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Ouvrage publié avec le soutien


de la Région Occitanie Pyrénées-Méditerranée
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Richard IV
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Du même auteur

THÉÂTRE
Les Chants anonymes, coll. Hors cadre, Éditions Espaces 34,
2021
Sweetie, Éditions Espaces 34, 2018
Bien lotis, Éditions Espaces 34, 2014
Blast, Quartett, 2014
Krach, suivi de S & P, Quartett, 2013
Septembres, Éditions Espaces 34, 2009
L’entretien, Éditions Espaces 34, 2007
III, Éditions Espaces 34, 2007
Morituri, suivi de Les prometteuses, Quartett, 2007
Titsa, Les Solitaires intempestifs, 2005
Pasaran, Les Solitaires intempestifs, 2000

et avec Lancelot Hamelin, Sylvain Levey, Michel Simonot,


groupe PETROL
Merry go round, éditions Théâtrales, 2016
« Roms et Juliette », in Les Mots du spectacle en politique,
éditions Théâtrales, 2012
L’extraordinaire tranquillité des choses, Éditions Espaces
34, 2006
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Philippe Malone

Richard IV
THÉÂTRE
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Collection Théâtre
dirigée par Sabine Chevallier

EAN : 9782847052992 ; ISBN : 978-2-84705-299-2 ; ISSN : 1158-9892


© 2023, Éditions Espaces 34,
5 place du château, 34270 Les Matelles, France.
www.editions-espaces34.fr
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Richard IV
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I
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BUCKINGHAM. – Ainsi nous voilà revenus


à cette bonne vieille forme classique
qui semble privilégier le dialogue
et ses répliques attendues
à toute autre forme de déconstruction narrative,
n’est-ce pas, Richard ?

RICHARD. – Nous vieillissons


et la vieillesse est laide, Buckingham.
L’auteur qui écrit ces lignes vieillit lui aussi.
Il ne souhaite plus détruire mais reproduire,
ou pire encore, conserver.
Il ne pisse plus sur les ruines
mais les élève en monuments.
Il faut toujours se méfier
de ceux qui ne veulent rien détruire, Buckingham.
Toujours se défier de ceux
que la jeunesse a épargnés.
Toujours se garder d’une sagesse
construite convulsivement dans l’aigreur
et l’ombre coupante des regrets.
L’auteur cherche du réconfort
dans les formes obsolètes
et la ringardise agit sur lui
comme un baume protecteur.
Mais cette forme de dialogue usé
possède quelques vertus.
Je suis à moitié sourd,
vous êtes de plus en plus bavard.
Nous cheminons comme un vieux couple
vers la délivrance de la falaise.

– 11 –
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Vous pouvez désormais vous répandre


tandis que je me repose
en attendant poliment ma réplique.
Rien ne m’oblige plus à vous écouter.
Il suffit que je connaisse mon texte
et je ne connais rien de mieux que mon propre texte.
Nous ponctuons juste pour ne pas nous assoupir.
J’opine en attendant mon tour.
Cela vous donne de l’importance,
calme vos hémorroïdes et ce faisant,
j’économise des ordres.
À vous.

BUCKINGHAM. – Je n’ai jamais écouté vos ordres


et les ai encore moins respectés, Richard.

RICHARD. – Je sais, Buckingham.


Cela ne m’a jamais ôté le plaisir de les proférer.
À vous.

BUCKINGHAM. – Je vous admire, Richard.


Personne d’autre que vous n’a su à ce point
conserver mon dégout intact.
Je me sens jeune à votre contact.
Toujours cette irrépressible envie
de vous casser la gueule.

RICHARD. – Je loue votre lâcheté


car vous êtes bien plus musclé que moi.
Elle préserve votre haine
et consolide votre frustration.
La frustration est un bien précieux, Buckingham.
Vous êtes heureusement trop sénile
pour la dilapider en fantasmes.
À vous.

BUCKINGHAM. – Je ne vous ai jamais défié


car vous affirmiez faire de la boxe.

– 12 –
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RICHARD. – Du billard de temps en temps


et des dames.
Quand on jouit du pouvoir,
les échecs deviennent trop complexes.
Une reine et des pions, c’est parfait.
Ca se baise facilement.
Un temps.

BUCKINGHAM. – Je ––

RICHARD. – Un temps signifie un court silence


pour que le bon mot soit compris du public
avant la réplique suivante.
Permettez que je vous rappelle
les règles élémentaires du dialogue.
Encore à moi, j’enchaîne sans interruption, abats la totalité
de mon jeu et termine mon court monologue cinglant,
deux points ouvrez les guillemets :
« VOUS FÎTES UN MAGNIFIQUE PION, BUCKINGHAM. »
Maintenant à vous.

BUCKINGHAM. – Merci.
Le damier n’est plus qu’un amas de cendres
et vos monologues asthmatiques
suffoquent au bord du plateau.
Ils n’ordonnent plus le monde mais le dispersent.
Les dernières gouttes d’un jet de pisse froide.

RICHARD – Preuve que les vieilles formes s’épuisent.


Mériterons-nous mieux qu’une mauvaise mise en scène ?
À vous.
Vous n’êtes pas obligé de répondre.
Je crains la connerie.

BUCKINGHAM. – Cessez de dire « À vous ».

RICHARD. – La voilà.
Je ponctue pour ne pas que vous vous endormiez.

– 13 –
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BUCKINGHAM. – J’ai toujours dormi pendant vos mono-


logues et ––

RICHARD. – Cela m’a toujours navré.

BUCKINGHAM. – CESSEZ DE COUPER MES RÉPLIQUES.

RICHARD. – J’ai l’approbation de l’auteur.


Fin de la première scène.

ANNE. – Deuxième, Richard.

– 14 –
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RICHARD. – Anne, vous voilà.


Vous apparaissez soudain
comme dans une mauvaise pièce de boulevard.

ANNE. – Je viens pour la scène d’exposition.

BUCKINGHAM. – Par convention, Anne,


les scènes d’exposition précèdent toutes les autres.

ANNE. – Je suis pourtant à l’heure.

RICHARD. – Buckingham a pris la liberté de commencer plus


tôt.

BUCKINGHAM. – Le public s’ennuyait.


J’ai profité de la publicité.

ANNE. – J’ai donc raté mon entrée.

RICHARD. – Les entrées sont démodées.


Le monde ne souhaite plus que nous voir sortir.

BUCKINGHAM. – Commencez, Anne,


si ça peut le faire taire.

RICHARD. – Merci, Buckingham.


À v ––

ANNE. – Les scènes d’exposition ont ceci d’inutile


qu’elles convoquent un passé
qu’invalide le présent.
LE PASSÉ EST MORT.
Un zombie sans attache
échappé d’une fosse commune
ou d’un charnier sans témoins.
Il croit contaminer la mémoire, l’amnésie le dévore.

– 15 –
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Bouche pourrie.
Langue morte.
Point final.

RICHARD. – Merci, Anne.

ANNE. – Je n’ai pas terminé.


Le passé est vain.
Loin de servir de modèle,
il sclérose des monuments oubliables
que nos mémoires touristiques ignorent
en léchant des sorbets trop sucrés.
Mais de leçon, point.
L’histoire finit toujours dans un siphon.

NORFOLK. – Je ne comprends pas.

ANNE. – Merci, Norfolk.


L’exercice auquel me contraint l’auteur
est donc le suivant :
rappeler des faits dont on ne tire aucune expérience et
dont la lumière éteinte (sensée éclairer le présent) serait
nécessaire au propos pour les faire déclamer par la seule
femme de la pièce à des spectateurs.trices assis.sises,
attentives.tifs et concentrés.trées en prologue à la pièce.

NORFOLK. – Il ne s’agit plus de prologue


mais de prolonga ––

ANNE. – La ferme, Norfolk.

RICHARD. – Sauf votre respect, Anne,


n’est-ce pas un poil long ?

ANNE. – C’est écrit ainsi.

RICHARD. – Puis-je voir ?

ANNE. – Vous ne faites pas confiance à l’auteur ?

– 16 –
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RICHARD. – Non.

ANNE. – Tout monologue est une prise de pouvoir, Richard.


Sachez en tirer les conclusions.
L’auteur adore les digressions.

NORFOLK. – Ça rime en plus.

ANNE. – Où en étais-je ?

BUCKINGHAM. – À l’instant crucial de tirer la chasse je crois.

ANNE. – Donc je ne résumerai pas Richard III


et me contenterai d’éventer
la maigre intrigue de cette pièce
en soulignant les codes grossièrement plagiés
sur les blockbusters internationaux.
Tout se joue les cinq premières minutes.
Les éléments avancés seront filés un à un,
avec une surprise sur un des éléments finaux,
si l’auteur n’a pas oublié son stage
de marketing scénaristique, un temps.
Un parterre de trois vieilles badernes sans épaisseur
assure les répliques à la seule femme,
moi,
qui tire mon épingle du jeu
grâce à un revirement tendanciel
du rapport de force viril,
certes précaire,
mais profitons-en.

RICHARD. – La production m’avait parlé de rôle principal.

ANNE. – C’était l’argument le plus rudimentaire pour vous


attirer.
Elle a menti.

NORFOLK. – Tout le monde ment ici.

– 17 –
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ANNE. – La pièce se découpe en quatre parties.


Pendant la première, des élections approchent.
Buckingham et Norfolk décident de se présenter.
Richard, trop sénile et que l’incontinence rend agressif,
reste en retrait.
Un temps.

RICHARD. – Pourtant, Anne, le titre laissait justement pen-


ser que ––

ANNE. – J’ai dit un temps.


Parties II et III : préparatifs.
Discussions sans fin et propos stériles de l’auteur
sur l’ordre du monde et la nature obscène du pouvoir.

BUCKINGHAM. – Ne désirons-nous pas garder au moins


quelques spectateurs ?

ANNE. – Trices.
Suivies d’élections.
Partie IV.
Anne, moi, choisit l’exil et la survie.
C’est compter sans Richard qui finira
par me retrouver.

NORFOLK. – Serai-je élu ?

RICHARD. – Ne soyez pas stupide, Norfolk.


C’est tout Anne ?

ANNE. – Pour l’instant oui.


L’auteur est un fainéant,
incapable d’imaginer une histoire cohérente,
ni de fixer des bases fictionnelles solides.
Il s’agissait juste pour moi de monopoliser la parole.

Noir.

– 18 –
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BUCKINGHAM. – J’AI DÉCIDÉ DE ME PRÉSENTER.

RICHARD. – Pas encore, Buckingham.

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RICHARD. – Les élections approchent


et la fébrilité augmente à hauteur
des ambitions des uns
et des intérêts des autres.
La pression va s’accroître sur le peuple pour voter.
Lui s’en moque, qui lui en voudrait ?
Mais nous en avons besoin pour le gouverner.
Notre fardeau.
Tant que nous n’aurons pas basculé dans la dictature,
il faudra lui imposer le vote pour nous obéir.
C’est inepte, grossier,
mais ne souhaitant pas changer les règles,
nous devons en accepter le jeu.
Le coup d’État reste tabou
et la morale tatillonne.
Elle n’accepte la force
qu’à condition qu’on la vote.
Ne jamais perdre de vue
la fonction acclamative du peuple.

ANNE. – Permettez que je continue.

RICHARD. – Je ––

ANNE. – Demain il leur faudra aller voter


et déjà les bouchers sortent des chambres froides
pour se réchauffer derrière les écrans.
Les jeux sont importants.
Sans liesse, pas de légitimité.
Or l’organisation de la liesse
relève du professionnalisme
et d’une montée en tension croissante.
En l’absence de tout enthousiasme populaire,
il faudra instiller la peur,
flatter les bas instincts,
ne pas craindre l’obscénité

– 20 –
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et jouer sur la culpabilité.


Nous pouvons compter
sur nos plus brillants élèves.
Nous écarterons l’opposition
au nom du pragmatisme.
La lutte est celle de la réalité.
Il faut en créer une suffisamment confortable
pour s’y glisser les premiers
comme dans une couverture chauffante.
Étais-je bien ?

BUCKINGHAM. – J’AI DÉCIDÉ DE ME PRÉSENTER.

ANNE. – Buckingham, nous n’avons pas terminé.

BUCKINGHAM. – Excusez–moi.

ANNE. – Alors, Richard ?

RICHARD. – Ce monologue était écrit pour moi, Anne.

ANNE. – Richard ou Anne qu’importe.


Ce passage est d’une banalité mortifiante.
Il a dû être écrit pendant la sieste.
Alors ?

