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Chapitre 1

La mission d'Isobel
Isobel traversait le couloir à grands pas, ses bottes ferrées cliquetant sur les dallages quand
une voix la héla. La jeune femme n'eut guère besoin de se retourner pour savoir qui mandait
son attention - Gaston. Elle réprima un soupir et, tout en continuant d'avancer, répondit d'une
voix forte où s'exprimait son agacement :

« — J'ai à faire, Gaston, sois bref !

— Ne vas pas si vite, voyons, Belle ! Attends-moi ! » supplia la voix masculine derrière elle.

Elle vit vaguement sa silhouette qui se précipitait, tandis qu'elle tournait vers l'aile Ouest. Il la
rattrapa et elle fût futilement contente de le voir haletant, peinant à maintenir son allure
rapide et déterminée. Malgré sa longue robe - qu'elle avait cependant modifié, constatant
que les uniformes de l'Académie n'étaient guère pratiques - elle était certaine d'être plus
agile et véloce que Gaston, même s'il portait une tenue dont elle rêvait pour sa simplicité -
pantalon ample, grandes bottes solides, chemise de coton et veston de cuir aux armes de
l'Académie.

« — Je me disais : est-ce que tu serai intéressée par ...

— Non.

— Mais tu ne sais pas ce que j'allais proposer, s'insurgea Gaston en braquant sur elle son
regard bleu comme la glace. Certaines des camarades d'Isobel le trouvaient charmant, mais
pas elle - le physique était somme toute ordinaire, les muscles bien présents mais le cerveau
baignait dans un bain d'arrogance qu'elle avait du mal à supporter.

— Qu'allais-tu proposer ? s'enquit-elle, venimeuse sous le ton mielleux.

— Un verre, ce soir, toi et moi. Je dispose de mon temps, à présent que j'ai terminé ma
mission à SommeBois.

— Et les rumeurs t'ont précédées, mon bon Gaston. Ainsi, tu n'aurais pas qu'accepté la
somme qui t'était due, tu aurais de plus incité la jeune princesse victime du sortilège à être
plus reconnaissante que nécessaire ?

— Elle était tout à fait consentante, et si tu te laissais aller, tu saurais combien je peux être
doux et tendre ; Aurore n'a rien regretté, je puis te l'assurer, ronronna t-il, le regard brillant de
convoitise.

— Eh bien, à présent que tu as eu le temps d'exprimer ta proposition, je te laisse méditer à


ma réponse négative. »

En disant cela, elle avait pénétré par une porte de bois épais sous une arche et lui avait
claqué l'huis au visage avec une bouffée de soulagement. Isobel poussa le vice à enclencher
le verrou, même si elle doutait que Gaston tente de pénétrer de force dans la bibliothèque de
Sire Rochefort. Elle se glissa entre les tables d'étude, ressentant cette admiration teintée de
respect pour les lieux où elle étudiait - et où elle passerait toute sa vie, tant qu'elle ne serait
pas en mission, et tant qu'elle vivrait. Ce qui ne durerait guère longtemps ; l'Académie
formait les Chasseurs de Monstres dont l'espérance de vie dépassait rarement la
quarantaine. Mais Isobel venait d'une famille reconnue pour former les meilleurs ; son propre
père, Maurice, était encore Chasseur à l'âge vénérable de cinquante quatre ans. Certes, il
passait à présent plus de temps à enseigner aux jeunes qu'à chasser lui-même les fauves
surnaturels. Mais cela convenait à Isobel : il était plus en sécurité ici, d'autant plus depuis sa
blessure à la jambe dont il conservait une boiterie.

« — Tu es presque en retard » fit une voix masculine ; elle se tourna vers le fauteuil au
dossier large et aux accoudoirs de bois de rose et sourit aux ombres et à Sire Rochefort
installé confortablement là où on ne pouvait le voir.

Avec un sens de l'à propos, comme s'il lisait dans ses pensées, il avança le fauteuil presque
sans bruit, dévoilant son visage sombre aux nombreuses cicatrices. Alors qu'il souriait à son
tour, la cicatrice sur sa joue étira quelques ridules, mais s'il n'était plus aussi séduisant
qu'autrefois, ses yeux pétillaient toujours de cette même lueur malicieuse. Isobel alla
s'asseoir sur le tapis face à lui dans leur posture préférée - de maître à élève. Elle repoussa
sa tresse de cheveux aux nuances de bruns, épousseta sa robe et plia les genoux sous elle,
ressemblant à une petite fille plutôt qu'à une jeune femme adulte depuis peu.

