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Alors qu'il n'est pas là, qu'il n'est pas encore né,

Et que perce dans la nuit un rayon orangé,


Qu'abonde ici et là une limpide rosée,
Que nous parvient le cri par moments étouffé,

D'un quelconque animal tremblant en vue du jour,


D'une sublime vestale violentée en amour,
Lui seul roule et puis roule, s'imprégnant de lumière,
Car quand pointe le jour, il pointe et se libère.

Dans un feu de Soleil, lumineuse prison,


Quand certains s'émerveillent, il griffe, tape, à tâtons,
Roulant, boulant sans cesse, il abîme son caisson,
Roulant jusqu'à l'ivresse, jusqu'à la déraison.

Puis enfin il s'en sort, c'est enfin la Naissance,


Il est tout jeune et d'or, n'éveille aucune méfiance,
Et pourtant dans une heure, une minute, une seconde,
Se révèlera vecteur d'une intuition profonde.

C'est sa première naissance mais il a en son cœur,


En son âme et essence, mille vies de labeur.
Mille vies de savoir, sont en ce petit être,
Mille, et puis un savoir que lui seul peut connaître.

Le Soleil apparaît, le jour a succédé,


A la Lune d'hier, au Soleil qui avant,
Candide, s'enamourait d'une nuit approchant,
Elle-même si fière d'être du jour l'aînée.

De l'aube à ce matin, que l'on nomme petit,


Le nouveau si câlin a tant, si bien grandit,
Que grand comme un humain, il se réjouit et pense,
Regardant le matin, c'est là sa quintessence.
Et devant l'éternel, cette dernière sera,
Car il est immortel en le sein des vivants.
Et pendant l'éternel, son grand savoir sera,
Retransmis aux mortels, à peine nés mais mourants.

C'est ainsi que se passe une belle journée,


Sans que rien ne tracasse l'être tellement parfait.
Il pénètre les airs, brûle les chairs des nuages,
Et le temps éphémère ne le rend que plus sage.

Puis une maladie, une mort soudaine,


Un ami qui trahit, un poison dans les veines,
Viennent troubler ce parfait, viennent troubler l'immortel,
Viennent contrer ce qui fait, qu'il n'est pas un mortel.

C'est un noir crépuscule qui s'annonce naissant,


Le beau d'or se recule, son corps incandescent,
S'embrase et puis plus rien : la nuit, un tas de cendres,
Un éclair s'en vient, la Mort s'en vient, le prendre.

Puis le noir souvenir, incandescent devient,


Pour les yeux éblouir, et forçant le destin,
Une coquille d'or apparaît sous le sombre,
Pour une fois encore, vies ajouter en nombre.

L'aube d'un nouveau jour, au précédent pareil,


Crépuscule de velours à un cycle sans veille,
Fait éclore cet oeuf, fait naître cette vie,
Apportant un sang neuf à un monde de magie.

C'est ainsi que se passe la brûlante existence,


D'un oiseau qui se passe des ombres de l'ignorance.
Naissant à même un sol de magie, de lumière,
Le Phénix prend son vol, immortel éphémère.

« Naissance, Quintessence, Mort et Renaissance »


Plus de douze Lunes avaient éclairé la nuit depuis cette soirée qui avait vu Althâr
demander Anna-belle en mariage, et quelques jours seulement les séparaient maintenant de la
cérémonie qui scellerait leur union. Il faut dire que les dernières semaines avaient été fort
mouvementées, le chemin d'Anna vers une vie stable étant semé de pléthore d’obstacles et
maintes contrariétés. Cependant jusque là l'amour qui unissait les deux concubins avait su, et
avec brio, surmonter la pacotille de deux changements d'ordres et quelques problèmes
familiaux du côté d'Althâr. Cependant il restait un problème, non pas un nouveau tronc en
travers du chemin menant au bonheur, mais un allé simple pour Anna vers la déception, mais
Althâr ne l'entendait pas ainsi. En effet les lois séculaires régissant la conduite qu'une Dame
des Cygnes doit adopter sont on ne peut plus strictes, et jamais de mémoire de vivant un
individu n'avait su échapper à leur courroux lorsqu'il venait à les bafouer. A vrai dire, la
source de ce potentiel déshonneur pour Anna n'était autre que son fiancé, Althâr.

