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L’ETHIQUE DE LA POLITIQUE SPATIALE

Alain POMPIDOU
Coordonnateur du Groupe de travail
sur l’éthique de l’espace extra-atmosphérique
de la Commission mondiale d’éthique des connaissances
scientifiques et des technologies (COMEST) de l’UNESCO

Composition du Groupe de travail


Jean AUDOUZE
Ezio BUSSOLETTI
Carl Friedrich GETHMANN
André LEBEAU
Sir Geoffrey PATTIE
©UNESCO
PREFACE

Les progrès de la science et de la technologie nous confèrent aujourd’hui des


pouvoirs sans précédents, qui dépendent des finalités que nous poursuivons et de notre
conception du futur souhaitable. Somme toute, l’usage de ces pouvoirs dépend de la
maîtrise qu’ont les hommes de leur destin. C’est pourquoi le progrès scientifique soulève un
certain nombre d'inquiétudes. A qui incombe et sur la base de quel projet collectif, la
définition des priorités et des choix en matière de recherche scientifique et de
développement technologique ? Comment décider du moment précis auquel les risques
encourus ne sont plus socialement acceptables, d’autant que le niveau d’acceptabilité
sociale dépend largement de la perception culturelle d’une technologie ? Quel degré de
responsabilité et de solidarité vis-à-vis des générations présentes et futures sommes-nous
en droit d'attendre de l'individu et du groupe ?
Les réponses à ces questions dépassent de loin le cadre limité des déontologies
professionnelles et des frontières nationales. Dans un monde multipolaire caractérisé par un
éclatement sans précédent des points de vue, il est plus que jamais nécessaire de lutter
pour l'émergence de valeurs qui rendront notre coexistence technologiquement,
écologiquement et socialement acceptable.
L’exercice d’un esprit critique face aux errances de l'irrationnel comme aux pressions
du scientisme, l'avenir des sociétés et leur fonctionnement démocratique, sont étroitement
liés à leur capacité à développer, en leur sein, une véritable culture scientifique et technique
qui tienne compte des exigences éthiques. Le citoyen du vingt-et-unième siècle doit donc
pouvoir intervenir, en connaissance de cause, dans les choix stratégiques, écologiques et
technologiques fondés sur une réflexion éthique.
Ce sont de telles considérations qui ont incité les organes directeurs de l’UNESCO a
créer la Commission mondiale d’éthique des connaissances scientifiques et des
technologies (COMEST). Ce, d’autant que l'Acte constitutif de l'UNESCO, en affirmant dans
son préambule que la « paix doit être établie sur le fondement de la solidarité intellectuelle et
morale de l’humanité », assigne à l'Organisation un mandat éthique.
Le mouvement de « globalisation » doit s’accompagner d’une prise de conscience de
notre responsabilité collective, d’ordre éthique. Les critères de choix guidés par la seule
logique économique trouvent leur limite dans l’obligation de respecter de façon impérative
les droits et libertés de la personne et l’identité culturelle de chaque nation. La réalisation de
cette exigence est particulièrement sensible dans un domaine comme celui de l’utilisation
des technologies spatiales, en raison des asymétries qu’elle peut générer dans les relations
entre Etats, entre le secteur privé et la société.
Le 4 octobre 1957, le monde découvrait avec étonnement qu'une petite boule de
84 kg nommée Spoutnik tournait autour de la Terre en faisant bip-bip. L'ère spatiale
s’ouvrait.
Compte tenu de la multiplicité des implications sociales et morales des applications
qui peuvent être faites des résultats obtenus dans le domaine des technologies spatiales,
une collaboration fructueuse s’est instaurée entre l’Agence spatiale européenne (ESA), les
instances compétentes du système des Nations Unies, des représentants d’agences
spatiales nationales et du secteur industriel et l’UNESCO, afin d'éclairer un domaine à la fois
complexe et en expansion rapide.
ii

L’objectif commun de tous ceux qui ont contribué à la présente publication sur
« L’éthique de la politique spatiale » est d'éviter que des applications de la technologie
spatiale se fassent au détriment des générations à venir. En effet, nous ne pouvons plus
privilégier systématiquement nos intérêts immédiats au mépris des effets directs et indirects,
à moyen et à long terme, plus ou moins néfastes, que pourrait entraîner une telle conduite.
Je me dois ici de remercier le Groupe de travail de la COMEST, et en particulier le
Professeur Alain Pompidou, l’Agence spatiale européenne et tous les experts qui n’ont
ménagé ni leur temps ni leur énergie.
Le temps de l'avenir, sous réserve de précaution, est espace de liberté, pourvu que
nous fassions preuve d'anticipation et que nous n'hypothéquions pas le futur abusivement.
Temps long de l'avenir qui seul nous permet - quoique l'on dise de l'accélération du
changement - de construire un futur viable et durable pour les générations futures.
La Terre et l’Espace ne sont pas nôtres, ce sont des trésors réels et symboliques que
nous nous devons de préserver pour nos descendants.

Vigdís Finnbogadóttir

Reykjavik, 20 avril 2000


Tables des matières

Pages

INTRODUCTION ...................................................................................................................... 1

LE CONTEXTE DE LA COMEST ............................................................................................... 1

I. PREPARATION A LA REFLEXION SUR L’ETHIQUE


DE L’ESPACE EXTRA-ATMOSPHERIQUE ........................................................................ 6

II. L’ETHIQUE DE L’ESPACE EXTRA-ATMOSPHERIQUE ......................................................... 9


II.1. L’espace comme questionnement éthique ................................................................ 9
II.2. La vie dans l’espace ................................................................................................. 9
II.3. L’espace comme dimension ................................................................................... 12
II.4. L’espace comme outil ............................................................................................. 13
II.5. L’espace comme perception ................................................................................... 17

III. DISCUSSION ............................................................................................................. 18


III.1. De la bioéthique à l’éthique des technologies ......................................................... 18
III.2. L’espace, instrument de puissance ou de souveraineté .......................................... 19
III.3. Aspects particuliers des technologies duales ......................................................... 22
III.4. Une gestion durable de l’espace extra-atmosphérique ........................................... 23
III.5. Aspects particuliers liés à la gestion des crises ...................................................... 24
III.6. Equilibre entre protection collective (lutte contre la Mafia, terrorisme, pédophilie)
et protection individuelle (les libertés individuelles face
à la surveillance électronique) ................................................................................ 25
III.7. Nouvelles technologies de l’information et de la communication
et nouveau lien social ............................................................................................. 25
III.8. Pédagogie de la médiation ..................................................................................... 26

IV. RECOMMANDATIONS ................................................................................................. 27


IV.1.L’espace comme questionnement éthique ............................................................. 27
IV.2.L’espace comme dimension ................................................................................... 28
IV.3.L’espace comme outil ............................................................................................. 28
IV.4.L’espace comme perception ................................................................................... 30

CONCLUSION ....................................................................................................................... 32

BIBLIOGRAPHIE .................................................................................................................... 33

ABREVIATIONS ..................................................................................................................... 34

LEXIQUE .............................................................................................................................. 35
iv

DOCUMENTS COMPLEMENTAIRES ....................................................................................... 39

DOCUMENT COMPLEMENTAIRE I
Membres du Groupe de travail de la COMEST sur
« L’éthique de l’espace extra-atmosphérique » ..................................................... 41

DOCUMENT COMPLEMENTAIRE II
Contributions des membres du Groupe de travail sur
« L’éthique de l’espace extra-atmosphérique » ..................................................... 43
Le développement de la science et des technologies spatiales ................................. 45
L’utilisation des technologies spatiales ...................................................................... 49
L'homme dans l'espace ............................................................................................. 53
Le vol spatial habité, une mission culturelle ............................................................... 55
Espace et protection de l’environnement ................................................................... 65

DOCUMENT COMPLEMENTAIRE III


Rapports des réunions du Groupe de travail
sur « L’éthique de l’espace extra-atmosphérique »................................................... 69

DOCUMENT COMPLEMENTAIRE IV
Rapport final du Séminaire de Paris
sur « L'éthique de l’espace extra-atmosphérique »................................................... 87
DOCUMENT COMPLEMENTAIRE V
Compte-rendu synthétique du Séminaire de Paris
sur « L'éthique de l’espace extra-atmosphérique »................................................. 115

ANNEXES TECHNIQUES ..................................................................................................... 141


Annexe technique I - Les lanceurs : l’exemple d’Ariane
Annexe technique II - Les satellites d’observation de la Terre
Annexe technique III - Les satellites de communication
Annexe technique IV - La répartition du marché des équipements et des services
liés à la navigation par satellites
Annexe technique V - Les systèmes spatiaux d’observation de l’Univers
Annexe technique VI - Les vols habités
Annexe technique VII - Les stations spatiales
Annexe technique VIII - Les débris spatiaux
Annexe technique IX - Les budgets spatiaux
Annexe technique X - Présentation générale de l’ESA
Annexe technique XI - Les missions scientifiques et les programmes
à long terme de l’ESA
INTRODUCTION
LE CONTEXTE DE LA COMEST
Une prise de conscience accrue des implications humaines et sociales de la
recherche scientifique, de ses applications technologiques et de leur exploitation, a
donné naissance à un phénomène nouveau : le monde de la recherche scientifique
et technique considère désormais que la réflexion éthique fait partie intégrante du
développement de leur domaine. Jamais sans doute, le progrès scientifique et les
innovations technologiques n’ont modelé, autant qu’aujourd’hui, les modes de
productions économiques, les relations sociales et les styles de vie. Jamais peut-
être, le grand public n’a-t-il été aussi conscient des transformations de la vie
quotidienne induites par le progrès des connaissances et des techniques. Un
véritable « besoin d’éthique » s’est exprimé au sein des sociétés.
Fondée sur la réflexion éthique, cette démarche fait appel à un perpétuel
renouvellement, à une constante interrogation sur le fondement de nos actes. Tout
en l’englobant, la démarche éthique va au-delà de la définition d’une simple
déontologie, elle suppose que le débat soit porté sur la place publique avec la
participation éclairée des citoyens et celle des décideurs politiques. En cela, elle se
présente comme une exigence démocratique.
La réflexion éthique doit être abordée dans une logique « proactive ». Menée
sur le plan international, elle doit adopter une vision large et anticiper les problèmes,
en se fondant sur les grands systèmes de pensée et en s’assurant de la participation
de la communauté intellectuelle de toutes les régions du monde. La réflexion éthique
nécessite un échange d’idées et d’expériences, mené en toute liberté et
indépendance, entre spécialistes des diverses disciplines, responsables politiques et
acteurs de la société civile dans toute sa diversité. Elle doit fixer des repères,
dégager des perspectives, envisager des alternatives et proposer des options
novatrices adaptées en permanence aux avancées de la science et des techniques.
L’internationalisation et l’interpénétration des problèmes au niveau mondial
placent l’action des organisations internationales au centre de la construction de la
société de demain. Dans ce contexte et de par ses domaines de compétence,
l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO)
est l’Organisation de coopération intellectuelle, par excellence, qui se doit de
renforcer les droits et les libertés individuelles en s’appuyant sur les développements
des connaissances les plus actuelles et sur un état précis des pratiques propres aux
différents contextes socio-culturels qui fondent la spécificité de notre société
mondialisée.
D’ailleurs, l’Acte constitutif de l’UNESCO, en affirmant dans son Préambule
que la paix « doit être établie sur le fondement de la solidarité intellectuelle et morale
de l’humanité », assigne à l’Organisation un mandat éthique. Dès sa création,
l’UNESCO a pu être désignée comme « la conscience des Nations Unies ». Au seuil
du XXIème siècle, la mission qui incombe à l’UNESCO, dans un monde soumis à
des mutations fondamentales, apparaît tout aussi importante, sinon davantage,
qu’elle l’était lors de sa fondation, au lendemain de la Seconde guerre mondiale. Aux
termes mêmes de son Acte constitutif sa fonction essentielle demeure l’éthique,
puisque l’Organisation a pour objectif « de contribuer au maintien de la paix et de la
2

sécurité en resserrant, par l’éducation, la science et la culture, la collaboration entre


nations, afin d’assurer le respect universel de la justice, de la loi, des droits de
l’homme et des libertés fondamentales pour tous, sans distinction de race, de sexe,
de langue ou de religion, que la Charte des Nations Unies reconnaît à tous les
peuples ».
Dès 1993, la Conférence générale de l’UNESCO a observé que les
changements provoqués depuis un demi-siècle par les découvertes scientifiques
ainsi que le progrès des techniques suscitent des interrogations qui ouvrent des
perspectives nouvelles à la réflexion éthique. Il est à noter d’ailleurs que la
« Stratégie à moyen terme » de l’Organisation pour 1996-2001 souligne que « Face
aux bouleversements que connaissent les sociétés contemporaines et à leurs
difficultés à s’approprier de manière harmonieuse l’extraordinaire acquis du progrès
technologique, face aussi à l’affaiblissement des morales traditionnelles et au recul
du sens des solidarités, l’appel à l’éthique devient de plus en plus général ».
C’est ainsi que la Conférence générale de l’UNESCO, pour tenir compte de
l'importance croissante de la réflexion éthique au regard des répercussions
culturelles et sociales du développement accéléré des connaissances scientifiques et
techniques, condition du développement futur de l'humanité, lors de sa 29e session
(automne 1997), a formellement invité le Directeur général à promouvoir la réflexion
éthique, multidisciplinaire et pluriculturelle sur un certain nombre de situations
susceptibles de devenir un risque pour la société du fait des progrès de la science et
des techniques, en créant la Commission mondiale d’éthique des connaissances
scientifiques et des technologies (COMEST). Le Directeur général en a confié la
présidence à S. Exc. Mme Vigdís Finnbogadóttir, Présidente d’Islande de 1980 à
1996.
Aux termes de ses statuts, la COMEST est un organe de nature consultative,
composée de dix-huit membres, agissant à titre personnel et nommés par le
Directeur général. Les membres de la Commission sont choisis parmi d’éminentes
personnalités appartenant aux milieux scientifique, technologique, juridique,
philosophique, culturel et politique, ayant la compétence et l’autorité nécessaires
pour remplir les fonctions qui incombent à la Commission. Sa composition tient
compte également de la représentation géographique et vise à couvrir les diverses
disciplines et courants de pensée.
Dans la mesure où il est indispensable de bénéficier des avis et du concours
des organisations professionnelles directement concernées, la présence de
membres ex officio au sein de la Commission a été décidée. C’est ainsi que les
présidents des cinq programmes scientifiques intergouvernementaux de l’UNESCO1
et ceux du Conseil international de la philosophie et des sciences humaines
(CIPSH), du Conseil international des sciences sociales (CISS), du Conseil
international pour la science (CIUS) et de la Conférence Pugwash sur la science et
les problèmes internationaux ont été, entre autres, invités à participer aux travaux de
la COMEST à titre ex officio.

1. Commission océanographique intergouvernementale de l’UNESCO (COI) ; Programme


sur l’homme et la biosphère (MAB) ; Programme international de sciences sociales « Gestion
des transformations sociales » (MOST) ; Programme hydrologique international (PHI) et
Programme international de corrélation géologique (PICG).
3

La COMEST a pour mandat : d’être un forum intellectuel d’échange d’idées et


d’expériences ; de déceler, sur cette base, les signaux précurseurs de situations à
risques ; de remplir, à ce titre, un rôle de conseil auprès des décideurs ; et, enfin de
favoriser le dialogue entre les communautés scientifiques, les décideurs et le grand
public. Elle conseille les organes directeurs de l’Organisation sur les questions
spécialisées qui lui sont soumises ou dont elle peut se saisir. De plus, elle a, le cas
échéant, un pouvoir de proposition auprès des décideurs, publics ou privés, fondé
sur des études pluridisciplinaires approfondies et portant sur les questions dont elle
se saisit ou est saisie par le Directeur général de l’UNESCO, tout particulièrement
sur les problèmes faisant l’objet de préoccupations actuelles, ou ayant un caractère
d’urgence.
La COMEST doit être un des piliers d’un rééquilibrage des ressources à
travers une meilleure coopération internationale dans le domaine scientifique,
notamment entre les pays en développement et les pays industrialisés. Elle est, en
effet, appelée à contribuer à la diffusion des découvertes et innovations majeures
des sciences et des technologies contemporaines, pour réduire les inégalités qui
existent entre pays ou groupe de pays, comme à l’intérieur de nombreux pays.
La création de la COMEST traduit l'importance croissante de la réflexion
éthique au regard des répercussions culturelles et sociales du développement
accéléré des connaissances scientifiques et des technologies, condition du
développement futur de l'humanité. Il revient à la COMEST, forum de réflexion, de
dégager sur une base scientifique et objective, des principes qui peuvent fournir aux
décideurs, dans des domaines sensibles, des critères de choix autres que purement
économiques. Dans l’exercice de son mandat, la Commission s’efforce d’avoir une
approche concrète des problèmes fondée sur une réflexion éthique. Lieu privilégié de
débats, d’échanges d’idées et d’information, la COMEST joue le rôle d’un véritable
observatoire des signaux précurseurs de situations à risques, susceptibles de
générer des dangers pour les sociétés.
En ce qui concerne ses modalités de fonctionnement, la Commission a une
composition ouverte. Elle est dotée d'une structure souple et transparente, de nature
pluriculturelle et transdisciplinaire. Ainsi, la mise en place d’un réseau de membres
correspondants permet à des spécialistes ou à des institutions scientifiques de
collaborer aux travaux de la COMEST. En outre la COMEST institue, en fonction des
domaines qu’elle décide d’examiner, des sous-commissions, composées de
membres de la COMEST et d’experts pour traiter de sujets spécifiques. Elle peut
s’adjoindre des spécialistes en fonction des sujets traités et créer des groupes de
travail sur des sujets précis, en tant que de besoin. Ils fonctionnent entre les
sessions et sont composés de spécialistes dont l’expertise est sollicitée sur les bases
de leur compétence « ad hoc ». De telles modalités impliquent que les travaux de la
Commission ne se limitent pas à ses seules sessions mais qu’ils se déroulent en
permanence dans le temps. C’est ainsi que deux groupes de travail respectivement
consacrés à l’éthique des énergies et à l’éthique des ressources en eau douce ont
été mis en place et ont déjà fait rapport à la COMEST.

1) Progrès scientifique et décision politique


En raison des progrès scientifiques et de l’émergence des nouvelles
technologies qui ont des conséquences aussi bien directes qu’indirectes sur la
société, les décideurs politiques, élus par les citoyens, doivent se doter des moyens
du contrôle démocratique de la politique scientifique et technologique.
4

Face aux risques d’abus, qui sont d’autant plus grands que la pression
économique est forte, ou aux risques de mauvaises utilisations des applications de la
science et de la technologie, le politique doit, lui aussi, s’engager dans la démarche
éthique. En effet, l’approche éthique est devenue une responsabilité politique qui doit
être pleinement assumée par les décideurs afin d’imposer le respect de la dignité, de
l’identité et de l’intégrité de l’homme confronté aux progrès de la recherche
scientifique et technique.
Une telle démarche éthique vise notamment à assurer l’objectivité de
l’information du décideur politique ainsi que la formation adéquate des élus en vue
de la prise de décision.
L’éthique apparaît à la fois comme morale de l’action et pensée du risque.
Ainsi, le politique, à qui appartient l’arbitrage final en vue de trancher des
problèmes éthiques, doit prendre en considération à la fois le principe de précaution,
qui vise à éviter toutes conséquences irrémédiables pour les générations actuelles et
futures ; le principe du retour d’expérience qui est un des principes essentiels de la
démarche expérimentale : elle procède pas à pas en se nourrissant des résultats des
expériences successives ; et le principe de vigilance qui consiste à identifier les
signaux faibles, véritables systèmes d’alerte susceptibles d’anticiper sur l’apparition
de risques éventuels. Ces trois principes se fondent eux-mêmes sur les
engagements moraux d’équité et de solidarité qui conditionnent l’efficience des choix
technologiques. De tels choix se font dans un contexte éthique qui implique la
confrontation et l’interaction entre trois acteurs différents mais complémentaires, à
savoir l’expert, le politique et le citoyen. Afin d’assurer l’efficacité de cette démarche,
il importe de définir les rôles de ces différents acteurs. Ainsi, l’expert n’est pas
nécessairement un scientifique, mais son expertise est basée sur une approche
scientifique. Pour le scientifique, la démarche éthique repose sur la qualité de la
connaissance, le refus des falsifications ou des malversations : sans honnêteté, la
liberté de la connaissance ne se justifie pas. Le scientifique ne se préoccupe pas
nécessairement des conséquences de sa démarche. En effet, si le scientifique est
animé, selon les termes d’Albert Einstein, par « le plaisir de connaître », « la science
ne pense pas », comme le soulignait Martin Heidegger : elle avance aveugle. Le
scientifique doit alors élaborer une hypothèse, puis la démonter pour la justifier et
passer ainsi de l’imaginaire et du raisonnement abstrait à la réalité concrète. L’expert
explique le savoir et l’intègre dans le domaine socio-économique. Parallèlement, il lui
revient de définir les principaux objectifs et d’identifier les problèmes éthiques relatifs
au financement de la recherche, à la présentation, à la gestion, à l’utilisation des
découvertes scientifiques et des progrès technologiques. En outre, l’expert formule
les enjeux et les défis de la connaissance, en précisant les risques que comporte son
application. Il dégage, en toute objectivité et indépendance, les orientations à venir et
il répond aux questions du politique et du citoyen, en fournissant les explications
nécessaires, dans un cadre interactif permettant d’éviter les malentendus et de lever
les doutes. Ainsi, dans un contexte de progrès scientifique et technique, mais face à
de nouveaux risques, l’expert doit apporter l’éclairage nécessaire au décideur
politique, l’expert et le politique se situant entre le scientifique et l’opinion publique.
Parmi les décideurs politiques, l’élu est la personne la plus proche de l’opinion
publique et du profane. Il est en effet le détenteur d’une forme de connaissance des
citoyens de son pays, dans un contexte socio-culturel donné. Il doit, par conséquent,
être informé des objectifs principaux de la science et des politiques technologiques,
en termes d’investissements et de conséquences pour la société.
5

En dépit d’absence de communication directe entre les scientifiques et les


décideurs politiques, ils poursuivent tous deux un même enjeu, à savoir
l’amélioration de la condition du citoyen par une meilleure gestion de la
connaissance et du savoir-faire. Ils sont chacun au service du progrès pour
l’humanité et se reposent sur un même intermédiaire, c’est-à-dire, l’expert. Ils
utilisent le même vecteur d’opinion que sont les médias.
Le citoyen, quant à lui, en tant que représentant de l’opinion publique, est
désormais partie prenante dans la prise de décisions. Ceci implique qu’il engage son
esprit critique dans le débat lié à l’approche éthique des choix technologiques.
Ce débat conduit à un dialogue entre les experts, les politiques et l’opinion
politique.
Dans ce contexte, les interactions entre la science, l’éthique et la politique
offrent l’opportunité de définir des options technologiques qui vont façonner l’avenir
de notre société. Fondées sur une démarche de raisonnement moral, les
préoccupations sociales, légales et éthiques visent à replacer l’être humain au centre
du débat.

2) Mise en place au sein de la COMEST de l’UNESCO d’un groupe de travail


sur l’« Ethique de l’espace extra-atmosphérique »
A l’initiative du Directeur général de l’UNESCO, M. Federico Mayor, et sur
proposition du Directeur général de l’Agence spatiale européenne (ESA), M. Antonio
Rodotá, un nouveau groupe de travail consacré à l’éthique de l’espace extra-
atmosphérique a été créé, en décembre 1998 sur la base d’un partenariat
UNESCO/ESA. La coordination de ce groupe a été confiée au Professeur Alain
POMPIDOU, actuellement Ancien Député européen et Membre du Conseil
économique et social. Il était composé de M. Jean AUDOUZE, Astrophysicien,
Directeur de recherche au C.N.R.S., Directeur du « Palais de la découverte », de
M. Ezio BUSSOLETTI, Professeur à l’Université navale de Naples, Directeur de
l’Institut de Physique expérimentale, du Dr. Carl Friedrich GETHMANN, Professeur à
l’Institut de Philosophie de l’Université de Essen, Directeur de l’Académie
européenne pour l’étude des conséquences des avancées scientifiques et
technologiques, de M. André LEBEAU, Membre de l’Académie nationale de l’air et de
l’espace, Professeur au Conservatoire national des Arts et Métiers (CNAM), ancien
Directeur général adjoint de l’Agence spatiale européenne, ancien Président du
Centre national d'études spatiales (CNES), et de Sir Geoffrey PATTIE, Directeur des
communications de The General Electric Company, p.l.c..
Ce groupe de travail, dans un cadre de transparence, d’objectivité et
d’exhaustivité, a eu pour mandat de préparer un rapport sur les implications éthiques
des activités spatiales. Il s’agissait pour lui d'identifier les difficultés et les craintes,
les opportunités et les promesses liées à la conquête spatiale, tout en fournissant les
explications nécessaires, aussi claires et complètes que possible, en tenant compte
du besoin des populations dans le contexte socio-culturel qui leur est propre. Ainsi, le
groupe a tenté de définir ce à quoi conduisent les activités humaines en matière de
conquête spatiale et d’exploration de l’Univers ; les conséquences de cette conquête
spatiale qui sont, d’une part, la station spatiale MIR avec les questions de son
devenir, de son statut et de son éventuel retour sur Terre, et, d’autre part, tout ce qui
concerne les déchets circulant dans l’espace, dont la nature renvoie à une
préoccupation d’ordre environnemental ; le problème de l’homme dans l’espace et
6

des vols habités qui impliquent notre capacité à maintenir dans l’espace des êtres
humains ; l’exploration des autres planètes et de l’Univers ; enfin l’avenir de la
politique spatiale proprement dit, c’est-à-dire ce que les activités spatiales
représentent sur le plan des coûts et des relations entre le coût et le bénéfice.

3) L’éthique de la politique spatiale


Depuis qu’Icare s’est brûlé les ailes en voulant s’approcher du soleil, les
progrès de l’astronomie, puis de l’astrophysique, enfin des technologies balistiques
et de la propulsion, ainsi que les progrès de l’optique, de l’électronique et des
logiciels informatiques ont permis à l’homme non seulement de se projeter dans le
ciel, mais aussi de marcher sur la Lune, d’explorer l’Univers grâce à des sondes,
voire de coloniser l’espace péri-planétaire. Il a pu ainsi réaliser des stations orbitales,
des satellites de communication, d’observation de la Terre et de positionnement des
mobiles terrestres ou aériens.
Ces rapides développements scientifiques et technologiques génèrent de
nouveaux bénéfices, mais aussi de nouveaux risques. Les technologies spatiales, à
la fois prometteuses et inquiétantes, mobilisent des capitaux considérables et
représentent des enjeux de pouvoir entre nations. Ceci nécessite de protéger
l’humanité, et plus précisément l’intégrité et la dignité humaine, en se référant à des
préoccupations sociales, légales et éthiques. La réflexion éthique permet de
s’engager dans une démarche de raisonnement moral.
Ainsi, l’éthique de la politique spatiale doit conduire à s’interroger sur les
motivations sous-tendant l’accès à l’espace extra-atmosphérique par l’être humain
ainsi que l’exploration de l’Univers, mais aussi, sur le degré d’acceptabilité par
l’opinion publique, et enfin sur l’équité. Il s’agit de l’égalité d’accès à l’outil spatial, ou
du moins aux applications qui découlent de son utilisation. Par ailleurs, les
conséquences de la conquête spatiale exigent de mener cette réflexion éthique dans
un contexte international, ce d’autant que l’espace extra-atmosphérique a été
reconnu comme patrimoine commun de l’humanité.
Le principal objectif de l’éthique de la politique spatiale est de garder à l’esprit
la place de l’être humain et de répondre aux inquiétudes de l’opinion publique par
une approche objective, indépendante, et transparente, qui évite tout contexte
émotionnel. Ceci conduit à des interactions entre les scientifiques et les experts de
disciplines différentes, les élus, les décideurs politiques au niveau gouvernemental,
et les médias, afin de faire ressortir les explications nécessaires. Une telle démarche,
propre à l’éthique de la décision conduit à évaluer le degré de liberté de l’être humain
confronté aux progrès des connaissances et du savoir-faire dans le domaine spatial.

I. PREPARATION A LA REFLEXION SUR L’ETHIQUE DE


L’ESPACE EXTRA-ATMOSPHERIQUE
I.1. DEUX REUNIONS PRELIMINAIRES
Le groupe de travail sur l’éthique de l’espace extra-atmosphérique s’est réuni
à deux reprises afin de définir ses méthodes de travail et d’identifier les thèmes de sa
réflexion fondée sur une analyse des conséquences éthiques et sociétales des
progrès liés aux technologies spatiales. Le groupe a décidé de porter son attention
sur les questions de la présence de l’homme dans l’espace et des vols habités, du
développement de la science et de la technologie spatiale, de l’utilisation des
7

technologies spatiales, de la protection de l’environnement, et de la protection des


libertés publiques et des identités culturelles. Chacun de ces sujets a été envisagé à
la fois sous l’angle des aspects éthiques, gouvernementaux et intergouvernementaux,
économiques, scientifiques et techniques ainsi que sous l’angle des aspects liés à la
perception par l’opinion publique. Par ailleurs, le groupe a exclu de son champ de
compétence la dimension spécifiquement militaire de la conquête spatiale pour ne
retenir que l’utilisation duale (civile et militaire) des technologies spatiales.
Chaque membre du groupe s’est intéressé plus particulièrement à l’un des
thèmes pour lequel il a essayé de dégager, dans une note factuelle, les problèmes
éthiques. Ces contributions ont ensuite été examinées par l’ensemble du groupe qui
a formulé ses observations.
La présence de l’homme dans l’espace et les vols habités, que la seule
recherche scientifique ne justifie pas, présentent une forte dimension philosophique
ainsi que des aspects économiques non négligeables. Une telle présence nécessite
de s’interroger sur les limites spatiales de l’action humaine, en raison du caractère
« inhospitalier » de l’espace vis-à-vis de l’être humain dont les activités dans l’espace
ne requièrent pas nécessairement la présence physique. De plus, des motivations,
notamment culturelles, sous-tendant l’exploration de l’espace, la recherche
scientifique et technique ainsi que l’utilisation commerciale ont été évoquées, et plus
particulièrement sous l’angle du problème spécifique de la propriété des
connaissances et du savoir-faire provenant des missions spatiales.
Dans le domaine du développement de la science et de la technologie
spatiale, le groupe de travail s’est penché, d’une part, sur la question de l’accès aux
programmes spatiaux qui relèvent de la « science lourde » et dont les coûts très
élevés les mettent hors de portée des pays en développement. D’autre part, les
motivations sous-tendant les missions spatiales ont été abordées dans la mesure où
la science ne doit pas servir d’alibi. Il a aussi été fait mention de l’inaliénabilité de
l’espace, en tant que territoire scientifique. Cette notion devrait garantir son libre
accès ainsi que sa protection contre les pollutions de tous ordres. L’impact des
technologies spatiales sur la vie quotidienne des citoyens suscite également une
réflexion d’ordre éthique, puisque les opérateurs ayant accès à l’espace ont la
possibilité de pénétrer dans la « sphère privée » des citoyens, en faisant appel
notamment à la « surveillance électronique ».
L’étude de l’utilisation des technologies spatiales a permis aux membres du
groupe de développer, d’une part, l’impact environnemental, en insistant sur la
gestion des risques dans l’espace, notamment ceux liés aux débris et à l’utilisation
de réacteurs nucléaires de propulsion. D’autre part, l’impact économique a été
évoqué à travers la question de la participation des Nations aux activités spatiales.
Enfin, la dimension militaire a été envisagée sous l’angle de l’utilisation duale, en
considérant le problème particulier de systèmes développés par les militaires et dont
le civil dépend entièrement : le système global de positionnement (GPS) contrôlé
exclusivement par les Etats-Unis d’Amérique en est un bon exemple.
A propos de la protection de l’environnement, il est apparu que la technique
spatiale représentait un facteur d’altérations des environnements circumterrestre et
terrien ainsi que des environnements planétaires. Les débris spatiaux et la question
de leur limitation par des mesures de prévention s’imposant uniformément à tous les
utilisateurs de l’outil spatial ont en particulier retenu l’attention du groupe de travail.
8

Parallèlement, la technique spatiale peut être utilisée pour la protection de


l’environnement terrestre, en permettant notamment la prévision, la prévention et le
suivi de catastrophes naturelles, et plus généralement une meilleure gestion globale
de la planète.
En ce qui concerne la protection des libertés individuelles et des identités
culturelles, le groupe de travail a pris en considération les aspects éthiques liés à la
surveillance électronique, aux communications par le biais des satellites, et aux
systèmes de positionnement par satellite. Ils posent un problème d’atteinte aux
libertés individuelles d’autant plus important qu’il n’existe pas encore de législation
réglementant l’accès et l’utilisation des données traitées à bord des satellites.
Quant au maintien de la diversité culturelle, il est menacé par un risque
d’uniformisation des modalités d’expression provenant de la mondialisation de la
communication, mais il profite également de l’apparition de nouvelles identités
culturelles qu’il convient de combiner avec les identités culturelles existantes.
Les réunions ont également permis au groupe de travail d’organiser le
programme du séminaire qui s’est déroulé en septembre 1999.

I.2. LE SEMINAIRE DE PARIS


Le séminaire de Paris sur l’éthique de l’espace extra-atmosphérique, organisé
conjointement par l’Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la
culture (UNESCO) et par l’Agence spatiale européenne (ASE) a permis, d'une part, à
des spécialistes de partager leurs réflexions et expériences concernant les
implications éthiques de l'utilisation de la science et des technologies spatiales, et,
d’autre part, d'établir un dialogue constructif avec différents acteurs du domaine
spatial : représentants d’agences spatiales et des firmes industrielles.
Ce séminaire s'est déroulé en deux temps. La réflexion qui a été menée la
première journée visait à identifier et à approfondir les problèmes éthiques qui
découlent de l'utilisation de l'espace extra-atmosphérique. Cette réflexion se situait à
plusieurs niveaux. L’espace a ainsi été successivement envisagé :
- comme questionnement éthique ;
- comme dimension, en envisageant l’espace extra-atmosphérique et
l’Univers dans leur ensemble ;
- comme outil, ce qui implique la protection d’une part de l’environnement
périplanétaire, et d’autre part des libertés publiques et des identités
culturelles ;
- et comme perception, avec l’analyse des bénéfices et des risques liés aux
avancées des technologies spatiales en incluant la communication et le
rôle des médias.
L'objectif de la deuxième journée était de définir le contenu de l’approche
éthique en matière de politique spatiale, en permettant à des industriels et aux
responsables de différentes agences spatiales d’exposer leurs préoccupations dans
ce domaine et de répondre aux interrogations des experts.
9

II. L’ETHIQUE DE L’ESPACE EXTRA-ATMOSPHERIQUE


II.1. L’ESPACE COMME QUESTIONNEMENT ETHIQUE
Une des caractéristiques de l'homme est la capacité de réfléchir et de
s'interroger sur le bien-fondé, les motivations, le contenu, la signification et les
répercussions de ses actes. Ils lui ont permis, en repoussant continuellement ses
limites, de devenir, selon l'expression de Descartes « maître et possesseur de la
nature ». Cette réflexion et ce questionnement sont d'autant plus nécessaires dans le
domaine spatial que l'espace est devenu accessible à l'être humain. Ces nouvelles
activités de l'homme, qui plus est dans un milieu qui lui est a priori « inhospitalier »,
suscitent des questions éthiques de plus en plus importantes.
Quelle est la place de l'être humain dans l'Univers ?
Comment organiser les liens entre la Terre et l'espace extra-atmosphérique ?
Qui doit déterminer les priorités et les choix de la science et des technologies
spatiales, et sur la base de quels objectifs pour la société ?
Comment définir démocratiquement les risques engendrés par les techniques
spatiales et quels risques peuvent être considérés comme « acceptables » ?
Quel est le niveau de responsabilité et de solidarité auquel les individus et les
groupes doivent s’astreindre par rapport aux générations présentes et futures ?
Le questionnement éthique conditionne l'acceptabilité des technologies
spatiales. Il doit aboutir à retenir la meilleure solution fondée sur un raisonnement
moral, au regard d'une confrontation entre les risques et les bénéfices qu'engendrent
ces technologies, dans le respect des droits de l'homme, et plus particulièrement du
respect de l'intégrité et de la dignité de l’être humain.

II.2. LA VIE DANS L’ESPACE


II.2.1. L’homme dans l’espace
De nombreux siècles se sont écoulés avant que le rêve d'Icare de vaincre la
pesanteur terrestre ne devienne réalité. En 1783, Pilâtre de Rozier effectuait le
premier vol humain dans l’atmosphère, dans sa montgolfière. Mais il fallut encore
attendre près de deux siècles, avec notamment les progrès de l’aviation civile et
militaire, pour que l'homme soit présent dans l'espace extra-atmosphérique. Ainsi, en
avril 1961, le cosmonaute Youri Gagarine est devenu le premier homme à tourner en
orbite autour de la Terre. Puis en juillet 1969, Neil Armstrong et Edwin « Buzz »
Aldrin marchaient sur la Lune. Dès lors, les missions spatiales habitées se sont
multipliées et leur durée s'est allongée; la station spatiale russe MIR, satellisée en
février 1986, a été habitée de façon presque permanente et a permis aux
astronautes de passer plusieurs mois dans l'espace.
La présence d'êtres humains dans l'espace pose actuellement un certain
nombre de questions philosophiques, culturelles et éthiques mais également
économiques et politiques. La capacité d’intervention de l’homme dans l’espace ne
passe pas nécessairement par sa présence physique dans l’espace extra-
atmosphérique. En effet, la technique spatiale, par le biais des sondes, des satellites
et des automates, peut être dans la plupart des cas tout aussi efficace, et souvent à
moindres coûts, qu’une mission habitée. De plus, les besoins de l’homme en air, en
10

eau, et en nourriture, sa relative fragilité physique, les risques d’irradiations liées à


son exposition au rayonnement cosmique sont autant de facteurs qui ne plaident pas
forcément en la faveur de son maintien dans l’espace. En outre, les satellites ou les
sondes spatiales sont toujours plus performants grâce aux avancées spectaculaires
de la micro-électronique. Un débat s’est installé entre les partisans des vols spatiaux
habités et ceux qui sont plus réticents, voire opposés à ce type de mission. Mais il
est clair que les vols habités sont complémentaires des autres projets spatiaux. Là
où l'intelligence artificielle est limitée ou trop onéreuse, l'homme a la capacité de
gérer des situations complexes ou imprévues. Il faut cependant veiller à ne pas
aboutir à une « instrumentalisation » de l’astronaute qui serait alors relégué à l'état
de simple robot ou d'outil au service de la technique spatiale. C’est là que sa
capacité d’analyse, de jugement et de décision mais également son courage et sa
détermination lui rendent sa condition d’homme. Leur prise en considération permet
d’alimenter la réflexion éthique.
Un tel débat pose en substance la question des motivations des vols habités,
qui ne peuvent pas uniquement se résumer à des arguments purement économiques
reposant sur une analyse coûts-bénéfices. En effet, les motivations sous-tendant la
présence de l’homme dans l’espace sont plus complexes et relèvent de divers types.
Celle-ci peut servir des intérêts scientifiques en permettant des recherches en
absence d’apesanteur (en particulier dans la physique des matériaux). Les
expérimentations en apesanteur sur l’être humain ont permis de progresser sur les
mécanismes de régulation physiologique.
Au-delà des arguments techniques, économiques ou scientifiques, se trouve
une autre justification, que l'on peut qualifier de « trans-utilitaire », à la conquête de
l'espace par l'homme. L'être humain est animé d’une volonté permanente de
dépasser les limites du possible, et de franchir de nouvelles frontières. La volonté du
Président John Fitzgerald Kennedy de se lancer à la conquête de la « nouvelle
frontière », a par exemple été reprise dans le Rapport de la Commission nationale de
l’Espace2, Pioneering the Space Frontier, élaboré en 1986 et qui précise que
« l’esprit pionnier fait partie du patrimoine de l’humanité (…). Dans les dernières
décennies, une nouvelle frontière s’est ouverte devant nous, lançant à l’humanité son
défi le plus grand et le plus prometteur : la frontière de l’espace ».
Plus généralement, la connaissance de l'Univers - l'infiniment grand - et de
ses origines, ainsi que de l'atome - l'infiniment petit - font partie de la quête humaine
de rêve et d'imaginaire. Parallèlement à cette soif de connaissances et de
découvertes, la technique donne à l'être humain un sentiment de puissance qui est
symbolisé par le mythe prométhéen mais qui le dépasse désormais largement.
Par ailleurs, la conquête de l'espace contribue à la diffusion de la culture
scientifique et technique. Elle favorise l'appropriation des activités spatiales par
l'opinion en entretenant l'imaginaire et la volonté de découverte qui restent des
éléments moteurs pour une société humaine.

2. Cette Commission, composée d’experts indépendants de la NASA, a été mise en


place par le Président Ronald Reagan en vue de préparer le programme spatial des Etats-
Unis pour un demi-siècle.
11

L’exploration humaine de l’espace extra-atmosphérique se fera désormais à


partir des stations spatiales, qui peuvent être définies comme des camps de base sur
la route des astres du système solaire. En outre celles-ci peuvent servir, entre
autres, à l'observation de la terre et des corps célestes, aux études biologiques et
médicales en l'absence de pesanteur, aux expériences de physique et de chimie
dans l'environnement spatial, à l'entretien comme à la réparation de satellites. Les
stations spatiales ont permis ainsi à l'homme de s'habituer à des séjours prolongés
en apesanteur, ce qui est un préparatif aux voyages de longue durée dans l'espace.

II.2.2. La vie sur les autres planètes


a) La recherche de traces de vie
La recherche de traces de vie dans le système solaire ou dans d’autres
galaxies, qui paraissait relever de la science-fiction il y a quelques décennies encore,
est désormais un thème fondamental dans les activités des agences spatiales. Il
s’agit concrètement, par l’exploration du système solaire d’abord, et de l’Univers
ensuite, de trouver des traces de vie, permettant ainsi d’identifier un principe
universel de la vie grâce aux progrès de la biologie contemporaine. En effet, la
science cherche à répondre aux interrogations liées aux grands mythes et en
particulier au mystère des origines. La recherche de nouvelles formes de vie dans
l’espace génère la constitution de nouveaux liens entre l’être humain et l’espace
extra-atmosphérique. La connaissance scientifique n’est pas suffisante pour
permettre de dépasser la référence au mythe ou à l’imaginaire. Sur un sujet à
composante aussi émotionnelle que la perception par l’opinion publique des
conséquences liées à l’existence du vivant dans l’espace, une démarche de nature
éthique est devenue indispensable. Elle vise à envisager la place de l’être humain
par rapport à d’éventuelles formes de vie détectables, voire accessibles, grâce aux
technologies spatiales. Sans exclure la spiritualité, une telle démarche pose la
question du comportement qu’il faudra adopter par rapport à des modèles de vie
différents, et nécessitera éventuellement l’exploration de nouvelles voies de
perception objective.
Aux termes de l’article 5 du « Traité sur les principes régissant les activités
des Etats en matière d'exploration et d'utilisation de l'espace extra-atmosphérique de
1967 », plus communément appelé « Traité sur l’espace », les astronautes sont
considérés « comme des envoyés de l’humanité dans l’espace ». A ce titre, ils
pourraient apparaître comme les meilleurs intermédiaires entre la vie sur la Terre et
d’autres formes de vie.

b) Le retour d'échantillons
Le retour sur Terre d’échantillons provenant de la Lune, ou les projets de
missions de prélèvements d'échantillons d’autres planètes, telles que Mars, suscitent
de nombreuses interrogations d’ordre éthique concernant en particulier l'intérêt
scientifique de ce type de missions, les bénéfices que l'humanité pourra en retirer. La
gestion des risques inhérents à de telles missions nécessite la mise en place de
systèmes de précaution et de protection afin d’éviter toute contamination éventuelle
de la planète Terre. De telles missions nécessitent d’informer une opinion publique
qui est, dans le contexte actuel, particulièrement sensible aux problèmes de
contamination tout en restant fascinée par l’exploration de l’Univers.
12

II.3. L’ESPACE COMME DIMENSION


II.3.1. L’exploration de l’Univers
A partir du moment où l’URSS a lancé en 1957 son premier satellite terrestre,
Spoutnik, l’exploration spatiale s’est développée très rapidement et a pris la forme
des missions habitées et de l’envoi de sondes pour se poser sur Mars ou survoler
d’autres planètes du système solaire. Elle fournit des informations sur la formation de
l’Univers, du système planétaire, du Soleil et de la Terre. Les scientifiques ont mis au
point et utilisent des télescopes de plus en plus puissants qui permettent d’accéder
jusqu’aux confins de l’Univers.
La technique spatiale apparaît donc comme un outil au service d’une valeur
de connaissance. L’objectif ultime de toute exploration de l’espace est d’élargir
l’expérience et les connaissances humaines.
Parallèlement, il est désormais possible, depuis l’espace, d’étudier la Terre
sous de nombreux aspects avec une précision jamais atteinte par d’autres
techniques : analyse des caractéristiques de la ionosphère, missions
météorologiques qui permettent un suivi sans précédent des climats et de leurs
évolutions, étude du niveau des océans et de leurs interactions avec l’atmosphère
(mission franco-américaine Topex-Poseidon) ; observation en infrarouge de la
surface terrestre (sols, modifications des couverts végétaux et des agglomérations
urbaines à l’aide des programmes « Spot-Image »). C’est ainsi, grâce à des
observations satellitaires, que l’on a mis en évidence le fameux « trou d’ozone »
dans la stratosphère au-dessus du pôle Sud et que l’on a pris, au niveau
international, les mesures d’interdiction des chloro-fluoro-carbures (CFC).
Parmi d’autres missions ayant rencontré un réel succès scientifique, le
télescope spatial Hubble est une bonne illustration des avantages induits par la
technique spatiale. Malgré son astigmatisme qui dura trois ans, Hubble fournit depuis
plus de sept ans les meilleures images de l’Univers proche et surtout lointain.

