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68 I PERSPECTIVES I

• LE QUESTIONNEMENT
PÉDAGOGIQUE

Cet article inaugure une interrogation sur le questionnement en pédagogie qui se poursuivra dans les
prochains numéros. Jean-Pierre Astolfi, spécialiste reconnu des sciences de l’éducation, s’interroge sur
le sens du questionnement à l’école, dans de multiples disciplines.
Situation paradoxale que celle de la classe, où celui qui sait interroge celui qui ne sait pas.

Auteur Jean-Pierre Astolfi*

D ans toutes les disciplines, le questionne-


ment est au cœur de l’activité pédagogi-
que. Il représente l’identité même de l’école,
procédé qu’une occasion pour embrayer ses
propres réponses, en faisant mine de les inscrire
dans le fil de celles des élèves, par continuité
celle dont nous avons tous conservé la mémoire ou par contraste. Il oublie ainsi que l’on voit
depuis l’enfance. Le souvenir en est rarement moins avec ses yeux qu’avec ses neurones,
heureux, car chacun se souvient de la hantise et qu’il n’est pas d’observation possible en
d’être interrogé, avec l’angoisse associée au l’absence de cadres interprétatifs. Le propre de
doigt du professeur montant ou descendant l’expert c’est de disposer d’outils conceptuels lui
la liste alphabétique pour choisir celui ou celle permettant de voir autre chose, et autrement
qui allait passer au tableau. Même si l’on savait que le commun des mortels. Ne dit-on pas que
parfaitement sa leçon… Le maître du primaire toute observation renseigne sur l’observateur ?
comme le professeur du secondaire question- Justement, la pratique du questionnement
nent en permanence, les manuels fourmillent de pédagogique renseigne d’abord sur le fait
questions en tous genres, l’évaluation des élèves que les professeurs, de par leur expertise, ont
s’effectue en premier lieu à partir de questions construit des concepts disciplinaires, mais qu’au
de contrôle. point où ils en sont ils ont oublié ce qui leur en
L’identification entre école et question est a coûté et ont intériorisé une vision du monde,
si naturelle (ou plutôt tellement naturalisée) qui leur paraît désormais « naturelle » (nous
que lorsqu’un animateur de musée fait visiter avons dit plus haut à dessein « naturalisée »).
une exposition à une classe, il commence par la Pour le dire plus savamment, ils ont transformé
faire asseoir autour d’une œuvre et enclenche leurs concepts en percepts, et s’ils imaginent
par une première question. Dans un climat de ce fait que chacun (et d’abord l’élève) est
sympathique, les élèves se prêtent volontiers en mesure de voir ce qu’ils voient eux-mêmes !
au jeu, d’autant qu’ils ne craignent pas d’être Ils interprètent du coup les erreurs des élèves
notés. Les autres visiteurs tournent autour du comme un manque d’intérêt, d’attention
groupe, observent ce jeu didactique et souvent ou de précision, alors que, ce qui leur fait
d’ailleurs l’approuvent, tant cela correspond à surtout défaut, ce sont les cadres théoriques
une représentation sociale partagée de l’école. qu’ils sont là précisément pour apprendre. La
Il y aurait pourtant lieu de s’interroger sur forme scolaire du questionnement est ainsi
la pratique qui consiste à interroger de but en le révélateur d’une épistémologie scolaire
blanc ceux que l’on place devant des objets qui relève largement d’un positivisme et d’un
culturels qui leur sont précisément étrangers. empirisme de fait.
Que peuvent-ils dire d’autre que des banalités
bienfaisantes ? L’animateur le sait, tout comme
le professeur, mais il n’attend souvent du *Professeur de sciences de l’éducation à l’université de Rouen (76).

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I LE QUESTIONNEMENT PÉDAGOGIQUE I

