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Revue du droit public et

de la science politique
en France et à
l'étranger / dir. Gaston
Jèze
Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
Revue du droit public et de la science politique en France et à l'étranger / dir. Gaston Jèze. 1912.

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,
,

CHRONIQUE CONSTITUTJONNELLE DE FRANCE

I. Responsabilité des fonctionnaires devant le Parlement. -


-_
SOMMAIRE:

------_.-_.---- --.---
11. La Vice-Présidence du Conseil
...
des
~.- -
.... ......Miilistres.
... -..
,

I. - De la responsahilité des fonctionnaires devant le Parlement.


, 1

De récents incidents parlementaires ont attiré rattention sur une ques-


tion qui jusqu'ici a été peu examinée. Elle touche à la portée .de la res·
ponsabilité politique des ministres devant le Parlement dans une hypo-
thèse particulière: lorsqu'il s'agit d'actes de leurs subordonnés.
En effet, à laChambre des dépuMs, on vient de tenter, à plusieurs·
reprises, de substituer à la responsabilité politique du ministre cellt' du
fonctionnaire placé sous ses ordres, ou, tout au moins, de faire coexister"
les deux re~ponsabilités. On a voulu faire admettre que, lorsqu'il s'agit
des actes personnels d'un fonctionnaire, c'est ce fonctionnaire et non' le
ministre qui doit en répondre devant les Chambres. Le ministre serait
ainsi mis hors de cause. Toutefois; il pourrait engager sa responsabilité,
s'il prenait fait et cause pour son subordonné. ~lnis alors, la responsabi-
lité parlementaire de celui-ci n'en subsisterait pas moins~ Il y aurait··
entr'eux une solidarité de responsabilité. '. __
Ces tentatives de mise en jeu de la responsabilité de fonctionnaires se.
sont produites chacune dans des conditions différentes. Ainsi elles ont
été l'œuvre tantôt du ministre lui·même, venant abriter sa responsabi- .
lité derrière celle de son subordonné, tantôt de la Chambre des députés.
D'autre part, dans certains cas, on s'est servi de l'institùtion des commis-
saires du gouvernement pour réaliser pratiquement la mise' en cause
du fonctionnaire. Car le commissaire désigné étant précisément le fonc-
tionnaire dont les actes étaient attaqués, la substitution de responsabilité .
s'opérait très aisément. .
Je voudrais, dans cette Chronique, exposer dans quelles conditions se
sont produites ces suhstitutionsou tentatives de subsiitution de respon-
s~bilité, pour les examiner ensuite en elles-mêmes, au point de vue du
droit .constitutionnel.

Il ,blt fr :b io h ~ti ~I Fran


ROGER BONNARD

1
,

t 0 Parmi les hauts fonctionnaires, il en est un que la Chambre des


députés a toujours cherché plus ou moins à mettre personnellement en
cause devant elle : c'est le gouverneur général de l'Algérie. Il faut
reconnattre d'ailleurs qu'il se présente, sinon en droit, au moins en fait,
dans une situation un peu spéciale vis-à-vis du Parlement.
En droit, cett(> situation ne diffère pas de celle des autres fonctionnaires.
Théoriquement, il n'y a pas de raisons pour que le Parlemeni le traite
~utrernent qu'un préfet, par exemple.
~Iais, en fait, il ne peut pas en être ainsi, car le gouverneur de l'Algé-
rie est dans une situation qui rappelle beaucoup celle des sous-secrétai-
res d'Etat de la métropole.
La situation n'est éVidemment pas identique; mais elle n'est pas sans
présenter beaucoup d'analogies. D'où, sans doute, cette tendance du Par-
lement à le. mettre en cause. .
D'abord, ses pouvoirs sont très étendus, surtout depuis le décret du
23aoQt {898 qui les a réorganisés, Ils sont étendus non seulement en
droit, mais aussi en fait, à, raison de l'éloignement qui rend sa subordina-
. tion aux ministres moins étroite. D'autre part, dans certains décrets
spéciaux relatifs. à sa compétem:e,. on trouve une formule singulièrement
caractéristique. Il est dit dans' ces textes que, sur telle matière détermi-
née, il aura des mêmes attributions que le ministre dans la métropole ) ({).

(1) Voici quelques textes où on trouve cette expression:


1° Décret du 26 février 1.898 SUI' les attributions du gouverneur géné-
ral de l'Algérie enmatière de police:
cc Art.t. - Le gouverneur général de l'Algérie aura dans la colonie en
matière de police les mêmes attributions que le ministre de l'Intérieur
dans la métropole»,
2° Décret du 23 mars 1898, relatif an service de l'agriculture en
Algél'ie :
« Art. 5. - Pour les divers services de l'agriculture, le gouverneur géné-
ral a, en Algérie, les mêmes attributions que le ministre dans la métro·
pole, sous réserve toutefois des attributions conférées expressément au
Ministre par la législation spéciale de la Colonie ».
30 Décret du f 2 octobre 1. 90 1. sur le service des P08tes et Télégraphe8
en Algérie:
cc Art. 7. - Le gouverneur général exerce en Algérie en matière de
Postes, télégraphes et téléphones, les attributions dévolues en France au
Ministre du Commerce, de l'Industrie et des Postes et Lélégraphes ou au
Sous-Secrétaire d'Etat aux Postes et Télégraphes, sous les réserves indi-
quées aux articles suivants ».
,
\'
RESPONSABILIT.é DES FONCTIONNAIRES DEVANT LE PARLEMENT '75

Cela rappelle assez la substitution de compétence qui sert à constituer les


attributions des sous-secrétaires d'Etat. '
Mais il y a plus encore que cela pour contribuer !J. donner au gouvel'~
neur général une situation parlementaire personnelle. ' .
Il est de tradition constante que, dans les débats importants relatifs à
l'Algérie, non seulement dans les discussions des projets de loi ~ais
aussi dans celles des interpellations, ]e gouverneur général est toujours
désigné comme commissaire du gouvernement pour assister les ministres.
Ainsi, en fait, il a cette qualité il. titre permanent. A un moment même,
on voulut transformer cette permanence de fait en permanence de droit.
Un décret du 22 mars 1880 nomma commissaire permanent le gouver-
neur général qui était alors le sénateur Albert Grévy (t).Cette disposi-
tion était personne~le à Albert Grévy, et disparut avec lui. Mais la perma-
nence n'en subsista pas moins en fait. . ,

Il résulte de là que le gouverneur général a pratiquement un vérita-


ble droit d'entrée et de parole dans les Chambres tout comme un sous-
secrétaire d'Etat. Il est donc presque naturel que les' Chambres soient
poussées à le mettre ,personnellement en cause et même à le considérer
comme responsable devant elles.
Cependant, pendant longtemps, cette mise en cause, pour être nette-
ment exercée, n'alla pas jusqu'à l'effacement complet des ministres der- .
rière leur subordonné. l\Iême lorsque le gouverneur général intervenait
personnellement dans des interpellations, il parlait au nom du ministre
et le ministre revendiquait toute l~ responsabilité (2).
Mais, il y a quelque temps, au cours d'incidents que je vais rapporter,
il a cessé d'en être ainsi. La mise en cause du gouverneur général sem-
ble avoir abouti à l'établissement de sa responsabilité personnelle et exclu-
sive devant la Chambre. .
Ces incidents se sont produits à l'occasion de la discussion devant la
• Chambre d'un projet de loi portant approbation de conventions conclues
par le gouverneur général, qui était alors M. Jonnart, et relatives à la
c!lncession d'un chemin de fer destiné principalement à desservir les

(1) J. O., 1880, p. 4289.


(2) V. notamment, interpellation sur l'organisation de l'Algérie et dis-
,cours du gouverneur général Cambon (J. O. Débats. Chambre, 11 novem-
bre 1896, p. 1466 et s.'). - Interpellation sur les, troubles' en Algérie et
discours du gouverneur général 'Lépine (J. O. Débats. Chambre, 20 février
18g8, p. 782). - Interpelllltion relative à un décret spécial à 'l'Algérie et
discours du gouverneur générall.\evoil où il dit notamment: « Il (le décrét)
a été l'acte réfléchi d'un gouvernement responsable sur la prQposition du
gouverneur général» (J:O. Débats. Chambre, 28 mars 1903, p. 1377)'

o
,
-
...., \ , .

