Vous êtes sur la page 1sur 14

1

L'illusion érotique

Santiago Z

Œuvre publiée sous licence Creative Commons by-nc-nd 3.0

En lecture libre sur Atramenta.net

2
L’illusion érotique

30 avril

« Deux comprimés à peine…


Et déjà, de ma métamorphose,
L’heure a-t-elle sonné ? »
S’interroge,
Incrédule,
L’assistant,
Un peu déboussolé.

Trente minutes
Après,
L’assistant
Regarde son visage
Dans un miroir…
Il se juge plus viril
Et se décide enfin…
Il court
Chez sa voisine,
Madame B.
« Je vous attendais, dit celle-ci.
Mon mari est en mission.
J’aide la nourrice
À coucher les enfants
Et je vous rejoins ! »
La voilà chez lui !

3
Elle le plaque au mur,
La main sur son sexe.
« C’est parfait, dit-elle,
Allons-y sans perdre de temps…
Je n’ai que deux heures devant moi ! »
Ils y vont !
Sur le lit, ils s’ébattent
Elle crie : « Quelle bite ! Quelle bite ! »
Et se tortille dans tous les sens.
Elle gémit, se contracte, se crispe et se relâche enfin.
« J’ai bien joui, dit-elle,
Nous pouvons recommencer
Dès que vous serez prêt ! »
Ils recommencent,
Mais deux heures, c’est très court !
Elle s’enfuit et crie : « À demain ! »

« Deux comprimés à peine…


Et déjà, de ma métamorphose,
L’heure a sonné. »
Répète
Incrédule
L’assistant,
Un peu déboussolé.

1 mai

Le lendemain, jour férié,


Il se rend au labo.
La porte de la cave,
Où il fait ses recherches,
Est fermée.
Il entend des pas,
C’est l’hôtesse de garde :
« Ne restez pas là, tout est bouclé !
Venez au standard,

4
Nous pourrons parler. »
- Je voudrais, dit-il, aller à la cave
- Pas tout de suite !
Je trie le courrier et vais régulièrement
À la bibliothèque.
Installez-vous là-bas ! »
Il attend…
Elle vient et dit :
« Ici, il n’y a pas de caméra,
Nous pouvons parler
Et faire ce qui nous plait.
Après, je vous donnerai la clé de la cave.
Voici votre plan !
Depuis ce matin,
Je n’ai pas eu une minute à moi.
Je ne suis ni baisée,
Ni masturbée.
Je vais venir dans cette pièce
Vingt minutes
Toutes les heures.
Mon service finit à midi.
Vous aurez donc trois fois vingt minutes
Pour me faire jouir.
Vous devrez me caresser le clitoris,
Puis me lécher et me doigter,
Autant de fois que vous le pourrez.
Quand la sécurité viendra,
Je vous donnerai la clé de la cave.
Pendant que vous vous installerez
Dans votre labo de recherche,
Je prendrai chez moi des godemichés
Et du gel, puis je vous rejoindrai.
Nous n’aurons rien à craindre !
L’homme de la sécurité
A peur des rats et ne va jamais à la cave !
Il passe son temps devant le foot à la télé.

5
Nous pourrons crier tant que nous le voudrons !
Mais attention !
Je ne prends pas de contraception
Et je suis allergique au latex.
Vous ferez ce que vous voudrez,
Vous pourrez me pénétrer de tout côté,
Mais je ne veux pas voir de sperme,
Ni en avaler.
Tout le monde ici, sauf vous le nouveau,
Sait que je suce très bien.
Si vous vous comportez correctement,
Il n’y a pas de raison que je ne vous suce pas.
Mais vous garderez le sperme, pour Madame B…
On dit qu’elle aime ça !
À vingt heures, vous partirez,
Car je dîne en ville,
Avec mon fiancé,
Un garçon d’ici,
Qui sera mon mari. »
Tout s’est passé comme elle avait dit.
Mais l’assistant
N’a pas fait les expériences
Qu’il avait prévues !

« Deux comprimés à peine


Et déjà, de ma métamorphose,
L’heure a sonné. »
Répète,
Incrédule,
L’assistant,
Un peu déboussolé.

