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Conférence n°1

REGARDS SUR LES ENFANTS DE 6-12 ANS

Partons pour une visite panoramique de cette période de libre expression de la curiosité, de la joie d’apprendre, de
vie. La considération de ces paysages, riches en sentiers, partager ses découvertes.
en reliefs, en grottes, en sources cachées peut nous
convoquer en tant que parent, éducateur, pédagogue. La vie émotionnelle
L’enfant en nous viendra peut-être tendre l’oreille ou Les besoins psychoaffectifs de l’enfant restent importants.
participer au dialogue. Les adultes doivent rester vigilants. Etre porté, contenu
Une dynamique complexe par des adultes, psychiquement et affectivement, est
déterminant pour se construire. Etre suffisamment
L’observation des situations vécues, l’attention impliquée et regardé, écouté, compris, respecté dans sa dignité
soutenue de l’adulte envers l’enfant orientent la relation et humaine, ses rythmes et goûts, être valorisé, encouragé,
l’action de l’éducateur, du pédagogue. Elles offrent les protégé donne la force d’investir le monde. Cela peut
indices nécessaires pour respecter la singularité de l’être, entrer en contradiction avec le désir de gagner en
de la situation. En même temps, construire une autonomie, en liberté ou de s’affirmer. Ces besoins
compréhension plus globale de ce qui se joue à ces âges peuvent alors changer d’expression, sont plus secrets ou
objective nos perceptions, idées, croyances. codés. Ils nécessitent que les adultes adaptent leurs
réponses psychopédagogiques ou éducatives.
Mieux comprendre les besoins de l’enfant permet à
l’éducateur, au pédagogue d’accompagner plus justement Cette période est nommée par les psychologues période
cette entrée dans une autre dimension, symbolisée, de latence :
ritualisée par l’entrée en CP. Ces années permettent
d’accompagner la construction d’un Sujet, ses identités, «Période infantile durant laquelle la pulsion sexuelle est
d’organiser et d’orienter ses forces, d’engranger de moins importante.[…]En rencontrant les premiers interdits
nouvelles compétences pour accéder, au seuil de moraux, l’enfant commence à maîtriser sa sexualité, lui
l’adolescence, au collège. donnant des limites. La pulsion “remonte” alors et permet
à l’enfant de développer un intérêt pour les aspects
Représentons-nous le développement de l’enfant comme intellectuels de son environnement. * Elle est pourtant
une dynamique complexe, globale, ni linéaire, ni morcelée. bouleversante.
En alternance avec des périodes d’intégration des acquis,
des « poussées de sève » irriguent l’enfant d’énergies, Comme pour chaque être humain tout au long de la vie, la
parfois puissantes qu’il va lui falloir organiser, assimiler Sécurité Intérieure, la Confiance en Soi et en l’Autre,
progressivement. Chaque période l’ouvre à des l’Estime de Soi sont des élaborations fondamentales.
expériences multiples, nouvelles. Des besoins émergent, Fragiles, elles auront fait plus ou moins l’objet de
simultanés et parfois contradictoires. Ils peuvent entrainer blessures au cours des expériences de la petite enfance.
des conflits internes (cognitifs, de loyautés, d’appartenan- Ces piliers du « bien-être » sont plus rapides à
ces). Cela nécessitera de négocier avec l’autre et en Soi déstabiliser qu’à construire et restent vulnérables. Elles
pour rétablir l’équilibre. demandent de l’attention de la part de l’adulte qui peut en
favoriser la construction, la restauration. Mais veiller à ne
Gardons à l’esprit que chaque enfant arrive à ce stade avec pas les blesser est primordial.
une construction interne variable, difficile à identifier avec
précision pour l’éducateur ou le pédagogue. Sortir de la Jeanne (7ans) doit rentrer déjeuner seule chez elle. Elle
petite enfance ne garantit en aucune manière d’avoir réussi se montre fière, traite Julie de bébé parce que sa mère
à construire pleinement et à stabiliser les acquis de ces vient la chercher. Pendant la matinée, elle vérifie 5/6 fois
premières années. (Individuation, socialisation, sublimation si elle a ses clefs, regarde l’heure sans cesse. L’après
des pulsions agressives par l’accès aux symboles, midi, elle est tendue et arrive avec 20’ d’avance. Peu à
imaginaire et langage, maîtrise psychomotrice…) Chacun peu elle arrive chaque midi à temps. A l’occasion d’un
arrive à 6 ans avec ses points forts et ses points faibles, ses atelier, elle « avoue » qu’elle a peur de la Dame blanche,
modes et ses rythmes propres. Les écarts entre enfants chaque jour, quand elle est chez elle. Elle sort 30’ avant
sont parfois saisissants et peuvent durer au fil des ans. Au l’heure de l’école. Elle refuse d’en parler à ses parents.
