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Les
disciples
d’Emmaüs
(Lc
24
:
13-‐33)
Raymond
Bourgault,
s.j.
Groupe
biblique
de
la
rue
Sainte-‐Marie
11
février
1978
Avertissement,
Ceci
est
la
transcription
d’une
rencontre
d’un
groupe
biblique
de
Saint-‐Henri
(Montréal)
animé
par
le
jésuite
Raymond
Bourgault
(1917-‐1994).
L’état
actuel
de
l’enregistrement
de
cette
rencontre
sur
cassette
audio
rend
le
tout
très
difficile
à
écouter.
Aussi,
avons-‐nous
pensé
en
faire
la
transcription
aussi
fidèle
que
possible,
mais
en
reprenant
certaines
tournures
de
phrase
pour
en
faciliter
la
lecture.
-‐
Luc
Lepage,
transcription
et
transfert
numérique.
______________________________________________________________
Luc 24, 13 Et voici que, ce même jour, deux d'entre eux faisaient route vers un village du nom
d'Emmaüs, distant de Jérusalem de 60 stades,
Luc 24, 14 et ils conversaient entre eux de tout ce qui était arrivé.
Luc 24, 15 Et il advint, comme ils conversaient et discutaient ensemble, que Jésus en personne
s'approcha, et il faisait route avec eux;
Luc 24, 16 mais leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître.
Luc 24, 17 Il Leur dit: "Quels sont donc ces propos que vous échangez en marchant?" Et ils
s'arrêtèrent, le visage sombre.
Luc 24, 18 Prenant la parole, l'un d'eux, nommé Cléophas, lui dit: "Tu es bien le seul habitant de
Jérusalem à ignorer ce qui y est arrivé ces jours-ci" --
Luc 24, 19 "Quoi donc?" Leur dit-il. Ils lui dirent: "Ce qui concerne Jésus le Nazarénien, qui s'est
montré un prophète puissant en œuvres et en paroles devant Dieu et devant tout le peuple,
Luc 24, 20 comment nos grands prêtres et nos chefs l'ont livré pour être condamné à mort et l'ont
crucifié.
2
Luc 24, 21 Nous espérions, nous, que c'était lui qui allait délivrer Israël; mais avec tout cela,
voilà le troisième jour depuis que ces choses sont arrivées!
Luc 24, 22 Quelques femmes qui sont des nôtres nous ont, il est vrai, stupéfiés. S'étant rendues de
grand matin au tombeau
Luc 24, 23 et n'ayant pas trouvé son corps, elles sont revenues nous dire qu'elles ont même eu la
vision d'anges qui le disent vivant.
Luc 24, 24 Quelques-uns des nôtres sont allés au tombeau et ont trouvé les choses tout comme les
femmes avaient dit; mais lui, ils ne l'ont pas vu!
Luc 24, 25 Alors il leur dit : « O cœurs sans intelligence, lents à croire à tout ce qu'ont annoncé
les Prophètes!
Luc 24, 26 Ne fallait-il pas que le Christ endurât ces souffrances pour entrer dans sa gloire ? »
Luc 24, 27 Et, commençant par Moïse et parcourant tous les Prophètes, il leur interpréta dans
toutes les Écritures ce qui le concernait.
Luc 24, 28 Quand ils furent près du village où ils se rendaient, il fit semblant d'aller plus loin.
Luc 24, 29 Mais ils le pressèrent en disant: "Reste avec nous, car le soir tombe et le jour déjà
touche à son terme." Il entra donc pour rester avec eux.
Luc 24, 30 Et il advint, comme il était à table avec eux, qu'il prit le pain, dit la bénédiction, puis
le rompit et le leur donna.
Luc 24, 31 Leurs yeux s'ouvrirent et ils le reconnurent... mais il avait disparu de devant eux.
1
Notion
chère
à
Paul
Ricoeur
:
la
foi
s’exprime
toujours
dans
un
croyable
disponible .
3
Alors à un certain moment et dans certains milieux, il y a certains mots qu’il faut
employer. Si je veux parler de Jésus à des enfants, je ne prendrai pas la « thé-
andrologie ». Ils ne comprendront rien. Ça ne sert à rien d’employer ces mots-là, même
si j’ai raison. Si les théologiens ont raison d’employer ce langage-là, ils ne
communiqueront pas le message. Donc, selon les groupes, j’emploierai différents
termes. Nous allons voir que dans certains milieux, on pouvait employer le langage de
la résurrection et dans d’autres, le langage de l’ascension pour dire la même chose. On
en reparlera la prochaine fois, ce ne sont pas deux évènements différents. La
résurrection et l’ascension sont en un sens des langages pour dire la même chose: il n’y
a qu’un évènement. Voilà pour une introduction générale.
On peut regarder premièrement qu’il y avait des traditions antérieures que Luc
connaissait. Luc vient de raconter le message que les femmes avaient reçu au
tombeau. Si dans l’entretien de Jésus avec les deux pèlerins, Luc fait allusion au fait
que les femmes sont allées au tombeau, Luc n’a pas besoin d’avoir une machine
enregistreuse pour savoir qu’il devait parler de ça. C’est lui qui introduit cette scène et il
se rappelle qu’il l’avait dit. De même avant ça, dans saint Jean et puis ici aussi, il est
question de deux disciples qui sont allés au tombeau. Là encore, même chose. Luc
n’invente pas cela, il reçoit de la tradition. On fait allusion à Jésus en tant qu’un
prophète puissant en œuvres et en paroles : c’est tout l’évangile, il n’invente rien. Même
si les disciples n’ont pas dit cela comme tel, Luc pouvait le leur faire dire.
2
Bibliste
4
Maintenant allez plus loin au verset 26. Ne fallait-il pas que le Christ souffre pour
entrer dans sa gloire. C’est une deuxième christologie. Une christologie qui suppose
que l’on croit que celui qu’on attendait comme Messie, comme Christ, nous, chrétiens,
nous disons : il a été Messie en souffrant. Pour nous, c’est devenu banal, mais pour les
premiers chrétiens c’était assez extraordinaire. Voyez, au départ, le Messie, c’était un
libérateur politique. On attendait un fils de David qui soulèverait les Juifs avec une
armée et qui chasserait les Romains. Concrètement, c’est ça qu’on attendait. Les
Chrétiens ont dit le Messie est, en effet, le vainqueur par excellence mais l’ennemi par
excellence, c’est la mort. Si vous pouvez saisir ça, c’est un point assez important.