II.3.2. Les conséquences de l’exploitation de l’espace circumterrestre


a) les altérations de l’environnement circumterrestre
La technique spatiale a engendré des altérations de l’environnement
circumterrestre, en devenant une source de pollution. En effet, chaque lancement a
des répercussions sur l’environnement terrestre.
Les lanceurs spatiaux peuvent certes avoir des effets sur la couche d’ozone,
et risquer de modifier partiellement la qualité de l’air. Toutefois, cette pollution
atmosphérique est négligeable au niveau où se situe l’activité spatiale actuelle. De
plus, la généralisation de la propulsion cryogénique - qui rejette uniquement de
l’eau - contribuera à en réduire le niveau.

b) les débris spatiaux


D’autre part, l’environnement circumterrestre est pollué par des débris
spatiaux qui se composent des débris de lanceurs précédents et de missions qui ont
échoué. Leur présence risque d’entraver le succès de futures missions. Les satellites
devenus non opérationnels en orbite terrestre, et les débris provenant de missions
qui ont été envoyées vers d’autres planètes et dans l’espace interstellaire contribuent
à la pollution extra-atmosphérique.
13

En l’espace d’une quarantaine d’années, plus de 20.000 tonnes de matériaux


ont été mis en orbite autour de la Terre ; 4.500 tonnes le sont encore. 5% de cette
masse représentent l’ensemble des satellites actuellement opérationnels (environ
500 actuellement) et le reste peut être considéré comme un champ de débris. On
estime actuellement à 9.000 les objets d’une taille supérieure à 10 cm, 110.000 ceux
d’une taille comprise entre 1 et 10 cm et 35 millions ceux d’une taille comprise entre
0,1 et 1 cm.
Le stade où des objets incontrôlables étaient disséminés volontairement dans
l'espace est certes dépassé, mais les sources de cette pollution demeurent, et sont
considérables : elles peuvent être accidentelles ou chroniques, telles que les écailles
de peinture des satellites ou des lanceurs. De plus, les débris spatiaux représentent
une sorte de déchets très particuliers dans la mesure où ils se démultiplient du fait de
collisions entre eux. La plupart de ces débris spatiaux ne sont actuellement
détectables que par les impacts des collisions qu'ils produisent sur les objets
spatiaux. En effet, seuls les objets de plus de dix centimètres sont suivis
individuellement grâce aux systèmes d'observation et de détection balistique par les
appareils optiques et les radars.
Les débris spatiaux font courir des risques, en orbite, pour les biens et les
équipages en raison des menaces de collisions. Les risques au sol ne sont pas à
exclure, en cas de rentrée incontrôlée de débris dans l’atmosphère. De plus, les
débris spatiaux contribuent de manière croissante à la pollution lumineuse de
l'espace. Quant à la pollution électromagnétique, elle gêne les observations
astronomiques à partir de la Terre.

II.4. L’ESPACE COMME OUTIL


A côté des inconvénients générés par l’utilisation de l’espace, celle-ci présente
également des avantages indéniables. Ainsi, les techniques spatiales et leurs
applications ont permis de disposer d'un formidable système d’observation de la
Terre et de connaissance des effets globaux des activités humaines sur
l’environnement planétaire.
Dès le début de l'ère spatiale, l'exploration et l'exploitation de l'espace ont eu
des retombées considérables pour l'humanité, sur les plans tant scientifique
qu'économique et social. En effet, les technologies spatiales, par le biais notamment
des satellites, fournissent une multitude d'informations qui permettent à l'homme, en
observant la planète, de comprendre son environnement et de gérer ses ressources
naturelles. Elles lui donnent également la possibilité d'assurer des communications
quasiment instantanées, quelles que soient les distances ou la localisation.
Ainsi, les satellites d’observation de la Terre représentent une source
d’informations de plus en plus précieuse. Ils rendent notamment possible le
développement d’une agriculture de précision en fournissant aux agriculteurs un
certain nombre de données sur divers paramètres (nature et composition du sol,
météo, pratiques agricoles, etc.), leur permettant ainsi d’optimiser leurs rendements.
Les satellites de communication rapprochent les hommes entre eux en
facilitant les échanges.
A côté de ces avantages, l’espace comporte cependant des inconvénients et
des risques qu’il convient de prendre en compte en vue d’assurer la gestion la plus
optimale de ces risques.
14

II.4.1. Les bénéfices


a) l’observation de la Terre et des phénomènes climatiques par satellite
L’espace constitue un outil irremplaçable pour fournir des informations dans
des domaines tels que les prévisions météorologiques, la prévention et la gestion
des catastrophes naturelles, qui chaque année causent des dégâts se chiffrant en
milliards de dollars et coûtent d’innombrables vies humaines. Les techniques
spatiales d’observation de la Terre par satellite contribuent à la gestion des
ressources terrestres. Elles permettront ainsi l'amélioration des conditions de vie
ainsi qu’à un développement durable.
De nombreux phénomènes météorologiques ont des conséquences directes
sur l'économie, le bon fonctionnement et le bien-être de la société. De ce fait, les
prévisions météorologiques revêtent une importance capitale pour les activités
humaines, particulièrement dans le domaine de l'agriculture où elles peuvent, entre
autres, permettre de surveiller les cultures et servir à une meilleure gestion des
ressources hydrauliques. Parallèlement, les techniques spatiales peuvent jouer un
rôle important, permettant de donner l'alerte rapide en cas de survenue par exemple
de typhons, de cyclones, d'ouragans ou de tempêtes, ainsi que pour assurer la
gestion des conséquences des catastrophes naturelles. Encore faut-il, et c’est là tout
l’enjeu éthique de cette question, que tous les pays, et notamment les pays en
développement qui sont particulièrement exposés aux catastrophes naturelles et
pour lesquels ce type d’informations est essentiel pour leur développement, aient
accès, selon le principe d’équité, et le plus rapidement possible, à ces données.
b) les technologies de localisation et de navigation
Par ailleurs, l’espace a aussi permis de développer de manière spectaculaire
les technologies de localisation et de navigation. Les satellites peuvent désormais
guider et déterminer la position des bateaux, des avions ou des véhicules terrestres.
Le GPS, élaboré pour les militaires américains, a été mis à la disposition des
utilisateurs civils et connaît un immense succès en raison de son impact sur la vie
quotidienne, en fournissant en temps réel des données précises qui peuvent être
associées à d’autres types d’informations. D’après la Commission européenne, le
marché mondial des applications civiles du GPS, qui représentait moins d’un milliard
d’euros en 1994, devrait atteindre 8 milliards d’euros (mds EU) en l’an 2000 et 50
mds EU en 2005 (dont 10 pour les segments spatiaux et 40 pour les segments
« sols » et notamment les matériels embarqués). Du fait de sa précision, ce système
permet notamment le contrôle de la navigation aérienne, celui du trafic et bientôt
celui du décollage et de l’atterrissage, même sans visibilité. Toutefois, malgré la
baisse des coûts des systèmes et les équipements GPS, qui sont en passe de
devenir des produits de consommation courante, leurs prix les rendent encore
inaccessibles pour les pays les moins fortunés.
c) l’établissement d’un « village planétaire »
Les développements rapides de la science et des technologies spatiales ont
eu un impact significatif sur la vie économique, sociale et culturelle des êtres
humains et ont contribué, en réduisant le temps et les distances, à l’établissement
d’un « village planétaire », permettant de meilleures liaisons entre les hommes, par
le biais notamment de l’explosion des nouvelles technologies d’information et de
communication (NTIC) générée par l’outil spatial. Un tel « village » manque
cependant encore de structure hiérarchisée : il s’apparente plutôt à une « jungle ».
15

L’émergence des services multimédias, la télévision digitale, la télévision


directe par satellite, Internet, Intranet et les systèmes de communication personnelle
mobile ont donné vie au rêve d’établir des relations humaines planétaires, n’importe
où, indépendamment des contraintes liées aux espaces terrestres, aériens et
maritimes. L’interaction entre les ordinateurs, les technologies de communication et
les techniques de compression digitale a débouché sur le développement
d’infrastructures élaborées d’information, auxquelles l’accès est instantané, quelle
que soit la localisation des utilisateurs, facilitant ainsi l’échange planétaire d’opinions
et d’informations d’ordre économique, social et culturel.
Les NTIC offrent désormais la possibilité aux différentes identités culturelles
de s’exprimer en permettant notamment l’accès de communautés immigrées ou de
membres d’une diaspora aux messages culturels de leurs communautés d’origine.
De plus, l’instrument de communication devient un outil personnalisé qui dépasse
largement le nivellement de l’expression. A cet égard, les technologies spatiales
peuvent favoriser non seulement le maintien des identités culturelles et la préservation
de leur diversité, mais elles peuvent également engendrer l’apparition de nouvelles
identités qu’il convient de combiner avec les identités culturelles existantes, afin de
maintenir un équilibre nécessaire à la coexistence de différentes cultures.
En marge de cela, les NTIC rendent possible le développement de forums de
communication qui rassemblent des individus s’intéressant à un même sujet et qui
peuvent échanger entre eux, quelle que soit la distance qui les sépare. Dans le
domaine de la science et des technologies spatiales, ces forums, qui constituent des
espaces de liberté, de communication et d’information, sont particulièrement importants
pour assurer un véritable dialogue. De tels forums ne sont efficaces que s’ils font l’objet
de mises à jour régulières et que s’ils sont animés par des personnes compétentes.
II.4.2. Les risques
L'exploration de l'espace présente un certain nombre de risques résultant
aussi bien des techniques utilisées que des applications qui en sont faites.
a) l’utilisation de sources d’énergie nucléaires
Au cours des années soixante, les Etats-Unis d’Amérique et l’URSS ont
envoyé dans l’espace des objets contenant des réacteurs nucléaires destinés à
produire l’énergie nécessaire à leur fonctionnement. Actuellement, il y a en orbite
plusieurs engins spatiaux comportant des réacteurs nucléaires. En effet, à mesure
que l’humanité explore plus profondément l’Univers, la nécessité d’élaborer des
systèmes permanents de puissance contrôlée devient de plus en plus urgente, et
c’est pourquoi l’utilisation de l’énergie nucléaire dans l’espace extra-atmosphérique
paraît, en l’état actuel des connaissances, inévitable. D’ailleurs, l’usage de l’énergie
nucléaire pour des missions vers l’espace interstellaire a fait l’objet de l’adoption, par
l’Assemblée générale des Nations Unies, le 14 décembre 1992, de la résolution
47/68 intitulée « Principes relatifs à l’utilisation de sources d’énergie nucléaires dans
l’espace ». Mais il n’en demeure pas moins que l’utilisation d’une telle source
d’énergie, bien qu’autorisée, suscite une controverse relative aux risques encourus,
que ce soit sur Terre, au moment du lancement ou en cas de retour, ainsi qu’en
terme de dommage potentiel à l’environnement spatial. A cet égard, la chute en 1978
du satellite Cosmos 954, avec ses débris radioactifs a fait prendre conscience des
risques encourus. Il convient de se demander si l’énergie nucléaire est la seule
alternative viable, et s’il n'existe pas une source d’énergie plus dénuée de risque et
qui recueillerait davantage l’appui de l’opinion publique.
16

b) la surveillance électronique
Parmi les risques émanant de l’utilisation de la technologie spatiale, ceux liés
à la surveillance électronique sont particulièrement préoccupants du fait de leur
éventuelle atteinte aux libertés individuelles. En effet, le matériel informatique
embarqué sur les satellites permet, par son interconnexion, des échanges interactifs,
instantanés et planétaires. D’autre part, la capacité des systèmes d’information
permet de recueillir, de trier, de traiter, de recombiner, et de disséminer les données
numérisées. Le support informatique engendre également l’élaboration et la
transmission de données à caractère virtuel et anonyme. Ces fonctions exercées par
le matériel informatique embarqué sur les satellites peuvent être particulièrement
intrusives. Elles rendent possible une surveillance électronique planétaire, dans au
moins trois domaines : la communication grâce aux nouvelles technologies
d’information et de communication (NTIC), le positionnement des mobiles grâce au
système global de navigation par satellite (GNSS), et l’observation de la Terre grâce
à l’imagerie à haute résolution.
c) l’atteinte aux libertés individuelles
La performance de la surveillance électronique pose avec plus d’acuité le
problème de l’atteinte aux libertés individuelles. Ainsi, l'utilisation de la technologie
spatiale permet d'intercepter les communications privées via le téléphone, le fax, le
courrier électronique. Elle permet également d’identifier le comportement des
individus, par le biais des transactions qu’ils effectuent avec leurs cartes bancaires,
enfin de localiser, par un système de positionnement, non seulement les
communications entre téléphones mobiles, mais aussi, l’emplacement de véhicules.
En effet, les systèmes de positionnement par satellite, à l'instar du système mondial
de localisation (GPS) des Etats-Unis d'Amérique ou du système mondial de satellites
de navigation (GLONASS) de la Fédération de Russie, permettent de déterminer
avec une très grande précision la position de mobiles terrestres, aériens ou
maritimes. Il est possible, dans certains cas, d’en déduire la position des personnes,
à leur insu. Ces techniques, auparavant utilisées par les seuls militaires, se trouvent
aujourd’hui à la portée de ceux qui disposent de moyens techniques appropriés ; leur
utilisation détournée est susceptible de porter atteinte aux libertés individuelles.
d) l’atteinte à l’identité et à la diversité culturelles
Une mauvaise utilisation des technologies spatiales peut avoir un impact
considérable non seulement sur la vie sociale et les libertés individuelles, mais aussi
sur l’identité et la diversité culturelles. En effet, la relation qui existe entre les
technologies spatiales et la diversité culturelle comporte aussi quelques risques pour
cette dernière. Les moyens spatiaux, de par leur nature planétaire, contribuent à la
mondialisation de la culture et par conséquent à une standardisation des moyens
d’expression. Une telle mondialisation risque désormais de conduire à
l’homogénéisation des comportements des peuples, à l’uniformisation des langages,
des cultures et des comportements, et, par voie de conséquence, à la disparition des
diversités culturelles, qui sont une part inestimable de notre patrimoine. Ainsi,
certaines sociétés vulnérables peuvent être victimes d’une forme perverse
d’aliénation culturelle.
Le problème qui se pose en la matière peut se résumer par cette interrogation :
comment assurer la diffusion des technologies de l’information au niveau mondial en
permettant une communication aussi optimale que possible tout en assurant la
personnalisation des communications et le respect des identités culturelles ?
17

e) l’acceptabilité des messages transmis par les NTIC


A côté de la problématique de la diversité culturelle, se pose la question de
l’acceptabilité des messages qui, par le biais des NTIC et de l’outil satellitaire, peuvent
être diffusés dans tous les pays, sans aucune considération de frontières terrestres.
L’acceptabilité des messages reste cependant relative dans la mesure où elle ne peut
être jugée qu’en référence à un système de valeurs qui varie d’un pays à l’autre et
selon les cultures. Certains de ces messages, tels que l’apologie de la violence, la
pédophilie ou la « pornographie douce », ne sont pas acceptables, mais leur maîtrise
ou leur contrôle n’est pas aisé et soulève plus généralement la question du droit d’accès
des individus à l’information et des régulations morales individuelles ou collectives.

II.5. L’ESPACE COMME PERCEPTION


L’espace comme perception renvoie l’image que l’opinion publique se fait de
l’espace extra-atmosphérique, ce qui suppose au préalable de sortir du contexte
émotionnel qui entoure la conquête spatiale, puis de s’intéresser au rôle des médias
et des organes de communication, et à celui des décideurs politiques en prise avec
l’opinion publique.

II.5.1. Sortir du contexte émotionnel


Pendant des centaines d'années, le ciel a suggéré des mythes : l'être humain
y projetait son image comme dans un miroir et imaginait, dans le ciel, la présence de
Dieux à formes humaines. Mais aujourd'hui, ce miroir est brisé : dans la mesure où
l'espace est désormais accessible à l'être humain, la perception de l'espace est
passée du mythe au rêve, puis du rêve à la réalité. Dans ce contexte, cette
perception de l'espace contient une forte charge émotionnelle.
Le contexte émotionnel dans lequel s'effectue l'exploration spatiale revêt
certes un aspect positif en ce qu'il stimule une forme d'imagination constructive et
mobilisatrice. Mais il peut également déboucher sur de fausses frayeurs alimentées
par une désinformation volontiers entretenue par les médias. Il convient donc de
sortir de ce contexte émotionnel en s'appuyant sur une analyse rationnelle, objective,
indépendante, transparente et complète des bénéfices, mais aussi des risques
qu'engendrent les activités spatiales. L'examen de la situation doit être le plus
complet possible, en évitant de laisser des zones d'ombre.

II.5.2. Le rôle des médias


Les médias ont, en la matière, un rôle important à jouer pour relayer
l’information, mais ils ne doivent pas s’approprier exclusivement la communication.
Cependant, l’autre écueil à éviter est l’appropriation des explications par les
scientifiques. Les scientifiques doivent intervenir pour fournir des explications dans
un langage accessible pour être compréhensibles par l’opinion publique et pour
éviter les malentendus et les doutes. En fait, en vue de partager le savoir, une
démarche interactive impliquant aussi bien les médias que le monde scientifique face
aux préoccupations de l’opinion publique est devenue nécessaire.

II.5.3. Interaction expert - politique - citoyen


Comme il l’a été exposé à titre introductif, il est indispensable que s’organise
une interaction entre les experts, les politiques et les citoyens. Le débat découlant de
l’approche éthique des choix technologiques de la politique spatiale conduit à un
dialogue entre ces trois catégories d’acteurs.
18

II.5.4. Quelle stratégie de communication vers l’opinion publique ?


La démarche éthique se fonde sur une stratégie de communication vis-à-vis
de l'opinion publique. Cette stratégie vise à passer d'un contexte émotionnel à une
analyse rationnelle, objective, indépendante et élaborée, conduisant à une
explication crédible. Le partage du savoir qui découle de cette démarche révèle le
rôle de la concertation entre les scientifiques, qui sont les artisans de la
connaissance et du savoir-faire et les « experts », qui ont la capacité d’expliquer la
science et la technologie. C’est à l’interface du monde des scientifiques et de celui
des experts que va émerger la fonction de « médiateur scientifique ».
Une communication appropriée est fondée sur l’exactitude de l’information,
visant à ne pas jouer avec la crédulité des individus ou des populations, ainsi que sur
un effort concerté en matière d’éducation qui doit être assurée dès l'école puis tout
au long de la vie. Cette formation initiale doit permettre l'acquisition d'une culture
scientifique de base pour que le citoyen puisse comprendre l'information qui lui est
présentée. Plus le citoyen est éduqué, et moins il sera enclin à céder à la
désinformation. A cet égard, la pédagogie revêt une importance particulière parce
qu’elle doit permettre d’aboutir à une formation active et interactive en vue de
découvrir et de comprendre ensemble. La pratique destinée à faire comprendre les
faits aboutira à une « pédagogie de la médiation » au service des enjeux de la
politique spatiale.
Une communication responsable repose sur le droit à une information précise,
qui peut certes comprendre des incertitudes, mais qui ne doit pas occulter les risques
aussi bien réels que potentiels. Il faut démystifier le problème du risque, en faisant la
différence entre risque potentiel et dommage certain, afin d'éviter les réactions de
panique. Il est par ailleurs primordial d’informer le public des risques réels. Ceci ne
peut se faire que par le biais d’une stratégie d’anticipation fondée sur l’explication
objective et l’identification des risques. Le risque est inhérent à toute activité humaine
et le risque nul n’existe pas. C’est pourquoi seule une gestion prospective et
organisée du risque peut permettre d’éviter rumeurs, craintes ou discrédit.

III. DISCUSSION
III.1. DE LA BIOETHIQUE A L’ETHIQUE DES TECHNOLOGIES
Le mouvement de bioéthique qui a émergé à partir des années 70 aux Etats-
Unis d’Amérique a fait peu à peu place à un mouvement plus vaste de réflexion
éthique dans les domaines des sciences et des technologies. Ce mouvement tirait
notamment ses origines du constat de certains dérapages de la science, comme par
exemple les atrocités perpétrées par des médecins et des scientifiques sur les
prisonniers et les déportés dans les camps de concentration nazis, ainsi que des
répercussions de certaines découvertes scientifiques ou mise au point
technologiques, telles que la fission nucléaire ou le clonage reproductif. Ces
situations ont montré la nécessité de poser clairement la question des limites de la
recherche en édictant des principes éthiques et en définissant la responsabilité des
chercheurs. Les comités d’éthique qui se sont ainsi constitués concernaient au
départ les sciences de la vie, mais ils ont progressivement élargi leur champs de
réflexion pour englober les sciences en général ainsi que les applications
technologiques.
19

La nécessité d’une approche internationale s’est fait sentir, puisque c'est


désormais à l'échelon planétaire que se dessine l'avenir de l'humanité. Aussi, un
comité d’éthique des sciences et des technologies a été institué au niveau de l’Union
européenne, et au sein du système des Nations Unies, l’UNESCO a mis en place en
1998, indépendamment de son Comité international de bioéthique (CIB), la
Commission mondiale d’éthique des connaissances scientifiques et des technologies
(COMEST).

III.2. L’ESPACE, INSTRUMENT DE PUISSANCE OU DE SOUVERAINETE


Au début de l'aventure spatiale, l'espace a été considéré comme un nouveau
champ d'affrontement des superpuissances. Mais les changements géopolitiques
intervenus depuis la fin de la guerre froide ont changé partiellement la manière de
percevoir l’espace. Désormais, en raison des énormes coûts que représentent les
programmes spatiaux, ceux-ci ne pourront voir le jour et se développer que par le
biais d’une coopération internationale. Cependant, l’espace engendre de plus en plus
d’activités commerciales financées en grande partie par des opérateurs privés et,
d’ici quelques années, les activités spatiales commerciales engrangeront un chiffre
d’affaires supérieur aux budgets spatiaux publics de toutes les nations spatiales.
Ainsi, la puissance s’est déplacée, passant d’un niveau étatique à un niveau
d’échanges commerciaux de plus en plus difficilement contrôlés par les Etats mais
dominés par les fabricants de terminaux ou de logiciels, ainsi que par les
fournisseurs d’accès. Cette tendance a par ailleurs été renforcée par un phénomène
nouveau lié à la complexité de notre société : l’Etat n’est plus aujourd’hui le seul
garant de l’intégrité morale puisqu’il y a une interaction croissante des Etats et une
certaine relativisation du rôle de l’Etat qui a essentiellement une mission de gestion
de la politique sociale.
Cette crise de l’Etat-Nation, qui se traduit par le fait que l’Etat n’est désormais
plus le seul acteur, risque d’aboutir à des situations d’abus de position dominante. De
tels abus consistent pour une entreprise ou un groupe d’entreprises, disposant d’une
place prépondérante dans le domaine spatial, à profiter de sa situation pour adopter
certains comportements nocifs pour la concurrence. A cet égard, le système de
« pilotage » des activités économiques par le biais des technologies spatiales est
significatif.
L’espace est une source de développement majeur grâce en particulier aux
prévisions qui peuvent être faites concernant le climat ou les productions et les
récoltes agricoles. Des bénéfices économiques tout à fait substantiels découlent de
l’utilisation des moyens spatiaux à des fins de prévision. Et on peut se demander qui
des producteurs, des consommateurs ou des intermédiaires va réellement bénéficier
de ces avantages. Il est clair que l’accroissement de la capacité de prévision a pour
corollaire l’accroissement de la capacité de spéculation, présentant à terme le risque
de développer des inégalités déjà fortement marquées dans ce domaine. Par
exemple, la fixation artificielle des prix pour faire des bénéfices rapides, la
déstabilisation des sociétés en transition et toute ingérence politique sur les réseaux
peuvent mener à de graves déséquilibres.
III.2.1. Allocation des ressources
En raison de la compétition qu’elle engendre, la détermination de la répartition
des ressources entre les diverses disciplines scientifiques comporte une nouvelle
dimension éthique fondée sur l’émergence non seulement de valeurs et de principes
20

d’ordre scientifique, mais aussi d’ordre éthique, qui président à l’attribution équitable
de ces ressources. La définition de ces principes doit résulter d’un équilibre entre
l’intérêt général et les intérêts particuliers des différents acteurs en présence, dans le
domaine spatial. En effet, l’allocation des ressources suppose une interaction entre
le monde scientifique, le monde industriel et les décideurs politiques. Les Etats, par
le biais de leurs dirigeants politiques, décident de l’attribution des ressources, en
tenant compte de la dialectique qui s’établit entre leurs intérêts et ceux des
industriels qui doivent remplir leurs carnets de commandes. Ainsi, l’allocation des
ressources nécessite de faire des choix stratégiques qui posent en substance la
question des motivations avancées pour justifier les programmes spatiaux.
Cette question est d’autant plus importante que les activités spatiales
engendrent l’allocation de budgets colossaux. Aussi les responsables de
programmes spatiaux peuvent parfois être tentés, pour obtenir les crédits
nécessaires, de masquer derrière l’alibi de la science une partie des mobiles qui
fondent leurs projets. Il y a par conséquent, en la matière, une exigence éthique de
présenter clairement et honnêtement les motivations sous-tendant les décisions
relatives aux programmes spatiaux, que leur fondement soit d’ordre culturel,
économique, scientifique ou politique.

III.2.2. Le partage des connaissances et des ressources


Malgré les dispositions de l’article 1er alinéa premier du Traité de 1967 qui
précisent que l’exploration et l’utilisation de l’espace extra-atmosphérique « doivent
se faire pour le bien et dans l’intérêt de tous les pays, quel que soit leur stade de
développement économique et scientifique ; elles sont l’apanage de l’humanité tout
entière », l’aventure spatiale ne repose, en fait, en raison de ses coûts et de
l’utilisation de technologies de pointe, que sur quelques puissances. Toutefois, les
connaissances et les données spatiales qui en résultent doivent être à la disposition
de tous les pays, et plus particulièrement des pays en développement qui n’ont pas
la possibilité d’accéder directement à l’espace. En effet, un certain nombre
d'informations sont utilisées pour prendre des décisions dans des domaines aussi
déterminants que l'agriculture, les ressources naturelles, l'environnement, la
prévention ou l'intervention en cas de catastrophes naturelles. Les pays en
développement ont donc particulièrement besoin de ce type de données dont l'accès
dépend de leur prix et de la politique de partage de l'information.
En vue d'aboutir à un partage équitable de l'information, une distinction peut
être faite entre trois types de données produites par les missions spatiales :
- les données à caractère scientifique qui relèvent de la recherche
fondamentale et qui doivent être accessibles aux chercheurs et
universitaires de tous les pays.
- les données environnementales qui devraient être mises à la disposition de
pays moins favorisés pour lesquels l’accès à ces données constitue un
élément important pour leur équilibre et leur développement. A cet égard,
la pratique d’Eumetsat à l’endroit des pays non membres, qui, s’ils sont
riches doivent payer les données alors que s’ils sont pauvres, ils y ont
accès gratuitement, pourrait s’appliquer aux données environnementales.
- les données à caractère commercial au sens strict,
(télécommunications…) qui pourraient relever, elles (et elles seules), d’une
logique « marchande ».
21

Au titre du partage des ressources se pose la question de la répartition


équitable des fréquences et des emplacements orbitaux sur l’orbite géostationnaire,
ressources rares et limitées de l’espace extra-atmosphérique. En effet, l’orbite
géostationnaire présente la particularité pour les satellites de paraître immobiles par
rapport à la Terre et d’être par conséquent toujours situés au-dessus du même point.
Pour des raisons techniques, en vue d’éviter les interférences entre satellites, le
nombre de ceux qui peuvent fonctionner simultanément sur cette orbite est limité.
Ceci suppose donc une gestion efficace et équitable, vis-à-vis notamment des pays
en développement. A cet égard, l’Union internationale des télécommunications (UIT),
agence spécialisée des Nations Unies, travaille depuis le début de l’ère spatiale pour
un accès équitable et une utilisation rationnelle et efficace des fréquences
radioélectriques et des emplacements orbitaux. Cependant, on assiste depuis peu à
une remise en question progressive du statut de l’orbite géostationnaire, certains
auteurs allant même jusqu’à envisager une véritable « Bourse » des positions
orbitales et des fréquences correspondantes. Ceci remettrait ainsi en cause le
principe d’accès égal pour tous aux activités spatiales qui découle du principe,
énoncé dans le Traité sur l’espace de 1967, de la liberté d’exploration et d’utilisation
de l’espace extra-atmosphérique et des corps célestes.

III.2.3. Appropriation de l’espace et libre accès à l’espace


Le Traité sur l'espace de 1967 pose, dans son article 1er, alinéa 2, le principe
de la liberté d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique3. Cette
liberté a pour corollaire la non appropriation par les Etats de l'espace extra-
atmosphérique, qui est un principe fondamental consacré par l’article 2 du Traité de
19674.
Dès 1961, l’Assemblée générale des Nations Unies a, à plusieurs reprises,
adopté des résolutions énonçant que l’espace extra-atmosphérique et les corps
célestes ne pouvaient faire l’objet d’appropriation nationale d’aucune sorte
(résolutions 1721 (XVI) et 1884 (XVIII)).
Aujourd’hui, des menaces d’affaiblissement de ce principe existent avec, par
exemple, la vente par certaines sociétés privées de terrains sur la Lune. Même si
ce genre d’initiatives tend à faire sourire, elles sont en complète contradiction avec
le principe de non appropriation, et toute atteinte à ce principe risque non
seulement de vider de son contenu un des fondements du droit de l’espace, mais
revêt également un caractère dangereux. L’espace doit être et doit rester au service
de l’humanité tout entière.
Il ne faut cependant pas interpréter le principe de non appropriation comme
excluant tout dépôt de brevets ou plus généralement la protection de la propriété
intellectuelle. Il est important que les technologies spatiales et le savoir-faire utilisé
puissent donner lieu à une protection de la propriété intellectuelle. En effet, il paraît
justifié que les pays ou les industries spatiales qui investissent des sommes

3. Article 1er alinéa 2 : « L’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres


corps célestes, peut être exploré et utilisé librement par tous les Etats sans aucune
discrimination, dans des conditions d’égalité et conformément au droit international, toutes
les régions des corps célestes devant être librement accessibles ».
4. Article 2 : « L’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps
célestes, ne peut faire l’objet d’appropriation nationale par proclamation de souveraineté, ni
par voie d’utilisation ou d’occupation, ni par aucun autre moyen ».
22

considérables soient rétribués pour leurs inventions. De plus, cette question de la


propriété intellectuelle suscite d’autant plus d’intérêt que la station spatiale
internationale va constituer une sorte de laboratoire d’expériences qui pourront avoir
des répercussions spectaculaires dans divers domaines. Ainsi, les industriels ne
seront disposés à mener dans l’espace des recherches extrêmement coûteuses que
s’ils ont la garantie juridique que les découvertes éventuelles seront correctement
protégées.
En la matière se pose clairement un problème de modalité d’appropriation des
technologies du domaine spatial du fait qu’à l’heure actuelle, seuls les Etats-Unis
d’Amérique détiennent le monopole sur le dépôt des brevets concernant les
inventions ou les dispositifs embarqués sur un satellite.
Par ailleurs, en cas d’une découverte pouvant apporter un bienfait universel :
doit-elle être brevetée sur une base strictement commerciale, ou faut-il prévoir des
dispositions légales permettant d’y avoir accès ?
La protection de la propriété intellectuelle peut, toutefois, présenter une
menace pour le développement de recherches ultérieures, avec en particulier le cas
des orbites dites « intelligentes », dont le procédé a été breveté : ces orbites sont
elliptiques et quasi géostationnaires, mais en dehors du plan équatorial, ce qui fait
qu’elles ne nécessitent pas l’attribution de fréquences limitées. La conséquence d’un
dépôt de brevet est que ceux qui souhaiteraient utiliser ces orbites, que ce soit sur
un plan commercial ou à des fins de recherches, devront payer des droits. Cette
pratique a pour effet de limiter l’accès à l’espace : elle est difficilement acceptable. Il
importe d’encourager des travaux approfondis dans ce domaine.

III.3. ASPECTS PARTICULIERS DES TECHNOLOGIES DUALES


L’utilisation de l’espace constitue un enjeu stratégique et un élément essentiel
de la politique de défense des grandes nations. L’espace peut, par exemple, contenir
des systèmes d’armement. Il permet également de brouiller des systèmes terrestres
d’armement.
L’espace présente une composante militaire inséparable de la composante
civile. Ainsi, bien que les traités internationaux relatifs à l’espace se réfèrent
généralement à des concepts tels que « l’intérêt commun de l’humanité » et
« l’utilisation de l’espace à des fins pacifiques », la plupart des applications spatiales
sont d’utilisation duale, c’est-à-dire qu’elles ont la possibilité d’être utilisées à des fins
à la fois civiles et militaires. En effet, les bases de la technologie spatiale militaire et
celles de la technologie spatiale civile sont communes. A cet égard, il convient
d’établir une distinction entre :
- les technologies civiles susceptibles d’applications militaires, telles que
l’optronique appliquée à l’observation de la Terre,
- et les technologies militaires présentant des applications civiles, comme
le GPS.
La première catégorie semble moins problématique d’un point de vue éthique.
Il ne faut pas oublier que des systèmes créés à l’origine pour une utilisation civile
peuvent bénéficier au militaire, en permettant par exemple de guider des missiles de
croisière.
23

Dans l’autre cas, les applications commerciales sont de plus en plus


subordonnées aux systèmes élaborés à des fins militaires. Cette question devient
critique lorsqu’un Etat risque de devenir dépendant de ces systèmes. Alors que la
technologie devrait bénéficier de l’utilisation duale de la technologie militaire, de ses
coûts réduits de développement et de production, il faudrait qu’il y ait une séparation
complète dans l’utilisation de la technologie elle-même, en prenant en compte
indépendamment les besoins des différents utilisateurs civils et les aspects militaires.
Dans ce contexte d’utilisation duale, l’observation de la Terre peut conduire à
la surveillance, voire même à l’espionnage. Les satellites de communication facilitent
la projection de forces armées au-delà des frontières nationales. Ces mêmes
technologies permettent le déploiement de systèmes d’observation et de
surveillance. Les systèmes de positionnement (GPS et GLONASS) ont été
développés à des fins militaires et donnent un avantage dominant à ceux qui les
contrôlent. Cependant, la disponibilité de leurs signaux pour les utilisateurs civils a
conduit à une dépendance grandissante des applications commerciales, importantes
pour la société civile, à ces systèmes militaires.
Dans quelles circonstances les propriétaires de ces systèmes pourraient-ils
refuser leur utilisation par d’autres ? Cette dépendance pose des questions qui
relèvent de l’éthique en raison du risque d’assujettissement des applications civiles à
des instances militaires (notamment le GPS).
Il faudrait que le civil puisse disposer d’un système de recours pour lui
permettre de se défendre vis-à-vis du militaire. Il est, en effet, important que les
technologies militaires qui ont des applications civiles profitent à cet usage et que les
situations qui justifieraient le maintien de l’affectation de ces technologies au civil
soient clairement identifiées.

III.4. UNE GESTION DURABLE DE L’ESPACE EXTRA-ATMOSPHERIQUE


III.4.1. Les débris en orbite
En l'état actuel de la technique, aucune solution économiquement viable
n'existe pour nettoyer l'espace de la population de débris qui s'y est accumulée
depuis le début des lancements spatiaux. Seules des mesures de prévention, à
l'instar de l'envoi des satellites géostationnaires en fin de vie sur une orbite cimetière
(graveyard orbit), ou la réduction du temps de séjour en orbite ou la rentrée
immédiate des étages supérieurs des lanceurs, sont envisageables pour interrompre
la croissance de leur nombre. Mais en raison de leur coût élevé, ces mesures ont un
impact significatif sur la compétitivité des systèmes commerciaux et risquent
d'aboutir à une situation de distorsion de concurrence en matière, notamment, de
lanceurs. Par conséquent, afin de maintenir une concurrence équitable dans ce
domaine :
- des règles visant à prévenir la propagation de débris doivent s'imposer
uniformément à tous les utilisateurs de la technique spatiale ;
- et elles doivent être inscrites dans le droit international.
Des règles de bonne conduite ont certes été établies et mises en œuvre par
certaines agences spatiales. Et aux termes du droit international existant, les Etats
sont seuls responsables des conséquences nuisibles des lancements. Mais il
n’existe pas encore de cadre juridique contraignant, à portée universelle,
24

réglementant spécifiquement le problème des débris spatiaux, et, de ce fait même, il


n’existe pas non plus de dispositif institutionnel chargé de veiller à sa mise en œuvre,
sur le modèle de celui qui gère les attributions de fréquences radioélectriques aux
véhicules spatiaux. Depuis quelques années, plusieurs pays ont abordé ce problème
au sein du Comité sur l’utilisation pacifique de l’espace extra-atmosphérique
(COPUOS) de l’Organisation des Nations Unies. Ce Comité a lancé des études
visant à mettre en place un plan d’observation et de dénombrement des objets
circulant dans l’espace et à l’élaboration de modèles permettant de faire de la
prévision et de la prévention.
La nationalité des débris spatiaux n’est généralement pas identifiable. En
effet, la plupart des débris qui sont potentiellement dangereux ne sont pas suivis
individuellement : la détermination de leur provenance est donc impossible. Jusqu’à
présent, un seul satellite a été endommagé en orbite à la suite d’une collision. Il
s’agit du satellite militaire français « Cerise » qui a heurté l’étage supérieur du
lanceur qui l’avait mis sur orbite. En l’espèce, la nationalité du débris était connue et
la collision avait un caractère national. Mais qu’en serait-il en cas de collision entre
des éléments de nationalités différents ? Quelle serait la nationalité des débris
générés par cette collision ? Ou que se passerait-il dans l’hypothèse de dommages
causés par des débris dont la nationalité n’est pas déterminable - ce qui est
l’immense majorité des cas ? En raison de la complexité de ces questions, elles ne
peuvent être envisagées qu’au niveau international, dans la mesure où toute initiative
n’a de chance d’être efficace que si elle est menée en commun par les pays spatiaux
et par les pays simples utilisateurs de l’espace. En conséquence, une concertation
dans ce domaine s’avère indispensable.

III.4.2. Les déchets émanant de l'activité humaine


A moyen terme, il existe d’autres modes d’intervention de la technique spatiale
qui supposent qu’interviennent des progrès majeurs, singulièrement en ce qui
concerne le transport spatial de la Terre vers l’orbite. Le plus immédiatement
accessible est l’utilisation du système de transport spatial pour débarrasser la
surface de la planète des déchets les plus dangereux de l’activité humaine et
notamment des déchets provenant de l’industrie nucléaire. L’espace circumsolaire, à
grande distance de la Terre, offre à cet égard des capacités de stockage illimitées
pour des durées indéfinies. Toutefois cette démarche se heurte, en l’état actuel de la
technique, à la sécurité insuffisante de moyens de transport de la Terre vers l’orbite.
Elle ne pourra se concrétiser que si des progrès majeurs sont accomplis dans le coût
et la fiabilité des lanceurs spatiaux.

III.5. ASPECTS PARTICULIERS LIES A LA GESTION DES CRISES


La gestion des crises suppose un travail d’approfondissement des aspects de
communication, de médiation scientifique et d’explication de la gestion du risque afin
de préparer et d’informer de manière transparente l’opinion publique quant à la
survenance d’éventuels incidents. A cet égard, le retour programmé de la station
MIR nécessite la mise en place d’une stratégie de communication élaborée, afin
d’expliquer au maximum les différentes étapes du processus.
Une telle gestion des crises nécessite une gestion des risques. Celle-ci doit
prendre en compte la perception qu’a l’opinion publique de ces risques ainsi que leur
caractère subjectif. Il est, à cet égard, essentiel d’instaurer un dialogue clair et
transparent entre le public et les différents acteurs du domaine spatial.
25

Par ailleurs, au niveau organisationnel, afin que la gestion des risques


s’effectue de la manière la plus objective possible, celle-ci doit se faire, au sein des
entités impliquées dans des activités spatiales, par une autorité indépendante de
protection de la sûreté.
Le contrôle du système de positionnement GPS par les militaires américains
suscite des inquiétudes en cas de conflit. En effet, que se passerait-il si les intérêts
des Etats-Unis d’Amérique les conduisaient à suspendre la mise à disposition de ce
système aux utilisateurs civils ? Pour éviter cette situation de dépendance, le
développement d’un système civil est fortement souhaitable. A cet égard, l’Europe a
décidé de se doter d’un système civil spécifiquement européen de contrôle de la
navigation par satellite, le programme GALILEO, qui pourrait compléter, voire même
remplacer le système GPS.

III.6. EQUILIBRE ENTRE PROTECTION COLLECTIVE (LUTTE CONTRE LA MAFIA,


TERRORISME, PEDOPHILIE) ET PROTECTION INDIVIDUELLE (LES LIBERTES
INDIVIDUELLES FACE A LA SURVEILLANCE ELECTRONIQUE)
Comme cela a été exposé précédemment, les technologies spatiales peuvent
être utilisées à des fins de surveillance plus ou moins légales. Il est compréhensible
que les Etats puissent vouloir recourir à cette surveillance électronique pour assurer
la sécurité et la défense de l’ordre public, mais elle ne doit pas servir à contrôler
systématiquement et arbitrairement les individus et à pénétrer dans leur sphère
privée. Il y a donc un équilibre à trouver entre la protection de la société et la
protection individuelle.
L’usage des réseaux satellitaires ne doit pas servir à la prolifération d’activités
illégales. Mais parallèlement, les systèmes d’observation et de surveillance
électronique peuvent être utilisés pour identifier les réseaux criminels ou terroristes.
Mais cette surveillance électronique ne va pas sans poser de problème quant aux
libertés individuelles. Il est désormais possible d’intercepter les données de
communication transitant par les satellites, de localiser, par un système de
positionnement, les communications de téléphones mobiles, voire même d’identifier
le comportement des individus. Ces techniques auparavant utilisées par les seuls
militaires se trouvent aujourd’hui à la portée de ceux qui disposent de moyens
techniques appropriés, leur utilisation détournée est susceptible de porter atteinte
aux libertés individuelles. A cet égard, la détermination de la frontière entre ce qui
peut faire l’objet d’une surveillance légale et ce qu’il est illégal de surveiller, comme
les communications personnelles, n’est pas évidente et requiert une concertation
internationale rapide.

III.7. NOUVELLES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION


ET NOUVEAU LIEN SOCIAL
Les nouvelles technologies de l’information et de la communication ont aboli
les barrières spatio-temporelles et ont transformé le monde en un « village
planétaire », où les informations et les communications circulent à la vitesse de la
lumière. Les NTIC ont abouti à l’émergence d’un forum de communication ouvert,
décentralisé, personnalisé, interactif, dématérialisé qui offre au citoyen un nouvel
espace de liberté, tout en présentant une menace pour les libertés individuelles et les
identités culturelles.
26

L’irruption des NTIC dans les actes de la vie quotidienne et à tous les âges de
la vie est à l’origine de nouveaux produits, de nouveaux services : télé-
enseignement, télé-travail, télé-médecine, commerce électronique et télé-loisirs. Se
dessinent ainsi de nouveaux métiers, de nouveaux services et de nouvelles activités,
facteurs de nouveaux enjeux économiques et sociaux. Par exemple, les effets
d’Internet se font de plus en plus sentir sur le tissu social qu’ils modifient et
remodèlent en profondeur. La société va devoir s’adapter à cette nouvelle situation.
Un long chemin reste à parcourir pour parvenir à faire évoluer les mentalités afin de
passer de l’information au savoir et de la communication à la compréhension.
Aujourd’hui, avec la télévision, l’émergence des nouvelles technologies de
l’information et de la communication, les satellites, l’homme est aussi en capacité de
« téléprésence » : il est à travers d’autres moyens de sensation et de perception que
ne l’était son ancêtre très immédiat. Il faut donc s’interroger sur la nouvelle nature de
l’être humain qui est en train de se créer, ainsi que sur les nouvelles relations qui
vont émerger. En effet, la mondialisation des échanges et le respect des identités
socio-culturelles, sont à la fois une conséquence et une perspective des NTIC. Ainsi,
sur le plan économique, la société de l’information permet une nouvelle organisation
des activités professionnelles, une nouvelle stratégie industrielle, de nouvelles
relations entre les clients et les entreprises ou les services, dans le cadre notamment
du commerce électronique. Sur le plan sociologique, les hiérarchies habituelles, les
relations purement opérationnelles liées à la vie professionnelle sont
progressivement remplacées par un nouveau système relationnel entre les
responsables et les acteurs économiques.

