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Le mouroir aux alouettes

Une pièce de Laurent Guillot

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Les personnages :

l'infirmière ………………………personnel soignant


Marcel ……………………………pensionnaire
Amédée …….……………………pensionnaire
Ginette ……...……………………pensionnaire
Paulette ……..……………………pensionnaire
Madeleine ……..…………………pensionnaire
La directrice………………...……patronne de l'établissement
Dusson……………………………policier
Duçon………………………..……policier
La femme de ménage……..……personnel soignant

Scène 1 : l'infirmière, Marcel, Amédée, Ginette, Paulette, Madeleine.

Le salon d'une maison de retraite. Côté jardin, un canapé en face de la télé. Côté
cour, un plan de travail avec des placards muraux. Une table occupe le milieu de la
pièce. Les pensionnaires sont plongés dans une partie de loto dirigée par l'infirmière
en chef. Ils s'ennuient. Trois portes, côté jardin, côté cour ( les toilettes) et au centre.

L'infirmière ( Avec autorité) : Bon alors, jeunes gens, c'est le 18 qui sort ! Alors ?
Qui est-ce qui a le 18 ?

Marcel : Le 18 vous dîtes ? C'est sûrement Amédée… c'est un ancien pompier !

Amédée : Hein ? Marcel… Qu'est-ce tu dis ?

Ginette ( A Amédée) : Le 18 Dédé ! La dame te demande si c'est toi qui a le 18 ?

Paulette : Je veux qu' c'est lui ! Regarde voir ! un 8 et pis un 1 ! Ça, si mes calculs
sont exacts, ça fait bien 18, non ?

Ginette : Ben non Paulette. Un 8 et pis un 1, ça fait 81…

Paulette : De dieu ma Ginette ! T'as raison ! C'est parce que j'étais tourné à
l'envers ! Rien du tout Dédé ! Faut pas commencer à tricher, t'entends ! T'as rien du
tout !

Amédée : Hein ? De quoi ? Qu'est-ce tu dis ?

L'infirmière : Bon, le 18, c'est pour personne ? Vous êtes sûrs ? Faites un effort
bon sang ! Bon, allez, je le garde sous le coude et on continue. Tiens ! cette fois, j'ai
tiré le 36. Il est bien le 36 ! Alors ? C'est pour qui le 36 ?

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Madeleine : Moi ! moi je l'ai !

L'infirmière : Bravo Madeleine ! C'est bien ça ! Je suis fière de vous Madeleine !

Ginette : Moi aussi ! Je l'ai aussi !

L'infirmière : Ah ! Ça y est ! Ça se réveille ! Ça va pulser dans les bas de


contention, c'est moi qui vous le dis ! Prenez des jetons, les jeunes, n'ayez pas peur,
on se lâche !

Madeleine : Ah… ben non… finalement, je l'ai pas.

Ginette : Tiens, moi pareil, je l'ai pas non plus.

L'infirmière : Comment ça vous l'avez pas ? Celui-là non plus ? Vous faites exprès
ou quoi ? Y a bien des numéros sur vos grilles, non ?

Marcel : Ben voui ma toute belle, les numéros, c'est pas ça qui manque, sauf que
c'est pas des bons. Y a rien qui sort !

Amédée : Moi pareil !

Marcel : Tiens, t'as entendu c'qu'on a dit, ce coup-ci ?

Amédée : Ben non, pourquoi ?

L'infirmière : Comment ça y a rien qui sort ? Depuis tout à l'heure, y a personne qui
a rien posé. C'est pas possible. Vous avez forcément des bons numéros, j'ai presque
plus de boules !

Marcel : Si ça se trouve, c'est des boules pipées…

Ginette : Des boules pipées ? C'est rigolo… Ça me rappelle un truc… mais je sais
plus quoi…

Amédée : Cherche pas, c'est parce que c'était y a longtemps… Tu perds la boule…

Ginette : Et toi t'es sourd !

Amédée : C'est pour ça qu'on s'entend bien !

Paulette : Sans rire, ça existe des boules pipées ?

Amédée : Bien sûr que ça existe ! Sinon, comment t'expliquerais qu'il y ait rien qui
sorte ?

Paulette : Tiens ?!? T'as plus de problème d'oreille, Dédé ! T'as encore entendu ! Et
du premier coup en plus !

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Amédée : Qu'est ce tu dis ?

L'infirmière : Bon, moi je veux bien continuer, mais faut être sérieux. Le loto, c'est
pas pour les dilettantes. Faut y mettre un peu du sien, aussi. Allez, on s'applique !
Attention, je recommence… 36 !

Marcel : Encore ?!?

Amédée : Moi ! Moi je l'ai !

Marcel : C'est toi qui l'as le 36 ?!?

Amédée : Hein ? Je sais pas, sûrement… j'ai pas entendu.

L'infirmière : Bon alors ? Le 36 ? C'est oui ou c'est non ?

Madeleine : Moi, je l'ai déjà…

L'infirmière : Comment ça Madeleine ? Pourquoi vous l'avez déjà, vous ?

Paulette : Moi ! moi je l'ai ! Ah non ! Je l'ai pas…

Ginette : Moi ! Moi aussi ! Je l'ai aussi ! Ah… ben non. Je l'ai pas non plus.

Marcel : Il est déjà sorti le 36 ! Même que Madeleine, elle l'a déjà… Du coup,
sûrement qu'il y en a deux.

Paulette : Ça fait une paire…

Ginette : Une paire… une paire de boules tu veux dire ? Tiens, c'est rigolo, ça aussi
ça me rappelle un truc… Mais quoi ? Pffft. Je saurais pas vous dire…

Paulette : Moi je sais. Toi, quand t'étais jeune, tu jouais à la pétanque !

Ginette : La pétanque ?!? C'est quoi ça ?

L'infirmière : Des 36, vous êtes sûrs qu'il y en a deux ? Si ça se trouve, c'est à
cause de l'étage du dessus.

Madeleine : Bien vu ! Là-haut, c'est rien que des grabataires, c'est sûrement de leur
faute !

L'infirmière : Eh oui ! Eux, quand on joue avec, il faut plusieurs jeux, figurez-vous !

Paulette : Ah bon ?

L'infirmière : C'est pour aller plus vite… Comme ça les numéros, ils sortent
plusieurs fois… ça fait que de temps en temps, ils arrivent à finir une partie avant la
soupe.

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Ginette : Ça doit pas arriver souvent. La plupart, c'est des vieux qui voient pas clair.

L'infirmière : C'est pour ça qu'on joue sans carton. N'empêche qu'ils nous
mélangent les boules et qu'après, au rez-de-chaussée, ça fausse le jeu ! Bon, allez,
on continue. Attention, je tire : le 69 !

Ginette : Tiens ! c'est rigolo, là, ça me rappelle rien.

Paulette : C'est parce que 69 c'est le département du Rhône. Toi, t'es de l'Yonne,
ma Ginette. L'Yonne, c'est le 89. C'est pareil en plus grand.

Marcel : Moi, le 89, je l'ai !

Amédée : Moi non plus !

Marcel : Pour le 89, on fait comment ? Je le pointe ou pas ?

Amédée : Et moi ? je fais quoi ? Vu que je l'ai pas, mais qu'il est pas sorti ? J'ai bon
ou pas ?

Paulette : On s'en fiche, toi, t'es sourd.

Amédée : Qu'est-ce que tu dis ?

L'infirmière : Bon, le 69 ! Vous l'avez ou pas ?

Marcel : Aïe !

L'infirmière : Marcel ? Qu'est-ce qui vous prend ?

Marcel : C'est pas moi, c'est Madeleine. Elle m'a mordu.

Madeleine : Oups. C'est pas de ma faute.

L'infirmière : Madeleine ! C'est pas sympa. On vous l'a déjà dit. Ça se fait pas, c'est
pas bien. ( Elle ouvre la bouche de Madeleine.) Bon, ça va, elle a pas mis ses dents.

Marcel : P'têtre… N'empêche que ça pince.

Ginette : Vous voulez pas faire un scrabble plutôt ? Le loto, c'est pas tellement
marrant…

L'infirmière : Comment ça c'est pas marrant ? Bien sûr que c'est marrant le loto ! ça
fait deux plombes que je me tue à essayer de vous distraire ! Faudrait peut-être y
mettre un peu de bonne volonté aussi !

Marcel : Oui mais là, on n'a pas de carton. D'habitude, avec les cartons, c'est plus
divertissant…

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L'infirmière : Comment ça vous avez pas de carton ? Mais pourquoi vous n'avez
pas de carton ?!?

Paulette : C'est parce qu'on joue avec le jeu des grabataires… C'est pour aller plus
vite…

L'infirmière : Vous pouviez pas le dire avant ? En plus, tout à l'heure, vous aviez
des grilles ! Si vous n'avez pas de carton, c'est quoi cette histoire de grille ? Vous
vous moquez de moi ?