L’INVERSION lui, ne cherche pas à s’informer mais à tester la


DU QUESTIONNEMENT SCOLAIRE classe. Dès la première question posée, flotte ainsi
un parfum d’évaluation informelle, avec ce qu’elle
Examinons d’abord plus précisément les implique de violence symbolique. Contrairement
questions orales, qui montrent une curieuse au didactique familial, le propre du didactique
inversion par rapport aux formes quotidiennes scolaire c’est de travailler des questions ayant déjà
du questionnement, en famille ou entre amis. des réponses, les élèves sachant parfaitement que
Dans ce cas, n’importe quelle réponse fait le professeur les connaît. Du coup, ils cherchent à
souvent l’affaire, et l’absence même de réponse s’y adapter en inférant la réponse souhaitée, et
est fréquente, l’essentiel étant de pouvoir ils répondent ainsi davantage au professeur pour
développer un échange de points de vue. Ou satisfaire ses attentes qu’aux questions posées
alors, on pose une question à un plus expert en vue de résoudre une énigme. Une analyse
que soi pour combler une ignorance, résoudre quantitative de séquences didactiques fait de
un problème ou lever un doute. À l’école, au surcroît apparaître que le nombre de questions
contraire, c’est le professeur qui interroge ceux oralement posées est très élevé, ce qui renforce
qui, à l’évidence, en savent moins que lui ! Les la nécessité pour les élèves de répondre de façon
élèves comprennent vite cette bizarrerie de la stratégique. C’est ainsi qu’on peut parler d’un
« forme scolaire » et réalisent que le professeur, véritable « métier d’élève »!

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I LE QUESTIONNEMENT PÉDAGOGIQUE I

LA DIDACTIQUE SCOLAIRE d’une règle fournie, de l’analyse ou de la synthèse,


voire d’une production critique qui combine la
L’extrait suivant d’une séquence de sciences en maîtrise objective des données avec un point de
cycle 3 est caractéristique d’un fonctionnement vue personnel. Les élèves seraient grandement
didactique fréquent jusqu’à des niveaux d’enseignement aidés si on leur précisait ainsi l’enjeu du ques-
beaucoup plus élevés. tionnement (repérer une ou des informations
contenues dans le texte, extraire du texte la ou les
M1 : Qu’est-ce qui fait tourner la turbine ? informations qui contiennent la réponse, mettre
E1: Ce qui fait tourner la turbine, c’est l’eau. Comme en relation différents documents, interpréter le
elle arrive très fort par le tuyau, ça la fait tourner très document à partir de cadres théoriques extérieurs,
très vite. proposer une analyse plus subjective…).
M2 : Pourquoi l’eau va très fort ? Plus fondamentalement, le questionnement
E 2: Pour que ça produise plus d’électricité. d’apprentissage devrait être distinct du
E3 : Parce qu’elle vient de très haut, donc elle a questionnement d’évaluation. Alors que le
beaucoup de force. second vient souvent recouvrir le premier de
M3 : Beaucoup de force, beaucoup de… façon anticipée, comme si apprendre consistait à
E4: De puissance. s’entraîner aux épreuves de contrôle… En réalité,
M4 : Il y a un mot que vous n’avez pas utilisé. L’eau, leur logique n’est pas la même. Contrairement
quand elle est en haut possède… au questionnement évaluatif, le questionnement
E5: De la force. d’apprentissage devrait s’intéresser davantage
E6: De la puissance. aux réponses incorrectes qu’aux réponses
E7: De l’énergie. correctes, puisqu’il s’agit d’introduire les élèves
M5 : L’eau possède de l’énergie quand elle est en haut. à maîtriser des distinctions qu’ils sont en train
Vous allez essayer maintenant de trouver… d’apprendre. Toutes les réponses devraient
être exploitées, analysées, comparées, puisqu’il
Si ce n’était pas en contexte scolaire, la première s’agit de faire apprendre ! Surtout lorsqu’elles
réponse suffirait probablement. Elle est très sensée, et contiennent des erreurs « intéressantes » parce
sans doute n’aurions-nous pas répondu si différemment. que régulières ou significatives. Voir, ci-contre,
Mais le questionnement rebondit : Pourquoi l’eau va « La taxonomie de Bloom ».
très fort ? Là, deux réponses successives sont proposées, D’un autre point de vue, le questionnement
la première interprétant le mot pourquoi en termes de est de nature différente selon le moment de
finalité (pour quoi faire), la seconde en termes de la séquence où il intervient. Avant une lecture,
causalité (pour quelle raison). La raison en est que il peut viser à faciliter l’accès des élèves au
le maître ne réagit pas après la première réponse, et document, sachant qu’autour de chaque texte
que la classe comprend instantanément qu’elle doit existe un « monde du texte » (qui est l’auteur,
chercher dans une autre direction… Et l’on prétend quelles sont les sources, de quelle genre s’agit-il,
après cela que les élèves n’écoutent pas en classe ! quelle est va visée…). En accompagnement de
Enfin, le dialogue s’achève sur le mot énergie, mais la lecture, on retrouve l’ensemble des objectifs
la classe aurait tout aussi bien accepté le mot force possibles précédents, centrés sur le processus
ou le mot puissance. Simplement parce que le maître d’apprentissage. Après la lecture, d’autres formes
a donné le signal de la fin de l’épisode (Vous allez de questionnement peuvent être développés,
maintenant…). avec ou sans recours au texte.

