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2023 01:12
Séquences
La revue de cinéma
Le burlesque
URI : https://id.erudit.org/iderudit/52299ac
Éditeur(s)
La revue Séquences Inc.
ISSN
0037-2412 (imprimé)
1923-5100 (numérique)
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LE BURLESQUE
Le mot burlesque vient du latin "burla", farce, mai3 le genre remonte bien au-
delà du mot lui-même. Aristophane, le célèbre comique grec, en faisait déjà un grand
usage. Tous les siècles de théâtre et de littérature, à quelques exceptions près,
l'ont repris à leur compte, en le modifiants farces du Moyen-Age, héros de Rabelais,
clowns de Shakespeare, Scapins de Molière, et on pourrait allonger la liste jusqu'à
nos jours.
Le cinéma, pour sa part, a débuté en plein burlesque avec L'Arroseur Arrosé des
frères Lumière. Et bien avant que les autres genres aient trouvé leur voie (Birth of
a Nation - 1915), des centaines de pellicules signées Max Linder, Mack Sennet ou Char-
lie Chaplin, ces premiers princes du burlesque, connaissaient déjà une grande popula-
rité.
Comique et Burlesque
De fait, le genre nous aura donné des produits de qualité bien inégale. Entre
les combats aux tartes à la crème des années 1900, en passant par les parodies et les
grotesques caricatures, jusqu'à cette exaspération de l'insolite contre le convention-
nel que nous ont donnée les Marx Brothers dans les années 30, sans oublier l'apport
poétique de Chaplin et de Tati, il y a une marge que les auteurs n'ont cependant pas
été très longs a combler., Le burlesque aura donc été le premier genre cinématographi-
que à trouver ses maîtres, à élaborer son esthétique et son éthique.
Coordonnées du burlesque
Le spectateur avait alors le beau rôle, celui de l'homme normal qui juge, qui
critique par son rire les anomalies plus ou moins prononcées du héros comique. Dans
le burlesque, au contraire, l'incohérent est présenté comme cohérent. Le héros bur-
lesque s'annonce comme un être tout à fait normal. Son calme, sa placidité, son assu-
rance, sa logique en témoignent. Le public n'est plus tellement à son aise; il est bou-
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leversé, désemparé. L'homme ridicule ne semble plus être celui de l'écran, mais le
"sage" estomaqué par ce monde fantastique. Le comique nous laissait sûr de nous-mê -
mes. Le burlesque nous dérange.
La véritable puissance du burlesque lui vient de ce qu'il nous impose une cari-
cature comme étant l'authentique.
Procédés du burlesque
1- Le rythmes
C'est la grande caractéristique du genre. Un mouvement soutenu, endiablé, dé-
chaîné. L'intrigue ne compte plus ou si peu. Ce qui importe avant tout c'est l'en-
chaînement rapide des gags, le délire du mouvement entraîné par la raison en folie.
Le comédien ne doit pas donner au spectateur enfiévré la chance de se ressaisir, de
redevenir critique. Car le rythme du burlesque, c'est le pouls de son esprit débridé.
2- La caricatures
Caricaturer veut dire charger. C'est bien là le propre du burlesque et nous ne
sommes pas prêts d'oublier les caricatures qu'il nous a laissées.
Et les victimes? Des policiers lourdauds toujours un peu crétins. Des dames
du grand''monde enfcoulesde graisse3 fardées et emmitouflées de fourrures. Toute
une pléiade de personnages "hiérarchiques" figés dans leur stupidité et leur insigni-
fiance c Tous devenus pour nous, sous le coup de baguette de l'auteur, l'incarnation
vivante de l'un ou de l'autre travers de la société, crevant de ridicule devant les
clowneries du héros imperturbable..
3- L'insolite et l'absurdes
L'imprévu est devenu l'insolite. Harpo Marx, "marché aux puces" ambulant, re-
cèle dans son paletot phonographes, brûleurs à l'huile, dictionnaires etc.; mourant
de faim, il déguste les téléphones et vide les encriers; artiste invité, il joue de
la harpe d'une façon angélique mais si peu orthodoxe que les puristes enragent.
Chariot se cure les dents avec une baïonnette et craque ses allumettes sur le crâne
dénudé des personnes respectables. Et tous ces renversements sont accomplis avec le
plus grand naturel, la plus déconcertante suite logique.
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SEQUENCES - No 9 - Avril 1957.
L'absurde se retrouve encore dans les dialogues. Ecoutons Groucho Marx, spécia-
liste des gags parlés, conversant avec deux dames: "Est-ce qu'on ne vous a jamais dit
que vous avez de beaux yeux? Eh bien! vous en avez... Et vous aussi vous avez de
beaux yeux. En fait, je ne pense pas avoir vu quatre plus beaux yeux de ma vie. Met-
tons trois." — Raison, qu'es-tu devenue?...
4- Les truquages:
Si le burlesque a si bien collé au cinéma, c'est qu'il fait grand emploi du gag
visuel. — Le cinéma, à son tour, s'est mis au service du burlesque: accélération ou
ralentissement du mouvement au tournage, décadrement de l'image, effets sonores, mou-
vements de la caméra, utilisation des caches,etc. Le cinéma, cet art si souple, si
mobile, a mis à la disposition du burlesque un vocabulaire nouveau quasi inépuisable.
Effets du burlesque
Le but premier du burlesque, c'est le rire à l'état pur, cet esbaudissement dont
parlait Rabelais, ce délire de l'imagination et des sens, cette folie passagère mais
sans contraintes de la raison. On a souvent reproché au burlesque l'effronterie de
ses procédés, le primitivisme du rire qu'il déclenche. L humour est certes plus raf-
finé d'ordinaire que le burlesque quoique ce dernier puisse être parfois honorablement
humain. En effet, la révolution qu'il déclenche nous force souvent à repenser toutes
les valeurs de la personne et de la société.
- o -
Après quelques années d'affaissement, le burlesque renaît avec Tati. Dans Les
Vacances de M Hulot et Jour de fête, Tati cherche à concilier l'insolite avec la vé-
rité humaine. Son burlesque n'est pas très explosif; le détraquement planétaire fait
place à une simple dislocation du réel, le cynisme s'écarte devant la bonhomie et la
gentillesse -
Quelle que soit la forme qu'il adoptera, le burlesque gardera toujours son dy-
namisme interne qui est un souffle de pure folie puisé dans ce qu'il y a de plus fan-
taisiste dans l'homme. Le burlesque débouche sur la poésie.