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Erika Sauw

Compromission
© 2014

Éditions Artalys

504 rue de Tourcoing – 59420 Mouvaux

http://editions-artalys.com

Photographie : @ Bartosz Wardziak / 123RF

ISBN 979-10-91549-69-1
1. Chapitre

En montant dans ma voiture, ce jour-là, je n’avais qu’une vague idée de l’aventure dans laquelle
j’allais m’engager. Mon cœur tambourinait dans ma poitrine. J’allais rencontrer l’un de mes premiers
clients, un homme apparemment très fortuné qui s’appelait Denis Stevenot. Il m’avait chargée
d’aménager sa maison, en me précisant que c’était une luxueuse villa. J’étais incapable de dire
pourquoi son choix s’était porté sur une débutante. Je le croyais capable de payer les cabinets les plus
réputés.
La véritable raison de son choix, je ne la connaîtrais que lors de notre rencontre. J’essayai
d’imaginer à quoi il ressemblait tout en maintenant mon attention sur la route, ce qui n’était guère
facile. Je ne savais pas ce qu’il avait pensé de ma voix, mais j’avais été impressionnée par la sienne,
grave, sereine, mélodieuse. Je l’imaginais assez bien en chanteur d’opéra, idée qui m’amusa sans
pour autant diminuer mon stress. Mais sa voix était surtout empreinte de beaucoup d’assurance, celle
d’un individu qui pouvait changer le monde par ses conseils et ses ordres.
J’écrasai le frein juste à temps pour ne pas enfoncer la voiture que je suivais, et qui venait de
s’arrêter devant un feu rouge. En pensant à la catastrophe qui venait tout juste d’être évitée, je poussai
un soupir. Je m’aperçus également que mes mains étaient beaucoup trop crispées sur le volant, et
moites en plus de cela. Il me fallut faire un effort pour les ouvrir.
Détends-toi, Edwige, ça va aller ! essayai-je de me rassurer.
Mais les battements de mon cœur refusaient de se calmer. Rien ne tournait correctement dans ma
tête, à la pensée de ma rencontre avec un représentant de la haute société, pour ne pas dire un
aristocrate. Moi qui n’étais qu’une fille de fonctionnaire, avec un diplôme en poche et quelques
économies dans un livret A pour seules richesses. C’était à se demander si je n’allais pas me mettre à
bégayer en adressant la parole à monsieur Stevenot. En de rares occasions, cela m’était arrivé.
Il était évidemment marié avec une femme de son rang, qui lui avait donné une portée de petits
enfants appelés à fréquenter de grandes écoles. Quant à moi, mes études, mes stages puis la création
de mon entreprise m’avaient totalement accaparée. Depuis les trois dernières années, ma vie n’avait
pas présenté le moindre interstice où un homme aurait pu se glisser. Les seules aventures que j’avais
connues remontaient au lycée. Après cela, ma vie amoureuse avait ressemblé à un erg du Sahara. Je
me comportais comme une femme active, essayant de bâtir une carrière réussie à la seule force de
son poignet, mais sentimentalement, c’était le désert. Je faisais fuir les hommes, dont la plupart
n’étaient sans doute pas intéressés par les femmes de caractère. Peut-être se trompaient-ils sur moi,
car j’essayais seulement de me tailler une place dans ce monde, et j’étais obligée d’y mettre les
moyens.
Je fermai les yeux pendant une seconde, puis remis ma voiture en route quand celle que j’avais
failli emboutir redémarra. Cette fois, c’était promis, j’allais faire un gros effort pour ne pas
transformer ma modeste Peugeot en une sculpture semblable aux compressions de César. Je ne
dépassai pas les cinquante kilomètres par heure et ma vitesse n’augmenta que légèrement quand je
quittai la ville de Monptellier. La beauté du paysage m’aida à m’apaiser. Il faisait chaud et le ciel était
d’un bleu à peine voilé. Les arbres s’étaient couronnés de leurs fourrures vertes.
Je passai sans dommage les deux ronds-points qui me séparaient du village de Grabels, que je
traversai de part en part, puis je passai de l’autre côté de la Mosson pour entrer dans la zone
pavillonnaire. J’arrivai à trouver le bon chemin après une petite hésitation. Quand ma voiture s’arrêta
devant le portail de mon client potentiel, je me demandai si je devais sortir pour m’annoncer, mais il
s’ouvrit tout seul. Une caméra montée sur l’un des côtés me regardait de son œil de verre.
Ma Peugeot s’avança sur une allée goudronnée jusqu’à une maison de style contemporain, presque
futuriste, qui m’arracha une exclamation. Plus qu’une villa, c’était un château à la mode du vingt et
unième siècle. Et c’était cela que j’allais devoir aménager ! J’eus du mal à y croire. Dès sa
construction, sûrement très récente, ses pièces avaient dû être aménagées de manière à plaire à leur
propriétaire. Tout autour, s’étendait un jardin où l’on voyait la main d’un paysagiste. Ce monsieur
Stevenot était un esthète.
J’arrêtai ma voiture non loin d’une porte blanche et coupai le contact. Je me retrouvai garée à côté
d’une Jaguar, ce qui ne m’étonna pas du tout. Enfin, si... Cette voiture aurait pu être une Ferrari ou une
Lamborghini. Mais peut-être y en avait-il dans un garage, de l’autre côté de cette villa.
La porte s’ouvrit pendant que je sortais de ma Peugeot, mais pas toute seule. Elle était mue par un
homme dont il me fut impossible de déterminer l’âge. Je pus seulement le juger mûr. Son agréable
visage au profil grec, aux sourcils assez fournis, était encadré par une chevelure noire et frisée. Il
portait une chemisette beige et un pantalon noir aux plis nets, et il avait des sandales d’intérieur.
Ses vêtements ne montraient pas grand-chose de son corps. Pourtant, je sentis un puissant parfum
de virilité émaner de lui, et l’on ne peut pas vraiment dire que j’y fus indifférente. Le seul fait de le
regarder eut un effet alchimique sur moi, comme si j’avais été métamorphosée en un être voué à sa
contemplation. Je ne perçus aucune morgue en lui. Il se comportait comme un homme simple, et
cependant avec cette tranquille assurance que j’appréciais chez les représentations de la gent
masculine. Cette même assurance que j’avais entendue au téléphone, sans l’avoir interprétée
correctement.
Je levai ma main pour serrer la sienne. Je reçus comme une décharge électrique qui faillit me faire
tressauter.
« Edwige Steinmetz, déclarai-je en faisant un effort surhumain pour contrôler ma voix. Je suis
venue pour...
— Oui, je sais. Entrez. Je vais vous faire visiter mon intérieur. »
Il ne m’avait pas interrompu : c’était moi qui n’avais pas pu terminer ma phrase.
Passée l’entrée, je me retrouvai dans une immense salle de séjour, qui devait bien occuper la moitié
du rez-de-chaussée. Les trois canapés en cuir blanc entourant la table basse pouvaient facilement
accueillir une quinzaine de personnes, et il y en avait d’autres contre les murs. Un large écran de
télévision était encastré dans l’un d’eux, mais il y avait aussi de quoi lire.
Malgré le luxe de cette pièce, je me sentis plus à l’aise car j’étais dans mon élément. J’évaluai tout
d’un rapide coup d’œil professionnel et déclarai :
« Cette salle de séjour me semble parfaite. Je ne vois pas bien ce que vous voulez y changer, si c’est
bien de cette pièce dont il s’agit.
— Je veux tout changer, répondit Stevenot. Je prendrais même une autre maison si je n’étais pas
tellement attaché à celle-ci.
— Il faudra que vous m’expliquiez votre projet.
— Oui, je le ferai, mais asseyez-vous un moment et mettez-vous à l’aise. Vous voulez boire
quelque chose ?
— Euh... oui, une boisson fraîche. Du jus du fruit ? »
J’aurais pu lui réclamer l’un de ces cocktails savants dont j’arrivais à peine à retenir les noms,
mais j’avais voulu me présenter comme ce que j’étais : une personne simple.
Stevenot ne s’en étonna pas et poursuivit :
« Du jus d’orange ?
— Oui, cela me convient très bien. Merci. »
Il se dirigea vers un bar tandis que je m’installai sur un canapé et posai mon attaché-case à côté de
moi. Je croisai les jambes et tirai ma robe sur mon genou. C’était un vêtement simple mais élégant, de
couleur noire avec une ceinture métallique. Il avait l’avantage d’être adapté à toute circonstance.
J’avais ainsi pu entrer dans cette villa sans trop y détonner.
« Vous êtes célibataire ? questionna Stevenot en continuant à me tourner le dos.
— Pardon ?
— Je pense m’être expliqué clairement.
— Excusez-moi, mais je ne vois pas le rapport avec mon travail.
— Il y a en a pourtant un. Aménager une maison, c’est rentrer dans l’intimité de ses habitants. Vous
ne pourrez accomplir correctement votre travail que si vous savez qui je suis, et j’aimerais que ce
soit réciproque.
— Mieux vous connaître, cela me semble en effet nécessaire, mais pour la réciproque, je ne vois
pas. Ce que je ferai quand je rentrerai chez moi, cela ne vous regarde pas. Sauf la préparation des
plans pour votre maison. »
Sans me répondre, il revint vers moi en tenant deux verres de jus d’orange, les posa sur la table à
s’assit sur un autre canapé, à ma gauche.
Cet homme était énigmatique. Il avait eu raison de me dire que je devais me renseigner sur lui
avant d’entamer ma tâche. Et d’abord, vivait-il seul dans ce mini palace ? C’était une situation à
prendre en compte.
Il darda vers moi une paire d’yeux marron qui agit comme un jet de flammes. Il me serait difficile
de le regarder en face sans défaillir. Mon attention se porta plutôt sur sa chemisette, dont le bouton du
haut était défait et laissait voir une peau bronzée. Malgré moi, je m’imaginai élargir l’ouverture et
tâter ses pectoraux.
« Vous pouvez ne pas répondre à ma question, dit-il, mais je suis sûr que c’est oui.
— Pourquoi ?
— J’ai appris à jauger les gens. C’est surtout en cela que consistait mon activité, quand j’en avais
une.
— Laquelle était-ce ?
— Diriger une équipe. Faire du management, comme on dit plutôt.
— Je ne vous imagine pas autrement que comme un P.D.G..
— Mon père en était un. Je suis l’héritier d’une grande famille. Puisque vous ne semblez pas
connaître les Stevenot, c’est que vous n’êtes pas d’ici.
— En effet.
— Posez-moi donc des questions et je vous répondrai.
— Pourquoi avez-vous parlé de votre père au passé ?
— Parce qu’il est mort.
— Ah !... Euh... Et vous avez repris sa société ?
— Non. Elle a été rachetée par le groupe LVMH. J’en suis un actionnaire minoritaire.
— Vous ne dirigez plus personne ?
— Non, j’ai arrêté de travailler. Quand on dispose de quelques dizaines de millions d’euros, ce
n’est pas une nécessité. J’occupe mon temps à des actions de mécénat, histoire de me rendre utile.
— Mécène d’art contemporain ?
— Oui, mais pas seulement. »
J’avais remarqué les tableaux accrochés aux murs et la sculpture sur son socle.
Impassible, Stevenot attendait la suite de mes questions.
« Êtes-vous marié ?
— Je suis veuf.
— Oh ! J’en suis désolée pour vous. Cela fait deux drames.
— Que je songeasse à la vanité des grandeurs humaines parmi ces tombeaux dévastés. Savez-vous
de qui est cette citation ?
— Non.
— Elle est de Chateaubriand et je l’adore. J’ai songé à la faire graver sur un mur. Elle me
fournirait un sujet quotidien de méditation. »
Mon regard sur Stevenot n’était plus le même. Il avait perdu son aura de riche pour n’être plus
qu’un homme malmené par la vie.
« Ne soyez pas trop compatissante, dit-il. Sylvie était avant tout la mère de mes deux enfants et une
femme très belle. Elle a été miss Languedoc. Vous devinez que nous nous sommes rencontrés durant
l’une de ces soirées mondaines dédiées à la charité. Nous nous sommes mariés, elle pour ma fortune,
moi pour sa beauté. Elle avait du reste une excellente éducation, du bon goût, et c’est elle qui a
aménagé cette maison. Alors pour moi, c’est comme si elle était partout présente, bien que n’étant
plus de ce monde.
— Je vous comprends. Vous voulez tout changer parce que cet intérieur vous évoque trop votre
épouse.
— Et aussi, tout simplement, parce qu’elle n’est plus là. Je reçois beaucoup moins de visites
qu’avant. Sylvie était une personne plus sociable que moi.
— Et vos enfants ?
— Ils viennent de temps en temps. Je les ai confiés à ma sœur. Ne croyez pas que je ne les aime pas.
C’est simplement qu’ils seront mieux éduqués chez elle que chez moi. Pour parler franc, il me
faudrait une compagne. »
Un ange passa. Stevenot prit son verre pour le porter à ses lèvres et je l’imitai.
Du liquide frais et légèrement acide coula sur ma langue puis dans ma gorge en m’apportant une
bouffée de bien-être. Tout en nous hydratant, nous continuions à nous jauger derrière nos verres.
« Vous en trouverez une, affirmai-je après avoir passé ma langue sur mes lèvres. Avec votre
situation, ce n’est pas difficile.
— Oui, j’ai en ce moment de très jolies jeunes femmes suspendues à mon cou mais elles ne me
tentent pas. Je parle au sens figuré, bien sûr.
— Vous ne saisissez pas l’occasion pour tirer vos coups ?... Euh, excusez-moi de mon langage.
C’est parti tout seul.
— Non non, vous pouvez parler avec sincérité ! J’adore cela.
— Vous aimez les femmes ?
— En parlant d’un homme hétérosexuel, c’est un pléonasme.
— Vous avez beaucoup d’amantes ?
— Pas autant que vous ne le pensez. En ce moment, je n’en ai aucune. Je préfère les femmes qui ont
de la personnalité, qui sont indépendantes, entreprenantes. »
Tandis qu’il parlait, son regard glissait sur mon corps, de ma tête à la partie dénudée de mes
jambes, jusqu’à mes sandales à talons. Il admira probablement les ongles teints en rouge de mes
orteils.
« Pourquoi votre compagne devrait-elle être indépendante ? m’enquis-je.
— Parce que son tempérament s’accorderait avec le mien.
— Vous êtes un loup solitaire ?
— Pourquoi parlez-vous de loup ? Mes dents sont si longues que cela ? »
Comme sa réponse fut accompagnée d’un large sourire, je pus vérifier que sa dentition ne
comportant aucun croc. Elle était blanche et régulière.
« Non, mais vous ne paraissez pas avoir peur de la solitude, répliquai-je.
— C’est exact. Je ne suis pas un grand mondain.
— On s’imagine plutôt que les gens de la haute société vivent comme cela. N’avez-vous pas
rencontré votre épouse lors d’une soirée mondaine ?
— C’est exact, mais il me faut également des périodes de contemplation.
— Vous n’êtes donc pas gêné de vivre seul dans cette grande maison ?
— J’apprécie d’y passer certains moments seul.
— Mais vous appréciez également la compagnie de jolies femmes, non ? Je ne suis pas convaincue
que notre conversation soit consacrée au travail.
— Vous êtes perspicace, fit Stevenot en souriant encore. Je suis heureux de trouver une jeune
femme aussi belle que vous. Bien entendu, je ne savais pas comment vous étiez quand je vous ai
téléphoné, alors je suis agréablement surpris de découvrir une si charmante personne.
— Fagotée dans une robe à vingt-cinq euros. J’imagine que vous êtes habitué à mieux.
— Pourquoi cherchez-vous à vous diminuer ?
— C’est peut-être une manière de répondre à vos assiduités. Je n’ai pas très envie d’être accrochée
sur votre tableau de chasse entre deux blondes à forte poitrine. À quand remonte le dernier passage
d’une femme dans votre lit ? À hier ou avant-hier ? Ou à ce matin ? »
Stevenot émit un léger rire.
« Je vous concède que j’ai des relations occasionnelles, répondit-il. Seulement occasionnelles,
puisque je n’ai pas trouvé celle qui remplacera ma défunte épouse.
— Et vous pensez que je pourrais l’être ?
— Cela me semble possible. »
Il reprit son verre pour le vider. Je le regardai faire sans toucher au mien.
« Alors après quelques minutes de conversation, nous voilà déjà fiancés ?
— Parlez-moi sincèrement, voulez-vous ? Vous commencez à me connaître un tout petit peu.
N’êtes-vous pas tentée de me fréquenter de manière un peu intime ? »
Oui, j’étais tentée... au moins d’un point de vue purement physique. Cet homme m’envoûtait.
Affirmer le contraire aurait été mentir.
« Je lis la réponse sur votre visage, dit-il. Quant à moi... »
Il se leva subitement, si bien que je pus voir un renflement relativement prononcé sous sa ceinture.
J’en restai un court instant tétanisée et je crus qu’il allait ouvrir sa braguette sous mes yeux, mais il
mit seulement ses mains dans ses poches, comme pour se donner un air décontracté.
« Je vous propose de visiter le reste de ma maison, déclara-t-il.
— Vous changez de sujet pour éviter de répondre à ma question.
— Laquelle ?
— Sur la fréquence de vos rapports.
— Elle n’est pas très élevée. J’aime coucher avec de jolies filles et je le fais de temps en temps,
mais elles veulent toutes s’attacher à moi alors que je ne le souhaite pas. C’est gênant.
— Combien de fois par semaine ?
— Cela dépend. Certains moments de solitude durent plusieurs jours, une semaine, voire plus.
— Mais je vois que cela vous met en manque. »
Mon regard est fixé sur sa protubérance.
« Peut-être... admit-il. Mais je peux me maîtriser. Venez. Je vais simplement mon montrer ma
piscine.
— Votre piscine ? Pour quoi faire ?
— À votre avis ? Venez. »
Stevenot passa juste devant moi, en frôlant mes genoux, puis il se dirigea vers une porte vitrée
pour l’ouvrir. Je me décidai à me suivre.
J’avoue que l’intérieur de mes cuisses était humide, à cause de son intention non dissimulée de
faire de moi sa future amante. Elle répondait au désir que je ressentais pour lui. Cet homme n’était pas
d’une très grande beauté mais il avait un magnétisme irrésistible. Je sentais une force et une odeur
féline émaner de son corps, qui éveillaient les plus animaux de mes instincts.
En franchissant la porte vitrée, je plissai les yeux. Mes pas me conduisirent sur une terrasse
orientée plein sud, recouverte de dalles claires, au milieu de laquelle une grande piscine avait été
creusée. Elle était remplie d’une eau bleue limpide qui me donna sérieusement envie d’y plonger.
Plusieurs chaises longues étaient alignées du côté gauche.
« Je vous propose un moment de détente, pour que vous vous sentiez chez vous, déclara Stevenot.
Prenez un bain et allongez-vous sur l’une de ces chaises pour faire un peu de bronzage.
— Mais qu’est-ce qui vous prend ? m’étonnai-je.
— Je veux que cette maison devienne la vôtre. Vous pourrez ensuite me dire ce qui ne convient pas
et la réaménager à votre manière...
— Et vous voulez commencer par la piscine ?
— Pourquoi pas ? Il n’y a pas que l’intérieur qui compte. Et je vous propose une manière originale
d’associer le travail au plaisir. »
Stevenot avait beaucoup appuyé sur le dernier mot. Il revint sur ses pas, vers la porte vitrée.
« Comment pourrais-je me baigner ? demandai-je. Je n’ai pas de maillot de bain.
— Vous pouvez très bien vous passer de maillot. Je vais vous laisser seule ici et j’éviterai de vous
regarder.
— Je peux vous croire ?
— Cela fait partie du jeu, répondit Stevenot avec un sourire énigmatique. Vous pourrez ensuite
revenir dans le salon mais vous ne m’y trouverez pas. »
Il franchit la porte et la fermera derrière lui.
Ce mec est fou, pensai-je d’abord.
Puis après quelques instants de réflexion, je me dis que cet homme avait simplement une
conception de la vie différente de la mienne et de celle du commun des mortels, et qu’il l’assumait. Il
m’en avait montré un aspect, par cette citation de Chateaubriand. Prenant conscience de la vanité de sa
fortune, il pouvait en jouer.
Trois possibilités s’offraient à moi : quitter cette maison et fuir par la même occasion un client
prometteur, rester au bord de cette piscine pour transpirer en plein soleil sous mes vêtements, et
profiter de la situation en lui montrant qu’il ne m’était pas indifférent.
Mon choix étant fait, je défis la ceinture de ma robe, fis glisser celle-ci sur mes épaules et la posai
sur une chaise. Je n’eus aucune peine à dégrafer mon soutien-gorge et à faire glisser ma culotte, sur
laquelle je venais de faire une vilaine tâche. La petite coquine qui avait sommeillé en moi jusqu’à
notre rencontre se dit que si Stevenot m’observait en cachette, c’était un honneur pour moi. Je n’avais
pas à rougir de ce que j’étais, avec une taille frôlant les cent soixante-dix centimètres, une silhouette
normale avec de longues jambes, des rondeurs suffisantes pour exciter l’appétit des hommes.
C’était bien pour cette raison qu’il n’avait pas pu dissimuler son désir.
Mes longs cheveux étant attachés, il ne me restait plus qu’à délacer mes sandales pour rentrer dans
l’eau. Je marchai vers l’escalier pour y descendre progressivement. Sentir cette eau tiède épouser ma
peau fut un immense plaisir. Quand je fus immergée jusqu’à la poitrine, je commençai à effectuer des
brasses pour rejoindre l’autre bord. Je fis quatre longueurs avant de ressortir de la piscine par le
même escalier, mes seins humides se soulevant au rythme de ma respiration. Les gouttes d’eau
s’accrochaient également aux poils de mon aine, dont je n’avais pas pris soin puisque je n’avais pas
eu de relation sexuelle depuis longtemps. Les rayons du soleil faisaient briller ces petites perles.
J’étais heureuse, j’étais détendue et je désirais vraiment que Stevenot me vît. Je regardai les
fenêtres du rez-de-chaussée sans apercevoir son visage, mais peut-être se tenait-il derrière un rideau
de manière à ne pas être visible.
Je me dirigeai vers l’une des chaises pour m’y allonger. Le soleil commença aussitôt à chauffer ma
peau et à gommer son humidité. Je goûtai à ce plaisir divin les yeux clos et les jambes légèrement
ouvertes. Une moiteur subsistait entre elles, qui n’était pas due à mon bain. Après quelques minutes
d’alanguissement, je posai le bout de l’index sur mon sexe. Il se dirigea tout naturellement vers mon
bouton d’amour et entreprit de l’agacer, tandis que mon autre main chatouillait ma poitrine. En
procédant de la sorte, j’étais capable d’obtenir rapidement un orgasme.
La vie s’engouffre parfois dans des chemins de traverse totalement imprévus. Arrivée dans cette
maison pour établir un devis, me retrouvai toute nue au bord d’une piscine en train de me masturber.
Stevenot continuait-il à me regarder ? Il n’était toujours visible nulle part, mais j’étais certaine
qu’il ne ratait rien du spectacle. Devais-je aller jusqu’au bout ?
Non, il en avait assez vu.
Je sautai de ma chaise, remis ma culotte qui avait eu le temps de sécher, puis tout le reste de mes
vêtements ainsi que mes sandales. En quelques pas, je fus de nouveau dans le salon, que je trouvai
vide comme mon client me l’avait promis. Mon attaché-case était resté là où je l’avais laissé. Tout
aurait paru normal si le bout de mon index n’avait pas pris l’odeur de mon sexe.
Je partis à la découverte de cette villa, en désirant d’abord trouver la cuisine ou la salle de bains
pour rincer ce doigt coupable. Je découvris une superbe incarnation de la modernité, où aucun détail
n’était laissé au hasard. La défunte Sylvie n’avait pu aménager cela toute seule ; elle avait sûrement
fait appel à un architecte d’intérieur qui avait mis toute son expérience à son service. Les vieux
châteaux aux planchers usés par des milliers de pas et aux boiseries craquant dans le silence de la nuit,
ce n’était manifestement pas son élément. Même les escaliers avaient bénéficié du design le plus
élaboré. Il y en avait deux qui menaient au premier étage, un droit et un en colimaçon. Je pris le
second après avoir délaissé mes sandales et je trouvai le chemin d’une salle de bains comprenant
deux lavabos. Leur robinetterie n’était pas en or, et pourtant, tout était luxueux. Après avoir foulé une
épaisse moquette, mes pieds savouraient le toucher lisse de carreaux de granit. Il y en avait aussi sur
les murs, ainsi que plusieurs grands miroirs.
Après un lavage des mains, j’examinai mon visage dans l’un d’eux pour vérifier si ma coiffure et
mon maquillage étaient intacts. Ils l’étaient presque. La curiosité me poussa à ouvrir une armoire, où
je découvris tout ce dont les femmes avaient besoin. Le rouge à lèvres, le gloss, le fond de teint, les
crayons à sourcils, l’eye-liner, les mascaras, rien n’y manquait. Je me demandai qui utilisait ces
produits. Certains remontaient-ils à l’époque de Sylvie ?
Au fait, quand était-elle morte ? Je ne le savais pas.
Je refermai l’armoire sans avoir touché à rien et je quittai la salle de bains sans m’être retouchée,
puisque j’avais laissé mon sac avec ma trousse de maquillage au rez-de-chaussée. En traversant un
large couloir aux murs blancs ornementé de plantes, je dénichai la chambre de Stevenot. Je ne fus pas
surprise par ses grandes dimensions, ni par l’aquarium bleu marine qui ornait un mur, mais par un
poster monumental collé face au lit. Il représentait une femme vue de dos, exhibant une paire de
fesses somptueusement charnues entre lesquelles pointaient deux petites lèvres. Si cette photo avait été
faite avec art, elle était surtout très excitante. Il n’était pas difficile d’imaginer Stevenot allongé nu sur
son lit en se masturbant, perdu dans la contemplation de cette royale croupe. J’en vins à chercher des
traces de sperme sur son lit, sans en trouver aucune.
Je quittai la chambre assez troublée, alors qu’en fin de compte, il aurait fallu s’attendre à tout cela.
Mon exploration aboutit à un balcon aussi grand qu’une terrasse, orienté du côté nord, où mon client
était tranquillement assis sur une chaise, en train de lire un livre.
Il leva les yeux sur moi à mon arrivée et posa son livre sur une petite table à côté de lui.
« Alors, Edwige, vous connaissez à présent ma maison ?
— Oui, murmurai-je sans trouver mes mots.
— Je peux vous appeler Edwige, n’est-ce pas ? C’est un prénom que je trouve très beau et je veux
que nous soyons familiers. Asseyez-vous, je vous prie. »
Il me désigna un fauteuil en plastique en face du sien. Je m’installai dedans.
« Naturellement, vous pouvez m’appeler Denis, compléta-t-il.
— Denis, répétai-je.
— Alors que pensez-vous de votre tâche ?
— De laquelle ? De mon travail d’architecte d’intérieur ou de mon prochain statut de maîtresse ?
— Des deux. Ce n’était pas prévu quand je vous ai appelée, mais l’idée m’est venue au cours de
notre entretien. Je parle de refaire la maison à votre image.
— Afin que je puisse y vivre ?
— Pas forcément.
— Je ne vous comprends pas.
— Je souhaite qu’il s’établisse une relation libre entre nous. Dès que vous vous sentirez prête.
— Basée sur le sexe ? J’ai vu le poster dans votre chambre.
— Qu’a-t-il de surprenant, chez un amateur de femmes ?
— J’ai encore beaucoup de mal à cerner votre personnalité et à voir ce que vous attendez
réellement de moi. De notre avenir...
— Je suis un sybarite. Un homme qui jouit des plaisirs de la vie de manière raffinée. Je le fais sans
honte parce que je sais qu’elle est fragile. La jeunesse et la beauté ne durent qu’un temps. Si vous
partagez ma philosophie, nous avons assez de points communs pour nous entendre.
— Ça me semble encore trop léger.
— Je ne suis ni un loup ni un renard. Je vous ai dit ce que je fais avec ma fortune et vous en avez
une illustration dans cette maison. Je n’utilise pas mon argent pour spéculer sur les marchés
financiers, bien que je ne le laisse évidemment pas dormir. Je m’efforce de faire des investissements
utiles.
— Bienfaiteur de l’humanité ?
— Je n’ai pas cette prétention. Je ne me définis pas comme un saint. Avec mon goût pour les belles
femmes, ce serait difficile. »
Denis me rendit momentanément coite. Il venait de me rappeler qu’il était avant tout un homme
ayant perdu la femme de sa vie, après le décès de son père, et que notre attirance était réciproque.
Oui, l’idée de vivre avec lui m’émoustillait.
« Je vais y réfléchir, répondis-je pourtant.
— Faites donc, ma chère. Je ne tiens pas à vous bousculer. »
Je me levai contre ma volonté et nous descendîmes ensemble au rez-de-chaussée. Jusqu’au moment
où nous fûmes devant ma voiture, il se conduisit avec la plus parfaite courtoisie. Pour notre
séparation, il évita de me tendre la main, et plus encore de me faire la bise.
« Rappelez-moi quand vous le voudrez, que ce soit pour accepter ou rejeter mon offre, dit-il.
— Je le ferai. »
C’est ainsi que je pris le chemin du retour... En me demandant s’il ne serait pas plus raisonnable de
faire demi-tour pour me jeter dans les bras de Denis et lui ouvrir mes cuisses. J’étais dans un état pire
qu’à l’aller. Mon corps me trahissait. Cet homme était tout simplement le plus parfait des séducteurs,
doté d’un magnétisme à faire fondre un iceberg. Il n’y avait aucune femme qui ne pût craquer devant
lui.
Tout en me traitant de conne, je continuai à m’éloigner de lui, mais avec encore plus de prudence
qu’à aller. Derrière moi, une voiture me fit des appels de phares car je ne roulais pas assez vite.
J’arrivai cependant à tenir jusqu’au parking de mon immeuble. Je m’engouffrai dans mon
appartement pour me laver et me changer, puis je m’installai devant mon ordinateur de bureau.
Chaque seconde de son démarrage me parut durer une éternité, et si j’avais été encore un peu plus
nerveuse, la malheureuse machine aurait été réduite en morceaux. Enfin, la fenêtre de recherche de
Google apparut sur l’écran et je m’empressai d’y taper le nom de Denis Stevenot. J’avais négligé de
le faire auparavant, l’ayant pris pour un client à peu près normal.
La première chose qui m’apparut fut sa discrétion. Les informations que je trouvai sur lui étaient
dispersées et parcellaires. J’appris que son père s’appelait Laurent Stevenot et que son entreprise
fabriquait des produits de luxe, ce qui lui avait valu d’être rachetée par LVMH. Je vérifiai également
que les Stevenot étaient l’une des plus anciennes familles de Montpellier. Mais dans les actions de
mécénat, le prénom de mon futur amant était tout juste mentionné.
Il me fut plus facile de trouver cette Sylvie qui avait été miss Languedoc. Mon regard s’arrêta
longuement sur les photos d’une grande brune au sourire étincelant, bien plus belle que moi. Je la
considérai comme une rivale malchanceuse. Un article de presse disait qu’elle avait été victime d’un
accident de voiture qui l’avait laissée entre la vie et la mort, mais pas qu’elle était morte. Je ne trouvai
rien sur son enterrement, sans doute parce qu’elle était restée dans le coma assez longtemps pour que
la presse se désintéressât de son sort. Disons qu’elle avait disparu.
Cela s’était passé il y avait un peu moins de deux ans.
Ces quelques informations me laissèrent songeuse. Comment Denis n’avait-il pu trouver aucune
femme en deux ans, avec toutes ces créatures qui s’accrochaient à ses basques ? La perte de son
épouse l’avait-il affecté plus profondément qu’il ne voulait le reconnaître, si bien qu’il refusait de
mettre fin à son deuil, qu’il ne voulait pas s’engager dans une relation stable ? C’était bien ce qu’il
m’avait dit : il voulait une relation libre.
Je ne serais ni sa nouvelle épouse, ni la mère de substitution de ses enfants. À moins, bien sûr, que
l’amour ne s’ajoutât au désir sexuel.
J’eus envie d’en discuter avec le petit groupe d’amies qui m’étaient très proches, mais je les
connaissais assez bien pour savoir qu’elles me conseilleraient de tenter l’expérience. Devenir
l’amante d’un riche héritier, pourquoi pas ? Le risque était de m’enticher sérieusement de lui alors
qu’il continuerait à me considérer comme une amie doublée d’une compagne de débauche.
Machinalement, je me connectai sur Facebook. La première chose que je vis fut une demande
d’amitié de... Denis Stevenot. Je l’acceptai, et dans la seconde qui suivit, je reçus un message :
« Alors, Edwige, avez-vous réfléchi à ma proposition ? »
Je m’empressai de taper sur mon clavier :
« Ça fait un peu court.
— Et que vous a dit Google à mon sujet ?
— Comment savez-vous que j’ai fait des recherches sur vous ?
— C’est ce que tout le monde fait, non ?
— Vous avez raison. J’ai également fait des recherches sur Sylvie Ricault. C’est bien comme cela
qu’elle s’appelait ?
— Oui.
— L’aimez-vous toujours ?
— Le temps du deuil est passé, si c’est ce que vous voulez savoir. Je ne joue pas les veufs éplorés.
Au cours de ces deux années, j’ai tourné la page. »
Comme je ne sus plus quoi écrire, mes doigts restèrent suspendus au-dessus du clavier.
« Puis-je vous inviter à une soirée privée ? reprit Denis.
— Qu’appelez-vous privée ?
— Ne jouez pas les naïves, Edwige. Vous m’avez compris.
— Que connaissez-vous réellement de moi ? Si vous avez fait des recherches sur Google, vous
n’avez rien dû trouver, à part le site Web de mon entreprise.
— J’en sais plus sur vous que vous le croyez. »
L’instant d’après, une photo s’afficha sur mon écran, celle d’une jeune femme nue en train de
descendre dans une piscine, tout auréolée de soleil, exhibant une jolie paire de fesses.
J’en fus estomaquée, puis je me repris :
« Quel culot !
— Je vous ai dit que cela faisait partie du jeu.
— Vous m’avez promis de ne pas me regarder.
— Je ne vous ai pas promis de ne pas vous photographier. Les quelques clichés que j’ai pris en
disent long sur votre tempérament. Vous êtes le genre de fille que j’aime, Edwige. »
La seconde photo qui apparut fut celle de la même jeune femme allongée sur une chaise, dans une
posture assez impudique, l’index posé sur son clitoris au milieu de sa touffe de poils.
« Une fille chaude, poursuivit Denis implacablement. Je devine que vous avez consacré ces
dernières années à vos études et à la création de votre entreprise, et j’en suis admiratif, mais je pense
avoir réveillé vos instincts primaires. J’en suis heureux car une jolie fille comme vous devrait
également se consacrer au plaisir.
— Dites-moi la vérité. C’est pour me photographier toute nue que vous m’avez conduite à la
piscine ?
— C’est la vérité. Remarquez que je n’ai pas eu besoin d’insister et que votre masturbation n’était
pas au programme. »
De nouveau, je me retrouvai à court d’argument. Il enfonça le clou :
« Je suis persuadé que si je vous avais rejointe à ce moment-là, vous m’auriez bien accueilli. Ai-je
raison ?
— Peut-être.
— Alors venez ce soir après le dîner, vers neuf heures. Et apprêtez-vous à passer la nuit chez moi.
— Pourquoi êtes-vous aussi sûr que je suis prête à coucher avec vous ?
— Je vois trop bien que vous en avez envie. Il me reste à vous convaincre que je suis un homme
inoffensif. J’aurais pu vous rejoindre au bord de la piscine ; je ne l’ai pas fait. Je pense que beaucoup
d’hommes ne se seraient pas gênés.
— Mais c’est pour me convaincre de vous rejoindre dès ce soir.
— Je vous laisse libre d’accepter ou de refuser ma proposition. Vous pouvez également me
retrouver un autre jour, pour une nouvelle conversation et une autre séance de bronzage. Mais j’ai
une raison particulière de vous retrouver ce soir.
— Laquelle ?
— Vous la verrez en arrivant sur place. »
Il y eut un nouveau silence de ma part.
« J’arrête d’insister, écrivit-il. Je vais me déconnecter.
— Non. Je viens.
— Vous êtes sûre ?
— Oui. Il ne faudra pas que la soirée se termine à cinq heures du matin, parce que je travaille.
— Ne vous inquiétez pas. La soirée sera courte mais inoubliable.
— Si vous le dites...
— Cela vous gênerait-il de vous raser un peu le sexe ? Je ne vous demande pas de le faire
complètement, mais d’y faire une éclaircie, pour qu’il soit bien visible.
— Au moins, vous êtes explicite.
— Vous l’étiez tout autant quand vous écartiez vos jolies cuisses cet après-midi. À quoi pensiez-
vous alors ?
— Je voulais m’offrir un petit plaisir.
— Tss tss. Vous pensiez à moi. Je le sais.
— Suis-je aussi transparente ?
— Vous aviez mis votre culotte au soleil pour la sécher, ma chère. Sur ce, je vous laisse et j’espère
vous retrouver ce soir. »
Quand Denis se fut déconnecté, je regardai son profil, mais il était vide parce qu’il venait de créer
son compte, apparemment juste pour communiquer avec moi.
Je me déconnectai sans avoir rien posté sur mon mur. Je ne me serais pas vue écrire : « Ce soir, me
vais me faire enfiler par un client que j’ai rencontré tout à l’heure ». Cela n’aurait pas fait très
sérieux. À la rigueur, je pouvais changer ma situation de « célibataire » à « en couple », mais pour
savoir si je pouvais faire un vrai couple avec Denis, il faudrait attendre un peu. Pour le moment, il
était évident que notre relation se limiterait à des parties de jambes en l’air.
La discussion avait été chaude. Je sentais de nouveau cette moiteur traîtresse entre mes jambes.
Je restai un long moment immobile devant l’écran de mon ordinateur, à méditer sur mon
comportement, à me demander si je ferais mieux de rester tranquillement chez moi, bien au chaud
dans ma vie de célibataire.
Mais tu ne sauras jamais ce que tu auras raté si tu n’y vas pas, me dis-je.
Il n’était que cinq heures de l’après-midi. Quatre heures avant ce rendez-vous.
Je ne pouvais pas les passer en retournant toutes ces questions dans ma tête. Je décidai de les
consacrer à mon travail. Je complétai le plan en 3D d’un logement que j’étais en train de concevoir
pour un jeune couple, puis je me levai afin de préparer mon dîner. Denis ne m’avait-il pas invité à un
repas commun parce qu’il ne savait pas cuisiner ? Avec une cuisine aussi belle que la sienne, ç’aurait
été dommage. Ou peut-être voulait-il que cette soirée fût entièrement dédiée au plaisir, sans table à
débarrasser ni vaisselle à faire.
À la fin de mon repas, je m’assis nue sur une chaise et j’entrepris une épilation soignée de mon
sexe, en laissant quelques poils au-dessus, de manière aussi élégante que possible. C’était une tâche
impossible à faire sans badigeonner mon rasoir et mes doigts de secrétions glissantes, car mon corps
se comportait comme une outre d’huile percée. Je savais que j’étais une femme qui mouillait
beaucoup, sans être une fontaine. Denis avait eu raison de me dire que je devais consacrer plus de
temps au sexe. C’était un plaisir que j’avais déjà connu et que je n’avais pas regretté. Mes premières
relations s’étaient très bien déroulées, mais la vie m’avait séparée de mes premiers amants.
Je décidai de mettre la plus belle de mes robes, très colorée, sexy également car elle ne couvrait
qu’une partie de mes cuisses. Je ne mis aucun sous-vêtement, puisque j’allais me rendre chez Denis
dans le seul but de me les faire retirer, pour ne pas dire arracher.
Comme nous étions en mai, les journées s’étaient beaucoup allongées et le soleil brillait encore,
malgré un certain rougissement. J’enfournai quelques affaires de toilette dans mon sac et quittai mon
appartement en faisant attention à bien refermer la porte. Une dernière fois, je me demandai dans quel
navire j’étais en train de m’embarquer, puis je chassai mes inquiétudes. Si l’on veut faire avancer sa
vie, il faut parfois prendre des risques.