• .'
76, ROGljlR BONNARD
1

mines de l'Ouenza, en Algérie. Ces conventions ainsi que les actes mêmes
de concession (le ces mines furent vivement attaquées par certains'
députés. Mais. ceux-ci, au lieu de s'en prendre au ministre re&ponsable
devant le Parlement de l'administration algérienne, inirent en causé pero
sonnellement
,
le chef direct de cdtte administration, le Gouverneur Géné-
raI de l'Algérie qui prenait part au débat comme commissaire du gou-
vernement. Ils portèrent contre M. JonnaI"t la grave accusation d'avoir
sacrifié les intérêts nationaux et ceux de l'Algérie pour donner satisfac-.
, tion aux intérêts particuliers de certains groupes financiers, voire même
d'avoir favorisé des ind'ustriels étrangers au détriment des industriels
français. Or M. Jonnart accepta cette mise en cause personnelle et la:
responsabilité dont la Chambre le chargeait.
En effet. d';lbord au cours d'une discussion préliminaire relative à
l'ajournement de cette discussion, et qui eut lieu le 14 janvier 1999, pour
combattre l'ajournement, il s'exprima ainsi:
. « Si ceux qui combattent ce projet voulaient encore en voir ajourner le
débat, ils n'auraient pas dft m'accuser d'avoir méconnu les intérêts supé-
rieurs de la défense nationale, d'avoir favorisé je ne sais quel trust, je ne
sais quel accaparement. On a porté contre mon administration des acc1tsa-
. tions graves. Il ne faut pas qu'on se dérobe aujourd'hui; il faut qu'on s'ex-
plique .........• Vous devez comprendre qu'il me tarde d'établir à cette
tribune, avec des faits et des chiffres indiscutables, que, ni M. Revoil (J),
ni moi, n'avons rien sOC1'ifié de l'intérêt national; que nous avons, au
eontraire, ... etc. » (2).
Alors, M. Clemenceau, Président du Conseil et Ministre de l'Intérieur,
appuya aussitôt ce point de vue dans Jes termes suivants;
« Il (M, Jonnart)

a déclaré dans quelle situation fausse il se trouvait,
alors qu'il était en butte à des imputati0I!s calomnieuses, c'est l'expression
dont il s'est servi. Il est bien naturel qu'il ait hdte de monter à la Il'i-
bu ne fJoul'répondre aux insinuations portées contre lui et qu'il1Jeuille s'ex-
pliquer le plus tOt possible II (3).
Le sens de cette déclaration est très net. Le président· du conseil en
disant que c'était non il lui, mais à M. Jonnart de s'expliquer et de se jus-
tifier, en acceptant aussi la mise en cause personnelle du gouverneur
général reconnaissait implicitement une certaine responsabilité de ce
dernier devant le Pàrlement à l'exclusion de la sienne.

(1) M. Revoil a été le prédécesseur immédiat de M. Jonnart, au gouverne-


ment général de l'Algérie.
(2) J.' O. Débats. Chambre, J5 janvier 1909,· p. 9.
(3) J. O. Débats. Chambre, 15 janvier 1909, p. 10 (col. 3).


• \'

RESPONSABILITÉ DES FONCTIONNAIRES D!!VANT LB PARLEMENT 77


• -- ,
,
• 1
'
-
, •

,D'ailleurs, l'ajournement fut alors prononcé. Mais quand les débats'


reprirent en février 1910, ils se poursuivirent toujqurs dans lé même
esprit : mis~ en cause personnelle du gouverneur .général et effacement
des ministres d~vant lui, , ,
Ainsi à la séance du 4 février ,1910, 1\1. Zevaès attaqua 1\1. ~onnart
pour lui reprocher d'avoir dit que les socialistes étaient des.antipatriotes,
, .-
d'avoir négligé les intérêts. algériens dans les conventions, d'avoir
accordé la concession des mines à des maillons étrangères (1), •

1\Ième tendance encore dans le discours de M. Allemane qui termine


d'ailleurs ainsi: ."
« Je m'adresse encore, el je le prie de m'en excuser, ,à M, le Gouverneùr
général de l'Algérie; mais il est le principal personnage dmts ,cette
affaire» (2). '
,

Dans tous 'ces débats donc, on voitle goU\'erneur général se dér~ndre


seul et, à aucun moment, les ministres compétents ne prendre fait et'
cause pour lui et revendiquer pour eux devant l' Asse~blée la responsa-
bilité des actes faits par le gouverneur général. Il y a bien eu là substi-
tution complète de la responsabilité d'un fonctionnaire à la responsabilité
ministérielle.
2° Un fait analogue s'est produit récemment pour un autre haut fonc':
tionnaire dont la situation se rapproche beaucoup de celle du gouverneur
général de l'Algérie. '
Le Résident général de Tunis, à l'occasion d'interpellations sur l'admi-
nistration de la Régence, a vu aussi sa responsabilité personnelle mise en
jeu par la Chambre et devant elle. Ici encore, ce fonctionnaire assistait
comme commissaire du gouvernement le Ministr,e des Affaires étrangè- '
res da~s la discussion de ces interpellations. ?tIâis entr~,cet incident et
le précédent, on trouve une différence. Le ministre ne couvre pas son
subordonné pour prendre à lui seul la responsabilité devant la Chambre.
Il reconnaît ainsi la responsabilité du Résident général. Mais il ne dégage
pas complètement la sienne, car il déclare se solidariser avec son subor-
donné. Ainsi la responsabilité ministérielle se pr~sente ici 'sous catte
forme nouvelle de solidarité du ministre et de son subordonné devant
le Parlement. •
Voici d'ailleurs dans quelles conditions cette situation s'est produite.
Ces interpellations sur les affaires tunisiennes vinrent en discussion
devantla Chambre à sa 2e séance du 2.t. novembre t9tt. A la filide cette

(1) J. O. Débats. Chambre,5 février 1910, p. 573 et 574.


(2' J., O. Débats. Chambre, /2 février 19 10 , p. 74~.

78 ROGER BONNARD

séance,· après un discours de M. LagrosiIlière, M. Thalamas, l'un des


interpellateurs, intervint pour demander le renv.oi à huitaine de son dis~
cours. II annonça alors nettement qu'en faisant le procès de'l'adminis-
tration tunisienne, il mettrait directement en cause devant la Chambre
. la responsabilité personnelle du Résident général de Tunis :

IlVous avez, M. le Résident général, unI.' singuliè1'e responsabilité que


je ferai peser sur vos épaules à propos des troubll.'s 'de Tunis. J'aimerais
mieux, je vous assure, bien qu'il me soit pénible de le dire, j'aimerais
mieux voir sur ces bancs un autre commissaire du gouvernement que celui.
qui a sur la conscience la responsabilité de la révolte de Tunis» (1).

A cette attaque directe contl'e son subordonné, le l\Iinisire des Affaires


étrangères ne répondit rien à ce moment·là, semblant ainsi lui laisser
toute la responsabilité sans .engager la sienne.
Cependant quelques jours après, il se ravisait. C'est alors que fut
ébauchée cette idée d'une solidarité de responsabilité entre le ministre et
son subordonné.
A la séance du 30 novembre t 91 i, pendant la discussion du budget des
. Affaires étrangères, certains députés critiquèrent les absences prolongées
de leur poste que faisaient certains agents diplomatiques. Ils dénoncèrent
.le Résident général de Tunis comme étant particulièrement dans ce cas.
D'où l'incident (2).
En effet, le Ministre des Affaires étrangères expliqua en ces termes la
présence à Paris du Résident général :

liVous savez à merveille qu'une interpellation était annoncée. Vous


savez que cette interpellation était dirigée en partie contre le Résident
général. Vous estimerez sans doute avec moi - c'est une question de loyauté
- que sa présence ici était nécessaire et qu'il lui incombe de venir répon-
dre devant la Chambre aux attaques mêmes dont il est l'objet. Il

Ainsi le Ministre semblait persister dans l',idée qu'impliquait son


silence à la séance du 24 novembre, En reconnaissant que l'interpella-
tion était dirigée contre le Résident général et que c'était à lui à se défen-
,Ire, il reconnaissait par là' l'existence de la responsabilité de son subor-
donné devant la.Chambre.
Aussi 1\1. Bouge interrompit ainsi le 1\linistre pOUl' protester contre son
effacement :