RICHARD. – Si l’on ôte l’emphase, avec beaucoup de travail,


vous ––

ANNE. – Alors ?

RICHARD. – Nulle.

ANNE. – Cela me rassure.

BUCKINGHAM. – Vous me préviendrez ?

ANNE. – Commencez par lire la pièce, Buckingham.

– 21 –
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RICHARD. – J’aime regarder le monde s’effondrer, Anne.


Si j’en avais la force,
je reprendrais du service
pour une dictature.

ANNE. – La concurrence est vive.


Elle est belle, jeune et séduisante.
Elle use de simplisme et d’impostures choc.
Renoncez.

RICHARD. – La concurrence est faible.


Elle promet un avenir et flatte le passé.
Je suis un progressiste.
Bien au-delà de ces ressorts ridicules.
Pas d’avenir, plus de passé.
Le lustre de l’effondrement.
La griserie de la chute.
L’esthétique de la ruine.
La pureté du geste, Anne.
Du panache.
Notre époque ne manque pas de moulins.

ANNE. – Vous pensez séduire avec ça ?

RICHARD. – Mon cynisme ne vous a pas toujours déplu.

ANNE. – Je n’y voyais que faiblesse.

RICHARD. – Cette faiblesse ne vous a pas toujours déplu.

ANNE. – Je n’y voyais que cynisme.


On ne promet pas le néant pour soulager du chaos.

RICHARD. – Je ne promettrai rien.


L’absence de perspectives suffit.
Le vide comme métaphore.

– 22 –
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ANNE. – Vous êtes consternant.

RICHARD. – Si au moins j’avais encore la force


de ramper sur vous, Anne.
Je savais alors vous faire taire.

ANNE. – Vous confondiez


mon mutisme
et votre surdité.
Je hurlais, Richard.

– 23 –
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BUCKINGHAM. – J’hésite.

RICHARD. – MON CUL.

BUCKINGHAM. – Je vous assure, j’hésite.

RICHARD. – MON CUL.

BUCKINGHAM. – D’accord, je n’hésite pas.

RICHARD. – MON CUL.

BUCKINGHAM. – CESSEZ AVEC VOTRE ––

RICHARD. – Je suis mal installé.


Aidez-moi au lieu de crier.
Vous disiez ?

BUCKINGHAM. – J’AI DÉCIDÉ DE ME PRÉSENTER.

RICHARD. – Vous l’avez déjà annoncé deux fois.

BUCKINGHAM. – Le peuple m’attend.


Il plébiscite l’homme providentiel,
le bâton viril,
le déluge divin.
Il désire le regard océanique,
la mâchoire prognathe,
le sourire serti d’une mangeoire hollywoodienne.
Il a besoin d’un père, d’un héros, d’un jeune ––

RICHARD. – Un jeune ?

BUCKINGHAM. – Un jeune
qui saura lui redonner confiance et
lui offrir l’avenir sur un plateau argenté.

– 24 –
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Plutôt avare en syllabes,


il s’exprimera dans une langue inutile, marchera pieds
nus le mollet ferme
à grandes foulées
sur une époque pavée de lardons.

RICHARD. – Chardons.
Vous n’en faites pas un peu trop, Buckingham ?

BUCKINGHAM. – Un homme
dont les pectoraux déformeront le costume.
Énergique et glabre,
il saura empoigner le destin national
pour le hisser au rang des plus grands ––
des plus grands ––

RICHARD. – Fiascos ?

BUCKINGHAM. – Empires,
briser l’adversité belliqueuse,
initier un chemin lumineux
dont le sillon éclatant ravivera l’ardeur et ––

RICHARD. – Soufflez, Buckingham, soufflez,


vous risquez l’étouffement.
Voyez-vous, la clef est la respiration.
Cela consiste par inspirations brèves
à renouveler l’air dans les poumons.
Ainsi l’air ventilé ne se charge pas d’odeurs nauséa-
bondes, et une fois exhalé, peut donner l’illusion de
fraîcheur lorsque l’haleine est trop rance. À qui diable
pensez-vous ?

BUCKINGHAM. – VOUS N’ÉCOUTEZ PAS.


N’ÉCOUTEZ JAMAIS CE QUE JE ––

RICHARD. – J’entends le sifflement aigu


d’une vieille poche percée
et cela m’inquiète, Buckingham.

– 25 –
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Vous n’êtes plus jeune,


un simple courant d’air peut vous faire capituler.
Votre avenir n’a guère plus d’épaisseur
qu’une feuille de papier de riz.
Une mauvaise toux,
il s’envole dans une bouche d’égout.

BUCKINGHAM. – Vous présenterez-vous ?

RICHARD. – J’ai seulement besoin de couches.


Les trônes ne me sont plus utiles.
Non.

BUCKINGHAM. – Non ?

RICHARD. – Non, Buckingham.


Anne l’a annoncé.
Le titre de cette pièce est mensonger.

BUCKINGHAM. – Vous m’en voyez heureux, Richard.

RICHARD. – Ne vous réjouissez pas trop vite.


Je connais l’auteur.
C’est une saloperie.
Norfolk vous tiendra compagnie.

BUCKINGHAM. – Norfolk ?

RICHARD. – QUI A APPRIS SON TEXTE ICI ?

– 26 –
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RICHARD. – Il fut un temps


où vous frappiez à la porte, Norfolk.

NORFOLK. – Ai-je pu à ce point avoir été aussi servile ?

RICHARD. – Si j’en juge votre magnifique carrière, oui.


Elle force l’admiration.

NORFOLK. – Vous êtes taquin.

RICHARD. – L’inconstance de vos amours


rendrait perplexe le plus instable des indécis.

NORFOLK. – C’est vrai, je fus marié tant de fois


que j’ignore quel fut mon premier amour.

RICHARD. – L’intérêt.

NORFOLK. – Balloté d’un camp à l’autre


durant toutes ces années.
De la fortune, je ne connais que les revers.

RICHARD. – Ne soyez pas trop dur avec vous, Norfolk.


Reconnaissez tout de même une certaine constance dans
la déroute.

NORFOLK. – C’est vrai.


Mais l’époque fut clémente.
Chaque camp était le miroir de l’autre.

RICHARD. – La conséquence
d’un trop long corps à corps.

NORFOLK. – Les alternances reposaient des alternatives.

RICHARD. – Non, elles les faisaient taire.

– 27 –
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NORFOLK. – À force d’avoir changé de camp,


j’ai l’impression de n’avoir jamais bougé.

RICHARD. – Ce doit être l’effet des hautes fréquences.

NORFOLK. – Alors que chaque parti se délitait,


j’ai réussi à créer un socle de stabilité
que tous finirent par m’envier.
La débâcle comme carrière et vision politique.
Vous avez raison,
je vais créer un parti
avec l’insignifiance au cœur du projet.
LE PARTI QUELCONQUE.
Qu’en pensez-vous, Richard ?

RICHARD. – Le monde s’enfonce


dans les simplifications, Norfolk.
Pourquoi pas.
Le programme donne de l’espoir.
Le sigle est rassurant.

NORFOLK. – Je ne comprends pas ce que vous dites.

RICHARD. – C’est votre force, Norfolk.


Vous n’avez jamais eu besoin de comprendre.
Et le monde s’en est toujours bien porté.

NORFOLK. – Vous cherchez encore à être blessant


mais vos saillies ne me touchent plus.

RICHARD. – J’aimerais tant pouvoir encore saillir.


Hélas, vous n’êtes pas blessable, Norfolk.

NORFOLK. – Je suis venu


pour vous poser une question, Richard,
une question qui cela va sans dire
appelle une réponse franche et sans détour de votre part.
Pas une de celle
dont vous nous accablez d’habitude et qui ––

– 28 –
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RICHARD. – Vous disiez, Norfolk ?

NORFOLK. – Vous présenterez-vous à ces élections ?

RICHARD. – Décidément.
Non.

NORFOLK. – Non ?

RICHARD. – Non.

NORFOLK. – Non, comme un non ?


L’inverse du oui ?

RICHARD. – Le non n’est pas fatalement


l’inverse d’un oui, Norfolk,
mais si cela peut vous aider à comprendre,
optons pour ce raccourci, oui.

NORFOLK. – Oui ?

RICHARD. – Non.

NORFOLK. – J’AI DÉCIDÉ DE ME PRÉSENTER, RICHARD.

RICHARD. – Quelle surprise.


Félicitations.
La boue a toujours attiré les porcs.
Voici votre plan de campagne.
Nous l’avons préparé avec Buckingham.
Là sur la table.

NORFOLK. – Il n’y a pas de table.

RICHARD. – Je sais.

NORFOLK. – Le but de ce parti est de rallier rapidement


celui ou celle qui a le plus de chances de réussir,

– 29 –
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voire en cas d’erreur,


de rejoindre le vainqueur après son élection.

BUCKINGHAM. – C’est prévu.


Un magnifique programme, Norfolk.
De quoi faire vibrer les foules.

NORFOLK. – Vous étiez là ?

BUCKINGHAM. – Où vouliez-vous que je sois ?

RICHARD. – Plus de loges, Norfolk.


Tout est désormais à vue.
Sans doute une constante des fins de règne.
Des personnages ridicules.
Une mise en scène pitoyable.
S’étonnera-t-on ensuite d’avoir un public clairsemé ?

– 30 –
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RICHARD. – Ainsi faut-il encore escalader cet escalier


dont les marches,
de plus en plus hautes à mesure qu’on vieillit,
exigent toujours plus d’efforts.
Au moins subsiste-t-il l’espoir
qu’arrivé au sommet
il sera plus facile
de se jeter dans le vide.
Vivre dans cet espoir-là.
Le nez collé aux marches.
Il faudra bien qu’un jour nous en finissions
avec cette inepte idée d’ascension, Anne.
Ce stupide et claironnant mirage
qui pare de vertu l’effort
et nous détourne de la griserie de la chute.

ANNE. – Vous radotez, Richard.

RICHARD. – Oui.
Sans doute trop vieux pour les monologues.
J’irai me répandre auprès de mère.

ANNE. – Votre mère est morte.

RICHARD. – Décidément.
Les ombres sont parfois plus pesantes que les corps.
À qui me plaindre désormais ?
En renonçant au pouvoir j’ai perdu un auditoire captif.
Être son propre interlocuteur finit par lasser.
Je suis trop prévisible.

ANNE. – Alors taisez-vous.


Vous avez toujours été prévisible,
avec votre lyrisme médiocre
et ses ruptures de style vulgaires.

– 31 –
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RICHARD. – Cela ne vous a-t-il pas séduit, Anne ?

ANNE. – J’ai toujours menti.

RICHARD. – Pourtant votre sourire.

ANNE. – Mon visage mentait.


Si vous aviez su le regarder.

RICHARD. – Je ne sais pas mener deux actions à la fois.

ANNE. – Revoilà le goujat.


Seule l’image de votre puissance importait.
Mes grimaces vous en offraient un reflet parfait.
Vous êtes grossier, Richard,
mais vos actes n’ont jamais été à la hauteur
des promesses de votre obscénité.

RICHARD. – Même mes ongles sales sur ta peau de lys ?

ANNE. – Même votre tutoiement


lorsque vous cherchez à séduire.

RICHARD. – Qui voudrait de vous pour conquête ?

ANNE. – Toi.

RICHARD. – La vérité, Anne,


est que seule la perspective de la décrépitude
me raccroche à la vie.
Une ancre imperturbable
au milieu d’une mer déchaînée.
Quoi de plus révolutionnaire aujourd’hui
que l’immobilité ?
Buckingham cherche à imposer le mouvement.
Mais qu’est-ce qu’une course
sans point de départ ni d’arrivée ?
Un affolement sans but.
Sans la rigueur de l’ancre,

– 32 –
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nous périssons emportés par le courant.


Rester statique.
Pas bouger.
Voilà ma force.
Faire de l’inertie un exemple.
De la déchéance un salut.

ANNE. – Vous vous cramponnez à la vieillesse


comme un bûcheron à la branche qu’il scie.
Vous pourrissez.
Mais la putréfaction reste encore une action.
Et dans votre cas, Richard,
elle empeste.

– 33 –
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II
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BUCKINGHAM. – Alors ?

RICHARD. – Alors quoi.

BUCKINGHAM. – Comment me trouvez-vous ?

RICHARD. – Comme d’habitude, Buckingham.


Planté comme un con sur le seuil d’une porte
que vous n’osez pas franchir.
Pour être honnête,
je ne sais jamais si vous entrez ou sortez.

BUCKINGHAM. – Je vous parle de moi, Richard.

