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Le Journal d’un Poilu 4

Extraits des carnets de notes de Théode BONVALLET (né le 21/11/1886 à Ravenel - mort le 21/09/1918 à Doiran (Macédoine))

SUPPLEMENT AU BULLETIN « RAVENEL ACTUALITES » N° 67 DE MARS 2015


Dans ses notes, Théode BONVALLET décrit en ramener les hommes qui y sont tombés. souvenir portant l’inscription « Leurs noms
de nombreux cimetières où reposent les C’est ce qui explique l’organisation si demeurent à jamais », est également
soldats tués lors des Batailles d’Artois. En particulière de l’Ecoivres Military Cemetery : présente. Dans ce cimetière sont ainsi
particulier il s’attarde sur celui d’Ecoivres, depuis le carré français en direction de la enterrés 888 Britanniques, 830 Canadiens,
situé au bas de la Commune du Mont Saint Croix du Sacrifice, les soldats, 787 Français, 4 Allemands, 4 Sud-Africains
Eloi. Cimetière militaire situé chemin de majoritairement britanniques et canadiens, et 2 australiens
Bray, au lieu-dit l'Enclos, il a une superficie y ont été inhumés de façon chronologique. .
d'un hectare quarante cinq ares quatre vingt Aux soldats de la 46th (North Midland) Sonnet pour le Centenaire n° 0326
quatorze centiares. Ce cimetière a d’abord Division qui ont assuré la relève en mars Près du mont Saint-Eloi, s’étend un cimetière
été établi par les français (près de 1.000 1916, succèdent ainsi les hommes de la 25th Au pied de sa colline où le passé se voit
Aussi bien qu’en ces tours d’abbaye qui, sans voix
tombes françaises), puis utilisé par les unités Division qui ont subi l’attaque allemande au
Ni discours, disent tout de leur histoire entière…
canadiennes et britanniques entre 1916 et pied de Vimy en mai 1916, puis ceux de la
Cette place, en effet, n’était que l’héritière
1918. Début 1916, l’armée britannique 47th (London) Division tombés entre juillet De celui du hameau qu’Ecoivres se prévoit
relève les troupes françaises dans le secteur. et octobre 1916 et enfin les Canadiens qui Pour enterrer ses morts au fil du lent convoi
Dans le cimetière du hameau d’Ecoivres, au ont péri lors de leurs assaut sur la crête de Du temps se déroulant comme dune côtière…
pied de la colline, ces dernières ont ouvert Vimy en avril 1917. Dans l’enceinte de cette Mais la guerre arrivant, ce « carré » communal
un carré militaire pour inhumer 888 de leurs nécropole, on observe la caractéristique Accueillit tant de corps sur son sol qu’en final
morts, notamment ceux des combats de Croix du Sacrifice des cimetières britan- Il devint militaire et poussa son emprise…
C’est le chemin de fer de combat des Français
1915. Si la voie ferrée toute proche permet niques. Il s’agit d’une croix portant sur sa
Qui le rendit ainsi, grand témoin sans méprise
d’acheminer le ravitaillement sur les zones face une épée de St Georges, pointe tournée
Des relèves d’Alliés condamnées sans procès !
de combats, elle est également utilisée pour vers le bas en signe de deuil. La pierre du
Crédit photo: Internet

Crédit photo: Ravenel Actualités

Le Journal d’un Poilu (4) Page 1


Dimanche 12 septembre 1915 : Mardi 14 septembre 1915 : bas – l’équipe qui suit le remettra en état.
