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nité est aussi celle des méthodes éducatives : expérience de cette ségrégation : les nounous
les terrains d’aventure de l’après-guerre, dans vivent souvent dans leur propre maison au
des lieux touchés par les bombardements, fond du jardin, un espace clairement identi-
traduisent les espoirs de reconstruction et la fiable et beaucoup plus vétuste que la demeure
volonté d’élaborer une citoyenneté nouvelle, des parents. La rupture est souvent brutale, la
préservée de toute tentation totalitaire (Roy fratrie ou les parents se chargeant d’inculquer
Kozlovsky). Sur ces terrains, les enfants peuvent à l’enfant une distance, y compris affective,
se purger de leur violence et développer des avec la nounou, parfois renvoyée une fois sa
jeux en autonomie, selon des modalités qui ne tâche accomplie.
sont pas pré-formatées par les adultes. Il est Cette inculcation de normes, dans le cas
encore question d’autonomie dans la subculture sud-africain, peut se traduire par une résis-
des surfeurs en Norvège, qui créent leur tance enfantine, comme ces enfants blancs
propre langage, leurs propres codes, leur qui continuent à entretenir une relation pri-
propre connaissance des espaces enneigés vilégiée avec leur nounou. Les filles des rues
dans lesquels ils évoluent (Olav Christensen). en Indonésie transgressent l’interdiction faite
Les espaces et les objets destinés aux aux filles, dans une société très patriarcale,
enfants sont également une affaire de morale d’occuper librement l’espace public (Harriot
et d’idéologie, voire de politique. Le contenu Beazley). Elles constituent ainsi une micro-
nationaliste des cours dans les écoles turques culture au sein de la subculture des enfants des
s’accompagne de rituels, comme des proces- rues, s’appropriant, en groupe, leurs propres
sions, destinés à célébrer le nouveau régime espaces, jouant aussi sur la masculinisation de
et ses réalisations. Les veillées autour des feux leur corps (cheveux courts, tatouages, vête-
dans les camps d’été aux États-Unis sont vues, ments). Elles disposent finalement de plus de
à la fin du XIX e siècle, comme un moyen mobilité que les jeunes hommes, le fait d’être
d’introduire chez les jeunes garçons chrétiens des filles, moins suspectes, leur permettant de
une dimension à la fois plus virile et spirituelle pénétrer dans des lieux interdits aux garçons.
au contact de la nature, alors que la culture Au Sénégal, les écoles destinées aux enfants
victorienne plaçait les enfants entre les mains d’éleveurs nomades, promues par le colonisa-
des mères, à la maison (Abigail Van Sluck). teur français puis par l’État sénégalais nouvel-
La vision antimoderniste d’un passé primitif lement indépendant, ont rencontré très peu de
auquel il faudrait se relier est complètement succès (Kristine Juul). Les familles des éle-
modifiée après 1945 et le savoir-faire techni- veurs n’en voient pas l’utilité, alors que leurs
cien de directeurs de camps professionnalisés enfants sont utilisés pour garder les troupeaux,
devient au contraire un gage de modernité. la brousse étant un lieu d’apprentissage et
Toujours aux États-Unis, les écoles pour enfants d’entre-soi enfantin. La sécheresse des années
noirs constituent une reconnaissance implicite 1970 et 1980 les obligeant à se diriger vers
d’une ségrégation raciale que B. Washington des régions nouvelles change leur rapport à
ne contestait pas, mais elles sont en même l’école. Les éleveurs s’enrichissent mais ne
temps le signe de la capacité de la commu- peuvent augmenter la taille de leurs trou-
nauté afro-américaine de se doter de ses peaux, l’espace étant réduit. Ils investissent
propres institutions. Malgré une volonté affi- alors dans le commerce et créent leurs propres
chée de modestie, elles sont parfois jalousées écoles privées, façon d’affirmer leur citoyen-
ou copiées par les écoles pour enfants blancs. neté et de marquer leur présence dans un terri-
En Afrique du Sud dans les années 1970, toire où ils sont des immigrants récents à la
l’enfance est le lieu d’un paradoxe dans un présence toujours contestée. Il s’agit là d’une
contexte de racisme institutionnalisé (Rebecca stratégie de groupe, mais les enfants eux-
Ginsburg). Les enfants blancs des classes mêmes peuvent remettre en cause les normes :
moyennes sont élevés par des nounous noires alors que la société de consommation fait de
dans leurs plus jeunes années. Cette proxi- l’enfance un temps privilégié pour recevoir
