Vous êtes sur la page 1sur 4

Directeur de la publication : Edwy Plenel

www.mediapart.fr
1

cours, le Royaume-Uni n’aura alors plus aucun droit


de regard sur les décisions prises par les institutions et
Ce que prévoit le projet d’accord sur le
les agences de l’Union européenne.
Brexit
PAR AMANDINE ALEXANDRE
ARTICLE PUBLIÉ LE VENDREDI 23 NOVEMBRE 2018

L’accord de retrait du Royaume-Uni de l’UE doit


être signé lors d’un sommet européen extraordinaire à
Bruxelles dimanche. Mais le chemin à parcourir reste
encore très long avant l'adoption d'un accord définitif.
Londres (Royaume-Uni), de notre correspondante Theresa May et Jean-Claude Juncker le 21 novembre 2018
- Lorsque les Britanniques se réveilleront le samedi au siège de la commission européenne à Bruxelles. © CE.

30 mars prochain, le Royaume-Uni aura officiellement Cependant, jusqu’au 31 décembre 2020, voire pendant
quitté l’Union européenne depuis la veille au soir. un peu plus longtemps si Londres et Bruxelles
Mais dans leur travail comme dans leur vie de tous les conviennent d’un délai supplémentaire d’ici le 1er
jours, ils seront sans doute surpris de découvrir que juillet 2020, le pays devra continuer à appliquer les
rien n’aura fondamentalement changé. lois et les règles européennes déjà existantes et celles
À ce stade du processus, beaucoup d’incertitudes créées dans l’intervalle.
planent encore sur la finalisation de l’accord et sa Cela implique, entre autres, que la Cour de justice de
ratification – d’abord par le Parlement britannique l’Union européenne (CJUE) continuera de veiller au
d’ici la fin de l’année, puis par le Parlement européen respect du droit européen sur le territoire britannique
d’ici le 29 mars 2019. Sans compter que le projet jusqu’au terme de la transition. Concrètement,
d’accord mis en ligne le 14 novembre par la les juges britanniques continueront d’appliquer la
Commission européenne est tellement complexe que jurisprudence de la CJUE et ils pourront toujours saisir
même les juristes les plus compétents ne sont pas sûrs l’institution pour interpréter le droit de l’Union.
d’avoir saisi toutes les implications des centaines de Cette position de subordination vis-à-vis de Bruxelles
clauses qu’il contient. – qui va éviter à Londres une sortie brutale de l’UE qui
Malgré tout, il est frappant de constater que la période entraînerait des pénuries, un brusque ralentissement de
dite de « transition » qui s’ouvrira le 29 mars prochain l’activité économique, voire, à en croire certains, des
à 23 heures de Londres s’apparente étrangement à une émeutes – hérisse les Brexiters (partisans du divorce
période de statu quo. Si le processus d’accord suit son avec l'UE) les plus fanatiques, dans les rangs du parti
conservateur.
Jacob Rees-Mogg, leur chef de file, et Boris Johnson,
l’ex-ministre des affaires étrangères de Theresa May,
rivalisent de superlatifs pour exprimer la fureur que
leur inspire un tel arrangement, eux qui rêvent de
voir le Parlement de Westminster retrouver sa «
souveraineté » et le pays « reprendre le contrôle »
de sa destinée en signant des accords de libre-échange
avec des pays tiers.
Mais les négociateurs européens n’ont que faire
des illusions de ces Brexiters nostalgiques de l’ère
impériale britannique. Dans un texte annexe au