Important, car il y a là un acte créateur de la communauté chrétienne primitive. A partir
de l’attente du Messie juif, conçu comme un fils de David, libérateur du peuple juif de
l’envahisseur romain, les Chrétiens ont dit : l’ennemi par excellence, ce n’est pas les
Romains, c’est le péché, c’est la chair, c’est la mort, c’est le diable. Et ce dont Jésus a
triomphé, c’est du péché, c’est de la chair, c’est de la mort, c’est du diable. Et il a
triomphé par son obéissance, car le péché c’est la désobéissance. En obéissant Jésus
triomphe de l’adversaire par excellence qui est le péché, donc de Satan qui inspire le
péché et donc de la mort qui est le salaire du péché. Les Chrétiens maintenant ont
réfléchi beaucoup et ils pensent que celui que les Juifs attendaient n’est pas seulement
un prophète puissant en œuvres et en paroles, remarquez « un prophète » comme il y
en a eu d’autres. Cette fois, on dit c’est Jésus qui a souffert qui est Messie maintenant
et que c’est lui que les Chrétiens confessent. Ceci est un progrès. Cela a dû prendre
quelques années à l’Église pour en arriver là. Elle n’a pas vu ça le soir de Pâques. C’est
une seconde christologie.
Ce que veut dire ressuscité, on va en parler un peu plus tard dans une seconde
partie. Nous allons causer un bout de temps ensemble du texte et après ça je donnerai
une seconde partie… Donc, ce que veut dire ressusciter n’est pas évident. Mais ce que
je veux signaler pour le moment, c’est que nous avons affaire à une autre christologie.
Reprenons. Jésus est un prophète, Jésus est le Messie juif, mais réinterprété
comme triomphant de l’ennemi par excellence qui est la mort et troisièmement il est
Seigneur. Or le terme Seigneur n’est par rien qu’un nom de Jésus, c’est un attribut,
Jésus est Seigneur. Et il est Seigneur parce qu’il a triomphé de la mort. Vous rappelez
5
vous du texte de Ph 2, 6-11. Vous le connaissez par cœur. Est-ce qu’on pourrait le relire
tout de même, ce n’est pas mauvais.
Philippiens 2, 6 Lui, de condition divine, ne retint pas jalousement le rang qui l'égalait à Dieu.
Philippiens 2, 7 Mais il s'anéantit lui-même, prenant condition d'esclave, et devenant semblable
aux hommes. S'étant comporté comme un homme,
Philippiens 2, 8 il s'humilia plus encore, obéissant jusqu'à la mort, et à la mort sur une croix!
Philippiens 2, 9 Aussi Dieu l'a-t-il exalté et lui a-t-il donné le Nom qui est au-dessus de tout nom,
Philippiens 2, 10 pour que tout, au nom de Jésus, s'agenouille, au plus haut des cieux, sur la terre
et dans les enfers,
Philippiens 2, 11 et que toute langue proclame, de Jésus Christ, qu'il est Seigneur, à la gloire de
Dieu le Père.
Il lui a conféré le nom qui est au-dessus de tout nom (v.9). Le nom de Seigneur
c’est le nom de Yahvé. Donc, Dieu lui a conféré au ciel le nom de Seigneur, son propre
nom. Le nom de Yahvé, se dit en grec kyrios, traduit en Français cela donne: Seigneur.
Donc Yahvé lui donne son propre nom. Évidemment, c’est un acte de foi que l’Église
fait. L’Église considère que Jésus est Seigneur, c’est Yahvé parmi nous. C’est le
sauveur d’Israël parmi nous. Cela est un acte de foi qui va plus loin que ce qui précède.
Donc Jésus n’est pas seulement un prophète, non seulement un messie souffrant mais
maintenant le Seigneur de l’Église, le Seigneur du monde. Alors il y a un progrès d’une
christologie à l’autre. Ceci a du se faire au cours de la vie de l’Église et ça a du prendre
un certain nombre d’années. Donc, vous voyez, c’est construit
RB : … Non, c’est celui à qui les hommes doivent obéissance parce qu’il est Seigneur.
C’est celui, qui une fois qu’il a traversé la mort, ne reste pas au ciel. Remarquez qu’il
aurait bien pu traverser la mort et rester tout seul au ciel. Dans la mythologie grecque,
par exemple, il y a énormément de héros comme ça qui montent au ciel et on s’en
occupe plus. Mais pour les Chrétiens, Jésus n’est pas qu’au ciel ; il est sur terre. Ce
sera plus facile plus tard quand je parlerai de l’ascension. Cette intuition va plus loin
encore. Allez voir Ph 2,10 : « pour que tout, au nom de Jésus, s’agenouille, au plus haut
des cieux, sur la terre et dans les enfers ». Donc que tout le monde lui soit soumis. Ça
va jusque-là?
6
Pour commencer je vais simplement relever, les détails. Je les relève en lisant le
texte et je vais donner une conclusion.
Actes 8, 26 L'Ange du Seigneur s'adressa à Philippe et lui dit: "Pars et va-t'en, à l'heure de midi,
sur la route qui descend de Jérusalem à Gaza; elle est déserte."
Actes 8, 27 Il partit donc et s'y rendit. Justement un Ethiopien, un eunuque, haut fonctionnaire de
Candace, reine d'Éthiopie, et surintendant de tous ses trésors, qui était venu en pèlerinage à
Jérusalem,
Actes 8, 28 s'en retournait, assis sur son char, en lisant le prophète Isaïe.
Actes 8, 29 L'Esprit dit à Philippe: "Avance et rattrape ce char."
Actes 8, 30 Philippe y courut, et il entendit que l'eunuque lisait le prophète Isaïe. Il lui demanda:
"Comprends-tu donc ce que tu lis" --
Actes 8, 31 "Et comment le pourrais-je, dit-il, si personne ne me guide?" Et il invita Philippe à
monter et à s'asseoir près de lui.
Actes 8, 32 Le passage de l'Écriture qu'il lisait était le suivant: Comme une brebis il a été conduit
à la boucherie; comme un agneau muet devant celui qui le tond, ainsi il n'ouvre pas la bouche.
Actes 8, 33 Dans son abaissement la justice lui a été́ déniée. Sa postérité́ , qui la racontera? Car sa
vie est retranchée de la terre.
Actes 8, 34 S'adressant à Philippe, l'eunuque lui dit: "Je t'en prie, de qui le prophète dit-il cela?
De lui-même ou de quelqu'un d'autre?"
Actes 8, 35 Philippe prit alors la parole et, partant de ce texte de l'Écriture, lui annonça la Bonne
Nouvelle de Jésus.
Actes 8, 36 Chemin faisant, ils arrivèrent à un point d'eau, et l'eunuque dit: "Voici de l'eau.
Qu'est-ce qui empêche que je sois baptisé?"
Actes 8, 38 Et il fit arrêter le char. Ils descendirent tous deux dans l'eau, Philippe avec l'eunuque,
et il le baptisa.
Actes 8, 39 Mais, quand ils furent remontés de l'eau, l'Esprit du Seigneur enleva Philippe et
l'eunuque ne le vit plus. Et il poursuivit son chemin tout joyeux.
Actes 8, 40 Quant à Philippe, il se trouva à Azot. Continuant sa route, il annonçait la Bonne
Nouvelle dans toutes les villes qu'il traversait, jusqu'à ce qu'il arrivât à Césarée.