***

Devant la maison de Denis, j’eus la surprise de trouver deux voitures. Une soirée intime avec des
invités, à quoi cela pouvait bien ressembler ? L’un de ces véhicules était une Mercedes de gamme
moyenne, l’autre était comparable au mien, sans doute acheté d’occasion. Cette fois, je dus sonner à la
porte.
Denis m’ouvrit, vêtu comme dans l’après-midi. Un sourire de satisfaction fendit son visage.
« Je vois que tu t’es fait une beauté, constata-t-il.
— Oui », marmonnai-je.
Il se pencha sur moi pour déposer un gros baiser sur une joue, qui se répercuta en une profonde
secousse dans ma poitrine, puis il me guida vers le salon en posant une main sur mon dos. Un couple
était assis dans l’un des fauteuils.
« Je te présente Ileana et Bruno, déclara-t-il. Ce sont mes invités de ce soir. »
Et en se tournant vers eux :
« Edwige, ma nouvelle compagne. »
Il me poussa vers ses invités surprises. Bruno devait être un homme d’une trentaine d’années, au
visage agréable et jovial, pourvu d’une chevelure noire. Quant à Ileana, c’était une blonde incendiaire
aux jambes bronzées et interminables, terminées par des sandales aux lanières dorées et aux talons
d’une dizaine de centimètres. Sa robe aussi petite qu’un mouchoir recouvrait à peine des seins
semblables à des ballons, dont de gros mamelons qui soulevaient le tissu. C’était une bombe sexuelle
dans toute sa splendeur.
Bruno se leva immédiatement pour me donner un baiser qui tomba pratiquement sur ma bouche,
tout en posant une main sur mon épaule dénudée. Je crus qu’il allait m’attirer à lui.
« Tu es charmante, Edwige, me complimenta-t-il. Denis a du goût. Je sens que nous allons passer
une excellente soirée. »
Je fus tétanisée, en comprenant dans quoi j’avais mis les pieds.
« Toi aussi, tu fais la pute ? me demanda Ileana avec un accent étranger à couper au couteau.
— Pas exactement, répondit Denis. Je suis son client, mais pas dans ce sens. Elle va refaire ma
maison.
— Architecte ?
— Oui, c’est cela.
— Oh ! … Mais belle femme. Elle a déjà baisé ? Elle aime avaler sperme ?
— Je ne le sais pas encore, répondit Denis. Cependant, je peux t’assurer qu’elle est très chaude.
Viens, ma chérie. »
Denis me prit par la main et me fit asseoir en face de ce couple manifestement improvisé. Ileana
écarta les jambes pour nous montrer une vulve aux lèvres épaisses et fripées, tandis que Bruno lui
caressait la cuisse gauche.
« Ileana vient de Roumanie, expliqua-t-il. Elle travaille comme escort. Nous allons la regarder
faire l’amour avec Bruno. Cela va nous motiver. »
Je restai muette et serrai les cuisses.
« Je t’ai préparé un mojito, poursuivit-il. Est-ce que cela te convient ?
— Oui.
— Je te l’apporte. »
Denis se leva pour rejoindre le bar. Il y avait aussi quelques friandises posées sur la table, à
grignoter, mais je me doutai que personne n’y toucherait. La main droite de Bruno était occupée par
tout autre chose. Elle caressait à présent le sexe de sa compagne, bien que son regard fût fixé sur moi.
« Pourquoi tu n’ouvres pas les jambes ? me demanda-t-il. Il faut se mettre à l’aise. Tiens, regarde. »
Il se leva, défit sa braguette et en sortit un phallus bien plus long que ma propre main, qu’il
décalotta. Son gland humide et rouge réfléchissait les lumières du salon. Il se rassit et laissa Ileana
s’emparer de son membre.
« Ma bite te plaît ? demanda-t-il.
— Oui.
— Toi, tu as des jambes superbes et je parie qu’entre elles, il y a une chatte à croquer... Allons, ne
fais pas la timide ! »
Tandis qu’elle continuait à serrer le phallus de Bruno dans sa main gauche, elle écarta encore plus
les jambes pour insérer deux doigts dans son vagin. Je pus distinguer son clitoris.
Denis revint avec un verre qu’il posa devant moi. Il se rassit ensuite à côté de moi. Avec un
mélange de tendresse et d’autorité, il ouvrit mes cuisses.
« Waouh ! s’exclama Bruno et dardant son regard vers mon intimité.
— Elle mouille, remarqua Ileana.
— Je vous l’avais dit, déclara Denis. Cet après-midi, elle s’est baignée nue dans ma piscine et s’est
masturbée. »
À son tour, il ouvrit sa braguette. En découvrant son outil de copulation, je compris pourquoi il
avait du mal à cacher ses érections. Ses dimensions ne le lui permettaient pas, et il était d’une dureté
de brique. Je jugeai cependant qu’il pouvait rentrer dans mon vagin sans y causer de dégât. Ce fut à
mon tour de poser la main sur sa virilité, avec fascination.
« Tu vois, tu es une cochonne, murmura-t-il.
— Je ne sais pas si l’on peut dire cela.
— Ces mots servent à te désinhiber. Regarde comment Ileana va sucer Bruno. »
La Roumaine s’agenouilla sur le canapé sans retirer ses sandales, mais en faisant glisser les
bretelles de sa robe pour dégager ses seins. Elle avait des mamelons parfaits, ronds comme des
grains de raisins secs. Pendant qu’elle se mettait en position, Bruno se débarrassait de son pantalon et
de son slip. Ses testicules étaient enveloppées dans de volumineuses bourses totalement épilées.
Ileana se pencha sur son sexe pour en avaler le gland, ses lèvres arrondies. Comme elle ne s’était
pas placée devant Bruno mais à sa droite, je pouvais regarder tout ce qu’elle faisait. On voyait que
c’était une professionnelle de la fellation. Elle suça et masturba vigoureusement le pénis de son client,
tandis que celui-ci rejetait la tête en arrière, sur le dossier du canapé, en marmonnant des paroles
inintelligibles ponctuées par des « Ah ! » et des « Oh ! ».
J’observais la scène à la fois éberluée et excitée, la main toujours refermée sur le pénis de Denis.
« Tu pourras me sucer comme cela ? s’enquit-il.
— Je ne sais pas.
— C’était juste une question. Je ne te demande pas de le faire. Le rôle d’Ileana est de donner du
plaisir à Bruno. Elle est payée pour ça.
— Et moi, qu’est-ce que je devrai faire ?
— Ce qu’il te plaira. »
Bruno libéra son sexe, se mit debout, retira son tee-shirt et resta immobile, son phallus dressé. Sans
enlever sa robe, réduite à une ceinture froissée autour de sa taille, Ileana se plaça à genoux devant lui
et recommença sa fellation, d’une manière différente. Cette fois, elle avalait beaucoup plus
profondément le phallus de son client, en procédant par à-coups. Vu la longueur de l’engin, je n’avais
pas cru que ce fût possible. Il devait lui rentrer dans le fond de la gorge en menaçant de l’étouffer,
mais elle savait s’y prendre.
« On dirait qu’elle fait ça tous les jours, ne puis-je m’empêcher de dire.
— C’est presque la vérité. Lâche ma bite, s’il te plaît. Nous allons nous déshabiller. »
Denis fit lui-même glisser ma robe sur mon buste, puis me poussa à me mettre debout pour la faire
tomber à terre. Je le sentis me caresser les fesses, puis enlever ses habits. Il referma ses mains sur
mon ventre pour me ramener vers lui. Je retrouvai assise contre lui, son phallus pressé contre le bas
de mon dos, nos jambes emmêlées. Les siennes étaient légèrement poilues. Je les caressai
amoureusement.
À présent, Bruno avait pris la tête d’Ileana entre ses mains pour enfoncer son sexe dans la bouche
et l’en retirer à un rythme qui allait en s’accélérant. Il s’arrêta, se masturba pendant quelques
secondes, puis un jet de sperme fusa et s’étala sur le visage de la jeune femme. Il y en eut un
deuxième, puis un troisième plus faible. Ileana avait de la semence partout, dans les yeux, sur le nez,
autour de la bouche. Des stalactites fluides se formèrent sous son menton et tombèrent sur ses seins.
Sans être gênée par cette souillure, elle prit la verge de Bruno pour la sucer encore et avaler quelques
gouttes de cette substance visqueuse. Elle lui lécha consciencieusement le gland, avant de passer la
main sur son visage puis de la nettoyer avec sa langue.
Ce ne fut qu’un lavage rapide. Elle se redressa en souriant. Sa robe tomba d’elle-même, si bien que
nous fûmes tous les quatre entièrement nus. Le pénis de Denis conservait sa rigidité alors que celui de
Bruno avait légèrement fléchi. La quantité de sperme qui en était sorti continuait à m’étonner.
Le visage toujours badigeonné, Ileana me dit :
« Tu fais comme ça à Denis ?
— Elle fait ce qu’elle veut, répondit-il à ma place.
— Mais si tu veux Denis t’aimer, tu dois sucer comme ça. Les hommes adorent. »
Elle caressa ses seins enduits de semence.
« Tu vois ? continua-t-elle. Le sperme sur ta figure et tes seins, ça fait plaisir à ton homme.
— Les conseils d’Ileana sont bons, appuya Bruno. Je te garantis que tu vas rendre Denis fou de toi
si tu fais ce qu’elle te dit. Le sexe, c’est ce qui soude un couple.
— L’amour aussi, opinai-je.
— Le sexe a son importance.
— Oui, enfin... Je me suis aussi fait éjaculer dessus et mon dernier copain m’a quand même quittée.
— C’était un con.
— Ça veut dire que faire des fellations, ça ne suffit pas.
— Bon, on fait une pause, décréta Denis. Edwige, tu n’avais pas encore bu ton mojito. »
Ileana quitta la salle pendant que Bruno se laissait tomber sur son canapé. Il laissa ses cuisses
ouvertes comme pour me montrer fièrement ses bijoux de famille, mais ce n’était pas la seule chose
qui m’intéressait en lui. Il avait un torse bien dessiné à la peau bronzée, alors que ses cuisses étaient
plus claires. Je le trouvai désirable, même s’il ne valait pas Denis. Ce dernier s’était constitué un
bronzage uniforme en s’allongeant sur les chaises de sa piscine. Même son pénis avait une teinte
sombre.
« Tu as beaucoup d’amants ? s’enquit Bruno pendant que je commençais à siroter mon mojito.
— En ce moment, j’en ai un. C’est Denis.
— Un seul ? s’écria-t-il. Tu rigoles ?
— Je suis sérieuse.
— Putain, mais t’as pas vu comment t’es faite ? Pour quitter une fille comme toi, il faut vraiment
être le dernier des cons. Ton ex, il devait avoir un sérieux problème. »
Les compliments de Bruno me touchèrent, bien qu’ils n’eussent pas été exprimés en termes très
élégants.
« Je ne suis pas aussi bien roulée qu’Ileana, répondis-je avec une rougeur aux joues.
— Elle est juste plus grande que toi et elle a des nichons plus gros. Mais t’en as aussi, toi. Et ce que
j’adore chez toi, ce sont tes jambes. Sérieusement, c’est ce que j’apprécie le plus chez les femmes...
après leurs chattes et leurs fesses. Ça ne te dérange pas que je te prenne en photo ?
— Bruno est photographe professionnel », expliqua Denis en me montrant un Reflex Nikon posé
sur un buffet, que je n’avais pas encore remarqué.
Je vis tout de suite que c’était du matériel haut de gamme, qui devait coûter dans les trois mille
euros avec son objectif.
« Et il photographie quoi ? questionnai-je après avoir avalé une gorgée de cocktail. Des insectes ?
— Des chattes, répondit Bruno.
— Rien d’autre ?
— Des jambes et des paires de fesses également.
— Bruno est photographe de charme, compléta Denis. Comme il voit de jolies filles toutes nues à
longueur de journée, c’est un homme heureux.
— Et il couche avec ces filles ? demandai-je.
— Ben oui ! répondit l’intéressé. C’est justement parce que je passe mon temps à coucher avec des
filles que j’ai eu l’idée de les photographier, mais il ne faut pas croire que je les force. Je peux te dire
qu’elles ne sont plus vierges depuis longtemps. Elles viennent chez moi parce qu’elles sont belles,
qu’elles sont exhibitionnistes et qu’elles aiment le sexe. Il y en a qui veulent faire carrière dans le
porno, mais c’est difficile et je ne peux pas les aider. Il m’arrive aussi de tomber sur des putes,
comme Ileana. Je connais pas mal de filles de l’Est. »
La Roumaine revint pendant que Bruno parlait d’elle et s’assit à côté de lui. Elle avait retiré tout le
sperme qui avait giclé sur elle, puis s’était refait un rapide maquillage. Mais son visage était tellement
beau qu’elle n’en avait nullement besoin.
« Grâce à moi, elles gagnent, poursuivit Bruno.
— Combien ?
— Quelques centaines d’euros par séance. Et souvent, l’hébergement est offert.
— Alors comme ça, les photographes de charme couchent avec leurs modèles ?
— Non non ! Moi, je suis spécial. Je suis très clairement orienté vers le cul, même si je fais aussi
de la photographie de nu classique. Il n’y a pas de raison que je ne mette pas en valeur la beauté de
mes modèles. Je passe beaucoup de temps avec elles, nous devenons très intimes et en multipliant les
séances, elles peuvent amasser un joli pécule. Il y en a que je fréquente depuis plus d’un an. Quand
elles retournent dans leurs pays, elles sont riches.
— Alors tu es la divinité bienfaitrice des belles coquines ?
— Oui, mais derrière moi, il y a Denis. Sans lui, je n’aurais pas pu commencer mon activité et me
faire connaître. Il faut des moyens.
— Ah oui ! C’est le mécénat, fis-je.
— Oui, c’est le mécénat, confirma Denis. Je ne fais pas que de l’art contemporain.
— Tu veux voir quelques photos ? »
Bruno se leva pour prendre son appareil. Il s’installa à côté de moi et me mit son écran sous les
yeux. Après quelques manipulations, je vis apparaître des corps de femmes très joliment
photographiés, en intérieur comme en extérieur, dans de luxuriants jardins ou sur des plages. Le
caractère lubrique et provocateur de Bruno ne l’empêchait pas d’être un vrai artiste. Toutes ces
femmes étaient sublimées par la lumière et le décor dans lequel elles posaient.
Il me montra aussi des photos beaucoup plus chaudes : des vulves en gros plan, plus ou moins
ouvertes, comme il me l’avait annoncé. Certaines étaient pénétrées par des godemichés ou de vrais
phallus.
« C’est du porn-art, dit-il. C’est différent des vidéos pornos parce qu’il faut juste saisir un instant.
Pour moi, dans tout acte sexuel, il y a de la beauté, et c’est cela que je cherche à fixer dans mon
appareil. »
L’inévitable se produisit :
« Je peux photographier ton sexe ? me demanda-t-il.
— Oui.
— C’est seulement pour faire un test. »
Il se mit à genoux devant moi, son appareil entre mes cuisses.
« Mets l’index et le majeur sur tes grandes lèvres, pour bien les écarter, dit-il. Je veux voir
l’intérieur de ton vagin. La lumière n’est pas très bonne mais on fera avec.
— Il n’y a pas de flash ?
— Pour ça, on utilise des flashs spéciaux que je n’ai pas ici. »
Ce moment où j’avais serré les cuisses devant lui me paraissait désormais loin : j’avais été
décoincée. J’essayai de m’ouvrir au maximum.
« Waouh ! s’exclama Bruno. On voit tes muqueuses toutes roses. Il faudrait un projecteur. »
Malgré le mauvais éclairage, il prit quelques clichés, puis se redressa et les fit défiler sur l’écran.
« Tu mouilles comme toutes les filles que je photographie, constata-t-il. Tu comprends ce que ça
signifie, quand je dis que je deviens très intime avec mes modèles ?
— Tu veux m’enfiler ?
— Non, je te laisse à Denis et j’en profiterai pour vous photographier.
— Je ne mettrai pas de préservatif, annonça l’intéressé. Je déteste ça. Mais je ne couche pas avec
toutes les filles que je rencontre, je fais des contrôles réguliers, et toi, s’il est vrai que tu n’as fait
l’amour depuis trois ans...
— Trois ans ? s’écria Bruno.
— Oui, confirmai-je.
— Putain ! Il va falloir réparer cela. Mais qu’est-ce qui t’est arrivé ? Tu voulais te faire nonne ou
quoi ?
— On en reparlera. »
Je me mis à quatre pattes sur le canapé pour présenter mes fesses à Denis. La levrette était l’une de
mes positions préférées. Je n’eus pas besoin de prononcer des paroles supplémentaires pour
comprendre ce qu’il attendait de moi. Après avoir assisté à cette longue fellation et après ces
discussions, le moment était venu pour moi de retrouver le chemin de la jouissance.
Denis commença par me lécher le sexe en s’aidant de ses doigts pour écarter mes nymphes. Je le
sentis exciter mon clitoris, ce qui envoya immédiatement des ondes de volupté dans mon corps. Il me
fallut poser une paume sur l’un de mes seins, gonflés par un désir annihilant toute raison, pour tenter
de satisfaire ma soif de caresses. J’aurais voulu avoir des mains partout sur le corps ; je n’avais que
celles de Denis tenant mes hanches ou parcourant mon dos. Une séance de triolisme avec Bruno
m’aurait plu, mais il tenait son appareil de photo pour capter quelques images, concentré jusqu’à en
oublier sa verge en érection.
J’envoyai sûrement des flots de cyprine sur le visage de Denis mais cela ne le gêna pas. Quand il
m’estima suffisamment chauffée, il se redressa et inséra son gland entre mes lèvres intimes. La
pénétration, prudente, se fit sans aucune douleur, et fut même un instant d’inoubliable volupté. C’est
comme si j’étais restée incomplète durant ces dernières années et que la pièce manquante venait d’être
replacée.
Mon amant augmenta son rythme, faisant monter en moi une telle incandescence que je ne pus
maintenir le silence. Des halètements et des cris s’échappèrent de ma gorge. Ma jouissance connut
toutefois de brèves interruptions, quand Bruno demandait à son ami d’interrompre les coups de reins
pour prendre un cliché, mais cela ne durait chaque fois qu’une seconde. Mon plaisir monta jusqu’à
l’éclatement du feu d’artifice dans mon bas-ventre, suivi par une succession de violentes vagues qui
me laissèrent hors de moi. Mon amant continua à frotter mes muqueuses intimes jusqu’à l’apaisement
de cette houle. Il sortit alors son pénis de mon corps et je m’effondrai sur le canapé, momentanément
anéantie.
Pour lui, ce n’était pas terminé. En me retournant, je le vis se masturber au-dessus de moi. Son
corps se cambra et une expression extatique illumina son visage tandis qu’un jet de sperme sortait de
son sexe et s’aplatissait sur ma poitrine. Il y en eut un second moins puissant et tout s’arrêta.
Mais non... Quand je me redressai, après avoir étalé ce liquide poisseux sur mes seins, je vis Bruno
devant moi, sans son appareil, tenant d’une main son sexe dilaté.
« Tu peux me pomper ? demanda-t-il. En fait, je pense que tu n’en as pas reçu assez. »
L’instant d’après, sans avoir réfléchi, je prenais son phallus dans ma bouche et je retrouvais des
gestes qu’à une certaine époque, je pratiquais quotidiennement. Les doigts de la main droite
enserrèrent la base de sa hampe pendant que le gland restait dans ma bouche, et par moments, ils
caressaient ses testicules et son périnée. Ils s’aventurèrent même jusqu’à son anus. Son excitation
devint telle qu’il ne put retenir sa semence et que je la sentis fouetter le fond de ma gorge.
Cette fois, c’était vraiment la fin. Je terminai cette petite orgie ramollie, en sueur, dégoulinante de
sucs corporels de la bouche au vagin, mais la soirée avait été magistrale !
« Tu fais très bien, me complimenta Ileana.
— Ça te manquait, hein ? demanda Denis.
— Oui. »
Sauf qu’auparavant, je n’avais jamais été pénétrée par deux hommes à la suite.
« Prête à recommencer ?
— Oui, mais pas ce soir. »

***

Les rayons du soleil me réveillèrent le lendemain matin, car la chambre de Denis était orientée vers
l’est. Mon compagnon restait endormi et son corps dépassait à moitié des draps froissés, ce qui
permit à son érection matinale de sauter à mes yeux. Je m’emparai aussitôt de son membre gonflé de
sang chaud et si dur, mais à la peau si veloutée, en espérant ne pas le réveiller par cette douce caresse.
La croupe féminine que j’avais vue hier sur le mur d’en face n’y était pour rien puisque Denis avait
eu la délicatesse de la retirer. De toute façon, il n’avait pas encore ouvert les yeux. Je glissai lentement
vers son bassin, et alors que j’effleurai l’extrémité de son gland de mes lèvres, j’entendis une voix
masculine encore ensommeillée :
« Tu aimes ma queue ?
— Oui. »
J’ajoutai d’une petite voix :
« Et je t’aime, toi. »
Cette déclaration était partie toute seule, sans intervention de ma volonté, sans tenir compte du fait
que j’avais sucé un autre homme juste après avoir joui sous les coups de reins du nouvel homme de
ma vie. Mais il n’y aurait personne pour me le reprocher. C’était la puissante attirance physique que je
ressentais pour Denis qui m’avait fait prononcer cette phrase, cette même attirance qui m’avait
poussée à courir chez lui pour cette soirée de luxure.
Denis me répondit par un sourire tendre et une caresse sur ma chevelure. Je remis mon visage à la
hauteur du sien pour déposer ma bouche sur la sienne. Ce fut notre premier baiser. Il fut long,
profond, et acheva de réveiller ce feu qui avait couvé en moi. Quand je séparai mes lèvres de celles
de Denis et me redressai, je fis entrer son sexe dans le mien. C’était un bonheur dont je n’entendais
désormais plus me passer.
« Je pense que j’ai réveillé une démone, plaisanta Denis.
— Tu le regrettes ?
— Non. J’aime être chevauchée par une jolie fille. »
J’entrepris donc de jouer les cavalières sur le corps de mon homme, me démenant autant que
possible pour agiter son phallus dans mon intimité moite. Ce fut pourtant lui qui jouit, et non pas moi,
malgré ses efforts pour exciter mes mamelons durcis entre ses doigts. J’en tirai toutefois un grand
plaisir et je fis couler une bonne quantité de cyprine sur la tige et les bourses de mon amant. Je
constatai les dégâts quand je me plaçai à côté de lui.
« Il faut que je fasse ma toilette, dis-je. Il est sept heures passées et j’ai un rendez-vous pour le
travail à neuf heures. Et je dois d’abord passer chez moi.
— Tu connais Max Raabe ?
— Non.
— C’est un chanteur allemand qui fait revivre des mélodies des années trente, avec beaucoup de
charme et d’humour. Il a dit que l’on pouvait parler d’amour pendant le travail, mais que l’on ne
pouvait pas parler de travail pendant l’amour. Eh bien, tu viens de le faire.
— Oh ! Je suis désolée. Mais il faut vraiment que je me prépare. Qui fait le petit-déjeuner ?
— Je m’en occuperai. On va nous livrer des viennoiseries toutes chaudes.
— J’adore ! Merci chéri ! »
Je sautai du lit et empoignai ma petite trousse pour courir vers la salle de bains. Alors que je venais
de me mettre devant un lavabo, Ileana arriva aussi nue que moi et se plaça devant l’autre. Elle
s’admira dans le miroir en soupesant fièrement ses seins. J’évitai du coup de toucher aux miens, qui
ne pouvaient tenir la comparaison.
« Il n’y a qu’une seule douche, remarquai-je. Ça ne te dérange pas si je la prends avant toi ?
— Bien sûr. Pas de problème.
— Je dois partir au travail.
— Quoi ? Tu travailles ? s’étonna Ileana.
— Ben oui. Qu’est-ce qu’il y a d’extraordinaire ?
— Tu demandes de l’argent à Denis. Tu fais la pute.
— Euh... Hum... En France, les femmes ne sont généralement pas des putes. C’est vrai qu’il y en a,
mais très peu.
— Mais tu fais très bien le sexe ! Comment tu as sucé Bruno hier, c’était parfait. J’ai tout regardé.
— Oui, mais je ne suis pas aussi belle que toi.
— Si, tu es belle. Et tu es super hot. Regarde, tu as du sperme... »
Elle se pencha pour mettre la main sur mon entrecuisse, d’où un filet de semence coulait. C’est le
souvenir de mon tout récent ébat avec Denis.
« Je vais me laver », annonçai-je aussitôt, en me précipitant vers la cabine de la douche.
Ma toilette complète, mon maquillage et mon rhabillage ne furent terminés que vers huit heures.
Les participants à l’orgie se retrouvèrent autour de la table de la cuisine, où une montagne de
victuailles avait été déposée. Des odeurs de thé et de café se répandaient dans toute la pièce, mêlées au
parfum des croissants chauds.
Bruno était aussi guilleret que la veille. Il me salua en me donnant un petit baiser sur la bouche et
une caresse sur un sein avant de s’asseoir à côté d’Ileana.
« Alors, tu as bien dormi ? s’enquit-il.
— Oui.
— Je t’envoie aujourd’hui les photos que j’ai prises hier. Celle de ta baise avec Denis sont
superbes.
— Merci.
— En posant pour moi, tu pourrais te faire de l’argent.
— J’ai déjà un travail. J’ai créé ma propre entreprise.
— Ah oui ? Qu’est-ce que c’est ?
— Je suis architecte d’intérieur. »
Les yeux de Bruno s’arrondirent.
« Architecte d’intérieur ? s’exclama-t-il. Mais c’est exactement ce que je cherche !
— Denis ne t’a encore rien dit ? … Il est vrai que dans cette maison, on baise d’abord et on cause
ensuite.
— C’est pour ma maison que j’ai fait venir Edwige, expliqua Denis. Mais cela a été le coup de
foudre, alors nous avons décidé de nous mettre ensemble.
— J’ai besoin de toi pour mon studio, reprit Bruno. Il faut changer le décor à chaque prise de vue.
Tu pourras le faire ?
— Oui.
— Je ne te demanderai pas des tarifs préférentiels... Encore que... si tu bosses tout le temps pour
moi... Je peux aussi te payer pour des séances de pose. En général, c’est quelques centaines d’euros.
— Pour que je me fasse photographier toute nue, c’est ça ?
— Oui.
— Je ne suis pas si canon que ça !
— Mais si, tu l’es ! Je te l’ai déjà dit. Le problème des Françaises, c’est qu’elles ne veulent pas se
déshabiller. C’est pour ça que je suis obligé de faire venir des filles de l’Est, et ça me coûte cher.
— C’est plus que du déshabillage. Tu fais du porn-art.
— Et alors ? Ça n’a pas l’air de te gêner. »
Je m’affaissai sur ma chaise en poussant un soupir, puis je me tournai vers Denis pour lui
demander :
« Je viens de recevoir deux propositions : devenir pute ou presque pute. Tu me conseilles quoi ?
— Continue ton travail d’architecte mais fais-toi aussi photographier, répondit-il. Tu viens de créer
ton entreprise, donc ton planning n’est pas complet. Je me trompe ?
— Non. Je cherche des clients.
— Où vas-tu ce matin ?
— Dans mon plus gros chantier, un magasin au centre de Montpellier.
— Et l’après-midi ?
— Je n’ai rien de spécial.
— Alors je vais te chercher et je te conduis dans mon studio, conclut Bruno de manière expéditive.
— Pour voir le décor ?
— Oui. »
Je réfléchis un peu et hochai la tête. Le silence retomba momentanément tandis que nous
poursuivions notre petit-déjeuner. J’avais remis la robe avec laquelle j’étais arrivée, mais comme tout
le monde, j’étais restée pieds nus. À la fin du repas, je n’aurais qu’à mettre mes sandales et à monter
dans ma voiture.
Bruno, dont le nom de famille était Mayot – n’y voyez aucune plaisanterie de ma part – se mit à
parler de ses projets. J’écoutai attentivement la conversation sans y prendre part. Je compris qu’il
avait acheté son studio grâce à Denis, mais que comme la générosité de mon compagnon était limitée,
il avait reçu un prêt. Les premières dépenses d’équipement et de fonctionnement, en revanche, lui
avaient été offertes.
Quand nous fûmes repus, Ileana annonça qu’elle allait partir. Denis se leva aussitôt, quitta la cuisine
et en revint avec une liasse de billets, sur laquelle je fis du strabisme divergent. En plus, mon
compagnon fit les comptes à haute voix. Je sus de la sorte que l’escort-girl recevait mille cinq cents
euros pour sa nuit avec Bruno, auxquels s’ajoutaient deux cents euros pour la fellation, plus encore
deux cents euros pour l’éjaculation faciale. C’était plus que le salaire mensuel d’un architecte
d’intérieur en début de carrière.
Ileana saisit cette liasse, toute joyeuse, se leva et fit ses adieux à Bruno et à moi. Denis la conduisit
galamment vers la sortie de sa villa, si bien que je restai seule avec le photographe.
J’avais une boule dans la gorge.
« Faut pas faire cette tête, me dit-il avec un sourire bienveillant. Tout comme toi, elle doit faire la
pêche aux clients, et des gens qui peuvent dépenser autant ne courent pas les rues. En plus, les riches
sont généralement mariés, donc ils doivent forniquer sur le dos de leurs épouses.
— Oui, mais il y a un truc qui me chiffonne. Pourquoi Ileana a passé la nuit avec toi et se fait payer
par Denis ?
— C’est la générosité proverbiale de monsieur Stevenot. Tu peux en bénéficier aussi, tu sais ?
D’autant plus que tu es sa petite amie officielle. Il ne faut pas être jalouse.
— Je ne suis pas jalouse ! Je suis juste intriguée. Alors si je comprends bien, il a organisé une
petite orgie pour fêter notre... le début de notre relation ?
— C’est un peu cela.
— Il a l’air de s’intéresser beaucoup au sexe.
— On peut le dire.
— Il se définit comme sybarite, mais les gens appelleraient plutôt cela de la débauche.
— Appelle cela comme tu veux. Le raffinement est une notion assez relative. »
C’était Denis qui venait de me répondre, lors de son retour dans la cuisine. Il se rassit sur sa chaise
et me regarda droit dans les yeux, sans aucun trouble.
« Je pourrais dire que je m’adonne aussi à des plaisirs plus sains, comme la gastronomie. Ce sont
les meilleurs traiteurs de la région qui me livrent. Mais on ne peut pas préparer de magret de canard
sans tuer l’un de ces volatiles, n’est-ce pas ? Au contraire, notre sauterie de la veille n’a fait aucune
victime. Tu as aussi remarqué que personne n’a bu jusqu’à rouler sous la table. Je ne bois que les
bons vins, en petites quantités pour garder toutes mes facultés. »
La repartie de Denis me cloua le bec, si bien que je ne pus lui répondre que par un sourire. Je sentis
que plus je le connaîtrais, plus je l’admirerais.
« Je viens te prendre à quelle heure ? demanda Bruno.
— Euh... Quatorze heures, ça devait aller.
— Tu me donnes ton adresse ?
— J’ai des cartes de visite dans mon sac. »
Nous laissâmes Denis dans la cuisine pour rejoindre le salon, qui était calme et propre. Personne
ne pouvait deviner ce qui s’était passé la veille.
Bruno prit ma carte et baissa la tête vers mes jambes.
« Pour cet après-midi, habille-toi correctement, dit-il.
— Qu’est-ce tu veux veux dire ? C’est la plus belle de mes robes.
— Aucune jolie fille ne peut franchir la porte de mon studio sans montrer ses cuisses. Si sa robe ou
sa jupe ne s’arrête pas au ras des fesses, ce sera une profanation de mon temple. Au besoin, Denis
peut te donner des vêtements.
— Bon alors, je crois qu’il faudra en piocher dans sa garde-robe, mais je n’ai pas le temps de faire
mon choix. Occupez-vous de cela tous les deux.
— O.K., fais-moi confiance, je sais rendre une fille sexy. »
Bruno avait tendance à confondre « sexy » et « dénudée » mais c’était excusable. Il me fit un baiser
sur la bouche, selon une habitude qui perdurerait sûrement, puis il céda la place à Denis, qui me
conduisit à ma voiture et m’ouvrit même la portière. L’ombre de sa villa nous protégeait du soleil
montant, dont les rayons s’annonçaient brûlants. Le ciel était d’une pureté presque onirique.
Avant de m’asseoir devant le volant, je me retournai vers mon copain et posai une main à plat sur
son torse.
« Dis-moi une chose, déclarai-je. Tu as pris rendez-vous avec Ileana pour coucher avec elle, puis tu
m’as rencontrée et tu as jeté ton dévolu sur moi. Mais tu n’as pas voulu décommander l’escort-girl,
alors tu as fait venir Bruno. Est-ce que je me trompe ?
— Non. J’espère que tu ne m’en veux pas.
— Mais pas du tout ! »
Je l’étreignis, en me suspendant à son cou, pour l’embrasser sur la bouche. Il me répondit avec une
ardeur mesurée.
« Alors tu m’aimes vraiment ? roucoulai-je.
— Oui, mais je souhaite que tu restes indépendante. C’est mieux pour toi. Je veux tout de même te
revoir autant que ton emploi du temps te le permettra.
— Si je m’associe avec Bruno, tu sais ce qui va se passer ? C’est ce que tu veux ?
— Bruno aime toutes les femmes sans s’attacher à aucune d’elles. Il ne voudra jamais t’enlever à
moi.
— Même si je deviens son étroite collaboratrice ? »
Un coin de sa bouche fut soulevé par un début de sourire.
« Étroite, tu l’es en effet, laissa-t-il échapper. Et je pense que ça lui plaira beaucoup.
— Gros cochon !
— Allons ! Il n’y a pas de jalousie entre les grands amis que nous sommes.
— Je peux donc faire ce que je veux avec Bruno ?
— Tu sais bien que oui. »
J’arrêtai de poser des questions, car je sentis que si je continuais à les poser, elles finiraient par
devenir gênantes. Je donnai un dernier baiser à mon compagnon, puis je m’installai au volant de ma
voiture.
À mon retour chez moi, je m’empressai de me changer, en mettant cette fois des sous-vêtements.
Pendant que j’enfilai mon pantalon, j’imaginai Bruno crier au blasphème, mais j’étais obligée de
devenir une autre personne si je voulais me présenter au chantier. Mon buste fut recouvert d’un
chemisier, auquel s’ajouterait une petite veste quand je quitterais mon appartement. D’abord, il me
fallut passer dans la salle de bains pour réduire mon maquillage à un simple rouge à lèvres, faire un
chignon, puis je courus dans mon bureau pour rassembler mes plans, tenaillée par la peur d’arriver
en retard à mon rendez-vous.
Je dévalai l’escalier de mon immeuble, entrai dans ma voiture dont le moteur était encore chaud, la
démarrai et émis un juron quand le premier feu de signalisation passa à l’orange puis au rouge au
moment où j’arrivais devant lui. Bien évidemment, j’allais devoir me taper tous les feux de la ville,
plus les encombrements, et il faudrait encore que je trouve une place devant le magasin.
Par miracle, j’en poussai la porte à neuf heures passées d’une seule minute. Toute l’équipe était
pourtant déjà réunie et m’attendait. Je mis mon casque de chantier puisque c’était obligatoire, je serrai
la main du propriétaire et du directeur de l’entreprise de restauration, un certain Ferreira dont on
devinait rien qu’en voyant le visage qu’il était portugais. Dans ses gros doigts, il tint ma main plus
longtemps que la politesse l’exigeait, ce qui était une manière de manifester son attirance pour moi.
Je fus tentée de dire à tout le monde que j’étais à présent la copine de Denis Stevenot, rien que pour
voir la tête que Ferreira ferait. On reconnaissait mes compétences, sans quoi l’on n’y aurait pas fait
appel, mais l’on me considérait aussi comme une jolie fille qui n’avait pas grand-chose à faire dans
un tel endroit. Si les murs commençaient à prendre forme, le plafond restait nu, avec ses poutres, ses
entrelacs de fils électriques et ses lampes qui pendaient comme des araignées métalliques. Il y avait de
la poussière partout ; le sol en était gris. Quand les ouvriers se mettraient à travailler, les lieux
s’empliraient de bruits de scies et de perceuses.
Faisant fi de cet inconfort, je déroulai mes plans sur une table et nous commençâmes à examiner ce
qui avait déjà été fait. J’aimais ce travail, sinon je ne me serais pas lancée dedans. J’avais hâte de voir
le magasin achevé et le sourire de son heureux propriétaire face au résultat de ma prestation. On y
vendrait des chaussures. J’espérais apporter ma modeste contribution à la naissance d’autres
commerces de proximité, qui donneraient un surcroît de vie au centre de Montpellier.
Cependant, durant cette longue heure de travail, surtout à la fin, il m’arriva de penser au salon de
Denis et aux merveilleux moments que j’y avais passés. Quand il me fallut de nouveau serrer la main
de Ferreira, je regrettai beaucoup que ce ne fût pas celle de Denis. Il me complimenta toutefois de
manière fort aimable pour la qualité de mon travail et j’y fus sensible. Il avait d’ailleurs tout intérêt à
se comporter correctement avec moi, puisque c’était moi qui avais choisi son entreprise pour
effectuer cette prestation, et que j’étais susceptible de revenir un jour vers lui.
Je rentrai chez moi libérée de tout stress.
Après une nécessaire toilette, je mis un costume d’intérieur constitué d’un débardeur et d’un short,
mais je n’oubliai pas la prochaine venue de Bruno. Aussi, m’installai-je devant mon ordinateur avec
du verni en train de sécher sur les ongles. En me connectant à Facebook, je me demandai si j’avais
reçu un message de Denis, mais il n’y avait rien et ma boîte mail ne contenait également rien de lui.
Après cette petite perte de temps, je revins à mon travail.
Vers midi, je m’interrompis pour préparer un rapide déjeuner, l’esprit surtout préoccupé par ce qui
allait se passer dans l’après-midi. Mon corps donna bien malgré moi des signes d’excitation dont ma
culotte fit les frais : c’étaient les échos retardés de mon orgasme de la veille. Et ma dernière
copulation avec Denis n’était pas très ancienne. Le souvenir de son phallus me trottait dans la
mémoire, et celui de Bruno vient s’y ajouter.
Je précipitai sur la porte pour l’ouvrir dès que la sonnerie retentit. Bruno se tenait derrière, vêtu
d’une chemise hawaïenne et d’un bermuda. C’était un costume plutôt excentrique, mais qui était le
reflet exact de sa personnalité. Son sourire transformait en de véritables lampes ses yeux déjà très
clairs.
« Entre, lui dis-je. Je t’offre quelque chose à boire ?
— Je ne voudrais pas trop m’attarder chez toi. Je t’ai apporté quelques robes que je te demande
d’essayer », me répondit-il en me tendant un grand sac.
Je le pris et conduisis mon hôte dans une pièce tenant lieu de salon, où je le fis asseoir sur un
canapé. Il s’agissait en fait de l’une des deux pièces de mon F2, l’autre étant ma chambre. Je le louais
grâce à l’aide la Caisse d’Allocations Familiales, que m’autorisait la faiblesse de mes revenus. Mon
statut était celui d’un chômeuse créatrice d’entreprise.
Mon savoir-faire et ma débrouillardise m’avaient permis de faire un superbe décor, si bien que
cette pièce n’aurait pas déparé dans la villa de Denis. Bruno observa tout avec œil averti.
« Si ça te dérange pas que je te laisse un moment, je vais dans ma chambre pour choisir ma robe,
annonçai-je.
— Je préférerais que nous le fassions ensemble. Je te rappelle que nous nous sommes déjà vus à
poil, que tu m’as taillé une pipe et que tu n’avais même pas l’excuse d’avoir été bourrée.
— Si, d’une certaine manière. Dans le feu de l’action...
— Fais comme tu veux, mais si acceptes vraiment de poser pour moi, il faudra tôt ou tard que nous
devenions intimes. Pour une photographie de charme, la fille qui arrive devant un homme qu’elle ne
connaît pas et devant lequel elle devient rouge pivoine quand elle découvre ses seins, ça ne peut pas
marcher. Il faut qu’elle se sente à l’aise. Alors avec moi, qui fais clairement du cul... Mais tu peux
encore y renoncer et te contenter de faire les décors.
— Pourquoi veux-tu que je sois à la fois modèle et décoratrice ?
— Cela ne te semble pas évident ? Quoi de mieux que de poser dans un décor que tu as toi-même
construit ?
— C’est vrai. »
Sans plus hésiter, je fis tomber ma robe puis me débarrassai de ma culotte, sous les yeux satisfaits
de Bruno. Je fouillai ensuite le sac et en tirai plusieurs robes. Je les dépliai pour les placer devant ma
poitrine. Mon choix se porta sur un vêtement en satin doré, dont les bretelles étaient assez larges pour
cacher celles d’un soutien-gorge, mais qui s’arrêtait pile sous mes fesses et mon triangle pubien.
Je l’enfilai.
« Très bien ! applaudit Bruno. Tu es superbe. Une fille comme je les aime.
— Avait-elle déjà été portée ?
— Elle ne te semble pas neuve, non ? Regarde dans le fond du sac. Il y a des strings. »
J’y découvris de véritables œuvres d’art. Il y en avait même un décoré par de petites perles. C’est ce
string que je mis, même s’il était tellement léger qu’il ne dissimulait pas ma vulve.
Le sac contenait également une boîte d’où Bruno tira une paire de sandales à talons moyennement
hauts, et un collier en or blanc qu’il plaça lui-même autour de mon cou. J’en fus estomaquée.
« C’est quoi, ça ? demandai-je en prenant une pendeloque. Un rubis ?
— Un grenat. Denis te donnera lui-même des bijoux plus précieux. N’oublie pas que sans lui, je
n’existerais pas. Je suis sa main.
— Je le sais. »
Je me tournai vers un miroir et reçus un deuxième choc, en voyant une Edwige transfigurée en une
princesse. Le collier reposait entièrement sur ma peau, mon décolleté étant large pour cela, et j’avais
un grenat entre les seins. Bruno acheva ma métamorphose en se plaçant derrière moi et en détachant
ma chevelure pour la laisser onduler sur mon épaule gauche. Elle était d’un blond naturel, d’origine
nordique.
« Diras-tu encore que tu n’es pas suffisamment belle pour être photographiée ? murmura-t-il en se
penchant vers mon oreille droite.
— Ce n’est pas parce que l’on est belle que l’on est photogénique.
— C’est vrai. Nous allons voir si je peux te transformer en déesse de lumière. Je te conduis dans
mon studio. »
Pendant que nous descendions au rez-de-chaussée, nous croisâmes un voisin qui me regarda avec
des yeux exorbités et faillit rater une marche. Bien sûr, ce fut surtout sur mes jambes que son regard
s’accrocha, et il me sembla que lorsque je fus au-dessus de lui, il put apercevoir le minuscule triangle
qui me servait de string. Nous nous étions déjà rencontrés, mais j’avais alors toujours été habillée
comme une entrepreneuse. Il se douta sûrement que ma transformation avait été causée l’homme qui
m’accompagnait, mon nouveau petit ami. Pourtant, son style hawaïen ne s’accordait pas du tout avec
le mien.
Nous débouchâmes dans le parking de mon immeuble puis Bruno me fit entrer dans sa Mercedes.
Quand nous fûmes côte à côte sur nos sièges, il me caressa la cuisse gauche avec un sourire
rayonnant.
« Voilà le genre de passagère que j’aime avoir, dit-il.
— Oui, mais il faudrait penser à regarder la route, m’inquiétai-je. Et à poser tes mains sur le
volant.
— T’en fais pas, j’en ai l’habitude. »
La climatisation, tout de suite mise en route, envoyait un flux d’air frais sur mes jambes. J’avoue
que depuis que j’avais mis cette robe, je ne m’étais jamais sentie aussi bien.
« On dirait que tu gagnes pas mal avec ton activité, remarquai-je. Ce n’est quand même pas Denis
qui t’a donné cette voiture ?
— Non, je me la suis offerte. Tu sais qu’elle me sert également pour les photos ? Une jolie fille et
une voiture, ça va ensemble.
— Tu pourrais louer des voitures de luxe.
— Je le fais, mais ce n’est pas donné. Un jour, je te photographierai dans ma bagnole ou à côté. »
Bruno mit le contact, fit un démarrage lent et prit le chemin de son studio. Il me parla dès lors sans
me regarder, mais je savais que mes jambes étaient toujours présentes dans son champ de vision.
« Ça te plaît de jouer les séductrices ? demanda-t-il.
— Oui, j’aime bien.
— Tu n’avais jamais essayé de te balader comme ça ?
— Oui. Seule dans mon appartement.
— Si tu veux plaire à Denis et à moi, il faudrait devenir plus extravertie que ça. Montre-toi en petite
tenue devant des inconnus. Si des hommes te considèrent comme une pute ou une salope, prends ça
comme un compliment.
— Pourquoi veux-tu absolument que je devienne une salope ?
— Mais pour profiter de la vie, merde ! fit Bruno en tapant sur son volant. T’es une jolie fille,
t’aimes le sexe – j’ai vu ça hier – alors attrape les mecs et fais-toi baiser. Putain, si j’étais comme toi,
qu’est-ce que je m’éclaterais !
— Tu t’éclates déjà pas mal.
— Ben oui ! C’est que du bonheur.
— Sauf que je suis censée être la petite amie de Denis.
— Denis est ton protecteur. C’est comme ça que tu dois le considérer.
— Et si je suis amoureuse de lui ?
— Tu ne crois pas que c’est trop tôt pour parler d’amour ? Je sais que vous vous connaissez à
peine.
— Les coups de foudre, ça existe.
— Tu parles ! La vérité est que ce mec est un aimant à gonzesses et que t’as envie de te faire sauter
par lui. Je suis sûr que le seul fait de penser à lui, ça te fait déjà mouiller. »
Je gardai un silence qui dut lui paraître approbateur.
« Crois-moi, je connais mieux les femmes que toi-même, reprit-il. Au sujet de Denis, je peux te
dire qu’il aime les filles qui n’ont pas peur de montrer leur cul... Comme tous les hommes, d’ailleurs.
Sois impudique, provocante.
— Il t’a parlé de l’épisode au bord de la piscine ?
— Oui, ce matin. Tu as fait exactement ce qu’il fallait faire pour le séduire. Tu dois continuer
comme ça et je suis en train de t’aider. Je te transforme en ce qu’il veut.
— Mais il était marié à une miss et je ne crois pas qu’elle se comportait comme une traînée. »
Pour la première fois que je connaissais Bruno, le sourire s’effaça totalement de son visage. C’était
très étonnant à voir.
« Il l’a aimée ? demandai-je.
— Je ne pourrais pas te le dire, répondit-il en se concentrant sur la route. À cette époque, je ne le
connaissais pas.
— Je sais qu’elle a été grièvement blessée dans un accident de voiture. Elle est morte combien de
temps après ?
— Je ne sais pas. »
Nous étions en train de monter vers les Cévennes, mais nous nous arrêterions bien avant. La
Mercedes avait pris de la vitesse sur la D 986 et Bruno paraissait plus détendu. Je scrutai en silence
son visage. Maintenant qu’il ne souriait plus et ne faisait plus de compliment sur mes cuisses ou mes
fesses, il m’apparaissait comme un homme avisé, ayant les pieds sur terre. Il fallait avoir de telles
qualités pour diriger son entreprise. Nous avions des points communs, mais il s’était lancé dans les
affaires avant moi et il avait réussi.
« Tu crois que si je me comporte comme une traînée, ça plaira à Denis ? demandai-je
— Oui, c’est ce que tu dois faire.
— Je trouve ça bizarre. Ce ne serait pas une forme de perversion ?
— Je ne crois pas. Au moins, on ne peut pas lui reprocher d’être jaloux. Il est fier d’avoir une
femme que les autres hommes lui envient. Avec Sylvie, il était servi. Avec toi, au fond, c’est la même
chose. Tu peux comprendre cela ?
— Je serais une sorte de joyaux qu’il montrerait à autrui ? »
Bruno eut une oscillation de la tête, difficile à interpréter, avec de me répondre :
« Ce que je peux dire, c’est qu’il tient à toi. Il ne te lâchera plus, du moins si tu fais le nécessaire.
N’oublie pas qu’il a le bras long, et que partout où tu iras, il sera présent. C’est comme si tu étais tout
le temps observée.
— Alors je lui appartiens ?
— Oui, tu es à lui. Pour commencer, je vais te prendre en photo et mettre plein d’images de toi
dans sa maison. Tu te souviens du poster qu’il y avait dans sa chambre ?
— Oui.
— C’est pour toi qu’il l’a retiré. On va remplacer ce cul par le tien, ou par d’autres parties de son
corps si tu le veux. Ou par toute une collection de photos qu’il admirera dès qu’il s’allongera sur son
lit.
— Ah, c’est pour ça que tu veux me prendre comme modèle ?
— Non, Edwige. Les idées me viennent au fur et à mesure. J’ai d’abord eu envie de photographier
ta chatte parce que j’en avais envie. Ensuite, je t’ai voulue tout entière. Maintenant, je pense qu’on va
faire un petit plaisir à Denis. Tu es d’accord ?
— Évidemment ! »
Poser pour mon compagnon, ce serait un plaisir. Et coller des photos de moi sur les murs, ce serait
une manière originale et frappante de mettre ma touche personnelle dans sa maison.
« Je sais maintenant pourquoi ses enfants ne vivent pas chez lui, opinai-je. C’est une habitation pour
adultes.
— Peut-être...
— Tu y fais du porn-art ?
— Bien entendu. C’est un endroit idéal. Je te montrerai des photos.
— De filles en train de faire du bronzage intégral au bord de sa piscine ?
— Oui, et beaucoup d’autres choses. Tu verras ça.
— Je ne comprends pas comment le descendant d’une grande famille peut se permettre une telle vie
sans faire jaser tout le monde.
— C’est un homme secret. Personne ne sait qu’il a financé mon activité, à part lui et nous deux. Il
ne faudra pas crier son nom sur tous les toits, hein ?
— Non, bien sûr. J’ai moi-même intérêt à rester secrète. Si tu diffuses des photos de moi sur le Net,
ça risque de me poser des problèmes. J’imagine mes clients me complimenter pour mes seins. »
Nous continuâmes à parler sans que j’en apprisse plus sur Denis. Son ami savait garder le silence
quand c’était nécessaire, et il n’était pas dans mon intérêt de chercher à percer ses secrets. Il me fallait
jouer son jeu.
2. Chapitre