2 mai

Il se dit que ces comprimés


Ont fait de lui un sextoy !…

6
Mais toujours pas un futur prix Nobel !…
L’assistant se précipite à la cave
Pour reprendre ses expériences scientifiques.
Ce jour-là, tout fonctionne enfin !
Il a capturé quelques rats et sorti leurs canaux déférents,
Puis commencé ses études d’affinité moléculaire.
Ses produits sont peu actifs,
Personne ne croit en lui et les rats, eux-mêmes,
Pensent qu’il les emmerde pour pas grand-chose.
Aujourd’hui, rien de nouveau.
Toujours des antagonistes de faible affinité…
Mais voilà une curiosité !
C’est un agoniste très puissant !
L’effet stimulant ne cesse qu’à la dilution 10⁻¹² !
Cette molécule est un oiseau rare.
C’est un agoniste partiel !
Alors, l’assistant se dit qu’il a besoin de renforts
Et se précipite chez le patron, son mécène.
Mais le mécène n’est pas là.
À l’étage des directeurs,
Il frappe à d’autres portes et raconte ce qu’il a trouvé.
Le professeur se fend la poire !…
Il sait bien qu’il ne lui a refilé que des produits sans intérêt
Et des rats à moitié crevés.
Alors, il l’envoie chez le chimiste, histoire de rire avec lui…
Le chimiste l’envoie chez le biochimiste
Qui l’envoie chez le pharmacologue
Qui l’envoie chez le mathématicien
Qui l’envoie chez le physicien
Qui l’envoie chez le clinicien
Et tout ce monde rit bien…
Se fait raconter l’histoire…
Puis dit que le patron est absent.
Finalement, ils l’adressent au directeur du personnel.
C’est lui qui vire les fous,
Qui appelle la police pour briser les grèves

7
Et qui s’ennuie entre temps.
Mais là, il voit bien que l’assistant
Est vraiment un fou intéressant…
Et déjà, il se frotte les mains !…
Pour une fois que le patron ne lui botte pas le cul,
Il se laisse aller et dit :
« Il est parti à Hollywood
Se faire planter des cheveux
Se faire redresser le nez
Se faire recoller les oreilles
Se faire colmater les rides
Se faire enlever le bide…
Et n’est pas près de paraître à vos yeux.
Entre temps, c’est moi le patron !
Tenez-le-vous pour dit !… »
Alors, l’assistant
Se sent trahi.
Il commence à écrire à tous ces cons
Qu’ils sont très cons !
Les deux comprimés sont avec lui
Et les femmes du pays
Font du trapèze avec sa bite,
Alors toutes ces vieilles raclures, il n’en a rien à battre.
Il le leur dit et écrit, sans se faire prier.
Il écrit même au patron…
Dont le physique, dit-on, n’est pas encore bien sec.
Il lui écrit qu’il va avoir le Nobel sans lui !
Mais que ce serait mieux avec lui,
Qui l’a toujours aidé,
Qui a toujours cru en son potentiel !…
Finalement, le patron revient.
Lunettes noires
Et chapeau de cowboy,
C’est un autre homme !
Pendant ce temps, les directeurs,
Qui se sont pris pour des patrons,

8
N’ont pas chômé.
Chacun a écrit sa version
Sur la folie de l’assistant !…
Aucun ne sait ce qu’est un agoniste partiel,
Personne ne croit qu’un agoniste actif à 10⁻¹² c’est plutôt rare.
L’assistant est un doux dingue
Qui, de plus, les a traités de cons !
Ce qu’ils ne sont que trop
Et ne savent que trop,
De la bouche du patron lui-même !
C’est alors, justement,
Que le patron mécène réapparaît,
Qu’il ouvre la bouche et dit à l’assistant :
« Ça tombe mal ! Je suis fiévreux et ils en profitent !
Excusez-vous !… et je balaie cette vermine…
Je passe sur les insultes…
Sur les exploits sexuels…
Qui, sachez-le, ont été filmés…
Et on reprend à zéro
Cette histoire d’agoniste partiel actif à 10⁻¹² !…
- Pas question ! dit l’assistant
Qui avale de plus en plus souvent ses deux comprimés
Et voit déjà le prix Nobel lui gratter le nez…
- Réfléchissez au moins jusqu’à demain !
Bref !… Venez me voir à huit heures…
Tout est encore possible !

« Deux comprimés à peine


Et déjà, de ma métamorphose,
L’heure a sonné. »
Répète,
Incrédule,
L’assistant,
Un peu déboussolé.