Je dormis un peu et à 4 heures et demie J’ai eu un mal de dent terrible toute la nuit et
j’allais rendre compte du travail au lieutenant. je me fais porter malade. Je vais voir le
Dans le numéro précédent nous
J’employais la matinée à l’amélioration de la dentiste, un spécialiste, à l’ambulance qui me évoquions la mémoire du Caporal
parallèle de Carency et je revins au bivouac plombe la plus mauvaise. Je reviens vers midi Charles Anicet Jérôme DEBOVES, né à Ravenel le
par Villers aux Bois. au bivouac et l’après-midi je m’amuse à faire 16 avril 1879, mort de ses blessures le 1er juillet
Remarques : dans le chemin creux, des poilus un briquet pour Anicet. Je ne monte pas aux 1915 au hameau des quatre vents (Pas de Calais),
ont installé un véritable musée de choses tranchées et me couche de bonne heure. sur la tombe duquel Théode BONVALLET avait
hétéroclites ramassées un peu partout. A Mon mal de dent s’est un peu calmé. Il est porté une fleur. Il était affecté au 1er Régiment
chaque objet il y a une étiquette question que l’on doit partir et l’on nous du Génie. Nous avons retrouvé sa tombe à la
nécropole française de Notre Dame de Lorette
humoristique. Exemple : un bout d’écouvillon complète notre linge. J’ai touché une chemise
(62).
de canon est étiqueté « lunette à grande bien chaude en laine.
distance pour officier myope boche », un Mercredi 15 septembre 1915 :
débris de démêloir : « décrassoir des armées Debout à 5 heures je me promène jusque 8
boches » etc… Ces jours derniers le Général heures et fais quelques lettres. A 11 heures,
Fayolle est passé au cantonnement de en compagnie de deux autres, je vais cueillir
Camblain l’abbé s’adressant aux troupes de la du cresson. Je passe par Frévin-Capelle où se
55ème division et au 289ème d’infanterie et trouve installée une grande ambulance. Le
leur dit à peu près ces paroles : « Soldats de la cimetière, très bien arrangé sur le bord de la
55ème, vous avez déjà beaucoup mérité de la route, contient déjà 140 corps environ. Il y a
Patrie. Je viens pour demander un nouveau et des troupes nombreuses, notamment du 3ème
dernier sacrifice – ou effort ? – il vous faudra corps : 129ème, 74ème, 39éme et le 405ème,
bientôt prendre la côte 119 et cet obstacle beaucoup de compagnies de mitrailleurs. Je
franchi, nous irons jusqu’à Douai, l’arme à la visite l’église sans style ni goût. La route
bretelle ». La côte 119 est celle où se trouve départementale a été élargie d’au moins 2 à 3
le Bois de la folie où l’ennemi a, parait-il, mètres. Je vais à Acq, un assez grand village
beaucoup de canons. Après avoir fait ma bien tenu, épiceries bien garnies où on y
toilette, je mangeais de bon appétit et vers trouve même du champagne. Je vais chez un
7 heures et demie, je me couchais. ami, un ancien pompier mais il est toujours
aux armées. Dans les près, des compagnies de
mitrailleurs : c’est incroyable les quantités qui
s’y trouvent. Avant d’entrer dans Acq il y a
encore une ambulance avec le nom des salles
sur les portes et un dépôt d’éclopés de la
région. La canonnade rage du côté de La
Neuville St Vaast. Nous nous dirigeons sur
(Crédit photo : Ravenel Actualités)
Ecoivres en suivant la rivière : de nombreux
soldats s’y baignent et lavent leur linge. Nous
croisons des détachements de travailleurs qui Samedi 18 septembre 1915 :
reviennent de La Neuville. A Acq il y a aussi Vers 3 heures, je reviens me coucher sur les
plusieurs centaines de morts dans le marches de l’escalier d’un abri parallèle de
cimetière civil mais agrandi (voir photo en Béthune J’étais tellement bien que vers
première page). Arrivés au lieu, nous devons une heure je revenais au parallèle de Carency
cueillir du cresson. Je me mets en tenue bras où je finis mon somme sur une banquette de
et jambes nues et je fais une bonne cueillette bois jusque 8 heures. Il commence à faire
en revenant par le bas du Mont St Eloi. Un froid et les matinées sont très fraîches. La
nouveau cimetière encore plusieurs centaines matinée se passe à de menus travaux
d’ enterrés et à travers champ, nous revenons d’appropriation d’une tranchée et à 13 heures
au bivouac. Je mange une bonne salade et je je reviens et rentre au bivouac bien fatigué. Il
me couche de bonne heure. fait un temps chaud. Duel d’artillerie. Sans
Jeudi 16 septembre 1915 : cesse les avions n’ont pas cessé de part et
A 6 heures, réveil en fanfare : c’est Boucq qui d’autre d’explorer les lignes ennemies. Plus
revient de permission et m’apporte un de 1000 coups de canon ont été tirés sur les
Général Fayolle avions sans résultats. Je me couche et m’en-
(crédit photo "L'illustration" - Album de la Grande guerre 1914- paquet reçu avec grand plaisir. Je suis de jour
1919 aimablement prêté par M. et Mme TIRON )
et j’installe mes équipes. A 11 heures, je vais dors de bonne heure.