En cet après-midi de mai, je m’étais engagée dans une aventure risquée mais tellement tentante, et
je n’avais aucun regret. Il était dans ma nature d’avancer tête baissée.
Installée dans une luxueuse voiture, à côté d’un homme rencontré la veille au soir et dont j’avais
sucé la verge au cours d’une mémorable partie fine chez un riche héritier, je gardai un moment le
silence pour observer le paysage. J’étais pressée d’arriver à destination et de voir ce qui m’attendait.
Bruno quitta la D 986 pour s’engager sur une petite route et il arriva dans une propriété dissimulée
derrière un haut mur, ce qu’il appelait son « studio ». Il s’agissait en fait d’un ancien hôtel entièrement
rénové, dont l’acquisition avait dû coûter une fortune.
« C’est ça ? m’écriai-je en voyant le bâtiment.
— Oui. Nous sommes arrivés.
— Tu l’as payé combien ?
— Plus d’un million d’euros. Il faut rembourser tout cela et payer les intérêts, mais puisque les
affaires marchent bien, j’y arriverai.
— Ben oui. Le cul, ça marche...
— C’est devenu beaucoup plus difficile avec l’apparition de sites pornos gratuits. Il faut se
démarquer en faisant de la qualité et trouver le public qui la recherche. »
Une créature à longues jambes nues sortit d’un jardin, passa devant la voiture et entra dans le
bâtiment.
« Irina, présenta Bruno. Elle est venue d’Ukraine et habite ici. Je peux héberger beaucoup de
monde, mais il n’y a que six filles pour le moment.
— Pour un harem, c’est peu.
— Un harem ? fit Bruno en riant. Ce ne sont pas mes épouses.
— Non, mais c’est tout comme. Il y en a une dans ton lit chaque nuit, non ? »
En guise de réponse, Bruno rit une deuxième fois et me caressa de nouveau les cuisses. Avec son
éternelle gaieté, il mettait tout le monde à l’aise, y compris moi-même. Je ne savais trop où il avait
l’intention de me conduire, mais j’irai.
Pour commencer, nous sortîmes de la voiture et marchâmes sur une courte allée gravillonnée. Les
jardins qui entouraient cette résidence me donnaient une idée ce qu’était le paradis et je m’aperçus que
certaines des photos que Bruno m’avait montrées hier avaient été prises ici.
« Je te ferai visiter plus tard le jardin, me dit-il. Il ne faudra pas trop y séjourner en plein soleil, et
quand tu le feras, ce sera à l’ombre ou toute nue parce que je veux un bronzage uniforme. Ne le force
pas. C’est mauvais pour la peau et quand je désire photographier une femme à la peau noire, je prends
une Africaine.
— Tu l’as déjà fait ?
— Oui. »
Nous entrâmes dans ce qui avait été le hall de l’hôtel, dont le guichet avait été retiré. Cette pièce
avait été aménagée comme un salon à la décoration soignée. Elle n’était pas du tout dans le style de la
villa de Denis, car elle conservait un cachet ancien même si elle avait été refaite. Les murs étaient
recouverts de lambris. Seules deux photos y étaient exposées, pas trop érotiques.
Irina et une autre fille, vêtue d’un short et d’un top découvrant son nombril, discutaient avec un
jeune homme d’agréable aspect, aux cheveux blonds coupés moyennement court et gominés. Sous
son tee-shirt, on devinait des muscles bien développés. Son bras gauche était décoré d’un tatouage
disparaissant sous son vêtement.
« C’est Milana et Guillaume, présenta Bruno. Guillaume est français, donc tu pourras causer avec
lui. Par contre, avec Irina et Milina, il faudra parler en anglais.
— Je pense pouvoir me débrouiller.
— Je te laisse avec eux. Il y aura une prise de vue avant la fin de l’après-midi, avec Guillaume et
Irina. Je te chercherai pour que tu vois les préparatifs, puis tu pourras y assister. Je vous chercherai. »
Bruno grimpa un escalier, me laissant sur place. Guillaume m’invita à m’asseoir à côté de lui, sur
un canapé. J’y consentis, même si j’aurais préféré rester avec Bruno. Il m’aurait été difficile de tirer
ma robe sur mes genoux, comme lors de ma première visite chez Denis. Je me rendis compte qu’en
me présentant ainsi, je me retrouvais dans la situation d’Ileana, et mon petit doigt me disait que mes
relations avec mon charmant voisin ne se limiteraient pas à de galantes conversations.
Trois hommes en si peu de temps, c’était pas mal pour la célibataire endurcie que j’avais été.
« Tu t’appelles comment ? demanda Guillaume.
— Edwige.
— J’adore ton prénom. Alors tu vas poser pour Bruno ?
— Officiellement, je suis décoratrice, mais Bruno veut me prendre en photo.
— C’est normal. Tes cuisses sont superbes. Le reste aussi, j’en suis sûr. »
Je croisais les jambes comme Irina et Malina, avec lesquelles j’échangeai un bref « Hello ». Elles
étaient des jeunes filles plus fraîches que moi, dotées de faux airs innocents.
« How old are you ?{1} m’enquis-je.
— I am eighty years{2} », répondirent-elles toutes les deux.
L’âge légal pour commencer à faire tout ce que l’on voulait de son corps. Si j’avais connu le mot,
je leur aurais demandé depuis combien de temps ça les démangeait.
« Tout à l’heure, tu verras ce que je fais avec Irina, me dit Guillaume.
— Vous avez déjà été photographiés ensemble ?
— Je l’ai été avec toutes les filles.
— Et tu es payé pour ça ?
— Bien sûr.
— Tu as de la chance. Je suis sûr qu’il y a beaucoup de volontaires pour ça. Tu as été recruté
comment ?
— J’ai été choisi par Bruno. Bien sûr, il faut avoir une belle queue et savoir l’utiliser. Et toi, tu es
arrivée comment ici ? Tu es la première Française que je vois.
— Je suis la copine de Denis Stevenot. »
Guillaume n’eut pas de réaction, comme si être la copine de cet homme n’avait aucune
signification.
« Tu le connais ? questionnai-je.
— Pas tellement. »
Je faillis répéter que j’étais sa nouvelle copine, mais je réussis à retenir à temps ces mots. Qu’est-ce
que la petite amie de cet homme venait faire dans un endroit pareil ?
Ah oui ! M’occuper du décor. Mais ce n’était pas ce que comprenait Guillaume, sûrement parce que
j’avais été obligée de porter l’uniforme des modèles. Pour preuve, il passa un bras sur mes épaules
pour m’attirer à lui, puis il décroisa mes jambes et caressa l’intérieur de mes cuisses.
« Très jolie, ronronna-t-il.
— Euh... Est-ce qu’il est vraiment prévu que...
— Bruno ne t’a pas dit qu’ici, on se comporte de manière très libre ?
— Non... Enfin si, mais...
— Nous formons une petite communauté très soudée et secrète... Si ce n’est qu’il en sort quelques
photos. Comme tu es entrée ici, c’est que tu en fais partie.
— En fait, je suis comme décoratrice. Je vais aussi me faire photographier pour mon copain... Pour
Denis Stevenot, je veux dire.
— Il aimera te voir enfilée par un homme. À toi de choisir lequel, et quand tu le voudras. Je peux te
montrer mon atout. »
Guillaume se mit debout devant moi, ouvrit et baissa son short. Il dressa sa queue en la caressant.
« Elle te plaît ? demanda-t-il.
— Oui . »
J’étais sincère. Cette tige longue et droite mais pas de taille exagérée, toute rose, promettait bien
des délices aux femmes qui l’accueillaient en elles. Mon corps s’emplit de désir. Je pris dans mes
mains ce délicat objet et en dégageai le gland. Je caressai également ses bourses rasées.
Tandis que j’admirai le côté face de Guillaume, les filles regardaient le côté pile, c’est-à-dire les
fesses du jeune homme, en gloussant. Elles s’échangèrent des commentaires dans leur langue, dont je
ne connaissais pas un seul mot.
« Elle a été très photographiée, reprit le jeune homme. Les filles doivent changer de temps en
temps de partenaire, mais pas trop souvent, pour leur sécurité.
— Parce que vous ne mettez pas de préservatif ?
— Évidemment ! Sur une photo d’art, ça ferait moche. Nous vivons donc en cercle fermé et nous
sommes contrôlés à notre arrivée. Outre les filles et moi, il y a un autre garçon ici, qui s’appelle
Matis. Je ne sais pas où il est en ce moment, mais tu ne tarderas pas à le voir. Donc les filles doivent
seulement prendre des contraceptifs. En général, elles arrivent ici avec des stérilets.
— C’est quoi, la différence entre vous et des acteurs pornos ?
— La différence ? C’est qu’on baise jamais devant la caméra ! Tu n’auras pas à pousser des
hurlements en simulant des orgasmes.
— Euh... »
Je fus tentée d’expliquer que ce genre de chose n’était de toute façon pas au programme, mais
visiblement, je n’en connaissais pas la totalité. Bruno ne m’avait annoncé que des généralités.
« Je vois que avez fait connaissance ! » s’exclama une personne à ma droite.
C’était Bruno, qui était redescendu avec une jeune brune très avenante, joliment maquillée. Ses
lèvres étaient rouge vif. Elle portait une robe pas aussi courte que la mienne, mais qui révélait
beaucoup de ses jambes bien galbées.
« Notre maquilleuse, Lætitia, déclara Bruno. Lætitia, je te présente notre nouvelle décoratrice,
Edwige. »
Nous nous fîmes la bise, tandis que Guillaume se rasseyait sans remonter son short.
« Tu es seulement maquilleuse, ou aussi modèle ? m’enquis-je.
— Avant tout maquilleuse. J’ai aussi été photographiée, mais très peu.
— Il y a une ambiance assez particulière, ici.
— Tu n’aimes pas ?
— Si si ! Mais je me demande si une femme mariée peut travailler ici. Il faudrait que son mari soit
assez ouvert d’esprit.
— Je ne le suis pas.
— On commence ! fit Bruno en tapant sur ses mains. Venez. »
Il s’engagea dans un large couloir, où nous le suivîmes, aboutissant à ce qui avait été la salle du
restaurant. Elle était à présent divisée en plusieurs pièces par des cloisons amovibles. La première
était la loge, qui ressemblait en tous points à celles des théâtres. Une longue table courait contre un
mur, au-dessus de laquelle des miroirs étaient fixés. L’éclairage y était vif. De l’autre côté,
s’alignaient des placards remplis de vêtements. Il s’agissait plutôt de lingerie sexy, dans laquelle je ne
pus m’empêcher de plonger les mains.
« Si tu trouves quelque chose qui est à ta taille et te plaît, tu peux le prendre, me dit Bruno.
— Vraiment ? Je peux me servir ? m’assurai-je.
— Ne dévalise quand même pas tout ! Ce sont des vêtements à mettre entre ici et chez toi. Ce que tu
auras choisi, tu pourras le ranger dans un placard à ton nom. Tu vois, les six filles présentes ont le
leur. »
Bruno dut déployer un peu d’autorité pour me sortir de là : j’étais comme dans un magasin dont
tous les articles auraient été gratuits. Pendant ce temps, Irina s’était assise à la table, tournée vers
Lætitia. Celle-ci commença à lui poudrer son visage.
Guillaume s’était installé à l’écart. Il devrait enfiler un costume, mais pour le moment, il regardait
les deux jeunes femmes en se caressant le sexe.
La pièce suivante était un studio photographique très simple, dont tous les murs étaient blancs. Il ne
comportait aucun meuble. Seul un flash sur pied accompagné de son parapluie réflecteur modérait ce
dénuement.
« C’est là que je fais les photos sur fond blanc, expliqua Bruno. J’en ai prise beaucoup. On peut
aussi dérouler sur ce mur un fond de couleur. Donc pour toi, il n’y a rien à faire ici. C’est l’autre
pièce qui te donnera du travail. »
Je me retrouvai dans un espace beaucoup plus grand, dont seule une partie avait été aménagée en un
coin de chambre très luxueuse. Elle comprenait un grand lit équipé de coussins, une commode et une
chaise. Du papier peint et des tentures avaient été collés sur les murs.
« Qui a fait ça ? demandai-je.
— C’est moi, répondit Bruno. Enfin, j’ai conçu le plan et ce sont des ouvriers qui ont réalisé les
travaux.
— Je trouve que c’est très bien.
— Oui, mais cela me demande du temps, alors si tu pouvais t’en occuper, ce serait bien. C’est dans
tes cordes ?
— Bien sûr.
— On est comme dans un studio de cinéma, ici. Ce n’est pas fait pour durer. Cette salle comprend
une dizaine de fenêtres qui sont dissimulées par des planches ou du placoplâtre. Comme tu le vois, il
n’en reste plus que deux. En changeant le décor, on peut ainsi déplacer les fenêtres.
— Pourquoi n’y a-t-il qu’un seul plateau ? Dans une salle aussi grande, il pourrait y en avoir
plusieurs.
— Avec ton aide, on en fera d’autres. »
Je continuai à examiner le lieu en sentant déjà l’inspiration me venir.
« Je pourrai imaginer les décors que je voudrai ? questionnai-je.
— Oui... Enfin, parfois, on le fera ensemble. Ce ne sera pas forcément une chambre. Cela pourra
être un salon ou une salle de séjour, par exemple. Il m’est arrivé de faire des photos dans l’ancienne
cuisine, que j’ai fait rénover pour cela.
— C’est très intéressant. Mais je me pose une question, puisque je ne suis pas photographe. Ce ne
serait pas moins cher de chercher des maisons pour avoir des décors tout prêts ?
— Tous les photographes de charme font ça, mais ça peut être très difficile d’en trouver. Il faut
parfois dédommager le propriétaire, et puis il y a toute l’équipe et le matériel à transporter. Et là,
nous faisons du sexe. Il vaut mieux être chez soi.
— Alors je te facturerai chaque prestation ?
— Oui, c’est plus simple comme ça. »
Plus simple que de m’embaucher. De toute façon, je préférais ne pas signer d’engagement avec
Bruno.
« Tu vas voir comment se passe une prise de vue, reprit-il. Après, je te photographierai sur ce lit,
juste pour faire un essai.
— D’accord. »
Je m’installai sur une chaise et regardai Bruno faire les préparatifs, en attendant l’arrivée des deux
modèles.
Irina se présenta dans une somptueuse lingerie blanche, composée d’un caraco retenant des bas et
d’un string. Sa poitrine était merveilleusement mise en valeur ; sa longue chevelure descendait en
longues boucles sur son dos. Lætitia avait réalisé un maquillage simple mais qui donnait une beauté
irréelle à son visage. Elle accompagnait Irina et Guillaume.
Quant à ce dernier, il avait revêtu un costume noir sur une chemise blanche. Son allure était
parfaite, mise à part une défectuosité : son phallus sortait de sa braguette ouverte.
« Je n’ai pas pu le rentrer, m’expliqua-t-il. Mais on commence tout de suite. »
Bruno donnait ses consignes en français, avec des gestes expressifs. Depuis son arrivée, Irina
entendait quotidiennement des mots comme « bite » et « sucer », dont elle avait forcément compris la
signification. La première chose qu’elle effectua fut justement de s’asseoir sur le lit et de mettre la
verge de Guillaume dans sa bouche. Le couple fut photographié plusieurs fois dans cette position, de
loin et de près. Bruno fit un gros plan du pénis du jeune homme, dont seul le gland avait été avalé et
dont les testicules dépassaient alors du pantalon. Irina fit ensuite sortir ses seins globuleux de son
caraco et continua à sucer Guillaume.
À la fin de cette première étape, le jeune homme dénoua sa cravate tandis que sa partenaire retirait
ses sandales, ses bas et son string. Sans avoir enlevé ses chaussures, il s’allongea sur le lit et Irina se
mit à quatre pattes au-dessus de lui. Elle l’embrassa d’abord sur la bouche, déboutonna sa chemise
pour dénuder son torse, sur lequel elle passa quelques coups de langue. Continuant sa descente, elle
défit la ceinture du pantalon de Guillaume afin de le faire glisser sur ses cuisses, et elle recommença
une petite fellation qui se réduisait par moments à de simples baisers sur le gland du jeune homme.
Son visage était à moitié caché par sa chevelure tombant en une cascade lumineuse.
Tout était photographié. Lætitia servait d’assistante à Bruno quand c’était nécessaire, juste pour
moduler l’éclairage.
Irina s’agenouilla au-dessus de Guillaume en prenant son phallus pour l’approcher de son sexe, et
elle s’embrocha dessus, la tête renversée en arrière dans une expression extatique. Bruno la laissa
faire quelques mouvements avant de lui demander de s’arrêter et de photographier le couple sous
plusieurs angles, les mains de Guillaume posées soit sur ses cuisses, soit sur ses seins. Elle enleva son
caraco, se retrouvant nue sur un homme portant toujours son costume, mais déshabillé de la poitrine
aux cuisses.
C’était extrêmement érotique. Depuis un moment déjà, j’avais écarté mon string pour mettre la
main sur mon sexe trempé, et je devais me retenir pour ne pas me masturber jusqu’à l’orgasme.
Chacun de ces gestes, effectué avec lenteur, comportait beaucoup de sensualité. Je sentais presque
dans ma chair la fusion des deux partenaires. La grâce de ce coït serait sûrement figée de la plus belle
des manières dans l’appareil de Bruno.
J’avais lu un article sur le tournage d’un film porno, alors je savais que la scène à laquelle
j’assistais n’avait rien de comparable. Les acteurs d’un film ne se connaissaient généralement pas. Ils
arrivaient sur le lieu du tournage, baisaient et repartaient. Cependant, les actrices devaient se présenter
avant les hommes à cause de leur maquillage et de leur habillage. Chez Bruno, les modèles vivaient
ensemble et partageaient une intimité qui se voyait sur les photos.
Enfin, Irina et son compagnon changèrent une nouvelle fois de position, pour une levrette. Après
de nouveaux clichés, Guillaume reçut l’autorisation de retirer sa veste et de pilonner sa partenaire
jusqu’à son éjaculation. Je regardai son bassin heurter en cadence les fesses d’Irina, laquelle
exprimait sa jouissance à grands cris. Bruno resta à côté d’eux sans chercher à capter un seul de ces
instants.
Quand le visag de Guillaume exprima l’imminence de l’orgasme, il retira son pénis et le serra
dans sa main. Une giclée de sperme s’étala en une arabesque blanche sur la vulve et les fesses d’Irina.
Bruno s’en approcha aussitôt avec son appareil pour photographier cette œuvre éphémère.
Le spectacle était terminé et tous les acteurs s’estimèrent satisfaits. Irina se leva en essuyant son
postérieur avec ses mains, puis elle se dirigea vers une salle de bains.
Bruno se tourna vers moi et me prit la main dans le sac, c’est-à-dire sur mon sexe.
« Ça t’a plu ? demanda-t-il avec un sourire ironique.
— Oui... C’était chaud.
— Je vois que tu es mûre pour prendre la place d’Irina. Commence par te déshabiller, sans enlever
tes sandales ni tes bijoux. J’ai l’intention de t’emmener dehors ensuite. »
Je jouai les strip-teaseuses devant cet homme, sans grand mérite puisqu’il m’avait déjà vue
dénudée. Je me dirigeai ensuite vers le lit.
« Il n’y aura pas de maquillage ni d’autre préparatif, poursuivit Bruno. C’est seulement un essai. Je
te laisse prendre les pauses que tu veux. Exprime-toi. Prouve que tu aimes t’exhiber. Ce n’est pas vrai
?
— Si, répondis-je avec une légère hésitation.
— Montre d’abord ton corps. À la fin, je me concentrerai sur ton sexe. »
Je commençai par m’asseoir simplement sur le lit. Je croisai les jambes, laissai Bruno prendre les
premiers clichés, puis les écartai.
« Lève les bras. Mets-les dans tes cheveux, me dit Bruno. Oui, c’est ça... penche la tête en arrière.
Cela fait saillir tes seins. »
Je montai ensuite sur le lit, les jambes repliées de différentes manières, puis je m’allongeai sur le
ventre afin d’immortaliser mes fesses dans le reflex de Bruno. Après cela, je me mis sur le dos, les
genoux relevés. Je plaçai les mains sur mes seins puis les fis glisser vers l’intérieur de mes cuisses.
« C’est ça ! m’encouragea Bruno en plaçant son appareil au-dessus de mon intimité. Pose tes mains
des deux côtés de ton sexe... Tourne-toi un peu... »
Il ne me pénétrait que par le regard, mais j’en avais les sens affolés.
« C’est incroyable comme tu mouilles, remarqua-t-il. J’adore cela. T’en as plein partout. Mets les
doigts dans ton sexe et ressors-les. Je veux les voir trempés. »
Je m’exécutai, pour mon plus grand bien. Dans l’état où j’étais, il fallait absolument que j’aie
quelque chose en moi. Si Bruno avait sorti son pénis à ce moment-là, ç’aurait été une délivrance pour
moi, mais il conserva un comportement très professionnel. Je constatai d’ailleurs sa passion pour la
photographie : il aimait vraiment fixé des femmes dans son appareil. Son excitation était celle d’un
chasseur d’images trouvant un animal rare dans une jungle équatoriale.
Il fit des gros plans de mon sexe ouvert au maximum par mes propres soins, sous un éclairage bien
meilleur que celui de la veille, puis il me demanda de me mettre à quatre pattes afin que je fusse prise
par derrière.
« Écarte tes genoux, dit-il. Pose ta tête sur le lit et mets les mains sur tes fesses. Voilà, c’est super... »
Il pouvait sans doute voir le fond de mon vagin. Quand il fut satisfait, je me rassis sur le lit tandis
qu’il regardait les photos sur son écran. Il avait une mine épanouie.
« Viens. On va faire un tour dehors et ce sera tout.
— Alors les photos sont réussies ?
— Il va falloir que tu travailles tes poses, mais ça va. Tu feras un excellent modèle.
— Tu vas les conserver ?
— Oui, bien sûr.
— Tu en enverras à Denis ?
— Je lui enverrai les meilleures. »
Nous quittâmes le studio en marchant côte à côte.
En arrivant au salon, je tombai sur l’homme le plus solidement bâti qu’il m’eût été donné de voir.
Je m’arrêtai net devant lui. Un pas de plus et j’aurais heurté son torse admirablement bien musclé,
juste recouvert d’un polo. Son visage manquait de finesse et ses cheveux étaient très court, mais il
avait un corps de rêve.
« Ah ! Tu es Edwige ? fit-il en regardant ma poitrine et tout ce qui se trouvait plus bas.
— Matis ?
— Oui, c’est moi.
— On va faire quelques photos dehors », dit Bruno.
Nous poursuivîmes notre marche avec Matis sur nos talons. Il n’était pas nécessaire de me
retourner pour savoir que son regard restait scotché sur mes fesses. Que de progrès avais-je effectués
! Je n’avais ressenti absolument aucune gêne à me montrer nue à un homme.
Le soleil avait eu le temps de baisser depuis ces longues prises de vues. Les ombres des arbres et
des plus hautes plantes se perdaient dans la végétation au lieu de s’étaler sur le sol, rehaussant le
charme de ce jardin.
Bruno me demanda de m’arrêter devant un arbuste.
« Ne reste pas toute droite, me conseilla-t-il. Offre-moi un joli déhanché. Plie un genou... Voilà,
c’est bien... Mets les bras sur ta tête. »
Cette prise de vues fut terminée, Bruno m’expliqua qu’il était très difficile de faire des photos de
nus en extérieur parce que l’on pouvait rarement se contenter de l’éclairage naturel. Il fallait y ajouter
tout un dispositif.
« Si tu le veux bien, je préparerai cela pour la semaine prochaine, conclut-il.
— Attends ! l’arrêtai-je. Tu veux vraiment que je devienne un modèle professionnel ?
— Ben oui ! Pourquoi pas ?
— Ce n’est pas possible ! J’ai un autre travail, moi.
— Ça va vraiment te gêner ?
— Sûrement.
— Bon, on en rediscutera. Une fille comme toi, je ne veux pas la rater.
— En attendant, ces photos, c’est seulement pour toi et Denis, hein ?
— D’accord. Je mets tout ça dans mon pc et je te raccompagne chez toi. Tu veux les voir ?
— Non. Je t’attends ici. »
J’avais repéré un banc à l’ombre sur lequel il me plairait de m’asseoir, mais il ne me fut pas
possible d’y rester une seconde seule. Matis s’installa à côté de moi.
« Denis Stevenot ? questionna-t-il.
— Oui.
— Mouais... Tu as dit à Guillaume que tu étais sa copine.
— En effet.
— Sauf que cet homme n’a jamais de copine.
— Qu’est-ce que tu veux dire ? fis-je avec inquiétude.
— Il ne couche qu’avec des prostituées.
— Oui, je sais. Pourtant, il me veut et Bruno me l’a confirmé. Il m’a dit que je lui appartenais.
Carrément.
— Possible... »
Matis avait le mérite de parler sans détour, mais détenait-il la vérité ?
« Tu connais Denis ? demandai-je.
— Pas personnellement. Je ne l’ai jamais rencontré, mais ici, on sait beaucoup de choses sur lui. Il
collectionne les photos de filles nues... Et de filles en train de se faire baiser. Il adore ça. Pourquoi
crois-tu que nous sommes là, nous ? »
Le moins que l’on puisse dire est que ses affirmations me mirent mal à l’aise. Notre « relation »
naissante n’allait certaines pas le faire renoncer à la contemplation de ces photos, puisqu’il la voulait
libre. Parler d’amour était complètement déplacé, même si je ne pouvais nier l’attirance physique que
nous ressentions l’un pour l’autre.
« Je t’assure qu’il tient à moi, répliquai-je. Je ne suis pas comme les autres femmes qu’il rencontre.
— Vous avez déjà couché ensemble ? demanda Matis.
— Oui.
— Bon alors, rentre dans son jeu si tu veux rester avec lui.
— Je ne comprends pas pourquoi il se comporte comme ça. Pourquoi ne veut-il pas se remarier ?
— Je n’en sais rien. Je ne suis pas à sa place.
— On ne peut pas dire qu’il veuille rester fidèle à son ex-épouse.
— Non. Mais il ne faut pas te poser de question. Si tu veux continuer à le fréquenter, fais ce que je
te dis. Ou plutôt, fais ce que Bruno te dit. Lui, il le connaît. Demande-toi seulement jusqu’où tu es
prête à aller.
— Qu’est-ce que tu veux dire ?
— Tu verras. »
Matis se tut pour reprendre la parole quelques secondes après :
« Mais je suis sûr que tu es douée. C’est pour ça que Denis t’a choisie.
— Douée pour le sexe ?
— Oui.
— Peut-être... Pourtant, je n’avais pas fait l’amour depuis un bon moment quand je l’ai rencontré.
— Mais tu n’étais pas vierge ?
— Non.
— Bon... Ce sont des choses qui ne s’oublient pas. Tu suces bien ?
— Oui... Je crois.
— Tu as déjà été sodomisée ?
— Oui.
— Et ç’a été ?
— Oui. J’ai aimé. »
Décidément, Denis m’était décrit comme un grand romantique !
Mais cela aiguisait ma curiosité. J’avais envie de percer le mystère de cet aristocrate atypique. La
haute société comportait sûrement pas mal de dépravés qui s’adonnaient secrètement à leurs vices.
J’avais des noms d’hommes politiques en tête, dont un ex-premier ministre italien. Pourtant, Denis s’y
prenait d’une manière unique. Et d’abord, il n’était pas si dépravé que ça, si ce qu’il m’avait dit de lui
était exact.
Je le croyais sincère.
« Tu veux que je t’apprenne des trucs ? demanda Matis.
— Sur quoi ?
— Sur le sexe. Je ne t’oblige à rien, mais je te garantis que si tu t’entraînes avec moi, tu ne le
regretteras pas.
— C’est possible, fis-je en souriant.
— Pour ça, il faut qu’on rentre.
— Maintenant ?
— Je crois que tu es prête pour ça. T’as plein de jus sur les cuisses. »
Matis avait raison. Après ce séjour dans le studio, avoir un phallus en moi me ferait le plus grand
bien. Je suivis donc le jeune homme quand il se leva, jusqu’au salon. J’y retrouvai Malina et une autre
fille qui s’appelait Eva et qui fut capable de prononcer quelques mots de français. Guillaume était
absent.
Mon nouveau compagnon s’assit sur un canapé et enleva son polo. Je restai un moment béate
devant ce que je vis : une paire de pectoraux sous lesquels se nichaient deux jolis mamelons, une série
d’abdominaux très bien dessinés. Les muscles de ses bras les rendaient deux fois plus épais que les
miens.
« Tu as fait du culturisme ? demandai-je.
— Oui. »
Ne pouvant résister à une attirance littéralement bestiale pour ce superbe mâle, le premier du genre
que je pouvais contempler, je posai le bout des doigts sur son épaule gauche et les fis courir sur sa
peau. Ce simple contact m’emplissait de délectation.
« Ça permet d’avoir du succès auprès des filles », ajouta-t-il avec un sourire.
Je voulais bien le croire, puisque cela marchait sur moi.
Il ôta ensuite son short, sous lequel se lovait un long membre viril. Je l’aidai à se redresser en le
prenant en main. Il n’était pas droit comme celui de Guillaume, mais recourbé vers le haut, et son
gland était un peu plus court, quoique d’un diamètre supérieur.
Mon quatrième phallus en moins de vingt-quatre heures !
« Monte sur moi, me dit-il.
— Ici ?
— Mais oui ! Ces filles sont habituées à tout. On va s’échauffer un peu, et après, on passera aux
choses sérieuses. »
Ma foi...
Je pris place au-dessus de Matis, les mains sur ses épaules, les genoux des deux côtés de ses
hanches, et je guidai son sexe dans le mien. C’était parti pour la deuxième cavalcade de la journée,
avec un autre homme. Cette fois, je pouvais étreindre mon partenaire et frotter mes seins contre son
torse, si bien que le plaisir fut supérieur. À ce moment, toute moralité avait disparu de mon esprit. Je
ne pensais plus qu’à ma jouissance et j’attendais mon orgasme, mais j’avais beau m’agiter comme
une possédée, il ne venait pas. Le canapé grinçait sous mes furieux coups de fesses, tandis que le
phallus de Matis allait et venait dans mon intimité.
« Arrête ! commanda-t-il. Arrête ! »
Je l’entendis mais mon élan était trop difficile à briser, et finalement, ce fut son sexe qui sortit tout
seul du mien. Je le pris de nouveau entre mes doigts, pour voir à quel point il avait été humidifié.
« Mets-toi à quatre pattes », poursuivit Matis.
Je lui obéis. En changeant de position, je m’aperçus que Bruno était présent, debout non loin de
moi, et qu’il me regardait. J’étais bien sûr au centre de toutes les attentions. Les deux filles jouissaient
du spectacle en chatouillant leurs clitoris.
Matis posa un doigt dans mon anus.
« Qu’est-ce que tu fais ? m’écriai-je.
— Je vais te sodomiser. Reste tranquille. »
Il caressa ma vulve puis reporta son attention sur mon orifice secret. Il en massa doucement mon
sphincter avant de le pénétrer prudemment avec ses doigts. Je me crispai, puis je pensai à ce que
j’avais déjà vécu. Malgré les quelques douleurs du début, je ne l’avais pas regretté du tout.
« Tu m’as tellement lubrifié que ce n’est pas la peine de mettre de la vaseline, dit Matias. J’y vais. »
Cette fois, ce fut son gland qu’il enfonça dans mon fondement, tout en poursuivant ses messages
très intimes.
« Tu dois m’aider en poussant avec tes muscles.
— Pousser comment ?
— Comme lorsque tu vas aux toilettes. Ça aide à la pénétration. »
Il n’attendit pas d’être vraiment enfoncé pour commencer de courts va-et-vient. Je m’aperçus que
cela m’aidait à me détendre. Il s’y prit si bien que je ne ressentis quasiment aucune douleur, et que je
l’encourageai à aller plus loin.
À force d’habileté et de patience, il arriva à pousser son phallus jusqu’aux testicules. Il n’était à vrai
dire pas d’une longueur phénoménale. Déjà, je sentais les premières gouttes de jouissance prêtes à
battre mon corps. Une averse diluvienne se déclencha quand il se mit pour de bon à limer mon
rectum. Je l’attisai en glissant un bras sous mon ventre, jusqu’à toucher mon clitoris et l’entrée
inoccupée de mon vagin. Le plaisir ressenti fut tout de suite démentiel. Les ruades de Matis, associé à
ma propre masturbation, me conduisirent à un orgasme explosif. J’eus l’impression de me
désintégrer avant de voguer dans une sorte d’apesanteur.
Matis se retira de mon fondement pendant que je m’affaissais comme un ballon crevé. Je me rendis
compte qu’il avait éjaculé en moi quand mon petit trou expulsa un jet de sperme, qui atterrit sur mes
propres cuisses. Il fut accompagné d’un pet à la sonorité liquide, qui fut assez fort pour être entendu
par tout le monde.
Il y eut un moment de silence complet, puis j’entendis Bruno murmurer :
« Putain... »
Et un peu plus tard, la voix plus haute :
« Je dois absolument vous photographier, tous les deux. »

