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MADELEINE DE VERCHÈRES

Une héroïne canadienne


COLLECTION LÉON VILLE
Couronnée par l’Académie Française
(Grand Prix de vertu Louis BIGOT, de 6.000 francs)

Léon Ville, dont tous les ouvrages, avidement lus par la jeunesse, ont été
couronnés par l’Académie Française et la Société d’Encouragement au bien, est
un émule de Fenimore Cooper, Mayne-Reid, Jules Verne, etc... Sa plume alerte
et la verve de son esprit tiennent constamment en haleine le lecteur et le capti-
vent de la première à la dernière page de son œuvre.
Et combien saine est cette distraction pour l’esprit et le cœur épris de sen-
timents chevaleresques ! Ces lectures sont comme de la gymnastique morale au
grand air. Mettez sans crainte ces livres entre les mains de vos enfants. Vous
verrez de quelle façon ils formeront leur caractère et quel plaisir vous vous
procurerez à vous-mêmes, parents et maîtres, à voir vos jeunes lecteurs dévo-
rer littéralement ces excellentes publications illustrées.

Du même auteur
Ouvrages parus aux Éditions Saint-Remi (tous abondamment illustrés)

AU KLONDYKE, 168 p., 13 €


CENT MILLE LIEUES SUR LES MERS, 232 p., 17 €
DOLLAR DES ORMEAUX , 153 p., 12 €
EN ACADIE, PAR LE FEU ET PAR LE FER, 147 p., 12 €
GUILLAUME LE BOER, 150 p., 12 €
JEAN LE VACHER, MISSIONNAIRE, CONSUL ET MARTYR, 136 p., 11 €
L’ERMITE DE BENI-ABBÈS, 129 p., 10 €
LA RIVIÈRE DES ALLIGATORS, 152 p., 12 €
LE CHEF DES HURONS, 151 p., 12 €
LE PÈRE NOIR, 163 p., 12 €
LES CHRÉTIENS EN CHINE, 155 p., 12 €
LES CORSAIRES D’AFRIQUE, 147 p., 11 €
LES DERNIERS FLIBUSTIERS, 135 p., 11 €
LES ENFANTS DE L’HACENDERO, 183 p., 14 €
LES FRÈRES DE LA CÔTE, 145 p., 12 €
LES PIONNIERS DU GRAND DÉSERT AMÉRICAIN, 273 p., 19 €
LES TRAPPEURS DU FAR-WEST, 163 p., 12 €
NOS GRANDS CAPITAINES – BAYARD, 139 p., 11 €
NOS GRANDS CAPITAINES – DU GUESCLIN, 127 p., 10 €
NOS GRANDS CAPITAINES – JEAN BART, 159 p., 11 €
NOS GRANDS CAPITAINES – ROLAND, 137 p., 11 €
MADELEINE DE VERCHÈRES , 130 p., 11 €
MADELEINE DE VERCHÈRES
Une héroïne canadienne