Ginette : C'est les grilles de mots croisés à Paulette.

L'infirmière : C'est ça ! Le 18 et le 36, vous allez me faire croire qu'ils sont dans les
mots croisés de Paulette ?

Marcel : Ben non. Ils y sont pas… C'est pour ça qu'on les a pas.

Paulette : Toute façon, mes grilles, c'est pas des mots croisés, c'est du sudoku !

Amédée : Ah bon ? C'est pour ça que les définitions elles correspondent pas alors !

Scène 2 : la femme de ménage, l'infirmière, Marcel, Amédée, Ginette, Paulette,


Madeleine.

La femme de ménage ( Entre brusquement, avec un air irrité. Elle porte un seau et
un balai) : C'est pas vrai ! Y a rien que des vieux ici ! Bonjour l'ambiance ! Allez,
circulez, faut que je passe un coup de balai.

L'infirmière : Irène ! S'il vous plaît ! Un peu de compassion. Ils sont âgés, d'accord,
mais ce sont des êtres humains tout de même…

La femme de ménage : Mais non, c'est bon, t'inquiète, je rigole. Ils le savent bien
que je rigole en plus. Pas vrai les croûtons ?

Amédée : Qu'est-ce qu'elle dit ?

La femme de ménage ( En parlant fort et en bêtifiant) : Elle a dit que c'est l'heure de
la soupe ! Alors Papy, on est content !

L'infirmière : Irène, je vous en prie !

La femme de ménage : Ben quoi ? Qu'est-ce qu'il y a ? Bien sûr qu'il est content !
Regarde, tu vois pas ? Il bave.

Ginette : C'est pas une preuve de contentement, ça, c'est parce qu'il retrouve plus
son dentier.

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La femme de ménage : On s'en fout, pour la soupe, il en aura pas besoin. C'est
prévu qu'ici, il y a toujours un couillon qui oublie ses dents. Du coup, la soupe, elle
est super liquide.

Paulette : Y a des légumes dedans ?

La femme de ménage : Des légumes, je sais pas, en tous cas, y a de l'eau. Ce soir,
on mange de l'eau !...

Les pensionnaires regardent la femme de ménage avec un air navré.

La femme de ménage : Mais non, je rigole. Faut vous détendre les momies !

L'infirmière : Irène !!!

La femme de ménage : Les mamies ! j'ai dit les mamies. Faut vous détendre, quoi…
Enfin pas trop quand-même, après, vous allez être tout fripés…

Ils contemplent la femme de ménage avec une réprobation bien visible.

La femme de ménage ( Se penche vers les vieux en bêtifiant ) : Mais non, c'est une
blague. C'est pour rire. ( Avec autorité.) Allez, maintenant, on va ranger la partie de
Monopoly. Faut faire de la place pour les plateaux, magnez-vous le trognon, j'ai pas
que ça à faire.

Une sonnerie retentit et un témoin lumineux s'allume sur le mur.

L'infirmière : Ah zut ! C'est l'étage des grabataires. J'ai un appel.

La femme de ménage : Ça, c'est encore une couche qui fuit. Pour les couches, je
l'avais dit que c'était pas une bonne idée d'investir dans le bas de gamme. Au final,
on s'y retrouve pas…

L'infirmière : Irène, pas devant les résidents, vous savez bien que c'est pas bon
pour le climat général…

La femme de ménage : Penses-tu ! Ils s'en tamponnent ! En plus, ils pigent que-
dalle ! Sinon, pour les couches de rechange, faut taper dans le tas qui est sous
l'escalier, elles ont déjà un peu servi, mais j'ai bien gratté. Normalement, c'est du
comme neuf !

L'infirmière : Bon, Irène, quand vous aurez fini le ménage, je vous laisse organiser
le repas, il faut que j'y aille. ( Elle sort).

La femme de ménage ( A l'infirmière) : C'est ça. T'inquiète, je m'occupe de tout.


( Aux pensionnaires) Bon, pour les plateaux, vous avez qu'à aller les chercher vous-
même, ça m'arrange. On fait comme d'hab'. On en prend un pour deux et on partage
les couverts. Pas la peine de gâcher, comme dit la patronne, y a pas de petites
économies...

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Les vieux sortent péniblement.

La femme de ménage : Allez-allez, on se remue les croulants, j'ai pas que ça à faire
non plus !

Scène 3 : la femme de ménage, la directrice.

La directrice ( Elle entre côté jardin) : Ah ! Irène ! Vous êtes là. Vous tombez bien. Il
faut qu'on fasse le point.

La femme de ménage : A votre service Madame la directrice.

La directrice : Tiens, en attendant, mettez-moi ça à l'abri. ( Elle lui tend un récipient


plein de pilules multicolores.) C'est la collecte de médocs périmés pour Cyclamed.

La femme de ménage : Les médicaments pour Cyclamed ? Euh… on les envoie


pas à Cyclamed, Madame la directrice ?!?

La directrice : Qu'est-ce que vous racontez Irène ? Un peu de bon sens, voyons !
Non, on fait comme d'habitude, on stocke et on revend discrètement.

La femme de ménage : Pardon, Madame la directrice.

La directrice : Vous savez que j'ai confiance en vous Irène.

La femme de ménage : Ça me flatte Madame.

La directrice : Vous êtes mon bras droit Irène. Félicitations. Vous pouvez être fière
de vous.

La femme de ménage : Merci Madame la directrice.

La directrice : C'est tout naturel, ma petite Irène. Et à part ça, rien à signaler ?

La femme de ménage : Alors justement, tant qu'on en cause. Rapport à ma petite


augmentation qu'on avait évoquée le mois dernier…

La directrice ( Elle la coupe) : Irène ! C'est bien ce que vous faites Irène !
L'intendance, la gestion du personnel, l'organisation des animations, l'accueil des
familles…

La femme de ménage : Le ménage aussi…

La directrice : Ben oui, le ménage. Forcément, à la base, vous êtes femme de


ménage, je vous rappelle. Faudrait voir à pas l'oublier ! C'est comme la lessive. C'est
pour vous la lessive !

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La femme de ménage : Oui Madame la directrice.

La directrice : Sinon, vous savez que je pense à vous pour une petite promotion ?

La femme de ménage : Ah bon ? Et ça serait payé ?

La directrice : Vous avez des connaissances médicales, vous ?

La femme de ménage : Ben non, pas trop.

La directrice : Ça tombe bien. On doit faire des économies Irène. Sinon, on va dans
le mur. En ce moment, on n'a pas les moyens de rémunérer un personnel trop
qualifié.

La femme de ménage : Du coup, pour mon augmentation, c'est mort…

La directrice : Les charges Irène ! Les charges ! C'est ça qui nous tue ! J'ai décidé
une compression de personnel.

La femme de ménage : Encore !

La directrice : Si on veut s'en sortir, c'est vital. Vous savez faire les piqûres ?

La femme de ménage : Je sais pas… sûrement. J'ai jamais essayé.

La directrice : Parfait ! Vous êtes engagée.

La femme de ménage : Mais… normalement, c'est le boulot de l'infirmière ça, non ?

La directrice : Elle termine son contrat la semaine prochaine. Malheureusement,


elle va nous quitter.

La femme de ménage : Mince… Elle est au courant ?

La directrice : Pas encore, pas encore. Inutile de l'ennuyer avec ça maintenant. Elle
a bien le temps d'être malheureuse. Un peu de compassion Irène. Naturellement, je
compte sur votre discrétion.

La femme de ménage : Oui Madame. Euh… du coup, pour le ménage, on fait


comment ?

La directrice : Je vous fais confiance ! Je ne sais pas, moi… vous pourriez peut-être
organiser un atelier " Monsieur Propre " ou un défilé de serpillières ? Après tout,
l'animation, c'est un peu votre rayon, non ?

La femme de ménage : Euh non pas vraiment …

La directrice : Parfait ! Je vous laisse ! Je sais pouvoir compter sur vous Irène !
( Elle sort.)

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La femme de ménage : Si vous le dîtes, Madame la directrice…

Scène 4 : la femme de ménage.

La femme de ménage ( En posant son seau sur le plan de travail) : De mieux en


mieux ! Infirmière. Me v'là infirmière maintenant. On aura tout vu.
( Elle saisit le récipient plein de pilules.)
Et ça, j'en fais quoi ? Y a plus d'étiquette. On sait même pas ce que c'est ! Comment
je fais moi pour vendre ça ? C'est tout mélangé en plus !
( Elle pose le récipient sur l'étagère au-dessus de son seau.)
Bon, les vieux ! Qu'est-ce que vous fabriquez ? Vous rappliquez avec vos plateaux ?
( Elle se retourne brusquement, heurte le pot de pilules avec son balai. Les pilules
tombent dans le seau.)
Mince ! les médocs !
( Elle sort de son seau une bouteille de détergent ouverte.)
Ils sont tombés en plein dans mon Récurex ! Chiotte, il va être tout foutu, ça fait des
bulles, maintenant ! Un beau Récurex tout neuf en plus !