III.8. PEDAGOGIE DE LA MEDIATION


Les décisions concernant les programmes spatiaux sont prises par une
poignée de politiques, de responsables de grandes agences publiques et
d'ingénieurs. Se pose donc un problème de déficit démocratique qu’il est nécessaire
de combler en mettant en place un dialogue démocratique « éclairé » impliquant des
experts, des scientifiques, des décideurs politiques, ainsi que les citoyens. Un tel
dialogue pourrait notamment prendre la forme de débats publics organisés
permettant la participation active du public.
Il faut veiller à assurer une formation scientifique suffisante des médias pour
éviter tout risque de désinformation ou de propagation d’informations superficielles,
voire erronées. Cette formation pourrait éventuellement et notamment être envisagée
par le biais de l’institutionnalisation d’une structure de formation internationale des
journalistes scientifiques. Par ailleurs, une fonction de formation des médias pourrait
être remplie par les agences spatiales au même titre que la formation de
« médiateurs scientifiques » à travers les services d’un centre de formation
international.
Il y a véritablement de la part du monde scientifique, du monde industriel à
organiser cette pédagogie de la médiation, de façon à permettre de vivre avec la
politique spatiale. Cette pédagogie vise à remettre l’homme au centre du débat en lui
assurant les éléments indispensables à une « culture de l’espace ».
27

IV. RECOMMANDATIONS
Après avoir identifié un certain nombre de problèmes ou de questions portant
sur l’éthique de la science et des technologies spatiales, notre groupe de travail
propose plusieurs recommandations à la COMEST qui pourra, le cas échéant,
élaborer, sur la base de nos travaux, des principes directeurs relatifs au
développement et à l’usage des technologies spatiales.

IV.1. L’ESPACE COMME QUESTIONNEMENT ETHIQUE


L’élaboration de normes éthiques :
- Si les considérations éthiques doivent permettre d’aider à la résolution de
conflits susceptibles de survenir, du fait des applications, des
technologies spatiales, des critères ou des normes doivent être établis
pour conforter toute argumentation.
- L’éthique doit précéder et orienter le droit, et non l’inverse. En effet,
l’éthique est un mouvement permanent qui est destiné à éclairer la
réglementation.
- Les activités spatiales nécessitent un cadre juridique précis, sous-tendu
par une éthique élaborée puis clairement acceptée par tous les acteurs
du domaine. Il conviendrait, par exemple, de rédiger et de voter au sein
du système des Nations Unies des principes généraux concernant le
concept juridique du pays de lancement, et le statut des orbites basses.
- Mais auparavant, le plus grand nombre d’Etats devrait ratifier les
instruments juridiques déjà existant dans le domaine spatial, afin qu’ils
leur soient applicables.
- Il faudrait que les principes éthiques soient appliqués à chaque étape du
développement de l’outil spatial, et qu’ils sous-tendent notamment les
plans stratégiques des agences spatiales.
- Le cas échéant, l’établissement d’un code éthique devrait découler d’une
concertation internationale afin d’harmoniser les pratiques et les
éventuelles législations existantes et d’éviter la multiplication de normes
spécifiques à chaque pays.
- Afin d’éviter toute zone d’ombre et de permettre une meilleure
compréhension et adhésion de l’opinion publique, il est indispensable de
s’assurer de la plus grande clarté et indépendance dans l’exposé des
motivations qui, quels que soient leurs fondements, sous-tendent les
décisions relatives aux programmes spatiaux. Ceci suppose une réelle
transparence de la part des agences spatiales et des gouvernements qui
prennent les décisions, mais aussi des médias qui les relaient au sein de
la société.
- Elaborer les bases d’une « culture de l’espace » est aujourd’hui devenu
indispensable.
28

IV.2. L’ESPACE COMME DIMENSION


- L’espace comme facteur d’élargissement des connaissances suppose
que rien ne puisse entraver l’observation de l’Univers par les
astrophysiciens, et en particulier la pollution électromagnétique.
- Afin de permettre à la science de se poursuivre dans de bonnes
conditions, l’espace doit faire l’objet d’une protection particulière.
- L’espace devrait être proclamé comme un « territoire scientifique » à la
disposition de l’humanité.

L’allocation des ressources :


- L’émergence de principes paraît nécessaire. Ils devraient résulter de
l’équilibre à réaliser entre l’intérêt général de l’humanité et les intérêts
particuliers des différents acteurs en présence.
- La notion d’équité devrait s’appliquer à la répartition des ressources afin
de pallier la compétition que celle-ci engendre entre les diverses
disciplines scientifiques.

IV.3. L’ESPACE COMME OUTIL


Limitation de la pollution provenant des activités spatiales : les débris spatiaux :
- En vue de la limitation de la pollution induite par les activités spatiales, des
mesures de prévention en matière de débris spatiaux devraient être établies
de sorte qu’elles s’imposent uniformément à tous les utilisateurs de la
technique spatiale, afin d’éviter les risques de distorsion de concurrence.
- Ces mesures de prévention devraient être inscrites dans le droit
international.
- L’élaboration d’un instrument légal international présente un caractère
prioritaire.
- La notion de débris spatiaux devrait faire l’objet d’une définition détaillée.
- La mise en place de cadres éthique et juridique suppose de développer
une symbiose entre les scientifiques, les juristes et les comités d’éthique.

L’accès aux données :


- Les données environnementales devraient être mises à la disposition
des pays les moins fortunés. Ménager leur l’accès constitue un élément
indispensable à leur développement.
- Il faudrait développer des législations réglementant l’accès et l’utilisation
des données traitées par satellites.
- En cas de catastrophes naturelles, il paraît primordial que la
dissémination rapide et quasi gratuite des informations puisse se faire,
indépendamment d’autres activités plus commerciales, sur le modèle de
ce qui se fait dans le domaine de la météorologie ou bien que les données
météorologiques aient une valeur commerciale, les différents services
météo de la planète s’échangent quotidiennement et en permanence
toutes leurs données d’observation globale de l’environnement terrestre.
29

L’espace et l’environnement :
- A court terme, la technique spatiale doit permettre d’établir un système
de gestion de l’environnement global.
- L’établissement d’une source permanente de connaissances fondées sur
l’observation de l’environnement planétaire devrait constituer un objectif
majeur pour les Nations spatiales.
- A terme, l'intervention de la technique spatiale pourrait servir à
débarrasser la surface de la Terre des déchets les plus dangereux de
l'activité humaine, en particulier les déchets nucléaires, en les mettant sur
une orbite circumsolaire, à capacité de stockage illimitée. Ceci implique
néanmoins que des conditions de sécurité absolue soient atteintes.

La protection des libertés publiques et des identités culturelles :


- La variété des transmissions satellitaires doit notamment avoir pour effet
de permettre aux cultures minoritaires de s’exprimer en atteignant les
populations concernées où qu’elles se trouvent.
- Il faut assurer un équilibre entre le maintien des identités culturelles
existantes et l’apparition de nouvelles identités issues des forums
électroniques.
- Il faut veiller à ce que le phénomène de mondialisation ne conduise à
l’uniformisation des cultures.
- La diffusion des technologies de l’information au niveau mondial doit
garantir le respect des identités culturelles et la liberté d’expression.

La surveillance électronique :
- La surveillance électronique étant inévitable, la gestion et le contrôle des
données doivent être réglementés, tout en protégeant la confidentialité
des informations et des individus.
- Des législations relatives à l’accès et à l’utilisation des données traitées
par satellites mériteraient d’être développées.
- Il convient de s’assurer que les techniques de communication spatiales
ne servent pas à la diffusion de messages subversifs ou au
développement d’activités illicites.

L’exploitation commerciale et industrielle de l’espace :


- L’utilisation des données qui découlent du développement des capacités
de prévision doit être gérée de telle sorte qu’elle évite l’accroissement
des inégalités ou l’émergence de pratiques économiques coercitives.
- Il faut veiller à ne pas adopter une attitude réprobatrice à l’égard de
l’exploitation commerciale et industrielle de l’espace. A partir du moment
où des fonds privés sont utilisés, une logique commerciale est justifiée.
- Il convient de préserver les avantages des systèmes spatiaux qui sont
spécifiques et de faire attention, en élaborant des normes éthiques, de
peser leurs conséquences sur les différents systèmes et les différents
acteurs.
30

- La question des pratiques commerciales devrait rester dans le cadre des


discussions commerciales entre les pays et au sein de l’Organisation
mondiale du commerce (OMC).

L’acquisition et la protection des données spatiales :


- Afin d’avoir les mêmes droits et opportunités, tous les pays devraient
bénéficier des données spatiales, ou du moins, une distinction en
matière de coût d’accès aux données pourrait intervenir en fonction de
l’usage que les pays veulent en faire.
- Une distinction pourrait être faite entre trois types de données produites
par les missions spatiales :
• les données à caractère scientifique qui relèvent de la recherche
fondamentale et qui doivent être accessibles aux chercheurs et
universitaires de tous les pays.
• les données environnementales qui devraient être mises à la
disposition de pays moins favorisés pour lesquels l’accès à ces
données constitue un élément important pour leur équilibre et leur
développement. A cet égard, la pratique d’Eumetsat à l’endroit des
pays non membres, qui, s’ils sont riches doivent payer les données
alors que s’ils sont pauvres, ils y ont accès gratuitement, pourrait
s’appliquer aux données environnementales.
• les données à caractère commercial au sens strict,
(télécommunications…) qui pourraient relever elles (et elles seules)
d’une logique « marchande ».
- Bien que l’espace extra-atmosphérique soit patrimoine commun de
l’humanité, les technologies spatiales et le savoir-faire doivent pouvoir
donner lieu à protection de la propriété intellectuelle.
- L’opportunité d’élaborer un droit européen, voire international, en matière
spatiale est à envisager, notamment dans le domaine de la protection de
la propriété intellectuelle des matériels embarqués, qui est actuellement
régie par les dispositions juridiques d’un seul pays.
- Il n’est cependant pas nécessaire d’élaborer des règles spécifiques au
domaine spatial relatives à la protection de la propriété intellectuelle,
puisqu’il est envisageable d’appliquer à l’espace les mêmes règles de
propriété intellectuelle que celles qui s’appliquent aux autres formes de
création.

IV.4. L’ESPACE COMME PERCEPTION


La gestion des risques :
- Il est important d’avoir une autorité indépendante de protection de la
sûreté, ce qui implique une séparation entre les instances dites de
sauvegarde et celles de mise en œuvre de l’outil technologique.
- Au risque de porter préjudice au développement immédiat de l’industrie
spatiale, il ne faut pas attendre que les dommages interviennent pour
poser des limites à l’utilisation des connaissances : il s’agit de s’engager
dans une politique de développement à long terme fondé sur un principe
de précaution proportionné.
31

- La gestion des risques vis-à-vis de la société implique qu’il faille veiller,


non seulement, à prendre en compte le caractère subjectif du risque,
mais aussi à le démystifier en tenant le public informé des risques réels
et en instaurant un dialogue clair et transparent entre la société et les
différents acteurs du domaine spatial, afin d’éviter toute zone d’ombre.
- Il est important d’identifier des entités supranationales pouvant suggérer
des règles de gestion équilibrée des risques, et en assurer le suivi et
l’application effective, notamment sur le plan de la protection de
l’environnement spatial.
- Cette gestion des risques doit également se traduire sur le plan juridique,
en évitant toutefois l’écueil de la sur-réglementation. Il s’agit de rassurer
l’opinion publique en s’appuyant sur la notion de responsabilité qu’il
convient de retenir en la matière.
- En cas de dommage causé par un engin spatial, la possibilité d’avoir une
responsabilité illimité devrait être envisagée.

La communication :
- Une éthique de l’information sur les sujets relevant de l’exploration
spatiale doit être développée dans les médias.
- Il serait opportun d’envisager des cahiers des charges portant sur
l’information sur la politique spatiale.
- Il faudrait assurer une formation scientifique suffisante aux journalistes
afin d’éviter toute désinformation. Dans cette optique, les agences
spatiales pourraient remplir une fonction pédagogique vis-à-vis des
médias.
- Il serait souhaitable de permettre au grand public de disposer d’une
meilleure information concernant les activités spatiales. Une bonne
information du public peut aider à légitimer l’exploration spatiale.
- L’information seule ne suffit pas. L’opinion publique doit être en mesure
de la comprendre. Il est donc primordial de veiller à la diffusion d’une
culture scientifique de base suffisante pour que le grand public puisse
appréhender les objectifs, les enjeux, mais aussi les risques des activités
spatiales.
- Des programmes de formation de formateurs et de médiateurs
scientifiques devraient être élaborés et assurer par des institutions
internationales spécialisées.
- Une meilleure compréhension et adhésion du public pourraient
notamment être développées par le biais de débats publics ou de
« forums hybrides » regroupant des experts, des scientifiques et des
citoyens.
- Tous ces efforts en matière de communication doivent aboutir à
développer cette « culture de l’espace » basée sur la pédagogie de la
médiation devenue indispensable.
32

CONCLUSION
L’espace extra-atmosphérique fait partie du patrimoine commun de l’humanité
et en tant que tel, son exploration et son exploitation doivent être libres d’accès et au
bénéfice de l’humanité.
La démarche éthique dans le domaine spatial est à la fois morale de l’action,
pensée du risque et reconnaissance de l’autre et elle doit se fonder sur une nouvelle
stratégie de communication. Dans le cadre de cette stratégie, il est primordial de
maintenir une part de rêve comme source d’imagination créatrice, de donner sa juste
place à la fiction, tout en ayant à l’esprit la réalité de l’avenir de la politique spatiale
au bénéfice de l’humanité.
Les travaux engagés par le groupe de travail sur l’éthique de l’espace extra-
atmosphérique ont permis d’identifier les problèmes d’ordre éthique qui se posent en
la matière, et le présent rapport n’est qu’une étape préliminaire. Le groupe va
soumettre ses conclusions à la COMEST à qui il reviendra d’élaborer les bases de la
« SPATIOETHIQUE » afin d’amorcer une concertation mondiale.

Paris, le 23 décembre 1999


33

BIBLIOGRAPHIE

ARNOULD Jacques, L’Espace et la Terre, Etude des stratégies de communication


et de diffusion du savoir du Centre National d’Etudes Spatiales en matière
d’observation de la Terre, thèse doctorale, Université Paris XI Orsay.

ARNOULD Jacques, Rapport « L’Espace et l’Ethique » du groupe de travail


« Espace, Ethique et Société » du CNES, Paris, 1999.

BONNET Roger and Vittorio MANNO, International Cooperation in Space, The


Example of the European Space Agency, Harvard University Press, 1994.

COPUOS, Technical Report on Space Debris, United Nations, New York, 1999.

DUPAS Alain, L’âge des satellites, Hachette, 1997.

ESTERLE Alain (sous la direction), L’homme dans l’espace, Nouvelle Encyclopédie


Diderot, Presses universitaires de France, 1993.

GAVAGHAN Helen, Something New Under the Sun, Satellite and the Beginning of
the Space Age, Copernicus, New York, 1998.

Eye in the Sky, the Story of the Corona Spy Satellites, Edited by John M. Logsdon
and Brian Latell, Smithsonian Institution, 1994.

GROUARD Serge, La guerre en orbite, Economica, Paris, 1994.

LEBEAU André, L’Espace. Les enjeux et les mythes, Paris, Hachette (Littératures),
1998.

MADDERS Kevin, A New Force at a New Frontier, Cambridge University Press,


1997.

MARTIN Pierre-Marie, Le Droit de l’Espace, Presses universitaires de France, Que


sais-je ? n° 883, 1991.

VAUGHAN Diane, The Challenger Launch Decision, University of Chicago Press,


1996.
34

ABREVIATIONS

ASE Agence spatiale européenne


CIB Comité international de bioéthique
CNAM Conservatoire national des Arts et Métiers
CNES Centre national d’études spatiales
CNRS Centre national de la recherche scientifique
COMEST Commission mondiale de l’éthique des connaissances
scientifiques et des technologies
COPUOS Committee on the Peaceful Uses of Outer Space
CUPEEA Comité sur l’utilisation pacifique de l’espace extra-
atmosphérique
ESA European Space Agency
EUMETSAT European Organization for Meteorological Satellites
(Organisation européenne pour l’exploitation de satellites
météorologiques)
GLONASS Global Navigation Satellite
GPS Global Positioning System (Système global de localisation)
NASA National Aeronautics and Space Administration
NTIC Nouvelles technologies de l’information et de la communication
UIT Union internationale des télécommunications
UNESCO Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la
culture
35

LEXIQUE

Agence spatiale européenne (ESA) : organisation spatiale européenne qui a pour


mission d’assurer et de développer, à des fins exclusivement pacifiques, la
coopération entre les Etats européens dans les domaines de la recherche et de la
technologie spatiales et de leurs applications spatiales, en vue de leur utilisation à
des fins scientifiques et pour des systèmes spatiaux opérationnels d’application.

Aire de lancement : zone où sont réunis les équipements qui autorisent la


préparation finale et le lancement d’un véhicule spatial.

Ariane : lanceur spatial européen.

Astronaute : occupant d’un vaisseau spatial.

Atmosphère : enveloppe gazeuse entourant une planète ou un satellite naturel.

Cartographie spatiale : élaboration de cartes à partir de données collectées par des


véhicules spatiaux et complétées par d’autres informations.

Collecte de données (par satellite) : technique utilisant des satellites artificiels pour
rassembler, en quelques heures et éventuellement en un seul lieu, un volume
considérable d’informations prélevées en un grand nombre de sites,
géographiquement dispersés.

COPUOS (Committee on the Peaceful Uses of Outer Space) : créé en 1959 par
l’Assemblée générale des Nations Unies, l’un des principaux organismes
internationaux au sein desquels s’élaborent les normes juridiques destinées à
réglementer les utilisations pacifiques de l’espace. Il possède deux sous-comités,
l’un scientifique, l’autre juridique, qui travaillent soit en réunion plénière, soit en
groupes de travail par sujet particulier, à partir de propositions émanant d’un Etat ou
d’un groupe d’Etats. Le rapport annuel que lui transmet chacun de ces sous-comités
sert de base aux propositions qu’il soumet à l’Assemblée générale des Nations
Unies. Celle-ci peut, en outre, adopter des recommandations ou des résolutions
contenant des textes de conventions internationales ouvertes à la signature des
Etats.

Cosmonaute : occupant d’un vaisseau spatial de l’ex-URSS.

COSPAR (Committee on Space Research) : comité créé en 1958 au sein du


Conseil international des unions scientifiques, en vue de promouvoir, sur le plan
international, le progrès des recherches scientifiques de toutes sortes mettant en
œuvre l’emploi des fusées, des satellites et des ballons.

Débris spatiaux (ou orbitaux) : déchets solides, d’origine artificielle, gravitant


autour de la Terre.

Engin spatial : objet de fabrication humaine situé dans l’espace ou destiné à y aller.
36

Espace : 1. Domaine situé au-delà de la partie de l’atmosphère terrestre où


peuvent évoluer les aéronefs (en droit international, on parle
d’espace extra-atmosphérique, par opposition à l’espace aérien).
2. Ensemble des activités industrielles ou de recherche se rapportant
à ce domaine.

Etage : partie autonome et séparable d’un véhicule spatial, généralement dotée de


moyen de propulsion et assurant certaines fonctions pendant une phase donnée du
vol.

EUMETSAT (European Organization for Meteorological Satellites) : organisme


intergouvernemental officiellement constitué le 19 juin 1986 par seize Etats
européens et leurs services météorologiques. Son objectif principal est la mise en
place, le maintien et l’exploitation des systèmes européens de satellites
météorologiques opérationnels, en tenant compte dans la mesure du possible des
recommandations de l’Organisation météorologique mondiale.

Galaxie : vaste ensemble d’étoiles, de poussières et de gaz interstellaires dont la


cohésion est assurée par la gravitation. La Galaxie dans laquelle est situé le système
solaire se présente comme un disque très aplati d’environ 100.000 années-lumière
de diamètre et de 5.000 années-lumière d’épaisseur, avec une grosse boursouflure
centrale, le bulbe.

Des dizaines de milliers de galaxies sont connues aujourd’hui et celles-ci


apparaissent comme le constituant fondamental de l’Univers. On les classe en trois
grandes catégories, d’après leur forme : elliptiques, spirales (barrées ou non) et
irrégulières. Des subdivisions plus fines dans chaque catégorie caractérisent leur
type morphologique

GLONASS (Global Navigation Satellite) : système de navigation par satellite


développé dans les années 1970 par le Ministère de la Défense de l’URSS puis de la
Fédération de Russie. Il est composé d’une constellation de 24 satellites répartis sur
trois plans orbitaux inclinés à 65°, à une altitude de 19.000 km de la Terre. Il utilise
deux bandes de fréquences, dont l’une est réservée au service des forces armées et
l’autre est destinée à des applications tant civiles que militaires.

GPS (Global Positioning System) : système de localisation conçu et géré par le


Ministère américain de la Défense (DOD). Il est basé sur une constellation de 24
satellites répartis sur quatre plans orbitaux inclinés à 55° et situés à 20.000 km de la
Terre. Il émet deux signaux codés, dont l’un est réservé aux forces armées
américaines et l’autre est librement et gratuitement accessible aux civils.

Ionosphère : zone de la haute atmosphère d’une planète, caractérisée par la


pésence de particules chargées (électrons et ions), formées par photo-ionisation
sous l’effet du rayonnement solaire.

Internet : c’est un « réseau de réseaux » initialement destiné aux besoins


d’échanges et de communications entre centres de l’armée, centres de recherche et
universités. Internet est un réseau mondial de serveurs (ordinateurs par exemple)
capables d’échanger entre eux de grandes quantités d’informations.
37

Lanceur : ce terme désigne tout système de propulsion capable de placer un objet


en orbite autour de la Terre ou au-delà.

Logiciel : ensemble de programmes, procédés et règles, et éventuellement de


documentation, relatifs au fonctionnement d’un ensemble de traitement de
l’information.

MIR : le « complexe orbital » MIR est constitué d’un « bloc de base » ou module
d’habitation mis en orbite par l’Union Soviétique en 1986 et de modules spécialisés
(Qvant, Qvant 2, Kristall,…). La capsule Soyouz permet le transport des équipages
entre la Terre et MIR alors que le fret est assuré par la capsule Progress qui évacue
les déchets et brûle dans l’atmosphère. En russe, MIR signifie à la fois « Globe » et
« Paix ».

Navette : engin spatial habité doté d’ailes et capable d’atterrir à l’horizontale qui peut
être utilisé au cours de plusieurs missions successives.

Orbite : trajectoire suivie par un objet dans l’espace. En première approximation,


l’orbite se définit par rapport au corps spatial voisin le plus massique (par exemple la
Terre, la Lune ou le Soleil). L’orbite est alors une « conique », le plus souvent fermée
(ellipse), parfois ouverte (parabole ou hyperbole) si suffisamment d’énergie cinétique
a été transmise à l’objet.

Orbite géostationnaire : elle est située dans le plan de l’équateur à une altitude
d’environ 35 800 km. D’une circonférence de 270 000 kilomètres, elle offre un
nombre de places restreint. Les satellites lancés sur cette orbite gardent une position
fixe par rapport à la surface terrestre, leur période de révolution autour du centre de
la planète étant la même que celle de la Terre. En raison de son altitude, un satellite
peut, à lui seul, couvrir le tiers de la surface de la Terre.

Patrimoine commun de l’humanité : formule d’internationalisation de certains


espaces justifiée par l’intérêt qu’ils présentent pour toute l’humanité. Elle est utilisée
pour les fonds marins, l’espace extra-atmosphérique ou même l’Antarctique. Elle
cherche à éviter toute appropriation nationale.

Satellite : engin placé par un système de transport spatial (fusée, navette) en orbite
autour de la Terre ou d’un astre quelconque.

Sonde : engin non habité lancé hors de l’atmosphère terrestre et destiné à étudier un
astre du système solaire ou l’espace interplanétaire.

Station spatiale : ce terme désigne actuellement tout système habitable mis en


orbite autour de la Terre et visité par des équipages successifs pour des séjours de
plus ou moins longue durée, grâce à un moyen spécifique de transport spatial
(capsule ou navette).

Stratosphère : partie de l’atmosphère entre la troposphère et la mésosphère, qui est


épaisse d’une trentaine de kilomètres et où la température s’accroît faiblement.

Système solaire : ensemble du Soleil et des astres qui gravitent autour de lui.
DOCUMENTS COMPLEMENTAIRES

1. Liste des membres du Groupe de travail de la Commission mondiale d’éthique


des connaissances scientifiques et des technologies (COMEST) sur
« L’éthique de l’espace extra-atmosphérique »

2. Contributions des membres du Groupe de travail

3. Rapports des réunions du Groupe de travail

4. Rapport final du Séminaire UNESCO-ESA sur « L’Ethique de l’espace extra-


atmosphérique »

7. Compte-rendu synthétique du Séminaire sur « L’Ethique de l’espace extra-


atmosphérique »
41

DOCUMENT COMPLEMENTAIRE I

MEMBRES DU GROUPE DE TRAVAIL DE LA COMMISSION MONDIALE D’ETHIQUE DES


CONNAISSANCES SCIENTIFIQUES ET DES TECHNOLOGIES (COMEST)
SUR « L’ETHIQUE DE L’ESPACE EXTRA-ATMOSPHERIQUE »

M. Alain POMPIDOU (France)


Coordonnateur du Groupe de travail de la COMEST
sur l’éthique de l’espace extra-atmosphérique
Membre du Conseil économique et social,
Professeur à la Faculté de médecine de Cochin-Port-Royal, Université Paris V,
Membre du Conseil d’application de l’Académie des Sciences

M. Jean AUDOUZE (France)


Astrophysicien, Directeur de recherche au CNRS,
Directeur du Palais de la découverte

M. Ezio BUSSOLETTI (Italie)


Professeur à l’Université navale de Naples,
Directeur de l’Institut de physique expérimentale

M. Jean-Jacques DORDAIN
Directeur Stratégie et développement, Agence spatiale européenne (ESA)

M. Carl Friedrich GETHMANN (Allemagne)


Professeur à l'Institut de Philosophie de l'Université de Essen,
Directeur de l'Académie européenne pour l'étude des conséquences
des avancées scientifiques et technologiques

M. Georges B. KUTUKDJIAN
Directeur,
Division de l’éthique des sciences et des technologies
UNESCO

M. André LEBEAU (France)


Membre de l’Académie nationale de l’air et de l’espace,
Professeur au Conservatoire national des Arts et Métiers (CNAM),
Ancien Directeur général adjoint de l’Agence spatiale européenne,
Ancien Président du Centre national d'études spatiales (CNES)

Sir Geoffrey PATTIE (Royaume-Uni)


Directeur de la communication, The General Electric Company p.l.c.
43

DOCUMENT COMPLEMENTAIRE II

CONTRIBUTIONS DES MEMBRES DU GROUPE DE TRAVAIL


DE LA COMMISSION MONDIALE D’ETHIQUE
DES CONNAISSANCES SCIENTIFIQUES ET DES TECHNOLOGIES (COMEST)
SUR « L’ETHIQUE DE L’ESPACE EXTRA-ATMOSPHERIQUE »
45

LE DEVELOPPEMENT DE LA SCIENCE ET DES TECHNOLOGIES SPATIALES


par M. Jean AUDOUZE (France)
Directeur du Palais de la découverte

L’accès à l’espace a constitué une révolution scientifique sans précédent en


astronomie et dans les domaines connexes ; non seulement l’homme a marché sur
la Lune en juillet 1969, confirmant ainsi les utopies de Cyrano de Bergerac, Jules
Verne et bien d'autres, mais il peut désormais « contempler » le ciel dans tous les
domaines de longueur d’onde, depuis les ondes radio les plus faibles jusqu’aux
rayonnements gamma les plus énergétiques, sans oublier sa capacité accrue de
recueillir le rayonnement cosmique et les perspectives futures (2017-2020) de
détecter les ondes gravitationnelles émises lors de la formation d’une étoile à
neutrons ou celle d’un trou noir dans des galaxies extérieures à la nôtre (projet LISA
de l’Agence Spatiale Européenne). Parmi les missions spatiales astronomiques les
plus spectaculaires, citons :
(i) le télescope spatial Hubble qui, malgré son astigmatisme qui dura trois
ans (1990 - 1993) fournit depuis plus de sept ans les meilleures images
de l’Univers proche et surtout lointain ;
(ii) le programme Voyager I et II qui nous a permis de 1979 à 1989
d’explorer le monde encore inconnu des planètes géantes depuis
Jupiter jusqu’à Neptune et bien sûr toute la série des vols qui permirent
à plusieurs spationautes américains d’aller sur la Lune à partir de juillet
1969 et de ramener de nombreux échantillons de son sol.
Depuis l’espace, on peut désormais étudier la Terre sous de nombreux
aspects avec une précision jamais atteinte par d’autres techniques : analyse des
caractéristiques de son ionosphère, missions météorologiques qui permettent un
suivi sans précédent des climats et de leurs évolutions, étude des océans et de leurs
interactions avec l’atmosphère (mission franco-américaine Topex-Poseidon) ;
observation en infrarouge de la surface terrestre, sols, modifications des couverts
végétaux et des agglomérations urbaines, programmes Spot-Image). C’est grâce à
des observations satellitaires que l’on a mis en évidence le fameux « trou d’ozone »
dans la stratosphère au-dessus du pôle Sud et que l’on a pris les mesures
d’interdiction des chloro-fluoro-carbures (CFC) au niveau international. Les
programmes militaires des grandes puissances incluent bien sûr des satellites et
missions spatiales dédiées à la surveillance de ce qui se passe sur Terre. La
révolution des télécommunications (téléphone, télévision, Internet…) doit beaucoup
aux batteries de satellites dédiées à la télédiffusion de l’information. Par ailleurs, les
grandes lois de la physique telles que celles qui relèvent de la relativité : le
ralentissement du temps aux vitesses proches de celle de la lumière, la courbure de
l’espace-temps ou les principes d’équivalence de la gravité peuvent désormais être
testés grâce aux techniques spatiales.
46

Les stations spatiales (et les satellites dédiés à ces études) permettent de
créer les conditions d’apesanteur. Deux disciplines scientifiques tirent profit de ces
caractéristiques : certains laboratoires développent des expériences de
cristallographie et de physique des solides menées en absence de gravité
(croissance de cristaux…), mais ce sont surtout les médecins et les biologistes qui
étudient le comportement du vivant (végétal, animal ou humain) dans ces
environnements. Ces travaux entrepris sur les végétaux, les animaux et aussi sur
l’homme grâce à la collaboration active des spationautes embarqués dans les
véhicules russes ou américains permettent en particulier de tester le comportement
de la matière vivante en état d’apesanteur et corrélativement de déterminer plus
précisément le rôle de la gravité dans les processus biologiques fondamentaux.
La science a donc été bouleversée par l’accès à l’espace. Il en est de même
pour la technologie : les ingénieurs et les industriels ont accompli des progrès
extraordinaires sur la fiabilité des matériels qu’ils embarquent dans les satellites et
autres véhicules spatiaux, sur la miniaturisation de leurs dispositifs ainsi que sur tous
les aspects liés à l’informatique et au développement de logiciels de plus en plus
complexes et performants.
Malgré ou à cause de ces succès éclatants qui profitent aussi bien à la
connaissance de l’Univers qu’à des préoccupations beaucoup plus immédiates
(météorologie, télécommunications…), les interrogations et les préoccupations à
caractère éthique ne manquent pas. Evoquons les plus importantes ou les plus
évidentes d’entre elles :
1. Les programmes spatiaux relèvent de la « science lourde » qui mobilise des
budgets colossaux qui ne sont accessibles qu’aux pays les plus riches. Les « utopies
du futur » (création d’observations ou de stations scientifiques sur la Lune, envol des
hommes vers Mars ou des planètes plus lointaines, missions scientifiques spatiales
de deuxième ou troisième génération) seront encore plus coûteuses, même si le
slogan de la NASA est de faire voler des missions plus modestes selon la formule
(« better, quicker, cheaper »), c’est-à-dire « mieux, plus rapidement et moins cher » :
à côté des très grandes opérations entreprises par cette agence, celle-ci veut, en
effet, mettre en place un créneau permettant à des utilisateurs motivés de mettre au
point des projets de durée de vie plus brève ayant des finalités très ciblées et pour
lesquels on accepte de prendre davantage de risques quant à la fiabilité des
matériels embarqués.
Du fait de la complexité technologique de la plupart de ces missions et de leur
coût, l’accès à l’espace soulève le même type de problèmes d’ordre éthique que
ceux rencontrés dans la production et la consommation des énergies. Pour illustrer
cette constatation, rappelons que dans les deux cas, on doit veiller à une plus grande
équité entre tous ceux qui ont vocation à mettre en œuvre ces programmes. Dans
les deux domaines on doit prendre en compte tous les risques et les évaluer dans
tous leurs aspects. Le devoir de recherche et d’accroissement de la rentabilité en
adoptant des démarches aussi économiques que possible en moyens humains et
matériels s’imposent également ainsi qu’une plus grande et meilleure information de
tous les publics à leur propos.
En matière de science et technologie spatiales, à partir de ces constats, trois
préoccupations viennent donc immédiatement à l’esprit :
a) l’équilibre à respecter entre les budgets « spatiaux » et les autres ;
47

b) la possibilité pour des scientifiques et des techniciens issus de pays


moins favorisés de faire effectivement partie à titre gracieux des
équipes impliquées dans ces missions ;
c) l’accès gratuit aux données spatiales qui concernent par exemple la
protection de l’environnement, l’éducation ou la diffusion de la culture
aux pays ou collectivités démunis financièrement.
On peut en effet distinguer trois types de données produites par ces missions
spatiales :
a) les données qui relèvent de la recherche fondamentale et qui doivent
être accessibles aux chercheurs et universitaires de tous les pays ;
b) les données environnementales qui devraient être mises par les pays
du Nord à disposition de pays moins favorisés pour lesquels l’accès à
ces données constitue un élément important pour leur équilibre et leur
développement (par exemple la prévision des sécheresses) ;
c) les données à caractère commercial au sens strict
(télécommunications…) qui pourraient relever elles (et elles seules)
d’une logique « marchande ».
2. Les programmes impliquant la présence de l’homme dans l’espace doivent
être décidés et évalués au regard de leur intérêt scientifique et/ou technologique. Ils
doivent être comparés aux missions « automatiques » plus modestes poursuivant les
mêmes objectifs. A l’occasion de la célébration du 30ème anniversaire des pas de
l’homme sur la Lune en juillet dernier, on a pu constater que le programme Appollo a
été l’enjeu d’une concurrence effrénée entre les Etats-Unis d’Amérique et l’ex-URSS.
De ce point de vue, la mission vers Mars voulue par les Etats-Unis d’Amérique
semble se placer dans une logique analogue. L’utilisation de la science comme alibi
à ce type de mission, dont le seul enjeu véritable relève de la suprématie d’une
superpuissance, pose un vrai problème de caractère éthique.
3. L’espace apparaît donc comme un « territoire scientifique » qui doit rester à la
disposition de l’humanité dans son ensemble. C’est ainsi que son « inaliénabilité »
devrait être proclamée et que par conséquent les lois internationales doivent garantir
sa protection contre les pollutions de tous ordres (matériels, électromagnétiques…)
et le libre accès.
4. Les opérateurs ayant accès à l’espace ont la possibilité de pénétrer sans
contrôle dans la « sphère privée » des citoyens. Ces intrusions doivent être
prohibées ou à, tout le moins, réglementées.
En bref, si les avancées scientifiques et technologiques obtenues par le
domaine spatial sont indiscutables, de nombreux problèmes à caractère politique,
social, voire philosophique qui relèvent donc d'une démarche éthique doivent être
posés et donner lieu aux analyses et débats préalables nécessaires à la recherche
de leur solution.
49

L’UTILISATION DES TECHNOLOGIES SPATIALES


par M. Ezio BUSSOLETTI (Italie)
Professeur à l’Université navale de Naples,
et
Sir Geoffrey PATTIE (Royaume-Uni)
Directeur de la Communication, « General Electric Company, plc »

INTRODUCTION
L’objectif de ce texte est de soulever des questions dans un certain nombre de
domaines concernant les technologies spatiales et présentant des répercussions
éthiques. Il envisage également brièvement l’impact de ces technologies dans trois
domaines : l’environnement, l’économie et les conséquences de leur utilisation
militaire.
Les considérations éthiques sont énoncées à plusieurs reprises dans tous les
principes traditionnels des Nations Unies sur l’espace.

1. L’IMPACT ENVIRONNEMENTAL
Dès que l’humanité a pu accéder à l’espace, elle a également commencé à le
polluer. Cette pollution comprend les débris de lanceurs précédents et de missions
qui ont échoué et dont la présence risque d’entraver le succès de futures missions ;
les satellites devenus non opérationnels en orbite terrestre, et les débris provenant
de missions, habitées ou non, qui ont été envoyées vers d’autres planètes et dans
l’espace interstellaire.
La question des débris spatiaux en orbite terrestre a récemment fait l’objet
d’une attention grandissante, d’un point de vue purement technique, quant à la
gestion de leur volume en orbite terrestre, afin de protéger les systèmes des vols non
habités et les missions habitées. Ceci devient un sujet d’autant plus important que
nous nous dirigeons vers l’achèvement et l’utilisation éventuelle de la Station spatiale
internationale.
Il y a également une prise de conscience grandissante quant à la nécessité
d’aboutir à une certaine harmonisation des pratiques ou des réglementations. Ceci
pourrait prendre la forme d’un code de conduite auquel tous ceux qui sont impliqués
- les agences spatiales ou l’industrie - souscriraient. Les débris augmentant à chaque
nouvelle mission, il apparaît désormais de plus en plus nécessaire de les évaluer et
de les gérer. L’importance des effets défavorables provenant de l’intrusion de ces
débris dans d’autres environnements requiert également qu’un débat international
s’instaure.
A mesure que l’humanité explore plus profondément l’Univers, la nécessité
d’élaborer des systèmes de puissance contrôlée devient de plus en plus urgente.
Tout en traitant le problème de l’utilisation limitée de sources nucléaires de
puissance dans les missions spatiales, il faudrait aussi se demander si l’énergie
nucléaire est la seule alternative viable, et s’il n'existe pas une source d’énergie plus
écologique et moins dangereuse.
50

La récente controverse sur l’utilisation d’énergie nucléaire pour des missions


vers l’espace interstellaire, que ce soit en terme de risque sur terre, au moment du
lancement, ou de risque de dommage à l’environnement spatial durant la mission,
reflète le débat éthique qui existe à l’heure actuelle. Ce débat devrait être ouvert en
impliquant tous les acteurs concernés, les agences spatiales, l’industrie et tout autre
partie intéressée ; il devrait permettre d’analyser et de prendre en compte les risques
potentiels ainsi que leur gestion et les conséquences de l’activité spatiale.
Il convient également de ne pas oublier que les applications profitant à
certains membres de la société ont un impact sur l’ensemble de celle-ci. A titre
d’exemple, l’utilisation des ondes radios pour les communications et l’observation de
la terre peut interférer avec les besoins des astronautes d’observer l’Univers.

2. L’IMPACT ECONOMIQUE
Avec le débat entourant la prolifération des armes nucléaires, nous sommes
confrontés à la question des véritables besoins d’un pays en matière de
développement technologique et à celle des besoins financiers d’une entreprise. Où
se situe la limite ? Comment les pays (en particulier les moins développés)
participent à ces développements alors que dans certains pays, les industries
spatiales ont été créées grâce à des investissements gouvernementaux ? De telles
entreprises ont crée des applications qui ont un impact global directement en matière
commerciale, comme les télécommunications, et indirectement sur l’observation de
la Terre. Les questions sont multiples.
Les avantages économiques engendrés par les systèmes de communication
peuvent-ils être partagés rationnellement entre les possesseurs de ces
infrastructures et leurs utilisateurs ? Jusqu’à quel point un pays peut-il exercer un
contrôle sur le contenu et les services de réseaux intrusifs ? C’est le même dilemme
qu’en matière nucléaire. Alors que la communauté internationale doit garantir les
droits des Etats, de plus en plus d’Etats intègrent des entités supranationales plus
larges, dans lesquelles les droits d’un Etat se perdent dans ceux de la communauté
dans son ensemble. Ces organes supranationaux sont les mieux à même pour
résoudre les problèmes et pour garantir les intérêts de chaque Etat.
Ce contrôle de l’accès à l’espace par un nombre réduit de pays affecte la
possibilité d’autres pays d’y participer. Les services de lancement sont-ils maintenant
tellement commerciaux que la question est simplement une question de
développement économique plus large ?
Les applications de l’observation de la Terre soulèvent la question de la
possession de l’information ainsi que de l’intrusion (passive pour les systèmes
optiques, active pour les systèmes radar). Si un système commercial identifie qu’une
récolte est perdue dans un pays spécifique, à qui appartient cette information - à
ceux qui l’observent, au pays, ou au propriétaire de la récolte ?

3. LA DIMENSION MILITAIRE
Les traités internationaux relatifs à l’espace se réfèrent généralement à des
concepts tels que « l’intérêt commun de l’humanité » et « l’utilisation de l’espace à
des fins pacifiques ». Cependant, la plupart des applications spatiales ont la
possibilité d’être utilisées à des fins à la fois civiles et militaires (utilisation duale). Les
utilisations militaires peuvent être offensives ou défensives. Les applications
commerciales sont de plus en plus dépendantes des systèmes élaborés à des fins
51

militaires. Cette question devient critique lorsqu’un Etat risque d’être dépendant de
ces systèmes. Alors que la technologie devrait bénéficier de l’utilisation duale de la
technologie militaire, de ses coûts réduits de développement et de production, il
faudrait qu’il y ait une séparation complète entre l’utilisation de la technologie elle-
même, en prenant en compte les besoins des différents utilisateurs ainsi que l’aspect
militaire.
Dans le contexte d’utilisation duale, l’observation de la Terre devient de la
surveillance. Les satellites de communication facilitent la projection de force au-delà
des frontières nationales. Ces mêmes technologies permettent le déploiement de
systèmes d’intelligence. Les systèmes de positionnement (GPS et Glonass) ont été
développés à des fins militaires et donnent un avantage dominant à leurs
possesseurs. Cependant, la disponibilité de leurs signaux aux utilisateurs civils a
conduit à une dépendance grandissante des applications commerciales, importantes
pour la société civile, à ces systèmes militaires. Dans quelles circonstances les
possesseurs de ces systèmes devraient refuser leur utilisation par d’autres ?
L’espace peut contenir des systèmes d’armement ou peut permettre de brouiller des
systèmes terrestres d’armement. Est-ce le rôle des Nations Unies de traiter et de
réglementer une telle utilisation de l’espace ?

CONCLUSION
La communauté spatiale est consciente de la complexité de ces problèmes
mais leur considération n’est pas évidente quand un projet spatial débute, que ce soit
avec des financements publics ou privés. Le fait de décider comment nous faisons
ceci est le nouveau défi auquel nous sommes confrontés.
53

L'HOMME DANS L'ESPACE


par M. Carl Friedrich GETHMANN (Allemagne)
Professeur à l'Institut de Philosophie de l'Université de Essen,
Directeur de l'Académie européenne pour l'étude des conséquences
des avancées scientifiques et technologiques

Ce sujet couvre des aspects touchant aussi bien à l’anthropologie, à l'histoire


culturelle, à l'éthique qu'à un certain nombre d'autres disciplines. Ces aspects, qui
sont particulièrement pertinents pour la considération de questions éthiques et qui
ont été soulevés par les critiques concernant les vols spatiaux habités, seront
soulignés. Ainsi, le sujet sera traité d'une manière plus dialectique qu'encyclopédique.

1. LES LIMITES SPATIALES DE L'ACTION HUMAINE


Les critiques relatives aux vols spatiaux habités considèrent les limites de la
Terre comme étant en même temps les limites de l'action humaine. En d'autres
termes, l'atmosphère est considérée comme l’enveloppe de l'espace vivant humain.
Le principal argument sur lequel repose cette opinion est le caractère supposé
hostile de l'espace. De plus, des arguments anthropologico-structurels ou religieux
sont avancés pour souligner que les hommes ne sont pas supposés se trouver dans
l'espace, comme s'ils faisaient intrusion dans un espace sacré. Ces arguments sont,
au fond, insoutenables. Sur une base formelle, ils sont pris dans un faux
raisonnement naturaliste parce qu'ils essayent de tirer des prescriptions (correctes
par supposition) de descriptions (de l'humain). Dans leur substance, ces arguments
sont en partie trop forts, depuis que plusieurs espaces de la terre elle-même sont
d'une certaine manière hostiles, et en partie trop faibles, parce que les évolutions
techniques nous permettent de faire face à cette hostilité. La réfutation de ces
arguments n'implique cependant pas que toute action éventuelle de l'homme dans
l'espace soit moralement légitime. Une argumentation différenciée est plutôt
nécessaire juste parce que les objections fondamentales ne tiennent pas.

2. L'EXPLORATION DE L'ESPACE
Quant à la question de l'objectif des vols spatiaux habités, il est important de
ne pas s'engager d’emblée dans des considérations de coût-bénéfice. L'intérêt de
l'homme à explorer son environnement n'est pas orienté vers l'utilité, au sens strict,
mais cela s’apparente plutôt à un besoin culturel fondamental. Ce besoin ne
représente pas simplement un intérêt scientifique, mais une réalisation culturelle
générale. Dans cette perspective, les vols spatiaux se situent dans la continuité des
fameuses explorations et découvertes du 19e et du 20e siècles.
L'intérêt d'explorer l'espace vivant humain ne se rattache pas seulement à
l'espace des perceptions humaines, mais aussi à l'espace des actions humaines.
L'exploration de l'espace implique également la possibilité de le contrôler et de s'y
installer (au moins temporairement).
54

Les résultats de telles explorations constituent, en dépit de l'intérêt des


explorateurs pour les utiliser, des accomplissements culturels humains généraux, qui
doivent en principe être à la disposition de toutes les nations.

3. LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE DE L'ESPACE


L'intérêt de la recherche scientifique en matière d'espace est rendu possible
par l'exploration de l'espace, mais n'est pas une conséquence inévitable. Au-delà de
l'exploration, la recherche scientifique dans le domaine de l'espace consiste en une
organisation méthodique de la connaissance avec un grand effort technique. La
recherche scientifique a un but « trans-utilitaire », bien qu'il y ait un rapport plus
proche avec une utilité attendue qu’en matière d’exploration.
La recherche scientifique dispose de ses propres règles sociales. Par
exemple, les revendications de priorité ou de copyrights par les chercheurs doivent
être reconnues. A cet égard, une première revendication sur l'utilisation du savoir
revient aux institutions et aux personnes menant les recherches. Cependant,
l’objectif principal de la recherche scientifique est d’être disponible par le biais de la
publication, de sorte qu'en principe, tous les hommes et toutes les nations ont des
chances égales d'accéder à ce savoir.

4. L'UTILISATION COMMERCIALE DE L'ESPACE


L'utilisation commerciale de l'espace est une illustration des objectifs utilitaires
des vols spatiaux. En principe, il est moralement légitime que les utilisations
commerciales de l'espace soient réservées à ceux qui font les investissements
nécessaires. Cependant, des limitations à l'utilisation commerciale sont concevables
au regard de la protection de l'environnement, comme celles qui ont été décidées
dans le traité international de l’Antarctique.
Depuis que les problèmes, tels que le traitement des déchets spatiaux, la
pollution de l'espace, la protection contre les dangers des systèmes de propulsion
nucléaire, par exemple, la mise en place et l'entretien de systèmes d'urgence, ne
peuvent pas être résolus par des acteurs individuels, une convention internationale
sur l'espace est souhaitable. Les principales lignes directrices d'une telle convention
devraient être formulées par le groupe de travail.
55

LE VOL SPATIAL HABITE, UNE MISSION CULTURELLE


par Carl Friedrich GETHMANN (Allemagne)
Professeur à l'Institut de Philosophie de l'Université de Essen,
Directeur de l'Académie européenne pour l'étude des conséquences
des avancées scientifiques et technologiques

Dans le débat actuel sur le pour et le contre des missions spatiales, l’intérêt du
vol non habité fait en général l’unanimité. Non pas chaque projet pris
individuellement, mais le choix technologique dans son ensemble : il s’agit peut-être
bien de la seule technologie de pointe - à part l’informatique - à ne pas rencontrer de
véritable opposition dans la société. La raison d’un tel succès est à chercher dans
des avantages évidents, jusque dans des domaines hautement respectés comme la
transmission de programmes éducatifs dans le tiers monde ou l’observation de la
Terre au service de la protection de l’environnement. A l’ombre de ces domaines
sans conteste économiquement et socialement rentables, des entreprises moins
axées sur le profit, telles que l’envoi dans l’espace de sondes à des fins purement
scientifiques, ne soulèvent pas de protestation sensible.
Au regard des missions habitées, par contre, la réussite économique et
sociale du vol spatial non habité s’avère fatale. Le vol habité est forcément pris dans
une « spirale argumentative » en vertu de laquelle on exige au moins de lui les
mêmes critères de réussite à long terme que le vol non habité. Critères, soit dit en
passant, que le vol non habité n’aurait jamais satisfaits au premier stade de son
histoire. Du fait de cette demande, le débat sur les missions spatiales habitées reste
circonscrit, en Allemagne notamment, à l’analyse coûts-avantages1. Les avantages
sont compris ici comme directs ou indirects : les perspectives scientifiques, par
exemple, sont envisagées essentiellement en fonction de l’utilité économique au
moins indirecte qui leur est demandée, point de vue que les scientifiques eux-mêmes
sont nombreux à reprendre à leur compte.
Cette optique centrée sur le profit (excédentaire) fait le jeu des adversaires du
vol habité, convaincus que le rôle rempli par l’homme dans l’espace peut être
compensé (du moins avec le temps) par des missions non habitées ; voire
surcompensé (« l’homme, facteur d’ingérence »). Pour eux, le vol habité est donc
superflu, car générateur de coûts élevés supérieurs aux bénéfices identifiables.
Sous-entendu, d’autres projets scientifiques ou sociaux sont privés de ces fonds2.
Incidemment, nombre de défenseurs des vols habités - en Allemagne en particulier -
sont sensibles à cette argumentation. En recherchant les failles de leurs adversaires,
ils admettent a priori les présupposés de base de l’analyse coûts-avantages.

1. Cf. Deutsche Physikalische Gesellschaft (publ.), Entschließung ; Der Spiegel,


« Milliarden für Schrott im All » ; K. Weyer, « Subventionsruinen im erdnahen Orbit ».
2. Cf. Deutsche Physikalische Gesellschaft (dir. publ.), Entschließung ; E. Keppler,
« Keine neue Raumfahrt-Ideologie, bitte » ; H. Krupp et J. Weyser, « Die gesellschaftliche
Konstruktion einer neuen Technik ».
56

L’approche « utilitaire » (devrait-on dire en anticipant sur la terminologie qui


sera introduite ci-après) distingue nettement le débat en République fédérale
allemande des schémas de justification appliqués dans le contexte américain et
soviétique mais aussi, par exemple, dans les discussions françaises. Là, des
ensembles en fait fonctionnels sont abordés comme des points de vue évidents,
« non-utilitaires » - coopération internationale, identité nationale, connaissance de
l’humanité, conception du rôle du monde, colonisation, etc. - même si cela ne signifie
nullement qu’ils ne posent aucun problème3. Ces cadres de discussion, qui varient
grandement d’un pays à l’autre, constituent une raison suffisante pour inscrire au
débat et pour soumettre à un examen critique les « dimensions non-utilitaires » des
missions spatiales humaines.
Vu l’extrême diversité des schémas d’argumentation, on ne cherchera pas ici
à en exposer en détail le pour et le contre4. Notre propos sera au contraire de
présenter et d’analyser les présupposés et prémisses implicites communs aux
adversaires, mais aussi à de nombreux défenseurs, du vol spatial habité en
Allemagne. Leur conviction de départ est que l’homme n’a sa place dans l’espace
que s’il en résulte un profit excédentaire direct ou au moins indirect. Par suite, toute
mission spatiale humaine non directement « utilitaire » - autrement dit culturelle - n’a
pas droit à la reconnaissance.
Découvrir les prémisses et présupposés implicites de cette nature, et
interroger leur aptitude à l’universalité, est l’une des tâches de la philosophie. C’est
ainsi, traditionnellement, que le raisonnement est introduit dans le discours. Ce
faisant, la reconstruction et la critique philosophiques, dans le contexte qui nous
occupe, seront axées avant tout sur deux aspects : d’une part, la compréhension
culturelle, incluant les dimensions trans-utilitaires ; d’autre part le débat critique sur
l’éthique de la modération qui sous-tend fréquemment le refus du vol spatial habité.
Ces deux points suscitant l’enthousiasme ou bien la polémique dans le débat public.
C’est justement la contribution de la philosophie que de traiter ce type de problèmes
avec l’acuité analytique de la reconstruction abstraite et d’une argumentation
rigoureuse ; il ne s’agit pas de nous livrer à un art d’agrément, mais à un effort de
compréhension pour nous rapprocher d’un débat rationnel.

1. Des dimensions trans-utilitaires de l’activité technologique


S’agissant de vol spatial (habité), comme dans d’autres contextes d’évaluation
technologique, les termes « coût » et « avantage » sont employés parfois dans un
sens familier, vague et général, parfois dans un sens terminologiquement normalisé.
Alors que l’acception familière du mot avantage couvre aussi des dimensions
« trans-utilitaires », son acception normalisée telle qu’on l’utilise en économie ne fait
référence qu’à des aspects utilitaires. Cette ambiguïté sur le plan des termes est à
l’origine d’une série de malentendus et de problèmes apparents dans l’actuel débat

3. Cf. notamment Committee on Space Policy, « Towards a new era in space » ; W.


Gluschko, Die sowjetische Raumfahrt ; M. Harrison, « Has Manned Space Flight a
Future ? » ; A. Ladwig, « U.S. Space Leadership » ; National Commission on Space,
Pionnering the space frontier.
4. On trouvera une analyse détaillée du discours sur les missions spatiales habitées
dans : Deutsche Forschungsanstalt für Luft- und Raumfahrt e.V. (publ.), SAPHIR.
Technikfolgenbeurteilung der bemannten Raumfahrt. Voir également C.F. Gethmann, P.
Janish et H. Sax, « Bemmante Raumfahrt im Widerstreit ».
57

sur les missions spatiales habitées. Pour éviter les méprises, il importe de définir
pour commercer un cadre terminologique, qui permettra de différencier
grossièrement diverses notions d’avantage5.
Une « terminologie pragmatique » de cette nature n’est évidemment pas
neutre, compte tenu de toutes les positions philosophiques existant au sein de la
théorie des actes. La terminologie suggérée ci-après détermine donc dès le tout
départ une interprétation finaliste : en matière d’évaluation technologique, on doit
considérer notamment que les sujets agissent dans le but de parvenir à certaines
fins. Si l’on supposait au contraire que l’homme produit des outils techniques
presque naturellement, à l’instar de fourmis construisant leur fourmilière
(appréhension causaliste de l’action), nous n’aurions rien de plus à évaluer quant
aux conséquences de l’activité technologique. Rien du moins, dès lors que
l’évaluation doit être basée sur des considérations relatives aux choix.
En ce sens, le but est une condition prévue comme conséquence de l’action,
la conséquence étant la condition qui en résulte en tant qu’effet (supposé) si l’action
est reconstruite comme cause. Les objectifs sont les attributs d’un but donné qui le
font apparaître comme une condition souhaitée. Par moyens, nous entendons une
action supposée être menée à bien de sorte que le but en devienne la conséquence.
On peut parler de but supérieur (ou moindre), un but pouvant constituer le fondement
d’un autre ; l’action réalisée dans le cadre d’un tel but est un moyen. Les biens sont
les « objets », au sens large du mot, nécessaires à la réalisation d’un moyen ou
adaptés à un but. Incidemment, le mot « technologie » est souvent employé de façon
équivoque, nommément pour désigner d’une part une certaine catégorie de moyens,
d’autre part une collection de moyens donnés.
L’une des expériences fondamentales de l’être humain est qu’autrui possède
ce dont il a besoin lui-même pour appliquer des moyens à une fin ou à un but. Les
biens peuvent s’avérer insuffisants par rapport aux besoins individuels ou collectifs.
D’où l’institution du troc dans toutes les civilisations connues. Grâce au troc, les
évaluations subjectives de biens deviennent comparables, implicitement ou
explicitement.
Le troc exige donc que les biens puissent être situés dans une relation
ordinale (comparative). Les conditions logiques de la mesurabilité ordinale sont la
cohérence intrinsèque (propre à la sphère interne d’un agent) et la transitivité interne
des valeurs d’échange subjectives. L’utilisation des biens nécessaires à l’échange
détermine des coûts, et le fruit attendu des biens en détermine l’avantage.
Si un certain type de biens est utilisé comme moyen d’échange, on parle
d’argent. Une autre condition logique de rationalité de l’argent est la transformabilité
linéaire de l’avantage sur une certaine échelle, en vertu de laquelle, dans cette
transformation, une cohérence et une transitivité externes (inter-subjectives)
interviennent pour tous les agents concernés. N’importe quel bien évalué sous
l’angle de son avantage ou de son coût économique est vu comme utilitaire. Si des
biens présentent une utilité qui ne puisse être évaluée comme utilitaire, il est possible
alors de parler d’utilité trans-utilitaire.

5. Voir en particulier O. Schwemmer, Philosophie der Praxis ; C. F. Gethmann, « Proto-


Ethik ».
58

Dans certaines situations, certains renoncent à un avantage qu’ils pourraient


obtenir ; ou bien certains objectifs sont considérés comme de facto non
échangeables ; dans certaines sociétés, l’échange de biens donnés est même
interdit par la loi. Ces simples faits montrent déjà l’impropriété d’une équation
terminologique entre but et avantage. Quiconque a justifié, par conséquent, que les
coûts d’une action sont supérieurs à ses avantages, n’a pas encore prouvé l’inutilité
de cette action. Au contraire, celle-ci peut encore être justifiée par un but trans-
utilitaire.
L’évaluation utilitaire est une base nécessaire pour l’estimation monétaire d’un
bien ; en revanche, son évaluation trans-utilitaire à des fins analytiques sera
nécessairement non monétaire. Un but peut être recherché pour des objectifs
utilitaires ou trans-utilitaires. Nous parlerons donc de buts utilitaires et/ou trans-
utilitaires.
L’ensemble des buts utilitaires et trans-utilitaires ainsi que des moyens qui y
sont affectés forme la « culture » d’une société au sens large du terme.
L’évaluation utilitaire introduit une certaine forme de rationalité, nommément
économique. Néanmoins, même les évaluations trans-utilitaires peuvent être
rationnelles, précisément si elles peuvent se réclamer d’une valeur générale justifiée.
La rationalité économique n’est ainsi, d’un point de vue terminologique, qu’une
catégorie particulière de rationalité, la notion générique de rationalité étant
déterminée par l’accessibilité de l’argumentation et par l’interchangeabilité sur le plan
argumentatif des divers types de prétention à la reconnaissance de valeurs.
La rationalité économique est le modèle de rationalité dominant non
seulement en économie, mais très souvent dans d’autres sciences sociales6. A cet
égard, ces disciplines ne se soucient que de ce qui constitue de l’avis général une
forme de rationalité essentielle mais limitée. Elles n’ont donc, en matière d’évaluation
technologique, qu’une compétence limitée, qui s’arrête, en gros, là où commence le
débat sur la justification de buts trans-utilitaires.
Si par contre on circonscrit simplement l’évaluation technologique à des buts
utilitaires, on pourra dire que l’utilitarisme technique des sciences pertinentes est
économiquement limité7. Un utilitarisme technique élargi s’impose, surtout lorsqu’on
en arrive au débat sur les missions spatiales habitées.
C’est l’une des tâches essentielles de la critique philosophique des
technologies au regard de l’utilitarisme technique, que de montrer la validité de choix
trans-utilitaires et de connaître, ou d’inventer, des modes de rationalité qui
permettent une évaluation discursive de ces choix. Le rôle d’une éthique de la
technologie est entre autres de critiquer la restriction impropre des buts considérés.
Elle remplit ce rôle en examinant de façon générale l’aptitude à universaliser les

6. D’où le fait que « l’évaluation technologique » actuellement prédominante, qui trouve


sa voie en sciences sociales, retient essentiellement des optiques d’évaluation utilitaires ; cf.
sur ce point C. F. Gethmann, « Die Ethik technischen Handelns ».
7. Utilitarisme à différencier de l’utilitarisme éthique, lequel consiste à formuler des
jugements regardant des obligations morales selon des points de vue utilitaires. Sur la
critique fondamentale de l’utilitarisme technique, voir aussi F. Kambartel, « Ist rationale
Ökonomie als empirisch-quantitative Wissenschaft möglich ? », et du même auteur :
« Nutzen ».
59

prétentions à la reconnaissance contenues dans les systèmes actuels de régulation


des actes sociaux (morales, coutumes…). Tant que ces systèmes moraux
fonctionnent sans provoquer de conflit, il n’est pas nécessaire de les critiquer d’un
point de vue éthique. Quelquefois, cependant, les différents buts poursuivis ne
peuvent être réalisés simultanément. La question se pose alors de savoir lequel de
ces buts doit recevoir la priorité et de quel droit. Pour surmonter de tels conflits (les
éviter ou les éliminer), il faut se demander quelles règles peuvent se réclamer d’une
capacité universelle. Si l’on veut éviter au maximum les conflits, c’est l’aptitude à
l’universalité qu’il faut rechercher, autrement dit la validité pour tous. Le seul principe
d’éthique qui réponde aux systèmes moraux est donc un principe d’universalisme
pratique (« impératif catégorique »).
Dans ce cadre théorique, la tâche primordiale d’une éthique des technologies,
devant la question du vol spatial habité, s’avère être par conséquent l’examen
critique de ses buts trans-utilitaires, dans la perspective de leur aptitude à
l’universalité.

2. De la critique éthique du vol spatial habité


La reconstruction éthique des tentatives de justification actuelles du vol spatial
habité montre qu’en aucun cas tous les buts trans-utilitaires ne remplissent les
exigences de cet universalisme pratique. Certaines stratégies de justification sont
sans conteste explicitement ou implicitement anti-universalistes (particularistes). Les
deux exemples suivants le prouveront.
Un exemple de particularité est celui de l’utilisation de la mission spatiale
humaine dans le but trans-utilitaire de démontrer la supériorité d’une société donnée.
Le point de vue de classe étant expressément à l’ordre du jour, il est évident que le
choix de ce but est générateur de conflits, et donc à rejeter sur le plan de l’éthique.
Autre exemple, la volonté d’instaurer et de maintenir le leadership d’une nation. Dans
la mesure où cet autre but trans-utilitaire peut engendrer des conflits, il est de même
à rejeter. On peut néanmoins trouver des constructions politiques générales dans
lesquelles la notion de « leadership » est défendable (voir plus bas les commentaires
sur l’ordre mondial polycentrique).
Ces exemples nous montrent comment fonctionne la méthode du criticisme
éthique. Dans un premier temps, les buts trans-utilitaires poursuivis sont reconstruits
par rapport à leurs présupposés. Dans un second temps, les présupposés établis
sont examinés selon les critères du principe d’universalisme pratique. Dans un
troisième temps, les buts non conformes à ce principe sont examinés afin de trouver
de quelle façon ils doivent être modifiés pour devenir acceptables. A cet égard, la
tâche est parfois ardue ; à partir d’un certain degré de complexité, il faut des
spécialistes. Comme en sciences, il est vrai en éthique que certaines idées, qui
devraient en principe être compréhensibles pour tous, exigent en fait une
spécialisation poussée.
Deux catégories de buts trans-utilitaires, à la différence des exemples
précédents, trouvent grâce vis-à-vis du criticisme éthique. Leur liste ne prétend pas
être exhaustive. Dans la première catégorie figurent les buts qui contribuent à une
culture politique sur la terre, par exemple l’instauration d’un « ordre mondial
polycentrique », « l’intégration européenne » et les apports à la formation d’une
« identité nationale ». La seconde catégorie recouvre des contributions à
l’établissement d’une culture ou d’une civilisation cosmique : « exploration de
60

l’univers » et élargissement de la conception de la vie humaine qui l’accompagne,


« amélioration du niveau technologique général » aussi bien que « colonisation » de
stations spatiales et de la planète Mars.
Reprenons plus en détail deux de ces exemples, l’instauration d’un ordre
mondial polycentrique et la colonisation de stations spatiales et de la planète Mars.
La critique du but trans-utilitaire de « leadership d’une nation sur le monde »
atteste que ce but ne peut être universalisé. Quelle image de la politique
internationale – dans le sens de juste structure mondiale de politique intérieure –
devrait le remplacer ? Toute notion de ce type ne saurait être bien sûr qu’une simple
« vision » politique, mais il est inévitable, dans l’optique de choix technologiques à
grande échelle, d’avoir à l’esprit son importance pour les grandes structures
politiques8.
Un ordre mondial « juste » ne peut vouloir dire que chaque pays occupe le
même rang. Justice ne signifie pas égalité, mais inégalité justifiée. Qu’on me
permette pour m’expliquer une comparaison avec le monde des sports : l’acception
courante de « leadership » reviendrait à imaginer des Jeux Olympiques où chaque
sportif serait le meilleur d’une discipline et d’un pays, de sorte qu’un seul de ces
sportifs pourrait remporter la médaille d’or. Dans ces conditions, il n’y aurait plus de
Jeux Olympiques (au mieux des championnats nationaux). En réalité, un grand
nombre de disciplines sont représentées aux jeux Olympiques, et même plus qu’il n’y
a de pays. Chaque pays peut gagner une médaille d’or. De même, il existe en
matière de missions spatiales habitées nombre d’entreprises technologiques
utilitaires et trans-utilitaires à grande échelle d’une certaine importance. Ainsi, il ne
serait pas souhaitable qu’un seul pays domine dans tous les secteurs (pluralité
sectorielle).
Il n’est pas souhaitable non plus - pour de simples raisons de concurrence -
qu’un même pays exerce le leadership dans toutes les « disciplines ». En sport par
exemple, il y a des pays qui dominent en sprint, en escrime, en natation
synchronisée, etc., et ils sont le plus souvent plusieurs pour chaque discipline, les
sportifs étant dans chacune en concurrence entre eux pour la première place
(pluralité structurelle).
Un ordre mondial polycentrique est celui dans lequel les nations sont en
concurrence les unes avec les autres dans des conditions de pluralité sectorielle et
structurelle. Concernant le vol spatial habité, la pluralité structurelle signifie qu’il n’est
pas bon qu’un pays du monde possède l’apanage de ce domaine. Actuellement, les
pays européens apparaissent, à côté des Etats-Unis, comme prédestinés à jouer un
rôle sur ce plan, en raison de leur potentiel économique, de leur expérience
technologique et de leur attitude à l’égard du progrès technique.
Ces arguments ne prétendent aucunement fournir la preuve logique que le vol
spatial habité doit être. Ils suggèrent néanmoins qu’il serait logique, quant au but en
question, de conserver le vol spatial habité comme option technologique à grande
échelle. D’un autre côté, ces arguments nous indiquent qu’il serait problématique,
quoique pas hors de question, de réduire le nombre de disciplines dans lesquelles
concourent les nations.

8. Cf. en particulier K. Kaiser, S. von Welck (dir. publ.), Deutsche Weltraumpolitik ; K.


Kaiser, « Eine deutsche Weltraumpolitik für Europa ».
61

Si le vol spatial habité constitue un moyen éventuel d’instauration d’un ordre


mondial polycentrique, la colonisation représente le seul moyen de réaliser ce but.
Indépendamment des aspects utilitaires (maintenance des systèmes automatiques,
production d’énergie solaire dans l’espace, etc.), on peut se demander si la
colonisation de corps spatiaux artificiels ou naturels doit être considérée comme un
lointain objectif technique. Sur terre, il paraîtrait en tout cas curieux que certains
territoires soient déclarés zones interdites. Tout au plus existe-t-il des raisons
pragmatiques pour ne pas coloniser certaines régions.
Pourquoi la géosphère devrait-elle constituer une frontière territoriale ? Là
encore, il peut y avoir bien sûr des raisons pragmatiques pour renoncer à l’objectif de
la colonisation. Des taux excessivement élevés et inéluctables de radiations
cosmiques, par exemple, peuvent rendre le projet irréalisable. Cependant, l’étude de
ce type de barrières et la découverte de solutions pour les vaincre demande que l’on
poursuive dans une certaine mesure les missions humaines.
Donc, la critique de la colonisation ne devrait pas arguer de l’hostilité de
l’espace envers l’être humain. La Terre aussi serait hostile à un être humain
techniquement inexpérimenté. Il doit y avoir des raisons de principe pour rejeter les
tentatives d’exploration et de colonisation de la géosphère. Ces raisons, qui se font
entendre également dans le débat actuel, seront examinées séparément au titre de
« l’éthique de la modération ».

3. Pour une morale de la transcendance


L’éthique de la modération dont on fait aujourd'hui grand bruit est liée à une
limitation implicite de buts utilitaires. A première vue, toutefois, le lien n’est pas clair.
L’humanité devrait se satisfaire du niveau de développement technologique qu’elle a
déjà atteint, voire admettre une régression dans certains secteurs. H. Jonas voit
dans cette attitude le fondement d’une nouvelle « éthique de la responsabilité »9, un
impératif central en vertu duquel, dans le doute (autrement dit presque toujours),
l’être humain devrait refuser l’innovation technologique10. Appliqué au vol spatial
habité, ce principe signifie que nous devrions nous contenter de notre habitat
terrestre sans regarder au-delà.
C’est cette éthique le plus souvent tacite de la modération qui sous-tend
l’argument susmentionné relatif à l’hostilité de l’espace pour l’être humain. En gros,
le discours sur l’espace hostile dit que la Terre est humaine et adaptée à l’espèce
humaine. Si la Terre est un lieu humain et l’espace un lieu hostile - on peut poser les
prémisses ainsi - tout nous porte à nous montrer satisfaits de l’habitat ou lebensraum
dont nous disposons.
Or, l’hypothèse d’une Terre accueillante à l’espèce humaine est à envisager
d’un œil critique. Dire que l’être humain est naturellement adapté à un
environnement terrestre avec lequel il vit en harmonie est une pure « construction ».
En réalité, l’être humain est le moins adapté de tous les êtres vivants, et il ne peut se
créer un environnement favorable à la vie qu’en infirmant partiellement les
mécanismes de l’évolution (par le biais notamment de la science, de la technologie
et de la médecine).

9. Cf. H. Jonas, Das Prinzip Verantwortung.


10. Sur cette « Heuristik der Furcht », cf. ibid., p. 63 sqq.
62

L’anthropologie philosophique du vingtième siècle a montré avant tout que


l’être humain, même considéré, à titre fictif, comme un être de nature, apparaît
forcément comme moins apte à survivre comparé à d’autre animaux. La technologie
et d’autres réalisations culturelles sont vitales à sa survie11. Il y a chez l’être humain
un déficit naturel d’adaptation structurelle, qui le contraint « naturellement » à
transcender sa situation dans l’intérêt de sa survie. Cette pression et l’adaptation qui
en résulte ne sauraient être décrites comme une « guerre contre la nature », puisque
nous entendons par guerre un phénomène causé par des actes évitables et sans
fondement eux-mêmes liés à des intérêts contingents. Par conséquent, vouloir faire
la « paix avec la nature »12 est tout aussi trompeur, dans la mesure où
l’environnement surtout menace l’homme plutôt que le contraire (ce qui n’exclut pas
qu’on doive éviter « d’exploiter » la nature de façon contre-productive).
Malgré tout, on peut entendre l’éthique de la modération dans un autre sens,
non pas structurel mais davantage historique : dans l’état actuel de la civilisation, le
conflit permanent entre l’homme et un environnement hostile à la vie devrait
maintenant en arriver à un point mort. Mais ce point de vue englobe une hypothèse
problématique, à savoir que le processus culturel d’adaptation mène au conformisme
parfait, et que ce processus est en partie conclu. En conséquence de quoi nous
pouvons, du moins à ce point de l’histoire de la civilisation, nous satisfaire de ce que
nous avons.
De l’aveu général, la philosophie n’est pas aujourd'hui en mesure de prédire si
la colonisation de corps spatiaux artificiels ou naturels est souhaitable. Elle peut dire,
cependant, si l’éthique de la modération est valable d’un point de vue
anthropologique. On doit se demander, en outre, si le déficit humain d’adaptation
structurelle face à la nature peut être compensé par un certain degré de
développement culturel, tel que l’attitude de modération corresponde à la volonté de
survie. Aucun environnement, cependant, n’est stable pour aucun être vivant, ni sur
le plan diachronique ni sur un plan synchronique. Donc, même un individu désireux
de survivre doit être prêt à dépasser le statu quo relatif à sa conquête de la nature. Il
est bon de ce fait, dans l’intérêt de sa propre survie, qu’il adopte une morale de la
transcendance en vertu de laquelle - avec réflexion et modération - il s’efforcera à
chaque instant d’instrumentaliser la nature.
La critique du vol spatial habité - ne différant pas en cela de toute une série
d’innovations technologiques à grande échelle - s’appuie sur une éthique tacite de la
modération. Mais cette éthique est un luxe que seuls peuvent se permettre quelques
pays hautement technicisés, et pour peu de temps. En termes généraux, l’humanité
doit se préparer en permanence à franchir les frontières de son environnement par
des moyens culturels utilitaires et trans-utilitaires. A cet égard, la barrière naturelle de
la stratosphère est l’équivalent de ce que furent autrefois les Alpes ou l’Atlantique.

11. Voir en particulier A. Gehlen, Der Mensch et Urmensch und Spätkultur ; H. Plessner,
Die Stufen des Organischen und der Mensch et Conditio humana ; M. Scheler, Die Stellung
des Menschen im Kosmos. Toutefois, la situation méthodologique de la théorie de la non-
adaptation structurelle n’a pas été suffisamment clarifiée par l’anthropologie philosophique :
elle est jugée parfois empirique, ou à nouveau comme un a priori. Pour progresser dans
cette clarification, il conviendrait de présenter clairement la conscience de cette non-
adaptabilité comme une condition de la possibilité de la conquête du monde grâce à la
technique.
12. K. M. Meyer-Abich, Wege zum Frieden mit der Natur.
63

4. Le vol spatial habité : un choix culturel


Un examen final des arguments pour et contre les missions spatiales habitées
devrait débuter par une analyse critique schématique du débat actuel. Dans des
polémiques d’une telle ampleur, évaluer l’état du discours dépend dans une grande
mesure d’une question : laquelle des parties doit porter le fardeau de la justification
de tels actes ? Dans le débat actuel, en Allemagne surtout, on cherche à justifier la
demande de lancement de missions spatiales habitées. Pour s’assurer de leur
légitimité, on procède (voir plus haut) à des analyses coûts-avantages. La conviction
qui prévaut ici est que la justification est suffisante si les avantages globaux
l’emportent sur les coûts. Néanmoins, une minorité, jugeant que la situation manque
de clarté et mettant en garde contre les décisions hâtives qui s’essoufflent vite,
souhaite garder le choix ouvert.
L’hypothèse matérielle de l’utilitarisme technologique ayant été critiquée, nous
devons donc aborder enfin le problème méthodologique dans la perspective de la
justification. Comme chacun sait, l’Allemagne n’est pas placée devant la décision de
démarrer des programmes de vol spatial habité, mais de conclure sa coopération à
de tels programmes. Il conviendrait par conséquent d’examiner d’abord si la
demande d’interruption, non de lancement, d’activités, est justifiable. Les adversaires
du vol spatial habité doivent par conséquent prouver que la réalisation de certains
buts impose ou presse de mettre fin à toute coopération à des programmes de ce
type.
Or, l’argumentation se présente différemment, ainsi que l’illustrera ce petit
exemple. Si vous voulez justifier la création d’un orchestre municipal en arguant de
revenus additionnels pour la ville, vous aurez du mal à défendre votre point de vue.
Cependant, si vous voulez fermer un orchestre notoirement déficitaire, mais
populaire et très réputé, votre position ne sera pas plus facile à défendre. Ce qui
signifie, généralement parlant, que la justification d’une demande pour mener à bien
ou au contraire pour arrêter une activité donnée, n’est pas réciproque. Lorsqu’il s’agit
de renoncer à un choix, il faut trouver des arguments distincts de ceux employés en
faveur de ce choix.
Cela dit, il y a aussi, quant au contenu, le point de vue que les justifications de
choix technologiques relèvent toujours, en dernière analyse, du domaine des buts
trans-utilitaires. Ainsi, l’approche essentielle d’une éthique des technologies n’est pas
en premier lieu de se demander à chaque innovation technologique si les avantages
sont supérieurs aux coûts, mais de poser la question du but auquel on destine les
biens en cause (machines, installations techniques à grande échelle).
Les machines constituent un moyen du conflit technique avec la nature, et la
nature conquise par ce moyen est une composante fondamentale de la « culture »
humaine. Par conséquent, on ne devrait pas, dans l’optique d’une éthique des
technologies, interroger les avantages de celles-ci, mais avant tout leur fonction
culturelle. En ce sens, l’avantage économique s’avère un élément possible et
important de la fonction culturelle. Fonction qui n’est pas absorbée, toutefois, par cet
avantage.
Un coup d’œil sur certains choix culturels antérieurs présentant des analogies
structurelles avec le vol spatial habité, à savoir les grands voyages de découverte et
les grandes inventions, est à cet égard instructif. Là non plus, les avantages n’ont
pas fait pencher la balance ex ante (même si de telles motivations étaient présentes)
et, souvent, ils n’ont pas été décisifs ex post. Nul ne songerait à parler des
64

avantages de l’invention de l’imprimerie dans l’amélioration du marché du travail pour


les écrivains de la ville de Mayence au 15ème siècle, ni de l’avantage de la
découverte de l'Amérique, par exemple, pour les finances de l’Espagne du 16ème
siècle (dans les deux cas, les résultats ont été rarement encourageants en termes de
bénéfice).
Dans le contexte précédemment évoqué, le choix technologique à grande
échelle du vol spatial habité est aussi œuvre culturelle. Cela ne signifie pas, bien sûr,
dans ce cas comme dans d’autres, que ce choix sera appliqué quoiqu’il advienne. Le
terme de « culture » n’est pas encore employé comme argument, mais simplement
comme référence à un niveau d’argumentation. On devrait mettre en pratique un
choix culturel dans la mesure où l’on aimerait voir réalisés les objectifs qui lui sont
liés. De surcroît, on devrait pouvoir le faire après l’avoir mis en balance avec d’autres
choix culturels. Cependant, quiconque demande qu’on se passe d’un choix déjà fait
s’impose à lui-même un fardeau ô combien plus lourd en termes de justification.

5. Remarques finales
Pouvons-nous dans ces conditions et devons-nous pratiquer le vol spatial
habité ? On ne peut répondre à cette question par des arguments impérieux sur le
plan utilitaire. Il n’est pas de justification utilitaire impérieuse, que ce soit pour
entretenir un orchestre ou un musée, pour monter une expédition ou pour travailler à
une invention brillante. Il convient de garder à l’esprit, en outre, que si les missions
spatiales habitées contribuent à l’accomplissement de certains buts, ceux-ci peuvent
être atteints à un degré peu ou prou similaire par d’autres choix technologiques et
culturels. De même que l’exclusivité des moyens est rarement un critère de
justification, l’existence de solutions de rechange est rarement une objection valable.
La colonisation de l’espace constitue une exception, puisqu’elle est impossible sans
vol spatial habité. Mais le prix de l’exclusivité des moyens est ici la nature
problématique du but. Généralement, il suffit pour justifier un choix qu’un but puisse
être atteint par un moyen donné, même si l’on peut imaginer d’autres moyens
adaptés. La bonne argumentation consiste alors à mettre en balance entre eux les
moyens de rechange. Les investissements initiaux requis par les solutions de
rechange plaident habituellement en faveur de choix déjà mis en pratique, point de
vue entièrement utilitaire.
En pesant le pour et le contre, il est essentiel toutefois que nous gardions en
mémoire ce qui suit : si l’on ne donnait droit de cité, dans le débat sur les réalisations
technologiques, qu’aux raisons utilitaires, il n’y aurait pas de choix culturels justifiés
dans l’histoire de l’humanité. Cela est vrai incidemment de la variante temporelle
consistant à ajourner les choix culturels tant que certains problèmes (famine dans le
monde, déforestation…) ne sont pas résolus. Du reste, il n’est pas concevable de
garder, en quelque sorte, des projets technologiques à grande échelle à l’état
potentiel jusqu’au jour J. Contrairement à la connaissance, l’aptitude ne peut être
préservée. On peut conserver un dictionnaire pour l’ouvrir plus tard, on ne peut pas
conserver les facultés d’un orchestre.
En résumé, une chose est sûre : en limitant le débat sur les choix culturels à
des arguments utilitaires, on réduira l’humanité à une vaste troupe d’anthropoïdes
(peut-être) satisfaits ; à moins qu’ils n’aient déjà disparus depuis longtemps, victimes
de leur modération.
65

ESPACE ET PROTECTION DE L’ENVIRONNEMENT


par M. André LEBEAU (France)
Professeur au Conservatoire national des Arts et Métiers (CNAM)

La technique spatiale entretient avec l’environnement une relation ambiguë.


Comme la plupart des grandes techniques, elle est à l’origine d’altérations de
l’environnement naturel. Les atteintes les plus graves concernent le domaine
extraterrestre que la technique spatiale a précisément ouvert aux activités humaines.
Mais en retour, elle fournit les moyens les plus puissants dont l’homme dispose pour
affronter le réchauffement du climat induit par l’accumulation dans l’atmosphère des
gaz à effet de serre. Plus généralement, elle est un outil irremplaçable pour l’étude
de tous les aspects du changement global induit par les activités humaines sur
l’environnement terrestre : altération de la couche d’ozone, montée du niveau des
océans, fonte des calottes polaires, etc. et pour la gestion des risques majeurs. A
terme éloigné, elle offre un moyen sans égal de débarrasser la Terre des déchets les
plus dangereux de l’activité technique.
ALTERATIONS DE L’ENVIRONNEMENT ENGENDREES PAR LA TECHNIQUE SPATIALE
Environnement circumterrestre
La création d’une population de débris en orbite dans l’espace circumterrestre
est l’aspect le plus immédiatement préoccupant. Il appelle, de la part de tous les
utilisateurs de l’espace, la mise en œuvre d’une déontologie définie et acceptée au
niveau international.
Les principaux éléments du problème sont les suivants :
• on ne connaît pas, en l’état actuel de la technique, de moyen qui
permettrait de débarrasser l’espace de la population de débris qui s’y est
accumulée depuis le début des lancements spatiaux. De ce fait, seules
des mesures de prévention sont en pratique envisageables pour
interrompre la croissance de cette population. Les objets de plus de dix
centimètres sont suivis individuellement ; pour les autres, qui sont
cependant susceptibles de causer des dommages, on ne possède qu’une
connaissance statistique de la population (35.106 objets entre 0,1 et 1 cm).
• toutes les mesures de prévention identifiées : envoi des satellites
géostationnaires en fin de vie sur une orbite de rebut (graveyard orbit),
rentrée contrôlée des satellites en orbite basse, réduction du temps de
séjour en orbite ou rentrée immédiate des étages supérieurs des lanceurs,
ont un coût significatif qui altère la compétitivité commerciale de systèmes
concernés. Le maintien d’une concurrence équitable exige donc que les
règles imposées aux utilisateurs soient universellement adoptées.
• le droit international existant fait des Etats les seuls responsables des
conséquences nuisibles des lancements. Des règles de bonne conduite
ont été élaborées et mises en œuvre par certaines agences spatiales et,
plus généralement, les mesures indispensables pour éviter la création de
débris spatiaux sont bien identifiées. Toutefois, il n’existe pas encore
d’instrument juridique spécifique et contraignant, de portée mondiale, qui
66

ait pour objet de limiter la création de débris spatiaux et, de ce fait même,
il n’existe pas non plus de dispositif institutionnel chargé de veiller à sa
mise en œuvre, sur le modèle de celui qui gère les attributions de
fréquences radioélectriques aux véhicules spatiaux.
La création par les Etats d’un instrument légal international est une priorité
essentielle. Il pourrait s’agir d’un traité qui viendrait compléter l’ensemble des traités
qui régissent l’usage de l’espace extra-atmosphérique et d’un dispositif de mise en
œuvre. Le cadre adéquat pourrait être soit l’ONU, soit, en raison des enjeux
commerciaux impliqués et de l’importance qui s’attache au maintien d’une
concurrence équitable, l’OMC.
A la pollution matérielle de l’espace susceptible, à terme rapproché, de freiner
le développement des activités spatiales, s’ajoute la pollution électromagnétique qui
gêne l’observation de l’univers extérieur par les astronomes. Il y a donc lieu de veiller
aussi à ce que les activités spatiales ne perturbent pas de façon incontrôlée la
transparence de l’environnement terrestre aux rayonnements venus de l’extérieur.
Altérations de l’environnement terrien et des environnements planétaires
En regard du problème de pollution de l’espace par les débris orbitaux, les
atteintes à l’environnement terrien et les risques engendrés par les activités spatiales
sont d’une importance et d’une urgence nettement moindres. Il s’agit pour l’essentiel :
• des risques que fait courir aux populations la rentrée d’objets massifs au
premier rang desquels la station MIR (120 tonnes). Ces risques n’existent
que si l’objet échappe à tout contrôle, comme ce fut le cas de Skylab ;
dans le cas de MIR, il serait souhaitable qu’une rentrée contrôlée vers une
zone océanique non fréquentée soit pratiquée avant que la station ne
devienne incontrôlable. En tout état de cause, le risque pour les
populations est limité ; il est sans relation avec la mobilisation médiatique
qu’un tel événement ne manquerait pas de produire et très inférieur aux
risques que faisait courir la présence discrète, sur des satellites militaires
en orbite très basse, de réacteurs nucléaires. Les précautions à prendre
dans ce domaine concernent davantage la nature que la masse de ce qui
est mis sur des orbites susceptibles de donner lieu à des rentrées
incontrôlables. Il semble suffisant de proscrire l’usage, sur de telles
orbites, de charges utiles susceptibles de disperser des matières
radioactives dans le processus de rentrée.
• de la pollution atmosphérique engendrée par des lanceurs spatiaux. Cette
pollution est négligeable au niveau où se situe l’activité actuelle et la
généralisation de la propulsion cryogénique - qui rejette uniquement de
l’eau - contribuera à en réduire le niveau.
S’agissant des environnements planétaires se pose la question de la pollution,
notamment par des formes de vie et par des molécules organiques d’origine
terrestre, d’environnements planétaires demeurés vierges. Ce problème a été
identifié dès les premières missions planétaires. Comme ces activités sont menées
par la puissance publique et n’ont pas, dans un avenir prévisible, d’enjeu
commercial, elles s’accommodent aisément de mesures contraignantes qui ont été
prises spontanément par leurs initiateurs. Le COSPAR établit sur ce sujet une base
de données systématique qui pourrait servir de base à la formulation et à l’adoption
de règles de conduite internationales.
67

UTILISATION DE LA TECHNIQUE SPATIALE POUR LA PROTECTION DE L’ENVIRONNEMENT


TERRESTRE

Le changement du climat induit par l’activité humaine et les autres effets


globaux de cette activité sur l’environnement terrestre : altération de la couche
d’ozone, montée du niveau des océans, etc., appellent une gestion globale de la
planète.
Une connaissance approfondie de l’environnement et de son évolution est la
base des décisions politiques difficiles qu’appelle cette gestion et la technique
spatiale est l’outil central de cette connaissance. Elle fournit de la même façon un
outil puissant pour le contrôle des traités internationaux concernant l’environnement.
Dans le court terme, un objectif majeur des programmes spatiaux conduits par
la puissance publique devrait être la création d’un système global permanent
d’observation du climat et plus généralement de l’environnement terrestre.
L’usage de la technique spatiale à la maîtrise des risques majeurs : prévention
et gestion des catastrophes est un autre domaine qui doit recevoir une attention
importante de la part des autorités qui contrôlent les programmes spatiaux
gouvernementaux.
Au moyen terme, il existe d’autres modes d’intervention de la technique
spatiale qui supposent qu’interviennent des progrès majeurs, singulièrement en ce
qui concerne le transport spatial de la Terre vers l’orbite. Le plus immédiatement
accessible est l’utilisation du système de transport spatial pour débarrasser la
surface de la planète des déchets les plus dangereux de l’activité humaine et
notamment des déchets de l’industrie nucléaire. L’espace circumsolaire à grande
distance de la Terre offre à cet égard des capacités de stockage illimitées pour des
durées indéfinies. Toutefois cette démarche se heurte, en l’état actuel de la
technique, à l’insuffisance de moyens de transport de la Terre vers l’orbite. Elle ne
pourra se concrétiser que si des progrès majeurs sont accomplis dans le coût et la
fiabilité des lanceurs spatiaux. Il suffirait que l’accès à l’orbite ne comporte pas plus
de risque d’accident qu’un transport maritime ou un vol aérien transocéaniques et
que son coût soit cohérent avec le coût de revient des opérations de retraitement
pour que cette solution devienne viable et donne accès à une capacité de stockage
illimitée. Ce stade est loin d’être atteint mais rien n’exclut que le progrès de la
propulsion puisse y conduire un jour.

Conclusion
De cet examen général des relations de l’espace à l’environnement, deux
aspects émergent qui s’imposent par leur importance et par leur urgence :
• le problème des débris spatiaux qui sous-tend un conflit entre compétitivité
commerciale et mesures de contrôle. Il appelle l’élaboration d’un accord
international fixant les règles déontologiques qui s’imposeront à tous ;
• l’utilisation systématique de l’espace à la connaissance de l’environnement
terrestre et à la gestion des risques qui appelle un effort international pour
la création d’un système d’observation global de la planète Terre.
69

DOCUMENT COMPLEMENTAIRE III

RAPPORTS DES REUNIONS DU GROUPE DE TRAVAIL DE LA


COMMISSION MONDIALE D’ETHIQUE
DES CONNAISSANCES SCIENTIFIQUES ET DES TECHNOLOGIES (COMEST)
SUR « L’ETHIQUE DE L’ESPACE EXTRA-ATMOSPHERIQUE »
United Nations Educational, Scientific and Cultural Organization
Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture

World Commission on the Ethics


of Scientific Knowledge and Technology
Commission mondiale de l’éthique
des connaissances scientifiques et des technologies

Distribution : limitée
ETH/COMEST-ESP/99/1
Paris, le 23 février 1999
Original : français

GROUPE DE TRAVAIL SUR


« L’ETHIQUE DE L’ESPACE EXTRA-ATMOSPHERIQUE »

Siège de l’UNESCO, Paris


28 Janvier 1999

RAPPORT DE LA PREMIERE REUNION

Division de l’éthique des sciences et des technologies


I. INTRODUCTION
M. Alain Pompidou, coordonnateur du Groupe de travail sur l’éthique de
l’espace extra-atmosphérique, a ouvert la réunion en souhaitant la bienvenue aux
participants. Il a en particulier salué la présence de S. Exc. Mme Vigdís
Finnbogadóttir, Présidente de la COMEST. Il s’est réjoui que le groupe de travail se
réunisse dans le cadre de l’UNESCO qui, en tant que garant du patrimoine de
l’humanité, est le forum idéal pour s’occuper de ce sujet.
La réunion du 28 janvier avait pour objectif de définir les méthodes de travail
du Groupe. Il a donc d’abord été question du fond des activités du programme. Puis,
le Groupe a essayé d’identifier des personnalités de haut niveau (philosophes,
économistes, penseurs, juristes) qui seraient susceptibles de le rejoindre. Enfin, un
calendrier de travail a été élaboré.

