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Motivation et Conatus

Publié par vivrespinoza

Pourquoi tant d’élèves et d’étudiants ne sont-ils pas motivés pour leurs études ? Pourquoi tant de
travailleurs ne trouvent-ils aucun goût pour les activités rémunérées qu’ils pratiquent ? Pourquoi
autant de personnes, enfants ou adultes sont-elles atteintes de démotivation voire de dépression ?
Comment redonner à toutes ces personnes le goût d’apprendre, de travailler ou même, tout
simplement d’être ? Bref, comment éveiller en eux la motivation ?

Le sujet de la motivation peut paraître simple de prime abord. Il n’existe pas une seule journée où
ce terme n’est évoqué ou invoqué, que ce soit dans les médias télévisés, dans les journaux, dans le
domaine de l’éducation, dans le domaine sportif ou encore dans le domaine du management….

La psychologie s’est, depuis 1930, fortement intéressée à ce sujet, a produit de nombreuses


définitions et théories, a pondu un nombre incalculable d’articles … sans grande efficacité
apparemment. Ainsi, Fabien Fenouillet, un spécialiste de la motivation, exprime un sentiment
désabusé à ce sujet. Pour lui, le terme motivation « recèle une part de mystère qui l’empêche de
totalement sortir de l’ombre. La motivation est employée pour masquer un vide. Cette utilisation par
défaut en fait un terme vague, fuyant le regard qui croyait facilement le saisir. Un grand blanc et une
terminologie assez floue et ambiguë ne manquent jamais de suivre la question : pouvez-vous me
dire ce qu’est la motivation ? » (FENOUILLET F., La motivation, Dunod, 2003, p. 1).

Pour certains la motivation apparaît naturelle, sans effort, portée par une soif, un besoin
d’apprendre, de découvrir qui semble innée. Pour d’autres elle demande un effort, c’est une
question de volonté. Il n’est pas rare d’entendre cette remarque : « il suffit de le vouloir pour y
arriver », ou encore lorsqu’une personne tente d’arrêter de fumer « avec un peu de volonté, on y
arrive ». Mais qu’entend-on par vouloir ? La motivation serait-elle mue par notre bon vouloir ?
Lorsqu’on s’interroge sur la motivation de nombreux autres questionnements émergent. La
motivation serait-elle un processus qui s’enrichit et se nourrit au cours de nos expériences, ou bien
s’apprend-elle, s’éduque-t-elle ? Serait-ce une donnée inscrite en soi, telle une faculté innée qui
nous serait distribuée (de façon hasardeuse ou héréditaire) à la naissance ? Pourrait-on être motivé à
vie ? Ou pire être démotivé à vie ? Et qu’en est-il de ces personnes qui au cours de leur vie perdent
la motivation ? Cela veut-il dire que la motivation est susceptible de disparaître ou bien par
extension de réapparaitre ? Existe-t-il des clés de ce mécanisme mystérieux ?

Nous voyons déjà poindre par ces questionnements la complexité du concept de motivation, ainsi
que la raison de la multitude d’approches tentant de clarifier ce concept. Il n’existe pas un concept
de motivation mais de nombreuses théories motivationnelles. Il n’existe pas une seule vérité sur la
motivation, mais une multitude de réflexions, d’approches décrivant un domaine particulier, une
orientation spécifique, un angle d’ « attaque » privilégié nous offrant une vue particulière sur la
motivation.