7
« L’ange du Seigneur s’adressa à Philippe et lui dit : tu vas te rendre vers midi, le
Néguev, sur la route qui descend de Jérusalem à Gaza. Et Philippe partit aussitôt. Or un
eunuque éthiopien, haut-fonctionnaire de Candace la reine d’Éthiopie et administrateur
général de son trésor qui était allé à Jérusalem en pèlerinage, retournait chez lui. Donc,
il est sur la route et il retourne chez lui comme les disciples d’Emmaüs retournaient chez
eux.
Assis dans son char, il lisait le prophète Isaïe, comme des gens discutent entre
eux d’Écritures. L’Esprit dit à Philippe avance et rejoint ce char. Comme Jésus rejoint
les disciples d’Emmaüs. Philippe y courut et entendit l’eunuque qui lisait le prophète
Isaïe et lui-dit : est-ce que tu comprend vraiment ce que tu lis? Dans le récit d’Emmaüs :
Jésus demande : « De quoi parliez-vous en chemin? Une question là aussi. Et comment
le pourrais-je, répondit-il, si je n’ai pas de guide. Il invita Philippe à monter s’asseoir près
de lui. C’était ce passage de l’Écriture qu’il était en train de lire: « comme une brebis que
l’on conduit pour l’égorger, comme un agneau muet devant celui qui le tond, c’est ainsi
qu’il n’ouvre pas la bouche, par son abaissement s’est trouvé enlevé sans jugement. Sa
postérité qui le racontera puisque sa vie fut enlevée (Isaïe, 53). S’adressant à Philippe,
l’eunuque lui dit : je t’en prie, de qui le prophète parle-t-il ici? De lui-même ou de
quelqu’un d’autre? Philippe ouvre alors la bouche et partant de ce texte il lui annonça la
Bonne Nouvelle de Jésus. Poursuivant leur chemin, ils tombèrent sur un point d’eau.
L’eunuque lui dit : voici un point d’eau, qu’est-ce qui empêche que je reçoive le
baptême? Il donna l’ordre d’arrêter son char. Tous les deux descendirent dans l’eau et
Philippe le baptisa. Quand ils furent sortis de l’eau, l’Esprit du Seigneur emporta
Philippe et l’eunuque ne le vit plus. Mais il poursuivit son chemin dans la joie. Dans Luc
24,31, Jésus disparait tandis que Philippe est emporté. Philippe s’en va ailleurs et les
disciples d’Emmaüs eux-aussi s’en retournent à Jérusalem. Comme c’est Luc qui a
composé les Actes, mais aussi l’Évangile, il y a en effet bien des chances qu’il ait
composé les deux, on voit les parallèles.
Or qu’est-ce que Philippe dans ce récit? Philippe est sans doute un missionnaire
itinérant et sur la route il évangélisait en communiquant la Bonne Nouvelle que le
Messie c’est Jésus et qu’il est devenu Seigneur. On peut voir dans le personnage de
Philippe le missionnaire par excellence des Hellénistes. En quelque sorte le prototype
des missionnaires chrétiens hellénistes. Or, les Hellénistes s’opposaient aux Hébreux.
Les Hébreux, vous rappelez-vous, voulaient simplement attendre le pèlerinage des
peuples à Jérusalem. On a parlé de ça déjà. Tandis que les Hellénistes, eux, vont sur la
route pour communiquer l’Évangile aux Samaritains et aux Gentils, ainsi qu’aux Grecs.
Alors dans la tradition, on ne va pas parler de tous ces missionnaires, il y en a trop. On
ne va pas tous les énumérer. On va parler d’un seul pour les représenter et on parle de
Philippe. C’est le missionnaire type. Voyez que ce n’est pas de l’histoire. On prend un
8
Mais là, la réflexion continue. On se dit, quand Philippe prêchait, est-ce lui qui
parlait? « Qui vous écoute, m’écoute » (Lc 10,16). Alors on pouvait fort bien mettre
Jésus en scène comme missionnaire par excellence. C’est ce que saint Luc a fait. Jésus
est le missionnaire par excellence dans le récit des disciples d’Emmaüs. Donc Luc
invente ce trait pour fonder la mission, la mission de Philippe. Quand Philippe parle, les
Chrétiens disent : ce n’est pas Philippe qui parle, c’est Jésus qui parle. Luc ici invente
mais pour communiquer une vérité. Car c’est vrai, on le sait par ailleurs, quand nous
parlons pour communiquer la doctrine, c’est Jésus en fin de compte qui parle. Alors, au
lieu d’en faire simplement une vérité abstraite, saint Luc invente une petite scène, un
poème.
Et-ce que Philippe est disparu comme ça? Non, encore une fois, c’est un
langage. L’Esprit le pousse ailleurs. Comme on voit dans les missions de saint Paul.
Saint Paul veut aller quelque part et l’Esprit le pousse à partir. Or, qu’est-ce que l’Esprit.
L’Esprit c’est la prophétie. C’est un prophète dans une communauté qui a du dire à
Philippe : vas t’en ailleurs, vas t’en dans une nouvelle direction. C’est un récit
exemplaire et non pas un récit historique. Vous voyez que historiquement, ça ne s’est
pas passé comme ça.
Luc 24, 44 Puis il leur dit: "Telles sont bien les paroles que je vous ai dites quand j’étais encore
avec vous: il faut que s'accomplisse tout ce qui est écrit de moi dans la Loi de Moïse, les
Prophètes et les Psaumes."
Je vous avais référé alors au plan de la Bible hébraïque. Si vous allez voir au
début de la Bible de Jérusalem, il y a le plan de la Bible hébraïque où vous avez la Loi,
les Prophètes et les Écrits et le premier ce sont les Psaumes. Alors quand on dit que
Jésus leur explique cela. Vous rappelez vous ce que ça veut dire. A la synagogue, il y
avait un « céder », une section du Pentateuque qui était lu. Après cela, il y avait un
rabbin qui se levait et qui commentait le céder (une section de la Loi) 3 par une
« hapkhtarah », un texte d’un prophète. Et après ça, on chante un psaume, un
« mizmo ».
3
On
compte
150
céders.
9
Alors vous voyez ce qui se passe ici, ce n’est pas Jésus sur la route d’Emmaüs
qui a repassé toute la Loi et les Prophètes, ce sont les premiers Chrétiens qui vont
régulièrement à la synagogue, qui entendent lire la Loi et qui disent, ça se réalise en
Jésus. Ils entendent le rabbin expliqué le bien et le mal, la Torah, les Prophètes et les
Psaumes et qui disent, pour nous, ça éclaire qui est Jésus. Jésus n’a pas traversé toute
la Loi, toute l’Écriture, ce sont les Chrétiens d’année en année qui, allant à la
synagogue, interprétaient toute l’Écriture à la lumière de Jésus.
Et puis, il y a une petite allusion discrète mais très intéressante. : « Leur yeux
étaient empêchés de le voir » (Luc 24, 16). Comme Adam et Ève au paradis, qui sont
tentés par le diable, le diable leur dit : vos yeux s’ouvriront et vous serez comme des
Élohim, des anges dans le ciel (Gn 3,5). Or, avec Jésus, le nouveau paradis est créé
lorsque vraiment on peut voir, ce qui est à voir. Ce que les anges voient dans le ciel
c’est Jésus, c’est Dieu. Et le Seigneur se promène avec eux dans le jardin à la brise du
jour (Gn 3,8), et il mange avec eux, c’est de nouveau pareil.