Lundi 13 septembre 1915 : manger avec Boucq et l’après-midi au travail. Dimanche 19 septembre 1915 :
Après une nuit excellente, je me levais vers 7 Un combat aérien : résultat nul. Le soir une La nuit fut des meilleures mais manquant de
heures et demie et à 8 heures j’allais avec petite promenade et au pieu. couvertures j’eus froid le matin. Il fait frais
mes hommes à l’école de brêlage (Ecole de Vendredi 17 septembre 1915 : toute la journée. Je ne fais pas grand-chose
différents nœuds) pendant une heure. Levé de bonne heure, je vais laver et que de faire une boite à allumettes et di-
L’après-midi je fis une bague que j’envoyais à confectionner des colis avec les objets que j’ai verses bricoles. Je reste toute la journée au
Ravenel le jour même. Je fis quelques lettres de trop ici puis je me repose. Je fais quelques bivouac. Le soir j’assistai à la descente d’une
et me couchais de bonne heure. lettres et à 17 heures je pars aux travaux « saucisse » ballon d’observation long
Combat d’aéros : résultat nul. Nous « Abris de secours 152 » du boyau neuf où d’environ 25 à 30 mètres diamètre de 5 à 7
bombardons intensément les boches ne leur j’arrive très tard. Je pose les claies sur l’abri mètres, retenu à terre par un treuil à porteur,
laissant aucun repos. A 9 heures les pièces de n° 1 avec mon équipe, nous entamons le trainé par 6 à 8 chevaux. Un téléphone est
gros calibres tonnent. La terre tremble n° 2 mais sur le n° 1 une marmite arrive et relié à l’observateur. Nous en avons une qui
jusqu’au bivouac nous avons eu un canon de pousse les terres et je suis obligé de le fut prise aux boches parait-il pendant la
90 démoli par les boches. Quelques blessés. démolir et de mettre toute la charpente
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plantés la veille qu’une nouvelle rafale arrive.
La piste a dû être reconnue par les boches
dans le jour et toutes les 20 à 30 minutes, une
rafale de marmites nous arrive dessus. Je
saute dans le boyau, une marmite arrive en
plein sur la passerelle, la coupant en deux et
bouchant le boyau. La violence de l’explosion
me renverse et comme un bolide je suis
précipité dans une guitoune. Je ne me
rappelai de la chose que deux ou trois
minutes après. Je n’avais rien. La rafale
passée, je fais sortir mes hommes de leur abri
et en 5-7 le boyau est déblayé des morceaux
de passerelle. L’équipe arriva commandée par
un adjudant qui, jugeant le travail impossible
nous fait attendre. Je me fourre dans le fond
d’un abri et nous attendons pendant presque
une heure la fin du bombardement qui ne
cesse pas. Pendant une accalmie, nous
revenons en arrière et de là au bivouac où
j’arrive vers 4 heures et ¼ après avoir fait une
vingtaine de kilomètres au risque de se faire
zigouiller et de n’avoir fait aucun travail.