***

Un peu plus tard, je voguai vers le sud dans la Mercedes, baignée par la lumière du soleil couchant.
Je m’étais lavée et rhabillée – tout en restant aussi déshabillée que possible. J’étais calme en
apparence, mais le souvenir de mon orgasme anal continuait à gronder en moi. Si j’avais déjà été
sodomisée, c’était la première fois que j’avais autant joui grâce à cet orifice. Et le plus fort était
qu’avant cela, une pénétration vaginale contrôlée par moi-même n’avait pas réussi à me faire
grimper au ciel.
Bruno et moi, nous étions silencieux, mais je savais qu’il pensait également à cette apothéose. J’en
eus la preuve quand il déclara de but en blanc :
« Tu devrais acheter un plug anal.
— Un quoi ?
— Tu sais, le genre de truc qu’on se met dans le cul. Cela te préparera aux prochaines sodomies.
— Attends ! Je suis venue à ton studio comme décoratrice. Ensuite, je veux bien me faire
photographier pour Denis.
— Mais avoue que tu t’es bien éclatée. Matis te plaît ? »
Il m’aurait difficile de répondre par la négative. Le simple fait de penser à lui me faisait frémir,
surtout dans le bas-ventre.
« Je le vois bien, répondit Bruno à ma place.
— C’est purement physique.
— Tu vois que j’avais raison. On décrit toujours les hommes comme des obsédés du sexe et les
femmes comme des romantiques attendant le grand amour, mais ils sont beaucoup plus proches qu’on
ne veut l’admettre. Tu peux t’envoyer en l’air avec n’importe homme qui te plaît et qui sait s’y
prendre.
— N’empêche... Je n’ai pas l’intention d’abandonner Denis.
— Je ne t’ai pas demandé de le faire. Je pourrais même te conduire directement chez lui.
— Tu ferais ça ?
— Pourquoi ça t’étonne ? »
Nous nous regardâmes un court instant dans les yeux, puis Bruno reporta son regard sur la route.
Je baissai la tête et posai les mains sur mes cuisses, comme pour vérifier qu’elles étaient prêtes à
recevoir les caresses de Denis.
C’était vrai. Je pouvais me présenter ainsi à lui.
« Ma voiture se trouve chez moi, dis-je. Et je dois travailler demain matin. Je ne sais pas si Denis
pourra me conduire. »
Mon interrogation aurait dû être formulée ainsi : je ne savais pas si cet homme secret accepterait de
sortir de sa tanière pour moi.
« Il te fera appeler un taxi, suggéra Bruno.
— Au fait, tu es sûr qu’il est prêt à me recevoir ?
— J’ai discuté avec lui pendant que j’étais en haut... et que je lui envoyais tes photos. Je sais donc
qu’il sera chez lui ce soir. Mais téléphone-lui. »
J’ouvris mon sac pour en tirer mon smartphone. Au moment où je cherchais Denis dans mon
carnet d’adresses, mon rythme cardiaque s’accéléra brusquement. Je ne pensai pas du tout à lui
comme à mon amant, mais comme à un homme puissant qui m’intimidait. Malgré tout ce qui s’était
passé depuis cette soirée orgiaque, j’étais revenue un jour en arrière, quand il n’était encore qu’un
client potentiel vers lequel je me dirigeais. Je me demandais si j’étais autorisée à le déranger.
Mais il prit tout de suite la communication.
« Bonsoir. C’est Edwige, dis-je à mi-voix.
— Bonsoir Edwige. Où es-tu ?
— Je suis dans la voiture de Bruno... En fait, je pense à passer chez toi, si tu es libre.
— Tu peux venir. J’allais passer la soirée seul.
— Bon alors, j’arrive.
— À tout de suite, chérie. Je laisse la porte de la villa ouverte.
— Bisous. »
Ce fut aussi simple que cela.
Après avoir coupé la communication, je laissai mon regard sur l’écran de mon smartphone, avec
un certain étonnement. N’étaient-ce pas en réalité mes ébats avec Matis qui m’avaient donné
l’impression de m’éloigner de lui ?
Cette impression était trompeuse. Durant tout l’après-midi, j’avais été comme modelée par ses
propres doigts.
Puisqu’il habitait du côté de Grabels, nous arrivâmes rapidement à destination. Bruno arrêta sa
voiture devant le portail, qui s’ouvrit, mais il n’entra pas dans la résidence.
« Je te laisse, dit-il. À la prochaine. »
Je lui donnai un baiser avant de quitter la voiture et je m’engageai dans l’allée. Ce fut le trajet le
plus long que j’effectuai sur ces nouvelles sandales, choisies par un autre que moi mais qui me
convenaient très bien.
J’ouvris moi-même la porte de la villa. La musique d’un orchestre symphonique m’accueillit.
Émise par de grandes enceintes, elle emplissait le salon d’une véritable pâte sonore. Denis était assis
sur un canapé, le dos tourné vers moi. Je ne voyais que sa tête et ses épaules recouvertes par une
chemise.
Je m’avançai vers lui et contournai son canapé. Il écoutait cette musique les yeux fermés, un
sourire vaporeux flottant sur son visage. Je me plaçai devant lui en me demandant ce que je devais
faire pour attirer son attention, mais ses paupières se soulevèrent.
« Ah ! Te voilà ! fit-il avec un air des plus aimables.
— J’ai fini ma journée.
— Oui. J’ai longtemps regardé tes photos. Tu es très belle. »
Sa main droite courut sur mes jambes avant de m’attirer à lui. Je lâchai mon sac et montai sur le
canapé pour l’enlacer.
« Connais-tu cette symphonie ? me demanda-t-il.
— Non.
— C’est la quatrième symphonie de Brahms. Tu n’écoutes pas de musique classique ?
— Ce n’est pas tellement mon truc.
— Il y a des tubes que tout le monde connaît. La lettre à Élise de Beethoven, par exemple.
— Peut-être. Ça me dit quelque chose.
— Là, c’est le premier mouvement de la symphonie. Je l’aime beaucoup. C’est aussi entraînant
qu’une valse. Tu entends ce balancement ? »
Je m’abstins de répondre à Denis pour me concentrer sur la musique et constater qu’il avait raison.
Comme j’avais pris plaisir à écouter ce mouvement, ce fut mon compagnon qui reprit notre
conversation :
« Le terme de “ classique ” n’est pas très adapté à la musique de Brahms. On parle plutôt de
musique romantique, puisque c’était la grande époque du romantisme.
— Tu aurais aimé y vivre ?
— Probablement.
— Alors il y a un grand cœur là-dedans ? » fis-je en posant la paume de ma main sur la poitrine de
Denis.
Il sourit et mit sa main sur la mienne.
« Oui, il y a un cœur qui bat », répondit-il.
Je me penchai sur lui pour l’embrasser sur la bouche.
Quelle amoureuse je faisais ! Un moment de tendresse sur fond de musique romantique après une
sodomie effectuée par un autre homme, qui m’avait portée sur les cimes du plaisir. Bien entendu, des
échos affaiblis de ces sensations continuaient à m’habiter, comme tout ce que j’avais vécu durant ce
mémorable après-midi.
Ma métamorphose avait été définitive : je ne pouvais plus être la même femme après une telle
expérience.
Il interrompit la musique à la fin du premier mouvement.
« Tu as faim ? s’enquit-il.
— Oui.
— J’ai commandé une paella et j’en ai mangé une partie tout à l’heure. Il en reste pour toi.
— Tu as déjà mangé ?
— Je prends mon dîner très tôt. Comme cela, je digère avant d’aller au lit. »
Nous nous dirigeâmes ensuite vers la cuisine. Pieds nus sur le dallage, j’en fis une exploration plus
approfondie que dans la matinée. Je dénichai le reste de paella dans le réfrigérateur et je le réchauffai
tandis que Denis restait assis sur une chaise, à me regarder.
« Tu ne fais jamais la cuisine toi-même ? demandai-je.
— Si, quelquefois, mais mon traiteur s’y prend mieux que moi.
— Tu veux que je m’y mette demain soir ?
— J’assisterai à un vernissage à La Panacée.
— Ah ? … J’aimerais bien t’y voir. C’est à quelle heure ?
— À dix-huit heures. »
Quand mon repas fut chaud, je m’installai à table, face à Denis. Je commençai à manger tout en le
regardant dans les yeux. Des rayons de soleil diffusés par un meuble nous éclairaient.
« Tu me trouveras une robe de soirée pour aller au vernissage ? questionnai-je entre deux
bouchées.
— Si tu veux...
— Je sens que l’idée de t’afficher avec moi te rend très enthousiaste. Moi, j’aimerais bien que ça se
passe comme ça. »
Il se racla la gorge.
« Écoute... Nous ne sommes officiellement pas ensemble.
— Alors tu veux que je me rende à La Panacée mêlée à la foule des anonymes ? Ainsi, je pourrai
t’admirer en compagnie de... je ne sais qui.
— J’y serai entouré de plein de monde mais seul.
— Je sais. Tu n’as jamais de compagne. C’est Matis qui me l’a dit. Tu sais, le culturiste qui baise les
filles chez Bruno. »
Ce que nous fîmes avec nos yeux fut dès lors un affrontement. Je me sentais rejetée, bien que je
n’eusse pas reçu l’autorisation d’avoir de tels sentiments.
« C’est d’abord moi qui te l’ai dit, répondit-il. Tu seras ma compagne en privé mais pas en public.
— Non, tu ne m’as pas dit cela. Je t’ai entendu parler d’une relation libre, non exclusive... Mais
peut-être que j’ai mal compris. Il devait y avoir du cérumen dans mes oreilles. »
Denis posa les coudes sur la table et son menton sur ses doigts emmêlés. Il fixa son regard sur moi
mais resta silencieux, comme s’il avait été occupé à chercher ses mots. J’avalai une bouchée de paella
sans guère penser à ce que j’avais dans la bouche.
Comment avais-je pu éprouver de la timidité face à cet homme ? Il paraissait inflexible, mais
derrière son masque, se cachaient des faiblesses qu’il n’était pas difficile de percevoir.
« J’ai peut-être oublié de te préciser cela, admit-il.
— Que nous ne sommes officiellement pas ensemble ?
— Oui.
— Est-ce que je peux savoir en quoi ça te gênerait ? »
Il y eut une nouveau silence.
« Ou pour m’exprimer différemment, pourquoi refuses-tu de te remarier ? » repris-je.
Cette fois, je n’y étais pas allée par quatre chemins. J’avais posé la seule question qui comptait. Je
vis des souvenirs douloureux bouger derrière les yeux marron de Denis.
« Ça restera mon secret, déclara-t-il.
— Tu l’aimes toujours, c’est ça ? Tu continues à l’aimer mais cela ne t’empêche pas d’avoir des
désirs sexuels, alors tu les satisfais avec des filles de passage. Parfois, tu charges d’autres hommes de
les baiser à ta place et tu regardes les photos. J’imagine que c’est un bon moment d’allier la fidélité à
la mémoire de ton épouse à ton envie de sexe. »
Denis ne me répondit pas tout de suite. J’avais peut-être vu juste.
« Tu peux penser ce que tu veux, dit-il enfin. Je compte bien te garder, mais à ma manière.
— Je l’ai très bien compris. »
Suis les conseils de Bruno, me rappelai-je. Fais tout ce que Denis te dira de faire.
À cette pensée, je me radoucis. D’ailleurs, s’il continuait vraiment à aimer son épouse, je trouvais
cela plutôt émouvant. Il ne m’avait pas menti en me parlant de romantisme.
« Alors tu veux que je sois photographiée avec Matis ? demandai-je.
— Cela me ferait plaisir.
— Et que veux-tu encore ? Dis-le moi.
— Pas tout de suite.
— Laisse-moi deviner. Le passage chez Bruno n’est qu’une première étape de ton plan ? C’est cela
?
— Qu’est-ce qui te dit que j’ai un plan ? Je veux te réconcilier avec le sexe et te voir en photo.
— Puis que je devienne comme Ileana ?
— Je n’ai pas dit cela.
— Mais cela ferait frétiller le petit pervers qui sommeille au fond de toi, comme en chaque
homme. Prendre une jeune femme vertueuse et la transformer en pute, c’est un fantasme masculin. »
Denis eut un sourire qui se transforma en un petit rire.
« Tu connais si bien les hommes ? fit-il.
— Je n’en ai pas fréquenté beaucoup mais je sais certaines choses sur eux. C’est donc cela que tu
attends de moi ?
— Il s’agit seulement de faire semblant.
— Que je couche avec des hommes et qu’ils me payent avec des imitations de billets ?
— Non. Je souhaite seulement que tu aies l’air dévergondée. J’aime les jolies filles ni pudiques ni
farouches... Prêtes à coucher avec n’importe qui. J’ai bien dit prêtes à le faire. Je ne te demande pas de
coucher à gauche et à droite.
— Encore heureux !
— Je souhaite te modeler à ma manière, tout en préservant cette part de toi que j’apprécie. »
Était-ce à dessein qu’il n’avait pas employé le verbe « aimer » ?
« J’ai très bien compris ce que tu attends de moi et je t’obéirai », répondis-je.
Je vis les yeux de Denis d’illuminer de plaisir. Quel plus grand bonheur que d’avoir une femme
prête à réaliser tous ses fantasmes ? Avec sa défunte épouse, ce n’aurait pas pu être possible. Sylvie
avait dû être obligée de préserver sa réputation de miss. C’était un avantage que j’avais sur elle.
Il me regardait comme une friandise. Je réagis en levant un pied pour atteindre son genou du bout
de mes orteils. Il attrapa mon pied, puis se pencha pour regarder ce qui se trouvait sous la table.
« Voir cette sublime paire de jambes, cela me fait envie, murmura-t-il. Bruno a bien raison d’exiger
qu’elles soient découvertes.
— Vous avez l’air de très bien vous entendre.
— Oui, pour tout ce qui concerne le sexe. »
Denis commença à me caresser le pied, puis la jambe. J’y fus sensible mais je voulus terminer mon
repas avant de passer aux choses sérieuses. Comme dessert, j’eus droit à un morceau de tarte aux
fraises, ce que j’adorais. J’en fus heureuse, car c’était un point commun avec Denis. Cela faisait au
moins un point commun avec Denis.
Après le dîner et la vaisselle, il m’invita à me changer. Pour cela, il me conduisit dans une pièce où
j’étais déjà passée. Des piles de vêtements étaient rangées dans des placards. C’est de là que provenait
la robe que je portais.
« Tu comptes ouvrir un magasin ou quoi ? demandai-je.
— C’est Bruno qui a acheté tout cela. Comme il fait venir de temps en temps des modèles, il peut
prendre leurs vêtements dedans. Il y en a pour toutes les tailles.
— Tu as déjà été photographié avec l’une de ces filles ?
— C’est déjà arrivé, plus rarement que tu pourrais le croire. Bruno préfère photographier un
homme et une femme qui se connaissent. Moi, je ne couche pas avec ces filles en dehors des prises de
vues et je dois m’arranger pour ne pas être reconnu.
— En clair, Bruno ne photographie que tes parties intimes ?
— Oui. Est-ce que tu connais son site Web ?
— Non, pas encore.
— Je vais te le montrer. »
D’abord, Denis me proposa d’enfiler une nuisette. Je dénichai un vrai chef-d’œuvre, en dentelles
noires, qui recouvrait mes seins sans vraiment les cacher. Elle n’était pas très courte mais elle était
fendue sur les côtés. Je fis tomber ma robe sous les yeux ravis de mon compagnon pour mettre ce
nouveau vêtement, qui me transfigurait plus encore.
Nous descendîmes au salon, où Denis alluma la lumière. Le soleil était parti, ne laissant que
quelques traînées crépusculaires derrière lui.
Ce fut la télévision qui servit d’écran pour l’ordinateur, lequel était relié à un clavier et une souris
sans fil. Denis manipulait cette dernière en la posant sur une tablette placée sur ses genoux.
« Veux-tu d’abord voir tes photos ? questionna-t-il.
— Oui, dis-je sur un ton morose qui contredisait ma réponse.
— Je t’assure que tu es très belle.
— Puisque je vais faire des prises de vues plus soignées, attendons-les.
— Comme tu veux. »
Je vis apparaître la page d’accueil du site de Bruno. Il ressemblait aux autres sites érotiques ou
pornographiques avec abonnement, mais sa présentation était plus soignée. Comme je ne les
fréquentais pas, je n’étais pas en mesure de pousser la comparaison plus loin. Je les avais seulement
vu passer.
Denis utilisa un mot de passe qui était valable en permanence et entra dans cet espace de beauté et
de volupté. Je m’étais laissée entraîner sans enthousiasme, mais il était impossible de rester froide
face à ces photos de couples enlacés avec plus ou moins de sensualité, dans la moitié des cas en pleine
copulation.
« Tu les regardes tous les jours ? m’enquis-je.
— Assez souvent.
— Et des vidéos ?
— Je ne suis pas un grand amateur. L’acte sexuel est par nature répétitif. Ça va bien les deux
premières minutes, mais après, ça devient lassant. C’est plutôt quelque chose qui doit être pratiqué.
Voir des photos en haute résolution, avec une vraie esthétique, c’est différent. Preuve que je ne suis
pas le seul à le penser, ce site a du succès. »
Il faut dire qu’il y en avait pour tous les goûts. Les amateurs de hard étaient servis. Des jets de
sperme avaient été pris en plein vol. Un long phallus était légèrement enfoncé dans un vagin et le
reste était enduit d’une substance dont on ne savait pas trop si c’était de la semence ou des secrétions
féminines. Un autre était planté dans une rondelle féminine. Le tout avait été photographié en gros
plan, si bien que l’on ne voyait guère qu’un sexe masculin, avec ses testicules, surplombant un sexe
féminin fermé.
À ce stade de la découverte, j’avais inséré ma main droite entre mon string et ma vulve et je
taquinais celle-ci. Je bavais devant les superbes phallus et paires de fesses musclées qui défilaient sur
ce large écran.
« Tu as reconnu le mien ? demanda Denis.
— Ah non ! Je n’ai pas fait attention. »
Pour dire vrai, je préférais le voir seul qu’enfoncé dans un orifice féminin qui ne m’appartenait
pas.
« Tu veux revoir l’original ? poursuivit-il.
— Je veux bien. »
Le renflement de son pantalon montrait qu’il était aussi excité que moi. Je lui permis d’être plus à
l’aise en ouvrant son pantalon. Je me retrouvai vite agenouillé entre ses cuisses, tenant d’une main
ferme son sexe et reluquant ses bourses. Son prépuce glissa tout seul sur son gland, car celui-ci était
trempé. Je m’étais tardivement rendu compte que les hommes mouillaient également.
« Tu veux savoir comment prendre soin d’une bite ? C’est très important. Le pénis d’un homme est
un chemin qui mène à son cœur. Ce n’est pas le seul mais il compte beaucoup.
— Quelle philosophie !
— Je suis sérieux. La première chose à faire est de montrer que tu adores mon pénis, qu’il t’excite
terriblement. Cela doit me sauter aux yeux. N’hésite pas à mettre des mots dessus, à dire que aimes
sentir mon sexe durcir et qu’il t’impressionne.
— D’accord.
— Si tu veux gagner un homme en une seconde, mets directement la main sur son entrecuisse,
caresse et fais durcir son membre dans son pantalon.
— Je risque de passer pour une salope, au mauvais sens du terme.
— Cela dépend du contexte. »
Je n’en avais jamais fait l’expérience. L’idée me sembla intéressante et je dois avouer qu’elle me
tenta.
« Quand tu l’as débraguetté, tu dois montrer que tu sais t’y prendre, que ce soit avec les doigts ou
avec la bouche, continua-t-il. Pour cela, il faut que tu sois entraînée. »
La soirée fut dédiée à ma formation. Je l’effectuai nue. La première chose fut de lécher de manière
douce et tendre l’extrémité du membre de Denis. J’y passai un bon moment. Ensuite, je l’avalai de
plus en plus profondément, jusque dans le fond de ma gorge. Denis m’apprit à le faire en réglant ma
respiration sur mes mouvements, ce qui m’aida à surmonter mes craintes d’avoir un haut-le-cœur.
Grâce à ses conseils, tout se passa bien et je connus le plaisir de partager une telle intimité avec un
homme, d’emprisonner sa virilité et de la sentir pulser au fond de moi.
Mais il existait bien d’autres manières de donner du plaisir. Denis m’apprit une façon de le lécher
qui consistait à commencer sur le périnée, à poursuivre sur les testicules, à remonter sur la tige puis à
effectuer des cercles sur le gland. L’opération pouvait être renouvelée autant de fois que nécessaire,
jusqu’à l’explosion finale. Je retardai cet instant afin de le rendre aussi délicieux que possible, tout en
jetant des coups d’œil égrillards à Denis. Je lisais les premiers signes de la jouissance sur son visage
et je m’en délectais. Par moments, j’utilisais l’une de mes mains pour me caresser un peu.
Tout cela était très bien, mais il fallait conclure. Toujours en suivant les conseils de Denis, je remis
son sexe dans ma bouche et le serrai à la fois avec les lèvres et la langue pendant que l’apothéose
contractait ses muscles. Dans un râle sonore, il expulsa une abondante giclée de sperme. Je l’avalai en
entier puis gardai son pénis bien au chaud dans ma cavité buccale, tandis que l’orgasme de Denis
retombait. Ce fut le point d’orgue de la plus longue fellation que j’avais jamais effectuée.
Je crus que mon amant, affalé sur le canapé, allait s’endormir, mais il rouvrit les yeux et reprit de
la vigueur.
« Encore quelques séances d’entraînement et je te décernerai ton diplôme de suceuse, déclara-t-il.
C’était impeccable. Cependant, il y a d’autres techniques à apprendre.
— Ce sont les escort-girls qui t’ont instruit ?
— Pas seulement. Il y a des livres qui parlent de ces techniques. Les escorts ont l’avantage de faire
de la pratique.
— Heureux homme... Et elles ne t’ont pas volé ton cœur ?
— Certaines auraient pu, mais nos relations sont trop éphémères... Allonge-toi ici. Je vais
m’occuper de toi. »
Denis eut la délicatesse ou l’intelligence de me montrer que je n’étais pas qu’un instrument de
plaisir pour lui, et qu’un homme mis « hors service » pouvait continuer l’acte d’amour. Quand je fus
sur le dos, il se pencha sur mes seins pour les caresser et les sucer. Son habileté me fit partir sur les
chemins de la jouissance, plus encore quand il tendit une main vers mon sexe pour jouer avec lui. Il
me donna également un très long baiser sur la bouche, afin d’attiser le feu qu’il avait allumé.
Après l’intense orgasme que la sodomie de Matis avait provoqué, je m’étais sentie fatiguée du sexe.
Pourtant, les douces attentions de Denis, les frottements lascifs de sa peau sur la mienne, réveillèrent
ma sensibilité. J’étais donc capable de faire l’amour plusieurs fois par jour, avec plusieurs hommes.
C’était une autre leçon à retenir.
Nos ébats se terminèrent dans le lit de Denis, sans qu’il n’eût retrouvé son érection. Le lendemain
matin, je fus tentée de ne pas le quitter, mais mon travail m’appelait. Je descendis en nuisette prendre
mon petit-déjeuner avec mon compagnon, puis quand le moment fut venu de me maquiller, il me
demanda de forcer un peu sur les couleurs.
« Pourquoi ? demandai-je.
— Tu comprendras quand tu verras la robe que je te proposerai. »
Je devinai ce qu’il voulait dire et je me fis donc un maquillage plus visible que d’ordinaire. Je
retournai ensuite dans sa chambre, retirai ma nuisette et découvris avec effarement ce que Denis
m’avait choisi.
« Essaie-la, dit-il. Elle est à ta taille.
— Tu veux vraiment que je...
— Oui, je le veux. Il n’y aura que le chauffeur du taxi qui te verra ainsi. »
C’était une petite robe avec plein de trous qui découvraient mes hanches et cachait à peine mes
seins. Elle s’arrêtait juste au-dessus et n’était retenue aux épaules que par des fils. Elle me convenait,
mais je ne pouvais pas dire que dans ce vêtement, je me sentais habillée. Au moins, il descendait assez
bas pour soustraire mon intimité aux regards.
« Pour une prostituée, c’est parfait », dit Denis en me contemplant.
À ce costume, il ajouta un collier de perles et deux grandes boucles d’oreilles en argent. Il déplaça
quelques mèches de cheveux et se recula pour me contempler comme un sculpteur devant son œuvre.
« Plus que des sandales et ce sera parfait, dit-il. Ah ! Et puis il y a également ceci, à mettre dans ton
sac. »
Il ouvrit une commode pour en tirer des billets de banque, tous de deux cents euros, et me les
mettre dans la main.
« Mille euros pour la nuit passée avec moi et deux cents pour cette magnifique fellation. Quand tu
seras plus expérimentée, ce sera toi qui fixeras les tarifs.
— Mais... je ne peux pas, protestai-je faiblement.
— Tu avais dit que tu ferais tout ce que je voudrais. »
Je regardai les six billets tout neufs qu’il m’avait donnés et les fis glisser les uns sur les autres.
« Ce n’est pas possible de me payer comme ça chaque nuit, protestai-je.
— Non, pas après chaque nuit. Quand je le voudrai. »
Denis me donna un sourire irrésistible, puis un petit baiser accompagné d’une caresse du bout des
doigts sous le menton. Je ne pus que répondre à cette marque de tendresse légère comme une plume.
« Je cherche avant tout à te rendre service, susurra-t-il. Garde ces billets. Ils te serviront à payer le
taxi. »
Je cherchai donc mon sac pour y ranger les billets. Après cela, il ne nous resta plus qu’à trouver
une paire de chaussures qui me conviendrait, dans la réserve de vêtements. J’étais obligée d’en
changer, puisque Denis voulait que je fusse perchée sur des talons aiguilles d’au moins dix
centimètres. Notre recherche s’avéra fructueuse, si bien que je fus condamnée à me tenir en équilibre
sur ces échasses. Mais comme me le révéla un miroir, j’étais devenue un rêve éveillé pour les
hommes.
« Attends. Juste un truc », fit Denis en glissant ses mains sous ce qui me tenait lieu de robe.
Il retira mon string.
« Qu’est-ce que tu fais ? m’écriai-je.
— On le voit à travers les trous de ta robe. Je t’en fais pas, elle est assez longue pour cacher ton
sexe.
— Une prostituée est vraiment obligée de s’habiller de manière aussi provocante ?
— Ça vaut mieux pour elle, quand elle cherche des clients.
— Et quand elle n’en cherche pas ?
— Tu sais qu’il y a des filles qui font ça parce qu’elles aiment le sexe autant que l’argent ? Et quand
on est désinhibée à ce point, on a envie de se montrer.
— Ce n’est pas la majorité des prostituées.
— Oui, je sais que la plupart sont contraintes, mais aucune de celles que j’ai reçues ne l’était. Je te
jure qu’elles aiment ce qu’elles font.
— Je veux bien le croire... surtout avec un client comme toi.
— Tu n’as jamais fantasmé d’être une prostituée ?
— Très honnêtement, non.
— Mais tu dois bien avoir des fantasmes. Toutes les femmes en ont. »
C’était trop intime pour que je pusse en parler. J’arriverais sans doute à me libérer totalement, mais
pas en ce jour, et puis le taxi était déjà en route.
Je quittai le premier étage, d’un pas mal assuré sur mes échasses, pour revenir dans ce salon
consacré aux débauches nocturnes.
« Si je me casse la figure à cause de ces talons, ça ne fera pas très professionnel, opinai-je. Je ferais
mieux de prendre d’autres sandales.
— Non, entraîne-toi. »
Je fis donc les cent pas en attendant le taxi, m’exerçant à acquérir une démarche gracieuse, voire
aguicheuse. Je pris plaisir à mettre à jour cette part cachée de ma féminité. Mais je ne me transformais
pas en une prostituée. Malgré le paiement en espèces de Denis, je ne faisais qu’y jouer.
Quand le taxi arriva, je quittai la villa et franchis avec assurance les quelques mètres qui me
séparaient de cette Citroën C5. Le chauffeur voulut m’ouvrir la porte du passager avant mais je
préférai m’asseoir à l’arrière, juste derrière lui. Il ne protesta pas, se réinstalla à son volant et mit son
véhicule en marche. Je tirai autant que possible ma robe sur mes cuisses et serrai celles-ci, bien qu’il
n’eût pas la possibilité de les voir. Seuls nos yeux pouvaient se croiser, dans le rétroviseur.
C’était un homme d’une quarantaine d’années, de type maghrébin, au visage rugueux. Quand il eut
quitté la résidence de Denis, il se mit à me regarder avec de plus en plus d’insistance.
« Gardez votre attention sur la route, lui conseillai-je.
— Oui oui. J’ai l’habitude.
— L’habitude de quoi ? De transporter des femmes comme moi ?
— De jolies femmes... Un soir, il y a un couple qui a fait l’amour sur la banquette. Ils rentraient du
restaurant et ils étaient un peu éméchés... Enfin, je veux dire... Ils se sont bien bécotés, quoi.
— Oui, je vois. »
Le chauffeur reprit après un moment de silence, sans vraiment m’avoir lâchée des yeux :
« Vous êtes une call-girl ?
— Ça ne se voit pas ?
— Si, ça se voit... C’était pour être sûr... Alors c’est vrai que Denis Stevenot, il paie des call-girls ?
— Oui. Depuis qu’il est veuf.
— Vous le voyez régulièrement ?
— Non, c’est seulement la deuxième fois. Je ne le connais pas si bien que ça. Vous savez des choses
sur lui, vous ?
— Ben... Oui... Je sais que c’est un héritier.
— Et qu’il était marié à une miss ? Sylvie Ricault, c’est ça ?
— Oui, c’est ce qu’on dit. »
Je compris tout de suite que cet homme ne savait pas grand-chose, bien que les chauffeurs de taxi
fussent réputés pour leurs grandes oreilles. Denis était vraiment secret. Il ne laissait filtrer que son
goût pour les prostituées de luxe. D’ailleurs, si j’étais assise presque nue sur la banquette arrière de ce
véhicule, c’était évidemment pour aider la rumeur à se propager. J’étais chargée d’une mission dont
j’ignorais la raison.
Je regardai les maisons de Grabels défiler des deux côtés de la voiture. Quelques nuages cachaient
par moments le soleil mais il faisait aussi chaud que la veille. La climatisation envoyait sur ma peau
un air tiède, comme une caresse éthérée.
« Je peux vous demander vos tarifs ? reprit le chauffeur. C’est juste par curiosité.
— Pour une nuit complète, c’est mille euros, répondis-je en priant pour que ce tarif fût dissuasif.
— Mille ? … Et pour une heure ?
— Quatre cents.
— Waouh ! Vous arrivez à trouver des clients ?
— Oui.
— Pas étonnant... Vous êtes vraiment très belle... Très sexy.
— Je le serai moins si vous envoyez votre voiture dans le décor, alors regardez la route.
— Oui, je la regarde. »
Ses yeux se décidèrent à quitter les miens. Cependant, nous arrivâmes très vite devant le premier
feu rouge.
Pourvu qu’il n’aille pas courir à un distributeur de billets ! me dis-je.
« Vous savez, j’ai déjà vu des prostituées, et franchement, elles ne donnent pas envie. Parfois même,
ce sont des mecs. Des travestis, quoi, reprit-il avec un petit rire.
— J’en suis peut-être un.
— Je ne crois pas. Vous êtes beaucoup trop belle pour ça. »
Si je faisais croire à Denis qu’il fréquentait des travestis, cela écornerait son image, mais jamais je
ne lui ferais cela. Je voulais œuvrer pour son bien.
En poursuivant mes réflexions, je me demandais pourquoi les gens devaient savoir qu’il
fréquentait des prostituées mais que ses relations avec Bruno Mayot devaient être passées sous
silence. Peut-être le prêt qu’il lui avait accordé pour l’achat de sa maison était-il compromettant. Ou
peut-être était-ce le cumul de ces deux informations qui pouvait lui nuire, en le faisant passer pour un
homme totalement dépravé.
Tandis que le taxi s’approchait de mon immeuble, je pensai à demander au chauffeur de s’arrêter
avant, puisque je désirais ne pas être vue dans cet accoutrement. Mais d’une manière ou d’une autre, je
serais bien obligée de rentrer chez moi et cela me ferait plus de distance à parcourir sur ces talons
faits pour les photographies de charme et certainement pas pour la marche. Et...
Mais non, quelle imbécile ! Ce que voulait Denis, c’était me faire passer pour une prostituée aux
yeux de tout le monde ! Il voulait que cela se sache.
« On ne peut pas vous acheter un service de moins d’une heure ? s’enquit le chauffeur. Quelque
chose de léger... Je ne sais pas...
— J’y réfléchirai, répondis-je. Ordinairement, je passe pas mal de temps avec mes clients.
— Juste bavarder un peu, que je puisse vous regarder. Parce que là, je ne vois rien du tout.
— Et vous êtes prêt à payer pour ça ?
— Oui. Je suis quelqu’un de correct, moi. Excusez-moi si je tente ma chance, mais j’aimerais vous
quitter avec un bon souvenir... Et puis, je voudrais connaître la vie des call-girls. Je suis curieux. »
Ouais... Je suis exactement la fille qu’il faut interroger.
« Vous pourrez me mater quand je quitterai votre taxi », répondis-je.
Le chauffeur se le tint pour dit et n’insista plus.
Peu de temps après, il s’arrêta sur le parking de mon immeuble et je pris un billet de deux cents
euros pour payer ma course. Il s’en saisit avec intérêt, sachant que c’était un témoignage de ma
relation avec Denis, et me rendit quelques billets plus petits.
Je sortis du taxi à la manière d’un mannequin défilant sur un podium, avec un déhanché que
j’espérai réussi, puis quand la porte de mon immeuble se referma derrière moi, je changeai
totalement d’attitude. Je retirai mes sandales et les pris à la main pour monter en flèche l’escalier et
me réfugier dans mon appartement. Il me sembla un moment ne plus le reconnaître, non parce qu’il
avait changé mais parce que c’était moi qui étais devenue une autre personne. Il s’était passé tant de
choses depuis la visite de Bruno, juste la veille !
J’aurais pu me débarrasser de cette robe indécente, mais j’étais à présent seule et je m’y sentais très
à l’aise. Je passai d’abord dans ma chambre pour y ranger mon gain, puis je me précipitai sur mon
ordinateur pour l’allumer. J’avais reçu quelques mots de copines, dont l’une, prénommé Léa, qui
tenait à me voir, et de ma mère. Tout en m’interrogeant sur le moyen de passer ma nouvelle vie sous
silence, je cliquai sur un autre message, écrit par Bruno :
« Coucou. Toujours intéressée par ma proposition ? Je te laisse réfléchir sur le décor où tu poseras,
seule et avec ton partenaire. Imagine ce que tu veux et envoie-moi le devis. J’aimerais faire cela la
semaine prochaine. Mais si tu es libre ce soir, passe nous voir. On va bien s’amuser;) Matis pense à
toi. Gros bisous. »
Un photo avait été mise en pièce jointe, montrant Matis de profil, nu et le sexe dressé. En fait, seule
la partie médiane de son corps avait été photographiée, mais le jeune homme était reconnaissable à
son phallus. Je l’avais déjà vu passer durant ma dernière soirée avec Denis. Cette fois, je pris prendre
mon temps pour contempler sa physionomie, grâce à cette image en haute résolution, les yeux
exorbités et la main sur ma vulve, qui avait immédiatement réagi à ce stimulus visuel. Le souvenir de
notre accouplement revint en moi, augmentant mon excitation. Ne rien porter sous une robe frisant la
limite de l’inexistence, c’était pratique.
Après avoir longuement admiré ce chef-d’œuvre de la nature, je fus obligée de laver mon doigt
pour le remettre sur la souris et le clavier. Je me connectai à Facebook, et le temps de quelques
battements de cœur, un message de Denis apparut :
« Alors, ç’a été ?
— Qu’est-ce que tu veux dire ? écrivis-je.
— Avec le chauffeur.
— Il m’a demandé mes tarifs. C’est ce que tu voulais, n’est-ce pas ?
— Je ne t’en cache pas.
— À quoi joues-tu donc ?
— Je t’ai déjà tout expliqué. On continue ?
— Puisque tu le veux.
— Il faut que nous le voulions tous les deux et que nous y prenions du plaisir.
— Je me demande s’il n’y a pas un risque pour moi.
— Quel risque ? Tu es sous ma protection.
— Tu me protèges parce que je suis ta créature, c’est ça ?
— Oui.
— Ta soumise ?
— Non. Je veux juste que tu te fasses photographier et que tu joues à la prostituée.
— Parce que tu ne fréquentes que des putes ? »
Il y eut un court silence qui montra la pertinence de ma question.
« Pour moi, tu n’en es pas une, même si je t’ai donné de l’argent, écrivit Denis.
— Oui, mais je suis sûre que tu veux que les gens me prennent pour une pute. Sinon, tu ne m’aurais
pas demandé à monter avec cette robe dans le taxi.
— Tu penses que le chauffeur va parler de toi partout ? Il ne sait même pas comment tu t’appelles.
— Non, écrivis-je avec contrition. Mais tu n’as pas peur de faire courir des ragots sur toi ?
— Qu’un homme seul utilise son argent pour attirer de belles jeunes femmes, cela ne surprend
personne. »
Je choisis d’éloigner la conversation du terrain où je l’avais menée :
« Quelle expérience voudras-tu me faire connaître, après cela ? Du sadomasochisme ?
— Je t’ai dit que j’aime les filles dépourvues de pudeur. Quand tu te promèneras au centre ville, je
veux que ce soit en petite tenue. Je ne te verrai pas mais j’essaierai de t’imaginer.
— Tu n’as pas des espions pour me surveiller ? Et me photographier en cachette ?
— Quand même pas ! Je veux que tu aies l’air d’une dévergondée, c’est tout.
— C’est déjà pas mal.
— Et prépare-toi pour ton petit libertinage. Essaie de trouver des pilules assez vite.
— Bien, mon capitaine. Quoi d’autre ?
— Ce sera tout.
— Au fait, veux-tu toujours refaire l’intérieur de ta villa ?
— Réfléchis-y et envoie-moi ton devis quand tu le voudras.
— Pour cela, il faudra que je revienne chez toi et que je fasse autre chose que me masturber au
bord de ta piscine. Il faudra travailler plus sérieusement, quoi.
— D’accord.
— Quand puis-je revenir ? Demain ?
— Je te ferai signe. »
Dès la fin de notre conversation, je téléphonai à mon médecin pour prendre rendez-vous, afin
d’obtenir des pilules. Je devais m’en occuper très vite, pour mes futures relations sexuelles avec
Denis, mais aussi avec Matis et les autres hommes vivant chez Bruno. Denis avait éjaculé une fois
dans mon vagin, par ma volonté, mais vu où j’en étais dans mon cycle, je ne croyais pas que cette
union serait féconde. Il faudrait que je sois plus prudente à l’avenir.
Je savais où trouver des préservatifs, mais il me faudrait attendre l’après-midi pour y aller. Je
cherchai un plug anal sur internet, où de nombreuses publicités expliquaient que ce petit objet
facilitait la sodomie. Le conseil de Bruno devait être bon. Je cherchai ma carte de crédit et passai
commande.
En matière de petites robes et de lingerie sexy, j’étais servie. Peut-être me faudrait-il trouver
d’autres produits de maquillage. Ainsi, j’aurais l’attirail nécessaire pour le dévergondage.
Après cela, j’écrivis un mot à Bruno pour lui confirmer que j’acceptais sa proposition, puis je pris
des feuilles de papier et un crayon afin d’ébaucher un décor pour le studio. J’éliminai d’emblée la
chambre à coucher, puisqu’il y en avait déjà une. Je remplaçai le lit par un canapé, qui serait placé
dans un vaste salon avec d’autres meubles. Il devrait y avoir une table et des chaises, peut-être une
armoire munie d’un miroir, ce mobilier ayant une apparence luxueuse. Je me souciai également de
donner une belle apparence aux fenêtres et aux rideaux qui les couvriraient.
Bruno m’avait dit que j’y serais photographiée avec un partenaire, qui serait sûrement Matis. Je
savais qu’il ne me laisserait pas vraiment le choix, et que derrière lui, se tenait Denis, qui voulait
absolument me voir dans les bras d’un autre homme. J’imaginai les positions que j’adopterais avec
Matis, sur le canapé et pourquoi pas sur la table. Je me vis allongée dessus, sur le dos, les jambes
relevées par mon partenaire qui me pénétrait debout tandis que je me caressais les seins. Je pouvais
également être photographiée au milieu de la pièce, accroupie devant lui pour une fellation.
Élaborer le décor de nos futurs ébats s’avéra être une tâche plaisante, au service de laquelle
j’associai ma créativité à ma libido.
Je me souvins des propos que quelqu’un m’avait un jour tenus : « On ne peut pas prétendre avoir
vécu si l’on n’a pas tout essayé. »
Le goût de l’aventure ne m’avait jamais été étranger. C’était lui qui m’avait encouragée à prendre
le statut de travailleuse indépendante.
Mais au fait, si Bruno ne commercialisait pas les photos qu’il prendrait de moi, comment paierait-
il le décor que j’étais en train de lui préparer, ainsi que toutes les dépenses entraînées par la prise de
vue ? Denis les lui achèterait-il ? Sans doute. Il n’en était pas à cela près.

***

Durant l’après-midi, je fis quelques courses et j’en revins avec des préservatifs que je rangeai dans
ma chambre. J’en laissai un dans mon sac, pour le cas où...
Je fus très tentée de venir chez Bruno, où à l’hôtel, comme on le disait familièrement, mais
l’accueil y était si chaleureux que je craignais de ne pouvoir revenir à Montpellier avant la fin de la
journée, or ma copine Léa tenait absolument à me voir. J’y renonçai donc, travaillai un peu et me
préparai pour notre rencontre, en suivant les instructions de Denis. Porter une mini-robe ne me
dérangeait pas du tout. Je craignais seulement les réactions de certains hommes, mais les femmes
court vêtues ne subissaient pas quotidiennement leurs assauts et je pouvais espérer que la chance
serait avec moi pour cette journée.
Je regardai toutes les robes apportées par Bruno. Celle que j’avais choisie la veille était
malheureusement restée chez Denis. J’en pris une autre de couleur vert olive, qui s’accordait bien
avec la teinte de mes yeux, et je me chaussai avec l’une de mes paires d’escarpins. Elle me permettrait
de marcher avec aisance, voire rapidement en cas de besoin.
Qu’est-ce qu’il ne faut pas faire pour plaire à un homme qui n’est pas vraiment mon copain...
Le désigner par le terme d’amant serait largement plus justifié.
Courageuse mais pas téméraire, je pris la voiture et non les transports en commun. Je la laissai
sous l’aqueduc Saint-Clément et me dirigeai d’un pas leste vers le café où Léa m’attendait. Impossible
de ne pas remarquer le regard des hommes sur mes jambes. Une vraie exhibitionniste y aurait pris du
plaisir... Alors je devais conclure qu’il y avait de cela en moi.
Léa m’accueillit avec des yeux dilatés de surprise.
« Mais qu’est-ce qui t’est arrivé ? s’écria-t-elle.
— Rien... je t’expliquerai. »
Nous nous fîmes la bise et nous assîmes à une table ronde si petite que nos genoux auraient pu se
toucher.
Léa était une brune assez avenante, dont le costume contrastait beaucoup avec le mien puisqu’elle
portait un pantalon. Je l’avais connue à Saint-Étienne, où nous avions grandi. Le hasard, pour Léa, et
ma propre volonté, pour moi, nous avait fait migrer à Montpellier. Nous y étions arrivées à des dates
différentes, mais nous nous étions finalement retrouvées.
Après m’avoir demandé brièvement si tout se passait bien de mon côté, Léa aborda le sujet qui lui
tenait à cœur : son copain Vincent, avec lequel elle vivait depuis bientôt un an. J’avais déjà compris
que leur relation ne se déroulait pas correctement.
« Il garde le contact avec son ex, me révéla-t-elle. Il ne veut pas le reconnaître mais je sais qu’il
reçoit des SMS. Si le pouvais, j’irais fouiller dans son mobile, mais il n’y a pas moyen.
— Même pas pendant son sommeil ?
— Il faudrait que je mette la main sous son oreiller !
— Ce n’est peut-être pas si grave que ça. Est-ce qu’il est toujours amoureux de toi ?
— Oui, c’est ce qu’il dit. Mais je ne sais pas si je dois le croire. »
Léa poussa un soupir et parut s’affaisser sur elle-même, comme si son ossature était devenue
molle.
Ah, les malheurs de l’amour ! Je ne les avais pas vraiment connus car je n’avais jamais été éprise à
la folie. J’avais certes aimé et vécu des déceptions sentimentales, mais pas au point de perdre toute
raison de vivre.
« Essaie d’avoir une discussion franche avec lui, conseillai-je. Et s’il ne veut rien admettre, trouve
un moyen de lire ces SMS. C’est important de savoir ce qu’il y a dedans.
— Je suis bien d’accord. Mais... et si... et s’il aimait toujours cette fille ?
— Avant de penser à ce genre de chose, tu dois savoir ce qu’il a dans la tête. Ne commence pas à te
faire des idées. Peut-être qu’il ne veut plus penser à son ex mais qu’elle le poursuit. Qu’est-ce que tu
sais sur elle ?
— Pas grand-chose.
— Tu dois t’informer. Pour prendre une décision, il faut avoir toutes les cartes en main.
— J’ai peur de découvrir la vérité.
— Mais c’est nécessaire. Peut-être que tu te fais des soucis pour rien. »
Un sourire pointa sur le visage de Léa.
« Toi, tu n’as jamais peur de rien, remarqua-t-elle.
— Non. Tu me connais bien.
— Je t’envie d’être comme ça... Mais tu n’as jamais été amoureuse. Tu ne peux pas savoir ce que
c’est.
— Je pense pouvoir l’imaginer.
— J’ai l’impression que tu es un peu... froide. Ce n’est pas un reproche. C’est juste ton caractère qui
est comme ça. Au fond, ça vaut peut-être mieux. »
Elle scruta mon visage, comme pour percer les mystères qui subsistaient entre nous, puis elle reprit
en plissant les yeux :
« Pourquoi veux-tu rester seule ?
— Il faut que je fasse démarrer mon activité.
— J’ai l’impression que c’est une raison que tu t’inventes, et qu’en fait, tu fuis les garçons. »
Je réussis à ne pas pouffer de rire. Avant ma rencontre avec Denis, sa supposition aurait été exacte.
Depuis, elle ne l’était plus du tout.
Pour me donner une contenance, je refermai les lèvres sur la paille de mon verre de soda et aspirai
un peu de liquide. Mais l’analogie avec une fellation frappa immédiatement mon esprit, bien qu’une
paille fût beaucoup plus fine qu’un pénis raidi par le désir, et le liquide, plus frais et goûteux que du
sperme.
J’espérai qu’aucun reflet de mes pensées déviantes ne se vît sur mon visage. Il s’était écoulé moins
d’un jour depuis la très longue fellation que j’avais faite sur Denis. À son réveil, il en avait eu droit à
une autre, beaucoup plus courte. Je croyais encore sentir le goût de son membre et de sa semence.
« Non, je ne fuis pas les garçons, répondis-je en toute honnêteté. Plus maintenant.
— Tu as trouvé quelqu’un ? s’étonna Léa.
— Nous sommes venues ici pour parler de toi, esquivai-je. Je pense avoir d’excellents conseils à te
donner, si jamais Vincent s’éloigne de toi.
— Vas-y !
— Séduis-le. »
Léa ne comprit pas ce que je voulais dire et écarquilla les yeux. Je laissai tomber la paille dans mon
verre et m’adossai sur ma chaise.
« Est-ce que tu t’es déjà baladée toute nue et en talons aiguilles devant lui ? demandai-je à mi-voix.
— Non... Pourquoi ?
— Parce que les hommes adorent ça ! Les hauts talons, c’est le symbole de la féminité. Tu dois
éveiller la séductrice qui sommeille en toi. Mets une robe minuscule, ou avec un décolleté qui
descend jusqu’au ventre, et sors avec Vincent comme cela. Sois sexy et provocante. Tu verras
comment tu accrocheras les regards des hommes. En s’apercevant de cela, Vincent n’aura plus envie
de regarder ailleurs. Bref, fais comme moi. »
Comme j’avais déjà vu Léa en petite culotte, je savais qu’elle avait un corps désirable.
« Mais... mais... Pourquoi tu t’es habillée comme ça, toi ? bredouilla-t-elle.
— Parce que je n’évite plus les garçons. En fait, je ne les ai jamais fuis. C’est juste que j’ai fait
passer ma carrière avant eux.
— Et alors ? Tu as trouvé quelqu’un ? … Allez oui, je le vois bien ! C’est qui ?
— C’est plus compliqué que ça, soupirai-je.
— Qu’est-ce que tu veux dire ?
— Oui, j’ai un copain, mais on a des relations assez libres. Pour le moment, on joue seulement le
jeu de la séduction.
— Tu l’as rencontré comment ? C’est un client ?
— Non, pas seulement... Euh, enfin, je veux dire... »
Si mes paroles s’entremêlaient, c’est parce que je pensais à la fois à Denis et à Matis. J’aurais été
plus claire si j’avais avoué faire du libertinage, mais je ne l’osai pas.
Malgré les questions dont je fus assaillie, je parvins à ne pas dire qui étaient ces deux hommes et
quelle était la nature exacte de mes relations avec eux, mais je ne pourrais pas tenir éternellement
ainsi.
Il me fut impossible de quitter Léa sans lui avoir promis de venir chez elle pendant le week-end
avec mon amoureux. Elle avait été imperméable à mes tentatives d’explications embrouillées. J’étais
dans de beaux draps ! Je songeai à demander à Matis de se faire passer pour mon copain, mais je
n’étais pas sûre qu’il accepterait de se prêter à cette mascarade. Si je savais très peu de choses sur lui,
je sentais qu’il était honnête.
Non, il n’était pas mon copain. Il était seulement l’homme avec qui je baisais quand j’allais chez
Bruno, et si je continuais à me rendre là-bas, j’y aurais certainement d’autres amants. Je n’opposais
aucune résistance au libertinage auquel on me poussait.
Quant à Denis... Un moment, j’eus envie de me rendre à La Panacée avec Léa, pour lui faire la
surprise. Je faillis sourire en imaginant sa réaction. Lui aussi, il serait étonné de me voir à ce
vernissage auquel il ne m’avait si aimablement pas conviée.
En fait, ce n’était pas drôle du tout. Il appréciait apparemment de me mettre dans des situations
impossibles. Il ignorait que j’avais rencontré une amie, en excitant forcément sa curiosité, mais c’était
bien lui qui m’avait ordonné de me balader à moitié nue, et le matin, il m’avait fait prendre le taxi
dans une tenue bien pire, avec l’intention avouée de me faire passer pour une prostituée.
Était-il en train de jouer avec moi comme un chat joue avec une souris ? Je pouvais partir à tout
moment, mais je renoncerais alors aux avantages de notre liaison, notamment pécuniaires. Si je
rompais avec lui, ma collaboration tellement prometteuse avec Bruno prendrait-elle également fin ?
C’était très possible.
Pour la première fois, je fus emplie de doutes. M’éloigner de Denis serait douloureux, mais il
m’envoyait des signaux négatifs que je ne devais pas ignorer.
3. Chapitre