DES QUESTIONNEMENTS EMBOÎTÉS


DES VISÉES DIVERSES
Le statut des questions du texte est encore
Le questionnement sur des documents ou compliqué lorsque le chapitre du manuel est lui-
sur des manuels pose d’autres problèmes. Il même conçu comme une problématique, avec un
conviendrait d’abord de clarifier, pour les élèves, titre en forme de question et une conclusion en
sur quel mode on attend d’eux qu’ils répondent. forme de réponse. Dans ce cas, se superposent au
Faute de savoir le repérer, il arrive qu’ils répondent moins trois niveaux d’interprétation:
de façon très élaborée… alors qu’on cherche – le niveau d’un micro-questionnement à partir
seulement à s’assurer de la bonne compréhension de la diversité des données proposées par le
du texte; et, inversement, qu’ils fournissent une manuel (informations, textes, tableaux…);
réponse qui reprend les termes du document… – le questionnement global, avec les manuels
alors qu’on attend d’eux, cette fois, une mise en qui présentent chaque chapitre comme une
rapport de différents éléments pour développer sorte de problématique, avec un assemblage de
une analyse critique. Pour le dire autrement, ils documents, d’activités et de questions. L’élève
ne savent pas quel est le niveau d’objectif visé, doit ici comprendre la signification d’ensemble du
tel que les a distingués Bloom: est-ce que cela projet didactique;
relève de la connaissance de faits particuliers, de – le modèle pédagogique sous-jacent de
la compréhension d’informations, de l’application l’auteur du manuel, qui peut ne pas correspondre

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I LE QUESTIONNEMENT PÉDAGOGIQUE I

LA TAXONOMIE DE BLOOM

Benjamin Bloom a proposé une classification hiérarchique des objectifs pédagogiques (taxonomie), qui comporte
six niveaux depuis les plus élémentaires jusqu’aux plus sophistiqués.

NIVEAU CARACTÉRISATION CE QUI EST ATTENDU EXEMPLES DE


D’OBJECTIFS DU NIVEAU HIÉRARCHIQUE DE L’ÉLÈVE VERBES D’ACTION

Repérer de l’information et s’en Qu’il soit capable de Citer, Décrire,


1 souvenir. restituer des informations, Définir, Dire, Énumérer,
CONNAISSANCE Connaître des événements, des dates, dans des termes voisins Étiqueter, Examiner,
des lieux, des faits. de ceux qu’il a appris. Nommer, Cerner,
Connaître de grandes idées, des règles, Répéter.
des lois, des formules.

2 Saisir des significations. Qu’il traduise Associer, Comparer,


COMPRÉHENSION Traduire des connaissances dans un et interprète de Estimer, Différencier
nouveau contexte. l’information en fonction Discuter, Extrapoler,
Interpréter des faits à partir d’un cadre de ce qu’il a appris. Expliquer, Illustrer,
donné. Résumer, Interpréter.

Réinvestir des méthodes, des concepts Qu’il sélectionne et Appliquer, Changer,


3 et des théories dans de nouvelles transfère des données Compléter, Démontrer
APPLICATION situations. pour réaliser une tâche Illustrer, Montrer,
Résoudre des problèmes en mobilisant ou résoudre un problème. Modifier, Rattacher,
les compétences et connaissances Résoudre, Traiter.
requises.

Percevoir des tendances. Qu’il distingue, classe, Analyser, Catégoriser,


4 Organiser un ensemble en différentes mette en relation les Choisir, Comparer
ANALYSE parties. faits et la structure d’un Contraster, Diviser,
Reconnaître les sous-entendus. énoncé ou Inférer, Isoler,
Extraire des éléments. d’une question. Mettre en ordre, Séparer.

Utiliser des idées disponibles pour en Qu’il conçoive, intègre Composer, Conjuguer,
5 créer de nouvelles. et conjugue des idées en Créer, Élaborer,
SYNTHÈSE Généraliser à partir d’un certain nombre un produit, un plan ou Intégrer, Inventer,
de faits. une proposition qui sont Mettre en rapport,
Mettre en rapport des connaissances nouveaux pour lui. Planifier, Réécrire,
issues de plusieurs domaines. Réarranger.