,
(1) J. O. Débats. Chambre, 25 novembre 1911, p. 3322 (col. 2).
(2) J. O. Débats. Chambre, 1er décembre 19JI, p. 3469 (col. 3).
, ,
, •
,,
'

RESPONSABILITâ DES FONCTIONNAIRBS'nEVANT, LE PARLEMENT 79


• , ,
C'est vous qui devriez le couvrir. C'est vous qui avez ,la responsabilité
Il

devant nous. »

Alors le l\Iinistre de répliquer :

« M. Bouge, je n'y manquerai pas et vous le verrez tout le premier. Mais


lorsque vous formulez contre un homme les accusations qui ont été formu-
lées contre le Résident général, lors que j'ai pu entendre de mon banc l'autre
jour - et je suis resté calme - que la place du Résident général n'était
pas ici, qu'elle devrait être sur les bancs de la Cour d'assises, ne pensez-
vous pas qu'il est du devoir de cet homme de venir ici même vous appor-
ter ses explications et de se défendre devant la Chambre ? Mait; quelle
notion avez-vous donc de la justice dans ce pays, si vous voulez que les
accusation.s seules puissent se produire? "
,
Le sens de cette déclaration est très clair. En effet, le Ministre dit
d'abord qu'il n'entend pas dégager sa responsabilité. ltlais d'autre part,
il ne se reconnaît pas seul responsable puisqu'il persiste à considérer que
le Résident général peut lui aussi se défendre personnellement devant
la Chambre. Ainsi tout en engageant sa responsabilité, il continue à lais-
ser à découvert celle de son subordonné. En d'autres termes, il se solida-
rise simplement avec lui. C'~st bien d'ailleurs ainsi que la situation fut
comprise par la Chambre dans la suite de la discussion. .
A la 20 séance du 1er décembre t 91 f , M. Thalamas prononça 80n discours
annoncé. Dès le début, il remit en cause la responsabilité du Résident
général et considéra par ailleurs que le Ministre avait simplement voulu
se solidariser avec son subordonné: \

« Je chercherai à définir d'une manière aussi positive que possible là


cause du mal, c'est-à·dire c.eUe bureaucratie de police:,et d'affaires qui
dirige aujourd'hui la Tunisie, dont le résident actuel, IH. Alapetite, est
le chef responsable, et dont M. le Ministre det! Affaires Etrangères, depuis
SOD intervention à la séance d'hier, s'est rendu publiquetnentet effective-
ment solidaire >l (1).

Puis dans le cours de son exposé, lU. Thalamas continue à mettre cons-
tamment en cause l'administration tunisienne et le Résident général sans
rien reprocher directement au Ministre. Enfin, il termine en reprenant
à peu près les mêmes idées qu'au début.
Il affirme d'abord la responsabilité de l'administration 'uni sienne
devant le Parlement.
S'adressant à la Chambre, il dit:

(1) J. O. Chambre. Débats 2 décèmbre 19", p. 3503, col. 1


sp. .ROGER BONNARD

Il Messieurs, je vous prie de me laisser terminer. D'ailleurs, la ,c.,use,.

je crois, est entendue. Je vous ai apporté la preuve que l'administration


tunisienne ne pouvait pas garder votre confiance ») (1). .

Il remet encore personnellement en cause le Résident général: .


cc J'aurais eu peut-être quelque chose à dire touchant l'action personnelle
de son chef 1'esponsable. M. Alapetile. Je me bornerai à dire deux mots en
me p~açant sur le seul terrain qui convienne, celui de sa responsabilite
comme cltef» (2).
1
Enfin, il accepte de nouveau cette solidarité de responsabilité réclamée
par le ministre :

« Jusqu'à hier, je pouvais croire et j'avais le droit de croire, moi qui ne


suis pas, vous le sRvez, un adversaire du gouvernement, moi qui ne suis pas.
de ceux qui cherch'ent une crise ministérielle, ni qui la désirent, ni qui la
souhaitent pour en profiter, moi qui suis un républicain résolu à voir con-

tinuer l'œuvre de réforme, jusqu'à hier je pouvais croire que ,fI. le Résident
géneral de Tunis, que la résidence générale et son administration etaient
seuls en cause devant moi. Mais hier, par une de ces habiletés dont vous
. avez, Monsieur le Ministre, donné tant de preuves au Conseif municipal de
Paris, vous avez cherché à préjuger la question à propos d'un incident# à
provoquer dans la Chambre un mouvement de sympathie préalable pour
M.le Résiden~ général. Je vous ai dit que c'était une imprudence et qu'il fal-
o lait attendre au lendemain. Mais après votre intervention, moi qui lIuis de la
majorité républicaine, je suis obligé de vous solidariser avec votre Rési-
dent et de vous dire què je ne vous donnerai plis ma confiance, bien que je
la maintienne au cabinet. auquel vous nppartenez, parce que ce cabinet me
parait répondre aux aspirations républicaines. Mais à vous, je ne puis plus
accorder mon v(\te, et je déposerai un ordre du jour dans ce sens 0 (3).

A la fin de cette séance du ter décembre 19t 1 la discussion fut renvoyée


à une date ultérieure et ne fut reprise qu'à la séance du 19 janvier 1912',
Sur ces entrefaites, le l\Iinistre des Affaires étrangères avait dû démission-
,ner et i)!; Poincaré venait de remplacerl\I. de Selves. La discussion n'en
continua pas moins comme s'il n'y avait pas eu changement de l\Iinistre,
Cela est une preuve encore du rôle effacé du l\~inistre et indique que 0

l'interpellé éta~t moins le l\linistre que le Résident général. D'ailleurs, à


la séance du t9 janvier HH2, nous retrouvons la même continuelle mise
en cause personnelle de ce fonciionnaire par les différents orateurs. Ici

(1) J. O. Débata. Cllambre, 2 décembre 1911, p. 3518, col. J


(2) J. O. Idem.
(3) J. O. Débats. Chambre, 2 décembre 1911, p. 3518 (col. 2) •


\ .

RBSPONSABILITÉ DBS PONaTI0NNAI~ESDKVANT LE PARLEMENT ~ •.

encore, des citations s'imposent tant elles sont caractéristiq1,les d.e l'éta~
. d'esprit de certains membres de l'Assemblée.
Voici d'abord ~I. Charles Dumas affirmant la responsabilité du R~si-
dent général : .

a J'entends que M. le Résident général qui est actuellement sur ces bancs
ne manquera pas de me dire: Il Je ne suis 'pour rien en tout cela ". C'est
entendu. C'est là une opération qui a été faite avant son arrivée. Mais il
ne faudrait pas que le Résident général oubliât qu'à partir de maintenant
sa responsabilité est engagée. Il lui appartiendra de nous dire s'il entend
la dégager. ou bien si, par je ne-sais quel sentiment de solidarité résiden-
ticHc, il entend, lui aussi, couvrir les iniquités et les injustices.» Ir).

Puis, c'est ~1. Dl'iant prenant à partie le Résident général et s'adres-


sant personn,ellemen't à lui pour lui reprocher ses aetes dans une certaine
affaire Couitéas (2).

C'est encore M. Hippolyte Laroche venant prendre la déCense person-
nelle du Résident général (3). Enfin dans tout ce débat, il n'est pas plus
question du Ministre des Affaires étrangères que si le Résident n'avait
pas été son subordonné.
La discussion se poursuit à la séance du 26 janvier t9t2.avec' un dis-
cours de ~1. Bouge où l'on voit réapparaltre l'idée de solidarité, de res- .
ponsabiIité entre le ~Iinistre et le Résident général :

« Ces abus, ces excès de pouvoir, ces coups d'Etat, à la vérité, la rési-
dence générale de Tunis les 11- suggérés; eHe en a eu l'initiative. Mliis il y .
II au dessus de la résidence générale de Tunis, le Ministre des .Affaires
Elrangères. Sans lui, l'initiative de Tunis n'eM pas pu aboutir. Les Minis-
tres qui sc sont succédé, MM:Pi~hon, Cruppi et de Selv:es ont tous approuvé'
les actes de la résidence. Ils les ont approuvés du moins parJeur inertie et
pal' leur silence. Et ainsi, ils ont, solidairement avec le Résident génêral,
la responsabilité de l'anarchie actuelle lt (4).