Maintenant, j’ai noté quelques points. J’ai appelé ça dramatisation. Quels sont
ces propos que vous échangés en marchant? Alors, ils s’arrêtent, l’air sombre et l’un
deux, nommé Cléophas lui répondit : « tu es bien le seul a séjourner à Jérusalem qui
n’ait pas appris ce qui s’est passé ces jours-ci » (Luc 24,17-18). C’est une mise en
scène ça. Même, s’il n’est pas au courant, comme tel, de ce qui s’est passé, il compose
un petit poème. Donc, ici ou là l’auteur introduit des choses comme celle-là. Verset 25 la
même chose « Esprit sans intelligence, cœur lent à croire, tout ce qu’ils ont déclaré les
prophètes » : de nouveau mise en scène pour que le récit se tienne bien. Verset 28 :
« ils approchèrent du village où ils allaient, il fit mine d’aller plus loin » : c’est de la mise
en scène. Au verset 32 : même chose, une réflexion est mise dans leur bouche et qui
est très belle d’ailleurs: « notre cœur ne brûlait-il pas en nous alors qu’il nous parlait en
chemin, il nous ouvrait les Écritures ».
RB : Je ne vais pas entrer dès maintenant dans le débat. Puisque j’achève, je vais
compléter et on pourra revenir là-dessus. On peut distinguer, je pense, la fraction du
pain de l’Eucharistie parce que c’est un terme technique pour dire le geste que le
président du repas faisait au début du repas juif. On commençait par la fraction du pain
et on prononçait une bénédiction. Ce que nous avons repris du rituel juif. Quant au
passage : Ils l’ont reconnu à la fraction du pain. Il est possible de penser qu’ils ne l’ont
pas reconnu parce qu’ils ont reconnu les gestes qu’il avait faits, mais plutôt parce que
lorsqu’ils étaient dans des assemblées, ils ont reconnu, que Jésus était là au milieu
d’eux. Ils ont compris que c’est dans l’assemblée chrétienne que Jésus est là. Mais ils
ne l’ont pas vu. Ils ont compris que ce n’est pas au temple ou ailleurs dans un lieu
particulier qu’ils rencontrent Jésus. Ainsi les Hellénistes ne vont plus au temple déjà
mais ils ont compris que c’est dans leurs assemblées, où ils rompaient le pain
ensemble, et qu’ils partageaient leurs biens, que Jésus était là.
GR … commentaires du groupe.
Vous voyez ce que c’est que la déconstruction? C’est l’acte par lequel on rejoint
le noyau et quand on l’a rejoint, là on peut contempler dans le silence. C’est comme ça
que je vois la prière. La prière qui me convient à moi, c’est ça. Je ne sais pas si elle
vous convient à vous. D’autres, au contraire, veulent s’exprimer dans des assemblées.
De temps en temps on peut faire cela. Pour moi la prière contemplative c’est, partant du
texte, on nettoie les aspects secondaires, et on rejoint le message fondamental. A
savoir que ce qui est arrivé à Jésus mérite d’être communiqué. Quand c’est
communiqué, ça épanouie le cœur, ça donne le sens de l’histoire, ça fait comprendre ce
qu’est l’homme en profondeur et où j’adhère à son silence (Mc 15,5). Là, on prend tout
le temps nécessaire, on peut ne pas parler du tout. C’est ce qu’on appelle la prière
silencieuse. En anglais « prayer for silence » : Le silence habité par la prière. Mais c’est
un silence. Moi je trouve que c’est la prière la plus profonde. Voyez à quoi tend notre
démarche4. Si on ne fait que la déconstruction du texte, on va dire : il n’y a rien de vrai
là-dedans. Et évidemment je manque le travail de la contemplation. La contemplation
vise à un moment très dense. Mais pour ça, il faut se servir de la critique. Rappelez-
vous ce que je vous disais à propos de Ricoeur. Je pars de la première naïveté, je
traverse la critique et j’essaie de viser la seconde naïveté. Là, j’accueil le texte comme
un enfant. A savoir que Jésus est vivant, il a traversé la mort et ça mérite d’être dit pour
épanouir les gens et faire bruler le cœur des gens. C’est simple, c’est très simple. Le
reste est secondaire.
GR : … réaction du groupe …
RB : Alors le noyau historique peut être cela : l’expérience de Cléophas, mais je peux
prendre comme noyau aussi la réalité de ce qui arrive avec Jésus lui-même. Ça aussi
c’est un noyau, à savoir que Jésus est vivant et dans l’échange que Cléophas a avec
son compagnon, Jésus est présent et se dit lui-même. Ça aussi, ça fait partie du noyau.
Lorsque nous parlons de Jésus comme étant vivant, ce n’est pas nous qui disons
ce que nous disons. C’est une voix autre, c’est Jésus lui-même, c’est Jésus qui se
révèle lui-même dans l’échange de foi, à travers notre recherche.
4
Ce
que
Raymond
Bourgault
appellera
plus
tard
la
«
mystagogie
»
:
la
conduite
des
mystes
vers
le
mystère.
Ou
Gr : … et les paroles que je vous disais quand j’étais encore avec vous ? … (Luc 24,44)
RB : Le poète lui fait dire cela. Il n’y a peut-être rien d’historique là-dedans,
GR : … c’est la voix du poète? Celui qui l’écrit lui fait dire cela?
RB : C’est ça. Personne ne lui a révélé que c’était comme ça que ça s’était passé.
Gr : ... c’est vraiment en communauté qu’ils ont eu une inspiration? Comme nous?
RB : Je pense oui que c’est de plus en plus nécessaire qu’on soit en communauté. La
contemplation personnelle doit être le fruit de l’échange. La foi se communique par le
groupe en communauté. On n’a pas la foi, seul. Et je pense qu’il faut chercher
ensemble.
On en a discuté entre nous5, il y en a qui voulait qu’on ait une prière ensemble
mais d’autres disaient non, il faut que nous trouvions ensemble le langage qui nous
convient : il faut trouver un langage commun. Et puisqu’on parlait de résurrection,
qu’est-ce qu’on entend par résurrection? Qu’est que nous entendons par là? Jean-
Louis6, mon confrère, nous a mis sur cette piste là. N’y-a-il pas qu’à y croire naïvement?
D’autres disaient non, il faut qu’on s’entende sur ce qu’on veut dire par cela. Est-ce que
ça veut dire qu’il y a un corps, que Jésus a un corps ? – ce dont on va parler tout à
l’heure – il faut qu’on s’entende. On va prier ensemble facilement, si on réussit à trouver
un langage commun. Alors est-ce que là vous avez assez bien compris le genre
d’analyse que nous faisons?
