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THÉÂTRE DES CHIMÈRES

Photographie Gaeliroo
GRAND MANÈGE
Stéphane Jaubertie

Adaptation Prunelle Giordano


Atelier adultes de lundi 2021/2022

Théâtre des Chimères • 75 avenue Maréchal Juin • 64200 Biarritz


Tél : 05 59 41 18 19 • contact@theatredeschimeres.com • www.theatre-des-chimeres.com
Grand manège Stéphane Jaubertie

Texte :

MARIE - (elle scrute le groupe et commence à pointer PANTXIKA) Alors... toi...

(tout le groupe fait du vide autour de PANTXIKA quand entre FLORIAN


apparemment ivre)

Hep hep hep. Tu viens d'où, toi ?

FLORIAN - Du boulot.

MARIE - À cette heure-ci ?

FLORIAN - En tant que patron de boîte, fallait bien que je ferme.

ÉMILIE - Boîte de quoi ?

FLORIAN - De nuit.

TOUS - Encore ?!

KATY - Pourquoi c'est toujours lui qu'est patron de boîte de nuit ?

ÉTIENNE - Et pourquoi c'est toujours lui qu'est alcoolique ?

FLORIAN - N'importe quoi !

MICHÈLE - Toujours les mêmes qu'ont les meilleurs trucs !

MARIE - Chut... Numéro ?

FLORIAN - Vous savez ce que j'ai fait, vendredi

MARIE - Je suis pas sûr que ça intéresse grand monde. Numéro.

FLORIAN - 15B7... non, 15C7 euh... 40B15... non, non, attendez...

MARIE - Ton code. (la Cheffe prend le portable de FLORIAN, le scanne et lui rend.

FLORIAN - (lit son écran) Pelote de laine ?

ÉMILIE - Pelote de laine ?

FLORIAN - Pelote de laine. Pas évident, ça.

KATY - (elle regarde par dessus l'écran de FLORIAN ) Pilote de ligne ! Pas pelote
de laine ! Poche a gnôle !

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Grand manège Stéphane Jaubertie

FLORIAN - Pilote de... vous êtes sûr ?

MARIE - Tu sais pas lire ?

MARC - Pilote de ligne !

ÉTIENNE - Patron de boîte, alcoolique, pilote de ligne, ça va la vie !

MICHÈLE - Toujours les mêmes qu'ont les meilleurs trucs !

MARIE - Où tu vas ?

FLORIAN - Dormir.

MARIE - Pourquoi ?

FLORIAN - Parce que je suis mort.

MARIE - Tu vas pas dormir, non. Le bus arrive d'une minute à l'autre.

FLORIAN - Pilote de ligne, entre nous, je le sens pas trop. Y a quoi d'autre ?

MARIE - Cardiologue.

TOUS – Cardiologue !!

FLORIAN - C'est quoi, déjà ?

MARC - Tu soignes le cœur des gens.

FLORIAN - Comme un médecin ?

MICHÈLE - C'est un médecin.

FLORIAN- Ah non ! Je veux pas soigner le cœur des gens, moi ! Je veux pas
soigner les gens, j'aime pas soigner, j'aime pas les gens, je vous l'ai dit déjà !

MARIE - C'est pas moi qui décide.

FLORIAN - Y’a pas trois semaines, j'étais généraliste !

ÉMILIE - Cool.

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Grand manège Stéphane Jaubertie

FLORIAN - Non, pas cool ! Les gens te racontent leur vie en te montrant leurs
croûtes et leurs tumeurs, ils n'ont aucune pudeur, ils te parlent comme si tu les
écoutais ! Non merci, je préfère encore livrer des pizzas. Au moins, les gens
ne s'intéressent pas à toi et tu ne t'intéresses pas à eux. Et médecin des
morts, c'est pas possible ?

ÉMILIE - Médecin des morts, ça existe ?

FLORIAN - Oui, celui qui soigne les morts, là...

MARIE - Médecin légiste.

FLORIAN - Voilà !

MANON - Oh oui ! Médecin légiste, j'ai été une fois. Je me suis bien marré.
(elle rit)

FLORIAN – Ben voilà ! Soigner les morts, ça, je veux bien. Les guérir même, si
vous voulez, mais les vivants, non, franchement, ils sont pas supportables,
c'est pas pour moi, les vivants.
MARIE - (ellele scrute puis tape sur son écran)
Sinon il y a Tennisman… ou livreur de pizza.

FLORIAN - Livreur de pizzas, je l'ai été plein de fois.

MARIE - Donc, cardiologue

FLORIAN - Ou tennisman ?

MARIE - Le tournoi commence dans une heure.

FLORIAN - Non, mais, je peux pas jouer au tennis, là, on est d'accord.

MARIE - On n'est pas d'accord, non. Fallait rentrer plus tôt.

NATHALIE - J'ai été tennisman professionnel, une fois.

MICHÈLE - Alors ?

NATHALIE - Bof. Ça ou autre chose.

FLORIAN - Pourquoi elle le fait pas, elle ?

NATHALIE - Moi ?

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Grand manège Stéphane Jaubertie

MANON - C'est vrai que tu l'as déjà fait.

NATHALIE - Oui, mais c'était y a longtemps...

FLORIAN - Ça te dirait pas de te faire un petit tournoi ?