Enfin, comme pour confirmer la physionomie de ces débats,ee


fut le Résident général qui vint répondre' lui-même aux interpellateurs.
Ille fit dans un long discours qui n'a pas tenu moins de quatre séances (1) •.
CeCut un vérihble discours de ministre non seulement pour. son impor-
tance, mais aussi pour son contenu. Le Résident général ne sa borna pas
à fournir des explications purement techniques comme doit le raire n,!r-

(1) J. O. Débats. Chambre, 20 janvier 1912, p. 34 (col. 3).


(2) J. O. Débats. Chambre, 20 janvier 1912, p. 28 (col. 1).
(3) J. O. Débats. Chambre, 20 janvier 1912, p. 35.
(4) .1. O. Débats. Chambre, 27 janvier 1912,, p. 84 (col. 3).
IUVUE DU DROIT PUBLIC. - T.- XXIX, li
,'

mâléùiênt'oo C!btilit1issilÎtë du gttuverhèmèftt. Ù fit urt êXpôsé targè et,


complet de toute la politiqUè suivie en Tüi1isiê non seulement par lui
mâts aüssi par !5j!9 pt'édéèeSseüi8. Brëf il pè,rla bêàucoup plus èOlÜmè un·
Ministre que comme un commissaire du gouvernement.
3° A côté de ces incidents où l'on voit le Parlement mettre lui-même
en jeu la responsabilité du fonctionnaire, on en trouve d'auires où c'est
le Ministre qui met en cause un 'fonctionnaire et rejette sur lui Iii. respon-
sabilité qui pourrait lui incomber vis-à·vis du Parlement. ~[ais ici le
Parlement proteste contre la tentative dé substitution de responsabilité.
Li!. ~i'ise aigrie qui se produisit au début de t9t 1 à propos de la délimi-
tatioh de la. Chàmpagnè vitictlle, fut l'occasion d'One de ces tentatives.
M. Monis,
. . président
" ..
\
du Conseil et l\Iinistre
. .
de l'Intérieur, essaya
. dp. rejeter
sur le Conseil d'Etat la responsabilité d'une mesure à laquelle les circons-
tances donnaient un caractère d'extrême gravité (2).
Un règlement d'administration publique du t7 décembre i 908 avait
délimiié la Champagne au point de vue viticole. Le département de la,
Marne y était compris et celui de l'Aube en était exclu. D'où, d'une'
part, vif mécontentt>ment des vignerons de l'Aube et, d'autre part, oppo-
. sition de ceux de la l\larne à toute modification de délimitation. Ce mécon-
tentement finit par aboutir à des troubles graves et à une situation pres-
qu'insurrectionnelle. Le l\Iinistère, et surtoui son chef, 1\1. 1\[onls, se
trouva ainsi dans une situation quasi-inextricable. Pour faire' cesser les
troubles de l'Aube, il eût fallu étendre la délimitation à ceUe région.
Mâis lieUe extension risquait de provoquer des troubles dans la 1\Iarne,
Aussi le Président du Conseil était dans un cruel embarras, accru par
les réclamations pressantes des députés des régions intél'essées.
Il essaya d'abord de se tirer d'affaire en soutenant que le gouverne-
ment ne pouvait plus modifier par décret la délimitation. L'ayant fait
une première lois, il aurait épuisé la délégation à lui faite pal' le légis-
lateur. lIais on n'eut pas de peine à lui démontrer que c'était là une
érretir complète.
Alors il prétendit faire le Conseil d'Etat juge de la. question, c' est-à-dire
lui laissefrédiger le décret modificatif de la délimitation. Il entendait,
ainsi {Iii laiilsêrtoute la responsabilité de la. décision devant le pays
êonhne devant le Parlement.
,
(II J. O. Débals. Chambre, 27 (p. 92), 30 (p. 101),31 (p. 115),janvier, 1912,
2 Cévrier 1912, p. 135.
(2) Je rapporterai brièveineili id ces incidents. Ils ont déjà été l'objet
dans cette Revue d'ùn exposé détaÜlé et d'un lumineux commentaire:
V. ROLL.lND, Le Oonseil d' Etàt ~ les réglements d'adtninisli''alion publique
(19JJ, p •.38o).

Mais ici encore, à la Chambre,- on rappe1ta M. Monis au· respect des


principes de notre droit public. On. lui fit observer' que,' pour les règle-
. ments d'administration publique, le Conseil d'Etat ne devait intervenir
que pou~ avis; qu'en droit aussi bien qu'en fait, la décision devait émaner
du gouv,;,rnement, et qu'aussi la pleine responsabilité devait incomber
à lui seul. Malgré cela, ~I. Monis n'en persista pas moins à vouJoir ,
remettre au Conseil d'Etat un décret en blanc, c'est-à-dire à lui laisser le
soin de le rédigel' et de trancher ainsi en fait lui-même la question. Mais .
il déclara qu'en contresignant le décret ainsi rédigé, ille ferait sien et en
accepterait la pleine responsabilité. C'est d'ailleurs là ce qui a été fait ...
Ainsi, dans ces incidents, nous saisissons sur le vif un ministre voulant
rejeter sur des fonctionnaires une responsabilité qui eM db normalement
lui incomber. Il y est d'ailleurs arrivé en partie en faisant rédiger le
décret par le Conseil d'Etat. Sa responsabilité devènait ainsi quelque peu
fictive.
40 Un inciden~ du même genre que le précédent s'est produit à l'occa-
sion des discussions parlementaires soulevées par le traité franco-alle-
mand du 4< novembre 1911 relatif au Maroc.
Le 20 novembre 1911 avait lieu à la Chambl'edes députés un débat
sur la fixation de la date d'interpellation de 1\1. Bouge relative à «cer- .
taines déclarations faites pal' le ~linistre des Affaires Etrangères à .la
Commission des Affaires Extérieures et sur les désordres qu'elles' ont
révélé dans les services du ministère l). 1

Il s'agissait du fait suivant. Le 9 novembre .:191 t, le l\linistre des Affai-


res Etrangères questioimé par la Commission des Affaires Etrangères
de la Chambre sur un point très important lui avait f~urni des indications
inexactes. Il avait été .mal renseigné par ses bureaux d~ Ministère.
S'étant aperçu de l'erreur, il vint spontanément dès le leii(femain devant
la Commission pour rectifier les fausses indications qu'il avait données •
. Puis le fonctionnaire qui l'avait induit en erreur, M. Bapst, directeur des
Affaires politiques, fut mis en congé en guise de peine discipiinaire.
Jusque-là rien que de trHs correct. Mais bientôt on eut l'impression dans
les milieux parlementaires que, dans la pensée du Ministre, cette mesure
contre M. Bapst signifiait que lui, le Ministre, n'était pas responsable de
l'incident et que toute la responsabilité en incombait à ce fonctio'nnàire
qui l'avait mal renseigné. . '
C'est pour..ùoi M. Bouge déposa son inte~pel1ation et en demanda la
discussion immédiate. En effet, dans le. débat sur la fixation de la date, il
accusa le Ministre d'avoir personnellement commis une faute et d'avoir
tenté d'en rejeter toute la responsabilité sur son subordonné pour déga-
ger la sienne.

84
. l\OGl!:R BONNARtl
, ,

"

Voici dans quels termes il s'expr.ima :


• •
Messieurs, après l'a~eu par M. le Ministre des Affaires EtrangtÎres
Il
.
d'une faute, professionnelle aussi lourde et qui nous met vis-à-vis du
.
monde entier dans une posture si étrange et si peu conforme aux, grandes
traditions de Iii diplomatie française, après le flagrant délit de l'ignorance
par M. le Ministre des Affaires Etrangères d'un fail esscntiel à ses hautes
fonctions, le pays attendliit des sanctions immédiatés et appropriées. On
a invité le directeur des Affaires politiques, M. Bapst, à prendre un congé,

slins mêql!, nous dire si ce congé est renouvelable. i

, Cela ne suffit pas et, en vérilé, Messieurs, il n'y a plus ici de responsa-
bilité ministél'ieUe. Le gouverTJ.ement a trouvé le moyen de la remplacer
par la responsabilité des fonctionnaire.9.1Jn Ministre commet-il, comm,e
aujourd'hui, quelque manquement grave, on sacrifie un fonctionnaire ...
. . .• Ln faute 'commise n'est pas exclusive nu directeur des- Affaires
politiques. La faute la plus lourde, la faute impnrdonnable dans la ch'con-
stance; incombe à M. le Ministre des Affaires Etrangères et, aux yeux du
}lays qui ne se laissera pas égarer, c'est li lui seul que remonte la l'es-
ponsabilité .. c'est lui qui doit seul en supporte,. tOltt le poids (1) ».