5
Allusion
au
petit
groupe
de
Jésuites
de
Saint-‐Henri
où
habitait
Raymond
Bourgault.
6
Jean-‐Louis
Vézina,
s.j.
13
RB : Ah, on pense à ce moment-là qu’il est comme Élie, et comme Élie était revenu, on
disait que Jésus allait revenir. Comme tu vois, ça c’est une christologie, c’est un
langage. Mais au départ, ils ont dit c’est juste un prophète. Point. D’autres, pour des
raisons intérieures personnelles, sont beaucoup plus sensibles à l’injustice du procès
qu’il lui a été intenté et sa mort. Ceux-là se disent : ça n’a pas de sens qu’un homme
comme ça ait été tué. Alors, ils se mettent à réfléchir et vont lire des textes différents de
ceux qui disaient que c’était un prophète. Ils vont lire le texte d’Isaïe 53 et d’autres, le
texte du Ps 22 où David dit pourquoi m’as-tu abandonné? Vous comprenez, ils voient
Jésus autrement que les premiers. Ils retiennent de Jésus autre chose que ses
miracles, autre chose que ses paroles, autre chose que sa critique des Pharisiens et
des Sadducéens, ils retiennent sa mort. Ils disent alors, ne fallait-t-il pas que le Christ
souffre? Pour certains, c’était ça le Christ. Ce n’était pas le David libérateur du peuple,
c’était celui qui avait triomphé de la mort. Et pour ça, il fallait qu’il passe par la mort.
C’était leur christologie à eux… Bon, ça aurait pu en rester là. Le Christ alors a souffert,
ensuite il est rendu au ciel, puis il est heureux là-bas. Mais les Chrétiens ont dit non ce
n’est pas encore ça.
Si vous êtes patientes, je vais passer à la notion de corps. Vous allez voir c’est
assez simple.
Il ne faut pas penser le corps avec nos catégories grecques du corps et de l’âme.
Chez les Hébreux, il n’y a pas la notion aristotélicienne, d’Aristote, du corps et de l’âme,
d’une âme qui anime un corps. On a plutôt la notion d’esprit et de chair. Vous
connaissez ça déjà. L’esprit c’est la force, l’esprit c’est ce qui est divin. La chair, ça veut
dire la viande, c’est sanguinolent, c’est mort. Alors, ça ne vit pas tout seul la viande.
Alors pour que la viande, pour que la chair soit vivante, il faut que l’esprit l’anime. Mais
quand l’esprit anime la chair, ça devient le corps dans le langage de saint Paul. Alors
qu’est-ce que c’est que le corps. Le corps c’est ce par quoi un être spirituel se fait être
au monde. Ce n’est pas exprimé comme ça dans la Bible mais c’est le sens. Alors, je
peux faire mon corps. Nous avons l’expérience de ça. Je peux le laisser aller et je peux
le soigner. On peut faire des exercices et finir par être capable, comme ces Chinois de
contorsionner leur corps de façon extraordinaire dans des numéros de cirque. Ces
7
John Arthur Thomas. Robinson. Honest To God, 1952, en français Dieu sans Dieu, aux Éditions du
Chalet.
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artistes se sont exercés pendant 20 ans pour y arriver. Donc, ils se font être dans leur
corps d’une certaine manière. Le corps c’est ce par quoi je me fais être au monde d’une
certaine manière. Ça, c’est une notion existentialiste. Les existentialistes, Sartre et
Merleau-Ponty, ont redécouvert cela. Et c’était dans la Bible déjà.
Alors qu’est-ce que l’Église? C’est ce par quoi le Seigneur ressuscité se fait être
au monde. Alors, il n’y a pas d’autres corps du Christ que celui-là. C’est ça qu’est le
corps du Christ. Saint Paul ne parle du corps du Christ que de celui-là. Le corps du
Christ, c’est l’Église, il n’y en pas d’autres. Dès qu’il y a plusieurs personnes
rassemblées par l’esprit du Christ, alors les gens vont savoir que je suis vivant. Si vous
vous aimez les uns les autres, à ceci on reconnaîtra que vous êtes mes disciples. Donc,
je suis le Seigneur et le Seigneur n’est connu comme Seigneur que lorsque des
Chrétiens rassemblés vivent du même esprit, donc de la charité. Ce sont des choses
que nous savons mais parfois on oublie que lorsqu’on parle du corps, c’est ça que ça
veut dire. On pense que le Christ a un petit corps quelque part et on ne sait pas trop où
est-ce qu’il est et ça nous embarrasse lorsqu’on parle de résurrection. Où est-il ce petit
corps-là? Mais non, ce corps-là est dans le tombeau où il s’est corrompu comme tous
les autres corps.
Disons que je prolonge un moment cette réflexion. Je peux me demander comment les
Chrétiens en sont arrivés à dire que Jésus est ressuscité. C’est ça que font les
exégètes. Comment sont-ils arrivés à dire cela. Je vous répète toujours les mêmes
rengaines mais on n’aura jamais fini de les comprendre.
Premièrement, Jésus a surpris et secondement c’est pour ça qu’il est mort parce
que les gens n’étaient pas prêts à accepter cela. Alors, on s’est mis à dire, par
conséquent, c’est dans cette ligne-là qu’il faut continuer. Si on veut que la grande famille
humaine continue à se nouer sur elle-même dans des relations fraternelles, il faut qu’on
fasse comme Jésus a fait. Donc, je peux dire que Jésus est venu sauver l’humanité
15
entière et non pas seulement Israël. C’est ça que l’exégèse fait : retrouver l’expérience
sous-jacente aux mots.
Gr : … on s’imagine toujours que Jésus, son corps, n’est pas comme les autres.
RB : Pour saint Paul, un corps c’est une communauté fraternelle. Vous êtes le corps du
Christ. Il ne dit pas que chacun est le corps du Christ. Vous êtes ensemble le corps du
Christ. La communauté, c’est ce qui manifeste le Seigneur ressuscité puisqu’il donne
son esprit. Son esprit c’est la charité et elle fait vivre les hommes dans une
communauté. Cela manifeste que Christ est vivant.
RB : Un point intéressant. Quand saint Paul écrivait ça, il savait, comme nous autres,
qu’on n’est pas prêt à aller aussi loin que Jésus. C’était la même chose dans ce temps-
là. Dans l’Église de Corinthe, il y avait des problèmes, comme l’inceste, ou des gens ne
respectaient pas les autres, il y avait des tas de problèmes. Ce n’était pas plus reluisant
à cette époque-là. Cependant, saint Paul maintient que nous sommes le corps du
Christ, que la gloire de Jésus passe à travers nous. C’est le resplendissement de la
lumière dans les ténèbres.
