L'Homme et la société

René Lourau, Les analyseurs de l'Église, Paris, Anthropos, 1972

Olivier Kaeppelin

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Kaeppelin Olivier. René Lourau, Les analyseurs de l'Église, Paris, Anthropos, 1972. In: L'Homme et la société, N. 27, 1973.
Sociologie idéologie et politique. pp. 201-204.

http://www.persee.fr/doc/homso_0018-4306_1973_num_27_1_1799

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 COMPTES RENDUS
René LOURAU
Les Analyseurs de l'Eglise
Editions Anthropos, Paris 1972, 336 pages
Le livre de R. Lourau qui se propose de
rendre compte de diverses expériences en milieu
chrétien apparaît, à côté de monographies
précises et d'études sur les problèmes posés par la crise
de l'église, avant tout comme une mise au point
sur la situation de l'analyse institutionnelle
en 1972, son état actuel, son développement, son
projet. C'est i travers les interventions faites au
sein de groupes catholiques de 1967 i 1969 que
R. Lourau nous fait comprendre dans quelle
pratique sociologique, sociale, s'insère aujourd'hui
l'analyse institutionnelle.
Le livre se compose de trois parties et une
introduction. Celle-ci ainsi que la première partie
re-situe la nécessité de la socio-analyse par
rapport à un certain nombre de phénomènes actuels
et de constatations théoriques déjà faites qui se
révèlent, avec acuité, de plus en plus pertinentes.
La deuxième partie se compose de monographies,
d'interventions ; enfin la troisième, à partir des
réflexions théoriques précédentes et de l'analyse
de la praxis tentée, ouvre sur les problèmes
posés par l'intervention socio-analytique. Elle
énonce ses principes essentiels.
Plus qu'aux comptes-rendus de session et qu'à
leur rôle, intéressons-nous à ce que l'auteur nous
dit quant à la théorie et la pratique de l'analyse
institutionnelle. Nous ne parlerons que de
quelques points soulevés par ce livre. Ceux-ci
s'éloignent, tout en l'englobant, du problème de
l'église, de « l'ici et maintenant » qui les a fait
naître. En ce sens ces lignes seront en contradiction
avec le schéma de l'analyse institutionnelle, ceci
pour tenter de saisir dans un cadre limité son
mouvement réel. Cette position réductrice nous
évitera une réduction plus fondamentale, celle du
cheminement de la pensée à travers la dialectique
pratique-théorie, base fondamentale de la socio-
analyse.
Le livre s'ouvre sur une constatation :
depuis 1968 la plupart des actions « politiques » et
des mots d'ordre tendent à affirmer de manière
inconsciente : « analysons nos institutions ».
Quelle que soit la forme prise, la distance à
l'institution est affirmée, ses rapports avec les
personnes et les groupes, pour une large part ne sont
plus « naturels ». Ce qui a été ressenti, perçu,
c'est sa relation avec la violence de l'Etat. Ce qui
a été acquis et plus particulièrement pour l'Eglise,
c'est qu'il faut éclairer cette relation de
soumission, d'obéissance inconsciente aux normes, sur
les lieux-mêmes où celles-ci s'exercent, ici et
maintenant in situ. Ce qui compte, c'est de mettre
à jour le non-dit qui sous-tend nos conduites
sociales, nos conduites institutionnelles par
lesquel es passent les mécanismes de contrainte,
d'inhibition, de pouvoir, etc., « le non-dit qui dévore
notre misérable vie ».