Scène 5 : la femme de ménage, Marcel, Amédée, Ginette, Paulette, Madeleine.

La porte du réfectoire s'ouvre. Les pensionnaires entrent, la tête basse. Deux


d'entre eux portent des plateaux.

La femme de ménage : Ah ben quand-même ! C'est pas dommage. Qu'est-ce que


vous avez foutu ? ( Elle range son Récurex dans le placard.)

Marcel : C'est à cause de Ginette. Elle a voulu faire le service.

La femme de ménage : C'est bien ça, Madame Ginette ! On a voulu se rendre


utile… Toi, t'es une brave vieille, ma Ginette.

Marcel : Ouais, sauf que Ginette… elle a la tremblote.

Amédée : Même que j'ai les pieds tout mouillés.

Ginette : C'est de la soupe.

Marcel : Et le pantalon aussi.

Ginette : Ça, c'est pas de la soupe.

La femme de ménage : De quoi ? P'tit saligaud ! Tu pouvais pas te retenir ? Qui


c'est qui fait la lessive à ton avis ?

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Ginette ( Elle montre les bols.) : Non, j'te parle de ça. Ça, c'est pas de la soupe !

La femme de ménage : Ah bon ! Tu m'as fait peur. Bien sûr que c'est de la soupe.
Je sais ce que je dis, c'est moi qui fais la bouffe !

Paulette : Ginette elle a raison. Normalement, dans la soupe, on met des légumes.

La femme de ménage : C'est pas forcé ! Chacun ses recettes. Moi, je mets ce que
je veux dans ma soupe.

Madeleine : Et pis y a pas de viande non plus.

La femme de ménage : Alors là, je confirme. Y a pas de viande. Manquerait plus


que ça… au prix du steak…!

Paulette : Sauf que Madeleine, elle aime bien la viande.

Amédée : Du coup, elle a encore essayé de me mordre.

La femme de ménage : Oui, ben ça va. C'est pas bien méchant. La Madeleine, elle
a pas de dent.

Amédée : P't être, mais elle bave. Je suis tout poisseux, maintenant.

La femme de ménage : Bon, les vioques. C'est pas que je m'ennuie, mais je vous ai
assez vus. Alors je vous laisse vous installer, faites comme chez vous. Pensez à
débarrasser quand vous aurez fini. Léchez bien les gamelles et sucez les cuillères,
ça fait gagner du temps pour la vaisselle. ( Elle sort avec son balai et son seau.)

Scène 5 : Marcel, Amédée, Ginette, Paulette, Madeleine.

Les pensionnaires se dirigent vers la table en traînant la savate. Ils s'assoient au


ralenti avec une synchronisation parfaite.

Amédée : Qu'est-ce vous avez dit ?

Marcel : Rien Dédé. On n'a rien dit.

Amédée : Ah ! Tant mieux, parce que j'ai rien entendu…

Paulette : J'ai faim.

Madeleine ( En humant l'air) : Ça sent la chair fraîche…

Ginette : Reste tranquille Madeleine. Il y a personne de comestible ici.

Amédée : Qui c'est qui sert la soupe ?

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Marcel : C'est pas de la soupe ! C'est de la flotte ! Ils veulent nous affamer ! C'est
pire que du nazi ! On se croirait à Paris pendant l'occupation.

Madeleine : Moi, j'y étais !

Paulette : T'as raison, on entend même le bruit des bombes !

Ginette : Ça, c'est pas des bombes, c'est Madeleine…

Marcel : Mais on va pas se laisser faire ! Moi, je monte au front !

Ginette : T'es sûr ? les bombes, ça vient pas du front.

Marcel : Couvrez-moi ! J'entame une mission de reconnaissance. Razzia sur les


vivres ! On va piller les réserves !

Paulette ( Admirative) : Il est courageux notre Monsieur Marcel…

Amédée : Moi aussi, mais pour la mission de reconnaissance, je peux pas, à part
vous, je connais personne...

Marcel s'approche prudemment de la porte, s'assure que la voie est libre, puis il
ouvre les placards. Il les explore péniblement en traînant les pieds. Les autres
l'encouragent.

Ginette : Allez Marcel ! Courage.

Paulette : On est avec toi, camarade ! Vas-y, moi, je surveille la porte !

Madeleine : Faut suivre les odeurs de beefsteak. Tu sens ?

Amédée : Ecoute ton instinct camarade ! L'ennemi nous aura pas !

Marcel : Qu'est-ce tu dis ?

Ginette : Prends pas de risque Marcel ! Ils ont sûrement piégé le terrain !

Paulette : Faudrait pas que tu sautes sur une mine !

Madeleine : Remarque, si il crève, il sera pas perdu pour tout le monde, on pourra
toujours le manger…

Amédée : Qu'est-ce que tu racontes Madeleine ?!?

Madeleine : Oh ferme ton clapet ! T'es fatigant, t'entends jamais rien ! Faut toujours
tout répéter avec toi !

Amédée : Sauf que là, j'ai entendu.

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Madeleine : Ben pourquoi tu demandes, alors ?

Amédée : Je demande pas, je proteste !

Madeleine : Et ben moi je préfère quand t'es sourd !

Ginette : N'empêche que Amédée il a raison. On mange pas les gens, ça se fait pas.

Madeleine : Et pourquoi pas ? Là, c'est comme en quarante ! En quarante, pour s'en
tirer, il a fallu bouffer les morts !

Paulette : Vous avez mangé des morts vous ?

Madeleine : Oh, ben de temps en temps, comme ça en passant… juste par


politesse, pour goûter.

Ginette : Et vous en avez mangé beaucoup, Madeleine ?

Madeleine : Ben non. Pas trop… Enfin, pas en entier, juste des bouts. Toute façon,
c'était pas la peine de gâcher, ils servaient plus à personne.

Ginette : En tous cas, Monsieur Marcel, personne le mange !

Amédée : En plus, il est pas mort.

Madeleine : Oui, ben pas encore, mais ça va finir par arriver… on va pas faire les
délicats, non plus.

Marcel ( Il bondit en arrière) : Bon dieu les fumiers ! Ils ont miné le terrain. C'est un
traquenard !

Amédée : Fais gaffe Marcel !

Madeleine : Vas-y, fonce ! J'ai les crocs !

Marcel : J'peux pas, c'est plein de tapettes !

Ginette : Bon sang ! Paulette ! Ils ont fichu des tapettes dans le placard !

Paulette : Tout fout le l'camp, ma Paulette ! Y a plus de moralité ! On n'enferme pas


les gens dans les placards ! Bande d'homophobes, va !

Amédée : Comment qu'elles sont tes tapettes ? Elles ont l'air agressives ?

Marcel : Bouge pas, je regarde… attends… j'en vois qu'une… ça va, on dirait qu'elle
est désarmée…

Ginette : Tant mieux. Allez, reviens Marcel.

Marcel : Non, non, ça va. Elle a l'air inoffensive.

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Paulette : Ferme la porte Marcel ! Faut se tirer !

Marcel ( En brandissant une tapette à souris) : Et voilà ! Dans l'os la Gestapo !


Alors ? qui c'est les plus forts ?

Ginette : c'est quoi ça ?

Paulette : C'est pas une tapette ça ( Elle mime.) ! C'est une tapette… ( Elle claque
les mains.)

Marcel ( Il a plongé la main dans le placard et en sort la bouteille de Récurex.) :


Bingo les amis !!! On les a doublés ! Regardez-voir ce que j'ai dégoté !

Amédée : Du pinard ! Bon Dieu ! Ça fait combien de temps qu'on n'en avait pas vu !

Ginette : Pour Marcel hip-hip-hip…

Tous : Hourra !!!

Amédée : C'est quoi comme marque ? C'est un Bordeaux ?

Marcel : Sûrement… Je sais pas, j'ai pas mes lunettes.

Paulette : Vu d'ici, on dirait plutôt du blanc qui mousse.

Amédée : Un blanc qui mousse ? C'est du Champagne, alors ! Marcel, t'as dégoté
un Champagne ! Oh bonne mère ! On va se gaver !

Ginette ( En fronçant le nez pour lire de loin) : Récurex. C'est une marque de
Champagne, ça ?

Marcel : Allez, santé ! ( Il lève la bouteille et boit une longue rasade au goulot.) Ah !
Ça ramone ! C'est du bon !
Il se métamorphose lentement. Il se redresse soudain et semble brutalement
animé d'une énergie juvénile toute neuve. Il sautille sur place puis bondit dans tous
les sens. Il se met à faire des flexions et des pompes.