La seule union possible pour Anna en accord avec les lois qui étaient les siennes ne
pouvait se faire qu'avec un elfe, mais le Khân du Royaume des Illusions était un Grand des
montagnes, originaire de Khâzad Târik et, qui plus est, dans ses veines coulait le sang des
dragons. Par conséquent, si rien n'était fait, Le mariage d'amour censé concrétiser les
sentiments réciproques du Cygne et du Dragon verrait Anna reniée par les siennes. Le futur
marié, pour qui seul comptait le bonheur de sa belle, voyait bien que les noces, en de telles
conditions, ne provoqueraient pas l'explosion de bonheur escomptée, bien au contraire, même
si Anna-Belle, l'une des premières Dame des Cygnes de naissance, assurait a son amour que
cette issue ne la dérangeait pas, ou tout du moins pas assez pour renoncer au mariage. Mais
ceci, Althâr ne pouvait le croire, et ne souhaitait voir par sa faute disparaître la seule famille
d'Anna...

C'est alors qu'un matin de nouvelle Lune il affréta Kadrâck, le dragon d'Airain haut de
soixante mètres, chef de sa garde Drâcke, et embarqua avec Anna vers le Lac Argenté ou
résidait la "famille" d'Anna, avec la ferme intention de plaider sa cause auprès des Cygnes et
assurer à celle qui avait pris son cœur un avenir dans lequel le regret ne saurait avoir sa place.
Pour l'occasion, Althâr avait revêtu une armure blanche, bordée d’un liseré d'argent finement
ouvragé. Il portait sa couronne, qui formait un cercle autour de son crâne et dans laquelle
s'encastrait le joyau qui ornait son front, et avait laissé ses armes à Althârïs. Anna, quant à
elle, resplendissait dans une robe moulante au buste d'une blancheur lumineuse, recouverte de
sa cape en plumes de cygnes, ses doux et longs cheveux blonds relâchés et ondulant au gré du
vent et de la Lune. Elle portait la couronne des étoiles et le collier de diamants que lui avait
offerts Althâr, et arborait au doigt la bague de fiançailles source dudit problème. Elle était
radieuse, plus encore qu'à son arrivée. Ses yeux d'un vert envoûtant, ses lèvres pulpeuses et sa
peau satinée ne cessaient d'émerveiller Althâr qui savait que sans elle, aucun avenir n'était
envisageable. Les fiancés étaient enlacés dans la cabine juchée sur le dos de Kadrâck,
savourant le vol et discutant sur la conduite à tenir face à la mère et aux sœurs D'Anna-Belle.

Althâr n'avait pris que deux choses dans ses bagages : la boîte qui contenait les
alliances destinées au mariage, et une mystérieuse plume de cygne semblant avoir été sculptée
dans le diamant...

Lorsqu'ils arrivèrent au Lac Argenté, la nuit avait depuis longtemps jeté ses ténèbres
sur les terres alentours. La Lune, de toute sa splendeur, tentait de rendre à ce monde
silencieux et tristement splendide une once de clarté, sans toutefois réellement y parvenir.
Seul le vent tirait son épingle du jeu, faisant bruisser feuilles et herbes, branches et fougères,
tandis que la surface du lac était, tout à l'inverse, plane. Si plane que la Lune pouvait s'admirer
dans ce miroir argenté.

