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JEUNES FILLES EN BLANC * N° 19

FLORENCE ET L’ETRANGE EPIDEMIE

par Suzanne PAIRAULT

Une étrange épidémie se propage dans


Rouville.
Virus ? Empoisonnement ? Florence, la jeune
infirmière, ne sait plus où donner de la tête, l’hôpital
est en pleine effervescence : malades jeunes et vieux
affluent sans pouvoir expliquer ce qui leur arrive.
On multiplie enquêtes et analyses, on
soupçonne tout et tout le monde... même ceux qui
affichent les sentiments les plus généreux. Mais
Florence a sa petite idée là-dessus...

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Suzanne Pairault
Ordre de sortie

Jeunes Filles en blanc

Série
Armelle, Camille, Catherine Cécile, Dominique, Dora, Emmeline, Evelyne, Florence,
Francine, Geneviève, Gisèle, Isabelle, Juliette, Luce, Marianne, Sylvie.

(entre parenthèses, le nom de l'infirmière.)

1. Catherine infirmière 1968 (Catherine)


2. La revanche de Marianne 1969 (Marianne)
3. Infirmière à bord 1970 (Juliette)
4. Mission vers l’inconnu 1971 ( Gisèle)
5. L'inconnu du Caire 1973 (Isabelle)
6. Le secret de l'ambulance 1973 (Armelle)
7. Sylvie et l’homme de l’ombre 1973 (Sylvie)
8. Le lit no 13 1974 (Geneviève)
9. Dora garde un secret 1974 (Dora)
10. Le malade autoritaire 1975 (Emmeline)
11. Le poids d'un secret 1976 (Luce)
12. Salle des urgences 1976
13. La fille d'un grand patron 1977 (Evelyne)
14. L'infirmière mène l'enquête 1978 (Dominique)
15. Intrigues dans la brousse 1979 (Camille)
16. La promesse de Francine 1979 (Francine)
17. Le fantôme de Ligeac 1980 (Cécile)
18. Florence fait un diagnostic 1981
19. Florence et l'étrange épidémie 1981
20. Florence et l'infirmière sans passé 1982
21. Florence s'en va et revient 1983
22. Florence et les frères ennemis 1984
23. La Grande Épreuve de Florence 1985

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Suzanne Pairault
Ordre de sortie

Jeunes Filles en blanc

Série
Armelle, Camille, Catherine Cécile, Dominique, Dora, Emmeline, Evelyne, Florence,
Francine, Geneviève, Gisèle, Isabelle, Juliette, Luce, Marianne, Sylvie.

(entre parenthèses, le nom de l'infirmière.)

1. Catherine infirmière 1968 (Catherine)


2. La revanche de Marianne 1969 (Marianne)
3. Infirmière à bord 1970 (Juliette)
4. Mission vers l’inconnu 1971 ( Gisèle)
5. L'inconnu du Caire 1973 (Isabelle)
6. Le secret de l'ambulance 1973 (Armelle)
7. Sylvie et l’homme de l’ombre 1973 (Sylvie)
8. Le lit no 13 1974 (Geneviève)
9. Dora garde un secret 1974 (Dora)
10. Le malade autoritaire 1975 (Emmeline)
11. Le poids d'un secret 1976 (Luce)
12. La fille d'un grand patron 1977 (Evelyne)
13. L'infirmière mène l'enquête 1978 (Dominique)
14. Intrigues dans la brousse 1979 (Camille)
15. La promesse de Francine 1979 (Francine)
16. Le fantôme de Ligeac 1980 (Cécile)

Série Florence

1. Salle des urgences 1976


2. Florence fait un diagnostic 1981
3. Florence et l'étrange épidémie 1981
4. Florence et l'infirmière sans passé 1982
5. Florence s'en va et revient 1983
6. Florence et les frères ennemis 1984
7. La Grande Épreuve de Florence 1985

5
Suzanne Pairault
Ordre alphabétique

Jeunes Filles en blanc

Série
Armelle, Camille, Catherine Cécile, Dominique, Dora, Emmeline, Evelyne, Florence,
Francine, Geneviève, Gisèle, Isabelle, Juliette, Luce, Marianne, Sylvie.

(entre parenthèses, le nom de l'infirmière.)

1. Catherine infirmière 1968 (Catherine)


2. Dora garde un secret 1974 (Dora)
3. Florence et les frères ennemis 1984 (Florence)
4. Florence et l'étrange épidémie 1981 (Florence)
5. Florence et l'infirmière sans passé 1982 (Florence)
6. Florence fait un diagnostic 1981 (Florence)
7. Florence s'en va et revient 1983 (Florence)
8. Infirmière à bord 1970 (Juliette)
9. Intrigues dans la brousse 1979 (Camille)
10. La fille d'un grand patron 1977 (Evelyne)
11. La Grande Épreuve de Florence 1985 (Florence)
12. La promesse de Francine 1979 (Francine)
13. La revanche de Marianne 1969 (Marianne)
14. Le fantôme de Ligeac 1980 (Cécile)
15. Le lit no 13 1974 (Geneviève)
16. Le malade autoritaire 1975 (Emmeline)
17. Le poids d'un secret 1976 (Luce)
18. Le secret de l'ambulance 1973 (Armelle)
19. L'inconnu du Caire 1973 (Isabelle)
20. L'infirmière mène l'enquête 1978 (Dominique)
21. Mission vers l’inconnu 1971 ( Gisèle)
22. Salle des urgences 1976 (Florence)
23. Sylvie et l’homme de l’ombre 1973 (Sylvie)

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© Hachette 1981.
Tous droits de traduction, de reproduction
et d'adaptation réservés pour tous pays.

HACHETTE, 79, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, PARIS

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SUZANNE PAIRAULT

FLORENCE
ET L’ETRANGE
EPIDEMIE
ILLUSTRATIONS DE PHILIPPE DAURE

HACHETTE

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I

« Vous comprenez bien, mon petit, que cela ne peut


pas durer! »
Mme de la Pacaudière, assise sur une chaise du
poste de garde, secouait la tête avec indignation. Les
bouclettes d'un blond roux qui entouraient son visage
d'ordinaire bienveillant s'agitaient comme autant de
clochettes. On voyait qu'elle était vraiment très fâchée.

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Florence, la jeune infirmière du service, se
tenait debout devant elle, essayant de la calmer.
« C'est vrai, madame, vous avez raison.
Certainement. Mais tout cela s'arrangera peut-être... »
II ne fallait pas mécontenter Mme de la Pacaudière.
L'hôpital de Rouville lui devait trop. Dans le petit parc
destiné aux convalescents, elle avait fait planter des lilas
et des rhododendrons. Elle avait réuni, en quêtant à
droite et à gauche, une collection .de livres qu'on prêtait
aux malades. Elle venait voir ceux qui ne recevaient pas
de visites; aux enfants déshérités, elle apportait des
jouets et des bonbons. Pour tout l'hôpital, elle était une
bienfaitrice, une sorte d'ange gardien, seulement plus
volumineux qu'on ne les imagine
en général.
Avec toutes ses qualités, l'excellente femme avait
un défaut : elle aimait commander et ne tolérait pas
qu'on lui résiste. Si on était de son avis, tout allait bien;
sinon, elle boudait comme un enfant gâté, exigeait des
réparations. Comme on l'aimait, on finissait toujours par
lui céder.
Ce n'était pas au personnel de l'hôpital qu'elle en
voulait aujourd'hui, mais comme elle éprouvait une
affection particulière pour Florence, la plus jeune des
infirmières, elle venait volontiers se confier à elle et lui
faire part de ses tracas. « C'est inimaginable, n'est-ce
pas? dit-elle. Me faire ça, à moi! Et sans me prévenir,
notez-le bien!
— M. Groult ne pourrait-il pas intervenir? suggéra
Florence.

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— M. Groult? naturellement! En tant que
maire, il devrait bien pouvoir faire quelque chose! Mais
je vais vous dire la vérité : ce brave Groult s'occupe
moins de sa commune que des séances à la Chambre...
On ne devrait pas avoir le droit d'être maire et député à
la fois! Ce n'est pas votre avis?
— Je crois que c'est assez fréquent, risqua la jeune
fille.
— Eh bien, c'est un tort, voilà tout. Mais, ma
pauvre enfant, que dites-vous de ce qui m'arrive?
Comme si l'affaire du poteau ne suffisait pas! Il faut
croire que le sort s'acharne contre moi... »
Florence ouvrait la bouche pour répondre quand un
pas rapide se fit entendre dans le couloir. C'était Robert,
l'interne de service, qui venait chercher un dossier
oublié le matin au poste de garde. Naturellement il
connaissait Mme de la Pacaudière; il la salua
amicalement.
« Chère madame... Vous n'arrivez jamais les mains
vides, à ce que je vois! Vous êtes venue des Roques à
pied? Mais cela vous fait traverser toute la ville!
— La ville n'est pas si grande, docteur! Je
marche toujours quand je le peux : cela me maintient en
forme. »
Le mot « forme » fit sourire l'interne. En fait de
forme, celle de la visiteuse rappelait plutôt un paquet
mal équilibré. Robert était taquin; Florence craignit un
instant qu'il ne risque une plaisanterie. Mme de la
Pacaudière, par bonheur, prit les devants.
« Oh, cela ne me fait pas maigrir! dit-elle. Mais

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voyez, docteur, ajouta-t-elle en se pinçant le bras,
pas un pouce de graisse, rien que du muscle! Tâtez
vous-même, vous jugerez.
— Inutile, dit Robert, je vous crois sur parole. Vous
êtes toujours resplendissante, c'est l'essentiel.
— Oui, mes soixante-sept ans ne se font pas trop
sentir. S'il n'y avait que ma santé pour me tourmenter...
— Il y a donc autre chose? » demanda l'interne.
Mme de la Pacaudière poussa un grand soupir. « Vous
êtes certainement au courant de mon histoire de poteau!
Vous ne lui en avez pas parlé, Florence? »
La jeune fille fit un signe à l'interne. Celui-ci
comprit.
« Si, si, affirma-t-il avec assurance. Florence m'a
tout raconté; c'est terrible. Mais j'ai tant de choses en
tête que j'oublie souvent les détails... »
La visiteuse le regarda avec sévérité.
« Des détails, il n'y en a pas : le fait pur et simple
suffit. Vous savez que si j'ai acheté la propriété des
Roques, un peu en dehors de la ville, c'est d'abord pour
être tranquille, ensuite à cause de la vue.
— En effet : vous donnez d'un côté sur les collines,
de l'autre sur la vallée...
— Dites « vous donniez »! rectifia Mme de la
Pacaudière d'un ton tragique. Car un beau matin,
docteur, qu'est-ce que je vois? En plein devant la fenêtre
de ma chambre! Un poteau! Oui, un grand poteau de
ciment! »
La pauvre femme en rougissait encore

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d'indignation.
« J'ai failli me trouver mal... Heureusement Paquita
— c'est ma... enfin, mon employée de maison, comme
vous dites maintenant — m'a fait respirer je ne sais
quoi, qui m'a permis de courir au plus pressé. J'ai trouvé
un camion arrêté devant ma haie, et trois hommes, qui
prétendaient appartenir à TE.D.F., en train de consolider
le, poteau. J'ai commencé par leur dire d'arrêter, mais ils
m'ont répondu que s'ils interrompaient leur travail, le
poteau risquait de tomber et de tuer quelqu’un. J'ai donc
attendu qu'ils aient fini. J'étais en robe de chambre et je
grelottais; Paquita m'a apporté un châle, mais je ne
voulais pas rentrer à la maison : j'avais trop peur qu'ils
ne partent avant que j'aie pu leur parler!
— Vous leur avez dit ce que vous pensiez, je
suppose? dit Florence.
— Vous me connaissez, ma petite fille : je ne suis
pas femme à me laisser marcher sur les pieds! Ces
hommes m'ont affirmé qu'ils n'y étaient pour rien : ils ne
faisaient qu'exécuter les ordres de l'E.D.F. Alors j'ai
demandé si l'E.D.F. devenait folle, de venir planter un
poteau devant chez moi. Ils m'ont fait remarquer qu'ils
n'étaient pas sur mon terrain. Le poteau, en effet, se
trouve dans le sentier qui sépare ma haie de la grande
prairie.
—- "Qu'avez-vous répondu? interrogea Robert
curieux.
— J'ai demandé si, oui ou non, ce maudit Poteau
se trouvait devant la fenêtre de ma chambre.

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Savez-vous ce qu'ils ont eu l'audace de me
répondre? »
Robert, qui retenait son rire à grand-peine, fit signe
que non.
« Eh bien, l'un d'entre eux, une espèce de petit brun,
m'a répondu tranquillement que la maison est assez
grande, que si le poteau me gêne, je n'ai qu'à changer de
chambre! »
Cette fois Robert riait de bon cœur.
« Vous ne trouvez pas que c'est un peu fort?
demanda Mme de la Pacaudière.
— Après tout, c'est une solution... murmura
l'interne.
— J'ai fait tout ce que je pouvais; j'ai écrit à
l'E.D.F.; on m'a répondu très grossièrement que l'on
construisait une nouvelle ligne et que le tracé passait
par là. Je me suis alors adressée à M. Groult;
nous allons voir ce qu'il pourra faire. J'ai d'ailleurs autre
chose à lui demander... »
Robert avait pris son dossier et se dirigeait
doucement vers la porte.
« Attendez! dit Mme de la Pacaudière, ce n'est pas
tout! Il y a plus grave, beaucoup plus grave même. Je
viens de le raconter à Florence; elle n'en revenait pas!
N'est-ce pas, ma petite Flo?
— Je regrette de ne pas pouvoir rester plus
longtemps, dit le jeune homme. Mais mes malades
m'attendent.
— Comment cela? Il est deux heures; tous vos
malades dorment; vous pouvez bien rester cinq minutes.

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'<"'

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— J'ai un rapport à terminer.
— Ah, bon, bon, je n'insiste pas. Florence vous
racontera ce qu'on est en train de me faire. »
L'interne s'esquiva. Mme de la Pacaudière reprit :
« Après tout, il le sait peut-être déjà. Il habite
Aumont, je crois? Quel chemin prend-il pour rentrer?
Est-ce qu'il suit la grande route?
— Je crois que oui, madame. Il m'avait déjà
raconté qu'il avait vu déblayer un grand morceau de
terrain peu après la sortie de Rouville.
— Et il ne m'en a rien dit, à moi!
— Il ne pensait sans doute pas que cela vous
intéresserait.
— Ce Robert n'a décidément pas beaucoup de
tête... De chez moi, bien sûr, je ne voyais rien; Et pour
venir à Rouville, je n'emprunte jamais cette route. Tant
qu'on a travaillé à ras du sol, j'étais loin de me douter de
ce qui se préparait là. J'entendais du bruit; je me disais
que cela venait sans doute du quartier Saint-Louis —
où, soit dit entre nous, quelques démolitions ne seraient
pas du luxe! Et puis, tout à coup — je ne me rappelle
plus quel jour — je vois des murs qui commencent à
monter. Des murs, si l'on peut dire! Des espèces de
grandes plaques toutes droites plantées les unes à côté
des autres. Et il y en avait! il y en avait! Ce n'était pas
une maison qu'on bâtissait, c'était un quartier... J'ai
envoyé Paquita aux nouvelles; elle m'a rapporté ce que
je vous ai dit. J'en ai été malade. C'est pourquoi vous ne
m'avez pas vue pendant quelques jours. Vous

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le saviez, vous, Florence, que Rouville allait avoir
un magasin de ce genre?
— J'en avais entendu parler; je ne savais pas où il
se trouverait, ni qu'on le construirait aussi vite.
— Il est vrai que l'hôpital est à l'autre bout de la
ville. Et vous n'allez sans doute pas souvent vous
promener du côté de Saint-Louis : le quartier n'a rien de
bien attrayant. Mais, un peu plus loin, la campagne est
vraiment très jolie. »
Mme de la Pacaudière réfléchit un instant.
« Saint-Louis ne me gêne pas, moi : le quartier est
dans un creux et toutes les maisons sont basses. Même
de ma terrasse, je ne les vois pas. Et puis c'est encore
assez loin des Roques. Tandis que cette abomination...
Vous savez comment ils ont le toupet de baptiser ça ?
L'Etoile Mauve! Oui, ma chère, l'Etoile! rien que ça! Il y
a un grand écriteau, sur toute la longueur, avec des
lettres mauves sur un fond jaune — et une grande étoile
mauve par-dessus. La première fois que je l'ai vu, j'ai
failli avoir une attaque : heureusement ma tête est à
toute épreuve! »
Florence commençait à trouver la conversation un
peu fastidieuse. En ce début d'après-midi, il n'y avait pas
beaucoup à faire auprès des malades. Mais elle avait
invité une de ses amies, Colette, mariée depuis peu avec
un des médecins de l'hôpital, à profiter de cette heure
calme pour venir lui faire une petite visite. Colette
l'intéressait beaucoup plus que Mme de la Pacaudière,
avec son poteau et son Etoile Mauve !

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Cependant la bienfaitrice de Rouville méritait bien
un petit sacrifice. Florence, courageusement, poursuivit:
« Quand doit-il ouvrir, ce magasin?
— Mais il est déjà ouvert, ma pauvre petite! On
avait à peine fini de poser, sur le ciment les plaques de
tôle qui tiennent lieu de toit, que déjà des camions
pleins de marchandises se déversaient aux ouvertures.
Le soir même, à la tombée de la nuit, cette horrible
Etoile Mauve empêchait de voir le ciel!
— Et qu'y vend-on? interrogea Florence.
— Tout ce qui se mange : viande, légumes, pain, et
conserves. Et aussi, paraît-il, des outils et même des
tissus! Paquita était enthousiasmée! Inutile de vous
dire que je lui ai formellement interdit d'y acheter quoi
que ce soit.
— Si c'est assez près des Roques, pourtant, cela
faciliterait son travail. Elle n'aurait plus à descendre en
ville.
— Pas question! J'ai mes fournisseurs et je leur
suis fidèle. J'aimerais mieux mourir de faim que de
m'approvisionner chez ces gens-là. L'Etoile Mauve1.
Je vous demande un peu! J'ai toujours détesté le mauve;
c'était sans doute un pressentiment. Des monstres qui
me gâtent toute ma vue! »
Florence prit un air apitoyé qui parut soulager sa
visiteuse.
« Vous êtes une fille intelligente, vous, Florence,
vous comprenez. Je vous aime bien, vous savez.
— Moi aussi, madame, je vous aime bien. Et tous
nos malades vous adorent.

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— Savez-vous, Flo, que si j'étais malade, je ne
voudrais me faire soigner que chez vous? Avez-vous un
spécialiste pour les troubles mentaux? Je risque fort d'en
avoir si cette horrible Etoile Mauve me bouche
longtemps mes collines! »
A ce moment, l'interphone sonna. Florence pressa le
bouton; on entendit la voix de l'interne :
« J'ai besoin de vous, Flo. Pouvez-vous venir tout
de suite? »
Mme de la Pacaudière se leva; sa chaise fit entendre
un craquement sourd.
« Je vous laisse à vos devoirs, ma petite fille. Je
vais apporter des magazines à cette gentille jeune
femme qu'on a plâtrée la semaine dernière. Son mari est
obligé de garder les enfants; il ne peut pas venir
souvent; elle s'ennuie, la pauvre. »
Mme de la Pacaudière se dirigea vers la porte. Sur
le seuil, elle croisa Colette Crépin, qui arrivait.
« Attends-moi, chuchota Florence à la jeune
femme. J'en ai pour cinq minutes. »
Elle ne doutait pas que l'appel de Robert avait pour
but de la délivrer de sa sympathique, mais un peu
encombrante visiteuse.

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II

FLORENCE aborda l'interne en souriant. « Merci,


Robert. Je pense bien que cette prétendue urgence... »
Robert, lui, ne riait pas. « C'est une urgence pour de
bon, Flo. Un empoisonnement, je suppose. Un enfant
de sept ans. J'ai questionné la mère, mais elle est
tellement affolée qu'elle ne sait plus ce qu'elle dit. Je

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vais faire un lavage d'estomac, à tout hasard, après
quoi nous aviserons. »
Florence courut chercher la sonde gastrique et les
accessoires indispensables. En passant devant le poste
de garde, elle jeta à Colette :
« J'en ai peut-être pour longtemps, ne m'attends pas.
— Je reste quand même, dit Colette. J'ai
apporté un livre. Ne t'inquiète pas pour moi, surtout. »
Munie des instruments nécessaires, Florence se
dirigea vers la chambre où l'infirmier avait déposé la
petit malade. En général, on mettait les enfants au
second, dans le service dont s'occupait Clotilde, une
camarade de Florence. Mais l'urgence du cas exigeait la
présence immédiate de l'interne.
La mère du petit, une jeune femme échevelée, aux
yeux exorbités, était effondrée au pied du lit.
« Calmez-vous, madame, lui dit doucement
Florence. Nous faisons tout le nécessaire. Ce ne sera
peut-être rien. »
L'état de l'enfant, cependant, semblait grave. Il
gémissait faiblement, les yeux fermés. Florence toucha
sa peau qui était brûlante.
Le lavage d'estomac terminé, Robert se redressa.
« Pas de sang... murmura-t-il. Pas d'aliments non
plus. Préparez la perfusion D, Florence.
— Vous pensez que ce serait...?
— Je n'en sais rien; c'est ce qu'il faut découvrir le
plus tôt possible. »

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Tandis que la jeune infirmière s'affairait, l'interne
s'approcha de sa mère.
« Cessez de vous désoler, dit-il, vous pouvez nous
aider. Rapportez-nous exactement comment les choses
se sont passées.
— Il s'est plaint d'avoir mal à la tête, puis au
ventre. Comme il avait le front très chaud, j'ai pris sa
température.
— Il avait combien?
— Je ne me rappelle plus, gémit la jeune
femme. Tout à coup il a commencé à vomir... »
Elle levait vers Robert un visage éploré.
« Alors j'ai eu peur; j'ai appelé au secours, une
voisine est venue... C'est elle qui m'a dit de téléphoner à
l'hôpital... »
Elle éclata de nouveau en sanglots. Robert dut
attendre quelques instants pour l'interroger :
« Qu'aviez-vous mangé à midi?
— Du bœuf et des pommes de terre. Mais lui, rien,
il n'avait pas faim. Le matin, il avait pris seulement un
bol de lait.
— Et hier?
— Je ne sais plus, docteur, je ne sais plus-Hier soir,
de la soupe... et puis des petits pois... Je voulais lui
donner un yaourt, il n'en a pas voulu.
— Il se sentait peut-être déjà patraque. Et à midi?
— Oh, ça, je me rappelle : j'avais fait une bonne
blanquette, avec des carottes, des champignons...
— Des champignons! » Robert fronça les sourcils.

23
« D'où venaient-ils, ces champignons? Du marché?
— Oui, d'une bonne femme de la campagne, qui
les ramasse elle-même. Elle s'y connaît très bien, et elle
est moins chère que les autres. Je lui en achète souvent.
— Hum... fit l'interne. Toute la famille en a
mangé?
— Oui, tout le monde aime beaucoup ça.
— Et personne d'autre n'a été incommodé?
Réfléchissez bien! Même pas un petit malaise, une
digestion difficile?
— Absolument rien! gémit la mère. Jacquot avait
très faim : il a beaucoup mangé ce midi-là. Mais la
voisine m'a dit que ça ne pouvait pas être une simple
indigestion. C'est vrai, docteur? »
Robert inclina la tête.
« Alors c'est très, très grave?
— Disons que c'est sérieux. Il est possible qu'un
des champignons ait été mauvais et que votre fils ait
justement consommé celui-là. De toute façon, il est à
peu près sûr que les champignons sont à l'origine de
l'empoisonnement.
— Mon Dieu! Mais si c'est ça, il y a des personnes
qui en sont mortes! Je la tuerai, cette femme qui m'a
vendu les champignons, je la tuerai! »
Elle était visiblement à bout de nerfs.
« Commencez la perfusion immédiatement, dit
Robert à Florence. Le lavage d'estomac, que j'ai fait
d'urgence à tout hasard, était sans doute inutile,

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puisqu'il y a longtemps que l'enfant a absorbé ce
qui a causé ces troubles.
— Il est perdu! » hurla la mère.
Elle voulait se jeter sur le lit. Robert l'arrêta.
« II n'est pas perdu, intervint la jeune infirmière.
Mais on ne peut rien vous dire encore. Vous habitez
loin?
— Au quartier Saint-Louis. Mais je ne veux pas
rentrer, je reste près de Jacquot.
— Vous n'avez pas d'autre enfant?
— Si, deux. Je les ai laissés à ma voisine.
— Il faut rentrer et vous occuper d'eux. Vous
reviendrez demain matin », dit Robert d'une voix ferme.
La mère serra les poings et le regarda avec haine.
« Je reste! répéta-t-elle.

25
— Non, madame. Vous nous gêneriez pour le
traitement.
— Vous voulez me renvoyer pour que je ne voie pas
mon fils mourir! »
Elle criait maintenant à tue-tête. Florence comprenait
ce qu'elle éprouvait, mais Robert avait raison : il fallait
éloigner cette femme pour pouvoir soigner l'enfant dans
le calme. La jeune infirmière l'entraîna dans le couloir, lui
parla doucement, lui expliqua que le petit malade avait
besoin de silence. La mère résistait, continuait à hurler.
« Donnez-lui un comprimé, Flo, dit Robert. Et
demandez qu'on la fasse reconduire. Il ne faut pas
attendre pour la perfusion. »
Florence fit aussitôt le nécessaire. L'enfant semblait
hébété : il ne réagit même pas quand elle enfonça
l'aiguille.
« Ce qui m'ennuie, avoua Robert, c'est que les
troubles ont été très tardifs; c'est toujours un signe de
gravité.
— Il pourrait s'agir... d'une amanite mortelle?
— On peut le craindre. Cependant une femme qui
récolte habituellement des champignons doit savoir
reconnaître celui-là! De toute façon, nous ne pouvons rien
faire sinon attendre. Venez le voir de temps en temps,
Florence; s'il se passe quelque chose d'anormal, appelez-
moi. »
Florence resta encore un moment près de l'enfant.
Immobile, il semblait détendu, son visage était calme, son
pouls plus lent. Elle se souvint alors tout à coup que
Colette l'attendait au poste de garde.