Marcel : Allez les gros ! On bouge ! C'est mort ici !

Amédée : Hein ? Qu'est-ce que tu dis ?

Paulette : Ben Marcel ?!? Qu'est-ce qui t'arrive ?

Ginette : Tu t'es vu Marcel ? Paulette elle a raison, tu ressembles à rien ! t'es tout
décoiffé…

Marcel ( Surexcité) : Eh ben vous en tirez des tronches les gâteux ! Ça pue la
naphtaline ici ! Allez, buvez un coup de Jaja, ça va vous remettre à l'endroit. Cul

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sec ! ( Il remplit les verres que les vieux vident aussitôt. Les réactions sont
immédiates.)

Paulette : Bon sang ! J'ai les jambes qui bougent toutes seules !

Ginette : Pétard ! Qui c'est qui a une paire de rollers ? Faut que je fasse du roller
tout de suite !

Amédée : Nom de Dieu ! C'est moi Spiderman !

Madeleine : Et moi, j'ai les dents qui poussent !

Paulette : Qu'est-ce qui nous arrive ? Je me reconnais plus !

Ginette : C'est pas naturel ! C'est un coup du démon !

Marcel : C'est pas le démon ! C'est le pinard ! Ils ont mis un truc dedans !

Amédée ( En courant autour de la pièce.) : C'est trop bon ! Je suis fort comme Hulk
le géant vert !

Paulette : Attention ! J'entends les nazis !

Marcel : Gaffe ! Personne ne bouge. Faites semblant de rien. Faut pas qu'ils
s'aperçoivent qu'on a tapé dans le Champagne millésimé. Je planque la bouteille. ( Il
pose la bouteille de Récurex sous la table.)

Scène 5 : La femme de ménage, l'infirmière, Marcel, Amédée, Ginette, Paulette,


Madeleine.

La femme de ménage et l'infirmière entrent. La femme de ménage porte une trousse


à pharmacie.

La femme de ménage : Allez les radoteurs ! On débarrasse.

Ginette : La table ?

La femme de ménage : Non, le plancher. C'est l'heure de ma pause. Je vous veux


pas dans mes pattes pendant que je regarde " les feux de l'amour".

L'infirmière : Irène a raison. 18h30, il est tard. Extinction des feux dans 10 minutes.
Avant, on se fait notre petit prélèvement d'urine quotidien, on prend notre
température, un suppo… et au lit.

La femme de ménage : Bon, on se magne. Pour le pipi, qui c'est qui commence ?

Amédée ( En bondissant sur ses pieds.) : Moi ! Moi ! Prem's !

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La femme de ménage et l'infirmière se regardent surprises.

La femme de ménage : Ben qu'est-ce qui te prend Papy ? T'as l'air tout bizarre…

Marcel : C'est parce qu'il est pressé. C'est la vessie qui gonfle… ça énerve.

La femme de ménage : Ah c'est ça…! Ben faut qu'il y aille alors, pas la peine qu'il
se fasse dessus. Allez Dédé, va me remplir ça. ( Elle lui tend un flacon stérile qu'elle
sort de sa trousse à pharmacie. Pendant ce temps, Amédée se dirige vers les
toilettes. Il peine à maîtriser son énergie débordante. La femme de ménage et
L'infirmière vont vers le canapé dans lequel elles s'installent, face à la télé.)

L'infirmière ( A Irène.) : C'est gentil Irène, de me soulager des prélèvements d'urine.


Mais vous savez, c'est pas la peine de vous embêter, c'est mon boulot.

La femme de ménage : C'est rien. Faut que je m'habitue…

L'infirmière : Ah bon ?

Amédée sort des toilettes en courant. Il paraît très excité.

Amédée : Vous me croirez jamais ! C'est très rigolo ! j'ai fait pipi bleu ! Vous voulez
voir ?

Les vieux : Non !

Absorbées par le programme télé, l'infirmière et la femme de ménage ne se sont


aperçues de rien.

La femme de ménage ( Sans quitter l'écran des yeux.) : Bon, on se magne. Et en


silence, il y a Samantha qui a un rencard avec Marco sur la plage. Je veux pas rater
ça !

Madeleine : A moi ! Moi aussi, je veux faire pipi bleu ! ( Elle file vers les toilettes en
sautillant.)

Marcel : Madeleine ! Attendez !

La femme de ménage : Oh il est beau, Marco… je craque complètement… T'as vu


son torse ?!?

Amédée : J'ai une pêche, moi ! ( A l'infirmière et à Irène.) Eh les filles ! Vous me
faites une place sur le canapé ?

Ginette et Marcel : Chut Amédée. Calme-toi, tu vas nous faire repérer.

L'infirmière : C'est vrai qu'il est pas mal. T'as vu les abdos… Il a le physique de
l'homme mur idéal et sûr de lui…

Amédée : Bougez pas mes toutes belles, l'homme sur le mur idéal, il arrive !

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Marcel, Paulette et Ginette se jettent sur Amédée pour le maîtriser.

Marcel : Amédée, reste tranquille !

Madeleine ressort des toilettes en courant.

Marcel : Ça va Madeleine ?

Madeleine : Ben non ! J'ai pas réussi à faire pipi bleu… Moi, c'était tout rose fluo…

Marcel : Rose fluo ?!? Nom de Dieu, c'est le Champagne !!!

Ginette : C'est pas grave, c'est très joli aussi rose-fluo.

Madeleine : Ah bon ?!? Vous croyez ?

Paulette : Bien sûr ! Rose-fluo, en ce moment, c'est la couleur à la mode…

Ginette : Et puis, c'est original. Dans un vase en cristal sur une étagère, ça pourrait
être tout à fait décoratif…

Marcel : En tous cas, faut pas qu'on leur donne nos prélèvements d'urine… sinon,
on est grillé ! Pour le Champagne, elles vont se douter...

Amédée : T'as un plan ?

Marcel : Bougez pas, je reviens. ( Il attrape une bouteille vide sur la table et sort en
rampant.) Faites diversion, j'en n'ai pas pour longtemps.

Scène 6 : La directrice, la femme de ménage, l'infirmière, Amédée, Ginette, Paulette,


Madeleine.

La directrice entre de l'autre côté. Aussitôt, l'infirmière et la femme de ménage


bondissent sur leurs pieds. Elles se placent entre la télé et leur patronne.

La directrice : Mesdemoiselles ? Vous vous êtes occupées du coucher de nos


résidents ?

L'infirmière ( Gênée) : Tout à fait… c'est en cours Madame la directrice.

La directrice : Je vois…

La femme de ménage : C’est-à-dire qu'on attend qu'ils aient fini leurs petites
affaires… On peut pas faire à leur place, vous comprenez…

La directrice : Je vois…

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L'infirmière : Mais dès qu'ils sont prêts, hop ! Un suppo et dodo !

La femme de ménage ( En acquiesçant.) : Hop !

La directrice : Je vois… et en attendant, vous n'avez rien à faire. Je me trompe ?

La femme de ménage : Euh non… enfin, si ! mais c'est surtout de la présence…

L'infirmière : Voilà ! C'est de l'humain, vous comprenez… on est là, on s'en occupe,
on les rassure… on les berce dans un cocon affectif sécurisant…

Amédée : Eh ! Poulette ! Moi je veux bien que tu me berces dans ton cocon !

Les petites vieilles : Dédé ! Tais-toi !

L'infirmière, la directrice et la femme de ménage se tournent surprises vers


Amédée.

Paulette : C'est rien Mesdames. C'est pas de sa faute. Il a fait un mauvais rêve. Il
est vieux, vous comprenez…

La directrice : Ah bon ? Ça va alors… en attendant, je note. Manque d'occupation,


activité ralentie... c'est pas bon ça. Si ça se trouve, on tourne en sureffectif.

L'infirmière : En sureffectif ? Ah ben sûrement pas, non ! On est que deux pour
quatre étages !

La directrice : Peut-être, mais il y a un ascenseur, je vous signale.

L'infirmière : Il est en panne.

La directrice : Vous, vous avez décidé de faire du mauvais esprit. C'est pas bon ça.
Je note…

L'infirmière : Mais pas du tout…

La directrice : Quoiqu'il en soit, je ne suis pas descendue pour vous entretenir de


nos petites tracasseries administratives.

Amédée : Tant mieux ! Je peux venir sur tes genoux, ma belle ?

Ginette : Tais-toi Dédé ! ( Au personnel de la résidence.) Faut pas faire attention


Mesdames. C'est à cause de son cauchemar. Il a besoin d'être rassuré.

Paulette : On s'en occupe, vous inquiétez pas, Mesdames. Amédée, ferme ta


bouche !

La directrice ( En regardant les vieux) : Ah, la déchéance physique… C'est ce qui


nous attend tous… Mais c'est parfois un peu répugnant, non ?

