Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Renaissance
Le niveau de vie
La découverte de l’inflation
Conventions
Les notes de bas de page sont utilisées pour préciser le texte ou pour indiquer les références des informations
reportées.
Les citations sont repérées par du texte entre guillemets, soit en italiques, soit dans une police rappelant les textes
imprimés du 16° siècle.
Les titres des œuvres sont indiqués en italiques et commencent par une majuscule.
Pour les personnes citées, des biographies ont été regroupées dans le chapitre 8.
De façon à ne pas multiplier les appels de note de bas de page, un lexique des termes anciens ou techniques est
proposé au chapitre 10. Les termes définis dans ce chapitre sont généralement repérés dans le texte par des (*).
Le chapitre 12 présente un index des noms de lieux et de personnes cités dans l'ouvrage.
A la fin de chaque chapitre, une bibliographie commentée est donnée, elle correspond à ce qui a été utilisé pour
le chapitre concerné. La bibliographie complète est donnée au chapitre 9.
Renvois:
xxxi : Note de bas de page.
Xxx(*) : Terme dont la signification est donné dans le lexique, chapitre 10.
[k] : Voir référence k (§9).
(§i.j) : Voir chapitre i.j.
Jean Calvin: Voir au chapitre 8 la biographie du personnage cité (repéré de cette façon à la première
occurrence seulement).
Introduction 5
Sommaire
1 Introduction.................................................................................................................................................. 9
2 La guerre des mots ..................................................................................................................................... 11
2.1 La production huguenote. .................................................................................................................. 12
2.1.1 Construction et défense................................................................................................................ 12
2.1.2 Attaques. ...................................................................................................................................... 19
2.1.3 Guerre et attaques personnelles : ................................................................................................. 44
2.1.4 Honneur des martyrs .................................................................................................................... 55
2.2 La production catholique ................................................................................................................... 60
2.3 Commentaires .................................................................................................................................... 89
2.4 Sources particulières utilisées pour ce chapitre ................................................................................. 90
3 La polémique au temps de la Ligue, de la religion au politique ................................................................ 95
3.1 Satyre menippée de la vertu du catholicon d’Espagne ...................................................................... 97
3.2 Dialogue d’entre le Maheustre et le Manant .................................................................................... 103
3.3 Illustrations ...................................................................................................................................... 109
4 Tremblements de terre et volonté divine ................................................................................................. 113
4.1 Introduction ...................................................................................................................................... 113
4.2 Les séismes ...................................................................................................................................... 116
4.2.1 Les théories sismologiques ........................................................................................................ 116
4.2.2 Les séismes en France ............................................................................................................... 125
4.2.3 Les explications modernes ......................................................................................................... 127
4.3 Les séismes historiques : descriptions contemporaines. .................................................................. 129
4.3.1 Qu’est-ce qu’un « séisme » au XVIe siècle ............................................................................... 129
4.3.2 Statistiques ................................................................................................................................. 132
4.3.3 Le « Séisme nissart » - 20 juillet 1564 ...................................................................................... 135
4.3.4 Le séisme de Lyon de 1578, dit “de La-Tour-du-Pin” .............................................................. 144
4.3.5 Le séisme de Tours – 25 janvier 1579 ....................................................................................... 146
4.3.6 Le séisme de Calais – 6 avril 1580 ............................................................................................ 152
4.3.7 Le séisme d’Angers – 25 mars 1588 .......................................................................................... 157
4.4 Conclusion ....................................................................................................................................... 162
5 Les trois verges et fléaux de l’ire du courroux de Dieu ........................................................................... 165
5.1 Le petit âge glaciaire ........................................................................................................................ 165
5.2 Le prix des grains ............................................................................................................................. 169
5.3 La famine : un exemple à Provins.................................................................................................... 172
5.4 Les épidémies, la mortalité et les naissances ................................................................................... 176
6 Le niveau de vie pendant les guerres de religion ..................................................................................... 183
6.1 A l’auberge....................................................................................................................................... 183
6.2 Un peu de méthode .......................................................................................................................... 190
6.3 Les salaires, 1560-1600 ................................................................................................................... 194
6 Introduction
1 Introduction
Les textes qui figurent dans ce recueil ont été écrits comme digressions pour l’étude de la vie d’Hubert de
Vins ; leur volume a conduit à les séparer du texte consacré au capitaine provençal. Dans ce recueil, on a
sélectionné les textes qui touchaient à la littérature où à la polémique. On y trouvera six parties :
• La guerre des mots, qui étudie la littérature de propagande de la première moitié du XVIe siècle
principalement ;
• La polémique au temps de la Ligue, qui est un extrait du texte consacré à Hubert de Vins, mais qui
avait sa place ici aussi dans la continuation du chapitre précédent en se focalisant sur deux ouvrages
du temps de la Ligue qui se répondent, l’un du parti des royalistes, l’autre de celui des catholiques;
• Tremblements de terre et volonté divine, qui montre comment dans l’histoire les tremblements de
terre ont été considérés, et comment la propagande catholique les a utilisés dans la deuxième moitié
du XVIe siècle.
• Les trois verges et fléaux de l’ire du courroux de Dieu, donne un aperçu de ce qu’a été le petit âge
glaciaire de la deuxième partie du XVIe siècle.
• Le niveau de vie pendant les guerres de religion, est un texte qui change de registre ; il n’est plus
question de littérature mais d’économie. Le XVIe siècle a été un siècle de profonds changements
dans la vie économique de la France, voire de l’Europe, et on essaye dans ce texte de voir qu’elle a
été l’évolution du niveau de vie de la population.
• Le XVIe siècle, la découverte de l’inflation, est une suite de l’introduction apportée par le texte sur
le niveau de vie. On verra dans ce chapitre comment les prix ont évolué tout au long du XVIe siècle,
en France mais aussi en Europe, et on tentera de donner quelques pistes pour en comprendre les
causes.
10 Introduction
La guerre des mots 11
L’analyse des textes permet aussi de comprendre les différences fondamentales d’approche du christianisme
qui ont servi de prétextes aux massacres, et ce avec les mots mêmes des contemporains. Mais cette littérature
partisane, cette littérature de guerre, contient aussi en germes les méthodes qui seront utilisées jusqu’à nos jours
pour structurer une propagande et susciter dans le peuple la haine de l’autre. En ce sens elle est très moderne.