RB : Un chrétien ce n’est pas nécessairement quelqu’un qui vit cela, c’est quelqu’un qui
sait qu’il devrait le vivre. Et cela suffit. Nous sommes dans le monde pour dire c’est
comme ça qu’on devrait être. Nous n’en sommes pas capables par nous-même, ce
n’est que l’esprit de Jésus qui peut nous faire vivre comme Jésus. Alors notre
expérience de notre impuissance fait partie de la façon dont se manifeste la puissance
de Jésus. Pierre n’est devenu Pierre qu’après sa conversion. Avant ça, il n’était pas
Pierre, mais Satan. Arrière de moi Satan (Mt 16,23). C’est que Dieu veut réussir
l’humanité. Réussir l’humanité, ça veut dire que tous les hommes soient miséricordieux
envers tous les hommes. Donc, j’accepte tout le monde. Et que tout le monde accepte
tout le monde. Mais ceci n’arrivera qu’à la fin des temps. Mais pour que ça se réalise, il
a fallut que quelqu’un vive cela intensément. Qu’à partir de lui, il y ait un corps, des gens
qui continuent à dire la même chose et essayer de le vivre. Et que progressivement on
tende vers ce que saint Paul appelle le plérôme. La plénitude de celui qui est tout en
tous. C’est l’achèvement de l’humanité. Car il n’y aura plus d’homme sur terre. Ça peut
venir mais on ne sait pas comment. Ça peut venir par une explosion, on va être capable
avant longtemps de faire sauter la terre. Pas de détruire la terre à proprement parler
mais on peut faire de gros dégâts.
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L’un des plus anciens textes qui nous aide à comprendre la résurrection c’est
Ézéchiel 37,1-14.
Ézéchiel 37, 1 La main de Yahvé fut sur moi, il m'emmena par l'esprit de Yahvé, et il me déposa
au milieu de la vallée, une vallée pleine d'ossements.
Ézéchiel 37, 2 Il me la fit parcourir, parmi eux, en tous sens. Or les ossements étaient très
nombreux sur le sol de la vallée, et ils étaient complètement desséchés.
Ézéchiel 37, 3 Il me dit: "Fils d'homme, ces ossements vivront-ils?" Je dis: "Seigneur Yahvé,
c'est toi qui le sais."
Ézéchiel 37, 4 Il me dit: "Prophétise sur ces ossements. Tu leur diras: Ossements desséchés,
écoutez la parole de Yahvé.
Ézéchiel 37, 5 Ainsi parle le Seigneur Yahvé à ces ossements. Voici que je vais faire entrer en
vous l'esprit et vous vivrez.
Ézéchiel 37, 6 Je mettrai sur vous des nerfs, je ferai pousser sur vous de la chair, je tendrai sur
vous de la peau, je vous donnerai un esprit et vous vivrez, et vous saurez que je suis Yahvé"
Ézéchiel 37, 7 Je prophétisai, comme j'en avais reçu l'ordre. Or il se fit un bruit au moment où je
prophétisais; il y eut un frémissement et les os se rapprochèrent les uns des autres.
Ézéchiel 37, 8 Je regardai: ils étaient recouverts de nerfs, la chair avait poussé et la peau s'était
tendue par-dessus, mais il n'y avait pas d'esprit en eux.
Ézéchiel 37, 9 Il me dit: "Prophétise à l'esprit, prophétise, fils d'homme. Tu diras à l'esprit: ainsi
parle le Seigneur Yahvé́ . Viens des quatre vents, esprit, souffle sur ces morts, et qu'ils vivent."
Ézéchiel 37, 10 Je prophétisai comme il m'en avait donné l'ordre, et l'esprit vint en eux, ils
reprirent vie et se mirent debout sur leurs pieds: grande, immense armée.
Ézéchiel 37, 11 Alors il me dit: Fils d'homme, ces ossements, c'est toute la maison d'Israël. Les
voilà qui disent: "Nos os sont desséchés, notre espérance est détruite, c'en est fait de nous."
Ézéchiel 37, 12 C'est pourquoi, prophétise. Tu leur diras: Ainsi parle le Seigneur Yahvé́ . Voici
que j'ouvre vos tombeaux; je vais vous faire remonter de vos tombeaux, mon peuple, et je vous
ramènerai sur le sol d'Israël.
Ézéchiel 37, 13 Vous saurez que je suis Yahvé́ , lorsque j'ouvrirai vos tombeaux et que je vous
ferai remonter de vos tombeaux, mon peuple.
Ézéchiel 37, 14 Je mettrai mon esprit en vous et vous vivrez, et je vous installerai sur votre sol, et
vous saurez que moi, Yahvé́ , j'ai parlé et je fais, oracle de Yahvé́ .
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Daniel 12, 2 "Un grand nombre de ceux qui dorment au pays de la poussière s'éveilleront, les uns
pour la vie éternelle, les autres pour l'opprobre, pour l'horreur éternelle.
Il y a d’autres textes, mais c’est secondaire. Vers -160 AC Daniel imagine pour la
fin des temps et pour toute l’humanité la résurrection des corps. Donc, au-delà
d’Ézéchiel qui imaginait la résurrection d’Israël, le retour à la vie d’Israël comme
communauté. Daniel, lui, passe à la limite et il imagine une résurrection pour la fin des
temps. Alors primitivement, la résurrection est une idée eschatologique. A la fin des
temps, il devrait y avoir résurrection, jugement et alors condamnation des uns et vie
éternelle de bonheur pour les autres. Ça, c‘est l’eschatologie juive. Cette idée est
conservée dans saint Paul encore dans la Première aux Corinthiens (1Co 15,13).
1 Corinthiens 15, 13 S'il n'y a pas de résurrection des morts, le Christ non plus n'est pas
ressuscité.
Or on est porté à penser l’inverse : que si le Christ est ressuscité, alors il y aura
résurrection. Or c’est l’inverse, il faut croire d’abord à la résurrection finale avant de
penser que Jésus est ressuscité. C’est comme cela que saint Paul argumente. Vous
voyez la résurrection est une idée eschatologique. C’est une espérance, une façon
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symbolique d’exprimer l’espérance que l’on a qu’Israël va revenir à la vie. Chez Daniel,
d’une façon symbolique encore, on peut attendre ce qui va se passer à la fin des temps
car s’il y a eu des hommes injustes ici-bas et d’autres justes, l’équilibre va se faire, Dieu
va y voir lorsqu’il va y avoir le jugement à la fin des temps. Ça, c’est derrière la mentalité
juive apocalyptique. C’est une certaine tradition juive, mais ce n’est pas tout le monde
qui pensait ça. Dans la Bible, il y a très peu de textes qui parlent de la résurrection.
Ézéchiel et Daniel sont les deux principaux. Il y a aussi le livre des Maccabées presque
contemporain de Daniel, mais ils sont tardifs eux aussi.
Alors, les Chrétiens se sont dits que dans le cas de Jésus la résurrection est
anticipée. Il est les prémisses de la résurrection. Donc c’est sur cet horizon, sur l’arrière-
fond de l’espérance de la résurrection universelle à la fin des temps, que les Chrétiens
ont fini par exprimer leur foi que Jésus est vivant et ils l’ont exprimé dans le langage de
la résurrection. C’est un langage, une métaphore.
