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Séance 3 : Dénoncer une injustice (3 heures)

Support : lettre ouverte d’Emile Zola, « J’accuse »

En 1894, le capitaine Dreyfus est accusé d'espionnage au profit de l'Allemagne après une enquête et un
procès expéditifs.
Il est dégradé, déshonneur suprême pour un militaire, puis condamné au bagne à vie.
Il ne cesse de clamer son innocence, et en 1896 le nouveau chef du renseignement en apporte la preuve, mais
n'est pas écouté. Un faux document est même fabriqué, ce qui est révélé après le « J'Accuse ».
Les partisans de Dreyfus deviennent nombreux, et un dossier solide est monté. Il faut lui donner de la
visibilité. En 1898, Zola publie, dans le journal L'Aurore, « J'Accuse ». Sa portée est immense. Émile Zola
est un écrivain très célèbre au moment de cette affaire. Sans être proche du régime, il est républicain. Il vient
de terminer le cycle des Rougon-Macquart. Après l'article, il est traduit en diffamation et condamné. Il
s'exile jusqu'à la révision du procès en 1899. Le 5 octobre 1902, il meurt asphyxié dans son appartement.
Dreyfus est réhabilité en 1906.
Lettre à M. Félix Faure,
Président de la République
[…]
Mais cette lettre est longue, monsieur le Président, et il est temps de conclure.
J’accuse le lieutenant-colonel du Paty de Clam d’avoir été l’ouvrier diabolique de l’erreur
judiciaire, en inconscient, je veux le croire, et d’avoir ensuite défendu son œuvre néfaste,
depuis trois ans, par les machinations les plus saugrenues et les plus coupables.
J’accuse le général Mercier de s’être rendu complice, tout au moins par faiblesse d’esprit,
d’une des plus grandes iniquités du siècle.
J’accuse le général Billot d’avoir eu entre les mains les preuves certaines de l’innocence
de Dreyfus et de les avoir étouffées, de s’être rendu coupable de ce crime de lèse-
humanité et de lèse-justice, dans un but politique et pour sauver l’état-major compromis.
J’accuse le général de Boisdeffre et le général Gonse de s’être rendus complices du
même crime, l’un sans doute par passion cléricale, l’autre peut-être par cet esprit de corps
qui fait des bureaux de la guerre l’arche sainte, inattaquable.
J’accuse le général de Pellieux et le commandant Ravary d’avoir fait une enquête
scélérate, j’entends par là une enquête de la plus monstrueuse partialité, dont nous avons,
dans le rapport du second, un impérissable monument de naïve audace.
J’accuse les trois experts en écritures, les sieurs Belhomme, Varinard et Couard, d’avoir
fait des rapports mensongers et frauduleux, à moins qu’un examen médical ne les déclare
atteints d’une maladie de la vue et du jugement.
J’accuse les bureaux de la guerre d’avoir mené dans la presse, particulièrement dans
L’Éclair et dans L’Écho de Paris, une campagne abominable, pour égarer l’opinion et
couvrir leur faute.
J’accuse enfin le premier conseil de guerre d’avoir violé le droit, en condamnant un accusé
sur une pièce restée secrète, et j’accuse le second conseil de guerre d’avoir couvert cette
illégalité, par ordre, en commettant à son tour le crime juridique d’acquitter sciemment un
coupable.
En portant ces accusations, je n’ignore pas que je me mets sous le coup des articles 30 et
31 de la loi sur la presse du 29 juillet 1881, qui punit les délits de diffamation. Et c’est
volontairement que je m’expose.
Quant aux gens que j’accuse, je ne les connais pas, je ne les ai jamais vus, je n’ai contre
eux ni rancune ni haine. Ils ne sont pour moi que des entités, des esprits de malfaisance
sociale. Et l’acte que j’accomplis ici n’est qu’un moyen révolutionnaire pour hâter
l’explosion de la vérité et de la justice.
Je n’ai qu’une passion, celle de la lumière, au nom de l’humanité qui a tant souffert et qui
a droit au bonheur. Ma protestation enflammée n’est que le cri de mon âme. Qu’on ose
donc me traduire en cour d’assises et que l’enquête ait lieu au grand jour !
J’attends.
Veuillez agréer, monsieur le Président, l’assurance de mon profond respect.
1. Lecture du paratexte et du texte. Impressions.