1
Jacques Davy du Perron, né à Saint-Lô le 25 novembre 1556 et mort à Bagnolet le 5 septembre 1618, est un prélat,
diplomate et poète baroque français. Il n’était pas encore cardinal lors de la mort de Ronsard en 1585, mais fut nommé par
Clément VII à ce titre en 1604 pour avoir vaincu lors d’une conférence Philippe Duplessis-Mornay sur une contreverse
opposant catholiques et protestants.
2
Cité dans [61] page 38
12 La guerre des mots
Les réformés se sont servis très tôt de l’écrit pour soutenir leur
« mouvement ». Si au début c’était surtout pour définir les bases de
la réforme elle-même, que ce soit les 95 thèses de Luther de 1517,
« les placards » contre la messe de 1534, ou L’institution
chrétienne de Calvin (de 1534 et 1541), la production littéraire se
développa suivant quatre axes. Il fallait construire et donc définir la
foi réformée et la constitution de la nouvelle église, convertir et
accueillir, et il fallait détruire la fausse religion, la religion
catholique. Mais la violence de la réaction, et leur propre violence,
ont mené à la guerre, guerre qu’il fallait justifier et pour laquelle il
fallait enrôler les croyants, essayer de décourager l’ennemi, mais
guerre qui ne pouvait conduire qu’à la destruction des hommes
qu’il fallait alors honorer comme des martyrs.
1
Citée dans [181] page 152 et attribuée à Saint Cyprien, ou Cyprien de Carthage ; docteur de l’église, né vers 200 et décédé
le 14 septembre 258.
2
référence [204]
3
Voir sur ce sujet le livre de Stefan Zweig « Conscience contre violence » [42]
4
[208] Dans lequel il écrivit en particulier : « Tuer un homme ce n’est pas défendre une doctrine, c’est tuer un homme.
Quand les Genevois ont fait périr Servet, ils ne défendaient pas une doctrine, ils tuaient un être humain : on ne prouve pas sa
foi en brûlant un homme mais en se faisant brûler pour elle. »
La guerre des mots 13
des quatre cents pages d’argumentation qu’il déploie, certains passages sont dignes d’intérêt à la fois de par la
lumière qu’ils apportent sur les conflits de l’époque, et de par le caractère universel de certains thèmes, en
particulier sur les relations entre religion et politique:
• sur la nécessaire application de la loi de Dieu dans la loi civile (la charia ?) : « … & puis, quant aux loix
civiles, où eux-mêmes les faires les plus équitables & justes qu’il sera possible, c’est à dire non
discordantes de la parole de Dieu, ou les trouvant déjà faites par d’autres, les maintenir, & selon
icelles administrer les affaires tant du public que des particulières. » (pages 41 & 42),
• accuser celui qui veut se montrer « charitable » de vouloir la perte de l’ordre public : « Car il faut bien
nécessairement qu’un homme est une haine extrême contre le genre humain, quand il est d’avis non
seulement qu’on ne punisse point, mais que même on rémunère des ennemis mortels du salut des
hommes. » (page 150),
• la nécessité de punir pour protéger les innocents, choisir l’innocent plutôt que le criminel: « Car il est
écrit, qui justifie le méchant, & qui condamne le juste, tous deux sont abominables au seigneur. Nous
demandons qu’on ait plus d’égards aux brebis qu’aux loups. Nous demandons qu’on punisse à bon
escient ceux qui abusent de la douceur de l’église, & de la bénignité des princes, pour gâter et
détruire. » (page 219),
Définir la Vérité, organiser la nouvelle église et la protéger, si c’était sans doute la première chose à faire, il
fallait aussi susciter la conversion. Mais la réforme, œuvre d’intellectuels, n’appelait pas au cœur mais à la
raison. Austère, elle ne permettait pas d’attirer par le pardon, par la promesse de la vie éternelle au Paradis,
même s’il fallait passer un temps de pénitence au Purgatoire. On peut citer dans ce contexte un autre ouvrage de
1
Théodore de Bèze, Abraham Sacrifiant , publié en 1550 et dans lequel il a versifié sous la forme d’une tragédie
l’épisode biblique du sacrifice d’Abraham. L’auteur construit une scénographie dépouillée, porteuse des valeurs
de la réforme : obéissance à Dieu, prédestination, dépouillement, …et dans laquelle néanmoins il n’oublie pas
d’égratigner les catholiques quand il habille le diable d’un froc…
Si le cœur ne pouvait être séduit, il fallait avoir recours à la raison, à l’intelligence, et donc pousser à
l’interrogation et à la remise en cause de la coutume. Il fallait raisonner par soi même et de ne pas appliquer sans
comprendre les traditions papistes ; et tout d’abord promouvoir la recherche sincère de la vérité par quoi
l’honnête homme se distingue comme le « confesse » Pierre Viret:
1
[180]
16 La guerre des mots
« Thomas : Je le confesse : mais je ne te joue point de tels tours. Il te semble que je te sois traitre, pour ce
que je ne suis pas obstiné comme toi. Sois assuré que je n’ai pas moins de cœur à soutenir la vérité que toi. Mais
que veux-tu que je dise, quand je vois que raison nous défaut, & que notre cause n’a nul bon fondement en la
parole de Dieu ? Je ne désire point, quant à moi, de batailler contre vérité : mais de la connaître & de la suivre
1
& défendre, si je puis. Par quoi, je me tournerai toujours du côté, duquel je la verrai plus claire. »
On verra plus loin que cette volonté de connaître la vérité, de comprendre les fondements de la religion,
étaient combattus violemment par le camp catholique qui soutenait qu’il fallait croire sans chercher à
comprendre. Comprendre, cela nécessitait l’acceptation de l’argumentation, voire du raisonnement par l’absurde
comme dans les deux extraits ci-dessous dus aussi à Pierre Viret:
« Quant aux cérémonies du baptême, voici, monsieur le ci-devant président, comment ils argumentent : si ces
coutumes sont immuables, pourquoi ont-elles été changées (car le lait et le miel ne jouent plus de rôle dans le
baptême) ? si au contraire elles sont muables, pourquoi n’écoutez-vous pas les raisons qui nous les ont fait
changer ? pourquoi criez-vous comme des sourds que nous méprisons les coutumes des Pères ? Mais, comme ils
3
disent, nous tirerions plus tôt un pet d’un âne mort, qu’une bonne raison de ce Mulo-Président. »
Il était évident pour les docteurs de la nouvelle religion, ou plutôt de la « religion dite réformée », que cette
démarche intellectuelle ne pouvait que faire basculer l’honnête homme de leur côté :
1
« Les disputations Chrétiennes... », Pierre Viret, 1552, [199] page 375
2
« Le requiescant in pace… », Pierre Viret, 1552, [200] page 57
3
« Le Passavant… », Théodore de Bèze, 1553, [181] page 192 – le “mulo-président” est ici Pierre Lizet.