Derrière le terme de la motivation se cachent tous les ressorts qui poussent les individus à agir, à
penser, à exister mais aussi l’espoir de comprendre les mécanismes qui font que certaines personnes
réussissent et s’engagent dans leur vie alors que d’autres, mus par la meilleure volonté du monde,
échouent. L’enjeu est de taille : comprendre le sens des comportements d’un sujet, c’est comprendre
le sujet lui-même. Pour R.Vallerand et E.Thill deux spécialistes de la motivation : « l’étude de la
motivation est l’un des domaines les plus fascinants et les plus complexes de la psychologie. Ce
thème se révèle captivant parce que les êtres humains veulent savoir pourquoi ils se conduisent
comme ils le font et quels sont les processus qui règlent leurs actes ainsi que ceux d’autrui. »

La motivation est au cœur de la conduite humaine, au centre de la dynamique d’apprentissage; sans


motivation pas d’apprentissage ou du moins pas d’apprentissage heureux porté par les convictions
et générateur de détermination. Le problème pédagogique de la motivation à apprendre nous met
face au besoin fondamental que l’homme doit contacter pour retrouver le goût d’apprendre :
apprendre un savoir, mais aussi apprendre de l’expérience, et apprendre de sa vie. Nous voyons ici
que la motivation ne touche pas seulement le domaine de l’apprentissage des savoirs, mais elle
touche aussi au domaine des besoins et de la santé. La motivation porte en elle le pouvoir de rendre
actif ceux qui la portent et favorise leur bon épanouissement.

Il serait très difficile de faire une synthèse exhaustive de toutes les recherches en psychologie sur la
motivation car « à l’heure actuelle, plusieurs dizaines de théories expliquent ce qu’est la motivation,
(…) et la difficulté est qu’il n’existe pas de théorie à même de rendre compte de l’ensemble des
phénomènes dits motivationnels. » (FENOUILLET F., La motivation, Dunod, 2003, p. 8).

Mais d’où vient cette incapacité de la psychologie à ne fût-ce que définir rigoureusement un
concept, pour, ensuite, pouvoir en déduire une analyse pertinente et pratique ? Il nous semble y
avoir deux raisons à cet état de fait : la focalisation sur les « effets » de la motivation, plutôt que sur
les causes et l’absence de fondement métaphysique et anthropologique des recherches
psychologiques (absence de « vision du monde et de l’homme » globale et cohérente). Ces deux
raisons sont aussi des conséquences d’un certain parti pris de la psychologie remontant aux origines
de sa séparation de la philosophie. Voulant se détacher des « spéculations métaphysiques » et se
fonder en tant que science, la psychologie s’est concentrée sur l’élaboration de théories et
l’effectuation d’expériences susceptibles de soumettre ces théories au test de leur validité, rejetant
aussi toute hypothèse ontologique ou métaphysique, par définition non testable scientifiquement.
Mais ne pas vouloir envisager une vision globale et cohérente du monde et de l’homme qui
fonderait la psychologie, c’est courir le risque d’une dispersion infinie des points de vue, basés
justement sur de telles visions implicites et non dévoilées de la part des différents praticiens, ce qui
est très visible à travers la gamme étendue des divers courants de la psychologie : « Il est très
difficile, voire impossible, de définir ce qu’est la Psychologie et ce livre n’en donne pas de
définition : science de la « psyché », de l’âme pour les Anciens, elle est devenue, en plus d’un siècle
un arbre gigantesque avec des ramifications nombreuses, des variétés multiples, des produits
diversifiés, des théories éclatées et des pratiques toujours plus nombreuses et différentes. » (Michel
Richard, « les courants de la psychologie », éditions « Chronique sociale », p.7). Comment
s’étonner dès lors que les psychologues ne puissent se mettre d’accord sur un concept particulier tel
que celui de « motivation » ?

Au secours, Spinoza, aide-nous !

Car Spinoza, dans la troisième partie de l’Ethique, a développé une psychologie très élaborée et
fondée sur une ontologie (première partie de l’Ethique) et sur une anthropologie (deuxième partie),
c’est-à-dire sur une vision globale et cohérente du monde et de l’homme. Et la notion de motivation
s’y trouve implicitement : ce n’est rien d’autre que le « Conatus », l’effort de tout être à vouloir
persévérer dans son être et que Spinoza, dans le cas de l’homme, lorsqu’il est accompagné de
conscience, appelle « Désir ».