1/4
Directeur de la publication : Edwy Plenel
www.mediapart.fr
2

projet d’accord sur le retrait du Royaume-Uni leur famille, pourront continuer à « vivre, travailler
de l’UE, comme prévu, la Commission européenne et étudier comme ils le font actuellement » , écrit la
exclut complètement la possibilité pour Londres de Commission européenne.
signer des accords commerciaux avec des pays tiers « Les citoyens européens et les ressortissants
d’ici la fin de la période de transition. britanniques qui arriveront dans un pays hôte pendant
« Pendant la période de transition, le Royaume-Uni la période de transition bénéficieront des mêmes
sera contraint d’appliquer les obligations émanant droits et des mêmes obligations définis dans l’accord
des traités internationaux européens », précise sur le retrait que ceux arrivés dans le pays hôte avant
l’institution censée défendre les traités européens. le 30 mars 2019 », ajoute encore la Commission.
« Dans le secteur du commerce, cela veut dire que Au bout de cinq ans, les citoyens européens et les
les pays tiers conserveront le même accès au marché ressortissants britanniques pourront acquérir un droit
britannique. Pendant cette période, le Royaume-Uni de résidence permanente dans leur pays d’élection,
ne pourra pas devenir partie prenante à de nouveaux quand bien même ils se seraient établis dans leur pays
accords concernant des domaines de la compétence d’accueil entre le 30 mars 2019 et la fin de la période
exclusive de l’Union, à moins d’y être autorisé par de transition.
l’UE », insiste encore la Commission noir sur blanc. Côté britannique, la partie la plus controversée du
Les Brexiters les plus radicaux sont d’autant plus projet d’accord sur le retrait du Royaume-Uni de l’UE
furieux que, là encore, comme prévu, le Royaume-Uni est sans conteste le protocole concernant l’Irlande et
va devoir régler une « facture », la fameuse Brexit l’Irlande du Nord.
bill, aux Vingt-Sept au titre des dépenses auxquelles le Au centre de ce protocole, se trouve l’« assurance
pays s’était engagé en tant qu’État-membre de l’UE. irlandaise » baptisée « backstop » dans le jargon des
Cela est conforme à l’engagement pris par la première négociateurs. Ce « filet de sécurité » voulu par l’Union
ministre britannique. En décembre 2017, Theresa européenne est destiné à éviter le rétablissement d’une
May avait signé un protocole d’accord. Elle avait « frontière dure » entre l’Irlande du Nord et la
promis d’honorer les engagements financiers pris par République d’Irlande, conformément à l’accord de
le Royaume-Uni dans le cadre du budget 2014-2020. paix du Vendredi saint de 1998. Le « backstop » tel
Le texte du projet d’accord publié le 14 novembre ne qu’il est défini dans le projet d’accord sur le retrait
précise pas le montant de la facture – situé entre 40 et du Royaume-Uni de l’UE, doit aussi éviter de créer
45 milliards d’euros d’après des informations révélées des frictions entre l’Irlande du Nord et la Grande-
par Downing Street fin 2017. Il détaille seulement Bretagne.
une méthode de calcul. Le projet d’accord précise L'Espagne crispée sur Gibraltar, la France
par ailleurs que, si la période de transition dure plus sur la pêche
longtemps que prévu par l’accord, Londres devra En cas d’échec des négociations concernant l’accord
effectuer des versements supplémentaires à Bruxelles. de coopération entre Londres et Bruxelles qui doit
L’autre élément de continuité significatif que contient entrer en vigueur au terme de la période de « transition
le projet d’accord sur le Brexit concerne la liberté » planifiée pour durer jusqu’au 31 décembre 2020, le
de circulation des travailleurs européens entre le protocole sur l’Irlande et l’Irlande du Nord propose
Royaume-Uni et le continent. Celle-ci est maintenue la création d’un « territoire douanier unique »
jusqu’à la fin de la période de transition. regroupant l’UE et le Royaume-Uni.
Quant aux droits des quelque trois millions de citoyens
européens résidant au Royaume-Uni et ceux du
million de Britanniques installés sur le continent, ils
sont protégés. Ces derniers, ainsi que les membres de

2/4
Directeur de la publication : Edwy Plenel
www.mediapart.fr
3

Le texte prévoit également de maintenir l’Irlande le Brexit prévoit en effet que seule une commission
du Nord alignée sur un nombre limité de règles paritaire pourra décider de ne plus appliquer le
qui régissent le marché unique européen pour que protocole.
les échanges de marchandises entre les deux Irlande
puissent continuer à se faire sans entrave.
La TVA sur les marchandises en vigueur en Irlande
du Nord devra respecter les règles de calcul de la
TVA intra-communataire. De même, les standards
de production de marchandise, les règles sanitaires
concernant les contrôles vétérinaires, les règles
Dominic Raab, ex-ministre du Brexit, à Bruxelles le 31 août 2018. © Reuters / Eric Vidal.
concernant la production agricole, la promotion des
produits agricoles et les aides d’État devront rester Theresa May ne prétend pas que le projet d’accord
elles aussi alignées sur le reste de l’UE. est parfait. La première ministre n’affectionne pas l’«
Ce « filet de sécurité » n’entrera en vigueur qu’en assurance irlandaise ». « Sur les bancs du Parlement,
cas d’échec des négociations concernant l’accord le filet de sécurité irlandais suscite des inquiétudes
de coopération entre Londres et Bruxelles. C’est que je partage », a déclaré la locataire du 10 Downing
une « solution de derniers recours », insiste-t- Street face aux députés le 15 novembre dernier. « La
on à Bruxelles. Mais, à Westminster, il déchaîne décision n’a pas été facile à prendre mais elle est
les passions, comme si son application était aussi nécessaire pour aboutir à n’importe quel accord »,
imminente qu’inévitable. avait-elle insisté le 15 novembre au soir alors que,
quelques heures auparavant, le député conservateur
« Chacun des griefs au sujet de l’assurance irlandaise Jacob Rees-Mogg avait appelé à un vote de défiance
exprimé par les Brexiters revient à admettre qu’ils contre elle.
doutent que le Royaume-Uni et l’UE puissent parvenir
à un accord commercial, même d’ici 2022 », a Du côté des Vingt-Sept, non plus, le projet d’accord
commenté mercredi le juriste et éditorialiste du ne fait pas l’unanimité. La France s’inquiète de ce que
Financial Times David Allen Green sur Twitter. le texte n’apporte pas de garanties durables concernant
l’accès des flottes de pêche européennes aux eaux
Dominic Raab, l’ex-ministre du Brexit de Theresa territoriales britanniques au-delà de la période dite
May, considère que le « backstop » émane d’« un effort « de transition », alors même que les pêcheurs de
politique concerté de la Commission européenne et l’Hexagone réalisent 30 % de leur capture dans les
du gouvernement irlandais de placer l’Irlande du eaux britanniques, comme les y autorise actuellement
Nord dans son orbite de contrôle et de dépendance » la politique de pêche commune.
qui menace l’intégrité du Royaume-Uni. Le ministre
démissionnaire se dit d’autant plus inquiet que Par ailleurs, l’Espagne a menacé de bloquer l’accord
Londres ne pourra pas mettre un terme de sa seule sur le Brexit si elle n’obtient pas un droit de veto
initiative à l’union douanière. Le projet d’accord sur sur le sort de Gibraltar dans le cadre de la « relation
future » entre le Royaume-Uni et l’Union européenne
évoquée dans le projet d’accord. Madrid refuse que
le Rocher, qui pratique une fiscalité très avantageuse,
soit englobé dans le « territoire douanier unique »
imaginé par Bruxelles sans avoir son mot à dire. « Il
faut qu’il soit clair que ce qui se négocie concerne