NATHALIE - Je sais pas. C'est pas moi qui décide...

MARIE - Non c'est pas toi. De toute façon, elle peut pas.

FLORIAN - Ah ouais ? Et pourquoi elle peut pas ?

MARIE - Parce qu'elle est malade.

NATHALIE - Ah bon ?

MARIE - Bien. Alors...

NATHALIE - Euh... pardon...

MARIE - Quoi ?

NATHALIE - Qu'est-ce que j'ai ?

MARIE - Chut. Chacun son tour. Alors ?

FLORIAN - Le tournoi, je le sens pas bien...

MARIE - À part l'alcool, c'est quoi que tu sens bien ?

FLORIAN - Aller dormir.

MARIE - Tu sais que c'est pas possible.

FLORIAN - Je sais, mais là je suis mort.

- Et si tout le monde fait comme toi ? Et si tout le monde se couche


MARIE
quand le jour arrive ? Si tout le monde se met dans cet état ? Il marche
comment, le monde ?

FLORIAN - Pas très bien.

MARIE - Et les autres, tu y as pensé ? Peut-être que les autres aussi aimeraient
bien se reposer ? Rester des jours à rêvasser sous la couette ?

MANON - Ah ouais ?

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Grand manège Stéphane Jaubertie

MICHÈLE - On peut ?

MARIE- On peut pas, non. Il se rend compte de la chance qu'il a ? J'entends


pas ?!

FLORIAN - Oui.

MARIE - Oui quoi ?

FLORIAN - Qui, il se rend compte de la chance qu'il a.

MARIE - Il veut nous quitter ?

FLORIAN - Non.

MARIE - Il veut travailler ?

FLORIAN - Oui, il veut travailler.

MARIE - Alors, aujourd'hui qu'est-ce qu'il est ?

FLORIAN - (il regarde le groupe, long silence)

ÉTIENNE -Tennisman, c’est bien pour désaouler. Le sport aide à évacuer les
toxines et…

MANON - Oui mais cardiologue c’est la classe.

MARC - Alors que livreur de pizza.

MICHÈLE - En plus avec le temps…

FLORIAN - C’est quoi le temps ?

TOUS - (regardent leur écran) Pluie. Toute la journée.

MARC - Au moins, cardiologue, t'es à l'abri.

MARIE - Alors il se décide ?

FLORIAN- Faut dire que c'est pas facile. Soigner des cœurs au sec ou livrer des
pizzas sous la flotte, c'est... c'est pas pareil.

MARIE- On sait que c'est pas pareil ! C'est justement pour ça qu'on lui demande
de choisir. Parce qu'il a encore la chance d'avoir le choix. Et il sait qu'ils sont
de moins en moins nombreux à avoir le choix ?

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Grand manège Stéphane Jaubertie

FLORIAN - Oui.

MARIE - (elle s’énerve) Oui quoi ?

FLORIAN - Oui, il sait.

MARIE - Alors ?

FLORIAN - Ben au sec. Enfin, cardiologue.

MARIE - J’aime mieux ça. Le bus de déposera après les autres au terminal. Tu
profiteras du trajet pour dormir. Allez, va te préparer.

(FLORIAN sort)

…CHANGEMENT DE CHEFFE…

CHARLOTTE - Toi.

PANTXIKA - Oui ?

CHARLOTTE - Tu es...

PANTXIKA - Sophie.

CHARLOTTE - Arrête de tout ramener à toi, comme ça !

PANTXIKA - Pardon.

CHARLOTTE - Tu es prof.

PANTXIKA - Encore ?

CHARLOTTE - C'est pas moi qui décide.

PANTXIKA - Ah non non, pas prof ! C'est bon, fini prof ! Prof ou ?

CHARLOTTE - Prof ou... rien.

PANTXIKA - Comment ça prof ou rien ? C'est quoi l'autre choix ?

CHARLOTTE - T'as pas d'autre choix. Toi tu peux faire que prof.
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Grand manège Stéphane Jaubertie

PANTXIKA - Pourquoi ?

CHARLOTTE - J'en sais rien moi.

PANTXIKA - Pourquoi prof ?

CHARLOTTE - Parce qu'il en faut.

PANTXIKA - Mais je l'ai déjà été trois jours la semaine dernière ! Trois jours !

ÉTIENNE - Trois jours ? La vache.

MARC - C'est vrai que c'est pas de bol.

PANTXIKA - C'est pas une histoire de bol ! C'est toujours les mêmes qu'on envoie
au front !

ÉMILIE - Elle part à la guerre ?

KATY - Mais non, elle part enseigner.

PANTXIKA - Oui ben c'est pareil.

KATY - Ah non c'est pas pareil, tu ne risques pas ta vie.

PANTXIKA - Heu, ça reste à prouver...

CHARLOTTE - Allons, allons !

ÉTIENNE - C'est pas pour dire, mais elle a raison. C'est toujours les mêmes qui
s'y collent. Moi, la semaine dernière, j'ai passé deux journées entières à
répandre des pesticides dans des champs de maïs. Avec le vent, ça me
revenait dans la gueule, ça m'a brûlé les yeux, la nuit, j'avais des braises dans
la gorge...

CHARLOTTE - Je ne suis pas sûre que ça intéresse grand monde.