« — Gaston m'a retenue, murmura t-elle à contrecœur, rougissant quand son mentor éclata
de rire.

— S'il n'est pas le meilleur Chasseur que je connaisse, loin de là, et il eut une œillade
appréciatrice vers Isobel, on peut reconnaître à ce jeune homme la ténacité de la jeunesse.

— Qu'importe Gaston, maître. Je suis là comme vous m'aviez mandé dans votre missive.
Que puis-je pour vous ? »

Rochefort massa son menton couvert d'un chaume où se mêlaient le poivre et le sel à sa
couleur sombre habituelle. Isobel l'observa calmement, attendant que son maître mette de
l'ordre dans ses idées. Guillaume de Rochefort n'était pas homme à parler sans peser
scrupuleusement ses mots avant. Ils savaient tous, à l'Académie, le poids des mots et leurs
conséquences - la magie tirait après tout sa force de beaucoup d'éléments, mais surtout du
rythme et du langage.

« Souhaites-tu du thé ? » demanda soudainement son maître en se levant.

C'était si inhabituel qu'Isobel accepta d'un geste de la tête avant d'avoir réellement fait son
choix. Rochefort attrapa une bouilloire de fer forgé et la mena jusqu'à la cheminée qui servait
de chauffage en hiver ; quelques braises y rougeoyaient encore, preuve pour Isobel que son
maître avait passé au moins la journée dans la bibliothèque. Une carafe d'eau fût vidée et
l'eau ne tarda pas à chanter délicatement, et quand Rochefort eu jeté les herbes, une
délicate odeur fleurie se répandit à travers les tables d'études, les fauteuils et les hautes
étagères jusqu'à la voûte de pierre et ses vitraux. Isobel regarda la nuit qui assombrissait la
pièce ; des bougies permettaient à l'obscurité de ne pas être totale. Par un jeu de lumière dû
aux étoiles ou à la lune, les vitraux formaient des jeux d'ombres et de clarté sur les vieilles
pierres de l'ancienne église reconvertie en académie pour chasseur de monstres.
« Moi aussi, après toutes ces décennies, je continue à poser un regard innocent sur la
beauté de ce lieu. »

Elle accepta la remarque et la tasse de thé avec un nouveau sourire et se brûla la langue en
avalant trop rapidement une gorgée. Puis, elle attendit de nouveau, soufflant sur le breuvage
trop chaud, la mine curieuse. Quelques mèches s'étaient échappées de sa longue tresse et
chatouillaient ses oreilles et sa nuque. Son corset l'enserrait un peu trop et lui faisait le dos
douloureux, et elle regrettait parfois de ne pouvoir se vêtir à l'Académie comme elle le
désirait - en homme, la plupart du temps, car c'était là plus simple et plus pratique. Toute à
ses pensées, elle avait le regard rêveur posé sur le tapis aux arabesques antiques et
fantastiques.

« — Bien, je ne me trouve plus aucune excuse pour tergiverser. Isobel ? M'écoutes-tu ?

— Oui, Maître, répondit-il avec un petit sourire amusé face à la répartie de son mentor.

— Bien, répéta t-il, et son visage sage prit une mine sévère et déterminée. J'ai une mission à
te confier. Et elle me vient de très haut dans notre Ordre. Je ne souhaites pas rester obscur,
alors saches que c'est une mission pour connaître à la fois le niveau de tes compétences et
tes aptitudes à obéir aux Ordres des Anciens Traqueurs. Tu sais que l'Académie possède
une hiérarchie complexe, et que la plupart des examens voient les étudiants réussir ou
mourir. C'est ainsi - notre monde est peuplé de créatures dangereuses, et il est de notre
devoir de les traquer et de sauvegarder le peuple innocent. »

Isobel hochait la tête ; elle était déjà au courant de ce qu'était l'Académie, mais Rochefort
semblait tenir à coeur de lui faire ce petit sermon. Peut-être lui était-il parvenu aux oreilles
les quelques déboires ou accrochages d'Isobel avec des camarades, ou sa propension à
n'en faire qu'à sa tête. Si elle n'avait pas été aussi douée, elle aurait sûrement été renvoyée
depuis longtemps, sans doute.

« — Connais-tu la petite ville de Fauvétang ?

— Je crois. Elle n'est pas située près d'une rivière - la Froide, non ? Derrière de petites
montagnes ? Près de ... De RocheVieille, non ?