RICHARD. – Si c’est pour l’odeur,


le parfum est vain.
L’urine et le pourrissement
ne renoncent pas sous l’alcool.
Au mieux obtenez-vous une puanteur agréable.
J’en sais quelque chose.

BUCKINGHAM. – Mon visage, Richard.


Ne trouvez-vous rien de changé ?

RICHARD. – Les lunettes.

BUCKINGHAM. – Je n’ai jamais porté de lunettes.

RICHARD. – Vous auriez dû.


Il paraît que ça aide à voir.

BUCKINGHAM. – Regardez mieux.

– 37 –
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RICHARD. – Je ne porte pas de lunettes.


Je vois ce que je veux.

BUCKINGHAM. – Les traits sur mon visage !


Un temps.
Alors ?
À vous.

RICHARD. – C’est vrai.


Maintenant que vous le dites.
On dirait un jeune cul
dont on aurait tracé la raie horizontalement.

BUCKINGHAM. – MON NOUVEAU SOURIRE, RICHARD.

RICHARD. – Pourquoi criez-vous.

BUCKINGHAM. – C’est écrit en majuscules.


Regardez, là.
MON NOUVEAU SOURIRE, RICHARD.

RICHARD. – Un très jeune cul


si j’en juge la forme effilée.

BUCKINGHAM. – Pour plaire et séduire.

RICHARD. – Qui comptez-vous séduire


avec ce poster de cul vierge ?

BUCKINGHAM. – LE PEUPLE, RICHARD.


Un temps.
À vous.

RICHARD. – J’ai compris, Buckingham.


Mais même avec un temps,
le peuple n’est pas pédophile.

BUCKINGHAM. – Il le deviendra.
La jeunesse sans qu’on sache réellement pourquoi

– 38 –
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est toujours porteuse de promesses.


C’est idiot mais c’est comme ça.
Je saurai offrir ce qu’il y a de plus attractif
dans cette jeunesse.

RICHARD. – MON DIEU, QU’ONT-ILS FAIT, BUCKINGHAM.

BUCKINGHAM. – Vous invoquez dieu maintenant ?

RICHARD. – C’est une licence poétique.


Quand je n’ai plus d’idée,
j’invoque dieu.

BUCKINGHAM. – Alors qu’en pensez-vous ?

RICHARD. – MON DIEU, QU’ONT-ILS FAIT, BUCKINGHAM.


Un temps.

BUCKINGHAM. – Arrêtez avec ces ––

RICHARD. – J’essaie de gagner du temps.


MON DIEU, QU’ONT-ILS FAIT À CE JEUNE CUL, BUCKINGHAM.

BUCKINGHAM. – Le passage en chirurgie


ne fut pas simple.
La liposuccion délicate
car je n’avais que la peau sur l’os.
J’étais si ridé qu’en dépliant la surface,
le chirurgien a pu sans rapiéçage
en lisser un mètre carré.
J’apporte la pièce à la tannerie pour en faire une toile.
J’y ferai peindre mon portrait
qui vieillira au grenier.
En tirant fermement les peaux
jusque derrière la tête,
on obtient ce joli visage fuselé
avec son éternel sourire.
Une invitation autant qu’un gage d’assurance.

– 39 –
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RICHARD. – Effectivement,
on discerne votre visage jusque derrière votre crâne.
Méfiez-vous des arrière-pensées, Buckingham.
Elles sont à vue.
Ont-ils aussi renouvelé les idées
ou la science est-elle encore incapable
d’un tel prodige.

BUCKINGHAM. – Qu’importe les idées


si le visage qui les masque est ferme et rassurant.

RICHARD. – Vous voilà devenu sage, Buckingham.


Sage comme ces vieilles doctrines
pourrissant dans un coffre bancaire
à l’ombre d’un cocotier fiscal.
Ont-ils rapiécé vos tympans ?
Vous étiez sourd à ma connaissance.

BUCKINGHAM. – Sourd à vos répliques uniquement.


Et puis à quoi bon écouter.
Je suis jeune, pas enfant.

RICHARD. – Je m’inquiète.
Cette petite boule, là, aux commissures des lèvres.
MON DIEU, QU’ONT-ILS FAIT DE LA PROSTATE, BUCKINGHAM ?

– 40 –
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RICHARD. – Au début l’incontinence m’amusait.


L’enfantillage de la vieillesse.
Pisser dans son pantalon sans se faire engueuler.
La douce et rassurante tiédeur.
Un bonheur hélas fugace.
On s’habitue à tout.
Même à l’odeur de sa propre urine.

ANNE. – Rassurez-vous, Richard.


La vieillesse réserve aux autres de petites surprises.
Si vous vous êtes habitué
à la pestilence de votre urine,
nous en éprouvons un dégout grandissant.
N’est-ce pas encourageant ?

RICHARD. – Vous cherchez à me rassurer.

BUCKINGHAM. – Seulement vous rappeler


l’usage régulier des couches, Richard.

RICHARD. – Les couches soigneusement scotchées


ont ceci d’admirable
qu’elles offrent où que l’on s’assoie
un trône permanent, discret et personnalisé,
que personne, à moins d’être particulièrement vicieux,
ne viendra vous subtiliser.
Vous devriez essayer, Buckingham.
Les couches sont une métaphore parfaite du pouvoir.
Elles offrent ce qu’il y a de plus stable.
Une sécurité relative face à l’intrusion.
Des élastiques étanches pour maintenir la paranoïa.

BUCKINGHAM. – Je vous remercie, Richard.


Je préfère tenter l’usage du trône.

– 41 –
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BUCKINGHAM. – NOUS SOMMES EN GUERRE.


Certes nous ne luttons pas contre une armée,
ni contre une nation,
ni même un continent,
une île isolée,
une province sécessionniste,
une planète renégate,
mais l’ennemi est là, invisible, insaisissable, retord, qui
progresse avec hostilité
dans les tranchées séculaires de notre corps ––
de notre corps ––
Norfolk.

NORFOLK. – Social.

BUCKINGHAM. – Social, bouche ses artères sanglantes.

NORFOLK. – Vivantes.

BUCKINGHAM. – Vivantes et cela requiert notre ––


notre ––
notre ––

NORFOLK. – Mémoire.

BUCKINGHAM. – Norfolk.

NORFOLK. – Je cherche.
Voilà.
Mobilisation générale.

BUCKINGHAM. – Nous sommes en guerre.


Toute mon action j’en fait le serment devant vous ce
soir sera tournée vers le combat sans merci contre cet
ennemi invisible qui rampe avec délectation dans nos
tranchées ––

– 42 –
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NORFOLK. – Déjà dit.

BUCKINGHAM. – Nous sommes en guerre,


pas contre les Allemands,
ni contre les Goths,
voire même les Troyens
envers qui nous aurions pourtant
de solides raisons de l’être, non,
nous sommes en guerre nous le savons nous ne saurions
pas ne pas savoir ne pas l’ignorer chacun au plus profond
de nous toutes,
J’APPELLE À LA RÉSISTANCE,
J’APPELLE À LA MOBILISATION,
J’APPELLE AU SACRIFICE ET À LA RETENUE.
Nous sommes en guerre et en même temps ––

RICHARD. – Anaphore.
Anaphore.

BUCKINGHAM. – NOUS SOMMES EN ANAPHORE.

NORFOLK. – Merveilleux, Buckingham

RICHARD. – Bravo bravo, Buckingham.


Vous passionnez l’auditoire.

BUCKINGHAM. – NE DEVIEZ-VOUS PAS ATTENDRE


LA FIN DE MES RÉPLIQUES POUR M’INTERROMPRE, RICHARD ?

RICHARD. – Je les ponctue, Buckingham.


Sans quoi votre mélopée ennuierait
jusqu’à vos propres oreilles.
Regardez le public.
Il s’ennuie, Buckingham.
Si l’on exclut les premiers rangs que l’on paye,
les deuxièmes se tortillent d’embarras
jusqu’aux derniers qui profitent de l’obscurité
pour s’échapper.

– 43 –
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N’entendez-vous pas les portes grincer, Buckingham,


ou bien est-ce votre pensée qui lorsqu’elle ressasse
émet ce petit couinement rouillé ?
LA MUSIQUE, BUCKINGHAM.
Un discours sans musique
est une montagne dont on a rasé l’éminence.
Décrit-on un sommet
avec le lexique de l’étang ?
LA MUSIQUE.
Le roulis érotique
qui chavire la conscience
et dégage d’une voix vicieuse
la culotte du message.
SOYEZ SENSUEL.
Pelotez l’oreille interne.
Échauffez la raison.
Des accélérations brèves.
Des refrains langoureux.
SOYEZ UN APHRODISIAQUE, BUCKINGHAM.
Massez susurrez.
Débraillez-vous.
Sortez votre langue.
Exhibez-la.
Qu’elle ondule émoustille
et détourne de vos formules pouilleuses
l’attention subclaquante
d’un public raréfié.
ÉBAHISSEZ-LE.
On ne culbute avec passion
que ce qui s’offre par surprise.
EXCITEZ, BUCKINGHAM.
La danse du ventre.
Faites croire à la population
qu’elle a besoin de vous.
Rappelez à l’enfant qu’il a besoin d’un père.
Un père désirable au ventre plat
lorsqu’il retient sa respiration.
Sans quoi votre discours
n’aura pas plus de saveur

– 44 –
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qu’un filet de sel allégé


dissous dans la mer morte.

BUCKINGHAM. – C’est tout ?

RICHARD. – Pour ce soir oui.

BUCKINGHAM. – Voilà un bien piètre conseiller


pour les questions d’érotisme.

RICHARD. – La sensualité ne s’enseigne pas.

BUCKINGHAM. – Perdre la voix


vous a rendu aigre, Richard.
Vous mordez maintenant sans discernement
et l’absence de dents rend l’exercice pathétique.

RICHARD. – Je n’ai jamais été qu’aigreur, Buckingham,


et effectivement je n’ai plus de dents.
Les gencives suffisent pour l’époque.
Je me retire.
Et n’oubliez pas de parler d’économie.
Une litanie chiffrée rend muette
n’importe quelle meute aboyante.
Et pour vous qui en manquez,
elle offre cet ersatz d’intelligence
propice au silence des foules.

BUCKINGHAM. – Hélas, je n’ai aucune notion.

RICHARD. – D’intelligence, je sais.

BUCKINGHAM. – D’économie.

RICHARD. – À quoi bon.

– 45 –
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III
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RICHARD. – J’aime me balader avec vous,


ces parterres de fleurs ––

NORFOLK. – Nous sommes en hiver, elles sont mortes.

RICHARD. – Plus belles encore.


Aujourd’hui de l’humus. Demain du pétrole.
J’imagine déjà de belles maternités
avec des petites couveuses
pour vos bébés raffineries.

BUCKINGHAM. – J’envisage de construire ici


un centre commercial.

RICHARD. – Des bébés raffineries


avec un cercle bienveillant
de mignonnes dictatures
à leur chevet.

BUCKINGHAM. – Le peuple a besoin de temple.

RICHARD. – Ou alors une décharge.


On pourrait l’appeler La Huitième Merveille.
Il faut penser à l’avenir.
Une déchetterie colossale
pour célébrer votre grandeur.

BUCKINGHAM. – Un centre commercial


en forme de pyramide
avec quatre arêtes saillantes
pour que s’épanouissent des bouquets
de caméras de surveillance.
Nous pourrons passer commande à des artistes.

– 49 –
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RICHARD. – Qu’en pensez-vous, Anne ?

NORFOLK. – LE GUIZEH-DROME.

RICHARD. – Pourquoi pas un joli cimetière.


C’est beau les cimetières.
Les enfants viendraient y jouer.
Au centre, entre les barbelés,
on y enterrerait des crèches.

BUCKINGHAM. – Trop d’entretien.


N’oubliez pas les décharges.

RICHARD. – Qu’en pensez-vous, Anne ?

NORFOLK. – Buckingham Palace ?

RICHARD. – C’est inattendu, Norfolk.

NORFOLK. – Ou Pharaon’s Park.


Ça jette.

RICHARD. – Une usine pour organes humains ?


Je me verrais bien avec des couilles nigérianes,
un rein mexicain,
un implant mammaire russe
et de la cornée australienne.
L’époque n’est-elle pas au métissage ?
Quelle plus belle preuve d’amour
envers son prochain ?

NORFOLK. – Avec de belles colonnes doriques.

BUCKINGHAM. – Réservons les colonnes doriques


pour les sièges sociaux et les banques.

NORFOLK. – Même en trompe-l’œil ?

