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Séquences
La revue de cinéma

Le burlesque

Numéro 9, avril 1957

URI : https://id.erudit.org/iderudit/52299ac

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Éditeur(s)
La revue Séquences Inc.

ISSN
0037-2412 (imprimé)
1923-5100 (numérique)

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Citer cet article


(1957). Le burlesque. Séquences, (9), 8–11.

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SEQUENCES - No 9 - Avril 1957-

LE BURLESQUE

"Au mépris du bon sens, le burlesque effronté


Trompa les yeux d'abord, plut par sa nouveauté",
(Boileau, Art Poétique, Chant 1.)

Le mot burlesque vient du latin "burla", farce, mai3 le genre remonte bien au-
delà du mot lui-même. Aristophane, le célèbre comique grec, en faisait déjà un grand
usage. Tous les siècles de théâtre et de littérature, à quelques exceptions près,
l'ont repris à leur compte, en le modifiants farces du Moyen-Age, héros de Rabelais,
clowns de Shakespeare, Scapins de Molière, et on pourrait allonger la liste jusqu'à
nos jours.

Le cinéma, pour sa part, a débuté en plein burlesque avec L'Arroseur Arrosé des
frères Lumière. Et bien avant que les autres genres aient trouvé leur voie (Birth of
a Nation - 1915), des centaines de pellicules signées Max Linder, Mack Sennet ou Char-
lie Chaplin, ces premiers princes du burlesque, connaissaient déjà une grande popula-
rité.

Comique et Burlesque

Le burlesque n'est pas autre chose qu'une hypertrophie du comique. Il en est


l'explosion anarchique. Efc si, avec Bergson, on définit le comique: du mécanique pla-
qué sur du vivant, c'est-à-dire, l'intrusion d'un irrationnel dans du rationnel, on
peut dire du burlesque qu'il est l'absurde accepté ou imposé comme logique contre la
logique elle-même.

De fait, le genre nous aura donné des produits de qualité bien inégale. Entre
les combats aux tartes à la crème des années 1900, en passant par les parodies et les
grotesques caricatures, jusqu'à cette exaspération de l'insolite contre le convention-
nel que nous ont donnée les Marx Brothers dans les années 30, sans oublier l'apport
poétique de Chaplin et de Tati, il y a une marge que les auteurs n'ont cependant pas
été très longs a combler., Le burlesque aura donc été le premier genre cinématographi-
que à trouver ses maîtres, à élaborer son esthétique et son éthique.

Coordonnées du burlesque

Le burlesque reprend tous les "trucs" du comique en les grossissant démesurément.


Il pousse l'imprévu jusqu'à l'insolite, la satire jusqu'au cynisme irrévérencieux,
jusqu'à la parodie. L'humour jusqu'à la caricature de ses propres réalisations. Et,
dans sa phase la plus intellectuelle, partant de la simple erreur de raison ou de ju-
gement telle que nous l'avait donnée la comédie, il construit toute une logique de
l'absurde.

Le spectateur avait alors le beau rôle, celui de l'homme normal qui juge, qui
critique par son rire les anomalies plus ou moins prononcées du héros comique. Dans
le burlesque, au contraire, l'incohérent est présenté comme cohérent. Le héros bur-
lesque s'annonce comme un être tout à fait normal. Son calme, sa placidité, son assu-
rance, sa logique en témoignent. Le public n'est plus tellement à son aise; il est bou-

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leversé, désemparé. L'homme ridicule ne semble plus être celui de l'écran, mais le
"sage" estomaqué par ce monde fantastique. Le comique nous laissait sûr de nous-mê -
mes. Le burlesque nous dérange.

La véritable puissance du burlesque lui vient de ce qu'il nous impose une cari-
cature comme étant l'authentique.

Procédés du burlesque

Tout comme il y a un comique de mots, de gestes, de caractères, de situations


..., de même il y a un burlesque de situations, de gestes, de mots... Le burlesque
provient du grossissement de toutes les possibilités du comique.

1- Le rythmes
C'est la grande caractéristique du genre. Un mouvement soutenu, endiablé, dé-
chaîné. L'intrigue ne compte plus ou si peu. Ce qui importe avant tout c'est l'en-
chaînement rapide des gags, le délire du mouvement entraîné par la raison en folie.
Le comédien ne doit pas donner au spectateur enfiévré la chance de se ressaisir, de
redevenir critique. Car le rythme du burlesque, c'est le pouls de son esprit débridé.

Il y a une véritable gageure à vouloir soutenir un tel mouvement. Les auteurs


s'y épuisent vite. Plusieurs l'ont compris et ont su limiter leurs productions.
C'est le cas des Marx Brothers et de Chaplin.

2- La caricatures
Caricaturer veut dire charger. C'est bien là le propre du burlesque et nous ne
sommes pas prêts d'oublier les caricatures qu'il nous a laissées.

Chaplin, l'inadapté, toujours semblable à lui-mêae dans toutes les situations:


humeur égale dans les déboires comme dans les succès, canne, chapeau dur, pantalons
flottants... — W.Co Fields ou la sérénité dans l'absurde» — Harold Lloyd ou le sou-
rire éternel dans un monde à l'envers. — HarpC* Marx, fruit sauvage de la nature.