CP, l’enfant se fait grand et reste petit. C’est un « grand Adrien (9ans) est un enfant au visage jovial et ouvert. Il a
petit ». un regard intelligent et une bonne répartie. Pourtant ses
Prendre sa place dans le collectif et explorer ensemble le résultats scolaires sont faibles. Ses comportements
monde est un défi de cette phase de vie. Il passe par la provocateurs en classe sont repris sans cesse par
création de liens avec le même que soi – le pair - et l’instituteur. Il brave l’adulte et prétend que les punitions
l’ouverture à l’autre que Soi – l’étranger. Cette voie fonde la l’indiffèrent. Dans un échange informel avec des copains,
après une punition sévère et la convocation de sa mère, il

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prétend se sentir « nul », que ce qu’il fait est « nul » et il dit d’expression et d’autonomie fondent son rapport au
ne pas aimer ses parents …qui sont « nuls ». monde. Cette empreinte est probablement indélébile, elle
se confronte pourtant à d’autres modes relationnels ou
Les enfants de 6-12 ans recherchent souvent une relation d’autres comportements.
individualisée, suffisamment continue avec un adulte
référent. Le besoin de proximité /distance varie mais un lien Cela nécessite de plus ou moins grandes adaptations de
personnalisé demeure un fondement de la sécurité l’enfant pour entrer en relation.
nécessaire pour grandir et apprendre dans suffisamment de
tranquillité. La relation passe de moins en moins par le Emmanuel (8ans) vient d’une famille où « on parle ». Il
contact physique : regard, écoute, parole, qualité de prend part aux temps de parole en classe et exprime des
présence psychique et bienveillance, même dans le silence, idées personnelles. Quand Yanis le bouscule, à plusieurs
deviennent les canaux essentiels. reprises, il semble démuni. Lui demander de s’arrêter
reste sans effet. Il supportera les bousculades longtemps
Si l’instituteur (trice) s’adresse à un groupe d’enfant, avant de le repousser vivement et faire comprendre à
chaque situation attestant auprès de l’enfant qu’il est l’autre, avec le langage corporel, que cela suffit.
regardé avec attention est précieuse. S’il se sent
suffisamment compris, connu, le sentiment d’avoir de la Yanis parle fort, sait se battre, protège ses biens. Mais
valeur - l’estime de Soi - se renforce. A l’inverse, autour des livres, il s’ennuie. Lors des discussions, il ne
verbalisations disqualifiantes sur l’enfant ou sa famille, cris trouve pas sa place. Il ne sait pas reconnaître ses
fréquents, exclusions à répétition, exaspérations non émotions, nie sa peur même quand elle est manifeste
dissimulées ou punitions injustes blessent l’enfant et face à des images impressionnantes. Il dit vouloir se
l’amènent parfois à désinvestir la relation et à sortir de la montrer fort, comme son père qui n’hésite pas à le frapper
zone d’influence de l’enseignant. Elles peuvent toucher et quand il le déçoit. En classe et dans la relation à
blesser aussi d’autres enfants du groupe qui s’identifient à Emmanuel qu’il juge, étonnamment, fort du fait de son
leur pair. Elles créent enfin un climat de tensions – parfois calme, il va développer une expression plus sensible.
de terreur - défavorable aux apprentissages. L’expérience en collectivité (crèche, école maternelle,
L’apprentissage progressif de la régulation de sa vie centre de loisirs) a été importante. Dans une journée, elle
émotionnelle est important pour l’enfant de 6-12ans. Il a pu occuper la plus grande partie du temps éveillé de
participe à la sécurité et à la tranquillité intérieure dont l’enfant. Ce sont aussi des lieux où vivre ensemble
l’enfant a besoin pour s’investir dans les apprentissages s’apprend. Les expériences scolaires (classe, récréations,
scolaires. Faire face à des situations non maîtrisées voire cantine) restent des expériences fortes dont les codes
des situations d’échecs répétés ou encore à des impriment les comportements de l’enfant. Les normes
incompréhensions ou des injustices rend vulnérable. Une entre enfants (vestimentaires par exemple) ou dans la
vie émotionnelle très troublée – même si elle est occultée – classe avec les adultes référents deviennent de nouveaux
rend difficile d’apprendre, de se concentrer, de rester assis repères. Ces nouvelles références verbales
ou silencieux. comportementales, entrent parfois en contradiction avec
les références familiales.