• Or la réponse du Ministre sembla donner raison à la thèse de l'intel'-


,peUateur. En effet, le 1\Ihiistre ne protesta pas contre ce reproche de dépIa-
cement de responsabilité. Il ne revendiqua pas p~ur lui seullaresponsa-
hilité. Il ne dit rien à ce sujet. Il se borna à demandel' l'ajournement de
la discussion.
ljo La discussion du budget des beaux-arts offre un autre exempl.e
encore plus caractéristique. Ici il s'agit d'un Sous-Secrétaire d'Etat pré~
tendant ~égager sa responsabilité en rejetant la faute sur son subordonné,
et cela de la façon la -plus explici te.
Il était question du famoux vol de la Joconde. ,~1. Ch. Benoist l'epl'O-
cha au Sous-Secrétaire d'Etat aux Beaux-Arts, M. Dujardin-Baumetz,
'd1en être' responsable. La révocation, pour ce fait, de 1\1; Homolle, direc-
teur des Musées Nationaux, aurait été ainsi injustifiée, Certains agisse-
ments des bureaux de l'administration des Beaux·Arts auraient jeté de
la perturbation dans le personnel des gardiens du I.ouvre et empêché le
directeur des :&Iusées Nationaux d'exercer utilement son autorité. Alors
!.4'engagen ce dialogue tout à fait typique entrel\l. Ch. Benoist et le Sous-
Secrétaire d'Etat Îlux Beaux-Ârts.lU. Ch. Benoist venait de dire que les
gardiens poussaient j'insubordination jusqu'à insulter 1\1; Homolle : -
"

JI. le Solts-SeC1'étaÎre d'Etat. -II ne devait pas le supporter un scul

(1) J. O. Débats. Ch.ambre.21 "novembre 1911, pp. 3163 (col. 2) et 3136


(col. 1). '
" , 1

RESPOSSABILITÉ DES FONC'l'lONNAIRI!S DEVAN'r LE PARLEMENT, 85..


instant. Commont, voilà un directeur deI! musées nationaux qui est"diles~
vous, insulté par un gardien et il se laisse insulter 1 Auriez.voluf,agi; de.
même~ , . . ..
. • ! .

M. Ch. Benoist. -: Non, j'aurais donné ma déinissi'On'; je n'aurais.pa.s l, .


attendu qu'on me révoqudt pOUl' la faute d'ttn autre. . .
M. le Sous·Sccrfftaire d'Etat. - Nous verrons s'il a été révoqué pour ,la
fllute d'un' autre. , . .
_~/. Ch. Benoist. - Je n'aurais pas accepté cette sorte, de théorie de
déplacement de la responsabilité.... •
..
..••, Le cas que j'ai cité n'est pas un cas isolé. Partout, dans ,tous les
.~ervices publics, le m~me phénomène se prodttit ; c'est le mdme déplacement
de responsabilités. .
Oui, il y avait un responsable; et, si vous vouliez frapper quelqu'un, ce
n'est pasM. Homolle qu'il fallait frapper, c'est vous. je vous le dis tout,net.
M. le Sous-Secrétadre d'Etat. - 'C'est ce que là Chambre dira, si elle le
.iuge li p~opos, quand elle m'aura entendu; mais pàs avant, Monsieur.
JlI. Ch. BeTwist. - Vo~s medemandez ce que j'aura.is Caitli la: place de
M, Homolle. Je vais vous dire ce que j'aurais fait li la vôtre: Je serais

parti. •

M. le Sous,Secrétaire d'Etat - Je serais parti s'il y avait eu dans ce


malheur quelque cltose de ma faute. Mais ,comme j'aFfirme qu'après que
j'aurai parlé et que nous aurons discuté, ma .rèsponsabilité ne sera l,as
en cause et que celle dit directeur des musées y sera toute e!1-tière, la Cham- .
bre me co~damnera alors, si elle le veut (I).
Le Sous· Secrétaire d'Etat accentua encore son attitude dans son dis-
cours en réponse à ces critiques. Il prononça un réquisitoire, des plus
vifs contre M. Homolle, l'accusant de n'avoir tenu aucun compte de ses
instructions. Il termina ainsi, affirmant encore que sa responsabilité
était complètement dégagée: "
Le directeur des Musées Nationaux a été remplacé dao!Fses fonctions.
(1

Quant li moi, je vous ni exposé les .Caits àvec une. vérité absolue. J'ai la
conscience d'avoir, depuis sept ans, Cait mon devoir tout entier. A vous de
juger » (2)~ ,
11

Ainsi, il semble bien, comme l'a dit 1\1. Ch. Benoist. qu'il s'élabore
actuellement dans la'pratique parlementaire une véritable tendance à.
opérer un déplacement des responsàbilités devant les 'Chambres. La ten-
dance paraU assez nette et' assez précise pour mériter un examen au
point de vue du droit constitutionnel .

(1)' J. O. 1)l!bats.
.. . . Chambre,
. ' .
7 déc!,mbre .191,1, p. 3659 (col. ,3).
(2) J. O. Débats. Ghambr~, 7 décembre .1911, p. 3667'(COI. 2).
,
. .-

86 ROG~R BONNARD

Deux questions s~ posent ici. La première consiste à sé demander si


\lne responsabilité des fonctionnaires peut exister' devant le Parlement
à défaut de celle des ministres ou concurremment avec elle et dans quelle
mesuré elle peut exister. Cela est-il conforme aux règles de notre régime
constitutionnel ?
L'autre question est celle de la constitutionnalité du procédé qui peut
servir, dans certains cas, à réaliser la mise en jeu de cette responsabilité :
Est-il conforme à la Constitution de désigner un commissaire du gou-
vernement pour assister le Ministre dans ]a discussion d'une interpella-
tion ou à l'occasion de toute autre' opération de contrôle du Parlement sur
le Gouvernement, comme par exemple l'approbation d'un contrat admi-
nistràtif ? .
Il ne me parait pas douteux que lios textes constitutionnels et l'esprit
du régime parlementaire condamnent formellement la pratique suivie
sur ces deux points. , '
A) D'abord, au sujet des l'esponsabilités qui peu\'ent être engagées
devant le Parlement, il n'yen a qu'une possible : celle du Ministre. La
Constitution l'a établie intégrale et exclusive. Cela implique: t o que le
. ministre est le seul agent dont la responsabilité puisse être mise en jeu
devant le Parlement; 2° qu'il est ainsi responsable de tous les actes de
seg subordonnés.
t ° La responsabilité Elxclusive du Ministre résulte du texte. constitu-
tionnellui-même. La loi du 2lHévrier 1875 (art. 6), en posantle principe
de la responsabilité du gouvernement devant les Chambres, ne cite que
les ministres comme personnellement atteints par cette responsabilité.
De plus, nulle part ailleurs dans les lois constitutionnelles, il n'est fait
même une simple allusion à d'autres responsabilités, notamment à des
responsabilités de fonctionnaires. Enfin on considère généralement que

serait inconstitutionnelle une disposition législative ou réglementaire
tendant à' substituer la responsabilité d'un fonctionnaire à celle du
Ministre. CElttë' question s'est posée à propos de l'organisation du contrôle
de l'engagement des dépenses (1). .
l'lais peut-être pourrait-on arguer ile la brièveté' de nos lois constitu-
tioon,elles et dire que leur silence sur la responsabilité des fonctionnaires
devant les Chambres n'implique pas qu'elles aient voulu la rejeter. La
pratique parlementaire pourrait alors suppléer à ce silence et admettre
une telle responsabilité. Or cette solution doit être repoussée parce qu'elle
est contraire aux principes du régime parlementaire. .

(1) V. sur ce point Eva. PJlII~Rl!f Droit polit. etparl. (Supplément '~\}IO),
. p. 87· ' . . ., . .,

\.