Main dans la main, tels deux amoureux comme il y en a tant, Althâr et Anna-Belle
longeaient les rives du lac, s'arrêtant de temps en temps l'espace d'un doux baiser sous le
regard bienveillant de Dame Nature. Puis ils arrivèrent à l'orée de Feu Follet, la forêt bordant
le lac, où résidaient la mère et les sœurs d'Anna. Arrivés devant, Anna serra la main d’Althâr
plus fort. C'était non seulement la première fois qu'elle revenait à Feu Follet, mais en plus elle
ramenait dans ses bagages un fiancé, et pas un elfe.

Ils pénétrèrent tous deux dans la forêt, Althâr se laissant guider par sa belle. Puis ils
arrivèrent dans une clairière encore lumineuse malgré l'heure avancée de la nuit. Les arbres y
étaient remparts, de superbes et gigantesques chênes verts, serrés les uns contre les autres,
représentant la seule protection de cette communauté recluse contre le monde extérieur. La
mère d'Anna se tenait au centre de la clairière, aux pieds d'un autel en hêtre, et fit signe aux
fiancés de s'avancer. Arrivé devant la matriarche, spontanément, Althâr mit les genoux à terre,
retira sa couronne et, main droite sur le cœur salua en ces mots :

« Je vous salue, vous, ainsi que toute Dame des Cygnes en ces lieux, et me présente,
Althâr, nain de naissance et Dragon de sang, heureux fiancé de la douce Anna-Belle,
votre fille.
- Nous savons qui vous êtes, mais de quel droit venez-vous nous importuner ? Me voler
une fille ne vous suffit-il pas ?

On sentait dans la voix de la matriarche une grande réprobation et une colère noire,
mais Althâr continua cependant.

« Rien de tout cela. Apprenant que mon union avec Anna-Belle risquait de lui faire
perdre sa famille, vous en l'occurrence, je me suis mis en tête de vous prouver que je suis
digne de celle qui maintenant assaini mes jours et éclaire mes nuits...
- Et en plus non mariés vous...
- En aucun cas, nous attendons que l'union soit célébrée.
- Et croyez-vous réellement que je vais vous laisser ma fille, à vous, un nain, qui de
surcroît est un démon de dragon ? Un félon, un buveur de sang, une bête !

A ces mots Anna ne put rester de marbre et prit la parole.

« Mais voyons me crois-tu assez naïve, mère, pour décider de passer le reste de ma vie
avec un être démoniaque ? Lorsque j'arrivai en ville, il fut l'un des premiers à m'accueillir, nos
relations devinrent très amicales puis un jour il me demanda ma main. Je ne sut refuser, mais
quoiqu'il en soit nous sommes fiancés ! Et c'était il y a douze Lunes, mère ! Un an ! Ne
croyez-vous pas qu'en tout ce temps j'aurai pu me rendre compte d'un éventuel aspect
démoniaque de mon homme ? »

Elle termina sa phrase sur les chapeaux de roues, essoufflée. S'en suivit un long
silence, Althâr admirant Anna pour sa témérité, sa mère faisant de même, mais n'oubliant pas
les lois qui régissaient avant même la naissance de ses propres ancêtres la vie des Dames des
Cygnes. Elle formula un premier verdict en ces termes :
« Je te sais pure ma fille, et, sondant ton cœur, je vois bien que tu n'as rien perdu de ta
candeur. Je vois aussi que ton amour pour cet être est grand, si grand que je ne puis le sonder,
plus grand encore que celui qui te donna naissance ma fille...
- Merci mère...
- Quant à vous, sieur Althâr, vous qui avez pris possession du cœur de ma fille, je vois
bien que votre amour est grand et que vous êtes sincère, cependant cela n'excuse en
rien vos agissements ! Vos ancêtres dragons ont tué, pillé, saigné, et cela, je ne le
tolère pas...
- Mais laissez...
- NON!
- Je ne suis pas un dragon !
- Pardon ? Je sens le liquide qui coule en vos veines, la nature de votre immortalité, vos
pouvoirs, et cela ne fait aucun doute! Le feu n'est pas le lot du nain commun, ni les
yeux pourpres ni la magie ! Et encore moins la lévitation ! Et ces dents ! On dirait un
vampire ! Démon !
- J'ai acquis mon ascendance Drâcke dans le seul but de sauver mon frère de sang
dragon de la mort Dame...
- Il n'empêche qu'en vous vit le démon !
- Mais pourquoi le démon ?,s'écrièrent en chœur Anna et Althâr, et Althâr de continuer,
- Jamais de ma vie je n'ai été cruel, j'ai redressé une dynastie qui avait été mise à mal
par mes ancêtres, j'ai combattu aux côtés des elfes, j'ai plaidé la cause de la paix, et
désormais on me dit démon ? Mais le démon n'est pas le dragon qui vit en moi, c'est ce
qu'il aurait pu faire ! Et il protégea toute sa vie durant ma cité ! Je ne suis guère
démon, et si encore vous le pensez, c'est que vous voyez en moi le démon de l'amour,
rien d'autre ! »