La guerre des mots 17
Ou dans la « Chanson pour la conversion des pauvres papistes ignorants qui ont bon vouloir », datée de 1532
5
et qui se chantait sur l’air de « Dame d’Orléans ne plourez plus » :
1
« Le requiescant in pace… », Pierre Viret, 1552, [200] page 148&149
2
Eustorg [Hector] de Beaulieu, né vers 1495 et mort le 8 janvier 1552, est un poète, compositeur et pasteur français actif
notamment à Lyon, à Lausanne et à Bâle dans la première moitié du xvie siècle.
3
Les réformés « détournèrent » nombre de chansons populaires pour soit les utiliser en en détournant le sens, soit pour
simplement utiliser des airs populaires pour mieux diffuser leur propagande.
4
[193] page 35
5
[193] pages 97 à 100
18 La guerre des mots
2.1.2 Attaques.
Si les écrits théoriques pouvaient faire espérer convertir les érudits, entraîner les pasteurs à convaincre les
foules, ils n’étaient pas suffisants pour faire rejeter des siècles de coutumes. Il fallait être plus violent, il fallait
dénoncer, moquer, désacraliser, il fallait faire haïr l’église de Rome. Et pour cela les réformés recoururent de
manière importante à la satyre et à l’ironie, par l’écrit sous formes de livres et de pamphlets, mais aussi par la
poésie et les chansons.
Si Théodore de Bèze et Pierre Viret, ainsi que bien d’autres auteurs, ont utilisé la dérision et la moquerie
comme arme, Calvin ne s’est pas aventuré en ces terres qu’il n’était pas loin de considérer indignes des vrais
croyants ; mais il en reconnut l’utilité pour son entreprise de réformation et de conquête, et s’est abstenu de
1
condamner ceux qui en usaient. La préface du livre de Pierre Viret, Disputations chrétiennes.. , que Calvin a
écrite, est représentative du « puritanisme » du ministre de Genève : « ...il est à noter, qu’on dispute des matières
de la chrétienté en deux sortes : premièrement, en taxant les folles superstitions, qui sont survenues entre les
chrétiens sous ombre de la religion, lesquelles toutefois ne sont que corruptions d’icelle, pour la renverser et
détruire. Secondement, en montrant la simple et pure vérité, selon qu’elle nous est révélée de Dieu par sa sainte
parole. Quant à cette seconde espèce, il est certain qu’incontinent que nous avons ouvert la bouche pour parler
de Dieu, nulle facétie ne doit entrer en nos propos : mais devons en tout ce que nous disons, démontrer quelle
révérence nous portons à sa majesté, ne prononçant un seul mot qu’en crainte et humilité. Mais en déchiffrant
les superstitions et folies dont le pauvre monde a été embrouillé par ci-devant, il ne se peut faire qu’en parlant
de matières si ridicules on ne s’en rie pleine bouche. »
Dans ce registre, Le Passavant – Epitre de maître Benoît Passavant à
messire Pierre Lizet ([181]) de Théodore de Bèze est un petit bijou. C’est une
farce dans laquelle Théodore de Bèze s’amuse de Pierre Lizet, ancien premier
président du Parlement de Paris, exclu de celui-ci, et doté, en lot de
consolation, de l’abbaye de Saint-Victor. L’argument est des plus simples,
Pierre Lizet envoie à Genève Benoît Passavant pour s’enquérir de la façon
dont son dernier ouvrage contre les hérétiques est reçu dans leur ville. Cela
donne l’occasion à l’auteur de se moquer et du ci-devant président, Auvergnat
en sus, et des idées et concepts qu’il défend et qui sont ceux de l’église
romaine. Tout cela est fait d’une manière délicieuse, et encore près de cinq
siècles plus tard, on rit toujours du portrait dressé de ce puits de bêtise… Il
porte en germes tous les thèmes qui seront développés encore et encore dans
la littérature de propagande huguenote. On en retrouvera nombre d’exemples
Alammona inicjuKahs . Lioc^ . x6 . a
dans ce qui suit.
Comme plus tard bien d’autres le feront – et d’ailleurs à la même époque
2-8 : La banque du pape ©
les catholiques à l’encontre des huguenots - les réformés accusèrent leurs
[206]
ennemis d’être à l’origine de la pauvreté du peuple du fait du niveau des
richesses prélevées pour l’exercice de la religion. Ils associaient à cela la description du luxe dans lequel l’Eglise
vivait et comment ses représentants, en particulier les membres du clergé régulier, vivaient dans l’abondance
1
« Les disputations Chrétiennes... », Pierre Viret, 1552, [199]
20 La guerre des mots
sans travailler; exaltant ainsi la jalousie, ils cherchaient à susciter le désir de justice et de vengeance. Au-delà de
fournir des raisons de se rebeller, les réformés voulaient assécher les sources de revenus de la papauté pour
limiter ses moyens de recours à la force militaire.
Une des premières cibles fut la pratique des indulgences. Si les protestants ont utilisé abondamment
l’exemple de la tarification des indulgences pour démontrer la corruption de l’église romaine, ils y ont été aidés
par un livre publié par en 1514 par Léon X et qui donnait le tarif des indulgences pour tous les péchés
répertoriés. Ce livre, dont l’église romaine eut honte et qu’elle essaya de faire disparaître, a été plusieurs fois
réédité par les protestants qui trouvaient dans les écrits de leurs adversaires les armes de leur combat. Les
exemples donnés ci-après proviennent d’une édition de 1744, Taxe de la chancellerie romaine, ou la banque du
1
pape :
« La permission donnée à un Noble de manger de la viande & des œufs aux jours défendus, est taxée à douze
carlins. »
« Le père, la mère, ou quelque autre parent, qui aura étouffé un enfant, paiera pour chaque meurtre quatre
tournois, un ducat, hui carlins. La femme qui aura pris un breuvage pour faire perdre son embryon, ou le père
qui lui aura fait prendre un tel breuvage, paiera quatre tournois, un ducat, &huit carlins. »
Cet angle d’attaque permettait aussi d’exacerber la différence entre les riches, qui pouvaient s’acheter le
pardon voire la vie éternelle, et les pauvres qui n’avaient comme seul espoir que le Purgatoire, renvoyant ainsi le
discours religieux dans la sphère de la critique sociale. Un tel procédé a été mis en œuvre pour détourner
2
l’ouvrage de frère Barthélemy Rinonico de Pise , édité en 1520, sur le parallèle qu’il avait voulu faire entre la
vie de saint François d’Assise et de Jésus Christ, dans le livre d’Erasmus Alberus publié en 1556 par Conrad
Badius à Genève ([210]), L’alcoran des cordeliers. La traduction aurait été supervisée par Martin Luther, et
contenait de furieuses charges contre l’église romaine, mais qui ont perdu de leur piquant à l’heure actuelle car
elles nécessitaient une bonne connaissance des dogmes et croyances poussés par les partis en présence.
