquête.
52
es gains : page Internet comportant les gains financiers et écologiques des ampoules à économie d’énergie
53
Le message : message persuasif basée sur les différents niveau d’identification de l’action terminant par une
identification à un niveau très élevé : j’utilise des ampoules à économie, je préserve la planète
54
Titre d’un ouvrage de deux psychologues sociales : Robert Vincent Joule et Jean-Léon Beauvois publié en
1998 aux Presses Universitaires de France.