par

Léon VILLE,
LAURÉAT DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE

Illustrations de
P. MONNIN

Nouvelle édition
à partir de celle de Tolra, 1928

Editions Saint-Remi
– 2021 –
AUX VAILLANTES CANADIENNES

JE DÉDIE RESPECTUEUSEMENT

CE LIVRE D’HÉROÏSME ATAVIQUE

LÉON VILLE,

Éditions Saint-Remi
BP 80 – 33410 CADILLAC
05 56 76 73 38
saint-remi.fr
PRÉFACE

PRÈS avoir présenté à nos lecteurs, en des romans histori-


ques, l’admirable Dollard, l’intrépide Vauquelin et
l’héroïque d’Iberville, nous allons maintenant retracer un autre
des merveilleux exploits dont est faite l’histoire militaire du Cana-
da, où tant de noms retentissent comme des éclatements de
bombes ou vrombissent à l’oreille comme des boulets rageurs.
Il ne s’agit pas aujourd’hui d’un fait d’armes accompli l’épée au
poing par un héros cueilli par nous dans la glorieuse bousculade
des vaillants dont le sang généreux envermeilla le rude sol de la
Nouvelle-France. Non. Nous allons simplement faire revivre de
notre mieux Madeleine de Verchères, une jeune fille de quinze
ans, douée de toutes les vertus chrétiennes et patriotiques particu-
lières aux âmes d’élite. Par son énergie, par une puissance extra-
ordinaire de volonté et de persuasion, cette adolescente aux yeux
rieurs, à la main blanche et fine, galvanisa si bien un vieillard de
quatre-vingts ans, deux gamins et deux soldats nonchalants,
qu’elle put, à l’aide de cette invraisemblable « garnison », tenir en
échec, derrière la palissade d’une sorte de fort des plus primitifs,
une bande de sauvages altérés de sang et hurlant leurs cris de
haine et de mort !
Huit jours durant, cette merveilleuse héroïne fit tête à l’ennemi
à coups de canons et de mousquets, soutenue par l’espoir que le
vacarme de son artillerie serait entendu de Montréal et que des
secours lui seraient envoyés. Elle espérait aussi prévenir de la
sorte des soldats du fort, partis la veille pour la chasse.
Comme on le voit, l’héroïque enfant pensait à tout. Elle avait
d’ailleurs de qui tenir, car, deux années auparavant, sa mère avait,
dans un cas semblable, défendu le même fort pendant deux jours,
fort que Parkman appelle le « Château dangereux » du Canada.
Puisse l’exemple de Madeleine de Verchères affermir le cœur
de nos jeunes filles de France, en vue des épreuves que peut leur
réserver la vie.
6 PRÉFACE

Certes, elles n’auront jamais l’occasion de commander un fort


pour repousser une attaque de sauvages, du moins tout le fait
supposer, mais il peut se présenter pour elles de tragiques et pé-
nibles circonstances où, l’énergie morale et le sang-froid leur se-
ront un sérieux réconfort.
Quoi qu’il en soit, elles auront, en lisant ce livre, une idée de ce
qu’étaient leurs grand’mères du Canada, ces nobles et courageuses
compagnes des premiers colons français qui, désireux de doter
leur patrie d’une magnifique colonie, ne se laissèrent rebuter par
aucun obstacle, pour faire d’un sol rude et vierge la belle et floris-
sante contrée qu’est maintenant le Canada, où bat toujours et
quand même le cœur de la mère-patrie.
Aux amis canadiens qui me liront, je rappelle ce que j’ai déjà
dit dans la préface d’un précédent volume : j’écris surtout pour la
jeunesse de France. Ils ne devront donc point s’étonner s’ils ren-
contrent des descriptions et des détails qui leur sont familiers.
Pour que l’on ne crie point à l’invraisemblance en lisant
l’épopée du fort de Verchères, je crois devoir ajouter que cet in-
trépide exploit est attesté par une relation qu’en a écrite l’héroïne,
à la demande même de Louis XIV, cité par les historiens cana-
diens, et commémoré par le monument élevé à la gloire de Made-
leine de Verchères, sur l’emplacement du fort qu’elle avait si cou-
rageusement défendu,
LÉON VILLE.
CHAPITRE PREMIER
UNE HÉROÏQUE ENFANT DE 15 ANS

n voyant ce qu’est de nos jours le Canada, on demeure


véritablement rêveur si l’on se reporte par la pensée à ce
qu’était, il y a seulement deux cent cinquante ans cette immense
contrée quinze fois grande comme la France, alors vaillamment
attaquée par l’inlassable activité des premiers colons, tous Fran-
çais, qui allèrent là-bas planter et défendre les fleurs de lis de leur
patrie.
Ainsi, en 1645, la Nouvelle-France ne comptait guère plus de
3.000 habitants, répartis en vingt-cinq seigneuries.
Ces seigneuries étaient des terres concédées à des gentils-
hommes. Mais il ne faudrait pas considérer ces seigneurs comme
des hommes de cour, vivant dans les honneurs, le luxe, la mol-
lesse et les jouissances. Tous étaient des pionniers infatigables, ne
cherchant que la modeste gloire de l’oubli et du désintéressement.
Vers la fin du XVIIe siècle, l’aisance au milieu de laquelle vi-
vaient tous ces nobles ne ressemblait en rien à celle dont ils jouis-
saient naguère en France. Dans des inventaires de cette époque, il
n’est nullement question de vaisselle de faïence, de couteaux de
table, de fourchettes en métal, de poterie et de fer-blanc.
Au lieu de chaises, dans les maisons, on se servait d’escabeaux
et de bancs à dossier.
En 1653, la mère de l’Incarnation écrivait : « Nos couchettes
sont de bois et se ferment comme des armoires. Quoiqu’elles
soient doublées de drap ou de serge, à peine peut-on se réchauf-
fer. »
L’usage des poêles était inconnu. On se chauffait au feu des
cheminées.
Les premiers poêles de fonte fabriqués au Canada datent de
1730.
La mère de l’Incarnation dit encore : « À quatre cheminées,
nous brûlons par an cent soixante et quinze cordes de bois. Après
8 MADELEINE DE VERCHÈRES