BUCKINGHAM. – Surtout en trompe-l’œil.

– 50 –
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NORFOLK. – J’adore les trompe-l’œil.

RICHARD. – Ou encore de prestigieuses prisons.


Avec d’immenses vitres blindées
pour symboliser la liberté.
Le soleil y reflèterait votre splendeur.
Il suffira d’organiser des concours.
Les architectes se battront
pour construire en centre ville.

BUCKINGHAM. – Ce ne sont pas les geôliers


qui financent notre campagne, Richard.

RICHARD. – C’est vrai,


où donc avais-je l’esprit ?
Alors peut-être un charnier ?
Notre économie en raffole.
Qu’en pensez-vous, Anne ?
Anne ?

– 51 –
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ANNE. – L’auteur m’a envoyé un message cette nuit.


Il y annonce son suicide.
Un temps.
Souhaitez-vous que je répète ?

BUCKINGHAM. – Richard est incontinent, pas sourd.

RICHARD. – Merci, Buckingham.

NORFOLK. – Son suicide ?

ANNE. – Son suicide.

RICHARD. – Sage décision.


A-t-il donné une raison ?
Les auteurs s’épanchent volontiers sur leur vie dont ils
rejettent la médiocrité sur des metteurs en scène surpuis-
sants ou des acteurs aux abois pourtant prêts à n’importe
quelle bassesse pour ne pas crever de faim, faites-voir.

ANNE. – J’ai mangé la lettre,


patientez quelques heures.
Sachez seulement qu’il affirme en avoir marre d’écrire
sur toute cette boue du pouvoir, qu’il ne gagne pas assez
d’argent, qu’il souffre de manque de reconnaissance et
par un lien de causalité tout à fait louable, il souhaite
mettre un terme à ses jours.
Je résume en purgeant les larmes et les plaintes,
car effectivement, il se répandait sans pudeur
sur son sort consternant.

BUCKINGHAM. – A-t-il précisé la manière ?


Qu’au moins un peu de panache
vienne conclure son naufrage ?
Qui sait, cela pourrait relancer nos carrières ?

NORFOLK. – Les pendaisons restent très romantiques.

– 52 –
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BUCKINGHAM. – Deux balles dans la nuque.


Certains jeunes révolutionnaires
y parvenaient très bien
dans les quartiers de haute sécurité allemands.
Une belle dextérité il faut avouer.
La fougue de la jeunesse.

RICHARD. – L’auteur n’est plus


un jeune révolutionnaire allemand, Buckingham.

BUCKINGHAM. – Dommage.

NORFOLK. – Alors comment compte-t-il s’y prendre ?

ANNE. – Il a décidé de devenir trader.

RICHARD. – Pardon ?

ANNE. – Je croyais que vous n’étiez pas sourd.

NORFOLK. – Trader.

BUCKINGHAM. – Nous avons sous-estimé son désespoir.

RICHARD. – Il n’y a rien à tirer des auteurs.

NORFOLK. – Que veut dire Trader ?

ANNE. – Rien.
Vous nous quittez, Buckingham ?

BUCKINGHAM. – Je sors uriner.


Je ne vous invite pas, Richard.

RICHARD. – La transition est brutale.

NORFOLK. – Buckingham ne pouvait-il pas y aller


avant la représentation ?

– 53 –
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ANNE. – Est-ce encore vraiment une représentation ?

NORFOLK. – Mais sans auteur


comment justifier notre présence ?

RICHARD. – Il vous faudra improviser, Norfolk.

– 54 –
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…*

____
* Note de l’éditrice. Extrait d’une note laissée par l’auteur et retrouvée
par erreur. « Ce serait cool ici de laisser place à une improvisation... Or
qu’est-ce qu’une improvisation ? De quelle nature est cette liberté
lorsque le cadre fictionnel se délite et qu’une scission s’amorce entre
comédiens et personnages ? Qui s’empare de cette liberté ? Le person-
nage ou l’acteur ? Est-ce réellement une liberté ? Le personnage peut-il
improviser ? Il serait normal qu’un texte abordant la question du pou-
voir interroge la liberté d’action des personnages une fois leur partition
disparue. Or l’action du pouvoir s’ordonne à l’intérieur d’un cadre où
toute improvisation est sabotée par la hiérarchie, la déférence et le rabot
surpuissant de la communication.

– 55 –
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L’impossible improvisation des personnages relevée, ne reste au plateau


que la liberté du corps des acteurs pour tenter cet écart. Ce sera même
ce qui les lie aux personnages qui devra s’improviser, au moment précis
où la pièce s’ouvre sur la faille du réel, l’absence supposée de texte écrit.

Les acteurs incarnant Richard et Buckingham, conscients de cela, refa-


çonnent leur jeu afin de trouver de nouveaux appuis pour la suite de la
pièce. Plutôt circonspects, ils se jaugent, s’évaluent, n’osant pourtant
complétement opérer la bascule dans le jeu libre, c’est-à-dire libérateur,
hors la peau cuirassée du personnage. Ils opteront plutôt pour la perfor-
mance individuelle, le tic. Très égotiques, vieilles stars autoproclamées
d’un casting pourtant fastidieux, chacun cherchera à tirer la couverture
à soi. À l’hiver de sa vie, comment décrocher quelques critiques consen-
suelles, un ultime titre honorifique pour se faire reluire avant le caveau,
laisser à une descendance ingrate les honneurs fétides d’une carrière
que l’histoire s’empressera d’oublier sitôt le trou rebouché, les cendres
évacuées. On espère juste qu’en vieux routards de la scène, ils contien-
dront le cabotinage dans des limites décentes.

L’acteur jouant Norfolk, dont la bêtise élime jusqu’aux mailles les plus
intimes de son jeu, se révèle incapable de basculer dans l’improvisation.
Sans invention, il perpétue la ligne amorcée par le texte absent, cherche
dans son ombre des appuis rassurants, opte pour l’image fantôme, la
réminiscence. Norfolk reste interdit. Perdu dans son texte, il l’est encore
plus sans texte. Norfolk reproduit. L’acteur jouant Norfolk reproduit. Le
pouvoir comme sa représentation n’invente plus rien.

Anne enfin tentera de s’appuyer sur les éléments grossièrement esquis-


sés de son personnage pour les tirer jusque dans sa chair d’actrice. Elle
perd peu à peu l’armure sociale et clinquante du pouvoir, se délarde
d’un maintien forcé, de sa puissance de fascination pour proposer au
regard des spectateurs un corps peut-être plus juste, moins réglemen-
taire. Tendre un miroir fêlé. Une fenêtre.
Qu’est-ce qu’une vieille actrice sur scène ? Comment articuler le corps
d’une femme à celui de trois hommes ? Qu’est-ce qu’un corps sur
scène aujourd’hui ? Peut-on encore le représenter à l’heure où l’image
l’enferme et le déploie sans distance sur des écrans ? À son âge, si elle se
dénude, est-ce de l’érotisme ou de l’obscénité ? Que joue-t-on lorsque
l’on cesse de jouer ? N’est-ce pas quitter une représentation pour une
autre ? Improvisera-t-elle avec son corps d’actrice ou avec l’image de son
corps ?

Seul point commun à toutes ces tentatives d’improvisation, la vieillesse


marquera plus profondément les visages, fera peser sur eux/elle la
fatigue du jeu, d’un siècle, d’une époque, quand toute fiction pèse
et semble coupable de trahir le réel. Mais quel réel ? Et comment le
percer ? La vieillesse est sans subterfuge. La ride est son couteau. Privée
d’avenir, elle tranche sans remord. Le flirt avec la mort la rend sauvage.
Elle cesse d’être un naufrage. Elle engloutit l’océan. Elle noie la scène. »

– 56 –
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NORFOLK. – L’auteur est mort, vous êtes sûre.

ANNE. – C’est écrit.

RICHARD. – L’écriture n’est plus gage d’autorité.

ANNE. – C’est une pièce officielle.

BUCKINGHAM. – Le droit non plus.

ANNE. – Longtemps les œuvres ne furent pas signées.


Cela calmait les carrières.

NORFOLK. – On va enfin pouvoir parler de sexe ?

ANNE. – La ferme, Norfolk.

NORFOLK. – J’ai toujours rêvé


de vous ouvrir les cuisses
et d’y plonger ma grosse ––

ANNE. – Je sais.

NORFOLK. – Vous savez.

ANNE. – Vos rêves sont bruyants


et votre regard déforme, Norfolk.

NORFOLK. – Alors on pourra être racistes ?

RICHARD. – Si ça peut vous soulager.

NORFOLK. – JE HAIS LES NOIRS.


J’ai toujours haï les noirs. Pas autant que les chinois
bien sûr, mais assez pour applaudir des deux mains tout

– 57 –
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frémissement génocidaire et les famines photogéniques,


je les hais presque autant que les arabes c’est dire, non
que je répugne à la rapine et à la paresse, mais au-delà de
nos frontières, avec de préférence un cimetière maritime
entre eux et moi, or l’arabe est un défi à l’humidité fron-
talière, vous le croyez chez lui il sèche dans vos cités,
différent en cela du juif qui excelle à l’étanchéité, rien
n’est plus étanche que le juif, nous en convenons tous,
même s’il partage avec l’arabe cette consternante fasci-
nation monothéiste, LE JUIF EST ÉTANCHE, il se condense
seul, avec cette supériorité imperméable que seul lui
dispute le chrétien, dont pourtant la veulerie n’est plus
à prouver, ni sa propension missionnaire sordide où
l’étendard pédophile pourtant largement maculé colle à
sa robe comme l’arrogance au canon viril d’un colon
européen, je ne hais rien de plus que la suffisance du
colon mâle occidental, elle mérite seulement de crever
sous invasion chinoise, et rien que de savoir que j’en suis
un ––

RICHARD. – Un chinois ?

NORFOLK. – Un européen.

RICHARD. – Excusez-moi.

NORFOLK. – Et rien que de savoir que je suis un européen,


c’est simple, lorsque que je passe devant une glace, je me
crache dessus.

RICHARD. – Un temps.
Vous prendrez bien du café, Anne.

ANNE. – Volontiers.

RICHARD. – Je ne vous en propose pas, Buckingham.


Je suis si maladroit qu’à chaque fois je vous brûle.
Allez comprendre.

– 58 –
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BUCKINGHAM. – Merci pour votre délicatesse.

RICHARD. – Je vous en prie.


Du sucre, Anne ?

ANNE. – J’ai arrêté.

RICHARD. – Sage décision, à nos âges.

ANNE. – Je suis encore jeune.

RICHARD. – Du lait ?

ANNE. – Un cumulus.

BUCKINGHAM. – Cochonne.

RICHARD. – Le cumulus est un nuage, Buckingham.

BUCKINGHAM. – Je sais, un gros.


Cochonne.

ANNE. – À la différence du cirrus dont l’ordinaire filandreux


empêche toute comparaison avec le mélange compact du
lait dans le café.

RICHARD. – Vous me dites stop, Anne.

ANNE. – C’est parfait.


Il vous reste du café ?

RICHARD. – Bien sûr.


Encore ?

BUCKINGHAM. – Un stratus eut été plus adapté je pense.

ANNE. – Pour teinter le lait, merci.

NORFOLK. – Dites.

– 59 –
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BUCKINGHAM. – La conjonction fortuite entre l’étirement


filaire et l’amas compact, si semblable au lait lorsqu’il
s’agite dans le café avant l’amalgame fatal.

RICHARD. – Vous voilà si poétique, Buckingham, j’ai presque


envie de vous servir.

BUCKINGHAM. – Non merci.

NORFOLK. – Dites.

RICHARD. – Voilà, Anne.

ANNE. – C’est parfait.

NORFOLK. – Sil vous plaît.

BUCKINGHAM. – Ou alors un strato-cumulus.

ANNE. – Je reconnais bien là votre penchant servile pour


le consensus, Buckingham.

BUCKINGHAM. – Cochonne.

RICHARD. – Allons allons, restons civilisés.


Offrons à cette pause délicate un peu de courtoisie
et laissons le dépeçage pour plus tard, voulez-vous ?

NORFOLK. – EH OH.

RICHARD. – Vous disiez, Norfolk ?

NORFOLK. – Pour mon monologue.

RICHARD. – Quel monologue ?


Ah, votre monologue.
Bravo, Norfolk.

ANNE. – Bravo, Norfolk.

– 60 –
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BUCKINGHAM. – Bravo, Norfolk.

NORFOLK. – Ça vous a plu ?

RICHARD. – Non.

