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CHAPITRE III de Candide

Voltaire (François-Marie Arouet)

Le texte dont je vais vous parler est le chapitre III de Candide ou l’Optimisme, paru en 1759, de
Voltaire, né en 1694 et mort en 1778.

I. Introduction
Voltaire est, on peut le dire, l'homme de son siècle, par sa longévité. Il a en effet connu les
règnes de Louis XIV, Louis XV, et même Louis XVI. Son œuvre est très diversifiée grâce à sa grande
productivité : il touche à la Poésie, au Théâtre, aux essais philosophiques et écrits plus de 2000 lettres.
Cependant, il a été majoritairement reconnu pour ses comptes philosophiques, que Voltaire lui-même
appelait ses couillonnades.
Voltaire garde une certaine unité dans son œuvre qui tourne autour de l'Homme, et de la
destinée. Il se bat également pour ses idées et s'exclame J'écris pour agir. Ses combats convergent
tous vers la tolérance, qui est la réponse à toutes les injustices.
Sa conception du bonheur est la recherche du progrès, il a horreur de la métaphysique car il
préfère une philosophie pratique et non théorique ou abstraite.

Les 2 principaux contes philosophiques de Voltaire sont : Zadig ou la destinée et Candide


ou l'Optimisme. Candide est l'occasion pour Voltaire de déployer une mosaïque de tous les malheurs
possibles. Le conte est un véritable défi, une contradiction avec l'incipit et le titre.

La démarche de Voltaire est intéressante. Candide vient de sortir du château. Son premier
contact avec la réalité du mal est la guerre, un des pires fléaux de l'humanité. Voltaire ne ménage pas
son personnage en le confrontant directement à ce qu'il y a de pire. Le conte est écrit en 1758 alors que
l'Europe est en guerre depuis 1756 à cause de rivalités coloniales. C'est un véritable déchirement pour
Voltaire qui apprécie beaucoup la Prusse et le Royaume-Uni, pays affrontés par la France, l’Autriche
et la Russie.
D’un point de vue philosophique, la guerre pose deux problèmes : tout d’abord elle est une
insulte à l’homme et réveille en lui la part animale mais c’est également considéré comme une
aberration car toute sa vie, l’Homme construit et aime et une guerre détruit ce que l’Homme a
construit et sépare les familles.
La guerre est un thème très présent dans la littérature et l'un des textes les plus forts est celui
de Voltaire, qui choisit d'exposer son héros d'apprentissage à une série de chocs dont la guerre. Elle est
le premier choc que reçoit Candide qui vient de quitter le château du baron de Thunder-ten-tronckh et
d'être enrôlé dans l'armée bulgare.

La guerre décrite par Voltaire oppose les Bulgares et les Abares, peuple mongol qui envahit
l'Europe orientale au ler millénaire. Les mots sont particulièrement bien choisis: bulgares et abares
forment « barbares ».

II. Lecture
Nous ferons de ce texte une étude linéaire, mais avant de poursuivre, je vais vous en faire la
lecture.
III. Plan
Au regard de l’enjeu de ce texte, nous ferons une étude en 2 axes.

Nous verrons tout d’abord la guerre découverte par Candide, puis la guerre dénoncée par
Voltaire.

IV. Développement

1. La guerre découverte par Candide


Passons donc au premier axe, la guerre découverte par Candide.

A. Un jeu de soldats de plombs


Dans la première partie, Voltaire adopte le point de vue naïf de Candide par une focalisation
interne.

Candide se comporte en spectateur. Pour lui, la guerre est avant tout esthétique sur trois plans:
visuel, auditif et stratégique.
Sur le plan visuel, la mise en scène est soignée et la prise de vue est panoramique. Les armées sont
esthétiquement très imposantes et belles : rien n'était si beau, si leste, si brillant, si bien ordonné l.1.
L'émerveillement du héros est souligné par les « si ».
Auditivement, Candide entend un véritable orchestre, un concert d'instruments joyeux et
impressionnant.
Sur le plan stratégique, les armées sont organisées et agissent chacune leur tour : d'abord 14, ensuite
1.4, aussi l.6. Le plan se resserre : les canons l.13 laissent place à la mousqueterie 1.5 qui cède l'action
à la baïonnette l.6.

Le tout est cautionné religieusement. Les opposants chantent des Te Deum l.10. La scène a un
côté mécanique, les soldats tombent comme des automates. De plus, les chiffres sont très
approximatifs : à peu près six mille hommes de chaque côté l.4, environ neuf à dix mille coquins,
quelques milliers d'hommes l.7, le tout pouvait bien se monter à une trentaine de mille âmes 18.

B. Vu par un Candide admiratif


Cette partie de soldat de plombs atterrit dans l’œil d’un Candide admiratif.

