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Le caracttre religieux du socialisme «1 I. Inlérét pratique de la question pour les polémistes adversaires du socialisme, — Théories de Gustave Le Bon. — Situation intellectuelle du socialisme. — Le socialisme et Vesprit libre. IL Le vrai christianisme de Cabet. — Interprélation des Péres de VEglise. — L'anticapilalisn, du Moyen Age. — Catholiques sociaux. IM. Absence desprit clrélien dans les premiéres formes des utopies modernes. — Idée que les revolutions sociales ont besoin d’un concours reli- gieux, — Mythes révolutionnaires. — Gnostiques et saint-simoniens. IV. Critique concordiste. — Vanité des abstractions religieuses. —- Catholicisme et démocratie. ! I De trés nombreux écrivains notables ont affirmé qu'il existe des analogies profondes entre nos agita- tions socialistes et les phénoménes religieux ; mal- heureusement dés qu’une proposition est entrée dans Ja littérature politique, — comme cela est arrivé pour celle-ci, — elle perd avec une extréme rapidité toute signification précise; aussi ne faut-il pas s’éton- (4) Jai d’abord traité cette question dans le Mouvement come (novembre 1906); j'ai beaucoup amélioré le texte primitif, 310 MamiiuaUx D'UNE THORIE DU PROLTANIAT ner que les philosophes n’aient pas fait plus de re- cherches pour déterminer quels services pourraicat rendre Ja connaissance de Pesprit les rapproche- ments que l’on a proposé d’établir entre Ja religion et Ie socialisme. I! serait fort déraisonnable de traiter - Vessai qu’a publi¢ Edouard Dolléans sur «le carac- téro religieux du socialisme » (1), avec Je dédain que méritent des élucubrations ordinaires de nos petits Montesquieu ; auteur, aprés avoir fréquenté Jes groupes les plus sérieux de la feunesse socia- liste (2), a été chargé d’une conférence & la Faculté de droit de Paris (3), ct d’autre part la Revue d’éco- nomic politique, ot a paru son étude, est un des organes les plus autorisés de la pensée universitaire; les formules ont été compostes avee assez de soin Pour que cet opuscule mérite d’étre placé sur'le plan des meilleurs documents de notre enseignement offi- ciel. Je vais le prendre pour point de départ en vue de critiques destinées 4 élucider quelques thémes importants. Il convient d’examiner tout d’abord quel intérét présente pour les partis la question de savoir si le socialisme a vraiment un caractére religicux. Suivant beaucoup d’économistes, si le socialisme est parvenu 4 la situation considérable qu'il occupe aujourd’hui, (4) Get essaf,. publié dans la Revue d'économte politique (juin 1906) et édité en brochure, sert maintenant de préface & un livre d'Edouard Dolléans : Robert Owen ; je me re- porterai toujours & la pagination de ce volume. (2) Edouard Dolléans a donné au Mouvement sociatiste deux articles en 1903 : La Révolution et le droit ouvrier ; Féminisma et propriété. (3) Il est aujourd'hui professeur & la Faculté de droit de Dijon, . RSSAIS DIVERS 3 cela tient on bonne partie & ce que quantité de naifs bourgeois s‘imagincnt trouver cn lui unc esquisse de Ja yérité de demain ; voyant ces admirateurs fanati- ques du progrés regarder les religions comme des vieilleries destinées A disparaitre sous V'influence du développement scientifique, les adversaires du socia- lisme espérent lui enlever tout pouvoir de fascination en soutenant qu'il n’est ricn autre chose qu’une croyance religicuse ; Jes braves gens qui manifestent de la sympathie pour Ie socialisme dans l’espoir de passer pour des esprits d’avant-garde, ne le mépri- seront -ils pas dés qu’ils verront en lui un legs des siécles barbares ? Edouard Dolléans ne parait pas bien éloigné d’adopter cette manitre de voir, car il lui arrive, pour expliquer sa pensée, i la page 5, de faire appel 4 une théorie du sentiment religieux qui ‘a été évidemment suggérée & Gustave Le Bon par des observations faites sur les populations de l’Inde ? (1). « Ce sentiment, dit le célébre psychologue, a des caractéristiques trés simples: adoration d’un étre supposé supérieur, crainte de Ja puissance magique qu’on Ini suppose, soumission aveugle 4 ses comman- dements, impossibilité de discuter ses dogmes, désir de les répandre, tendance 4 considérer comme enne- mis tays ceux gyi ne les admettent pas... On n'est pas religieux seulement quand on adore une divinité, mais quand on met toutes les ressources de Wesprit, toutes Ies soumissions de la volonté, toutes Jes ar- deurs du fanatisme au service d’une cause ou d’un ére qui devient le but ct Je guide des pensées et des actions... Les convictions des foules’ revétent ces (4) Gustave Le Bon a publié trois ouvrages sur l'fade : Voyage au Népat ; Les civilisations de Vinde ; Les monu- ments de Vinde.

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