Pour expliciter cette affirmation, il nous suffira de mettre en évidence que les psychologues en
général et l’un d’entre eux plus particulièrement tendent vers ce « Conatus » comme description de
cette mythique « motivation ».
Ainsi, actuellement, les psychologues ont tendance à ne plus parler de « motivation », mais de «
capacités conatives » ! N’est-ce pas, dans l’utilisation du terme même de conation, qui est la
francisation du latin « conatus », la reconnaissance implicite de la présence, en chacun, de cette
poussée individuelle à s’affirmer, à motiver, par sa propre essence, les actions posées et depuis si
longtemps explicitée par Spinoza, mise à jour comme étant l’essence même de cet individu ?

Il est un psychologue particulier qui, dans ses recherches, identifie très exactement, mais sans s’en
rendre compte, et dans un vocabulaire différent, motivation et conatus. Il s’agit de J. Nuttin
(NUTTIN J., Théorie de la motivation humaine, puf , 1980).

En effet, dans l’ouvrage cité, Nuttin différencie deux types de motivations ou plutôt deux niveaux
motivationnels : un premier niveau de motivation qui prendrait sa source dans la dynamique même
de la vie, une sorte de motivation de fond qui aurait pour principe de sauvegarder « la fonction
dynamique générale » c’est-à-dire l’unité de fonctionnement de l’être humain et un deuxième
niveau, les « motivations spécifiques », qui ont pour but d’entretenir, d’alimenter ce premier niveau.

Nuttin est très clair à ce sujet, il explique que « la fonction de direction et de régulation qui
caractérise chaque motivation s’inscrit à l’intérieur d’une fonction dynamique générale ». Il ajoute
que le rôle de cette fonction dynamique générale est de réguler les motivations spécifiques pour
qu’elles s’accordent dans une unité. La source du premier niveau de motivation « s’identifie à la vie
même de l’individu » tel un courant de vie souterrain qui aurait pour mission de rassembler dans un
tout cohérent tout élan spécifique de l’individu.

Il ajoute qu’aucune carence ou déficit n’est porteur de dynamisme, « pas plus qu’un manque de
carburant est de nature à activer un moteur », mais ce qui transforme une carence en motivation,
c’est le dynamisme même de la vie. De ce point de vue, les besoins ne sont plus seulement perçus
en termes de carence ou déficits qu’il faut impérativement combler, mais « comme des dynamismes
constructifs du potentiel fonctionnel de l’être vivant ». Certes, toute motivation implique une
certaine absence de l’objet désiré, mais pour Nuttin, ce manque ne fait que déclencher le
dynamisme inhérent, il n’en est pas la source.

Ne retrouve-t-on pas ici une reformulation, mais sans explicitation de leurs fondements ontologique
et anthropologique, des termes de « Conatus » (la dynamique même de la vie, la motivation de
fond), de « désirs » (les motivations spécifiques) et le fait que, chez Spinoza, c’est le « Conatus », le
« Désir » qui pousse l’individu à vouloir les choses et non les choses qui manquent à cet individu
(voir le paragraphe précédent) ?

… Encore une preuve de l’ahurissante actualité de ce philosophe du XVII e siècle !

Maintenant que nous avons une définition rigoureuse de la notion de motivation, comment
l’appliquer ?

Le conatus de l’individu humain, en tant que celui-ci connaît sa propre nature, se résume à cette
seule formule: connaître et connaître pour connaître. Tel est le fondement de l’existence humaine
selon Spinoza. Il doit nous permettre de réaliser notre nature même et nous permettre la joie, joie
qui résulte de la réalisation de notre nature permise par la connaissance de cette nature. Parce que
vivre est à soi-même sa propre fin et parce que la raison n’est pas autre chose que nous-mêmes,
nous voulons persévérer dans notre être, ce qui revient à dire dans la pensée de Spinoza, connaître.
Pour Spinoza, l’effort de comprendre n’est autre que le conatus parvenu à son plus haut degré
d’efficience, le désir de connaître étant la vérité du désir d’être.
Ainsi cette fameuse motivation n’est autre que le désir de connaître. Et cela, dans le cadre de notre
approche générale d’analyse de confrontation de deux désirs, ouvre des perspectives pratiques dans
la quête de l’éveil de la motivation, en la ramenant à la résolution du conflit de de deux désirs, celui
de « s’éloigner » de la tâche à accomplir (manque de motivation pour cette tâche) et celui de « s’en
rapprocher », c’est-à-dire de l’effectuer.