La guerre a un aspect héroïque, Candide est admiratif et fasciné. On a l'impression d'assister à


une sorte de spectacle à cause du détachement du héros. Dans la deuxième partie du texte, les verbes
dominent et sont un simple constat : était l.13, regardaient l.15, tenaient l.15, rendaient l.17, avaient
l.21. Candide enregistre les faits sans réagir.

C. Qui reste l'élève de Pangloss,


Cependant, celui-ci reste sous l’emprise de la philosophie optimiste de son ancien maître.

Candide semble débarrasser la guerre de son horreur car celle-ci est justifiée. Elle ôte ce qui
dérange sur la terre et fait un nettoyage nécessaire et bienvenu. Elle rend service ôta du meilleur des
mondes environ neuf à dis mille coquins qui en infectaient la surface l.5-6, la raison suffisante 1.6. Les
termes repris sont ceux de la philosophie de Leibniz. La guerre peut donc être utile.
Face à celle-ci, Candide se cacha l.9, puis il prit le parti d'aller raisonner ailleurs des effets et
des causes l.11. Enfin, il s'enfuit au plus vite. Le héros déserte et nous permet de remarquer deux de
ses caractéristiques. Il s'enfuit ce qui est un réflexe sain par rapport à la situation ; en effet, dans
l'incipit, Candide a le jugement assez droit avec l'esprit le plus simple. Il reste l'élève de Pangloss ; il
est incapable de regarder la réalité en face.

Voltaire ne semble pas vouloir valoriser son personnage éponyme. Candide n'a pas l'étoffe d'un
héros, il est l'anti-chevalier par excellence. Le lecteur se demande quel est le but de Voltaire puis
comprend qu'il y a une autre intention de la part de l'auteur.

2. La guerre dénoncée par Voltaire


Passons désormais à la deuxième partie : comment Voltaire dénonce la guerre.

A. L’horreur de la bataille
Voltaire est très présent dans ce passage par l'ironie. Le lecteur doit réussir à percevoir les
indices et les comprendre.

Lors de la bataille entre les armées, l'ordre est poussé jusqu'à la caricature: si leste, si brillant,
si bien ordonné l.1. L'harmonie auditive est très particulière voire bizarre, telle qu'il y en eut jamais en
enfer l.13. Dans ce joyeux concert, un intrus, indice d'ironie, se retrouve. Le lecteur se demande ce que
les canons font ici. L'adverbe d'intensité si produit une exagération ironique pour marquer l'identité de
comportement des deux armées. Chacune chante des Te Deum dans son camp, on ne sait pas qui a
gagné.

L'auteur dénonce dans ce chapitre le côté mécanique de la guerre, alors que son personnage
éponyme le trouve beau. Les armes sont ainsi les sujets des verbes: les canons renversèrent l.3, la
mousqueterie ôta l.5, la baïonnette fut l.6. Les humains ont totalement disparu, de plus, l'action devient
très rapide car les temps des verbes ont changé, le passé simple a remplacé l'imparfait.

De plus, les très nombreux morts de l'hécatombe causée par la guerre restent chiffrés
approximativement. Voltaire utilise des hyperboles qui font fonctionner les chiffres par milliers : à peu
près six mille hommes de chaque côté l.4, environ neuf à dix mille coquins l.5, la mort de quelques
milliers d'hommes l.7, une trentaine de mille âmes l.8.

Voltaire se moque de son héros sans aucune retenue ainsi que du manque de courage des
philosophes. En effet, Candide tremblait comme un philosophe l.8.

Il aboutit enfin au terme de boucherie héroïque l.9. Le mot boucherie fait référence à une idée
d'abattoir où les animaux, condamnés, sont tués systématiquement les uns après les autres.
L'individualisme n'y existe pas.

B. L’horreur encore plus grande après la bataille


Voltaire montre un aspect de la guerre encore pire dans la suite du texte.

Les conséquences du combat sont encore pires que le combat entre les soldats lui- même car
elles frappent des innocents. Le registre épique passe à un réalisme insoutenable. Voltaire fait allusion
à la réalité de la guerre à cette époque. Les vainqueurs avaient le droit de brûler, piller, disposer de la
population comme ils le voulaient. Tout cela était non officiel dont l'ironie de l'expression selon les
lois du droit public 1.14. Les victimes sont les femmes, les jeunes filles, les enfants et les personnes
âgées.
L'ordre initial, si bien ordonné l.1, a complètement disparu. La seule indication donnée est le
terme tas l.12 qui fait écho à une quantité importante et au désordre. Tout espoir de vie a disparu, tous
les êtres humains sont morts ou en train de mourir De plus, la guerre a tout détruit, les villages sont en
cendres l.13 et brûlé l.14.