Face à ces exigences, la science sociale semble
dans l'incapacité de répondre. Parce qu'elle se
refuse souvent à agir en situation, parce qu'elle ne
répond qu'aux demandes de la classe dominante,
parce que ses critères de « scientificité » liés à
cette classe ne sont jamais remis en cause. Ainsi,
le sociologue considère le moment de l'arrêt de
l'observation d'une situation, comme délimitant
une période potentiellement analysable. Extérieur
à la situation, il observe puis analyse et « court
aux résultats ». On exige de lui dans des délais
« raisonnables » une réponse, une efficacité
probante, ceci bien souvent au détriment de la
situation analysée. Cette position artificielle d'arrêt
est-elle souvent remise en cause ? Voit-on par
exemple des sociologues refuser leurs rapports
d'enquêtes, parce que ne rendant pas compte de
la dynamique sociale qui continue sans eux, parce
que tronquant le mouvement continu de la
réalité ? La position d'extériorité du spécialiste est-
elle véritablement mise en question, même dans
un sens de validation. Non, au contraire, l'arrêt et
la position d'extériorité sont considérés
miraculeusement comme critères, parmi d'autres, de
scientificité. Or, sans nier les contradictions dans
lesquelles se trouve tout spécialiste en sciences
humaines, l'on peut affirmer que ces critères ne
sont rien moins que peu sûrs, qu'ils sont
directement inspirés par une demande de t neutralité »
vis-à-vis des phénomènes sociaux, une demande
de « rendement ». Dans ces deux demandes nous
202 COMPTES RENDUS
retrouvons des attitudes idéologiques et
économiques tout à fait connotées. R. Lourau pose la
question : les critères de scientificité auraient-ils
été les mêmes si la sociologie n'avait pas éludé le
concret des luttes sociales ou plus exactement si
elle avait répondu à la demande des groupes
dominés?
Pour répondre à cette question, l'auteur
restitue l'analyse par rapport à deux affirmations :
L'une de Lukacs, qu'il appelle l'effet Lukacs
et qui dit que la « science à mesure qu'elle
progresse oublie tout aussi progressivement les bases
matérielles et sociales dont elle est issue et tourne
le dos à la totalité ».
L'autre de Weber (effet Weber) qui affirme
que plus la société se rationalise plus elle devient
opaque pour ceux qui y vivent.
C'est dans cet espace qu'U situe l'analyse.
C'est à travers l'élucidation des phénomènes
d'accoutumance à l'oubli et à l'opacité que se
développera la position critique de l'analyse
institutionnelle. Situer ainsi la sphère et l'objet de
l'intervention c'est déjà, d'une manière, répondre à
la question posée plus haut.
L'analyse refusera ce phénomène d'oubli, se
constituera de manière à toujours avoir présente
à l'esprit la base matérielle des sciences sociales
c'est à dire, présentement, le système capitaliste
mondial. Les critères de scientificité des sciences
sociales se sont formés à partir de la demande et
du développement de ce système. Elle en tiendra
compte donc dans sa méthode et s'opposera aux
théories participant à cet oubli, se situant « au-
dessus » de l'histoire, de la mêlée. En affirmant
cette réalité, elle n'induira pas L'existence d'une
science bourgeoise et d'une science prolétarienne
mais affirmera l'existence d'une science
déterminée par le capitalisme qui a donc posé des
principes de scientificité à élucider et à critiquer. Elle
posera l'exigence d'un renversement des principes
épistémologiques des sciences humaines.
De même, il s'agira que l'intervention élucide
le problème de l'effet Weber. Le but de l'analyse
institutionnelle sera de mettre à jour les
déterminants du phénomène d'accoutumance aux normes
sociales, qui fait que celles-ci sont intériorisées
au point de devenir «c naturelles », inconnues.
Face à la méconnaissance des mécanismes sociaux
induisant des conduites « premières », la socio-
analyse se fixe le but de relever in situ, le
spectre de ces conduites, leur lien avec la machine
sociale ; ceci au niveau idéologique, libidinal,
politique et économique. Contrairement à l'effet
Lukacs, dans un mom'ent spécialisé (le hic et
nunc), l'analyse se fixe une visée totalisante.
Rejetant la sociologie se basant sur le modèle
mathématique qui ne fait qu'accentuer l'effet
Lukacs, l'analyse rejette aussi de manière
différente la critique des théories épistémologiques qui
se fait au nom du marxisme et qui n'est en
général qu'une activité partielle du sociologue, qui
reste par ailleurs à l'intérieur de la sphère «
sociologique » et qui parfois sombre dans le sociolo-
gisme ou l'économisme, niant par exemple
l'ancrage libidinal des rapports de répression, de
pouvoir, etc.
Elle propose une troisième voie, une critique
en acte, une alternative contre-sociologique. U ne
s'agit pas de fonder une anti-sociologie, une
nouvelle philosophie de la société qui nie la
sociologie, mais de proposer une méthode, une
stratégie différente pour obtenir une praxis différente.