Prenons le cas particulier de l’apprentissage scolaire, soit global, soit pour une matière donnée. Si
pour l’élève concerné se pose la question de la motivation, c’est que nécessairement cohabitent en
lui deux désirs contradictoires, celui de vouloir s’engager dans l’étude et celui de vouloir s’en
éloigner. Il faut donc qualifier les joies à l’origine de chacun de ces désirs et identifier les idées
confuses, les images associées à ces joies. La clarification et la substitution de ces images en idées
adéquates devrait pouvoir, autant que faire se peut, résoudre ce conflit et le faire pencher vers le
désir d’engagement envers les études puisque, par nature, le « Conatus » de cet élève, son véritable
désir de persévérer en lui-même, n’est autre que le désir de connaître.

Jean-Pierre Vandeuren

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6 comments
Christian dit :
21 octobre 2012 à 00:50
Bonjour M. Vandeuren,
Vous n’expliquez pas beaucoup comment éveiller le désir de connaître chez quelqu’un qui est censé
être là pour apprendre mais qui n’en manifeste aucun désir. On ne peut faire boire un âne qui n’a
pas soif, même si on l’a enfermé dans un enclos avec 10 auges remplies d’eau. Or il y a
certainement un désir de connaître chez la majorité des jeunes, mais de connaître ce que ça fait
d’avoir le dernier i-phone, ce que disent de lui les membres de l’autre sexe, quelles sont les chances
de gagner de son favori à tel jeu de télé-réalité etc. mais pas ce que des adultes sans le charme et la
séduction des icônes télévisuelles ont à leur apprendre.

Aussi, quand vous dites qu’il y a chez les jeunes qui ont un problème de motivation nécessairement
un désir de connaître en général qui serait en conflit avec d’autres désirs qu’il s’agit d’éclaircir, je
ne suis pas sûr que ce désir, dans le sens où vous y faites allusion, étudier de façon fructueuse les
disciplines qui lui sont enseignées, soit réellement présent chez de nombreux jeunes qui subissent
l’école comme une contrainte liée à l’état de la société, non à leurs aspirations conscientes. Mais il
serait sûrement utile que vous présentiez un exemple précis de travail sur les idées confuses d’un
jeune que vous auriez réussi à (re)motiver pour les études grâce à Spinoza.
Et si chez Spinoza, le désir bien compris est un appétit de puissance qui implique le désir de
comprendre, il n’en demeure pas moins que ce n’est pas ce qui arrive chez la plupart des hommes
qui sont soumis au règne des affects passifs. La question est alors de savoir pourquoi ce désir n’est
pas celui de la plupart des jeunes d’aujourd’hui mais encore bien avant l’avènement de la société de
consommation et de l’image, de la jeunesse comme de la maturité la plus commune. Il y a lieu
d’expliquer ensuite comment ce désir parvient tout de même à émerger chez certains et comment le
susciter, si cela est possible, chez ceux qui ne l’ont pas en partage.

Je suis tombé sur votre site en faisant une recherche sur Paul Diel et sa psychologie de la
motivation. Vous n’en parlez pas dans cet article, peut-être en parlez vous ailleurs sur votre site. Il
me semble que cet auteur, qui était lecteur de Spinoza, permet d’esquisser quelques réponses aux
questions précédentes, du moins tel que je le comprends.

