On est laid à Nanterre, C'est la faute à Voltaire, Et bête à Palaiseau, C'est la faute à Rousseau.
Je ne suis pas notaire,
C'est la faute à Voltaire, Je suis petit oiseau, C'est la faute à Rousseau.
Joie est mon caractère,
C'est la faute à Voltaire, Misère est mon trousseau, C'est la faute à Rousseau.
Je suis tombé par terre,
C'est la faute à Voltaire, Le nez dans le ruisseau, Gavroche dans “Les C'est la faute à... [Rousseau] Misérables” de Victor Hugo Ennemis du despotisme, Amis des libertés, Écrivains et poètes autant que philosophes et consciences publiques, ils semblent avoir mené les mêmes combats. Voltaire lutte contre le fanatisme, Rousseau s’attaque aux progrès les superstitions, les préjugés des sciences et des techniques, à contraires à la raison, l’hypocrisie et à l’égoïsme des IL veut la démystification. civilisés. Il a l’obsession de réussir. Il cherche l’authenticité. Il travaille nuit et jour à Il est du monde des petites gens: construire sa renommée, ses c’est un laquais, secrétaire, copiste réseaux, sa fortune et son de musique. pouvoir. Il se méfie des raffinements Il fait l’éloge du luxe et de la excessifs et les juge pervers. propriété VOLTAIRE Né en 1694 dans une famille bourgeoise puis a fait de bonnes études avant de faire ses preuves dans les milieux libertins et anticléricaux de l'époque de la Régence. Poète à succès Avide d'honneurs, il fréquente la Cour de Versailles devient l'historiographe du roi Louis XV entre à l'Académie française en 1746 Il se lie avec le roi Frédéric II de Prusse, un « despote éclairé » ROUSSEAU Né dans une famille modeste. Son père est un horloger de Genève Il connaît une jeunesse vagabonde Tourné vers la musique et l'écriture d'opéras, il s'installe à Paris Il se lie avec les auteurs de l'Encyclopédie sans cesser de tirer le diable par la queue ACTE I - ADMIRATION CONTRE INDIFFÉRENCE OÙ L’ON DÉCOUVRE UN JEUNE HOMME HYPERSENSIBLE ET UNE STAR SURCHARGÉE
la première rencontre de Rousseau avec l’oeuvre de Voltaire
« Rien de ce qu’écrivait Voltaire
ne nous échappait. »
le jeune homme a pour son aîné admiration et rêve de l’imiter: « Monsieur, il y
a quinze ans que je travaille pour me rendre digne de vos regards » Mais ce n’est qu’un travail fastidieux, dont Voltaire se désintéresse complètement.
Il s’agit de réduire à un acte, une comédie-ballet en trois actes écrite par
Voltaire sur une musique de Rameau. Rousseau, qui commence à se faire remarquer comme musicien et comme poète en est chargé. Quelques jours seulement avant la représentation des « Fêtes de Ramire », où il ne se rendra même pas, Voltaire précise à Rousseau qu’il s’en remet entièrement à lui, le félicite pour son double talent, et ajoute sans se fatiguer : « Je compte avoir bientôt l’honneur de vous faire mes remerciements. » Pour autant que l’on sache, ce ne fut jamais le cas. ACTE II - UNE MÉSENTENTE CORDIALE OÙ LE JEUNE HOMME S’AFFIRME TANDIS QUE LE MAÎTRE SE MOQUE GENTIMENT DE LUI
Dans les années qui suivent, Rousseau commence à être connu.
- « Discours sur les sciences et les arts », - « Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes », - « Emile », « Du contrat social » Il faut distinguer « l’homme de la nature », toujours prêt à s’émouvoir du sort de ses semblables, continûment capable de les comprendre par le cœur, et « l’homme de l’homme», artificiel, égoïste, insensible et calculateur Et voilà précisément ce que Voltaire ne comprend pas et surtout
n’admettra jamais. Il croit-ou feint de croire-que Rousseau propose une
régression, un retour « à quatre pattes», pour « manger de l’herbe ».