II. OBJECTIFS DU GROUPE


Concernant le fond du programme de travail, M. Alain Pompidou a identifié un
certain nombre de thèmes à prendre en considération, tels que la place de l’homme
dans l’univers, non pas sur le plan philosophique, mais dans le cadre de la conquête
spatiale, d’une part, et de l’exploration de l’univers, d’autre part. Il s’agit de tenter de
définir ce à quoi conduisent les activités humaines en matière de conquête spatiale
et d’exploration de l’univers ; les conséquences de cette conquête spatiale qui sont,
d’une part, la station MIR avec les questions de son devenir, de son statut et de son
éventuel retour sur Terre, et, d’autre part, tout ce qui concerne les déchets circulant
dans l’espace, dont la nature renvoie à une préoccupation d’ordre environnemental ;
le problème de l’homme dans l’espace et des vols habités qui implique notre
capacité à maintenir dans l’espace des êtres humains ; l’avenir de la politique
spatiale proprement dit, c’est-à-dire ce que les activités spatiales représentent sur le
plan des coûts et des relations entre le coût et le bénéfice ; enfin l’exploration des
autres planètes, et notamment de la planète Mars, qui pose des questions relatives à
la possibilité d’y exercer des activités et d’y envoyer des hommes.
Ces thèmes ont ensuite été synthétisés en quatre points, à savoir la conquête
spatiale, l’exploration de l’univers, les problèmes, les coûts et engagements.
M. Alain Pompidou a également évoqué la nécessité de discuter de
l’éventuelle prise en considération des aspects militaires de la conquête spatiale.
Puis il a rappelé que l’éthique signifiait le respect de la dignité, de l’autonomie, de la
responsabilité de l’être humain, ainsi que de son identité.
M. Jean-Jacques Dordain a, quant à lui, présenté un travail organisé de façon
un peu différente autour de trois thèmes : le premier thème concernant les
motivations des activités spatiales ; le deuxième ayant trait à l’équité de ces
activités ; et le dernier relatif aux risques, et notamment les risques liés à la
surveillance électronique, à l’imagerie haute résolution ou l’énergie nucléaire
embarquée. Il a également profité de l’occasion pour attirer l’attention des
participants sur la nécessité d’établir des relations entre le travail du Groupe et les
travaux déjà entamés par d’autres instances, comme le COPUOS (Comité
d’utilisation pacifique de l’espace) ou UNISPACE III.
74

Dans son intervention, M. Georges B. Kutukdjian a rappelé que dès avril 1996,
quand M. Federico Mayor, le Directeur général de l’UNESCO, avait envisagé la
possibilité de créer une Commission mondiale sur l’éthique des connaissances
scientifiques et technologiques, l’espace figurait déjà parmi les six domaines
prioritaires qui seraient étudiés dans le cadre de cette Commission. M. Kutukdjian a
mentionné la notion de patrimoine commun de l’humanité, en évoquant le Traité des
Nations Unies sur la Lune et sur les corps célestes. Il a également mentionné le
niveau d’acceptabilité par la société des technologies. Sa dernière remarque visait à
souligner l’importance de favoriser l’accès des pays en développement aux
connaissances et aux technologies scientifiques et spatiales.

III. DISCUSSION
D’une façon générale, les membres du Groupe ont souscrit aux objectifs
tracés par le coordinateur, tout en insistant sur certains points qu’ils jugeaient
particulièrement importants. Ainsi, tous les participants ont évoqué la question de
l’aspect militaire de la conquête spatiale, qui est un problème qui ne permet pas
d’ignorer que l’espace présente une composante militaire inséparable de la
composante civile, et sur lequel le Groupe doit prendre parti. En effet, certains
systèmes civils indispensables au développement des activités de la société civile
ont des implications militaires. L’exemple le plus évident est celui du système
américain de positionnement GPS, qui est à la base un système militaire, mais qui a
des applications civiles fondamentales, notamment dans le domaine du trafic aérien
commercial.
De plus, certains participants ont souligné l’importance d’envisager le
problème de l’implication des médias et la diffusion par des moyens appropriés des
informations.
L’utilisation du nucléaire dans l’espace a aussi suscité l’attention de plusieurs
membres du Groupe.
A l’issue du tour de table, le Coordinateur a dégagé une synthèse des
propositions issues des différentes interventions. Il a ainsi relevé les quatre
catégories suivantes :
(i) les problèmes militaires ;
(ii) les problèmes de motivation, d’équité et de libre accès qu’il a regroupés
sous le terme d’efficience ;
(iii) les risques avec la protection de l’environnement et l’utilisation du
nucléaire ;
(iv) et, les aspects liés plus spécifiquement au développement des
connaissances et des technologies, avec leurs conséquences pour
l’humanité.
Sur le plan militaire, M. Pompidou a fait une proposition qui a recueilli
l’unanimité. En effet, il a suggéré d’exclure des débats du groupe de travail tout ce
qui serait spécifiquement militaire, car ceci relève du domaine de la décision et de la
souveraineté stratégique des Etats, à moins qu’une opération spécifiquement
militaire menace véritablement l’humanité. En revanche, tout ce qui serait susceptible
d’utilisation duale et qui menacerait les libertés publiques, d’une part, et les identités
culturelles, d’autre part, entrerait dans le champ de compétence du Groupe.
75

IV. STRUCTURE DU RAPPORT


A la suite d’un débat qui s’est instauré entre les membres afin d’affiner la
proposition de programme émanant du coordinateur, cinq thèmes sont ressortis :
• L’homme dans l’espace
• Le développement de la science et des technologies spatiales
• L’utilisation des technologies spatiales et l’efficience
• La protection de l’environnement
• Les libertés publiques et les identités culturelles
Pour chacun des thèmes, la grille de lecture sera quadruple, c’est-à-dire que
le Groupe envisagera à la fois les aspects éthiques, les aspects gouvernementaux et
intergouvernementaux, les aspects économiques et les aspects scientifiques, ainsi
que les aspects liés à la perception par l’opinion publique. De plus, tous les membres
du groupe travailleront sur tous les thèmes, mais chacun s’occupera plus
particulièrement d’un des sujets. Ainsi, M. André Lebeau s’intéressera à la protection
de l’environnement, Sir Geoffrey Pattie et M. Ezio Bussoletti à l’utilisation des
technologies spatiales et l’efficience, M. Gethmann à l’homme dans l’espace, MM.
Audouze et Gethmann au développement de la science et des technologies
spatiales, et M. Alain Pompidou aux libertés publiques et identités culturelles.
MM. Dordain et Kutukdjian veilleront à l’articulation entre le groupe de travail
et le COSPAR, UNISPACE III et le COPUOS.

V. SEMINAIRE DE REFLEXION
Concernant les personnalités de haut niveau susceptibles de travailler avec le
Groupe, l’idée du Directeur général de l’UNESCO est d’impliquer dans les activités
du Groupe des personnes d’un très haut niveau de pensée, qui soient philosophes,
économistes, scientifiques, humanistes et qui viennent des différentes parties du
monde, afin de respecter un certain équilibre géographique et culturel.
A titre de document de travail, une première liste comprenant M. Heinz
Riesenhuber, Sir Herman Bondi, M. Cheikh Modibo Diarra, M. Freeman Dyson, M.
Umberto Eco, M. Luc Ferry, M. Elie Wiesel, et M. Joseph Ki-Zerbo, a été dressée.
L’ESA, l’UNESCO et les membres du Groupe devront faire des suggestions qu’ils
assortiront de courts curriculum vitae. La décision finale sera prise de manière
collégiale par le Groupe.
A propos des acteurs du domaine spatial, qui sont aussi bien les agences
spatiales que les industriels, ou les agents économiques, et qui seront appelés à
intervenir dans le cadre du séminaire du mois de septembre, l’ESA et l’UNESCO
devront également soumettre des propositions qui permettent d’avoir une répartition
géographique et de métiers équilibrée.

VI. CALENDRIER DE TRAVAIL


Concernant le calendrier des travaux du Groupe de travail sur l’éthique de
l’espace extra-atmosphérique, il a été décidé que sur chacun des cinq thèmes, ceux
qui en ont la charge rédigeront une courte note factuelle, de deux pages maximum,
identifiant tous les problèmes éthiques et qui circulera entre tous les membres avant
le mercredi 3 mars 1999.
76

De plus, le séminaire regroupant de hautes personnalités étrangères au


domaine spatial ainsi que des acteurs de cette discipline sera organisé le vendredi
10 et le samedi 11 septembre 1999.
Une réunion intermédiaire est prévue le mardi 13 avril, réunion repoussée au
jeudi 22 avril après-midi en raison des charges d’enseignement du Professeur
Gethmann.
.
United Nations Educational, Scientific and Cultural Organization
Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture

World Commission on the Ethics


of Scientific Knowledge and Technology
Commission mondiale de l’éthique
des connaissances scientifiques et des technologies

Distribution : limitée
ETH/COMEST-ESP/99/1
Paris, le 23 février 1999
Original : français

GROUPE DE TRAVAIL SUR


« L’ETHIQUE DE L’ESPACE EXTRA-ATMOSPHERIQUE »

Siège de l’UNESCO, Paris


10 mai 1999

RAPPORT DE LA DEUXIEME REUNION

Division de l’éthique des sciences et des technologies


79

I. INTRODUCTION
En ouvrant la réunion, M. Alain Pompidou, Coordonnateur du Groupe de
travail sur l’éthique de l’espace extra-atmosphérique, a souhaité la bienvenue au
Professeur U.R. Rao, Président du « United Nations Committee on the Peaceful
Uses of Outer Space » (COPUOS) et d’UNISPACE III, ainsi qu’au Professeur Stan
Grzedzjelski, Directeur exécutif du « Committee on Space Research » (COSPAR).
M. Alain Pompidou a informé les membres du Groupe que lors de la première
session de la Commission mondiale de l’éthique des connaissances scientifiques et
des technologies (COMEST) qui s’est déroulée à Oslo, il a exposé le vendredi 30
avril les premières réflexions du Groupe de travail.
Il a rappelé les cinq thèmes de travail définis lors de la première réunion, et
sur lesquels chaque membre a préparé une note factuelle identifiant les problèmes
éthiques. L’ordre du jour de cette réunion comportait deux points, à savoir :
• la présentation par chaque membre de sa contribution, suivie d’un tour de
table permettant aux autres membres de formuler des commentaires et
remarques ;
• l’organisation du séminaire des 10 et 11 septembre 1999.

II. EXAMEN DES CONTRIBUTIONS


A. L’homme dans l’espace
La contribution du Professeur Gethmann s’articulait autour de quatre points, à
savoir les limites spatiales de l’action humaine, l’exploration, la recherche scientifique
et l’utilisation commerciale de l’espace. M. le Professeur Gethmann a débuté son
exposé sur la question de savoir s’il est permis à l’homme d’aller dans l’espace. Puis
il s’est intéressé au problème de la propriété des connaissances et du savoir-faire
provenant des missions spatiales, en distinguant l’exploration dont les résultats
appartiennent à l’humanité tout entière, la recherche qui bénéficie aux scientifiques
et aux chercheurs, et l’utilisation commerciale de la technologie qui revient en
premier lieu aux investisseurs.
Au cours de la discussion, il est apparu que la notion de « misanthropie de
l’espace » posait problème et qu’il était préférable de lui substituer la notion de
caractère inhospitalier ou inadapté de l’espace vis-à-vis de l’être humain.
Il a été précisé qu’il ne fallait pas confondre présence de l’homme dans
l’espace et limitation de son périmètre d’activité. En effet, l’homme agit déjà dans
l’espace extra-atmosphérique de façon courante sans qu’il y ait nécessairement
présence humaine.
De plus, il a été souligné que la présence de l’homme dans l’espace ne se
justifiait pas par la recherche scientifique. Certains membres ont souhaité que M.
Gethmann développe la question des limites à l’acceptabilité de la présence de l’être
humain dans l’espace en matière d’exploration de l’univers, bien au-delà de la Lune.
Certains participants se sont également interrogés sur l’existence d’une
dimension philosophique à la présence de l’homme dans l’espace.
80

L’utilisation exclusive de l’espace à des fins pacifiques et la nécessité de se


placer dans une perspective à long terme de développement durable ont aussi été
évoquées ainsi que le maintien des possibilités d’accès permanent à l’espace pour
toute mission scientifique destinée à permettre l’élargissement des connaissances.

B. Le développement de la science et de la technologie spatiale


A titre de remarque préliminaire, M. Jean Audouze1 a expliqué qu’il avait
surtout concentré son propos sur l’accès à l’espace et que la question du
développement de la technologie spatiale, et notamment en matière de
télécommunications ou d’accès à des observatoires automatiques, méritait d’être
plus approfondie. Il a privilégié l’astronomie et les connaissances de la Terre depuis
l’espace. Puis, il a proposé quatre sujets de réflexion éthique :
• les programmes spatiaux relevant de la « science lourde » coûtent très chers,
ce qui nécessite de s’interroger sur l’accès à ces programmes, notamment
pour les pays en développement, ainsi que sur la nature de leurs bénéficiaires
(la recherche pour qui, pour quoi et avec quels moyens ?);
• les programmes qui impliquent la présence de l’homme dans l’espace doivent
être non seulement mesurés en termes philosophiques, mais également en
termes économiques ;
• l’espace comme territoire scientifique qui doit rester à la disposition de
l’humanité dans son ensemble, mais qui est de plus en plus pollué non
seulement par des éléments solides mais également par les ondes et des
rayonnements électromagnétiques. Aussi, l’espace devrait-il être proclamé
inaliénable. L’homme peut s’approprier les technologies spatiales mais il ne
dispose d’aucun droit d’appropriation sur l’espace lui-même ;
• l’impact de la technologie sur la vie quotidienne. Il pose la question des droits
des citoyens à avoir accès à l’espace et celle du développement des
technologies spatiales.
Quelques participants ont estimé qu’il serait artificiel d’établir un lien trop étroit
entre le comportement de l’homme en micro-gravité et la possibilité de faire des vols
planétaires qui dépasse largement les difficultés liées à l’apesanteur.
Certains membres se sont félicités de voir mentionner l’espace comme une
science lourde car ceci implique des conséquences sociales et politiques
importantes qui peuvent durer des décennies et qui ont des répercussions éthiques.
La question de l’énergie a été citée comme un exemple de projet de science lourde.
A cet égard, il a été suggéré que M. Jean Audouze, qui est également
coordonnateur d’un Groupe de travail sur l’éthique de l’énergie dans le cadre de la
COMEST, fasse un parallèle entre l’énergie et l’évolution des technologies spatiales
afin d’éviter de reproduire, en matière de politique spatiale, les mêmes erreurs ou
d’apporter les mêmes difficultés que dans le domaine de la politique énergétique.

1. Dans le cadre de la célébration de l’an 2000, M. Jean Audouze a annoncé la tenue


d’un forum qu’il organise le samedi 29 mai 1999 à Toulouse, au Théâtre de la Cité, et qui
s’intitule « L’avenir est-il dans le ciel ? ». Quatre tables rondes seront organisées sur « Le
cosmos ou l’invention d’un rêve », « La Terre dans tous ses états », « La conquête spatiale,
dernière frontière du progrès » et « Liberté de l’espace, espace de liberté » à laquelle les
Professeurs André Lebeau et Alain Pompidou participeront.
81

De plus, certains membres ont souhaité voir développée un peu plus la


formule « better, quicker, cheaper » de la NASA, ainsi que les thèmes de la gestion
des risques dans l’espace, de l’énergie dans l’espace et de l’énergie provenant de
l’espace.
Concernant l’espace comme territoire scientifique à la disposition de
l’humanité, il faut se poser la question de son exploitation commerciale qui ne sera
sans doute pas à la portée de tout le monde ni de façon gratuite. D’autre part, une
telle exploitation nécessite une protection et des garanties qui doivent également être
envisagées.
La question de la motivation des missions spatiales a ensuite été abordée par
le Groupe qui s’est demandé si la science ne servait pas d’alibi à de telles missions
et notamment en ce qui concerne la mission vers Mars. Le fait que les motivations
avancées pour justifier un projet public soient de fausses motivations et que la
science soit utilisée comme alibi pose un problème éthique.
A l’issue de la discussion, M. Jean Audouze a précisé qu’il prendrait en
compte les différentes remarques et qu’il distinguerait dans sa note factuelle :
• les données qu’on peut recueillir de l’espace et qui relèvent de la recherche
fondamentale ;
• les données environnementales qui devraient être mises, par les pays du
Nord, à la disposition de pays moins fortunés pour lesquels l’accès à ces
données constitue un élément très important pour leur développement (par
exemple, la prévision de sécheresses) ;
• les données à caractère commercial au sens strict qui pourraient être régies
par des réglementations commerciales.

C. L’utilisation des technologies spatiales


M. Bussoletti, en l’absence de Sir Geoffrey Pattie, a présenté leur texte
commun qui s’articulait autour des trois points suivants : l’impact environnemental,
l’impact économique et enfin la dimension militaire.
Concernant l’impact environnemental, le problème des débris et la question de
l’exploitation de l’énergie dans l’espace, et notamment l’énergie nucléaire, ont été
soulignés. Il a évoqué la nécessité d’une harmonisation des pratiques et des
législations. Il a aussi insisté sur la gestion des risques dans l’espace. Certains
membres ont souhaité que les questions de déchets nucléaires dans l’espace et de
déchets en orbite basse soient traitées plus amplement (voir également le
paragraphe D sur la protection de l’environnement).
A propos de l’impact économique, la question essentielle est celle de la
participation des nations au développement et à l’utilisation des technologies.
Il a été également fait mention de l’importance d’identifier des entités
supranationales pouvant suggérer des règles et en assurer le suivi et l’application
effective, notamment sur le plan de la protection de l’environnement spatial.
La dimension militaire a été envisagée sous l’angle de l’utilisation duale. A cet
égard, M. Pompidou a rappelé qu’au cours de la première réunion, le Groupe a
décidé d’exclure du champ de ses travaux tout ce qui est à usage militaire exclusif
pour ne retenir que ce qui est d’utilisation duale, c’est-à-dire les technologies
militaires qui ont des applications civiles.
82

Le Groupe a reconnu que les bases industrielles de la technologie spatiale


militaire et de la technologie spatiale civile étaient communes, et que pratiquement
toute la technologie spatiale était d’utilisation duale. La situation qui a été considérée
comme la plus problématique est celle d’un système développé par les militaires et
duquel le civil dépend complètement, comme par exemple le système américain de
positionnement GPS. En effet, l’utilisation du GPS pour le contrôle de la navigation
aérienne, du décollage à l’atterrissage, va assujettir à ce système les vols
commerciaux sur l’ensemble de la planète2. Il a été proposé de distinguer les
technologies civiles susceptibles d’applications militaires, telles que l’optronique
appliquée à l’observation de la terre, et les technologies militaires présentant des
applications civiles, telles que le GPS.

D. La protection de l’environnement
M. le Professeur André Lebeau a indiqué que la technique spatiale avait une
relation ambiguë avec l’environnement parce qu’elle peut à la fois être à l’origine
d’altérations de l’environnement naturel et être un outil de contrôle de ces altérations.
Il a distingué les altérations de l’environnement extraterrestre des altérations de
l’environnement terrien et des environnements planétaires. Dans la première
hypothèse, M. Lebeau a insisté sur le fait qu’en matière de débris orbitaux il n’existait
à l’heure actuelle aucun procédé pour supprimer ces débris. Par conséquent seules
des mesures de prévention peuvent être mises en œuvre. M. Lebeau a indiqué que
les applications commerciales de l’espace circumterrestre sont, en raison de leur
nombre, les plus polluantes et l’imposition de mesures de prévention ayant un coût,
celle-ci aura donc un effet sur la compétitivité des systèmes commerciaux. De ce fait,
M. Lebeau a souligné qu’il était indispensable que ces mesures s’imposent à toutes
les entreprises sans exception, et en particulier aux entreprises commerciales, et
qu’elles soient inscrites dans le droit international, bien qu’actuellement aucun cadre
légal international n’impose de règles en la matière.
Dans le domaine des altérations de l’environnement terrien et des
environnements planétaires, M. Lebeau a mentionné que la rentrée d’objets massifs
et que la pollution atmosphérique engendrée par les objets spatiaux étaient des
phénomènes négligeables. S’agissant plus particulièrement des environnements
planétaires, M. Lebeau a évoqué la pollution par les formes de vie et les molécules
organiques, tout en précisant que c’était un problème sous contrôle en raison de
l’application de protocoles lourds et coûteux. Quant à l’utilisation de la technique
spatiale aux fins de protection de l’environnement terrestre, M. Lebeau a identifié
deux aspects, à savoir, d’une part, un aspect à court terme qui est d’utiliser les
programmes spatiaux comme des outils de connaissance de l’évolution de
l’environnement terrestre, et d’autre part, un aspect à long terme correspondant au
développement d’un transport spatial fiable à un coût abordable qui permettrait de
débarrasser la surface de la planète des déchets les plus dangereux de l’activité
humaine, et en particulier les déchets nucléaires, en les mettant sur une orbite
solaire.

2. Le 12 mai 1999, le Conseil ministériel de l’ESA a décidé la participation de l’ESA au


projet de l’Union européenne de se doter d’un système spécifiquement européen de contrôle
de la navigation par satellite (le programme GALILEO). Ce projet fera l’objet d’une décision
des Ministres européens le 17 juin 1999.
83

En conclusion, M. Lebeau a rappelé deux points importants de sa


présentation, c’est-à-dire le contrôle des débris spatiaux et l’utilisation de l’espace
pour la connaissance de l’environnement terrestre. Il a également reconnu qu’il avait
omis la question de la pollution électromagnétique.
Au cours du tour de table, le Groupe a insisté sur l’absence de solution
actuelle pour éliminer les débris. Et quelques participants se sont inquiétés de la
solution consistant à envoyer les déchets en orbite circumsolaire et ont attiré
l’attention des membres sur le risque de polluer l’espace de manière irréversible. A
cet égard, M. Grzedzjelski a informé le Groupe de la création au sein du COSPAR
d’un panel sur la protection planétaire visant à étudier la situation ainsi que les
mesures, politiques et réglementaires, édictées par les agences spatiales, en vue de
la constitution d’une base de données sur la protection des environnements
planétaires, dont l’UNESCO pourrait disposer.
En outre, certains membres ont souhaité voir développer tout ce qui concerne
les autres aspects environnementaux tels que la carbonisation de l’atmosphère, les
déchets nucléaires et la surveillance du climat.
Concernant la nécessité d’avoir une législation internationale en matière de
contrôle des débris spatiaux s’appliquant impérativement aux entités commerciales, il
a été suggéré qu’une telle réglementation puisse prendre la forme d’un traité dans le
cadre des Nations Unies impliquant également l’Organisation mondiale du commerce
(OMC).
Trois niveaux d’utilisation possible de la technique spatiale ont été identifiés,
concernant d’une part la prévention, voire la prévision et la gestion des catastrophes,
d’autre part, le contrôle de la bonne observation des traités et conventions sur
l’environnement, et l’éventuelle modification du climat. Il a été proposé d’intégrer ces
éléments dans le texte de M. Lebeau.
A l’issue de la discussion, M. Lebeau a récapitulé les modifications et
développements qu’il allait apporter à son texte concernant l’émergence des effets
globaux de l’activité humaine, le contrôle du climat, la pollution électromagnétique,
les installations nucléaires en orbite circumterrestre, les débris et la base de données
du COSPAR sur la protection des environnements planétaires.

E. Les libertés publiques et les identités culturelles


M. Alain Pompidou a concentré son propos sur la surveillance électronique et
le maintien de la diversité culturelle. Il a estimé que la surveillance électronique
posait un problème d’atteinte aux libertés individuelles puisqu’il est désormais
possible de saisir les données de communication transitant par les satellites. Ceci
permettra à terme de connaître d’autant plus facilement le comportement d’un
individu, d’un groupe d’individus, d’une entreprise ou d’un groupe de consommateurs
qu’il n’existe pas actuellement de législation réglementant l’accès et l’utilisation des
données.
Sur la question du maintien de la diversité culturelle, M. Pompidou a constaté
qu’en raison de la mondialisation de la communication, il y avait un risque
d’uniformisation des langages, des cultures et des comportements. Il a dégagé la
problématique : comment assurer la diffusion des technologies de l’information au
84

niveau mondial en permettant une communication aussi optimale que possible tout
en assurant la personnalisation des communications et le respect des identités
culturelles3.
Concernant la proposition de disposer d’un espace électronique réservé au
maintien de la diversité culturelle, il a été proposé d’avoir sur les transbordeurs des
satellites des espaces gratuits en autogestion.
En outre, en marge du phénomène d’uniformisation, certains membres ont
évoqué la création de nouvelles diversités culturelles qui ne doit pas être trop
excessive car sinon on risque de perdre l’héritage basé sur l’identité précédente. La
nécessité de trouver un équilibre entre le maintien des identités culturelles existantes
et l’apparition de nouvelles identités a été soulignée.
Le Groupe a également abordé la question du droit d’accès des individus à
l’information qui est l’objet de discussions sur le plan international depuis une
quinzaine d’années et qui touche en définitive au fonctionnement de la démocratie,
en prenant notamment pour exemple des arrêtés municipaux interdisant l’installation
d’antennes de réception de télévision. Les membres ont indiqué que toute tentative
de manipulation de l’opinion par le biais d’une interdiction d’accès à l’information
n’était pas acceptable, et il a été suggéré de lancer un débat démocratique dans
différents pays sur les problèmes de maintien de la diversité culturelle.

F. Conclusion
M. Alain Pompidou a indiqué que tous les membres devraient prendre en
compte dans leur texte respectif les différentes remarques formulées au cours de la
réunion et soumettre une nouvelle version de leur note pour le 1er juin au plus tard au
Secrétariat de l’UNESCO qui se chargera de les transmettre à l’ensemble des
membres du Groupe de travail.

III. ORGANISATION DU SEMINAIRE


M. Alain Pompidou a rappelé que le séminaire se tiendrait les 10 et 11
septembre 1999, en région parisienne, dans un lieu qui reste encore à déterminer, et
que le premier jour serait consacré à un remue-méninges (« brainstorming ») entre
les membres du Groupe et des philosophes, des écrivains, des communicateurs,
etc., venant de tous les horizons.
Le deuxième jour devrait permettre au Groupe d’auditionner les principaux
acteurs de la politique spatiale (responsables des agences spatiales nationales,
industriels, etc.).
Afin de déterminer le cadre de réflexion du séminaire, M. Pompidou a indiqué
qu’il allait préparer pour le 1er juin au plus tard un texte de présentation et
d’identification des problèmes éthiques, qu’il soumettrait en premier lieu au
Professeur Gethmann et à M. Kutukdjian, puis aux autres membres.

3. M. Alain Pompidou a mentionné l’adresse électronique permettant d’accéder au


compte-rendu en français et en anglais d’un colloque qu’il a organisé sur l’info-éthique en
février 1998 : http://pacte.tethys-software.fr.
85

A propos des thèmes qui seront abordés lors de ce séminaire, le Groupe s’est
mis d’accord sur les trois points suivants :
• l’espace comme dimension comprenant l’homme dans l’espace,
l’exploration de l’univers, le développement de la science et des
technologies spatiales ;
• l’espace comme outil comprenant les enjeux économiques et la protection
de l’environnement, les technologies spatiales et les risques liés à
l’utilisation de l’espace ;
• l’espace perçu, c’est-à-dire la perception médiatique de l’espace, le rôle
des médias et des organes de communication, celui des décideurs
politiques.
Le Groupe a ensuite examiné la liste, préparée par le Secrétariat de
l’UNESCO, des personnalités susceptibles d’être invitées au séminaire, tout en
laissant à l’ESA et à l’UNESCO le soin de dresser la liste des représentants
d’agences spatiales nationales et des industriels. M. Johnston, Secrétaire général de
l’OCDE, ainsi que MM. Ashpal (Inde), Sagdiev (Fédération de Russie/Etats-Unis
d’Amérique) et Haerendel (Allemagne), Président du COSPAR, ont été ajoutés à la
liste. Il a aussi été décidé d’inviter le COPUOS, UNISPACE III, le COSPAR,
l’International Aeronautical Association et l’International Astronomical Union.
87

DOCUMENT COMPLEMENTAIRE IV

RAPPORT FINAL DU SEMINAIRE DE PARIS SUR


L’« ETHIQUE DE L’ESPACE EXTRA-ATMOSPHERIQUE »
UNESCO - ESA
(10-11 septembre 1999, Roissy-Charles de Gaulle, France)
United Nations Educational, Scientific and Cultural Organization
Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture

World Commission on the Ethics


of Scientific Knowledge and Technology
Commission mondiale de l’éthique
des connaissances scientifiques et des technologies
Distribution limitée
ETH/COMEST-ESP/SEM/99/1
Paris, le 20 septembre 1999
Original : français

SEMINAIRE DE PARIS SUR


L’«ETHIQUE DE L’ESPACE EXTRA-ATMOSPHERIQUE »
UNESCO - ESA
(10-11 septembre 1999, Roissy-Charles de Gaulle France)

RAPPORT FINAL

Division de l’éthique des sciences et des technologies


PREMIERE PARTIE : JOURNEE DU 10 SEPTEMBRE 1999

I. INTRODUCTION
1. L’espace constitue un nouveau défi pour l’humanité puisqu’il s’agit de définir la
place de l’homme dans l’univers. Le problème est à la fois philosophique et
scientifique : l’homme souhaite conquérir l’espace, le connaître, l’explorer. Il faut
auparavant qu’il s’interroge et que les scientifiques cherchent à mieux sonder
l’opinion publique dans toute sa diversité culturelle. Cette question se doit d’être
abordée autant du point de vue scientifique que culturel. Par ailleurs, les
conséquences de la conquête spatiale exigent de mener la réflexion éthique sur ce
sujet dans un contexte international, ce d’autant que l’espace extra-atmosphérique a
été reconnu comme patrimoine commun de l’humanité. C’est dans cet esprit que le
Directeur général de l’UNESCO, en collaboration avec M. Antonio Rodotá, Directeur
général de l’Agence spatiale européenne (ESA), a créé, en décembre 1998, un
groupe de travail sur l’éthique de l’espace extra-atmosphérique, dont il a confié la
coordination au Professeur Alain Pompidou. Ce groupe, composé sur une base
pluridisciplinaire a pour mandat de préparer un rapport sur les implications éthiques
soulevées par les activités spatiales.
2. Ce rapport sera soumis à l’examen de la Commission mondiale des
connaissances scientifiques (COMEST), l’éthique de l’espace extra-atmosphérique
figurant parmi les domaines qui sont et seront étudiés dans le cadre de cette
Commission. A cet égard, il est à souligner que lors de la première session de la
COMEST, qui s’est tenue à Oslo en avril 1999, le coordonnateur du groupe de travail
a eu l’occasion de présenter les premiers travaux du groupe et le cadre de sa
réflexion. Il a précisé notamment que si les technologies spatiales relèvent souvent
des domaines civil et militaire, sans les rejeter de manière systématique, le groupe
de travail a décidé de ne pas traiter des questions exclusivement militaires.
3. Comme point d’orgue aux travaux du groupe de travail le séminaire a été
organisé afin d’une part de permettre à des spécialistes de partager leurs réflexions
et expériences en la matière et d’autre part d’intéresser des acteurs du domaine
spatial, représentants d’agences spatiales et de l’industrie. La liste des participants
figure en annexe 1 du présent rapport.

II. OUVERTURE
4. En présentant le mandat et le fonctionnement de la COMEST, cadre dans
lequel se situe le séminaire, S. Exc. Mme Vigdís Finnbogadóttir, Présidente de la
Commission, a souligné que la prise de conscience accrue des implications
humaines et sociales de la recherche scientifique et des applications technologiques
qui en découlent a donné naissance à un phénomène nouveau. Jamais sans doute,
le progrès scientifique et les innovations technologiques n’ont modelé, autant
qu’aujourd’hui, les modes de productions économiques, les relations sociales et les
styles de vie. Si le monde de la recherche scientifique considère désormais que la
réflexion éthique fait partie intégrante du développement de ce domaine, le grand
public est aussi conscient que les sciences et leurs applications ont transformé la vie
quotidienne. L’éthique des connaissances scientifiques et des technologies doit
désormais figurer au premier rang dans toutes les prises de décision. L'éthique doit
donc devenir un système de référence, à l’instar du dialogue mondial qui, sur les
questions d’actualités, intègre désormais les préoccupations sociales et culturelles.
La réflexion éthique est une interrogation constante sur le fondement de nos actes et
92

constitue un perpétuel renouvellement. Cette réflexion va bien au delà de la définition


d’une déontologie, elle suppose que le débat soit porté sur la place publique avec la
participation éclairée des citoyens et de celle des décideurs, en cela elle se présente
comme une exigence démocratique. De plus, elle doit anticiper les problèmes en se
fondant sur des bases scientifiques et s’assurer de la participation de la communauté
intellectuelle de toutes les régions du monde.
5. S’agissant plus particulièrement de la COMEST, Mme Vigdís Finnbogadóttir a
déclaré qu’il appartient à la Commission de formuler, sur une base scientifique, des
principes susceptibles de fournir aux décideurs, dans des domaines sensibles, des
critères de choix autres que strictement économiques, de fixer les limites entre ce qui
est possible et ce qui est acceptable. De plus, en contribuant à améliorer la gestion
du risque, elle doit devenir la clef de voûte d’une culture de la responsabilité et de la
solidarité. Enfin, à l'heure où les scientifiques s'efforcent de briser les cloisonnements
disciplinaires, pour ouvrir à la recherche des pistes plus stimulantes, la COMEST
peut offrir à l'ensemble de la communauté mondiale de nouveaux repères pour
influer concrètement sur l'évolution de la science, désormais en mesure de modifier
radicalement les fondements mêmes de la nature humaine.
6. Le Professeur Alain Pompidou, pour sa part, a précisé le cadre conceptuel du
séminaire. Il a souligné que l’entrée de l’humanité dans le 21è siècle sera marquée
par l’accroissement de la démographie, les disparités entre pays industrialisés et
pays émergents et les avancées technologiques qui font entrer le progrès
scientifique dans la vie quotidienne. De la conjonction de ces trois éléments résultent
ambiguïtés et paradoxes, particulièrement sensibles lorsqu’il s’agit des activités liées
au développement des techniques spatiales. En effet, de nos jours la perception que
l’on peut avoir de l’espace extra-atmosphérique est passée successivement du
mythe au rêve, puis du rêve à la réalité dans la mesure où l’espace est devenu
accessible à l’être humain. Cette banalisation de la conquête spatiale s’accompagne
de contraintes financières et d’enjeux de pouvoir autour de l’espace, nouveau terrain
d’appropriation. De ce fait émergent de nouveaux défis qui relèvent de l’évaluation
des équilibres entre bénéfices et risques pour justifier l’allocation des ressources. Au
titre des bénéfices on retient la victoire que représentent le succès des vols habités,
l’élargissement du champ des connaissances, l’utilisation des techniques spatiales à
des fins d’observation météorologique et le développement des communications par
satellites. Cependant de tels bénéfices ne diminuent pas l’importance du facteur
risque. A cet égard, l’importance d’élaborer une stratégie d’anticipation fondée sur
l’explication objective et l’identification des risques est évidente.
7. L'éthique fait désormais partie du développement harmonieux et intégré du
progrès scientifique et technique, elle est à la fois morale de l’action et pensée du
risque. Dans le domaine plus particulier de l’espace extra-atmosphérique, elle
conduit à formuler trois postulats : l’espace considéré patrimoine commun de
l'humanité implique que le libre accès à l'espace doit être respecté ; l'espace, comme
facteur d’élargissement des connaissances scientifiques, suppose que rien ne doit
empêcher les astrophysiciens d’observer l'univers, notamment les risques de
pollutions électromagnétiques ; enfin, comme support de communication entre les
hommes, l’espace doit être utilisé dans le respect des libertés et droits fondamentaux
de l’homme. En terme de gestion des risques induits par l’utilisation des technologies
spatiales, trois principes doivent être appliqués : le principe de précaution, le principe
de retour d’expérience et le principe de vigilance, eux-mêmes reposant sur les
principes d’équité et de solidarité. La pratique d’une éthique de l’espace doit
93

s’appuyer à la fois sur une base de réflexion et une stratégie de communication en


raison du contexte émotionnel qui entoure les questions liées à l’exploration spatiale.
Ce qui compte c’est d'éviter la désinformation et la fraude, de s’engager à ne pas
jouer avec la crédulité des individus ou des populations. Il importe d’éviter tout
alarmisme non justifié et le mercantilisme propre à des informations qui représentent
un argument de vente pour les médias, un argument d’allocation des ressources pour
le monde de la recherche et parfois même pour certaines entreprises industrielles. Il
est indispensable d’organiser le débat public en vue d’une approche démocratique de
la politique spatiale, débat qui pourrait déboucher sur une « culture de l’espace » qui
viserait à créer un lien culturel entre la tradition et les ruptures novatrices.

III. DEBAT GENERAL


8. Les discussions se sont articulées autour de quatre thèmes de réflexion :
l’éthique de l’espace extra-atmosphérique ; l’espace comme dimension ; l’espace
comme outil et l’espace comme perception (voir annexe 2).

A. L’ETHIQUE DE L’ESPACE EXTRA-ATMOSPHERIQUE


9. Dans sa présentation, le Professeur Carl Friedrich Gethmann a mis l’accent sur
l’opposition existant entre une approche utilitaire et une approche culturelle des vols
spatiaux habités. Lorsqu’on examine les objectifs des vols spatiaux habités, il est
important de ne pas s'engager d’emblée dans des considérations de coût-bénéfice.
Les conséquences pour le progrès de la recherche scientifique sont évidentes, de
même que l’utilisation commerciale de l’espace qui peut légitimer les vols habités.
L'intérêt de l'homme à explorer son environnement n'est pas orienté vers l'utilité, au
sens strict, mais répond aussi à un besoin culturel fondamental traduisant la continuité
des grandes explorations et découvertes des siècles passés. Il est donc important
d’examiner les fondements culturels de l’exploration spatiale et de s’assurer que les
bienfaits qui peuvent en résulter sont partagés par le plus grand nombre.
10. La discussion, qui a suivi, a fait ressortir qu’il était difficile de séparer
radicalement l’approche utilitaire et l’approche culturelle : en effet, il n’y a pas de
culture sans aspects économiques ou politiques. Lorsque l’on aborde la question des
vols spatiaux habités sous l’angle éthique, il faut tenir compte simultanément des deux
approches. Il est, par ailleurs, indispensable, économique et culturel allant de pair, de
s’assurer de la plus grande transparence dans l’exposé des motivations qui sous-
tendent les vols habités et dans l’utilisation commerciale de l’espace. Dans le même
esprit, il serait souhaitable de permettre au grand public de disposer d’une meilleure
information. Il s’est avéré en effet, à travers certaines expériences à vocation
pédagogique, qu’une bonne information du public peut aider à légitimer l’exploration
spatiale. L’espace extra-atmosphérique étant considéré comme patrimoine commun
de l’humanité, toute exploration ou utilisation qui pourrait en être faite doit profiter à
tous, ce qui ne saurait être le cas si l’approche économique l’emportait.
11. Il a été souligné que l’éthique doit être comprise comme morale de l’action,
pensée du risque et reconnaissance de l’autre, étant entendu, en outre, que la relation
entre l’éthique et le droit doit être prise en compte. Si les considérations éthiques
doivent permettre la résolution de conflits susceptibles de survenir du fait de
l’exploration spatiale, des critères ou des normes doivent être établis pour conforter
toute argumentation, le droit devant être conséquence de la réflexion éthique et non pas
l’inverse. L’éthique devrait également être à la base des décisions politiques en matière
94

d’exploration spatiale. Il est, enfin, primordial que les citoyens puissent être associés à
la prise de décision, en s’appuyant sur une argumentation rationnelle, pour éviter
d’éventuels mouvements protestataires lorsque des accidents, inévitables, surviendront.

B. L’ESPACE COMME DIMENSION : L’HOMME DANS L’ESPACE ET L’EXPLORATION DE


L’UNIVERS

12. En introduction de son propos, le Professeur Jean Audouze a tenu à souligner


que souvent des décisions politiques à l’origine d’un progrès scientifique ont été
sous-tendues par des motivations contestables. Par ailleurs, il est des domaines
dans lesquels il est plus aisé d’invoquer des arguments éthiques, ainsi en est-il de
l’espace extra-atmosphérique, perçu de façon positive par le public, contrairement à
l’énergie nucléaire, souvent ressentie comme une menace. Il a insisté sur
l’importance du temporel dans l’expérience spatiale, les projets touchant à l’espace
extra-atmosphérique sont le plus souvent à long terme. Les programmes spatiaux
relèvent de la « science lourde » qui mobilise des budgets colossaux accessibles aux
seuls pays les plus riches même si le slogan de la NASA est de faire voler des
missions modestes selon la formule « better, quicker, cheaper », c’est-à-dire : mieux,
plus rapidement et moins cher. L’espace est un territoire scientifique qui doit rester à
la disposition de l’humanité dans son ensemble, mais qui est de plus en plus pollué,
le droit des citoyens à avoir accès à l’espace doit être affirmé et soutenu par un effort
de sensibilisation et d’éducation. Il a, par ailleurs, insisté sur l’importance qui
s’attache à ce que les données environnementales soient mises, par les pays du
Nord, à la disposition de pays moins fortunés pour lesquels l’accès à ces données
constitue un élément important pour leur développement.
13. Lors des échanges qui ont suivi, s’il a été reconnu que l’espace constitue bien
un territoire scientifique, il donne, néanmoins, lieu à un développement d’applications
commerciales qui contraint la communauté scientifique à tenir compte des agences
spatiales et des industries qui allouent les fonds nécessaires à ses recherches. Ces
considérations obligent à repenser les bases éthiques de toute action dans le
domaine de l’exploration de l’espace extra-atmosphérique, étant entendu que la
réflexion éthique vise au bien être général de l’humanité. La finalité de l’exploration
de l’espace a été longuement abordée, tant au titre de la recherche d’autres formes
de vie - comme réponse possible aux grands mythes fondateurs des sociétés -,
qu’au titre du progrès scientifique qu’elle induit ou encore, au titre des bénéfices
économiques. La discussion a fait ressortir les intérêts respectifs des différentes
motivations mais également la nécessité de réfléchir sur les meilleures façons d’en
informer et de former le public.
14. Au regard de l’allocation des fonds destinés à l’exploration spatiale,
l’éventualité et les modalités d’une mise en commun de toutes ressources allouées à
des fins purement scientifiques ont été évoquées. En effet, de telles fins peuvent être
considérées comme allant dans le sens de l’intérêt général. En ce qui concerne les
buts économiques, il serait souhaitable que les bailleurs de fonds puissent justifier de
la légitimité des projets qu’ils financent, des principes, le cas échéant éthiques, qui
sous-tendent la répartition des fonds. En effet, jusqu'à présent les applications
scientifiques mises au service de l’exploration spatiale n’ont pas encore été remises
en cause, mais il devient urgent d’envisager de définir les principes qui président aux
attributions de ressources et les responsabilités en la matière, nationales ou
internationales. A cet égard, la place de l’éthique dans les circuits de décision et la
notion d’équité ont été évoquées, celle-ci devant être appliquée pour pallier la
95

compétition existant entre les disciplines scientifiques. Par ailleurs, une bonne
gestion de l’espace étant une des conditions de la survie de l’humanité et du bien
être des générations futures, l’élaboration de principes éthiques en la matière prend
toute son importance.