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La femme de ménage : Tout à fait, Madame la directrice.

La directrice : Bon, venons-en au fait. J'ai une grande nouvelle à vous annoncer.
Attention, accrochez-vous ! Vous êtes prêtes ? Alors figurez-vous que Le conseil
d'administration a voté une subvention extraordinaire pour notre belle résidence des
Alouettes !

La femme de ménage : Fantastique ! Ça veut dire qu'on a de l'argent ?

L'infirmière : On va avoir des médicaments pas périmés ?

La femme de ménage : On va pouvoir acheter à manger pour de vrai ?

L'infirmière : Des produits frais ?

La femme de ménage : Une machine à laver ?

L'infirmière : On va engager du personnel ?

La femme de ménage et l'infirmière : Mais c'est merveilleux !!!

La directrice : Euh… on se calme. La subvention, c'est en nature. En plus, c'est déjà


dépensé, ils ont profité d'une offre promotionnelle à saisir tout de suite. Ils nous ont
acheté… tenez-vous bien… des entrées gratuites pour le zoo de Doué !!!

La femme de ménage : Ah ?

L'infirmière : Le zoo de Doué ? C'est bien le zoo de Doué…

La directrice : Voilà-voilà… Bon, je vous laisse annoncer la bonne nouvelle à nos


résidents. Allez-y doucement, faudrait pas qu'il y en ait un qui nous fasse une crise
cardiaque.

L'infirmière : Faites-nous confiance madame la directrice, on va les ménager, on a


l'habitude…

La directrice : Ah, j'oubliais… il faudra faire une sélection, parce qu'on a que 9
places. Prenez les plus en forme.

L'infirmière : Une sélection ? Bien Madame la directrice…

La directrice : Départ vendredi 5h30 avec les p'tits vieux que vous aurez choisis. Ne
soyez pas en retard, il y a 5 heures de minibus. ( Elle prend Irène par le bras en
s'approchant de la porte.)

La directrice : Je vous rappelle que vous êtes mon bras droit, Irène. Ne me décevez
pas…

La femme de ménage : Oui Madame.

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La directrice : Mon bras droit ! ( Elle sort.)

L'infirmière ( Aux résidents.) : Bon, vous avez fini ? On va pouvoir procéder au


coucher ?

Paulette : Presque. Il y a Marcel qu'est encore au p'tit coin…

La femme de ménage : Marcel ? C'est bon, on va pouvoir mater la fin de l'épisode.


Avec sa prostate, Marcel, il en a encore pour deux plombes… ( Irène et l'infirmière
s'installent de nouveau devant la télé.)

Scène 7 : Marcel, l'infirmière, Amédée, Ginette, Paulette, Madeleine.

Marcel entre en vitesse. Il fait un roulé-boulé sur le sol et plonge vers la table.

Marcel : C'est bon, j'ai tout ce qui faut. Vite, sortez les flacons.

Paulette ( En regardant impressionnée la bouteille pleine d'un liquide jaune que


Marcel a ramenée.) : C'est toi qui a fait tout ça ?

Marcel : Ben non, pas moyen. Moi, c'est sorti tout vert ! Alors, j'ai ponctionné les
grabataires. ( Il remplit les flacons. Madeleine qui regarde l'épaule de Paulette depuis
un moment ne peut s'empêcher de la mordre.)

Paulette : Aïe !

Madeleine : Oups ! C'est pas de ma faute, j'ai pas pu me retenir.

L'infirmière : Ah Marcel ! Vous voilà.

La femme de ménage ( En se levant.) : C'est pas trop tôt. ( Elle s'approche et sort
les thermomètres de sa poche.) Bon, allez. Opération thermomètre.

Amédée et Marcel se lèvent aussitôt et font mine de se déboutonner.

La femme de ménage : C'est bon, là, on n'a pas le temps. Aujourd'hui, vous vous le
mettez dans la bouche.

Ils se rassoient tous ensemble et portent le thermomètre à leur bouche en même


temps.

L'infirmière : Bon allez, ça ira bien. Je ramasse les copies. ( Elle commence par
Madeleine, jette un coup d'œil rapide sur le thermomètre… elle écarquille les yeux et
pousse un cri.) Ah ! C'est quoi ça ?!? Madeleine ! Vous allez bien ? Madeleine !
Parlez-moi !

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Madeleine : Ben voui, ça va. Ça va bien. Et vous ?

L'infirmière : 45 ! Vous avez 45 ! Madeleine ! Vous devriez être morte !

Madeleine : Ah zut ! Vous êtes sûre ? Ben non, là, ça va bien…

La femme de ménage : La vache ! Amédée, il a 46 !

Ginette : Moi j'ai 47 ! Je gagne ! Et toi Paulette, t'as combien ?

Paulette : Le mien il est bloqué à 43… c'est de la daube leur machin, il bouge plus…

L'infirmière : C'est pas possible ! Qu'est-ce qui vous prend ? C'est quoi cette
température ?

La femme de ménage : Elle a raison l'infirmière ! Non mais vous vous prenez pour
qui ? On fait pas des températures pareilles avant d'aller se coucher, c'est n'importe
quoi !!!

Marcel : C'est rien, faut pas vous inquiéter, c'est sûrement vos instruments qui
marchent pas. A force de vouloir faire des économies, c'est ce qui arrive… Tiens !
regardez voir ! le mien, il dit que j'ai 48 !

Ginette : 48 ? J'ai perdu alors ?

L'infirmière : Bon allez. On oublie les températures pour ce soir. Tout le monde au
lit.

La femme de ménage ( Elle aperçoit son Récurex sous la table.) : C'est quoi ça ?
Faut pas jouer avec mes produits d'entretien ! Ça va pas la tête !!! ( Elle s'empare de
sa bouteille.)

Amédée : C'est du produit d'entretien ça ?!?

Ginette : C'est pas du Champagne alors ?

Paulette : Et ça sert à quoi du produit d'entretien ?

La femme de ménage : Ben c'est pour entretenir, c'te question ! Bon allez, au
plumard, les vioques !

Marcel : Et ça marche votre produit d'entretien ?

La femme de ménage : Bien sûr que ça marche ! Et maintenant, on se remue les


ancêtres ! Je veux plus vous voir traîner dans mes pattes !

Marcel : Et vous par exemple, Vous vous en servez souvent de votre produit
d'entretien ?

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La femme de ménage : Bien sûr mon chou ! Tous les jours ! Un p'tit coup en vitesse
et ça redonne de l'éclat à tous les vieux trucs ! C'est magique !

Marcel : C'est drôlement bien... Et on trouve ça où ?

La femme de ménage ( En rangeant son produit dans le placard.) : Ah ça, on le


trouve pas mon pépère ! Ça, c'est une recette à moi. Rien que du bio. Je le fabrique
moi-même.

Marcel : Et la recette, on pourrait l'avoir ?

La femme de ménage : Bon, tu me lâches avec tes questions ? Là, on a passé


l'heure du coucher. Nous, on va encore se taper une pénalité. Y en a marre,
maintenant ! Au pieux !

L'infirmière ( Elle a rangé les prélèvements d'urine dans sa trousse à pharmacie.) :


Irène a raison, cette fois, c'est l'heure. En rang par deux, on va mettre la viande dans
le torchon !

Madeleine ( Elle bondit sur ses pieds. Elle bat des mains.) : Oh oui ! la viande dans
le torchon ! ( Elle sort en courant.)

L'infirmière et la femme de ménage se regardent surprises.

Paulette : Madeleine ! Attendez ! ( Elle sort en essayant de maîtriser son énergie


toute neuve.)

Ginette : Madeleine ! calme-toi ! tu vas nous faire repérer ! ( Elle sort en se traînant
jusqu'à la porte et elle bondit dans le couloir.)

L'infirmière : Repérer ? Qu'est-ce qu'elle raconte ? Repérer par qui ?

Amédée : La Gestapo ! Ils nous ont encerclé. Y en a partout ! C'est un complot…!


Mais ils nous auront pas, on se laissera pas faire… ( Il sort aussi.)

La femme de ménage : Hein ?!?

Marcel : Faites pas attention. Ils radotent. Faut comprendre mes p'tites dames, eux,
ils sont vieux vous savez…

L'infirmière : Ah bon ? C'est rien alors, ça va passer…

La femme de ménage : C'est moi où ils sont un peu bizarres nos p'tits vieux ce
soir…?

Ils sortent. Extinction des feux.

Scène 8 : Paulette, Ginette.

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Paulette passe la tête par la porte côté jardin. Elle appuie sur l'interrupteur, la
lumière revient. Elle inspecte les alentours avec circonspection, puis s'aventure dans
le salon sur la pointe des pieds. Elle s'approche du placard.