A ce moment là Anna prit la main d'Althâr dans les siennes, sachant que la sentence
allait tomber désormais sous peu... Puis la matriarche fit venir les sœurs d'Anna et, s'élevant
dans les airs, s'adressa à Althâr.

« Si tel est ton désir, tu te marieras avec ma fille Anna, je ne peux vous en empêcher,
mais je vois que tu souhaites avant tout que nous la gardions dans nos cœurs, et cela, tu devras
l'obtenir, serpent de feu. Tu vas rester parmi nous tandis que Anna va pouvoir disposer, et tu
resteras le temps d'accomplir les épreuves qui te donneront, selon nos lois, le droit de t'unir à
ma fille avec ma bénédiction ! Es-tu décidé à sauver votre honneur? »

Althâr, regardant Anna dans les yeux, serra sa main et la caressa, puis acquiesça en
guise de réponse. Anna fut donc invitée à retourner sur le continent, tandis que Althâr devrait
subir les épreuves qui permettraient à Anna d'en finir avec les remords...

Althâr était donc resté à Feu Follet en compagnie de la famille d'Anna-Belle, afin de
subir les épreuves qui, éventuellement, éviteraient le reniement à celle qu'il aimait. A peine
Anna était-elle partie que les épreuves devaient commencer, dans l'obscurité de la nuit à peine
affaiblie par une Lune dont la lueur, blanche, devait être regardée en ce soir par nombre de
vivants. Althâr fût mené dans une partie de la forêt où les arbres étaient très rapprochés et où,
dans la nuit, aucune lumière ne filtrait, pas plus que dans le jour d'ailleurs. Il ne le savait pas
encore, mais pendant trois jours, il vivrait la première épreuve : la force physique. Pas un mot
ne fût échangé sur le trajet, et Althâr savait que rompre ce silence ne jouerait pas en sa faveur.
Ainsi quand ils arrivèrent à ce que la matriarche pensait être la tombe du Khân Althârï, à
peine prononça-t-elle ces quelques mots :
« Nous voici donc arrivés à l'endroit qui verra se dérouler ta première épreuve, serpent
de feu... Aucun de tes pouvoirs ne devra être utilisé pendant la durée de trois jours, je
prends tes armes, la plume de cristal, car je ne suis pas sotte, et te laisse les alliances,
car elles seront ton seul salut!
- Pardon mais... »
Althâr n'eut pas même le temps de finir sa phrase que la matriarche avait pris son
envol. La première épreuve commençait. Les bois autour de lui étaient sombres et brumeux,
l'air y était rare et Althâr sentait la présence d'êtres maléfiques dans les environs. La première
chose qu'il entreprit fut de se confectionner une arme de fortune, chose facile pour un maître
forgeron. Il ne tarda pas à trouver un arbre à bois dur auquel il arracha une branche, mais non
sans maintes excuses et remerciements, car étrangement il croyait entendre des mugissements
s'élever de la cime. Il tailla donc cette branche comme il l'aurait fait avec une barre d'acier, et
bien que végétale, l'épée qu'il avait fabriquée était aussi dure que le mythril ou acier d'argent,
et aussi tranchante qu'une pointe de diamant. Il établit un bivouac dans un renfoncement
rocailleux et veilla toute la nuit, alarmé par des soupirs et des cris, épié par des yeux de toutes
tailles et de toutes teintes. Passa ainsi le premier jour, fait de cueillette et de veille. Le second
ne fut pas plus mouvementé, et cette nuit il s'endormit très vite, rasséréné qu'il était.