ÉTIENNE - C'est pour dire que c'est toujours les mêmes qui font les sales...

CHARLOTTE - Tout est intéressant.

ÉTIENNE - Oui, enfin là, bouffer des pesticides...

CHARLOTTE - Ça suffit ! Oh ! Les yeux qui brûlent, les braises dans la gorge,
c'était hier, OK ! Hier ! Et vous le savez pourtant, non ? Hier n'existe plus !
Demain n'existe pas ! La vraie vie, c'est aujourd'hui !... J'entends pas !
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Grand manège Stéphane Jaubertie

TOUS - Hier n'existe plus, demain n'existe pas ! La vraie vie, c'est aujourd'hui !

CHARLOTTE - C'est pourtant pas compliqué !

MARC - Justement, pardon ?

CHARLOTTE - Quoi ?!

MARC - Je voudrais bien savoir ce qu'elle va faire de moi, la vraie vie,


aujourd'hui ?

CHARLOTTE - T'es qui, toi ?

MARC - Fred. Pardon. 18K3006.

CHARLOTTE - 18K3006. Tatoueur.

TOUS – Waouh !

ÉMILIE - Tatoueur pour chien ?

MICHÈLE - Mais non, pour tatouer les gens !

ÉTIENNE - Une façon d'affirmer son identité et son appartenance à un groupe


social par le biais d'une marque indélébile qui est devenue une mise en scène
de soi comme...

CHARLOTTE- Je ne suis pas sûr que ça intéresse grand monde. Bien donc,
18K3006 tu es tatoueur. Va te préparer.

MARC – Cool ! Merci.

CHARLOTTE - C'est pas moi qu'il faut remercier.

NATHALIE - Pardon, mais...

CHARLOTTE - Quoi ?

NATHALIE - Qu'est-ce que j'ai ?

PANTXIKA - Tatoueur, ça c'est un vrai métier !

NATHALIE - Comme maladie ?

PANTXIKA – Tatoueur ! C'est ça que je veux faire, moi !


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Grand manège Stéphane Jaubertie

NATHALIE – Alors ?

CHARLOTTE - Quoi ?

NATHALIE - Ma maladie ?

CHARLOTTE - Mais elle va nous emmerder longtemps avec sa maladie ? Elle voit
pas que je suis occupée ? Chacun son tour ! Recule !

PANTXIKA - Pourquoi je suis pas tatoueuse, moi ?

CHARLOTTE - Parce que t'es prof !

PANTXIKA - Mais c'est impossible, comme boulot ! Impossible ! Je sais de quoi


je parle ! Vous n'avez pas un truc possible, juste pour aujourd'hui ?

MANON - Prof, c'est pas le pire.

PANTXIKA - Ah ouais ? T'as déjà été prof, toi ?

MANON - Non. Mais j'ai été éleveuse.

PANTXIKA - Quel rapport ?

MANON - Ben, quand t'es avec tes bêtes, tu t'imposes. T'as pas le choix. Faut
qu'elles sentent les bêtes, que c'est toi le patron. Les animaux, faut les
dominer. C'est physique. Ben les élèves, c'est pareil.

PANTXIKA - Tu m'aides beaucoup, là. Et prof de quoi, d'abord ?

CHARLOTTE - D'histoire-géo.

PANTXIKA - Oh putain !

CHARLOTTE - Bien, toi...

PANTXIKA- Attendez, attendez ! Je peux proposer un truc ? (Elle s’adresse à


MARC) Toi, tu fais prof d'histoire-géo, et moi je fais tatoueuse. Tu veux bien ?

MARC - Ben...

PANTXIKA - Tu veux bien qu'on échange ?

CHARLOTTE - Tu sais que c'est pas possible.

PANTXIKA - S'il est d'accord…

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Grand manège Stéphane Jaubertie

CHARLOTTE - On ne peut pas échanger.

- Et si on essayait ? On l'a jamais fait ! Ça se trouve, c'est super,


PANTXIKA
d'échanger entre nous ! Et si tu veux, demain...

TOUS - Oh !

PANTXIKA - Pardon, pardon ! C'est pas ce que je veux dire. Aujourd'hui ! Je veux
dire, aujourd'hui, imagine, on échange, on se rend service. On pourrait se
rendre service, non ? On l'a jamais fait !

ÉMILIE - Se rendre service ?

MICHÈLE - Pourquoi ?

MARC - On est là pour travailler, on n'est pas là pour se rendre service.

KATY - Ben non.

PANTXIKA - Juste aujourd'hui. Pour essayer !

MANON - Se rendre service... j'y avais pas pensé...

MARC - Désolé. Pour une fois que j'ai un truc bien.

KATY - Elle peut peut-être tatouer ses élèves ? (elle rit)

CHARLOTTE - À ta place, je ferais moins la maline. Toi, le tatoueur, va te


préparer. (MARC sort) Et toi aussi. (à PANTXIKA)

PANTXIKA - Non.

CHARLOTTE - Pardon ?

PANTXIKA - M'en fous, j'irai pas.

CHARLOTTE - Va te préparer.

PANTXIKA - Non. J'y foutrais plus les pieds dans ces bahuts pourris !

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Grand manège Stéphane Jaubertie

KATY - Dis pas de bêtises, les élèves ont besoin de toi.