L’alternance absence/présence de l’adulte dans leur
espace personnel leur laisse l’opportunité de découvrir leurs Dans sa classe de CM1, l’institutrice demande à Aurélien
valeurs, d’expérimenter leur référence interne. Pourtant, de veiller à ce que personne ne s’agite durant son
quand celle-ci est trop peu stabilisée, trop influençable, absence ou à le lui dire à son retour. Les enfants de la
quand elle est trop éloignée de la référence collective ou classe sont partagés. Selon leur relation avec Aurélien ils
encore quand ce qui est agi dans le groupe leur nuit, les le protègent en se tenant tranquilles ou s’agitent d’autant
fait souffrir, le recours à un adulte médiateur est nécessaire. plus. Aurélien ne sait plus quoi faire quand la maîtresse
revient. Comment répondre à sa demande sans trahir ses
Investie avec adresse et pertinence, cette fonction est copains ? Il dénonce un enfant bruyant, pensant que
essentielle. Elle accompagne l’apprentissage de l’expres- l’institutrice a dû l’entendre. Cet enfant sera puni. Aurélien
sion du vécu personnel simultanément à l’apprentissage se sent très mal à l’aise dans cette situation. Il rentrera
d’une description plus objective de situations et de faits. chez lui honteux, le cœur gros et aura besoin d’en parler
Elle permet la résolution par la parole de situations qui avec ses parents pour qui la délation est inacceptable. Il
auraient dégénéré jusqu’à la violence verbale ou physique. refusera que ces derniers en parlent avec la maîtresse.
Elle offre aux enfants un modèle de résolution non-violente
des conflits, les éduquant à une manière d’être ensemble Des CM2 s’installent à table, chacun se sert, laisse ce
dans la difficulté. Le médiateur recherche l’équilibre entre qu’il veut dans son assiette. La nourriture sera jetée.
prendre au sérieux et dédramatiser et recherche une Déresponsabilisés, les enfants développent une forme
résolution qui respecte chacun de manière juste. d’indifférence à la situation comme aux personnels de la
cantine. Certains sont gênés par les attitudes de leurs
Un besoin de reconnaissance copains trop différentes de celles agies chez eux.
Pourtant, ils seront surpris à les agir aussi, à l’école ou
Inclure son Je dans un grand Nous convoque à la fois le chez eux ; les exorcisant ou testant leur effet.
besoin de reconnaissance de sa spécificité – personnalité,
d’identité sexuelle, sociale, culturelle : ce qui rend unique Entre pairs, s’affirmer, résister aux pressions tout en
aux yeux de l’autre – et le besoin de reconnaissance de son s’intégrant à un groupe, se distinguer tout en aimant
appartenance à des « communautés » familiales, de pairs, ressembler aux autres, se protéger tout en restant
de quartier… ouvert à l’autre, sont des apprentissages encore en cours
d’élaboration et suscitent des émotions fortes que l’enfant
L’expérience familiale est bien sûr fondatrice. Elle est la rapporte en classe. Apprendre à exprimer ses goûts,
référence première. Plus que la quantité, la qualité de désirs, sentiments (sa colère et en deçà sa tristesse) ou
présence des parents, des grands-parents, de la fratrie, ses pensées de manière compréhensible et acceptable
l’espace personnel dont dispose l’enfant, ses champs est très humanisant et socialisant mais difficile sans tiers
médiateurs.