2. Dégager la spécificité du texte. Pour cela, répondre aux questions suivantes :

Quoi ? Le thème : le sujet abordé par le texte.


Dénonciation d’une erreur judiciaire.
Le genre : lettre ouverte = texte d’idées.
Il s’agit d’un texte engagé.

Qui ? L’énonciation : qui parle ? À qui ?


Emile Zola parle en son nom, au président de la République Félix Faure et aux lecteurs du
journal L’Aurore.
Les personnages évoqués : il s’agit de personnes réelles, militaires, experts en écriture,
journalistes. Certains sont nommés par leur nom.

Quand ? Il s’agit d’une lettre écrite en temps réel et parue le 13 janvier 1898.

Comment ? La tonalité du texte : polémique.


La structure du texte : construction très logique, argumentative : série d’anaphores et
conclusion. Phrases affirmatives, utilisation du présent d’énonciation. Formule de
politesse liée à la lettre. Hyperboles...

Pourquoi ? = visée du texte. Dénoncer.

3. Les mouvements du texte


Annonce de la conclusion de la lettre.
Série d’anaphores de la ligne 2 à 25 : énumération de tous les gens que Zola tient
coupables de cette injustice.
L. 26 à 28 : rappel de Zola quant aux risques qu’il prend.
L ; 29 à 35 : justification de sa démarche.
L. 36 : Position de Zola.
Formules de politesse.
Progression dramatique du texte qui se termine par des paroles enflammées. Phrase
exclamative, ton grandiloquent.

4. Construction d’un plan qui répond à une problématique.


La problématique est une question sur le texte. Qu’est-ce que je veux montrer ?
Le plan est l’organisation de votre lecture du texte. Il doit faire ressortir les grands enjeux
que vous aurez relevés. Il comporte deux ou trois parties.
On appelle sous-partie un paragraphe de commentaire. Un paragraphe correspond à une
idée.

Proposition de problématiques :

Comment Zola construit sa stratégie argumentative ?


En quoi ce discours démontre-t-il l’éloquence de Zola ?
Comment Zola universalise-t-il une erreur judiciaire ?

I Une accusation précise et assumée


A La situation d’énonciation
B La thèse de l’auteur
C La conscience des risques encourus
II Une progression dramatique
A La force du discours
B Une éloquence au nom des valeurs universelles
C Un homme seul contre tous

5. Rédaction d’un paragraphe.


Commencer par un alinéa.
Un paragraphe comporte une idée. Il correspond à une sous-partie.
Annonce de l’idée directrice : De plus, en outre, mais encore, ensuite, également, d’autre
part , de surcroît, qui plus est...
Justification de cette idée : citation, procédés, analyse. En effet (au début d’une phrase),
puisque X le souligne, comme X le met en valeur, car X prouve que...
Conclusion partielle qui prouve que l’idée annoncée a été démontrée. Ainsi, en somme,
pour conclure, finalement, donc...

6. Rédaction de l’introduction.
Présentation du contexte, de l’auteur, de l’oeuvre, de l’extrait.
Annonce du projet de lecture ou problématique (analyser, étudier, montrer, voir, travailler
sur)
Annonce du plan.

Rédaction de la conclusion.
Rappel des grandes idées évoquées et ouverture vers un autre texte qui traite du même
sujet ou qui soutient un point de vue opposé.

Correction.

Analyser et interpréter
Complétez le tableau suivant pour étayer une de vos hypothèses de lecture : ……………
……………………………………………………………………………………………………….