ANNE. – Votre discours pue le rappel à la loi, Norfolk. Les


glissements sont convenus. Ils tentent grossièrement de
n’omettre personne, avec cette lâcheté prévisible du
retournement final pour éviter tout procès.
Peut-être eut-il fallu être plus exhaustif, mais je vous
concède qu’allonger votre monologue, déjà poussif, eut
été un frein efficace à la catharsis raciste. Pour haïr il faut
savoir être bref. Le temps de concentration réduit à la
tranche, sinon s’infiltre la réflexion. Certes la frustration
aide mais elle n’exauce pas tout.

RICHARD. – J’ai peur qu’Anne ait raison, Norfolk. Même


libéré du joug de la dictée, vous ne valez pas mieux que
l’auteur. Passer de l’arabe au juif est d’un ennui mortel. Si
au moins vous aviez glissé sur le perse pour remonter au
chinois, longeant ainsi les mythiques routes commerciales
et leur cortège grouillant de préjugés grossiers. Passer
du cuistre aryen au perfide han, éreintant au passage le
turkmène et l’indien, voilà qui aurait eu de la tenue.

ANNE. – Sans compter la sous-représentation européenne.


À vouloir peindre à gros traits
vous en oubliez la subtilité du détail.
Quid du polak ?

RICHARD. – Et le macaroni ?

ANNE. – Le froggy ?

RICHARD. – Le roastbeef ?

ANNE. – L’anarchiste ?

– 61 –
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NORFOLK. – Mais mon tempo à trois temps ?


J’ai pourtant particulièrement soigné les boucles ryth-
miques.

ANNE. – La surprise vient des ruptures, non des répéti-


tions, Norfolk. Même assénée, votre mesure n’est qu’une
sérénade infantile propice à l’endormissement. Dès la
seconde phrase, nous anticipons la suite, et le plaisir à
vous entendre dérouler l’argument s’estompe au profit
de l’ennui. Le style nuit au racisme. Vous n’empoignez
pas un procédé littéraire, vous vous couchez devant. Vous
invoquez l’orateur, ne convoquez que le banquier. Au
final, vous n’éclaboussez que vous-même.

RICHARD. – Ce que veut dire Anne, c’est que vous êtes un


abruti, Norfolk.

ANNE. – Je pense que Norfolk avait compris, Richard.

NORFOLK. – C’est vrai, j’avais compris.


Je vous remercie, Anne.

ANNE. – Avec plaisir, Norfolk.

RICHARD. – Soyez quand même rassuré.


La mécanique est fruste, mais reste une force.
Les abrutis finissent toujours par avoir raison.

NORFOLK. – C’était sincère.

RICHARD. – La connerie est sincère, Norfolk.


C’est même son unique qualité.
Sous la blague raciste
fulmine toujours le raciste.
Dommage, c’était votre seul monologue.

BUCKINGHAM. – Si je peux me permettre, je trouve que les


boucles fonctionnent bien. La paranoïa est efficace. Tant

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de noms prestigieux peuvent y être associés. J’aime parti-


culièrement le passage sur les arabes et les noirs. Je pense
en reprendre des éléments pour mon prochain discours.
Un peu d’histoire pose l’orateur.

NORFOLK. – Faites. C’est libre de droits.

ANNE. – Hélas.

– 63 –
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RICHARD. – Mettons que la jambe droite soit plus courte


que la gauche, plus courte disons d’un pied, avec un
genou droit situé au niveau de la cuisse gauche, de sorte
que de loin, pour l’observateur attentif, la confusion
lors de la marche avec un piston de taille humaine soit
totale.
Mettons que pour compenser l’effet piston et garder
l’équilibre on avance à cheval sur un trottoir, un trottoir
normal, réglementé, dont le dénivelé d’un pied semble
précisément conçu pour compenser le raccourcissement
de la jambe droite et donner convenance à la rythmique
pédestre, la jambe gauche plus longue que la droite donc,
en cela préposée au caniveau pour maintenir l’équilibre
et donner l’image de la normalité –– si tant est que mar-
cher à cheval sur un trottoir soit un gage de normalité,
mais le cheval rassure, l’observateur s’y trompera ––, la
jambe gauche plus longue d’un pied donc, flanquée
jusqu’à la cheville dans le caniveau rempli d’eau, il pleut
toujours en pareille situation, ça dévale en ruisseau et
c’est la gauche qui morfle, c’est toujours la première à
prendre l’eau, on a beau le savoir, beau l’anticiper, on
ne s’en convainc pas, c’est à gauche que ça coule d’abord,
car bien que plus courte, bien que dépendante, bien
qu’inutile avouons-le, la droite pendouille sans rehaus-
seur, la droite ne pense qu’au sommet, et malgré le
spectacle affligeant du pied gauche noyé sous la pluie
dans le caniveau, la droite sans compassion pour l’humi-
dité à bâbord reste sèche comme une matraque, elle
plastronne, tandis que la gauche se débat dans l’eau sale,
la jambe droite et son observateur, bien d’accord sur ce
point, s’en moquent comme de leur premier incident
nucléaire, tant qu’ils restent au sec sur le pont tout va
pour le mieux.
Mettons donc que l’on avance droit avec une entrée d’eau
à bâbord et qu’un passage piéton ou handicapé vienne
saper par un aplanissement soudain l’équilibre pluvieux

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de la marche, effaçant d’un trait égalitaire le trottoir haut


d’un pied, forçant ainsi au virage à droite, si mes calculs
sont bons, lorsque le sol s’enfonce ça vire à tribord,
morne plaine, triste échec, c’est mathématique, on se
mouille à gauche puis on s’échoue à droite, du moins
on y trouve un terme lorsqu’on a renoncé aux joies du
relief, mettons donc que l’on se mette à re-pistonner sous
l’effet du déséquilibre pour soudain heurter la passante
qui passe, il y a toujours une passante qui passe, les pas-
santes rôdent près des dénivelés, c’est honteux mais c’est
comme ça, une passante en parfait équilibre sur deux
jambes équivalentes, une passante ruisselante évidem-
ment, sans parapluie, avec deux pieds magnifiquement
rincés, on pourrait presque dire deux pieds gauches
tellement ils sont beaux, une passante au regard tout
aussi gauche et humide qui semble flotter juste avant
qu’on la heurte et répondant au doux nom d’Ophélie ––

ANNE. – Anne.
Vous avez terminé ?

RICHARD. – J’ai peur que Norfolk ait raison.


L’absence de texte soulève quelques problèmes.
Comment retrouver l’équilibre
sans trame pour nous rassurer
ni horizon pour s’y adosser.
Le pouvoir a besoin de certitudes.
Je crains que trop d’improvisations
nuisent à sa crédibilité
et nous jettent hors scène.

ANNE. – Le public s’est habitué aux histoires,


aux mensonges qu’elles cachent.

RICHARD. – Qu’est-ce qu’une pièce sur le pouvoir


sans platitudes assénées
ni grandiloquence surjouée ?
L’auteur n’a vraiment rien laissé ?

– 65 –
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ANNE. – Personne n’a jugé utile de fouiller.


Tout le monde désire profiter
du soulagement de sa disparition
sans y ajouter le risque de la déception.

RICHARD. – JE RIS.
Nous pouvons certes improviser, innover.
Nous pouvons même être
maigrement payés pour le faire,
mais inventer fait courir le risque
de précipiter vers le gouffre
une partition vieille et ressassée.
Partition qui rassure autant
les acteurs sans imagination
que le public venu se réconforter.
Sans auteur,
nous sommes lâchés sur scène
comme des chiens fous,
la gueule grande ouverte,
avec pour seule arme
nos aboiements bruyants pour couvrir
le silence des trous de mémoire.
Vraiment rien laissé ?

ANNE. – Des notes éparses.

RICHARD. – JE RIS.

ANNE. – Quelques feuilles froissées.


Je vous les lis ?

RICHARD. – JE RIS.
Au moment précis où Buckingham
tente, comme à son habitude,
avec ce retard mental dont il sait faire une force,
à l’heure où justement,
il s’entrevoit despote
et prépare dans la plus grande confusion

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des discours propres à abrutir


des cheptels perplexes de veaux exténués ––

ANNE. – « J’ignore où peut mener ce texte. »

RICHARD. – À l’heure où précisément


ignorant où mène mon monologue,
la litanie ringarde et démagogique de Buckingham,
pour faire passer la pilule de l’ordre,
prend la forme d’une colonne virile
d’où quelques slogans réchauffés
font mine de gicler.
Où du passé il rase la table.

ANNE. – « Le fascisme ne reviendra pas dans un bruit de


bottes. »

RICHARD. – VOILÀ QU’ON SE FICHE DES BOTTES.


Je ris.
Les mêmes slogans pourtant.
Rudimentaires comme des pensées d’héritiers.
Suffisants pour relancer des destins.
Car au fond à quoi rêvent les despotes ?

ANNE. – « Penser à acheter des couches bio. »

RICHARD. – MON ROYAUME POUR DES COUCHES BIO.


La sécurité est la préoccupation principale
des despotes.
JE RIS.
La sécurité.
Avec peut-être.
L’amnésie.
Et l’éloge.

ANNE. – « Tenter de rendre Norfolk intelligent. »

RICHARD. – Impossible.
JE RIS.

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Anne, tout pouvoir à besoin d’un clown


dont la contraction d’esprit
dilate par balancier
l’intelligence monocellulaire
du tyran.
JE RIS.
Tyran qui peut ainsi tranquillement
prospérer sur des affirmations brutales
assénées comme des gifles
à un peuple mortifié,
joue droite joue gauche,
c’est biblique,
sans craindre l’incohérence.
LA COHÉRENCE EST UNE LUBIE DÉMOCRATE.
Voilà ce vers quoi cette pièce aurait dû tendre.
Voilà ce sur quoi l’auteur,
s’il n’avait pas été lâche,
aurait dû s’appuyer.
LA PROFESSION DE FOI DU DESPOTE.
Or qu’affirme le despote ?

ANNE. – « Il n’y a pas de violences policières. »

RICHARD. – Je ––
Il a écrit ça ?

ANNE. – Je plaisante.
Je pars, Richard.

RICHARD. – Déjà.

ANNE. – Nous arrivons bientôt au terme de la partie III.


Depuis longtemps déjà, je suis lasse.
Obligée de participer à un jeu
qui ne m’excite pas.
Je pars.
La scène suivante est bâclée.
Les combats de coqs me consternent.
Un spectacle accablant, et vous l’avez dit, dépassé.

– 68 –
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Je n’ai pas l’énergie d’entendre.


Encore moins d’écouter.
Je touche mon cachet
et je disparais.

RICHARD. – Je refuse.

ANNE. – L’auteur l’a écrit.


« Je disparais. »

RICHARD. – Il faut se méfier des auteurs.


Peut-être un petit verre après ?

ANNE. – J’ai dit adieu, Richard.


Je pars rejoindre le public.

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BUCKINGHAM. – La peur.
La peur est un chaudron élastique
dans lequel peut être dissous,
en instillant les ingrédients bien choisis,
n’importe quel peuple,
n’importe quel opposant.
La peur est un chaudron immense
dont la circonférence peut s’étendre
des murs d’une chambre d’enfant
aux frontières bâclées d’un pays.
Elle contamine la jeunesse
jusqu’au plus rampant des vieillards.
Rien de plus compassionnel que la peur.
La peur est un chaudron si vaste
que l’infini peut s’y voir stoppé net.
Si nous maîtrisons la cuisson
selon le temps de macération voulue,
nous gouvernerons assez longtemps
pour qu’il soit impossible à l’avenir
de savoir quel goût avait l’espoir avant.
Voyez-vous, Norfolk, le mieux serait de convoquer une
menace. Une menace indistincte, tenace, tapie comme il
se doit dans l’ombre, invisible au regard, si insaisissable
qu’elle ne pourrait avoir que les traits qu’on lui donne.
Nous prendrions alors plaisir à la peindre, lui inventer un
visage hideux et changeant aux desseins malveillants.

NORFOLK. – Invasion.
Cyclone.
Pandémie.
Guerre.
Réchauffement.
Attentat.
Émeutes.

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Terrorisme.
Gauchisme.

BUCKINGHAM. – Pourquoi pas attentats effectivement.


De jolis attentats sanglants.
Pour souder le peuple
et le maintenir gelé.
Quelle plus belle preuve d’amour
qu’un père soignant les blessures
qu’il provoque à l’enfant.

NORFOLK. – Le mieux sera peut-être


de laisser l’enfant dans l’ignorance.

BUCKINGHAM. – Même accidentelle,


votre sagesse m’effraie, Norfolk.