Après ma rencontre avec mon amie Léa, durant laquelle j’avais été contrainte de lui avouer que
j’avais un « copain », mes pas me ramenèrent vers l’aqueduc Saint-Clément. Je passai à côté de ma
voiture, mais au lieu de monter dedans, je pris la direction de la promenade du Peyrou, afin d’y
poursuivre mes méditations. Je réfléchissais mieux quand j’étais dehors que chez moi.
Je trouvai un banc libre et m’y installai pour tenter de faire le point. Des rangées d’arbres
m’entouraient sans me protéger du soleil, mais cela ne me dérangeait pas car j’aimais la chaleur et
j’étais résistante. La petite montre que j’avais au poignet indiquait dix-neuf heures passées.
Ce que Denis avait dressé entre lui et moi s’appelait une barrière, même si elle avait des trous par
lesquels un semblant de relation s’était établi. Devenir la petite amie d’un homme de son rang était
évidemment impossible. D’abord, il ne pouvait pas avoir de copine, mais seulement une épouse. À la
rigueur, quelques aventures de passage lui étaient permises, ainsi que la fréquentation de prostituées.
Il n’avait pas fait semblant de me donner mille deux cents euros : il m’avait vraiment payée. C’était
une manière très claire de me dire quelle place j’occupais auprès de lui.
Qu’il était toujours hanté par sa défunte épouse, c’était d’une évidence absolue et j’en étais attristée.
« Eh, salut ! » m’écriai-je.
Un jeune homme venait d’arriver devant moi, vêtu d’un bermuda et d’une chemisette. Il marchait en
regardant les pointes de ses sandales, l’esprit visiblement occupé par tout autre chose que par la
promenade du Peyrou. Il était un peu plus grand que moi, plutôt mince et pas désagréable du tout à
regarder, avec ses cheveux noirs aux mèches rebelles et ses yeux rêveurs. À coup sûr, c’était un
étudiant.
Il s’arrêta et me regarda comme si j’avais été une extraterrestre tombée du ciel.
« Salut, répondit-il tout de même.
— Tu as un moment pour causer ?
— Pourquoi ?
— Pour causer », répétai-je en me demandant s’il fallait comprendre « Pour quoi ? » ou «
Pourquoi ? ».
Oui, je sais, les filles n’accrochent normalement pas les garçons, mais j’avais changé et c’était un
bénéfice que je pouvais tirer de mes aventures sexuelles.
Il continua à hésiter.
« Allez, assieds-toi, insistai-je en donnant des tapes sur l’assise de mon banc. Je veux juste avoir
quelqu’un à qui parler. Tu t’appelles comment ?
— Sébastien.
— Moi, c’est Edwige. »
Il se résolut à prendre place à côté de moi, le buste incliné vers l’avant comme pour être prêt à se
sauver.
« Qu’est-ce que tu fais dans la vie ? m’enquis-je.
— Je suis étudiant.
— En quoi ?
— En biologie. Je prépare une licence.
— Pas mal ! Moi, j’ai fait des études artistiques. Je crois que je suis un peu plus âgée que toi. Tu as
une copine ?
— Pourquoi tu me demandes ça ?
— Si tu n’en as pas, tu n’as qu’à répondre non. »
Il me scruta de nouveau avec méfiance.
« En fait, je crois que non, repris-je.
— Qu’est-ce qui te fait dire ça ?
— Mon intuition. Et puisque tu ne me contredis pas, c’est que j’ai raison.
— Qu’est-ce que tu veux, au juste ?
— Juste avoir quelqu’un avec qui parler. Je me sens seule.
— Ah ! »
Sébastien parut rasséréné et se détendit. Je sentis qu’il ne me considérait plus à présent comme une
extraterrestre, mais comme une jolie blonde sur laquelle il était tentant d’arrêter son regard.
« Tu as une chambre à l’université ? demandai-je.
— Oui.
— J’ai encore deviné juste. Je crois que tu es quelqu’un de très sérieux, n’est-ce pas ?
— Peut-être.
— Bien sûr que si ! Moi aussi, je suis sérieuse. Sans cela, je n’aurais pas eu mon diplôme. »
Je tirai une carte de visite de mon sac pour la lui tendre.
« Edwige Steinmetz, Architecte d’intérieur, lut-il.
— Et je suis également dans les Pages jaunes, précisai-je.
— Tu as dit que as fait des études artistiques.
— Dans ce métier, il y a un côté technique, mais il y a aussi de l’art, puisqu’on fait de la décoration.
C’était surtout ça qui m’intéresse.
— Alors tu travailles en indépendant ?
— Oui. Ça ne marche pas très fort en ce moment, sinon je ne serais pas sur ce banc à ne rien faire.
J’ai deux chantiers en cours, et un troisième plus léger dans le studio d’un photographe. Mais je n’en
suis qu’au début. Mon activité va sûrement se développer. »
Je donnai à mon nouveau compagnon l’adresse du futur magasin de chaussures. Dès lors, il se
détendit totalement, convaincu que j’étais une personne inoffensive.
Eh non, je ne suis pas une violeuse ! souris-je en mon for intérieur.
Pour le mettre encore plus l’aise, je posai des questions sur ses études, puisque les gens n’ont pas
de meilleur sujet de conversation qu’eux-mêmes. Il était en licence de biologie fonctionnelle de la
plante et avait l’intention de s’inscrire en master, ce qui lui donnerait un niveau bien plus élevé que le
mien. Je me rendis vite compte qu’il était passionné par ce qu’il faisait. Comme il était doué d’une
vive intelligence, je lui prédisais un brillant avenir.
Ça ne l’empêchait pas de s’intéresser aux filles, comme le révélait son regard à présent plus
souvent fixé sur mes jambes que sur mon visage. Il ne regrettait pas de s’être fait interpeller par moi
et je sentais qu’il ne pourrait pas me quitter sans ressentir de profonds regrets.
« Je t’invite à manger chez moi ? lui proposai-je.
— J’aimerais bien, mais... il faut que je révise demain, répondit-il.
— Mais c’est ce soir, que je t’invite, ce n’est pas demain. Qu’est-ce que tu avais compris ? »
Il rougit et ne répondit rien.
« Allez, viens ! » dis-je en me levant.
Nous allâmes jusqu’à ma voiture en poursuivant notre conversation. Après avoir beaucoup
interrogé Sébastien, je parlai de moi. Je me décrivis comme une personne sociable, mais avec un
aspect solitaire parce que tout le monde ne pouvait pas me suivre. Il s’agissait du caractère de tête
brûlée dont Léa avait parlé.
« Je vois ça, opina Sébastien. Tu es la seule fille qui puisse se jeter sur un garçon et l’inviter chez
lui.
— Dis donc, je ne me suis pas jetée sur toi ! répondis-je en riant. Je t’ai seulement salué.
— Ce n’est pas pour faire la pêche aux garçons que tu t’es habillée comme ça ? »
Il me dévorait maintenant des yeux et brûlait certainement d’envie de toucher les parties dénudées
de mon corps.
« C’était pour rencontrer une copine, répondis-je.
— Ah bon ? Alors tu aimes porter des petites robes ?
— Je m’y mets. Je trouve que ça me va bien.
— Ce n’est vraiment pas pour séduire ?
— Quand je suis sortie, je ne pensais pas du tout rencontrer quelqu’un.
— Alors pourquoi tu m’as interpellé ?
— Parce que j’ai senti que tu avais quelque chose... »
Je lui donnai un sourire qu’il me renvoya.
« C’est un comportement très masculin, remarqua-t-il.
— On peut le dire. »
Nous arrivâmes à ma voiture. J’ouvris les portes et nous nous assîmes dans ce que le soleil avait
transformé en une fournaise. Moi, cela ne me dérangeait pas. Je baissai toutefois les vitres afin de
faire chuter la température.
Pendant tout le trajet, nous parlâmes peu, ce qui me permit de me concentrer sur la conduite. Mon
passager n’avait pas d’autre occupation que la contemplation de mes bras et de mes cuisses.
« Tu invites souvent des garçons chez toi ? s’enquit-il.
— Non.
— Non ?
— Je te ferai le récit de ma vie sentimentale quand nous serons chez moi. »
J’en restai là, ne voulant pas rompre le charme de notre rencontre par le récit de mes aventures
avec d’autres hommes.
Dans l’escalier de mon immeuble, nous croisâmes une voisine qui me donna un coup d’œil
révélateur de son incompréhension. En tout cas, j’étais cuite : on me considérait une fille qui invitait
un homme chaque soir.
Sébastien laissa échapper une petite exclamation quand il entra dans mon appartement.
« Alors tu me crois, quand je te dis que je suis architecte d’intérieur ?
— Je t’ai toujours crue.
— Viens voir mon salon. »
Le jeune homme s’arrêta sur le seuil de la pièce afin de la contempler, puis il alla s’asseoir sur le
canapé.
« Tu veux quelque chose à boire ? lui demandai-je.
— Du jus de fruit ?
— D’accord. Je t’apporte ça. »
Je me précipitai dans la cuisine pour tirer du réfrigérateur une brique de jus d’orange, prendre
deux verres, puis revenir dans le salon. Je déposai ce rafraîchissement sur la table basse, devant
Sébastien. En me penchant, je laissai son regard pénétrer dans le décolleté de ma robe et atteindre mes
seins, ce dont nous fûmes tous les deux conscients.
J’en fus plutôt émoustillée, car c’était ce que je voulais. Quant au regard du jeune homme, il
remonta vers mes yeux avant de se fixer sur la table. Je le sentis gêné.
« Si tu veux, il y aussi du jus de cerise, déclarai-je.
— Non, ça ira.
— Je viens d’en acheter pour la première fois. J’aime essayer de nouvelles choses. »
Je remplis les verres avant de m’asseoir sur une chaise face à Sébastien, les jambes croisées. L’un
de mes pieds était dirigé vers lui, si bien qu’il pouvait admirer le verni rouge que j’avais mis sur les
ongles de ses orteils. Mais son regard montait plus haut.
Ou peut-être ne ressentait-il plus que de la gêne face à mon comportement provocateur.
« Tu te poses des questions sur moi ? demandai-je.
— Oui, reconnut-il.
— Une fille qui invite un garçon inconnu chez elle, ce n’est pas très courant.
— Non.
— J’effectue bel et bien la profession que je t’ai dite, continuai-je, mais depuis un certain temps,
j’ai été... On m’a appris à profiter de la vie. »
La pomme d’Adam de Sébastien bougea, signe d’une déglutition.
« Qui est ce “ on” ? » s’enquit-il.
Fallait-il continuer sur ma lancée ou lui raconter des balivernes ?
Se confier à un inconnu était-il un comportement sensé ? Mais comme nous avions déjà beaucoup
bavardé, Sébastien ne me paraissait plus comme un inconnu et j’avais la certitude qu’il était sincère.
J’y aurais mis ma main au feu.
Il se comportait très bien avec moi. D’autres garçons auraient profité de la situation pour me faire
des « avances », comme on le dit si joliment, voire être beaucoup pressants, mais pas lui. Il restait
sagement sur le canapé, si bien que je me sentais confiante.
Et pourquoi ressentais-je le besoin de faire des confidences ? Peut-être parce qu’il est toujours
agréable d’avoir quelqu’un à qui parler, une personne capable de jeter un regard extérieur sur soi-
même.
Il me faudrait tout de même être prudente afin de ne pas blesser Sébastien. Malgré les apparences,
je lui avais sûrement déjà donné de grands espoirs.
« Dis-moi, si tu rencontrais une fille avec un passé un peu trouble, est-ce que ça te gênerait ?
questionnai-je.
— Qu’est-ce que tu entends, par “ trouble ” ?
— Qui a un rapport avec la pornographie. Je n’ai pas dit que j’étais une actrice porno, mais je me
suis fait photographier dans des positions un peu... Enfin, tu vois ce que je veux dire.
— Oui, je vois.
— Alors ? Tu en penserais quoi ?
— Je ne sais pas trop...
— Je pense que beaucoup d’hommes aimeraient connaître une fille comme moi, parce qu’ils
pensent qu’ils peuvent coucher facilement avec elle. J’ai raison ?
— Probablement.
— Mais ils seraient loin d’être les premiers.
— S’il est possible d’avoir une relation sérieuse, ça ne me gêne pas. Je veux dire que je n’aimerais
pas n’être qu’un mec parmi les dizaines qu’elle fréquente.
— C’est bien évident. Alors ce qu’elle a fait dans le passé, ça ne te dérange pas ?
— Non. »
Allez, je me lance !
« J’ai rencontré un homme très particulier, déclarai-je. Il a beaucoup de charme et il est riche et
puissant. Il veut que nous restions en relation sans que nous soyons en couple. Je sais que c’est
difficile à comprendre, mais justement, une des raisons pour lesquelles je joue le jeu est que je veux
savoir ce qu’il a en tête.
— Et quand tu le sauras, qu’est-ce que tu feras ?
— Je crois que tout cela n’est pas très net. Il m’a confiée à un ami photographe qui fait ce dont je
t’ai déjà parlé. J’avoue que j’y ai pris mon pied, et en plus, il y a de l’argent à gagner. En fait, j’ai
l’impression qu’il préfère me voir en photo qu’en vrai. Et c’est pareil pour toutes les femmes qu’il
fréquente, parce que je ne suis pas la seule.
— Ah bon ? »
Avec des mots soigneusement choisis, par petits morceaux, je racontai à Sébastien toute mon
histoire, en évitant cependant les détails les plus scabreux. Il ne sut donc jamais à quel point la
sodomie effectuée par Matis m’avait fait jouir, alors que cela comptait. Il eut donc droit à un récit
biaisé. Je vis néanmoins la stupéfaction se peindre sur son visage.
« Alors, qu’est-ce que tu penses de Denis ? demandai-je.
— Ce type est malade !
— Je crois que c’est plus compliqué que ça. Il a des raisons que j’ignore. Et penses-tu que je
devrais continuer avec lui ?
— Sûrement pas ! Tu es en train de foutre ta vie en l’air. »
Au moins, Sébastien s’exprimait avec clarté. Je gagnais plus à discuter avec ce garçon tout juste
rencontré qu’avec l’amie de longue date qu’était Léa. Mais il est vrai que j’hésitais à me confier à
elle.
« À moins que tu veuilles vraiment faire de la prostitution, compléta-t-il.
— Non, ce n’est pas mon intention.
— Alors il faut que tu arrêtes tout. »
C’était plus facile à dire qu’à faire. Je ne pouvais pas me désengager de l’entreprise de Bruno,
même si je n’avais rien signé avec lui.
« Je ne crois pas que Denis l’acceptera, répondis-je.
— Il peut t’obliger à rester avec lui ? »
Au bout de quelques secondes, Sébastien trouva lui-même la réponse à sa question :
« Les photos !
— Oui, il y a des photos compromettantes. J’ai fait promettre à Bruno de ne pas les diffuser, mais il
est aux ordres de Denis. »
Dans celles prises dans le studio, j’étais seule, mais dans la villa de Denis, j’avais été
photographiée en pleine copulation avec un homme que l’on ne pouvait pas identifier.
« Je ne comprends pas comment tu as pu te laisse prendre si facilement, fit Sébastien.
— Tu penses que je suis un peu conne, c’est ça ?
— Non, mais...
— Ou très conne ? En fait, j’ai été fascinée par Denis à la seconde où je l’ai vu. Si tu as un jour été
ébloui par une jolie fille, tu peux comprendre ce que c’est. Ensuite, il a fait vibrer une corde qui
existait en moi. Franchement, j’adore ce qu’il m’a poussée à faire chez lui et dans le studio.
— Alors qu’est-ce qui t’empêche de continuer ?
— Juste quelques doutes au sujet de Denis.
— Tu penses qu’il veut...
— Je ne sais pas ce qu’il veut. Et c’est bien cela le problème.
— Est-ce qu’il aurait un point faible ?
— Je ne crois pas.
— Son épouse ?
— Elle est morte.
— Mais en retrouvant sa famille, on pourrait peut-être apprendre des choses sur Denis.
— Tu voudrais mener une enquête ?
— Ce serait plutôt à toi de le faire.
— Oui...
— Mais si je peux faire quelque chose, je le ferai. »
Sébastien reprit après une pause :
« D’abord, il faut que tu saches ce que tu veux.
— Je vais me désengager mais je ne peux pas le faire comme ça, donc ça va continuer encore un
peu. »
La conversation s’éteignit de nouveau, plus longtemps. Nous nous regardâmes comme si nous
avions été des complices de longue date.
« Alors on est copains ? » lui demandai-je.
Il rougit instantanément.
« Tu ne vas pas un peu vite ? bredouilla-t-il.
— Non, quand je dis copains, ça veut dire copains... Bon copains, quoi.
— Ah oui ! Bien sûr.
— Pour ce qui est d’aller vite, j’avoue que je suis souvent expéditive. Avec Denis, je viens d’en
faire la démonstration. Mais pourquoi peser les choses avant d’agir ? Il arrive que des affaires très
bien préparées tournent à la catastrophe, ou que des choses effectuées dans la précipitation se
déroulent très bien.
— Là, je crois que c’est raté.
— Oui, je sais, ça ne marche pas à tous les coups. Mais on n’est jamais sûr de rien. En matière
sentimentale, on dit qu’il faut prendre le temps de bien se connaître avant de s’engager. Je pourrais te
parler d’une femme qui a vécu avec un homme pendant dix avant de l’épouser, puis qui a divorcé
quelques mois plus tard.
— Je vois ce que tu veux dire.
— Je conçois la vie comme une loterie : impossible de savoir ce que l’on va gagner avant de
déposer sa mise. »
Ma défense semblait être convaincante.
« Tu n’es pas une fille ordinaire, opina Sébastien. J’espère que cela ne te causera pas trop de
problèmes.
— Ma difficulté est surtout que je ne m’assume pas totalement. Je pourrais très bien m’en sortir en
me prostituant. Ne fais pas cette tête-là ! Une escort qui exerce de manière indépendante et qui choisit
ses clients est une reine. On peut juger son activité dégradante, mais il est impossible de ne pas
l’envier. J’en ai rencontré une chez Denis. Elle a gagné mille cinq cents euros en une seule nuit et ne
semble pas malheureuse du tout. »
Je laissai Sébastien tirer la langue, puis la remettre dans sa bouche.
« Avant cela, je savais déjà que ces femmes vivaient bien, mais je ne savais pas exactement combien
elles gagnaient. Je n’ai jamais considéré leur activité comme dégradante.
— Elles ne sont pas obligées de faire des choses qu’elles ne veulent pas ?
— Pas du tout. Et tu crois qu’il est plus agréable de se lever à cinq heures du matin, de subir trois
heures de transports en commun et de travailler sous les ordres d’un patron qui te traite comme un
moins que rien, et tout ça pour des clopinettes ? Je n’ai jamais voulu cela pour moi. Jamais ! S’il
fallait choisir, je prendrais sans hésitation la prostitution.
— Alors pourquoi tu ne le fais pas ?
— Parce que je ne veux pas me fâcher avec mon entourage. Je sais très bien que ça ne passera pas.
»
Je n’avais pas très apprécié d’être attifée en pute, mais je savais très bien qu’il existait des
humiliations pires que celle-là dans notre société. La différence est qu’elles étaient considérées
comme normales.
Cela peut sembler difficile à croire, mais je ne couchai pas avec Sébastien. Du moins, pas ce soir-
là. Il ne se sentait pas prêt pour cela, et pour le moment, je lui avais donné le statut de confident. Je le
laissai toutefois me reluquer autant qu’il le voulait, jusqu’en haut de mes cuisses, ce qu’il n’avait
jamais pu faire jusqu’à présent avec une fille car il était puceau. Je l’avais assez vite deviné. C’était la
raison pour laquelle il ne se sentait pas très à l’aise face à moi, à cause de son manque total
d’expérience en matière de sexe.
Après le repas, je le reconduisis donc sagement à la résidence universitaire, et il se sépara de moi
en me donnant deux bises sur les joues.
« Fais bien attention à toi, ajouta-t-il.
— Oh, ça va ! Je ne risque pas ma vie. »
Nous ne nous séparions pas pour longtemps, car nous avions prévu de nous revoir dès le
lendemain, pour nous rendre chez Léa : Sébastien avait accepté de me faire passer pour mon copain.
Je ne trompais pas mon amie car j’étais persuadée d’avoir de l’avenir avec ce garçon.
Même si ma liaison avec Denis perdurait, cela n’empêcherait pas Sébastien de s’installer dans ma
vie. En fait, j’obéissais aux vœux étranges de mon « protecteur ».

***

Quand je pris le chemin du retour, le soleil s’était couché. L’ambiance vespérale, le calme qui
drapait la ville appelait à l’apaisement des sens, mais c’était le contraire qui était en train de se
produire dans mon corps. Les deux nuits que je venais de passer avec mon amant m’avaient apporté
un déferlement de plaisirs auquel j’étais incapable de renoncer. Dormir seule dans mon lit
m’apparaissait maintenant comme une épreuve, alors que j’avais fait cela depuis si longtemps.
Heureusement, quelqu’un vint à mon secours : lorsque la sonnerie de mon téléphone retentit, je
m’empressai d’arrêter ma voiture pour prendre la communication. Dans cette rue, il y avait de la
place partout.
« Salut ! » entendis-je.
Le numéro n’était pas dans mon carnet d’adresses et je ne reconnus pas tout de suite la voix.
« C’est qui ? demandai-je.
— C’est Matis. »
Je fus comme électrisée.
« Salut, répondis-je.
— Tu as reçu ma photo ?
— Oui.
— Elle te plaît, ma bite ?
— Oui.
— Tu n’as pas répondu à l’invitation de Bruno. Tu veux venir ?
— Pour baiser avec toi ?
— Oui, mais pas seulement. Il y a quelques copains. On fait la bringue avec des filles.
— Vous baisez tous les soirs ?
— Non, pas tous les soirs. En fin de semaine. Et là, c’est vendredi soir.
— Bruno est là ?
— Non, il est parti. »
Adieu les bonnes résolutions !
Il est vrai que j’avais promis de prendre mes distances avec Denis, mais Matis, c’était autre chose.
Il m’était absolument impossible de refuser une invitation de lui, même effectuée avec des termes
aussi peu subtils. Ce n’était pas pour me faire photographier, juste pour passer du bon temps.
J’avais répondu au message que Bruno m’avait envoyé dans la matinée pour l’informer que
j’acceptais le travail proposé, en omettant de lui dire ce que je comptais faire dans la soirée.
« T’es où ? demanda Matis.
— Dans ma voiture.
— Avec une petite robe ?
— Oui.
— J’adore te voir comme ça. Tu as des jambes superbes. »
J’étais donc parée pour me rendre à l’hôtel, et c’est ce que je fis. Je me précipitai tête baissée vers
la débauche, exactement comme je l’avais fait deux jours plus tôt, vers la villa de Denis.
Je retrouvai avec joie les jardins, bien qu’ils fussent plongés dans une obscurité grandissante, et je
laissai ma voiture devant le bâtiment. Il n’y avait personne pour m’accueillir. Je fermai les yeux et
m’adossai au siège après avoir coupé le contact, avec une main sur mon entrejambe. La photo de
Matis en érection remplaça immédiatement le paysage, comme si elle avait été définitivement gravée
en moi.
Une fois de plus, j’étais gouvernée par mon corps et par des pensées inavouables remontant de
recoins obscurs de mon esprit. Je me vis offerte à des inconnus, soumise, humiliée même. Mais
humiliée de manière consentie, bien entendu, lors de jeux soigneusement réglés.
Je jaillis de ma voiture, entrai dans l’hôtel et me dirigeai vers un escalier d’où des bruits de voix
provenaient. Au premier étage, je vis un couloir long et étroit. De nombreuses chambres étaient
fermées. Une vive lumière sortait de l’une des rares portes laissées ouvertes, au fond. Je me dirigeai
vers elle et pénétrai dans une grande pièce dont le mobilier était essentiellement composé de canapés
et de petites tables. Le sol était recouvert de tapis et de coussins.
C’était là que se trouvaient les noceurs. Je reconnus les trois filles que j’avais déjà rencontrées,
Irina, Milana, Eva, et il y en avait quatre autres, apparemment plus âgées. Une seule était entièrement
nue ; les sexes de deux autres se devinaient sous leurs robes ou leurs tops. Les hommes étaient en
nombre un peu supérieur, et chez eux aussi, le déshabillage ne faisait que commencer. Un seul phallus
était visible, sortant d’un jean et empoigné par Eva.
« Voilà Edwige ! s’écria Matis en se levant. On t’attendait. »
Il se dirigea vers moi et passa un bras auteur de ma taille pour me serrer contre lui.
« C’est ma nouvelle copine, reprit-il. Celle qui adore se faire enculer.
— Tu vas nous montrer ça ? » lui lança l’un de ses compagnons.
Là, je dois dire qu’un petit doute traversa mon esprit. Je me demandai si j’avais mis les pieds dans
un endroit convenable, mais Matis pencha son visage vers le mien pour m’embrasser sur la bouche,
d’une manière à me faire fondre. Je me collai contre lui comme un papier mouillé. Il avait une
manière à la fois tendre et possessive d’utiliser sa langue que je n’avais jamais encore connue.
Quand il mit fin à ce baiser, j’étais à bout de souffle et dans un état second. Des cris auxquels je
n’avais pas fait attention se turent. Matis m’entraîna vers un canapé, où il m’invita à m’asseoir.
« Tu veux boire quelque chose ? » demanda-t-il.
Il y avait des alcools forts, mais également des boissons sans alcool. Je choisis un Coca, car je
n’avais pas envie finir la soirée complètement pétée avec ces hommes dont un seul m’était connu.
J’étais capable de faire des folies, mais pas à ce point.
« Ils sont tous dans le porno ? demandai-je.
— Non, pas tous. Mais il y a deux hardeurs, Terry et Hugo. »
Le premier était celui dont le phallus était à l’air. Le second était un homme presque aussi bien bâti
que Matis, dont le tee-shirt était gonflé par ses muscles. Son bras droit était recouvert de tatouages qui
lui donnaient l’impression d’être un « dur ». En tout cas, il en avait certainement beaucoup dans sa
culotte.
« Rocco n’était pas là ? » demandai-je.
Mon trait d’esprit fut salué par un éclat de rire général.
« T’aimerais bien te faire défoncer par lui, hein ? fit Matis.
— Oui.
— Tu vois la bite de Terry ? Elle est pas mal non plus. Et Hugo va te montrer la sienne. Tu sais
combien il s’est tapé de nanas ?
— Je ne sais pas... Quelques centaines ?
— Plus de deux mille, depuis qu’il a commencé. »
Je regardai l’intéressé en écarquillant les yeux. En une dizaine d’années de carrière, il me semblait
possible d’atteindre un tel nombre, mais cela restait hallucinant.
Il me rendit un regard qui trahissait son intention de me rajouter à son tableau de chasse, puis il se
leva et enleva son pantalon. Il traversa la salle pour venir vers moi, en exhibant un caleçon déformé
par une érection très prometteuse.
D’abord, il me caressa les cheveux et la joue.
« T’es jolie, dit-il. Alors tu as commencé cette semaine ?
— Oui.
— Travailler avec Bruno, c’est le pied. Tu verras.
— Comme tu débutes, on a décidé que sera ta fête, m’apprit Matis.
— C’est-à-dire ? fis-je.
— On va essayer de te faire jouir autant que possible. Toutes les bites qui sont ici sont pour toi.
Commence par découvrir celle de Hugo. »
Je mis la main sur la protubérance du caleçon et mesurai la dureté de son pénis. Quand je le libérai,
il se dressa lentement et j’en fus stupéfaite. Il était heureusement de taille humaine, si bien que
j’estimai pouvoir l’accueillir aisément en moi. Mais dessous, une paire de testicules tombait très bas,
enveloppée dans d’amples bourses fripées qui donnaient à Hugo une allure de parfait reproducteur.
Le tout avait été intégralement épilé. Je refermai ma main droite sur ce membre boursouflé, la fis
aller et venir dessus avant de me pencher pour prendre son extrémité dans ma bouche.
Ma fellation effectuée avec des mouvements rapides contenta Hugo, qui garda sa bouche
entrouverte et émit des gémissements graves, le visage radieux. Moi aussi, j’éprouvais un certain
plaisir à sentir ce membre chaud sur ma langue et à humer son odeur. Matis profita de ma position
pour faire glisser mes vêtements, en dénudant mes seins, puis il mit la main dans mon string pour
atteindre mon sexe déjà bien lubrifié. J’écartai les jambes pour lui ouvrir la voie et je gémis à mon
tour, au rythme des caresses qu’il effectuait autour de mon clitoris.
« Elle suce très bien, jugea Hugo.
— On va jusqu’au bout ? demandai-je en continuant à faire courir ma main le long de sa tige.
— Tu ne préfères pas que je te remplisse le minou ? »
Je lui donnai mon accord et me levai pour faire tomber tout ce qui dissimulait mon corps. De ce
fait, un nouveau record fut atteint : me retrouver nue devant une quinzaine de paires d’yeux. Je n’eus
pas à en rougir, sauf de plaisir, car tous les regards étaient admiratifs. Deux hommes me firent même
l’honneur de me contempler en se masturbant.
Je m’avançai vers le milieu de la salle en restant perchée sur mes hauts talons et j’adoptai la
position qui me sembla être la meilleure : à quatre pattes, chaque genou posé sur un coussin. Hugo
enfila un préservatif et s’agenouilla derrière moi pour me caresser le sexe, d’abord avec les doigts,
puis avec le bout de son pénis. Il lui faisait faire la navette entre mon clitoris et l’entrée de mon vagin,
ce qui avait l’avantage de rendre le caoutchouc très glissant. Mon puits intime était dégorgeant de
cyprine. Enfin, il enfonça son dard dans ma chair et je poussai un faible cri, tressaillant sous l’afflux
de sensations.
Ses ruades furent rapides et profondes. Chaque fois, il faisait presque ressortir son sexe du mien
avant de l’y replonger. Je croyais sentir ses bourses frapper l’entrée de mon fourreau ; ses doigts
étaient refermés sur mes hanches et s’enfonçaient dans leur chair, pour me maintenir prisonnière de
sa fureur lubrique. Mes halètements se transformèrent en cris, et le fait d’exprimer ma jouissance
devant tant de monde m’excitait encore plus. C’était la fin de toute pudeur. Je savais que cela pouvait
durer longtemps, puisque Hugo était assurément doté d’une grande endurance.
Les deux hommes que j’avais remarqués continuaient à se branler, avec lenteur pour ne pas
exploser trop vite. L’un d’eux décida de passer à un stade supérieur : il se leva et vint s’agenouiller
devant mon visage pour y coller son membre. C’était une invitation pressante à l’accueillir dans ma
bouche, et je l’acceptai.
Cela ne m’apporta pas grand-chose de plus, mais à partir de ce jour, je pourrais me vanter d’avoir
été pénétrée simultanément par deux hommes. Hugo modéra son pilonnage pour me permettre de
sucer cette lance de chair, flexible et longue, tandis qu’il continuait à me procurer du plaisir. Je le
sentis poser ses doigts des deux côtés de mon anus, l’ouvrir puis y poser le bout d’un index. Cette
violation de mon intimité, quoique légère, fit renaître un tremblement de jouissance dans mon corps.
J’y réagis en émettant un bruit étouffé par le phallus que j’étais en train de pomper.
J’étais donc entièrement possédée, ainsi que je l’avais imaginé avant d’entrer dans cette salle, mais
au bout de quelques minutes, j’exprimai mon souhait que Hugo continuât seul son œuvre pour
essayer de me conduire à un orgasme. L’autre homme, qui avait omis de se présenter, se retira donc
de ma bouche et se mit debout. Pendant un instant, je pus contempler une paire de pieds masculins
prolongés par des jambes légèrement poilues, puis l’individu se déplaça pour attraper mes seins, qui
oscillaient sous ma poitrine, et les pétrir. Ce furent des gestes que j’appréciai beaucoup et qui
contribuèrent à mon ascension vers les cieux du plaisir sexuel.
L’orgasme que j’avais tant attendu finit par éclater. Mon vagin serra le phallus de Hugo et mon
corps se transforma en un énorme flot d’étincelles. J’eus l’impression de planer avant de me
rematérialiser, le pénis de mon amant toujours planté dans ma croupe. Il en ressortit quand je
m’affaissai sur le sol, provisoirement privée de mes forces.
La première chose que je ressentis ensuite fut un jet de liquide chaud qui frappa mes fesses.
Quelques gouttes tombèrent pile sur mon sexe. Hugo avait retiré son préservatif puis s’était masturbé
jusqu’à se vider sur moi.
« Ça va ? » entendis-je.
C’était Matis, qui s’était déshabillé avant de me rejoindre.
« Ça va, dis-je en me redressant sur mes mains.
— Assieds-toi. Ce n’est pas fini. »
Il m’aida à me retourner et à m’adosser contre sa poitrine. Je vis alors une femme s’approcher de
moi en marchant à quatre pattes et en me regardant dans les yeux avec une expression de désir
vicieux. C’était celle que j’avais trouvée nue à mon arrivée. Sa chevelure avait une belle couleur
brune et ses yeux étaient comme remplis d’ombres. Ses seins étaient plus généreux que les miens et
son pubis très soigneusement épilé montrait qu’elle était une professionnelle du sexe.
J’eus un mouvement de recul en comprenant ce qu’elle s’apprêtait à faire. Je ne pouvais pas aller
très loin puisque Matis me tenait.
Ah non ! Pas avec une femme !
« Je vais juste te nettoyer, m’annonça-t-elle.
— Me nettoyer ? »
Elle posa la main sur le haut de mes cuisses, là où le sperme de Hugo avait coulé.
« D’accord ? fit-elle.
— D’accord... Tu es une actrice ?
— Oui. Je m’appelle Krystal.
— Je ne regarde pas beaucoup de porno.
— Pas de problème... Si tu en regardais, tu saurais qu’on fait beaucoup de choses entre nanas. »
Pendant la conversation, sa main n’avait pas quitté mon entrecuisse et elle y donnait de petites
caresses en répandant le sperme. Elle releva et écarta mes genoux avant de glisser la tête entre mes
jambes. Elle se mit alors à laper le liquide épais dont mes parties intimes avaient été aspergées. Le
bout de sa langue frôla de plus en plus souvent ma vulve entrouverte. Inévitablement, il s’arrêta sur le
pli derrière lequel ma petite perle se cachait. Depuis mon orgasme, elle avait eu le temps de retrouver
sa position habituelle. Ce qui signifiait que j’étais de nouveau prête à m’envoler.
L’avantage de faire l’amour avec une femme est qu’elle connaît très bien les voies de la jouissance
féminine. Il me fallut moins d’une minute pour comprendre cela, quand elle entreprit de chauffer
pour de bon mon sexe, avec sa bouche et ses doigts. Ces derniers pénétraient mon vagin juste à la
profondeur et aux emplacements nécessaires, tandis que la langue de ma pulpeuse amante continuait à
agacer mon clitoris. Comme des vagues partant à l’assaut d’un rivage, la jouissance affluait par à-
coups dans mon corps. J’avais envie d’avancer mon bassin vers la tête enfoncée entre mes cuisses,
dont je ne voyais guère que l’épaisse chevelure. Le fait d’offrir mon corps à une femme ne
m’importait à présent plus du tout.
Ma respiration se faisait rapide et sifflante, puis mes halètements se transformèrent en cris. Tout en
laissant une main dans mon sexe, Krystal fit courir sa langue le long de mon ventre jusqu’à ma
poitrine. Elle me suça méthodiquement les tétons, à droite puis à gauche. Si elle m’avait donné un
baiser sur la bouche, je l’aurais accepté comme celui d’un homme, et il m’aurait sûrement donné
autant de plaisir, mais après avoir honoré ma poitrine, elle se concentra de nouveau sur mon sexe. Ce
à quoi j’avais été condamnée se produisit : un deuxième orgasme, d’une violence presque impossible
à soutenir. Mon corps protesta de lui-même en se cambrant d’une manière exagérée. Pendant que
j’étais prisonnière de cet apogée, Krystal continua impitoyablement à me besogner le sexe, avec la
même virtuosité qu’un guitariste faisant chanter les cordes de son instrument. Ma sécrétion
surabondante de cyprine rendait ses doigts glissants.
Elle me laissa enfin me reposer. Toujours maintenue par Matis, j’effectuai quelques mouvements
erratiques avant de reprendre le contrôle de mon corps.
Krytal, qui m’avait observée avec patience, en profita pour me voler un baiser. Je ne pus refuser ce
premier hommage d’une femme, après le don qu’elle venait de m’offrir, et il fit même renaître un
peu de désir. Ma chair était simplement avide d’une autre chair. Le baiser de Krystal fut pourtant
profond et humide de salive, respirant ce vice que j’avais perçu dès qu’elle s’était approchée de moi.
« Tu veux qu’on suce ensemble la pine d’Éric ? » proposa-t-elle quand elle eut fini.
Je lui donnai mon accord sans lui demander qui était cet Éric. Comme il portait un nom masculin et
avait un pénis accroché au bas du ventre, cela me suffisait.
Il s’avéra être l’homme qui avait introduit son membre dans ma bouche durant le limage de Hugo.
Il le plaça cette fois entre le visage de Krystal et le mien et nous le léchâmes toutes les deux en même
temps, du gland jusqu’aux testicules.
J’avais beau avoir apprécié ma toute dernière aventure, je me sentais plus à l’aise devant une jolie
queue bien tendue. Nos léchages se poursuivirent sagement jusqu’au moment où Krystal voulut avaler
ce membre, et pour cela, me demanda de passer derrière notre homme.
Je ne protestai pas, puisque j’eus ainsi un magnifique fessier masculin, bien ferme, juste sous mon
nez. J’avais rarement regardé mes anciens amants sous cet angle. Je caressai et embrassai sa peau si
alléchante. J’introduis également une main entre ses cuisses pour flatter ses bourses. Mes doigts
faillirent rencontrer les lèvres de Krystal, car elle arrivait à faire entrer ce phallus jusqu’au fond de sa
gorge.
« Mets-lui un doigt dans le cul, me dit-elle.
— Hein ?
— Tu connais la prostate ?
— Euh...
— Tu peux l’atteindre en y mettant ton doigt. Il y a même moyen de donner un orgasme très fort,
mais il faut avoir de l’expérience. Tu n’as qu’à enfoncer ton index, ça va le faire éjaculer très vite. »
Après ces explications, elle reprit dans sa bouche le pénis d’Éric. Je n’avais plus qu’à me mettre à
l’ouvrage...
J’aurais pu trouver cela répugnant, mais j’avais déjà humé l’anus d’Éric assez près pour constater
qu’il ne sentait rien. Il avait dû se laver pour préparer correctement cette soirée, sachant que dans ce
milieu, on s’autorisait tout. J’écartai donc ces exquises fesses pour avoir une vue sur la rondelle et y
enfoncer très délicatement le bout de mon index. Je n’y mis pas plus d’une phalange, puisque je ne
voulais pas faire mal à Éric. Pourtant, il poussa un feulement qui me sembla être une réponse à mon
incursion.
Il devait être aux anges, pris en sandwich entre deux femmes ayant investi les parties les plus
sensibles et intimes de son corps. Ce qui était fascinant, pour moi, était que mon doigt agissait comme
une sonde qui me permettait de sentir de l’intérieur ses réactions à la fellation de Krystal.
C’est promis, je mettrai désormais toujours un doigt dans l’anus de mes hommes.
Mais je n’étais pas sûre que le gentil Sébastien apprécierait cela...
Pour exciter Éric, j’agitai mon index et le poussai quelques millimètres plus loin. Je le sentis se
crisper et l’entendis émettre des souffles rauques annonçant son éjaculation. On peut dire que je
touchai du doigt l’orgasme d’un homme, quand il déchargea dans la bouche de Krystal. Celle-ci
continua à serrer le petit arrosoir entre ses lèvres et sa main pendant quelques instants. Quand je
retirai mon index du fondement d’Éric pour la regarder, un filet de sperme coulait sur son menton,
mais elle était heureuse.
Le récit de ce qui se déroula durant cette soirée pourrait durer encore longtemps. J’assistai à toutes
les pratiques sexuelles dont je connaissais l’existence, à l’exception notable du BDSM. Il y eut
seulement quelques fessées, sans plus, et je n’en reçus aucune. Je ne fus pas non plus pénétrée à la fois
par le vagin et l’anus, mais Matis me sodomisa avec le même succès que la première fois, en me
donnant un troisième orgasme. Il y avait de quoi être convaincue que c’était la meilleure manière de
me prendre.
Quand cette orgie s’acheva, j’étais fourbue et gluante de sperme. J’en avais sur le visage mais pas
sur la chevelure, parce qu’elle avait été épargnée à ma demande. L’hôtel de Bruno était vraiment le
temple de la lubricité, mais je me ralliais à l’avis général que c’était un plaisir sain. Cela demandait
juste de la résistance physique. À part cela, il n’y avait d’inconvénient pour personne. Évidemment, il
fallait avoir un esprit libertin, ce qui était mon cas.
Le lendemain, je me réveillai dans les bras de Matis, sur un lit éclairé par le soleil. J’étais propre et
reposée. Je baillai et m’étirai comme une chatte – sans allusion à l’organe sexuel féminin – puis
donnai un regard tendre à mon amant encore endormi. Il avait réussi à éjaculer deux fois pendant
l’orgie, ce qui lui avait permis de s’endormir très vite. Les souvenirs de la veille, ou plutôt de la nuit
passée, m’apparaissaient comme les meilleurs moments de mon existence. Je me sentais prête à
recommencer.
En voyant l’érection matinale de mon amant, je me déplaçai aussitôt pour l’englober dans ma
bouche et je suçai le gland avec lenteur et avidité. C’était tellement agréable de le sentir sur ma
langue, avec son goût de mâle.
J’entendis Matis se réveiller, puis émettre un grognement et dire :
« Tu es déjà au travail ?
— Je suis matinale », répondis-je en interrompant ma fellation.
Je la repris très vite en malaxant la grosse tige de Matis, dont la respiration devint saccadée. Un peu
plus tard, il gronda et ma bouche fut remplie de sperme. J’avalai ce breuvage matinal, même s’il était
assez épais, et levai les yeux vers le visage du jeune homme, où les couleurs de sa jouissance
subsistaient.
« C’est agréable de se réveiller comme ça, murmura-t-il.
— J’adore voir un homme éjaculer. »
En continuant à presser son pénis, j’arrivai à en extraire une goutte de nectar blanc que je happai du
bout de la langue. Ma chevelure tombait du côté droit de ma tête et s’écoulait sur sa cuisse, ce qui
devait lui donner un spectacle très agréable à contempler.
« Je ne pense pas qu’à mon propre plaisir, lui dis-je. Ou plutôt, faire jouir un homme, c’est aussi un
plaisir pour moi. »
Ce moment d’intimité dut prendre fin, mais le bonheur que nous en avions tiré subsista longtemps.
Nous fîmes notre toilette et prîmes notre petit-déjeuner dans une grande cuisine qui avait des allures
de réfectoire. Avec nous, seule Irina était présente. Les autres participants à l’orgie étaient partis ou
dormaient encore.