R. Lourau nous dit que : « la contre-sociologie
s'inscrit dans une perspective de renversement des
alliances entre la science d'une part et de l'autre
par les forces de conservation ou les forces de
changement ». Nous retrouvons la mise en cause
de la détermination des sciences sociales par les
réponses aux seules questions de la classe
dominante.
U s'agit de répondre aux demandes des classes
exploitées. Cette nouvelle attitude implique de
nouvelles formes d'action dont principalement,
« l'intervention concrète ». Il faut supprimer la
séparation entre science et pratique sociale.
L'analyste est également un agent-social au même titre
que les autres agents sociaux. Sa conduite n'est
conditionnée que par la négation de la pratique
au moment de la connaissance théorique ; cette
connaissance doit le ramener à la pratique (à
travers la médiation de la négation de la
connaissance théorique). C'est à travers les problèmes
posés par exemple par les marginaux, les déviants,
les exploités économiques, politiques, que doit se
forger sa méthode d'intervention. C'est ce que
nous montrent dans le cas précis de l'église, les
monographies exposées dans ce livre.
Le but de cette contre-sociologie est de
participer à la construction démocratique du savoir
social, à la révélation de l'ignorance des acteurs
sociaux (analystes compris) en ce qui concerne
leurs propres régulations, motivations,
comportements institutionnels. Ceci, comme nous l'avons
vu à travers une visée totalisante, c'est-à-dire qui
ne privilégie pas la réalité psychologique groupale
(psychologisme) ou la réalité sociologique
extérieure (sociologisme) mais tente de cerner leur
articulation et surtout leur négation dans une
troisième instance qui les englobe dans un moment
différent (celui de la singularité). Cette troisième
instance est la transversalité. C'est à travers la
transversalité des formes économiques, politiques
et idéologiques qu'il faut étudier l'institution, le
groupe. C'est à travers elle que l'élucidation de la
conduite et de la stratégie institutionnelle se fera.
(Pour des précisions sur les trois moments de
l'institution -.universalité, particularité, singularité
et le concept de transversalité, se référer au livre
lui-même ou à F« Analyse Institutionnelle »
(R. Lourau, Ed. Minuit), ainsi qu'aux travaux de
 COMPTES RENDUS
F. Guattari). Par ailleurs, notons que cette visée
démarque l'Analyse Institutionnelle de toute
psychosociologie, dynamique de groupe,
psychodrame, etc., ainsi que de toute critique
idéologique (souvent économiste) des théories
bourgeoises. On peut la situer dans un dépassement
dialectique de ces deux positions.
La contre-sociologie se propose également de
déboucher sur la transformation des rapports
sociaux étudiés. Critique en acte, elle veut trouver
son achèvement dans la prise de conscience, par
exemple, par le groupe étudié, de la nécessité d'une
nouvelle praxis. Pour cela, elle centre son attention
sur l'effet analyseur.
Nous ne retracerons pas l'historique du
concept. Notons simplement que les psychiatres
s'étaient déjà posé le problème de l'analyseur
naturel, c'est-à-dire, nous dit R. Lourau : « le
problème posé par l'événement ou la structure
susceptible d'énoncer la contradiction de l'institution
en dehors de tout dispositif construit - en
dehors, et souvent, contre la parole analytique
instituée du psychiatre.
L'analyseur a toujours été synonyme de
déviance, de marginalité. En effet, par son refus,
celui-ci oblige les institutions à parler, à se
donner dans leur réalité profonde, à abandonner les
masques de l'idéologie régulatrice pour affirmer
leur véritable nature.
L'auteur nous dit que l'analyseur est un
« phénomène social capable de provoquer ou
d'imposer une critique, une autocritique, une
analyse sauvage de la situation ».
L'analyseur se présente comme la négativité
même de cette situation. Il déconstruit les
rapports sociaux institutionnalisés, oblige de les voir
dans leurs implications réelles (de classe). Il
force à prendre parti. Il a pour effet de révéler
les véritables rapports de pouvoir, masqués « sous
le consensus, le bien commun ».
L'effet analyseur est le point central de
l'analyse. Il peut être naturel dans le sens où nous
l'avons vu plus haut (c'est l'événement qui
provoque l'éclatement des contradictions).
U peut être construit, c'est le dispositif mis en
place par l'analyste pour biaiser la structure par
i'organisme client. U peut-être historique, il sert
alors de référence théorique aux analystes. C'est
le fait qui dans un processus historique oblige les
différentes institutions en mouvement à prendre
parti, à affirmer leur stratégie clairement, donc à
révéler leur nature.