PANTXIKA - Ils peuvent crever la gueule ouverte, les élèves ! Je peux plus les
voir ! Je peux plus les sentir ! Des fainéants, des incultes élevés au gras, au
sucre et à l'image ! Et plus c'est inculte, et plus ça ramène sa grande gueule !
Ça sait pas écrire, mais ça la ramène ! Tous assis sur leurs certitudes et leurs
gros culs d'enfants gâtés par des parents débiles qui n'ont aucun sens de
l'éducation, qui font des gosses comme on chie des merdes, et qui s'en
débarrassent dans nos classes, ficelés dans leurs fringues de marques avec
un smartphone dans chaque main ! Parce que ça, les marques et les
téléphones, c'est leur raison de vivre, leur Graal, leur Nirvana, à ces futurs
phares de la pensée ! Faut que ça pète dans d’la marque et faut que ça se
sache ! Et si possible avec le dernier téléphone à la con qui vaut la moitié de
mon salaire ! Et si tu leur dis que tout ça coûte un bras à leurs parents, et que
c’est fabriqué par des gosses, mais des gosses qui eux n'auront pas eu
d'enfance, faut voir comme ils s'en foutent ! Mais d'une force herculéenne ! Du
moment qu'ils passent leurs week-ends à user les miroirs des magasins de
fringues et à se prendre en photo, tout va bien !
La question c'est pas « Quelle planète on laisse à nos enfants ?» mais «
Quels enfants on laisse à notre planète ?» C'est ça la question, bordel ! Et
c'est à eux qu'on va la laisser, la planète ! A eux, qui passent leur vie à
photographier leurs têtes pleines de vide ! Ils ont des egos tellement énormes
que c'est tout juste s'ils arrivent à passer la porte de la classe ! Et là, une fois
posés sur leurs grosses certitudes, à peine tu commences ton cours que déjà
ça baille, et que ça s'affale, et que ça joue avec le téléphone, et si tu as le
malheur de leur faire remarquer qu'ils pourraient être un peu plus respectueux
du machin derrière le bureau qu'on appelle un adulte, et accessoirement un
enseignant qui essaie pour eux, dans leur intérêt, de leur transmettre des
connaissances qui pourraient faire d'eux des hommes et des femmes à l'esprit
plus ouvert, plus critiques, plus cultivés et donc plus libres, eh ben faut voir
comment ça répond ! Et que ça remet en question, et que ça exige, et que ça
se braque, et que ça menace et que parfois ça passe à l'acte ! Alors que ce
que ça mérite, c'est qu'on leur foute à tous la tête dans l'eau de la baignoire, le
cul mordu par un singe vert ! Voilà ce que ça mérite ! Et des coups de
manches de pioche dans les tibias ! Alors peut-être qu'ils la ramèneraient
moins, leur grande gueule, ces petits connards d'enculés de gosses pourris !

ÉTIENNE - Je crois qu'il faut pas qu'elle prenne sa classe.

CHARLOTTE - Bien...

PANTXIKA - Et ils croient tous qu'ils vont devenir des stars, ces connards !

KATY - C'est pas mal, star.

CHARLOTTE - Tout est intéressant. Bien...

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Grand manège Stéphane Jaubertie

- Mais c'est n'importe quoi ! Est-ce que j'ai été une star, moi ?
PANTXIKA
Combien de fois j'ai été une star dans ma vie ? Combien ?

MANON - A mon avis pas assez.

PANTXIKA - Jamais ! J'ai jamais été une star, moi !

- Tu peux très bien vivre sans être une star. Moi, par exemple, j'ai
MICHÈLE
jamais…

PANTXIKA- Toi, évidemment ! Qu'est-ce que tu compares ? Mais moi, j'aurais


pu! Parfaitement ! J'aurais pu être musicienne, par exemple ! J'adore la
musique !

CHARLOTTE - Je suis pas sûr que ça intéresse grand monde.

PANTXIKA - Pourquoi j'ai pas été musicienne ? Même dans une fanfare, j'ai pas
été ! Même à la grosse caisse ! La grosse caisse, c'est pourtant pas compliqué
! C'est quand même le truc à la portée du premier con qui passe !

KATY - J'ai été à la grosse caisse.

PANTXIKA - Exactement ! J'ai même pas été foutue d'être à la grosse caisse !
(elle pleure)

ÉTIENNE - Je crois vraiment qu'elle n'est pas en état de faire cours.

CHARLOTTE - On va voir ce qu'on peut faire. En attendant, va te préparer. Allez.


(PANTXIKA sort. CHARLOTTE, la cheffe fait un geste du doigt sur l’écran)

MANON - Vous l'avez swipée ? Vous l'avez swipée, là !

CHARLOTTE - Elle a un problème ?

MANON - Pardon. Non.

CHARLOTTE - Non quoi ?

MANON - Non, elle n'a pas de problème.

CHARLOTTE - Et elle en veut ?

MANON - Non.

CHARLOTTE - Alors elle se prend pour qui ?

MANON - Pour personne

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Grand manège Stéphane Jaubertie

CHARLOTTE - Elle faisait quoi ?

MANON - Manutentionnaire, elle pliait des cartons dans une...

CHARLOTTE - Je suis pas sûr que ça intéresse grand monde. Ton code.
(la cheffe scanne MANON, puis écoute les instructions dans l’oreillette)
Aujourd'hui, t'es punk à chiens.