Jeudi 23 septembre 1915 :
Je dors deux heures et après avoir fait un brin
Gonflage d’une « saucisse » à Beauvais (1914-1918) de toilette, je fais quelques lettres et me mets
Crédit photo : http://crdp.ac-amiens.fr/cddpoise/oise14_18/affiche4.php à finir mes briquets. Vers 10 heures je vois
passer 14 aéros ensemble. Le canon ne cesse
bataille de la Marne : elle n’a pas tout à fait la tombent sur la route à quelques mètres de pas un instant. La journée se passe sans trop
même forme que les autres et est un peu plus moi. Cela ne me fait rien et je ne ressens d’ennuis. Dans les régiments qui montent aux
grosse. aucune palpitation de cœur. tranchées, les hommes chantent. Ils ont tous
Lundi 20 septembre 1915 : Mardi 21 septembre 1915 : un sac, chacun 180 cartouches, 2 grenades ou
Rien d’anormal de toute la journée que la Je quitte le chantier et reviens à la parallèle pétards et deux jours de vivres en réserve en
canonnade qui se poursuit avec la même de Carency où je fais quelques améliorations. prévision de l’attaque qui va avoir lieu ces
intensité. A 6 heures je pars aux travaux. Je Bien fatigué j’arrive au bivouac vers 4 heures jours ci. A 18 heures je dois aller voir un
dois aménager un chemin pour le passage de et demie et je me couche de bonne heure . copain mais on ne doit pas bouger : nous
l’artillerie, abattre des rideaux et les faire en devons nous tenir prêts à partir. A 19 heures il
Mercredi 22 septembre 1915 :
rampe, boucher des trous d’obus et combler éclate un orage subit. Epouvantable ! La pluie
La nuit fut épouvantable dans les lignes. Ce
de vieux boyaux. Mais à peine sommes nous tombe toute la nuit sans discontinuer. On
fut un bombardement ininterrompu de part
arrivés que les boches se mettent à répondre croirait par moment, avec ces rafales et coup
et d’autres, les aéros, au petit jour volaient
et les marmites de pleuvoir sous la pluie de la de canon se trouver en quelques coins de
par dizaine cherchant à repérer les batteries
mitraille. Mes 15 auxiliaires d’infanterie se l’enfer.
boches nouvellement placées. Toute la
sauvent et je ne les revois plus de la nuit. Les journée, je fais faire des claies et des fascines. Vendredi 24 septembre 1915 :
hommes de mon escouade ont des intentions Le soir, je vais faire une petite promenade Je suis réveillé plusieurs fois dans la nuit par la
de s’enfuir aussi mais je les retiens quand jusque 19 heures. A peine rentré, en tenue, pluie qui ne cesse de tomber.
même. Prenant le styx nous arrivons au nous partons pour faire une piste entre la
parallèle de Béthune entre deux marmites et première et la deuxième ligne. Je pars seul à
nous nous casons dans la sape du bois droit 20 heures avec mon escouade. Pendant deux
sous-secteur Nord. Là je vois passer plusieurs heures à travers champs nous nous rendons à
morts et blessés du 46ème, mon ancien notre chantier. Je passe sur la route de
régiment ,et ma Compagnie ensuite. Pendant Béthune Là je remarque un arbre truqué
une accalmie je reviens au poste de comman- servant d’observatoire à l’artillerie, imitant à
dement ne pouvant exécuter le travail com- s’y méprendre le vrai arbre qui fut coupé par
mandé et on me confie le déchargement de 3 un obus à 4 m de terre. Ce faux arbre, en
voitures. Malgré la mitraille, je les conduis acier, creux, fut amené là un soir. On scia le
route de Béthune au petit chantier, ne vrai et on mit le faux à sa place. Arrivé à
pouvant aller les déposer là où je devais, le l’intersection de la route des Pylônes et du
bombardement étant trop intense à cette boyau neuf, une rafale de marmites nous
place-là. Les artilleurs ne pouvant plus tenir renverse dans le boyau. Je vais reconnaitre le
leurs chevaux et eux-mêmes étaient apeurés. chantier, traverse le boyau de la bravoure,
Il y avait de quoi. Il tombait 3 à 4 marmites celui de Saint Eloi et j’arrive le premier de
par minute et à 100 m et même moins de l’équipe avec mes hommes au point indiqué.