***

Il y avait un avantage à m’être levée tôt : je pouvais effectuer une partie du travail que Bruno
m’avait demandé. En accourant la veille, je n’avais pas pensé à cela, mais puisque j’étais là, je devais
profiter de ma présence. Pieds nus et dans une nouvelle petite robe, j’arpentai le studio pour le
mesurer sous toutes les coutures, et je noircis plusieurs feuilles de papier avec des notes et des
ébauches de plans. Tout le matériel qu’il me fallait s’y trouvait.
Matis regarda avec curiosité cette jeune femme habillée de manière si légère qui faisait le travail
d’un ouvrier. C’était l’ambiguïté dans laquelle je me trouvais. Je ne prévoyais pas de la lever, puisque
si j’avais promis à Sébastien de m’éloigner de Denis, je ne lui avais pas dit que je mettrais fin à mon
libertinage. Je savais en être incapable.
Après être rentrée chez moi, je crus retomber dans mon travers : celui de céder à Denis sur un seul
signe de sa part. Quand je fus installée devant mon ordinateur et connectée à Facebook, il réapparut
subitement et tout se passa comme si je n’avais jamais eu de doute envers lui. Même à plusieurs
kilomètres de moi, il continuait à exercer son pouvoir.
« Salut, écrivit-il.
— Salut, répondis-je. Ça c’est bien passé, hier ?
— Oui, très bien. En ce moment, je suis avec mes enfants. Si tu veux, passe lundi matin. »
J’avoue que dans ma question sur le vernissage du vendredi soir, il y avait un peu d’aigreur, mais
Denis ne pouvait pas la sentir. Je voyais néanmoins son invitation comme une manière de se
pardonner de m’avoir mise à l’écart.
« Tu ne veux pas me présenter à tes enfants ? écrivis-je.
— Viens lundi et tu comprendras tout.
— J’assisterai à la résolution de tous les mystères ?
— Pourquoi dis-tu qu’il y a des mystères ? Il n’y en a pas. Sois présente vers onze heures.
— D’accord. Je serai là.
— Et toi, tu as passé une bonne soirée ? »
Là, je ne pouvais dire non. Je reconnus que si je m’étais rendue au vernissage, j’aurais sans doute
passé une soirée ennuyeuse en compagnie de personnes cherchant à s’attirer les faveurs de Denis et
de m’as-tu-vu, un verre dans une main et un biscuit salé dans l’autre. Peut-être aurais-je également
rencontré quelques personnes intéressées par mon travail d’architecte, mais c’était moins sûr.
« J’étais à l’hôtel, répondis-je.
— Avec Bruno ?
— Non, il n’était pas là, mais il y avait du monde. C’était la débauche complète. J’ai bien aimé.
— C’est agréable de prendre du bon temps, hein ?
— Oui.
— Donc ça continue avec Bruno ?
— Oui. J’ai préparé le prochain décor ce matin.
— J’ai hâte de te voir dedans. »
Nom de Dieu, qu’est-ce que je suis faible !
Cette prise de vue était vraiment tentante. Il s’agissait avant tout de mettre la beauté de mon corps en
valeur. Comme j’avais été décomplexée, je ne pouvais y voir que des avantages. Se faire
photographier avec Matis, c’était autre chose, mais puisque j’avais un faible pour cet homme, cela ne
me posait pas de problème.
J’avais appris que les actrices pornos faisaient connaissance avec leurs partenaires sur le plateau.
Parfois, ils s’échangeaient juste quelques caresses avant de tourner. Je préférais largement officier à
la manière de Bruno, bien qu’avoir des relations sexuelles avec des inconnus était envisageable dans
certaines conditions. Je l’avais fait la veille.
Mais il fallait vraiment que les photos restent privées...
Bon, commençons par préparer le studio. Il y a de l’argent à gagner d’une manière « normale ». Je
ne peux pas renoncer à cela.
« Tout sera prêt dans quelques jours, répondis-je.
— Très bien. Tu es chez toi en ce moment ?
— Oui.
— Qu’est-ce que tu comptes faire ce week-end ?
— En quoi ça te regarde ?
— Simple curiosité.
— Alors ma réponse n’est pas urgente.
— Comme tu veux. Lundi, viens habillée en prostituée.
— Pourquoi ?
— Tu verras.
— Je dois venir en taxi ?
— Non, prends ta voiture.
— Oui, chef.
— Je vais te laisser. Mon fils est là.
— Alors à lundi. Bises.
— Bises. »
Qu’est-ce qu’il avait en tête ? Je n’aurais pas de réponse avant lundi.
En attendant, je savais comment passer mon temps. Les notes que j’avais prises dans le studio me
permettaient d’achever l’élaboration du décor.
Avant cela, il fallait que je déjeune puis que je passe prendre Sébastien pour l’emmener chez Léa.
Je garderais la même robe, qui était à peu près correcte malgré sa taille très réduite. J’avais dit à ma
copine d’être plus sexy en lui montrant l’exemple, alors je ne pouvais pas me dédire. Si je n’avais pas
dû conduire une voiture, j’aurais mis les sandales à talons aiguilles que Denis m’avait données un
jour auparavant.
Je choisis les mêmes escarpins que la veille au soir et je descendis au parking pour y retrouver ma
voiture, qui me conduisit à la résidence universitaire. Grâce à un appel de ma part, Sébastien en
descendit et me rejoignit sans que j’eusse besoin de quitter la fournaise qu’était ma Peugeot. Ses
vêtements, constitués d’un short et d’un polo, étaient aussi légers que les miens.
Après s’être installé sur son siège, il se pencha pour me faire la bise, mais je m’arrangeai pour que
ses lèvres atterrissent sur les miennes. Ce baiser fut néanmoins très court. Il écarta rapidement son
visage du mien pour me regarder avec un mélange d’étonnement et de ravissement.
« Nous sommes censés être copains, lui rappelai-je. C’est comme cela que Léa va nous considérer.
— Comme tu veux.
— La dernière fois, tu ne m’as même pas touchée. Alors vas-y, caresse-moi. »
Sébastien rougit et regarda autour de lui.
« On risque de nous voir, dit-il.
— Mais non ! C’est le samedi. La résidence est presque déserte. »
Le parking l’était en effet et en il était certainement de même des bâtiments. Sébastien aurait pu me
le confirmer.
« Vas-y ! insistai-je. Pose la main sur ma cuisse. »
Mon copain officiel ne résista pas bien longtemps. Il mit son main sur ma jambe droite et la fit
courir dessus. Ma peau devint incandescente aux endroits où il me toucha et mon bas-ventre fut envahi
de crépitements. Je n’étais plus du tout guidée par la raison, mais par le désir. La conscience de se
livrer à un acte sexuel dans un lieu public l’attisait.
« Mets un doigt dans mon sexe, demandai-je.
— Quoi ?
— Allez ! Ce n’est pas difficile ! »
J’écartai encore un peu mes jambes et soulevai le peu de robe qui me tombait sur les cuisses. Le
regard de Sébastien se riva sur mon string vermillon. La lumière du soleil qui tombait dessus le
rendait éblouissant. Il était assez petit pour permettre à Sébastien de deviner que j’étais épilée, et s’il
l’avait regardé de plus près, il aurait pu voir son humidification. Mes seins étaient en train de
s’alourdir et mes mamelons de durcir.
Après un dernier encouragement de ma part, il accepta d’avancer un doigt. Celui-ci se faufila sous
le tissu et commença une exploration hésitante de ma vulve. Manifestement, il ne savait pas où aller,
mais il trouva l’orifice et entra dedans. Un soupir chaud effleura mes lèvres entrouvertes et mon
corps frissonna de plaisir. Je fus tentée de refermer mes cuisses pour emprisonner dans mon intimité
le doigt fureteur de Sébastien. Je me soulevai de mon siège pour retirer mon string et le faire glisser
le long des mes jambes.
Et dire que ma fenêtre était ouverte ! Toute personne passant près de ma voiture aurait pu voir ce
que nous étions en train de faire, mais heureusement, les lieux restaient déserts. C’était le moment le
plus chaud de la journée, et la température avait augmenté depuis la veille.
Prenant de l’audace, Sébastien explorait à présent tous les recoins de mon vagin, n’hésitant pas à
s’y aventurer en profondeur. Puisqu’il était biologiste et qu’il devait avoir lu quelques articles ici et
là, il connaissait cependant l’importance du clitoris, si bien qu’il s’intéressa également à l’entrée de
mon sexe. Malgré son inexpérience, il s’y prit très bien. Son doigt traça les contours de mon orifice
ruisselant, ouvert naturellement puisque j’avais les jambes aussi écartées que mon emplacement exigu
le permettait. Afin de compléter mon plaisir, je me découvris les seins et les caressai.
Avoir un orgasme au volant de ma voiture, je n’y avais jamais pensé. J’en prenais le chemin sans
même l’avoir voulu et j’étais prête d’atteindre le but. Il ne restait que quelques pas à accomplir. Je
demandai à Sébastien de continuer son œuvre. Je n’hésitai pas à lui donner des conseils et même à
guider son doigt. Il en ajouta un deuxième, ayant autant envie que moi de voir le résultat de ses
efforts. Des rafales de plaisir finirent par déferler dans mon corps. Je fis trembler mon siège avec
mes spasmes.
Sébastien continua à me stimuler, puis il s’arrêta pour me laisser me reposer. Je soufflai en posant
les mains sur le volant. Il s’essuya les doigts sur ses cuisses.
« Ben dis donc, qu’est-ce que tu es chaude ! s’exclama-t-il.
— C’est toi qui m’excites. »
Ma réponse très diplomatique plut beaucoup à Sébastien. Elle ne contenait qu’une part de vérité. Ce
qui s’était passé, c’était plutôt que mes aventures de ces derniers jours m’avaient remplie d’énergie
sexuelle.
J’étais à présent curieuse de voir le pénis de Sébastien. La bosse de son short me semblait de bon
augure, mais cela pouvait bien attendre quelques heures. Je remis les bretelles de ma robe sur les
épaules, puis je me tournai vers mon amant en lui souriant. Il comprit ce que je voulais : un baiser, un
vrai cette fois.
Il fut long et réussi. Sébastien trouva tout de suite comment utiliser sa langue et jouer avec la
mienne. Quand nos bouches se furent séparées, en voyant le plaisir qui pétillait dans ses yeux, je
compris que j’avais tissé quelque chose de solide entre nous.
Un nouveau compliment sortit de sa bouche :
« T’es vraiment une fille super !
— C’est parce que je suis spéciale, répondis-je. Être une personne ordinaire, ça ne me va pas du
tout. Il faut me prendre comme je suis.
— Je t’aime comme tu es. »
Hum... J’espère qu’il ne donne pas un sens trop fort au verbe « aimer ».
Cela dit, j’avais dit le même mot à Denis le lendemain de notre rencontre.
Je cherchai quelque chose à dire, sans rien trouver de suffisamment intelligent, alors je tournai la
clé de contact. Le moteur de ma voiture se mit à vrombir.
« On y va ? fis-je.
— Oui, mais... tu peux conduire ?
— Pourquoi ? Je vais très bien.
— Tu ne remets pas ta culotte ?
— Ce n’est pas indispensable pour conduire. Du moins, je n’ai pas trouvé ça dans le Code de la
Route. »
Je mis la voiture en marche et la fis quitter le campus.
Il fallut tout de même que je remette mon string avant d’en sortir et d’entrer dans l’immeuble de
Léa.
Il y a peu de choses à dire sur notre visite, qui se déroula très bien. Le lien qui m’unissait à
Sébastien était visible même pour un œil non exercé. Quant à Léa, si elle n’avait pas pu changer son
look en moins de vingt-quatre heures, elle avait fait un effort pour se montrer plus attirante, et Vincent
semblait en être heureux. Cela ne l’empêcha pas de loucher à de nombreuses reprises sur moi. En plus
d’être court vêtue avec une jolie robe, je sentais le sexe et l’on pouvait voir que Sébastien revenait
d’une aventure qui avait eu lieu juste avant notre arrivée. Cela s’estompa toutefois avec le temps.
Affichant au début une certaine retenue, il entama des conversations de plus en plus enjouées avec Léa
et Vincent. Une petite dose d’alcool l’y aida.
Léa ne reprocha pas à son copain de jeter des regards intéressés sur moi, car elle faisait de même
avec Sébastien. Elle profita de la première occasion pour me glisser dans l’oreille :
« Il est drôlement craquant. Tu l’as rencontré comment ?
— Par hasard. Je lui ai sauté dessus.
— Tu as bien fait.
— Un peu d’audace de temps en temps, ça ne fait pas de mal.
— Non... Mais tu m’as dit que tu avais une relation assez libre, que tu jouais seulement le jeu de la
séduction. J’ai l’impression que ça va plus loin.
— Ça a un peu évolué. Cependant, nous ne sommes pas encore en couple. Je t’expliquerai tout une
autre fois. »
Finalement, notre visite se prolongea jusqu’à la fin de l’après-midi. Sébastien et moi, nous
quittâmes l’immeuble de Léa en nous tenant par la main. Quand les portières de ma voiture eurent
claqué, nous nous regardâmes en souriant.
« On continue sur notre lancée ? proposai-je.
— Qu’est-ce que tu veux dire ?
— Je pense que tu as compris
— Ah oui...
— Je ne te relâcherai que demain matin. D’ici-là, tu es mon prisonnier.
— Ça va, j’ai connu pire comme prison.
— Quoi ? Tu as déjà été condamné ?
— Non non ! Ce que je voulais dire, c’était que... que c’est une belle prison.
— Bien... Si tu veux prendre des affaires de toilette, pour te raser par exemple, je te reconduis dans
ta piaule. Mais ensuite, on va chez moi. »
De retour dans la résidence universitaire, je l’accompagnai jusqu’à sa chambre, puis il revint sous
bonne escorte à ma voiture.
Le retour à mon appartement ressembla ainsi à celui de la veille. Je fis asseoir Sébastien dans le
canapé et je lui donnai une boisson fraîche.
« Tu m’attends un moment ? dis-je. Je vais me changer. »
Je filai d’abord dans la salle de bains, où je retouchai mon maquillage et défis mes cheveux, puis
dans ma chambre. Ce que j’avais désigné par le verbe « changer » consista en fait à me débarrasser de
tous mes vêtements et à grimper sur mes talons aiguilles. Je suivais le conseil que j’avais donné la
veille à Léa, sans être absolument certaine qu’il était bien adapté à la situation : ma mission consistait
à déniaiser un puceau.
En tout cas, il valait mieux que cette tâche fût effectuée par une pro du sexe que par une fille qui n’y
connaissait rien.
Quand je revins dans le salon, les yeux de Sébastien faillirent lui jaillir de la tête et tomber sur les
genoux. Je posai une question totalement inutile :
« Ça te plaît ? »
Sa réponse fut bien sûr positive. Je me déhanchai un instant devant lui avec autant de grâce que je
pouvais en déployer. Je me caressai les hanches et les seins, qui commençaient à gonfler. Je fis
quelques pas en réussissant à ne pas me fouler une cheville, de plus en plus mue par l’admiration de
Sébastien pour mon corps. Mon regard allait de ses yeux marron à la braguette de son short et j’étais
émoustillée en pensant au cadeau que j’allais découvrir dans cet emballage.
Je mis fin à mon spectacle pour m’approcher de Sébastien, qui ressemblait à une cocotte-minute. Je
fis encore monter la pression en m’agenouillant sur le canapé, au-dessus de lui comme pour le
chevaucher, mais sans le toucher.
« Caresse-moi, lui dis-je. Mets tes mains où tu le veux. »
Il posa les mains partout puis se concentra rapidement sur mes seins, qu’il tritura de toutes les
manières possibles. Ma volupté enfla tellement que j’en vins à pousser des gémissements. Pourtant,
mon sexe réclamait sa part de caresses.
« Mets tes doigts dedans », dis-je en le guidant.
Il investit dès lors mon fourreau humide, comme il l’avait fait en début d’après-midi. Écoutant à la
lettre ce que je lui avais dit, il s’y enfonça en profondeur et ajouta rapidement un deuxième doigt.
Bien que mon clitoris fût délaissé, j’ondulais de plaisir sous son toucher et mon sexe expulsait sur sa
main des bulles de cyprine.
Après l’avoir laissé faire un certain temps, je saisis la ceinture de son pantalon pour la défaire. Son
excitation était parfaitement visible et je pouvais à présent la palper. Je sortis sa verge de son slip et je
fus très satisfaite de ce cadeau.
Elle était longue et pas très grosse, ce qui lui permettrait de très bien s’adapter à mon vagin. Son
prépuce cachait un gland en forme de boule, d’une couleur rouge accentuée. Il était si tentant que je
faillis me baisser pour le prendre dans ma bouche. Je me maîtrisai et empoignai ce membre pour le
malaxer entre mes doigts à présent expérimentés, en m’efforçant de montrer que j’aimais cela.
J’excitai ainsi Sébastien en le regardant droit dans les yeux, un sourire lascif sur le visage.
Sentant très vite que j’allais le faire jouir, je m’écartai de lui en me remettant debout.
« Viens dans ma chambre », dis-je.
Il me suivit après avoir laissé ses vêtements sur le canapé. J’entrai dans une pièce inondée de soleil
et me mis à quatre pattes sur un lit qui comportait deux places. C’était le souvenir d’une éphémère vie
de couple.
« Tu connais la levrette ? demandai-je.
— Oui.
— Alors prends-moi par-derrière. »
Je plaçai deux doigts sur mon sexe pour l’élargir. Sébastien se plaça à genoux derrière moi et
enfonça précautionneusement son phallus dans l’orifice ainsi offert. Le bonheur de pénétrer pour la
première fois une femme devait se voir sur son visage, mais je m’étais mise dans une position qui
m’interdisait de le regarder. Les mains sur mes hanches, il commença un mouvement de va-et-vient
tout aussi lent, qui faisait rayonner une douce jouissance dans mon corps. Elle était très agréable
même si elle n’avait rien d’orgasmique.
Bien sûr, cela ne dura pas longtemps. Incapable de retenir son sperme, mon nouvel amant se vida
en moi. Je le sentis remplir les profondeurs de mon vagin et l’entendis émettre un léger râle.
Quand il se retira, je m’allongeai et l’invitai à s’étendre à côté de moi. Ce coït hésitant avait été un
moment de grande tendresse que j’étais heureuse d’avoir connu. Je profitai de cette pause pour
contempler mon amant, une main sur sa poitrine où quelques poils poussaient. Si je n’y retrouvais pas
les pectoraux saillants de Matis, je la trouvais charmante. Son pénis au repos n’avait pas beaucoup
raccourci.
« On recommencera ? demandai-je.
— Bien sûr.
— Que je sois une fille facile, ça ne te dérange pas ?
— Franchement, je crois que tous les garçons rêvent d’en rencontrer une », répondit le jeune
homme.
Il me caressa un bras, de l’épaule au coude.
Sa tendresse me rappela que d’autres hommes, en premier lieu Matis, s’ils savaient me faire jouir,
n’étaient que des défonceurs. On pouvait leur demander de remplir un vagin, mais pas une vie
sentimentale.
Mais pour le moment, j’étais pour Sébastien ce que Matis était pour moi. C’était ce que je lui avais
rappelé par ma question.
« Je vais te faire à manger, annonçai-je en me redressant. Si tu veux continuer à bavarder, viens
dans la cuisine. Autrement, tu peux profiter de mon appartement. »
Sans surprise, Sébastien choisit de me tenir compagnie, après s’être rhabillé. Pendant que je
préparais le repas, nous ne bavardâmes pas beaucoup. Nous le fîmes surtout pendant le dîner, malgré
nos bouches pleines.
Rien qu’à son regard, je voyais trop bien qu’il me convoitait et qu’il désirait donc me tirer de la
mauvaise voie dans laquelle je m’engageais, mais il fut très mesuré dans ses paroles. Il savait qu’il
n’arriverait pas facilement à me faire changer de comportement.
« Si ton métier d’architecte d’intérieur te permettait de vivre correctement, est-ce que tu laisserais
tomber le reste ? demanda-t-il.
— Probablement... Mais si je prends trop de plaisir à ce que tu appelles “ le reste ”, je ne crois pas
que je l’abandonnerais. À condition que mes proches ne s’aperçoivent de rien. L’inconvénient des
photographies est qu’elles sont faites pour être montrées. Sans cela, ça me tenterait vraiment
beaucoup.
— Et la prostitution ? »
Sur elle, j’avais appris un grand nombre de choses durant la matinée. Matis ne m’avait pas
seulement regardée travailler. Il m’avait aussi parlé des métiers du sexe, sur lesquels il était
extrêmement bien renseigné.
« Il y a énormément de fausses idées là-dessus, répondis-je. Par exemple, une prostituée peut très
bien avoir une vie de couple. Il y en a qui refusent d’embrasser leurs clients sur la bouche parce que
c’est réservé à leurs chéris.
— D’accord, mais... Tu crois que tu es faite pour ça ?
— Je ne sais pas. Il faudrait demander à un responsable du recrutement si j’ai le profil nécessaire »,
répondis-je en espérant que Sébastien apprécierait mon humour.
En fait, je savais que la réponse était positive : Matis me l’avait dit.
« Je regrette que ce ne soit pas considéré comme un métier normal, comme en Allemagne, ajoutai-
je.
— C’est ce que tu as toujours pensé ou c’est nouveau ?
— Je le pense depuis longtemps.
— Est-ce que tu as déjà envisagé de te...
— Non, mais pas parce que ça me semble inconvenant. Je n’oserais pas attirer des hommes pour
leur vendre mes services. J’admire les filles qui ont le courage de le faire. Baiser avec des inconnus,
j’en suis capable, à condition tout de même qu’ils me plaisent. Quand on vend un acte sexuel, c’est
différent.
— Donc c’est non à la prostitution ?
— Je ne m’interdis jamais quoi que ce soit de manière définitive, du moment que ce n’est pas
illégal. La prostitution n’est pas interdite, c’est le racolage qui l’est. »
Ce que je venais de faire avec Denis en était un parfait exemple. En acceptant son argent, j’étais bel
et bien devenue une péripatéticienne, mais il n’y avait jamais eu de racolage. Si j’avais rechigné à
prendre son « don », c’était parce que je voulais le considérer comme un copain et non comme un
client, malgré ses souhaits très particuliers.
« Pour toi, ce n’est pas une manière déshonorante de gagner de l’argent ? questionna Sébastien.
— Non puisque c’est honnête. Le déshonneur provient de la malhonnêteté.
— Tu ne te sentirais pas blessée par le regard que l’on te donnerait ?
— J’ai connu cela. Et puis j’ai compris que ce que les gens avaient vu, ce n’était pas Edwige
Steinmetz : c’était une prostituée anonyme. Le regard des autres ne compte que si ce sont des
personnes que tu fréquentes. »
Là, je tirais la leçon de ce que Denis m’avait dit sur ma rencontre avec le chauffeur de taxi.
« Donc tu pourrais faire n’importe quoi si tu étais sûre de ne pas être reconnue ? fit Sébastien.
— Exactement, et je trouve ça assez jouissif. Je me sens prête à recommencer.
— Tu aimes faire dans la provocation ?
— Tu n’as pas encore compris que je ne suis pas une fille sage ?
— Si si ! Mais il faut faire attention à toi. Tu as de la famille ?
— Mes parents sont divorcés. J’ai des rapports assez distants avec mon père. J’ai un petit frère qui
fait des études en informatique.
— Ah bon ?
— Oui. Il est à l’université comme toi. J’aimerais gagner assez d’argent pour l’aider à financer ses
études.
— Ça viendra. Ton entreprise est encore toute jeune. »
Comme nous nous regardions droit dans les yeux, Sébastien voyait que j’avais autre chose que
l’architecture en tête. Il savait très bien qu’avec un revenu d’escort, le problème serait vite réglé.
« Et la photo de charme ? proposa-t-il. Je ne crois pas que ce soit très compromettant.
— Ça l’est quand même, à moins de faire du nu très artistique, genre noir et blanc.
— Alors pourquoi pas ? »
Je haussai les épaules.
« Ce n’est pas assez hard pour toi ? en déduisit Sébastien.
— Je ne dis pas non, mais...
— Tu veux du sexe ? »
Le mouvement de ma tête ressembla à un hochement. Je posai un coude sur la table et regardai
Sébastien avec un air mutin.
« Il faut m’aimer comme je suis, lui rappelai-je.
— Oh, mais je t’aime comme ça ! D’ailleurs, je ne t’aurais pas rencontrée si tu avais été différente.
J’ai seulement peur que tu te brûles les ailes.
— Je ferai attention. »
Par la suite, Sébastien n’essaya plus de me donner des conseils, mais sa curiosité le poussa à
m’interroger sur l’univers du sexe. Malgré ce que Matis m’avait appris, il me fut difficile de
répondre à ces questions, car il voulait savoir ce qui poussait une fille à se prostituer. Je connaissais
quelques histoires – dont la mienne – mais chaque cas était particulier.
Après le repas, il alla s’asseoir dans le salon et regarda la télévision pendant que je faisais la
vaisselle. Je le rejoignis après avoir remis une tenue légère et j’allai me coller contre lui sur le
canapé, mais il n’y eut pas d’activité sexuelle. Nous bavardâmes simplement pour continuer à faire
connaissance et effectuer le décompte de nos affinités. Au fil du temps, je comprenais que j’avais été
très inspirée de m’être liée à ce garçon. Son principal défaut était d’être beaucoup plus sage que moi,
mais j’espérais pouvoir le corriger un peu.
La nuit prit possession de la ville pendant que nous regardions un film. Nous repassâmes aux
choses sérieuses après onze heures, quand Sébastien fut de retour dans ma chambre. Je me jetai sur
son short pour le lui arracher, baisser son slip et en faire sortir sa longue tige gorgée de désirs, à la
surface élastique et irrégulière. Je ne la pris pas tout de suite en bouche, préférant m’attaquer à ses
bourses et aux fragiles petites boules qu’elles enveloppaient. Je caressai tout de même son sexe
pendant que je lui accordais ce plaisir.
Je lui rendis ainsi ce qu’il m’avait donné au début de l’après-midi. Durant un bon moment, je
travaillai son pénis avec mes doigts, puis ma langue et mes lèvres, en insistant sur les parties les plus
sensibles. Il me regardait faire en restant sur les coudes, sa poitrine soulevée par une forte houle, la
bouche entrouverte et le regard voilé par sa jouissance. Son orgasme se prépara tandis que ma
bouche engloutissait périodiquement sa hampe, enduite de ma salive. Je levai les yeux pour interroger
du regard mon amant. Encouragée, je continuai ma fellation jusqu’au moment où Sébastien se crispa,
râla et émit une fontaine de sperme dans le fond de ma gorge.
Je n’en laissai qu’un peu sur son gland.
Il en était à sa deuxième éjaculation de la journée, mais j’étais sûre de ne l’avoir pas épuisé. Je me
déshabillai, car je n’avais pas pris la peine de le faire, puis je l’invitai à prendre possession de mon
corps. Il m’embrassa et me caressa partout, surtout sur les seins, autour de mon sexe et à l’intérieur.
Je l’initiai au premier cunnilingus, ce à quoi il se livra sans déplaisir.
Il finit par retrouver son érection, et ce moment de tendresse s’acheva par une pénétration
vigoureuse, dans laquelle il déversa son énergie de mâle. C’était la première qu’il utilisait vraiment
son pénis sur une fille, et je trouvai qu’il était doué pour cela. Une journée avait suffi à la déniaiser
complètement.
Il s’effondra après avoir giclé dans mon bas-ventre et ne tarda pas à s’endormir.
Quand il se réveilla sous la lumière du matin, il découvrit ce qu’étaient les règles d’une fille en
regardant les draps. Cela sonnait la fin de ma période d’activité sexuelle, quoiqu’il fût possible de
faire beaucoup de choses avec les mains et la bouche.
Comme il devait de toute façon réviser, je le ramenai chez lui après le petit-déjeuner. Avant de
descendre de ma voiture, il me donna un profond baiser, puis des paroles qui ne laissaient guère de
doute sur ses sentiments. Je ne cherchais pas à le tromper puisque tout avait été clair : si je n’avais
rien d’une copine fidèle, je serais toujours présente pour lui. Et tout bien calculé, mes amants
n’étaient pas si nombreux que cela.
C’était le dimanche mais j’avais de quoi m’occuper. Dès mon retour chez moi, je terminai les plans
du décor et les envoyai par mail à Bruno, avec la facture. J’eus également une conversation avec lui
au téléphone, durant laquelle je lui demandai si je pouvais passer le lundi matin avant dix heures.
« Bien sûr, me dit-il. On discutera de ça.
— Il y a autre chose. Denis veut que je passe chez lui habillée en prostituée. Il m’a donné une robe
très échancrée, mais là, je ne vais pas pouvoir l’utiliser. Est-ce que tu pourrais me donner quelque
chose d’autre ?
— Oui, je crois. On va voir ça. Si tu veux un maquillage qui va avec, Lætitia sera là.
— Ah, très bien. »
Pas très curieux, Bruno omit de me demander pourquoi Denis voulait me voir attifée comme cela.
Dans son esprit, je devais être comme une fille qui se met en paréo pour aller à la plage.
« Matis est là ? m’enquis-je.
— Non, mais si tu veux...
— Je demande ça comme ça. En fait, j’ai en ce moment mes règles, donc je ne peux pas...
— Ah... Mais viens quand même.
— Bien sûr. C’est pour le travail. »
Pauvre Matis ! Pour moi, il n’était qu’un pénis ambulant, qui se jetait sur moi pour me boucher les
orifices dès qu’il me voyait. Le sexe était en train de prendre une grande place dans ma vie, mais il y
restait autre chose.
Mon activité fut un peu ralentie par une chaleur qui devint de plus en plus lourde. J’avais envie de
m’aplatir par terre comme une chatte au soleil et de tomber dans un état comateux. En fin de journée,
des nuages d’une hauteur démesurée s’amoncelèrent au-dessus de la ville, faisant tomber une nuit
prématurée. Des éclairs rayèrent cette obscurité, des grondements de tonnerre retentirent et une pluie
diluvienne se déchaîna. J’ouvris la fenêtre de ma chambre pour écouter son grondement et respirer sa
puissante odeur, allongée sur mon lit. Des gouttes d’eau capturaient la lumière qui s’en échappait
pour se transformer en rais fugitifs. Les claquements du tonnerre me faisaient frémir sans me faire
peur : j’aimais les sensations fortes.

***

Le lundi, à mon réveil, les nuages ne s’étaient pas totalement dissipés. Je me rendis de bonne heure
à l’hôtel, vêtue d’une petite robe appelée à être retirée. J’y retrouvai quelques pensionnaires, ainsi que
Bruno, qui m’accueillit avec le traditionnel baiser sur la bouche. Nous nous rendîmes tout de suite
dans le studio, où se trouvaient des plans que je lui avais envoyés et qu’il avait imprimés. Je les
complétai par quelques consignes techniques.
Il m’écouta avec attention, puis je redevins une jolie femme à ses yeux et son regard se fixa de plus
en plus souvent sur mes jambes.
« Alors tu es prête ? demanda-t-il.
— Oui, répondis-je avec une petite hésitation. À condition que ce soit pour un usage privé,
d’accord ?
— Si tu veux. Mais si l’on ne peut pas voir ton visage, il n’y a pas de risque qu’on te reconnaisse. »
J’y réfléchis un peu et ne trouvai pas d’objection.
« Tu me photographierais sous tous les angles et tu ne diffuserais que les photos où je ne suis pas
reconnaissable ?
— Oui, mais pas sur mon site. Il faudra trouver un autre moyen de les vendre. Cela te permettra
d’être rémunérée.
— Avec le statut de modèle ? J’ai entendu dire que les modèles ne pouvaient être payés que par une
agence.
— C’est exact. Les filles de l’Est ont toutes été recrutées par des agences. Dans ton cas... on va
procéder de manière informelle.
— Travailler au noir, quoi.
— Si tu veux payer des cotisations sociales et des impôts dessus, tu n’as qu’à faire passer cela
comme du chiffre d’affaires de ton entreprise.
— Mouais...
— Mais ce n’est pas le plus important, n’est-ce pas ? Tu n’aimes pas poser ?
— Si.
— Avec Matis ? On dirait qu’il a le ticket avec toi. Et que c’est réciproque.
— Sur le plan sexuel, nous nous entendons bien.
— C’est tout ce qui compte. Je ne mets pas ensemble des modèles entre lesquels le courant ne passe
pas. »
Je donnai mon accord d’un signe de tête. Bruno me sourit et enchaîna :
« Le décor sera prêt mercredi. Tu pourras poser vendredi ?
— Oui.
— La prise de vue aura lieu dans l’après-midi. Tu viendras le matin pour la préparer. »
Je te fais confiance, Bruno.
J’étais consciente de pouvoir me tromper, mais j’appliquais la présomption d’innocence puisque je
n’avais aucune raison de croire Bruno coupable de mauvaises intentions.
Il me conduisit ensuite dans la loge, où je retrouvai Lætitia. Elle me regarda avec un sourire en
coin et me dit :
« Alors je dois faire de toi une pute ?
— Arrange-toi pour que je ne dégouline pas trop de maquillage, répondis-je.
— Non, je serai raisonnable.
— Je te trouve d’abord de quoi t’habiller », intervint Bruno.
Pour me changer des petites robes, il me proposa une jupe tellement petite que le préfixe mini
aurait été insuffisant pour la décrire : micro ou même nano aurait mieux convenu. Le top qui
l’accompagnait avait un décolleté qui descendait sous les seins. Je jugeai que ces vêtements
convenaient très bien à l’usage que je voulais en faire.
Je m’assis ensuite et je remis mon visage aux mains expertes de Lætitia. Elle officia non pas parce
qu’elle était payée pour cela, mais par pur plaisir. Ce maquillage fut complété par une rapide coiffure.
Quand elle eut terminé, je me tournai vers un miroir et vis une jeune femme que j’eus du mal à
reconnaître. Mais cette fois, je ne sortirais de l’hôtel que pour monter dans ma voiture, qui me
conduirait devant la villa de Denis.
Il est vrai que je ne savais pas pourquoi il m’avait convoquée, mais je ne pouvais imaginer qu’il
me préparait quelque chose de désagréable, qu’il me donnerait une raison de le fuir.
Ce fut néanmoins le cœur battant que je quittai l’hôtel, à un moment qui me permettrait d’arriver
chez Denis à onze heures précises.
Une grosse voiture grise était stationnée devant la villa, pas une Ferrari ni un autre fleuron de
l’automobile, mais elle n’était sûrement pas accessible à un smicard. Je mis les escarpins à talons
aiguilles que Bruno m’avait prêtés avant de sortir de ma Peugeot et je tournai autour de cette voiture.
C’était une Audi A8.
Après cela, j’ouvris la porte de la maison et je trouvai Denis en compagnie d’une femme dans le
salon. Elle tourna la tête vers moi et me considéra immédiatement pour ce que j’étais censée être. Je
sus alors que ce n’était pas la peine de m’avancer jusqu’à elle pour lui dire bonjour : elle ne
m’adresserait pas la parole sauf pour me dire des choses blessantes.
C’était une vieille femme aux cheveux argentés soigneusement relevés sur sa nuque, vêtue d’une
robe qui avait quelque chose de victorien. Des pierres précieuses brillaient à ses doigts et sur sa
gorge. La trouver dans ce salon, c’était aussi surprenant que de voir une momie reprendre vie :
j’avais cru que ce genre d’individu n’existait plus que dans les livres d’histoire. Ses yeux avaient
gardé une belle couleur bleue mais ils étaient glaçants.
« Alors je vais te laisser, dit-elle à Denis. Tu es libre de t’amuser avec ta pute mais n’oublie pas ce
que je t’ai dit. »
Elle se leva et me regarda comme un cloporte, avec toute la violence de sa morgue. Je ressentis la
même chose que si elle m’avait craché au visage. Comme je n’étais pas du genre à prendre des coups
sans réagir, je répliquai immédiatement :
« La pute vous salue, madame, et vous remercie pour votre amabilité. Il est dommage que nous
n’ayons l’occasion de discuter. »
Elle se drapa dans son mépris, traversa le salon d’un pas tranquille et quitta la villa.
Je me tournai vers Denis, qui était totalement décomposé, presque au bord des larmes. Il me fit
pitié.
« C’est ta mère ? » demandai-je.
Il hocha la tête.
« Ben dis donc... » soupirai-je.
Je m’assis à côté de lui et pris sa main droite dans la mienne.
« Elle n’est pas méchante mais elle est stricte sur certains points, déclara-t-il.
— Oui, par son expression débordante de bonté, elle me fait penser à Mère Teresa.
— Je sais que ce n’est pas très agréable pour toi, mais j’avais de toute façon une mauvaise nouvelle
à t’annoncer, alors je voulais que tu saches qui était la responsable. Je tenais vraiment à refaire
l’intérieur de ma villa et te confier ce travail. Ma mère vient de me l’interdire. Je suis condamné à
vivre dans... une sorte de monument funéraire dédié à la mémoire de ma défunte épouse. Un
mausolée, en somme.
— Je ne la comprends pas. Elle veut te forcer à vivre dans le deuil ?
— Pas jusqu’à la fin de ma vie, mais pendant un certain temps. Elle adorait Sylvie. Je crois qu’elle
tenait plus à elle qu’à moi, alors elle m’interdit de me remarier.
— Mais elle te permet de fréquenter des prostituées ?
— Elle est plus compréhensive que tu le crois. Elle sait très bien que j’ai besoin de sexe. Elle
m’autorise à coucher avec des femmes, mais en les payant afin de ne pas m’attacher à elles. J’ai beau
être fortuné, si je dépense un millier d’euros chaque nuit, ça finira par faire un trou dans mon budget.
Et pour elle, les prostituées n’ont pas de sentiment ; seul l’argent les intéresse. Aucune ne voudra
donc s’attacher à moi, sauf avec l’intention de me pomper mon argent.
— Tu ne peux pas lui désobéir ?
— Dans mon milieu, tout se sait... Surtout si je trouve une vraie compagne. Tirer un coup à la
sauvette, ce serait à la rigueur envisageable, mais ma mère lit en moi comme dans un livre ouvert.
— Et elle au courant, pour Bruno ?
— Bien sûr. Elle sait bien qu’on ne peut pas empêcher quelqu’un d’aller sur internet et d’y trouver
des photos de filles nues. Ce qu’elle ne veut pas, c’est qu’il y ait de nouveau quelqu’un dans ma vie.
— Est-ce qu’elle sait que je suis l’architecte d’intérieur à laquelle tu as fait appel ?
— J’ai tout fait pour qu’elle ne le découvre pas. C’est pour ça que je t’ai demandé de t’habiller
comme ça.
— Je l’ai bien compris.
— Si tu veux continuer à me fréquenter, il faudra continuer à jouer le jeu, et sans une seule fausse
note. Tu dois avoir tout d’une prostituée. »
Je tenais toujours fermement la main de Denis. Toutes les certitudes qui s’étaient constituées dans
mon esprit étaient en train de s’ébouler, devant une telle révélation. Il avait eu raison de me montrer
sa mère, puisque sans cela, je n’aurais pas pu croire une telle histoire. Mais après tout, j’étais encore
jeune et je ne connaissais pas grand-chose de la vie. Et j’avais entendu des sentences du genre : « Il
faut de tout pour faire un monde. »
« C’est pourquoi tu ne veux pas que nous nous voyons très souvent, en déduisis-je.
— Bien sûr. Si tu es souvent chez moi, elle verra ce qu’il y a entre nous. Au moins, si tu te fais
photographier chez Bruno, je pourrai te contempler tout à loisir.
— Je le ferai. Le décor sera prêt mercredi et la prise de vue aura lieu vendredi... Alors tu es en train
de me dire qu’une véritable liaison entre nous est impossible ? »
Denis poussa un soupir sans me répondre.
« On se croirait vraiment revenu au dix-neuvième siècle, repris-je. Comment ta mère peut-elle
exercer un tel pouvoir sur toi ? Elle peut te priver de ton héritage ?
— Non. C’est une question de réputation.
— Parce que tu fréquentes des prostituées ? Ce n’est pas ce qu’elle veut ?
— Payer des filles pour les faire venir dans mon lit, il n’y a rien d’illégal à cela, et personne ne
peut me le reprocher. Mais ma mère s’est arrangée pour qu’on puisse m’accuser de proxénétisme.
— Quoi ? m’écriai-je.
— Je n’ai pas fait attention à cela et je me suis fait avoir. Il est interdit d’aider une prostituée, de
quelque manière que ce soit. Il suffit de lui recommander un client pour être accusé de proxénétisme.
Je ne serais pas forcément condamné mais ma réputation en prendrait un coup. Tu comprends que
l’encouragement de ma mère à fréquenter des prostituées n’est pas sans arrière-pensée.
— Comment une mère peut-elle faire cela à son fils ? Il faut la tuer ! »
Regrettant aussitôt les paroles qui étaient sorties de ma bouche, j’effectuai une correction :
« Il faut la soigner.
— Sois patiente. Cela ne durera qu’un temps, une année tout au plus.
— Je n’arrive pas à comprendre sa motivation. C’est la famille de ton épouse qui lui demandé cela,
ou quoi ?
— Non, c’est sa volonté. Elle pense également à mes enfants. Elle n’a pas envie que leur mère soit
trop vite remplacée par une autre femme.
— De toute façon, ils ne vivent pas chez toi.
— Ils sont là tous les week-ends et pendant les vacances. Nous formions une famille très unie, moi,
mon épouse et nos enfants. »
Sans m’en rendre compte, j’avais déjà lâché la main de Denis.
Je me tins coite un moment, craignant d’avoir jugé trop sévèrement cette femme. Avec un peu de
recul, il devait être possible de la comprendre, mais pour tenir son fils, elle avait des méthodes pour
le moins critiquables.
Je laissai Denis voguer dans ses souvenirs. En le regardant, je fus de nouveau certaine qu’il
continuait à aimer Sylvie. Mais la chair a ses exigences. C’était un homme vigoureux, qui n’avait pas
encore atteint les quarante ans. Sans ses relations tarifiées, il en aurait été réduit à se soulager avec les
cinq doigts de la main.
« Qu’est-ce que la famille de ton épouse pense de tout cela ? demandai-je. Tu as toujours des
relations avec elle ?
— Bien sûr. Mes enfants voient de temps en temps leurs grands-parents, ainsi qu’une tante. »
Ce n’étaient sûrement pas eux qui allaient presser Denis de se remarier. Mais il serait cruel de le
laisser encore longtemps dans son veuvage : il avait droit à une deuxième vie conjugale.
Je fus traversée par une décharge émotionnelle en pensant que sa deuxième épouse pouvait être
moi et que je n’avais pas besoin d’attendre une éternité. Malheureusement, sa mère m’avait vue
habillée en prostituée. Cela risquait de poser problème. De plus, je n’avais pas très envie d’avoir une
belle-mère comme elle. Elle était capable de s’entendre avec sa belle-fille comme elle l’avait montré
avec Sylvie, mais dans mon cas, c’était plutôt mal parti.
Il est vrai qu’elle était âgée et pas éternelle, mais elle me semblait capable de tenir encore un bon
moment.
La tristesse nous gagnait peu à peu, pendant que nous réfléchissions à notre situation. Les failles
que j’avais perçues en Denis étaient à présent grandes ouvertes. Il était devenu veuf et se trouvait dans
l’impossibilité de côtoyer une femme qu’il venait de rencontrer et qu’il appréciait. En regardant son
visage assombri, je ne pouvais guère avoir de doute à ce sujet.
Je lui aurais proposé de partir dans une autre ville s’il n’avait pas eu d’enfants. Ils ne pouvaient pas
être séparés de leur famille maternelle.
« En imaginant que tu n’aies pas eu d’enfant, accepterais-tu de partir avec moi ? demandai-je.
— De s’enfuir ensemble, comme dans les vieilles histoires ?
— Oui.
— Je pense que je le ferais. »
Au lieu de me faire plaisir, la réponse de Denis me déprima encore plus. Notre histoire entravée
n’était pas seule en cause. Je venais de perdre un chantier important et j’avais été insultée par cette
pimbêche.
Je me levai subitement.
« Je rentre chez moi, annonçai-je.
— Déjà ?
— Tu t’attendais à quoi, en me présentant à ta mère ? Qu’elle me fasse des compliments ?
— C’était indispensable. Sans cela, tu n’aurais jamais pu me comprendre.
— Tu as raison. J’ai tout compris. »
Je contournai un canapé pour me diriger vers la porte. J’entendis Denis se lever et faire quelques
pas, mais il n’essaya pas de me rattraper. Je ne lui répondis pas quand je l’entendis prononcer mon
nom.
Je pus ouvrir librement la porte et la refermer, puis rentrer dans ma voiture. Je mis le contact avec
la nervosité d’une femme poursuivie par un délinquant, puis partis en appuyant sur les pédales avec
mes pieds nus. Le portail me laissa franchir l’enceinte de la résidence, peut-être parce qu’il était
automatique.
Sur la route de Montpellier, j’eus l’impression de m’éloigner d’un paradis interdit et il me fallut
m’essuyer les yeux. Je trouvais stupide de pleurer ainsi, mais je ne pouvais pas m’en empêcher. Des
idées pas très raisonnables me venaient à l’esprit : j’étais traitée ainsi parce que je n’étais qu’une fille
du peuple. Si j’avais eu des origines aristocratiques, je n’aurais pas été incitée à faire la prostituée et
cette femme ne m’aurait pas traitée avec un tel mépris. Peut-être aurais-je eu des chances avec Denis.
J’oubliais ce que j’avais dit à Sébastien, que cette femme n’avait nullement montré son mépris à
Edwige Steinmetz. Elle ne savait même pas que j’existais. Mais il est difficile de soumettre les
sentiments à la raison !
De retour chez moi, j’enlevai ce costume pour mettre un short et un débardeur, puis je tournai un
moment dans mon appartement avant d’arriver à m’asseoir. J’avais envie de parler à quelqu’un pour
me confier et Sébastien était la seule personne au courant de mes aventures. Il devait être plongé
jusqu’au cou dans ses révisions, mais tant pis. Je composai son numéro et collai le téléphone sur mon
oreille en espérant qu’il me répondrait.
« Edwige ? entendis-je.
— Oui, c’est moi. Je... on peut se parler un peu ?
— Qu’est-ce qui t’arrive ?
— Denis m’a demandé de venir chez lui ce matin. »
Je lui fis le récit des évènements, jusqu’à mon départ de la maison. Il y eut un moment de silence,
comme si Sébastien avait été sonné par ma révélation, puis je l’entendis s’exclamer :
« Elle est malade !
— Je pense qu’elle a ses raisons.
— Ou alors, on continue à te cacher des choses. Une mère qui interdit à son fils de se remarier et
qui le pousse à fréquenter des prostituées pour le compromettre, je n’y crois pas. Il a été assez bête
pour se laisser avoir ?
— Tu sais, il arrive à tout le monde de faire des erreurs. Et tu peux être sûr que Denis est un accroc
du sexe.
— N’empêche, je n’y crois pas.
— Si tu avais vu cette femme, tu changerais peut-être d’opinion. Je ne pensais pas que ça pouvait
exister.
— Oui, bon... C’est une raison de plus pour ne jamais remettre les pieds là-bas. C’est pire qu’un
panier de serpents. »
Sur ce point, je ne pouvais pas contredire Sébastien.
« Peut-être que Denis t’aime bien et ne te fera pas trop de misère, reprit-il, mais elle... Si elle t’a
dans son viseur, elle ne te ratera pas. Alors coupe tout contact avec Denis et aussi avec Bruno. Tu lui
as envoyé les plans du décor ?
— Oui. Les travaux vont commencer.
— Il t’a payée ?
— Oui.
— Alors dis-lui que c’est terminé. Il trouvera une autre fille pour poser. »
Les conseils de Sébastien étaient bons, mais Denis n’était pas un homme que l’on pouvait envoyer
promener. J’étais sûre qu’il tenait toujours à moi. Il n’y avait rien à changer au plan qu’il avait
élaboré : je devais poursuivre des relations distantes avec lui en lui faisant payer nos rendez-vous, et
m’offrir en spectacle sous l’objectif de Bruno.
Comme je restais silencieuse, Sébastien poursuivit :
« Tu es d’accord ?
— Euh... Oui.
— Tu veux que je passe chez toi ?
— Mais tu es en train de réviser !
— Je devrais plutôt me reposer. Bûcher quelques heures de plus après une année de travail, ça ne
me fera pas réussir.
— Je vais te chercher.
— Ne te dérange pas. On est lundi et il y a des bus. Mais c’est l’heure de manger. Je viendrai après.
»
Quand je coupai la communication, j’étais rassurée d’avoir trouvé une épaule sur laquelle
m’appuyer. Il ne me fut néanmoins pas facile de penser à ma future conversation avec Denis, durant
laquelle je lui annoncerais mon intention de m’éloigner de lui. J’ignorais si j’aurais le courage de le
faire.
Je préparai un déjeuner rapide, poussée par la seule force de l’habitude, et le mangeai sans avoir
aucun appétit. Je m’en allai ensuite digérer sur mon canapé, les genoux repliés contre ma poitrine et
les sourcils froncés. Mais je ne pouvais pas me laisser aller bien longtemps dans cet état dépressif ; ce
n’était pas dans mon tempérament.
Je pris mon téléphone pour envoyer un message à Denis. J’espérai, en utilisant des mots choisis,
éviter la confrontation :
« Après ce que j’ai vu, je crois qu’il vaut mieux prendre ses distances pendant un certain temps. Ta
mère est dangereuse. Je n’ai pas envie d’avoir affaire à elle. C’est aussi dans ton intérêt. »
La réponse vint quelques minutes plus tard :
« Il faut faire comme je t’ai dit. Tu n’as rien à craindre et tu seras gagnante. »
Je fixai l’écran de mon téléphone en pensant : Ouais, c’est toi qui le dis.
Il me fallut réfléchir un moment avant de trouver la meilleure réponse :
« Ce que tu me promets, c’est de gagner de l’argent grâce au sexe ? C’est tentant mais j’ai décidé
que non. Le libertinage, je veux bien. Le reste, je m’en méfie beaucoup. J’ai joué une fois à la
prostituée, je ne recommencerai plus. »
Un nouveau message arriva :
« Tu es douée pour cela. Je sais que ce n’est pas très convenable, mais tu as été filmée vendredi soir
à ton insu et j’ai vu les images. C’était sensationnel. Tu devrais te faire payer pour ça. »
Mon téléphone faillit me tomber des mains lorsque je lus cela.
Le salaud !
Des personnes présentes à l’orgie avaient dû informer Denis de ma présence et recevoir l’ordre de
me filmer en pleine fornication. Elles n’avaient guère eu de mal, puisque je n’avais pas du tout fait
attention à ce qui se passait autour de moi.
Denis avait dû se repaître du spectacle et garderait bien sûr l’enregistrement. Serait-il capable de le
mettre en ligne si je me montrais récalcitrante ? S’il était bien le fils de sa mère, c’était possible.
Je contins ma colère, qui aurait pu me pousser à réduire en pièces mon innocent téléphone, en
m’apercevant que j’étais en train d’accuser Denis d’une faute qu’il n’avait pas commise. M’avoir fait
filmer à mon insu, c’était pour le moment tout ce que j’avais à lui reprocher. Je me souvins d’ailleurs
qu’il m’avait photographiée dans sa villa sans me demander d’autorisation, puis qu’il m’avait envoyé
l’une de ces images. Le voyeurisme était chez lui une habitude revendiquée.
Faire du chantage était un moyen d’acquérir un certain pouvoir sur moi, mais certainement pas
d’avoir mon affection, voire mon amour. Il gagnerait plutôt une haine éternelle.
J’écartai donc cette crainte sans être rassurée pour autant, puisque l’ombre de la mère de Denis
continuait à planer sur moi. J’avais voulu savoir pourquoi mon « compagnon » se comportait ainsi ;
j’avais obtenu la réponse. Je ne dis pas qu’il aurait valu ne jamais l’avoir, puisqu’il est toujours
nécessaire de connaître les dangers auxquels on est confronté.
Mais maintenant, j’avais d’autres réponses à trouver.
4. Chapitre