MANON - Pardon ?

CHARLOTTE - Punk à chien !

MANON - Punk à chiens ? Mais...

CHARLOTTE - Mais quoi ?

MANON - La semaine dernière, j'étais cuisinière, j'étais bien, puis d'un coup, je
me retrouve à plier des cartons...

CHARLOTTE - C'est pas bien de plier des cartons ?

MANON - Si, si, c'est très bien de plier des cartons ! Mais là, punk à chiens...

CHARLOTTE - Tu préfères qu'on tire un trait ? C'est ça que tu veux ? On tire un


trait ? On y va ?

MANON - Non, on n'y va pas ! Je veux pas qu'on tire un trait. Je veux juste un
boulot. Un vrai boulot. Parce que là, c'est pas vraiment un boulot, punk à
chiens.

CHARLOTTE - Y’en a de plus en plus. Faut croire qu'on en a besoin. Aujourd'hui y


a que ça pour toi. Alors va te préparer. Dépêche-toi.

MANON - (elle s’éloigne mais revient) Euh...

CHARLOTTE - Quoi ?

MANON - Je fais comment pour les chiens ?

CHARLOTTE - Quels chiens ?

MANON - Ben, les chiens. J'ai pas de chiens, moi.

CHARLOTTE - On fait comment pour les chiens ? (elle reçoit un message dans
son oreillette) Bien. Toi et toi, vous êtes des chiens.

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Grand manège Stéphane Jaubertie

ÉTIENNE et MICHÈLE – Pardon ?

CHARLOTTE - Vous êtes des chiens. Allez.

ÉTIENNE - Attendez. On peut pas, là.

CHARLOTTE - Bien sûr qu'on peut.

MICHÈLE - Jusque-là, on a toujours été des humains. On n'a jamais...

CHARLOTTE - Jusque-là, c'était hier, jusque-là ! Jusque-là, on pouvait pas ! Mais


aujourd'hui, on peut ! C'est comme ça ! Aujourd'hui c'est possible ! Le monde
change, la roue tourne, c'est comme ça ! Et c'est pas moi qui décide ! Alors
aujourd'hui, vous êtes des chiens ! Compris ?

ÉTIENNE - Non mais on peut pas, là.

CHARLOTTE - Pourquoi ?

ÉTIENNE - Parce qu'on n'est pas des chiens ! Tout simplement !

MICHÈLE - Ça veut dire qu'on va se faire tatouer ?

MANON - T'as pas compris qu'on a plus besoin d'être des chiens. On est tous
tatoué, tous !

CHARLOTTE - Bon, c'est quoi votre délire avec le tatouage là ? Aujourd'hui vous
êtes des chiens, c'est tout. (à ÉTIENNE) T'es quoi, toi ?

ÉTIENNE - Ben un homme. Comme vous.

CHARLOTTE- Déjà t'es pas comme moi. Et je pense pas que tu sois un homme.
Vous voyez un homme, vous ? J'entends pas. On dirait que non. Pour moi, un
homme, c'est quelqu'un qui est prêt à tout pour rester dans le grand manège
du monde. Qui veut garder sa place. Pour lui, pour sa famille. Là, je vois pas
un homme, je vois une pleureuse. Elle veut quitter le grand manège, la
pleureuse ? Ça va trop vite ? Ça va trop haut ? Elle veut descendre ?

ÉTIENNE - J'ai pas dit ça.

CHARLOTTE – Elle veut descendre du manège ?

ÉTIENNE - Non.

CHARLOTTE - Non quoi ?

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Grand manège Stéphane Jaubertie

ÉTIENNE - Non, elle veut pas descendre du manège.

CHARLOTTE - Alors aujourd'hui t'es un chien. C'est comme ça. On a besoin d'un
chien, et c'est toi qui vas le faire. Et toi aussi. Allez.

(ÉTIENNE, MICHÈLE et MANON sortent)

…CHANGEMENT DE CHEF…

NATHALIE - Alors ?

GAËLLE - Quoi ?

NATHALIE - C'est grave ?

GAËLLE - Ah mais c'est pas vrai ! Mais c'est à croire que le monde tourne autour
d'elle ! Est-ce qu'il tourne autour d'elle, le monde ?

TOUS - Non.

GAËLLE - J'entends pas !

TOUS - Non ! Il ne tourne pas autour d’elle, le monde !

GAËLLE - Non, il ne tourne pas autour d’elle, le monde ! Il tourne autour du


soleil, le monde ! Elle est le soleil ?

TOUS - Non, elle n'est pas le soleil !

GAËLLE - Elle n'est pas le soleil, non. Alors elle attendra son tour. Recule. Bien.
Alors... Toi. Ah toi, très belle semaine dernière.

KATY - Merci.

GAËLLE - J'y suis pour rien, c'est pas moi qu'il faut remercier. Alors aujourd'hui…
Tu te jettes du haut d'un pont.

KATY - Comment ?

GAËLLE - En sautant, j'imagine.

KATY - Quel pont ?

GAËLLE - Celui que tu veux. Un que tu aimes bien.

KATY - Mais pourquoi ?

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Grand manège Stéphane Jaubertie

GAËLLE - Comment veux-tu que je le sache ? Tu dois bien avoir une idée.