Dans le mot résurrection, il y a deux images en grec. L’une veut dire s’éveiller :
comme quand quelqu’un est endormi et qu’il s’éveille. Mais quelqu’un peut être endormi
du dernier sommeil duquel il ne peut pas se réveiller et Dieu ou Jésus l’éveille du
dernier sommeil. On emploie alors le terme « egeirô » que nous traduisons par
ressusciter. Ou bien, c’est un guerrier terrassé, à mort et qui se relève. Alors on emploie
le terme « anistêmi », qui signifie se relever. Un guerrier terrassé à mort, normalement
ne peut pas se relever. Dieu ou Jésus le fait se relever. Dans les plus anciens textes,
c’est toujours Dieu qui ressuscite, il n’est jamais dit que Jésus ressuscite. C’est Dieu qui
fait lever ou qui éveille Jésus. Donc, il s’agit de deux métaphores : celle du sommeil et
celle du guerrier terrassé.
Le récit du tombeau vide a été composé tardivement. Saint Paul ne parle jamais
du tombeau vide. Les Évangiles n’ont surement pas été composés avant 65, il n’y a
personne parmi les exégètes qui pensent qu’il a été composé avant cela. Saint Paul est
mort probablement à ce moment-là. Saint Paul a écrit entre 50 et 60, peut-être jusqu’en
58 et il ne parlait pas du tombeau vide. Le tombeau vide n’était pas un argument.
Invoquer cet argument pour dire que Jésus était ressuscité, ce n’était pas très fort. Si on
l’a employé, on pouvait toujours dire que le corps avait été volé. Saint Mathieu a dû
composer une petite scène pour répondre à cette objection. Le tombeau vide n’a jamais
vraiment été un argument.
19
Dans la perspective platonicienne, Platon, dit qu’une fois que l’âme a quitté le
corps, elle s’en va quelque part, contemple Dieu et elle est heureuse, toute seule. Elle a
son bonheur à elle seule. On a souvent prêché comme ça nous aussi. Mais ça, ce n’est
pas le point de vue des chrétiens. La communion des saints suppose que je suis
ressuscité avec tout ce que je suis. Bibliquement parlant, on dit cela, en disant que j’ai
encore un corps. Le corps, c’est ce par quoi, un être spirituel peut agir en ce monde, ou
encore dans l’humanité. Les élus au ciel sont encore agissant en ce monde. On les
appelle les saints, ou la communion des saints. Alors pour dire ça, on a composé des
textes, où on a dit : Jésus, c’est vraiment tout lui. Ce n’est pas rien qu’un pur esprit. On
dit alors : on a touché son corps et il a même mangé du poisson (Jn 21,9-10). Vous
comprenez que c’était pour répondre aux septiques, en particulier aux Grecs qui
n’avaient pas la notion biblique de personne subsistant personnellement au delà de la
mort. C’est raconté de façon très concrète dans le récit mais nous, on prend ça à la
lettre, comme si le Christ avait un corps comme ça.
Gr : … on peut penser alors que c’est la même chose pour tous les humains. La
résurrection se produit au moment de la mort?
RB : Oui,
Gr : … parce que la résurrection, c’est la transformation de l’être, d’une vie à une autre.
RB. Saint Paul parle des prémisses de ceux qui se sont endormis. Alors, les autres qui
se sont endormis dans le Christ font partie du Christ. Par conséquent, ils sont vivants.
Donc, je peux dire qu’ils sont ressuscités. Ce que ne dit pas saint Paul exactement mais
que les deutéro pauliniennes disent (Colossiens et captivités surtout, Philémon, une
partie de l’Épître aux Philippiens). Dans ces Épitres-là, l’auteur, qui n’est très
probablement pas saint Paul, dit : nous sommes ressuscités avec le Christ, c’est déjà
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fait. Donc ce langage là est bien scripturaire. Comprenez vous que la résurrection dit la
même chose que la mort du christ, que la transfiguration, que le baptême, que la
conception virginale. C’est la même chose dans différents langages. Jésus a été fils de
Dieu en puissance après sa résurrection (Rm 1,3). Remarquez la séquence ici :
C’est un langage tout ça. C’est pour ça que je dis que c’est la même chose que
l’on dit dans différents langages : résurrection, mort de Jésus, transfiguration, baptême,
conception virginale. C’est la même vérité exprimée d’après des « croyables
disponibles » différents. Mais ça ne veut pas dire que ce sont des évènements de la vie
de Jésus. Il peut y avoir quelque chose d’historique, mais là c’est à la critique historique
de le démontrer et c’est là un travail très difficile. Je pense que vous pigez pas mal.
Gr : … acquiescement du groupe.
qu’est-ce que mon confrère Rosaire8 est devenu? Où est-ce qu’il est actuellement? Est-
ce que je vais le reconnaître? Ce sont des questions auxquelles, je ne peux pas
répondre. C’est inutile de parler de ça. Est-ce qu’on va être plus en famille, qu’on ne
l’est maintenant? Si les gens ont l’air d’y tenir, je vais dire oui …
Gr : … rire du groupe.
RB : mais en fait on en sait rien. La charité fait que l’on connaît tout le monde. Alors, on
va connaître tout le monde. Jésus est venu justement dépasser les relations familiales.
Ma mère, mes frères se sont tous ceux qui écoutent la parole de Dieu. Par conséquent,
si le gens insistent pour savoir si on va être encore en famille, le genre de questions
qu’on se posait autrefois, bien là, il faut les inviter à relire l’Évangile.
1 Corinthiens 9, 1 : Ne suis-je pas libre? Ne suis-je pas apôtre? N'ai-je donc pas vu Jésus, notre
Seigneur? N'êtes- vous pas mon œuvre dans le Seigneur?
Ce passage a l’air de rien, mais c’est plein de sens. Alors vous avez : j’ai vu
Jésus notre Seigneur et je suis apôtre. Les apparitions de reconnaissance sont
ordonnées aux missions. Ou inversement, comment reconnaissait-on dans l’Église
primitive que quelqu’un était apôtre? Car, il y avait des pseudo-apôtres. Or, qu’est-ce
qu’un apôtre? Un apôtre c’est quelqu’un qui dit : j’ai été envoyé par le Christ ressuscité,
Oui, mais un tas de gens peuvent dire cela. On peut dire moi je suis envoyé par le
Christ ressuscité et je pense qu’il faut faire la guerre aux Romains ou encore le Christ
ressuscité m’a dit qu’il fallait faire la guerre aux Romains. Supposons que quelqu’un
arrive et dise cela. Là, se sont les pseudo-apôtres dont saint Paul parle dans la seconde
Épîtres aux Corinthiens. 9 Des gens qui prétendaient faire des signes merveilleux,
8
Rosaire
Tremblay,
compagnon
de
Raymond
Bourgault
dans
la
petite
communauté
jésuite
de
Saint-‐Henri,
miraculeux et qui disaient : Paul c’est un homme qui ne sait pas parler alors que nous
autres nous avons beaucoup d’éloquence. Paul écrivait bien mais parlait mal alors on
pouvait se moquer de lui. Ces gens se prétendaient quand même apôtres envoyés par
Jésus. Vous souvenez-vous de l’image qu’il y a derrière la mission. Primitivement, la
mission est un langage ancien très concret qui met en scène un royaume avec sa
capitale où le roi envoie des gens dans les différents villages pour annoncer ses
volontés. Par exemple : lancer ou relancer le ban, une proclamation officielle publique,
pour recruter des soldats. C’est ça qui est la mission. Les Chrétiens ont dit qu’ils ont vu
et ont été envoyés. Ainsi que les prophètes déjà dans l’Ancien Testament où un
prophète est quelqu’un qui a assisté au conseil royal divin et qui est envoyé par le roi.