1° Le sens immanent de la vie est l’expansion de la vie même, et individuellement le dépassement


de nous-mêmes que Spinoza pourrait appeler l’augmentation de notre puissance d’exister. C’est
l’introspection ou observation de notre vie affective qui nous permet de connaître que nous sommes
en accord ou non avec ce sens dont nous avons une sorte d’intuition que Diel qualifie de sur-
conscience, de façon à progresser dans ce sens. Mais il y a alors trois façons de se comporter face à
ces données :
a) le renoncement à l’introspection car elle demande des efforts, ce qui conduit à se contenter de
quelques objectifs tirés de l’air du temps (avoir de l’argent, une grosse voiture, une belle maison…)
pour tomber dans ce que Diel appelle la banalité ;
b) l’exercice d’une introspection malsaine menant à éviter le malaise ou coulpe vitale qu’il y a à se
sentir en décalage avec le dynamisme créatif de la vie, donnant lieu à des ruminations par lesquelles
on s’imagine déjà arrivé au plein développement de la perfection humaine par les grandes finalités
que nous nous donnons (vanité), ce qui donne lieu à une suractivité pour des buts le plus souvent
inatteignables et une paresse pour les objectifs réalisables. Cela engendre de fausses culpabilités qui
permettent surtout de refouler la conscience du malaise vital. Et ce n’est pas séparable non plus de
ce que Diel appelle sentimentalité ou surestime de certaines personnes comme de l’accusation par
laquelle on en méprise d’autres.
c) l’exercice d’une introspection lucide par laquelle on développe une juste estime de soi, de ses
possibilités et impossibilités, en rapport avec une conscience claire du sens immanent de la vie, de
façon à trouver une juste motivation dans la relation à soi comme à autrui : motivation pour se
dépasser et s’ouvrir à une plus grande unité avec la vie et les vivants.
Ainsi, il n’y a pas de motivation pour développer adéquatement sa puissance d’exister parce qu’il
est plus facile de désirer ce que les autres hommes désirent en s’imitant les uns les autres ou encore
de désirer l’impossible que de pratiquer une introspection lucide sur ce que l’on désire vraiment et
qui serait de nature à nous demander de véritables efforts.

2° Comme la tendance générale est à la fausse motivation et ainsi aux fausses satisfactions, qu’elle
ait la forme de la banalité ou de la vanité, il est difficile de comprendre comment certains
parviennent à la juste motivation. Pour ce qui est de la motivation scolaire, notons tout de même
que certains élèves la trouvent principalement dans la peur de l’échec, qui n’est pas sans rapport
avec l’angoisse de passer à côté du sens immanent de la vie, mais qui relève en grande partie de la
sentimentalité à l’égard de parents qui parviennent à rester des modèles pour leurs enfants en leur
faisant comprendre qu’il seraient très déçus par un échec de leur part. De sorte que ces élèves n’ont
qu’un désir superficiel de comprendre et ne fournissent au final qu’un travail qu’on qualifie de «
scolaire » dans le sens où il est une application quasi-mécanique de ce qui leur est demandé, sans
compréhension profonde, faute d’un désir de comprendre véritable.
La véritable motivation d’un élève à l’école consisterait dans une confiance en soi, ce que Spinoza
appellerait acquiescentia in se ipso, supposant une conscience raisonnée de sa puissance de
comprendre les enseignements proposés et la joie de les comprendre effectivement pour vivre et
ainsi percevoir le monde de façon enrichie et maîtriser le rôle qu’il peut y jouer. La démotivation
vient alors de l’idée que les enseignements proposés sont hors de portée pour lui et/ou qu’il ne peut
le rapporter à sa propre satisfaction d’exister. Ceux qui ne se démotivent pas à la première difficulté
sont simplement ceux qui, par les hasards heureux de leur existence, ont déjà acquis une conscience
assez forte de leur puissance de comprendre.