RESPONSABILITé DES FONCTIQNNAIRES DE!VANT LB PARLEMENT 87

En effet, si une responsabilité existe devant le Parlement, U fagt qu'il


y ait une sanction. Sanction et respcmsabilité sont étroitement liées, çar
sans sanction, la responsabilité est illusoire et ne se comprend pas •.
Or, sous le régime parlementaire, la sanction ae la responsabilité
devant les Chambres existe pour les ministres. Elle consiste dans l'oblj,.
gation pour le ministre de démissionner et pour le chef de l'Etat d'~ccep­
ter cette démission. ~Iais pour les fonctionnaires, cette sanction n'existe
pas. Elle ne peut pas exister. Si elle existait, elle serait en contradiction
avec les principes généraux d'organisation de la fonction publique. En
effet, pour le fonctionnaire, la démission est toujours Un acte ·Iibl'e.
Jamais, il n'y a pour lui obligation juridique de. démissionner. D'autre
part, son supérieur peut toujours refuser ou accepter la démission. :mn6n,
d'une façon plus générale, si le Parlement pouvait contraindre juridique-
ment à. la démission et à l'Ilcceptation de la démi~sion, ce serait co~me
une SOl·te d'intervention hiérarchique. Or, le Parlement est en dehors
des hiérarchies de fonctionnaires. .
Ainsi donc, parce qu'il faut une sanction à toute responsabilité, parce
que la sanction pour les fonctionnaires serait ici contraire aux principes,
la responsabilité des fl)nctionnaires est impossible dans un régime parle.
mentaire normal. Pour qu'eUe fût possible, il faudrait une disposition
constitutionnelle formelle l'établissant et la sanctionnant, dans le genre, .
par exemple, de cenes qu'on trouve dans les Çopstitut,ons des Etats-Unis
d'A mérique. La constitution fédérale et certaines constitutions d'Etat
prévoient la responsabilité devant les assemblées législatives non seule-
ment du Président ou du gouverneur. et de ses ministres, mais aussi ceHe
de tous les autres fonctionnaires. Cette responsabilité est mise en jeu
suivant la vieille procédure anglaise de l'impeacltmertt quelque peu tranil-
formée d'ailleurs. Le fonctionnaire est mis en accusation p~~ la chamQre
basse et la chambre haute peut prononcer sa destitution, .
2 0 La responsabilité des ministres n'est pas seulement exclusive de
toute autre, elle est aussi intégrale. Chaque ministre est responsable
devant les chambres de tous les actes faits p~r les fonctionnaires placés
sous ses ordres.
C'est d'ailleurs la cQnséquence forcée de .ce que le Ministre est le seul
J·etlPonsable possible. En effet, le contrôle du Parle!Dent sur l'applicatioJl
des lois risquerait fort d'être illusoire si le ministre pouvait prétendre à
ne pas être responsable de certains actes de ses subordonnés. .
l\Iais naturellement la responsabilité n'existe que dans la mesure où
il ya subordination, c'est-à-dire lort'lque le fonctionnaire est soumis à
un pouvoir hiérarchique ou de contrôle. Ainsi, la responsabilité cesse
d'exister· pOUl' les décisiàns de$ tribunaux judiciaires ou adPlinistratif$,

\',

88
.'.
.' naGER BONNARD • •

L'irresponsabilité est ici la conséquence, d'une part, du priMipe de la sépa-


ration des autorités administrative et judiciaire, d'autre part du principe'
de la séparation de l'administration active et de l'administration conten-
tieuse'. Les principes 'ont d'ailleurs pour bul desoustrai"e indirectoment
les décisions des autorités juridictionnelles au contrôle parlementaire.
'B) 'On retrouve le même caractère d'inconstitutionnalité dans le fait
de désigner des commissaires du' gouvernement pOl~r la discussion des
interpellations. Cela apparalt encore ici si l'on se réfère aux textes et à
l'esprit du régime parlementaire. .
'La disposition constitutionnelle relative aux commissaires du gouver-
nement est contenue dans l'art. Gde la loi du tG ,juillet t875. Elle est
. "
amSl conçue :
« Ils (les ministres) peuvent se faire assister par des commissaires
désignés, pOUl' la discussion d'un projet de loi déterminé, par décret du
Président de la République ». '
Ainsi, la leUre de ce texte est très claire. Les mots c pour la discus-
sion d'un projet 'de loi déterminé » ne ,signifient pas seulement que la
désignation doit être spéciale, c'est-à-dire qu'il ne peut pas y avoir de
. commissaire permanent; ils impliquent aussi qu'un commissaire ne
peut·être désigné que pour la discussion d'une loi. Le texte, en effet, ne
parle pas de discussion d'interpellation.
Mais si certainsauteurs admettent cette interprétation (t), d'autres la
rejettent et soutiennent que ce texte n'a pas cette portée restrictive.
D'après euit, ce texte, en disant que des commissaires peuvent être dési.
gnés pour la discussion d'un projet lie loi, n'interdirait pas d'en désignel'
poùr des j'nterpellations, laissant ainsi toute liberté ù. la pratique parle-
mentaire (2). '
On a dit aussi que le mot« projet de loi déterminé »devait s'entendre
non dans son sens strict, mais dans celui de« une question détermi-
née. (3) •. Cette interprétation semble par trop audacieuse, traite le texte
avec trop de liberté.
Quant à la jurisprudence, parlementaire, elle a toujours admis la dési-
gnation de commissaires du gouvernement dans des intèrpellations.
M. Ch. Benoist a protesté à plusieurs reprises contre cette pratique; 11\
déclarant inconstitutionnelle.
,
Chaque
. Cois, le Président de la Chambl'e lui
,

Ti'ailé de Droit COllstit., n~ p. 499 .
(J) V. d.8ns ce sens DuaUlT,
. (,1 V. PIERRE, Droit polit. et part. (Supplément J9IO), p. 545. - DELPECIJ,
Chrono constit. (dans cette Revue, Ig05, p. 200).
" (3) Interprétation donnée parle Préside Dt de la: Chambre. V. J. O. Debats.
Cltambre, 27 mai Igo5~ p. 1952. ' . . •

"
'RESPONSABILITÉ DES FONCTIONNAIRES DEVAN'r LE PARLEMENT ~g:,
. .
a répondu en invoquant les précédents qui aur~ient définitivement fixé
une coutume sur ce point (1). .'
A mon sens, cette prâtique est inconst~tutionnelle. L'art. 6 de la loi du
t 6 juillet 1875 ne peut pas, ne doit pas être interprété dans un sens large.,'
Il faut lui donner le sens limitatif qu'il comporte. La, raison décisiv.e
pour cela est que l'assistance des commissaires du gouvernement dans les
interpellations est contraire à l'esprit du régime parlementaire;
- . ,.,
car.elle
. .
peut aboutir à la substitution de la responsabilité du commissaire du
gouvernement à celle du ministre. Or ce résultat est, on l'a,vu, contraire
ft l'une des règles de ce régime: la rosponsabilité exclusivè des1\linistres
devant ,le Parlement. '
Ainsi 1\1. Ch. Benoist voyait~il juste lorsque, dans une de ces inter\'en-
tions que je rappelais plus haut, il diaait :

Il Il résulte de cet arlide (art. 6 de la. loi du 16 jùillet 1875), qui est limi-
tatif dans sa forme ct dans son texte, que le8 Ministres ne peuvent pas être
assistés d'un commissaire du gouvernement dans la discussion d'une inter-
pellation. En eft'et, dans une interpellation, c'est la responsabilité person- .
neUe du Ministre qui est en jou, et si nous admettions que le Ministre puisse
se laire représenter ou seulement assister dans ce cas par un commissaire
du gouvernement, la situation serail pOUl' ainsi dire retournée; nOU8, fini-.
rions par voir les fonctionnaires couvrir leurs chefs devant les Cham~
bres Il (2). .

Sans doute, il se peut que ce résultat ne soit pas forcément atteint.