— Roche-Antique, oui. C'est bien ça. Le voyage durera sûrement plusieurs jours, mais je
sais que tu ne dédaignes jamais une bonne chevauchée avec Philibert, fit Rochefort avec un
amusement plein d'affection.

— Ma mission est là-bas ? s'enquit Isobel, curieuse, désirant en savoir plus.

— J'y venais. Ta mission est de traquer, s'il les rumeurs disent vrai, la bête qui a asservi les
environs. Roche-Antique vit dans la peur, tout comme les petits villages le long de la route
commerciale, mais il s'agit surtout de Fauvétang : leur population diminue, car il semblerait
qu'ils offrent leurs jeunes à chaque solstice d'hiver depuis quelques années. Mon espion m'a
donné les informations suivantes : huit jeunes ont été offerts, ces huit dernières années.
Cinq filles, trois garçons ; tous proches de l'âge adulte. Les villageois auraient reçu la
menace suivante : s'il s'avérait qu'ils se rebellent, tentent quoi que ce soit contre le maître du
château, ou qu'ils refusent d'offrir leurs héritiers, la paix serait rompue. Et mon espion parle
d'une bête, d'une créature surnaturelle. Et tu connais Zip - il a beau être impulsif, il a de bons
yeux et on peut lui faire confiance.
— Zip est donc sur place. Cela me fera un allié et ...

— Non. Si tu pourras compter sur ses renseignements, tu seras seule sur cette mission,
Isobel. »

Elle se tut et avala une longue gorgée de son thé à présent tiède. Isobel classait les
informations, comme on lui avait apprit à faire. Si Zip disait que le surnaturel travaillait dans
le coin, elle ne doutait plus que cela soit véridique. Le petit chasseur était un espion de
grande qualité, au point qu'il était devenu celui attitré de Rochefort et qu'il l'envoyait parcourir
les régions les plus dangereuses et les plus reculées.

« — Ai-je l'autorisation du niveau rouge ? demanda t-elle finalement.

— Oui, mais nous te faisons confiance pour faire selon la situation. »

Certaines créatures n'étaient pas obligatoirement mauvaises et il n'était pas forcément bon
de les éliminer ; au contraire, il était déjà arrivé que des Chasseurs n'aient pas l'autorisation
appropriée pour s'occuper d'une créature et que leur hésitation leur coûte la vie. L'Académie,
et notamment l'Ordre des Anciens Traqueurs, étaient moins frileux quant à offrir l'autorisation
rouge, à présent - l'autorisation de tuer. Il existait deux autres couleurs : la jaune était la plus
basse, et concernait surtout ceux qui récoltaient les informations, n'ayant pas le droit
d'approcher les créatures qu'ils devaient observer ; la bleue était intermédiaire : les
chasseurs pouvaient approcher la créature, mais il était conseillé de ne pas la tuer car elle
pouvait être utile vivante. L'Académie pouvait utiliser la magie intrinsèque de certaines
créatures, ou encore des organes frais, quand ils n'essayaient pas de soutirer des
informations. Le monde des Chasseurs était loin d'être tout rose. Néanmoins, Isobel était
soulagée : si la situation tournait mal, elle avait la permission d'user de son arme.

« — Quand dois-je partir ? Il me faudrait voir Eshik, pour mon arbalète et mes poignards.

— Tu as la fin de semaine pour préparer tes affaires. Ton voyage est déjà prévu - il te faudra
voir avec Claudette. »

Isobel ne put retenir une grimace - Claudette était l'une des triplées qu'elle mettait dans le
même sac que Gaston, du genre belle fille mais un peu idiote ; pourtant, elle et ses soeurs
continuaient leurs études à l'Académie, preuve qu'elles étaient sûrement douées pour
quelque chose.

« — Es-tu confiante ? demanda finalement son mentor, clôturant le côté officiel de leur
discussion pour les amener sur un terrain plus intime et rassurant.

— Plutôt. Je n'aime pas me vante - je ne suis pas Gaston - mais j'ai foi en mes capacités,
tout comme vous, maître.

— Je crois en toi, Belle. »

Le surnom la fit frémir. Son mentor était un second père pour elle - son père ! Elle songea
qu'elle devrait aller le voir avant son départ. Maurice lui donnerait sûrement nombre de bons
conseils, voire quelques informations qui lui seraient arrivées aux oreilles. Elle ajouta cette
tâche à sa liste qui s'agrandissait au fur et à mesure qu'elle cataloguait ce qu'elle devrait
préparer. La tasse vide dans les mains, elle bailla sans pouvoir s'en empêcher.
« — Tu n'as pas pris exemple du meilleur des maîtres ; depuis combien de temps n'as-tu
pas dormi ?