Je n’arrivais pas à me remettre de ma rencontre avec la mère de Denis, tant le mépris manifesté à
mon égard avait été violent. J’avais appelé Sébastien et il avait décidé d’accourir chez moi. Je ne
pourrais pas lui faire plus de confidences qu’au téléphone, mais se jeter dans ses bras me ferait le
plus grand bien.
C’est ce que je fis tout de suite après lui avoir ouvert la porte. Nous nous étreignîmes sur le seuil,
puis nous entrâmes dans l’appartement en continuant à former une masse soudée. Sébastien referma
la porte avec le pied.
« Eh bien alors, qu’est-ce qui t’est arrivé ? fit-il. Tu as l’air toute retournée.
— Il y a de quoi. »
Nous ne nous séparâmes que pour plonger nos regards l’un dans l’autre. Je pus vérifier que
Sébastien était vraiment ému par ma mésaventure. Nous nous rendîmes dans le salon en nous tenant
par la main, pour nous asseoir côte à côte.
« Qu’est-ce que tu comptes faire, maintenant ? demanda-t-il.
— Je ne sais pas trop.
— Je t’ai conseillé de tout arrêter, mais je ne sais pas si tu le feras. En fait, je ne crois pas que tu
suivras mes conseils.
— Si, peut-être, mais je ne me sentirai pas tranquille. La vieille dispose d’un pouvoir très grand. Je
ne sais pas exactement de quelle manière elle s’y est prise, mais il lui a été facile de faire plier son
fils. Je crois que si elle décidait de s’en prendre à moi, j’aurais des soucis à me faire.
— Mais si tu arrêtes de voir Denis, elle n’a pas de raison de s’attaquer à toi.
— J’ai joué un double rôle, en voulant refaire la villa de Denis et en couchant avec lui. J’ai joué le
jeu de la séduction. Si elle découvre cela... »
Mon copain eut la sagesse de ne pas reprocher mes errements. Il aurait fallu remonter le temps
jusqu’au moment où Denis m’avait proposé de me rendre au bord de sa piscine, pour ne pas
commettre cette erreur. Mais alors, Sébastien n’aurait plus été à mes côtés.
Il réfléchit un moment avant de déclarer :
« Il faudrait trouver un point faible à la famille Stevenot.
— Un point faible ? m’écriai-je. Mais ces gens sont...
— Il y a Sylvie, l’ancienne épouse de Denis.
— Et alors ? Elle est morte.
— Pourquoi les enfants ne vivent-ils pas avec leur père ?
— Parce que... il y a trop de sexe dans la villa.
— Et pour quelle raison la mère de Denis lui interdit-elle de se remarier ? Je veux connaître la
vraie raison, pas celle qu’il t’a donnée. Il y a quelque chose qui ne va pas dans cette famille. Pour le
savoir, il n’y a pas d’autre moyen que d’interroger la famille de Sylvie. »
Finalement, Sébastien avait bien fait de venir. Il avait plus la tête sur les épaules que moi. Je le
regardai avec reconnaissance.
« Alors je dois commencer à faire des recherches ? demandai-je. Il faudrait savoir où elle habite et
je n’en ai pas la moindre idée.
— C’était une miss. Cela nous aidera peut-être à trouver des informations.
— Oui... »
Nous continuâmes à réfléchir pendant quelques instants en silence, puis Sébastien reprit :
« Je vais tenter quelque chose de mon côté. Je te le dirai seulement si ça a marché.
— D’accord. »
Je pris la main de Sébastien pour la serrer dans la mienne, en lui donnant un regard d’amoureuse.
Notre conversation se poursuivit, mais nous avions dit l’essentiel. Mon copain me fit promettre de ne
plus fréquenter Bruno. Je m’exécutai avec peu d’entrain, comme un enfant promettant à ses parents de
faire ses devoirs. C’était le désir de me rapprocher de Sébastien qui me rendait obéissante, pas celui
de m’éloigner de Bruno.
J’invitai mon copain à rester chez moi jusqu’au dîner, puis je le raccompagnai sagement dans sa
résidence. Il n’y eut qu’un baiser, quoique très tendre, et je le laissai me quitter pour se préparer à sa
première journée d’examen.
Le lendemain, je n’accomplis mon devoir qu’assez tard dans la matinée, vêtue d’un short et d’un
top minuscules mais maquillée comme pour aller au travail. Assise devant mon ordinateur, le cœur
battant la chamade et les mains moites, je tapai sur les touches du clavier pour composer ce message :
« Denis m’a demandé de venir chez lui pour que je rencontre sa mère et que je comprenne
pourquoi il ne peut plus refaire l’intérieur de sa maison : c’est elle qui le lui a interdit. Je ne sais pas
si tu la connais, mais ce n’est pas du tout un personnage que l’on a envie de fréquenter. Elle est
arrogante, méprisante, et en plus, elle a l’air dangereuse. Je ferais mieux de m’éloigner de tout cela,
et par conséquent, de mettre fin à notre collaboration. Nous ne sommes pas liés par contrat. J’ai conçu
un décor pour ton studio et tu l’as payé. Tu n’as qu’à faire poser une autre fille dedans. Ce n’est pas la
peine d’insister pour me faire revenir. »
Je doutai fort que Bruno tînt compte de la dernière phrase. C’était une tentative désespérée pour
mettre un terme à notre histoire.
Il ne me restait plus qu’à cliquer sur le bouton « envoyer » et à m’éloigner de mon ordinateur,
comme par crainte qu’il ne m’explose à la figure.
Bien sûr, ce que je craignais, c’était la réponse de Bruno.
Pour tenter de ne plus y penser, je m’installai devant mon téléviseur et cherchai quelque chose
d’intéressant à regarder. Mon attention commençait à peine à se fixer sur les images quand mon
téléphone me signala l’arrivée d’un SMS.
Il était de Bruno et ne comportait que ces mots : « J’arrive tout de suite. »
Eh merde ! me dis-je.
Je savais être incapable de lui interdire l’entrée de mon appartement et je m’attendais à avoir une
longue discussion avec lui. Mais après tout, Bruno accepterait peut-être de me dire ce qu’il savait sur
la famille de Denis. Je me mis donc à attendre sa venue. Elle se produisit au bout d’une petite demi-
heure.
Il se présenta dans une tenue très colorée, semblable à celle qu’il avait portée lors de sa première
visite, mais sa mine était beaucoup plus grave. Quant à moi, je n’avais pas pris la peine de me changer
pour le recevoir. Après avoir ouvert la porte de mon appartement, je marmonnai un bref « Entre ! »,
puis je revins dans le salon pour me jeter sur mon canapé. Je le laissai libre de s’asseoir où il le
voulait.
« Bon, alors... commença-t-il.
— Tu as déjà rencontré cette femme ? le coupai-je. Je ne sais même pas comment elle s’appelle. On
ne peut pas dire que les présentations aient été faites.
— Jocelyne.
— Ah ? Tu la connais ?
— Non, je ne l’ai jamais rencontrée. C’est Denis qui m’a parlé d’elle.
— Et tu as cru ce qu’il t’a dit ? Une mère qui encourage son fils à fréquenter des prostituées et
menace ensuite de ternir sa réputation, c’est vraiment n’importe quoi.
— Écoute... »
Bruno se gratta le menton, comme pour tirer des poils de barbe, avant de continuer :
« Ils ont leurs raisons.
— Pour moi, elles sont aussi impénétrables que les voies du Seigneur. C’est une famille de pervers
ou quoi ?
— Peut-être que si tu savais tout, tu les comprendrais.
— Et toi, tu sais quelque chose ? »
Bruno se racla la gorge.
« Pour moi, Denis n’est qu’un copain de débauche. Je t’assure que nous ne parlons que de sexe
entre nous... Et d’argent puisqu’il m’a aidé à financer mon affaire. Je viens de temps en temps chez
lui, en amenant des filles, mais il ne vient jamais chez moi.
— Comment un homme comme lui peut-il... Avec une mère comme la sienne, on pourrait croire
qu’il a reçu une éducation assez stricte.
— Je ne sais pas comment il se comportait quand il était petit, mais tout le monde peut changer.
— Tu y as contribué ? »
Ne pouvant démentir ce qui était une affirmation de ma part, malgré la tournure interrogative de
ma phrase, Bruno me fit un aveu :
« Oui.
— Dans quelle mesure ?
— Il aime les jolies filles, alors je n’ai pas eu beaucoup d’efforts à faire. Mais ce n’est pas moi qui
l’ai encouragé à fréquenter des prostituées.
— C’est sa mère ?
— Mais non ! Les gens qui sont aussi blindés de tunes que lui, ils pensent forcément aux
prostituées. Moi, je suis dans le libertinage et la photographie, comme tu le sais. C’est moi qui lui ai
fait découvrir cet univers.
— Et avant ça, il se contentait de son épouse ?
— Évidemment !... Enfin, je n’en sais rien, mais je le suppose. Je n’imagine pas un homme épouser
une miss et la tromper.
— Moi, si. Les miss ne sont pas éduquées à être des bêtes de sexe. Il existe des femmes beaucoup
plus délurées qu’elles.
— C’est vrai. »
Comme moi.
« Et avec moi, qu’est-ce qui s’est passé ? demandai-je.
— Je pense qu’il t’a trouvée à son goût, tout simplement. Tu sais, ce sont des choses qui arrivent.
— Oui, je sais... Mais j’ai un peu de mal à le croire... Il a plutôt vu que j’étais capable de me
dévergonder très rapidement.
— Il n’y a pas que cela. Tu es belle, tu as du caractère, tu es cultivée. On peut faire la conversation
avec toi.
— Il tient vraiment à moi ?
— Oui. »
Bruno eut l’air encore plus sérieux, comme pour s’apprêter à faire un serment sur la Bible.
« Est-ce qu’il t’a expliqué pourquoi tu ne peux pas vivre avec lui ? demanda-t-il.
— Oui, il m’a dit que c’est sa mère qui le lui interdit. Ça aussi, j’ai un peu de mal à le croire. Une
mère qui impose à son fils une période de veuvage...
— Et pourquoi pas ?
— … et lui propose de se rabattre sur des prostituées.
— Puisqu’il t’a tout expliqué, pourquoi tu ne peux pas le comprendre ? Cela te semble si
incroyable que cela ? »
Je pris un moment de réflexion avant de poursuivre la conversation. Mon regard s’écarta de Bruno
pour se diriger vers une fenêtre et s’envoler dans le ciel d’un bleu uniforme et chaud.
Les explications ne varieront pas d’un iota. Je n’apprendrai rien de nouveau sur Denis.
Comme mon silence se prolongea, Bruno prit l’initiative de le rompre :
« Tu as toujours l’intention d’annuler la prise de vue ? »
Je hochai la tête et l’entendis pousser un soupir.
« J’aimerais beaucoup avoir de belles photographies de toi, pour moi mais aussi pour toi,
poursuivit-il sur un ton cajoleur. Tu es une très belle fille et tu dois mettre ton corps en valeur.
— Tu sais ce que je suis venue faire chez toi vendredi soir ?
— Oui.
— Quelqu’un m’a filmée et a envoyé la vidéo à Denis, à mon insu. Je n’ai pas beaucoup apprécié
cela.
— Je ne suis pas Denis. Cela ne vient ni de moi, ni de Matis.
— Mais comment a-t-on pu me filmer si tous ces gens n’étaient pas ligués contre moi ?
— Ces soirées sont toutes filmées. Il y a toujours quelqu’un avec un caméscope, mais la vidéo est
conservée comme souvenir ou elle circule entre copains, jamais plus. »
J’exprimai mon scepticisme par mon silence.
Il y avait cependant un autre dialogue entre nous, car j’avais replié mes jambes pour les poser sur
le canapé, comme j’en avais souvent l’habitude, et Bruno les contemplait sans dissimuler son envie
d’en voir plus. Or son regard ne pouvait me laisser indifférente.
Je reconnaissais que je n’avais rien à lui reprocher, puisqu’il s’était toujours très bien comporté
avec moi. Je n’avais pas de regret de l’avoir sucé et je me demandais pourquoi nous n’en avions pas
fait plus.
« Je te propose de rédiger et de signer un contrat dès maintenant, dit-il. Les photos que je prendrai
vendredi ne seront réservées qu’à nous deux. Si tu les vois ailleurs que chez moi, tu pourras porter
plainte contre moi. »
Je continuai à garder le silence mais un sourire faillit se former sur mon visage.
« Même comme ça, tu refuses de me faire confiance ? dit-il.
— Si, laissai-je échapper.
— De toute façon, le seul fait de diffuser une photo de toi sans ton autorisation est interdit. »
Je hochai la tête.
« Je ne suis pas la marionnette de Denis, reprit Bruno. C’est lui qui s’est laissé entraîner par moi.
— Tu m’as dit qu’il a le bras très long.
— C’est exact, mais tout ce qu’il souhaite, c’est conserver des relations avec toi.
— Mais sa mère, si elle apprend la nature de ces relations...
— Si tu suis les conseils de Denis, elle n’en saura rien. »
Subitement, je m’aperçus que madame Stevenot pouvait ne pas me reconnaître si je réapparaissais
dans quelques mois sous les traits d’une femme « normale ». Avec mon costume et mon maquillage
de prostituée, je m’étais rendue à peu près méconnaissable.
Mettre notre liaison au grand jour était envisageable. Il restait à savoir si je pouvais m’entendre
avec une telle belle-mère. Elle avait été apparemment très aimable avec Sylvie, mais étais-je capable
d’acquérir sa sympathie ?
« Tu l’aimes ? » demanda tout à coup Bruno, comme s’il avait connu le cheminement de mes
pensées.
Ce fut à mon tour de pousser un soupir.
« Je croyais que c’était possible, murmurai-je.
— Mais tu l’aimes ?
— Au début, il m’attirait... beaucoup... J’ai tout de suite été fascinée par lui. Maintenant, je lutte
contre mes sentiments. J’ai l’impression qu’il a plus de zones d’ombre que de zones éclairées, et ça
ne le rend pas très attirant. Je ne m’en suis pas rendu compte tout de suite. Je croyais qu’il était
limpide : un riche libertin. Mais c’est tout le contraire. Toi aussi, tu me caches des choses.
— Non, pourquoi ? fit Bruno en prenant un air scandalisé.
— Quand je t’ai interrogé sur Sylvie, cela t’a rendu muet. Pourtant, tu es de caractère assez
extraverti.
— Parce qu’il y a des choses qui ne sont pas faciles à dire. C’était une femme que Denis aimait.
Comment parler d’elle à sa nouvelle compagne ?
— Tu as mis fin à notre conversation quand je t’ai demandé comment Sylvie était morte.
— Je n’en sais rien ! À cette époque, je ne connaissais pas Denis. Et pourquoi veux-tu savoir cela ?
— Ça explique peut-être son comportement. »
Bruno fut de nouveau réduit au silence. Pendant une petite minute, mais pour un homme comme lui,
c’était déjà beaucoup.
« Je ne vois toujours pas où tu veux en venir, dit-il.
— J’aimerais bien rencontrer la famille de Sylvie et l’entendre parler de Denis. Je suis certaine que
j’entendrais des choses très intéressantes. Seulement, je ne sais pas comment la trouver. J’ai pensé à
écrire au comité Miss France. »
Au changement de couleur du visage de Bruno, je vis que j’avais mis le doigt là où il le fallait,
mais je compris tout de suite que je n’aurais pas dû en parler. Denis pouvait très bien intervenir
auprès dudit comité pour lui demander de ne pas me répondre.
« Qu’est-ce qui ne va pas ? demandai-je avec une fausse innocence.
— Pourquoi tu me demandes ça ?
— Parce que tu as un air bizarre.
— Mais pas du tout ! »
Je me dis qu’il valait mieux ne pas insister. Je sentais que Bruno savait quelque chose, mais le faire
passer aux aveux était impossible.
Il me fallait plutôt clore ce sujet.
« Je suis d’accord, annonçai-je.
— D’accord pour quoi ? fit Bruno, pris au dépourvu.
— Pour me faire photographier.
— Ah bon ? Qu’est-ce qui t’a fait changer d’avis ?
— Ben... toi. »
Il fallut un moment à Bruno pour comprendre ce que je cherchais à lui dire et son visage s’éclaira
d’un sourire.
« Alors tu viens vendredi ? dit-il.
— Oui.
— Le matin, pour faire les préparatifs.
— D’accord.
— Si tu veux, on fait le contrat tout de suite.
— Ce n’est pas la peine. Tu viens de me dire que tu ne peux pas diffuser mes photos sans mon
autorisation. J’ai toujours voulu que cette prise de vue soit privée et elle le restera.
— Très bien. »
Comme il avait obtenu ce pour quoi il était venu, il me contempla avec une expression béate.
« Tu as toujours tes règles ? s’enquit-il.
— Oui. Pourquoi tu me demandes ça ? Tu aimerais profiter de moi ?
— Tu as l’air d’aimer ça, hein ? Je regrette de ne pas avoir été à la soirée, mais si tu veux, tu
pourras remettre ça vendredi. D’ailleurs, tu seras sur place. Je veillerai à ce que personne ne te filme.
»
Parfait. Tout était redevenu normal entre nous : il n’était plus question que de sexe.
D’ailleurs, Bruno ne put résister plus longtemps. Il quitta sa chaise pour s’asseoir sur le canapé,
tout contre moi, et se mettre à caresser mes jambes. Je le laissai faire un bon moment, en adoptant une
attitude passive, le regard cependant plongé dans le sien. À la longue, il parvint à éveiller mon corps,
qui aspira à recevoir l’hommage de ses mains en d’autres endroits, même dans mon vagin pourtant
occupé par un tampon. Mon clitoris émergea de son sommeil. Mes seins se gonflèrent et se durcirent
; leurs pointes se firent plus visibles sous le tissu de mon top. Percevant mon désir, il souleva mon
vêtement et approcha sa tête de mes mamelons afin de les malaxer et de les sucer. Je passai les mains
dans ses cheveux pour appuyer sa tête sur ma poitrine. Il était très tendre, attentif aux réactions de
mon corps et à mes miaulements de plaisir.
J’en désirai plus : tenir son sexe dans mes mains à défaut de le sentir racler mon intimité.
« Allons dans ma chambre, proposai-je.
— Pourquoi faire ? On ne peut pas baiser.
— Je peux utiliser les doigts et la bouche. »
Je lançai ma main sur son entrejambe et agrippai son pénis à travers son bermuda, dont je pus
sentir la dureté.
« Si tu veux me sucer, fais-le ici, dit-il.
— Tu aimes faire l’amour sur un canapé ?
— Ou partout ailleurs que dans un lit. Il faut varier les plaisirs. Tu as déjà essayé sur une cuvette de
W.-C. ? »
Il me fit sourire.
« Ça fait crade, dis-je.
— Justement ! »
Tout en parlant, agenouillé sur le canapé au-dessus de moi, il avait ouvert son bermuda.
J’empoignai sa tige pour la malaxer avec vigueur. L’afflux de sang rendait son gland cramoisi, ce qui
me donnait envie de maltraiter encore plus son membre. Les halètements de Bruno se firent plus
sonores, sans lui faire perdre l’usage de sa langue :
« Tu as une serviette ou un tampon ?
— Un tampon. Pourquoi ?
— Parce que comme ça, tu peux te déshabiller. »
J’exauçai son vœu sur-le-champ, puisqu’il n’y avait aucun inconvénient à cela. Il retira également
tous ses vêtements, si bien que nous nous retrouvâmes nus l’un en face de l’autre. Assise sur le
canapé, je continuai à regarder son membre dressé en majesté, tandis que son regard s’abaissait sur le
bas de mon ventre. En posant les mains sur mes genoux, il ouvrit doucement mes cuisses pour avoir
une pleine vue sur mon sexe et le fil qui en dépassait. Mes lèvres étaient très humides. Si mes ex-
copains m’avaient vue avec un tampon, aucun ne m’avait regardée avec concupiscence, comme le
faisait à présent Bruno. Ce dernier continuait à me pousser vers des voies inconnues de la lubricité.
Je me demandais quelle idée cochonne il avait en tête quand il me prit délicatement les mains pour
m’aider à me mettre debout. Je me retrouvais contre lui, les bras autour de son cou, pour lui donner
un véritable baiser. Si je connaissais les lèvres de Bruno, je découvrais à présent sa bouche, tandis
qu’elle prenait possession de la mienne. Nous étions comme emportés par une véritable passion
amoureuse. Dans une telle étreinte, les sensations ne pouvaient qu’affluer en tourbillons
incontrôlables.
À bout de souffle, nous fûmes obligés de mettre fin à notre baiser. Le regard que j’échangeai avec
Bruno me fit presque peur. Afin d’éviter de lui parler, je m’agenouillai pour prendre son membre
dans ma bouche. Je le suçai avec application jusqu’à ce que Bruno émît un flot de sperme dans le fond
de ma gorge. Ne pouvant l’avaler, j’en régurgitai une partie, en même temps que le phallus de mon
amant. J’en eus plein les mains. C’était sale mais beaucoup moins troublant que notre baiser.
Cette tendresse manifestée par Bruno n’avait pas été gratuite. Son intention avait été de m’attacher à
lui. Je ne pouvais cependant lui en vouloir, puisqu’il avait peut-être été sincère et que j’avais passé un
merveilleux moment.
Quand Bruno s’en alla, il n’y avait plus le moindre nuage entre nous. Pour utiliser une expression
très appropriée, nous étions copains comme cochons. Je passai une fin de journée paisible et me
réveillai de bonne humeur le lendemain. Si l’ombre de Jocelyne Stevenot rôdait toujours, elle
n’obscurcissait plus mon horizon. J’attendais seulement des nouvelles de Sébastien, tout en sachant
qu’elles n’arriveraient pas avant la soirée. Mon ami était en train de transpirer dans sa salle d’examen.
Pendant ce temps, j’avais de quoi m’occuper. Mon activité d’architecte d’intérieur se poursuivait.
Les travaux dans le futur magasin de chaussures étaient toujours en cours et il faudrait bientôt que je
revoie le jeune couple qui voulait aménager son logement, pour lui présenter le résultat de mes
travaux. J’allumai donc mon ordinateur pour reprendre mes plans.
Le côté obscur de mon existence me fut cependant rappelé par la réception du colis que j’avais
commandé : mon plug anal. C’était une sorte de gros bijou, dont la surface était assez réfléchissante
pour que je pusse me voir dedans. La partie émergée avait l’apparence d’une pierre précieuse facettée
en rond.
Comment puis-je mettre ça dans mon cul ? me demandai-je en constatant sa grosseur.
Elle était pourtant inférieure à celle du phallus de Matis, qui avait été enfoncé dans mon fondement
pour mon plus grand bonheur.
Ces seules pensées suffirent à réveiller mes désirs sexuels. Je fus tentée pas une auto-sodomie
accompagnée d’une masturbation plus classique, mais je me contins en me disant que j’avais autre
chose à faire. Je rangeai donc ma nouvelle acquisition dans ma chambre, avec mon matériel de
débauche, et je me remis au travail.
Mon téléphone sonna vers dix-sept heures. Mon cœur fit un bond quand je vis le nom de Sébastien
s’afficher et je m’empressai de prendre la communication. J’espérais vivement que l’enquête avait
progressé.
« Allô ? fis-je d’une voix précipitée.
— Edwige ? Je peux te donner l’adresse d’un hacker ?
— Un hacker ? m’étonnai-je.
— Oui. Il pourra te donner plus de renseignements qu’un moteur de recherche. Peut-être que tu
auras l’adresse des parents de Sylvie, grâce au serveur du comité Miss France
— C’est une excellente idée !
— Il s’appelle Jacky et habite cinq rue de la Castelle. Tu peux aller le voir maintenant. Il est chez
lui.
— J’y cours ! Merci chéri !
— Pas de quoi. J’espère que tu en sauras plus.
— Et ton examen, il s’est bien passé ?
— Oui, très bien. Je me sens d’attaque pour demain.
— J’en suis très contente pour toi.
— Je suis confiant pour la suite. Il ne faut pas t’inquiéter.
— Je sais. Tu es le meilleur ! »
Je donnai un bisou sonore sur mon téléphone avant de couper la communication puis je me
précipitai dans ma chambre et me demandai comment m’habiller.
Je n’avais jamais rencontré de hacker ni de geek. Je ne pouvais qu’imaginer un jeune homme aux
yeux exorbités et au dos voûté, dont les fesses étaient rivées à longueur de journée sur une chaise,
devant un ordinateur. Aurait-il seulement un regard pour moi ?
Je décidai de me rendre attirante en me présentant devant lui les jambes nues. C’était d’ailleurs une
expérience intéressante de savoir comment réagirait un homme comme lui devant une femme comme
moi. Je supposais qu’il n’en voyait pas, sauf sur l’écran de son PC. Mais peut-être que je me trompais
et qu’il était même marié... Les présentations que Sébastien m’avait faites étaient très courtes : rien que
le nom et l’adresse.
Devant le miroir de la salle de bains, je fis un maquillage ordinaire en un temps record, puis je
regardai un moment cette jeune femme métamorphosée en une séductrice sans être devenue vulgaire.
Je ne donnais dans la provocation que lorsque Denis ou Bruno me le demandait.
Je mis des sandales à talons modérément hauts, attrapai mon sac, jaillis de mon appartement et filai
vers ma voiture.
Jacky habitait dans une petite maison, et non dans un appartement, ce dont je ne fus pas étonnée.
Cela lui permettait de se livrer à ses activités illicites en toute tranquillité, peut-être dans une cave. Je
sonnai et attendis une réponse en trépignant d’impatience.
La porte s’entrouvrit et un visage un peu joufflu apparut, assurément celui de Jacky. Il paraissait
très méfiant, mais son expression changea du tout au tout quand il vit qu’il avait affaire à une jolie
blonde.
« Je suis Edwige, déclarai-je. C’est Sébastien qui m’a dit de venir.
— Ah oui ! Entre. »
Je pénétrai dans un petit vestibule et nous nous dévisageâmes. Le regard de Jacky ne put éviter de
descendre sous ma mini-robe, mais il remonta très vite vers mon visage. Il était assez corpulent et
avait un âge difficile à définir, sans doute un peu supérieur au mien. Son allure ne me sembla pas
négligée. Sa courte chevelure noire était bouclée. Sur son tee-shirt blanc, était imprimé « M.I.T.
(Montpellier Institute of Technology) », ce qui montrait qu’il avait le sens de l’humour et me fit
sourire.
Il paraît que les gros sont meilleurs au lit, me dis-je en regardant subrepticement sa bedaine.
« Qu’est-ce que je peux faire pour toi ? s’enquit-il.
— Je ne sais pas ce que Sébastien t’a dit, répondis-je. J’aimerais retrouver une ancienne miss
Languedoc, Sylvie Ricault. Ou plutôt, sa famille. Je pense que cela peut se faire en allant sur le
serveur du comité Miss France.
— Tu es une miss toi-même ?
— Non... euh... »
Son compliment me fit brusquement rougir.
« Je suis trop petite, expliquai-je.
— Dommage. »
Il me fit entrer dans sa maison, en me priant de ne pas faire attention au « bordel ». Pour ne pas le
voir, il aurait fallu avancer les yeux fermés. Et encore, il ne me fit pas passer par sa cuisine, dans
l’évier de laquelle s’élevaient probablement des piles d’assiettes et des amoncellements de casseroles
sales.
Son activité se déroulait dans une petite pièce à la persienne fermée. Elle était climatisée, afin que
les ordinateurs puissent tourner sans trop chauffer, et il n’en manquait pas ! Les quatre tables étaient
encombrées de matériel informatique, dont des claviers, des disques durs, des boîtes de CD, des
modems ou d’autres appareils énigmatiques, ainsi que des kilomètres de câbles. C’était l’antre du
hacker, tel que je l’avais imaginé.
Il n’y manquait même pas les paquets de chips vidés et les canettes de Coca, qui expliquaient
l’embonpoint de Jacky.
Et dans tout cela, je ne décelai aucune trace de présence féminine, à part un pulpeux modèle tout nu
épinglé à un mur.
« Assieds-toi, dit-il en me présentant une chaise. Si tu veux boire quelque chose, sers-toi.
— Merci. »
Il s’installa devant un ordinateur déjà allumé et se tourna vers moi.
« Je ne savais pas que Sébastien avait une copine aussi jolie, déclara-t-il.
— Tu le connais bien ?
— Non, pas tant que ça. Vous êtes ensemble ?
— Non. »
Vu la nature particulière de mes relations avec les hommes, ma réponse ne me sembla pas être
mensongère.
« Comment s’appelle la miss ? reprit-il. Sylvie Ricault ?
— Oui. Avec un l et un t. Il me suffit d’obtenir son adresse. Je ne l’ai trouvée nulle part.
— C’est tout ce que tu veux savoir sur elle ?
— En fait, j’aimerais retrouver sa famille.
— Pourquoi ? Elle a disparu ?
— Elle est morte.
— Ah ! »
Jacky réfléchit un moment avant de poursuivre :
« Tu n’as rien trouvé sur Google ? Je ne parle pas de son adresse, mais de n’importe quel
renseignement qui pourrait t’y conduire.
— Non. Il faut dire qu’elle a été élue miss depuis déjà neuf ans.
— Alors ça va être chaud. Je ne suis qu’un hacker. Si tu me demandes comment faire pousser une
orchidée dans un seau à glaçons, je risque de ne pas pouvoir te répondre. Je peux commencer par
faire à mon tour quelques recherches. Je trouverai peut-être des choses que tu n’as pas vues.
— Sur internet, il y a beaucoup de renseignements sur les miss mais pas la moindre indication sur
leurs adresses. On ne veut pas qu’elles soient embêtées par leurs fans. Peut-être qu’il y a des
informations qui traînent dans le serveur du comité Miss France ou Miss Languedoc.
— Ce n’est pas impossible. Je vais y jeter un coup d’œil, mais je ne m’attends pas à grand-chose. »
Je restai sur ma chaise pendant que les doigts de Jacky couraient sur le clavier ou actionnaient la
souris. Des fenêtres s’ouvraient de manière précipitée sur son écran ou y restaient figées, et le hacker
s’immobilisait à son tour. Alors qu’il paraissait avoir oublié ma présence, je l’observais avec
attention, de profil.
De temps en temps, mes yeux exploraient la pièce et s’arrêtaient sur la femme à la longue
chevelure ondulée, aux seins plantureux et aux cuisses ouvertes de manière si hospitalière. Sa
plastique impeccable était tout à fait dans le style Playboy.
D’une certaine manière, cela mettait une touche d’humanité dans ce temple de la technologie.
« Bon alors, la protection du comité est complètement nulle, déclara Jacky. Je suis en train
d’explorer les dossiers et... »
Je me levai à moitié.
« Attends ! fit-il avec un geste de la main. Il y a énormément de choses, mais je ne crois pas du tout
que ce soit... »
Il s’interrompit de lui-même pour se concentrer sur ses recherches. Je me rassis et continuai mon
attente, en me rappelant qu’il n’espérait aucun miracle.
Ce fut pendant ces longues minutes qu’une idée fulgurante me vint. Pourquoi n’y avais-je pas pensé
plus tôt ?
« Nada, soupira Jacky. Ici, on ne trouvera rien. »
Il recula sa chaise pour me jeter un regard dépité.
« Est-ce que tu peux entrer dans l’ordinateur de Denis Stevenot ? proposai-je.
— Oui, mais...
— Je donnerais n’importe quoi pour que tu le fasses. En fait, ce n’est pas Sylvie qui m’intéresse,
mais son mari. Je cherche à apprendre des choses sur lui.
— Tu as son adresse IP ?
— Euh... On fait comment pour l’avoir ?
— Pas très facile... On peut la trouver sur des forums où il participe, ou sur des messageries
instantanées. Ça te dit quelque chose ?
— Non.
— Si tu as son adresse électronique, on peut aussi lui envoyer un message qui lui demande de
télécharger un logiciel espion. On appelle cela un Troyen.
— J’en ai entendu parler.
— Mais s’il est prudent, il ne se laissera pas avoir. »
Jacky recula un peu sa chaise et leva un regard pénétrant sur moi.
« Tu le connais ? questionna-t-il.
— Oui.
— Alors tu peux lui envoyer un message qui lui inspire confiance avec un hyperlien. Il n’aura qu’à
cliquer dessus et le tour sera joué. Je pourrai explorer son ordinateur. »
Je me creusai la tête pour trouver quelque chose qui ferait tomber Denis dans le piège. Lui donner
un hyperlien permettant de télécharger une photo de moi toute nue ? Il n’y avait guère que cela qui
l’intéressait. Mais il possédait plus de photos de moi que je n’en avais moi-même. Et il y avait un
autre problème, c’est que nos relations s’étaient un peu refroidies.
Cela me fit penser au site de Bruno, par lequel il vendait les photos de ses modèles. Une idée
prometteuse me vint alors.
« Et si Denis est inscrit dans un site, avec un identifiant et un mot de passe, est-ce qu’on peut obtenir
son adresse IP en s’introduisant dedans ?
— Ça devrait être possible et ce sera plus rapide qu’avec un Troyen. Tu peux m’indiquer un site où
il est inscrit ? »
La minute fatale était arrivée ! Jacky allait savoir qui j’étais, mais peut-être l’avait-il déjà deviné.
Comme je ne m’étais pas totalement décomplexée, je ne pus parler à haute voix de ce site. Je
m’approchai du bureau de Jacky pour faire apparaître une fenêtre de son navigateur et taper l’adresse.
Le hacker eut la surprise de voir s’afficher la superbe page d’accueil, ornée de quelques photos de
beautés nues et d’un couple enlacé. Ce n’était pas vraiment pornographique mais leur attitude était très
sensuelle.
« Wouah ! fit Jacky en écarquillant les yeux. Comment tu sais que Denis va sur ce site ? Vous êtes
copains ?
— Oui.
— Et tu as son identifiant ?
— Oui.
— Alors vous êtes plus que copains.
— C’est exact... Il y a du sexe. »
Jacky quitta des yeux l’écran de son ordinateur pour m’observer. Son regard s’arrêta sur mes
jambes, à l’endroit précis où elles disparaissaient sous ma robe.
« T’es qui exactement ? fit-il.
— Je fais de la prostitution.
— Ah ! »
Je voyais que dans le pantalon de Jacky, il commençait à y avoir de l’agitation.
« Et qu’est-ce que tu veux chercher dans le PC de Denis ? Si je le sais, ça m’aidera à le trouver.
— Je veux savoir pourquoi il ne fréquente que des prostituées. Je ne peux pas tout t’expliquer parce
que c’est compliqué. Moi-même, je cherche à y voir plus clair.
— O.K., et si je t’aide à trouver ce que tu cherches, est-ce que tu m’offriras...
— Une passe ? Ce sera ma récompense. »
J’eus l’impression que Jacky était sur le point de mettre les mains sur mes cuisses, qu’il frôlait déjà
presque. Je n’y étais pas opposée mais je souhaitais obtenir d’abord ce que j’étais venue chercher.
« Mais je ne voudrais pas te déconcentrer, dis-je.
— D’accord. De toute façon, ça va aller vite puisque j’ai déjà piraté ce site. Je n’ai qu’à y trouver
les identifiants de Denis. »
Je repris place sur ma chaise et regardai Jacky travailler, d’un œil cette fois tout à fait nouveau,
puisque je savais que j’allais devoir retirer mon string pour lui ouvrir le passage. Il n’avait la grâce
ni de Denis Stevenot ni de Ian Sommerhalder, mais l’impression plutôt bonne qu’il m’avait laissée au
début subsistait. En fait, il n’était pas si gros que cela. Sa bedaine n’était pas aussi développée que
celle de certains hommes plus âgés, sous lesquelles les ceintures des pantalons disparaissaient.
Il me restait à imaginer à quel genre de phallus j’aurais affaire et de quelle manière j’allais pouvoir
procéder. Le mieux serait-il de prendre place dessous ou dessus ? Ou de rester l’un à côté de l’autre ?
Pendant que je me livrais à ces réflexions, Jacky trouva les identifiants de Denis et parvint à se
glisser dans l’ordinateur de celui-ci.
« Bingo ! s’écria-t-il. J’y suis. Alors, dis-moi exactement ce que tu veux voir.
— Est-ce qu’il risque de s’apercevoir que tu es dans son ordinateur ? demandai-je d’abord.
— Non, tant que je n’y change rien. »
Je quittai une nouvelle fois ma chaise pour me placer derrière mon hacker, en posant une main sur
son épaule. Ce qui s’affichait sur son écran était un bureau d’ordinateur habituel, mais ce n’était pas
celui de Jacky. La dernière icône mise en place portait mon nom, et avant que je pusse lancer un
quelconque avertissement, elle fut ouverte.
Je me vis alors à quatre pattes, avec un homme occupé à me donner de furieux coups de reins,
grâce à des organes génitaux assez spectaculaires, tandis qu’un autre individu enfonçait sa queue dans
ma bouche. Bien que je fusse très occupée, je demeurais parfaitement reconnaissable.
« C’est toi, ça ? demanda tout de même Jacky.
— Oui.
— T’es actrice porno en plus d’être prostituée ?
— Non. Ça, c’est juste une soirée entre copains.
— Ah bon ? C’est comme ça que tu passes tes soirées ?
— Juste les vendredis. »
Jacky regarda cette vidéo avec des yeux exorbités, comme s’ils avaient voulu se coller sur l’écran,
et en marmonnant des jurons. J’avais compris qu’il était un amateur de films X. Il n’y avait donc rien
de nouveau pour lui, mais cette fois, il en voyait un dont l’actrice se trouvait juste derrière lui et qui
lui avait promis une partie de jambes en l’air.
Quant à moi, j’étais incapable de réagir. Très honnêtement, je n’avais pas à avoir honte de moi, car
j’avais tout d’une professionnelle du porno. En fait, plutôt qu’Edwige Steinmetz, je voyais une blonde
assez craquante pour faire bander les hommes qui l’entouraient, et folle de sexe. De plus, la vidéo
était de bonne qualité. On n’aurait pas pu croire qu’elle avait été prise à mon insu. Elle se poursuivit
jusqu’au moment où mon orgasme éclata, de manière ostensible, et où je me laissai tomber sur le sol.
Hugo se retira alors de moi pour éjaculer sur mes fesses. Un zoom fut effectué sur celles-ci, afin de
rendre les coulures de sperme bien visibles autour de ma vulve.
« Putain... murmura Jacky. Je peux me permettre ? »
Sans attendre la réponse, il ouvrit son pantalon pour en sortir un long phallus au gland humide et
rougi qui avait dû se sentir très à l’étroit depuis le début du spectacle. Quand Jacky l’empoigna pour
se masturber, il me sembla que son engin manquait de dureté. Mais je le jugeai tout à fait capable de
forcer l’entrée de ma petite fente pour s’introduire au plus profond de mon vagin. Jacky était bien
équipé pour les relations sexuelles, et cela me fit oublier son surpoids.
Je commençai à me préparer en retirant mon string. Jacky en profita pour enlacer mes cuisses et
mettre un doigt fureteur sur ma fissure, aussi moite que l’extrémité de son pénis. Il continua
cependant à regarder la vidéo. À ce moment, après une coupure dans l’enregistrement, Krystal
s’approchait de moi.
Ce qui se passa stupéfia et excita encore plus Jacky, qui ne savait pas encore que j’étais capable de
faire l’amour avec une femme. Il regarda la scène avec un doigt frétillant dans mon sexe, éveillant de
vives résonances dans tout mon corps. On aurait dit qu’il le pressait de l’intérieur pour en tirer le jus.
Pour moi, la situation était extraordinairement excitante : j’avais l’impression de vivre deux scènes de
sexe en même temps. J’achevai mon déshabillage en laissant tomber ma robe par terre et je
m’agenouillai pour m’emparer de la tige de Jacky.
« Ah non ! s’exclama-t-il. Je vais gicler.
— Je vais chercher un préservatif.
— Parce que t’en as sur toi ?
— Dans mon sac.
— Je vais gicler avant de pouvoir te pénétrer. Je peux le faire sur toi ? »
Je devinai qu’en bon amateur de porno, il rêvait de m’arroser la figure. Mais les éjaculations
faciales, c’était pour la fin, pas pour le début.
« Coupe cette vidéo, conseillai-je. Et va prendre une petite douche, en nettoyant bien tes parties
génitales. Cela te refroidira.
— Je ne peux vraiment pas...
— Après ça, je te ferai le grand jeu : fellation et tout cela. Ce sera beaucoup mieux. »
Pour le convaincre, j’insistai :
« Chaque fois qu’elles le peuvent, les prostituées demandent à leurs clients de se laver avant de
commencer. »
Jacky finit par obtempérer et me conduisit dans sa chambre. Sous un drap et des vêtements fripés,
je reconnus quelque chose qui ressemblait à un lit.
« Attends-moi ici, j’arrive tout de suite », dit-il.
Nous avions complètement déraillé !
J’étais venue chez lui pour chercher des informations sur Denis et sa famille, et je m’apprêtais à
coucher avec lui. Étant une jeune femme bien élevée, il me paraissait toutefois normal de lui offrir
une récompense. J’aurais aussi pu lui proposer de refaire la décoration de sa maison, qui en avait
grand besoin, si cette offre avait pu l’intéresser. Ce n’était très certainement pas le cas.
Je n’avais encore rien trouvé de ce que j’étais venue chercher, mais il avait effectué son travail.
Peut-être l’ordinateur de Denis ne contenait-il aucun document sur sa défunte épouse, ni rien qui pût
me renseigner sur la véritable raison de son comportement. Ses dialogues avec sa mère seraient
certainement instructifs, mais je doutais de trouver des échanges de messages dans ce PC.
Jacky réapparut entièrement nu. Il avait été si bien refroidi que son pénis était incliné tout droit vers
le bas, comme la petite aiguille d’une montre indiquant six heures. Il m’incombait de la mettre à deux
ou trois heures.
Mais je n’eus pas d’effort à fournir : l’appendice de chair s’allongea et se dressa tout seul tandis
que son propriétaire s’approchait de moi. Je m’en saisis, le décalottai, caressai sa peau et celle de ses
testicules. Je fis une incursion vers l’anus et le sondai de manière fort indiscrète. Jacky émit un
grognement de plaisir.
« T’es vraiment une grosse salope, jugea-t-il.
— Plus que tu le crois.
— T’as déjà été prise par trois mecs à la fois ? T’as fait un gang bang ?
— Tu oublies que je suis une pute, pas une actrice. »
Avec de tels attouchements et des mots aussi crus, le pénis retrouva la dureté qu’il avait acquise
devant ma vidéo. Je léchai le gland à la bonne odeur de savon avant de le faire glisser sur la langue.
J’arrivai à avaler sans problème la moitié de ce membre et je le fis coulisser dans ma bouche. Jacky
ajouta un fond sonore constitué de « Aaaah » rauques, annonciateurs d’une apothéose du plaisir que je
sentais proche.
Il est éjaculateur précoce, mon hacker ?
Ce fut lui qui mit fin à cette fellation, et quand je le sentis à deux doigts de se répandre sur mon
visage, je basculai vers l’arrière, les mains placées sur mes lèvres intimes pour les écarter.
« Tu ne veux pas profiter de ma chatte ? demandai-je.
— Si si ! Mais je...
— Je quoi ?... Touche-moi avec tes mains ! Tu n’aimes pas mon corps, ou quoi ? Tu n’as même pas
essayé de me caresser. »
La suite des évènements me montra que Jacky faisait l’amour comme un homme des cavernes, sans
guère de raffinement. Si je reçus quelques caresses sur les cuisses et les fesses, il essaya surtout de
fourrer ses doigts dans mon sexe, autant qu’il le pouvait, et de l’explorer dans tous ses recoins. Cela
ne me procura qu’un plaisir assez mitigé. Mes seins ne furent certes pas oubliés, mais ils furent
triturés de manière assez sauvage.
Pour finir, son phallus enrobé d’un préservatif, Jacky se coucha sur moi pour me pénétrer, et il
montra une résistance plus grande que prévue. Je ne fus pas écrasée sous son poids et à force d’être
limé, mon vagin m’envoya des décharges de plaisir. J’en vins à émettre moi-même des gémissements.
Mon amant, quant à lui, beuglait férocement.
L’histoire se termina par une éjaculation interne. Jacky, rendu aphone par sa jouissance, s’effondra
à côté de moi. Je crus un moment qu’il allait se mettre à ronfler et que j’allais devoir me rhabiller et
quitter sa maison sur sa pointe des pieds – non sans lui avoir moi-même retiré son préservatif.
Ce ne fut pas ainsi que ma visite s’acheva, mais elle ne dura guère.
Je rentrai chez moi sans avoir fait progresser mon enquête, mais avec la promesse de Jacky de
m’avertir s’il trouvait quelque chose d’intéressant. J’avais confiance en lui.
Après avoir retiré mes chaussures, je me jetai dans mon canapé pour méditer sur mon aventure. Je
restai longtemps ainsi, pendant que le crépuscule s’enfuyait pour laisser la place à des ténèbres
étoilées. La phrase de Jacky, « T’es vraiment une grosse salope », tournait en boucle dans mon esprit.
Il n’avait dit que la stricte vérité, en une langue certes pas très soutenue, et il me faisait méditer une
fois de plus sur ma métamorphose – ou sur la découverte de ma véritable nature.
Mon téléphone sonna en affichant le nom de Sébastien. J’eus l’impression que c’était ma bonne
conscience qui m’appelait.
« Tu es rentrée ? demanda-t-il.
— Oui, répondis-je.
— Comment ça s’est passé ?
— Jacky n’a pas réussi à obtenir d’informations sur Sylvie, mais je lui ai proposé de s’introduire
dans l’ordinateur de Denis et il y est arrivé. Malheureusement, pour trouver ce qui m’intéresse, il faut
fouiller, alors je suis revenue chez moi et Jacky va continuer les recherches seul.
— Il va vraiment le faire ?
— Oui. »
Et il m’a promis de ne pas mettre en ligne la vidéo que nous avons regardé ensemble.
Faire confiance à cet homme, je me demandais si c’était une bonne idée, mais je n’avais pas le
choix. J’avais l’impression que Sébastien était aussi dubitatif que moi.
« J’aurai peut-être des nouvelles dès demain, ajoutai-je.
— J’espère. Ça ne devrait pas prendre plus de temps.
— Au fait, aujourd’hui, ç’a été, pour ton examen ?
— Oui. C’était dur mais j’y suis arrivé.
— Ce soir, tu te reposes ?
— Oui, je suis crevé.
— Tu devrais aller au lit.
— Avec toi ? »
J’eus un moment d’hésitation, puis je me rappelai que coucher avec deux hommes dans la même
journée, je l’avais déjà fait. Sauf que cette fois, j’avais trompé ce brave Sébastien, qui espérait avoir
trouvé en moi sa seconde moitié. Faire de la dissimulation lors d’une conversation au téléphone,
c’était faisable ; en le regardant dans les yeux, ce serait plus dur.
Il décida finalement de rester sur le campus. C’était préférable puisqu’il devrait revenir dans la
salle d’examen dès huit heures le lendemain. Après ce coup de téléphone, je me décidai enfin à quitter
mon canapé pour me rendre dans la cuisine, répondant à l’appel de mon estomac. Je n’avais rien
mangé depuis le déjeuner.
Le lendemain, j’étais de bonne humeur à mon réveil, comme si cette nouvelle journée avait été
pleine de promesses heureuses. J’aurais sans doute un appel de Jacky et j’imaginais qu’il ne pourrait
être que profitable pour moi. J’étais résolue à prendre mes distances avec Denis, même si cela me
ferait immanquablement souffrir et s’il était difficile de le faire sans m’éloigner également de Bruno.
Cela, je n’y tenais pas, même si je ne savais pas encore comment j’allais me justifier auprès de
Sébastien.
Reprendre ma tranquille existence d’avant ma rencontre avec Denis, ce n’était pas ce que j’avais en
tête. Surtout parce qu’elle n’avait pas été si tranquille que cela et que j’avais eu du mal à gagner mon
pain. J’avais également vécu seule. À présent, j’avais Sébastien, et en attendant que nous formions un
vrai couple, j’avais la possibilité de passer du bon temps avec des professionnels du sexe. Il serait très
difficile de renoncer à cela, le corps ayant ses exigences.
Il était neuf heures passées quand je repris mon travail d’architecte, mais quelques minutes plus
tard, mon téléphone sonna. Le numéro de téléphone m’était inconnu, même si ses quatre premiers
chiffres étaient ceux de la région montpelliéraine. Un client potentiel ?
Je pris la communication.
« Allô ?
— Madame Edwige Steinmetz ?
— Oui.
— Bonjour, je suis Pascal Gavrini de la société Derlim. Je cherche un architecte d’intérieur pour
refaire nos locaux administratifs. Seriez-vous intéressée ? »
Et comment !
Mon émotion faillit m’étrangler. Cette proposition avait des allures de gros marché !
« Euh, bonjour... fis-je. Alors oui, cela m’intéresse. Il faudrait que je vienne chez vous pour faire un
devis. Quand puis-je passer ?
— Dès que vous êtes disponible. Je vous recevrai personnellement.
— Ce matin ?
— Oui.
— Où se trouve votre entreprise ?
— Dans la zone industrielle Garosud. »
À la fin de la conversation, mon regard resta fixé sur mon téléphone comme c’était la lampe
d’Aladin, d’où le génie venait de sortir. Les miracles, cela ne se produit pas que dans les contes !
Le grand problème qu’il me fallut d’abord résoudre fut celui de mon costume : il ne me fallait plus
faire baver les hommes, mais convaincre un entrepreneur. Pour autant, j’hésitai à me remettre en
pantalon. J’optai pour une jupe et un chemisier, et après avoir retourné mon armoire, je parvins à
trouver ce que j’avais de mieux. Dessous, je mis une belle lingerie, par une sorte de réflexe que mes
amants avaient réussi à ancrer en moi. Même si cela restait invisible, cela contribuait à l’estime de soi
et ne devait donc pas être négligé.
Devant le miroir de la salle de bain, je lissai mes cheveux et les attachai en chignon. Le maquillage
acheva de me transformer en une fringante businesswoman, qui ferait un excellent effet dans les
locaux administratifs d’une entreprise. Et même d’une banque !
Je plaçai ensuite dans mon attaché-case tout ce qui était nécessaire à l’établissement d’un devis, puis
je quittai mon appartement avec des escarpins noirs à talons moyens.
En entrant dans ma Peugeot, je songeai que je ferais meilleure impression si je la remplaçais par
une BMW. En multipliant les clients comme Derlim, j’avais des chances d’y arriver.
Et puisque la petite catin qui était apparue en moi n’avait pas disparu, je pensai immédiatement à un
autre type de client. Se présenter à eux avec une jupe pas plus large qu’une ceinture ou une robe au ras
des poils pubiens n’était pas forcément la meilleure idée. Elle avait au moins le désavantage du
manque d’originalité. Je pouvais également me présenter avec mon costume actuel. Il répondait très
bien au fantasme de la petite secrétaire. Je me doutais que certaines prostituées jouaient ce rôle, mais
je pouvais mieux faire qu’elles, parce que justement, pour moi, ce n’était pas un rôle.
Telles étaient les pensées qui folâtraient dans mon esprit quand j’entrai dans le parking de Derlim.
C’était un bâtiment à un étage, derrière lequel se trouvait une usine de taille imposante. Je savais que
l’on y fabriquait du matériel médical. Après avoir coupé le contact, je fermai les yeux et pris une
inspiration.
Bon alors maintenant, on arrête de déconner et on est sérieuse. Ce marché, tu vas le remporter !
Après un dernier regard dans le rétroviseur intérieur, pour voir à quoi ressemblaient mes yeux, je
quittai ma voiture et me dirigeai vers l’accueil. J’y patientai un moment avant de voir arriver un
homme d’une cinquantaine d’années, en chemise blanche et cravate, qui avait l’allure d’un chef
d’entreprise, ou au moins d’un cadre supérieur.
Nous nous présentâmes en nous donnant une franche poignée de main. Je perçus dans les prunelles
de Pascal Gavrini cette lueur d’admiration, voire de convoitise, qu’une belle jeune femme ne
manquait jamais d’allumer chez les hommes, mais il se comporta très correctement.
« Suivez-moi », dit-il sobrement.
Je marchai sur ses pas en observant les locaux et en notant les modifications que de mon point de
vue, il fallait apporter. Gavrini s’arrêta devant un bureau dont il ouvrit la porte, et il m’invita à y
entrer.
Quand je vis qui était assis dans cette pièce, je crus que je m’effritai pour tomber en petits
morceaux par terre.
C’était Jocelyne Stevenot, vêtue d’une robe moins stricte que dans la villa de Denis, mais arborant
un air toujours aussi rebutant.
« C’est donc vous ! constata-t-elle. Entrez et asseyez-vous. Nous avons des choses à nous dire. »
Je m’avançai comme un poisson allant à la rencontre d’un requin. La porte fut refermée derrière
moi.
« Si vous me demandez ce que je fais ici, c’est très simple, expliqua-t-elle. Je suis membre du
conseil d’administration de cette entreprise. Cela me donne le droit de m’asseoir dans ce fauteuil.
Installez-vous. Je ne vous ai pas fait venir pour un règlement de compte. »
Je m’assis de l’autre côté de son bureau, face à cette femme à l’aspect aussi sympathique qu’une
porte d’ascenseur. La pièce était d’une froideur qui s’accordait très bien avec elle. Le mobilier était
purement fonctionnel, rien ne décorait ses murs blancs et le soleil n’y entrait pas.
« Pour aller droit au but, continua-t-elle, je vous autorise à tout faire sauf à me prendre mon fils.
— Le prendre ? m’écriai-je. Mais qu’est-ce que vous êtes en train de me dire ? Denis est majeur, ou
non ? Il peut faire ce qu’il veut !
— Non, il ne le peut pas. Il ne m’est pas possible vous dire pour quelle raison, mais il en existe une
bonne. Vous comprenez qu’il y a parfois des secrets qui doivent être conservés.
— Parce qu’ils sont compromettants ? Je peux comprendre qu’une famille comme la vôtre tienne à
sa réputation. »
Cette femme avait eu raison de me dire qu’elle ne m’avait pas fait venir pour me croquer toute
crue, mais cela ne la rendait pas plus sympathique à mes yeux.
Je lui décochai une flèche taillée sur mesure pour lui faire mal :
« Avec un fils aussi lubrique que Denis...
— Il s’est laissé entraîner. Par des femmes.
— Des putes ? Comme moi ?
— Par ce... photographe. »
Elle prononça le dernier mot sur le ton de la haine et du mépris. Les aveux de Bruno étaient donc
justifiés.
« Et vous estimez que la réputation de Denis est encore intacte ? demandai-je. Elle me semble au
contraire bien écornée.
— C’est vous qui avez parlé de réputation, pas moi. Ce n’est pas mon souci. Ce sont les femmes
comme vous qui m’inquiètent, parce qu’elles cherchent à me voler mon fils. Ne jouez pas les
innocentes, je sais que vous avez tout fait pour le séduire. Vous vous êtes acoquinée avec ce
photographe. Vous vous entendez très bien avec lui. Vous êtes une tigresse, mais j’ai les moyens de
vous tenir en laisse.
— Comment ?
— Je peux vous fournir tellement de travail que vous serez obligée d’embaucher des employés
pour répondre aux commandes. Vous serez à la tête d’une entreprise florissante. Mais je peux aussi
vous détruire.
— Grâce à des photos et des vidéos ?
— L’ordinateur de Denis n’a pas de secret pour moi. J’ai vu ce que vous avez fait chez ce
photographe, or aucune femme ne souhaite être considérée comme une traînée... Ou une putain.
— Vous êtes ignoble.
— Je le suis avec mes ennemis. Je peux aussi apporter beaucoup à mes amis. Il va falloir que vous
choisissiez votre camp, Edwige. »
La pièce était climatisée mais j’avais l’impression d’y étouffer. J’étais heureuse d’apprendre que
j’inspirais des craintes à Jocelyne Stevenot, mais elle était plus forte que moi. Plus qu’à une tigresse,
je devais être comparée à un moustique. Je pouvais lui faire une méchante piqûre, mais également
être écrasée d’un simple claquement de mains.
Lui prendre son fils ! C’était donc cela, ce qui la tourmentait ? Cela pouvait me paraître hallucinant,
mais je savais qu’il existait des mères très possessives.
« Non, je ne suis pas obligée de choisir mon camp, répondis-je. Je peux très bien laisser Denis en
paix et me débrouiller toute seule pour vivre.
— Vous renonceriez totalement à Denis ?
— Si je l’épousais, je n’aurais pas la belle-mère de mes rêves. Je sais que ça compte. J’en connais
une qui a démoli le mariage de son fils, or votre pouvoir de nuisance est sans limites. »
Une lueur de contentement s’alluma dans les yeux de mon interlocutrice, touchée par mon
compliment.
« Rappelez-vous que je peux vérifier si vous tenez votre promesse, déclara-t-elle.
— Je n’ai jamais trompé personne. L’idée de fréquenter Denis en me faisant passer pour une
prostituée ne venait pas de moi, mais de lui. Je n’étais pas d’accord. De toute façon, nous n’avons pas
pu faire illusion bien longtemps. Les photos que vous avez trouvées vous ont permis de comprendre
que l’architecte d’intérieur à laquelle Denis a fait appel était la... »
La sonnerie de mon téléphone m’interrompit. Sans m’en excuser, j’ouvris mon sac pour voir qui
m’appelait.
C’était Jacky.
« Je pense que ça vous concerne », déclarai-je avant de prendre la communication.
Mon cœur s’était brutalement accéléré. Si mon hacker m’appelait, c’était parce qu’il avait du
nouveau.
« Allô ? fis-je.
— Edwige, j’ai quelque chose qui va t’intéresser.
— Qu’est-ce que c’est ?
— J’ai sous les yeux le dossier médical de Sylvie.
— Oui ? Et alors ?
— Alors tu es bien accrochée ?
— Oui, je le suis.
— Elle n’est pas dans une tombe, comme tu me l’as dit, mais au CHU de Toulouse. Dans le coma
depuis deux ans. »
Il aurait fallu que je sois sanglée sur ma chaise pour ne pas tressaillir.
« Quoi ?
— Tu voulais avoir une adresse ? Je l’ai trouvée : le CHU de Toulouse. »
Ce n’était pas la peine de pousser Jacky à se répéter. Je l’avais parfaitement compris, mais il me
fallut un petit moment pour assimiler cette information. Elle expliquait parfaitement l’attitude
inflexible de Jocelyne Stevenot : celle-ci ne voulait pas que son fils soit « pris » parce qu’il était
toujours marié.
« Vous comprenez qu’il y a parfois des secrets qui doivent être conservés », avait-elle dit. Je
connaissais à présent la signification de cette phrase, mais il restait à savoir pourquoi Denis et sa
mère voulaient faire passer Sylvie pour morte.
« Eh ! Ça va ? entendis-je.
— Oui, ça va, répondis-je. Je te rappelle une autre fois. Je suis en train de discuter avec quelqu’un.
»
La génitrice de Denis s’était rendu compte que quelque chose aller lui échapper. Notre discussion si
bien préparée allait partir dans une direction qu’elle n’avait pas prévue. Je la vis pâlir derrière sa
croûte de fard.
« J’ai eu raison de dire que cela vous concernait, déclarai-je en levant les yeux pour la regarder.
— Qu’est-ce que vous voulez dire ?
— Que vous êtes une vilaine cachottière. Vous avez omis de me parler de Sylvie Ricault. Vous
savez ? Celle qui a été l’épouse de Denis. »
Je me réjouis de voir cette femme si sûre d’elle perdre ses moyens.
« Je viens d’apprendre qu’elle n’est pas morte, ajoutai-je.
— Qui vous l’a dit ?
— Vous n’êtes pas la seule personne à connaître l’ordinateur de Denis. Il ne me reste à présent
qu’une seule interrogation : pourquoi m’a-t-on dit que Sylvie était morte ? Je ne sais pas si vous allez
me répondre, mais j’imagine que si l’on apprenait la débauche à laquelle se livre Denis derrière le
dos de son épouse, ça ferait mauvaise impression. »
J’interprétai le silence de mon interlocutrice comme une confirmation. Je poursuivis à haute voix
le cours de mes réflexions :
« Ce ne doit pas être sans raison que Sylvie se trouve à Toulouse au lieu de Montpellier. Vous faites
croire à tout le monde qu’elle est morte, et pour cela, je suppose que vous avez muselé sa famille.
Sans doute avez-vous parié qu’elle ne se réveillerait pas. Pour en avoir le cœur net, il faut que je
regarde son dossier médical. J’y ai à présent accès. »
Je me levai devant une Jocelyne Stevenot décomposée.
« Je tiens de quoi faire les délices de la presse à sensations, repris-je afin de bien retourner le
couteau dans la plaie. L’histoire d’une miss que son époux fortuné fait passer pour morte afin de
baiser des putains. Je pourrais gagner beaucoup d’argent avec cela, vous savez ? Mais je veux
seulement que vous me foutiez la paix. »
Je me dirigeai vers la porte et me retournai pour dire, par précaution :
« Et n’essayez pas de me réduire au silence, parce que la personne que j’ai eue au téléphone peut
parler pour moi. »
Je quittai la pièce sous le regard d’employés qui ne s’étaient sans doute pas attendus à me voir aussi
guillerette. Peut-être Pascal Gavrini me vit-il, mais moi, je suis incapable de dire si je le croisai ou
non. Je me dirigeai tout droit vers la sortie, montai dans ma voiture et partis.
Avant d’arriver chez moi, je m’arrêtai pour appeler Jacky et reprendre notre conversation, que
j’avais brutalement interrompue.
« Je te remercie beaucoup, lui dis-je. Tu m’as rendu un service beaucoup plus grand que tu le crois.
— Ah bon ?
— Oui, je t’assure. Le dossier médical dont tu m’as parlé, il est dans ton ordinateur ?
— Oui.
— Envoie-le à moi et à Sébastien. C’est très important. Il faut qu’il soit en sécurité.
— D’accord. Qu’est-ce tu veux en faire ?
— Le lire. Je suis en ce moment dans ma voiture. Je rentre chez moi et je regarde ça tout de suite.
— Tu repasseras chez moi ?
— Je le ferai, mais pas maintenant. Je vais être très occupée. »
De retour dans mon immeuble, je montai les marches de l’escalier quatre à quatre pour
m’engouffrer dans mon appartement. Je m’assis devant mon ordinateur sans m’être changée, avec
mes escarpins toujours aux pieds, et je constatai que Jacky m’avait bien envoyé ce que je lui avais
demandé.
Il s’agissait de courriers scannés et expédiés à Denis par la famille de Sylvie. Ces lettres n’étaient
guère nombreuses et je me doutais qu’il en existait beaucoup d’autres, mais celles que Jacky avait
trouvées étaient suffisantes pour prouver que Sylvie ne se trouvait pas sous terre. La plus récente
datait de quatre mois et décrivait les lésions cérébrales de la patiente, en des termes que je ne pouvais
pas comprendre.
J’abandonnai cette lecture et m’affalai sur ma chaise, réfléchissant aux implications de ma
découverte. J’aurais tant voulu en parler à Sébastien, mais à cette heure, il n’était pas encore
disponible. Il avait eu raison de penser qu’il y avait anguille sous roche. Grâce à lui, tout m’était
maintenant très clair, mais que devais-je faire ?
Je pris mon téléphone pour appeler Bruno. Il me répondit heureusement tout de suite. Sans cela, je
me serais consumée d’impatience.
« Edwige ? fit-il.
— Je viens d’apprendre quelque chose de très intéressant, déclarai-je.
— À quel sujet ?
— Sur l’épouse de Denis. »
Il y eut un silence.
« Tu sais qu’elle est toujours en vie, affirmai-je de but en blanc. Denis et toi, vous vous entendez
très bien. Je viens d’ailleurs de rencontrer sa mère, qui m’a parlé de toi.
— C’est elle qui t’a dit ça ?
— Non, l’information est tombée pendant notre conversation. J’ai des amis qui ont enquêté sur
Sylvie. »
Je crus entendre un long soupir.
« Qu’est-ce que je peux te dire ? On m’a dit de me taire, alors je me suis tu.
— Tu as bien rencontré Denis après l’accident de Sylvie ?
— Oui.
— La vieille n’a pas l’air de te porter dans son cœur.
— Non... Mais de toute façon, on ne se fréquente pas. Ou pour parler d’une manière plus imagée, je
m’en branle.
— Je lui ai promis de cesser de voir Denis et je tiendrai ma promesse.
— Vraiment ?
— Oui.
— Et moi ? Tu sais, tu n’as pas de raison de...
— Je sais, tu m’as tout expliqué. Pourtant, j’ai envie de remettre la prise de vue de vendredi à la
semaine prochaine.
— Mais pourquoi ?
— La vie est très simple pour toi : on baise, on baise, on baise. Pour moi, c’est un peu plus
compliqué. On va dire que, pour le moment, je ne suis plus d’humeur à poser. Tu ne voudrais pas
d’un modèle qui te tire la gueule ?
— Pourquoi est-ce que tu veux me tirer la gueule ? Je ne t’ai rien fait !
— Non, à part prendre des photos compromettantes de moi qui sont maintenant chez la vieille. Elle
m’a dit qu’elle pouvait me détruire grâce à cela, si je n’arrêtais pas de voir Denis. Je te remercie du
service que tu m’as rendu. Heureusement que l’information sur Sylvie est arrivée. Du coup, c’est moi
qui tiens la vieille.
— Tu sais que si tu jouais vraiment le rôle que je te donne, tu n’aurais rien à craindre de personne
? Regarde-moi ! Je suis un baiseur et j’assume. Je ne vois pas ce qu’on peut me faire.
— Le sexe, j’aime cela aussi, mais je ne veux pas qu’il n’y ait que ça dans ma vie. Je sais que ça
rend les choses compliquées. Pourtant, ma vie, j’ai le droit de faire ce que j’en veux. Tu peux
comprendre cela ?
— Oui. »
Je devinais que Bruno m’avait répondu à contrecœur.
« Alors qu’est-ce que tu comptes faire ? demanda-t-il.
— Je veux d’abord m’assurer qu’on me fichera la paix. Je ne suis pas du genre à chercher querelle
aux autres, alors je veux que les autres fassent pareil. C’est Denis qui m’a fait venir chez lui et m’a
poussée à me comporter comme ça. Et toi aussi. À cause de cela, il y a une vieille truie qui m’a
promis de me détruire si je ne faisais pas ce qu’elle disait. Je n’aime pas du tout cela.
— Tu as accepté de jouer le jeu.
— C’est vrai, mais ai-je vraiment eu le choix ? Quand je t’ai écrit un mail pour t’annoncer mon
intention de tout plaquer, tu t’es empressé de venir chez moi pour me convaincre de revenir au studio.
— Je ne t’aurais quand même pas enlevée de force.
— Non. Mais si je t’annonce que j’arrête tout maintenant, que feras-tu ? »
Le silence qui suivit montra l’embarras de Bruno. Il finit par me donner une réponse à la sincérité
douteuse :
« Je respecterai ton choix. »
Il ajouta aussitôt :
« Ce serait quand même dommage. Les filles comme toi sont très rares.
— Oui, je sais. Tu l’as déjà dit.
— Crois-moi, je ne cherche pas à profiter de toi. J’aime les belles filles, c’est tout. Surtout si elles
n’ont pas froid aux yeux.
— Et si elles ont chaud au cul. »
La conversation n’alla guère plus loin. Nous restâmes sur le compromis déjà décidé : d’accord
pour me prendre en photo, pas d’accord pour diffuser mes images. Matis faisant partie de mes amants
attitrés, j’allais inévitablement le retrouver, mais pas dans la semaine. Si Bruno voulait introduire son
sexe en moi, je l’accueillerais volontiers. Ayant eu l’occasion d’avaler son sperme, je n’allais pas
faire la fine bouche. Et bien sûr, si quelques-uns de leurs amis, plutôt beaux gosses et sachant utiliser
leurs pénis, voulaient me faire goûter à leurs talents, je ne les repousserais pas non plus.
La vie continue.
Mais je ne pouvais m’empêcher de penser à cette pauvre femme, figée sur la frontière entre la vie
et la mort.
J’enlevai enfin mes chaussures et allai m’asseoir, encore habillée, sur mon canapé. La révélation
qui venait d’être faite rendait limpides les évènements passés. J’aurais dû m’y attendre et je me
trouvai bête de n’y avoir jamais pensé.
Alors maintenant, que faire ?
Probablement, rien d’autre que ce qui avait déjà été décidé. J’avais une raison supplémentaire de
couper les ponts avec Denis. La compassion que je ressentais envers Sylvie se mêlait à une sourde
colère contre son époux, qui m’avait menti de manière aussi effrontée et m’avait prise pour une
imbécile – ce que j’étais un peu.
La vie continue, mais une page est tournée.
Et elle ne continue pas pour tout le monde.
5. Chapitre