Paulette ( Elle ouvre les placard et commence à fouiller) : Où c'est-y qu'elle l'a fourré
son bazar ? Oh mais tu peux cacher ton fourbi ma jolie, la Paulette, elle est pas
tombée de la dernière pluie. Non, non, non... La Paulette, c'est une futée ! ( Elle finit
par trouver ce qu'elle cherche.) Tiens ! Qu'est-ce qu'elle disait la Paulette ! La v'là, la
potion magique !

Ginette ( En passant la tête par l'entrebâillement de la porte.) : Ah ! ( Fâchée.)

Paulette : Ah ! ( Terrifiée.)

Ginette : Paulette ! ( Accusatrice.)

Paulette : Ginette ! ( Soulagée.)

Ginette : Qu'est-ce que tu fais là toute seule dans le noir ? Hein ? Comme une
voleuse.

Paulette : Qu'est-ce que tu racontes ? Il fait pas noir d'abord ! ( Elle cache la
bouteille dans son dos.)

Ginette : Tu l'as ?

Paulette : Hein ? De quoi tu dis ? Ben non, j'ai rien. Pourquoi ?

Ginette : Fais voir tes mains !

Paulette : Tiens regarde… ( Elle lève ses mains l'une après l'autre en dissimulant la
bouteille dans son dos.)

Ginette : Encore ! Refais voir. J'ai pas confiance…

Paulette recommence son manège.

Ginette : T'es sûre ? T'as rien ?

Paulette : Promis juré craché ! Sur la tête de la croix de bois en fer ! Si je mens j'vais
en enfer ! ( Elle lève un bras pour jurer et met la bouteille sur son cœur avec l'autre
main. Triomphante, Ginette pointe un doigt accusateur sur Paulette.)

Scène 9 : Paulette, Ginette, Marcel.

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Marcel ( Entre par la porte du milieu.) : Ah ! ( Surpris.)

Paulette et Ginette : Ah ! ( Effrayées.)

Marcel : Eh ben qu'est-ce que vous faites là les filles ?

Ginette : C'est Paulette ! C'est elle qui l'a ! Je l'ai vue dans ses sales petites pattes
de fouine !

Marcel : Bravo Paulette ! Y en reste beaucoup ?

Paulette ( Elle sort la bouteille qu'elle a recachée dans son dos. Elle la secoue,
regarde dedans.) : Ben pas trop… on dirait qu'elle est presque vide…

Ginette : Toi, t'as bu en douce pendant qu'on avait le dos tourné.

Paulette : Même pas ! Qu'est-ce que tu vas imaginer ?

Ginette : Crache !

Paulette : Hein ? Ça va pas ? Et toi d'abord ? Qu'est-ce que tu fais là, toi ? Hein ?

Ginette : C'est pas moi, c'est mes jambes. Elles bougent toutes seules. Moi, j'ai
suivi, c'est tout.

L'infirmière Off : Paulette ! Ginette ! Vous êtes là ?

Marcel : Attention ! La Gestapo ! Faut pas qu'elle nous trouve là !

Ginette : Vite ! Dans le placard !

Marcel : Ça tiendra pas ! Vous êtes trop grosses ! Les vécés ! On fonce ! ( Ils se
ruent sur la porte des toilettes et s'y entassent au moment où la porte du milieu
s'ouvre.)

Scène 10 : L'infirmière, Marcel.

L'infirmière ( Elle tient une seringue-pistolet.) : Ginette ? Paulette ? Vous êtes là ?


Elle ouvre les placards.
Ginette… Paulette… petit-petit… Où vous êtes ? Vous avez pas eu votre suppo…
Qui c'est qui veut son bon petit suppo ?
Elle continue à fouiller.
Paulette ? Vous m'entendez Paulette ? C'est pas drôle Paulette ! Il faut sortir
maintenant. Il est tard ! Ginette !!! Vous m'entendez ? En plus, le suppo, il va plus
être bon, il est en train de fondre…
Elle s'approche des wc. Essaie d'ouvrir la porte qui est verrouillée.

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Paulette ? C'est vous Paulette ? Je vous ai trouvée, Paulette ! Sortez de là tout de
suite ! Vous m'entendez ? Maintenant ça suffit, je vais me fâcher !

Marcel off : Paulette elle est pas là…

L'infirmière : Ginette ? C'est vous Ginette ?

Marcel off : Ginette elle est pas là non plus…

L'infirmière : Qui est là ? Sortez de là tout de suite, vous m'entendez !

Marcel off : Je peux pas… j'ai pas fini…

L'infirmière ( Elle retrousse ses manches et prend son élan.) : Sortez ou je défonce
la porte !!!

Marcel off : Qu'est-ce que tu dis ?

L'infirmière : Tant pis pour vous, tu l'auras voulu ! ( Elle pose son pistolet-seringue
sur la table et court vers la porte pour l'enfoncer d'un coup d'épaule. A ce moment-là,
Marcel ouvre pour sortir. Il voit l'infirmière arriver sur lui. Il referme aussitôt. Elle
freine mais percute la porte quand-même et tombe à la renverse.)

Marcel ( Sort timidement des toilettes et referme la porte derrière lui.) : Tirez pas,
j'me rends. ( Il lève les bras.)

L'infirmière ( Encore au sol, un peu sonnée.) : Marcel ? C'est vous ? Mais qu'est-ce
que vous faites là ?

Marcel ( Gêné, il se tortille.) : Eh ben…

L'infirmière : Bon ça va, j'ai compris. Epargnez-moi les détails sordides. Mais faut
pas rester là, vous devriez être au lit depuis longtemps ! Allez hop ! Je vous
raccompagne.

Marcel ( Contrit.) : Oui Madame…

Elle le prend par l'oreille et ils sortent côté jardin. La porte du milieu s'ouvre
aussitôt sur Amédée.

Scène 11 : Amédée, Paulette, Ginette.

Amédée file au placard, ouvre les portes sans trouver ce qu'il cherche.

Amédée : Mince ! Où donc qu'elle l'a rangée ! Elle était là, pourtant ! J'suis pas dingo
!

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Ginette passe la tête par la porte des wc. Elle s'apprête à sortir. Apercevant
quelqu'un, elle claque la porte. Amédée sursaute.

Amédée ( Effrayé, s'approche de la porte des wc.) : Qu'est-ce que c'est ? Qui est
là ? Y a quelqu'un ?
Il frappe à la porte.
Montrez-vous !
Il s'empare de la seringue-pistolet que l'infirmière a oubliée.
Sortez de là je vous dis. Je suis armé ! Je n'hésiterai pas à faire feu !!!

Ginette ( Entrebâille la porte.) : Dédé ? C'est toi ?

Amédée : Ginette ? Tu dors pas ?

Ginette : Ben si. Pourquoi ?

Paulette ( Elle sort en bousculant Ginette.) : Bon allez pousse toi. Tu me prends tout
mon air !

Amédée : Paulette ? t'es là aussi ? Ben… pourquoi vous dormez à deux dans les
cabinets ?

Paulette : C'est à cause des suppos.

Amédée : Ah ouais, normal… les suppos, ça fait aller...

Ginette : Et toi ? T'es pas couché ?

Amédée : Qui moi ? Ben si… sauf que j'arrive pas à dormir. Je suis venu regarder si
y aurait pas un truc à boire, vite fait…

Paulette ( En lui tendant la bouteille de Récurex.) : C'est ça que tu cherches ? Te


fatigue pas, y en n'a plus.

Ginette : Comment ça y en n'a plus ?!? T'as tout bu ma cochonne !

Paulette : Même pas ! Y avait plus rien ! Pour qui tu me prends ? J'ai juste un peu
léché le fond. Mais ça m'a même pas humidifié le gosier tellement c'était presque
vide.

A ce moment on entend du bruit dans le couloir.

La directrice off : Aïe !!! Oh saleté de minuterie ! Ça fait un mal de chien !

Scène 12 : La directrice, Amédée, Paulette, Ginette.

Ginette : Bon Dieu ! Les nazis ! Vite, aux abris ! ( Elle court vers les toilettes.)

26
Paulette ( Elle entraîne Amédée qui semble perdu et qui tient toujours le pistolet à
suppos.) : Amène-toi !

A peine sont-ils enfermés dans les toilettes que la porte s'ouvre côté jardin. La
directrice entre en se tenant le front.

La directrice : Raz le bol ! Y a plus rien qui marche dans cette baraque ! Faudra
que je demande à Irène si elle s'y connaît en électricité. Et puis en plomberie aussi.
Les wouatères du premier sont HS. Obligée de descendre pour faire pipi !

Elle essaie d'entrer dans les toilettes. Mais la porte est fermée.

La directrice : Il y a quelqu'un ?

Amédée off : Non ! Il y a personne !

La directrice : Ben si ! Là, il y a quelqu'un !!!

Paulette off : C'est occupé !

La directrice : Je vois bien ! Qui est là ? C'est vous Irène ?