Comparer et distinguer Qu’il estime, évalue ou Appuyer, Argumenter,


6 des idées. critique en fonction de Critiquer, Décider,
ÉVALUATION Déterminer la valeur de théories et normes et de critères Évaluer, Juger,
d’exposés. qu’il construit. Justifier, Noter,
Poser des choix en fonction d’arguments Recommander, Tester.
raisonnés.
Vérifier la valeur des preuves.
Reconnaître la part de subjectivité.

Plusieurs chercheurs ont utilisé cette taxonomie de Bloom pour déterminer à quel niveau se situent les activités
proposées aux élèves. Il en ressort régulièrement une très forte dominante des niveaux 1 et 2, une présence plus
épisodique des niveaux 3 et 4, et une grande rareté des niveaux 5 et 6.

Bloom Benjamin S. et al. (1969).


Taxonomie des objectifs pédagogiques. 1.Le domaine cognitif,
Montréal, Éducation nouvelle (éd. originale : New-York, McKay Co. 1956).

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I LE QUESTIONNEMENT PÉDAGOGIQUE I

à celui du professeur, lequel se sert librement du QUESTIONS SUR LA FABLE DE LA FONTAINE :


livre comme une base de données dans laquelle il LE LOUP ET L’AGNEAU
puise pour son enseignement.
Un dernier obstacle non négligeable est que Questions dont la réponse est directement dans le texte
les élèves assimilent le questionnement à la Pourquoi le loup erre-t-il à proximité de l’agneau?
forme interrogative, alors que c’est loin d’être Relever les expressions qui caractérisent le loup.
le cas comme le montre l’encadré « Le Loup et
l’Agneau », ci-contre. En fait, il existe des formes Questions dont la réponse nécessite une interprétation
interrogatives qui sont purement rhétoriques, et du texte, un regroupement d’informations, des
qui en tant que telles n’appellent pas vraiment inférences
de réponses. Elles visent plutôt à enrôler le Montrer que les arguments avancés par le loup ne sont
lecteur en développant son intérêt pour le sujet. pas fondés.
Inversement, les véritables questions auxquelles En s’appuyant sur la longueur des répliques, montrer
une réponse est attendue se présentent souvent l’évolution du rapport de force entre les deux
sous une forme affirmative de type injonctif (Dites personnages.
pourquoi…, Indiquez la différence…, Donnez le Qui, des deux personnages, a raison ? Qui l’emporte
numéro des phrases…). sur l’autre?

INDUCTION LOGIQUE, Questions qui s’appuient sur le texte mais dont


INDUCTION PÉDAGOGIQUE la réponse nécessite des connaissances extérieures
au texte
Les problèmes complexes posés par le Citer des exemples de la vie quotidienne qui illustrent
questionnement pédagogique paraissent dus, la morale de cette fable.
pour une large part, à la prééminence actuelle Montrer que ce texte est une fable.
des méthodes inductives. On répète sur le Comparer l’image du loup dans cette fable avec celle
mode de l’évidence que les notions doivent dans Le Loup et le Chien.
toujours être introduites à partir d’exemples
et d’activités concrètes, pour ne se dévoiler Questions dont la réponse se trouve hors du texte
progressivement en tant que telles qu’au terme « La raison du plus fort est toujours la meilleure. »
du scénario. Le questionnement joue un rôle Est-ce vrai, selon vous?
essentiel dans cet artifice, puisqu’il s’agit de
faire dire par les élèves ce que précisément
ils ignorent, en évitant de l’imposer de façon
dogmatique. On admettra que c’est là un devienne une nouvelle « pensée unique » en
principe préférable à celui d’un cours magistral pédagogie. En fait, il faut distinguer l’induction
indigeste, mais il n’y a pas de raison que cela logique de l’induction pédagogique.

LES RELATIONS ENTRE LA QUESTION ET LE TEXTE


L’exemple de L’Odyssée et de Micromégas de Voltaire

Où est Ulysse dans cet Combien de temps Ulysse Quelles différences voyez- Appréciez-vous les fins
épisode? reste-t-il sur cette île? vous entre les Sirènes « ouvertes »?
d’Homère et celle des contes
que nous avons lus?