26
La jeune femme, assise près de la fenêtre, lisait
tranquillement. Elle leva les yeux et aperçut Florence.
« Je t'ai fait attendre longtemps, dit celle-ci. C'était
beaucoup plus sérieux que je ne pensais.
— Vraiment très grave, Flo?
— Un empoisonnement. Un petit garçon qui a
mangé un champignon vénéneux.
— On l'en tirera?
— Je l'espère bien.
— Tu sais, Flo, si tu es occupée, ne te gêne pas
pour moi. Je reviendrai un autre jour.
— Non, non, j'ai un moment à te consacrer. Alors,
les nouvelles? Toi d'abord : tu es heureuse? »
Le sourire de Colette en disait assez long sur ce
point.
« Et ton frère? demanda Florence. Il est toujours
aussi préoccupé de sa santé?
— Plus que jamais! Je l'ai encore vu hier; il ne
s'habitue pas à la solitude. »
Maximilien Abel, le frère de Colette, était hanté par
la peur de la maladie. En réalité il se portait bien, mais
ses craintes perpétuelles lui avaient valu un séjour
prolongé à l'hôpital de Rouville 1. C'était d'ailleurs en
venant lui rendre visite que sa sœur avait fait la
connaissance du docteur Crépin, dont elle était devenue
la femme. Le mariage de Colette, avec qui Maximilien
vivait depuis la mort de leurs parents, l'avait
profondément perturbé.
1. Voir Florence fait un diagnostic dans la même collection.

27
« Tu comprends, dit Colette, depuis mon départ, il n'a
plus personne à qui raconter ses misères. Quand j'étais
là, il commençait tous les matins, au petit déjeuner. « Tu
ne trouves pas, « Coco, que j'ai mauvaise mine? Si, si,
regarde « bien, j'ai un cercle bleu autour des yeux... » A
ce point de vue, il a une imagination débordante!
— Je m'en suis bien aperçue quand il était à
l'hôpital, répondit Florence en riant. Mais tu ne pouvais
pourtant pas rester vieille fille pour le plaisir de
l'entendre gémir sur ses malheurs!
— Non, bien sûr! Au début, je pensais que le fait
de me voir épouser un médecin serait pour lui comme
une bouée de sauvetage. Nous nous voyons souvent et il
peut se documenter directement sur toutes ses
prétendues maladies. Seulement Paul n'a pas toujours la
patience de l'écouter jusqu'au bout. Il l'interrompt : «

28
Voyons, Max, « tout cela n'existe que dans votre tête.
Parlons « d'autre chose: il y a des sujets plus
intéressants. Avez-vous regardé les informations télé-«
visées? Ce qui se passe dans le monde est plus «
important que vos rhumes de cerveau!»
— Que répond Maximilien? Il se fâche?
— Il n'ose pas : Paul lui en impose parce qu'il est
médecin. Mais il se plaint à moi par la suite; il me dit
que mon mari ne le prend pas au sérieux, que je devrais
lui faire comprendre... Tu penses bien que je n'en dis
rien à Paul : je ne voudrais pas qu'il me croie aussi folle
que mon frère. »
Florence réfléchissait.
« Ecoute, Colette, je ne vois qu'un remède : c'est de
marier Maximilien. Il n'est pas réfractaire au mariage en
principe?
— Tu sais bien que non, puisque il t'a demandée de
l'épouser! Tu l'as déjà oublié?
— Oh, non! cela m'avait d'ailleurs plutôt
vexée : je savais bien que ce qui lui plaisait en moi, ce
n'était ni mon physique ni mon esprit; c'était la
perspective d'avoir une infirmière à sa disposition, jour
et nuit, du premier janvier à la Saint-Sylvestre. Avoue
que ce n'était guère flatteur!
— Je te comprends, dit Colette. Pourtant, une
infirmière, c'est bien ce qu'il faudrait à Max.
— Il y aurait peut-être une solution...
— Laquelle? Dis vite...
— Pas tout de suite : il faut que j'aille voir mon
petit malade. Reviens un de ces jours : nous en

29
parlerons à tête reposée. »
Florence trouva l'enfant agité. Il était à demi
éveillé, se plaignait d'avoir mal, mais ne savait pas
expliquer où. La tête, le ventre, quelquefois les bras ou
les jambes...
Sandrine, l'aide soignante, était près de lui.
« Ça vient de le reprendre, Flo, dit-elle. J'allais
t'appeler quand tu es arrivée. »
A ce moment, le petit fut repris de nausées.
Florence demanda à Sandra d'aller chercher l'interne de
service.
Quelques instants plus tard, Robert entra dans la
chambre. Il paraissait soucieux.
« L'enfant peut uriner, c'est bon signe. Mais ces
vomissements, ces douleurs persistantes... Je fais
analyser le produit du sondage gastrique; cela nous
donnera peut-être une indication. »
L'enfant eut quelques hoquets, puis s'apaisa et se
rendormit.
« II faut le surveiller, déclara l'interne : ces crises
peuvent être graves. Ce qui m'étonne, c'est que les
symptômes ne concordent pas. Nous avons déjà vu des
empoisonnements par les champignons, vous et moi,
Florence : ce n'était jamais tout à fait cela. Pourtant,
l'origine n'est pas douteuse... J'espère que nous l'en
tirerons, c'est tout ce que je peux dire.
— Je reste près de lui », dit Florence.
Elle s'assit au chevet de l'enfant. Une heure s'écoula
sans changement, puis il hoqueta de nouveau.

30
Il ouvrait de grands yeux, exorbités par l'angoisse.
« N'aie pas peur, mon petit; respire bien à fond...
Là, oui, comme cela, très bien... »
La crise fut moins forte que les précédentes.
Florence demanda à Sandrine d'aller prendre les
températures à sa place, puis de rester dans la chambre
pendant qu'elle irait distribuer les médicaments pour la
nuit.
A la fin de l'après-midi, la mère revint. Cette fois,
elle avait mis un peu d'ordre dans sa tenue, elle s'était
recoiffée et semblait avoir repris un peu de calme. Mais
en apprenant que tout danger n'était pas encore passé,
elle eut un nouvel accès de désespoir.
« Vous ne voulez pas me dire qu'il est perdu, je le
vois bien... gémit-elle.
— Mais non, je vous assure, dit Florence. Il va
plutôt mieux, nous avons bon espoir.
— Je ne vous crois pas. Je veux voir le médecin!
— Il ne vous dira rien de plus, madame.
— Alors je reste. J'ai tout arrangé pour les deux
autres : ils coucheront chez la voisine. Je n'ai aucune
raison de partir.
— La principale raison est que cet enfant a besoin
de calme, et que vous ne semblez guère capable de lui
en donner.
— C'est vous qui êtes sa mère, ou moi?
— Je suis son infirmière, et ici, c'est moi qui
commande.

31
— Vous êtes une misérable, un bourreau
d'enfants...»
Florence avait déjà vu, chez des parents de malades,
certaines réactions hostiles. Mais la traiter de « bourreau
d'enfants », elle qui aimait tant les petits... Se dominant
avec peine, elle conduisit doucement la mère vers la
sortie. En la voyant s'éloigner, haletante, les poings
serrés, elle eut un mouvement de pitié. Si cette femme
avait compris à quel point elle souhaitait elle-même que
tout se passât bien, que le lendemain Robert pût déclarer
Jacquot hors de danger!
Quand la garde de nuit arriva, Florence la mit au
courant de ce qui s'était passé et lui recommanda de
surveiller l'enfant de près. On avait toujours du mal à se
procurer des gardes de nuit; celle-ci était déjà âgée, très
consciencieuse, mais un peu lente.
« Vous comprenez, madame Vernet, il y a un risque.
Si le petit s'agite, s'il recommence à vomir, appelez
immédiatement l'interne.
— Je le surveillerai, Florence, n'ayez aucune
crainte. »
La jeune infirmière décida qu'après le repas du soir
elle remonterait dans le service et resterait un moment
près de l'enfant. Si rien ne s'était passé d'ici là, elle
pourrait aller se coucher tranquille.
Tranquille, c'était beaucoup dire. Florence était
encore trop jeune pour atteindre le calme des infirmières
chevronnées. Quand elle sortit de la chambre, le petit
malade était paisible, endormi.

32
Mais si pendant la nuit il avait une nouvelle crise,
s'il fallait annoncer à la mère...
Pour chasser son angoisse, Florence essaya de
penser à l'idée qui lui était venue en bavardant avec
Colette. Marier Maximilien Abel, c'était amusant. Elle le
revoyait, récemment, la demandant elle-même en
mariage. Mais tandis qu'il lui parlait, elle avait une autre
image devant les yeux : celle de Gilles Martin, ancien
stagiaire à Rouville, maintenant interne à Paris, qui
revenait souvent la voir1...
Ce fut en pensant à Gilles qu'elle s'endormit enfin.

1. Voit Salle des Urgences, dans la même collection.

33
III

LE LENDEMAIN, au réveil, la première pensée de


Florence fut pour son petit malade. Dans quel état allait-
elle le trouver? Elle s'habilla rapidement, et, avant
même de prendre son petit déjeuner, passa dans le
service. Mme Vernet, la garde de nuit, relevait les
températures.
« Déjà là! fit-elle, étonnée.
— Je venais voir l'enfant, expliqua Florence.
Comment a-t-il passé la nuit? »
La garde sourit.

34
« Allez le voir », dit-elle.
Florence ouvrit la porte de la chambre. Le petit
garçon, redressé sur ses oreillers, la regardait. Le visage
reposé, il était tout différent de la veille, avenant, joli
même.
« Alors, demanda-t-elle, on n'a plus mal? »
II secoua la tête.
« Je voudrais bien qu'on m'enlève ça, fit-il en
désignant le long tube de caoutchouc qui, du flacon
suspendu au-dessus de sa tête, descendait jusqu'à son
bras. Ça ne me fait pas mal, mais ça me gêne pour
jouer.»
Elle vit alors qu'il avait fait, avec son drap, tout un
paysage de creux et de bosses.
« Je suis Lucky Luke, expliqua-t-il; les ennemis se
cachent dans la vallée. Je vais les surprendre par-
derrière. Et puis, aussi, j'ai faim; est-ce qu'on va me
donner à manger?
— Pour cela il faut attendre l'arrivée du docteur.
— Ce n'est donc pas vous qui commandez?
— Mais non. Ça t'étonne? » Le petit fit signe que
oui.
« II est venu une fois une infirmière à la maison,
pour faire une piqûre à ma petite sœur. Si vous aviez vu
comment elle donnait des ordres à tout le monde — oui,
même à papa! »
Florence se mit à rire.
« Parce que ton papa n'est pas médecin; s'il l'était,
c'est elle qui lui aurait obéi. »
L'enfant réfléchissait.

35
« II ne couche pas ici, le docteur?
— Il y en a un qui couche ici; il vient si on a besoin
de lui. Celui que tu vas voir est celui qui t'a soigné hier,
quand tu étais très malade.
— Il est gentil, celui-là?
— Très gentil. »
Soulagée, Florence prit tranquillement son petit
déjeuner et remonta dans le service où elle trouva Robert.
Celui-ci alla voir Jacquot et déclara que tout allait bien.
« Je vous avoue qu'hier soir, j'étais très inquiet. Mais
les enfants récupèrent avec une vitesse surprenante.
— C'était bien un champignon, n'est-ce pas?
— Certainement pas une amanite. Ou alors, il en a
consommé très peu. De toute façon, continuez la
perfusion jusqu'à ce qu'il soit complètement réhydraté.
— Est-ce que je pourrai manger? répéta Jacquot.
— Ah, tu as faim! c'est bon signe. Aujourd'hui, du
lait seulement. Tu aimes ça?
— Oh, oui, surtout avec du sucre. »
« Combien de temps le garderons-nous? demanda
Florence en sortant.
— Quelques jours, répondit l'interne. Remarquez
qu'il pourrait rentrer chez lui dès maintenant, mais la
mère a l'air tellement agitée... »
Dans la matinée, Mme Benoit, la surveillante, appela
Florence à l'interphone.
« Je vous passe une communication; c'est pour un de
vos malades. On voudrait avoir des nouvelles. »

« Ça me gène pour jouer.

36
37
Florence s'attendait à la voix éplorée de la mère de
Jacquot. Mais le timbre, au bout du fil, était plus grave
et plus doux.
« Je suis la voisine de Mme Dausset, la mère de
l'enfant qu'on vous a amené hier soir. Elle n'ose pas
téléphoner elle-même, elle a trop peur que les nouvelles
ne soient mauvaises. Elle est très nerveuse, vous savez...
— Je l'ai constaté, dit la jeune infirmière. Mais
vous pouvez la rassurer : son fils est tiré d'affaire; elle
peut venir le voir cet après-midi, si elle veut. »
Florence entendit un cri de joie : elle comprit que
Mme Dausset se trouvait à côté de sa voisine. Ce fut
celle-ci qui reprit :
« Elle n'ose pas vous parler elle-même. Elle dit
qu'elle a été si désagréable avec vous hier...
— Dites-lui de ne plus y penser. J'ai bien
compris qu'elle ne savait plus ce qu'elle disait. Elle peut
venir tout à l'heure, à condition d'être très calme. On lui
rendra l'enfant dans quelques jours.
— Elle demande si elle peut amener les deux
autres.
— Les enfants ne sont pas admis dans les
chambres, mais ils pourront jouer dans la cour de
l'hôpital.
— Je les garderai, ce sera plus simple.
— J'ai l'impression, madame, dit Florence, que
Mme Dausset a de la chance de vous avoir pour voisine.
C'est vous, n'est-ce pas, qui lui avez dit qu'il ne s'agissait
pas d'une simple indigestion

38
et conseillé d'alerter l'hôpital? Vous avez fait
preuve de beaucoup de bon sens.
— J'ai élevé cinq enfants moi-même cela vous met
du plomb dans la cervelle. »
La matinée s'écoula paisiblement. Pourtant, vers
onze heures, on amena à Rouville une nouvelle urgence.
Cette fois c'était un homme d'une soixantaine d'années.
Il présentait les mêmes symptômes que le petit : fièvre,
vomissements, douleurs dans la tête et les membres. Sa
femme avait téléphoné à l'hôpital, qui avait aussitôt
envoyé l'ambulance.
« Je préfère l'avoir sous la main, dit Robert à
Florence. Vous allez voir que, lui aussi, il aura mangé
des champignons. A cette saison, c'est toujours la même
chose. »
Ce cas-là, pourtant, était différent. L'homme
déjeunait à la cantine de son usine, et on n'y avait pas
servi de champignons. Le soir, il avait pris de la soupe,
puis sa femme avait ouvert une boîte de petits pois; ils
avaient terminé le repas avec du fromage.
« Tout cela paraît bien inoffensif... Et avant-hier?
— Nous nous sommes contentés de café au lait,
avec des tartines de beurre.
— Du café au lait... répéta l'interne. De toute façon
il faut le réhydrater, examiner le sang et les urines. J'en
parlerai au patron dès qu'il arrivera. »
Le docteur Martel, directeur de l'hôpital, ne put
diagnostiquer, comme Robert, qu'une « intoxication de
cause inconnue ». A son avis, l'apparente

39
similitude des deux cas n'était qu'une coïncidence.
Après le déjeuner, Colette téléphona à Florence.
« Est-ce que je peux venir te voir? J'ai tellement
hâte de connaître ton idée pour Max! s'écria-t-elle.
— Ce n'est pas pressé, dit la jeune infirmière.
Aujourd'hui j'ai beaucoup à faire; par-dessus le marché,
il m'arrive un nouvel empoisonné.
— Le petit garçon d'hier va mieux?
— Oui, il est sauvé, Dieu merci. Mais l'autre est
âgé et sans doute plus fragile.
— Encore des champignons? C'est vrai qu'avec ce
temps, moi aussi j'ai envie d'aller cueillir des girolles!
— Eh bien, vas-y. Tu ne risques rien : elles sont
faciles à reconnaître. Mais fais-les cuire le plus tôt
possible et ne les garde pas, même au réfrigérateur.
— Je les préparerai pour ce soir : Paul adore
l'omelette aux girolles. »
Florence devait se féliciter d'avoir remis la visite de
Colette à plus tard. En effet, il n'était pas trois heures
quand on amena un nouveau malade, présentant les
mêmes symptômes que les deux premiers. Dans la
soirée, deux autres furent admis à l'hôpital. La chose
devenait inquiétante.
« Une véritable épidémie! dit Robert au docteur
Crépin.
— Avez-vous remarqué, demanda Florence, que
tous ces malades viennent du quartier Saint-Louis?
Ce sont des gens très modestes, habitant

40
des maisons peut-être insalubres. On dirait que les
autres quartiers n'ont pas été touchés.
— Vous avez raison, Florence, déclara M. Martel.
C'est important; je vais téléphoner aux médecins du
centre et de la banlieue résidentielle pour savoir s'ils ont
des cas de ce genre. »
La réponse fut négative : aucun des médecins de
Rouville n'avait eu à traiter d'empoisonnement récent.
Dans la soirée, on amena encore une jeune femme;
la nuit on signala deux cas nouveaux.
« II faut prévoir de la place, dit M. Martel. Vous
pourrez vous arranger, madame Benoit?
— Pour le moment, oui. Si les admissions
augmentent, il faudra ajouter des lits dans les
chambres.»

41
Par ailleurs, une seule garde de nuit ne suffisait
pas : il en fallait une seconde. Et ce n'était pas facile à
trouver.
Pour les médecins et les infirmières, le problème se
compliquait du fait que personne ne connaissait l'origine
du mal. M. Martel décida de tenir conseil, le lendemain
matin, dans le bureau de la surveillante. Il demanda à
M. Groult, le député-maire, qui justement se trouvait à
Rouville, de se joindre au groupe.
« S'il s'agit d'une intoxication collective, dit-il, cela
regarde aussi les autorités locales. »
M. Groult était un homme d'une cinquantaine
d'années, corpulent, mais vif et efficace. Il portait les
cheveux mi-longs, à la mode des jeunes, dans le but de
masquer un peu la rondeur excessive de ses joues.
M. Martel lui exposa le problème.
« Vous dites, demanda le maire, que pour votre
premier malade il s'agissait certainement de
champignons? Mais il est difficile d'imaginer que toute
la population d'un quartier ait consommé de mauvais
champignons en l'espace de deux jours!
— C'est bien ce que nous pensons, reconnut M.
Martel. Et les quelques recherches que nous avons eu le
temps de faire ont décelé la présence de salmonelles,
c'est-à-dire de microbes dont l'apparition est
généralement due à un manque d'hygiène. L'eau polluée,
le lait manipulé par des mains sales...
— Il faut évidemment chercher de ce côté-là,

42
déclara M. Groult. Mais l'eau de Saint-Louis
provient des réservoirs de Montreuil, qui alimentent
plusieurs communes; elle passe pour la meilleure eau de
la région.
— Les conduites, peut-être, suggéra Robert.
— Elles ont été vérifiées récemment. Non, l'eau ne
peut être responsable. Je penserais plutôt au lait...
— Il est certain, dit M. Martel, que le lait peut
véhiculer beaucoup de germes nocifs. Pourriez-vous^
Groult, ordonner une enquête pour savoir où
s'approvisionnent les habitants du quartier Saint-
Louis.
— Ils ne vont peut-être pas tous chez le même
crémier, dit Mme Benoit.
— S'il y en a plusieurs, nous en ferons le tour. Ils
ne sont certainement pas bien nombreux. Et, à de rares
exceptions, les fermiers ne livrent plus à domicile. »
^Sur ces mots M. Groult s'éloigna. Florence n'avait
rien dit : elle ne se permettait pas de prendre la parole
devant des personnes aussi importantes. Mais l'idée du
lait lui paraissait vraisemblable.
Le lendemain, on vit arriver à la consultation de
l'hôpital une jeune femme qui souffrait d'un panaris au
pouce droit. Après l'incision pratiquée par Robert,
Florence fit le pansement. Elle demanda à la malade où
elle habitait.
« Vancourt, répondit celle-ci.
— Vous n'allez pas repartir là-bas toute seule?

43
Avec cette main, vous n'êtes pas en état de conduire
», déclara l'infirmière.
La jeune femme secoua la tête.
« Non! Mon beau-père, qui m'a amenée, doit venir
me chercher avec sa camionnette quand il aura fini sa
tournée. Il est fermier; il vient à Rouville tous les jours,
porter le lait à plusieurs crémeries.
— Lesquelles? demanda Florence.
— Celle de M. Lambert sur le Cours, celle de M.
Despaux à Saint-Louis...
— Saint-Louis... » répéta Florence.
Et ce panaris... Le lait manipulé avec des mains
infectées peut devenir dangereux. Elle interrogea :
« Vous travaillez avec lui à la ferme?
— Oh non; mon mari est mécanicien; il a une
station-service à Vancourt. Mon beau-père habite un peu
plus loin, en pleine campagne. Mon mari, lui, ne peut
pas quitter le poste d'essence quand je ne suis pas là
pour le remplacer. »
La jeune femme ne s'occupait donc pas du lait-
Florence acheva le pansement et promit à la malade
qu'elle serait complètement guérie sous peu.
Un peu plus tard, le beau-père arriva. C'était un
homme jeune encore, aux épaules larges et au visage
hâlé de ceux qui vivent au grand air. Il semblait
contrarié.
« Puisque je vous vois, dit-il à Florence, il faut que
je vous pose une question. C'est votre hôpital qui
m'accuse de ne pas suivre les règles d'hygiène? »

44
Florence comprit que M. Groult n'avait pas tardé à
faire commencer son enquête.
« On ne vous accuse de rien, dit-elle. Mais nous
avons eu à soigner un certain nombre d'intoxications; il
faut en rechercher la cause.
— Figurez-vous qu'il est venu chez moi une espèce
d'olibrius qui s'est mis à tout inspecter : les étables, le
foin, le pis des vaches, les seaux de la traite, les
bidons de transport. Je lui ai demandé s'il voulait
voir aussi ma chambre à coucher! Il m'a expliqué qu'il
faisait une enquête pour la mairie à la suite d'une plainte
de l'hôpital.
— Il n'a rien trouvé, j'en suis sûre.
— Au contraire : il m'a félicité de la bonne tenue
de la ferme. Il n'aurait plus manqué qu'il y

45
trouve à redire! Je fournis les meilleures maisons de
Rouville — Tenez, L'Etoile Mauve — et je vous assure
que là, ils sont difficiles! »
L'homme se radoucit et se tourna vers sa belle-fille:
« Ça va mieux, toi, petite? Bon, je suis content.
C'est qu'elle souffrait à crier, mademoiselle! Et elle est
dure, pourtant.
— Les panaris sont toujours très douloureux », dit
la jeune infirmière.
Deux jours plus tard, M. Groult communiqua au
docteur Martel le résultat de son enquête. Rien à
reprocher aux fermiers; le vétérinaire affirmait qu'il
examinait régulièrement les vaches laitières. Dans les
deux crémeries du bas quartier, le matériel était
parfaitement entretenu. Les habitants de Saint-Louis
pouvaient boire autant de lait qu'ils voulaient.
« D'ailleurs, observa Martel, les enfants en bas âge
n'ont pas été touchés; s'il s'était agi du lait, ils auraient
été les premières victimes. »
L'épidémie suivait son cours. L'état des intoxiqués,
quand ils arrivaient à l'hôpital, était spectaculaire;
cependant la plupart, avec un traitement aux sulfamides,
guérirent en quelques jours.
Malgré tout, pendant cette période, tout l'hôpital fut
sur les dents. Une telle affluence étant exceptionnelle, le
nombre du personnel se trouvait insuffisant. Comme la
plupart des infirmières, Florence restait au-delà des
heures réglementaires, déjeunait sur le pouce, trouvait à
peine le temps de dîner.

46
Elle n'avait guère pensé à Mme de la Pacaudière.
Celle-ci vint lui proposer ses services.
« J'ai suivi des cours de la Croix-Rouge dans ma
jeunesse, lui dit-elle. Je sais bien que c'est loin, mais je
dois être encore capable de faire une piqûre.
— Merci de tout cœur, répondit Florence. Mais si
vous voulez nous rendre service, allez plutôt voir nos
convalescents. Nous nous occupons tant des autres que
nous les délaissons un peu. »
Colette, elle aussi, aurait voulu se rendre utile.
« Je pourrais faire des gardes de nuit, proposa-t-
elle. Je ne connais rien à la médecine, mais si quelque
chose n'allait pas, j'appellerais l'interne.
— Tu es très gentille, Colette. Mais nous tiendrons
le coup, si cela n'augmente pas. »
Au bout de quelques jours, le nombre des
intoxiqués diminua rapidement; on vit encore deux cas
isolés, puis plus rien. Le soir où le docteur Crépin
annonça à sa femme que la mystérieuse épidémie
semblait terminée, il ajouta :
« Nous connaissons maintenant la cause de cette
sorte de maladie : c'est un microbe qui se trouve
généralement dans les aliments préparés sans soin, ou
conservés trop longtemps avant d'être consommés. Il est
difficile de penser que tant de personnes aient commis
cette erreur à la fois... Mais c'est fini, et sans trop de
dommage; nous ne pouvons rien demander de plus. »

47
IV

LE JOUR où Florence put enfin faire savoir à son


amie qu'elle serait heureuse de la revoir, Colette n'eut
garde de manquer le rendez-vous. Elle n'avait pas oublié
que la jeune infirmière, quinze jours auparavant, lui
avait parlé d'une « idée » concernant son frère. Une idée
de Florence, c'était chose à ne pas négliger.
Elle la trouva au poste de garde, assise devant une
table et vérifiant un relevé de pharmacie.
« Tu as l'air bien fatiguée, ma pauvre Flo!