KATY - J'ai bien bossé, vous l'avez dit.

GAËLLE - Je l'ai dit, oui, et alors ?

KATY - Qu'est-ce qui s'est passé ?

GAËLLE - Il s'est passé que le monde a changé.

KATY - Depuis hier ?

GAËLLE - Depuis toujours, il change ! Sauf qu'avant il changeait moins vite.

KATY - Mais je peux pas !

GAËLLE - Pourquoi ?

KATY - Je peux pas sauter d'un pont !

GAËLLE - Une grande fille comme toi ? En pleine forme ? Allons !

KATY - J'ai une famille.

GAËLLE - Tout le monde a une famille ! La tienne aura des indemnités.

KATY - Ah.

GAËLLE - Evidemment ! Mais enfin, dans quel monde tu vis, toi ?

KATY - Ce travail, c'est ma vie...

GAËLLE - Eh ben ce sera la vie d'un autre ! Toi, aujourd'hui tu sautes !

KATY - C'est quoi la raison ?

GAËLLE - Mais on s'en fout de la raison ! Je pourrais t'en donner mille ! Ça


changera rien au fait que tu vas sauter ! C'est comme ça, ma vieille, c'est le
grand manège, et la roue tourne ! C'est quand même pas moi qui vais sauter à
ta place ! Y’a quelqu'un qui veut sauter à sa place ? J'entends pas. On dirait
que non. En plus on te laisse le choix du pont ! Allez, va te préparer.

KATY - Non. Je saute pas.

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Grand manège Stéphane Jaubertie

GAËLLE - Tu sautes pas ?

KATY - Non.

GAËLLE– Non ? Elle saute pas. (écoute les instructions dans l'oreillette) OK.
Tu vas dans la forêt.

KATY - Dans la forêt ?

GAËLLE - Tu veux pas sauter ? Tu vas dans la forêt, et ta famille n'aura rien.
Aucune indemnité, Zéro. Que dalle. Par contre, on va s'en occuper de ta
famille. D'une autre manière.

KATY - C'est dégueulasse. (elle pleure)

GAËLLE - Oh non ! Je t'en prie, pas de ça. Pas ici. Tu chialeras en haut du pont
si tu veux, mais là, un peu de décence. Est-ce qu'elle chiale, elle ? En même
temps elle sait pas encore...

NATHALIE - Pas encore quoi ?

GAËLLE - Chut.

KATY - C'est pas normal !

GAËLLE - Parce que tu sais, toi, ce qui est normal ? C'est pas une question de
normal ou pas normal. C'est une question d'avoir le choix ou pas. Et toi, tu l'as
le choix ? Non, tu l'as pas. C'est pas moi qui fais les règles, mon amie. C'est
comme ça. Un jour en haut, un jour en bas. Allez, file.

KATY - Et si on attendait demain ?

TOUS – Oh !

GAËLLE - Mais nom de Dieu, qu'est-ce que vous avez tous ? Quand c'est pas
hier, c'est demain ! Faut vous l'expliquer comment ? Hier, c'est très loin, et
demain c'est très loin aussi ! Vous savez de quoi demain sera fait, vous ? Moi
non plus ! On ne parle pas de ce qu'on ne connait pas ! Vous le savez
pourtant ! C'est très loin, demain, et pour certains c'est même inaccessible,
alors toi, tu arrêtes de chialer, et aujourd'hui tu montes en haut de ton putain
de pont et tu sautes ! Aujourd'hui, tu comprends ? File !

KATY - Je vais pas y arriver.

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Grand manège Stéphane Jaubertie

GAËLLE - Mais si ! T'es quand même assez grande pour monter sur un pont !
Avec les résultats que tu as eus la semaine dernière ? Si y en a bien une qui
peut monter sur le pont sans problème c'est bien toi. Arrête de pleurer. Tu
veux vraiment partir en laissant cette image ? Pense aux indemnités que ta
famille va toucher grâce à toi. Pense à tous ceux qui vont avoir du travail
grâce à toi. Infirmiers, policiers, journalistes... tu as pensé aux journalistes ?

KATY - Non.

GAËLLE - Ils vont faire de toi la star du jour.

KATY - Je veux pas être la star du jour. Je veux juste faire mon boulot.

GAËLLE - Encouragez-la.

ÉMILIE - Mais si, tu peux.

FLORIAN - Tu vas y arriver.

RICHARD - T'y arrives toujours.

MARC - Pense aux gens que tu vas faire travailler !

MICHÈLE - Pense à ta famille !

KATY - Ma famille ! (elle pleure plus fort)

GAËLLE - Tu pouvais pas te taire, toi !

MICHÈLE - Pardon. Je voulais dire pense aux indemnités qu'aura ta famille !

MARC - Cheffe ! Y’a le bus qui arrive !

GAËLLE- Oula ! Allez, ma grande. Bon vent. Estime-toi heureuse d'avoir encore
quelque chose à faire. Va te préparer.

… CHANGEMENT DE CHEF…

ÉMILIE - Elle va faire quoi ?

ÉTIENNE - Qu'est-ce que tu veux qu'elle fasse ? Elle va sauter. (KATY sort)

ANAÏS - Alors toi.

ÉMILIE - Oui ?

ANAÏS - Aujourd'hui... tu es amoureuse.


