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Lecture analytique n° 13 : l'incipit de Candide

Il y avait en Westphalie, dans le château de M. le baron de Thunder-Ten-Tronckh, un jeune


garçon à qui la nature avait donné les moeurs les plus douces. Sa physionomie annonçait son âme. Il
avait le jugement assez droit, avec l’esprit le plus simple ; c’est, je crois, pour cette raison qu’on le
nommait Candide. Les anciens domestiques de la maison soupçonnaient qu’il était fils de la soeur de
monsieur le baron et d’un bon et honnête gentilhomme du voisinage, que cette demoiselle ne voulut
jamais épouser parce qu’il n’avait pu prouver que soixante et onze quartiers, et que le reste de son
arbre généalogique avait été perdu par l’injure du temps.
Monsieur le baron était un des plus puissants seigneurs de la Westphalie, car son château avait
une porte et des fenêtres. Sa grande salle même était ornée d’une tapisserie. Tous les chiens de ses
basses-cours composaient une meute dans le besoin ; ses palefreniers étaient ses piqueurs ; le vicaire
du village était son grand aumônier. Ils l’appelaient tous monseigneur, et ils riaient quand il faisait des
contes.
Madame la baronne, qui pesait environ trois cent cinquante livres, s’attirait par là une très grande
considération, et faisait les honneurs de la maison avec une dignité qui la rendait encore plus
respectable. Sa fille Cunégonde, âgée de dix-sept ans, était haute en couleur, fraîche, grasse,
appétissante. Le fils du baron paraissait en tout digne de son père. Le précepteur Pangloss était l’oracle
de la maison, et le petit Candide écoutait ses leçons avec toute la bonne foi de son âge et de son
caractère.
Pangloss enseignait la métaphysico-théologo-cosmolonigologie. Il prouvait admirablement qu’il
n’y a point d’effet sans cause, et que, dans ce meilleur des mondes possibles, le château de
monseigneur le baron était le plus beau des châteaux et madame la meilleure des baronnes possibles.
« Il est démontré, disait-il, que les choses ne peuvent être autrement : car, tout étant fait pour une fin,
tout est nécessairement pour la meilleure fin. Remarquez bien que les nez ont été faits pour porter des
lunettes, aussi avons-nous des lunettes. Les jambes sont visiblement instituées pour être chaussées, et
nous avons des chausses. Les pierres ont été formées pour être taillées, et pour en faire des châteaux,
aussi monseigneur a un très beau château ; le plus grand baron de la province doit être le mieux logé ;
et, les cochons étant faits pour être mangés, nous mangeons du porc toute l’année : par conséquent,
ceux qui ont avancé que tout est bien ont dit une sottise ; il fallait dire que tout est au mieux. »

Voltaire, Candide (1759), chapitre I.

PRÉSENTATION ET SITUATION DU PASSAGE


Ce texte est le premier chapitre du conte philosophique Candide, écrit en 1759 par Voltaire.
Le personnage éponyme est présenté, ainsi que les personnages principaux du conte. Le narrateur
décrit le château dans lequel il vit, en Vestphalie...

PROBLÉMATIQUES
En quoi ce début montre-t-il que l’oeuvre sera un conte philosophique du 18ème siècle ?
Vous vous demanderez comment les éléments mis en place dans le ch.1 sont exploités dans le
reste de l’oeuvre.
Quels éléments de cet incipit indiquent un renouvellement du conte ?
Quels sont les éléments caractéristiques du conte et comment l’auteur les emploie-t-il ?
Quelles sont les cibles de Voltaire dans ce chapitre ?

AI-JE BIEN LU ?
1. Quels éléments de cet incipit font penser à un conte ?
2. Quels éléments de cet incipit montrent qu'il sera question de philosophie ?
3. a. Qui sont les personnages ?
b. Présentez rapidement chacun d'entre eux.
4. a. Qui est la mère de Candide ?
b. Qui est le père de Candide ?
c. Pour quelle raison la mère de Candide n'a-t-elle pas pu épouser le père de Candide ?
5. Quelles sont les sept preuves de la puissance du baron, dans le deuxième paragraphe ("Monsieur
le baron était un des plus puissants seigneurs de la Westphalie") ?
6. a. Que veut démontrer Pangloss dans le dernier paragraphe ?
b. Que pensez-vous de ses arguments ?

