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20 juillet 2016 : « La Calédonie n’a pas réglé ses comptes avec l’histoire des

descendants japonais » (J. Trinson – LNC)


Propos recueillis par Julia Trinson / ENTRETIEN avec Françoise Cayrol, anthropologue à l'UNC

Implantés sur le Caillou depuis 1892, les travailleurs japonais ont


été brutalement expulsés au lendemain de l'attaque de Pearl Harbor,
en 1941, brisant à jamais des familles. Photo Christiane Terrier

Demain, l'anthropologue Françoise Cayrol donnera une conférence


au centre Tjibaou sur les descendants de Japonais en Calédonie.
Après la chape de plomb qui a suivi la Seconde Guerre mondiale,
ces derniers ont accompli un remarquable travail de mémoire.

Les Nouvelles calédoniennes : Comment en êtes-vous venue à vous intéresser aux


descendants de Japonais en Nouvelle-Calédonie ?
Enfant, les « Japonais » faisaient partie du paysage calédonien, mais je n’avais jamais pensé à
poser la question de leur arrivée ici. C’est en travaillant au musée de la Nouvelle-Calédonie que j’ai
découvert l’histoire des Nisei, les descendants des Japonais, lors des commémorations de l’année
2012 [le 120e anniversaire de la première arrivée de Japonais sur le Caillou, NDLR]. Il s’est passé
là une convergence entre des programmes mis en place par le musée concernant les
« communautés » de la Nouvelle-Calédonie et la demande de Marie-Josée Michel [consule
honoraire du Japon, NDLR] d’accueillir les estampes d’un ancien « Tatura kid », né en Calédonie
et ayant suivi ses parents dans un camp australien. Nous avons tous été profondément touchés.
Nous avons accompagné une grande partie des commémorations et découvert que cette histoire
n’était pas vraiment « reconnue », alors qu’elle touchait pratiquement chacun en Nouvelle-
Calédonie.

Peut-on parler de « communauté » pour ces descendants ?


Oui et non. Le terme n’est pas le bon, si l’on se réfère à la notion de communauté britannique par
exemple. C’est un terme très employé en Calédonie, qui sous-tend l’idéologie du destin commun. Il
s’agit davantage de groupes d’appartenance. Ici, les associations dites communautaires peuvent
être considérées comme des groupes sociaux à part entière. Elles génèrent et entretiennent des
relations sociales tant au plan local que vers l’extérieur, en particulier les pays d’origine.

A quand remonte l’intérêt de ces personnes pour leurs origines japonaises ? Y a-t-il eu un
ou des événements, des rencontres, qui ont joué un rôle d’étincelle ?
Après le bombardement de Pearl Harbor et l’arrestation des pères et des grands-pères, les enfants
restés avec les mères et grands-mères ont voulu comprendre la souffrance et lever la chape de
plomb placée sur leur histoire. Il y a eu des lectures, des rencontres, parfois des hasards qui ont
facilité le fait de renouer avec la parole. Cependant, il s’agit là d’un travail presque individuel, familial.
La Nouvelle-Calédonie n’a pas encore clairement réglé ses comptes avec cette histoire, comme
avec tant d’autres d’ailleurs. Pour Marie-Josée Michel, par exemple, le retour des bateaux japonais
dans le port de Nouméa a été essentiel. Elle décrit l’attirance de son père vers le port et les relations
qu’il mettait en place avec les marins et les mécaniciens des navires japonais, les produits du jardin
qu’il leur apportait.

Y a-t-il eu une période de non-dit pendant et après la Seconde Guerre mondiale ?


Oui, c’est pourquoi je parlais d’une chape de plomb. Le fait important que souligne Gilbert
Bladinnière, des éditions Madrépores, par exemple, c’est la nécessité absolue d’une « intégration
silencieuse ». Les membres de l’Amicale japonaise parlent de honte, de peur. Ces mères laissées
seules étaient totalement démunies.
En quoi l’étude de ces descendants, de la façon dont ils se perçoivent et se structurent,
présente-t-elle un intérêt pour l’ensemble de la société calédonienne ?
Comment vouloir construire une société idéale, un destin commun, si l’on ne commence pas par
connaître et reconnaître les histoires particulières qui ont trait à l’histoire des différentes
communautés, de chacune d’entre elles !
Le travail de mémoire accompli par les descendants des Japonais possède un aspect résilient !
Comme le souligne tant Benjamin Stora [historien travaillant notamment sur la guerre d’Algérie et
l’immigration, NDLR], on ne construit pas sur l’oubli et encore moins sur l’oubli orchestré.

« Nisei, les descendants des Japonais en Nouvelle-Calédonie. Une anthropologie de la


mémoire », conférence de Françoise Cayrol (Université de la Nouvelle-Calédonie), demain,
jeudi 21 juillet, à 18 h 15 au centre culturel Tjibaou (salle Sisia). Entrée gratuite.

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