Pierre Viret et Théodore de Bèze, dans les deux extraits qui suivent, insistent sur cette tarification du pardon
qui, au-delà de son caractère profondément inacceptable pour eux, conduisait pour les réformés à justifier, voire
promouvoir, tous les excès et toutes les violations des commandements de Dieu : « Hilaire : C’est bien leur
doctrine : mais toutefois quand il vient à la pratique, ils ne regardent guère aux péchés mortels ou véniels, mais
le plus aux richesses ou à la pauvreté. Ce leur est tout un quels soient les péchés, ou mortels ou véniels,
3
famables ou infamables , moyennant que le trépassé ait de quoi payer leurs drogues, & leurs médecines, &
argent pour sa rançon, & pour les lettres de sa grâce, qu’ils font par leurs bulles, & indulgences. Des pauvres,
avec lesquels ils n’ont point de profit, ce leur est tout un où ils aillent, soit en paradis, en enfer, ou en
4
purgatoire. Car ils n’ont point de soin des âmes, sinon de leurs bourses. » , et la facilité donc d’obtenir la
possibilité de faire ce qui est interdit grâce aux dispenses accordées contre dépenses d’espèces sonnantes et
1
[206]
2
Barthélemy de Pise est un franciscain, né en 1338 à Rivano, en Toscane et mort le 4 novembre 1401 à Pise. Il publia en
1399 les Conformités de S. François avec Jésus-Christ, livre singulier, dans lequel il égale le chef de son ordre au Fils de
Dieu, et qui excita de grands scandales. Il fut réfuté par Erasmus Alberus, ami de Luther, dans l’Alcoran des Cordeliers.
3
Ignominieux
4
« Les disputations Chrétiennes... », Pierre Viret, 1552, [199] page 144
22 La guerre des mots
trébuchantes : « A table, o supposts non suspects, / Humez souppes, tastez bouillis : / Despenses servant de
coulis / Aux enfans, qui de temps, & d’aage, / Ont dispences pour mariage, / Et pour bastards legitimer. /
Despenses de beurre escumer, / Demanger des œufs, du fourmage. / Despences defaire charnage, / Au moins aux
chats, & aux malades. / Despences de grands accolades /Adeux, trois, quatre Vebefices. / Despences a tous
malefices. / Comme quoy ? de femme taster : / Despences, brief pour tout gaster, / Despences d’absolutions, / De
graces & d’exemptions, /Despenses je di non dispences. / Ma raison est, que si tu penses / Combien vaut ainsi
1
dispenser, /Tu diras que c’est despenser /Argent de badaudes façons. » .
2
La chanson suivante, contre le pape et ses suppôts, et sur l’air de « Touchez leur l’anticaille », reprend sur un
ton plus léger la même critique :
«… Croisards & Bernardins
Messieurs les cardinaux Aiment bien les boudins ;
Pardonnes tous les maux Aussi font la tripaille ;
Aussi fait la prestraille Tant ils avaleront.
Qui de vous se riront. Donnez à tel canaille
Donnez leur de la cliquaille Et ils vous sauveront.
Et ils vous sauveront. …»
…
1
« Satyres Chrestiennes de la cuisine papale », Théodore de Bèze, 1560, [179] page 63
2
[197] pages 129 à 132
La guerre des mots 23
Pour pouvoir contracter mariage au troisième degré de consanguinité ou d’affinité, il faut payer vingt carlins.
Si le contractant est noble, il en faut trente. A l’égard des mariages qui se contractent au second degré, il n’y a
que le pape seul qui puisse accorder la dispense, ou le Grand-Pénitencier, lorsque le siège est vacant. La
dispense alors est taxée à cinquante tournois, douze ducats, & six carlins. Si un homme qui a pris les Ordres
sacrés, pourvu que cela soit secret, vient à se marier, il peut obtenir dispense, pour garder sa femme, &
demeurer avec elle pendant qu’elle vivra : à la charge de ne pas se remarier après son décès, & de dire durant
son mariage, par forme de satisfaction, les Heures de la Sainte Vierge, pour le moins tous les jours de Fête, &
de payer outre cela quinze tournois, & quatre ducats.
La dispense pour un juif de pouvoir exercer la médecine, ou la chirurgie, avec la clause d’assistance, coûte
soixante tournois.
Ceux à qui il manque quelque membre du corps, pour être reçus à la première Tonsure, & aux quatre premiers
Ordres, paieront six tournois, & deux ducats. Celui qui se sera coupé le membre viril, paiera douze tournois,
trois ducats, six carlins (pour recevoir les ordres sacrés).
Pour un laïc qui aura tué un prêtre, le pardon se fera en forme avec Pénitence publique, & paiera pour ce seul
meurtre, six tournois & deux ducats. Pour un meurtre commis en la personne d’un laïc, le pardon donné in
forma outre trois tournois, un ducat & quatre carlins. Les parricides, & ceux qui auront tué leur mère, leur
frère, ou leur sœur, paieront pour chaque meurtre quatre tournois, un ducat, huit carlins.
Une femme sorcière ou enchanteresse, après avoir fait abjuration de son art magique, paiera pour chaque
ensorcellement six tournois, & deux ducats. Le pardon & la réhabilitation d’un hérétique faite en ample
forme, & avec la clause inhibitoire, avant qu’il ait fait abjuration des ses hérésies, se donne pour trente-six
tournois, & neuf ducats.