Quelques semaines plus tard


Ce n’était pas un lieu que j’appréciais beaucoup, mais je ne le craignais pas non plus. Un lieu
calme, baigné dans le silence, où les bruits de voix étaient comme lointains, sillonnés de couloirs
blancs et vides. En jetant un coup d’œil par des portes laissées ouvertes, on apercevait quelques
échantillons de souffrance, silencieuse elle aussi. La vie y était mise sur une voie de garage, où l’on
tentait de réparer les corps endoloris. Il y avait bien des mouvements de temps en temps, une blouse
blanche qui jaillissait d’une porte et s’engouffrait dans une autre. C’était fugace.
Les battements de mon cœur parurent se ralentir quand j’entrai dans une chambre située au bout
d’un couloir, où n’avait été installé qu’un seul lit. J’avais l’impression d’être arrivée à l’extrémité du
monde, là où se situait la frontière entre la vie et la mort.
Une femme était allongée sur le lit, les bras le long du corps, totalement immobile, les yeux
fermés. Elle était très pâle et si sa poitrine se soulevait, c’était de manière trop faible pour être vue. Si
je savais que son cœur battait, c’était seulement parce qu’un appareil l’indiquait sur son écran. J’eus
du mal à la reconnaître, mais c’était bien elle, la femme que sa belle-famille faisait passer pour morte.
La beauté de son visage avait subsisté, devenue insensible au passage des saisons.
J’entrai dans la pièce et m’approchait d’elle en marchant de plus en plus lentement, comme pour ne
pas la déranger, ou plutôt pour ne pas commettre de sacrilège. Il m’aurait été difficile d’expliquer
pourquoi j’avais tenu à lui rendre visite, mais je m’étais sentie dans l’obligation de le faire. Pour
m’excuser d’avoir cru aux mensonges racontés à son sujet ? Ou bien pour m’assurer, par mes
propres yeux, que l’on avait bien cherché à me tromper ?
Le coupable se trouvait derrière moi. C’était lui qui m’avait conduite jusqu’à cette chambre, mais
pour aller de Montpellier à Toulouse, nous n’avions bien sûr pas pris la même voiture. Je me
retournai pour regarder son air pincé. Un petit vent de pitié traversa mon esprit, puisque sa
conscience était certainement en train de le martyriser. Quand il quitterait cette pièce, elle accepterait
sans doute de le laisser en paix, mais devant son épouse, ce n’était pas possible.
« Je vais parler au médecin », murmura-t-il.
Il se retira sur la pointe des pieds. Restée seule avec Sylvie, je continuai à m’avancer jusqu’à son lit.
Je contemplai son visage impassible et figé dans une paix qui avait tout l’air d’être éternelle. Du
terrible accident qu’elle avait subi, je ne pouvais voir aucune trace, ce qui lui donnait une impression
d’irréalité.
Décrire toutes les pensées qui se levèrent en moi durant ces longues minutes est impossible, tant
elles furent nombreuses. Inévitablement, je me sentis coupable d’avoir cherché à lui prendre son
époux, même si j’avais eu l’excuse de l’ignorance. Après cette visite, laisser Denis poser la main sur
moi serait absolument impossible.
Mais se réveillerait-elle ? Comme je l’avais pensé, Denis avait parié qu’elle ne reviendrait jamais à
la vie, quoique d’après les médecins, un miracle fût possible. Elle pouvait très bien rester encore
plusieurs années dans cet état, puis ouvrir les yeux. Mais c’était très peu probable.
La nouvelle de sa mort n’avait jamais été annoncée. La stratégie de Denis avait été de laisser une
chape d’oubli recouvrir son épouse. Il avait été aidé par son état stationnaire, qui entraînait la
raréfaction des communications avec l’hôpital. En rencontrant la famille de Sylvie ou en faisant des
recherches approfondies sur elle, j’aurais peut-être découvert la vérité. Voilà pourquoi la
fréquentation des enfants de Denis et de Sylvie m’avait été interdite.
Je ne pouvais pas en dire plus pour le moment, parce que je n’avais pas eu de discussion sérieuse
avec Denis depuis qu’il m’avait présenté sa mère. Je m’étais rendue chez Bruno mais nous n’avions
pas une seule fois parlé de Sylvie.
J’étais toujours au chevet de la patiente quand son époux revint.
« On y va ? » me dit-il.
J’acquiesçai, donnait un dernier regard attristé à Sylvie puis me retirai.
Nous quittâmes l’hôpital en marchant côte à côte et en silence. C’est seulement en sortant sur le
parking que nous nous arrêtâmes pour nous regarder. Nous devions nous séparer pour retrouver
chacun notre voiture.
« Edwige... commença Denis. Il faut savoir que c’est une situation très difficile pour moi.
— Je n’en doute pas.
— Je ne peux pas refaire ma vie. Tu as vu comment ça s’est passé, avec ma villa ?
— Pourquoi ta mère est-elle aussi dure ?
— C’est son caractère... Et puis, elle pense que Sylvie reviendra et que notre famille se
reconstituera.
— Tu continues à aimer Sylvie ?
— Je l’ai beaucoup aimée. Je l’aime toujours. J’ai cru que ma vie allait s’arrêter après l’accident.
La mienne, pas seulement celle de Sylvie... Mais le temps a fait son œuvre et j’ai très vite été entouré
de jolies jeunes femmes. Il ne me restait plus qu’à mettre mes scrupules de côté pour en profiter. Et
Bruno m’a fait admettre sa philosophie de l’existence.
— Parler de philosophie, c’est un bien grand mot. Mais j’admets que cela puisse fonctionner.
— Les philosophes ont beaucoup disserté sur le sens de la vie, mais combien ont-ils pensé que les
êtres humains naissent tout simplement pour profiter des plaisirs de la vie ? Et le premier de ces
plaisirs est le sexe. Je pense que personne ne pourra sérieusement dire le contraire. Mais il est mal vu
puisqu’il nous attache beaucoup trop fortement à ce bas-monde. »
Denis se retourna pour vérifier si ses paroles ne risquaient pas de tomber dans d’autres oreilles que
les miennes. Comme le soleil se trouvait derrière lui, je devais plisser les yeux pour le regarder.
La brise faisait ondoyer les pans de ma légère robe, qui s’arrêtait un peu au-dessus de mes genoux.
« Et l’amour ? demandai-je.
— L’amour aussi... »
Il poussa un soupir et me dévisagea d’une manière qui me fit frémir d’émotion.
« J’aurais aimé refaire ma vie avec toi », avoua-t-il.
Et moi, j’aurais préféré qu’il ne fasse pas cet aveu, tant il pouvait être douloureux. L’attirance que
je ressentais pour lui n’avait pas disparu. Mais après tout, c’était moi qui avais abordé ce sujet.
« Il est dommage que l’amour côtoie de si près la souffrance, répondis-je.
— C’est notre malédiction. »
Tout de suite, je vis une lueur d’amusement scintiller dans les yeux de Denis.
« Tu connais le Satyricon de Pétrone ? demanda-t-il.
— Non.
— C’est l’un des héritages de Rome. Il contient une anecdote que j’ai beaucoup aimée. Je la cite de
mémoire. Une femme belle et vertueuse, que le destin avait rendu veuve, accompagna son défunt mari
dans le caveau, pour passer ses journées à se lamenter. Juste à côté, un brigand fut crucifié. Le soldat
entendit les cris de la femme et fut touché par sa détresse. Il essaya de la consoler, en lui disant que
son mari lui donnerait le conseil de vivre. La veuve recommença à s’alimenter, puis le soldat
entreprit de lui faire redécouvrir le plaisir sexuel. Il y réussit tellement bien qu’elle devint folle de lui.
»
Denis arrêta de parler pour mesurer l’effet que son histoire avait produit sur moi.
« Et tout ça s’est passé à côté du cadavre ? demandai-je.
— Oui.
— Et après ? Ils sont partis ensemble ?
— Pendant que le soldat s’enfermait dans le caveau avec la femme, les parents du brigand
arrivèrent pour prendre le corps de leur fils. Le soldat craignit d’être exécuté pour sa négligence,
mais la femme trouva une solution : puisqu’elle était condamnée à perdre l’un des deux hommes
qu’elle aimait, elle choisit de sacrifier celui qui était déjà mort. Elle proposa donc au soldat de clouer
le corps de son mari sur la croix. »
Je reconnus que cette histoire, bien qu’assez immorale, avait du charme.
« Ce n’est qu’une fable, dis-je
— Oui, mais elle illustre ce que j’ai moi-même vécu, alors je peux affirmer qu’elle n’a rien
d’absurde. Personne ne peut vivre un veuvage éternel. Mon épouse est partie mais je dois continuer à
vivre.
— Et si elle revient ?
— Par la volonté de ma chère maman, je serais resté à elle. »
Nous nous regardâmes avec une douloureuse intensité.
« Adieu, belle Edwige », déclara subitement Denis, avant de s’éloigner de moi.
Je restai sur place un moment, en proie à un immense sentiment d’abandon et de solitude, puis je
rejoignis ma voiture.
Épilogue

Il m’attendait près de l’entrée de l’hôtel, en costume et cravate. Il n’avait pas été habillé ainsi lors
de notre entretien, mais j’avais senti qu’il pouvait se rendre beaucoup plus élégant et je constatai que
j’avais eu raison. Quant à moi, je n’étais pas trop mal habillée non plus, avec une jupe arrivant
jusqu’aux genoux et une chemise blanche. Je ressemblais à une employée de banque quittant son
agence, mais l’heure de la sortie des bureaux était passée depuis un bon moment.
« On y va ? dis-je avec mon plus beau sourire.
— Oui. »
Daniel était un peu intimidé, et c’était ainsi que je préférais les hommes.
Nous franchîmes la porte de l’hôtel et nous présentâmes à la réception, où l’on nous prit
assurément pour un couple BCBG. La clé de notre chambre dans la poche, mon compagnon se
dirigea vers l’ascenseur, dont la porte s’ouvrit immédiatement. Il y entra et appuya sur le bouton du
deuxième étage.
« Tu as déjà fait ça dans un ascenseur ? s’enquit-il.
— En moins d’une minute, ce n’est pas possible. Il faudrait le bloquer. »
Le regard de Daniel était fixé sur ma poitrine, qu’il contemplait avec gourmandise. Pour le
moment, il n’en voyait qu’un petit décolleté, mais un simple bouton lui ouvrirait le passage de cette
vallée des merveilles.
« Je peux ? demanda-t-il.
— À partir de maintenant, tu peux poser tes mains où tu le veux », répondis-je.
Fort de cette autorisation, il entreprit de défaire le méchant bouton et passa un doigt sous ma
chemise pour tâter le galbe de mon sein droit. Cette intrusion fut interrompue par le bonnet de mon
soutien-gorge, puis par l’arrêt de l’ascenseur, déjà arrivé au deuxième étage. Il me fit sortir la
première, non pas par galanterie mais pour poser la main sur l’une de mes fesses.
Cet hôtel n’était pas le Carlton, mais avec ses trois étoiles, il avait un luxe douillet convenant très
bien à ce que nous étions venus y faire. Daniel ouvrit la porte de notre chambre et me fit entrer en me
poussant une nouvelle fois par la fesse. Cette pièce comportait un grand lit, un bureau avec une chaise
et une petite salle de bains. Je m’avançai jusqu’à la fenêtre pour fermer les rideaux puis me tournai
vers Daniel et le regardai. C’était un grand jeune homme aux cheveux châtains et aux yeux gris-bleu,
au visage allongé, plutôt sage d’apparence. Je savais qu’il n’avait pas collectionné les femmes, alors
faire l’amour avec une experte du sexe était forcément intimidant. Montrer son pénis à une personne
qui en voyait plusieurs par jour – selon ce qu’il croyait – l’était encore plus, mais le désir était plus
fort que tout. Se taper une jolie fille à l’allure bien rangée, qui était en réalité une putain, ce serait sans
doute le plus grand plaisir qu’il connaîtrait.
Il s’approcha de moi et m’enveloppa de son regard ardent. Je dus le retenir :
« Je sais bien que ce n’est pas très romantique de ma part, mais j’aimerais voir ce qu’il y a dans ton
portefeuille.
— Oui, bien sûr. »
Daniel sortit l’objet en question de sa veste et me montra plusieurs gros billets.
« Tu peux tout prendre maintenant, proposa-t-il.
— D’accord. »
Je rangeai les billets dans mon sac et posai celui-ci sur le bureau. J’avais expliqué à mon client que
certains hommes sautaient des prostituées sans avoir l’intention de les payer, et que ce qu’ils faisaient
s’apparentait à des viols, d’où cette précaution. Il m’avait très bien comprise.
Je posai une fesse sur le bureau, l’un de mes pieds restant suspendu en l’air, et retroussai
légèrement ma jupe pour lui montrer ma cuisse.
« Je suis à toi. Tu peux me déshabiller et me baiser par tous les orifices, y compris par mon cul.
Mais n’y va pas trop vite, nous avons toute la nuit. »
La première chose qu’il fit fut de déglutir. La tentation lui vint peut-être de desserrer sa cravate
pour mieux respirer. Le regard flamboyant d’avidité, il finit par s’approcher de moi et poser la main
sur ma cuisse. Il la caressa en y enfonçant légèrement ses ongles. Je le laissai faire sans protester, et
j’écartai même un peu les jambes en signe d’invitation lubrique. Il les quitta pourtant afin de
reprendre le déboutonnage de mon chemisier. Les dentelles de mon soutien-gorge lui apparurent et
l’encouragèrent à poursuivre mon déshabillage. Mon chemisier glissa sur ma peau avec un faible
soupir et s’étala sur la table.
En soutien-gorge, jupe et hauts talons, mes cheveux attachés en chignon, je devais être agréable à
voir. Daniel me contempla comme si j’avais été une œuvre d’art, puis il me prit par les épaules.
« Est-ce que je peux te prendre dans mes bras ? demanda-t-il.
— Je suis une pute, lui rappelai-je. Tu peux me barbouiller de sperme ou me sodomiser. C’est
compris dans le forfait. Mais m’embrasser, ce n’est pas possible.
— Pourquoi ?
— Tu es là pour baiser ou pour trouver ta fiancée ? »
Je portai la main droite à son entrejambe et susurrai :
« Oh ! C’est volumineux ! »
Renonçant à toute démonstration de tendresse, Daniel me tira par le soutien-gorge, qui décolla de
ma poitrine en lui offrant une brève vue de mes seins, pour me contraindre à descendre du bureau, et
il me poussa jusqu’au lit. Je me retrouvai les genoux posés par terre et la poitrine sur le lit, ma
croupe offerte à son désir. Après avoir retroussé ma jupe, il me caressa les fesses, puis les claqua
plusieurs fois. Ce fut un petit jeu bien innocent qui attisa notre plaisir mutuel.
Daniel écarta ensuite ma petite culotte pour voir ce qu’elle cachait, des nymphes dont il dessina les
contours avec les doigts, avant d’enfoncer l’index dans mon vagin. Ses caresses intimes me firent
pousser un soupir.
« Tu mouilles, remarqua-t-il.
— J’ai toujours le feu au cul. C’est pour ça que je me prostitue. »
Ce n’était pas tout à fait exact, mais c’était ma manière d’exciter les clients. En vérité, je choisissais
ceux qui me plaisaient, généralement lors d’un entretien dans un café. C’étaient des moments
difficiles, avec des refus pénibles à exprimer, mais ainsi, les hommes avec lesquels je couchais me
plaisaient tous, d’où cette humidité.
Daniel baissa ma culotte pour œuvrer plus commodément, puis il continua à me remplir les
orifices avec ses doigts. Mon plug anal m’avait rendue plus facilement sodomisable et je m’étais
nettoyé cet orifice juste avant notre rendez-vous.
Je laissai Daniel retirer ma jupe, puis ma chemise. J’étais en soutien-gorge et hauts talons quand
j’adoptai une attitude moins passive, en chevauchant mon client, alors allongé sur le dos. Je le
débraguettai et pris possession d’un phallus droit et massif, aux veines peu visibles, plutôt court mais
tout à fait capable de faire jouir les femmes. Il n’avait pas à en rougir.
Je me penchai pour faire un léchage de ce membre et des testicules de Daniel, suivi d’une fellation.
Cela dura longtemps. Le jeune homme, les yeux fixés sur le plafond, se mit à haleter comme s’il avait
été en train de faire un marathon. J’aurais pu le faire jouir dans ma bouche, mais je m’arrêtai pour
dégrafer mon soutien-gorge et l’aider à se déshabiller. Je ne lui laissai que sa chemise, puisqu’il ne
semblait pas du tout pressé de s’en séparer.
« Tu peux monter sur moi ? dit-il. J’aime quand tu es comme ça... Sur moi. »
Pas très dominateur, le mec...
J’avais connu son exact opposé, un homme qui fantasmait sur la soumission et l’humiliation.
J’avais accepté de tenter l’expérience, en la lui faisant payer bien sûr très cher, et en obtenant la
garantie de ne pas connaître de douleur physique, du moins pas comme dans les vraies pratiques
sado-masochistes. J’avais tout de même reçu un bon lot de fessées et de gifles, j’avais eu les mains
attachées dans le dos et j’avais dû me traîner nue à ses pieds. Et je ne parle pas des insultes grivoises
que j’avais reçues. De cette aventure, j’étais sortie assez secouée, mais je reconnaissais qu’elle avait
éveillé de très obscures fibres dans les profondeurs glauques de mon âme. Cette expérience avait
finalement été une exploration de moi-même et j’avais découvert un homme peu ordinaire, sachant
mimer la violence et conservant un parfait contrôle de ses actes.
Elle avait été infiniment plus intéressante que les habituelles passes, qui n’étaient guère que du
remplissage de préservatif. De ces relations éphémères, il ne restait que ces petits sacs de caoutchouc
transparent jetés comme des souvenirs honteux, en guise d’adieu.
J’en déroulai un autour de la queue de Daniel et je chevauchai mon client avec entrain, en faisant
vibrer notre lit. J’avais l’impression de le clouer sur le matelas, avec les coups de bassin que je lui
donnais. Le plaisir que me procurait son épais membre, irradiant dans tout mon bas-ventre, m’aurait
pu faire poursuivre cette chevauchée endiablée jusqu’à l’explosion de mon client, mais je m’arrêtai
juste avant, pour lui exprimer ma tendresse à ma manière. J’arrachai le préservatif et empoignai le
phallus pour m’asperger de sperme. J’en reçus sur le menton, la gorge et la poitrine, tandis que
Daniel poussait une sorte de cri d’agonie en se convulsant.
Quand il reprit possession de son corps et de son esprit, il eut la surprise de me voir étaler sa
liqueur sacrée sur ma peau, et y goûter en portant les doigts à ma bouche. Quelques minutes plus tard,
vaincu par son orgasme, il s’endormit dans mes bras.
Nous nous réveillâmes tôt le matin pour recommencer nos ébats. Il se montra beaucoup plus sûr de
lui. Je lui offris mes fesses pour lui faire découvrir les plaisirs de la sodomie, mais ce fut dans mon
vagin qu’il éjacula.
Nous prîmes le petit-déjeuner ensemble et il se sépara de moi ravi, reconnaissant qu’il en avait eu
pour son argent. Je devinai qu’il voulait conserver des relations avec moi, au moins devenir ami,
mais je lui rappelai que j’étais une prostituée et que je le quittai pour trouver un autre client.
C’était faux.
Je pris les transports en commun pour regagner l’appartement que je louais, en plein centre de
Montpellier. Il fallut attendre un peu parce que nous étions le samedi matin et que la fréquence de
passage des bus avait diminué. Quand je rentrai chez moi, Sébastien avait mangé et s’était installé à
son bureau avec un stylo à la main.
Comme d’habitude, il fit grise mine en me voyant rentrer de mon « travail ». Cela ne m’empêcha
pas de me pencher pour lui donner un baiser sur la bouche, puis de m’asseoir pour le regarder de
profil. Il savait très bien que ces baisers lui étaient réservés.
« C’est terminé pour cette semaine », annonçai-je.
J’ouvris mon sac pour en sortir les mille euros. Je détectai un changement d’expression sur le
visage de mon copain, tandis qu’il regardait ces billets. Comment pouvait-il me faire des reproches
puisque tout le monde en profitait ?
« Tu ne me demandes pas si je ne suis pas trop fatiguée ? lui dis-je.
— Si... Tu n’es pas trop fatiguée ?
— Un peu. Me démener comme je le fais, ce n’est pas évident.
— Je sais. J’espère que ton cabinet sera bientôt ouvert. »
Je recevais tellement de commandes, pour mon travail d’architecte d’intérieur, que je ne savais plus
où donner de la tête, et elles provenaient le plus souvent d’entreprises. Il était impossible de savoir
pourquoi tant de monde s’intéressait tout à coup à moi, mais je soupçonnais fortement la famille
Stevenot d’être à l’origine de ce déferlement de commandes. Pour y répondre, j’allais être obligée
d’embaucher des assistants, et donc d’ouvrir mon propre cabinet d’architecture.
L’inconvénient est que cela faisait beaucoup de travail pour moi et qu’on risquait de se rendre
compte qu’Edwige Steinmetz et Mila – le nom que j’avais choisi pour mes activités nocturnes –
étaient une seule et même personne. Pour cette raison, je ne prévoyais pas de me prostituer
indéfiniment. Je le faisais afin d’amasser un pécule qui serait très utile pour l’ouverture de mon
cabinet. C’était bien mieux que d’aller courir les banques.
Les Stevenot savaient certainement ce que j’étais en train de faire, grâce à Bruno qui était au
courant de tout et que je continuais à fréquenter. La vieille savait donc que j’étais capable de
construire ma vie par mes propres moyens et qu’elle n’avait par conséquent aucune prise sur moi. Et
moi, j’étais en mesure, à tout moment, de révéler ses encombrants secrets. C’était probablement la
raison des commandes que je recevais : une expression de sa générosité.
Peut-être craignait-elle également que je devienne une prostituée bien en vue, ou une courtisane
pour utiliser un terme plus évocateur. Une femme convoitée par les hommes n’avait rien à craindre
d’eux. Elle pouvait même se faire beaucoup d’amis. J’avais d’ailleurs pensé à devenir une escort-girl
au sens premier du terme, c’est-à-dire une femme payée pour tenir compagnie à des hommes
fortunés, les relations sexuelles étant facultatives. Une telle perspective avait de quoi faire frémir la
vieille d’épouvante, c’est pourquoi elle avait plutôt intérêt à m’éloigner de ce métier.
À ma famille, j’expliquais que ma fortune provenait en totalité de mon travail d’architecte, ce qui
était tout à fait vraisemblable. Il aurait fallu éplucher mes comptes pour s’apercevoir que je mentais.
Mon fiancé était au courant de tout cela, mais il avait toujours du mal à accepter mes ébats avec
d’autres hommes. Je lui expliquais qu’au moins, je ne le trompais pas. Je lui avais montré un article
trouvé sur internet, sur une jeune mère de famille dont l’infidélité était une seconde nature. Moi, je ne
lui cachais rien. Enfin, presque rien. Il ne savait pas que j’avais couché avec Jacky, plus d’une fois.
L’identité de mes clients lui restait inconnue, parce que c’était un secret professionnel et qu’il n’avait
pas très envie de connaître les détails de nos relations.
« Tu seras encore absente le prochain vendredi soir ? » s’enquit-il.
C’était plus une accusation qu’une question. Il savait très bien que lorsque je n’étais pas occupée
avec un client, j’allais chez Bruno. Et là, je n’avais pas l’excuse de vouloir gagner de l’argent – même
si je continuais à concevoir des décors. C’était du dévergondage. J’aurais pu lui dire que je
l’autorisais à prendre son plaisir avec quelques jolies filles, de sorte que nous aurions formé un
couple de libertins, mais il n’y était pas encore prêt.
Je posai une main sur la sienne.
« Je te l’ai dit, il faut me prendre comme je suis, lui rappelai-je en plantant mon regard dans le sien.
Et si tu me prends comme cela, je suis vraiment à toi. Pour toujours. »
Je lui parlai avec un ton si ferme que je parvins à l’amadouer. Il pinça les lèvres.
« Je vais m’allonger un moment, lui annonçai-je. Tu viens avec moi ? »
Il émit un grognement indéchiffrable en guise de réponse.
Je lui fis un clin d’œil et commençai à déboutonner ma chemise. Son regard restant fixé malgré lui
sur ma poitrine, il assista à l’émergence de mon soutien-gorge.
Sans avoir terminé le déboutonnage, je me levai et gagnai le seuil de son bureau, avant de me
retourner.
« Trente secondes, déclarai-je. C’est le temps que tu arriveras à tenir sur ta chaise quand je serai
partie. Après cela, tu me rejoindras. On parie ? »
{1} Quel âge as-tu ?
{2} J’ai dix-huit ans.

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