Ginette off : Oui-oui ! C'est la femme de ménage ! C'est Irène.

La directrice : Ah… et vous en avez pour longtemps ?

Amédée off : Ben… ça se pourrait…

La directrice : C'est pas grave, faites ce que vous avez à faire… j'attends.

Paulette off : C'est pas la peine… Elle est constipée !

La directrice : Ah bon ? Vous avez une drôle de voix Irène. Vous êtes sûre que tout
va bien ?

Scène 12 : L'infirmière, la directrice, Amédée, ( Paulette, Ginette).

L'infirmière ( En entrant par la porte du milieu.) : Ah ! Bonsoir Madame la directrice.


Vous avez besoin de quelque chose ?

La directrice : Non. Je fais la queue.

L'infirmière : Ici ? Quelle drôle d'idée…

La directrice : Et vous ?

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L'infirmière : Pas moi.

La directrice : Je vois bien. C'est pas ça que je vous demande. Qu'est-ce que vous
faites là ?

L'infirmière : Figurez-vous que j'ai oublié ma bombarde à suppos sur la table.

La directrice : Vous êtes sûre ?

L'infirmière : Tiens… c'est bizarre… j'étais certaine de l'avoir laissée là en


raccompagnant le père Marcel.

La porte des wc s'entrouvre. Un bras tend la bombarde à l'extérieur.

Amédée off : Tenez. J'en n' ai plus besoin.

L'infirmière : Qu'est-ce que c'est que ça ?!?

La directrice : C'est Irène.

L'infirmière : Irène ?!? Mais qu'est-ce qu'elle fait là-dedans ? Et pourquoi elle a ma
bombarde ?!?

La directrice : Elle est constipée…

L'infirmière ( Un peu surprise.) : Ah bon ?!? La pauvre…

La directrice : Bon, j'ai peur que ça dure un moment. Tant pis, je repasserai plus
tard. ( Elle sort côté jardin.)

L'infirmière ( Tournée vers la porte par où la directrice vient de sortir.) : Bonne nuit,
Madame la directrice.

Irène entre par la porte du milieu.

Scène 13 : La femme de ménage, l'infirmière, ( Amédée, Paulette, Ginette.)

La femme de ménage : Tiens vous êtes là, vous ? Tirez pas, j'me rend !

L'infirmière : Ah Irène ! Vous avez fini ? Bravo !

La femme de ménage ( Surprise.) : Euh… merci…

L'infirmière : Ça va mieux ?

La femme de ménage : Eh ben écoutez… Franchement, oui, ça va pas trop mal…

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L'infirmière : Ça fait du bien, hein ? On se sent libérée d'un fardeau, n'est-ce pas ?

La femme de ménage : Libérée ? Ben justement… pas trop.

L'infirmière : Ah bon ? vous sentez encore une gène ?

La femme de ménage : Une gène ? Ouais, un peu… Enfin, y a un truc qui me reste
en travers, vous voyez…

L'infirmière : En travers !?! Mon Dieu, mais faut pas rester comme ça ! Vous avez
besoin d'un coup de main ?

La femme de ménage : Laissez tomber, vous pouvez rien faire.

L'infirmière : Ben si. C'est quand-même un peu mon boulot.

La femme de ménage : Sauf que là, c'est trop tard.

L'infirmière : Comment ça c'est trop tard ??? Bien sûr que non ! Regardez ! J'ai ma
bombarde !!!

La femme de ménage : Votre bombarde, elle va pas vous servir à grand-chose. A


partir de la semaine prochaine, vous êtes virée.

L'infirmière ( Incrédule.) : Hein ? Qu'est-ce que vous racontez Irène ?

La femme de ménage : Décision de la chef. Moi, je prends votre place et je vais me


taper votre boulot en plus du mien.

L'infirmière : Mais c'est ignoble !

La femme de ménage : Un peu. Remarquez, c'est pas que ça me dérange. C'est la


vie. Non, moi, ce qui me gène, c'est que je vais pas être payée plus cher…

L'infirmière : Mais…?!? Mais… je viens de voir la patronne. Elle n'a rien dit…!!!
Vous êtes sûre ? Qu'est-ce que je vais devenir ?

La femme de ménage : C'est déjà décidé ! Pas d'augmentation ! Rien ! Nada ! Peau
de balle ! Alors ouais, j'avoue… là, je l'ai un peu en travers.

L'infirmière : C'est moche… Je vais me retrouver à la rue… avec deux petits…

La femme de ménage ( Elle se dirige vers la porte, côté jardin.) : Je vous le fais pas
dire. En plus, faut que je donne ma réponse maintenant. La chef attend. Je sais pas
trop quoi lui dire…

L'infirmière : Vous n'avez qu'à lui dire que les toilettes sont libres.

La femme de ménage ( En sortant.) : Hein ?!?

29
L'infirmière est accablée, elle vient s'asseoir à la table. La porte du milieu s'ouvre,
Marcel entre en traînant les pieds. Il aperçoit l'infirmière trop tard. Il essaie de faire
demi-tour...

Scène 14 : L'infirmière, Marcel, ( Amédée, Paulette, Ginette.)

L'infirmière : Alors Marcel ? On traîne dans les couloirs après le couvre-feu ?

Marcel : Qui ? Moi ? Vous croyez ? Ah ben ça alors… je savais pas ! J'ai pas fait
exprès… ou alors, j'ai oublié. C'est à cause de Parkinson.

L'infirmière : Alzheimer ? Vous voulez dire ?

Marcel : Je sais pas ! J'ai oublié.

L'infirmière : Vous savez que c'est interdit ça, Marcel ?

Marcel : Attendez ! Faut pas me réveiller, je suis en pleine crise de


somnambulisme ! Après, ça peut être dramatique…

L'infirmière : Vous fatiguez pas Marcel. C'est pas grave. Je dirais rien. Mais vous
devriez aller vous reposer. Vendredi, on vous emmène au zoo de Doué.

Marcel : Ah bon ?!? Au zoo de Doué ?

L'infirmière : Allez, je vous laisse. Bonne nuit Marcel.

Marcel ( Stupéfait.) : Bonne nuit… Madame… Madame l'infirmière…

L'infirmière : Vous pouvez m'appeler Adélaïde, si vous voulez. ( Elle sort.)

Scène 15 : Marcel, Amédée, Paulette, Ginette.

La porte des toilettes s'ouvre. Ginette sort la première.

Marcel : Ginette ! T'étais là ?

Paulette sort ensuite.

Marcel : Paulette !?! Toi aussi !!!

Amédée sort le dernier.

Marcel : Amédée ?!? Mais qu'est-ce que vous faites là-dedans ???

30
Paulette : On se cache !

Ginette : Et y a Paulette qu'a bu tout le Champagne ! Y reste plus rien pour les
copains !!!

Marcel : C'est vrai Paulette ? Y en n'a plus ?

Paulette : Oui, ben c'est pas de ma faute si je suis arrivée la première… Vous aviez
qu'à aller plus vite… En plus, il en reste un peu dans le fond…

Marcel : Foutre Dieu, les amis. C'est grave. Parce que les effets de la potion
magique, je crois bien qu'ils durent pas…

Amédée : Qu'est-ce que tu dis ?

Ginette : C'est vrai… d'un seul coup, j'me sens toute molle…

Paulette ( En sautillant sur place.) : Pas moi.

Ginette ( Fâchée.) : Forcément ! Toi, t'en a rebu !

Paulette : Rebus toi-même !

Ginette : Cul-sec !

Amédée ( En touchant son pantalon.) : Tiens ?!? Pas moi.

Marcel : Bon, ça suffit. Ce qui est fait est fait. Il nous faut de la potion magique. Je ne
vois qu'un moyen. On va demander à la femme de ménage d'en refaire.

Ginette : Elle voudra jamais.

Paulette ( En sautant sur place.) : Elle est mauvaise.

Amédée : On la force.

Ginette : Tu crois qu'on peut ?

Marcel : On n'a pas le choix. On la kidnappe !

Amédée : Et après, on la fait parler.

Ginette : On la ligote sur une chaise.

Paulette : Et on la torture !!! Ah ! J'me sens toute légère ! Irène, Espèce de saleté !
numérote tes abatis, tu vas morfler. ( Ils se dirigent vers la porte centrale qui s'ouvre.
La femme de ménage entre.)

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Scène 16 : La femme de ménage, Marcel, Paulette, Amédée, Ginette.

La femme de ménage : Les séniles ?!? Qu'est-ce que vous faites-là ? Dégagez de
là !!! Non mais vous êtes pas bien ? C'est quoi ces manières !

Amédée : On la chope !

La femme de ménage : Hein ? ( Amédée, Marcel et Ginette s'agrippent


maladroitement à Irène.) Qu'est-ce que vous faites ? C'est une crise d'affection ?

Marcel : Attention, elle va se barrer !