Une religieuse qui sera tombée plusieurs fois dans le péché de luxure, ou dehors ou dans son monastère, aura
son absolution, & sera rétablie dans son ordre, quand même elle serait abbesse, moyennant trente-six tournois
& neuf ducats. Et si outre les crimes dont il est fait mention ci-dessus, on demande l’absolution du péché
contre nature, comme la sodomie & la bestialité, & que la dispense susdite, & la clause inhibitoire y soient
comprises, il faut quatre-vingt-dix tournois, douze ducats, & six carlins.
Celui qui aura enterré dans une terre sainte le corps d’un excommunié, paiera six tournois, & deux ducats.
Le changement & la réduction du service Divin pour une personne qui n’aurait pas la vue bonne, ou pour
quelqu’autre empêchement, coûtera douze tournois.
La permission de changer son nom propre, coûte neuf tournois, deux ducats, & six carlins. Et pour changer le
surnom, &la manière de le signer, il faut payer six tournois, & deux ducats.
2
« Il le faudra donc appeler dorénavant, Pagatoire, ou Purge-bourse. »
« Hilaire : Tu ne le prends pas mal. Mais il ne te faut pas être ébahi, si lui et ses semblables prennent tant de
peine à bien confiner & limiter ces lieux et places, & singulièrement le purgatoire. Car ils n’ont point de
meilleure possession que celle-là, ni qui leur rende plus de fruit, ni de laquelle ils reçoivent & recueillent plus de
censes et de revenus. Il n’y a royaume, seigneurie, terre ni héritage qui apporte tant de profit à leurs seigneurs
3
& possesseurs, que purgatoire leur en apporte. »
Dans un registre plus léger, cette complainte du clergé qui pleure la mort du Purgatoire qui leur fait perdre
4
une grande partie de ses revenus ; Pierre Viret y use aussi de l’insulte, mais surtout fait parler ses ennemis,
1
Enguerrand Quarton (diocèse de Laon, 1412 ou 1415 - Avignon, 1466) est un peintre et enlumineur français du Moyen Âge
tardif, dont quelques œuvres sont parmi les premiers chefs-d'œuvre du xve siècle et tranchent avec la peinture italienne ou
flamande. Il est à ce titre l'un des plus représentatifs de la seconde école de peinture d'Avignon.
2
« Le requiescant in pace… », Pierre Viret, 1552, [200] page 76
3
« Les disputations Chrétiennes... », Pierre Viret, 1552, [199] page 107
4
« Le requiescant in pace… », Pierre Viret, 1552, [200] page 149
La guerre des mots 25
comme si ceux-ci n’étaient pas seulement de simples exécutants de rites définis par l’église de Rome, mais au
contraire des êtres cyniques trompant de façon délibérée le peuple pour leur bien propre :
« Moines, nonnains, prêtres, &maquereaux,
Bâtards, putains, déchirons nos cheveux.
Car maintenant sont éteints les fourneaux,
Qui tant nous ont nourris gras & pompeux.
Bien nous pouvons tenir pour malheureux.
Car le bon temps qu’avons eu est passé.
Mort est celui qui nous a amassé
1
L’argent duquel faisons Gaudeamus .
Hélas, il est maintenant in pace.
2
Par quoi chanter nous faut autre oremus . »
3
La fête des morts , instituée vers l’an 1000 et avant la création du Purgatoire, était utilisée pour prier pour les
âmes des morts, et représentait une source de revenus substantiels pour l’église, elle ne pouvait pas être épargnée
par la critique réformée :
« Car ce jour là est bien l’une des meilleures foires que ils aient de toute l’année : & une journée, en laquelle
4
ils font moisson & vendanges tout ensemble, sans se guère échauffer. »
Au-delà de ces exemples, il y avait mille autres sources de revenus pour l’église catholique, et chacune allait
5
devenir une cible pour les huguenots. Théodore de Bèze s’élève contre ces pratiques dans l’extrait qui suit :
« Pourtant vous nous appelez fous et coquins. Vous, au contraire, par vos pratiques, vous avez gagé
royaumes et empires : je parle de la doctrine des indulgences, des messes, des aliments, des patenôtres, des
obits, des droits mortuaires, du purgatoire, des pèlerinages et des fêtes, des bulles, des dons, des bénéfices, des
tonsures, des dispenses, et de cent mille autres filouteries, au moyen de quoi vous autres, ventres abjects, ventres
archidiaboliques, vous dévorez les âmes des pauvres, et sucez les trésors des rois et des empereurs. Mais voici
6
venir le temps où votre putain périra avec ses maquereaux, n’en doutez point. »
1
« Réjouissons-nous »
2
« Prière »
3
Fête qui suit celle de la Toussaint, elle est célébrée le 2 novembre. Odilon, abbé de Cluny, l’aurait « crée » après avoir
entendu que sortaient de l’Etna les hurlements des démons et les vies plaintives d’âmes défuntes qui demandaient à être
arrachées de leurs mains par des aumônes et des prières.
4
« Les disputations Chrétiennes... », Pierre Viret, 1552, [199] page 114
5
Artus Désiré, dans le « deffenssaire de la foi…. » ([183]) s’attache à justifier une longue liste de celles-ci.
6
« Le Passavant… », Théodore de Bèze, 1553, [181] page 148
26 La guerre des mots
1
Ci-après une chanson de 1532 qui reprend une des cibles fréquentes des réformés dans leur lutte contre le
spectacle des rites romains, le cierge :
«…
O prebstres, prebstres ne demandez plus dons
Pain, vin, chandelles, laissez tous ces perdons ;
Car vostre purgatoire
La bourse a trop purgé.
Jesus est notre gloire
Qui nous a soulagé.
…»
« A table, a table, chantez tous / Benedicite, Dominus. / Tantost nous irons dormir nuds / Au lit de
fornication. / C’est la sanctification / Des plats, des services, &mets / Que vous dressez, o vrais gourmets, / Et
vrays gourmans a gorge forte. »
1
[193] pages 100 à 103
2
« Les disputations Chrétiennes... », Pierre Viret, 1552, [199] page 317
3
Ce qui semble une pratique répandue dans le monde entier, comme on le voit sur l’exemple ci-après, haiku japonais: Ceux
qui font le siège / De la porte de derrière / Sont toujours des moines
La guerre des mots 27
« Il en prendra donc des morts, comme des moines, qui sont morts au monde, en aucuns points, mais non pas
en des autres. Ils sont morts au monde, quant à ce qu’ils n’y servent & n’y profitent à personne, non plus que les
morts : mais ils n’y sont pas morts, quant au boire & au manger, & aux autres œuvres charnelles, & à nuire aux
1
vivants. »
Tous les ordres étaient concernés, les Cordeliers, les Carmes, les Augustins, … : « Cordelières,
Caymandières, / Converses, vayes vivandières /Scavent de la déesse Bonne / Les secrets mieux que la Sorbonne.