— J'ai dormi, la nuit dernière, maugréa t-elle.

— Combien de temps ? »

Rochefort éclata de rire devant la mine maussade d'Isobel, puis il se leva et se dirigea vers
une étagère sur laquelle il prit un livre ancien avant de le lui tendre.

« — Je t'ai réservé ceci, si tu as le temps d'étudier quelque chose. Pars te coucher, à


présent ; la nuit est avancée et tu devrais profiter de tes derniers jours pour te nourrir
convenablement et dormir décemment tant que tu le peux. »

Rochefort avait raison. Isobel prit congé après un salut affectueux, et de son pas toujours
aussi déterminé, elle retourna dans l'aile des dortoirs, serrant le livre contre sa poitrine. Sa
robe froufroutait contre ses jambes, son coeur tonnait dans sa poitrine - si certains auraient
été effrayés devant l'ampleur de cette mission, elle n'y voyait qu'un terreau pour son
ambition. Elle ne décevrait pas son mentor et vaincrait ce monstre, quel qu'il soit.

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Philibert s'ébroua, sa crinière voleta autour de sa large encolure ; Isobel le vit qui tourna sa
tête oblongue vers elle et caressa ses naseaux avec tendresse. La forêt dans laquelle ils
marchaient tous deux interdisait à la jeune femme de monter comme elle l'aurait aimé ; elle
laissait tout le loisir à Philibert d'avancer sans avoir son poids sur le dos. La mousse et les
hautes herbes camouflaient pierres, fourmilières géantes et tourbières. Isobel attrapa la
gourde de sa selle et avala une gorgée d'eau tiédie par le voyage. Voilà trois jours qu'elle
avait quitté l'Académie. Elle avait eu le temps de faire ses préparatifs et elle avait visité son
père avec sérénité.

Maurice l'avait accueillie dans sa chambre à l'Académie avec son habituel sourire qu'il ne
réservait qu'à sa fille chérie. Isobel songeait parfois qu'ils n'avaient plus que l'un et l'autre au
monde : sa mère était morte des années auparavant, quand elle n'était encore qu'une petite
fille. Longuement, Maurice avait hésité - puis, la vie rattrapant le Chasseur, lui et Isobel
avaient dû chercher refuge auprès de Rochefort car une créature avait tué la mère d'Isobel,
Candice, et que Maurice requérait de l'aide contre cette chimère. Ainsi, lui et sa fille avaient
de nouveau appartenu à ce monde ténébreux, malgré le vœu pieu de Maurice quand il avait
rencontré Candice de se retirer et de mener une vie normale. A présent Maître Enseignant
sous les ordres du Protecteur - à savoir Rochefort, chef de l'Académie et supérieur de tous
les enseignants - Maurice songeait qu'il avait vécu plus d'années qu'il ne l'aurait cru. Il était
reconnaissant de ce qu'il avait reçu, et si d'autres auraient détesté voir leur unique fille
devenir une guerrière sans peur, il était fier de sa férocité et de sa débrouillardise. Il ne
craignait pas de mourir, car Isobel saurait se remettre de cette épreuve, elle saurait prendre
en charge les rênes de sa vie. De toute façon, elle n'était pas femme à se laisser dire ce
qu'elle devait faire.

Ils avaient bu un peu d'eau-de-vie de mûre de SommeBois, discuté des ragots de l'Académie
ou de la santé de Philibert et de Ronce, le chat de Maurice. Ils avaient tout d'abord
volontairement ignoré la mission d'Isobel, mais vint un moment tangible où ils se mirent à
parler stratégie et bestiaire. Comme elle l'avait imaginé, Maurice donna de bons conseils, sur
quelques tactiques revisitées ou sur quelques bêtes qu'il avait tuées dans les environs de
Fauvétang. Isobel était repartie le coeur léger et la besace pleine de livres offerts par son
géniteur, connaissant ses immenses talents de traductrice et d'analyste. Si Isobel était douée
en combat, elle n'avait aucun égal quand elle faisait des recherches : les livres et les langues
n'avaient aucun secret pour elle, et ses analyses comme ses synthèses étaient incroyables
de pertinence. Rochefort l'avait parfois prise comme assistante pour certains de ses cours
les plus avancés, à la fois par affection et par admiration pour ses compétences. Isobel en
était très fière, devenant même par moments orgueilleuse.