Et c'est justement cette nuit qui fut choisie par une meute de wargs, ces grands loups
des forêts, pour déboucher dans la forêt près du bivouac d'Althâr. Il fût éveillé, et effrayé, par
ces hurlements, émis à quelques longueurs d'épée de lui. Il restait immobile, de peur de
disperser ses effluves alentour, mais ceci était chose faite, et le chef de la meute, un loup
albinos au moins deux fois plus grand qu'un loup des plaines, se présenta à Althâr. Si près
qu'il en sentait la respiration fouetter son visage, et son haleine corrosive et ensanglantée
agacer ses sens. Il bondit de côté avec pour seule arme son épée de bois. Mais le loup était
rapide, et il eut tôt fait de le rejoindre. Un combat singulier s'engageait entre le nain et le
canidé, et seul l'un des d'eux en ressortirait vivant...

Le loup s'élança sur Althâr qui, saisissant une pierre et s'écartant, la lança de toutes ses
forces dans son flanc, ce qui le fit retomber sur le dos. Se relevant, le loup poussa un
rugissement terrible, et brandissant crocs et griffes il fonça sur le Khân qui avança son épée.
Mais la pauvre fût brisée sans même traverser le cuir de l'animal, et Althâr se retrouva
immobilisé par ce dernier. Il sentait approcher la fin d'une aventure qui aurait été finalement
très courte, et affaiblit qu'il était par une nourriture exclusivement constituée de baies en
rations ridicules, il n'arrivait pas à repousser son assaillant. Sa main droite vint à arriver sur le
torse de son armure, où il avait enchâssé les alliances, et il se souvint alors d'Anna, des doux
moments qu'ils avaient vécus, du mariage qui s'annonçait, de la vie qui serait la leur, de
l'amour inébranlable qui les unissait, tour d'airain dans un champ de coton. Et alors il cria,
cria, si fort qu'aucun warg n'aurait pu couvrir son rugissement, et ses mains allèrent se ficher
dans la cage thoracique du loup. Il lui arracha le cœur tandis que ses yeux brillaient. Mais il
ne souriait pas, aucun plaisir ne l'animait et ses yeux laissèrent échapper des larmes pourpres.
Le chef tomba, inanimé, sur Althâr, et déboussolés par le décès de leur guide, les autres s'en
allèrent pour ne plus jamais revenir en cet endroit de la forêt. Cette nuit là Althâr ne dormit
pas. Il pleura la mort de son adversaire, mais sous le coup de la nécessité il dépeça sa carcasse
et reprit des forces avec sa chair. Il pleura beaucoup ce soir là, tant pour cet acte qu'il avait
commis que pour la distance qui le séparait, et ce peut-être à tout jamais, de la vue d'Anna-
Belle.
La journée suivante lui sembla brève. Il érigea un tertre en le nom du "loup blanc, chef
aimé d'une meute assoiffée", tel qu'il l'avait gravé sur une pale de bois trouvée sur le sol. Puis
il s'assit et pensa à Anna, si fort que cette pensée éveilla la matriarche. Cette dernière rejoint
alors, un jour plus tôt que prévu, Althâr. Et elle compris alors ce qui s'était passé, voyant le
tertre, le sang, les alliances, et ne dit rien à part :

« Voici terminée la première épreuve, mais je vois que vous avez entamé la seconde,
vieux nain, comme quoi votre sagesse est sans doute plus grande que je ne me le serai
laissé dire...
- Et quelle est-elle cette seconde épreuve ? »

Althâr regardait désormais fixement la matriarche, le visage pourpre des larmes qu'il
avait versées un jour durant, les mains et les avant-bras recouverts du sang du vaincu.