nous. Je réussis à les calmer et montant sur Nous devons aménager une piste entre la
ma voiture avec mes hommes, je la deuxième et la première ligne c’est-à-dire
rechargeais de même que les deux autres boucher les trous des marmites, abattre des
rapidement. Nous n’avons eu aucune perte rideaux et cela à 300 m des boches qui sont,
en hommes ou en chevaux. Je suis obligé de eux, sur la côte 119 et dans la plaine par un Tenue d’un soldat d’infanterie en 1915
me terrer dans une guitoune, les marmites clair de lune superbe. A peine suis-je monté (Crédit photo : Internet)

sur le parapet pour reconnaitre les jalons

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A 10 heures, un détachement de 40 hommes sacrifiant pour le pays. Au revoir ! La cavalerie Nous avons parait-il deux compagnies du
du génie, part à Saint Pol, affecté à un équi- commence à se répandre dans la plaine. Al- 97ème Régiment d’infanterie alpine et une
page de pont avec autos et camions. Je rends lons-nous enfin voir les boches cinquantaine du 246ème. Toute la nuit il a plu.
les outils portatifs de l’escouade. A 11 heures, enfoncés et rendre gorge ? Les aéros Réveil à 4 heures. Aussitôt
je touche un casque d’infanterie. Le canon voltigent sans cesse. Partout de la troupe et distribution de vivres pour 3 jours et un quart
tonne sans cesse. Comme outil, j’ai une paire tous prennent la même direction. Il est de mauvais rhum par homme.
de cisailles. Vers 15 heures revue de vivres de 19 heures pas encore d’ordre pour nous. A 5 heures nous partons à environ
réserve, fusil et cartouches. A 19 heures je Nous sommes section de réserve. 20 h je 40 pionniers. Chaque homme de mon es-
monte aux tranchées avec mon escouade viens de faire quelques lettres au lit !!! couade porte un sac contenant 4 kg 700 de
pour terminer l’abri du général entre les 26 Néanmoins je suis mieux que là-bas dans les cheddite (La cheddite est une classe d’explo-
et 27 – parallèle de Carency – 3 obus tombent tranchées. Il est arrivé cet après-midi en sifs à base de chlorates fabriqués en Haute
à une cinquantaine de mètres de nous, mais, camion et débarqué ici le 413ème et 414ème de Savoie). Pour une mine que nous devons faire
s’enfonçant dans la terre mouillée, ils ligne. Il parait que nous avons un sergent et exploser sous les boches. Moi, je porte un
n’éclatent pas. A une heure du matin, j’ai fini un commandant de tués ainsi que plusieurs paquet de clous. A la sortie de Villers-aux-
le travail et à 3 heures et demie je suis de hommes en coupant des fils de fer. Nous Bois, nous prenons le boyau de Bavière pour
retour au bivouac bien mouillé et bien sommes prêts à partir. Nos sacs sont faits rejoindre la parallèle de Carency. En
fatigué. mais nous n’avons pas touché nos vivres de chemin je vois deux soldats étendus dans un
Samedi 25 septembre 1915 : réserve et il serait imprudent de partir ainsi. petit boyau adjacent. De la parallèle nous
Je dors bien jusque 7 heures ensuite je Toujours les caissons de munitions montent prenons le boyau de l’Arbre
termine le petit souvenir pour Albertine. Je vers St Eloi. La canonnade ronfle par instant Isolé qui traverse sous la route de
me repose jusque 11 heures. La canonnade de même que les mitrailleuses. Béthune à Arras et nous arrivons à la route
est moins intense que d’ordinaire. Cependant Lundi 27 septembre 1915 : des Pylônes. 20 bus arrivent sur le bord de
l’attaque doit bien avoir lieu aujourd’hui. La Après une nuit excellente et après avoir bu l’abri servant de poste d’eau. Nous prenons
cavalerie est arrivée pendant la nuit : il en mon café, je me lève fumer une bonne pipe et chacun deux outils et à travers les boyaux
campe dans tous les près, les caissons de la journée toute entière se passe à fabriquer remplis de boue, nous arrivons à la tranchée
munitions montent sur St Eloi et ailleurs ce 2 briquets. A 6 heures et demie je reçois une allemande qui est complètement boulever-
n’est qu’un défilé continu de voitures et de couronne que je porte de suite sur la tombe sée. Nous passons à découvert à travers les
chevaux. Il pleut toujours et de bonne heure de Jérôme. Je suis obligé de passer à travers balles et les Schnapels et les saucisses boches
je me couche. Le matin, en rentrant, je fais champs pour éviter les sentinelles postées à nous observent de près. Je marche sur plu-
toutes les tranchées au moins 10 ou 12 lignes chaque jonction de routes et de chemins. sieurs morts enlisés dans la boue des boyaux
remplies de soldats, entassés dans la boue ou Partout dans la plaine des régiments cam- et je vois sur le parapet les cadavres de
enroulés dans leur toile de tente, couchés sur pent. Il commence à pleuvoir vers 7 heures. plusieurs des nôtres qui sont là depuis les
les parapets ou dans la plaine. Comme c’est triste ce cimetière – seul – dans attaques de mai et juin. Après la descente
la nuit tombante, au milieu d’une plaine mais rapide et la traversée du ravin j’arrive sur
Dimanche 26 septembre 1915 : l’autre versant du coteau tout essoufflé.