Et les victimes? Des policiers lourdauds toujours un peu crétins. Des dames
du grand''monde enfcoulesde graisse3 fardées et emmitouflées de fourrures. Toute
une pléiade de personnages "hiérarchiques" figés dans leur stupidité et leur insigni-
fiance c Tous devenus pour nous, sous le coup de baguette de l'auteur, l'incarnation
vivante de l'un ou de l'autre travers de la société, crevant de ridicule devant les
clowneries du héros imperturbable..

Toujours de l'excessif,, du grotesque jusqu'à l'impossible. (Qu'on pense, par


exemple^, aux deux milliardaires de Miracle à Milan se "jappant" littéralement leurs
surenchères.)

3- L'insolite et l'absurdes
L'imprévu est devenu l'insolite. Harpo Marx, "marché aux puces" ambulant, re-
cèle dans son paletot phonographes, brûleurs à l'huile, dictionnaires etc.; mourant
de faim, il déguste les téléphones et vide les encriers; artiste invité, il joue de
la harpe d'une façon angélique mais si peu orthodoxe que les puristes enragent.
Chariot se cure les dents avec une baïonnette et craque ses allumettes sur le crâne
dénudé des personnes respectables. Et tous ces renversements sont accomplis avec le
plus grand naturel, la plus déconcertante suite logique.

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SEQUENCES - No 9 - Avril 1957.

L'absurde se retrouve encore dans les dialogues. Ecoutons Groucho Marx, spécia-
liste des gags parlés, conversant avec deux dames: "Est-ce qu'on ne vous a jamais dit
que vous avez de beaux yeux? Eh bien! vous en avez... Et vous aussi vous avez de
beaux yeux. En fait, je ne pense pas avoir vu quatre plus beaux yeux de ma vie. Met-
tons trois." — Raison, qu'es-tu devenue?...

4- Les truquages:
Si le burlesque a si bien collé au cinéma, c'est qu'il fait grand emploi du gag
visuel. — Le cinéma, à son tour, s'est mis au service du burlesque: accélération ou
ralentissement du mouvement au tournage, décadrement de l'image, effets sonores, mou-
vements de la caméra, utilisation des caches,etc. Le cinéma, cet art si souple, si
mobile, a mis à la disposition du burlesque un vocabulaire nouveau quasi inépuisable.

Effets du burlesque

Le but premier du burlesque, c'est le rire à l'état pur, cet esbaudissement dont
parlait Rabelais, ce délire de l'imagination et des sens, cette folie passagère mais
sans contraintes de la raison. On a souvent reproché au burlesque l'effronterie de
ses procédés, le primitivisme du rire qu'il déclenche. L humour est certes plus raf-
finé d'ordinaire que le burlesque quoique ce dernier puisse être parfois honorablement
humain. En effet, la révolution qu'il déclenche nous force souvent à repenser toutes
les valeurs de la personne et de la société.

Et c'est ainsi que s'engageant dans la satire sociale, le burlesque a connu


d'autres effets non moins notables. Dans l'ouragan qui l'emportait, il a fait de nom-
breuses victimes, détruisant tout ce qui s'appelle: sérieux, bon sens, idées reçues,
conventions sociales, hiérarchie. Cette débandade a pu exaspérer ceux que le Petit
Prince appelait les "hommes sérieux"; elle a fait par contre les délices du révolu -
tionnaire qui dort en chacun de nous. Chez les jeunes, ces ennemis-nés du formalisme,
le burlesque a plus d'emprise encore. Le non-conformisme qu'il adopte en esprit de
réaction peut mener jusqu'à la rébellion.

- o -

Le burlesque ne peut survivre qu'à la condition de mourir sans cesse à lui-même


en se renouvelant. Sennet a exploité l'exaspération de l'imprévu et la parodie, Bus-
ter Keaton le mécanique pur, Lloyd l'animation endiablée, les Marx Brothers la recher-
che totale de l'absurde. Chaplin pour sa part a beaucoup évolué, il a traversé toutes
ces tendances, optant finalement pour la poésie.

Après quelques années d'affaissement, le burlesque renaît avec Tati. Dans Les
Vacances de M Hulot et Jour de fête, Tati cherche à concilier l'insolite avec la vé-
rité humaine. Son burlesque n'est pas très explosif; le détraquement planétaire fait
place à une simple dislocation du réel, le cynisme s'écarte devant la bonhomie et la
gentillesse -

Quelle que soit la forme qu'il adoptera, le burlesque gardera toujours son dy-
namisme interne qui est un souffle de pure folie puisé dans ce qu'il y a de plus fan-
taisiste dans l'homme. Le burlesque débouche sur la poésie.

PARLEZ - M ENTRE VOUS.


1. Le burlesque vous apparaît-il comme un sous-produit du comique?
2- Le burlesque convient-il davantage au cinéma que les autres genres?
3- Le burlesque se déforme-t-il quand il tente de laisser un message?
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