Il se peut que l'interpellateur vise le 1\linistre seul, ne veuille mettre en
cause que sa responsabilité; que; d'autre part, le~linisire se reconnaisse
seul responsable. Grâce à un souci scrupuleux de là correct~on p.arlémen-
taire, il peut en être ainsi. . .
Ce sont de telles intentio'ns que manifestèrent l'iritei'p!,llateur et le
~Ii~istre, après l'observation de 1\1. Ch. Benoist qui vient d'être citée.
M. Thierry, qui interpellait, répondit ainsi à M. Ch. Benoist:
. .
(c J'ajoute que si je partage les regrets de M. Ch. BeDoist,je suis heureux
pourtant de me trouver en présence d'un haùt fonctionnaire dont lacoin'pé-
tence'm'est cODnue.Mais ce n'est pas l!J.i que j'interpelle et je n'ai plU à
discuter avec lui, quand ce ne serait que par égard pour lui et polÎr la
situation qui peut lui être faite dans le débat, D (3).

(1) Sur ces protestations do M. Ch~ Benoist, V. PIBRRE, Droit polit. et


parl. (Supplément \910), p. 544 et s . . .
(2) J. O. Débats. Chambre, 12 novembre 1904, p, ~402 (col. 1).
, ' .p.24o~.(col.
(3) 1. O. Débats. Chana.bre, 12 novembre J904, .
2).
~ ~.-.

-

RO(1BR. BONNARD

·M. Pelletan, ministre de la ~arine, ajou~ à son tour immédiateqlent


après:
. , . .
« Voulez-vous m'e permettre de raire _observer qu'il n'est jamais venu ,,-
ma pepsée d'abriter ma responsabilité derrière une autre responsabilité.
Mais dans une discussion qui soulève une roule de questions spéciales, il
parait assez naturel qu'un Ministre puisse avoir à cÔté de lui, pour obtenir
les renseignements SUl' des points de détail, un homme technique sans
que, pour cela, il entende se dérober le moin, dlt monde à sa responsabi-
lité. ,

Ainsi cet incident révèle bien l'intention de maintenir ce principe du


régime parlementaire, qui veut que la responsabilité ministérielle soit
exclusive.
Mais une telle situation est tout à fait artificielle, surtout lorsque le
commissaire du gouvernement est précisément le fonctionnaire dont
les actes sont reprochés au l\'linistre. Comme le remarque justement
M. Duguit,c la. situation est singulièrement fausse d'un fonctionnaire
subordonné qui veut justifier des actes qu'il est censé avoir fait sous la.
responsabilité du Ministre]) (1).
-
; D'ailleurs, on semble avoir vu ce danger de substitution de la respon-
, sabilité du commissaire du gouvernement à celle du ministrl', En effet,
la pratique parlementaire parait avoir admis, pendant un temps, que
« l'assistance]) du commissaire du gouvernement dans une interpella-
tion devait se borner à l'exercice du droit d'entrée dans l'Assemblée, malS
n'impliquait pas le droit de parole. Le 1\Iinistre seul pouvait répopdre à
l'interpellation et le commissaire du gouvernement n'était là que pour
lui communiquer des renseigne!llents, lui « souffler]) les réponses à faire
sur les questions techniques, On sentait bien en efTet que si ]e commis-
saire du gouvernement pouvait prendre la parole, il lui serait difficile de
ne, parler qu'au nom du l\'Iinistre; que si ses actes per!!Onnels étaip.nt
mis en cause, il !ierait fatalement appelé à parler en son nom personnel,
c'est-à-dire iL engager ainsi sa responsabilité directement devant l'assem-
blée.
Voici deux incidents parlementaires où s'affil'ma cette conception de

1( l'assistance» du commissaire du gouveJ·nement.

A la séance de la Chambre du 20 mars 1899, le Ministre de la ~Iarine .


étaitassistédans la discussion du budget deson département par M. Ignace,
directeur de son cabi~et civil, en qualité de commissaire du gouverne-
ment.-
A un moment, celui-ci voulut monter iL la. tribune' pour répondre il.

, (1) ,DuaUlT, Trait/! de Droi' Con,m., Il. p. 499~


\. .
ltESPONSABILITÉ DES FONCTION~AIRESDEVANT LE PARLEMENT 91·
la critique de certains faits auxquels il avait été persOnnellement mêlé ..
Or voici ce qu'on lit au compte rendu in extenso de la séance(f) :
« Al. Jgnace, directeur du cabinet civil, commissaire du. gouvernement
se dirige vers la tribune. - Eœclamatio'(l,s et bruits • ..:.. Sur divers bancs:
Le Ministre 1 Le Ministre 1 » .

Alors le Ministre monte à la trjbune et proteste ainsi contre cette


manifestation.
,
cc J'aurais désir~ et je désire encore que M. le Directeur du Cabinet C?ivil
donnât à la Chambre les explications techniques nécessaires. Je me réser-
vais de monter ensuite à la tribune pour répondre aux questions plus
générales que l'honorable rapporteur général vient de poser.
Permettez-moi, ~essieurs. d~ m'étonner un' peu de cet état d'esprit qu i
fait que, quand un fonctionnaire désigné pnr le gO!1vernement ,:èut s'expli-
quer sur une question qui regarde son service et cela par ordre du minis-
tre, il soit accueilli par des marques d'ôtonnelnent et de colère. Il

Dans une autre circonstance, ce fut le Ministre qui déclara lui-J1.lême


que le commissaire du gouvernement n'avait pas à prendre la parole, ,
que lui seul était qualifié pour répondre à l'interpellation. .
L'incident se produisit à propos d'une de ces protestations de 1\1. Ch,.
Benoist que j'ai déjà mentionnées, 1\1. Rouviel'" présiaent du Conseil,'
répondit ainsi à 1\1. Ch. Benoist :
CI M. Ch. Benoist, je tiens largement compte de votre interprétati~n dl!-
texte de la Constitution. J'adm~ts très bien que dans les interpellations un
commissaire du gouvernement ne puisse pas prendre la parole. Mais je ~~
vois pas l'inconvénient que présenterait le fait que ,mes rep~é!lentaQts siè-
gent derrière mon banc, au lieu d'assister à la séance dans un couloir voi-
sin de l'hémicycle » (2). ; .. '

1\'lais la pratique parlementaire ne s'est pas 6~ée dans le sens que le


commissaire du gouvernement n'aurait que droit d'entrée et,pas droit
de parole. On l'a vu dans la discussion sur le chemin de fer de l'Ouenza,
qui se présentait au fond comme une véritnble interpellation sur l'admi-
nistration aJgérienne. On l'a vu aussi dans la discussion des interpella-
tions sur la Tunisie.
n ne pouvait pas d'ailleurs en être autre~ent.
En effet, d'abord, au point de vuè constitutionnal, rien ne justifie cette'
distinction des droits d'entrée e~ de parole •. Si on admet l'assistance du
, ,

(1) J. O. Déhala. Chambre, 21 mars 1899, p. 999.


(2) J. O. P~bala. Chambre, 21 !pai 190&, ..,. 195~ (col. 3). , .


,
92 l\OGE[\'BONNARD
- .
commissaire du 'gouvernemènt dans les interpellations en s'appuyant sur
J'art. 6 de la loi du t6 juillet t875, il faut l'admettre avec la même portée
que pour la discussion des lois. Or on n'a jamais contesté le aroit de
parole a~l commissaire du gouvernement dans la discussion d'une loi.
D'autre part, il est pratiquement impossible d'empêcher le commissaire
du gouvernement de prendl'e là parole, surtout lorsqu'il est précisérnent
le!onctionnaire dont les actes sont l'objet de l'interpellation. En, présence
. de violentes attaques comme celles dirigées contre le Résident général de
Tunis, il ne peut que vouloir présenter personnellement sa défense. Le
. ,

droit d'entrée entratne donc fOl'cément le droit de parole. .


• •

Ainsi ces mises en jeu de responsabilité des fonctionnaires devant les


Chambres, ces désignations de commissaires du gouvernement qui
aboutissent'it. l'elTacement du Ministre et de sa respollsabilité, sont nette-
ment contraires au texte etmême à l'esprit de notre Constitution. Comme
par ailleurs ces pratiques ont été admises dans certains cas par le

Gouvernement et par la Chambre, nous trouvons ici une contribution
nouvelle à cette (! théorie réelle» de la Constitution, qui se développe à côté
de sa c théorie littéraire », Ainsi ces deux théories s'éloignel'aient tous les
jours davantage l'une de l'autre. Déjà nous avons dès maintf'nant une
conception du rôle du Président de la République qui n'cst plus celle
qu'établirent les Constituants de t875. Il en est de même pour le Sénat.
Si maintenant le principe de la responsabilité politique des ministres entre
lui aussi dans une crise de transformation, si cette transformation se
poursuit et aboutit aux résultats qui semblent s'annoncer, la théorie
réelle de la Constitution ne contiendra presque plus, rien des règles tra-
ditionnelles du régime parlementaire. Or c'est ce régime qui constitue
l'essentiel de sa théorie littéraÏl'e.

