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BULLETIN DE L’ETOILE Causeries, Ecrits, Poémes par KRISHNAMURTI ° & SOMMAIRE N° 4. Janvier 1931 Pokme, par J. Krishnamurti... ... ce cees 222-293 La VIE HARMONIEUSE. Causerie par J. Krishnamurti 224 QUESTIONS ET REPONSES. . . Tense 228 VIVEZ DANS L’ETERNEL. Causerié par J. Krishnamurti....... tats © 236 QUESTIONS ET REPONSES mt ites 8 242 KRISHNAMURTI, par Claude Bragdon. . . 245 KRISHNAMURTI COMMENCE SON TOUR D’EUROPE 253 Le NOUVEAU BULLETIN Pew TTT TT Tet. 256 (Tous droits réservés.) Parait mensuellement, sauf les mois d’aoit et de septembre. M”* Blech, éditeur, 21, avenue Montaigne, Paris - 8°. I walked on a path through the jungle Which an elephant had made, And about me lay a tangle of wilderness. The voice of desolation fills the distant plain. And the city is noisy with the bells of a tall temple. Beyond the jungle are the great mountains, Calm and clear. In the fear of Life The temptation of sorrow is created. Cut down the jungle — not one mere tree, For Truth is attained By putting aside all that you have sown. And now I walk with the elephant.» KRISHNAMURTI. 222 Je suivais dans la jungle une piste _ Qu’un éléphant avait tracée. Tout autour de moi, c'est un chaos sauvage. Un cri de désespoir couvre la plaine au loin. Les cloches d’un vaste temple emplissent la ville de bruit. Par dela la jungle, de hautes montagnes s’élévent, Calmes et claires. La peur de la Vie Crée l’approche de la douleur. Abats la jungle — toute, ef non seulement un arbre, Pour atteindre la Vérité, Détruis tout ce que tu avais semé. Et maintenant, je marche avec l’éléphant. J. KRisHNAMURTI. LA VIE HARMONIEUSE Causerie de KRISHNAMURTI Le plus haut degré de spiritualité est la vie harmonieuse dans le présent. Vivre harmonieusement, c’est s’ajuster sans relache, tenir son jugement toujours en équilibre entre la vraie et la fausse route, entre l’essentiel et le non-essentiel; c’est étre sensitif, c’est-a-dire sentir les réactions des autres sur vous- méme, c’est y joindre le tact, étre sans cesse en éveil pour saisir toutes les choses qui se passent autour de vous, et qui sont une manifestation de la vie. Cet instinct qui s’exprime en chacun de nous par des sympathies et des antipathies devrait @tre finalement modelé sur la raison, et se conformer la voix de la raison. Telle est la plus haute forme de I'intelligence. Liintelligence est la consommation de |’expérience, et si yous tenez votre intelligence hautement éveillée, pleinement active, l’intuition suivra, l’intuition qui est la raison. C’est pour moi la plus haute forme de spiritualité, parce qu'elle est Tharmonie de la vie, l’équilibre parfait de la raison et de l'amour. Si vous ne vous y exercez sans cesse, et avec insis- tance, Ja vie vous instruit par la souffrance. Si vous ne com- prenez pas la souffrance, si vous n’en saisissez pas le but, vous continuez a souffrir et vous vivez dans la mort. Malgré vos luttes, malgré vos souffrances, si vous ne comprenez pas, il y a désaccord jusqu’a ce que vous atteigniez l’équilibre. Si vous ne comprenez pas le but de cette lutte entre la rai- son et l’instinct, elle devient un pur mécanisme, et quand le mécanisme commence & se dérouler, vous vivez dans la mort. C’est ce qui arrive a Ja majorité de ceux qui sont atteints par la souffrance. Elle est si pénible qu’elle les rend apathiques 224 ne a tee et leur fait perdre le but, la compréhension de Ja douleur. Un trés petit nombre est heureux dans la lutte et comprend le but qui est de réaliser |’équilibre, I’harmonie avec soi-méme. Il faut donc d’abord comprendre Je but de la lutte. La lutie, par elle-méme, n'a pas une grande valeur; ce qui a de la valeur, c’est le produit de la lutte. Comme le jardinier séme les graines pour produire les fleurs, et les fruits qui nour- rissent, ainsi du sol de Ja lutte vous devez faire sortir |’équi- libre, I"harmonie, et personne ne peit le faire pour vous. Avoir une moralité de fer c’est admettre la peur de la vie. Si vous avez peur de la vie, de la lutte, vous inventez naturellement une moralité de fer et dites : « Ceci est bien » et « Cela est mal »; « Ceci est le paradis » et « Cela est l’enfer ». Vous suivez aveuglément cette limitation étroite, sans compréhen- sion, parce que vous avez peur de lutter, et de produire ainsi l’harmonie et I’équilibre. L’étang qui, dans le bois, reste immo- bile, accumule a sa surface l’écume verte et ne refléte plus la pureté du ciel, les feuilles dansantes, les claires étoiles; tandis que I’étang qui est sans cesse agité par les brises peut, lorsqu’il est tranquille, étre un miroir fidéle. I] en est de méme de la vie. Si, parce que vous avez peur, vous l’emprisonnez dans une moralité