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L’être humain se construit par imitation et modélisation des «Ton copain ne s’est peut-être pas rendu compte de la
figures parentales comme de tout « éducateur » avec qui peine qu’il t’a fait. » « La punition est injuste. Peut-être
une relation approfondie est créée. Les instituteur(trice)s, que l’institutrice n’a pas pu éclaircir qui a fait quoi et l’a
animateur(trice)s doivent avoir conscience de cette donné par souci d’équité ».
dimension éducative et de l’importance de leur modèle
(quoiqu’inévitablement imparfait). L’enfant se réfère aussi à Les paroles bienveillantes concernant quelqu’un
des héros de fiction rencontrés dans les livres ou sur les d’important pour l’enfant - parent, enseignant copains -
écrans et enfin aux pairs avec qui il crée des liens sont (re)qualifiantes et constructives. A l’inverse, des
privilégiés. Ces différents ancrages créent parfois des paroles disqualifiantes, même fondées, blessent. Un
tensions. document non rendu par un parent, l’absence à un
rendez-vous est rarement signe de désintérêt de l’adulte
Jeanne (6ans) a une petite sœur de 2 ans. A l’école, elle pour l’enfant. C’est plus souvent le fait d’une inquiétude,
est vive, pleine d’initiatives. Assurée, elle aime organiser les d’une difficulté face à l’autre, d’être dépassé par
jeux, déterminer la place de chacun, contrôler son petit l’ensemble de ses charges.
monde comme une Reine. Pourtant, elle s’effondre quand
les enfants de sa classe refusent de se soumettre à son jeu. Seule une estime de soi suffisamment bonne permet de
Elle se retrouve seule et passe de la colère aux pleurs. faire face à une figure d’autorité (l’instituteur pour le
parent, le parent pour l’instituteur) surtout si c’est pour
John (9ans) observe les autres depuis plusieurs récréations entendre que la conduite inadaptée de l’enfant peut être
assis en silence sur un banc. Il refuse les invitations à jouer. en lien avec ses propres attitudes. C’est d’autant plus vrai
Il se promène les mains dans les poches, s’approche, quand la relation de confiance est fragile entre les
regarde, recule jusqu’au jour où Thomas sort ses cartes et adultes.
lui raconte leurs « valeurs » sans attendre de réponse de sa
part. Il écoute patiemment. Deux jours plus tard, il arrive Un besoin de liberté dans le cadre
avec des cartes en poche et se dirige vers Thomas. Pour l’enfant, s’intégrer dans un collectif nécessite
Zélie, Maeva et Eva (12ans) sont trois copines qui d’entrer dans un cadre. Respecter règles et limites fait
s’accordent sur tout et en particulier sur les couleurs des partie des apprentissages de cette période de vie. Cela
robes et des chaussures. Aujourd’hui, Zélie et Maeva vont implique d’accepter des contraintes, de supporter les
main dans la main en chantant et en riant laissant Eva frustrations : attendre son tour pour parler, partager les
démunie dans la cour. Et même si hier, c’était Eva qui espaces et le temps, ne pas être au centre des
menait le jeu et que demain ce sera Zélie qui sera écartée – préoccupations de l’adulte référent, ne pas être choisi
avant d’être réélue – pour Eva, c’est la fin du monde. pour commencer l’atelier désiré…

Ces différentes appartenances sont importantes pour Ces apprentissages ont été faits– ou devraient l’être –
l’enfant et peuvent le mettre en situation de conflit de depuis la toute petite enfance. Nous savons bien qu’ils
loyauté. Un enfant peut être mû à la fois par un désir continuent à se mettre en place à ces âges (et parfois
d’apprendre et de découvrir associé au désir d’être reconnu bien plus tard…). Il arrive même que certains enfants de
par le maître et par celui d’être loyal envers ses copains 12 ans se conduisent comme des tous petits de ce point
quand ils font du chahut. Un enfant peut se laisser de vue. Etre en difficulté dans le rapport au cadre est
entraîner dans un jeu violent ou dangereux parce qu’il ne souvent associé à une insécurité, compensée par des
sait pas ou ne peut pas dire non à ses pairs. Un enfant peut comportements provocateurs, perturbants, pour attirer
adorer l’excitation qu’il ressent en faisant sauter des pétards l’attention et se retrouver au centre des échanges entre
avec ses copains et ne pas vouloir décevoir ses parents qui adultes.
le lui ont interdit. Un enfant peut refuser que son parent Comprendre que ne pas respecter les demandes et les
désigne un oubli ou une erreur de la maîtresse. règles signifie – encore à ces âges – un besoin d’être
Matteo (10 ans) a été puni injustement avec deux copains. reconnu dans une relation personnalisée est une clef.