NORFOLK. – Toutes mes excuses.

BUCKINGHAM. – Nous resterons modestes.


Préparons avec soin la catastrophe.
Et tirons bénéfice des plaies
avec charité et dévouement.

NORFOLK. – En maintenant des coupes franches


dans les budgets.

BUCKINGHAM. – Évidemment.

RICHARD. – C’est dans votre programme ?

BUCKINGHAM. – Est-il besoin de tout développer


dans un programme, Richard ?
N’ennuyons pas les électeurs
avec des détails techniques.

RICHARD. – Buckingham,
j’ai souvent été loyal envers vous
et vous avez toujours pu compter
sur mon indéfectible mépris.

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BUCKINGHAM. – Je vous en suis gré, Richard.


Le ciment d’une longue inimitié.

RICHARD. – Mais à vous entendre


–– lorsqu’hélas cela m’arrive ––
vous hissez le vertige de la saloperie
à son plus haut niveau.
Je suis en mesure de dire aujourd’hui
que vous agrémentez notre longue inimitié
d’un nouveau sentiment.

BUCKINGHAM. – Vous piquez ma curiosité, Richard.

RICHARD. – Tu me dégoûtes.

BUCKINGHAM. – RICHARD CHUTE ENFIN DU HAUT DE SON VOUVOIE-


MENT.
Vous me flattez.

RICHARD. – Et je peux te le dire maintenant, Buckingham,


tu as toujours joué comme un porc. N’endossant un
personnage que pour furtivement quitter l’autre, confon-
dant mimique et inspiration, incarnation et récitation,
courant hors d’haleine après des rôles borgnes et n’usant
d’artifice
que pour ta propre ascension,
heureusement limitée.
Tu consternes la représentation et ses promesses.
Rien de plus honteusement insignifiant
que Buckingham.
Le cinéma te rejette, le théâtre te méprise.

BUCKINGHAM. – Les banques m’adorent.

RICHARD. – Les banques mordent.


Tu confonds.

BUCKINGHAM. – Richard, l’immense Richard


n’est plus qu’une étoile sans éclat.

– 72 –
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Où est passé le cynisme


qui fit briller l’imposteur
jusque sous les jupes d’Anne ?

RICHARD. – Je suis cynique par désespoir.


Tu l’es par ambition.
Y compris celle
consistant à vouloir se passer d’un texte
pour tenter par la ruse de l’écrire toi-même.
Une partition essoufflée jusqu’à la nausée
qui ne fait plus frémir
que les plus séniles des jeunes loups.
J’aurai dû me méfier.
L’ordure a pris le dessus sur le mauvais comédien.
Tu ne fais rire personne.
Derrière le masque, la moisissure.
Je regrette déjà tes lamentations.

BUCKINGHAM. – Tu plastronnes encore, Richard.


Cabotines pour masquer le vide de tes répliques.

RICHARD. – L’auteur s’est suicidé.


Il n’y a plus de répliques.

BUCKINGHAM. – Je grandissais mal


à l’ombre d’un arbre mort.
Vous laissez enfin passer la lumière, Richard.
Je souhaite changer la terre et m’épanouir
sur un sol que j’aurai labouré seul.
C’est moi qui me présente.
Pourquoi ne pas en profiter ?
Si le peuple me réclame.
Je n’ai plus de texte, parfait.
Avec ou sans dieu,
il est temps de saisir ma chance.
J’écrirai seul la suite.

RICHARD. – Nous connaissons tous la suite.

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IV
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ANNE. – Richard arrive vêtu d’une robe fourreau, avec la


fausse assurance d’un homme persuadé d’incarner une
nature féminine, mais ignorant les modalités répressives
du tissu et sa force de confinement.
Peut-être eut-il simplement fallu qu’il la porte sur le
dos, comme un vieillard décharné trimballe un sac empli
d’années, rendant ainsi à la robe sa réalité de peau. Taillée
pour la concupiscence, non pour les os. Impropre à la
marche comme au confort. Mais Richard en est incapable,
tout occupé à satisfaire son propre désir, à l’intérieur
d’une étoffe vécue comme simple prétexte à jouir. Richard
est un chasseur. Il ne s’imagine proie qu’avec la délec-
tation du tueur. Comment pourrait-il imaginer sa victime
autrement que désirée par lui, épanouie par son regard
qui seul lui donne réalité.
Voici venir Richard vêtu de sa propre nudité. Ou devrais-
je dire de sa propre nullité. Et c’est un spectacle obscène
de le voir tortiller du cul pour se faire bander, masquer à
coups d’ondulations forcées toute année de trop pour
une femme, grimé comme un cadavre, avec l’amour
indéfectible du taxidermiste pour la dépouille qu’il
compte fourrer.

RICHARD. – Je ris.
Vous disiez, Anne ?

ANNE. – Didascalie.
Pourquoi êtes-vous habillé de la sorte ?

RICHARD. – Je ris.
Ils ne sont pas allés voter.
Je ris.
Ils sont restés chez eux.
Je ris.
Ils avaient de beaux programmes.

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Usinés par les plus fins algorithmes.


Je ris.
Ils parlaient même d’avenir et d’espoir.
DE RÉPRESSION EN COULEUR, ANNE.
Je vous ai cherchée si longtemps.

ANNE. – Dix minutes.

RICHARD. – Arrivé au pouvoir,


Buckingham est devenu fou.

ANNE. – Je croyais que le peuple


n’était pas allé voter.

RICHARD. – Buckingham a dû se déplacer.


L’histoire aurait voulu que ce fut moi l’élu,
mais le titre de la pièce est trompeur.
Le prétendant usurpe le costume du maître.
BUCKINGHAM A CRU CE QUE JE LUI AI DIT.
Le voilà régnant sur un ossuaire
auquel il tente de donner des ordres.
Danse macabre.

ANNE. – Ne souhaitiez-vous pas une dictature ?

RICHARD. – J’en parlais pour distraire.


Pas pour l’instaurer,
encore moins la subir.
La différence est de taille
lorsqu’enfermé dans la cave d’un commissariat,
on a les couilles branchées au secteur
et pas le doigt sur l’interrupteur.

ANNE. – Belle rime.


Je reconnais le lettré.

RICHARD. – ILS M’ONT ÔTÉ MES COUCHES, ANNE.


Même Norfolk fut torturé.
Nous partagions le même tabouret.

– 78 –
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ANNE. – Un trône enfin à votre taille.


Qu’avait donc Norfolk de si important à avouer ?

RICHARD. – Rien, évidemment.


L’électricité servait juste à le faire taire.

ANNE. – Voici donc notre héros en victime. Ou devrais-je


dire héroïne. Voici Richard pour la première fois de sa
vie installée malgré elle sur un siège trop étroit pour son
cul. La voici découvrant derrière l’enflure du reflet l’autre
face moins conciliante du miroir. La voici nue, ou plutôt
dénudée comme un câble de gégène. Il est affligeant
d’avoir attendu une mise sous tension pour admettre
l’existence d’un monde plus vaste que votre nombril.
J’applaudirais presque si je ne me méfiais pas autant. J’en
rirais presque sans crainte de la nausée.

RICHARD. – Est-ce une déclaration d’amour ?

ANNE. – Pas encore. Je connais les promesses de l’élec-


tricité et ses effets relatifs sur la prise de conscience. Le
courant alternatif n’est hélas pas continu. Mais j’admets
qu’une certaine pitié m’empêche de vous piétiner. Vous
pouvez la considérer comme une preuve d’amour. Vous
êtes sale.

RICHARD. – L’errance de friches en ruines.


Par bonds exténués,
fleuri de brimades,
de contrôles agressifs
et d’humiliations.
Jusqu’à cette ville pour vous retrouver.

ANNE. – Nous ne sommes pas en ville.

RICHARD. – C’est vrai, aucune présence policière.


Où sommes nous ?
Pas d’avenues. Qu’achètent donc les gens ?
Pas de palais. Qu’admirent donc les gens ?

– 79 –
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ANNE. – Rien.
Nous sommes à l’écart des parcs d’attraction où fortui-
tement la vie ouvre une gueule plus grande qu’un
mensonge. À distance de sécurité des urbanistes et des
caméras. Au point de contact de l’abandon et de l’oubli.
Ceux que l’on voit ici n’ont pas de compte à rendre aux
musées. Celles que l’on croise négligent le quadrillage.
Les murs sont devenus nos amis. Ils ne séparent rien et
se contentent de soutenir. Nous ne gardons que ceux qui
ont une fondation.

RICHARD. – Oh, des ruines.

ANNE. – Oui, des vraies.

RICHARD. – Voilà peint un ravissant tableau, Anne.


N’est-ce pas l’avenir que je vois poindre là,
dans le coin ?

ANNE. – Vos yeux aussi sont sales.


Le présent occupe tout l’espace, Richard.
L’avenir est un cadre inutile.
Le vôtre enfermait la toile et ternissait les couleurs.
Ces coupures, là, sur vos bras.

RICHARD. – Des marques d’attentions.


Quelques jets de pierres.
Deux trois pincements.
Diverses morsures.

ANNE. – C’est heureux.


Vous aviez le bras si long
qu’il vous était impossible d’éprouver
les sensations du toucher.
Vous connaissez désormais la distinction
entre une caresse et une gifle.
Vous souffrez j’espère.

RICHARD. – Oui.

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ANNE. – Réjouissez-vous.

RICHARD. – Puis-je m’approcher ?

ANNE. – Non. Vous corrompez vite.

RICHARD. – Je ne frapperai pas.

ANNE. – Évidemment, sinon je tranche


ce qu’il reste à trancher.
Et j’ai peur que cela prenne du temps à trouver.

RICHARD. – Je n’ai jamais touché.

ANNE. – Vous avez brisé.

RICHARD. – Jamais caressé.

ANNE. – En aviez-vous l’envie ?

RICHARD. – Peut-être, si j’avais eu une peau.

ANNE. – RICHARD, LA PITOYABLE MONSTRE


CHERCHE ENCORE À ÉMOUVOIR.
Est-ce une voix que j’entends
ou son écho perdu dans un puits sec ?

RICHARD. – Buckingham est devenu fou.

ANNE. – Buckingham est un dictateur.

RICHARD. – Buckingham se croit dieu.

ANNE. – Buckingham vous ressemble.

RICHARD. – Buckingham confond fiction et réalité.


Il se prend pour son personnage.
Prend la forme de son costume
et s’invente une autorité
que même l’auteur a rejetée.

– 81 –
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ANNE. – L’auteur s’est suicidé.

RICHARD. – Il a laissé aux faibles d’esprits


la croyance qu’un rôle
pouvait être supérieur à tous les autres.

ANNE. – Vous êtes jalouse.

RICHARD. – Je suis à vos côtés.

ANNE. – Un second rôle.


Buckingham règne sur un cimetière
mais les tombes sont vides.

RICHARD. – IL DONNE DES ORDRES AUX STÈLES, ANNE.

ANNE. – Vos morts sont venus se réfugier ici.


Ils ont plutôt bonne mine.

RICHARD. – Ils ont fui la ville.

ANNE. – Seulement les lieux de pouvoir.


Parlez-moi de Buckingham.

RICHARD. – Parfois il insulte un chat, dialogue avec des


corneilles et taggue des épitaphes sur des tombes célèbres
en guise de Constitution. Le matin il joue de la flûte dans
la cour du palais suivi par des valets aux visages peints
en cul. Le soir il fait la poussière des marches du perron
puis se fait porter des miroirs qu’il caresse furieusement.
J’imagine qu’il se fait aussi régulièrement retendre la peau
au coin des yeux pour ne pas que ça boulotte.

ANNE. – Que s’est-il passé ?

NORFOLK. – LE PEUPLE A DISPARU.

RICHARD. – Norfolk ?

– 82 –
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ANNE. – Il s’agit du flash-back.

BUCKINGHAM. – J’AI DÉCIDÉ DE ME PRÉSENTER.

ANNE. – Nous en sommes plus loin, Buckingham

RICHARD. – JE RIS.

NORFOLK. – LE PEUPLE A DISPARU, BUCKINGHAM.

BUCKINGHAM. – On s’en fout.


Que disent les sondages ?

NORFOLK. – Le peuple a disparu.

BUCKINGHAM. – On s’en fout, que disent les écoutes ?

NORFOLK. – Le peuple a disparu.

BUCKINGHAM. – On s’en fout.


Que disent nos amis dictateurs ?

NORFOLK. – Le peuple a ––

BUCKINGHAM. – JE RIS.