48
— C'est que nous avons eu des journées très
chargées. Ton mari a dû t'en parler.
— Oui, d'ailleurs il rentrait beaucoup plus
tard que de coutume. Je ne m'inquiétais pas, puisque
j'en connaissais la raison. Les femmes de médecin
doivent avoir beaucoup de patience! ajouta-t-elle
avec une gravité qui fit sourire son amie.
— Parle-moi de toi, Colette, dit Florence. Tout va
bien?
— De mieux en mieux, répondit Colette. Dépêche-
toi de te marier, Flo, si tu dois être heureuse comme
moi! »
Florence poussa un soupir. Elle pensait à Gilles
Martin, naturellement. Ils n'avaient pas encore formé de
projets très précis, mais tout le monde à Rouville
soupçonnait qu'une fois le jeune homme en possession
de son diplôme, les événements se précipiteraient.
« Excuse-moi d'être curieuse, risqua Colette. Mais
tu devais me parler de Max. »
La jeune infirmière sourit.
« C'est vrai. Je n'ai pas eu beaucoup le temps d'y
songer depuis, mais je crois que mon idée est bonne. Tu
vas me dire ce que tu en penses.
— J'écoute de toutes mes oreilles.
— Eh bien, voici. Puisque Maximilien désire tant
épouser une infirmière, il faut lui faciliter les choses et
lui en faire connaître une. Il me semble qu'ici même, à
l'hôpital...
— Tu ne vas pas me dire que tu as changé d'avis au
sujet de la proposition de Max?

49
— Oh, pas du tout! J'aimerais bien devenir ta belle-
sœur, mais ce n'est pas suffisant, Colette.
— Dommage! soupira la jeune femme. Mais alors
— qui?
— Je t'ai sans doute déjà parlé de Caroline, qui a le
service du rez-de-chaussée?-
— Caroline? Je croyais qu'elle avait un fiancé à
Paris.
— Tu confonds avec Clotilde, qui doit en effet se
marier à la fin de l'année. Caroline n'est pas dans le
même cas, ce qui la désole. C'est une de ces filles qui ne
pensent qu'au mariage. Toutes les fois qu'elle reçoit dans
son service un homme entre vingt-cinq et soixante ans,
elle sent son cœur battre d'espoir. Malheureusement la
plupart sont déjà mariés...
— Elle ne sort pas? Ne rencontre personne en
dehors de l'hôpital?
— Ses parents habitent Tours; ils sont âgés et pas
très bien portants. Elle passe presque tous ses jours de
sortie à aller les voir. C'est pour cela qu'elle se
désespère.
— Elle a du cœur, en tout cas. Tu crois, Flo, qu'elle
épouserait Max?
— Réfléchis un peu. Ton frère est plutôt bien
physiquement, n'est-ce pas?
— Je crois que oui — du moins quand il n'est pas
emmitouflé d'écharpes et de châles! soupira Colette.
— Avec cela il a une belle situation. Pour Caroline,
ce serait le Prince Charmant.

50
— Mais son comportement bizarre? Cette idée fixe
de se croire toujours malade?
— Caroline saura le délivrer de son obsession. Les
infirmières n'ont pas l'habitude de s'en laisser conter.
— Elle deviendra enragée! J'ai bien failli le devenir
moi-même, quand je vivais avec lui.
— Elle aura plus d'autorité que toi. D'ailleurs elle
sera si heureuse de se marier que tout lui semblera
facile. »
Colette secoua la tête en signe de doute.
« Ce serait trop beau! Mais dis-moi, à quoi
ressemble-t-elle, ta Caroline? Je ne veux pas d'une
belle-sœur épouvantai!! Je ne crois pas l'avoir jamais
vue.
— Tu l'as certainement aperçue quand tu

51
venais voir ton frère à l'hôpital. Tu ne te rappelles
pas? Au rez-de-chaussée? Une grande, mince, les
cheveux châtain foncé...
— Celle qui a de si jolis yeux noirs? Mais je la
trouve très séduisante, cette fille!
— C'est aussi une excellente infirmière et un cœur
d'or. Je t'assure que ton frère serait bien soigné!
— Flo, déclara Colette, tu es formidable! Je le
savais déjà, mais je le constate une fois de plus. »
Florence reprenait son sérieux.
« Attends : ce n'est pas encore fait. Il faut organiser
cette rencontre. Comment allons-nous nous y prendre?
— C'est très facile : je peux inviter Caroline à
prendre le thé un dimanche, avec toi et Max.
— Cette invitation l'étonnerait — lui aussi, peut-
être. Ils risqueraient de découvrir notre projet. Mieux
vaut leur laisser croire que c'est le destin qui les
rapproche.
— Tu as raison. Il faut trouver autre chose. Je
pourrais demander à mon mari de faire venir Max à
l'hôpital sous prétexte d'un examen de contrôle.
— Mais alors ton frère se croirait perdu!
D'autre part, comment faire venir Caroline dans la salle
d'examens — ce qui n'est pas du tout son service? Et
puis il vaudrait mieux qu'elle voie Maximilien
autrement qu'en tant que malade.
— Tu as raison! D'ailleurs, si on parle à Max
d'examen de contrôle, il fera une de ces mines
d'enterrement dont il a le secret en pareil cas. Reconnais
qu'alors, il n'est guère à son avantage! »

52
Colette réfléchit un moment.
« Et si je disais tout simplement à Max qu'il te doit
une visite? Après tout, tu' l'as soigné plusieurs semaines
avec dévouement...
— Un dévouement qui s'accompagnait parfois d
irritation! coupa Florence.
— Max, poursuivit Colette, est toujours très
pointilleux sur les questions d'étiquette. Si je lui dis qu'il
doit venir, il viendra — et, j'en suis sûre, de très bon
cœur.
— Il ne m'en veut pas d'avoir repoussé sa
proposition de mariage?
— Non, puisque tu lui as dit que tu étais déjà
fiancée — ou presque 1... Il est persuadé que si tu avais
eu le cœur libre, tu te serais jetée dans ses bras!
— Arrangez-vous donc, conclut Florence, pour
venir un après-midi vers les deux heures, au
moment où j'ai le moins à faire. Caroline se trouve libre
à la même heure. Préviens-moi seulement à l'avance
pour que je trouve un moyen de l'attirer.
— Penses-y, Florence, j'y réfléchirai de mon
côté. Je suis sûre qu'à deux, nous devons réussir. »
Un pas qui s'approchait leur fit tourner la tête.
Quelques instants plus tard, une silhouette volumineuse
s'encadrait dans l'embrasure de la porte.
«'Madame de la Pacaudière! s'exclama Florence. Et
pas les mains vides, bien entendu!
— Puis-je m'asseoir un instant? demanda la
I. Voir Florence fait un diagnostic dans la même collection.

53
visiteuse. L'ascenseur ne marche pas, et ces
escaliers sont d'un raide! Il faut que je monte au second
pour apporter ces jouets à un petit asthmatique, dans le
service de Clotilde. Il ne reçoit pas souvent de visites, le
pauvre gamin! Mais j'ai trouvé de quoi l'amuser : entre
autres, un singe qui fait des cabrioles sur un trapèze-
dans la boutique je riais moi-même en le regardant. Il
faut que je vous montre ça! Attendez, je vais défaire le
paquet. »
Florence l'arrêta : si Mme de la Pacaudière
commençait à exhiber ses cadeaux, on en avait pour
deux heures.
« Non, non dit-elle : nous ne serions pas
capables de refaire aussi joliment le paquet.
— Vous avez raison, mon petit. Vous pourrez
monter au second voir le singe... Ma pauvre Flo, si vous
saviez! j'ai encore des tas d'ennuis.
— Vraiment?
— Figurez-vous que l'E.D.F. est venue : on
accepte de changer le poteau de place, de le planter de
l'autre côté du chemin.
— Eh bien, c'est un succès, il me semble?
— A priori, oui. Mais même ainsi je le verrai
encore en me penchant par la fenêtre! C'est ce que j'ai
fait remarquer : savez-vous ce que ce malotru de
l'E.D.F. m'a répondu? Que je n avais qu'à ne pas me
pencher; que c'était dangereux et que je risquais de
tomber par la fenêtre! »
Florence et Colette ne purent s'empêcher de
Oui, oui, dit Mme de la Pacaudière, à votre

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âge on s'amuse de tout; vous verrez quand vous
aurez le mien! Et par là-dessus cette Etoile Mauve a
trouvé un autre moyen de m'empoisonner l'existence :
maintenant on y fait de la musique!
— De la musique! Ils ont installé un rayon de
disques?
— Exactement. Des disques avec les fromages et
les conserves! Ça va bien ensemble, n'est-ce pas? Je
vous assure que j'en deviendrai folle...
— J'aurais cru que, étant donné la distance, de
votre propriété on ne devait pas entendre grand-chose.
— Ma pauvre enfant, quand je descends au
potager et que le vent souffle du nord, c'est intenable. Je
pourrais reconnaître les airs si c'était de vrais airs qu'ils
jouaient, et non je ne sais quelle abominable
cacophonie. Oh, mais j'avertirai le maire, je ferai
chasser cette Etoile Mauve du pays! »
Elle se calma tout à coup.
« Allons, je suis reposée, je monte au second, mon
petit asthmatique doit m'attendre. »
Elle s'éloigna; les deux amies échangèrent un
sourire.
« Une vraie soupe au lait! murmura Florence. Mais
elle est si bonne... »
A ce moment, elles entendirent un bruit de voix
dans le corridor; un autre visiteur ne tarda pas à se
montrer. Celui-ci était un homme entre deux âges,
vigoureux, au nez cramoisi. Il se drapait, avec un geste
d'empereur romain, dans une couverture de lit.

55
« Camus 1 M s'exclama Florence. Que venez-vous
faire ici? »
Il grommela :
« J'ai cru qu'elle ne sortirait jamais d'ici, cette grosse
dondon. Qu'est-ce qu'elle a donc à faire chez vous? Elle
n'est pas malade. Les malades doivent avoir la priorité.
— Si vous êtes malade, Camus, c'est bien votre
faute. On vous remet sur pied, vous quittez l'hôpital, vous
recommencez à manger n'importe quoi et surtout à boire;
naturellement votre ulcère fait de nouveau parler de lui. »
L'homme se cacha le visage avec le pan de sa
couverture.
« Il ne faut pas me parler comme ça, mademoiselle
Florence. Vous savez que je vous aime bien, vous
1. Voir Salle des Urgences, dans la même collection.

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et le toubib. Si vous ne me forciez pas à me laver,
ce qui me rend malade, et si vous ne me priviez pas de
cigarettes...
— Vous ne venez pas pour me reparler de
cigarettes, j'espère? Le tabac vous est défendu, et vous
n'en aurez pas. »
Camus se fit suppliant.
« Pas même une — une toute petite?
— Pas même la moitié d'une.
— Vous me faites de la peine, mademoiselle
Florence. C'est vrai que vous ne fumez pas, vous ne
pouvez pas comprendre... M. Robert, autrefois, me
passait de temps en temps un petit bout de gitane. Vous
avez dû lui faire la leçon; maintenant il me refuse
toujours.
— Parce qu'il en a assez de vous voir vous rendre
malade à plaisir. »
Camus poussa un grand soupir et s'éloigna.
« Toujours le même! s'exclama Colette. Quand Max
était hospitalisé, le bonhomme était déjà là. Il venait
souvent le voir. Max était trop heureux de trouver
quelqu'un à qui décrire tous ses malaises... »
Florence regarda sa montre.
« L'heure passe; il faut que je te quitte, Colette. J'ai
à faire à la salle de pansements. Tu es un amour d'être
venue me faire une petite visite.
— Je reviendrai bientôt, et nous mettrons au point
tous les détails de notre plan. Je serais si heureuse si ça
pouvait marcher!
— Ça marchera! » promit Florence.

57
V

QUELQUES JOURS plus tard, M. Martel, le patron,


réunit le personnel de l'hôpital : « M. Groult, dit-il, est
encore à Rouville pour quelques jours; il doit nous
amener demain un visiteur. Il désire que nous lui
fassions faire le tour des différents services. Je compte
sur vous tous pour lui donner bonne impression.
— Qui est donc ce personnage important?
demanda Robert.
— Il s'appelle Carval; c'est le propriétaire du

58
magasin à grande surface qui vient de s'ouvrir dans
la banlieue de Rouville. Ce monsieur s'intéresse à nous,
paraît-il. Groult veut le ménager : il peut favoriser le
développement de la région.
— Vous ne pensez pas, patron, que ce Carval nous
fait des grâces parce qu'il espère obtenir que l'hôpital
s'approvisionnera chez lui?
— C'est fort possible. Mais après tout, si ses
conditions sont intéressantes, pourquoi pas?
— Quand doivent-ils venir? interrogea le docteur
Crépin.
— En fin de matinée. Il ne faut gêner ni les
traitements du matin, ni le repas des malades. J'avais
d'abord proposé le début de l'après-midi, avant les
visites, mais Groult n'était pas libre. »
Florence poussa un soupir de soulagement. Le
début de l'après-midi, c'était l'heure où Mme de la
Pacaudière venait généralement à l'hôpital. Si elle s'était
trouvée face à face avec le responsable de L'Etoile
Mauve! La jeune infirmière imaginait la scène : Mme de
la Pacaudière n'était pas femme à dissimuler ses
sentiments. Elle était capable d'insulter ce M. Carval; il
se défendrait, naturellement, mais avec elle, il n'était pas
facile d'avoir le dernier mot. M. Martel passerait un
mauvais quart d'heure.
Le matin, heureusement, Mme de la Pacaudière ne
venait jamais; pareil affrontement ne risquait donc pas
de se produire.
Les visiteurs se présentèrent vers onze heures. M.
Martel, accompagné de la surveillante, leur fit

59
visiter toutes les installations nouvelles dont il était
fier : la salle d'opération, de réanimation, les
laboratoires. Puis il leur montra la cantine, la cuisine et
ses annexes. Robert les accompagna dans ses salles de
malades.
En arrivant dans le service de Florence, M. Groult
s'approcha amicalement de la jeune fille. Elle lui
demanda des nouvelles de son fils, François, qu'elle
avait soigné naguère après un accident de la route '.
« II va très bien, merci. Pour les études, c'est moins
brillant : il n'a pas l'air de se rendre compte que le bac
est à la fin de l'année... Il aurait encore bien besoin de
vos conseils, ma petite Florence! »
Le député-maire se tourna vers M. Carval.
« Je dois vous dire que si Mlle Florence est notre
plus jeune infirmière, elle est aussi une des meilleures
— puis-je dire « la meilleure », madame Benoît?
— Il ne faut pas faire de jalouses », répondit la
surveillante en souriant à Florence.
Le propriétaire de L'Etoile Mauve s'inclina devant
la jeune fille.
« Si mademoiselle est aussi efficace que charmante,
je regrette de ne pas être de ses malades! »
M. Carval était un homme d'une trentaine d'années,
de taille moyenne, maigre, très brun, avec des yeux
noirs vifs et perçants. Au premier coup d'œil, Florence
ne l'avait pas trouvé très sympathique. Il était trop
aimable, trop empressé. Elle
1. Voir Salle des urgences, dans la même collection.

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préférait les gens qui faisaient moins de frais —
comme Gilles Martin ou même comme Robert, qui, en
fait de liberté d'expression, dépassait parfois les bornes.
Elle ouvrit la porte d'une chambre vide pour en
montrer l'agencement sans risquer de déranger un
malade. Ils traversèrent ensuite une salle de quatre lits;
là il n'y avait que des cas bénins : on avait commencé
une belote, les cartes disparurent comme par
enchantement sous un couvre-lit.
« Tâchez de vous arranger pour qu'il ne rencontre
pas Camus! avait recommandé le patron à Florence. Ce
diable-là est capable de surgir tout à coup de sa boîte
pour nous faire un discours. »
Florence ne savait trop comment s'y prendre quand
Robert était venu à son secours en promettant au
clochard un quart de cigarette s'il n'apparaissait pas
pendant la visite.
« Un quart, c'est dangereux, avait répliqué Camus.
C'est si petit que je risque de l'avaler. Vous seriez tous
bien embêtés, hein?
— Pas du tout, avait répliqué l'interne : il y a
longtemps que je n'ai pas ouvert un ventre, ça
commence à me manquer.
— Vous pouvez dire « une laparotomie »; je
connais votre jargon, allez! »
Pendant toute la visite, Florence resta un peu
inquiète; cependant Camus ne se montra pas. Le petit
groupe entra au poste de garde.
« C'est votre domaine, mademoiselle, si je ne

61
me trompe, dit Carval. C'est vous qui avez placé sur
le mur ce charmant paysage? »
Florence inclina la tête sans mot dire. Décidément
le propriétaire de L'Etoile Mauve ne lui plaisait guère.
Maintenant le patron l'interrogeait sur son entreprise.
« Vous êtes content? Tout marche bien?
— Très bien; je puis dire que nous avons
démarré en flèche!
— On dit que vos prix sont inférieurs à ceux des
autres magasins; comment vous y prenez-vous? »
Carval poussa un soupir.
« II n'y a qu'un moyen, monsieur, et il est très
simple : c'est de se contenter d'un bénéfice modeste.
— Je comprends, dit Groult. Ce n'est d'ailleurs pas
un mauvais système : la clientèle affluera chez vous, et
vous vous rattraperez sur la quantité.
— Il n'y a pas que cela, reprit Carval. On s'imagine
que les hommes d'affaires ne pensent qu'à l'argent. Ce
n'est pas toujours exact.
— Que voulez-vous dire?
— Eh bien, j'ai toujours été choqué de voir les
acheteurs — surtout ceux qui disposent de faibles
moyens — payer très cher ce qu'ils consomment. Pour
les biens de première nécessité — les aliments de tous
les jours, par exemple —, les plus pauvres doivent
souvent se rabattre sur des produits de qualité inférieure.
Ce qui est inadmissible, n'est-il pas vrai? »
Florence commençait à s'intéresser à la
conversation. Cet homme était-il si différent de ce

62
qu'elle avait imaginé au premier abord?
« C'est ainsi, expliqua-t-il, que m'est venue l'idée de
baisser mes prix en ne dépassant jamais une faible
marge de bénéfice. Comme vous le dites — il faut bien
vivre —, j'espère m'en tirer grâce à une clientèle plus
nombreuse. Mais en attendant j'ai la satisfaction d'aider
un peu mes concitoyens. C'est déjà quelque chose, n'est-
ce pas? »
II se tourna vers la jeune infirmière comme pour
quêter son approbation. Cette fois, elle répondit sans
hésiter :
« Comment pourrait-on ne pas vous féliciter,
monsieur?
— Vous voyez, poursuivit Carval, que même un
commerçant peut avoir des sentiments humains-Mais je
ne veux pas abuser de votre temps, qui doit être si
précieux. Je reviendrai vous voir, monsieur Martel. »
Les visiteurs s'éloignèrent. « Eh bien, demanda
Robert à Florence, que dites-vous de ce philanthrope?
— Je trouve que c'est très bien, ce qu'il fait. Et
vous?
— Oui, si c'est vrai.
— Vous doutez toujours de tout, Robert! »
Florence pensa avec amusement à Mme de la
Pacaudière. Au fond, celle-ci et Carval étaient faits
pour s'entendre : n'avaient-ils pas le même
comportement généreux? Quel dommage que le
bâtiment de L'Etoile Mauve obstruât en partie la vue
dont l'excellente femme était si fière! Qui sait?

63
elle finirait peut-être par s'y résigner. Elle
deviendrait un jour cliente de L'Etoile Mauve — et une
bonne cliente, étant donné tout ce qu'elle achetait pour
ses bonnes œuvres!
Un pas traîna dans le couloir : Florence et Robert
virent apparaître la face rougeaude de Camus.
« Je les ai vus partir! annonça-t-il. Alors je viens
chercher... ce que vous m'avez promis, docteur.
— C'est vrai : un quart de cigarette.
— Une demie, hasarda Camus.
— Un quart », répéta Robert.
Il tira un paquet de sa poche, prit des ciseaux sur la
table et coupa la cigarette avec soin.
« Si c'est pas malheureux d'abîmer comme ça une
belle cig! soupira le clochard. Vous pourriez tout de
même me donner le gros bout, docteur.
— Tu as déjà de la chance que je te donne ça. Si le
patron me voyait, il m'attraperait.
__Ça, alors, pas de danger! Ma grand-mère,
la sainte femme, disait que les loups ne se mangent
pas entre eux; c'est sûrement vrai aussi pour les
docteurs! Quand il s'agit de moi, vous êtes toujours tous
du même avis. Pas de tabac-pas de tabac... si vous
croyez que c'est drôle! »
Camus prit le bout de cigarette avec précaution.
« Vous devriez me donner aussi un microscope pour
que je puisse la voir! grommela-t-il. N'empêche que si je
l'avalais — sans faire exprès, bien sûr! — qui est-ce qui
serait bien ennuyé? Vous avez dit que vous seriez obligé
de m'ouvrir le ventre.

64
— Je t'ai dit aussi que j'aimais ça.
— Mais vous n'aimez pas les urgences; je vous ai
entendu dire au patron que ce n'était pas du beau travail.»
Robert commençait à s'impatienter.
« Tu veux que je te l'allume, ta cigarette?
— Bien sûr que non! je vais la faire plus mince,
comme ça j'aurai l'impression d'en avoir plus. »
Le clochard s'éloigna, traînant toujours le pas.
L'habitude de marcher avec de vieux souliers qui ne lui
tenaient pas aux pieds avait fini par lui donner cette
démarche. Pourtant, aujourd'hui, il portait de belles
pantoufles — des pantoufles offertes par Mme de la
Pacaudière aux malades qui n'en avaient pas.
Après le déjeuner, celle-ci vint rendre visite à
Florence. Elle demanda aussitôt :
« Alors? vous avez vu le singe? »
Elle parlait du jouet qu'elle avait apporté à un petit
malade. Mais Florence pensa qu'elle faisait allusion à son
visiteur du matin.
« Ce n'est pas un singe du tout, madame, je vous
assure, répliqua-t-elle. Il est assez bien, d'abord, et il m'a
paru très humain.
— Il a une expression presque humaine, vous avez
raison. C'est pour cela qu'il est si réussi. Dès que je l'ai
vu, dans le magasin... »
Dans le magasin... Florence se rendit compte qu'elle
faisait fausse route. Réprimant avec peine une forte envie
de rire, elle avoua qu'elle n'avait

65
pas encore eu le temps de monter admirer le jouet.
« Allez-y, cela vaut la peine. Mais alors, je ne
comprends pas : qui d'autre a l'air humain?
— Je parlais de M. Carval, le propriétaire de
L'Etoile Mauve. Il est venu ce matin visiter l'hôpital. »
Mme de la Pacaudière fronça les sourcils. « Cet
homme, ici! C'est un peu fort! Qui donc s'est permis de
l'inviter?
— M. Groult l'a amené lui-même.
— Groult! Il n'en fait jamais d'autres. Mais je lui
parlerai, je lui expliquerai...
— Je voulais^ justement vous en dire un mot,
madame. Ce M. Carval vaut mieux que vous ne le
pensiez : c'est un homme qui cherche à faire le bien.
— Et qui commence, par me gâcher ma vue!
— Il ne s'en est sans doute pas rendu compte. Il a
construit son magasin si rapidement...
•— En effet, ça a poussé comme un champignon.
Un champignon vénéneux, bien entendu! Le plus
dangereux de tous, c'est l'amanite panthère, si j'ai bonne
mémoire. L'Etoile Panthère, voilà le nom qui
conviendrait à sa boutique! »
Florence se mit à rire. Décidément, ce n'était pas
aujourd'hui qu'elle réconcilierait le propriétaire de
L'Etoile Mauve et son irascible ennemie.

66
VI

« JE NE TE DÉRANGE PAS, Flo? » lança Colette.


La jeune infirmière jeta un coup d'œil à la pendule.
« En principe, je suis prise dans un quart d'heure.
Tu as quelque chose à me dire?
— J'ai tellement hâte de te raconter tout ce que
j'ai fait depuis notre dernière entrevue! Du côté de Max,
ça marche très bien.
— C'est-à-dire?
— Je l'ai décidé à te rendre visite. Il a commencé
par faire des difficultés. « Tout de même, « disait-il, elle
a refusé de m'épouser! » Je lui ai répliqué que c'était
naturel, puisque ton cœur n'était plus libre. J'ai insisté
sur le fait que tu l'as

67
soigné longtemps...
— Et l'argument a porté?
— Oui : sa déception n'a pas diminué sa
reconnaissance. Il a volontiers admis qu'il te devait des
remerciements, mais il préférait t'écrire. Il prétendait
que c'était plus correct, qu'il t'écrirait un mot en
t'envoyant des fleurs. Cela ne faisait pas du tout mon
affaire, comme tu penses. Pardonne-moi pour les fleurs,
mais je l'en ai dissuadé.
— Comment as-tu fait?
— Je lui ai dit qu'en ce cas tu serais obligée de lui
répondre, et que tu n'avais pas beaucoup de temps... Il a
fini par reconnaître que j'avais raison. A toi de jouer
maintenant : il faut fixer un jour où Caroline puisse
venir dans ton service.
— Ce ne sera pas difficile : je vais lui prêter un
livre de biologie que Gilles m'a donné et qu'elle a
grande envie de lire. Le jour venu, je lui dirai que j'ai
besoin de consulter ce livre et lui demanderai de me le
rendre pour quelques heures. Elle viendra sûrement au
début de l'après-midi : c'est l'heure la plus commode
pour nous toutes.
— Formidable! Il ne me reste plus qu'à convenir
d'un jour avec Max. »
Ce petit stratagème amusait Florence. Le soir,
justement, avant de se coucher, Caroline vint passer un
moment dans sa chambre. Comme toujours, elle
soupirait : les infirmières avaient si peu d'occasions de
sortir! Comment trouverait-elle jamais à se marier?
Comme toujours, elle soupirait.