La femme de ménage ( En les repoussant sans effort.) : Bon, maintenant, faut vous
calmer, les débris. Vous avez pris vos pilules ?

Paulette passe derrière Irène en sautillant.

Paulette ( De toutes ses forces, elle assène plusieurs coups de Récurex sur le crâne
de la femme de ménage.) : Tiens ! Prends ça ! Et pis encore ça ! Méchante, va !

La femme de ménage s'écroule.

Paulette : Là, je crois bien qu'elle a son compte.

Marcel : Dis-voir Paulette… tu y serais pas allé un peu fort ?

Paulette : Penses-tu ! C'est elle qui a cherché. Bon, on l'interroge ?

Ginette, Amédée et Marcel sont penchés sur le corps d'Irène. Paulette est restée
un peu à l'écart. Elle trépigne d'impatience.

Ginette : Elle bouge plus tellement.

Amédée : Elle saigne beaucoup, là, non ?

Marcel : Elle a les yeux grands ouverts… C'est normal ?

Ginette : Elle a pas l'air dans son assiette…

Amédée : Vous avez vu son crâne ? Il est tout défoncé.

Ginette : Il lui faudrait p'têtre un Doliprane.

Marcel : Là, je crois qu'on va pas pouvoir l'interroger tout de suite…

Paulette : Vous voulez que je la cogne ?

Marcel : Pas la peine, Paulette. Y a plus de pouls. On dirait bien qu'elle est clamsée.

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Ginette : Oh non… On n'a pas eu le temps de l'interroger. Paulette, t'es fatigante,
faut toujours que tu te fasses remarquer ! Maintenant, pour la potion magique, c'est
foutu…

Paulette : C'est pas grave… il en reste un peu dans le fond. Regarde.

Scène 17 : Madeleine, Marcel, Amédée, Paulette, Ginette ( Irène.)

Madeleine sort des toilettes.

Ginette : Madeleine ? Mais ?!? Qu'est-ce que tu faisais là-dedans ?

Madeleine : Rien. Je crois bien que je me suis endormie sur la cuvette.

Amédée : Ça fait longtemps que t'es là ?

Madeleine : Je sais pas. J'ai glissé derrière la chasse d'eau. J'étais coincée entre le
mur et le tuyau. Pour dormir, c'est pas confortable. J'ai plein de courbatures partout
maintenant.

Marcel : Bon, on a un problème. Elle, on peut pas la laisser là. Si on la trouve, ils
vont nous mettre en prison.

Madeleine : Ah bon ? Qu'est-ce qu'elle a fait.

Amédée : Elle, rien. Elle est morte.

Madeleine : Ça va alors. C'est pas grave.

Paulette : La prison, par rapport à ici, c'est comment ? C'est mieux ?

Marcel : Faut qu'on fasse disparaître le corps.

Madeleine : Moi, j'ai un petit creux… si tu veux, je la mange.

Marcel : Merci Madeleine. C'est pas la peine. C'est gentil, mais, là, il y en a trop.
Vous y arriverez pas toute seule.

Madeleine : Vous voulez qu'on partage ?

Paulette : Non merci.

Amédée : Je sais ! On la découpe. Et après, on cache les morceaux.

Madeleine : Et moi, pour aider, je grignote des bouts…

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Ginette : Ça marchera pas. Ça va sentir.

Madeleine : Ben non. Après, je mets mon dentier à tremper dans le blanchident !

Marcel : J'ai trouvé ! Le zoo ! Vendredi, ils nous emmènent au zoo. On la découpe et
on donne les morceaux à manger aux fauves.

Paulette : Pas de corps, pas de meurtre. Elle a juste disparu et nous on n'a rien fait.
On est innocent.

Marcel : Bien vu ! Paulette, remets l'arme du crime à sa place. Les autres, avec moi !
Direction les cuisines !

Ils attrapent Irène par les pieds et la traînent sur le sol, pendant que Paulette
cache le Récurex dans le placard. Ils sortent côté jardin. Noir.

Scène 18 : Les inspecteurs, la directrice, l'infirmière, Marcel, Amédée, Ginette,


Madeleine et Paulette.

Les pensionnaires de la résidence sont assis autour de la table. Ils jouent aux
cartes mollement. La directrice fait les cents pas dans la pièce. Elle paraît
bouleversée. L'infirmière affiche une mine grave.

La directrice : Mon Dieu ! Un drame épouvantable ! Irène, la malheureuse… Ah ! la


police est là. Oh, bon sang, je dois être affreuse !

Dusson : Messieurs dames. Police nationale. Inspecteur Dusson. Dusson avec deux
" s". Et voici l'inspecteur Duçon. Avec un c. C'est le descendant direct de l'inventeur
de la cédille.

Paulette : Il descend d'où, lui ? ?

La directrice : Inspecteurs… Je n'arrive pas à réaliser. C'est tellement… inattendu.

Duçon : C'est sans doute pour ça qu'on ne pouvait pas prévoir.

Dusson : Je dirais même mieux… prévoir, on ne pouvait pas.

Ginette : c'est triste…

La directrice : Elle était tellement… indispensable !

Madeleine : En plus, elle avait bon goût.

L'infirmière : Vous savez ce qui s'est passé ?

Duçon : Madame, nous sommes là pour essayer de comprendre.

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Dusson : Je dirais même plus : pour essayer de comprendre, nous sommes là !

Duçon : Bien. Résumons les faits. Vous êtes partis de la résidence des Alouettes
vendredi, dans un minibus neuf places, pour le zoo de Doué.

Dusson : Je dirais même autrement : 9 places, le minibus.

La directrice : C'est bien ça. Notre infirmière était au volant.

Amédée : Moi aussi. Mais j'ai pas eu le droit de toucher aux pédales…

La directrice : Hein ?

L'infirmière : Mais non. Taisez-vous Amédée, vous compliquez pour rien.

Duçon : La future victime était avec vous ? Vous confirmez ?

Dusson : Je dirais même plus joli : confirmez-vous ?

L'infirmière : Avec nous ? Euh… non…

La directrice : Comment ça, non ?

Dusson : Je dirais même pareil : Comment ça, non ?

Marcel : Mais si, elle était là. On l'a mise dans le coffre.

L'infirmière : Ah bon ?

Marcel : Forcément, le minibus, c'est un neuf places.

La directrice : Et alors ?

Marcel : On était 10.

Duçon : Je confirme, j'ai noté : minibus 9 places.

Dusson : Et moi, j'ai noté autrement : 9 places le minibus.

Madeleine : Moi aussi, je confirme. Même qu'on a fait un petit goûter toutes les deux
à l'arrière…

Marcel : Madeleine, tais-toi.

Duçon : Mademoiselle, je répète ma question : La femme de ménage Irène était-elle


avec vous dans ce minibus.

Dusson : Mademoiselle, je répète sa question, en plus clair : dans ce minibus, la


femme Irène de ménage avec vous était-elle ?

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L'infirmière regarde Marcel avec un regard intense.

Marcel ( Il soutient son regard.) : Adélaïde…

La directrice : Adélaïde ? C'est qui ça ?

L'infirmière ( Qui prend soudain sa décision.) : Messieurs les inspecteurs… je


confirme, Irène était bien avec nous dans le minibus.

Duçon : Eh ben voilà ! Affaire conclue ! ( Dusson et Duçon ravis se tapent dans les
mains.)

La directrice : Comment ça affaire conclue ?

Dusson : Affaire conclue, on vous dit !

Duçon : Je vous explique. On a retrouvé un bras dans l'enclos des girafes. Il vous
manque une femme de ménage…

Dusson : Elle est tombée, la bête l'a mangée. Le bras c'est à elle.

La directrice : Vous êtes sûrs ?

Duçon : C'est un bras droit.

La directrice : Un bras droit ? Mon Dieu, pas de doute, c'est elle. Irène, c'était mon
bras droit !

Duçon : C'est un accident stupide.

Dusson : Un stupide accident !

Marcel ( Discrètement à ses complices.) : Qui c'est qu'a jeté un bras dans l'enclos
des girafes ? On avait dit les fauves !!! Pas les girafes !

Amédée : C'est pas un fauve la girafe ?!?

Duçon : Qu'est-ce que vous croyez ? C'est quand-même pas les petits vieux qui
auraient pu lui faire du mal à votre femme de ménage. Affaire classée. Regardez-les,
ils sont tout mous.

Dusson : Là, je peux pas dire mieux… regardez-les. Ils sont tout mous.

Duçon : Bon, faut qu'on vous laisse… maintenant, si ça se trouve, va falloir


euthanasier la girafe.

La directrice : Ah bon…? Bon, ben tant mieux alors. Tout est bien qui finit bien. ( A
l'infirmière : ) Dîtes-voir, vous… en ménage, vous vous y connaissez un peu ?

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Rideau.

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