C. L’ESPACE COMME OUTIL


i) Protection de l’environnement périplanétaire
15. Le Professeur André Lebeau a indiqué que la technique spatiale avait une
relation ambiguë avec l’environnement parce qu’elle peut à la fois être à l’origine
d’altérations de l’environnement naturel et être un outil de contrôle de ces altérations.
Il a distingué les altérations de l’environnement extraterrestre des altérations de
l’environnement terrien et des environnements planétaires. Dans la première
hypothèse, il a insisté sur le fait qu’en matière de débris orbitaux, il n’existe à l’heure
actuelle aucun procédé pour supprimer ces débris, seules des mesures de
prévention peuvent être mises en œuvre. Il a indiqué que les applications
commerciales de l’espace extra-atmosphérique sont, en raison de leur nombre, les
plus polluantes et les mesures de prévention étant d’un coût élevé, elles ont un effet
sur la compétitivité des systèmes commerciaux. Il a souligné qu’il était indispensable
que ces mesures s’imposent à toutes les entreprises sans exception et qu’elles
soient inscrites dans le droit international. Evoquant l’utilisation de la technique
spatiale aux fins de protection de l’environnement terrestre, le Professeur Lebeau a
identifié deux aspects, à savoir : d’une part, un aspect à court terme représenté par
l’utilisation des programmes spatiaux pour mieux connaître l’évolution de
l’environnement terrestre ; et, d’autre part, un aspect à long terme consistant à
débarrasser la surface de la planète des déchets les plus dangereux de l’activité
humaine, et en particulier les déchets nucléaires, en les mettant sur une orbite
solaire. A cet égard, il a souligné l’intérêt d’établir un système de gestion
d’environnement global, à l’instar de ce qui a été réalisé en matière de météorologie.
16. Au regard de la notion de débris spatiaux, il est indispensable d’en donner une
définition technique détaillée, accompagnée de cadres éthique et juridique qui
permettraient d’éviter des pratiques néfastes, susceptibles d’hypothéquer le cadre de
vie des générations futures. La création de débris dits de « deuxième génération »,
ayant un pouvoir destructeur, est à craindre. L’élaboration de cadres éthique et
juridique suppose une symbiose entre scientifiques et juristes. D’ores et déjà des
travaux sont en cours au sein de l’Organisation des Nations Unies à travers des
études pour la mise en place d’un plan d’observation pour le comptage des objets
circulant dans l’espace et l’élaboration de modèles de prévision et de prévention.
Toutes solutions en la matière impliquent que les décideurs reconnaissent les
dangers potentiels et que des principes éthiques soient appliqués à chaque étape du
développement de l’outil spatial.
17. Le principe du partage des données environnementales a été affirmé comme
corollaire d’une bonne gestion de la planète et de l’espace extra-atmosphérique,
étant entendu que ces données ont une valeur économique donc un impact politique.
Si en matière de météorologie le système a pu être mis en place en raison de
l’immédiateté de la demande reconnue par tous les Etats, il est vrai que, pour l’espace,
l’échelle de temps, plus large, ne joue pas en faveur d’une prise de décisions rapide.
De plus, il n’est pas certain que l’instauration d’un système de contrôle de
l’environnement terrestre serait unanimement accepté étant donné la diversité des
intérêts et le fait qu’en grande partie l’espace est encore géré par les militaires.
96

18. Au regard de l’élimination des débris spatiaux, la question des coûts élevés
des mesures à prendre a été soulevée, de même que les responsabilités partagées
par tous les acteurs dans les domaines politique, économique et technique. S'il est
certain que l’utilisation de l’espace comme outil de gestion des climats est
communément admise, il n’en demeure pas moins qu’il se pose un problème éthique
sur sa légitimité, en raison des incertitudes qui existent encore.

ii) Libertés publiques et identités culturelles


19. Le Professeur Rao a mis l’accent sur le développement des moyens de
communications grâce aux techniques spatiales. Il a déploré le déséquilibre entre les
pays du Nord et ceux du Sud, soulignant que l’application de principes éthiques
pourrait les compenser. Si le développement de la technologie spatiale est sans nul
doute susceptible d’améliorer la qualité de vie dans les années à venir, de mauvais
usages peuvent avoir un impact négatif aussi bien sur la vie des sociétés que sur
l’exercice des libertés individuelles. Des sociétés vulnérables peuvent en effet être
victimes d’une forme perverse d’aliénation culturelle. La globalisation ne doit en
aucun cas conduire à l’uniformisation des cultures. Il est donc indispensable de
s’assurer que des principes éthiques soient appliqués à l’utilisation de l’espace pour
garantir les libertés individuelles et le respect des identités culturelles. Il faut veiller,
par une protection adaptée de l’accès à l’information, à ce que les techniques de
communication spatiales ne soient pas mises au service de propagandes
quelconques ou d’activités criminelles. Si l’émergence de ce qu’on appelle le
« village global » a rapproché virtuellement les hommes, elle n’a pas pour autant
développé l’amitié entre les peuples. Une éducation du public doit être développée à
cet égard.
20. Les risques de mauvais usage des réseaux satellitaires ont été largement
discutés. La capacité des Etats à maintenir l’ordre dans ce domaine en pleine
expansion et à protéger les individus a été longuement mise en cause. L’impact
positif sur le développement culturel a été néanmoins souligné, en effet la variété des
transmissions permet de penser que des cultures minoritaires peuvent tout de même
s’exprimer et atteindre les populations concernées grâce aux satellites, favorisant
ainsi la sauvegarde des identités culturelles. Il appartient donc aux instances
élaborant des principes éthiques d’affirmer que la diffusion des technologies de
l’information au niveau mondial, en permettant une communication aussi optimale
que possible, doit garantir le respect des identités culturelles et la liberté
d’expression. La nécessité de trouver un équilibre entre le maintien des identités
culturelles existantes et l’apparition de nouvelles identités a été soulignée. Ces
nouveaux outils doivent être mis au service de la justice, de l’équité et du
développement durable. Par ailleurs, les techniques spatiales mises au service de
l’éducation ou de la télé-médecine doivent être développées.
21. L’utilisation des techniques de surveillance spatiale peut également servir à
contrôler l’activité économique. L’exemple de la surveillance de la production agricole
a été mentionné : dans ce cas précis, la question se pose de savoir quelles sont les
catégories d’acteurs qui en tirent les meilleurs profits, des producteurs, des
consommateurs ou des intermédiaires. Les possibilités offertes aux spéculations par
le biais du développement des capacités de prévision doivent être limitées pour
éviter l’accroissement des inégalités ou l’émergence de pratiques économiques
coercitives autant que suspectes. La surveillance électronique pose également un
problème d’atteinte aux libertés individuelles puisqu’il est désormais possible de
97

saisir les données de communication transitant par les satellites ou de localiser les
communications par téléphones mobiles. Ces techniques auparavant utilisées par les
seuls militaires se trouvent aujourd’hui à la portée de ceux qui disposent des moyens
techniques appropriés ; leur utilisation détournée est susceptible de porter gravement
atteinte aux droits fondamentaux de l’homme. Il a été cependant souligné que cette
question de la surveillance des individus dépassait le cadre de l’espace, c’est en
effet un problème plus général. Enfin, s’il faut admettre que la surveillance est
inévitable, ce qui doit être réglementé c’est la gestion et le contrôle des données.

E. L’ESPACE COMME PERCEPTION


i) Bénéfices et risques liés aux avancées des technologies spatiales
22. Le Professeur Ezio Bussoletti a articulé son exposé autour de trois points :
l’impact environnemental, l’impact économique et enfin la dimension militaire en
raison de l’utilisation duale des technologies spatiales, c’est-à-dire des technologies
militaires qui ont des applications civiles. Concernant l’impact environnemental, le
problème des débris et la question de l’exploitation de l’énergie dans l’espace, et
notamment l’énergie nucléaire, ont été soulignés. Le Professeur Bussoletti a évoqué
la nécessité d’une harmonisation des pratiques et des législations. Il a aussi insisté
sur la gestion des risques et la nécessité de développer l’information et l’éducation à
titre préventif, ainsi que sur le rôle des médias. Il a également fait mention de
l’importance d’identifier des entités supranationales pouvant suggérer des règles de
gestion équilibrée, en assurer le suivi et l’application effective, notamment sur le plan
de la protection de l’environnement spatial.
23. Au regard de la gestion des risques, l’acquisition des données, à titre gratuit
ou non, de même que leur gestion, a retenu l’attention des participants. L’aspect
éthique de ces questions a été souligné. Il est en effet indispensable d’assurer le bon
usage des connaissances scientifiques portant sur l’espace. La notion juridique de
responsabilité du fait du risque a été abordée, dans le domaine spatial, plus que
dans tout autre peut-être. Il est évident qu’il ne faut pas attendre que le dommage
intervienne pour poser les limites de l’utilisation des connaissances, sous peine de
porter préjudice au développement de l’industrie spatiale. A cet égard, il faut veiller à
prendre en compte la subjectivité de la perception du risque variable d’une société à
l’autre. Un dialogue clair et transparent doit être instauré entre les acteurs des
politiques spatiales et les différents types de sociétés.
24. Si l’acquisition des données est une question importante, leur protection par le
biais de règles de protection intellectuelle ne doit pas être négligée. En effet, en dépit
du caractère de « patrimoine commun de l’humanité » reconnu à l’espace extra-
atmosphérique, à l’heure actuelle le dépôt de brevets pour un procédé ou une
invention embarquée sur un satellite s’effectue auprès d’un seul pays. Au nom de
l’équité, cette question mérite donc d’être examinée. Il faut développer des
législations réglementant l’accès et l’utilisation des données traitées par satellites.

ii) Communication et médias


25. Le Professeur Alain Pompidou a considéré que l’éthique avait un rôle majeur à
jouer, notamment au regard de la mise en place de stratégies de communication. Le
rapport émotionnel à l’exploration spatiale revêt un aspect positif en ce qu’elle
stimule une forme d’imagination créatrice. Il ne faut cependant pas, par une
mauvaise information, risquer de développer de fausses frayeurs dans le public. Il
98

faut se garder de jouer avec la crédulité des individus ou des sociétés dans un
domaine où l’on passe facilement du rationnel à l’émotionnel. A cet égard, l’on doit
développer, dans les médias, une éthique de l’information sur les sujets relevant de
l’exploration spatiale. Il faut éviter le mercantilisme inhérent à la diffusion des
informations, souvent soumise à la pression de bailleurs de fonds et dénoncer toute
interaction perverse entre les médias et le monde politique, lequel a une capacité de
persuasion bien plus grande que le monde scientifique. Bien que l’Etat ne soit plus le
seul acteur en matière de technique spatiale et qu’il ne soit plus le seul garant de
l’intégrité morale, il a un rôle important à jouer dans la gestion sociétale. Des cahiers
des charges pour l’information sur l’espace pourraient être envisagés pour éviter
toute distorsion de l’information fournie, pour éviter que les risques ne soient tenus
secrets, pour que la mise à disposition des connaissances soit faite à travers un
langage accessible au grand public, ce pour éviter les malentendus. Enfin, le
Professeur Pompidou a insisté sur l’utilité de développer le débat public sur toute
question relative à l’espace.
26. La discussion a permis de dégager l’importance de la phase d’élaboration de
l’analyse des questions spatiales, en dehors de tout contexte médiatique, à travers
un dialogue organisé, sous la forme de forums hybrides, entre les experts, les
scientifiques, les politiques et le public. La formation scientifique insuffisante de
certains journalistes a été mise en cause comme pouvant représenter un élément de
la désinformation. Une fonction pédagogique vis-à-vis des médias pourrait être
remplie par les agences spatiales. Ces dernières pourraient développer en leur sein
une pédagogie de la médiation qui serait le préalable à la formation d’une culture de
l’espace. Comme il a déjà été souligné, il est nécessaire de présenter l’espace de
façon compréhensible par le plus grand nombre, d’éviter la surabondance
d’informations, de veiller à la diffusion d’une culture scientifique élémentaire tout en
ménageant la part de rêve qu’induit l’utilisation des technologies spatiales. Des
actions pédagogiques à l’intention des jeunes devraient être organisées sur le
modèle de celles déjà mises en place par la NASA, les moyens télévisuels devraient
être également largement utilisés à ces fins, de même que des programmes de
formations de formateurs et de médiateurs scientifiques devraient être développés.

IV. CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE DU SEMINAIRE


27. Pour mettre en œuvre les objectifs poursuivis au travers de l’élaboration de
principes éthiques relatifs à l’espace extra-atmosphérique qui ont fait l’objet de la
discussion, les participants ont dégagé un certain nombre de points-clés et de
questions attendant encore réponse :
i) l’argumentaire éthique à développer en vue d’éviter les conflits suppose
l’organisation d’un débat interactif entre deux groupes composés, d’une part de
scientifiques et d’industriels, et d’autre, part des décideurs politiques et de l’opinion
publique ;
ii) le processus de prise de décision suppose la définition de modalités de
coopération avec les agences spatiales nationales ;
iii) le rôle du filtre éthique face aux paramètres utilisés dans la stratégie de prise
de décision, tels que la faisabilité technologique, le rapport coût-bénéfice et
l’application du droit international ;
iv) puisque l’espace extra-atmosphérique est patrimoine commun de l’humanité,
y a-t-il une spécificité de l’espace en tant que domaine protégé et non aliénable ?
99

v) comment éviter les duplications inutiles en vue de la réalisation d’un système


planétaire et intégré d’observation de la Terre ?
vi) peut-on identifier les domaines dans lesquels les techniques spatiales peuvent
être bénéfiques pour l’humanité comme, par exemple, en les utilisant pour
l’évacuation des déchets nucléaires vers le système solaire ?
vii) si les technologies spatiales sont polluantes pour l’espace circumterrestre, la
recherche spatiale ne peut-elle pas contribuer, par la surveillance de
l’environnement, à diminuer la pollution de la planète ?
viii) pour mettre en place la gestion des risques induits par l’utilisation des
techniques spatiales et l’exploration de l’espace, quelle est la limite de l’acceptabilité
par le public et celle du coût que les Etats et le secteur industriel sont prêts à
assumer ?
ix) dans le cadre de l’utilisation des technologies spatiales, quelles devraient être
les modalités d’accès aux données, devraient-elles être basées sur l’équité et le
partage des bénéfices ?
x) comment promouvoir l’élaboration du droit de l’espace et son application en
vue d’une meilleure protection de la propriété intellectuelle et du respect des droits
de l’homme ?

DEUXIEME PARTIE : JOURNEE DU 11 SEPTEMBRE


28. L’objectif de cette journée était de définir le contenu de l’approche éthique en
matière de politique spatiale, en permettant aux industriels et aux responsables
d’agences spatiales d’exposer leurs préoccupations en la matière.

A. AGENCE SPATIALE EUROPEENNE (ESA)


29. Le Directeur général de l’Agence spatiale européenne (ESA), M. Antonio
Rodotà, a tout d’abord souligné l’importance croissante du rôle de l’éthique dans le
domaine de l’espace extra-atmosphérique, qui par sa nature même est un domaine
où les activités sont menées à longue échéance, ce qui nécessite une planification à
long terme. M. Rodotà a ensuite repris les trois grands thèmes du séminaire, à
savoir, l’espace comme dimension, l’espace comme outil et l’espace comme
perception. En envisageant l’espace comme une dimension, M. Rodotà s’est
intéressé à la question des motivations de l’exploration spatiale ainsi qu’aux
conséquences que celle-ci engendre, notamment sur le plan environnemental avec
la pollution électro-magnétique de l’espace ou l’utilisation de sources nucléaires.
L’espace en tant qu’outil engendre des données dont l’accès et la disponibilité à
l’ensemble des pays sont problématiques. Enfin, la perception de l’espace par
l’opinion publique suppose un véritable travail d’information et d’explication de ce que
sont les limites, les avantages et les risques liés à l’espace, afin de permettre au
public de faire des choix en connaissance de cause et de comprendre les enjeux de
la politique spatiale.
30. Au cours de la discussion qui a suivi, le rôle de l’éthique dans l’élaboration
stratégique des agences a été évoqué, dans le sens où des principes directeurs
(guidelines) devraient sous-tendre les plans stratégiques des agences. Par ailleurs,
certains participants se sont intéressés à la relation qui existe entre l’éthique et la
100

politique, en estimant que ces deux notions doivent être séparées. En effet, l’éthique
permet de définir des limites à ne pas dépasser. Or il arrive que la politique ne tienne
pas compte des considérations éthiques. L’implication de la politique dans le
domaine spatial pose la question du partage des données obtenues de l’espace. En
effet, il a été estimé que tous les pays devraient en bénéficier afin d’avoir les mêmes
droits et opportunités. De plus, la différence entre l’exploration et l’exploitation de
l’espace a été mise en avant.

B. CENTRE NATIONAL D’ETUDES SPATIALES (CNES)


31. M. Gérard Brachet, Directeur général du CNES, a estimé que la recherche et
les activités spatiales posent certaines questions éthiques qu’il convient d’identifier et
auxquelles il convient d’essayer d’apporter des réponses satisfaisantes. A cet égard,
cet organisme a, depuis quelques années, commencé à promouvoir ce
questionnement éthique en son sein, en créant un groupe de travail qui réfléchit sur
différents thèmes. Parmi ceux-ci, le projet d’une mission de retour d’échantillons de
la planète Mars revêt actuellement une importance particulière pour le CNES, et il
suscite par ailleurs de nombreuses interrogations d’ordre éthique concernant en
particulier la mise en place de systèmes de précaution et de protection afin d’éviter
toute contamination de la Terre ou de Mars. De telles missions nécessitent une
bonne information du public, notamment sur leur intérêt scientifique. M. Brachet a de
plus présenté le processus de décision et de gestion des programmes spatiaux au
sein du CNES qui, afin d’éviter des décisions autoritaires prises de manière
technocratique, repose sur un dialogue structuré et approfondi avec la communauté
scientifique en vue de définir les priorités des programmes scientifiques. Les
programmes à forte dimension commerciale ne se prêtent pas à la même approche,
l’initiative de financement venant de l’industrie et des marchés, et le CNES
concentrant son intervention sur la recherche technique en amont. En matière de
systèmes spatiaux répondant à des impératifs de services publics, comme la
météorologie ou la navigation, le processus consiste à s’assurer d’une bonne
expression du besoin par la communauté des opérateurs publics. Le même
mécanisme de décision et de gestion des programmes spatiaux s’applique aux
programmes de défense, même si la transparence est moindre.
32. Au cours de la discussion qui a suivi, la question de la gestion des risques a
été abordée, avec notamment l’exemple de la décision de lancement de la fusée
Ariane. La gestion d’un projet suppose que les agences spatiales s’interrogent sur la
part de risque acceptable, compte tenu de la pression extrêmement forte du marché
qu’elles subissent. Cependant, dans le domaine de l’exploration planétaire ou de la
recherche scientifique où la dimension commerciale n’est pas prépondérante, cette
question se pose un peu différemment, c’est-à-dire sous l’angle de la notion de perte
potentielle de la mission scientifique. Mais dans tous les cas, une bonne gestion des
risques implique la séparation entre les instances dites de sauvegarde et celles de
mise en œuvre de l’outil technologique, afin d’avoir une autorité indépendante de
protection de la sûreté. De plus, le souhait d’un rapprochement entre les agences
spatiales et diverses institutions dont l’objet est de faire connaître l’information
scientifique au public a été exprimé, en vue de faire de la médiation scientifique.
Concernant la connexion entre la réflexion éthique du CNES et la formulation du droit
international, celle-ci n’est pas encore établie en raison du caractère assez récent et
insuffisamment avancé de cette réflexion.
101

C. COMMISSION EUROPEENNE
33. A titre de remarque préliminaire, M. Hamelin, Délégué à la Coordination
spatiale, a précisé que la Commission n’est pas une agence spatiale, mais qu’elle
aborde le domaine spatial sous son angle applicatif et celui de ses conséquences
stratégiques, économiques et culturelles pour la société et l’Europe en particulier. En
tant qu’acteur régulateur dans la conduite des politiques spatiales, la Commission est
pleinement concernée par le débat sur l’éthique de l’espace extra-atmosphérique, et
elle est convaincue que les activités spatiales ne peuvent se développer que dans un
cadre juridique précis, sous-tendu par une éthique clairement acceptée par tous les
acteurs du domaine. Parmi les préoccupations du groupe de travail sur l’éthique de
l’espace extra-atmosphérique, il y a un certain nombre de domaines que la
Commission fait sien, à savoir, l’altération de l’environnement par les techniques
spatiales, l’utilisation des techniques spatiales pour la protection de l’environnement
et la prévention de risques majeurs, l’utilisation des techniques spatiales pour
garantir la sécurité des moyens de transport, et la protection de la sphère privée ainsi
que la préservation des identités culturelles.
34. La discussion a permis d’évoquer la relation entre l’Agence spatiale
européenne et la Commission qui se met en place progressivement et qui suppose
une délimitation de leurs compétences respectives. Certains participants se sont
interrogés sur l’opportunité d’élaborer un droit européen en matière spatial, en
prenant pour exemple la protection de la propriété intellectuelle des matériels
embarqués qui relève exclusivement d’un dispositif juridique américain. Il a été
souligné que parmi les sujets traités par la Commission, la question des données
environnementales, et plus particulièrement dans le sens de leur utilisation à des fins
de contrôle de l’environnement, tend à devenir l’un de ses objectifs stratégiques
parce qu’au travers de la politique des données, un nouveau regard est apporté sur
l’observation de la Terre.

D. AGENCE SPATIALE ALLEMANDE

35. M. Kai-Uwe Schrogl, Délégué de l’Agence spatiale allemande au Comité des


Nations Unies sur l’utilisation pacifique de l'espace extra-atmosphérique (COPUOS),
a axé son intervention sur l’état actuel et le développement futur du droit de l’espace
en prenant comme point de départ le Traité sur l’espace de 1967, élaboré au début
de l’ère spatiale, et qui constitue la charte fondamentale du droit de l’espace. Il a
insisté sur les principes de non-discrimination et d’équité qui figurent dans ce Traité.
Il a estimé qu’à l’avenir la rédaction de nouveaux Traités n’est pas envisageable,
mais que le droit de l’espace va se concentrer sur des questions bien spécifiques,
telles que les débris spatiaux, le concept juridique du pays de lancement ou le statut
des orbites basses, à partir desquelles des principes généraux seront rédigés et
votés au sein du système des Nations Unies. Sur cette base, la mise en œuvre et le
perfectionnement des spécifications techniques seront transmis aux organismes
internationaux concernés.
36. L’importance du principe clé de la non-appropriation de l’espace a été
soulignée en raison des menaces d’affaiblissement de ce principe qui existent avec,
par exemple, la vente de terrains sur la Lune par certaines sociétés. L’espace doit
être pour le bénéfice de toute l’humanité. Certains participants ont abordé la question
de la détermination des entités responsables en cas de dégâts : le principe de la
responsabilité du pays de lancement risque de ne plus être adapté aux situations
actuelles en raison des consortiums. C’est pourquoi, il faut envisager la possibilité
102

d’avoir une responsabilité illimitée. De manière plus générale, la clé d’un


comportement ordonné dans l’espace à l’avenir est que des lois nationales devraient
être rédigées dans tous les pays menant des activités spatiales. La connaissance du
droit de l’espace passe par l’éducation, la formation de l’opinion publique, et son
application suppose la ratification par le plus grand nombre d’Etats des instruments
juridiques en la matière. De plus, il a été rappelé que l’éthique devrait précéder et
orienter le droit, et non le contraire, afin d’éviter toute réglementation de l’éthique.
37. Un des participants a mentionné la dichotomie qui existe parfois entre ce que
le droit permet de faire et la manière dont les agences spatiales agissent, en prenant
pour exemple l’utilisation des sources d’énergie nucléaire.

E. ARIANESPACE
38. Le Président Directeur général de cette entreprise, M. Jean-Marie Luton, a
présenté brièvement les activités d’Arianespace qui sont soumises à certains
critères, comme celui de leur aspect pacifique, et au principe général de sauvegarde
des personnes et des biens lors de chaque lancement. Le jugement sur la
sauvegarde émane d’une autorité indépendante et cette séparation entre les organes
chargés du contrôle et ceux chargés des opérations est importante. M. Luton a
exposé la politique de son entreprise en matière de débris spatiaux qui consiste à
n’avoir qu’un seul débris par lancement. Cette position n’est pas neutre car elle
conduit à des réductions de performance et à une évolution négative de la
performance économique. Par ailleurs, il a souligné la compétition permanente qui
existe entre le développement des moyens terrestres et des moyens spatiaux. A cet
égard, il convient de ne pas tuer les avantages des systèmes spatiaux qui sont
spécifiques et de faire attention en élaborant des normes éthiques de peser leurs
conséquences sur les différents systèmes et de ne pas privilégier, dans la
compétition, certains acteurs.
39. La discussion a mis en lumière le besoin pour les industriels de disposer de
normes et de standards qui soient applicables à tous et à l’élaboration desquels ils
doivent prendre part afin d’éviter tout risque de distorsion de concurrence.
Cependant l’écueil de la sur-réglementation pour rassurer l’opinion publique doit être
évité, ce qui suppose une éducation de l’opinion publique par un travail d’explication
et de médiation scientifique. Concernant les pratiques commerciales, certains
participants ont estimé qu’il était de l’intérêt des industriels de laisser cette question
dans le cadre des discussions commerciales entre les pays et au sein de
l’Organisation mondiale du commerce (OMC).

F. ALENIA AEROSPAZIO
40. M. Franco Malerba, représentant cette entreprise, a estimé que les industriels
devaient travailler en étroite collaboration avec les autres acteurs du domaine spatial,
et qu’ils ne devaient pas eux-mêmes être chargés de définir ou d’établir des règles
d’éthique qui doivent venir de la société, l’éthique de l’entreprise et l’éthique de la
société se rencontrant à un moment donné. Par ailleurs, l’établissement d’un code
éthique devrait découler d’une concertation internationale afin d’éviter la
multiplication de codes suivant les pays. M. Malerba a souligné l’importance de
l’égalité de l’accès à l’espace et de l’égalité des chances en matière de compétition,
en évoquant l’appropriation de l’espace et les motivations commerciales qui sous-
tendent l’exploitation de l’espace. Il s’est ensuite intéressé aux liens entre le
développement durable et l’espace. En effet, Alenia se préoccupe de la protection de
103

l’environnement puisque la station spatiale internationale risque d’être menacée par


des débris spatiaux. Puis les questions de la culture et de l’éducation ont été
évoquées, dans le sens où grâce aux activités spatiales, une dynamique certaine a
émergé avec notamment le développement de nombreuses télévisions locales. De
plus, le public s’intéresse à l’aventure spatiale et les agences spatiales ont à cet
égard une excellente occasion de mieux prendre en compte cette curiosité et de
favoriser une conscience accrue du public.
41. La discussion qui a fait suite s’est surtout focalisée autour de la question de
l’appropriation de l’espace et des droits de propriété intellectuelle qui ne devraient
pas constituer une menace au développement de recherches ultérieures en matière
spatiale. Ainsi, selon certains participants, il faudrait appliquer à l’espace les mêmes
règles de propriété intellectuelle que celles qui s’appliquent aux autres formes de
création. Le cas des « orbites » intelligentes a été pris pour exemple. De plus,
concernant l’imagerie, il a été rappelé que tout ce qui est photographié ou capturé
dans l’espace n’est pas disponible gratuitement, et qu’à partir du moment où des
fonds privés sont utilisés, une logique commerciale paraît justifiée. Par ailleurs, le
raisonnement sous-tendant la station spatiale internationale, qui permettra d’élargir la
communauté des utilisateurs de l’espace, a également fait l’objet de quelques
développements. Jusqu’à présent, cette station faisait partie du domaine des
informations scientifiques, plus ou moins confidentielles, et le public n’y était pas
forcément très sensible. C’est pourquoi à l’avenir, un travail de publicité et
d’information sera nécessaire. Concernant l’établissement d’un cadre, certains ont
estimé qu’il était d’abord nécessaire de dresser un bilan des activités spatiales afin
ensuite de les glisser dans un cadre moral ou éthique. Il faut le faire de manière
positive en évitant de ne poser que des interdits ou des prohibitions. Cela fait partie
d’une culture de l’espace qui tend à façonner « l’homme de demain ».

G. AEROSPATIALE MATRA
42. Du fait de la nature de ses activités, Aerospatiale Matra est confrontée à des
choix qui dans certains cas posent des problèmes éthiques. M. Frédéric d’Allest,
Conseiller du Directoire pour les affaires spatiales, a estimé que les industriels ont,
dans leur propre intérêt, une contribution à apporter dans l’élaboration et la mise en
œuvre d’une éthique de l’espace en identifiant et en gérant les risques et les
problèmes qui peuvent découler des matériels qu’ils construisent d’une part, et en
élaborant, en collaboration avec les agences spatiales qui ont un rôle majeur à
remplir dans ce domaine, des codes de bonne conduite, voire des réglementations
internationales d’autre part, tout en ayant à l’esprit un souci de transparence et de
communication et en prenant en compte les préoccupations essentielles des
industriels. M. d’Allest a également souligné qu’une définition de l’éthique devait
relever d’une démarche positive et qu’il convenait de ne pas avoir une attitude
réprobatrice à l’égard de l’exploitation commerciale et industrielle de l’espace qui
constitue, avec la science, un moteur de l’exploration spatiale. En effet, sans activité
commerciale raisonnable, l’observation civile de la Terre risque de rencontrer
quelques difficultés pour se développer.
43. L’importance d’élaborer une démarche positive en évitant toute réprobation de
la commercialisation des activités spatiales a été reprise au cours de la discussion. A
cet égard, certains participants ont souhaité qu’en cas de survenance de certains
événements tels que des catastrophes naturelles, la dissémination rapide et quasi
gratuite des informations puisse se faire, indépendamment d’autres activités plus
104

commerciales, comme l’agriculture. D’autres participants ont imaginé la possibilité


d’avoir des phénomènes de compensation afin d’aboutir à des concepts d’équité
pour réduire les disparités entre pays. La pratique d’Eumetsat à l’endroit des pays
non membres, qui, s’ils sont riches doivent payer les données alors que s’ils sont
pauvres, ils y ont accès gratuitement, a été citée à titre d’exemple.

CAS PRATIQUE
44. Avant de clore le séminaire, un « cas pratique » simulant l’interpellation d’une
industrie par les médias à l’occasion d’un accident imaginaire, a permis aux
participants de réfléchir à la stratégie de communication qu’il faudrait adopter vis-à-
vis de l’opinion publique et des médias au cas où les débris d’une station spatiale
ferait des victimes en retombant sur Terre. Un tel événement poserait notamment le
problème de la responsabilité en matière de gestion du risque, et le problème de
l’enjeu des activités spatiales. Et il est apparu qu’un travail d’approfondissement des
aspects de communication, de médiation scientifique et d’explication de la gestion du
risque était plus que nécessaire afin de préparer l’opinion publique à d’éventuels
incidents de ce genre avant qu’ils ne se produisent.

CONCLUSION GENERALE
45. En guise de conclusion, S. Exc. Mme Vigdís Finnbogadóttir, Présidente de la
COMEST, s’est félicitée de l’intérêt manifesté par les participants pour les droits de
l’homme ainsi que pour le rôle du citoyen à l’avenir. Elle a rappelé que le travail de la
COMEST consistait en partie à définir de « bonnes pratiques » et qu’il était primordial
que, dès à présent, la COMEST puisse communiquer avec le public et qu’elle puisse
lui donner de plus amples informations sur ces activités afin de le responsabiliser et
de lui faire prendre conscience des enjeux. Cette prise de conscience est d’autant
plus urgente vis-à-vis des jeunes, qu’au cours des prochaines décennies, la part des
moins de 20 ans dans la population mondiale va être prédominante et qu’ils ne
seront pas forcément suffisamment aptes à prendre des décisions. Dans cette
optique, Mme Vigdís Finnbogadóttir a avancé l’idée de développer le concept de
« guides éthiques » qui pourraient jouer le rôle de « Socrate des temps modernes »
en encourageant l’opinion publique à trouver les réponses aux questions qu’elle se
pose. C’est sur une note optimiste et poétique que la Présidente de la Commission
mondiale d’éthique des connaissances scientifiques et des technologies a conclu le
séminaire sur l’éthique de l’espace extra-atmosphérique, en estimant que chaque
début de siècle suscitait toujours beaucoup de dynamisme et qu’au fond, la science
et la poésie étaient liées car elles représentent toutes les deux des visions et des
espoirs pour l’avenir.
United Nations Educational, Scientific and Cultural Organization
Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture

World Commission on the Ethics


of Scientific Knowledge and Technology
Commission mondiale de l’éthique
des connaissances scientifiques et des technologies
Distribution limitée / limited
Annexe / Annex 1

Paris, 11 septembre / September 1999

SEMINAIRE DE PARIS SUR « L'ETHIQUE DE L'ESPACE EXTRA-ATMOSPHERIQUE » /


SEMINAR OF PARIS ON « THE ETHICS OF OUTER SPACE »

UNESCO - ESA
10-11 septembre / September 1999, Roissy-Charles de Gaulle (France)

LISTE DES PARTICIPANTS / LIST OF PARTICIPANTS

I. EXPERTS
S. Exc. Mme / H.E. Mrs Vigdís FINNBOGADOTTIR
Présidente, République d'Islande, 1980-1996,
Présidente de la Commission mondiale de l'éthique,
des connaissances scientifiques et des technologies (COMEST)
Ambassadeur de bonne volonté de l’UNESCO /
President, Republic of Iceland, 1980-1996,
Chairperson of the World Commission on the Ethics
of Scientific Knowledge and Technology (COMEST),
UNESCO Goodwill Ambassador
M. / Mr Alain POMPIDOU
Coordonnateur du Groupe de travail de la COMEST
sur l’éthique de l’espace extra-atmosphérique
Membre du Conseil économique et social,
Professeur à la Faculté de médecine de Cochin-Port-Royal, Université Paris V,
Membre du Conseil d’application de l’Académie des Sciences /
Coordinator of the COMEST Working Group
on the Ethics of Outer Space
Member of the Conseil économique et social,
Professor at the Faculty of Medicine Cochin-Port-Royal, University of ParisV
Member of the Conseil d’application of the French Academy of Sciences
106

M. / Mr Jean AUDOUZE
Astrophysicien, Directeur de recherche au CNRS,
Directeur du Palais de la découverte,
Membre du Groupe de travail de la COMEST sur l’éthique
de l’espace extra-atmosphérique /
Astrophysicist, Research Director at the CNRS,
Director of the Palais de la découverte,
Member of the COMEST Working Group on the Ethics of Outer Space
M. / Mr Ezio BUSSOLETTI
Professeur à l’Université navale de Naples,
Directeur de l’Institut de physique expérimentale,
Membre du Groupe de travail de la COMEST sur l’éthique
de l’espace extra-atmosphérique /
Professor at the University of Naples, Director of the Institute of Experimental
Physics,
Member of the COMEST Working Group on the Ethics of Outer Space
M. / Mr Karl DOETSCH
Président de l’Université internationale de l’espace de Strasbourg /
President of the International Space University of Strasbourg
M. / Mr Juan Manuel de FARAMIÑAN GILBERT
Professeur de droit international public,
Faculté des sciences sociales et juridiques, Université de Jaén, Espagne,
Membre du Bureau du Centre espagnol du droit de l’espace /
Professor of International Law,
School of Social and Juridical Sciences, Jaén University, Spain,
Member of the Bureau of the Spanish Center for Space Law
M. / Mr Jens Erik FENSTAD
Président du Comité permanent de la physique et des sciences de l'ingénieur de la
Fondation européenne pour la science, Membre du Comité scientifique de l'OTAN et
du Comité exécutif du Conseil international pour la science (ICSU),
Membre de la Commission mondiale de l'éthique
des connaissances scientifiques et des technologies (COMEST) /
Chairman of the Standing Committee for the Physics and Engineering Sciences of
the European Science Foundation, Member of NATO Science Committee and
of the Executive Council of the International Council of Science (ICSU),
Member of the World Commission on the Ethics of
Scientific Knowledge and Technology (COMEST)
M. / Mr Carl Friedrich GETHMANN
Professeur à l'Institut de Philosophie de l'Université de Essen,
Directeur de l'Académie européenne pour l'étude des conséquences des
avancées scientifiques et technologiques,
Membre du Groupe de travail de la COMEST sur l’éthique
de l’espace extra-atmosphérique /
Professor at the Philosophy Institute of the University of Essen,
Director of the European Academy for the Study of the Consequences
of Scientific and Technological Progress,
Member of the COMEST Working Group on the Ethics of Outer Space
M. / Mr Stan GRZEDZJELSKI
Directeur exécutif du Comité sur la recherche spatiale (COSPAR) /
Executive Director of the Committee on Space Research (COSPAR)
107

M. / Mr Gerarld HAERENDEL
Président du Comité sur la recherche spatiale (COSPAR) /
Chairman of the Committee on Space Research (COSPAR)

M. / Mr Peter LALA
Directeur adjoint, Section de la Recherche de l'Office des Nations Unies
pour les affaires concernant l'espace extra-atmosphérique /
Deputy Director, Research Section of the United Nations Office
for Outer Space Affairs

M. / Mr Christian J. LANGENBACH
Académie européenne pour l'étude des conséquences
des avancées scientifiques et technologiques /
European Academy for the Study of the Consequences of
Scientific and Technological Progress

M. / Mr André LEBEAU
Membre de l’Académie nationale de l’air et de l’espace,
Professeur au Conservatoire national des Arts et Métiers (CNAM),
Ancien Directeur général adjoint de l’Agence spatiale européenne,
Ancien Président du Centre national d'études spatiales (CNES),
Membre du Groupe de travail de la COMEST sur l’éthique
de l’espace extra-atmosphérique /
Member of the Académie nationale de l’air et de l’espace,
Professor at the Conservatoire national des Arts et Métiers (CNAM),
former Deputy Director-General of the European Space Agency,
Chairman of the Centre national d’études spatiales (CNES),
Member of the COMEST Working Group on the Ethics of Outer Space

M. / Mr U. R. RAO
Président du Comité des Nations Unies sur l’utilisation pacifique
de l'espace extra-atmosphérique (COPUOS) /
Chairman of the United Nations Committee on the Peaceful Uses
of Outer Space (COPUOS)

II. AGENCES SPATIALES ET INDUSTRIELS /


SPACE AGENCIES AND INDUSTRIALISTS
AGENCE SPATIALE EUROPEENNE (ESA) /
EUROPEAN SPACE AGENCY (ESA)
M. / Mr Antonio RODOTA
Directeur général / Director-General

AEROSPATIALE MATRA
M. / Mr Frédéric d’ALLEST
Conseiller du Directoire pour les Affaires spatiales /
Advisor of the Directory for Spatial Affairs

AGENCE NATIONALE POUR L’AERONAUTIQUE ET L’ESPACE /


NATIONAL AERONAUTICS AND SPACE ADMINISTRATION (NASA)
M. / Mr Jeffrey HOFFMAN
Astronaute, Représentant de la NASA pour l’Europe /
Astronaut, NASA Representative in Europe
108

ARIANESPACE
M. / Mr Jean-Marie LUTON
Président Directeur général / President Director-General
AGENCE SPATIALE ALLEMANDE /
GERMAN AEROSPACE AGENCY
M. / Mr Kai-Uwe SCHROGL
Délégué de l’Agence spatiale allemande au Comité des Nations Unies
sur l’utilisation pacifique de l'espace extra-atmosphérique (COPUOS) /
Delegate of the German Aerospace Center to the United Nations Committee
on the Peaceful Uses of Outer Space (COPUOS)
ALENIA AEROSPAZIO
M. / Mr Franco MALERBA
Division de l’espace /
Space Division
CENTRE COMMUN DE RECHERCHE DE LA COMMISSION EUROPEENNE /
EUROPEAN COMMISSION RESEARCH CENTER
M. / Mr Joël HAMELIN
Délégué à la Coordination spatiale, Groupe de coordination sur l’espace /
Delegate for Space Coordination, Space Coordination Group
CENTRE NATIONAL D’ETUDES SPATIALES (CNES) /
NATIONAL CENTER FOR SPACE RESEARCH
M. / Mr Gérard BRACHET
Directeur général / Director-General
M. / Mr Jacques ARNOULD
Consultant

III. ORGANISATIONS INTERGOUVERNEMENTALES /


INTERGOVERNMENTAL ORGANIZATIONS

AGENCE SPATIALE EUROPEENNE (ESA) / ORGANISATION DES NATIONS UNIES POUR


EUROPEAN SPACE AGENCY (ESA) L’EDUCATION, LA SCIENCE ET LA CULTURE /
UNITED NATIONS EDUCATIONAL, SCIENTIFIC
AND CULTURAL ORGANIZATION (UNESCO)

M. / Mr Jean-Jacques DORDAIN Mme / Mrs Chantal RALAIMIHOATRA


Directeur, Stratégie et développement / Spécialiste du programme,
Director, Strategy and Business Division de l’éthique des sciences et des
Development technologies / Program Specialist,
Division of the Ethics of Science and
Technology
Mme / Mrs Géraldine NAJA-CORBIN M. / Mr Robert MISSOTTEN
Stratégie et développement / Spécialiste du programme
Strategy and Business Development Division des sciences de la terre /
Program Specialist
Division of Earth Sciences
M. / Mr Claude PROVENSAL Mlle / Miss Valérie ZINCK
Stratégie et développement / Division de l’éthique des sciences et des
Strategy and Business Development technologies / Division of the Ethics of
Science and Technology
United Nations Educational, Scientific and Cultural Organization
Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture

World Commission on the Ethics


of Scientific Knowledge and Technology
Commission mondiale de l’éthique
des connaissances scientifiques et des technologies
Annexe 2
Distribution limitée

SEMINAIRE DE PARIS SUR L’« ETHIQUE DE L’ESPACE EXTRA-ATMOSPHERIQUE »


UNESCO - ESA
10-11 septembre 1999, Roissy-Charles de Gaulle (France)

PROGRAMME

VENDREDI 10 SEPTEMBRE 1999


I. Présentation de la Commission mondiale d’éthique
des connaissances scientifiques et des technologies (COMEST)
par S. Exc. Mme Vigdís Finnbogadóttir
II. Introduction du Professeur Alain Pompidou
III. Ethique de l’espace extra-atmosphérique
animateur : Prof. Carl Friedrich Gethmann
IV. L’espace comme dimension : l’homme dans l’espace
et l’exploration de l’Univers
animateur : Prof. Jean Audouze
V. L’espace comme outil :
A - Protection de l’environnement périplanétaire
animateur : Prof.André Lebeau
B - Libertés publiques et identités culturelles
animateur : Prof. U. R. Rao
VI. L’espace comme perception :
A - Bénéfices et risques liés aux avancées des technologies spatiales
animateur : Prof. Ezio Bussoletti
B - Communication et médias
animateur : Prof. Alain Pompidou
VII. Synthèse et conclusions

SAMEDI 11 SEPTEMBRE 1999


VIII. Introduction de M. Antonio Rodotá, Directeur général de l’ESA
IX. Audition des représentants d’agences spatiales
X. Audition des représentants d’entreprises industrielles
XI. Synthèse et conclusions
United Nations Educational, Scientific and Cultural Organization
Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture

World Commission on the Ethics


of Scientific Knowledge and Technology
Commission mondiale de l’éthique
des connaissances scientifiques et des technologies
Annexe 3
Distribution limitée
Original : anglais

SEMINAIRE DE PARIS SUR


« L'ETHIQUE DE L'ESPACE EXTRA-ATMOSPHERIQUE »
UNESCO - ESA
(10-11 septembre, Roissy-Charles de Gaulle (France)

Présentation de la Commission mondiale d’éthique


des connaissances scientifiques et des technologies (COMEST)
par S. Exc. Mme Vigdís Finnbogadóttir

Mesdames,
Messieurs,

Permettez moi, tout d’abord, de vous dire combien il m’est agréable de


pouvoir participer à ce séminaire, organisé conjointement par l’UNESCO et l’Agence
spatiale européenne, que nous devons remercier pour avoir organisé cette rencontre
dans un cadre aussi plaisant, et, dont le Directeur général, M. Antonio Rodotá, se
joindra à nous demain.
Pour ceux d’entre vous qui participent pour la première fois à une activité
située dans le cadre de la Commission mondiale d’éthique des connaissances
scientifiques et des technologies, je voudrais dire quelques mots sur cette instance.
Tout comme les nations du monde entier coopèrent à des projets scientifiques
dans un esprit constructif, un dialogue international sur les implications de ces
projets devrait également s'instaurer. La collaboration scientifique internationale
devrait ouvrir les yeux du public sur les problèmes d'éthique que la science a déjà
soulevés et qu'elle ne manquera pas de poser de façon croissante avec les progrès
de plus en plus rapides qui s'annoncent au cours du prochain millénaire. Cette prise
de conscience se fera non seulement à travers l'acquisition par le plus grand nombre
des notions scientifiques de base, qui constitue un objectif éducatif à long terme,
mais aussi par l'inclusion d'une dimension éthique dans la présentation générale des
questions scientifiques. L'éthique doit devenir l'un de nos systèmes de référence, de
la même façon que le dialogue mondial sur tant de questions actuelles intègre
désormais les préoccupations sociales et culturelles.
112

Une prise de conscience accrue des implications humaines et sociales de la


recherche scientifique, de ses applications technologiques et de leur exploitation, a
donné naissance à un phénomène nouveau : le monde de la recherche scientifique
considère désormais que la réflexion éthique fait partie intégrante du développement
de ce domaine. Jamais sans doute, le progrès scientifique et les innovations
technologiques n’ont modelé, autant qu’aujourd’hui, les modes de productions
économiques, les relations sociales et les styles de vie. Jamais peut-être, le grand
public n’a-t-il été aussi conscient des transformations de la vie quotidienne induites
par les sciences et leurs applications.
La réflexion éthique est un perpétuel renouvellement, une constante
interrogation sur le fondement de nos actes. Cette réflexion va au-delà de la
définition d’une déontologie, elle suppose que le débat soit porté sur la place
publique avec la participation éclairée des citoyens et celle des décideurs, en cela
elle se présente comme une exigence démocratique. La réflexion éthique doit être
conçue dans une logique pro-active. Menée sur le plan international, la réflexion
éthique doit adopter une vision large et anticiper les problèmes, en se fondant sur les
grands systèmes éthiques et en s’assurant de la participation de la communauté
intellectuelle de toutes les régions du monde.
Comment la création, sous l’égide de l’UNESCO, d’une Commission mondiale
d’éthique des connaissances scientifiques et des technologies permettrait-elle de
répondre à ces questions ? L’internationalisation et l’interpénétration des problèmes
au niveau mondial placent l’action des organisations internationales au centre de la
construction de la société de demain. Dans ce contexte et de par ses domaines de
compétence, l’UNESCO est l’Organisation de coopération intellectuelle, par
excellence, qui se doit de renforcer les droits et les libertés individuelles en s’appuyant
sur les développements des connaissances les plus actuelles et sur un état précis
des pratiques.
Si la prise de conscience au niveau international de l’ampleur et de l’actualité
de certaines questions est indéniable, il appartient à la communauté internationale
de se doter des moyens pour saisir les implications éthiques des problèmes abordés
et d’identifier les possibilités d’une action en profondeur. Dans une perspective
d’humanisme renforcé, la Commission mondiale remplira, à cet égard, une fonction
de mobilisation de la communauté scientifique et de conseil sur des sujets vitaux,
tant pour les sociétés que pour les individus.
La Commission mondiale de l’éthique des connaissances scientifiques et des
technologies a été créée à l’initiative du Directeur général de l’UNESCO, M. Federico
Mayor. L’idée est devenue réalité avec la résolution prise par la Conférence générale
de l’UNESCO à sa vingt-neuvième session et la désignation, en septembre 1998, de
tous les membres de la Commission. Nous avons été encouragés et réellement
inspirés par la façon dont chaque personne contactée pour apporter sa contribution à
celle-ci s’est immédiatement montrée prête à commencer son travail.
Il appartient à la Commission, en tant que forum de réflexion, de formuler sur
une base scientifique des principes susceptibles de fournir aux décideurs, dans des
domaines sensibles, des critères de choix autres que strictement économiques. Par
ailleurs, la Commission conseillera l’UNESCO sur des questions spécialisées qui lui
seront soumises ou qu’elle-même abordera. Si la Commission doit préserver la
mémoire des bienfaits apportés par la science et de la technologie, elle doit aussi
définir rigoureusement les défis qui nous attendent. Indépendamment des
113

connaissances scientifiques et du savoir-faire technologique, l’éthique doit fixer les


limites entre ce qui est possible et ce qui est acceptable. La Commission contribuera
à améliorer la gestion du risque. En ce sens, elle sera la clef de voûte d’une culture
de la responsabilité et de la solidarité.
Sur le plan de son fonctionnement, la COMEST est composée de 18
membres, appartenant aux milieux scientifique, juridique, philosophique, culturel et
politique, nommés à titre personnel par le Directeur général compte dûment tenu de
la représentation géographique et de façon à couvrir les diverses disciplines et
courants de pensée. Il me plaît de constater que l’un d’eux, le professeur Jens Erik
Fenstad est aujourd’hui parmi nous.
Dans la mesure où il est important pour la Commission de bénéficier des avis
et du concours des organisations professionnelles directement concernées, les
Présidents des cinq programmes scientifiques intergouvernementaux de l’UNESCO1
et ceux du Conseil international de la philosophie et des sciences humaines
(CIPSH), du Conseil international des sciences sociales (CISS), du Conseil
international des unions scientifiques (ICSU), des Conférences Pugwash sur la
science et les affaires mondiales sont invités à participer aux travaux de la
Commission comme membres ex officio.
En outre, la Commission conduira ses travaux avec la plus grande souplesse
avec la possibilité de recourir, en tant que de besoin, à des auditions publiques de
personnalités appartenant à différentes familles de pensée. Ainsi, en disposant d’une
grande flexibilité, la Commission s’affranchira des carcans et des cloisonnements
habituels, à la fois disciplinaires et institutionnels, tout en tenant compte de la
pluralité des cultures.
La première session de la COMEST s’est déroulée à Oslo, au mois d’avril de
cette année. Cette première session a été consacrée, entre autres, à l'analyse des
enjeux éthiques dans les domaines de l’utilisation des sources d’énergie (sur la base
de l’excellent rapport présenté par M. Jean Audouze, coordonnateur du groupe de
travail correspondant), de l’utilisation des ressources en eau douce, et de la société
de l’information. Lors d’une des séances plénières, un aperçu a été donné des
premières réflexions du groupe de travail de la COMEST portant sur l’éthique de
l’espace extra-atmosphérique, dont le Directeur général a confié la coordination au
Dr Alain Pompidou.
Les avancées fulgurantes des sciences et des technologies dans le domaine
spatial ont non seulement permis à l’homme de se projeter dans le ciel, mais aussi
de marcher sur la Lune, d’explorer l’Univers, et même de coloniser l’espace péri-
planétaire. Les répercussions de telles activités pour l’humanité entière rendent
d’autant plus nécessaire une réflexion, dans un cadre international, sur les
implications éthiques et sociétales des progrès liés aux sciences et aux technologies
spatiales que l’espace extra-atmosphérique fait partie du patrimoine commun de
l’humanité. A cet égard, la COMEST pourrait, par le biais de son groupe de travail
sur l’éthique de l’espace extra-atmosphérique, jouer le rôle d’une instance de
prévention en la matière. Dans quelques instants, le Dr Pompidou présentera en
détail le contexte dans lequel cette réunion se situe ainsi que les objectifs poursuivis.