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69
« Bien sûr, dit-elle, il y a des malades qui épousent
leur infirmière... Mais c'est tout de même relativement
rare. Et en ce moment, je ne suis guère favorisée : je ne
sais pas ce qui se passe, dans mon service, il n'arrive que
des femmes.
— Je croyais qu'avant-hier on t'avait amené un
cirrhotique?
— Florence! il a soixante-dix ans! Et avec ça il boit;
c'est de là que lui vient sa cirrhose.
— Tu sais, Caroline, dans la vie tout est souvent une
question de hasard.
— Dis plutôt de chance! Et de la chance, moi je n'en
ai jamais... »
Le terrain est tout à fait favorable, pensa Florence.
Le lendemain était son jour de repos. Il faisait trop
beau pour s'enfermer dans un cinéma, aussi décida-t-elle
de faire une promenade.
Et si j'allais du côté de cette fameuse Etoile Mauve?
se dit-elle. Je pourrais même y faire quelques achats,
puisque tout y est si avantageux.
Florence prenait ses repas à la cantine de l'hôpital,
mais elle aimait avoir dans sa chambre des biscuits, du
chocolat, des fruits. Parfois, aussi, les infirmières se
réunissaient dans la chambre de l'une d'elles : il fallait
avoir de quoi régaler ses amies.
En sortant de l'hôpital Florence traversa la ville, puis
le faubourg et se trouva sur la grande route. A quelque
distance elle apercevait, sur sa gauche, deux toits
pointus : les Roques de Mme de la Pacaudière; sur sa
droite, un

70
bâtiment allongé dont les couleurs éclatantes
rutilaient au soleil.
Il est vrai, pensa-t-elle, que cela ne fait pas très bien
dans le paysage. Mais des Roques on ne doit pas en voir
grand-chose.
De près, le bâtiment ne s'améliorait pas. La façade
était peinte en violet, avec des bordures jaunes; au centre,
une énorme étoile mauve complétait le mauvais goût de
l'ensemble.
Florence s'avança vers une des grandes portes de
verre jaune qui donnaient accès au magasin. Une musique
— la radio, probablement — jouait des airs de jazz. Ce
n'était pas désagréable en soi, mais Florence pensa qu'elle
eût préféré faire ses achats dans le calme. Quant aux
malheureuses employées qui devaient entendre ce bruit
toute la journée, il y avait de quoi les rendre folles.
Des employées, d'ailleurs, il y en avait fort peu :
L'Etoile Mauve était un libre-service. Florence prit un
panier de métal et se promena dans les allées. La
renommée disait vrai : il y avait de tout sur les comptoirs,
cependant l'alimentation y tenait la première place. Une
fois passé le rayon des aliments frais, des piles de boîtes
de conserves montaient de tous côtés.
Florence regardait les prix. N'étant pas habituée à
faire le marché, elle pouvait difficilement effectuer des
comparaisons, cependant certains produits lui paraissaient
plutôt avantageux.
Elle errait au hasard quand tout à coup, au fond du
magasin, elle aperçut M. Carval qui dirigeait

71
l'installation d'un comptoir. Il la reconnut et
s'avança vers elle avec un large sourire.
« Mademoiselle... Excusez-moi, j'ai oublié votre
nom. Vous êtes infirmière à l'hôpital, n'est-ce pas?
— Oui, monsieur.
— Et vous vous appelez... Ah, je me souviens
maintenant : Mlle Florence, c'est bien cela?
— En effet. »
Elle se sentait un peu gênée. Que M. Carval la
reconnût, cela n'avait rien d'extraordinaire. Mais qu'il se
montrât aussi empressé... Elle retrouva l'impression de
méfiance éprouvée lors de leur première rencontre.
« Vous êtes venue visiter L'Etoile Mauve? demanda-
t-il. Vous ne connaissiez pas encore le magasin? »
Florence fit signe que non.
« L'Etoile Mauve se trouve loin de l'hôpital;
d'ailleurs, je n'ai jamais beaucoup d'achats à faire. Mais
c'est une nouveauté à Rouville; j'ai eu la curiosité de venir
la voir.
— Votre première impression n'a pas dû être très
bonne, dit Carval. Ces couleurs criardes-Mais que
voulez-vous? la plus grande partie de notre clientèle
adore ça... Un commerçant n'est jamais libre de suivre ses
propres goûts. Mais cela ne l'empêche pas de juger.»
Intérieurement, Florence lui décerna un bon point.
Mais n'était-il pas possible de former le goût d'une
clientèle? Elle s'y connaissait trop peu en affaires pour
répondre à la question.
« Promenez-vous à votre guise, conseilla Carval,

72
val, regardez, comparez. Vous pourrez constater que
nos prix, dans l'ensemble, défient toute concurrence.»
II s'éloignait, mais se retourna brusquement.
« Si vous voyez quelque chose qui vous plaît,
appelez-moi. Aujourd'hui je suis ici toute la journée. »
II retourna à ses rangements, tandis que Florence
flânait entre les rayons. Les fruits attiraient
particulièrement la jeune infirmière, mais de ce côté les
prix ne lui semblaient pas très différents de ceux des
autres magasins. Cela valait-il vraiment la peine de se
charger pour traverser toute la ville?
Devant un étalage de boîtes de conserves, elle
s'arrêta. Le lendemain soir, les jeunes infirmières
fêtaient l'anniversaire de Caroline : on se réunirait dans
sa chambre pour manger des sandwiches et des petits
fours. Si Florence prenait une ou deux de ces boîtes de
pâté de foie? Le pâté, tartiné sur du pain de mie coupé
en triangle, faisait toujours un plat appétissant. Elle
examina plusieurs boîtes; là, le prix était nettement
inférieur à celui des épiceries qui avoisinaient l'hôpital.
Elle décida d'en prendre trois pour en avoir une d'avance
en cas de besoin.
Elle déposait les boîtes dans son panier quand elle
sentit qu'on lui touchait l'épaule. Elle se retourna
vivement : c'était Carval, qu'elle n'avait pas entendu
approcher.
« Chère mademoiselle, montrez-moi ce que vous
avez choisi. »
II regarda le contenu du panier et secoua la tête.

73
« Ne prenez pas cela : j'ai mieux à vous proposer.
Regardez ces boîtes-ci; je vous promets que vous n'en
serez pas mécontente. C'est de la galantine; j'en prends
moi-même assez souvent.
__ C'est que... je cherche du pâté et non de la
galantine. C'est pour faire des sandwiches. »
Tout en parlant, Carval avait ôté les boîtes de son
panier et les avait replacées au sommet d'une pile.
« Des sandwiches? répéta-t-il. Rien de plus facile.
Nous avons tout ce qu'il vous faut. Prenez ceci, vous
m'en direz des nouvelles. »
II prit trois autres boîtes et les plaça dans le panier
sans que Florence eût le temps d'intervenir. La jeune
fille ne comprenait pas : il arrive souvent qu'un
commerçant vous vante tel ou tel

74
produit, mais de là à vous l'imposer de force...
Elle regarda l'étiquette.
« Mais, monsieur, dit-elle, ce pâté-ci est beaucoup
plus cher!
— C'est qu'il est plus raffiné, répliqua Carval.
Naturellement, nous avons plusieurs qualités.
Rappelez-vous ce que je disais l'autre jour à M.
Martel : mon but est de mettre de bons produits à la
portée de toutes les bourses. Mais j'ai aussi des produits
de luxe pour les connaisseurs.
— Monsieur, reprit Florence, je fais partie des gens
qui doivent faire des économies. Je ne peux pas payer
aussi cher. »
Elle tendait la main vers les premières boîtes qu'elle
avait choisies. Carval l'arrêta.
« Payer! Vous n'y pensez pas, mademoiselle
Florence! Ces boîtes, c'est moi qui vous les offre, en
souvenir de votre première visite à L'Etoile Mauve.
J'espère bien que ce ne sera pas la dernière... Vous
n'avez besoin de rien d'autre? Alors, venez. »
La jeune fille protesta : elle n'avait aucune raison
d'accepter un cadeau de Carval! Mais celui-ci
l'entraînait déjà vers la sortie, jetait un mot à la caissière
qui les laissa passer au portillon sans rien demander.
« Mais, monsieur, je ne veux pas...
— Je suis ici chez moi : j'ai bien le droit de faire ce
qu'il me plaît! D'ailleurs, si vous voulez, vous pouvez
aussi me rendre service.
— En vous envoyant des clients? demanda
Florence.

75
— Mieux que cela! J'ai rendez-vous avec M.
Martel dans quelques jours. Vous comprenez, si je
pouvais avoir la fourniture de l'hôpital... même en
baissant encore un peu mes prix, vu l'importance des
commandes,... Or, j'ai remarqué que M. Martel vous
estimait particulièrement. S'il vous était possible de lui
glisser un mot en ma faveur...
— Mais, monsieur, ce n'est pas M. Martel qui
s'occupe du ravitaillement de l'hôpital! Il vaudrait
mieux, je pense, vous adresser à l'économe.
— Je le ferai aussi, naturellement. Mais je sais ce
que c'est qu'un patron. Si M. Martel est pour moi, je suis
sûr de mon affaire. »
Ainsi c'était par intérêt que Carval lui faisait ce
cadeau! Au fond, Florence aimait mieux cela. Pourtant il
fallait le prévenir honnêtement qu'elle ne pouvait pas
grand-chose pour lui.
« Monsieur, dit-elle, jamais M. Martel ne me parle
de ces questions. Je ne peux pas aller de but en blanc lui
dire de s'adresser à vous plutôt qu'à un autre. Je ne peux
même pas juger si cette affaire, que vous dites
intéressante pour vous, le serait aussi pour l'hôpital. »
Carval sourit.
« Vous êtes une enfant! déclara-t-il. Dites seulement
autour de vous que vous avez visité L'Etoile Mauve, que
tout vous y a paru meilleur marché qu'ailleurs. Le reste,
je m'en charge. »
II la quitta et rentra dans le magasin, tandis que
Florence reprenait sa route vers l'hôpital.
En longeant la grande rue de Rouville, elle eut

76
la curiosité de regarder la devanture d'une épicerie
où des boîtes de conserves étaient empilées. Elle
reconnut la marque de galantine que Carval lui avait
d'abord proposée; elle entra et en demanda le prix. Il
était supérieur de presque deux francs à celui de
L'Etoile Mauve.
Le soir, elle ouvrit deux de ses boîtes et
confectionna de petits sandwiches. Quand les jeunes
infirmières se trouvèrent réunies dans la chambre de
Caroline, toutes firent honneur au cadeau de M. Carval.
« Mais c'est du vrai pâté de foie gras! s'exclama
Clotilde. Tu as dû te ruiner, Flo! Où donc as-tu trouvé
ça?
— A L'Etoile Mauve. Et je ne me suis pas ruinée
du tout; au contraire, j'ai fait des économies! »
Elle raconta sa visite, l'intervention de M. Carval et
le présent qu'il lui avait fait des trois boîtes.
« J'en avais choisi d'autres — bien meilleur marché,
je l'avoue. Mais il n'a jamais voulu que je les prenne. Il
me les a presque arrachées des mains. Au début, je ne
comprenais pas pourquoi. Mais il m'a avoué qu'il
souhaitait obtenir la clientèle de l'hôpital, et il
s'imaginait, je ne sais pourquoi, que je pourrais l'y aider.
— En tout cas, il ne s'est pas moqué de toi! déclara
Caroline en reprenant un petit sandwich. Il est généreux,
cet homme-là!
— Il est peut-être célibataire! taquina Clotilde. As-
tu pensé à le lui demander, Flo?
— Cessez de me taquiner, dit Caroline. Pensez qu'à

77
mon prochain anniversaire, je coifferai sainte
Catherine! »
Florence sourit en pensant au plan qu'elle avait
échafaudé.
« Tu n'en es pas encore là! dit-elle gaiement. En
attendant, je bois à l'inconnu qui peut survenir d'un
moment à l'autre! »
Elles levèrent leurs verres et la petite fête s'acheva
dans des éclats de rire.

78
VII

LE LENDEMAIN, Colette téléphona à Florence : «


Flo, c'est merveilleux : je crois que notre projet va
réussir. Hier soir, Max est venu nous voir : il m'a parlé
le premier de la visite qu'il veut te faire; il m'a demandé
de convenir du jour avec toi. Il préférerait que ce soit un
samedi, parce que ce jour-là il ne travaille pas. « Et
pour-« quoi pas samedi prochain? » a-t-il même
proposé. — En effet, dit Florence, pourquoi pas? Il faut

79
seulement que vous veniez tôt : disons à deux
heures. Et ne soyez pas en retard!
— Je vais donc dire à Max que c'est entendu pour
samedi, c'est-à-dire après-demain. De ton côté, n'oublie
pas de prêter ton livre à Caroline.
— Je n'oublierai pas, sois tranquille! »
La jeune infirmière raccrocha. Elle voulait profiter
de l'heure creuse pour téléphoner à Gilles Martin, qui
devait être à son hôpital. Ils n'avaient presque jamais le
temps de se parler longuement, mais les quelques mots
qu'ils échangeaient suffisaient à les mettre de bonne
humeur pour le reste de la journée.
Elle tendait la main vers l'appareil quand un pas
ébranla le parquet du couloir; Mme de la Pacaudière,
suant et soufflant sous le poids d'un énorme paquet,
s'avança vers elle.
« Regardez ce que j'ai trouvé, mon petit. Vous ne
devineriez jamais ce que c'est : un théâtre de
marionnettes! Je vais dire à Clotilde de l'installer dans la
salle 8, où il n'y a jamais de grands malades. Elle le
mettra au fond, entre les deux fenêtres; il y a assez de
place, je l'ai vérifié. Ceux des enfants qui peuvent aller
et venir organiseront le spectacle. Ce sera merveilleux,
vous ne trouvez pas? »
Florence se demanda si Clotilde apprécierait
beaucoup l'encombrement de ce volumineux guignol
dans une pièce où les lits tenaient avec peine. Certes,
elle ne refuserait pas le cadeau — on ne disait pas non à
Mme de la Pacaudière. Mais elle n'en penserait pas
moins...

80
« Tous les enfants aiment les marionnettes, n'est-ce
pas? poursuivit la généreuse donatrice. Au début ils ne
sauront peut-être pas les manœuvrer, mais je leur
montrerai comment faire. J'ai joué la comédie dans mon
jeune temps — vous ne vous en doutiez pas, Florence?»
La visiteuse poursuivait son idée.
« Cela va me prendre pas mal de temps, je sais
bien. Mais après tout je n'ai pas d'occupation si
pressante. Et puis, pour tout vous dire, ma petite fille,
avec ce qui se passe je n'ai plus envie de rester chez
moi.
— Plus envie! est-ce possible? Les Roques sont
une maison si charmante...
— Etaient, mon petit, étaient*. Car maintenant,
comme vous savez, je ne peux même plus regarder par
mes fenêtres.
— Même depuis qu'on a déplacé le poteau? » Mme
de la Pacaudière eut un geste dédaigneux. « II s'agit bien
du poteau! Je parle de cette
horrible bâtisse bariolée qui me dissimule la vue
des prés — cette vue qui me donnait tant de joie... Il y
avait souvent des vaches. Eh bien, j'aime les vaches,
moi! Pas de près bien sûr, à cause des cornes. Mais à
distance, derrière des barbelés... A mon âge, me priver
de cet innocent plaisir! »
Elle soupira :
« Vous ne la connaissez pas, vous, cette
monstrueuse Etoile Mauve. D'ici, vous ne risquez ni de
la voir ni de l'entendre — quelle bénédiction! Quelle
chance pour vous que l'hôpital soit situé à l'autre bout de

81
Rouville! »
La jeune infirmière sourit.
« Eh bien, si, madame, figurez-vous que je connais
L'Etoile Mauve. Hier, par curiosité, je suis allée me
promener de ce côté-là.
— Une curiosité malsaine, mon enfant! Au
moins, puisque vous avez vu de près cette horreur, vous
pouvez comprendre les sentiments que j'éprouve. N'est-ce
pas que c'est tout simplement hideux?
— Je reconnais que l'extérieur n'est pas de très bon
goût.
— L'intérieur est-il mieux? cela m'étonnerait! Vous
pensez bien que je n'y ai pas mis les pieds. Et j'ai interdit
à Paquita d'en approcher! Vous y êtes entrée, Florence?
— Oui. Cela ressemble à tous les grands magasins.
C'était neuf et c'est propre. On peut y trouver une quantité
de choses.
— On raconte partout que c'est moins cher
qu'ailleurs. Est-ce vrai?
— Oui, pour certains produits. Pour le reste, je n'en
sais rien.
— C'est que ces produits sont de mauvaise qualité,
déclara Mme de la Pacaudière d'un ton péremptoire.
Mais, ma petite Florence, après cette épreuve, vous auriez
dû faire quelques pas de plus et venir vous reposer chez
moi. Je vous aurais offert une tasse de thé pour vous aider
à vous remettre. Ce violet et ce jaune — pouah!
— Le propriétaire lui-même est de notre avis. Mais,
d'après lui, cela plaît à une partie de sa clientèle.

82
— Le propriétaire? Vous n'allez pas me dire que
vous l'avez vu? Et que vous lui avez parlé?
— C'est lui qui est venu me parler, madame. Comme
il m'avait vue à l'hôpital, il m'a reconnue; il m'a même
offert trois boîtes d'excellent pâté. »
D'émotion, la visiteuse se laissa choir sur une chaise
qui fit entendre un craquement plaintif.
« Cet homme a de mauvaises intentions! déclara-t-
elle avec fermeté. S'il vous flatte ainsi, c'est qu'il espère
quelque chose de vous.
— Je crois qu'il aimerait obtenir la clientèle de
l'hôpital. Mais n'est-ce pas naturel pour un
commerçant?
— Petite malheureuse, vous ne vous rendez pas
compte? Moi qui... qui espérais... »
La pauvre femme suffoquait. Florence la laissa
reprendre son souffle.
« J'espérais qu'il ferait faillite! explosa-t-elle dès
qu'elle fut capable de parler. Vous comprenez bien, ma
pauvre enfant, qu'avec la clientèle de l'hôpital, son chiffre
d'affaires va doubler — que dis-je? tripler, quadrupler!
L'Etoile Mauve va se développer comme une tumeur! Il
est capable d'y ajouter un autre bâtiment et de m'ôter le
reste de ma vue... »
Florence l'écoutait avec une impatience grandissante.
Pourvu que Gilles n'eût pas déjà quitté l'hôpital! Enfin,
Mme de la Pacaudière ramassa son théâtre de
marionnettes, se leva avec peine et s'ébranla.
« Clotilde va être bien contente! » lança-t-elle encore
en sortant.

83
Florence courut vers le téléphone. Elle n'avait pas
fini de former le numéro quand une silhouette massive
s'encadra dans la porte. Elle raccrocha aussitôt et
reconnut Camus. Il venait sans doute raconter quelque
sottise, mais c'était un malade : elle ne pouvait le
renvoyer sans l'entendre.
« Vous avez quelque chose à me dire? » interrogea-t-
elle un peu sèchement.
Camus, se balançant d'un pied sur l'autre, répondit
d'une voix lugubre :
« Je venais vous faire mes adieux, mademoiselle
Florence. Vous pensiez que je partirais sans vous dire au
revoir?
— Comment? Mais vous ne deviez sortir que lundi!»
II ricana.
« Alors, on ne vous avait même pas prévenue?

84
Ils sont bien élevés, dans la médecine, à ce que je
vois! Je ne suis pas un monsieur, moi, j'ai quitté la
communale à dix ans, mais je ne me conduirais pas
comme ça vis-à-vis d'une dame!
— Qui donc vous a annoncé que vous étiez
sortant?
— Qui? Le Robert, naturellement! Il m'a dit que ce
matin, après la visite, il avait parlé de moi avec le
patron. Vous n'étiez donc pas là?
— Non, j'avais été appelée dans une des
chambres. Et alors? Ils ont jugé que vous étiez guéri?
— Guéri? Vous voulez rire, mademoiselle
Florence. Je ne suis pas guéri du tout. Mais
probablement qu'on en a assez de me voir. Alors on me
chasse, voilà tout — on me chasse comme un
malpropre! »
Florence ne put retenir un sourire. Le mot «
malpropre », en effet, ne convenait pas mal à Camus.
Après un séjour à l'hôpital, il devenait plus ou moins
acceptable. Mais quand il revenait, on aurait pu croire
qu'il sortait d'une poubelle.
« C'est moche, hein, mademoiselle Florence? Vous
me comprenez, vous, j'en suis sûr. Vous ne me donnez
jamais de cigarettes parce que c'est défendu — vous
avez peur de vous faire pincer, hein? — mais je pense
que vous m'aimez bien tout de même. Moi aussi, vous
savez.
— Naturellement je vous aime bien, Camus. Je
voudrais seulement vous voir un peu plus raisonnable.
Enfin, je suis contente de vous savoir guéri

85
— ne dites pas non, si on vous fait sortir, c'est que
vous l'êtes.
Elle ajouta, sans trop y penser :
« Dommage que vous partiez avant samedi : vous
auriez pu revoir quelqu'un de connaissance.
— Quelqu'un? qui? Dites vite... Quelqu'un que
j'aime bien?
— Je crois que oui. C'est M. Abel. Il nous a
annoncé sa visite.
— Maximilien Abel! Vous dites qu'il va revenir? Il
est donc retombé malade? Je disais bien qu'il n'était pas
guéri, lui non plus!
— Pas du tout : il vient nous voir, tout simplement.
Il y a des malades qui se souviennent de leurs
infirmières.
— Ce vieux Maximilien! fit Camus d'un air
attendri. Non, ce n'est pas possible qu'il revienne et que
je ne le voie pas! Hors de l'hôpital, ce n'est pas possible,
vous comprenez! on n'est pas de la même société, lui et
moi. Mais ici, c'était mon copain, mademoiselle
Florence, vous le savez bien. On en a passé, de bonnes
heures ensemble, quand il était tellement malade1 !
— Il n'était pas malade en réalité.
— Que vous dites! Mais moi je sais : il me
racontait tout. Et moi, je l'écoutais — comme M. le
maire à la veille des élections, c'est vous dire! Et vous
voudriez me faire sortir au moment où il revient! Ce
n'est vraiment pas gentil...
— Vous savez bien que cela ne dépend pas de moi.
1. Voir Florence fait un diagnostic dans la même collection.

86
— De qui, alors?
— De M. Martel, le patron.
— Et du Robert, je parie? Ah, celui-là... Bon, je
vous laisse, mademoiselle Florence. A la revoyure,
comme on dit dans le grand monde. »
Enfin! pensa Florence en reprenant le téléphone.
La ligne était occupée. Elle attendit un moment,
recommença sans plus de succès. Elle appela la
standardiste sur le circuit intérieur.
« Soyez gentille, Anna, rappelez-moi au poste dès
que vous aurez une ligne libre.
— Entendu, Flo. »
Comme le temps était long! Tout à coup Florence
vit arriver Robert.
« Qu'est-ce que cette histoire, Flo? Vous avez dit à
Camus que vous ne le trouviez pas tout à fait guéri et
que vous voudriez le garder quelques jours de plus? »
Florence se mit à rire.
« C'est lui qui vous a raconté ça? C'est vraiment
trop fort! Voyons, Robert, est-ce que j'irais
contremander vos ordres et ceux de M. Martel?
— Je me disais bien... fit Robert. C'est qu'il vient
de me faire un de ces cirques! Il affirme que vous
n'osez pas me le dire, mais qu'à votre avis il aurait
besoin de quelques jours de plus.
— Jusqu'à lundi, par exemple?
— Pourquoi lundi?
— Parce qu'il n'y a pas de sorties le dimanche. Il
est inouï, ce Camus! Combien de temps lui donnez-
vous pour nous revenir?

87
— Trois mois, je suppose. C'est généralement le
temps qu'il faut pour que son ulcère recommence à faire
des siennes.
— C'est ce que je pensais », dit Florence.
Le jeune interne s'éloigna. Un instant plus tard
Sandrine, l'aide-soignante, entra au poste.
« J'aimerais bien que vous veniez, Florence. Le 12
est repris de vomissements. Je lui ai fait sucer un peu de
glace, mais ça continue.
— Je viens », dit Florence.
Elle jeta un regard désolé vers le téléphone. La
communication tant espérée ne serait pas pour
aujourd'hui.

88
VIII

LE LENDEMAIN MATIN, à la visite, Robert raconta au


patron la tentative de Camus pour rester à l'hôpital
quelques jours de plus. M. Martel trouva la chose
très amusante.
« II est incroyable, cet homme! En somme, il a tous
les défauts : paresseux, menteur, voleur peut-être à
l'occasion. Et malgré tout, il est plutôt sympathique...
J'espère que vous n'avez pas cédé : il sort ce matin?