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Grand manège Stéphane Jaubertie

ÉMILIE - Oh !

TOUS - Waouh !

PANTXIKA - Amoureuse ?

MICHÈLE - Encore ?

MANON - Faut croire que y’a pas d'âge.

ÉMILIE - Ça veut dire quoi, ça ?

PANTXIKA - Je rappelle juste qu'elle est encore amoureuse et que moi, je suis
toujours prof d'histoire-géo !

MICHÈLE - On le saura.

MANON - C'est un boulot, amoureuse ?

ANAÏS - Faut croire qu'on en a besoin.

PANTXIKA - Tu veux pas qu'on échange ?

ANAÏS - C'est pas vrai !

PANTXIKA- Je pourrais pas être amoureuse à sa place ? Une fois ! Et toi, tu


prends ma classe, on fait ça ? Juste une fois ! Tu vas voir, ils sont très... très
sympas !

ANAÏS - Qu'est-ce qu'elle nous fait ?

PANTXIKA- C'est parce que ça fait longtemps que je l'ai pas été, amoureuse. Tu
veux bien échanger ?
ÉMILIE - Non.

PANTXIKA - Allez. Juste une fois !

ANAÏS - Elle t'a dit non !

PANTXIKA - Tout ça parce qu'elle pue le cul.

ANAÏS - Pardon ? Qu'est-ce que t'as dit ?

MANON - Elle a dit qu'elle puait le cul !


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Grand manège Stéphane Jaubertie

ANAÏS - Non mais c'est quoi ce langage ?

PANTXIKA - Elle leur fait des trucs aux décideurs !

MANON - Ouais, c'est sûre qu'elle leur fais des trucs !

ANAÏS - Les limites ! Attention ! Les limites !

PANTXIKA - Alors pourquoi elle arrête pas d'être amoureuse ?


MICHÈLE - C'est vrai que c'est souvent.

ÉMILIE - Y en a peut-être qui sont faits pour l'enseignement, et d'autres pour


l'amour. C'est vrai que moi, perso, l'école, ça a jamais été mon truc ! Prof !
(elle rit) Je ris parce que je suis amoureuse !

PANTXIKA - Tu vas voir ce qu'elle va te mettre dans la gueule, la prof !


(PANTXIKA se jette sur ÉMILIE)

ANAÏS - Arrête-toi !
PANTXIKA - Vieille pute !
MANON - Ouais, vieille salope !

ÉMILIE - Comment ça, vieille ?

PANTXIKA - Je vais la crever ! Laissez-moi la crever ! (TOUS essaient de l'arrêter)

ÉMILIE - Au secours ! Au secours !

ANAÏS - Ça suffit ! Ça suffit !

FLORIAN – Ah ! Elle m'a niqué le doigt !


ANAÏS - Les limites ! Les limites ! Tu viens de les dépasser ! Va chercher du
bois !

PANTXIKA - Quoi ?

ANAÏS - Va chercher du bois !

PANTXIKA - Où ça ?

ANAÏS - Dans la forêt !


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Grand manège Stéphane Jaubertie

PANTXIKA - La forêt ? Attendez !

ANAÏS - Dans la forêt ! Tout de suite ! !

PANTXIKA - Mais le bus est arrivé.

ANAÏS - Pour toi y’a plus de bus !

PANTXIKA - Non ! Pas ça !

ANAÏS - Je t'avais prévenue. Les limites ! Dans la forêt !

PANTXIKA - Non, pas la forêt ! Ecoutez, je recommencerai plus !

ANAÏS - C'est sûr.

PANTXIKA - Je veux travailler, moi ! J'ai besoin de travailler !

FLORIAN - Comme tout le monde.

PANTXIKA - Je peux faire plein de trucs encore ! J'ai plein d'énergie !


ANAÏS - On a vu, oui.

FLORIAN - Chef, elle m'a niqué le doigt !

PANTXIKA - Utilisez-moi !
FLORIAN - Je vais jamais pouvoir opérer !

PANTXIKA - Utilisez-moi !

FLORIAN - Je vous assure, cheffe. Aïe !

PANTXIKA - Je vous en prie.

FLORIAN - Aïe ! Faut que j'aille m'allonger.

ANAÏS -Tu veux aller chercher du bois toi aussi ?

FLORIAN - C'est passé !

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Grand manège Stéphane Jaubertie

PANTXIKA - Utilisez-moi ! Je veux faire partie du monde ! Je veux faire partie des
vivants ! Je veux pas aller dans la forêt !

ANAÏS - Fallait y réfléchir avant !

PANTXIKA - Vous n'avez pas le droit ! Vous n'avez pas le droit !

ANAÏS - On a tous les droits.

PANTXIKA- Dites quelque chose, vous ! Aujourd'hui, c'est moi, mais demain ce
sera peut-être toi ! Toi ! Ou toi ! Vous dites rien ? Minables ! Bande de
minables ! Chacun pour sa gueule, hein ! Regardez ce qu'on a fait de vous.
Regardez-vous ! Mais regardez-vous !

ANAÏS - Ça suffit.

FLORIAN - On peut aller dans le bus ?

PANTXIKA – Attendez ! Et si personne n'y allait ? Personne ne va dans le bus !


Personne ne va travailler ! On reste tous ici ! Ensemble ! Hein ? Ils peuvent
rien si on reste ensemble ! On essaie ?