DES AXES
I. UN INCIPIT PRESENTANT LE CADRE ET LES PERSONNAGES
II. UNE PRESENTATION DU PERSONNAGE EPONYME
III. UNE CRITIQUE DE L'OPTIMISME / UNE CRITIQUE DE L'ARISTOCRATIE

LES NEUF IDÉES ESSENTIELLES


1. L'incipit évoque un conte traditionnel.
2. L'incipit présente le personnage principal, ainsi que les personnages principaux du conte.
3. Seuls trois personnages sont nommés (Candide, Pangloss et Cunégonde), sans doute parce qu'ils
joueront un rôle plus important dans la suite.
4. Le narrateur utilise l'ironie pour dénoncer.
5. La famille du baron est ridiculisée.
6. Candide apparaît comme un jeune naïf.
7. Le personnage de Pangloss occupe une place importante dans ce texte ; il est mis en valeur.
8. Le texte se moque de la philosophie optimiste de Pangloss.
9. Le texte se moque de l'aristocratie.

LES PROCÉDÉS

AXE Outils Relevé Interprétation


« Il y avait en Vestphalie… » La formule rappelle celle qui commence les contes : « Il était une
fois… »
Le nom « Thunder-Ten-Tronckh » Nom difficile à prononcer, ridicule (comme les noms à
particule ?). Nom prétentieux (long).
« je » (l. 5) Le narrateur intervient directement, une seule fois : il n'est pas sûr
de lui et laisse entendre que cette histoire pourrait être vraie.
« Candide » et « Cunégonde » Seuls deux personnages ont un prénom ici (peut-être Pangloss
aussi ?) : ils seront amenés à jouer les rôles principaux.
Candide est présenté le premier (lignes 1 à 12). Les autres
personnages sont présentés selon la hiérarchie familiale et
sociale (même si Cunégonde est présentée avant son frère, autre
signe de son importance à venir dans le conte : son frère n'est
pas réellement présenté).
Cunégonde porte un prénom moyenâgeux.
« douces », « droit », « simple », « Candide », « bon », « honnête » Le narrateur insiste sur les qualités morales du personnage (et de
son père). Il est incapable de faire du mal. Il est incapable de
dissimulation, on le sent naïf, donc facilement dupe. Il est
néanmoins capable de progresser.
« soixante et onze quartiers1 » (= plusieurs siècles) Le fabuliste exagère, afin de se moquer de cette aristocratie.
« les plus douces » (l. 3) Les qualités du personnage éponyme sont mises en valeur.
« une des plus puissants seigneurs de Vestphalie » L'importance du baron est exagérée, d'autant plus que, plus loin,
il ne doit sa réputation qu'au fait qu'il raconte des histoires (« ils
riaient quand il faisaient des contes »).
« Monsieur le baron était un des plus puissants seigneurs de la Les trois premières phrases commencent toutes par un élément
Vestphalie, car son château avait une porte et des fenêtres. Sa valorisant/mélioratif, qui se trouve nié dans la seconde partie.
grande salle même était ornée d'une tapisserie. Tous les chiens
de ses basses-cours composaient une meute dans le besoin ; ses
palefreniers étaient ses piqueurs ; le vicaire du village était son
grand aumônier. Ils l'appelaient tous monseigneur, et ils riaient
quand il faisait des contes. »
« pesait environ trois cent cinquante livres » (= 150 kg) La seule qualité de la baronne est d'être grosse.
« fraîche, grasse, appétissante » Le vocabulaire utilisé a des connotations particulière
« la métaphysico-théologo-cosmolo-nigologie » La science enseignée par Pangloss est dénigrée : on entend le
mot « nigaud ».
« admirablement » Le narrateur se moque de la démonstration de Pangloss.
Deux paragraphes entiers sont consacrés à Pangloss. C'est lui
qui vient clore la présentation des personnages. Il est mis en
valeur. Il évoque le sous-titre du conte : « l'optimisme ».