Il n’a pas pu s’expliquer. Il souffre de cette accusation Une considération suffisante permet, à la plupart des
injuste et voudrait que le Maître rectifie l’idée qu’il a de lui. enfants, de supporter les frustrations en s’appuyant sur
En même temps il refuse de se désolidariser de ses cet acquis ou sur cette promesse. Créer des occasions
copains en allant plaider sa cause personnelle. Il consentira qui le permettent réduit le risque d’ingérence sauvage, de
à faire la punition sévère énoncée, avec ses copains, rapt d’attention.
digèrera l’injustice au nom de cette solidarité, plus Cinq minutes d’écoute, de disponibilité et d’attention
importante encore à ses yeux. Il refusera toute médiation de envers un enfant protège plus une ambiance de travail
la part de ses parents ou de son institutrice. que des interruptions à répétition prenant du temps et de
Développer la capacité à hiérarchiser ces différentes l’énergie. Passer 15 minutes avec son enfant au moment
priorités et à négocier intérieurement entre elles, en du coucher, certains soirs, parler d’une expérience
apprenant à s’adapter aux différents contextes qui importante de la journée, lire un livre ou écouter une
permettront de réguler ces pressions multiples. C’est la musique ensemble est plus fructueux que les
découverte de ses valeurs qui oriente l’enfant. confrontations chronophages ritualisées, épuisantes.
Mais, il s’agit aussi pour l’enfant de tester son espace de
L’adulte doit garder à l’esprit que l’enfant a besoin de rester liberté et de pouvoir nouvellement acquis. Les limites
en loyauté avec d’autres que lui et ne pas augmenter la réelles s’intègrent après avoir été touchées du doigt.
pression. Il peut accompagner l’enfant en faisant ressortir
l’intention positive de celui ou celle qui l’a peiné pour laisser Cela répond au besoin d’expérimenter son autonomie, en
une ouverture à l’échange. continuant de se sentir protégé et contenu. Les règles
doivent veiller à la sécurité, à maintenir de suffisamment
bonnes conditions de vie collective ou d’apprentissage en

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classe. Elles doivent être claires, cohérentes entre elles, Avoir droit à l’erreur enseigne beaucoup quand on la
avoir du sens pour l’enfant et indiquer ce que l’on gagne à comprend. Tâtonner, répéter pour intégrer aussi. Maîtriser
les respecter. La sanction peut être un recours en cas de une situation jusqu’alors perçue comme difficile est
non respect des règles, après les avoir énoncées en structurant. Respecter les rythmes de l’enfant – autant
amont, les avoir pensées constructives, réparatrices et non que possible, dans sa vie quotidienne comme dans son
humiliantes, les avoir suffisamment graduées pour travail est favorable à la construction d’un Sujet.
correspondre à différents niveaux de méfaits et les mettre
en œuvre véritablement. Sans quoi, l’effet dissuasif Pour Jérôme, réaliser la même quantité de devoirs
s’effondre. prenait 45’ le soir et 25’ le matin. Lire 4 pages le matin lui
était difficile. Juste avant d’aller se coucher il lisait
Dès la première semaine de septembre, Kevin (6 ans) doit volontiers 30/40’, allant au-delà de la demande de
dessiner les règles de vie en classe. Il reste perplexe. l’institutrice, allant choisir ses livres à la bibliothèque. Il
Comment dessiner : NE PAS TAPER ? Il choisit de dessiner avait, pour cela, négocié d’éteindre la lumière 15’ plus
TAPER. Il se régale, commente allègrement la scène puis tard que l’heure en vigueur dans sa famille.
fait une grande croix sur le dessin en disant : On peut tirer
les cheveux alors ! Il recommence : NE PAS CASSER LE Avoir des espaces d’initiative et de créativité au sein de la
MATERIEL ! classe – souvent mis en œuvre en maternelle – est
précieux mais s’accompagne. Dix minutes de
Les règles les plus pertinentes cherchent à identifier les présentation d’un objet, d’un animal, d’un film peut être
comportements socialement valorisés et attendus autant une expérience riche. La préparation d’un exposé à
que ce qu’il ne faut pas faire. plusieurs, avec l’adulte en médiation peut être une joie
quand le sujet est choisi et fait sens, alors que cela peut
Ainsi « Au lieu de taper, nous allons apprendre à nous être morne quand des enfants sont livrés à eux-mêmes,
expliquer et à nous écouter quand on n’est pas d’accord » réglant les comptes vécus en récréation. Distinguer le
« Travailler dans le calme » est plus opérant que « Ne pas temps de la recherche et celui de la production en
bavarder pendant le travail » Pour les 6/7ans, respecter un apprenant à présenter son travail est aussi important.