89
— Cet après-midi, répondit Florence. Il m'a
déclaré que ça ferait au moins un repas dont il n'aurait
pas à se préoccuper.
— Cela en fera au moins un qui ne sera pas trop
copieusement arrosé! » ajouta Mme Benoit.
L'équipe médicale fit le tour des chambres. Robert
signala au patron que le 12 avait encore eu des
vomissements.
« J'ai fait faire les examens, pour être sûr.
— Vous pensez que ce pourrait être...?
— Dame, ça y ressemble fameusement... » Le
patron poussa un soupir.
« La série des empoisonnements semblait bien
finie. Mais vous avez eu raison, Robert : mieux vaut être
trop prudent que pas assez. »
Un peu plus tard, au poste de garde, M. Martel
raconta qu'il avait eu la visite du propriétaire de L'Etoile
Mauve.
« Nous avons parlé assez longtemps; il m'a fait des
offres de service qui m'ont paru intéressantes. Je ne puis
qu'approuver son plan d'améliorer, en se contentant de
petits bénéfices, le niveau de vie des Rouvillais.
— En somme, demanda Robert, il vous a fait
plutôt bonne impression?
— Plutôt, oui. Mais naturellement il ne faut pas se
fier aux apparences. Je l'ai présenté à Dan-vert qui, en
tant qu'économe de l'hôpital, est plus qualifié que moi
pour prendre une décision. Dan-vert a été assez
impressionné par les prix que propose L'Etoile Mauve...
— Au point d'abandonner d'anciens fournisseurs

90
dont il est content? interrogea le jeune interne.
— C'est ce qui le fait hésiter. Peut-être, devant les
offres de Carval, les autres baisseront-ils aussi leurs
prix?»
Florence écoutait la conversation sans y prendre
parti. Elle pensait davantage au lendemain samedi et à la
réussite de son plan. De ce côté, tout semblait s'arranger
pour le mieux. A la cantine, pendant le déjeuner, elle parla
à Caroline du livre de biologie qu'elle avait promis de lui
prêter.
« Je te le passerai ce soir; n'oublie pas de me le
rappeler.
— Tu l'as fini? demanda Caroline.
— Oui, hier; c'est vraiment très bien.
— Pas trop difficile? Tu sais que mes connaissances
scientifiques...
— Elles valent les miennes! Mais ce livre-là est
facile à lire, tu verras.
— Tu es sûre de ne plus en avoir besoin?
— Si je voulais le consulter, je te le redemanderais,
c'est bien simple. »
Caroline ne se doutait pas que Florence comptait lui
redemander son livre dès le lendemain. Mais le plan était
prêt : il n'y avait plus qu'à attendre.
Après le déjeuner, Florence retourna dans la salle de
pansements et plaça dans l'étuve les divers instruments
dont elle s'était servie le matin. Elle regagnait le poste de
garde quand elle vit arriver Sandrine.
« Un nouveau malade, Flo. Je l'ai mis au 9; j'ai bien
fait, je pense?

91
— Très bien. Est-ce que Robert l'a vu?
— Pas encore. Je viens de l'appeler, mais il n'est pas
là. C'est M. Crépin qui va venir.
— Est-ce qu'il souffre, cet homme? Je vais le voir
immédiatement.
— Oui, dit Sandrine, venez vite. C'est curieux, on
dirait que c'est encore un empoisonnement. Tout à fait les
mêmes symptômes que la dernière fois. Les mêmes aussi
que le malade d'hier.
— Le 12?
— Oui, exactement.
— Quel âge a-t-il, celui-ci?
— C'est un tout jeune, un mécanicien. Le
patron du garage l'a amené lui-même. Il paraît que ça l'a
pris d'un coup, pendant le travail.
— Il est encore là, le patron?
— Non : il a été obligé de repartir aussitôt. » Tout en
parlant, Florence se dirigeait vers la chambre 9. Le
malade ne vomissait plus; pour le moment il était
immobile et prostré. Elle prit sa température : 39° 5.
Quelques instants plus tard, le docteur Crépin
arrivait. Le jeune homme ouvrit les yeux; Crépin en
profita pour l'interroger.
« Vous ne voyez pas ce qui a pu provoquer cela?
Tâchez de vous souvenir, cela nous aidera. Qu'avez-vous
mangé à midi?
— Rien : je n'avais pas faim. Ce matin j'ai pris du
café au lait, mais je n'ai pas pu avaler le pain et le beurre.

92
93
— Et hier?
— Hier... attendez... Il y avait de la soupe, des
œufs brouillés...
— Vous êtes sûr que les œufs étaient frais?
— Du jour! A la maison on n'achète jamais
d'œufs; ma mère élève des poules.
— Et à midi? »
Le malade fit un effort pour se concentrer.
« A midi... Ah, je me rappelle. On avait beaucoup
de travail au garage, alors je ne suis pas rentré, j'ai
mangé sur place, du pain avec du pâté.
— D'où venait-il, ce pâté?
— Je n'en sais rien, c'est ma mère qui m'en avait
donné une boîte. »
Presque malgré elle, Florence intervint :
« Est-ce que votre mère fait ses achats à L'Etoile
Mauve? »
II eut un geste d'ignorance. Puis les nausées
reprirent. Dès que le malade fut calmé, Florence
demanda au médecin :
« Le traitement sulfamide? »
II inclina la tête.
« Ça nous a réussi la dernière fois. Et j'ai bien
l'impression qu'il s'agit de la même chose. Nous faisons
les analyses, Florence, naturellement. »
Ils sortirent ensemble de la chambre.
« Dites-moi, Florence, interrogea Crépin, pourquoi
avez-vous parlé de L'Etoile Mauve? Avez-vous des
raisons de vous en méfier? ou est-ce simplement Mme
de la Pacaudière qui finit par vous influencer?

94
— Je ne sais pas... j'ai dit cela sans y penser... La
dernière fois, nous avions remarqué que tous les malades
venaient des quartiers pauvres, en particulier de Saint-
Louis où presque tout le monde se sert à L'Etoile
Mauve, à cause de la proximité du magasin et des prix
pratiqués.
— Je sais bien. Mais vous connaissez Saint-Louis et
les conditions d'hygiène dans lesquelles vivent la plupart
des habitants. Ces conditions suffisent à les rendre plus
vulnérables que les autres.
— Vous avez certainement raison, Paul. »
Cependant, sans savoir pourquoi, Florence
éprouvait une vague sensation de malaise. Elle
n'avait rien contre L'Etoile Mauve; si le propriétaire ne lui
plaisait pas, ce n'était pas une raison pour incriminer son
entreprise. Là-bas dans le magasin, tout lui avait paru très
propre et bien ordonné. Le pâté que lui avait offert M.
Carval était délicieux et n'avait fait de mal à personne...
Subissait-elle l'influence de Mme de la" Pacaudière,
comme Paul Crépin venait de le lui dire en riant?
Elle exécuta la prescription du médecin et eut la
satisfaction de voir le malade s'endormir paisiblement. Si
le cas était semblable aux précédents, la fièvre
remonterait légèrement le soir : c'est ce qui s'était passé la
veille pour le 12. En mettant les choses au mieux, il lui
faudrait plusieurs jours pour se rétablir.
Mais tous ces cas avaient-ils réellement la même
origine? Cela, personne n'en savait rien.
Robert, qui reprit son service dans l'après-midi,
approuva les décisions du docteur Crépin.

95
« C'est un type qui connaît bien son affaire »,
déclara-t-il.
Florence en fut heureuse : le docteur Crépin n'était-
il pas le mari de son amie Colette? Bien sûr, il ne valait
pas Gilles Martin — qui, au monde, valait Gilles
Martin? La jeune fille fut un instant songeuse : quand
seraient-ils réunis pour de bon? Elle poussa un soupir.
Mais quand l'espoir est là, même l'attente peut devenir
une joie.
Le soir, elle regagna sa chambre de bonne heure.
Elle n'avait pas envie de bavarder avec les autres : son
esprit était trop plein des projets du lendemain. Elle
redemanderait le livre de biologie à Caroline le matin;
celle-ci viendrait le lui rapporter après le déjeuner. Il
faudrait faire traîner l'entretien pour être sûre qu'elle soit
encore là quand Colette et son frère arriveraient.
Le matin, elle venait de monter au poste de garde
quand le téléphone sonna.
« C'est pour vous, Flo », dit la standardiste.
Florence fronça les sourcils. Elle n'aimait pas qu'on
la dérangeât aux heures de service. A moins qu'un
événement important... Gilles, peut-être?
Ce n'était pas Gilles, mais Colette.
« Excuse-moi, mais il fallait que je te prévienne.
Ma pauvre Flo, tout est dans le lac!
— Pas possible! Mais pourquoi?
— Max est venu dîner hier soir à la maison. Il
vient souvent : il supporte mal la solitude. Avant le
dîner, nous avons causé tous les deux : la visite

96
d'aujourd'hui était bien décidée, il avait l'air d'en
être très heureux. Et puis Paul est rentré; comme
d'habitude, je lui ai demandé ce qui s'était passé de neuf
à l'hôpital. Il a parlé de l'arrivée d'un nouveau malade,
présentant des signes d'empoisonnement. Comme il en
était déjà entré un la veille, a-t-il ajouté, on commençait
à se demander ce que cela signifiait; on attendait les
résultats du laboratoire pour savoir s'il s'agissait du
même phénomène que la dernière fois. Max ne disait
rien, mais je le voyais blêmir. Après le dîner, il m'a dit :
« Tu comprends bien, Coco, « qu'avec ce qui se passe, il
ne peut pas être « question d'aller demain à Rouville. »
— Tu ne lui as pas demandé pourquoi?
— Nous avons bien compris qu'il craignait la
contagion. Paul s'est moqué de lui; il lui a expliqué que
les empoisonnements ne se transmettaient pas d'une
personne à l'autre. Que dans ton service il n'y avait
jamais de contagieux.
— Et qu'a répondu ton frère?
— Que c'était très joli, tout ça, mais que la dernière
fois le mal s'était bel et bien propagé comme une
véritable épidémie. Que le virus s'était répandu
dans l'hôpital, qu'un hôpital pouvait devenir un réservoir
de microbes...
— Mais c'est ridicule! Paul n'est pas arrivé à le
convaincre?
— Tu connais Max : quand il a une idée dans la
tête... Tu te rappelles, l'été dernier 1... »
1. Voir Florence fait un diagnostic dans la même collection.

97
Le souvenir fit sourire Florence. Mais cet obstacle
imprévu à leur plan la contrariait.
« II veut attendre, poursuivit Colette, voir comment
la chose va tourner. Samedi prochain, peut-être, s'il n'y a
pas d'empoisonnement d'ici là. « De « toute façon, a-t-il
conclu, cette visite n'est pas urgente, nous avons le
temps de voir venir. J'ai eu beau lui répéter que tu nous
attendais aujourd'hui... Préviens-la, Coco, a-t-il dit, fais-
lui toutes mes excuses. Je lui enverrai des fleurs. Tu
peux « lui raconter que j'ai un travail urgent à finir... »
Je suis désolée, Flo.
— Inutile de te dire que je le suis aussi. Consolons-
nous en pensant que ce n'est que partie remise.
— Il ne faudrait pas que Caroline découvre un
parti d'ici là.
— Ou que Maximilien rencontre l'âme sœur...
— Je crois qu'il n'y a rien à craindre, fit Colette en
riant. Ces deux-là ont besoin de nous pour arranger leurs
affaires! »
Florence venait à peine de raccrocher quand le
téléphone sonna de nouveau. Elle le prit avec un geste
d'impatience. C'était le docteur Dupuy, un des praticiens
de Rouville.
« Mademoiselle Florence? Je vous envoie une
malade, une intoxication. J'ai fait un lavage d'estomac
sans résultat : l'empoisonnement doit remonter à 24 ou
48 heures. Botulisme ou salmonellose? Vous êtes mieux
équipés que moi pour le savoir. De toute façon, je ne
peux pas la laisser chez elle.

98
— C'est une personne de quel âge?
— La soixantaine bien sonnée; j'ai l'impression que
le cœur a tendance à flancher. Je lui ai donné de la
trinitrine.
— Vous voulez que j'envoie l'ambulance?
— Inutile : j'ai appelé celle du garage. Je pense
qu'elle sera chez vous dans dix minutes.
— Très bien, docteur. »
Florence annonça l'arrivée à Robert. L'interne
bougonna : il commençait à en avoir assez, de soigner
toujours la même chose!
Cependant, cette fois, l'âge et l'état cardiaque de la
malade posaient des problèmes nouveaux. Il fallait
prendre des précautions particulières, réduire les doses
de sulfamides, surveiller de près toutes les réactions.
La matinée s'acheva sans encombre. Mais, à trois
heures, Florence vit arriver Mme Benoit.
« Florence, on nous annonce une urgence. J'ai
envoyé l'ambulance immédiatement.
— On ne vous a pas dit de quoi il s'agissait?
— Rien de précis : j'ai compris seulement que la
famille était affolée. »
Le nouveau malade présentait les mêmes
symptômes que les premiers. Dans la soirée, il y en eut
encore deux autres. Au service des enfants, Clotilde en
avait également reçu deux.
Tout recommençait comme la première fois.

99
IX

FLORENCE avait projeté de passer la journée du


dimanche avec Gilles Martin. Elle dut lui téléphoner
que ce ne serait pas possible, d'autres malades étaient
arrivés pendant la nuit : on ne savait où donner de la
tête.
« Toujours la même chose, Flo?
— Toujours.
— C'est curieux... » murmura le jeune homme.
Dans la journée, on amena deux autres cas.
Il fallut ajouter des lits dans les chambres. Les

100
médecins connaissaient maintenant le microbe
responsable, ce qui rendait le traitement plus facile.
Mais comment ce microbe s'introduisait-il dans la
population de Rouville? Sur ce point on n'en savait pas
plus qu'au premier jour.
Les recherches se tournèrent d'abord du côté des
aliments. Médecins et infirmières interrogeaient les
malades et leurs familles. Le microbe agissant lentement
— quarante-huit heures au minimum — la plupart ne se
rappelaient même pas ce qu'ils avaient mangé.
Beaucoup d'entre eux déjeunaient à la cantine de leur
lieu de travail, usine ou atelier; cependant, là aussi, on
remarquait que dans une même entreprise, certains
étaient atteints, d'autres non. Il en était de même dans
les foyers. Le docteur Martel expliquait que la tolérance
aux poisons différait d'un individu à l'autre.
Il alerta de nouveau le maire. Celui-ci fit examiner
une fois de plus les conduites d'eau et ordonna des
prélèvements dans les quartiers de Rouville qui
semblaient les plus touchés.
Car cette fois, fait nouveau, Saint-Louis n'était pas
le seul atteint. Les malades venaient également des
quartiers résidentiels de la ville. Une des dernières
arrivées, Mme Béthune, habitait la plus belle avenue de
l'endroit. Alors?
Florence sortait d'une des chambres en compagnie
du patron quand ils aperçurent M. Carval qui venait à
leur rencontre. M. Martel se souvint tout à coup qu'il lui
Les malades venaient également des quartiers résidentiels de la ville.

101
102
103
avait promis de l'appeler. Il lui tendit la main.
« Je n'ai pas eu le temps de m'occuper de notre
affaire, lui dit-il. Nous sommes surchargés par une série
d'empoisonnements dont nous ne voyons pas la fin.
— D'empoisonnements! répéta Carval avec
surprise. Est-ce que ce sont des cas très graves?
— Très graves, non, puisque jusqu'ici tous nos
malades s'en sont tirés. Mais inquiétants, malgré tout.
— Vous avez pensé à l'eau? au lait?
— De ce côté tout le nécessaire a été fait. Si vous
avez une idée... »
Carval haussa les épaules en signe d'impuissance.
« Pour en revenir à vous, dit M. Martel, l'économe
serait assez d'accord en principe, mais il demande à
réfléchir un peu.
— Je ne suis pas pressé, répondit Carval. Les
affaires marchent, la clientèle augmente de jour en jour.
Maintenant, on vient même de loin s'approvisionner à
L'Etoile Mauve.
— C'est un grand avantage que de pouvoir tout
trouver dans le même magasin.
— Surtout avec nos prix, n'est-ce pas?
— En effet, répondit M. Martel. Mais excusez-moi,
je vous prie : nous avons beaucoup à faire. »
Le patron s'esquiva. Carval rattrapa Florence qui
s'éloignait vers le poste de garde.
« Mademoiselle Florence, vous êtes très occupée
aussi, je suppose? Je tenais seulement à vous remercier :
l'accueil que j'ai reçu à l'hôpital vous

104
est certainement dû en partie. Me feriez-vous le
plaisir de dîner avec moi un de ces soirs?
— Je regrette, monsieur, dit Florence, mon travail
ne me laisse guère le temps de sortir.
— En ce moment, je le comprends, mais plus tard,
peut-être...
— Excusez-moi, mais je sors très rarement le soir.»
Carval esquissa un geste désolé. Florence le-
trouvait de moins en moins sympathique. Il lui arrivait
parfois de dîner en ville, mais l'idée de sortir avec cet
homme lui était franchement désagréable.
Tout à coup, une phrase de Carval lui revint à
l'esprit. Il venait de dire qu'à présent on venait même de
loin s'approvisionner chez lui. En ce cas, pourquoi ces
intoxications, qui semblaient maintenant se produire
dans tous les quartiers de la ville, n'auraient-elles pas
leur origine à L'Etoile Mauve?
Carval vendait-il des produits de mauvaise qualité?
Florence se rappelait la façon dont il lui avait
littéralement arraché des mains la première boîte de
conserves qu'elle avait choisie. Si cette boîte était
douteuse, il pouvait craindre qu'elle, en tant
qu'infirmière, ne s'en aperçût.
Cela paraissait incroyable, et pourtant...
Elle avait envie de confier ses soupçons à
quelqu'un. Robert, bien sûr, prendrait la chose en
plaisantant. Mais Mme Benoit? Ou le docteur Crépin,
peut-être? Oui, Paul Crépin l'écouterait certainement.
Mais peut-on accuser ainsi sans preuve? Il fallait se
renseigner davantage, parler aux malades, arriver à

105
savoir si tous avaient fait des achats à L'Etoile Mauve.
Robert s'inquiétait toujours de ce qu'ils avaient mangé,
mais ne leur avait encore jamais demandé où ils
faisaient leurs courses comme elle aurait voulu le faire.
Le soir du troisième jour, une voiture de la
gendarmerie amena Camus. Il avait été pris de nausées
dans un café où il allait boire son vin blanc traditionnel.
Le patron du café avait alerté les gendarmes.
Ceux-ci avaient vainement tenté de découvrir la
cause de l'intoxication. Le cafetier affirmait que Camus
ne venait chez lui que pour boire; comment il
s'alimentait dans l'intervalle, cela, personne n'en savait
rien.
Le clochard semblait moins abattu que les autres
malades. Entre deux nausées, il bougonnait, à son
habitude :
« Vous voyez, mademoiselle Florence, que j'avais
raison de vous dire que je n'étais pas guéri! Vous vous
êtes trop pressés de me mettre à la porte!
— Ce n'est pas votre ulcère qui vous fait souffrir
maintenant, Camus. Vous avez mangé quelque chose qui
ne vous convenait pas. Pouvez-vous me dire ce que
vous avez pris hier et avant-hier?
— Comme si je me souvenais! Des saletés, bien
sûr. J'ai pas de quoi me payer des ortolans, moi, comme
certaines personnes que je connais.
— Je peux vous affirmer que je ne suis pas

106
du nombre, répliqua Florence. Mais tâchez de vous
souvenir : ces « saletés », étaient-ce de la viande, du
poisson, du fromage?
— Un peu de tout. Chez Mme de la Pacaudière,
l'Espagnole m'a refilé une tartine.
— Une tartine de quoi?
— Dites donc, je ne suis pas cuisinier. Un reste, bien
sûr; je ne mange jamais autre chose. Vous savez pas ce
que c'est que d'être un pauvre bougre, sans travail...
— Du travail, M. Martel vous en avait trouvé; vous
n'en avez pas voulu.
— Pour bêcher la terre, merci bien! Avec la maladie
que j'ai, j'aurais passé l'arme à gauche avant huit jours! »
L'arrivée de l'interne interrompit les doléances de
Camus; il se rejeta sur ses oreillers et commença à gémir.
Robert l'examina comme les autres.
« Je crois que ce ne sera pas très sérieux, déclara-t-il.
Mais il ne faut pas oublier son ulcère. Faites-lui le
traitement habituel, mais léger, très léger. »
Camus se redressa et ouvrit les yeux.
« Pourquoi léger? Alors j'ai pas le droit, moi, d'être
soigné comme tout le monde? C'est pas juste! Toujours la
même chose! Je voudrais bien savoir pourquoi...
— Parce que tu as un ulcère, et qu'il ne faut pas
l'irriter. De toute façon, ne t'inquiète pas, tu es solide
comme un roc.
— Solide? moi! Ecoutez, docteur... »
Robert n'avait pas de temps à perdre. Il s'éloigna
rapidement. Florence resta seule avec le clochard.

107
« Qu'est-ce qu'on va me faire, mademoiselle Florence?
Ça fait pas mal, au moins?
— Il y a quelques piqûres. Mais vous savez bien que
ce n'est pas terrible.
— Pas terrible! On voit bien que vous êtes du bon
côté de la seringue! »
Florence avait la main très douce et le malade ne sentit
même pas l'injection. En retirant l'aiguille, elle lui demanda
à brûle-pourpoint :
« Camus, achetez-vous quelquefois des conserves à
L'Etoile Mauve?
— Qu'est-ce que ça peut bien vous faire? répondit-il
d'un air soupçonneux.
— Il se trouve que ça m'intéresse.

108
— Ah, ah! Je vois ça : vous vous intéressez au
patron! C'est un bel homme, ma foi; moi, si j'étais une
fille...
— Ne dites pas de bêtises, Camus, et répondez-
moi. Avez-vous acheté des conserves à L'Etoile Mauve,
oui ou non?
— J'achète jamais rien! Avec quel argent
j'achèterais quelque chose? »
Florence comprit qu'elle n'en tirerait rien. Il était
possible que Camus eût été tenté par le bas prix de
certains produits. Mais il n'avouerait jamais qu'il savait
s'arranger pour s'offrir quelques gâteries, — plus
particulièrement, il est vrai, du côté des liquides.
Dans l'après-midi, elle interrogea Mme Béthune,
qui commençait à se sentir mieux.
« Eh bien, dit celle-ci, je crois que je l'ai échappé
belle! Je me demande ce qui a bien pu me rendre aussi
malade!
— Dites-moi, madame, vous arrive-t-il d'acheter
des conserves?
— Comme tout le monde naturellement. Mais mon
empoisonnement ne peut pas provenir de là : je vérifie
toujours la date limite d'utilisation.
— Et où vous servez-vous?
— Depuis que L'Etoile Mauve a ouvert, c'est là que
je me sers toujours: Ça me fait faire de belles
économies. J'y envoie mon employée deux fois par
semaine. C'est un peu loin, mais elle y va à bicyclette. »
Florence se souvint que Mme Béthune, malgré

109
sa fortune, avait la réputation d'être, comme on
disait dans le pays, « près de ses sous ». Sans doute
n'était-elle pas la seule qu'avaient pu attirer, dans la
région, les bas prix du nouveau magasin.
De plus en plus, Florence se persuadait que L'Etoile
Mauve n'était pas étrangère aux deux séries
d'empoisonnements constatées à Rouville. Personne
d'autre n'y songeait : le patron faisait confiance à
Carval; le maire, lui, pensait toujours à l'eau : si les
riches étaient généralement moins touchés, c'était peut-
être, disait-il, parce qu'ils buvaient de l'eau minérale?
La jeune infirmière était plongée dans ses
réflexions quand Gilles Martin l'appela de Paris.
« Je ne t'ai pas téléphoné depuis plusieurs jours,
Flo, j'ai pensé que tu avais trop à faire. Ça s'arrange un
peu, ces empoisonnements?
— Nous n'avons eu qu'un entrant ce matin; cela va
peut-être se calmer.
— Et on ignore toujours la cause?
— Toujours. Mais justement, Gilles, à ce propos, je
voudrais te demander ton avis. Tu me diras si ce que je
pense te semble raisonnable. »
Elle lui fit part de ses soupçons. Gilles ne semblait
pas convaincu.
« Ma petite Flo, d'après ce qu'on dit à Rouville, le
magasin serait très bien tenu. Depuis combien de temps
existe-t-il?
— Deux mois à peu près.
— Alors, on ne peut pas le soupçonner d'écouler de

110
vieux stocks. Et puis tous les produits péris-
sables portent une date. Je crois que tu te fais des
idées, Flo. Le propriétaire ne t'est pas sympathique et tu
es portée à le soupçonner.
— Tu crois donc qu'il vaut mieux ne rien dire?
— Pour le moment, oui. Les fabricants français
sont très surveillés; les produits étrangers n'entrent chez
nous qu'après un sérieux contrôle. N'y pense plus, Flo.
Vous avez eu des malades parmi les personnes que je
connais?
— Oui : notre fameux Camus.
— Empoisonné, lui aussi? Et on ne voit pas
comment? A moins que l'eau ne soit responsable-Camus
doit boire à la fontaine publique.
— De l'eau, Camus! tu n'y penses pas! Sauf à
l'hôpital, je suis sûre qu'il n'en touche jamais une
goutte!»
Gilles se mit à rire et promit sa visite pour le
vendredi suivant. Florence n'était pas de garde et ils
pourraient passer un grand moment ensemble.
Florence raccrocha et reprit son travail, soulagée.
Gilles avait certainement raison : elle se laissait trop
influencer par ses sentiments. Carval lui déplaisait : ce
n'était pas une raison pour l'accuser sans preuves.
Une heure plus tard, le téléphone sonna.
« Mademoiselle Florence? dit une voix éplorée. Ah,
je suis bien contente... C'est Paquita.
— Paquita?
— Oui, l'employée de Mme de la Pacaudière.

111
Madame elle va pas bien, pas bien du tout.
— C'est vrai que je ne l'ai pas vue depuis plusieurs
jours. Qu'est-ce qu'elle a?
— Elle vomit, et puis elle a de la fièvre.
— Un empoisonnement, encore! Qu'a-t-elle
mangé, Paquita?
— Ce matin, rien, elle avait trop mal. Hier, des
soles; elles étaient bien fraîches, le poissonnier venait de
les recevoir. Avant-hier, du chou farci.
— Bon, je vous envoie l'ambulance et je fais
préparer un lit. »
En allant prévenir Sandrine, Florence se dit une fois
de plus que Gilles avait raison! Elle se faisait des idées.
Car on pouvait être bien sûr que Mme de la Pacaudière,
elle, n'était pas cliente de L'Etoile Mauve !