tout, quoique le froid soit si grand, nous tenons le chœur, mais


l’on y souffre un peu. »
Quant aux églises, elles étaient loin de posséder le confort ac-
tuel de nos basiliques. Les prêtres plaçaient des chauffrettes sur
l’autel lorsqu’ils disaient la messe. Quelques paroissiens appor-
taient des réchauds, qu’ils mettaient sous leurs pieds. Il n’y avait
pas de sièges pour les fidèles.
Les Canadiens fabriquaient eux-mêmes, au moyen de métiers,
la flanelle, le droguet et la toile dont ils confectionnaient leurs
vêtements. La chaussure des sauvages était portée pendant
l’hiver ; les battes en cuir rouge du Canada étaient en usage toute
l’année. Plus tard, seulement, les familles aisées se procurèrent,
pour les fêtes et les dimanches, des souliers français.
M. de Gaspé écrit :
« Nos ancêtres dépensaient un sou avec plus de répugnance
que leurs descendants un louis de nos jours. Alors — au dix-
huitième siècle — riches pour la plupart, ils ignoraient néanmoins
le luxe : le produit de leurs terres suffisait à tous leurs besoins. »
Pour la coiffure, rien de plus simple et à la fois de plus com-
mode ; elle se composait d’une toque de laine tricotée.
Les maisons étaient simples, mais propres et d’allure hospita-
lière. On en trouvait en pierres et couvertes de planches ou ais de
pin ; d’autres étaient bâties de colombages ou charpentes et ma-
çonnées entre les deux ; un certain nombre entièrement de bois et
couvertes de planches.
Quel courage ne fallait-il pas à ces premiers colons pour ac-
cepter librement une existence si peu en rapport avec leur dur
labeur. Il est vrai qu’ils puisaient généralement ce courage dans
une émanation de leur foi profonde. Il n’existe peut-être pas au
monde une contrée où la religion catholique soit pratiquée avec
autant de ferveur qu’au Canada.
Les fondateurs de la colonie étaient tous animés d’un réel es-
prit chrétien. Jacques Cartier, découvreur du Canada, voulait la
conversion des aborigènes. « Le soleil, disait-il, vient de l’Orient,
comme notre sainte foi, il passe de l’est à l’ouest, ne pouvons-
UNE HÉROÏQUE ENFANT DE QUINZE ANS 9

nous pas conclure que les rayons de l’Évangile doivent suivre sa


trace et répandre leur brillante clarté dans la même direction ? »
Le grand navigateur planta, solennellement, en présence des
sauvages et au bruit du canon, l’étendard de la croix sur la côte de
la baie de Gaspé, en 1534. Le premier dôme sous lequel fut dite la
première messe a été, parait-il, une tente d’écorces posée au pied
des pins de la forêt, sur la petite rivière Sainte-Croix, aujourd’hui
appelée rivière Saint-Charles, en 1535 .
Si les premiers colons n’étaient pas des militaires, ils n’en pos-
sédaient pas moins cette bravoure qui permit aux Canadiens de
lutter pendant cent cinquante ans contre les convoitises de
l’Angleterre, malgré l’abandon de la France.
Nous avons dit plus haut que les terres concédées à des gen-
tilshommes formaient, à la fin du XVIIe siècle, vingt-cinq seigneu-
ries. Ces seigneuries étaient de simples villages placés, ainsi que
leurs églises, chacun sous la protection d’un fort. Ce fort était un
enclos palissadé et défendu par des redoutes munies de canons ou
de pierriers.
Quant à la façon dont étaient commandées ces places fortes...
ou à peu près, elle était loin de ressembler à celle qui régit de nos
jours les forteresses. La discipline y tenait assez peu de place.
C’est ainsi qu’en’ l’automne de 1692, les soldats, au nombre d’une
vingtaine, qui garnissaient le fort de Verchères, s’en allèrent tran-
quillement chasser dans les bois, sauf deux, qui préférèrent de-
meurer dans la redoute, bien certains d’avoir leur part du gibier
que leurs camarades rapporteraient.
Dans le village, les habitants vaquaient paisiblement a leurs
habituelles occupations.
M. et Mme de Verchères étaient en voyage, l’un à Québec et
l’autre à Montréal, villes situées à quelque soixante lieues de dis-
tance.
Leur fille, Madeleine, se trouvait au bord du fleuve, occupée à
ramasser du linge qu’elle avait mis là à sécher. Ses deux frères,
Louis, âgé de douze ans, et Alexandre, de deux années plus jeune,
se promenaient aux environs du fort.
10 MADELEINE DE VERCHÈRES