3/4
Directeur de la publication : Edwy Plenel
www.mediapart.fr
4

un cadre territorial qui n’inclut pas Gibraltar », a satisfaction aux Brexiters du European Research
fait savoir lundi à Bruxelles le ministre espagnol des Group présidé par Jacob Rees-Mogg, selon le
affaires étrangères, Josep Borrell. Guardian qui rapporte la réaction suivante d’un
Jeudi, Theresa May s’est déclarée confiante sur l’issue membre de ce groupe de députés opposés à l'UE :
des négociations avec l’Espagne d’ici le sommet « La déclaration politique n’a pas valeur d’accord
européen extraordinaire de dimanche, après s’être juridique. (...) Ça n’est qu’un écran de fumée destiné à
entretenue au téléphone mercredi soir avec son dissimuler le fait que la relation permanente [qui liera
homologue espagnol, Pedro Sánchez. le Royaume-Uni à l’UE – ndlr] est l’union douanière
qu’implique l’assurance irlandaise. »
De manière plus générale, l’heure semble être à
l’optimisme au 10 Downing street à l’approche de À ce jour, malgré leurs fanfaronnades, les alliés de
la tenue du sommet européen de dimanche. La Jacob Rees-Mogg à l’intérieur du parti conservateur
première ministre britannique estime avoir obtenu des ne sont pas parvenus à réunir les 48 lettres nécessaires
concessions significatives de la part des Vingt-Sept au de députés tories pour provoquer un vote de défiance
cours des derniers jours. contre Theresa May en interne. Cependant, d’après
BuzzFeed, 85 élus conservateurs des Communes
La déclaration politique de l’Union européenne
sont prêts à voter contre l’accord sur le retrait du
concernant sa future relation avec le Royaume-
Royaume-Uni de l’UE. Si ces députés ne changent
Uni après 2020 publiée jeudi dans les médias évoque
pas d’avis d’ici le 20 décembre, date des vacances
des « arrangements alternatifs » au filet de sécurité
parlementaires, la ratification de l’accord sur le Brexit
irlandais. Mais la formule ne semble apporter aucune
avant Noël semble compromise.

Directeur de la publication : Edwy Plenel Rédaction et administration : 8 passage Brulon 75012 Paris
Directeur éditorial : François Bonnet Courriel : contact@mediapart.fr
Le journal MEDIAPART est édité par la Société Editrice de Mediapart (SAS). Téléphone : + 33 (0) 1 44 68 99 08
Durée de la société : quatre-vingt-dix-neuf ans à compter du 24 octobre 2007. Télécopie : + 33 (0) 1 44 68 01 90
Capital social : 24 864,88€. Propriétaire, éditeur, imprimeur : la Société Editrice de Mediapart, Société par actions
Immatriculée sous le numéro 500 631 932 RCS PARIS. Numéro de Commission paritaire des simplifiée au capital de 24 864,88€, immatriculée sous le numéro 500 631 932 RCS PARIS,
publications et agences de presse : 1214Y90071 et 1219Y90071. dont le siège social est situé au 8 passage Brulon, 75012 Paris.
Conseil d'administration : François Bonnet, Michel Broué, Laurent Mauduit, Edwy Plenel Abonnement : pour toute information, question ou conseil, le service abonné de Mediapart
(Président), Sébastien Sassolas, Marie-Hélène Smiéjan, Thierry Wilhelm. Actionnaires peut être contacté par courriel à l’adresse : serviceabonnement@mediapart.fr. ou par courrier
directs et indirects : Godefroy Beauvallet, François Bonnet, Laurent Mauduit, Edwy Plenel, à l'adresse : Service abonnés Mediapart, 4, rue Saint Hilaire 86000 Poitiers. Vous pouvez
Marie-Hélène Smiéjan ; Laurent Chemla, F. Vitrani ; Société Ecofinance, Société Doxa, également adresser vos courriers à Société Editrice de Mediapart, 8 passage Brulon, 75012
Société des Amis de Mediapart. Paris.

4/4

Vous aimerez peut-être aussi