3° La thérapeutique proposée par Diel consiste principalement à « défouler la coulpe vitale », non à
culpabiliser la personne troublée par la référence à des normes générales qui le mettent en défaut,
mais à lui faire prendre conscience des raisons pour lesquelles il se sent mal à l’aise par un travail
d’analyse fin, permettant notamment de contourner les fausses culpabilités qui lui servent à éviter la
conscience de son malaise profond. On voit mal comment un enseignant pourrait pratiquer cela
dans sa classe. On pourrait cependant imaginer, comme Edgar Morin dans _La tête bien faite_, des
cours dans lesquels les élèves apprendraient à pratiquer une auto-observation lucide d’eux-mêmes,
au moins dans les questions qui peuvent regarder l’école (motivation à l’étude, comportement en
classe et dans l’établissement). Mais pour l’enseignant ordinaire, difficile de proposer autre chose
qu’une compréhension des mécanismes de la juste et de la fausse motivation, de faire des cours
accessibles sans pour autant être trop faciles, de s’observer lui-même pour éviter de projeter ses
propres malaises sur ses élèves et éviter de créer ainsi une ambiance de méfiance généralisée. Mais
cela ne permettra bien souvent que d’éviter la démotivation de ses élèves, pas vraiment de créer une
motivation là où elle n’existait pas au départ. Si toutefois vous avez des suggestions plus précises à
faire, je vous en serais gré.

Réponse
vivrespinoza dit :
22 octobre 2012 à 08:44
Cher Monsieur,
Merci pour votre commentaire et, par-là, de l’intérêt que vous avez porté à mon article.
De façon générale, notre site a pour intention de confronter l’œuvre de Spinoza à chacun des
problèmes qui se posent dans l’existence, et, par conséquent aussi aux autres théories qui les
abordent, et ce, à la fois de manière théorique et pratique. En particulier, nous nous efforçons
d’appliquer le « spinozisme » et de montrer des exemples de ces applications, exemples qui
manquent cruellement à la fois chez Spinoza lui-même et chez tous ses commentateurs.
L’article que vous commentez (« Motivation et Conatus ») se voulait d’une part polémique vis-à-vis
des théories psychologiques contemporaines à propos de la motivation et théorique en montrant que
l’Ethique contenait déjà la bonne définition de la motivation, définition dont il faut partir pour
continuer à explorer cette problématique. De ce fait, je n’y ai pas donné d’exemple détaillé de son
application, me contentant d’en souligner les grandes lignes opérationnelles qui se raccrochaient à
des articles précédents.
Quant à Paul Diel, que j’estime énormément, je l’ai utilisé dans deux articles du blog : « Genèse des
conflits» et « Un exemple de la loi de la « fausse motivation » de Paul Diel ». J’apprécie beaucoup
ce psychologue parce que, d’une part, il se situe dans une lignée spinoziste, et d’autre part, ses
analyses peuvent compléter la psychologie rationnelle de Spinoza, qui pêche par absence de
génération interne des affects (relation à l’éducation, etc.).
De façon plus particulière maintenant, pour en revenir à votre demande d’exemple de
(re)motivation d’élèves, je pense qu’il faut faire confiance au désir de chacun d’apporter un sens à
son existence. Cette nécessité est latente en chaque individu dès la puberté et c’est là qu’il faut
ménager un espace de temps pour introduire une ontologie et une anthropologie. Je ne pense pas, au
contraire de ce que vous suggérez comme application de Paul Diel, à un exercice d’introspection
pour la reconnaissance des justes et des fausses motivations, car, partir du sujet, ne procure pas
d’idées adéquates, au sens spinoziste du terme. Au contraire, comme le signalait mon correspondant
Jean-Pierre Lechantre, l’aide que nous pouvons apporter aux élèves, entre autres, serait de leur
donner une vision du monde juste ou, à tout le moins avec le minimum de présupposés
transcendants, ce que Jean-Pierre Lechantre nomme une « ontothérapie », néologisme que je trouve
tout-à-fait pertinent. Je pense évidemment à l’ontologie spinoziste et à son anthropologie
conséquente. Faire réaliser aux adolescents, comme conséquence de cette vision du monde, que la
bonne orientation de leur effort pour persévérer dans l’existence réside dans le désir de connaître est
la voie royale de la motivation car c’est elle qui leur fera emballer leur joie, ou au moins une partie
de leurs joies, dans la poursuite des connaissances, indépendamment des conséquences matérielles
de leurs efforts dans cette activité.
Personnellement, nous avons pu, à plusieurs reprises, mettre en œuvre ce processus et constater son
efficacité, du moins ponctuellement. Dans les classes du secondaire, sans aménagement spécifique
de temps, il me semble effectivement difficile pour les enseignants de recourir à cette méthode. Ça
c’est une autre histoire, politique sans doute, mais le plus important, déjà, c’est de disposer d’une
telle théorie bien étayée, car « rien de plus pratique qu’une bonne théorie » (Poincaré).
Cordialement,