Il. - La vice-présidence
,
du Conseil des Ministres.

Au cours de la dernière crise ministérielle, M. Poincal'é, chargé de la


constitution du nouveau ministère, aurait eu, parait-il, l'intention de
créer une vice-présidence du Conseil des ~linistre8. Cette fonction devait
~,~reàtttjbll~~--~':l:~~,~~~t,~~=d...da'Justice' (1);- -, - _. . ... _
.. _~----' ','
Déjà e,n vertu d'un usage coiistâïi(;-nfâis sans Mr~, investi ~u titre par
le décret de nomination, le Ministre de.la Justice e~erce certaines fonc-


(1) V. Le Temps, 15.jllnvier 1912, p. '1.,
,

, \"
l\ESPONSABILITÉ DES FONCTION~Al~,KS: ~EVANT LE PARLEMENT ,93

tions_9.!:!L~~~!~~.~~~~!~~~._à.,~~~"P'!~~ •.~",,?-l.~~•.!!~P!!~~~e~ce du Conseil.


ti1ïaôd il es~ lui-même président du Ç9!l~s~Ht.~H~~;.J.'eYi~niiëiitiia.Miiiis:
,
treaes~Alraiï·eS:.EtràJigèreïi:Cês··foDcïions .consistent nôtam ment' à' rem,.
pi~cër~'ï~'P;é~ident du éo~seil devant le Sénat quand il s'agit d)\~~s
devant être accomplis simultanément devant les deuxChambrea.;,;"p.!Lr .
exelllpl~,Jecture.delLMc.l!),r~!j.9ns.ministérielles ou des décrets de clôture '.
-des~·~es-;ions (1). ..,. . . . . "'~_. :.~'.<. ........" .•. ·;:·'~'-~'~-I "', .... ".. r'" ,....~_..... -:"' ....... _.,~-, .....".~........~._~~ ...
J ... _ ...' .....

~·'-~Ials ..cëti8 sorte de vice-présidence n'a actuellement qu'un caractère


simpleïnëritlïônorifiëfliK Le·r~!~rq!1,~~!Jl3:jmpliquë'ë;ï'dê.pïire·rormë-:lj~â;i':- 1
\l'~part;ra:Dseïicëdë-nomîU-ation officielle donne à ces fonctions un carac-
tère presqu'offiëiëü'x~"'----'-'--''''''-' . - " . '. . . " . ',- '. " .. "
'-""'- .' ,- ,-.', ~ . ,,-. ,- .
Or l'intention de}I. Poincaré était de donner à cette institution un
caractère nettement officiel. Pour cela, le décret nomoulnt le l\Iinistre
de la Justice, devàit en même temps lui c~nféret: explicitement la q~alité
de vice-président du Conseil.
El! outre, le 'rôle de vice-président serait devenu efl'ectil'. Le.111i~istl'o
qui en eù t èlé-învësti;-deviiit'îiilHoütêtrëï:'jiïlèlé'llsuppféërle Président du
Conseil dans l'écrasante besogne parlementaire qui incombe ace dernier.
Ainsi il aurait eu à intervenir à sa place dans les discussions devant l'uno
ou l'autre Chambre pour parler au nom du gouvernement. 'D'aille~~s,il.
semble que cette suppléance ne devait pas être extraordinah'e, mais an
--cOrltraIrë:r@ctionner 'couramment;·Car,de"Ia:'"situatîoü"politiqüe' (lu
moment, on pouvaitinférër'qiï;il'se fût produit entre le Président et le
Vice-Président le partage de compétence sùivant. Le Président «lu C~I1- .
seil ayant ~l'is le Ministère des Affaires Eti'nngères, élims les circonstan-
ëê'~-difJlcil~~-'qu~ -1~~n'-;arï;-'eü'fvoiïiü"së-"ëoiisllërërexëiU;ivëüiêïit -à--ï~
di~;ëëtion de son departement et à la défense de sa politique extérieure
devant le Parlement. Alors, tout en se réservant la. ha.,ute direction" il
eût abandonné au Vice-Président la politiqu~ intérieure et surtout le
rôle de directeur de la majorité parlementaire pour ces questions. En.
somme, en se servant d.çJ'e~pI:essionanglaiseon·peut,dire-qu!i~y"nurait
" ' - . . - . . _ _ . . . . 4 . . . _'~ . . . .

~u.. !l!l leatlel'. PQUl' .la. politique extér.i~1,J:rElJ~~:t.I~._I~gd~?:E.f!~,!:J!!-_.pg"litl~~~.,.,


intérieure : l~ pre,rll,Ï,er. é.tallt 1~_J>_rési(lent du Conseil et le second, le Vice-
. Président 2). .
. -...
. _•....•. ~.......... (
-,.h."-;._._JI'.y,...... ~ .._.~'~\'U,wr...,....!'r:'!"." ..... .,.-r-~ .. ~~~_~_ ........

V-,- DUOUlT, Droit Constitut., Il, p. 1191. Ccpendunt en mai cljuin


(1)
.1911, le garde dcs sèellux s'csCîrouvésÜp(;lèïïr d'ünël'àÇOiiMt ÔÎit -~f'~,
efij~c.!iy.~(dë.i@,~.D~,~~@,~ip.J!!~,I.~Jïi~~i~~~~ll~#~Qo!f~~~I;:.~~;}\I~~!!I~!i:§"!~n:arr
~'être grièY..!l.m~mLb,less.é,:dll.~!;!.J,~_~~~~,i!l!.Il...~~oç!!!~I:!,u!~çr.Qp..~Re.,d.ls.~y.~!es-
Moulineaux. ' .
-(2rL~'rapprocbemcnt que je fais lit n'BsL que dans lcs mots, car l'institu-
lion anglaille du leadership D.~onL aUCUD rapport avec ce que voulait éta-
. .

, , ,

Telle eilt l'institution qû'on il. voulu è~r et le earactêl'è qÜ'ètlee6t


vtai!l~lbblableDienteûe.
Mal$ltn~a. pas ètédonnè sUit!!. (le projet. Le décret du U. janvier f9t2,
qui a nommé M.Briand Ministte de la Justice, ne laii pas mention d'une
tiomination à la Vice-Présidenèe du ConSeil. D'auire part, les débats par-
lementaires qui ont eu lieu depuis la constiiution du ~linistère ne rêvè-.
lent pas que le nouveau Ministre de la Justice ait jou.é un rôle différènt
de, celui de ses prédécesseurs. L'idée de M. Poincaré a donc étêcertaine-
ment tout à fait abandonnée. Il ~~L(:lo..lJtelJ!_(Ü;lill~l.l.!:lLqJ.leJ'org!1Qisation
de cet~"Y!.c.~:p-.r..é.§!~~~lI~_~ eM-pti"'donner pratiquement de bons résultats.
cr'imagine fort que l'lio~me-p()litiqtÏê'supél"iëUrement avisé"qui .allait
enMnéJicier, a db vite en voir les inconvénients et contribuer ainsi à
la faire écarter; -
ROGBR BONNARD, -
Professeur agrégé de droit public,
I!. l'Uliiversité. de Rennes.
,
,
blir .M. l>oinc!,ré. En Aogleterre, 'Ies minislres n'ont droit d'enlrée et de
"parole que dans la Chambre dont ils sont membres. Le Premier Ministre
• ne peut donc pail allar. parler àu nom du gouvernement dans lu Chnmbre
dont il ne fait pas partie. Il s'y rait remplacer par un autre ministre de
saDchoix ,qui est le leader de là majorité ~inistérielle dans cette Chambre,
tandis que lui n'est le leader que dans l'autre. Ainsi, quand le Premiel'
ministre est 'membre de ·la Chambre des communes, il est le leader de la
majorité dans celte Chambre. Alors il désigne un de ses collègùes du
Ministère qui sera lê leader de la Chnmbre des Lords (V. TODD, Le gou-
vernement
, parlementaire
.
en Angleterre. Traduct. Boucard et Jèze. Il,
p.16oet.s.)'

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