RICHARD. – Il ment, c’est moi qui riais.


JE RIS.

BUCKINGHAM. – Avez-vous fouillé partout ?


Retourné les caves ?
Vidé les égouts ?
Sondé les prisons ?

NORFOLK. – Le peuple a ––

BUCKINGHAM. – J’AI ENTENDU, NORFOLK.


Ai-je gagné ?

– 83 –
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RICHARD. – JE RIS.

NORFOLK. – Oui.

BUCKINGHAM. – ALORS POURQUOI M’IMPORTUNER


AVEC CETTE LUBIE DE PEUPLE.
Champagne.

RICHARD. – JE RIS.

NORFOLK. – Le peuple a pourtant disparu.

BUCKINGHAM. – Sortons nos plus belles coupes.

NORFOLK. – Volatilisé.

BUCKINGHAM. – Savez-vous que les coupes procurent plus


de plaisir que les flûtes ?

NORFOLK. – Aucune trace sur aucun écran.

BUCKINGHAM. – Les commissures des lèvres,


hautement érogènes,
s’enflamment au contact du cristal
et démultiplient la jouissance
lors de l’absorption.

NORFOLK. – Les villes comme des déserts.

BUCKINGHAM. – Plus le visage est ferme,


plus les commissures sont sensibles.
Un plaisir intense.

NORFOLK. – Aucune queue devant les magasins.


Des rues vides.
Des poubelles qui dégorgent d’emballages.
Vides eux aussi.

BUCKINGHAM. – J’apprécie les beaux emballages.


Un champagne sans coffret

– 84 –
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est comme une loi sans matraques.


Personne n’y prend garde.
Je débouche ?
Il faut savoir prendre soin des menus plaisirs
qu’offre la fonction suprême.

NORFOLK. – Une odeur pestilentielle


exhalait des bureaux de vote.

BUCKINGHAM. – Les grands crus


s’apprécient au fumet.
Déserte disiez-vous ?

NORFOLK. – Hormis quelques touristes.


Et la police.

BUCKINGHAM. – Les véritables amis sont rares.


Je ne vous propose pas de champagne, Richard.
Je suis si maladroit qu’à chaque fois
je vous verse dans mon verre.
Allez comprendre.

RICHARD. – JE RIS.

BUCKINGHAM. – À mes amis.


À LA VICTOIRE.
Que demander de plus ?

NORFOLK. – Le peuple a pourtant disparu, Buckingham.

BUCKINGHAM. – ALORS NOUS NOUS PASSERONS DE PEUPLE, NORFOLK.


Le temps d’en enfanter un
plus conforme à nos attentes.
Donnez-moi une feuille.
Je sens poindre l’inspiration.

RICHARD. – La suite n’offre aucun intérêt.

ANNE. – Merci, Buckingham.

– 85 –
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NORFOLK. – Et moi ?

ANNE. – La ferme, Norfolk.


Qu’avez-vous répondu, Richard ?

RICHARD. – Je me suis enfuie.


Puis-je rester avec vous, Anne ?

ANNE. – Je ne préfèrerais pas.

RICHARD. – J’abandonnerai mon rôle.

ANNE. – Le souhaitez-vous vraiment ?

RICHARD. – Cette robe me plaît beaucoup.

ANNE. – Cette robe n’est qu’artifice.

RICHARD. – Un artifice plus juste.


Je me sens bien ici.

ANNE. – La réciproque est fausse.

RICHARD. – Je veux rester parmi eux.

ANNE. – Tant que vous direz « eux »


Ce sera impossible.

RICHARD. – Laissez–moi une chance, Anne.


L’auteur s’est suicidé.

ANNE. – D’autres naissent ici.


Aucun rôle écrit pour vous.
Votre place est là-bas, Richard.

RICHARD. – Alors venez avec moi.


Ensemble nous serons plus fortes.

ANNE. – Je ne cherche pas à être forte.

– 86 –
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RICHARD. – Juste un peu.


Nous chasserons Buckingham du trône.
Réécrirons le texte ensemble.
Pourquoi pas une scène d’amour ?

ANNE. – Chasser qui ?


Un fantôme ?
Mais Richard, regardez autour de vous.
Ce n’est pas le peuple qui a disparu.

RICHARD. – Anne.

ANNE. – Quoi encore.

RICHARD. – Vous n’avez pas répondu, Anne.


Comment me trouvez-vous ainsi ?

ANNE. – Conne.

RICHARD. – C’est votre dernier mot ?

ANNE. – Oui.

RICHARD. – Je vous aime, Anne.

ANNE. – Je sais.

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BUCKINGHAM. – Richard, de retour.


Le voltage n’était pas suffisant ?

RICHARD. – Coupure de courant.


La bourreau avait trop foi en la technique.

BUCKINGHAM. – Une femme ?

RICHARD. – Nous sommes égales devant la panne.


Elle m’a offert cette robe pour m’enfuir.
Comment me trouvez-vous ?
Un temps.
Norfolk, mon ami.
Vous êtes vivant.
Si visqueux qu’il laisse même glisser l’électricité.

BUCKINGHAM. – Norfolk simulait.


Il n’était pas branché.

RICHARD. – Quelle belle image.

NORFOLK. – J’ai décidé d’aider Buckingham.

RICHARD. – La trahison faisait partie


de votre programme je crois.
Un pari finalement gagné.
PQ, le Parti Quelconque.
Vous pouvez être fier.

NORFOLK. – Dois-je y voir du sarcasme ?

RICHARD. – Seulement du mépris.


Je viens pour la cinquième partie.

BUCKINGHAM. – Je croyais qu’il n’y avait pas de cinquième


partie.

– 91 –
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QU’EST-CE QU’UN SPECTACLE


QUI NE RESPECTE PAS SES ANNONCES ?

RICHARD. – Mais le monde tient-il ses promesses, Buckin-


gham ?

NORFOLK. – L’auteur ne s’était pas suicidé ?

RICHARD. – Un petit suicide.


À l’image de son talent.
Les bourses effondrées, il a préféré revenir.

NORFOLK. – Ça ne tient pas debout.

RICHARD. – Vous voilà enfin lucide.


Rien ne tient debout.
Un monde chute.
Je viens pour son éclipse.
Où en étions-nous ?

BUCKINGHAM. – Le peuple a disparu je crois.

RICHARD. – Vous connaissez enfin votre texte.

NORFOLK. – LE PEUPLE N’A PAS REPARU, BUCKINGHAM.

BUCKINGHAM. – L’instauration d’une dictature,


délicate à mettre en œuvre sans corps à mater.

RICHARD. – Régner uniquement sur des chiffres


a ses petits désagréments.

BUCKINGHAM. – Le peuple devenu invisible,


j’ai choisi la peur pour le faire réapparaître.
En vain.
Provoqué tant d’attentats
qu’il ne me restait plus que mon propre palais
à faire sauter.

– 92 –
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NORFOLK. – Heureusement en trompe-l’œil.

BUCKINGHAM. – La ferme, Norfolk.

RICHARD. – Un peuple qui n’a plus peur


pose effectivement problème.
Un peuple qui n’adhère pas
pose effectivement un gros problème.
Un peuple qui disparaît pose effectivement ––

NORFOLK. – Un très gros problème.

RICHARD. – Bien vu, Norfolk.


Mais peut-on en vouloir au peuple ?
A-t-il disparu ou ne souhaitons-nous simplement
plus le voir ?
Peut-être nous tourne-t-il juste le dos.
Peut-être avance-t-il sans nous.
Il trotte loin devant avec ses petites fesses potelées
et se moque des avenues trop encombrées ?
Qu’avons-nous à lui offrir ?
Pantins sans âme, nous gesticulons
au milieu de décors publicitaires
masquant la réalité des coulisses.
Du vieux théâtre,
prévisible, aux recettes éculées.
Le texte est connu par tous.
Le jeu dépassé.
Les costumes ne sont plus qu’uniformes.
Le monde change.
Il a pris de l’avance sur nous.
Il rêve d’incertitudes.
D’horizons tapageurs et de désintéressement.
Regardez, je fus homme, je suis femme.
Tout arrive.

BUCKINGHAM. – Merci, Richard.


Je ––

– 93 –
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RICHARD. – Là, des ruines en carton


qu’un scénographe sans talent a jeté par fainéantise.
Si ça se trouve il sera même payé.
Ignore-t-il la compromission d’un tel geste ?
Sait-il que nous ne voyons que du carton ?
Qui avance au milieu de ces ruines, Buckingham ?
Une vieille actrice ou un vieux personnage ?
Un vieil acteur ou une figure démodée ?
J’ai le même âge que Richard.
Peut-être même l’ai-je dépassé.
De quelle voix suis-je l’écho ?
J’avance la faillite de mon corps
dans un personnage de fiction.
Mais le monde est aussi une fiction.
En renonçant à mon personnage
j’entre dans un récit plus vaste.
Quelques muscles semblent même réapparaître.
J’ignorais leur présence dans le thorax.
L’effet de tirants respiratoires
sur la modulation d’un poème.
J’ai traversé ce poème avec Anne.
Il n’a pas voulu de moi.
Tapis entre ses lignes,
j’en ai pourtant vu les promesses.
Lasse,
cette chair molle poussée au milieu de fausses ruines
titube désormais seule et sans personnage
devant des corps muets
en attente de conclusion.
J’AI VU DES MORTS REPRENDRE VIE, BUCKINGHAM.
Et s’il n’y avait pas de conclusion ?
Je ne rêve plus d’achèvement.
Ma fatigue m’en rapproche.
Mes pas m’en éloignent.
La vérité est que nos personnages
n’ont plus besoin de nous pour exister.
L’image semble leur suffire.

– 94 –
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Le pouvoir s’est réfugié dans son propre reflet.


Un reflet plus réel
que ses fantômes de chair.
Nous.
J’avance avec l’infinie lenteur du regret.
La tristesse a discipliné la respiration,
il n’y a plus de relais entre mon souffle et le vent.
J’avance avec la certitude que le jour se retire,
et malgré mes efforts pour l’empêcher de fuir
ne restent entre mes mains que des pages d’histoire noircies,
la clarté d’une marge blanche entre mes doigts.
Vague promesse d’improvisation.
Où loger l’espoir d’enjamber la nuit ?
Ce qui nous façonne a péri en nous.
Nous étions vase ne sommes qu’urne.
Le peuple n’a jamais disparu.
J’ai croisé beaucoup de visages.
Ceux qui ignoraient le mien m’offraient à manger.
Les autres me jetaient des pierres.
J’en suis arrivée à la conclusion
qu’il était supérieur d’être oubliable.
Supérieur de pas jouer un rôle
que plus personne ne vous demande de jouer.
Les gens réécrivent leur texte.

BUCKINGHAM. – J’écris le mien aussi.

RICHARD. – Vous l’écrivez seul.


Je ne crois plus en ce rôle.
Il me dégoûte.
Je veux vieillir sans fard.
Forcer la laideur
à redevenir belle.
La franchise d’une ride n’est jamais admirée.
On lui préfère le maquillage.
L’illusion d’une jeunesse dissimulée ou pire,
l’ultime révélation.

– 95 –
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Vera icona.
La véritable icône.
Je n’y vois qu’injustice.
Nul avenir pour les vieilles pierres.
À part l’adoration muette des vitrines de musées.
Quelques injections de béton
pour maintenir intactes les ruines
pour les touristes.
J’ai perdu mon personnage
sous des monceaux de visages.
Refaits.
Parfaitement.
À l’identique.
Savez-vous qu’il existe un angle réglementaire
de la gorge à la pointe du menton
pour réussir un portrait ?
Le visage ainsi relevé ne peut pas voir le sol.
Des galeries millénaires de portraits
ont la peau du cou tendu
mais ignorent la présence du sol.
Et toujours cette illusion tenace que leur regard
appelle notre complicité.
À nous, qui avons les pieds cramponnés sur terre.
À moi, qui n’ai plus la force de lever les yeux.
Mensonges.
Je veux redevenir toile.
Une surface sensible avant que la lumière
ne la noircisse.
Verum caro.
La véritable chair.
Il faut renoncer à jouer.
Il ne faut plus imiter.
Il faut brûler ce théâtre.

NORFOLK. – J’apporte un jerrican.

RICHARD. – C’est une image, Norfolk.

NORFOLK. – Toutes mes excuses.

– 96 –
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RICHARD. – Laissez quand même le jerrican.


Vous n’avez pas répondu.
Comment me trouvez-vous, Buckingham ?

BUCKINGHAM. – Un acteur sénile


dans un déguisement malencontreux.