Comment réagit le Saturnien En quoi ce récit Connaissez-vous des formes


Que dit Micromégas face à un monde nouveau? est-il un conte? de satire contemporaines?
aux Terriens? Et Micromégas? Et quels sont les éléments
satiriques?

La réponse est La réponse nécessite la mise La réponse nécessite La réponse fait appel aux
dans le texte en relation de plusieurs la mise en relation connaissances
éléments du texte des données du texte avec du lecteur ainsi qu’à son
les connaissances du lecteur jugement

Compétence: repérer les Compétence: produire une Compétence: transférer des Compétences: mobiliser des
données explicites, en inférence à partir d’au moins connaissances antérieures connaissances pour produire
fonction du niveau du deux informations dans un contexte nouveau un jugement (évaluer)
lecteur

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I LE QUESTIONNEMENT PÉDAGOGIQUE I

Sur le plan de la logique Outre que cela allonge considérablement les


séquences, il vaut sans doute mieux différencier
L’induction est une forme de raisonnement qui les moments où l’on raisonne de façon
vise à dégager une loi à partir de cas particuliers, « ascendante » (de l’exemple au concept) et ceux
à dépasser les exemples au profit d’un concept. où l’on raisonne de façon « descendante » (du
En fait, elle n’est jamais épistémologiquement concept à l’exemple). Quoi qu’on fasse, il faut
valide, car elle comporte toujours le risque qu’un bien changer de registre à un moment ou un
contre-exemple imprévu vienne contredire la autre, pour dégager la « pépite » conceptuelle
généralisation1. Le seul mode de raisonnement
rigoureux est la déduction, mais celle-ci ne
de sa « gangue » d’exercices à répétition. •
produit rien de neuf, puisque tout est déjà inscrit
dans les prémisses du syllogisme (« Tous les
hommes sont mortels… »). L’induction court donc POUR EN SAVOIR PLUS
toujours le risque de la réfutation, mais elle est ASTOLFI Jean-Pierre, L’École pour apprendre, Paris,
essentielle dans le progrès de la connaissance. Elle
ESF, 1992.
est à la base du raisonnement expérimental, en
permettant l’élaboration d’hypothèses plausibles. ASTOLFI Jean-Pierre, L’Erreur, un outil pour enseigner,
Paris, ESF, 1997.
Sur le plan pédagogique DUMORTIER Jean-Louis, La question des questionnaires,
L’induction est un procédé d’enseignement in « L’évaluation de la lecture », Enjeux, n° 31,
partant d’exemples et d’expériences pratiques, Namur, CEDOCEF, 1994.
et qui s’appuie sur eux pour introduire de GIASSON Jocelyne, La Compréhension en lecture,
façon intuitive une règle, une loi, un théorème. Bruxelles, De Boeck, 2008.
Cette induction, actuellement préconisée dans
de nombreuses disciplines, se démarque des MAULINI Olivier, Questionner pour enseigner
pratiques traditionnelles qui commençaient par et apprendre, Paris, ESF, 2005.
énoncer la règle avant de proposer des exercices PERRENOUD Philippe, Métier d’élève et sens du travail
d’application. La question n’est pas ici celle de la scolaire, Paris, ESF, 2004 (1re édition 1994).
validité logique, mais celle d’une compréhension
qui serait plus progressive et naturelle. ZAKHARTCHOUK Jean-Michel, « Comprendre les énoncés
Cette induction pédagogique est attrayante et les consignes », Cahiers pédagogiques,
parce qu’elle semble plus concrète, plus proche des CRDP d’Amiens, 1999.
faits observables, mais le passage de l’exemple à la
notion rappelle souvent la prestidigitation, comme
le lapin qui sort du chapeau. Elle est souvent
illusoire, car seul l’enseignant voit dans l’exemple 1. L’exemple paradigmatique est ici celui des cygnes de Karl
le prototype d’une règle à venir, tandis que l’élève Popper. Des millions d’observations de cygnes toujours blancs,
dans les parcs et jardins européens, ont pu conduire par induction
reste souvent scotché à l’exemple. Elle n’est donc à l’existence d’une loi : tous les cygnes sont blancs. Mais il a suffi
pas sans vertu, mais il n’y a guère de raisons d’en de découvrir une espèce de cygnes noirs en Australie pour ruiner
faire le « régime » unique du moteur de la classe. définitivement cette théorie inductive.

I Juin 2008 I n° 128 I ÉCONOMIE et MANAGEMENT I

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