ANAÏS - Dans la forêt !

PANTXIKA - C'est bon, on peut encore se parler, non ? On a encore le droit de se


parler ! On est quand même encore un peu en démocratie, non ?

TOUS - Oh !

ANAÏS - De mieux en mieux. Bien. On a déjà perdu beaucoup de temps à cause


de toi, mais on n'est pas à une minute.

MICHÈLE - Mais le bus est là ! Cheffe !

ANAÏS – Chut ! C'est comment ton prénom, déjà ?

PANTXIKA - Sophie.

ANAÏS - Bien. Tu sais ce qu'on va faire, Sophie ? On va faire de la démocratie.

TOUS - Oh !

MARC - C'est vraiment nécessaire, cheffe ?

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Grand manège Stéphane Jaubertie

ÉTIENNE - C'est pas qu'on est contre, mais on va être en retard.


ÉMILIE - On peut pas la faire plus tard, la démocratie ?

MARC - Parce que là c'est sérieux, faut aller au travail !


ANAÏS - Calmez-vous. Ça va aller très vite. On va voter.

TOUS - Voter ? Encore ?

MICHÈLE - Mais on l'a déjà fait !

ÉMILIE - C'est nul !

FLORIAN - Ça sert à rien !

MARC - C'est toujours pareil !

ANAÏS - Chut ! Cette fois on va voter pour de vrai. Tu es d'accord, Sophie ?

PANTXIKA - Ça dépend.... Pourquoi ?


ANAÏS- Qui vote pour que Sophie aille chercher du bois dans la forêt ?
(TOUS lèvent la main) Tu vois, Sophie, c'est ça, la démocratie. Tout le monde
s'exprime et à la fin, c'est toi qui vas chercher du bois!
(à CHARLOTTE et GAËLLE) Accompagnez-la.

PANTXIKA - Pourquoi ?

ANAÏS - Pour pas que tu te perdes.

CHARLOTTE/GAËLLE - Avance.
(FLORIAN et PANTXIKA sortent)

ANAÏS - Allez ! Dans le bus !

NATHALIE - Qu'est-ce que j'ai ?

ANAÏS - Attends. Et n'oubliez pas, la vraie vie commence aujourd'hui !

TOUS - La vraie vie commence aujourd'hui ! (TOUS sortent sauf NATHALIE)

NATHALIE - Alors ?

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Grand manège Stéphane Jaubertie

ANAÏS – Mmh ? Ah, toi tu... tu as fini.


NATHALIE - Fini ?

ANAÏS - Fini.

NATHALIE - Fini comment ?

ANAÏS - Fini comme la fin.

NATHALIE - Comme l'autre sur le pont ?


ANAÏS- Non, pas comme l'autre. Elle, elle n'est pas malade. Et puis pour elle
y’a des indemnités.

NATHALIE - Ah. Pas pour moi ?

ANAÏS- Apparemment non. On me dit que tu n'as pas de famille. Alors tu


disparais, et tu manques à personne.

NATHALIE - C'est trop tôt.

ANAÏS - C'est toujours trop tôt.

NATHALIE - Mais hier encore, j'étais en pleine forme ! J'étais pas malade, hier...
ANAÏS - Chut.

NATHALIE- Pardon. C'est que, même si elle n'est pas toujours facile, je me suis
habituée à la vie.

ANAÏS - On s'habitue à tout, c'est bien le problème.

NATHALIE - C'est quoi comme maladie ?

ANAÏS - Ça change quelque chose ?

NATHALIE - Et je finis comment ?

ANAÏS - Je peux pas te dire. Où tu vas ?

NATHALIE - Avec les autres.

ANAÏS - Ah non, t'as pas compris. Toi tu prends pas le bus.

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Grand manège Stéphane Jaubertie

NATHALIE - Ah. Je fais quoi ?

ANAÏS - Tu vas dans la forêt.

NATHALIE - Avec la prof ?

ANAÏS - La forêt est immense. T'as peu de chance de la rencontrer.

- C'est peut-être une erreur. Je suis peut-être pas la bonne


NATHALIE
personne...

ANAÏS - C'est pas une erreur, non. Tu es malade. Et tu sers plus à rien.

NATHALIE - Mais je peux encore faire des choses.

ANAÏS - On n'a plus besoin de toi, tu comprends ? Tu n'as plus rien à faire ici.
C'est fini. Il faut que tu disparaisses maintenant. (on entend le bus qui
s'éloigne)

NATHALIE - Ils sont partis.

ANAÏS - Va dans la forêt. Par là.

NATHALIE - Je vais pas savoir.

ANAÏS - Mais si. On s'en fait toute une montagne, et tout le monde y arrive. Par
là. Allez.

NATHALIE - Au revoir. (elle d’éloigne pour sortir)


ANAÏS - C'est ça.
TOUS les CHEFFES - (à l'oreillette)
MARIE - Distribution terminée.
TOUS les CHEFFES - Merci monsieur...
CHARLOTTE - J'ai fait de mon mieux.
GAËLLE - Et demain, est-ce que je... Pardon, pardon... Oui, pardon...
ANAÏS - C'est ça, monsieur.
TOUS les CHEFFES - Bonne journée. (apparait la peur sur leurs visages)

FIN.
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