1. Commission océanographique intergouvernementale de l’UNESCO (COI) ; Programme


sur l’homme et la biosphère (MAB) ; Programme international de sciences sociales « Gestion
des transformations sociales (MOST) » ; Programme hydrologique international (PHI) et
Programme international de corrélation géologique (PICG).
114

Avant de passer la parole au Dr Pompidou, je conclurai en disant que la


COMEST a un rôle à jouer dans ce processus : il lui revient de formuler des principes
directeurs et d'assurer un magistère moral, en contribuant aux travaux des
scientifiques qui s'attachent à cerner ces questions pour l'UNESCO. De surcroît,
l'UNESCO constitue une enceinte culturelle idéale puisqu'elle offre la garantie d'une
présentation multilingue des questions tant scientifiques qu'éthiques, c'est une
instance véritablement internationale et particulièrement bien équipée pour relever
cet immense défi.
Ce qui fait la spécificité de la COMEST, c'est qu'elle a la possibilité d'examiner
sous l'angle éthique les rapports de l'être humain à l'eau, à l'énergie, à la société de
l'information, ou le rôle de la science en général. A l'heure où de nombreux
scientifiques s'efforcent de briser les cloisonnements disciplinaires trop étroits pour
donner une autre dimension à leurs travaux et ouvrir à la recherche des pistes plus
stimulantes, la COMEST offre à ceux qui participent à ses travaux mais aussi à
l'ensemble de la communauté mondiale de nouveaux repères pour influer
concrètement sur l'évolution de la science, laquelle est désormais en mesure de
modifier radicalement les fondements mêmes de la nature humaine.
Je suis, pour ma part, intimement convaincue que l’éthique des
connaissances scientifiques et des technologies doit figurer au premier rang dans
toutes les prises de décision. Pour une grande partie de la population mondiale, la
science et la technologie sont des géants qui avancent à l’aveuglette, dominant toute
chose de leur hauteur, contrôlant tout, créant un monde si complexe que peu en
comprennent le fonctionnement. Il est essentiel que les citoyens du monde sachent
que ces problèmes sont aujourd'hui débattus par des gens qui cherchent à démêler
le bien du mal, à voir ce qui peut enrichir notre vie ou au contraire lui nuire. Nous
devons, à la COMEST, aller de l’avant, pour les gouvernements du monde et pour
ceux qui les élisent.
10 septembre 1999
115

DOCUMENT COMPLEMENTAIRE V

COMPTE-RENDU SYNTHETIQUE DU SEMINAIRE DE PARIS SUR


L’« ETHIQUE DE L’ESPACE EXTRA-ATMOSPHERIQUE »
UNESCO - ESA
(10-11 septembre 1999, Roissy-Charles de Gaulle, France)

Paris, 15 décembre 1999


Assistante de rédaction
Valérie Zinck
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Le Séminaire de Paris sur l’éthique de l’espace extra-


atmosphérique, organisé conjointement par l’Organisation des Nations
Unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO) et par l’Agence
spatiale européenne (ESA) a permis de cadrer de façon générale les
interrogations ainsi que les problèmes portant sur l’éthique de la science
et des technologies spatiales. Ces questions sont à l’étude au sein de la
Commission mondiale de l’éthique des connaissances scientifiques et
des technologies (COMEST) de l’UNESCO, et plus particulièrement dans
le cadre de son Groupe de travail sur l’éthique de l’espace extra-
Transparence, objectivité atmosphérique. Ce groupe est animé par le devoir de transparence,
et exhaustivité d’objectivité et d’exhaustivité, et son rôle consiste à identifier les
difficultés et les craintes, les opportunités et les promesses liées à la
conquête spatiale, tout en fournissant les explications nécessaires, aussi
claires et complètes que possible, et en tenant compte du besoin des
populations dans le contexte socio-culturel qui leur est propre.

INTRODUCTION
A titre introductif, S. Exc. Mme Vigdís Finnbogadóttir
(Présidente d'Islande, 1980-1996), Présidente de la COMEST, a
Le mandat et le souhaité présenter le mandat et le fonctionnement de cette
fonctionnement de la instance. Cette Commission s’inscrit dans une dynamique
COMEST d’accroissement de la prise de conscience, par la communauté
scientifique, des implications humaines et sociales de la recherche
scientifique ainsi que de ses applications technologiques et de leur
exploitation commerciale. Jamais le progrès scientifique et les
innovations technologiques n’ont modelé autant qu’aujourd’hui les modes
de production économique, les relations sociales et les styles de vie.
Cette prise de conscience suppose l’inclusion d’une dimension éthique
La dimension éthique des dans la présentation générale des questions scientifiques et de leurs
questions scientifiques applications. A cet égard, la réflexion éthique fait désormais partie
intégrante du développement de la science et des technologies en
perpétuel renouvellement. Elle représente une constante interrogation
sur le fondement de nos actes, qui va au-delà de la définition d’une
déontologie. Apparaissant de plus en plus comme une exigence
démocratique, la réflexion éthique implique une approche interne à
chaque pays, avec l’organisation de débats publics supposant la
participation éclairée des décideurs politiques et du grand public, de plus
en plus conscients des transformations de la vie quotidienne induites par
les connaissances scientifiques et leurs applications. Quant à l’approche
internationale, elle doit s’assurer de la participation de la communauté
intellectuelle de toutes les régions du monde.
Tout en soulignant son profond attachement à la primauté de
l’éthique des connaissances scientifiques et techniques dans toutes les
prises de décision, S. Exc. Mme Vigdís Finnbogadóttir a estimé que la
création de la COMEST pouvait fournir une réponse à ces questions
La double fonction de la éthiques en remplissant une double fonction de mobilisation de la
COMEST communauté scientifique et de conseil sur des sujets primordiaux, tant
pour les sociétés que pour les individus. En tant que forum de réflexion, il
appartient à la Commission de formuler, sur une base scientifique, des
principes susceptibles de fournir aux décideurs, dans des domaines
sensibles, des critères de choix autres que strictement économiques. Il
Fixer les limites entre le lui revient également de fixer les limites entre ce qui est possible et ce
possible et l'acceptable qui est acceptable. En préservant la mémoire des bienfaits apportés par
la science et la technologie, et en améliorant la gestion du risque, la
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COMEST sera la clef de voûte d’une culture de la responsabilité et de la


solidarité. Enfin, afin de donner une autre dimension à leurs travaux, de
nombreux scientifiques s’efforcent de briser les cloisonnements
disciplinaires trop étroits. Dans une démarche concrète, la COMEST peut
ainsi offrir à l’ensemble de la communauté mondiale de nouveaux
repères pour éclairer l’évolution de la science et de la technique,
désormais en mesure de modifier radicalement les fondements même de
la nature humaine.
Dans le domaine de l’éthique de l’espace extra-atmosphérique,
S. Exc. Mme Vigdís Finnbogadóttir a suggéré que la COMEST joue le
rôle d’une instance de prévention. En effet, les avancées fulgurantes des
sciences et des technologies en matière spatiale ont non seulement
permis à l’homme de se projeter dans le ciel, mais aussi de marcher sur la
Lune, d’explorer l’Univers, et même de « coloniser » l’espace péri-
planétaire. Les répercussions de telles activités pour l’humanité entière
L'espace extra-
rendent d’autant plus nécessaire une réflexion sur les implications
atmosphérique :
éthiques et sociétales des progrès liés aux sciences et aux technologies
patrimoine commun de
spatiales, que l’espace extra-atmosphérique fait partie du patrimoine
l'humanité
commun de l’humanité.
Le Professeur Alain Pompidou, coordinateur du Groupe de
travail sur l’éthique de l’espace extra-atmosphérique, membre du
Conseil économique et social, a, pour sa part, précisé le cadre
conceptuel du séminaire.
Le Professeur Alain Pompidou a estimé que le XXIe siècle serait
marqué par trois facteurs, à savoir :
− les poussées démographiques et l’essor de la jeunesse dans
certaines régions de la planète,
− les pressions économiques touchant non seulement les pays
industrialisés mais aussi désormais les pays à économies
émergentes,
− les percées technologiques qui font entrer le progrès scientifique
dans la vie quotidienne.
La conjonction de ces trois phénomènes détermine des ambiguïtés
Ambiguïtés et paradoxes et des paradoxes particulièrement nets dans le domaine spatial pris dans
son sens le plus large, c’est-à-dire comme une entreprise impliquée dans
la conquête spatiale.
Pendant longtemps, le ciel a suggéré des mythes : l’être humain y
projetait son image comme dans un miroir et imaginait, dans le ciel, la
présence de dieux à formes humaines. Mais aujourd’hui la perception de
l’espace est passée successivement du mythe au rêve puis du rêve à la
Mythes, rêves et réalité
réalité dans la mesure où l’espace devient accessible à l’être humain. Les
prouesses techniques sont devenues banales puisqu’elles font
désormais partie de la réalité quotidienne. De plus, les nouveaux savoirs
suscitent de nouveaux pouvoirs et l’espace, lieu de passage, devient un
Complexité et
terrain d’appropriation. Les enjeux de pouvoirs génèrent de nouveaux
banalisation
risques, qui ne sont pas acceptables sans motivations suffisantes, et qui
sont facteurs eux-mêmes de nouvelles contraintes. Ainsi émergent de
nouveaux défis qui relèvent de l’évaluation objective des équilibres entre
Les défis des
bénéfices et risques pour justifier l’allocation des ressources. Une telle
technologies spatiales
analyse objective permet de sortir du contexte émotionnel que suscite
l'aventure spatiale.
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Les bénéfices de la conquête spatiale sont nombreux. Il s’agit,


entre autres, des vols spatiaux habités qui représentent une victoire de
l’homme sur l’homme, de l’élargissement des connaissances qui découle
de l’exploration de l’Univers, de l’utilisation des technologies spatiales à
des fins d’observation de l’environnement et de développement des
communications.
De tels bénéfices ne sont cependant pas dénués de risques, parmi
Les risques de la
lesquels figurent le retour des échantillons qui seront prélevés sur Mars,
conquête spatiale
la gestion des débris spatiaux, la protection des libertés individuelles face
à la surveillance électronique par satellite ou le respect des identités
socio-culturelles menacées par le caractère unificateur des nouvelles
technologies d’information et de communication. A cet égard, il importe
d’élaborer une stratégie d’anticipation fondée sur l’explication objective et
sur l’identification des risques, afin d’éviter les rumeurs et les craintes, et
de maintenir ou de restaurer la confiance dans le spatial.
La dimension éthique de L’éthique fait désormais partie du développement harmonieux et
l'espace : morale de intégré du progrès scientifique et technique. Elle est à la fois morale de
l'action et pensée du l’action et pensée du risque. Et elle conduit à formuler trois postulats
risque fondés sur le respect de la liberté de choix et de la dignité de l’être
humain :
− l’espace est patrimoine commun de l’humanité. En tant que tel,
L'espace, patrimoine
le libre accès à l’espace doit être respecté, ce qui n’exclut pas la
commun de l'humanité
protection de la propriété intellectuelle ;
L'espace, facteur − l’espace envisagé comme facteur d’élargissement des
d'élargissement des connaissances implique que rien ne doit empêcher les
connaissances astrophysiciens d’observer l’Univers, notamment les risques de
pollution électromagnétiques ;
− l’espace considéré comme support de communication entre les
L'espace, support de hommes représente un facteur d’amélioration de la vie et du
communication entre les développement des sociétés humaines.
hommes
En terme de gestion du risque, trois principes doivent s’appliquer, à
Le principe de précaution savoir, le principe de précaution qui vise à éviter toutes conséquences
irrémédiables pour les générations actuelles et futures ; le principe du
Le principe de retour retour d’expérience qui est un des principes essentiels de la démarche
d'expérience expérimentale : il procède pas à pas et se nourrit des résultats
d’expériences successives ; et le principe de vigilance qui consiste à
Le principe de vigilance identifier les signaux faibles susceptibles d’anticiper, grâce à des
dispositifs d’alerte, l’apparition de risques éventuels.
Ces trois postulats reposent eux-mêmes sur le respect des
principes d’équité et de solidarité.

Une base de réflexion La démarche éthique s’appuie à la fois sur une base de réflexion
qui entrevoit l’espace à plusieurs niveaux (l’espace comme
questionnement éthique ; l’espace comme dimension ; l’espace comme
Une stratégie de outil ; et l’espace comme perception) et sur une stratégie de
communication communication. Ce qui compte, c’est d’éviter la désinformation et la
fraude, de s’engager à ne pas jouer avec la crédulité des individus ou
des populations. Ceci conduit à éviter l’alarmisme non justifié et le
mercantilisme propre à des informations qui représentent un argument
de vente pour les médias, un argument d’allocation des ressources pour
le monde de la recherche et parfois même pour certaines entreprises
industrielles.
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C’est donc en dehors de tout contexte émotionnel, mais en laissant


à l’esprit sa capacité de rêve et d’imagination créatrice propre à l’être
humain que la réponse à d’éventuelles inquiétudes de l’opinion nécessite
une analyse rationnelle, objective, indépendante, élaborée.
L’examen de la situation doit être complet, visant à l’exhaustivité,
visant à ne rien cacher, sans laisser de zones d’ombre, en refusant toute
culture du secret. Ceci implique de permettre d’acquérir l’information
suffisante afin de mieux cerner les avantages et les risques réels. Cette
Développer une culture de
stratégie de communication nécessite de développer une « culture de
l'espace
l’espace » dont l’enjeu est de créer de nouveaux liens entre les hommes.
Ainsi la politique spatiale et l’éthique de l’espace s’adressent à un
L'homme en mouvement « homme en mouvement » susceptible de développer parallèlement son
esprit et son appétit de connaissance, mais aussi les relations humaines,
et de participer au présent tout en préparant l’avenir.

PREMIERE PARTIE : JOURNEE DU 10 SEPTEMBRE 1999


Les discussions se sont articulées autour de quatre thèmes de
réflexion à savoir l’éthique de l’espace extra-atmosphérique ; l’espace
comme dimension, en envisageant l’homme dans l’espace et
l’exploration de l’Univers ; l’espace comme outil qui implique la protection
d’une part de l’environnement périplanétaire, et d’autre part des libertés
publiques et des identités culturelles ; enfin l’espace comme perception,
comportant l’analyse des bénéfices et des risques liés aux avancées des
technologies spatiales.

I. L'ETHIQUE DE L'ESPACE EXTRA-ATMOSPHERIQUE


Le Professeur Carl Friedrich Gethmann, Professeur à l’Institut de
Philosophie de l’Université de Essen, Directeur de l’Académie
européenne pour l’étude des conséquences des avancées scientifiques
et technologiques, a abordé le sujet de l'éthique de l'espace à trois
niveaux, à savoir : l'exploration humaine, la recherche scientifique et
l'utilisation commerciale de l'espace. Estimant que les problèmes soulevés
par la recherche scientifique et par l'utilisation commerciale de l'espace
feraient l'objet de développements ultérieurs par d'autres participants, il a
axé son propos sur l'aspect culturel des vols habités, en mettant en
Les vols habités, lumière l'opposition qui existe entre l'approche utilitaire, d'une part, et
approche utilitaire et l'approche culturelle, voire « trans-utilitaire », d'autre part, que sous-
approche culturelle tendent les vols spatiaux habités. L'argument « trans-utilitaire » n'est pas
susceptible d'une évaluation quantitative en termes de coût-bénéfice.
Les vols habités sont forcément pris dans une « spirale
argumentative » en vertu de laquelle on exige au moins d’eux les mêmes
critères de réussite à long terme que les vols non habités. Du fait de
cette demande, le débat sur les missions spatiales habitées reste
Une analyse coût- circonscrit à l’analyse coût-bénéfice, parce que les avantages des vols
bénéfice
spatiaux habités tendent de plus en plus à être justifiés par des
approches commerciales. Parmi les critères de sélection des choix
technologiques, le Professeur Gethmann a regretté la primauté de
l'argumentaire utilitaire au détriment de la composante culturelle incluant
les dimensions « trans-utilitaires » de tels choix. De ce point de vue,
l’avantage économique s’avère un élément important de la fonction
culturelle. Fonction qui n’est généralement pas prise en considération par
cet avantage.
121

Le Professeur Gethmann a estimé que la tâche primordiale d’une


éthique des technologies, devant la question du vol spatial habité,
s’avère être l’examen critique de ses buts « trans-utilitaires », dans la
perspective de leur aptitude à l’universalité. Par ailleurs, il a précisé que
l’ensemble des buts utilitaires et « trans-utilitaires » ainsi que des
moyens qui y sont affectés, forme la « culture » d’une société au sens
large du terme.
Au cours de la discussion qui a suivi, il est apparu artificiel, aux
yeux de certains participants, d’opérer une séparation radicale entre les
aspects culturels et les aspects utilitaires ou économiques, en raison de
leur interdépendance. En effet, la culture et l’économie sont
L'interdépendance des
intrinsèquement liées puisque les aspects culturels ont souvent été
aspects culturels et
développés en fonction ou grâce à des aspects économiques et
utilitaires
politiques, notamment dans le domaine des technologies de l'information.
Néanmoins, les disciplines scientifiques, telles que l’astronomie, ne
peuvent pas uniquement être abordées sous le seul angle d’une analyse
coût-bénéfice : le rôle qu’elle joue ne doit être ni négligé, ni amplifié. Mais
elle peut être dépassée par les questions qui se posent et auxquelles
l’économie n’apporte pas toujours de réponses. Néanmoins, cette
séparation entre culture et utilitarisme peut s’avérer utile afin de dégager
des critères servant de base à l’élaboration d’une argumentation sur
laquelle est fondée l’éthique. Celle-ci dépasse les aspects purement
économiques.
Cette démarche suppose, au préalable, de s’interroger sur la
La signification de signification de l’éthique, qui peut être considérée comme une morale de
l'éthique l’action, une pensée du risque et une reconnaissance de l’autre, dans le
respect de l’humanité tout entière. En partant du sens étymologique du
terme « éthique », qui représente l’ensemble des habitudes de la société,
certains participants ont défini l’éthique comme un « examen critique »
fait de raisonnement moral exercé au sein d’une société. Parfois ce
raisonnement moral entre en conflit avec d’autres raisonnements, d’où la
nécessité de disposer de critères et de les codifier dans des règles
supra-institutionnelles qui doivent refléter l’évolution de la société. En ce
L'éthique précède le droit sens, l’éthique précède le droit qui devient en quelque sorte la
conséquence de l’argumentaire éthique, et non l’inverse.
L’espace extra-atmosphérique étant considéré comme patrimoine
commun de l’humanité, toute exploration ou utilisation qui pourrait en être
faite doit profiter à tous, ce qui ne saurait être le cas si l’approche
économique l’emportait. Il faut cependant être conscient qu’une des
La motivation des vols motivations des vols habités a trait à l’exploitation commerciale de
spatiaux l’espace. C’est dans cette optique que sont, le plus souvent, levés les
capitaux nécessaires.
La présence d’êtres humains dans l’espace, et plus généralement
des vols spatiaux, apportent une contribution culturelle et éthique tout à
fait unique. Mais encore faut-il que les motivations qui sous-tendent les
décisions relatives aux programmes spatiaux - que leur fondement soit
d’ordre culturel, économique, scientifique ou politique - soient clairement
et honnêtement exposées afin d’éviter toute zone d’ombre. Ceci suppose
une réelle transparence de la part des agences spatiales et des
gouvernements qui prennent les décisions, mais aussi des médias qui
les relaient au sein de la société. Le grand public manifeste en effet de
La participation du grand plus en plus sa volonté de participer au déroulement des vols spatiaux
public aux vols spatiaux tout en restant cependant éloigné de la perspective d’un « tourisme
spatial ». Il est donc primordial que le citoyen, sur la base d’un discours
122

rationnel, puisse être associé à la prise de décision ou dans un premier


temps sensibilisé aux enjeux des vols habités. Il est désormais
indispensable que les expériences spatiales soient partagées avec le
grand public, qui doit donc à cet effet être suffisamment éduqué. En effet,
afin de permettre compréhension et adhésion de l’opinion publique à
l’exploration spatiale, des programmes à vocation pédagogique doivent
être développés.

II. L'ESPACE COMME DIMENSION : L'HOMME DANS L'ESPACE ET


L'EXPLORATION DE L'UNIVERS

« L'homme n'est ni ange, ni bête ». C'est par cette citation de


Blaise Pascal que le Professeur Jean Audouze, Directeur du Palais de
la découverte, a tenu à rappeler que de nombreuses décisions politiques
prises en vue d’une avancée scientifique ont été sous-tendues par des
motivations contestables. Il a, par ailleurs, remarqué qu'il était plus aisé
d'invoquer des arguments éthiques à propos de certains domaines, tels
que l'espace extra-atmosphérique qui jouit, auprès de l'opinion publique,
d'une image positive et ainsi d'une position assez favorable. A l’inverse,
l'énergie nucléaire est perçue plutôt comme une menace. De plus, le
La dimension temporelle Professeur Jean Audouze a mis l'accent sur la dimension temporelle des
de l'aventure spatiale expérimentations et des activités spatiales. En effet, une expérience
spatiale dure en moyenne une cinquantaine d’années : les projets
spatiaux ont une échelle de temps importante, ce qui suppose et
nécessite une réflexion à long terme. Par ailleurs, en vue de promouvoir
la participation du public aux expériences spatiales, les agences
spatiales tentent de le sensibiliser et de l'éduquer aux programmes
spatiaux qu'elles mènent en mettant à sa disposition un certain nombre
d'informations.
Le Professeur Jean Audouze a également souligné l'importance de
l'espace pour un certain nombre de disciplines scientifiques, et
notamment pour l'astronomie qui a ainsi été révolutionnée grâce à la
possibilité de s'affranchir des difficultés induites par l'atmosphère en
matière d'observation de l'Univers. C'est pourquoi, l'espace doit faire
l'objet d'une protection particulière et devrait donc être proclamé comme
L'espace, territoire un « territoire scientifique » afin de permettre à la science de poursuivre
scientifique ses investigations dans de bonnes conditions. En matière d'acquisition
des données à caractère scientifique, il a opéré une distinction entre les
La nature des données données à caractère scientifique qui doivent être à la disposition de
spatiales l'humanité tout entière, et les données d'ordre environnemental. En
raison du principe d’équité, les différents pays, et notamment les pays en
développement devraient y avoir accès sur une base non économique.
Elles constituent en effet un élément important pour leur avenir et leur
développement
La discussion qui a suivi a permis de mettre en lumière la nécessité
d’avoir une approche éthique à côté des justifications technologiques et
politiques de l’exploration spatiale. L’espace constitue un territoire
scientifique, même s’il engendre le développement d’applications
commerciales. De plus, il a été rappelé que cette approche éthique est
orientée vers le bien être général de l’humanité et se fonde sur le respect
de la vie. Comme l’a souligné Jeffrey Hoffman, ancien spationaute,
représentant de la National Aeronautics and Space Administration
(NASA), la recherche de la vie extra-terrestre est également un thème
fondamental dans les activités des agences spatiales, et notamment à la
123

NASA. Il s’agit concrètement, par l’exploration du système solaire


d’abord, et de l’Univers ensuite, de trouver des traces de vie, permettant
ainsi d’identifier un principe universel de la vie à travers la biologie.
La recherche de nouvelles formes de vie dans l’espace génère la
La recherche de nouvelles
constitution de nouveaux liens entre l’être humain et l’espace extra-
formes de vie dans
atmosphérique. Ceci suppose une forme d’éthique dépassant le mythe
l'espace
ou la spiritualité et donc alimentée par la connaissance scientifique. De
plus, cette recherche pose la question du comportement qu’il faudra
adopter par rapport à des modèles de vie différents. Les astronautes, aux
termes de l’article 5 du Traité de 1967 sur les principes régissant les
activités des Etats en matière d'exploration et d'utilisation de l'espace
extra-atmosphérique, plus communément appelé « Traité sur l’espace »,
sont considérés « comme des envoyés de l’humanité dans l’espace ».
A côté de cette recherche de traces de vie dans l’espace, deux
autres grandes aventures en matière d’astronomie spatiale ont
également été mentionnées, à savoir le développement de l’astronomie
gravitationnelle, ainsi que le projet de faire de la Lune un grand
La Lune, fenêtre sur observatoire, en y construisant une base de télescopes afin de constituer
l'espace une fenêtre exceptionnelle sur l’espace.
L’exploration de l’espace et ses finalités ont également été
abordées. Il a ainsi été souligné que les activités spatiales font partie du
développement durable puisqu’elles concernent la gestion de la planète,
L'espace et le de son environnement et de ses ressources. A cet égard, une bonne
développement durable gestion de l’espace extra-atmosphérique constitue une des conditions de
la survie à long terme de l’humanité et du bien être des générations
futures, tant économique et culturel qu’intellectuel. Par ailleurs,
l’exploration a été envisagée comme une force motrice par rapport à la
présence dans l’espace d’êtres humains. Cependant, certains
participants ont dénoncé le risque d’instrumentalisation des êtres
L'instrumentalisation de humains qui ne seraient plus que des outils au service de la technique
l'homme spatiale, qui apparaît elle-même comme un outil au service d’une valeur
de connaissance.
En matière d’allocation des ressources, certains participants se
L'allocation des sont interrogés sur le point de savoir quelle était l’organisation la mieux à
ressources même pour déterminer la clé de répartition des deniers de la science. A
cet égard, et à l’instar de ce qui a été fait pour le séquençage du génome
humain avec le programme HUGO∗, l’éventualité et les modalités de
mise en commun, au sein d’un système international, des fonds destinés
à des programmes purement scientifiques ont été évoquées. En raison
de la compétition qu’elle engendre, la détermination de la répartition des
ressources entre les diverses disciplines scientifiques comporte une
dimension éthique importante. Elle nécessite l’émergence de valeurs et
L'émergence de valeurs et de principes à la fois d’ordre scientifique mais aussi éthique qui président
de principes scientifiques à une attribution équitable de ces ressources. La définition de ces
et éthiques principes doit résulter d’un équilibre entre l’intérêt général de l’humanité
et les intérêts particuliers des différents acteurs en présence, dans le
domaine spatial.

∗ HUGO : Human Genome Organisation


124

Par ailleurs, l’accent a été mis sur la nécessité de situer la place de


L'éthique dans les circuits l’éthique dans les circuits de décision en vue, non seulement, des risques
de décision d’abus ou des conséquences néfastes de l’utilisation des technologies
spatiales, mais aussi de la détermination de l’approche stratégique de la
décision.

III. L'ESPACE COMME OUTIL


A. Protection de l'environnement périplanétaire
Le Professeur André Lebeau, Ancien Président du Centre
national d’études spatiales (CNES), membre de l'Académie Nationale de
l'Air et de l'Espace, a évoqué la relation ambivalente de la technique
spatiale avec l'environnement puisqu'elle peut à la fois être à l'origine
La technique spatiale et d'altérations de l'environnement circumterrestre et être un outil de
l'environnement : source contrôle des changements induits par les activités humaines sur
d'altérations et outil de l’environnement terrestre. Dans la première hypothèse, le Professeur
contrôle André Lebeau s'est intéressé au problème des débris spatiaux en orbite
dans l'espace circumterrestre, en partant du constat qu’environ 4.500
tonnes d’objets ont été mis en orbite par l’homme, 5% de cette masse
représentant l’ensemble des satellites actuellement opérationnels et le
reste pouvant être considéré comme un champ de débris. Le stade où
des objets incontrôlables étaient disséminés volontairement dans
Les débris spatiaux l'espace est certes dépassé, mais les sources de cette pollution
demeurent, et sont considérables. Elles peuvent être accidentelles ou
chroniques, telles que les écailles de peinture des satellites ou des
lanceurs. Ces débris spatiaux, dont la plupart ne sont actuellement
détectables que par les impacts des collisions qu'ils produisent sur les
objets spatiaux, posent d'autant plus de problèmes qu'il n'existe en l'état
actuel de la technique aucun moyen permettant de nettoyer l'espace de
la population de débris qui s'y est accumulée depuis le début des
lancements spatiaux. Seules des mesures de prévention, à l'instar de
l'envoi des satellites géostationnaires en fin de vie sur une orbite
La solution de l'orbite cimetière, sont envisageables pour interrompre la croissance de leur
cimetière nombre. Mais en raison de leur coût élevé, ces mesures ont un impact
significatif sur la compétitivité des systèmes commerciaux. Par
conséquent, afin de maintenir une concurrence équitable dans ce
domaine, des règles de prévention doivent s'imposer uniformément à
tous les utilisateurs de la technique spatiale sans exception et doivent
être inscrites dans le droit international. Des règles de bonne conduite
ont certes été établies par les agences spatiales, mais il n’existe pas
L'absence de législation encore de cadre juridique contraignant à portée universelle. A cet égard,
internationale le Professeur André Lebeau a relevé le caractère prioritaire de la création
par les Etats d'un instrument légal international en la matière.
Parallèlement à la pollution matérielle, il a également évoqué la pollution
électromagnétique qui est relativement bien prise en compte au sein des
instances régissant l'utilisation du spectre électromagnétique.
Le fait d'envisager l'espace comme un outil de contrôle de la
pollution de l'environnement terrestre suppose au préalable l'observation
Pour une coordination de cet environnement grâce aux techniques spatiales. A ce titre, le
des nations spatiales Professeur André Lebeau a estimé que la coordination de l'ensemble des
pour établir une source nations spatiales, en vue d'établir une source permanente de
permanente de connaissances fondées sur l'observation de l'environnement planétaire,
connaissances était un objectif majeur ayant un contenu éthique. De plus, à moyen
terme, l'intervention de la technique spatiale pourrait servir à débarrasser
l f d l T d dé h t l l d d l' ti ité
125

la surface de la Terre des déchets les plus dangereux de l'activité


humaine, en particulier les déchets nucléaires, en les mettant sur une
orbite circumsolaire, à capacité de stockage illimitée et indéfinie.
Concernant les débris spatiaux, il est apparu indispensable d’en
La nécessité de définir les donner une définition technique et juridique détaillée, ce qui nécessite
débris spatiaux une symbiose entre les scientifiques et les juristes. De plus, les débris
spatiaux se démultipliant du fait de collisions, leur pouvoir destructeur
s’en trouve accru. Au regard de la nécessité d’avoir une législation
internationale en la matière, il a été suggéré qu’une telle réglementation
puisse prendre la forme d’un traité dans le cadre des Nations Unies
impliquant également l’Organisation mondiale du commerce (OMC).
Les bases d’une législation internationale sont d’ailleurs d’ores et
déjà en train d’émerger, avec les travaux en cours au sein de
l’Organisation des Nations Unies, et plus particulièrement dans le cadre
de son Comité sur l’utilisation pacifique de l’espace extra-
atmosphérique (COPUOS). Ce Comité a lancé des études visant à
mettre en place un plan d’observation et de dénombrement des objets
circulant dans l’espace et à l’élaboration de modèles permettant de faire
de la prévision et de la prévention. Cependant, en raison des lourdes
implications financières qu’ils risquent d’engendrer et de la diversité des
intérêts en jeu, ces travaux ne font pas l’unanimité parmi les utilisateurs
de l’espace et des pressions ont pu être exercées. Il est donc primordial
que des principes éthiques s’appliquent à tous, en commençant par
l’instauration d’un débat ouvert. Des explications claires concernant les
débris permettront à l’opinion publique de faire pression sur les
La provenance et la décideurs. Parallèlement à l’élaboration d’un cadre juridique et éthique
nationalité des débris relatif aux débris spatiaux, la question de la responsabilité a été
n’est pas identifiable mentionnée du fait que la provenance et la nationalité des débris ne sont
pas toujours identifiables.
La solution des orbites cimetières a, quant à elle, suscité quelques
craintes et interrogations de la part de certains participants qui se sont
demandés s’il ne s’agissait pas là d’une manière d’éviter le problème de
la pollution de l’environnement circumterrestre.
Les débats ont également permis de souligner la question de
l’utilisation des technologies spatiales à des fins de gestion de la planète,
et en particulier de ses ressources. Cette question est d’autant plus
importante pour les pays en développement qu’ils n’ont pas
L'accès aux données
systématiquement accès à ces technologies ou aux données qui en
spatiales et leur partage émanent, bien qu’elles soient cruciales pour leur développement. Toute
équitable
information concernant la Terre a une dimension économique et
politique ; par conséquent le partage équitable des données, notamment
environnementales, pose problème. A cet égard, il a été suggéré que les
données environnementales soient mises à la disposition de tous les
pays en les isolant du circuit commercial. L’exemple du système
d’échange permanent des données, mis en place dans le domaine de la
météorologie, peut servir de base à la résolution du problème de
connaissance et de maîtrise de la pollution globale de l’environnement
terrestre. Cependant, en matière météorologique, la demande est
immédiate alors qu’en ce qui concerne l’environnement global, les enjeux
sont beaucoup plus lointains et ne favorisent pas une prise de décision
rapide.
L’outil spatial peut faire l’objet d’autres applications, telles que le
contrôle du bon respect des traités internationaux concernant la gestion
l
126

de l’environnement, mais aussi la modification d’équilibres complexes,


que ce soit en matière de climat, grâce à l’expérience de l’illumination
locale par des réflecteurs spatiaux, ou en matière d’environnement pour
une éventuelle restauration de la couche d’ozone par des moyens
Acceptabilité et spatiaux. De telles possibilités ne sont pas sans soulever des questions
incertitude d’acceptabilité en terme éthique en raison des nombreuses incertitudes
qui existent encore.
B. Libertés publiques et identités culturelles
Le Professeur U. R. Rao, Président du Comité des Nations Unies
sur l'utilisation pacifique de l'espace extra-atmosphérique (COPUOS) et
d'UNISPACE III, a débuté son propos par le constat que les
développements spectaculaires de la science et des technologies
spatiales ont eu un impact significatif sur la vie économique, sociale et
culturelle des êtres humains et ont contribué à l’établissement d’un
village planétaire. Cependant, en dépit de toutes ces avancées
technologiques, le monde continue à être divisé entre le Nord et le Sud,
les pays développés et les pays en développement.
Une mauvaise utilisation de l'espace peut avoir un effet néfaste sur
Aliénation culturelle et les libertés publiques et sur les identités culturelles. Des sociétés
réduction des libertés vulnérables peuvent, en effet, subir une forme perverse d’aliénation
culturelle et de réduction des libertés. La mondialisation ne doit pas
conduire à l’homogénéisation des peuples et à la disparition des
diversités culturelles, qui représentent une part inestimable de notre
Réfléchir globalement et patrimoine. C’est pourquoi, tous les pays sont encouragés à adopter une
agir localement approche beaucoup plus humaine et équitable en matière de
développement et à réfléchir d’une façon globale, même s’ils agissent de
manière locale.
Etablir un code de Afin d’éviter tout risque de dérive, il est important d’arriver à établir
déontologie un code de déontologie.
La révolution de la technologie a permis un accès rapide à une
masse d’informations, accès qui dépend de la capacité technique de
chaque pays. Ainsi, une mise à disposition rapide des données,
notamment en cas de catastrophes naturelles, peut être très utile et
devrait être intégrée dans ce code de déontologie.
Par ailleurs, alors que l’émergence du village planétaire devrait
permettre d’améliorer les sociétés en renforçant l’amitié des peuples, elle
représente une menace réelle. En effet, une mauvaise utilisation des
informations en vue de l’exploitation commerciale, sociale et politique de
sociétés vulnérables constitue un véritable danger. Ainsi, la fixation
artificielle des prix pour faire des bénéfices rapides, la déstabilisation des
sociétés en transition et toute ingérence politique sur les réseaux
peuvent mener à des déséquilibres très graves. Il faut protéger la
confidentialité des informations et élaborer des réglementations adaptées
relatives à l’accès à l’information et à son utilisation. Ceci conduit à veiller
à ce que les techniques de communication spatiales ne servent pas à la
propagation d’idées et de messages subversifs ou au développement
d’activités terroristes et criminelles.
Le Professeur U.R. Rao a conclu sa présentation en estimant que
la science et la technologie n’avaient pas rendu les sociétés plus
intelligentes ou plus raisonnables. Avec toutes les connaissances et les
informations dont nous disposons aujourd’hui, la question éthique qui
demeure est de savoir comment les intérêts égoïstes de chacun peuvent
être surmontés afin de parvenir au bien être de l’humanité.
127

Les risques de mauvais usage des réseaux satellitaires ont retenu


l’attention des participants, dans la mesure où toutes les activités
La surveillance illégales ne doivent pas pouvoir proliférer du fait de ces réseaux. Les
électronique systèmes d’observation et de surveillance électronique peuvent être
utilisés pour identifier les réseaux criminels ou terroristes.
Mais cette surveillance électronique ne va pas sans poser de
problème quant aux libertés individuelles. Il est en effet désormais
possible d’intercepter les données de communication transitant par les
satellites, de localiser, par un système de positionnement, les
communications de téléphones mobiles, même d’identifier le
comportement des individus. Ces techniques auparavant utilisées par les
seuls militaires se trouvent aujourd’hui à la portée de ceux qui disposent
Utilisation détournée des de moyens techniques appropriés, leur utilisation détournée est
techniques de susceptible de porter atteinte aux libertés individuelles. A cet égard, la
surveillance spatiale porte détermination de la frontière entre ce qui peut faire l’objet d’une
atteinte aux libertés surveillance légale et ce qu’il est illégal de surveiller, comme les
individuelles communications personnelles ou entre entreprises, n’est pas évidente. Il
faut veiller à éviter tout contrôle excessif en la matière, tout en permettant
aux Etats d’assurer leur sécurité et le maintien de l’ordre public.
Cependant, il a été souligné que la surveillance des individus n’était pas
un problème lié spécifiquement à l’espace mais un problème inhérent à
la société moderne, au sens le plus large. La surveillance étant ainsi
inévitable, il convient de réglementer la gestion et le contrôle des
données en donnant notamment accès à la cryptographie.
L’utilisation des technologies spatiales présente certes un risque
d’uniformisation des cultures, mais néanmoins, elle a un impact positif
sur les identités culturelles. En effet, les technologies spatiales favorisent
Le maintien des identités non seulement le maintien des identités culturelles et la préservation de
culturelles et la la diversité culturelle, en permettant notamment l’accès de communautés
préservation de la immigrées ou de membres d’une diaspora aux messages culturels de
diversité culturelle leurs communautés d’origine. Mais elles engendrent également
l’apparition de nouvelles identités qu’il convient de combiner avec les
identités culturelles existantes. Il appartient donc aux instances élaborant
des principes éthiques d’affirmer que la diffusion des technologies de
l’information au niveau mondial doit garantir le respect des identités
culturelles et la liberté d’expression. Cependant des problèmes peuvent
Le problème de découler non de l’interaction entre les cultures, mais de l’acceptabilité des
l'acceptabilité des messages qui sont diffusés : certains de ces messages, tels que l’apologie
messages de la violence, la pédophilie ou même la « pornographie douce », ne sont
pas acceptables, mais leur maîtrise ou leur contrôle n’est pas aisé et
pose la question du droit d’accès des individus à l’information.
Par ailleurs, le système de monitoring des activités économiques
par le biais des technologies spatiales a été mentionné. L’espace est une
Technologies spatiales et source de développement majeur grâce en particulier aux prévisions qui
activités économiques peuvent être faites concernant le climat ou les productions et les récoltes
agricoles. Des bénéfices économiques tout à fait significatifs découlent
de l’utilisation des moyens spatiaux à des fins de prévision. Et on peut se
demander qui des producteurs, des consommateurs ou des
intermédiaires va le plus bénéficier de ces avantages. Il est clair que
L’utilisation des moyens l’accroissement de la capacité de prévision a pour corollaire
spatiaux à des fins de l’accroissement de la capacité de spéculation, présentant à terme le
prévision risque de développer des inégalités déjà fortement marquées dans ce
domaine.
128