3 mai

9
Le lendemain,
Lorsque la sonnerie de huit heures
Retentit dans tout l’immeuble,
L’assistant se pointe
Devant la porte du patron.
Alors, le patron,
Dont le nez se tord,
L’oreille se décolle,
Et le cheveu s’étouffe, demande :
« Prêt pour des excuses ?
- Pas du tout ! dit l’assistant qui a baisé toute la nuit
Et bande encore avec ses deux nouveaux comprimés…
- Finissons-en !… Vous l’aurez voulu !…
Je lâche les fauves !… dit le patron.
Le chef du personnel, est premier de cordée,
Il apporte un papier prêt à signer.
Puis les autres défilent dans le grand bureau.
Ils présentent leurs condoléances au patron,
Dont l’assistant était la chose,
Comprennent bien cette lubie de milliardaire,
Cette intuition géniale,
Et disent : « Quel dommage qu’il soit devenu fou !… »
Ensuite, ils jettent une pelletée de terre sur le corps de l’assistant !
Oui ! De la terre pour étouffer l’assistant en plein délire…
Et enterrer définitivement ce pauvre garçon !
Chacun explique ce qui a foiré et donne ses conseils pour
l’avenir :
« Qui vous presse ? dit le chimiste
- Vous pouvez compter sur moi, dit le pharmacologue
- Désolé, dit le DRH,
Mais quelle que soit la valeur de vos idées,
Toute société a ses règles !
Le directeur du personnel que je suis
Se doit de les faire respecter !
C’est sa mission !

10
Pas question de me défiler :
Je vous ai exécuté !
J’espère que vous n’êtes pas sans le sou !… »
Enfin… s’avance le professeur,
Entouré de sa cour et de ses assistantes.
Il est, pense l’assistant qui se surestime,
Le seul à qui profite le crime…
Point du tout !
« Alors, dit le professeur, vous avez choisi le suicide !
Dans l’incompétence générale,
Vous auriez pu passer des années
Sans être inquiété.
Je regrette le concurrent que vous fûtes !
Qui nous en trouvera d’aussi inoffensif ?
Vous me conveniez bien !
Je vous pardonne ! Bon vent ! »
Aussitôt, l’assistant met les voiles,
Il se rend à la cave pour récupérer ses dossiers.
Mais tout est fermé
Et des scellés ont été posés.
Derrière la porte,
Il entend les rats crier
Et forniquer…
Qu’ont-ils bouffé ?
Il se rend au parking.
Sa voiture ne démarre pas.
Ce matin, il n’a pas éteint ses phares !
Il rentre chez lui à pied,
Mains dans les poches.
Il constate que
Son tube de comprimés est vide.
Sans ses dossiers,
Sans ses comprimés,
Lui aussi à l’air d’un con !
Il se sent bizarre
Et, pressé, de se voir dans une glace,

11
Il se demande s’il n’a pas
Un œdème de Quincke.
Il marche seul dans la rue
Et s’interroge pour savoir si c’est bien lui qui marche
Et s’il a vraiment vécu ce qu’il se raconte.
Il a perdu ses clés,
Puis les retrouve.
Enfin, il ouvre la porte
Et se voit dans un miroir.
C’est bien lui !
Alors il sort à nouveau.
Il veut aller au restaurant.
Il s’assoit mais suffoque.
Il quitte la table sans manger,
Il rentre chez lui,
Il se jette sur le lit
Et sanglote.
Mais il suffoque
Encore
Et se tord
De douleur
Sur ce lit
De la métamorphose.
Le calme revient.
Il est minuit.
Il a vidé plusieurs bouteilles d’eau.
Il jette les bouteilles vides
Il jette aussi le tube
Qui contenait
Les comprimés
De la métamorphose
Par ce désinhibiteur,
Psychostimulant,
Euphorisant
De malheur,
En vente libre

12
Sur Internet.
Il ouvre deux boîtes
De thon à la tomate,
Un paquet de jambon d’Aoste,
Puis une glace à la pistache
Et lit Rimbaud :

«… J’ai cru acquérir des pouvoirs surnaturels. Eh bien ! Je dois


enterrer mon imagination et mes souvenirs ! …
Moi ! moi, qui me suis dit mage ou ange, dispensé de toute
morale, je suis rendu au sol, avec un devoir à chercher, et la vérité
rugueuse à étreindre ! Paysan !
Suis-je trompé ? la charité serait-elle sœur de la mort, pour moi ?
Enfin, je demanderai pardon pour m’être nourri de mensonge. Et
allons.
Mais pas une main amie ! et où puiser le secours ? »

13
FIN

Merci pour votre lecture.

Vous pouvez maintenant :


• Donner votre avis à propos de cette œuvre
• Découvrir d’autres œuvres du même auteur
• Découvrir d’autres oeuvres dans notre catalogue
« Nouvelles »

Ou tout simplement nous rendre visite :


www.atramenta.net

Suivez-nous sur Facebook :


https://www.facebook.com/atramenta.net

Vous aimerez peut-être aussi