/ De là les vivandiers Convers / Ameinent chariots couvers, / Pour emplir les larges marmites. / Là pres sont
marmitons Hermites, / Qui les pots brusquement escument. / Carmes s’escarmouchans, presument / Qu’ils font
bien le faict de souillars. / Augustins, rustres & gouillars / Hardis, laborieux, prudens, / Fressuriers a jouer des
dents, / Quand ils se ruent en pasture, / Fort bien espluchent la nature / De ce qu’il faut bouillir ou frire. /
Bordeliers (ha c’est mal escrire) / Cordeliers, autrement Mineurs, /Avec Jacopins bon beuveurs / Assemblent
oignons & ciboules, / Aussi rondelets comme boules, /Estendus comme marroquins. / Les voyez-vous les gras
2
coquins ? »
Les moines eux-mêmes s’exclament : « Les autres aiment à veiller, / A peu vivre, & bien travailler : / Et
3
nous, hélas, tout au contraire, / Voulons bien vivre, & ne rien faire. »
Dans la chanson ci-dessous, une jeune fille se rebiffe contre un confesseur qui a trop d’attentions envers elle :
« - Dieu vous gard’, jeune pucelle ; Qui desguisez vérité,
Saint François vous doint bon jour. Quand deussiez estre l’élite
Si c’estoit votre vueil, belle, De justice & chasteté.
Nous deux aurions vostre amour. Ne craignez vous point qu’on voye
Faites nous donc ce service Vos gestes mignarts,
Avant le trespas. Et pensez vous que je soye
Sans faulte, en nulle malice L’amie des caphars ?
Nous n’y pensons pas. 4
…»
…
1
« Le requiescant in pace… », Pierre Viret, 1552, [200] page 70
2
« Satyres Chrestiennes de la cuisine papale », Théodore de Bèze, 1560, [179] pages 23&24
3
« La comédie du pape malade… », Conrad Badius, 1561, [178] page 33
4
[193] pages 176 à 179
5
Anonyme, 1556, [210] page 310
28 La guerre des mots
Et une autre chanson contre les prêtres et les moines, d’Eustorg de Beaulieu, datée de 1546 :
Le clergé séculier n’était pas à l’abri de ces critiques comme le clamait Théodore de Bèze contre les curés :
« Curez (mortelles moqueries) / Es doux sons de leurs chalemeaux,/ Escorchent tous vifs leurs aigneaux, / Et les
3
font languir sur la paille. »
« C’est pourtant que nos maîtres les théologiens sorboniques ne boivent pas volontiers du pire, ainsi leur en
faut toujours du meilleur quoi qu’il coûte. En quoi ils ont plus que juste raison. Car ils vivent le plus des péchés
1
[193] pages 169 à 173
2
« Confession de la foy Chrétienne… », Théodore de Bèze, 1563, [203] pages 345-346
3
« Satyres Chrestiennes de la cuisine papale », Théodore de Bèze, 1560, [179] page 58 et page 27
La guerre des mots 29
du peuple, selon qu’il est écrit : les prêtres ont mangé les péchés du peuple, c’est à dire les offrandes pour les
1
péchés. Or les péchés sont une viande fort dure, & bien difficile à digérer, & le bon vin aide fort la digestion. »
« Mais, comme nous le dirons un peu plus tard, vous bridez votre mule par la queue, lorsque vous appelez
tout cela des dogmes de l’église ; car comme on vous prouvera tout d’abord que c’est l’église qui n’a pas
entendu la voix de son époux, mais qui veut être maîtresse par-dessus son mari même : d’où ils déduisent ce
4
corollaire : que la familles des papistes est des mieux gouvernées, puisque la poule y chante mieux que le coq. »
1
« Les disputations Chrétiennes... », Pierre Viret, 1552, [199] page 168
2
« Satyres Chrestiennes de la cuisine papale », Théodore de Bèze, 1560, [179] page 112
3
« Le monde à l’empire… », Pierre Viret, 1561, [201] page 34
4
« Le Passavant… », Théodore de Bèze, 1553, [181] pages 72&73
30 La guerre des mots
Dans ce dernier exemple, l’auteur veut faire la différence entre la vraie église de Dieu et ce qu’est devenu
l’église de Rome. Si l’église est l’épouse du seigneur, elle ne peut qu’avoir dévoyé son enseignement, avoir pris
le dessus contre son seigneur et maître. Le grand
coupable est alors le pape, et il doit être rabaissé au
niveau de l’homme alors qu’il se croyait presque
avoir les pouvoirs d’un dieu. Il fallait désacraliser
la personne du pape, et désacraliser les dogmes les
plus emblématiques de l’église catholique, et parmi
ceux-ci attaquer la messe et l’eucharistie.
Et pour cela, rien n’était plus hors de portée, si le pape était le lieutenant général de Lucifer, aucune insulte
n’était un blasphème, aucune insulte ne pouvait être évitée.
1
La donation de Constantin est l'acte, qui se révéla être un faux, mais entérinant a posteriori une possession déjà ancienne
et légitime, par lequel l'empereur Constantin Ier donnait au pape Sylvestre la primauté sur les Églises d'Orient et l’imperium
sur l'Occident (et les églises Latran, de Saint-Pierre et Saint-Paul-hors-les-Murs »). La démonstration de son caractère
apocryphe en 1440 par l'humaniste Lorenzo Valla est généralement considérée comme l'acte fondateur de la critique
textuelle (herméneutique).
2
« Le Passavant… », Théodore de Bèze, 1553, [181] page 78
La guerre des mots 31
En 1558 paraît la première édition en latin d’un livre qui sera souvent réédité et traduit, L’anthithèse des
faicts de Jésus Christ et du Pape (voir dans [205] une édition en français de 1584), qui, comme son titre
l’indique, entend démontrer que contrairement à ce que l’église attribue au pape, celui-ci ne peut se réclamer
d’aucune manière du sauveur. Ces livres ont été dès le début enrichis d’illustrations montrant pour chacun des
1
exemples pris l’opposition entre ce que fait le pape et ce qu’a fait Jésus Christ. .