IV. L’ESPACE COMME PERCEPTION


A. Bénéfices et risques liés aux avancées des
technologies spatiales
Le Professeur Ezio Bussoletti, Professeur à l'Université de
Naples, Directeur de l'Institut de Physique expérimentale, a envisagé
l’impact des technologies spatiales dans trois domaines, à savoir
l’environnement, l’économie et les conséquences de leur utilisation
L'impact environnemental militaire. Concernant l’impact environnemental, les conséquences de
des technologies l’intrusion de l’homme dans l’Univers ont été évoquées. De plus, le
spatiales Professeur Ezio Bussoletti a estimé que l’utilisation de l’énergie nucléaire
dans l’espace extra-atmosphérique constituait la question la plus
importante en la matière. Cette utilisation étant inévitable, il convient de
mettre l’accent sur la gestion des risques, ce qui implique de prendre en
considération le rôle parfois négatif joué par les médias, comme pour la
sonde « Cassini ». Afin d’éviter les effets délétères des « scoop », il est
nécessaire de développer, à titre préventif, l’information et l’éducation de
l’opinion publique, mais aussi celle des médias.
Au regard de l’impact économique, la question des véritables
L'impact économique besoins d’un pays en matière de développement technologique avec
leurs conséquences financières se pose, ainsi que celle de la
participation des pays les moins favorisés à ce développement. Le
contrôle de l’accès à l’espace par un nombre réduit de pays affecte la
possibilité d’autres pays d’y participer. A ce titre, des entités supra-
nationales, telles que les Nations Unies, sont les mieux adaptées pour
trouver des solutions équilibrées répondant aux intérêts de chaque Etat.
La dimension militaire et La dimension militaire de l’utilisation des technologies spatiales a
l'utilisation duale de la également été évoquée, dans la mesure où pratiquement toute la
technologie spatiale technologie spatiale est d’utilisation duale. L’accent a été mis sur la
nécessité de définir clairement des frontières dans ce domaine, à un
moment où les applications commerciales sont de plus en plus
dépendantes des systèmes élaborés à des fins militaires.
Au cours de la discussion, la gestion des données spatiales, c’est-
La gestion des données à-dire leur acquisition, leur qualification et leur coût, a été abordée. En
spatiales matière de coût d’accès aux données, la possibilité de pratiquer une
discrimination en fonction de l’usage, à l’instar de ce qui se fait dans le
domaine de la météorologie, a été avancée à nouveau : ainsi, selon que
l’acquisition des données est faite dans un but de recherche ou à des fins
commerciales, l’accès des données serait soit gratuit, soit payant. Si
l’acquisition des données est une question importante, leur protection par
le biais de règles de propriété intellectuelle ne doit pas être négligée.
Bien que l’espace extra-atmosphérique soit patrimoine commun de
l’humanité, toutes les technologies spatiales et le savoir-faire qui en
La protection de la dépend doivent pouvoir donner lieu à protection de la propriété
propriété intellectuelle intellectuelle. En la matière se pose clairement un problème de modalité
d’appropriation des technologies du domaine spatial du fait qu’à l’heure
actuelle, un seul pays détient le monopole sur le dépôt des brevets
concernant les inventions ou les dispositifs embarqués sur un satellite.
La gestion du risque La gestion du risque, quant à elle, implique de s’interroger sur la
perception du risque et sur son caractère subjectif puisque variant d’un
Le rôle des médias individu à l’autre, d’une société à l’autre. A cet égard, le rôle des médias
est essentiel en raison des risques d’amplification d’un événement. Il faut
129

donc démystifier le problème du risque en faisant la différence entre


risque potentiel et dommage certain, afin d’éviter des réactions de
panique. Il est, par ailleurs, primordial d’informer le public des risques
réels et d’instaurer un dialogue clair et transparent entre la société et les
différents acteurs qui ont chacun des motivations propres. Concernant la
La qualification juridique qualification juridique de la responsabilité, une distinction entre risque et
de la responsabilité pour dommage a été opérée, et la responsabilité pour risque a été retenue
risque parce que dans le domaine spatial, il est évident qu’il ne faut pas
attendre la survenue du dommage pour définir des limites.
B. Communication et médias
Le Professeur Alain Pompidou a rappelé, à titre préliminaire, que
L'éthique, base de l’éthique était à la fois une base de réflexion et une stratégie de
réflexion et stratégie de communication. Le contexte émotionnel dans lequel s’effectue
communication l’exploration spatiale ne doit pas être négligé dans la mesure où il revêt
un aspect positif en ce qu’il stimule une forme d’imagination constructive
et mobilisatrice. Cependant il peut également comporter un aspect
négatif s’il débouche sur de fausses frayeurs alimentées par la
désinformation. L’éthique commande de ne pas jouer avec la crédulité
des individus ou des sociétés, et d’éviter tout mercantilisme dans la façon
dont les données propres à la science et la technique, et en particulier
L'interaction médias - dans le domaine spatial, sont présentées. Il faut dénoncer l’interaction
monde politique perverse dans laquelle les médias et le monde politique se trouvent
soumis en raison d’une démarche commune d’intérêts. Cette interaction
est d’autant plus dangereuse que les médias et le monde politique sont
par définition animés d’une capacité de conviction bien plus grande que
celle de la communauté scientifique. Elle est de plus aggravée par
l’absence de référence à l’Etat qui n’est plus aujourd’hui le seul acteur
dans le domaine spatial, ni le seul garant de l’intégrité morale.
Le Professeur Alain Pompidou a estimé que la réponse aux
inquiétudes de l’opinion publique nécessitait une démarche particulière
en raison de la relativisation récente de la fiabilité des médias, des
hommes politiques et des scientifiques. A cet égard, il a proposé
d’élaborer une sorte de cahier des charges de la communication
De la perception permettant ainsi de passer d'un contexte émotionnel à une analyse
émotionnelle à l’analyse rationnelle objective, dans le cadre de l’explication. Cette phase
rationnelle d’élaboration analytique doit se faire dans une phase préliminaire en
dehors du contexte médiatique. Ceci permet de ne pas garder secrets les
risques, bien au contraire. Dans le domaine de l’espace, à l’inverse de ce
que l’on observe dans celui du nucléaire, il faut éviter de s’engager dans
Un contexte de le culte du secret et se situer dans un contexte de transparence. Afin
transparence d’éviter les doutes et les malentendus, la mise à disposition des
connaissances à l’ensemble de la société doit se faire, après cette
première phase visant à obtenir un accord entre les experts, par le biais
d’un langage accessible au grand public. A cet effet, des débats publics
ou « forums hybrides » regroupant des scientifiques, des spécialistes de
la communication et l’opinion publique devraient être organisés par
l’intermédiaire des médias, qui exerceront alors leur influence sur des
Culture de l'espace et bases plus saines parce qu’objectives. Une « culture de l’espace »,
pédagogie de la médiation basée sur la pédagogie de la médiation, pourra ainsi se développer, avec
la participation de la communauté scientifique et du monde industriel.
Elle permettrait d’accorder aux hommes la partie de rêve qui leur revient,
dans un contexte évolutif où l’on passe de l’acceptation immédiate à
l’acceptabilité qui se projette dans le temps.
130

Tout en adhérant aux propos du Professeur Alain Pompidou,


certains participants ont souligné la complexité de la communication en
matière d’espace du fait de la part de rêve et de mythe induite par les
activités spatiales. Il a ainsi été suggéré que cette communication
Les médiateurs s’effectue par le biais de médiateurs scientifiques, dont la formation
scientifiques pourrait être assurée par les agences spatiales, et qui auraient pour
fonction, notamment d’animer les forums pluridisciplinaires, voire même
hybrides, impliquant experts-politiques-citoyens, quelles que soient leur
formes (débat télévisé, réseaux électroniques, etc…).
Parallèlement, la formation scientifique insuffisante de certains
journalistes a été mise en cause comme pouvant représenter un élément
de la désinformation. C’est pourquoi, l’idée d’institutionnaliser une
structure de formation internationale des journalistes scientifiques a été
La formation des avancée. Par ailleurs, une fonction de formation des médias pourrait être
journalistes scientifiques remplie par les agences spatiales au même titre que la formation de
médiateurs scientifiques. Plus généralement, la promotion d’une « culture de
l’espace », qui suppose une culture scientifique de base, passe par
L'éducation de l’opinion l’éducation de l’opinion publique. Ce qui est important ici, c’est la pédagogie,
publique et il est bien connu qu’il ne suffit pas d’être enseignant pour être
pédagogue. En effet, la pédagogie doit permettre d’aboutir à une
formation active et interactive en vue de découvrir et de comprendre
ensemble des phénomènes jusqu’à présent inexpliqués. A cet égard, sur le
Télévision, programmes modèle de ce que fait la NASA, une chaîne de télévision pourrait être créée,
pédagogiques et forums et des actions et des programmes pédagogiques à l’intention des jeunes en
électroniques particulier devraient être élaborés. Ceci sera sans doute rapidement
complété par des forums électroniques.

V. CONCLUSIONS DE LA PREMIERE PARTIE DU SEMINAIRE


Avant de dégager les recommandations et les questions éthiques,
dans le domaine de l’espace extra-atmosphérique, il a été rappelé que
L'éthique consiste à l’éthique consistait à remettre l’homme au centre du débat. De quel
remettre l'homme au homme s’agit-il ? La révolution copernicienne, celle de Darwin et celle de
centre du débat Freud, ont toutes les trois en commun d’avoir remis en question l’homme et
l’anthropocentrisme. L’homme n’a pas été rejeté, mais il a été mis en
mouvement. L’espace, d’une certaine manière, est pourvoyeur de
mouvements, dans la mesure où des astronautes ont marché sur la Lune
puis ont été envoyés dans des stations spatiales. De plus, aujourd’hui, avec
la télévision, l’émergence des nouvelles technologies de l’information et de
la communication, les satellites, l’homme est aussi en capacité de
Un homme en mouvement « téléprésence » : il existe à travers d’autres moyens de perception que
son ancêtre très immédiat. Il faut donc s’interroger sur cette nouvelle
nature de l’être humain qui est en train de se créer. Elle fait appel à ce
nouveau besoin de choisir d’être un homme. Il n’y a pas de définition
définitive de l’être humain. Cet humanisme sans cesse à faire suppose
de se mettre d’accord sur quelques points communs à « l’homme en
mouvement ».
A l’issue des débats, les participants ont mis en avant un certain
Elaboration de principes nombre de points-clés et ont formulé des questions, en vue de
éthiques l’élaboration de principes éthiques dans le domaine spatial :
1. l’argumentaire éthique à développer en vue d’éviter les conflits de
société nécessite l’organisation d’un débat interactif entre deux
Pour un débat interactif groupes composés d’une part des scientifiques et des industriels,
et d’autre part, des décideurs politiques et de l’opinion publique ;
131

Des modalités de 2. le processus de prise de décision suppose la définition de


coopération entre modalités de coopération entre les agences spatiales et les
agences et industriels industriels ;
3. le « filtre éthique » fait partie des paramètres utilisés dans la
Le filtre éthique stratégie de prise de décision, tels que la faisabilité
technologique, le rapport coût-bénéfice et l’application du droit
international ;
Un espace sanctuarisé ? 4. l’espace extra-atmosphérique étant patrimoine commun de
l’humanité, y a-t-il une spécificité de l’espace en tant que
domaine sanctuarisé, protégé et non aliénable ?
Comment éviter les
5. comment éviter les duplications inutiles en vue de la réalisation
duplications
d’un système planétaire et intégré d’observation de la Terre ?
6. peut-on identifier les domaines dans lesquels les techniques
Quel bénéfice pour spatiales peuvent bénéficier à l’humanité, comme, par
l’humanité ? exemple, l’évacuation vers le système solaire des déchets
nucléaires ?
Aspect ambigu des 7. si les technologies spatiales sont polluantes pour l’espace
technologies spatiales circumterrestre, la recherche spatiale ne peut-elle pas
pour l’environnement contribuer, par la surveillance de l’environnement, à diminuer
la pollution de la planète ?
8. pour mettre en place la gestion des risques induits par
Limites d’acceptabilité l’utilisation des techniques spatiales et l’exploration de
pour l’opinion publique et l’espace, quelle est la limite de l’acceptabilité par l’opinion
évaluation des coûts publique et celle du coût que les Etats et le secteur industriel
sont prêts à assumer ?
9. dans le cadre de l’utilisation des technologies spatiales, quelles
Modalités d’accès aux devraient être les modalités d’accès aux données, devraient-
données
elles être basées sur l’équité et sur le partage des bénéfices ?
Elaboration du droit de 10. comment approfondir l’élaboration du droit de l’espace et
l’espace améliorer sa connaissance en vue d’une meilleure protection
de la propriété intellectuelle et du respect des droits de
l’homme ?

DEUXIEME PARTIE : JOURNEE DU 11 SEPTEMBRE 1999

L’objectif de cette journée était de définir le contenu de l’approche


éthique en matière de politique spatiale, en permettant aux industriels et
aux responsables d’agences spatiales d’exposer leurs préoccupations en
la matière et de répondre aux interrogations des experts réunis la veille
autour de l’éthique de l’espace extra-atmosphérique.

I. L’AGENCE SPATIALE EUROPEENNE (ESA)


Le Directeur général de l’Agence spatiale européenne (ESA),
L'importance croissante
M. Antonio Rodotà, a tout d’abord souligné l’importance croissante du
du rôle de l'éthique dans
rôle de l’éthique dans le domaine de l’espace extra-atmosphérique, dans
le domaine de l'espace
la mesure où l’espace et les applications découlant de son utilisation
interviennent dans notre vie quotidienne. Il a envisagé l’éthique comme la
mise en avant de valeurs morales et spirituelles conduisant à des actions
justes et harmonieuses. L’éthique fait partie intégrante de notre vie et doit
guider toutes les activités humaines, y compris dans le domaine spatial
où celles-ci ont des implications pour les générations futures. En effet,
l’espace extra-atmosphérique, par sa nature même, est un domaine où
132

Nécessité d’une les activités sont menées à longue échéance, ce qui nécessite une
planification à long terme planification à long terme. M. Rodotà a ensuite repris les trois grands
thèmes du séminaire, à savoir, l’espace comme dimension, l’espace
comme outil et l’espace comme perception. En envisageant l’espace
L’espace comme comme une dimension, M. Rodotà a insisté sur la nécessité, en matière
dimension d’exploration, de définir des règles universellement acceptées. Puis il
s’est intéressé à la question des motivations qui sous-tendent
l’exploration spatiale et les vols spatiaux habités ainsi qu’aux
conséquences que ceux-ci produisent, notamment sur le plan
environnemental, avec la pollution électromagnétique de l’espace ou
l’utilisation de sources nucléaires. Les seules considérations
économiques doivent être dépassées afin d’intégrer dans la prise de
décisions l’aspect culturel. De plus, l’exploration de l’espace doit
bénéficier à l’humanité entière, ce qui implique un partage entre tous les
pays, quel que soit leur degré de développement, des avantages induits
par cette exploration.
L’espace constitue un outil dont les applications sont multiples et
L'espace comme outil
quotidiennes. M. Rodotà a plus particulièrement mis l’accent sur le
double impact de cet outil sur la diversité culturelle qu’il tend d’une part à
uniformiser, et d’autre part à enrichir. Par ailleurs, l’espace en tant
qu’outil engendre des données dont l’accès et la disponibilité à
l’ensemble des pays sont problématiques en raison des intérêts
divergents qu’ils suscitent.
Enfin, la perception de l’espace par l’opinion publique suppose un
L'espace comme véritable travail d’information et d’explication de ce que sont les limites,
perception les avantages et les risques liés à l’espace, afin de permettre au public
de faire des choix en connaissance de cause et de comprendre les
enjeux de la politique spatiale. A cet égard, des débats démocratiques
devraient être organisés plus fréquemment au sein de la société.
Au cours de la discussion qui a suivi, le rôle de l’éthique dans
l’élaboration stratégique des agences a été évoqué, dans le sens où des
L'éthique et la stratégie principes directeurs (guidelines) devraient sous-tendre les plans
des agences spatiales stratégiques des agences ainsi que l’allocation des ressources. Par
ailleurs, certains participants se sont intéressés à la relation qui existe
entre l’éthique et la politique, en estimant que ces deux notions doivent
être séparées. En effet, l’éthique permet de définir des limites à ne pas
dépasser. Or il arrive que la politique ne tienne pas compte des
Ethique et politique considérations éthiques. L’implication croissante de la politique dans le
domaine spatial pose la question du partage des données et des
informations obtenues à partir de l’espace. En effet, il ne suffit pas de
disposer d’informations, encore faut-il que tous les pays y aient accès et
Partage des données puissent en bénéficier, afin d’avoir les mêmes droits et opportunités. A
cet égard, il a été rappelé qu’UNISPACE III, le CNES et l’ESA avaient
formulé des propositions ouvertes à tous visant à partager les données
obtenues de l’espace. De plus, la différence entre l’exploration et
La différence entre l’exploitation de l’espace a été mise en avant, dans le sens où
exploration et exploitation l’exploration répondant à un besoin de la connaissance humaine est
de l'espace soumise à des limites beaucoup moins strictes qu’en matière
d’exploitation. La question de l’action pédagogique et éducative de l’ESA,
notamment vis-à-vis des jeunes, a également été évoquée.
133

II. LE CENTRE NATIONAL D’ETUDES SPATIALES (CNES)


M. Gérard Brachet, Directeur général du CNES, a estimé que la
recherche et les activités spatiales posent certaines questions éthiques
qu’il convient d’identifier pour essayer d’y apporter des réponses
satisfaisantes. A cet égard, le CNES a, depuis quelques années,
commencé à promouvoir ce questionnement éthique en son sein. Il a
Un groupe de travail sur créé un groupe de travail qui réfléchit sur différents thèmes. Parmi ceux-
l’éthique de l’espace ci, le projet d’une mission de retour d’échantillons de la planète Mars
revêt actuellement une importance particulière pour le CNES. Il suscite
par ailleurs de nombreuses interrogations d’ordre éthique concernant en
particulier la mise en place de systèmes de précaution et de protection
afin d’éviter toute contamination de la Terre ou de Mars. De telles
missions nécessitent d’informer le public, notamment sur leur intérêt
scientifique. M. Brachet a également évoqué la question des débris
spatiaux qui est traitée au sein de l’Inter Agency Debris Committee,
organisation regroupant pratiquement l’ensemble des agences spatiales
mondiales, de manière à essayer de définir des règles de bonne
conduite, au niveau de la conception des lanceurs ou des satellites eux-
mêmes.
Le processus décisionnel M. Brachet a de plus présenté le processus de décision et de
et la gestion des gestion des programmes spatiaux au sein du CNES. Afin d’éviter des
programmes spatiaux décisions autoritaires prises de manière technocratique, il repose sur un
processus interactif faisant appel à un dialogue structuré et approfondi
avec la communauté scientifique en vue de définir les priorités de la
recherche et des programmes scientifiques. Les programmes à forte
dimension commerciale ne se prêtent pas à la même approche, l’initiative
de financement venant de l’industrie et des marchés, le CNES
concentrant alors son intervention sur la recherche technique en amont.
En matière de systèmes spatiaux répondant à des impératifs de services
publics, comme la météorologie ou la navigation, le processus consiste à
s’assurer d’une bonne expression du besoin par la communauté des
opérateurs publics. Le même mécanisme de décision et de gestion des
programmes spatiaux s’applique aux programmes de défense, même si,
dans ce domaine, la transparence est moindre. Il revient donc au CNES
de veiller à ce que son processus de décision et de sélection des
missions se déroule de la manière la plus scientifique possible. Ceci
implique une approche structurée où l’objectif de la mission est
suffisamment bien défini pour ensuite bâtir, sur cet objectif, la conception
Etre attentif au processus initiale du système qui paraît le mieux adapté et le plus économique. En
de décision des guise de conclusion, M. Brachet a souligné l’attention particulière qui doit
programmes être apportée, en permanence, au processus de décision des
programmes, à travers un débat riche et organisé avec les communautés
d’utilisateurs quels qu’ils soient.
Au cours de la discussion, la question de la gestion des risques a
La gestion des risques été abordée, avec notamment l’exemple de la décision de lancement de
la fusée Ariane. La gestion d’un projet suppose que les agences
spatiales s’interrogent sur la part de risque acceptable, compte tenu de la
pression extrêmement forte du marché qu’elles subissent. Cependant,
dans le domaine de l’exploration planétaire ou de la recherche
scientifique où la dimension commerciale n’est pas prépondérante, cette
La séparation entre les question se pose différemment : c’est-à-dire sous l’angle de la notion de
instances de sauvegarde perte potentielle de la mission scientifique. Dans tous les cas, une bonne
et celles de mise en
134

œuvre de l'outil gestion des risques implique la séparation entre les instances dites de
technologique « sauvegarde » et celles de mise en œuvre de l’outil technologique, afin
d’avoir une autorité indépendante de protection de la sûreté.
De plus, le souhait d’un rapprochement entre les agences spatiales
et diverses institutions dont l’objet est de faire connaître l’information
scientifique au public a été exprimé, en vue d’engager le processus de
Former à la médiation
« médiation scientifique ».
scientifique
Concernant les liens entre la démarche éthique du CNES et la
formulation du droit international, ils ne sont pas encore établis en raison
du caractère récent et insuffisamment avancé de la réflexion qu’ils
imposent.

III. LA COMMISSION EUROPEENNE


A titre de remarque préliminaire, M. Joël Hamelin, Délégué à la
Coordination spatiale, a précisé que la Commission n’est pas une
agence spatiale. Elle aborde le domaine spatial sous son angle applicatif
et celui de ses conséquences stratégiques, économiques et culturelles
pour la société et l’Union européenne en particulier. En tant qu’acteur
régulateur et dans la conduite de ses politiques, la Commission est
Un cadre juridique précis pleinement concernée par le débat sur l’éthique de l’espace extra-
sous-tendu par une atmosphérique. Elle est convaincue que les activités spatiales ne
éthique acceptée par tous peuvent se développer que dans un cadre juridique précis, sous-tendu
les acteurs par une éthique clairement acceptée par tous les acteurs du domaine.
Parmi les préoccupations du groupe de travail sur l’éthique de
Assurer la protection l’espace extra-atmosphérique, la Commission est concernée dans un
optimale de certain nombre de domaines, à savoir : l’utilisation des techniques
l’environnement spatiales pour la protection de l’environnement et la prévention de
circumterrestre et risques majeurs – ceci passe par la définition d’un suivi global minimum
prévenir les risques de l’environnement et des risques majeurs ainsi que d’une éthique de
majeurs l’accès aux données – ; l’utilisation des techniques spatiales pour garantir
la sécurité des moyens de transport ; l’altération de l’environnement
Garantir la sécurité des engendrée par les techniques spatiales pour l’environnement
données et la protection circumterrestre (déchets) et la protection de la sphère privée ainsi que la
de la vie privée préservation des identités culturelles.
La discussion a permis d’évoquer la relation entre l’Agence spatiale
européenne (ESA) et la Commission. Elle se met en place
progressivement et suppose une délimitation de leurs compétences
respectives.
Certains participants se sont interrogés sur l’opportunité d’élaborer
L'opportunité d'un droit
un droit européen en matière spatial, en prenant pour exemple la
de l'espace européen
protection de la propriété intellectuelle des matériels embarqués qui
relève exclusivement d’un dispositif juridique américain. Plus
généralement, il a été suggéré que la Commission européenne se
préoccupe de l’approfondissement de l’élaboration du droit de l’espace et
l’amélioration de sa connaissance en vue d’une meilleure protection de la
propriété intellectuelle et du respect des droits de l’homme.
Parmi les sujets traités par la Commission européenne, la question
Les données des données environnementales, et plus particulièrement celui de leur
environnementales utilisation à des fins de contrôle de l’environnement, tend à devenir l’un
de ses objectifs stratégiques. En effet, au travers de la politique des
données, un nouveau regard est apporté sur les enjeux de l’observation
de la Terre.
135

IV. L’AGENCE SPATIALE ALLEMANDE


M. Kai-Uwe Schrogl, Délégué de l’Agence spatiale allemande au
Comité des Nations Unies sur l’utilisation pacifique de l’espace extra-
Etat actuel et atmosphérique (COPUOS), a axé son intervention sur l’état actuel et le
développement futur du développement futur du droit de l’espace. Il a pris comme point de départ
droit de l'espace extra- le Traité sur l’espace de 1967, élaboré au début de l’ère spatiale, et qui
atmosphérique constitue la charte fondamentale du droit de l’espace. Il a insisté sur les
principes de non-discrimination et d’équité qui figurent dans ce Traité. Et
Les principes de non- il a estimé qu’à l’avenir la rédaction de nouveaux Traités n’est pas
discrimination et d'équité envisageable, car ceux-ci risqueraient de remettre en cause les principes
en vigueur. Mais il serait souhaitable que le droit de l’espace se
concentre sur des questions spécifiques, telles que les débris spatiaux, le
concept juridique du pays de lancement ou le statut des orbites basses, à
partir desquelles des principes généraux seront rédigés et votés au sein
du système des Nations Unies. Sur cette base, la mise en œuvre et le
perfectionnement des spécifications techniques pourront être confiés aux
organismes internationaux concernés.
La non-appropriation de L’importance du principe clé de la non-appropriation de l’espace qui
l'espace figure à l’article 2 du Traité sur l’espace de 1967 a été soulignée en
raison des menaces d’affaiblissement de ce principe qui existent
aujourd’hui avec, par exemple, la vente de terrains sur la Lune par
certaines sociétés. Même si ce genre d’initiatives tend à faire sourire,
elles sont en complète contradiction avec le principe de non-
appropriation. Toute atteinte à ce principe risque non seulement de vider
de son contenu un des fondements du droit de l’espace, mais revêt
L'espace pour le bénéfice également un caractère dangereux. L’espace doit être et doit rester au
de l'humanité entière bénéfice de l’humanité entière.
Certains participants ont abordé la question de la détermination des
entités responsables en cas de dégâts : le principe de la responsabilité
du pays de lancement risque de ne plus être adapté aux situations
actuelles en raison des consortiums. Ceci pose le problème de
l’identification « a posteriori » des firmes ou des entreprises
responsables. C’est pourquoi, il faut envisager la possibilité d’avoir une
La responsabilité : vers responsabilité illimitée. De manière plus générale, à l’avenir, la clé d’un
une responsabilité comportement ordonné dans l’espace repose sur le fait que tous les pays
illimitée menant des activités spatiales se dotent de législations cohérentes.
La connaissance du droit de l’espace passe par l’éducation, la
L'éducation et la formation de l’opinion publique. Son application suppose la ratification
formation de l'opinion par le plus grand nombre d’Etats des instruments juridiques en la
publique au droit de matière. Les agences spatiales ont, dans ce domaine, un rôle d’incitation
l'espace à jouer. De plus, il a été rappelé que l’éthique devait précéder et orienter
le droit, et non le contraire, afin d’éviter toute réglementation de l’éthique.
Par ailleurs, la dichotomie qui existe parfois entre ce que le droit permet
de faire et la manière dont les agences spatiales agissent, a été évoquée
en prenant pour exemple l’utilisation des sources d’énergie nucléaire.
V. ARIANESPACE
M. Jean-Marie Luton, Président Directeur général d’Arianespace,
a présenté brièvement les activités de cette entreprise. Elles sont
Principe de sauvegarde soumises à certains critères, comme celui de leur aspect pacifique, et au
des personnes et des principe général de sauvegarde des personnes et des biens lors de
biens lors des lancements chaque lancement. Le jugement sur la sauvegarde émane d’une autorité
indépendante et cette séparation entre les organes chargés du contrôle
et ceux chargés des opérations est indispensable.
136

M. Luton a exposé la politique de son industrie en matière de


débris spatiaux. Celle-ci consiste à n’avoir qu’un seul débris par
Gestion de la pollution et lancement, et à réduire la durée de vie des débris. Cette position n’est
performances techniques pas neutre car elle conduit à des réductions de performances techniques
et économiques et à une évolution négative de la performance économique source de
distorsion de concurrence.
Par ailleurs, M.Luton a mis l’accent sur la compétition permanente
qui existe entre le développement des moyens terrestres et des moyens
Compétition entre
spatiaux. A cet égard, il convient de ne pas détruire les avantages des
moyens terrestres et
systèmes spatiaux qui sont spécifiques. L’élaboration de normes
moyens spatiaux
éthiques conduit à peser leurs conséquences sur les différents systèmes
en évitant de privilégier certains acteurs dans une compétition
internationale de plus en plus serrée. De plus, il a été souligné qu’en
Europe, les financements provenant du marché militaire sont très limités
parce que les militaires utilisent désormais les avancées technologiques
émanant de l’industrie civile pour réaliser leurs projets : c’est l’inverse
aux Etats-Unis ainsi que pour d’autres puissances spatiales.

La discussion a mis en lumière le besoin pour les industriels,


Des normes et des soumis à une compétition très forte et à une concurrence vive, de
standards applicables à disposer de normes et de standards qui soient applicables à tous et à
tous les acteurs l’élaboration desquels ils doivent prendre part afin d’éviter tout risque de
distorsion de concurrence. Il faut cependant éviter l’écueil de la sur-
Le risque de distorsion de réglementation pour rassurer l’opinion publique. Ceci suppose une
concurrence éducation de l’opinion publique par un travail d’explication et de
médiation scientifique.

Concernant les pratiques commerciales, certains participants ont


estimé qu’il était de l’intérêt des industriels de laisser cette question dans
le cadre des discussions commerciales entre les pays et au sein de
l’Organisation mondiale du commerce (OMC).

VI. ALENIA AEROSPAZIO


M. Franco Malerba, spationaute et ancien député européen,
représentant d’Alenia Aerospazio, a estimé que les industriels devaient
travailler en étroite collaboration avec les différents acteurs du domaine
spatial. Ils ne doivent pas eux-mêmes être chargés de définir ou d’établir
Ethique de l'entreprise et des règles éthiques qui doivent venir de la société. L’éthique de
éthique de la société l’entreprise et l’éthique de la société se rencontreront à un moment
donné. Toute entreprise spatiale peut légitimement s’interroger sur
l’opportunité de ses activités, qui représentent certes un marché, mais
qui permettent aussi d’approfondir les connaissances sur l’environnement
et de favoriser le développement des télécommunications. Les systèmes
spatiaux ne connaissent pas de frontière, à l’inverse des systèmes au
sol. Néanmoins, ils tendent tous à des solutions universelles. C’est
L'espace, un domaine à la pourquoi l’espace doit être un domaine mis à la disposition de l’humanité
disposition de l'humanité entière. A ce titre, M. Malerba a souligné l’importance de l’égalité de
entière l’accès à l’espace et de l’égalité des chances en matière de compétition.
Il a évoqué l’appropriation de l’espace et les motivations commerciales
qui sous-tendent l’exploitation de l’espace. Cet aspect économique ne
doit pas être négligé parce qu’il est nécessaire pour attirer les
investissements qui permettent de lancer de nouvelles expérimentations
scientifiques ou techniques. Il s’est ensuite intéressé aux liens entre le
développement durable et l’espace. En effet, Alenia se préoccupe de la
l
137

Le développement protection de l’environnement extra-atmosphérique dans la mesure où la


durable, l'environnement station spatiale internationale risque d’être menacée par des débris
et l'espace spatiaux. C’est pourquoi, le module logistique réalisé en Italie pour cette
station est équipée d’un bouclier. Celui-ci a un impact sur sa masse, et
sur toute la conception du projet.
Les questions de la culture et de l’éducation ont été évoquées.
Culture et éducation
Grâce aux activités spatiales, une dynamique certaine a émergé avec,
notamment, le développement de nombreuses télévisions locales. Il faut
veiller à ce que cette dynamique ne soit pas entravée par le
développement de législations trop nombreuses voire contradictoires,
notamment pour des raisons de protection territoriale.
En outre, le public s’intéresse à l’aventure spatiale et les agences
spatiales ont, à cet égard, une excellente occasion de mieux prendre en
compte cette curiosité et de favoriser les prises de conscience. L’espace
a d’ailleurs contribué à une prise de conscience par l’opinion publique de
la fragilité de l’environnement.
Par ailleurs, l’établissement d’un code éthique ne serait pas inutile
L'établissement d'un code
et devrait découler d’une concertation internationale afin d’éviter tous les
éthique inconvénients liés à la multiplication de codes différents suivant les pays.
La discussion s’est surtout focalisée autour de la question de
l’appropriation de l’espace et des droits de propriété intellectuelle qui
L'appropriation de devraient être modulés s'ils risquent de constituer une entrave au
l'espace et les droits de développement de recherches ultérieures en matière spatiale. Ainsi,
propriété intellectuelle selon certains participants, il faudrait appliquer à l’espace les mêmes
règles de propriété intellectuelle que celles qui s’appliquent aux autres
formes de création, en étant peut-être plus vigilant. Le cas des orbites
intelligentes, dont le procédé a été breveté, a été pris pour exemple. De
plus, concernant l’imagerie, il a été rappelé que tout ce qui est
photographié ou capturé dans l’espace n’est pas disponible gratuitement,
et qu’à partir du moment où des fonds privés sont utilisés, une logique
commerciale paraît justifiée.
Par ailleurs, la stratégie sous-tendant la construction de la station
spatiale internationale, qui permettra d’élargir la communauté des
utilisateurs de l’espace, a également fait l’objet de quelques
développements. Jusqu’à présent, cette station faisait partie du domaine
des informations scientifiques, plus ou moins confidentielles, et le public
n’y était pas forcément très sensible. C’est pourquoi à l’avenir, un travail
de publicité, d’information et d’explication sera nécessaire.
Certains ont estimé qu’il était au préalable nécessaire de dresser
Une culture de l'espace un bilan des activités spatiales afin ensuite de les intégrer dans un cadre
pour façonner « l'homme moral ou éthique. Il faut le faire de manière constructive en évitant de ne
de demain » poser que des interdits ou des prohibitions. Cela fait partie d’une
« culture de l’espace » qui tend à façonner « l’homme de demain ».

VII. AEROSPATIALE MATRA


Du fait de la nature aussi bien civile que militaire de ses activités,
Les industriels et Aerospatiale Matra est confrontée à des choix de technologie, de
l'éthique de l'espace conception et d’architecture, qui dans certains cas posent des problèmes
éthiques. M. Frédéric d’Allest, Conseiller du Directoire pour les affaires
spatiales, a estimé que les industriels ont, dans leur propre intérêt, une
contribution à apporter dans l’élaboration et la mise en œuvre d’une
éthique de l’espace. En effet, les industriels se sentent le devoir et la
138

Les préoccupations des responsabilité de contribuer, avec toutes les agences spatiales et leurs
industriels clients, à identifier et à gérer les risques et les problèmes qui peuvent
découler des matériels qu’ils construisent. Ils doivent également élaborer,
en collaboration avec les agences spatiales, des codes de bonne
conduite, voire des réglementations internationales. Ceci implique de
garder présent à l’esprit le souci de transparence et de communication
Concurrence équitable : vis-à-vis de la société, tout en prenant en compte les préoccupations des
proportionner les industriels. Ces préoccupations visent à maintenir les conditions d’une
contraintes en fonction concurrence équitable et à proportionner les contraintes, techniques ou
des risques réels économiques, qui sont ou seraient imposées, en tenant compte d’un
risque réel, objectivement évalué. Par ailleurs, M.d’Allest a estimé que
les agences spatiales ont un rôle majeur à remplir pour alimenter la
Le rôle des agences réflexion des Etats. Elles doivent les conseiller et les éclairer sur leur
spatiales politique spatiale. Elles peuvent, de plus, servir de relais aux industriels
pour l’élaboration et la mise en œuvre des codes de bonne conduite. Il a
également souligné qu’une définition de l’éthique devait relever d’une
Une définition de l'éthique démarche positive et qu’il convenait de ne pas avoir une attitude
dans le cadre d'une uniquement réprobatrice à l’égard de l’exploitation commerciale et
démarche positive industrielle de l’espace. Celle-ci constitue, avec la science, un moteur de
l’exploration spatiale. En effet, sans activité commerciale raisonnable,
l’observation civile de la Terre risque de rencontrer quelques difficultés
pour se développer.
L’importance d’élaborer une démarche positive en évitant toute
réprobation de la commercialisation des activités spatiales a été reprise
au cours de la discussion. A cet égard, certains participants ont souhaité
lors de la survenue de certains événements tels que les catastrophes
naturelles, la dissémination rapide et quasi-gratuite des informations
L'accès rapide aux puisse se faire. D’autres activités plus commerciales, comme la
données spatiales dans surveillance des cultures n’obéissent nécessairement pas à la même
les conditions critiques politique. D’autres participants ont imaginé la possibilité de disposer des
liées à des catastrophes mécanismes de compensation par lesquels les acteurs les plus
naturelles privilégiés payeraient à la place de ceux qui sont défavorisés : ceci
permettrait la mise en pratique du principe d’équité qui transcende les
aspects commerciaux en vue de réduire les disparités entre pays. La
pratique d’Eumetsat à l’endroit des pays non membres, qui, s’ils sont
riches doivent payer les données alors que s’ils sont pauvres, ils y ont
accès gratuitement, a été citée à titre d’exemple.
VIII. CAS PRATIQUE
Avant de clore le séminaire, un « cas pratique » a permis aux
L'élaboration d'une participants de réfléchir à la stratégie de communication qu’il faudrait
stratégie de adopter vis-à-vis de l’opinion publique et des médias au cas où les débris
communication d’une station spatiale feraient des victimes en retombant sur Terre. Un tel
événement poserait notamment le problème de la responsabilité en
matière de gestion du risque, et le problème de l’enjeu des activités
La gestion du risque spatiales. Il nécessiterait l’instauration d’une commission d’enquête afin
d’expliquer les causes de cet incident et de proposer des actions de
réduction des risques pour que les activités spatiales ne représentent
plus un danger objectif. Il conviendrait aussi de mettre en lumière le
caractère tout à fait exceptionnel d’un tel événement, et de rappeler
L'enjeu des activités
spatiales l’enjeu de départ. Il est apparu qu’un travail d’approfondissement des
aspects de communication, de médiation scientifique et d’explication de
La médiation scientifique la gestion du risque était plus que nécessaire afin de préparer et
d’informer de manière transparente et objective l’opinion publique quant
à la survenue d’incidents ou d’accidents éventuels.
139

CONCLUSION
En guise de conclusion, S. Exc. Mme Vigdís Finnbogadóttir s’est
félicitée de l’intérêt manifesté par les participants pour les droits de
l’homme ainsi que pour le rôle du citoyen à l’avenir. Elle a rappelé que le
travail de la COMEST consistait en partie à définir de « bonnes
La définition de « bonnes
pratiques » et qu’il était primordial que, dès à présent, la COMEST
pratiques » puisse communiquer avec le public. Elle doit pouvoir fournir à l’opinion
publique de plus amples informations sur ses activités afin de la
responsabiliser et de lui faire prendre conscience des enjeux. Cette prise
de conscience est d’autant plus urgente vis-à-vis des jeunes qu’au cours
des prochaines décennies, la part des moins de 20 ans dans la
population mondiale va être prédominante et qu’ils ne seront pas
forcément suffisamment mûrs pour prendre des décisions dans le
domaine de l’éthique des technologies. Dans cette optique, Mme Vigdís
Finnbogadóttir a avancé l’idée de développer le concept de guides
Le concept de guides éthiques qui pourraient jouer le rôle de « Socrate des temps modernes »
éthiques en encourageant l’opinion publique à trouver les réponses aux questions
qu’elle se pose.
C’est sur une note optimiste et poétique que Mme Vigdís
Finnbogadóttir a conclu le séminaire sur l’éthique de l’espace extra-
atmosphérique, en estimant que chaque début de siècle suscitait
toujours beaucoup de dynamisme et qu’au fond, la science et la poésie
étaient liées car elles représentent l’une et l’autre des visions et des
espoirs pour l’avenir.
ANNEXES TECHNIQUES

1. Les lanceurs : l’exemple d’Ariane

2. Les satellites d’observation de la terre

3. Les satellites de communications

4. La répartition du marché des équipements


et des services liés à la navigation par satellite

5. Les systèmes spatiaux d’observation de l’Univers

6. Les vols habités

7. Les stations spatiales

8. Les débris spatiaux

9. Les budgets spatiaux

10. Présentation générale de l’Agence spatiale européenne (ESA)

11. Les missions scientifiques et les programmes à long terme de l’ESA


©ESA
ANNEXE TECHNIQUE I

LES LANCEURS : L’EXEMPLE D’ARIANE


ANNEXE TECHNIQUE II

LES SATELLITES D’OBSERVATION DE LA TERRE


ANNEXE TECHNIQUE III

LES SATELLITES DE COMMUNICATION


ANNEXE TECHNIQUE IV

LA REPARTITION DU MARCHE DES EQUIPEMENTS ET DES SERVICES


LIES A LA NAVIGATION PAR SATELLITES
REPARTITION DU MARCHE DES EQUIPEMENTS ET DES SERVICES LIES
A LA NAVIGATION PAR SATELLITES A L ’HORIZON 2005-2010

Routier 84%
Non transport et loisirs 9%
Aéronautique 5%
Maritime 1%
Rail 1%
ANNEXE TECHNIQUE V

LES SYSTEMES SPATIAUX D’OBSERVATION DE L’UNIVERS


LE TELESCOPE HUBBLE
LE TELESCOPE HUBBLE
SONDES MARTIENNES

MARS 1 URSS 1962 Echec


MARINER 4 USA 1964 SUCCES
MARINER 6 USA 1969 SUCCES
MARINER 7 USA 1969 SUCCES
MARS 2 URSS 1971 SUCCES PARTIEL
MARS 3 URSS 1971 SUCCES PARTIEL
MARINER 9 USA 1971 SUCCES
MARS 4 URSS 1973 ECHEC
MARS 5 URSS 1973 SUCCES
MARS 6 URSS 1973 SUCCES PARTIEL
MARS 7 URSS 1973 ECHEC
VIKING 1 USA 1975 SUCCES
VIKING 2 USA 1975 SUCCES
PHOBOS 1 URSS 1988 ECHEC
PHOBOS 2 URSS 1988 SUCCES PARTIEL
MARS OBSERVER USA 1992 ECHEC
MARS GLOBAL SURVEYOR USA 1996 SUCCES
PATHFINDER USA 1996 SUCCES
MARS 96 CEI 1996 ECHEC
PLANET B JAPON 1998
DEEP SPACE 2 USA
ANNEXE TECHNIQUE VI

LES VOLS HABITES


ANNEXE TECHNIQUE VII

LES STATIONS SPATIALES


LA STATION SPATIALE MIR
LA STATION SPATIALE INTERNATIONALE
ANNEXE TECHNIQUE VIII

LES DEBRIS SPATIAUX


Nombre d’objets artificiels dans l’espace
Taille Nombre Nombre en % Masse en %
>lOcm 9.000 0,02 % 99,93 %
l-10cm 110.000 0,31 % 0,035 %
0,l - lcm 35.000.000 99,67 % 0,035 %
Total = 35. 100.000 100 % 2.000.000 kg

Nombre d’objets par type


figurant dans le catalogue des Etats-Unis, 1959- 1996
Nombred’objetsenorbite
10 000 f-
9 000
a 000 8:
y--
#’
7 000 8n---,. .*_I
n-- L”
1
6 000
,-‘.,*-
5 000 - .-..-y
,
2’
4 000 ,-
I
I--
3 000 ,---
I
. ,A e-4’ D
*......
2 000 0-
5 ..L-
1 000
F
l l I I 1 l 1

Year

A: Nombre total d’objets y compris les objets non répertoriés dans le catalogue officiel
B: Nombre total d’objets établi d’après le catalogue offkiel
c: Débris de fragmentation ; les fragments sont comptabilisés à partir de l’année de
l’événement ; les parents de fragmentation sont comptes comme intacts jusqu’à la
date de l’événement ; les parents sont comptabilisés comme fragments. a partir de la
date de l’événement
D: Vaisseau spatial
E: Corps de fusée
F: Débris opérationnels ; les débris opérationnels liés h, un lancement sont
comptabilisés à partir de l’année de lancement ; les débris opérationnels de Salyut 4,
5, 6, 7 et de MIR ne sont pas comptabilisés h partir de la date de lancement des
débris parents, mais à partir d’une date plus réaliste.
ANNEXE TECHNIQUE IX

LES BUDGETS SPATIAUX


Evolution des budgets spatiaux
américain (1980-2000), russe (1960-2000) et européen (1972-1995)

Cumnt USS In billions completed planned


30 I
NOAd -
25

(excluding aemnautical Rdtl3

I
Etats-Unis

‘y.
:.
. DEPARTMENTOFDEFMSE
(inchdlng rœonnalssurcc)
0
1980 1982 l-984 1986 1988 1990 1991 1994 19% 1998 2COO

l including rcmnrudcal R&T l ftcr 195’7 (IJSS 858 million in 1997)


primay data: NASA. DOD. GAO. AIAA

450
1

350 -

300 -
Suprcme
foriel
2so -

Union SoviCtiquepuis Russie 2w -

150 -

100 -

SO-
,
0 j I I I , I t 1
1960 196s 1970 1975 19.30 1915 1990 1995 2am
C w
“ti~m EllPgiYrlIlU~

,
2000 ;
Europe

1000 :

0
72 73 74 73 76 77 78 79 80 II 12 83 84 8s X6 87 KK 19 90 91 92 91 94 95
(1) OUIlXySfor USA . Primrry dam ESA and nrtiond sowceS

source: Euroconsult.
Pre’vision de crokwnce de l’lndusfriie des satellit8s (million VS $)

Service fixe par satellite


Service mobile par satellite
TtMdiffusion directe américaine
-
Télédiffusion directe Intematlonaie
Services auto-radio num8fiques
Réseaux d’utillsateufs locaux
-
Multim4Wa
Petits satellites k orblte basse
Imagerie per satellite
Industrie du satellfte
SeM’cSS de lancement

1998 2002 2003 2004 2clo5 2007

1997-2007 = moyenne annuelle 17 % l


ANNEXE TECHNIQUE X

PRESENTATION GENERALE DE L’ESA


Les objectifs de l’ESA

Organisation intergouvernementale ayant pour mission


d'assurer et de promouvoir - à des fins exclusivement
pacifiques - :
• l'exploitation de la science, de la recherche et
de la technologie spatiales
• les applications spatiales

Dans ce but, l'ESA :


• conduit des activités et des programmes spatiaux
• mène une politique spatiale à long terme
• suit une politique industrielle spécifique
• coordonne les programmes spatiaux européens avec les
programmes nationaux
02/2000 - 3
02/2000 -
ANNEXE TECHNIQUE XI

LES MISSIONS SCIENTIFIQUES ET LES PROGRAMMES


A LONG TERME DE L’ESA
Achevé d’imprimer en juin 2000
S.C.I.P.P. - Vincennes

Imprimé en France
Dépôt légal : juin 2000

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