Une grande paix enveloppait la campagne et planait sur le


Saint-Laurent, troublée seulement par le mugissement des bes-
tiaux qui paissaient dans la plaine, et, de loin en loin, par le chant
d’un travailleur.
Madeleine, nullement pressée par sa besogne, allait tranquille-
ment, faisant méthodiquement deux paquets de sa blanche ré-
colte.
Elle se disposait à emporter son linge, quand des cris horribles
mêlés de coups de feu se firent entendre dans le village, brus-
quement envahi par une cinquantaine d’Iroquois qui faisaient des
habitants un massacre en règle, égorgeant et scalpant, sans dis-
tinction d’âge ou de sexe.
Des femmes affolées fuyaient dans la plaine, poursuivies par
les balles des sauvages.
Un domestique de M. de Verchères courut à Madeleine en
criant ;
— Sauvez-vous, mademoiselle, les Iroquois viennent de fon-
dre sur nous !
— Mes frères ?... interrogea anxieusement la jeune fille.
— Ils viennent de s’enfuir du côté du fort.
Et le domestique s’élança dans la direction de l’unique refuge
qui s’offrit à lui.
Madeleine alors se retourna et vit une bande de sauvages qui
accouraient. Une terreur la prit ; elle s’élança vers le fort, ce que
voyant, les Iroquois s’arrêtèrent et firent sur la jeune fille une dé-
charge générale, mais sans qu’un seul projectile l’atteignit.
Stimulée par le sifflement des balles, Madeleine accentua en-
core sa course.
—Vierge sainte, mère de mon Dieu, cria-t-elle avec ferveur,
vous savez que je vous ai toujours honorée et aimée comme ma
chère mère, ne m’abandonnez pas dans le danger où je me trouve,
j’aime mille fois mieux périr que de tomber entre les mains d’une
nation qui ne vous connaît pas.
Cependant les sauvages continuaient de poursuivre Madeleine,
dont ils n’étaient séparés que par la distance d’une portée de pis-
tolet.
UNE HÉROÏQUE ENFANT DE QUINZE ANS 11

Comprenant qu’elle atteindrait le fort avant qu’ils pussent la


prendre, ils firent halte pour lui envoyer une nouvelle décharge,
mais comme précédemment leurs balles sifflèrent autour de la
jeune fille, sans autre résultat que d’activer encore sa course folle.

— Sainte Vierge, répétait sans cesse la pauvre Madeleine,


sauvez-moi ! Ne me laissez pas tuer par ces païens !
Quand elle fut assez près du fort pour être entendue, la pau-
vrette cria éperdumment :
— Aux armes ! Aux armes ! A moi ! Voilà les Iroquois !
12 MADELEINE DE VERCHÈRES

Mais au lieu du secours qu’elle était en droit d’attendre de la


garnison, le silence répondit seul à sa voie, à ses appels désespé-
rés.
Elle court, court encore plus vite... Enfin elle arrive devant la
porte du fort, qu’elle trouve grande ouverte.
Elle entra et vit tout d’abord plusieurs femmes dont les maris
venaient d’être tués dans le village, d’où elles s’étaient sauvées à
grand’peine, avec leurs enfants.
Les malheureuses pleuraient à sanglots.
— Taisez-vous ! leur dit énergiquement Mlle de Verchères ; il
ne faut pas que les sauvages vous entendent.
Et elle ferma vivement la porte, la verrouillant avec soin.
Alors, deux voix crièrent :
— Madeleine !
La jeune fille se retourna et aperçut ses deux frères, qui accou-
raient à elle, les bras tendus.
Une affectueuse étreinte unit un long moment ces trois êtres
qui s’aimaient avec une vive tendresse.
— Il n’y a donc personne dans le fort ? demanda enfin Mlle
de Verchères.
Un vieillard de quatre-vingts ans parut.
— Hélas ! mademoiselle, dit-il, il n’y a que deux soldats, qui
sont en ce moment dans la redoute.
Un sursaut d’intrépidité fit vibrer la jeune fille. Elle pensait
que, deux ans auparavant, sa mère avait commandé ce fort.
— Venez, dit-elle à ses frères et au vieillard.
Et elle gagna la redoute.
Deux soldats s’y trouvaient : l’un caché derrière des caisses de
munitions, l’autre, debout, une mèche allumée à la main.
— Que comptez-vous donc faire ? lui demanda-t-elle éton-
née .
— Mettre le feu aux poudres si les sauvages entrent ici.
— C’est tout ? ricana Madeleine.
— Dame ! nous ne voulons pas tomber vivants entre leurs
mains.
UNE HÉROÏQUE ENFANT DE QUINZE ANS 13