Donc, qui a vu et a été envoyé. Des gens prétendaient ainsi avoir vu et avoir été
envoyés. L’Église a peu à peu composé des récits de visions et donc d’apparitions pour
fonder les récits de missions. Les deux sont intimement liés. Or l’apôtre est celui qui a
vu le Christ ressuscité. Mais qu’est-ce qu’il a vu? C’est indémontrable. Ce que l’apôtre a
vu, il ne peut pas le démontrer. Et ce n’est pas important. Saint Paul en parle et dit :
vous invoquez des visions que vous avez eues parce que vous prétendez être des
apôtres et même des archi-apôtres mais ce n’est pas important les visions. Mais si vous
y tenez, je vais vous en raconter moi-aussi10. Les visons ne prouvent rien. Voir le Christ
ressuscité, c’est avoir une vision, une intelligence, un ensemble d’intuitions de ce qu’est
l’histoire du salut et le montrer par des signes. Par exemple, être capable d’endurer les
39 coups de fouets que saint Paul subit dans des synagogues. Ce sont là des signes.
Or quelqu’un qui est capable d’aller jusque là comme le dit saint Paul peut se dire
apôtre. La vision n’est pas suffisante, c’est par tout le comportement d’un apôtre qu’on
voit qu’il est authentique. Dans le langage, on va dire Jésus le Christ est ressuscité et
l’apôtre est celui qui a vu ce qui se passe au ciel. Saint Paul dit : j’ai vu ce qui se passe
au ciel, comprenne qui pourra11.
10
Galates 1, 12 ce n'est pas non plus d'un homme que je l'ai reçu ou appris, mais par une révélation de Jésus-Christ.
Actes 9, 3 Il faisait route et approchait de Damas, quand soudain une lumière venue du ciel l'enveloppa de sa clarté́ .
Actes 9, 4 Tombant à terre, il entendit une voix qui lui disait: "Saoul, Saoul, pourquoi me persécutes-tu" --
Actes 9, 5 "Qui es-tu, Seigneur?" Demanda-t-il. Et lui: "Je suis Jésus que tu persécutes.
Actes 9, 6 Mais relève-toi, entre dans la ville, et l'on te dira ce que tu dois faire."
Actes 9, 7 Ses compagnons de route s'étaient arrêtés, muets de stupeur: ils entendaient bien la voix, mais sans voir
personne.
11
2 Cor 12,1 Il faut se glorifier... Cela n'est pas bon. J'en viendrai néanmoins à des visions et à des révélations du
Seigneur.
2 Je connais un homme en Christ, qui fut, il y a quatorze ans, ravi jusqu'au troisième ciel (si ce fut dans son corps je
ne sais, si ce fut hors de son corps je ne sais, Dieu le sait).
3 Et je sais que cet homme (si ce fut dans son corps ou sans son corps je ne sais, Dieu le sait)
4 fut enlevé dans le paradis, et qu'il entendit des paroles ineffables qu'il n'est pas permis à un homme d'exprimer.
5 Je me glorifierai d'un tel homme, mais de moi-même je ne me glorifierai pas, sinon de mes infirmités.
6 Si je voulais me glorifier, je ne serais pas un insensé, car je dirais la vérité; mais je m'en abstiens, afin que personne n'ait
23
C’est comme Isaïe, comme on l’a vu, qui voit Yahvé et qui entend : « saint, saint,
saint ». (Isaïe 6,3). Évidemment c’est Isaïe qui compose ce poème là. Est-ce qu’il y a
telle ou telle chose dans le ciel? C’est avant tout une représentation mais il raconte cela,
comme si ça s’était réellement passé. Donc, la vision ne peut jamais être prise à la
lettre, elle ne prouve rien mais c’est un langage pour fonder la mission. Celui qui a vu
fait un acte de foi. Il n’y a pas de différence ici entre la foi et la vision. Ce qu’on appelle
vision, c’est un acte de foi.
RB : Oui, « nul ne vient à moi si mon père qui l’a envoyé ne l’attire » (Jn 6,44)12
Croire en Jésus n’est pas donné à tout le monde en effet. C’est donné à un
certain nombre pour qu’ils soient le corps du Christ. Afin que peu à peu les autres le
sachent. C’est un don bien sûr. Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, c’est moi qui vous
ai choisis (Jn 15,16). Il est donné à certain d‘accueillir le poème invraisemblable que le
Christ est mort pour toute l’humanité. Il y en a qui croit cette utopie.
Gr : … si on est pas capable d’en parler, on peut au moins en vivre … c’est ça qui va
parler.
RB : Ça, c’est la principale parole. C’est la parole vivante. La parole parlée n’est pas
autre chose qu’une instance seconde du corps. Un corps, c’est ce par quoi un esprit se
fait être au monde. Parler c’est le corps à un niveau redoublé en quelque sorte. Le
corps, c’est la première parole. Je parle aux autres par le seul fait que je suis là. Et
lorsqu’une personne intervient dans un circuit, l’équilibre est modifié. Même si elle n’a
à mon sujet une opinion supérieure à ce qu'il voit en moi ou à ce qu'il entend de moi.
7 Et pour que je ne sois pas enflé d'orgueil, à cause de l'excellence de ces révélations, il m'a été mis une écharde dans la
chair, un ange de Satan pour me souffleter et m'empêcher de m'enorgueillir.
8 Trois fois j'ai prié le Seigneur de l'éloigner de moi,
9 et il m'a dit: Ma grâce te suffit, car ma puissance s'accomplit dans la faiblesse. Je me glorifierai donc bien plus
volontiers de mes faiblesses, afin que la puissance de Christ repose sur moi.
10 C'est pourquoi je me plais dans les faiblesses, dans les outrages, dans les calamités, dans les persécutions, dans les
détresses, pour Christ; car, quand je suis faible, c'est alors que je suis fort.
12
Nul ne peut venir à moi si le Père qui m'a envoyé ne l'attire; et moi, je le ressusciterai au dernier jour (Jean 6, 44)
24
pas dit un seul mot. Par sa seule présence, elle parle. Il se peut qu’elle empêche de
parler aussi.
RB : Peut-être qu’on pourra parler de ça un jour. Je ne vous ai pas expliqué non plus le
disciple bien aimé. Ça pourra être le prochain sujet.
___________________________
Fin de l’enregistrement.