Jean-Pierre Vandeuren

Réponse
Marquoin dit :
11 janvier 2015 à 17:24
Votre texte :
Le conatus de l’individu humain, en tant que celui-ci connaît sa propre nature, se résume à cette
seule formule: connaître et connaître pour connaître. Tel est le fondement de l’existence humaine
selon Spinoza. Il doit nous permettre de réaliser notre nature même et nous permettre la joie, joie
qui résulte de la réalisation de notre nature permise par la connaissance de cette nature. Parce que
vivre est à soi-même sa propre fin et parce que la raison n’est pas autre chose que nous-mêmes,
nous voulons persévérer dans notre être, ce qui revient à dire dans la pensée de Spinoza, connaître.
Pour Spinoza, l’effort de comprendre n’est autre que le conatus parvenu à son plus haut degré
d’efficience, le désir de connaître étant la vérité du désir d’être.

Le texte d’une thèse de 2006 (http://www.cerap.org/pdfs/memoires/memoire-valerie-bouchet.pdf) :


Le conatus de l’individu humain, en
tant que celui-ci connaît sa propr
e nature, se résume à cette seule
formule: connaître et connaître pour connaître. Tel est le fondeme
nt de l’existence humaine selon
Spinoza. Il doit nous permettre de r
éaliser notre nature même et nous pe
rmettre la joie,
joie qui résulte
de la réalisation de notr
e nature permise par la connaissance de
cette nature. Parce que vivre est à soi-
même sa propre fin et parce que la raison n’est pas autre chose que nous-mêmes, nous voulons
persévérer dans notre être, ce qui revient à dire da
ns la pensée de Spinoza, connaître. Pour Spinoza,
l’effort de comprendre n’est autre que le conatus parv
enu à son plus haut degré
d’efficience, le désir de
connaître étant la vérité du désir d’être.

> Vous pouvez effacer mon commentaire après lecture ! ??


Réponse
vivrespinoza dit :
12 janvier 2015 à 09:44
Monsieur le Justicier ironique,

Pour quelle raison devrais-je effacer votre commentaire? Au contraire, il me permet de réparer
l’injustice commise envers Mme Valérie Bouchet en ne la citant pas pour cet emprunt, omission qui
cependant ne me cause aucun trouble. De fait, en publiant mes articles sur ce blog, je ne vise aucune
reconnaissance, je désire juste partager mon enthousiasme spinoziste. Toutes mes publications sont
libres d’accès et de « copier/coller », car n’est-ce pas ainsi que la connaissance s’est toujours
diffusée? Comme le dit très bien l’auteur d’un autre site (dont j’ai aussi oublié le nom et la
référence, ce qui m’expose encore à un retour de flamme) : « Ce n’est qu’en lisant les autres qu’on
apprend à penser par soi-même. Je ne crains pas d’être pillé, je craindrais plutôt de n’être pas lu. Ce
site est fait pour servir. Chacun, je le souhaite, peut y trouver son bien ». Ainsi, afin d’introduire
rapidement mon article, en me servant du texte de Mme Bouchet, que j’avais ajouté dans un de mes
fichiers sans prendre garde à y mentionner une référence, j’ai trouvé mon bien grâce à elle, comme
j’espère que de nombreux lecteurs peuvent trouver le leur dans les idées véhiculées sur mon blog et
que d’autres encore le trouvent dans la critique, constructive ou non.
Vôtre.