112
X

LE SOIR de son entrée, Mme de la Pacaudière


donna quelques inquiétudes. Elle était très forte,
facilement essoufflée, et M. Martel craignait qu'un
traitement trop énergique ne lui fatiguât le cœur.
Cependant, dès le lendemain, elle prit le dessus; les
nausées avaient cessé; se sentant mieux, elle appela
Florence.
« Je suis contente d'être dans votre service, mon
petit, lui dit-elle. Nous nous sommes toujours bien-

113
entendues, toutes les deux, n'est-ce pas? Vous allez
m'aider à me tirer de là... Vraiment je me demande ce
qui a bien pu me rendre aussi malade. »
Comme aux autres malades, Florence lui demanda
ce qu'elle avait mangé.
« Hier, rien : j'étais déjà bien mal en point. Avant-
hier, des soles, et mardi, un chou, farci avec un reste de
rôti de la veille. Certaines personnes se méfient du chou,
moi je l'ai toujours bien toléré. Il suffit de l'ébouillanter
deux fois pour le rendre parfaitement digeste.
— De toute façon, le chou, même s'il est un peu
lourd, ne vous aurait pas empoisonnée.
— C'est donc vraiment de poison qu'il s'agit? »
Florence inclina la tête.
« Vous avez évidemment été victime de la même
intoxication qu'un certain nombre d'habitants de
Rouville.
— C'est incroyable! Et on n'a pas la moindre idée
de son origine?
— Aucune. On a d'abord pensé au lait, qui a été
mis hors de cause. M. Groult fait revoir les canalisations
d'eau. »
Mme de la Pacaudière haussa les épaules. « Si
c'était ça, mon petit, tout le monde serait malade, et pas
seulement quelques personnes.
— M. Martel dit que celles qui boivent de l'eau
minérale ont pu être épargnées.
— Sottises, tout cela! On ne se sert pas d'eau
seulement pour boire, mais pour la toilette. Pour se laver
les dents, par exemple. Je parie qu'aucun

114
d'entre eux n'a pensé à ça. Les hommes n'ont pas de
tête, je l'ai toujours dit, ma petite Florence.
— Ils y ont bien pensé, madame, mais ne
voyant pas d'autre cause possible... »
Mme de la Pacaudière réfléchit un instant.
« Vous ne savez pas ce que je pense, moi? Un
magasin comme cette Etoile Mauve serait capable de
polluer toute une ville. »
Florence tressaillit.
« Mais, madame, vous ne vous servez pas chez eux,
n'est-ce pas?
— Moi? jamais! J'aimerais mieux mourir! Mais un
bâtiment comme celui-là, avec son toit en plastique, ses
couleurs certainement nocives, est un danger public.
S'il faut tout vous avouer, ma petite Florence, je l'ai
regardé assez longuement dimanche soir. Et deux jours
après, j'ai commencé à avoir mal au cœur. Sandrine m'a
dit que chez tous les malades les troubles survenaient
après quarante-huit heures. C'est une drôle de
coïncidence, vous ne trouvez pas? »
Florence sourit.
« Jusqu'ici, on n'a jamais constaté
d'empoisonnements provoqués par la vue.
— Parce qu'une chose n'est jamais arrivée, ça ne
veut pas dire qu'elle n'arrivera jamais. Je vous assure
que ce violet, ce jaune, avec cette énorme étoile au
milieu... Dites, je pourrai bientôt sortir d'ici?
— Vous avez donc bien hâte de nous quitter? Je
crevais que vous n'aimiez plus rester chez vous.
— Ce n'est pas à moi que je pense, c'est à mes

115
petits du second, chez Clotilde. J'avais installé mon
théâtre de marionnettes; je voulais justement venir
aujourd'hui leur expliquer comment s'y prendre. J'en
serais encore bien incapable : mes jambes sont comme
du coton... »
Florence s'éloigna. Les idées de Mme de la
Pacaudière la faisaient sourire. Mais se laisser
influencer par ses sentiments envers Carval, n'était-ce
pas aussi ridicule que d'accuser les couleurs de L'Etoile
Mauve?
Avant le dîner, Colette téléphona.
« Je ne te dérange pas trop? Il faut que je te raconte,
c'est trop drôle. Ce matin je suis passée chez Max.
Quand je lui ai dit que vous aviez reçu de nouveaux cas
d'empoisonnement, il s'est laissé tomber sur une chaise.
« Une épidémie... c'est une « épidémie »... répétait-il.
— Tu ne lui as pas expliqué que l'empoisonnement
n'était pas une maladie infectieuse? demanda
Florence.
— J'ai expliqué tout ce que j'ai pu, comme tu
penses. Il n'a rien écouté; il a seulement murmuré : «
Pourvu que ça ne vienne pas jusqu'ici, « moi qui suis si
fragile... » Puis il a pensé qu'avec mon mari à
l'hôpital, j'étais particulièrement exposée. Il m'a
recommandé de lui faire se laver les mains — comme si
Paul ne le faisait pas toujours! Et puis il m'a dit de ne
pas aller te voir, car je risquais d'attraper le microbe!
Quand je lui ai fait remarquer que toi, tu étais au contact
des malades toute la journée, il a répondu : « Oui, «
Coco, mais elle, c'est une infirmière! »

116
— Il pense peut-être que les infirmières ne sont
pas exposées à la contagion?
— Attends, ce n'est pas le plus beau! Je lui ai dit
que je n'irais sûrement pas te voir, parce que tu étais
trop occupée, mais que je te téléphonerais. Alors, il m'a
suppliée : « Fais bien attention, « surtout! » comme si
une maladie pouvait s'attraper par téléphone...
— Ton frère a vraiment besoin qu'on s'occupe de
lui! dit Florence.
— En attendant, notre beau projet est renvoyé aux
calendes grecques. Si nous attendons trop, il risque
d'arriver quelque chose.
— Quelque chose? c'est-à-dire? Ce n'est pas en ce
moment, surchargée de besogne comme elle l'est, que
Caroline pourra reprendre sa chasse au mari!
— On ne sait pas ce qui peut arriver : un des
intoxiqués, peut-être... Et ce serait vraiment dommage;
plus j'y pense, plus je suis persuadée que Caroline est la
femme qu'il faut à Max. »
Toutes deux se mirent à rire et Colette raccrocha.
Le lendemain, Florence préparait les doses de
sulfamides qu'on administrait aux malades, quand
Sandrine vint l'appeler.
« II se passe quelque chose... Je voudrais que vous
interveniez, Florence. Moi j'ai essayé, mais je n'arrive à
rien. »
Le « quelque chose » se déroulait devant la porte de
Mme de la Pacaudière. Le battant était grand ouvert;
Camus, en pyjama d'hôpital, les

117
deux bras appuyés au chambranle, passait la tête à
l'intérieur.
Dans son lit, la malade faisait de grands gestes.
« Que venez-vous faire ici? Qui êtes-vous? Voulez-
vous vous en aller! criait-elle.
— Pourquoi que je m'en irais? répondait
Camus très calme. Quel mal je vous fais? Je vous
regarde, j'ai bien le droit. Dans mon pays, on dit qu'un
chien peut regarder un évêque!
— Allez-vous-en! répétait Mme de la Pacaudière
en agitant les bras.
— Vous en avez, du beau linge! fit le clochard avec
admiration. De la dentelle, ma parole! C'est peut-être
pas tout à fait de votre âge... mais quand on est riche on
peut tout se permettre — pas vrai? »
Florence intervint avec autorité.
« Voulez-vous retourner dans votre chambre,
Camus? Vous n'avez rien à faire ici. Vous allez prendre
froid dans le couloir. Vous êtes malade; il faut rester au
lit.
— Dans mon lit, je m'embête. Pourquoi je resterais
couché puisque je peux me tenir sur mes jambes?
— Si vous êtes guéri, je vous fais sortir de l'hôpital
immédiatement! »
Comme Camus ne semblait pas disposé à obéir,
Florence lui prit le bras et essaya de l'entraîner de force.
Mais il était vigoureux; elle n'arrivait pas même à lui
faire lâcher prise. Sandrine, dans le couloir, les
regardait.

118
« Sandrine, dit Florence, voulez-vous aller
chercher l'infirmier? »
L'aide-soignante allait s'éloigner quand Camus,
comme par miracle, lâcha tout et fit un bond en arrière.
« Hé là, pas de blagues, la petite! Plus souvent que
j'aurais affaire à cette brute! Une fois déjà, il a failli
m'assassiner. Je suis malade, mademoiselle Florence,
faut pas l'oublier!
— Puisque vous êtes malade — au lit! et tout de
suite! »
Quand Florence parlait sur ce ton, les plus
récalcitrants sentaient qu'il fallait obéir.
« Bon, bon, dit Camus, j'y vais — mais c'est bien
pour vous faire plaisir! »
II s'approcha d'elle et, à mi-voix :
« Pour me remercier, vous me donnerez bien un
petit bout de cigarette? »
Florence haussa les épaules et referma la porte.
Avant de s'éloigner, il lui donna son avis sur Mme de la
Pacaudière :
« Au fond, c'est pas une mauvaise femme; elle a
même plutôt l'air gentil... Mais pourquoi que je lui fais
peur? On dirait qu'elle a jamais vu un homme! Ah, les
riches! je les comprendrai jamais... »
Sans écouter la suite, Florence entra chez la malade.
Elle la trouva encore très agitée.
« Qu'est-ce que cet individu, Florence? Déjà, il y a
quelque temps, je l'ai rencontré dans le couloir et il a été
d'une impolitesse... Maintenant, le

119
120
voilà qui entre dans ma chambre et qui me dit :
«Alors, la mémère, on a bobo? »
Florence se détourna pour dissimuler un sourire.
« Vous ne connaissez pas Camus? C'est pourtant
une célébrité de Rouville! II est vrai qu'il ne traîne pas
souvent de votre côté : il préfère le centre de la ville, où
les mégots sont plus nombreux. Il fait un petit séjour à
l'hôpital de temps en temps, pour son ulcère. Mais,
actuellement, il a un empoisonnement, comme tout le
monde.
— Comme moi? demanda Mme de la Pacaudière,
scandalisée.
— Exactement.
— Pourtant, moi, je ne cherche pas mon ordinaire
dans les poubelles! »
L'émotion faisait remonter la température de la
malade. Florence la calma de son mieux, lui promit que
personne ne ferait plus irruption dans sa chambre. Elle
avait l'intention de faire morigéner Camus par Robert.
Il n'y eut pas de nouvelle entrée ce jour-là. «
L'épidémie », pour parler comme Maximilien Abel,
touchait à sa fin. La plupart des malades commençaient
à se lever. De toute la matinée, le clochard n'avait pas
reparu; Florence espérait que la semonce de Robert
portait ses fruits. Mais vers midi, elle le surprit dans le
couloir.
« Où allez-vous, Camus? »
II désigna du doigt la porte de Mme de la
Pacaudière.
« Je peux bien aller lui dire bonjour, non? Main-

121
tenant qu'on se connaît, elle n'aura plus peur. Au
fond, je l'aime bien, moi, la mémère. Elle a seulement
besoin qu'on la dresse un peu.
— Je vous défends, moi, d'aller la voir. C'est bien
entendu?
— Quelle histoire! Je n'ai pas la gale, tout de
même!
— Le docteur ne vous a pas interdit de traîner dans
les couloirs?
— Le Robert? Si, il est venu me parler hier. Mais
je voyais bien que ce n'était pas sérieux : il avait tout le
temps envie de rire. C'est un rigolo, celui-là! Moi je
l'aime mieux que l'autre ; il se prend moins pour le
pape...
— Si vous le voulez bien, Camus, nous parlerons
une autre fois de vos opinions sur les médecins et les
malades. Veuillez retourner dans votre chambre. »
Il cligna de l'œil, implorant : « Un tout petit bout de
cigarette? » Puis, voyant que sa tentative était vaine, il
s'éloigna.
L'heure des visites arriva. Une jeune femme très
brune, aux cheveux frisés, aux yeux vifs, aborda
Florence devant le poste de garde.
« Excusez-moi, madame l'infirmière : en bas on m'a
dit que Mme de la Pacaudière elle est au premier, mais
yo n'ai pas vien compris le numéro. __ Elle est au 11, au
bout du couloir. Vous êtes peut-être Paquita? »
Le visage de la jeune femme s'éclaira.

122
« La señora vous a parlé de moi? Comment elle va?
— Beaucoup mieux. Elle sera sûrement très
contente de vous voir. »
Paquita entra dans la chambre. Florence, restée
seule, reprit le cours habituel.de ses réflexions. D'où
pouvaient provenir les empoisonnements? Depuis
l'arrivée de Mme de la Pacaudière, peu suspecte de
s'approvisionner à L'Etoile Mauve, la prévention de la
jeune infirmière vis-à-vis du grand magasin aurait dû
disparaître. Cependant, elle ne parvenait pas à s'en
libérer complètement.
« Et si... » pensa-t-elle tout à coup.
Elle guetta la sortie de Paquita. Dès que celle-ci
apparut dans le couloir, elle s'avança vers elle.
« Pourrais-je vous dire un mot, Paquita?
— A moi?... Si, bien sûr... » Florence la fit entrer
au poste de garde.
« Ecoutez-moi, Paquita. Ce que vous allez me dire
est très, très important.
— Important pour la señora?
— Pour elle et pour tout l'hôpital. Vous me
comprenez ?
— Yo comprends.
— Dites-moi : où faites-vous vos provisions?
— Dans la Grande Rue, il y a le boulanger, le
boucher, l'épicier...
— Toujours au même endroit? Vous n'êtes
jamais allée ailleurs : à L'Etoile Mauve, par
exemple? »
Paquita cilla; Florence vit qu'elle se troublait.

123
« Dites-moi la vérité : c'est très sérieux. Vous y êtes
allée? »
La jeune Espagnole baissa la tête.
« Une fois seulement, une fois, yo le jure!
— Quand cela, et dans quelles circonstances?
— Vous le direz pas à la señora?
— Je vous le promets.
— C'était le mardi. Yo devais faire un chou farci
avec le reste du veau. Et puis, à la dernière minute, yo
me suis aperçue qu'il y avait plus assez de veau. Y'ai
pensé : ça va être mauvais, la señora elle sera pas
contente...
— Alors vous êtes allée à L'Etoile Mauve?
— C'est tout près, avoua Paquita. Y'avais le temps
d'y aller... Y'ai acheté une toute petite boîte de pâté
pour ayouter dans ma farce. Yo l'ai payée avec mon
argent, pour que la señora elle se doute de rien. Y'ai pris
le moins cher, bien sûr...
— Et Mme de la Pacaudière ne s'est pas aperçue
que la farce avait un goût différent?
— Non, elle a dit : « Paquita, votre farce elle « est
très bonne! »
— Vous en avez mangé, vous aussi? » La jeune
femme secoua la tête.
« Non, moi, y'avais trop honte! Y'ai donné le reste
du pâté à un pauvre homme qu'il avait très faim.
— A Camus... murmura Florence. Je
comprends...
— Yo loui ai donné aussi un verre de vin, parce
que le pauvre il avait tellement soif...

124
— Je comprends tout maintenant », répéta
Florence à mi-voix.
Elle regarda Paquita en face. « Ce chou, demanda-t-
elle, c'est bien mardi que Mme de la Pacaudière l'a
mangé?
— Si, mardi. »
Quarante-huit heures... c'était bien le temps voulu
pour que les premiers troubles fissent leur apparition...
Florence s'aperçut que la jeune Espagnole la regardait
avec inquiétude.
« Merci, Paquita. Maintenant je sais ce que je
voulais savoir. Soyez tranquille, je ne dirai rien. Rentrez
vite : Mme de la Pacaudière sera chez elle dans un jour
ou deux. Elle aura sans doute un régime; il faudra y
faire bien attention. Et ne faites pas vos achats n'importe
où! » ajouta-t-elle presque malgré elle.
Restée seule, Florence se laissa tomber sur une des
chaises du poste. Ainsi, ses soupçons n'étaient pas
absurdes : le plus puissant des arguments qui pouvaient
innocenter L'Etoile Mauve avait disparu. Mme de la
Pacaudière, elle aussi, avait consommé un produit
provenant du magasin qu'elle haïssait!
Florence attendit avec impatience la fin de l'après-
midi, décrocha le téléphone et appela Gilles Martin.

125
XI

« MA PAUVRE Flo, tu as l'air vraiment


bouleversée!»
Comme Florence et Gilles avaient tous deux leur
soirée libre, le jeune médecin était venu à Rouville. Il
était monté, comme de coutume, chercher Florence dans
le service où il avait de vieilles connaissances.
Maintenant ils étaient seuls devant l'hôpital, dans la
lumière rosé du soleil couchant.

126
« Tu comprends, Gilles, qu'en voyant arriver Mme
de la Pacaudière malade, je me suis dit que je m'étais
trompée, que L'Etoile Mauve, qu'elle fuyait comme la
peste, ne pouvait être responsable des
empoisonnements. Mais après avoir interrogé son
employée...
— Il est bien naturel que cela t'ait troublée. Mais
tout de même... Je ne vois pas comment un magasin tout
neuf se trouverait en possession de marchandises
avariées. Tout ce qui touche à l'alimentation est soumis
en France à un contrôle sévère; les produits périssables
portent une date limite d'utilisation. Une fois cette date
passée, on les retire des étalages. Or seuls des produits
vraiment gâtés sont capables de provoquer des
intoxications comme celle-là.
— Mais, en ce cas les acheteurs devraient s'en
apercevoir au goût.
— Pas forcément. On a vu des gens s'empoisonner
en consommant des gâteaux à la crème qu'ils avaient
trouvés délicieux... Est-ce que L'Etoile Mauve vend
de la pâtisserie fraîche? »
Florence fit un signe négatif.
« N'est-ce pas, Gilles, que tout cela est bien
mystérieux?
Le jeune homme réfléchissait.
« J'aimerais bien voir cette fameuse Etoile Mauve,
déclara-t-il. Quand j'étais à Rouville, elle n'existait pas
encore. C'est un établissement très important?
— De beaucoup le plus grand de Rouville. C'est
une construction très légère : à la voir on dirait

127
un énorme jouet d'enfant en plastique. C'est pour
cette raison, sans doute, qu'elle a pu être montée aussi
rapidement. La pauvre Mme de la Pacaudière dit que
seul le diable est capable de faire sortir du sol, en un
rien de temps, un monstre pareil.
— C'est vraiment tellement laid?
— Les matériaux sont de mauvaise qualité; les
couleurs sont criardes et jurent les unes avec les autres.
Mais cela permet de voir le magasin de plus loin; les
voitures de tourisme qui passent sur la route s'y arrêtent
souvent. Si tu as envie de connaître L'Etoile Mauve,
Gilles, le plus simple serait que nous allions un jour
nous promener de ce côté-là.
— Pourquoi pas aujourd'hui? proposa le jeune
homme.
— Il se fait tard, dit Florence, et je pense que tu as
faim.
— C'est vrai, avoua le jeune homme. Ce matin, j'ai
opéré avec le patron; nous avons fini à deux heures et je
n'ai pas eu le temps de déjeuner.
— En ce cas, dînons d'abord; nous irons nous
promener ensuite. La nuit est claire : tu auras au moins
une idée des dimensions de L'Etoile Mauve. »
Ils se dirigèrent vers un petit restaurant où ils
dînaient parfois, sûrs de pouvoir parler tranquillement
loin des oreilles indiscrètes. Le patron, qui les
connaissait, leur donna leur table favorite, tout au fond
de la salle; la rivière coulait sous les fenêtres, faisant
entendre son gazouillis; les

128
nappes à carreaux, les pots de grès, parlaient de
confort simple et de bonheur.
« Des truites? proposa le patron. Des vraies, pas
d'élevage... »
Florence et Gilles se laissèrent tenter. La friture des
truites demandait quelques minutes, mais elles étaient si
bonnes-Pendant le dîner, ils oublièrent un peu L'Etoile
Mauve et ses problèmes. Ils avaient tant de choses à se
dire! Gilles parlait à Florence de sa carrière : une fois
terminé son internat à Paris, se présenterait-il aux
grands concours? Son maître le lui conseillait, lui
promettant son appui. Florence l'y poussait vivement.
« Je tiens beaucoup à ton opinion, Flo. Je n'oublie
pas que si je réussis ce sera grâce à toi. Sans toi, j'aurais
probablement tout lâché 1.
— Tu as eu un moment de dépression; cela arrive à
tout le monde.
— Pas à toi, Florence!
— Moi je suis heureuse », dit-elle en lui souriant.
Il l'interrogea sur la vie quotidienne de l'hôpital.
Elle lui parla de Mme de la Pacaudière, de Camus qu'il
avait bien connu.
« II m'a joué un bien mauvais tour, celui-là! dit
Gilles '. Mais je crois qu'il ne se rendait pas compte de
l'importance de la chose : il croyait simplement faire
une farce.
— Il est un peu piqué, mais ce n'est pas un
méchant homme. »
1. Voir Salle des Urgences dans la même collection.

129
Florence raconta l'irruption du clochard dans la
chambre de Mme de la Pacaudière. Gilles rit de bon
cœur.
« Pauvre femme! Elle n'a sans doute pas l'habitude
de s'entendre appeler « la mémère »!
— Elle ne pouvait pas se douter que de la part de
Camus c'était probablement un mot amical. »
Gille redevint sérieux.
« Quoi qu'il en soit, j'espère que vous n'aurez plus
d'alerte de ce genre. Vous avez dû passer de bien
mauvais moments.
— Ce n'est peut-être pas fini, Gilles. Ce qui s'est
passé deux fois peut se renouveler une troisième. »
Ils finissaient leur dessert, une excellente salade de
fruits.
« Tu veux du café, Flo?
— Non : il doit être déjà tard; regarde, il fait noir.
Mon Dieu! neuf heures et demie! Il est peut-être trop
tard pour aller jusqu'à L'Etoile Mauve.
— Nous ne sommes pas si pressés, dit Gilles. Mais
il vaut mieux partir tout de suite. »
Florence avait raison : la nuit était tombée. Ce
n'était pas la première fois qu'ils faisaient une
promenade au clair de lune. Mais ce soir le clair de lune
était capricieux : à des moments lumineux succédait
parfois une obscurité presque totale.
Ils se mirent en route gaiement. « Enfin, dit Gilles,
je vais la voir, ton Etoile Mauve !
— Ne dis pas « mon » Etoile Mauve, je n'ai rien à
voir avec ce magasin.

130
— Sauf tes soupçons! »
Ils sortirent de la ville et atteignirent la grande
route. Après avoir marché un moment, ils distinguèrent,
sur leur gauche, deux toits pointus.
« C'est là? demanda Gilles. Moi, je trouve ça plutôt
joli. »
Florence se mit à rire.
« Tu as bien oublié Rouville! dit-elle. Ce que tu
vois, là, c'est la maison de Mme de la Pacaudière.
L'Etoile Mauve est à droite, un peu plus loin... »
La nuit s'était assombrie. Mais bientôt une masse
imposante se dessina dans l'obscurité.
« La voilà! » dit Florence.
Ils s'arrêtèrent pour regarder le bâtiment de loin.
« C'est moins laid la nuit, quand on ne voit pas les
couleurs, déclara la jeune infirmière.

131
— Tu dis cela sur un ton! Tu deviens pire que
Mme de la Pacaudière.
— Là tu pourrais dire « ta », car je l'aime bien,
cette brave femme. »
Sur toute la façade de L'Etoile Mauve on ne voyait
pas de lumière. Mais par-derrière le bâtiment on
apercevait des lueurs qui se déplaçaient comme des
torches allant et venant.
« Qu'est-ce que ça peut bien être? murmura
Florence.
— Ils ont sans doute un gardien de nuit.
— Alors pourquoi ne passe-t-il jamais par
devant? Il me semble que des cambrioleurs
essaieraient plutôt d'entrer en cassant une des grandes
vitres.
— Tu as sans doute raison. Je n'en sais rien : je n'ai
jamais été cambrioleur. »
Comme ils étaient immobiles au bord de la route,
un camion surgit, venant de la direction opposée. Ils se
rangèrent sur le bas-côté.
« C'est drôle, remarqua Gilles, ce camion ralentit. Il
va peut-être à L'Etoile Mauve. »
En effet, le véhicule stoppa; ses phares explorèrent
la route un instant, puis s'éteignirent : le véhicule
s'engagea dans le chemin de sable qui conduisait
derrière le bâtiment.
« Ils vont faire une livraison, dit Gilles.
— Est-il naturel de faire une livraison au milieu de
la nuit?