A partir de la ligne 14, le réalisme de la scène va s'accentuer. Voltaire va s'attarder sur les
différentes victimes et propose une série de gros plans. Il s'attache surtout à montrer des êtres sans
défense: les vieillards l.14, leurs femmes l.15, leurs enfants l.15 et les filles qui ne font pas la guerre. Il
insiste sur le traitement horrible qu'ils subissent. Le réalisme est insoutenable car les détails
anatomiques, normalement utilisés en euphémismes, sont décrits de manière très crue : égorgées l.15,
mamelles sanglantes l.16, éventrées l.16.

Le participe passé en -é et la redite du mot et donne une impression de répétition et de nausée


jusqu'à l'égarement. L'horreur est à la fois physique, criblés de coups l.14, et morale, regardaient
mourir leurs femmes égorgées, qui tenaient leurs enfants l.15.

La souffrance des jeunes filles est également particulièrement horrible. Elles subissent des
violences physiques ainsi que des viols. Elles sont à demi-brûlées, la cruauté des combattants est
insoutenable. Le désordre est difficile à imaginer.
Voltaire termine enfin sur un gros plan sur les cervelles. L'imagination du lecteur est saturée d'horreur,
il est au bord de l'écœurement.

C. L’absurdité de la guerre
Voltaire a montré l'horreur de la guerre pour insister sur son absurdité.

Tout d'abord, on ne distingue absolument pas les deux camps. Au début, ils sont même
confondus : six mille hommes de chaque côté l.4, chacun dans son camp l.10-11. Ils ont d’ailleurs les
mêmes morts. Puis, ils commettent les mêmes atrocités, les mêmes actions : Candide s'enfuit au plus
vite dans un autre village il appartenait à des Bulgares, et les héros abares l'avaient traité de même
l.20-21.

La réciprocité des deux camps dénonce l'absurdité de la guerre, l'enjeu de celle-ci est d'ailleurs
inconnu. Ils ont tous deux perdu des vies humaines, leur dignité et leurs villages sont détruits. Le
lecteur ne sait pas du tout qui à gagner. Le conte devient donc une réelle dénonciation. Les Abares
pourraient symboliser les Prussiens et les Bulgares, les Français. Cependant, Voltaire se garde bien de
les identifier clairement. Il garde ainsi son objectivité.
Le conte philosophique, simple « couillonade », devient un pamphlet.

V. Conclusion
Ce texte est particulièrement important au regard du livre. Il s'agit pour Voltaire de détruire
épisode par épisode la vision optimiste de Candide enseignée par Pangloss : Comment ose-t-on penser
que tout va bien quand tout va mal ? Le premier fléau auquel est confronté le héros est le pire. Devant
ce choc, Candide prend la fuite ce qui représente la démarche de tout le conte.

Voltaire fait l'inventaire de toutes les formes du mal. Dans ce chapitre, il s'agit pour lui de
dénoncer une nouvelle fausse valeur, l'héroïsme guerrier. Le philosophe croit que dans tout guerrier
sommeille un boucher. C'est une dénonciation très dure et dérangeante.

La guerre est une barbarie contraire au progrès de la civilisation. Elle est opposée à la valeur
suprême de Voltaire, la tolérance. La réussite de ce texte est de remplir la définition d'apologue:
Placere et Docere. Les faits que raconte Voltaire sont souvent dépassés mais en revanche, la démarche
est toujours d'actualité.
VI. Ouverture
Ce texte n’est pas sans faire penser à ce tableau de Picasso, intitulé Guernica et réalisé en 1937.
Il représente le bombardement de la ville espagnole de Guernica, survenu le 26 avril 1937. Il
avait été ordonné par les Allemands, afin de tester leurs bombes. (1ere injustice).

Ce tableau est extrêmement grand (349× 776 cm) et d’une très allongée. Cela lui donne l’air
d’un couloir, étouffant. On remarque des petites allusions aux anciennes méthodes de combat, grâce à
l’épée (qui est d’ailleurs brisée, signe d’impuissance) et au cheval, utilisé autrefois dans les combats.
Cependant, ici, un autre moyen de donner la mort (parce que pour Picasso, c’est inévitablement le seul
but de la guerre) est présenté : le bombardement. La mort vient ainsi du ciel, et est donc inévitable.

Ce tableau fait penser à la deuxième partie du texte, à partir de la ligne 10, où Candide fait
face aux dégâts de cette guerre. On peut d’ailleurs observer des similitudes : des bras et des jambes
coupées ligne 19, ainsi que sur la gauche une femme mourante portant son enfant à bout de bras,
faisant penser aux femmes égorgées, qui tenaient leurs enfants à leurs mamelles sanglantes.

Il y a également au centre de l’image, deux lampes, représentant peut-être un signe d’espoir


pour l’humanité. Cependant, le peintre n’y croit plus. En effet, il a choisit de représenter ce tableau
avec un refus des couleurs, pour montrer son opposition à ces guerres inutiles, et destructrices.

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