Dès que Jésus Christ vient au monde naistre, Dès que le pape est ordonné,
Il nous fait la paix apparoistre. A guerroyer est adonné
2-16 : Antithèse des faicts de Jésus Christ et du pape © 2-17 : Antithèse des faicts de Jésus Christ et du pape ©
[205] [205]
1
Il faut noter dans les premiers exemples qui suivent le parti pris d’opposer le peuple à l’église, le peuple qui souffre et est
exploité pour le bénéfice des membres de celle-ci.
32 La guerre des mots
Christ ses brebis paist & supporte, Le Pape en telle avarice ard,
Et sur son dos les foibles porte. Que mesme il pille son caphard.
2-20 : Antithèse des faicts de Jésus Christ et du pape © 2-21 : Antithèse des faicts de Jésus Christ et du pape ©
[205] [205]
Mais ce n’était pas encore suffisant, et certains n’hésitèrent pas à l’accuser de tous les vices :
« .. de même vous devez accomplir la volonté de votre mère, qui est l’église, et dont la tête, ainsi qu’il a été
dit, est l’église romaine. Ainsi, le pontife romain sera notre mère, comme dieu est notre père. Et il fallait dire
aussi (que dieu nous en garde !) : notre mère qui est à Rome, que votre nom soit sanctifié, que votre règne
arrive ; que votre volonté soit faite, etc. Et voilà certainement le canon où les pontifes ont pris le droit d’exercer
la sodomie, se faisant non pas seulement au figuré, mais très positivement, catins et prostituées de la plus belle
eau. D’où se déduit le corollaire, que le pape, en dépit des grammairiens, est du genre épicène [commun aux
1
deux genres], non masculin … »
En effet, le pape était l’Antéchrist, le lieutenant général de Lucifer, et si dans la Polymachie des
marmitons (voir encart ci-après) il est fait lieutenant général du diable, cela deviendra un leitmotiv :
« Or, à bon droit pouvons-nous affirmer que ce sont les évangiles de l’antéchrist, des excréments que le
2
diable a vomis par la bouche fétide des papes (bouche du pape et cul du diable, c’est tout un)… »
Le pape, malade, avant que Satan ne parte lui chercher de quoi le guérir, vomit « ses péchés », l’inventaire en
est fait par le diable lui même :
« Ce sont fraudes, extorsions,
Erreurs, abominations,
Violences & cruautés,
Trahisons et déloyautés :
Ce sont décrets, pardons & bulles,
Cardinaux, & chapeaux & mules,
Abbés, évêques, crosses, mitres,
Moines, nonnains, couvents, chapitres :
Citations, foudres, tempêtes,
Reliques, besaces, & quêtes,
Images, cloches, luminaires,
Cimetières, & presbytères :
Chasubles, aubes & étoles,
Murmures, mines, & paroles,
Souplessaux, tordions, & danses,
Déguisements et manigances.
Bref, il y a toutes choses
Au cabinet du pape encloses.
Il n’en vomirait en dix ans
3
Autant qu’il en reste leans. »
1
« Le Passavant… », Théodore de Bèze, 1553, [181] page 42
2
« Le Passavant… », Théodore de Bèze, 1553, [181] page 48
3
« La comédie du pape malade… », Conrad Badius, 1561, [178] page 31
34 La guerre des mots
Et dans la suite du pape, la messe, contre laquelle déjà du temps des « placards » les réformés s’étaient élevés
violemment, allait devenir ce qu’il fallait rabaisser ; cet élément fondamental de la religion catholique, moteur du
lien et de l’ordre social, devait être anéantie. Les auteurs allaient s’attacher à en nier la sacralité et à la confondre
avec des cérémonies proches de la sorcellerie :
[193] pages 158 & 159, « Jean le noir et Jean le blanc, ou le prêtre et l’hostie », vers 1560 :
« … Jean le blanc, à la vérité,
Ne fut que pain en premier lieu ;
Depuis, par la subtilité
De Jean le noir, il devient Dieu. »
« Et puis enfin jetter sa patte / Dessus ce pauvre dieu de paste : / Faire dix mille tours d’escrime : / Parler à
luy en prose, en rithme, / Jusqu’à tant que l’heure le presse/ De le crocquer, & de vistesse / S’en donner au
1
travers des dents, / Hors mis ce qui tombe dedans / Le calice à la souppe au vin. »
La consécration du pain et du vin devenait pour les huguenots un acte de sorcellerie pratiqué par le clergé
pour tromper le pauvre peuple :
2
[193] pages 100 à 103, une chanson de 1532 :
« …O prebstres, prebstres, ne vous souvient-il point
Quand faisiez croyre cest erreur & faulx poinct
Qu’en ce petit armoyre
Jesus est en prison :
Vous nous disiez encoire
La boitte est sa maison.…»
1
« Satyres Chrestiennes de la cuisine papale », Théodore de Bèze, 1560, [179] page 72
2
Voir autre couplet plus haut
La guerre des mots 35
La polymachie des marmitons ([176]) est une courte pièce éditée en 1562 qui, sous le prétexte de décrire
l’armée du pape, qui est celle de Lucifer, attribue à chaque fonction de l’église catholique un grade dans une
armée en campagne. L’ironie et la satyre sont teintées parfois d’amertume face aux exactions dont sont
victimes ceux qui s’opposent à la force de Rome, et le texte devient alors une célébration des martyrs.
L’auteur déploie l’image de la marmite papale, qui, étant prête à être renversée, fournit le prétexte de la levée
d’armes lancée par le diable.
Page 2 : « Lucifer : délibérez de marcher soubs l’enseigne/ Du grand pontife, & qu’aucun ne rechigne : / Car
s’il ne met bon ordre à sa marmite, / Elle sera à son tour desconfite. ».
Le pape est ainsi nommé lieutenant général pour le diable : « Aydez-moy donc, mettez cœur mes soudards, /
Voicy le temps que combatre il nous faut, Pour soustenir la Marmite briffaut. ».
Les cardinaux sont légionnaires : « N’avons-nous pas argent, forces & astuce / Pour les hacher menu comme
une puce ? » .
Les archevêques sont colonels, les évêques capitaines : « Notre marmite a perdu le bouillir, / Encor
chacun travaille à l’assaillir, / … / Mais il la fault, deussions nous trespasser, / Avec les mains la garder de
verser. ».