RICHARD. – N’est-ce pas la réalité


d’un personnage nu ?

BUCKINGHAM. – Je continuerai sans vous, Richard.


Vos faux-fuyants ralentissent l’histoire.
Je souhaite la précipiter.
J’ai appris à me passer de public.
Les salles vides sont parfaites.
Les ruines ont une belle acoustique.
Elles offrent un écho suffisant.
Je jouerai pour moi-même.
Lors de la fête nationale,
je paraderai seul
au milieu d’applaudissements enregistrés
et déclamerai avec emphase
mes propres monologues.
Norfolk tiendra mon ombrelle.
Vous avez gardé mon ombrelle, Norfolk ?

Norfolk – Le soleil s’est retiré.


Buckingham,
la forêt bruisse alentour.

RICHARD. – Il ne s’agit pas d’arbres mais de banlieue,


Norfolk.

NORFOLK. – Elle s’approche en murmurant.


On dirait un chant.

RICHARD. – Les morts se relèvent.

NORFOLK. – Parmi la foule, Anne.

– 97 –
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RICHARD. – Anne, chère Anne.


A-t-elle des allumettes ?

BUCKINGHAM. – Déjà la fin ?


Je ne terminerai pas
sans mon monologue.

NORFOLK. – LE PEUPLE REVIENT, BUCKINGHAM.

BUCKINGHAM. – Mon texte.


Je dois lire mon texte.
DONNEZ-MOI MON TEXTE, NORFOLK.

NORFOLK. – LE PEUPLE EST RÉAPPARU, BUCKINGHAM.

BUCKINGHAM. – LE TEXTE DE MON MONOLOGUE FINAL, NORFOLK.

RICHARD. – Le crépuscule se lève, Buckingham.


Regardez, nos ombres s’allongent.
Voilà qu’elles recouvrent la scène.

BUCKINGHAM. – MES DÉCOMBRES POUR UN MONOLOGUE.

RICHARD. – C’est l’heure.

NORFOLK. – Buckingham.

RICHARD. – Anne est de retour.

NORFOLK. – Anne.
Avec des allum ––

ANNE. – La ferme, Norfolk.


Un temps.

RICHARD. – Buckingham cherchait son monologue.


Vous ne l’auriez pas vu par hasard ?

ANNE. – La page des monologues est tournée, Buckingham.

– 98 –
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NORFOLK. – Pas même un petit raciste ?

RICHARD. – Nous voilà redevenues simples actrices, Norfolk.

ANNE. – La ferme, Richard.

BUCKINGHAM. – Alors je patienterai jusqu’au Richard V.

ANNE. – Ouvrez les yeux, Buckingham.


Il n’y aura pas de Richard V.
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TABLE

I ........................................ 9
1 ..................................... 11
2 ..................................... 15
3 ..................................... 19
4 ..................................... 20
5 ..................................... 22
6 ..................................... 24
7 ..................................... 27
8 ..................................... 31

II . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35
1 ..................................... 37
2 ..................................... 41
3 ..................................... 42

III . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47
1 ..................................... 49
2 ..................................... 52
3 ..................................... 55
4 ..................................... 57
5 ..................................... 64
6 ..................................... 70

IV . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 75
V . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 89

– 101 –
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Avec tous mes remerciements pour leur relecture et soutien :


Norma Ayrault-Labazée, Claudine Galea, Mariette Navarro et
Michel Simonot.
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La représentation des pièces de théâtre est soumise à une autorisation


préalable de l’auteur ou de ses ayants droit. Avant le début des répétitions,
une demande d’autorisation de représentation doit être déposée auprès
de la SACD, 11 bis rue Ballu – 75442 Paris Cedex 09, p.a.v.@sacd.fr.
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Pour plus de détails sur les livres


et les autres collections de théâtre
www.editions-espaces34.fr
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THÉÂTRE CONTEMPORAIN
COLLECTIONS THÉÂTRE, THÉÂTRE EN TRADUCTION,
HORS CADRE ET THÉÂTRE JEUNESSE
(extraits du catalogue)
COLLECTIF — Ce qui (nous) arrive, volumes 1 et 2 | Kaboul |
L’extraordinaire tranquillité des choses | Le monde me tue
| Monologues pour | Quatre costumes en quête d’auteurs
JEUNESSE — Il était une deuxième fois
ALLEGRET Yan — Hana no michi, ou Le sentier des fleurs |
Neiges
AUFRAY Gilles — L’Officier et le Bibliothécaire
AMEYA Norimizu (japonais) — Bleu comme le ciel
ARCA Fabien JEUNESSE — Jardin secret | Ma langue dans ta
poche, Prix Galoupiot | Mamamé suivi de L’Ancêtre |
Moustique | Spaghetti rouge à lèvres
BÉHAR Alain — La clairière du Grand n’importe quoi
BIENTZ Stéphane JEUNESSE — Hématome(s), lauréat des JLAT
et Prix EAT jeunesse 2018 | Le Goût du sel
BONFILS Cédric — Quand les voix dansent les coeurs galopent|
Votre regard
BONNARD Stéphane — Continent | Notre Décennie
CAGNARD Jean — Animaux extraordinaires | Au pied du Fujiyama
| L’avion suivi de De mes yeux la prunelle | L’inversion des
dents | La distance qui nous sépare du prochain poème |
Les gens légers | Pour une fois que tu es beau | Quand toute
la ville est sur le trottoir d’en face, Grand Prix de Littérature
dramatique 2018
CASPANELLO Tino (sicilien) — À l’air libre | Mer
CELESTINI Ascanio (italien) — Radio clandestine
CHAFFIN Joséphine — Midi nous le dira, Prix Hypolipo 2018
CHECCHETTO Rémi — King du ring | Kong melencholia | L’Homme
et cetera | Que moi | Zou HORS CADRE Dresseur de nuages
DARLEY Emmanuel — Elles deux | Quelqu’un manque
DEPAUW Lucie — John Doe
DIMITRIADIS Dimitris (grec) — Dévastation | Insenso & Stroheim
DURAND Lisiane — Projet Grèce
FAYNER Thibault — Le camp des malheureux, suivi de La
Londonienne
GALEA Claudine — Au Bois, Prix Collidram 2015 | Au Bord, Grand
Prix de Littérature Dramatique 2011 | Blanche Neige Foutue
Forêt | Ça ne passe pas | Fake | Je reviens de loin | L’été où
le ciel s’est renversé | Les chants du silence rouge | Les Idiots
| Les Invisibles | Quel seul un chien suivi de Alliance HORS
CADRE — Un Sentiment de vie | Ces filles qu’on attend JEU-
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comment | La Nuit MêmePasPeur & Petite Poucet | L’heure


blanche & Toutes leurs robes noires | Noircisse, Grand Prix
de Littérature dramatique Jeunesse 2019
GALLET Samuel — Communiqué n˚10, lauréat des JLAT 2010|
En répétition | Encore un jour sans | Issues | La Bataille
d’Eskandar, Prix Collidram 2018 | La ville ouverte |
Mephisto rhapsodie | Mon visage d’insomnie, lauréat des
JLAT 2021| Oswald de nuit | Visions d’Eskandar
GRANOUILLET Gilles — Les Anges de massilia JEUNESSE Mélody et le
Capitaine
GUILLOUX Marion — Les Poussières de C,, Prix Hypolipo 2017
HAMELIN Lancelot JEUNESSE — L’autre nuit au mileu des arbres
HALEY Jennifer (anglais USA) — Quartier 3, destruction totale |
Le Néther
JOANNIEZ Sébastien — Chouf | Désarmés, Prix Collidram 2009 |
Des lambeaux noirs dans l’eau du bain | Le petit matin de
mourir
KAWE A. Deborah (anglais, Ouganda)— J’ai rendez-vous avec diEU
KERMANN Patrick — De quelques choses vues la nuit | Le Jardin
des reliques | Les tristes champs d’asphodèles | Vertiges
KIERSZ Giuliana (espagnol, Argentine) — Lumières blanches
intermittentes
LANTERI Jean-Marc — L’assassin dispersé | L’Œil du jour, Antigone (42)
LÉON David — D’Amours | De terre de honte et de pardon | La
nuit La chair | Le Terrien est un spam | Neverland | Père et
Fils | Sauver la peau | Stonewall | Un Batman dans ta tête
| Un jour nous serons humains, lauréat des JLAT 2014 |
Toutes ces voix HORS CADRE — Debout, la joie
LINDBERG Rasmus (suédois) — Habiter le temps | Le Mardi où
Morty est Mort | Plus vite que la lumière
MALONE Philippe — Bien lotis | L’Entretien | Richard IV
| Septembres | Sweetie | III HORS CADRE Les Chants ano-
nymes, lauréat des JLAT 2021
MAXWELL Douglas (anglais, Écosse) — Espèce d’animal
MCCABE Patrick (anglais, Irlande) — Le Goret
MAEKAWA Tomohiro (japonais) — La promenade des envahisseurs
MATSUI Shû (japonais) — Un fils formidable
MAUDUIT Charles — Québec JEUNESSE — Petite linotte
MICHAKA Stéphane JEUNESSE — Les Enfants du docteur Mistletoe
MIRÓ Pau (catalan) — Buffles | Lions | Girafes
MOUGEL Magali — Erwin Motor, dévotion | Guérillères ordinaires |
Penthy sur la bande | Shell Shock | Suzy Storck | The Lulu
Projekt HORS CADRE Lichen JEUNESSE Frisson
NAVAJO Métie — Eldorado Dancing | La Terre entre les mondes
NODA Hideki (japonais) — L’abeille
OKADA Toshiki (japonais) — Ailleurs et maintenant
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PAPIN Nathalie — Tenir


PELLIER William — Grammaire des mamifères | La Vie de
marchandise | Le Tireur occidental | Vesterne
PEREIRA Manuel Antonio — Berlin sequenz | Capital risque |
Mythmaker, Prix Sony Labou Tansi des lycéens 2015 |
Permafrost | Requiem pour une cascadeuse
PESSAN Éric — De si beaux uniformes
PIERRE Andrise — La Petite Fille que le soleil avait brûlée
RENGADE Claire — Déménagements, photographies Sergio Grazia |
Et insubmersible dans la seconde qui suit | Et maintenant
posez-moi des questions | Les terriens | Ma plus grandpièce
c’est dehors JEUNESSE — À chaque étage on voit la mer |
Buggation
RICHER Jérôme — Défaut de fabrication | Si les pauvres n’exis-
taient pas, faudrait les inventer
ROBINSON Charles — J’accepte
SCHOBER Holger (autrichien) — Lait noir, ou Voyage scolaire à
Auschwitz
SCHREFEL Magdalena (autrichien) — Le repli du paysage
SERRES Karin JEUNESSE — Chips personnel !
SIMONOT Michel — Delta Charlie Delta, Prix Collidram 2017
HORS CADRE — Traverser la cendre
SUFO SUFO — Debout un pied, Prix RFI et Prix EAT 2018 | Vole
petit avion, vole
SOUBLIN Gwendoline — Pig Boy 1986-2358, Prix BMK du TNS
2020, lauréat des JLAT | Depuis mon corps chaud | Spécimen
JEUNESSE Fiesta | La Tête ailleurs | Tout ça Tout ça
STELLA Caroline JEUNESSE — Louise a le choix | Poussière(s) |
Shahara
TANINO Kurô (japonais) — Avidya, l’auberge de l’obscurité | The
Dark Master
TAWA Kouam — Fruit d’un arbre
TOSTAIN Christophe — Crises de mer | Expansion du vide sous un
ciel d’ardoises | Histoire de chair | Lamineurs | L’homme
brûlé JEUNESSE — Hors zones | L’arbre boit | Par la voix !
TOUZET Philippe — Au bout de tout | Bis Repetita |Entre Chienne
et Loup
VEKEMANS Lot (néerlandais) — Poison | Sœur de | Truckstop
VÉROT Lucie — Mangrove, Prix Hypolipo 2019
VOSSIER Frédéric — Bedroom eyes, ou Maison qui tombe | Prairie
WALSH Enda (anglais, Irlande) — Grabataire suivi de Misterman
YAN Pat To (chinois, Hong Kong) — Le Poisson rouge de Berlin
YULA Özen (turc) — À louer
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AUTOUR DU THÉÂTRE
CALLOW Simon (anglais), trad. Gisèle Joly — Dans la peau d’un acteur
COLLECTIF — Dramaturgies. Mélanges offerts à Gérard Lieber
GOUDARD Philippe — Le cirque entre l’élan et la chute.
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Achevé d’imprimer
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