— Ainsi, s’écria violemment Mlle de Verchères, vous préférez


mourir de la sorte que vous défendre ?
Le soldat ne répondit rien.
Son camarade avait abandonné ses caisses et s’était approché.
Un chapeau d’homme, se trouvait sur une table. Madeleine ôta
et jeta sa coiffe, prit le couvre-chef et le mit sur sa tête.
— Maintenant, dit-elle aux deux soldats, comment vous
nommez-vous ?
— Gachet, répondit le soldat à la mèche.
— Labonté, dit l’autre.
— Une autre question : êtes-vous des hommes de cœur ou
des lâches ?
Les soldats pâlirent, mais ne répondirent point.
— Eh ! bien, je vais le savoir.
Les deux frères et le vieillard écoutaient, sans un mot.
— Suivez-moi, leur dit-elle en se dirigeant vers un tas de
mousquets qu’elle venait d’apercevoir dans un coin.
Sans plus s’occuper des deux soldats, elle dit à ses trois com-
pagnons :
— Prenez chacun un fusil.
Ils obéirent.
Malgré son grand âge, le vieillard était encore valide et même,
relativement robuste.
Quand aux jeunes de Verchères de même que tous les petits
Canadiens à cette époque, ils avaient vu mainte fois le péril en
face, et le maniement d’un mousquet leur était familier. Aussi, en
cet instant, n’éprouvaient-ils pas cette terreur si naturelle chez des
enfants de leur âge élevés dans les villes, à l’abri des dangers.
En un clin d’œil ils firent jouer la batterie des fusils, pour
s’assurer que ces armes se trouvaient en bon état.
Honteux, Gachet et Labonté s’armèrent aussi chacun d’un
mousquet, sans prononcer une parole, subjugués qu’ils étaient par
l’intrépide attitude de Mlle de Verchères.
— Où sont les munitions ? leur demanda celle-ci.
Toujours sans dire un mot, les deux soldats allèrent chercher
de la poudre et des balles, qu’ils apportèrent sur la table.
14 MADELEINE DE VERCHÈRES

Alors, seulement, Gachet parla :


— Mademoiselle, dit-il respectueusement, que faut-il que
nous fassions ?... Parlez, nous vous obéirons.
— A la bonne heure ! s’écria joyeusement Madeleine, vous re-
devenez des Français.
Se tournant vers ses frères, elle leur dit :
— Battons-nous jusqu’à la mort ! Combattons pour notre
patrie et pour la religion. Souvenez-vous des leçons de notre
père : Les gentilshommes sont nés pour verser leur sang pour le
service de Dieu et du roi !... Venez tous.
Et l’admirable enfant sortit de la redoute, avec sa petite garni-
son.
Les Iroquois ne donnaient plus signe de vie. Ils paraissaient
s’être volatilisés.
Un des soldats s’en étonna.
— Vous ne comprenez pas ? sourit la mignonne enfant.
C’est pourtant bien simple. En voyant que du fort on ne tirait pas
sur eux, les sauvages ont cru à un piège ayant pour but de les inci-
ter à donner l’assaut, et ils se sont prudemment repliés... À pré-
sent, visitons la palissade.
La petite troupe se mit en marche.
De loin en loin, des pieux étaient à demi arrachés. Madeleine
les fit remettre en place, ne dédaignant même pas d’en relever
plusieurs de ses fines mains blanches.
Quand la palissade fut enfin remise en état, Madeleine monta
sur un bastion et examina les environs.
Les Iroquois étaient toujours là, mais se tenaient à distance
respectueuse des balles qu’on aurait pu leur envoyer.
Ainsi que l’avait si judicieusement fait remarquer Mlle de Ver-
chères, les sauvages se méfiaient.
Elle réunit ses tireurs et, sur son ordre, ceux-ci-firent à la fois
feu sur les Iroquois, dont, malgré leur éloignement, deux ou trois
tombèrent.
UNE HÉROÏQUE ENFANT DE QUINZE ANS 15