rigide, elle devient stagnante, elle n'est qu’une triste lutte intérieure qui ne peut produire |’équilibre, la clarté de pensée, et le « soi » dans I"homme ne peut refléter la pureté du but de la vie. Si vous rejetez cette moralité qui lie, qui étouffe, si vous étes continuellement secoué par la lutte de la vie, vous connaitrez la tranquillité qui n’est ni stagnation, ni putréfaction. . Il en est de méme pour Karma. Karma est le retour & l’équilibre. La lutte constante améne |’équilibre entre I’essen- tiel et le non-essentiel, en vous exercant au discernement con- tinuel, en jugeant, en vous ajustant, vous créez de moins en moins de Karma. Je vais expliquer ce que je veux dire. Tout 225 le monde admet que nous sommes le résultat du passé. Mais nous en avons fini avec le passé, il n’a pas de valeur. Si vous créez des obstacles, si vous mettez des barriéres entre vous et votre but, si vous ne réalisez la vie dans le présent, vous ne pouvez manquer de créer le Karma, parce que vous détruisez Véquilibre. Peu importe ce que vous étiez hier; ce qui importe, c'est ce que vous étes maintenant, et le moment présent ne peut étre vital, actif, que si vous saisissez avec une pleine com- préhension le sens de la vie future dans le présent, et vivez cette vie dans le présent. Cela suppose un équilibre continuel entre le présent et le futur, un ajustement continuel, comme si vous étiez, pour ainsi dire, suspendu entre le futur et le présent. Encore une fois, la santé morale et émotionnelle dépend de |’équilibre. De méme qu’une personne qui n’est pas physi- quement en bonne santé n’est pas en harmonie, est compliquée et dépend des autres, de méme une personne qui n’est pas en bonne santé morale et émotionnelle a besoin de médecins spi- rituels, Un monde de malades qui dépendent des médecins est antinaturel. Lequel est le plus important? Est-ce de créer des conditions qui permettent 4 tous d’étre sains, de se suffire entiérement A eux-mémes, ou seulement de soigner les ma- lades? Pour moi, il est beaucoup plus important de prévenir Ja maladie, pour que tous puissent vivre d’une vie naturelle, équilibrée, sensée, harmonieuse. C’est peut-étre un idéal inac- cessible, mais un idéal qu’on réalise facilement devient comme des cendres dans la bouche; un idéal qui n’est qu’un appat est sans valeur; mais un idéal magnifique, intrins¢quement juste et valable en lui-méme, n’est pas un appat. L’essentiel est donc d’empécher les hommes de devenir malades, de dé- pendre des autres, des médecins spirituels; c’est de faire qu’ils se suffisent & eux-mémes, qu’ils comptent sur eux-mémes, qu’ils soient sans cesse en éveil, pour s’ajuster continuellement 226 eae amit kei, te et rester en équilibre entre les formes extrémes du vice ou de Ja vertu. Pour étre bien portants, dans le présent, vous devez sans cesse trouver |’équilibre entre la prochaine réalisation du soi et le moment présent; il faut la vigilance, l'examen continuel, mais de la bonne maniére, et non l’introspection qui, en déf- nitive, détruit le soi. Si vous examinez le soi sans comprendre le but de la vie, sans y apporter la largeur de compréhension, vous ne faites que rapetisser le soi, le diminuer sans cesse, et vous vivez ainsi dans la mort; mais si vous comprenez le but de la vie, et que ce but vous serve de lumiére pour examiner le soi, vous l’enrichirez, vous deviendrez un étre humain par- fait, qui réalise ]’épanouissement total de la vie, ce qui est pour moi beaucoup plus grand que de devenir un dieu. Je voudrais aussi attirer votre attention sur un autre point; la vie n’ceuvre pas pour produire un type; la vie ne crée pas des images de cire. Elle demande que vous soyez entiérement différents les uns des autres; c’est dans la diversité que vous yous réaliserez et non en créant un type. Regardez ce qui se passe actuellement. Vous adorez la multiplicité dans l'un, vous adorez, la totalité de la vie dans un seul étre. C’est adorer un type, une image de cire, et par ]4 faire de vous un type, une image; cette image est une limitation, donc elle améne la souffrance. Tandis que si vous adorez l'un dans la totalité, vous ne ferez pas de vous-méme un type. Ce n’est pas 1a une idée philosophique ou métaphysique. Parce que l’homme a peur d’étre bon, affectueux pour tous, il donne tout son res- pect, son adoration a un seul — c’est-a-dire, il crée une image. Mais la vie ne produit pas de types, elle n’a rien de commun avec les images. Adorer l’un dans les autres demande une vigilance de pensée constante, un ajustement continuel du point de vue de individu au point de vue impersonnel de la tota- lité, qui est la vie. Si vous créez un type et ne faites qu’ajuster 227

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