1 Un homme est réputé de bonne noblesse quand il prouve quatre quartiers du côté du père, & autant du côté de la mère, c'est - à - dire
quand son bisaïeul, son aïeul & son père, tant du côté paternel que du côté maternel, ont été gentilshommes.
car, tout étant fait pour une fin, tout est nécessairement pour la Le discours se veut logique, mais ne l’est pas tant que cela.
meilleure fin. Remarquez bien que les nez ont été faits pour porter Certaines affirmations sont très contestables :
des lunettes, aussi avons-nous des lunettes. Les jambes sont « le plus grand baron de la province doit être le mieux logé » ?
visiblement instituées pour être chaussées, et nous avons des
(justification de l’aristocratie)
chausses. Les pierres ont été formées pour être taillées, et pour en
faire des châteaux, aussi monseigneur a un très beau château ; le « les cochons étant faits pour être mangés, nous mangeons du
plus grand baron de la province doit être le mieux logé ; et, les porc toute l'année » ? (dans toutes les religions)
cochons étant faits pour être mangés, nous mangeons du porc toute
l'année. »
« Il est démontré, disait-il, […] tout est au mieux. » On entend la voix de Pangloss. Le texte ne contient aucune
description physique de ce personnage, qui n'existe ici qu'à
travers son discours.
Le nom de « Pangloss »

Idées à conserver pour l’introduction ou la conclusion :


- L’Allemagne est le pays de Liebniz, le principal philosophe partisan de l’optimisme, que combat Voltaire.
- La Westphalie est une des provinces les plus pauvres d’Allemagne : ici, elle est présentée comme un éden !
- Le personnage de Pangloss dons tout le conte
- Candide…
- Le château de TTT représente le paradis sur Terre, paradis dont Candide sera rapidement chassé : l’Eldorado représentera, dans le contre,
une utopie (non réaliste). Le vrai bonheur se trouve dans le chapitre 30 : « Il faut cultiver son jardin ».
- Etc.

Candide ou l’optimisme

Les éléments du conte Les éléments « philosophiques »


Le Moyen Age : Cunégonde, le château, Le personnage de Pangloss est un philosophe
« d’icelui » L’intrigue philosophique : comment Candide
L’intrigue amoureuse : va-t-il réussir à va-t-il survivre en dehors du château, qui est
épouser Cunégonde ? présenté comme le meilleur des mondes ?

Les personnages :
CANDIDE = naïf (candeur) personnage éponyme
1er personnage présenté
On le suit à la fin du chapitre
Il est amoureux de Cunégonde
Simple et droit

Le baron de THUNDER-TEN-TRONCK La baronne


(nom inventé, ridicule) allitération en TTT donc Peu importante (non nommée)
difficile à lire
CRITIQUE DE LA NOBLESSE : n’est pas si
riche que cela ; les « quartiers »

CUNEGONDE Le fils du baron


Belle : « belle, fraîche, appétissante » (= Peu important (non nommé)
volaille, viande)

Le précepteur PANGLOSS (pan = « tout » ; « gloss » = langage)


= parle plusieurs langues ou qui parle beaucoup
Sa philosophie est l’optimisme (le château de TTT est le « meilleur des mondes »)
Personnage important : sa théorie est rapportée au discours direct (fausse, ridicule : il
n’explique rien)
LIEBNIZ, grand philosophe allemand, est le modèle : le monde est parfait, il ne faut pas le
changer : « la mousqueterie ôta du meilleur des mondes… », « la baïonnette fut la raison
suffisante… »
Il enseigne la métaphysico-théologo-cosmolonigologie (cosmologie + NIGAUD)

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