Citations et relevés (mots, Procédés (lexique, figures Interprétations (effets que


expressions, courts de style, faits de langue) les procédés produisent,
passages) intention qu’ils révèlent)
Rédaction de l’introduction :

En 1894, le capitaine Dreyfus est accusé d’espionnage puis dégradé et condamné au


bagne après un procès expéditif. Emile Zola va lui prêter main forte le 13 janvier 1898 en
publiant dans le quotidien L’Aurore une lettre ouverte intitulée « J’accuse ». Au travers de
ce pamphlet, l’écrivain s’expose publiquement afin d’être traduit en diffamation et de
relancer le procès de Dreyfus. Le passage que nous étudions est la conclusion de ce
célèbre article. Comment Zola met en place sa stratégie argumentative ? Après avoir
analysé l’accusation, nous montrerons que cette conclusion s’appuie sur une progression
dramatique.

Rédaction de la première partie :

Zola s’appuie sur une accusation claire et précise. En effet, la situation d’énonciation est
limpide. L’auteur parle en son nom ainsi que le montre l’utilisation régulière du pronom
personnel « je ». Il donne l’état civil précis des dix personnes qu’il accuse, que ce soit des
militaires comme le « lieutenant colonel du Paty de Clam » (l. 2), le « génaral Mercier » (l.
5) ou des civils comme les « experts en écriture, les sieurs Belhomme, Varinard et
Couard » (l. 16). Il n’oublie pas de nommer les journaux incriminés : « L’Eclair » et
« L’Echo de Paris » (l. 20). Les faits sont évoqués, le « premier conseil de guerre » ainsi
que le « second » (l. 22-23). Et il rappelle que c’est lui même qui décide de s’exposer en
utilisant l’adverbe « volontairement ». L’emploi du présent d’énonciation ancre le texte
dans le réel. La situation est donc claire. Il s’agit d’une lettre au Président Félix Faure,
comme le rappellent l’entête et la formule de politesse, une lettre qui est une accusation
publique.
La thèse défendue est explicite. Zola utilise l’anaphore «J’accuse » huit fois, elle donne
d’ailleurs son nom au titre de l’article. Cette anaphore met en valeur la conviction très forte
de l’auteur. Selon lui, Dreyfus a été condamné après un procès truqué. Il développe ainsi
de façon pédagogique le déroule des faits et liste ses arguments. Le champ lexical du
mensonge domine la première partie du texte : « erreur judiciaire » (l. 3), « machination »
(l. 4), « rapports mensongers » (l. 17) et s’oppose de façon antithétique au thème de la
vérité qui s’impose à la fin de l’argumentation : « vérité », « justice » (l. 32). Pour Zola, le
capitaine Dreyfus doit être réhabilité.
Zola, enfin, a conscience des risques encourus, il y fait référence précisément : « je
n’ignore pas que je me mets sous le coup des articles 30 et 31 de la loi sur la presse du
29 juillet 1881 » (l. 26-27). Et il présente son écrit comme un acte volontaire, utilisant les
verbes d’action « je m’expose » (l. 28) et « j’attends » (l. 36). Il met ainsi en évidence la
gravité de l’accusation qu’il porte et par là même, le courage dont il fait preuve.
Cependant, Zola est un écrivain et il sait capter l’attention de son public. Il va ainsi
installer dans sa lettre une progression dramatique.

Rédaction par chaque élève de la suite du commentaire. Relever les écrits.

Correction à la séance suivante.

Rédaction de la conclusion :

En somme, par le biais de cette lettre ouverte, Emile Zola met en place une stratégie
argumentative efficace et spectaculaire qui restera dans les mémoires de tous et aidera à
la médiatisation de cette erreur judiciaire. Son accusation et claire et assumée ainsi que la
dramatisation de l’ensemble captent l’attention des lecteurs à travers les siècles. Un de
ses contemporains, écrivain engagé lui aussi, utilisera les mêmes procédés pour défendre
des causes célèbres telles que l’abolition de la peine de mort. Il s’agit de Victor Hugo.
Avec d’autres, ils seront à l’origine de ce que l’on appelle les intellectuels.

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