sas d’apprentissage est judicieux : jusqu’à Noël, les règles
sont rappelées, en janvier les sanctions s’appliquent. Si les Max a vu un film à l’école. Il a besoin d’en parler et de le
comportements inadaptés sont repris voire sanctionnés, raconter. Il mobilise 20 minutes d’écoute. Les parents
pourquoi ne pas permettre à l’enfant de rétablir l’équilibre s’impatientent mais entrent peu à peu dans le récit, font
en adoptant des comportements désignés comme préciser, reformulent. Ils se mettent à raconter aussi
constructifs ? Construire les règles ensemble, débattre sur certains films qu’ils ont vus, en soulignant l’effet de
leurs effets protecteurs est un travail important s’il est synthèse possible, voire on se raconte le film vu
réalisé dans une écoute réelle et dans un climat de ensemble pour clarifier certains passages ou en rire.
confiance. Cela ne peut donc se faire avant le temps que le
groupe ne se construise. Les adultes sont souvent curieux de la vie de
l’enfant et souffrent d’entendre un laconique «C’était
Un besoin d’apprendre, pas de produire bien !» Mais quand lui ont-il laissé le temps qu’il lui
A l’école comme à la maison, le risque est grand d’ignorer faut - son temps - pour partager son vécu, sa
les nécessaires phases d’apprentissage : découverte, perception, ses idées ? Quand lui ont-ils raconté
expérimentation, maîtrise. Par manque de temps, sous la des expériences qu’ils ont vécues ? Peu à peu,
pression, l’adulte adresse à l’enfant la demande de savoir l’enfant formera son écoute, sa pensée, choisira ce
faire sans lui laisser le temps et la joie de la découverte, de qu’il veut dire à ses parents et ce qu’il raconte à ses
l’expérimentation qui précède la maîtrise. Ces deux phases copains et formera sa pensée, son expression.
demandent un accompagnement et implique soit la
présence de l’adulte soit la médiation d’un pair expert S’humaniser
comme tiers.
Etre accompagné est précieux pour l’enfant dans le
Parmi les tensions qui pèsent sur les enfants dans cette réaménagement de ses territoires intérieurs, dans
période de vie, les enjeux pour les adultes de la réussite ses repositionnements. Cela lui permet de le faire
scolaire peuvent contrecarrer le bonheur d’apprendre. Lire, de manière plus sensée, plus pacifiée. Comprendre
écrire, compter qui sont des trésors de l’Humanité.
Comment comprendre que libres d’accès, ils perdent leur
les besoins de l’enfant et faire évoluer son
valeur, leur saveur, alors que dans d’autres pays des accompagnement est aussi un apprentissage pour
enfants risquent leur vie sur des kilomètres de route pour l’adulte qui doit recomposer sa posture d’éducateur, de
aller à l’école ? pédagogue de manière à ce qu’elle soit « suffisamment
bonne » (Winnicott). C’est un chemin de relation,
Jérôme peine à lire. Faire les exercices lui pèse. Il se sent d’éducation et d’humanisation mutuelle ou l’être
pressé. Sa lenteur exaspère les adultes. Quand sa maman ensemble prime sur le faire ou l’avoir.
lui demande à quoi cela va lui servir de savoir lire. Il fait la
moue et répond « Je ne sais pas… A faire des dictées ? »
Alors qu’il rêve la nuit qu’il aura une ferme avec des
chevaux quand il sera grand, sa mère lui demande : « A Silvana Monello Houssin
quoi sert de savoir lire, écrire et compter pour s’occuper des
chevaux ? » Il réfléchit et répond : « A lire les étiquettes des
médicaments, à savoir comment s’appelle le cheval….» Il Psycho-pédagogue , formatrice et consultante
est intarissable. Il ne refuse plus les exercices. Deux en organisation dans le secteur de l’enfance
semaines plus tard, il sait lire.

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