« Vous allez venir avec moi dans notre demeure, et là vous apprendrez à communier
avec la nature, lui parler, la respecter comme vous auriez respecté votre propre mère, car
Nature est mère de tout être en ces terres. Bien sûr vous aurez droit à quelque toilette et
restauration avant cela, ainsi qu'à un dîner moins pestilentiel que de la viande de warg ! »

Ce fût la première fois que la matriarche sourit à Althâr, et tous deux rirent en cet
instant béni entre tous. Althâr fût conduit en la demeure des cygnes, soigné des blessures que
lui avait infligées le loup, nourrit, et il eut même le droit de se laver, ce qui, dans une forêt,
n'est pas toujours simple.

Deux jours passèrent pendant lesquels la vie fut légère et guillerette, puis vint le jour
de la seconde épreuve, qui serait à l'esprit d'Althâr ce que la première avait été à son corps.

La seconde épreuve arriva vite, tant les deux jours qui séparaient Althâr de la première
avaient été agréables. Il alla à la rencontre de la matriarche, qui lui expliqua alors ce qu'il en
serait pendant la prochaine Lune, dix jours plus tard exactement.

« Tu as prouvé, fils du dragon, que tu savais te battre, mais là n'était pas le sens
profond de ta première épreuve. Et je sais que tu l'as compris. Tu devais apprendre à
respecter la nature et pleurer comme l'un des tiens la mort de l'un des siens, et bénir
chacun des dons qu'elle te faisait. Je ne te croyais si brave, vieux nain. Tu vas
maintenant subir la seconde épreuve, bien que subir soit un bien grand mot. Je vais
être ta tutrice pendant une à deux Lunes, et tu apprendras à vivre en tant que
prolongement de la nature, comme nous le faisons, comme Anna le fait. Car tu l'auras
sans doute compris du haut de tes quelques millénaires d'existence, le seul moyen de
t'attirer nos faveurs en cette union est de te faire entrer dans nos coutumes, et de faire
de toi l'un des nôtres.
- Je vais devenir une...
- Mais non gros bêta ! Nous n'avons pas toujours été vouées à la solitude. Jadis nous
avions nos hommes, nos maris et nos pères... Tout comme nous étions et demeurons
des cygnes, ils étaient les seigneurs des airs, les aigles...
- Est-ce à dire que je vais devoir apprendre à me...
- Mais tu es déjà un aigle ! Sinon jamais je n'aurai proposé cette alternative ! Tout
vivant au cœur noble est un aigle ! Tout dirigeant bienfaiteur est un aigle ! Seule
l'engeance bénéfique de ces terres peut devenir Dame des Cygnes ou Seigneur des
Aigles.
- Qu'il en soit ainsi ! »

Et pendant soixante nuits, deux Lunes complètes, Althâr suivit avec assiduité les
enseignements de la matriarche. Difficile était l'apprentissage, mais Althâr s'accrochait,
souhaitant par-dessus tout en finir avec ceci et retourner voir sa belle.

Et au bout de deux Lunes, Althâr réussit enfin à prendre l'apparence d'un Aigle. Un
aigle gigantesque, plus grand que le nain qu'il était, un aigle au port altier et au regard
magnifique et perçant. Puis il prit son premier envol sous cette forme, et toutes les Dames des
Cygnes le suivirent en cette procession aérienne. La seconde épreuve était terminée, il avait su
attirer à lui l’œil bienveillant de la nature, et lorsqu'il se reposa et reprit son apparence naine,
il ne reprit pas sa taille normale... Telle une aberration, on n'aurait pu déterminer si c'était un
grand nain, par sa carrure ou bien un petit humain, par sa taille...

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