mité, dans une société marquée par une forte des cadeaux, ils n’en sont pas des récepteurs
1562 ségrégation, est en même temps une première passifs (Alison Clarke). Ils s’approprient la
COMPTES RENDUS
signification des marques, passant du cute au s’intéresser au rapport des Français à la vie
cool, utilisant les objets de consommation à la rurale et au rôle de la collectivité enfantine
fois pour se démarquer par rapport à leurs dans l’éducation. Elle complète ces axes par
parents, pour grandir et manifester leur per- la description de la protection sociale de
sonnalité à travers l’affirmation de goûts. l’enfance avant 1945 comme un espace « para-
Enfin, le postulat de départ d’une enfance politique, fragmenté et très politisé », dans
insularisée est remis en cause par l’étude sur lequel plusieurs organisations se disputent la
la famille Dawson, où les enfants apparaissent prise en charge des enfants venus des classes
plutôt comme des ponts entre générations, populaires. Elle décrit aussi plus largement
entre espaces (ville et campagne, maison des cette histoire des colonies comme la manifes-
grands-parents et celle des parents...) que tation dans le domaine des loisirs de la tran-
comme des îles. La culture manga étudiée au sition entre deux régimes d’enfance : celui,
Japon brouille aussi les frontières entre enfants ancien, qui conçoit l’enfant venu des classes
et adultes, dans la mesure où elle continue à populaires avant tout comme un petit travailleur
se décliner à l’âge adulte, permettant de contes- et celui, moderne, qui voit en lui un jeune
ter la vision de la fin de l’enfance comme une citoyen à scolariser. Pour ce travail, L. Downs a
résignation au sérieux, à la discipline et au tra- consulté de nombreuses archives municipales,
vail (Mizuko Ito). Dans sa conclusion, John les périodiques des différents mouvements
concernés et les récits de nombreux acteurs,
Gillis souligne ces passerelles entre le monde
organisateurs ou anciens colons.
des adultes et celui des enfants, qui lui semble
L’auteure décrit tout d’abord le dévelop-
correspondre à un archipel infini plutôt qu’à
pement du mouvement des colonies de
une île.
vacances, qui naissent à la fin du XIXe siècle
L’impression d’ensemble est celle d’un
avec la mise en place de l’école républicaine,
ouvrage très riche, au point qu’on peut se perdre
gratuite et obligatoire pour les enfants de 6 à
dans les temporalités, les cas étudiés, les métho-
13 ans. Les vacances deviennent un problème
dologies et les références mobilisées, parfois pour les familles populaires : que faire des
fort différentes. Les enfances dont il est ques- enfants ? Les colonies sont tout d’abord
tion sont très diverses, des nourrissons sud- laïques ou liées aux associations protestantes.
africains aux adolescents surfeurs norvégiens Les catholiques créent leurs propres colonies
en passant par les enfants sénégalais. Les coor- à partir de 1890, dans la foulée des patronages,
dinatrices revendiquent ce flou, arguant de la afin de reconquérir la classe ouvrière urbaine
diversité des définitions de l’enfance selon déchristianisée, dans un contexte de fortes
la période, le lieu, la culture, la classe sociale. tensions avec les anticléricaux. Le XXe siècle
Face à un tel foisonnement d’objets, il est dif- est celui du triomphe de la colonie, avec
ficile toutefois d’en arriver à des conclusions 100 000 colons en 1913, 420 000 en 1937,
plus globales. Reste que les pistes de réflexion 880 000 en 1948, un million en 1955. L’origine
engagées sont passionnantes. sociale des enfants se diversifie et s’étend à
ceux des classes moyennes, notamment après
SYLVAIN PATTIEU 1945. La période de 1962 à 1984 est celle du
record de fréquentation des colonies (entre 1,1
et 1,3 millions d’enfants), puis suit une décrue
Laura Lee Downs après 1995, jusqu’à 900 000 enfants à peu près.
Histoire des colonies de vacances de 1880 Un phénomène de repli sur la vie familiale et
à nos jours l’effort financier difficile à assumer en temps
Paris, Perrin, 2009, 433 p. de crise entraînent une mutation de la fonction
sociale de la colonie, accessible seulement aux
Le livre de Laura Lee Downs n’est pas la familles riches qui ont les moyens de se la
simple traduction de celui publié en 2002, sur payer ou aux très pauvres qui sont subven-
le même thème, en anglais 1. Sept ans après, tionnées.
de nouvelles recherches la conduisent dans Ce succès grandissant des colonies est aussi
deux nouvelles directions. Elle continue à une mutation du sens qui leur est donné. La 1563