132
— En général, non. Mais le camion a pu avoir du
retard. Ce qui m'étonne, c'est qu'il ait éteint ses phares
au moment de bifurquer, là où il a quitté la grande route.
Il doit bien connaître l'endroit.
— Oh, Gilles, s'exclama Florence, je voudrais trop
savoir ce qui se passe. Rapprochons-nous, veux-tu? »
Ils enfilèrent le chemin de sable, en se dissimulant
derrière les buissons. Le camion, lentement, approchait
de L'Etoile Mauve. Deux hommes, qui portaient de
grosses torches électriques, s'avancèrent vers lui. En
même temps une lampe s'alluma dans la réserve du
magasin, et Florence reconnut Carval. Non pas l'élégant
visiteur qu'elle connaissait, mais un tout autre Carval, en
vieux chandail pendillant, et chaussé d'espadrilles.
Florence poussa Gilles du coude.
« C'est lui! chuchota-t-elle.
— Et l'autre?
— Je ne sais pas. »
Le chauffeur était descendu et ouvrait la porte
arrière du camion. Les trois hommes, en silence, se
mirent à décharger des caisses et à les transporter vers le
magasin. Une fois là, ils les ouvraient et en tiraient des
boîtes de conserves qu'ils empilaient le long du mur.
Quand une caisse était vide, ils la rapportaient dans le
camion.
« Approchons encore un peu », murmura Florence.
Tout à coup, un des hommes poussa un juron. Au
moment où il soulevait une des caisses pour la

133
placer sur son épaule, elle lui échappa et tomba sur
le sol. Elle s'ouvrit; des boîtes roulèrent de tous côtés.
« Imbécile! grommela Carval. Ramasse-moi tout
ça, le plus vite possible. »
L'homme prit une lampe et commença à ramasser
les boîtes éparses. Florence et Gilles eurent un instant de
frayeur : une des boîtes avait roulé près du buisson qui
les abritait; si on les découvrait, comment expliquer leur
présence? Mais la boîte avait roulé assez loin des autres
et l'homme ne la remarqua pas.
Les trois hommes entrèrent dans la réserve.
Florence et Gilles attendirent un moment, puis le
chauffeur ressortit et le camion s'éloigna. Carval et son
acolyte restèrent seuls. Les deux jeunes gens
s'attendaient que la lumière s'éteignît, mais au contraire,
il s'en alluma une plus forte.
Gilles fit un signe à Florence et tous deux se
dirigèrent sans bruit vers le bâtiment. La porte de la
réserve était restée entrouverte. Ils s'approchèrent et
jetèrent un coup d'œil à l'intérieur.
Les deux hommes se livraient à une étrange
besogne. Carval plaçait les boîtes, l'une après l'autre,
dans un grand seau et décollait le papier qui les
entourait, puis le remplaçait par un autre. Son aide
séchait les boîtes avec des serviettes chaudes, devant un
petit radiateur électrique, puis les remettait en pile dans
un coin de la réserve.
« Que font-ils? murmura Florence.
— Chut... viens, partons! »
Un peu plus loin, Gilles murmura :

134
« Je donnerais beaucoup pour avoir une de ces
boîtes!»
Florence lui rappela que l'une d'elles, roulant hors de
sa caisse, s'était arrêtée dans un buisson, tout près de leur
cachette. Ils se mirent aussitôt à sa recherche. La nuit était
noire; ni l'un ni l'autre n'avait de lampe de poche. Tout en
tâtonnant dans les fourrés, ils apercevaient la lumière qui
brillait toujours dans la réserve.
« Je l'ai! dit tout à coup Florence.
— Alors filons vite! »
Les deux jeunes gens se retrouvèrent sur la route et,
sans un mot, reprirent le chemin du centre de la ville. Ce
fut seulement en arrivant aux premiers réverbères que
Florence interrogea :
« Comment t'expliques-tu tout cela, Gilles? Car-val
veut évidemment cacher l'origine de ces conserves.
— Mais nous, répondit Gilles, nous allons la
connaître! Flo, je vois maintenant que tu avais raison : tous
ces empoisonnements inexplicables proviennent
certainement de L'Etoile Mauve.
— Tu peux faire examiner le contenu de cette
boîte?
— Très facilement. Un de mes amis travaille au
service qui s'occupe de la répression des fraudes. Il
fera faire l'analyse par son labo. »
A Rouville, ils trouvèrent un café encore ouvert et
prirent une boisson chaude pour se remettre de leurs
émotions. La boîte, posée devant eux, sur la table, portait
une étiquette avec l'image d'un
«Que font-ils? » murmura Florence.»

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136
parc, entouré d'une inscription dans une langue
inconnue.
« Ton Carval, dit Gilles, me fait l'effet d'un fameux
coquin.
— Ne dis pas « mon » Carval, je t'en prie! Il ne
m'appartient pas plus que L'Etoile Mauve.
— Pardonne-moi, Flo. En tout cas, c'est bien « ta »
découverte. Cela, tu ne peux pas le nier.
— Quand penses-tu avoir le résultat de cette
analyse?
— Très rapidement. Si c'est bien ce que je
soupçonne, cette boîte renferme des germes
nocifs, probablement des salmonelles.
— C'est ce qu'on avait découvert chez nos
malades. Mais ces boîtes avariées, d'où viennent-elles?
Comment ont-elles pu passer le contrôle que l'on dit si
sévère?
— Qui te dit qu'elles l'ont passé? Les producteurs
étrangers dont une cargaison a été refusée essaient
parfois de la vendre clandestinement à bas prix pour
n'avoir pas à la remporter. »
Florence et Gilles se séparèrent devant la porte de
l'hôpital; Florence regagna sa chambre. Sur le palier,
elle rencontra Caroline, qui la regarda avec étonnement.
« D'où viens-tu donc, Flo? Tu es couverte de
brindilles.
— Je suis allée me promener avec Gilles Martin.
Un peu de marche nous fait du bien à tous les deux.
— Et vous vous êtes assis dehors? Brrr... vous
n'avez pas dû avoir chaud! »

137
Florence ne pouvait pas révéler à Caroline que
l'intérêt de leur découverte leur avait fait oublier la
température.
« Nous ne nous sommes assis qu'un moment, dit-
elle; nous avons marché presque tout le temps. »
Caroline soupira :
« Tu as de la chance, Flo, d'aller te promener avec
un garçon!
— Ça t'arrivera peut-être plus tôt que tu ne penses.»
A vrai dire, Florence n'imaginait pas très bien
Maximilien Abel se promenant au clair de lune-Mais
après tout, qui pouvait savoir si Caroline ne lui ferait
pas perdre la peur des rhumes?

138
XII

PRESQUE toutes les victimes de l'empoisonnent


étaient maintenant retournées chez elles; seuls quelques
malades, plus fragiles ou plus gravement touchés que
les autres, avaient encore besoin d'une surveillance
médicale.
Le docteur Martel annonça à Mme de la Pacaudière
qu'elle pourrait bientôt regagner les Roques et y
reprendre une vie normale. Elle en parut moins heureuse
qu'on ne l'aurait cru. Après la visite, se trouvant seule un
moment avec Florence, elle soupira :

139
« C'est curieux, ma petite Flo... Je devrais être
ravie, n'est-ce pas, de rentrer chez moi. J'ai une maison
que j'ai arrangée à mon goût, des meubles que pour la
plupart j'ai choisis moi-même...
— Je sais. J'ai beaucoup admiré les Roques le jour
où vous m'avez si gentiment invitée à prendre le thé. Et
vous n'avez pas envie d'y retourner? »
Mme de la Pacaudière secoua la tête.
« S'il faut tout vous avouer, je ne pense qu'à une
chose : à ce monstre qu'il me faudra avoir sans cesse
devant les yeux. Vous me direz qu'ici, dans ma chambre
d'hôpital, je n'ai pas beaucoup de vue. Mais j'aimerais
mieux contempler toute ma vie un mur blanc que cette
horreur.
— Vous vous y habituerez, dit Florence qui ne
voulait pas encore révéler ce qu'elle avait appris l'avant-
veille.
— Jamais! »
C'était vraiment le cri du cœur. Mme de la
Pacaudière était capable de déménager, uniquement
pour ne plus voir L'Etoile Mauve.
« Vous avez réussi à vous débarrasser du poteau de
l'EDF...
— En partie, ma petite fille, en partie! Quand je me
penche un peu à ma fenêtre... Mais que vouliez-vous
dire avec ce poteau?
— Tout simplement que vous parviendrez peut-être
de même à vous débarrasser du magasin.
— Comment voulez-vous, ma pauvre enfant? Il
paraît que Groult est enchanté de L'Etoile Mauve,

140
qui donne, dit-il, de la vie à Rouville! Une vie
comme celle-là, il vaut mieux ne pas en avoir du tout. »
Elle devait sortir le lendemain matin. Dans l'après-
midi, Paquita vint la voir. Elle apportait des fleurs du
jardin et un quatre-quarts confectionné exprès pour sa
patronne. Florence, en venant relever les températures,
trouva l'ex-malade mordant à belles dents dans le
gâteau.
« Prenez-en une tranche, mon petit, il est délicieux.
Ah, ma Paquita est vraiment une perle! Je peux compter
sur elle pour tout, j'ai une telle confiance en elle... »
Paquita, qui depuis quelques minutes s'agitait sur sa
chaise, éclata brusquement en sanglots.
« Yo peux pas entendre ça! gémit-elle. Yo ne le
mérite pas. Yo suis oune mauvaise fille, une
menteuse...»
Florence lui fit signe de se taire. Mais le secret était
trop lourd pour la jeune Espagnole. Elle avait besoin de
s'accuser.
« Si vous êtes malade, señora, c'est ma faute! »
Elle se frappait la poitrine d'un air égaré. Mme de la
Pacaudière l'arrêta.
« Que racontez-vous là, Paquita? Est-ce que vous
devenez folle? Cessez de vous donner des coups de
poing, vous finiriez par vous faire mal.
— C'est ma faute! répétait la jeune femme. Yo vous
dis que c'est ma faute!
—Mais enfin expliquez-vous! » fit Mme de la
Pacaudière exaspérée.
Paquita baissa la tête.

141
142
« Yo ai... yo ai... acheté oune boîte de pâté à
L'Etoile Mauve§ »
Mme de la Pacaudière sursauta.
« A L'Etoile Mauvel Mais je vous avais défendu d'y
aller!
— Une fois... une seule fois! yo le yure! déclara
l'Espagnole éplorée. C'était le your du chou
farci... »
Elle raconta comment, n'ayant pas assez de farce et
manquant de temps pour descendre en ville, elle avait...
elle était...
« Vous êtes allée à L'Etoile Mauve? Malgré ma
défense? C'est mal, c'est très mal, Paquita! »
Mme de la Pacaudière semblait réellement fâchée.
« Je n'aurai plus jamais confiance en vous! » lança-
t-elle.
Paquita sanglotait. Mais tout à coup Florence
stupéfaite vit le visage de Mme de la Pacaudière se
détendre, un sourire malicieux apparaître sur ses traits.
Elle interrogea d'une voix adoucie :
« Paquita, ce chou, vous en avez mangé, vous
aussi? »
La jeune femme secoua la tête.
« Non, moi j'ai fini la soupe du lundi.
— Et le jour du chou, c'était... mardi, n'est-ce pas?
— Si, señora.
— Florence, il faut quarante-huit heures, n'est-ce
pas, pour que l'empoisonnement se manifeste?
— Dans le cas présent, oui, madame.
— Alors, je comprends! s'écria triomphalement

143
la malade. C'est L'Etoile Mauve qui m'a
empoisonnée! Que vous ai-je toujours dit, Florence?
Ces gens-là sont des misérables, des assassins! Ce sont
eux qui ont empoisonné toute la ville! Et ces ânes de
médecins qui analysent tout dans leurs laboratoires! ce
benêt de Groult qui fait racler des conduites d'eau en
parfait état! Ha, ha, ha! Je vais lui dire la vérité, moi! je
vais lui téléphoner aujourd'hui même! »
Florence préférait que Mme de la Pacaudière ne se
mêlât pas de l'affaire. Elle voulait attendre les résultats
de l'analyse faite par l'ami de Gilles. Mais comment
décider cette femme déchaînée à patienter?
« Ne faites rien, je vous en prie, dit-elle. On
s'occupe de tout cela. Je vous tiendrai au courant, je
vous le promets.
— Ainsi je ne suis pas la seule à soupçonner
L'Etoile Mauve? Qui s'en occupe? M. Martel? Je lui en
parlerai demain matin, à la visite; je ne sors de l'hôpital
que l'après-midi. »
Florence décida, si c'était possible, de faire avancer
cette sortie de quelques heures.
Toutes deux avaient oublié Paquita, qui se tenait
dans un coin, penaude, soulagée pourtant de son aveu.
Se rappelant tout à coup sa présence, Mme de la
Pacaudière se tourna vers elle avec bonté.
« Ne pleurez plus, petite sotte. Vous m'avez
trompée — c'est très mal. Mais vous me l'avez avoué, et
je vous pardonne. Préparez-moi un bon dîner pour
demain. Et n'allez pas faire vos achats

144
à L'Etoile Mauve ! ajouta-t-elle avec un sourire qui
prouvait que le pardon était accordé du fond du cœur.
— Yamais! » fit la jeune femme avec ferveur. Mme
de la Pacaudière, très agitée par ce que lui
avait laissé entendre la jeune infirmière, aurait bien
voulu que celle-ci restât un moment dans la chambre
pour lui donner de plus amples détails sur ce qui se
tramait autour de L'Etoile Mauve. Mais à ce moment
l'interphone qui reliait toutes les chambres au poste
central sonna doucement.
« On vous demande de Paris, Florence », dit une
voix dans le haut-parleur.
La jeune infirmière se rendit immédiatement au
poste de garde. Elle prit l'écouteur et reconnut
immédiatement la voix de Gilles.
« Florence... c'est extraordinaire! Il faut que je parle
à M. Martel le plus tôt possible. Il est à l'hôpital?
— Oui, il est dans son bureau. Il ne doit partir qu'à
six heures.
— Eh bien, je vais tâcher d'arriver avant. Je ne
peux pas te raconter tout cela au téléphone, mais tu as
fait une fameuse découverte! A tout à l'heure.
— Tu passeras me voir?
— Naturellement.
— Ne roule pas trop vite, Gilles. Je vais avertir le
patron de ta visite et lui demander de t'attendre. »
Elle alla frapper à la porte de M. Martel. Celui-ci
leva les yeux du rapport qu'il rédigeait.

145
« Florence! fit-il avec surprise. Vous, avez quelque
chose à me signaler?
— Je viens de la part de Gilles Martin, monsieur. Il
a une communication très importante à vous faire. Il
quitte Paris à l'instant. Je sais que vous devez sortir,
mais pourriez-vous attendre jusqu'à son arrivée?
— Je m'arrangerai. Une communication très
importante, me dites-vous? Vous ne savez pas de quoi il
s'agit?
— Je le soupçonne, monsieur. »
Elle lui raconta leur expédition de la veille et les
faits étranges dont ils avaient été témoins.
« Gilles a emporté la boîte, acheva-t-elle. Il a dû
faire examiner le contenu. Je suppose qu'on y a trouvé
quelque chose d'anormal.
— Incroyable... murmura le patron. Naturellement,
j'attendrai. »
Au sortir du bureau, Florence rencontra Mme
Benoit. La surveillante parut mécontente; elle ne posa
pas de question précise, mais Florence devina ce qu'elle
pensait : elle jugeait que tous les rapports entre le patron
et les subalternes devaient nécessairement passer par
elle.
« Tout va bien, Florence? fit-elle un peu sèchement.
— Oui, madame. »
En approchant de son service, Florence entendit des
cris. Elle reconnut le timbre puissant de Camus.
C'était lui, en effet, planté devant la porte de sa
chambre, en pyjama et tenant son estomac à deux
mains.

146
« Qu'est-ce qui vous arrive encore, mon pauvre
Camus? Que se passe-t-il?
— Ce qui se passe? Toujours la même chose : on
me renvoie! On vient de m'avertir que je devais vider les
lieux demain matin! Comme je vous le dis,
mademoiselle Florence! »
Le même scénario se reproduisait chaque fois que
Camus quittait l'hôpital. Florence haussa les épaules.
« On ne vous l'a pas dit en ces ternies,
certainement.
— Presque — en tout cas, c'est kif-kif. Même dans
les prisons, on y met un peu plus de formes. »
Florence sourit.
« Je n'ai pas beaucoup d'expérience de ce qui se
passe dans les prisons. Mais dans les hôpitaux, c'est la
coutume de renvoyer un malade quand il est guéri.
— Guéri — moi? Vous voulez rire! Avec mon
ulcère!
— Ce n'est pas pour lui que vous avez été
hospitalisé cette fois-ci. Sans tabac et sans alcool, il s'est
tenu bien tranquille. A cause de lui, justement, on a pris
à votre égard des précautions particulières. La radio
montre qu'il n'a pas bougé.
— Vous y croyez, vous, à ces radios? Boum, un
déclic, et tout le monde sait ce que vous avez dans le
ventre? Allons donc! On ne me la fait pas, à moi. Quand
je souffre, je n'ai besoin de personne pour me dire où ça
se trouve.

147
— Vous souffrez, en ce moment?
— Vous voyez bien que je me tiens l'estomac. Vous
pensez peut-être que je fais ça pour m'amuser?
— Vous en seriez bien capable! Mais je crois
surtout que vous vous tenez l'estomac pour nous
apitoyer et rester quelques jours de plus à être logé et
nourri gratuitement.
— Vous me décevez, mademoiselle Flo, vous me
décevez... Alors vraiment il faut que je parte
demain?
— Absolument. »
Alors, comme toujours, il se rapprocha et geignit :
« Vous êtes si gentille... Vous me donnerez bien un
petit bout de cigarette pour me consoler? »

148
Elle se mit à rire.
« Je n'en ai pas, Camus, je ne fume pas. Demandez
à M. Robert; vous verrez ce qu'il vous répondra.
— Celui-là, il a une pierre à la place du cœur!
— D'accord, Camus, mais laissez-moi passer, j'ai à
faire. »
Elle venait de regagner le poste de garde quand M.
Martel la fit appeler. Elle trouva Gilles Martin assis dans
le bureau en face du patron.
« J'ai voulu que vous soyez au courant, Flo, dit
celui-ci. La chose est grave, en effet. Dans la boîte qu'a
emportée Martin, on a découvert des bacilles, en
particulier des salmonelles. Or vous savez qu'on a
retrouvé ces mêmes bacilles dans les selles de nos
malades.
— Carval vendrait donc des produits avariés?
— Quelques-uns. Il peut sûrement les acheter pour
presque rien et profite du bénéfice qu'il fait sur eux pour
abaisser le prix des autres.
— Mais comment arrive-t-il à se procurer ces
produits?
— C'est ce qui reste à découvrir. Mais ceci ne nous
regarde plus : c'est l'affaire de la police. Je vais
téléphoner immédiatement au commissaire pour faire
saisir les boîtes apportées hier soir et fermer L'Etoile
Mauve afin que personne ne risque plus d'acheter
des aliments suspects. »
II soupira :
« Quand je pense que j'ai failli pousser l'économe à
accepter les offres de ce bandit! Les prix me tentaient,

149
comme ils tentaient tout le monde. Cet homme,
avec les sentiments généreux qu'il affichait, m'était
plutôt sympathique. La nouveauté du magasin me
semblait garantir qu'il ne s'y trouverait que des produits
frais. L'idée de le soupçonner ne m'avait même pas
effleuré.
— Je ne pense pas, dit Gilles, qu'à l'hôpital il aurait
osé fournir des produits avariés.
— Vous pensez qu'il aurait au moins respecté les
malades?
— Non, monsieur : je pense qu'il aurait eu peur
d'être découvert! »
M. Martel tenait à la main la fiche du laboratoire
que Gilles venait de lui remettre.
« Laissez-moi maintenant, mes enfants; je dois
alerter le commissariat le plus tôt possible. Je voudrais
que L'Etoile Mauve soit fermée dès demain matin et
Carval arrêté avant qu'il ait le temps de prendre la
fuite.»
« Tu dînes avec moi, Flo? demanda Gilles.
— Oui, si tu peux attendre l'arrivée de la garde de
nuit qui vient me remplacer. »
Ils retournèrent dans le petit restaurant où ils
avaient dîné la veille. Le patron leur fit un sourire
amical.
« Des truites?
— Pas tous les jours! s'exclama Gilles en riant.
Elles sont délicieuses, mais tout de même...
— On ne se lasse jamais des bonnes choses,
docteur! » dit le patron d'un ton solennel.

150
Gilles se tourna vers Florence.
« Qu'en dis-tu, Flo?
— Ma foi, avoua-t-elle, je reprendrais volontiers
des truites. »
Les truites n'étaient pas chères, et elle savait que
Gilles n'était pas riche.
« J'ai la tête qui tourne, dit-elle. Depuis hier, que de
changements!
— Tu es la seule à avoir soupçonné Carval.
D'ailleurs il t'a toujours été antipathique.
— C'est vrai, mais on ne peut pas juger les gens sur
une impression. Depuis hier, il s'agit d'une certitude. »
Elle réfléchit un instant.
« Je me demande toujours, Gilles, où il pouvait se
procurer ces produits avariés.
— C'est ce que l'enquête nous apprendra.
Maintenant, si tu veux bien, ne pensons plus à lui. Nous
avons tant de choses plus intéressantes à débattre.
— Lesquelles? demanda malicieusement
Florence.
— Nous deux, par exemple », répondit doucement
le jeune médecin.

151
XIII

LE TEMPS passe vite quand on travaille. Florence


n'arrivait pas à croire que tant d'événements fussent
arrivés en si peu de jours.
Le lendemain de la visite de Gilles, à 7 heures du
matin, le commissaire de police se rendit à L'Etoile
Mauve... Il n'y avait personne. A 8 heures, Carval arriva,
s'apprêtant à faire ouvrir les portes, la caissière et un
employé le suivaient de près.
Le commissaire s'avança vers lui et lui posa la main
sur le bras.
« Police! » annonça-t-il en exhibant sa carte.
Carval sursauta.

152
« Mais vous êtes fou! s'écria-t-il. J'ai bien le droit
d'exercer mon commerce, non?
— Ça dépend quel commerce, répondit le le
commissaire.
— Venez avec moi dans mon bureau; je vous
montrerai que mes papiers sont en règle.
— Ce n'est pas de vos papiers que je m'occupe,
mais justement de la marchandise que vous introduisez
sans papiers.
— Je ne vous comprends pas, dit Carval.
— J'aimerais jeter un coup d'œil aux boîtes de
conserves qu'on vous a livrées avant-hier.
— De quoi parlez-vous? Je n'ai pas eu de livraison
ce jour-là.
— Dans la journée, peut-être, mais la nuit? Ne
dites pas non : il y a des témoins. »
Carval n'osa pas nier.
« Ah oui, c'est vrai, je me rappelle. Un camion que
j'attendais l'après-midi, mais qui a eu plusieurs heures
de retard. J'étais même très fâché de devoir l'attendre
jusqu'à plus de minuit.
— Je crois plutôt que vous préfériez qu'il passe
inaperçu. Pourrais-je voir les boîtes qui formaient son
chargement? »
Carval exhiba des boîtes de marques connues, ne
pouvant prêter à aucun soupçon. Mais le commissaire
repéra vite celles dont les étiquettes étaient fraîchement
collées.
Il fit emporter ces boîtes : elles seraient

153
lysées par le laboratoire du service d'hygiène. Puis
le commissaire ordonna la fermeture du magasin, et,
comme Carval protestait, il le pria de se tenir à la
disposition de la justice.
Interrogé sur la provenance des caisses, Carval
répondit d'abord qu'il 1'ignorait. Un de ses amis, disait-
il, avait fait venir ces produits d'Angleterre; il avait été
tenté par leur prix très bas et avait voulu l'en faire
profiter.
— C'est de la contrebande, alors? Comment
s'appelle votre ami? demanda le commissaire.
— Quand je dis « un ami », je veux dire quelqu’un
que j'avais rencontré. Je ne me souviens même pas de
son nom.
— Vous ne saviez sans doute pas, non plus, que ces
conserves ne répondaient pas aux normes de sécurité?
— Bien sûr que non! »
On finit par découvrir le fin mot de l'affaire. Les
services français se montrent — avec raison — difficiles
sur la qualité des produits alimentaires; on ne laisse
pénétrer ceux qui proviennent de l'étranger qu'après leur
avoir fait subir un contrôle très strict. Les conserves de
L'Etoile Mauve — qui ne venaient pas d'Angleterre,
mais d'un petit pays du Moyen-Orient — ne présentant
pas des garanties de sécurité suffisantes, avaient été
refusées à ce contrôle. Le fabricant, pour se débarrasser
de cette encombrante cargaison, avait cherché à la
revendre à bas prix sur le bateau même qui l'avait
apportée.

154
Carval s'était porté acquéreur. D'autre part, comme le
fabricant avait en réserve un stock important de ces boîtes
et désespérait de l'écouler, Carval lui avait proposé de lui
acheter le tout au prix de la première cargaison. Le bateau
s'arrêtait au large d'un petit port normand; les caisses
étaient apportées en barque jusqu'à un point désert de la
côte où le camion les attendait.
La personne la plus heureuse du tour que prenaient les
événements fut certainement Mme de la Pacaudière. Le
bâtiment exécré se dressait toujours devant ses yeux, mais
la pensée qu'il était fermé, le directeur condamné, était une
jouissance suffisante pour compenser tout le reste.
Au bout de quelques jours, d'ailleurs, le propriétaire
du terrain décida de rendre celui-ci à son rôle primitif de
prairie.
« Des vaches! disait Mme de la Pacaudière enchantée.
De mes fenêtres je verrai des vaches! Je les aime, ces
animaux-là!
— Sauf les cornes, m'avez-vous dit, remarqua
malicieusement Florence.
— Rien ne m'oblige à descendre les caresser! Avec
les clôtures électriques que l'on fait maintenant, je serai
bien tranquille. »
En attendant, elle pouvait goûter le doux plaisir
d'apercevoir, au bord de la route, une équipe d'ouvriers
jetant à bas les panneaux multicolores qui l'avaient tant fait
souffrir.
Dès que l'excitation provoquée par les événements se
fut un peu calmée, Colette appela son amie Florence au
téléphone.
« Tu n'as plus tant à faire, maintenant?

155
— Non, seulement le travail courant de l'hôpital.
— Alors, notre projet tient toujours?
— Bien entendu!
— Que dirais-tu de samedi prochain?
— Pour moi, ce serait parfait. Mais Maximilien se
découvrira peut-être un nouvel empêchement!
— Je ne crois pas, dit Colette. Il s'est ragaillardi
depuis que les intoxications ont pris fin et qu'on en
connaît l'origine. Lui-même, hier, m'a dit de but en
blanc : « Et si nous allions voir « Florence samedi? »
— En ce cas, d'accord. »
Le vendredi, Caroline avait le cafard. En dehors de
son service, qu'elle assurait toujours avec conscience,
elle semblait ne s'intéresser à rien. Florence lui demanda
si le livre de biologie lui plaisait.