Sous la protection de ses deux frères, qui, sans répondre aux sauvages. (p. 17)
16 MADELEINE DE VERCHÈRES

Après quelques décharges bien dirigées et dont les Iroquois


payèrent encore les frais, elle envoya ses frères chacun sur un
bastion, avec mission d’inquiéter de temps en temps l’ennemi par
quelques coups de fusil bien réglés.
Puis, s’adressant au vieillard et lui donnant en riant une appel-
lation qu’elle devait lui continuer jusqu’à la fin :
— Jeune homme, dit-elle, allez vous poster aussi sur un bas-
tion.
Le vieillard obéit sans une objection, mais avec un sourire de
grand-père pour son enfant.
Il était tout heureux d’obéir à cette fière jeune fille qui savait si
bien commander, à un âge où tant d’autres jouent encore à la
poupée.
— Ah ! mon Dieu ! fit soudain Madeleine.
— Quoi donc ? lui demanda un des soldats, qui était resté
auprès d’elle.
— Et mon linge !
— Votre linge ? fit l’autre, étonné.
— Eh ! oui : il est resté au bord du fleuve... Allons le cher-
cher.
— Mademoiselle, lui dit fermement le soldat, puisque vous
êtes notre commandante, nous vous obéirons, mais seulement
quand il s’agira d’ordres sérieux.
La ménagère économe qui sommeillait en Mlle de Verchères se
réveilla subitement.
— Comment ! exclama-t-elle, vous trouvez qu’un paquet de
linge ce n’est pas sérieux ?
— Pas assez pour risquer de se faire tuer, répliqua le soldat.
Madeleine haussa les épaules et appela :
— Louis !.. Alexandre !..
Un moment après, les deux enfants étaient auprès de leur
sœur.
Elle leur dit :
— Armez vos mousquets et allons chercher mon linge.
Les enfants ne firent aucune objection et suivirent docilement
leur sœur.
UNE HÉROÏQUE ENFANT DE QUINZE ANS 17

De loin, les Iroquois, apercevant le petit groupe, ouvrirent un


feu qui, heureusement, était plus bruyant que meurtrier.
Sous la protection de ses deux frères qui, sans répondre aux
sauvages, ne les perdaient pourtant pas de vue, Mlle de Verchères
fit de son linge deux paquets qu’elle rapporta au fort.
— Vous risquiez de vous faire massacrer ! lui dit le soldat qui
avait refusé de l’escorter.
— Possible, lui répondit Madeleine, mais en n’allant pas
chercher mon linge, je le perdais.
Un tel sang-froid chez une enfant est bien fait pour vous stu-
péfier !
Le soldat eut honte de sa prudence, et il se promit bien d’être à
l’avenir entièrement aux ordres de cette jeune fille dont le corps
frêle et élégant renfermait une âme de feu !
TABLE DES MATIÈRES

PRÉFACE ..........................................................................................................................5

CHAPITRE PREMIER
UNE HÉROÏQUE ENFANT DE 15 ANS ...........................................................................7

CHAPITRE II
LA FAMILLE FONTAINE ...............................................................................................18

CHAPITRE III
UN COMBAT SUR L’EAU................................................................................................25

CHAPITRE IV
MADELEINE SAUVE LA FAMILLE FONTAINE ............................................................33

CHAPITRE V
LES SAUVAGES ATTAQUENT LE FORT .......................................................................41

CHAPITRE VI
DEUXIÈME JOUR ...........................................................................................................53

CHAPITRE VII
LES SUITES D’UNE IMPRUDENCE ...............................................................................61

CHAPITRE VIII
MAIN DE FER ET GANT DE VELOURS ........................................................................71

CHAPITRE IX
DEUXIÈME ASSAUT DES SAUVAGES ...........................................................................79

CHAPITRE X
RÊVE DÉÇU ....................................................................................................................90

CHAPITRE XI
LA GRATITUDE D’UN SAUVAGE .................................................................................99

CHAPITRE XII
LA DÉLIVRANCE ........................................................................................................ 108

CHAPITRE XIII
LE MARIAGE DE MADELEINE .................................................................................. 122

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