Il a pour but avant tout de mettre à jour
« les bases matérielles concrètes des rapports
sociaux de pouvoir ».
U ne peut donc y avoir d'analyse sans
analyseur. Il est le dispositif concret par lequel passe
l'analyse, l'acte qui implique la transformation de
la situation.
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Par sa nécessité d'être révélé ou construit, il
oblige l'analyse à posséder une stratégie. U la
replace devant le problème de son origine, de sa
position vis-à-vis de la classe dominante, de ses
critères de scientificité. Il oblige à ce renversement
épistémologique dont R. Lourau nous parlait plus
haut. U est au cur de la réponse que l'analyse
institutionnelle donne aux problèmes posés par
l'effet Lukacs et l'effet Weber.
Malgré tout, les risques que comporte cette
contre-sociologie sont importants. Ils sont notés
par l'auteur lui-même.
Risque de réformisme si l'analyste oublie
l'effet Lukacs et se propose de transformer les
rapports sociaux uniquement dans une perspective de
meilleure adaptation des sujets, s'il se voit comme
porteur d'amélioration des comportements (c'est-
à-dire si, d'une manière, il oublie la
transversalité).
Risque d'utopie s'il force la situation, essaye
de provoquer artificiellement l'effet analyseur.
L'analyste tend alors par volontarisme à devenir
l'analyseur. Il gauchit le processus révélateur et
l'analyse sombre dans « l'agit-prop » ou la
technique de persuasion.
Ces dangers ont tendance à être réduits par la
méthode d'intervention proposée par l'Analyse
Institutionnelle.
Nous n'en dirons ici que quelques mots, notre
but étant dans ce compte-rendu de donner une
image du cadre et du projet théorique dans
lesquels se développe la socio-analyse actuellement
(son application aux problèmes de l'Eglise en tant
qu'institution révélatrice de la crise des
institutions étant mise à l'écart).
Par rapport à ce que nous avons dit, nous ne
retiendrons que les trois principales obligations de
la méthode d'intervention.
Notons simplement que généralement la
situation d'analyse est la suivante : l'analyste est
appelé par un groupe responsable ou dirigeant d'une
institution pour animer une session de
psychosociologie, de dynamique de groupe ou au mieux
de socio-analyse. Cette session réunit le groupe-
client qui est différent du staff-client
(responsable) et qui est en quelque sorte la « base » de
l'Institution. La session a lieu généralement avec
le staff-analytique (ou analyste), le staff-client et
le groupe-client (base).
Le premier point de la méthode
d'intervention que l'on peut resituer par rapport à l'effet
Lukacs- sera de refuser de s'identifier à la
commande du staff-client. U s'agit de ne pas
reproduire les rapports habituels dont sont issus « les
critères de scientificité » en psychosociologie par
exemple. L'analyste tachera d'élucider la
commande du groupe des responsables et surtout de
mettre en lumière la demande réelle de la base
par rapport à cette session. Par ailleurs le savoir
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de l'analyste ne pourra en aucun cas être
concomitant à un pouvoir dans l'Institution.
Le deuxième point surtout lié à l'effet Weber,
sera de mettre en place un dispositif analyseur à
travers lequel les rapports de pouvoir, de
domination, de soumission, pourront s'élucider, c'est-à-
dire où pourront se révéler la base matérielle de
l'institution, les rapports libidinaux idéologiques,
politiques, qui la sous-tendent. Ce dispositif
sera l'autogestion organisationnelle et financière
de la session. Dispositif analyseur permanent,
opposé structurellement à l'organisation de la
société globale, il sera un constituant indispensable
de la méthode, mais non son but. C'est à travers
lui que se révéleront les contradictions à leur
différents niveaux (ces différents niveaux étant
explicités dans les monographies et leurs analyses).
Enfin, le troisième point (lié aux deux effets)
est que : puisque l'analyste, s'il est analyste, est
aussi agent social au même titre que les membres
du groupe, il faudra prendre en compte ses
implications par rapport au groupe, c'est-à-dire « tenir
compte de », élaborer, l'analyse de son contre-
transfert institutionnel ; ceci est une condition
nécessaire pour l'évolution réelle de la session.
L'analyste dans son rapport au groupe est posé
aussi comme objet de connaissance.