Jean-Pierre Vandeuren

Réponse
Jean-Pierre Lechantre dit :
13 janvier 2015 à 16:14
Cher ami

Je reviens de temps en temps sur votre site et je tombe, aujourd’hui, sur votre échange avec
Marquoin.
Je n’ai pas perçu d’ironie dans son message qui se contente de juxtaposer deux textes et de mettre
ainsi en évidence une injustice envers Mme Bouchet, ce dont vous convenez vous-même.
J’aimerais avoir votre avis sur le cas suivant.
En exergue à votre article « Regret, remords et repentir (1/3) » du 09/12/2014) vous citez Alain
Minc :

« … il n’y a guère de penseur qui n’a été, n’est ou ne sera spinoziste. » (Alain Minc, Spinoza, un
roman juif).

Or, et je cite Wikipédia :

« Alain Minc a été condamné le 28 Novembre 2001 par le tribunal de grande instance de Paris à
verser 100000 francs (environ 15000 euros) à titre de dommages et intérêts pour plagiat,
reproduction servile et contrefaçon, pour son ouvrage intitulé Spinoza, un roman juif, dont le
tribunal a statué qu’il était une contrefaçon partielle de l’ouvrage Spinoza, le masque de la sagesse
de Patrick Rödel publié en 1997. »

J’ignore si vous connaissiez ce fait lorsque vous avez publié votre article et je pose la question
générale : si l’on sait que cet auteur a été condamné pour plagiat, convient-il de le citer,
éventuellement en rappelant la condamnation dont il a fait l’objet ?
Bien cordialement
Jean-Pierre Lechantre
vivrespinoza dit :
13 janvier 2015 à 22:43
Cher ami,

J’ai grand plaisir à vous retrouver ici

En ce qui concerne « l’échange » avec Marquoin, l’ironie, du moins celle que j’ai ressentie, se
trouve concentrée dans la dernière ligne ligne de son message. Mais peu importe, je me suis laissé
entraîner par une mauvaise humeur passagère. Nous sommes et serons toujours asservis par nos
passions.

Quant à la citation d’Alain Minc, au moment où je l’ai placée en exergue de mon article, j’ignorais
effectivement que le livre dont elle était extraite était un plagiat. Le livre m’était tombé sous la main
par hasard dans une librairie de livres d’occasion et je n’avais jamais rien lu auparavant de son
auteur. La citation ne pouvait que plaire à un admirateur de Spinoza. Quant au livre lui-même, que
je n’ai pas été capable de finir, c’est autre chose. J’ai cependant appris par après ledit plagiat, mais
j’ai décidé de conserver l’exergue, car elle est correcte.

Maintenant, en me raccrochant à votre question générale, aurais-je dû, au moment où j’en ai eu


connaissance, signaler la condamnation dont l’auteur a fait les frais? Dans le cadre restreint de cette
citation très générale, il me semble que cela aurait été sans intérêt puisque le livre incriminé ne
faisait pas lui-même l’objet de mes préoccupations. Si, de façon générale, il l’avait été en relation
avec une ou plusieurs idées qui en seraient provenues, je ne crois pas non plus que je l’aurais
signalé. Ce sont les idées qui m’auraient intéressées et la discussion de leurs origines véritables ne
m’aurait pas importée. Cette discussion relève d’un autre domaine, celui de la propriété
intellectuelle, en rapport souvent avec des motivations mercantiles. Mais ce n’est qu’une opinion
que j’émets dans le cadre d’une activité purement intellectuelle délivrée de ces motivations et de
tout désir de reconnaissance.

Très cordialement.

Jean-Pierre Vandeuren

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