156
« Oui, il est très bien fait : il m'aide à chasser les
idées noires. Dès que je ne travaille pas, je m'ennuie... »
Florence pensa que, si le plan réussissait, Caroline
ne s'ennuierait plus. Elle s'énerverait peut-être parfois,
mais on ne peut pas tout avoir.
Le samedi matin, Colette la rappela.
« Je viens d'avoir grand-peur, dit-elle. Hier soir j'ai
rappelé à Max que nous devions venir te voir
aujourd'hui. Sais-tu ce qu'il m'a répondu? Qu'il n'était
peut-être pas très prudent pour lui de m'accompagner,
l'épidémie n'ayant pris fin que depuis quelques jours!
— Et il admettrait que tu y viennes, toi? C'est un
peu fort!
— Tu sais bien qu'il se considère comme un être
exceptionnellement fragile, tenu à plus de précautions
que les autres.
— Il a vraiment besoin d'être pris en main! déclara
Florence. Tu es arrivée à le décider malgré tout?
— Oui, mais non sans difficulté, tu peux me croire!
Je te rappellerai à midi pour te dire si tout va bien. »
Toute la matinée, les deux amies tremblèrent.
L'hôpital était calme : les soins habituels, deux opérés à
surveiller, un malade timoré à réconforter. De ce côté-là,
sauf urgence imprévue, rien à craindre. Mais avec
Maximilien, savait-on jamais?
A midi, Florence allait descendre à la cantine quand
Colette l'appela de nouveau.
« Tout va bien : Max vient déjeuner à la maison et
me conduira ensuite à Rouville. J'ai beau avoir

157
maintenant ma voiture personnelle, il deviendrait
fou à l'idée de se laisser conduire par moi. »
A la cantine, Florence dit à Caroline : « Excuse-
moi, mais je vais .être obligée de te redemander mon
livre. Pas pour longtemps : je voudrais y prendre deux
ou trois notes.
— Il est à toi : tu peux le reprendre quand tu
voudras.
— Oh, j'en ai pour un quart d'heure. Mais je
voudrais que ce soit le plus tôt possible.
— Je monte immédiatement te le* chercher. Tu vas
directement dans ton service?
— Non, mais j'y serai certainement à deux heures.»
C'était l'heure où Colette et son frère devaient
arriver à l'hôpital. S'ils étaient en retard, il faudrait
trouver un moyen de retenir Caroline. Mais Colette
avait promis d'être à l'heure; quant à Maximilien, il était
aussi exact qu'il était prudent.
La jeune infirmière arriva la première. Elle posa le
livre sur la table et allait se retirer aussitôt. Florence la
retint.
« Où en es-tu de ta lecture? Tu as fini la première
partie?
— Pas encore.
— C'est, à mon avis, la plus - facile à
comprendre. A mesure qu'on avance, les choses se
compliquent un peu.
— Evidemment, toi, tu as Gilles Martin pour tout
t'expliquer! » fit Caroline.

158
Elle soupira une fois de plus. Tout en parlant,
Florence la regardait.
« Arrange tes cheveux, Caroline. Tu es tout
ébouriffée. Habituellement tu prends plus de soin de ta
coiffure.
— Ça n'a pas d'importance : je remonte
directement dans ma chambre.
— Et ta coiffe est tout de travers. Ce n'est pas joli.
— Qu'est-ce que cela peut bien faire? N'aie pas
peur : j'arrangerai ça avant de retourner prendre ma
garde.
— Tu peux le faire tout de suite, devant la glace de
mon poste.
— Bon, bon, si tu y tiens... Je ne savais pas que tu
t'intéressais autant à ma tenue. »
Tandis que Caroline se recoiffait, Florence regarda
la pendule. Deux heures cinq! Colette lui avait pourtant
promis... Bien sûr, il peut y avoir des incidents imprévus
: une déviation de la route, une panne... Mais Florence
ne pouvait pas retenir Caroline indéfiniment.
« Attends, dit-elle, je voudrais te montrer quelque
chose. Au début du chapitre 2, il y a une phrase que j'ai
eu du mal à comprendre. J'ai fini par y parvenir. Tu ne
veux pas que je te l'explique?
— Si tu l'as comprise toute seule, j'y arriverai bien
aussi. Je ne suis pas complètement idiote.
— Je ne dis pas ça, Caroline. Mais, à moi aussi, il a
fallu l'expliquer.
— Gilles Martin, naturellement! »

159
Le temps coulait : deux heures dix... Mais que se
passait-il donc?
« Ecoute, Caroline, pendant que tu es ici je voudrais
te demander un service. Tu sais : ces notes qu'on nous a
réclamées sur le fonctionnement de notre service...
— Je sais; j'ai recopié les miennes avant-hier.
— Moi, je n'ai pas encore eu le temps de le faire.
Ton écriture est tellement plus lisible que la mienne...
— Tu voudrais que je te les copie? C'est bien facile
: donne-les-moi. Je ne suis de service qu'à cinq heures;
je te les remettrai ce soir.
— C'est que... je voudrais les avoir le plus tôt
possible. Tu ne pourrais pas le faire tout de suite? »
« Du temps, du temps! pensait Florence. N'importe
quoi, mais gagner du temps! »
Pendant que Caroline s'installait devant la table,
Florence admira le brillant de sa chevelure, sur laquelle
tombait un rayon de soleil.
Si Colette et son frère pouvaient arriver maintenant!
se disait-elle. Il était impossible de ne pas remarquer ces
beaux cheveux...
Enfin un pas s'approcha. Quelques instants plus tard
Colette entrait, mais seule.
Florence lui jeta un regard interrogateur.
« Mon frère me suit, dit Colette. Il sera ici d'une
minute à l'autre.
— Il range sa voiture? Il aurait pu la mettre dans la
cour. »
Colette retenait difficilement un fou rire. Elle
entraîna Florence dans le couloir.

160
« Il ne s'agit pas de la voiture, dit-elle. Figure-toi
qu'en entrant dans l'hôpital, nous nous sommes heurtés à
Camus.
— Camus? Mais il n'est plus ici!
— Il venait chercher je ne sais quel papier que la
Sécurité Sociale lui réclame. Il était devant le guichet de
l'administration, tonitruant à son habitude. Le forcer à se
déranger pour venir chercher un papier! lui, un grand
malade! Enfin tu connais la chanson...
— Je peux dire que je la connais par cœur! dit
Florence en riant.
— Tout à coup il nous a reconnus et s'est élancé
vers Max, les bras ouverts. « Mon vieux copain! « je ne
m'attendais pas à te trouver ici! C'est un « vrai coup de
chance! » Etc., etc... Il serrait Max

161
contre son cœur; j'ai cru qu'il allait l'embrasser sur
les deux joues!
— Et ton frère appréciait ces effusions?
— C'était la première fois qu'il voyait Camus au
naturel — je veux dire sans les soins de propreté qu'on
lui impose à l'hôpital. Au début il ne le reconnaissait
même pas. J'ai cru un instant qu'il allait se mettre à crier,
comme Mme dé la Pacaudière.
— Il n'aurait plus manqué que ça!
— Mais Camus s'est exclamé : « Comment, on ne
reconnaît plus son vieux camarade! Tu ne te rappelles
pas, quand tu avais la maladie des rayons ? 1 » Alors
Max a compris : il était partagé entre sa reconnaissance
pour Camus, qui écoutait si bien toutes ses doléances,
et l'horreur que lui inspirait ce clochard qui devait
véhiculer d'innombrables microbes.
— Comment cela s'est-il terminé?
— Heureusement la secrétaire a appelé Camus
dans le bureau; Max en a profité pour m'entraîner.
— Cela ne m'explique pas pourquoi ton frère n'est
pas avec toi.
— Tu ne devines pas? Il est évident que, livré à lui-
même, Camus est peu ragoûtant. Max s'est imaginé qu'il
avait pu lui passer je ne sais quelle maladie. Il m'a dit : «
Va devant, Coco, tu feras prendre patience à Florence.
Moi je préfère passer à la pharmacie. »
— Mais tu es sûre qu'il viendra?
1. Voir Florence fait un diagnostic dans la même collection.

162
— Absolument sûre. Il sait que tu l'attends; il ne se
dérobera pas. »
Elles reprirent leur sérieux et rentrèrent au poste de
garde. Caroline leva la tête.
« Puisque tu as des amis, Florence, je te laisse. Je
vais copier tes notes dans ma chambre et je te les
rapporterai immédiatement.
— Oh, Caroline, tu en as encore pour longtemps?
— Non, j'ai presque fini. Il faudra seulement que je
me relise.
— Si tu peux achever ici, j'aurai mon rapport plus
tôt.
— Alors je continue. Ne vous occupez pas de
moi.»
Dix bonnes minutes plus tard, Maximilien faisait
son entrée. Il était assez rouge et répandait une odeur
acide de désinfectant.
« Colette vous a expliqué, n'est-ce pas? Ma chère
Florence, je suis si heureux de vous revoir!
— Moi aussi, Maximilien. Quoique vous ayez bien
failli naguère, avouez-le, nous faire tous tourner eh
bourrique!
— Je n'avais pas tout à fait tort, dit Maximilien.
J'ai eu la chance de m'en tirer — mais j'ai couru un
fameux danger tout de même! »
Florence préféra ne pas engager la discussion.
Maximilien, d'ailleurs, lui remettait une énorme boîte de
chocolats qui répandait, elle aussi, une odeur acide. La
jeune infirmière se demanda s'il l'avait fait désinfecter

163
également. L'odeur, heureusement, n'avait pas
pénétré à l'intérieur de la boîte; Florence le remercia
chaleureusement et offrit les chocolats à la ronde.
« Tu ne connais pas Mlle Caroline, je crois? dit
Colette en attirant la jeune fille vers elle. Caroline, je
vous présente M. Abel, mon frère. »
Comme Maximilien s'inclinait cérémonieusement,
elle ajouta :
« Mlle Caroline est une collègue de Florence. Elle
travaille au rez-de-chaussée; je ne crois pas que tu l'aies
jamais rencontrée. »
Caroline tendit une main hésitante; elle rougit, ce
qui lui allait fort bien. Peut-être se demandait-elle si le
frère de Colette était célibataire...
« Excusez-moi, dit-elle, je dois continuer mon
travail. »
Maximilien la suivit des yeux jusqu'au rayon de
soleil qui illumina soudain sa chevelure. Florence
l'entendit murmurer :
« Une infirmière... Et jolie, par-dessus le marché...»
Les deux amies échangèrent un coup d'œil
complice. Maximilien était sur la voie de la guérison.

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Biographie

Née en 1897 à Paris, Suzanne Pairault est la fille du peintre Jean Rémond (mort en
1913). Elle obtient une licence de Lettres à la Sorbonne et part étudier la sociologie
en Angleterre pendant deux ans. Vers la fin de la Première Guerre mondiale, elle sert un
temps comme infirmière de la Croix-Rouge dans un hôpital anglais. Elle effectue de
nombreux voyages à l’étranger (Amérique du Sud, Proche-Orient). Mariée en 1929, elle
devient veuve en 1934. Durant la Deuxième Guerre mondiale, elle entre dans la résistance et
obtient la Croix de guerre 1939-1945.
Elle publie d’abord des livres pour adultes et traduit des œuvres anglaises en français.
À partir de 1950, elle publie des romans pour la jeunesse tout en continuant son travail de
traducteur.
Elle est surtout connue pour avoir écrit les séries Jeunes Filles en blanc, des histoires
d'infirmières destinées aux adolescentes, et Domino, qui raconte les aventures d'un garçon de
douze ans. Les deux séries ont paru aux éditions Hachette respectivement dans la
collection Bibliothèque verte et Bibliothèque rose. « Près de deux millions d’exemplaires de
la série Jeunes filles en blanc ont été vendus à ce jour dans le monde. »
Elle reçoit le Prix de la Joie en 1958 pour Le Rallye de Véronique. Beaucoup de ses
œuvres ont été régulièrement rééditées et ont été traduites à l’étranger. Suzanne Pairault
décède en juillet 1985.

Bibliographie
Liste non exhaustive. La première date est celle de la première édition française.

Romans
1931 : La Traversée du boulevard (sous le nom de Suzanne Rémond). Éd. Plon.
1947 : Le Sang de bou-okba - Éd. Les deux sirènes.
1951 : Le Livre du zoo - Éd. de Varenne. Réédition en 1951 (Larousse).
1954 : Mon ami Rocco - Illustrations de Pierre Leroy. Collection Bibliothèque rose illustrée.
1960 : Vellana, Jeune Gauloise - Illustrations d’Albert Chazelle. Collection Idéal-
Bibliothèque no 196.

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1963 : Un ami imprévu - Illustrations d’Albert Chazelle. Collection Idéal-
Bibliothèque no 255.
1964 : Liselotte et le secret de l'armoire - Illustrations de Jacques Poirier. Collection Idéal-
Bibliothèque.
1965 : La Course au brigand - Illustrations de Bernard Ducourant. Éd. Hachette, Collection
Nouvelle Bibliothèque rose no 195.
1965 : Arthur et l'enchanteur Merlin - Éd. Hachette, Collection Idéal-Bibliothèque no 278.
Illustrations de J.-P. Ariel.
1972 : Les Deux Ennemis - Éd. OCDL. Couverture de Jean-Jacques Vayssières.

Série Jeunes Filles en blanc


Article détaillé : Jeunes Filles en blanc.
Cette série de vingt-trois romans est parue en France aux éditions Hachette dans la
collection Bibliothèque verte. L'illustrateur en titre est Philippe Daure.
1968 : Catherine infirmière (no 367)
1969 : La Revanche de Marianne (réédition en 1978 et 1983)
1970 : Infirmière à bord (réédition en 1982, 1987)
1971 : Mission vers l´inconnu (réédition en 1984)
1973 : L'Inconnu du Caire
1973 : Le Secret de l'ambulance (réédition en 1983, 1990)
1973 : Sylvie et l'homme de l'ombre
1974 : Le lit n°13
1974 : Dora garde un secret (réédition en 1983 et 1986)
1975 : Le Malade autoritaire (réédition en 1984)
1976 : Le Poids d'un secret (réédition en 1984)
1976 : Salle des urgences (réédition en 1984)
1977 : La Fille d'un grand patron (réédition en 1983, 1988)
1978 : L'Infirmière mène l’enquête (réédition en 1984)
1979 : Intrigues dans la brousse (réédition en 1986)
1979 : La Promesse de Francine (réédition en 1983)
1980 : Le Fantôme de Ligeac (réédition en 1988)
1981 : Florence fait un diagnostic (réédition en 1993)
1981 : Florence et l'étrange épidémie
1982 : Florence et l'infirmière sans passé (réédition en 1988, 1990)
1983 : Florence s'en va et revient (réédition en 1983, 1989, 1992)
1984 : Florence et les frères ennemis
1985 : La Grande Épreuve de Florence (réédition en 1992)

Série Domino
Cette série a été éditée (et rééditée) en France aux éditions Hachette dans la collection
Nouvelle Bibliothèque rose puis Bibliothèque rose.
1968 : Domino et les quatre éléphants - (no 273). Illustrations de Jacques Poirier.
1968 : Domino et le grand signal - (no 275). Illustrations de Jacques Poirier.
1968 : Domino marque un but - (no 282). Illustrations de Jacques Poirier.
1970 : Domino journaliste - (no 360). Illustrations de Jacques Pecnard.
1971 : La Double Enquête de Domino - Illustrations de Jacques Pecnard.
1972 : Domino au bal des voleurs - Illustrations de Jacques Pecnard.
1974 : Un mustang pour Domino - Illustrations de Jacques Pecnard.
1973 : Domino photographe - Illustrations de Jacques Pecnard.

167
1975 : Domino sur la piste - Illustrations de François Batet.
1976 : Domino, l’Étoile et les Rubis - Illustrations de François Batet.
1977 : Domino fait coup double - Illustrations de François Batet.
1977 : La Grande Croisière de Domino - Illustrations de François Batet.
1978 : Domino et le Japonais - Illustrations de François Batet.
1979 : Domino dans le souterrain - Illustrations de François Batet.
1980 : Domino et son double - Illustrations de Agnès Molnar.

Série Lassie
1956 : Lassie et Joe - Illustrations d’Albert Chazelle. Éd. Hachette, Collection Idéal-
Bibliothèque n°101.
1958 : Lassie et Priscilla - no 160. Illustrations d'Albert Chazelle. Éd. Hachette, Coll. Idéal-
Bibliothèque - Réédition en 1978 (Bibliothèque rose).
1958 : Lassie dans la vallée perdue - Adapté du roman de Doris Schroeder. Illustrations de
Françoise Boudignon - Éd. Hachette, Coll. Idéal-Bibliothèque - Réédition en 1974 (Idéal-
Bibliothèque).
1967 : Lassie donne l’alarme - Illustrations de Françoise Boudignon. Éd. Hachette,
Collection . Idéal-Bibliothèque . Réédition en 1979 (Idéal-Bibliothèque).
1971 : Lassie dans la tourmente - Adapté du roman de I. G. Edmonds. Illustrations de
Françoise Boudignon - Éd. Hachette, Coll. Idéal-Bibliothèque.
1972 : Lassie et les lingots d'or - Adapté du roman de Steve Frazee. Illustrations de Françoise
Boudignon. Éd. Hachette, Coll. Idéal-Bibliothèque.
1976 : La Récompense de Lassie - Adapté du roman de Dorothea J. Snow. Illustrations
d'Annie Beynel - Éd. Hachette, coll. Bibliothèque rose.
1977 : Lassie dans le désert. Illustrations d'Annie Beynel. Éditions Hachette,
Coll. Bibliothèque rose.
1978 : Lassie chez les bêtes sauvages - Adapté du roman de Steve Frazee. Illustrations de
Françoise Boudignon - Éd. Hachette, Coll. Idéal-Bibliothèque.

Série Véronique
1954 : La Fortune de Véronique - Illustrations de Jeanne Hives. Éd. Hachette, Coll. Idéal-
Bibliothèque
1955 : Véronique en famille - Illustrations d’Albert Chazelle. Éd. Hachette, Coll. . Idéal-
Bibliothèque
1957 : Le Rallye de Véronique - Illustrations d’Albert Chazelle - Éd. Hachette, Coll. . Idéal-
Bibliothèque no 128.
1961 : Véronique à Paris - Illustrations d’Albert Chazelle. Éd. Hachette, Coll. Idéal-
Bibliothèque no 205.
1967 : Véronique à la barre - Illustrations d'Albert Chazelle. Éd. Hachette, Coll. Idéal-
Bibliothèque no 377.

Série Robin des Bois ]


1953 : Robin des Bois - Illustrations de François Batet. Éd. Hachette, Coll. Idéal-
Bibliothèque no 43. Réédition en 1957 (coll. Idéal-Bibliothèque).
1958 : La Revanche de Robin des Bois - Illustrations de François Batet. Éd. Hachette,
Coll. Idéal-Bibliothèque no 154. Réédition en 1974 (coll. Idéal-Bibliothèque).

168
1962 : Robin des Bois et la Flèche verte - Illustrations de François Batet. Éd. Hachette,
Coll. Idéal-Bibliothèque no 234. Réédition en 1974 (coll. Idéal-Bibliothèque).

Série Sissi
1962 : Sissi et le fugitif - Éd. Hachette, Coll. Idéal-Bibliothèque no 226. Réédition en 1983,
illustrations de Paul Durand.
1965 : Sissi petite reine - no 284. Éd. Hachette, Coll. Idéal-Bibliothèque. Réédition en 1976 et
1980 (Idéal-Bibliothèque, illustrations de Jacques Fromont (1980)).

En tant que traducteur


Liste non exhaustive. La première date est celle de la première édition française.

Série Docteur Dolittle


1967 : L’Extravagant Docteur Dolittle, de Hugh Lofting. Illustrations originales de l'auteur.
Éd. Hachette, Coll. Idéal-Bibliothèque.
1968 : Les Voyages du Docteur Dolittle, de Hugh Lofting. Illustrations originales de l'auteur.
Éd. Hachette, Coll. Idéal-Bibliothèque no 339.
1968 : Le Docteur Dolittle chez les Peaux-rouges, de Hugh Lofting. Illustrations originales de
l'auteur. Éd. Hachette, Coll. Idéal-Bibliothèque.

Série Ji, Ja, Jo


Série sur le monde équestre écrite par Pat Smythe et parue en France aux Éditions Hachette
dans la collection Bibliothèque verte.
1966 : Ji, Ja, Jo et leurs chevaux - Illustrations de François Batet.
1967 : Le Rallye des trois amis - Illustrations de François Batet.
1968 : La Grande randonnée - no 356 - Illustrations de François Batet.
1969 : Le Grand Prix du Poney Club - Illustrations de François Batet.
1970 : À cheval sur la frontière - Illustrations de François Batet.
1970 : Rendez-vous aux jeux olympiques - Illustrations de François Batet.

Série Les Joyeux Jolivet


Série écrite par Jerry West et parue en France aux éditions Hachette dans la collection
Nouvelle Bibliothèque rose.
1966 : Les Jolivet à la grande hutte - Illustrations de Maurice Paulin - Éd. Hachette, Coll.
Nouvelle Bibliothèque rose no 218.
1966 : Les Jolivet font du cinéma - Illustrations de Maurice Paulin - Éd. Hachette, Coll.
Bibliothèque rose no 226 (réédition en 1976, coll. Bibliothèque rose).
1966 : Les Jolivet au fil de l'eau - Illustrations de Maurice Paulin - Éd. Hachette, Coll.
Nouvelle Bibliothèque rose no 220.
1967 : Les Jolivet font du camping - Illustrations de Maurice Paulin - Éd. Hachette, Coll.
Nouvelle Bibliothèque rose no 242.
1967 : Le Trésor des pirates - no 259 - Illustrations de Maurice Paulin.
1968 : L’Énigme de la petite sirène - no 284 - Illustrations de Maurice Paulin.
1968 : Alerte au Cap Canaveral - no 272 - Illustrations de Maurice Paulin.
1969 : Les Jolivet au cirque - no 320 - Illustrations de Maurice Paulin.
1969 : Le Secret de l'île Capitola - no 304 - Illustrations de Maurice Paulin.
1970 : Les Jolivet et l'or des pionniers - no 340 - Illustrations de Maurice Paulin.
1970 : Les Jolivet montent à cheval - no 347 - Illustrations de Maurice Paulin.

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Série Une enquête des sœurs Parker
Série écrite par l'Américaine Caroline Quine, éditée en France aux éditions Hachette dans la
collection Bibliothèque verte. Rééditions jusqu'en 1987.
1966 : Le Gros Lot.
1966 : Les Sœurs Parker trouvent une piste.
1967 : L'Orchidée noire.
1968 : La Villa du sommeil.
1969 : Les Disparus de Fort-Cherokee.
1969 : L'Inconnu du carrefour.
1969 : Un portrait dans le sable.
1969 : Le Secret de la chambre close.
1970 : Le Dauphin d'argent.
1971 : La Sorcière du lac perdu.
1972 : L'Affaire du pavillon bleu,
1972 : Les Patineurs de la nuit.

Série Un cochon d'Inde


1965 : Un cochon d'Inde nommé Jean-Jacques, de Paul Gallico. Illustrations de Jeanne Hives.
Éd. Hachette, Coll. Nouvelle Bibliothèque rose (Mini rose).
1966 : Qui a volé mon cochon d'Inde ?, de Paul Gallico. Illustrations de Jeanne Hives. Éd.
Hachette, Coll. Nouvelle Bibliothèque Rose (Mini rose) no 219.
1968 : Le Tour du monde d'un cochon d'Inde, de Paul Gallico. Illustrations de Jeanne Hives.
Éd. Hachette, Coll. Nouvelle Bibliothèque rose (Mini rose) no 268.

Série Une toute petite fille ]


1955 : L'Histoire d'une toute petite fille, de Joyce Lankester Brisley. Illustrations de Simone
Baudoin. Réédition en 1959 (Nouvelle Bibliothèque Rose no 29) et 1975 (Bibliothèque Rose,
illustré par Pierre Dessons).
1964 : Les Bonnes idées d'une toute petite fille, de Joyce Lankester Brisley. Éd. Hachette,
Bibliothèque rose no 166. Réédition en 1979 (Bibliothèque rose, Illustré par Jacques
Fromont) et 1989 (Bibliothèque rose, Illustré par Pierre Dessons).
1968 : Les Découvertes d'une toute petite fille, de Joyce Lankester Brisley. Illustrations de
Jeanne Hives. Éd. Hachette, Nouvelle Bibliothèque Rose (mini rose) no 298. Réédition en
1975 et 1989 (Bibliothèque Rose, Illustré par Pierre Dessons).

Romans hors séries


1949 : Dragonwyck d’Anya Seton. Éd. Hachette, Coll. Toison d'or. Réédition en 1980 (Éd.
Jean-Goujon).
1951 : La Hutte de saule, de Pamela Frankau. Éd. Hachette.
1953 : Le Voyageur matinal, de James Hilton. Éd. Hachette, Coll. Grands Romans Étrangers.
1949 : Le Miracle de la 34e rue, de Valentine Davies. Éd. Hachette - Réédition en 1953 (ed.
Hachette, coll. Idéal-Bibliothèque, ill. par Albert Chazelle).
1964 : Anne et le bonheur, de L. M. Montgomery. Illustrations de Jacques Fromont. Éd.
Hachette, Coll. Bibliothèque verte.
1967 : Cendrillon, de Walt Disney, d'après le conte de Charles Perrault. Éd. Hachette,
collection Bibliothèque rose. Réédition en 1978 (ed. Hachette, Coll. Vermeille).
1970 : Les Aventures de Peter Pan, de James Matthew Barrie. Éd. Hachette,
Coll. Bibliothèque rose. Réédition en 1977 (Hachette, Coll. Vermeille).

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1973 : Blanche-Neige et les Sept Nains, de Walt Disney, d’après Grimm. Éd. Hachette, Coll.
Vermeille.
1967 : La Fiancée de la forêt, de Robert Nathan - Illustrations de François Batet. Éd.
Hachette.
1965 : Le Chien du shérif, de Zachary Ball - Illustrations de François Batet. Éd. Hachette,
Coll. Idéal-Bibliothèque n°283.
1939 : Moi, Claude, empereur : autobiographie de Tibère Claude, empereur des Romains -
Robert Graves, Plon. Réédition en 1978 (Éditions Gallimard) et 2007 (Éditions Gallimard,
D.L.).

Prix et Distinctions
Croix de guerre 1939-1945.
Prix de la Joie en 1958 décerné par l'Allemagne pour Le Rallye de Véronique.

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