« J’aime le luxe et même la mollesse,
Tous les plaisirs, les arts de toute espèce,
La propreté, le goût, les ornements. »
Le clivage, désormais, n’est plus affaire de caractère ou de milieu social. C’est un choix fondateur qui oppose Voltaire et Rousseau.
Objet du désaccord : la définition même de l’humain.
Options incompatibles : la primauté de la culture, ou celle de la
nature. Voltaire ou la culture Rouseau ou la nature Seuls le savoir, le travail, les échanges, la Dans le fond, seule la nature est bonne, longue et patiente accumulation des tout ce qui en éloigne déforme et détériore connaissances acquises peuvent transformer ces brutes que nous sommes en citoyens plus ou moins civilisés, capables de vertus, d’honneur, de créations.
La nature est inerte, rugueuse, voire Nous ne sommes pervers, cruels ou
menaçante et destructrice inhumains qu’à la mesure de la dénaturation que nous font subir nos connaissances, nos artifices et nos rivalités fabriquées.
Elle est en l’homme source de fanatisme Retourner à la nature, c’est revenir à la
et de violence santé, à la paix, à l’ordre authentique Tout ensauvagement est régression Les artifices de la civilisation sont des maux, non des remèdes. Il convient de les défaire ou de les contourner. ACTE III - RUPTURES, INJURES ET VIOLENCES OÙ CHACUN À SA MANIÈRE EN VIENT À DÉCLARER SA HAINE
Voltaire critique aussitôt, dans son « Poème sur le
désastre de Lisbonne », la croyance en la providence.
Alors que Rousseau réplique pour prendre la défense de
l’idée de providence, Voltaire lui répond sans acrimonie. On est encore entre philosophes. Dans sa « Lettre à d’Alembert sur les spectacles », Rousseau prend fait et cause pour le maintien de la prohibition du théâtre à Genève. (Voltaire avait fait construire un théâtre dans sa propriété proche de Genève)
Lettre datant de juin 1760 dans laquelle Rousseau s’adresse
directement à Voltaire: « je vous hais »
« Je voudrais que Rousseau ne fût pas tout à
fait fou, écrit Voltaire à d’Alembert, mais il l’est. Il m’a écrit une lettre pour laquelle il faut le baigner et lui donner des bouillons rafraîchissants. » « Je n’aime ni ses ouvrages ni sa personne », dit à son tour Voltaire à propos de Rousseau. Il dévoile le secret de Rousseau le plus intime, connu seulement de quelques proches En 1768, avec les vers burlesques de « La guerre civile de Genève », la haine est à son comble : « C’est de Rousseau le digne et noir palais / Là se tapit ce sombre énergumène/ Cet ennemi de la nature humaine / Pétri d’orgueil et dévoré de fiel / Il fuit le monde et craint de voir le ciel. » Le couple Thérèse-Jean-Jacques devient carrément satanique, et le ton de Voltaire est crispé de fureur : « L’aversion pour la terre et les cieux / Tient lieu d’amour à ce couple odieux./ Si quelque fois, dans leurs ardeurs secrètes/ Leurs os pointus joignent leurs deux squelettes/ Dans leurs transports ils se pâment soudain/ Du seul plaisir de nuire au genre humain. » Je n’aime ni ses Je vous ouvrages ni sa personne. hais. EPILOGUE MODERNITÉ DE CETTE QUERELLE
Après s’être tant haïs, les voilà donc qui reposent à quelques mètres l’un de l’autre dans le Panthéon.
Le duel entre eux se renouvelle et se perpétue, en sous-main, dans
d’innombrables débats de l’heure concernant la nature, l’éducation, le savoir, la vie sociale, la réussite, l’argent, les sentiments, le plaisir, le pouvoir. FAIT PAR: ANA DIMEVSKA
DE L'ÉTAT DE NATURE À L'ÉTAT DE SOCIÉTÉ Problématisation de la dialectique civilisatrice dans le “Discours sur l’origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes” de Jean-Jacques Rousseau.