Ces trois conditions impliquent l'auto-produc-
tion de l'analyse par le groupe-client et
l'analyste : celle-ci est impliquée par la prise de
conscience de la transversalité des institutions. En ce
qui concerne la relation de la transversalité avec
l'instance symbolique dans le groupe^ c'est-à-dire
l'instance basée sur la négation de l'imaginaire par
le « réel » et de la négation de cette négation
pour obtenir une troisième instance qui est « la
reprise de ce réel et la condition d'accès à la
totalité comme objet de connaissance et non comme
objet réel, empirique, immédiatement reconnais-
sablé », nous renvoyons le lecteur au chapitre IX
de l'ouvrage : « En quoi consiste l'analyse »
(p. 243) qui explicite le rapport de ces instances
avec les trois moments dialectiques de
l'institution.
Ainsi donc, nous avons vu comment se situaient
le cadre, les préoccupations, les projets de
l'analyse institutionnelle ; comment elle tentait de les
réaliser dans sa méthode. Ceci n'est qu'une partie
fort réductrice du livre de R. Lourau. U s'agit de
voir comment les positions que nous avons
exposées s'ancrent dans la réalité concrète des
interventions sur les groupes catholiques étudiés,
comment elles en tirent leur substance, comment elles
y retournent. Il était impossible d'en rendre
compte de manière abrégée. 11 faut suivre pas à
pas les relations entre la pratique, la théorie. Le
retour à la pratique, c'est là que le travail de
R. Lourau prend tout son sens.
Notons pour terminer que l'auteur fixe à
l'analyse institutionnelle le projet d'élucider
concrètement, en action, avec les acteurs sociaux le
procès de production et de reproduction des
rapports sociaux, ceci dans le cadre que nous avons
vu ici. U tente de mettre en lumière les
mécanismes précis des médiations qui déterminent ces
rapports. U nous dit qu'il faut mettre en cause les
bases épistémologiques des sciences sociales,
passer à la critique radicale les « critères de
scientificité ». Il fixe comme but à la contre-sociologie
l'analyse de l'opacité de nos institutions et des
conduites qui en découlent.
Par ailleurs, il ne donne pas cette tâche à un
analyste solitaire, détenteur jaloux de son savoir,
mais au groupe qui doit produire son
auto-analyse. U affirme, pour ceux qui veulent bien
comprendre ce qui est dit, que l'on peut bâtir une
« contre-sociologie » basée sur le postulat selon
lequel « tout le monde peut devenir «
sociologue » (tout acteur dans la lutte pour la
révolution ou pour la survie) ».
Dans cette perspective, la contre-sociologie est
soumise à la situation, au développement de
l'analyse institutionnelle généralisée (par tous,
dans la rue, à l'université, l'église ou l'usine).
La socio-analyse directement intégrée à la
pratique et au savoir social est donc resituée par
rapport au processus historique, ainsi elle ne peut
que dépérir en tant que « spécialité
sociologique », si le mouvement révolutionnaire est
ascendant. En ce sens, elle invite à son dépassement
et le prévoit.
L'intérêt de ce livre quant à l'analyse
institutionnelle est indéniable. Après cinq années
d'expériences et alors que plus de trois cent personnes
se sont réunies sur ce sujet l'été dernier, l'auteur
fait le point nécessaire sur la situation de la socio-
analyse et met au clair ses principes
fondamentaux. U insère les principales affirmations
théoriques dans le concret d'interventions et d'analyses
éclairantes. Par ailleurs il pose à nouveau, à
travers la contre-sociologie, les problèmes
fondamentaux pour une sociologie matérialiste,
aujourd'hui : la sociologie existe-t-elle encore ?
quels sont ses critères « scientifiques », d'où
viennent-ils ? et surtout : peut-on la concevoir
autrement que comme une élaboration avec les acteurs
sociaux d'un savoir et d'une pratique sociale ?
Y-a-t-il une différence, quelle est-elle, entre
science sociale et savoir social ? Enfin, il la fait
déboucher sur la nécessité d'une praxis sans
laquelle elle ne peut exister. Ce sont bien
aujourd'hui ces problèmes qui se posent à la
sociologie. R. Lourau tente d'y apporter à travers
l'analyse institutionnelle une première réponse.
Olivier KAEPPELIN