je vais remplir un devoir sacré. Plus loin en
A 4 heures on vient prévenir la 3ème section de
revenant, une mandoline jette de dessous
partir immédiatement pour la deuxième ligne. Mon cher Papa,
une tente ses notes aigües. Bizarre le temps Je t’envoie ces quelques mots pour te
Quel réveil ! Je suis confortablement allongé
que nous vivons où des vivants - les morts de
dans mon sac de couchage et je ramène ma donner quelques nouvelles. Elles sont
demain – chantent en même temps que celui bonnes très bonnes. Comme tu le vois sur les
capote sur mon nez – il ne pleut plus – mais
passé et présent, leurs litanies pour la mort
un brouillard intense remplit toute la vallée. communiqués tu peux croire que le secteur
qui les couchera. est rudement mauvais. Ces jours derniers
A 6 heures je bois mon café tranquillement et
je ne me lève qu’à 9 heures. Je mange de bon Mardi 28 septembre 1915 : nous avons chargé cinq fois à la baïonnette
appétit et je fais la sieste jusque midi au soleil A la compagnie, nous avons eu 4 tués et plu- et sur douze sous-officiers qui sommes
car il réapparait et réchauffe les effets et le sieurs blessés. Des troupes, surtout de la ca- montés nous sommes revenus deux
cœur. Sans cesse les camions remplis de valerie, arrivent sans cesse. Hier, nous avons survivants. C’est effrayant. Mon pauvre
troupes et de caissons de munitions montent fait plusieurs centaines de prisonniers dont Papa, j’ai vécu des minutes horribles.
vers le front. Le canon recommence à tonner 300 environ sont à Comblain. Ils J’espère avoir un de ces quatre matins le
à midi 30. Puis l’attaque est esquissée à paraissent tout jeunes à l’exception de plaisir de vous raconter ces moments.
14 heures par un bataillon du 204ème et un du quelques-uns et pas trop fatigués. Chose cu- Jamais au dire des anciens du
246ème mais aussitôt sortis des tranchées, ils rieuse, ils se grattent tous, couverts de poux. début, on n’avait vu pareille chose. Tous
sont fauchés par les mitrailleuses mes copains, sous officiers, caporaux ou
ce qui les oblige à rentrer. Ils font soldats sont ou blessés ou morts. Quant à
une quarantaine de prisonniers moi, mon cher Papa, j’ai eu trois balles dans
qui sont ramenés à Camblain mon sac, deux dans ma musette et une qui a
l’abbé. Nous en avons laissé à peu coupé la visière du casque. Je me demande
près autant aux boches et de encore comment j’ai pu en réchapper. Nous
nombreux morts et blessés qui allons probablement être mis en arrière
restent sur le terrain. A l’heure pour reformer le régiment. Excuse mon
où je termine ce carnet, il est 15 style, je suis encore un peu hébété des
heures 30 et il tonne avec fracas. spectacles que je viens de voir. Notre colo-
La cavalerie est prête à partir .Les nel estime que la guerre est sur sa fin,
aéros par escadrille volent sans puisse-t-il dire vrai ! Mille baisers pour tous
cesse. Il passe toujours des sol- de ton fils affectionné.
dats, les camions arrivent sans Jean
cesse et rechargent leurs hommes
au pied de la côte ou je suis
LE JOURNAL D’UN POILU est une réalisation de la Commission
bivouaqué. Nous, pas d’ordre, La chasse aux poux dans les tranchées en 1915 à Souchez
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