Elle caressa le cuir des livres qu'elle avait glissé dans ses bagages, et retint son envie de
l'instant de s'arrêter pour poser son campement à l'instant, faire du feu et lire avant que la
nuit ne tombe totalement. Mais il ne lui restait plus que quelques heures avant l'arrivée à
Fauvétang ; Zip l'attendait sans doute : Rochefort avait dû envoyer un messager ailé pour
l'avertir de la venue de son amie. Isobel avait hâte de retrouver son comparse. Elle mit moins
de temps à traverser la forêt qui se clairsemait qu'elle ne l'aurait cru ; la soirée tombait à
peine quand ses bottes cliquetèrent contre les pavés clairsemés d'une route. Elle remarqua
les lueurs de bougies et de lanternes, et soudain, les arbres disparurent pour laisser place à
des maisonnées. Il y avait peu de bruit mais il était présent : les grincements de roues de
moulin un peu plus loin, le brouhaha léger de discussions discrètes, quelques bribes de
musique s'élevant de l'auberge au centre de la place. Isobel s'y aventura immédiatement, un
jeune palefrenier à peine adolescent accepta de la monnaie comme dédommagement contre
ses services. Isobel laissa Philibert aux bons soins du garçon et entra dans l'auberge
illuminée dont des vapeurs de nourritures et une lumière dorée s'échappaient.

Elle s'immobilisa, point de mire des regards curieux qui glissèrent sur sa cape brune qui
camouflait mal son armure légère de cuir. Le seul symbole de son appartenance aux
Chasseurs était la broche d'émail noirci et de cuivre sur sa poitrine, affichée avec fierté,
formant un arc tendu sur un coeur stylisé. Comme aimantés, les prunelles se posèrent sur le
bijou puis se détournèrent avec un mélange de crainte et de soulagement - on venait les
aider, on venait leur porter secours, l'Académie et le conseil des Anciens Traqueurs
n'avaient pas été sourds à leurs appels. Isobel reçu avec un sourire la bière offerte par la
maison, commanda un bol de ragoût qu'elle paya comptant, puis s'approcha tranquillement
d'un banc. Si tout ses gestes auraient pu paraître poussés par le hasard, elle échangea
néanmoins un léger sourire avec la forme avachie près d'elle sur le siège ; Zip se releva
alors, presque saoul mais très heureux au vu de son sourire idiot plaqué sur son visage. Il
posa son front sur l'épaule d'Isobel dans la recherche simple de leur complicité ; Isobel but
une gorgée de bière, moins douée que Zip pour être sentimentale et douce. Elle faisait plutôt
dans la sauvagerie, même avec ses amis.

« — Je t'ai attendu, Belle. »

Elle finit sa bière d'une lampée avide, fit un geste vers le tavernier pour indiquer qu'elle
désirait une autre chope puis, après avoir englouti la moitié de son ragout - carottes,
pommes de terre, navets, sauce trop salée, quelques morceaux de viande dure - se tourna
envers vers Zip qui l'observait avec calme. Isobel essuya le bord de sa bouche du dos de sa
main puis sourit d'un air carnassier, satisfaite.

« — Alors n'attends plus et dis-moi tout, mon ami. Que se passe t-il ici ?
— Eh bien entrons dans le vif du sujet. »

Il était rare de voir Zip mal à l'aise, mais Isobel aurait juré voir une certaine gêne dans ses
yeux bruns. Elle hocha la tête vers la chope qu'on vint poser près d'elle ; sa faim à moitié
assouvie, elle délaissa un instant la nourriture car sa curiosité était à présent avivée. Zip se
passa la langue sur les lèvres, ses traits fins et adolescents se crispant sur une
concentration inhabituelle. Il semblait plus jeune encore qu'il ne l'était, ce qui émut Isobel.

« — Je crois que nous avons à faire avec quelque chose de très bizarre. » Isobel haussa les
sourcils, l'invitant à continuer ; le bizarre était leur monde, alors qu'avait pu voir Zip près de
ce village ? « Il y a de la magie dans l'air, et de la mauvaise - je crois que nous avons face à
nous un monstre que nous n'avons jamais vu.

— Cesse de tergiverser et dis-moi ce que tu crois. Je fais confiance en ton instinct.

— Je crois que nous faisons face à un homme transformé en monstre. »

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