Les abbés sont lieutenants : « Je les feray chanceller en la fosse / De dure mort, & masles & femelles /
Jusqu’aux enfans qui succent les mammelles, / Nozmains seront nuit & jour occupées, / Ales passer au fil de
noz espees. », et les prieurs enseignes : « Il est bien vray que sans boire en bataille / Nous n’avons pieds ne
bras, ne main qui vaille, /Faites mener cervelas & jambons, / Vous nous verrez avoir lors les cœurs bons. » .
Les curés sont « sergents de bande », les officiers de la Roue de Romme sont maréchaux de camp, les
vicaires « lanses-pessades » et les prêtres, diacres, sous-diacres, acolytes maréchaux des logis et fourriers ; les
doyens, chanoines et « prebendez » sont caporaux et les prévôts et autres bénéficiaires sont caps d’esquadre ;
les secretains, imagiers, faiseurs d’encensoir, de torches, les vitriers & autres gagne-deniers sont fait
« dizeniers » : « On nous verra es assauts bien porter, / Puis qu’on nous veult des mains le pain oster.» .
Les chantres sont enfants perdus et les moines « estradiots » ; les fondeurs de cloches maçons et
pionniers, les marguilliers, tambourins, les organistes, fifres, clairons et trompettes ; les sorbonistes et
docteurs en canon sont eux faits maîtres de l’artillerie : « Dressons, dressons contr’eux nos gros canons » ;
les inquisiteurs de la foi sont prévôts des maréchaux : « Tant en ferons par les picques passer, / Bouillir,
rôtir, griller, & fricasser / Qu’on sentira d’une lieu à la ronde, / La puanteur de leur charogne immonde. » ;
les procureurs sont archers des prévôts, les Augustins piquiers « Chacun de nous sait manier la picque / Et en
user, lors qu’en guerre on nous picque », les Carmes arquebusiers, les Jacobins hallebardiers « A mort, à
mort, nous portons pour devise, / N’est-ce pas bien l’estat de gens d’Eglise. » . Les Cordeliers sont eux
hommes d’armes, les Célestins archers de compagnies, les Chartreux guidons, les Bernardins chevaux légers :
« On ne nous peult attraper de vitesse / Et bien savons nous tirer de a preste. ». Les fils des gens d’église,
sans « pères&mères », sont vivandiers tandis que les courtisanes, putains et ribaudes des prêtres sont bagage ;
enfin les promoteurs sont les espions « Faire le guet & l’ennemi surprendre, / C’est tout cela à quoy savons
entendre. ».
Et pour s’enrôler « Il se faut adresser en la rue de faulse Religion, au logis de Madame Idolatrie, à
l’enseigne d’Abus, & là demander le Prince des ténèbres, & vous serez enroollez de rechef. ».
C’est sans doute à partir du texte attribué à Théodore de Bèze, Satyres Chrétiennes de la cuisine papale
([179]), que le mot « marmite » acquiert une connotation injurieuse, renvoyant à l’hypocrisie, l’ivrognerie et
la gloutonnerie attribuées à l’église de Rome par les réformés. Cette image joue sur la symbolique souvent
utilisée pour représenter l’Enfer. Si le terme avant 1560 n’est pas vraiment utilisé, il devient récurrent dans les
écrits protestants à partir de cette date, à tel point que les catholiques reprennent à leur compte le caractère
insultant du terme pour en qualifier en retour les réformés. C’est Thomas Beauxamis qui en tente une
justification théologique dans son ouvrage La marmite renversée et fondue, de laquelle notre Dieu parle par
les saints prophètes ([177]), dont le sous-titre est « …où est prouvé que la secte calviniste est la vraie
marmite et est compris un bref sommaire des desseins et conjurations sangunaires d’icelle, causes de son
entière ruine… »
Et enfin jouer sur les conséquences de la transsubstantiation, qui font de cette hostie le corps de dieu qui est
mangé par les rats, et que le peuple chie :
« Imaginez-vous que je me figurais entendre votre présente-abbatialité chanter la messe : tout à coup, au
moment où vous disiez Per omnia, voilà que vous bombardâtes très-fort, très-bruyamment, par accident : et
aussitôt un ribaud d’hérétique, qui était accouru je ne sais d’où, s’écria : « miracle ! miracle ! voilà monsieur le
ci-devant président qui parle aussi par la bouche de derrière ! – tu en as menti, » lui dis-je, « car bombarder
n’est point parler ; et puis, après, s’il a bombardé ? cela n’empêche pas la consécration, et même, c’était peut-
2
être à si bonne intention, que la bombe servît d’encens. » »
1
Satyres Chrestiennes de la cuisine papale, Théodore de Bèze, 1560, [179] page 113
2
« Le Passavant… », Théodore de Bèze, 1553, [181] page 54
3
[193], page 142, d’une chanson écrite avant 1555
38 La guerre des mots
Il faut reconnaître le caractère blasphématoire de ces attaques pour les catholiques et pour l’époque, pour les
membres du clergé ou pour les simples croyants. Encore aujourd’hui des critiques de la même nature seraient
considérées comme inacceptables, voire passibles de poursuites. On comprend ainsi les auteurs du XIXe siècle
qui mentionnent avec horreur la chanson Noël nouveau reproduite ci-après, et dont certains se refusent même à
en donner des extraits.
1
Voir le catalogue de l’exposition « Enfer ou Paradis », [320]
La guerre des mots 39
Dans l’ensemble des attaques lancées contre l’église catholique, le refus de celle-ci de laisser traduire les
textes sacrés en langue vulgaire allait être utilisé pour démontrer leur volonté de cacher la vérité au peuple :
« … car ce serait grand scandale si tout le monde pouvait, par la sainte écriture, distinguer les loups des
bergers ; et par la même raison, il ne faut pas dire sa messe, ni ses heures en français, parce que le peuple
verrait les mystères de notre sainte Mère Eglise : et ainsi tout le service de Dieu tomberait en ruine, tout le
monde serait hérétique. Mais, monsieur le Ci-devant président, si en vertu de cet argument, on vous retirait
votre vin, parce que vous vous en grisez un peu trop souvent, quelle mine feriez-vous, bon dieu ! à peu près
1
comme lorsqu’on vous signifia que vous ne mettriez plus le pied au palais. »
« Nos grand docteurs au chérubin visage / Ont défendu qu’homme n’ait plus à voir / La saincte Bible en
vulgaire langage / Dont un chacun peut cognoissance avoir. / Car, diesnt-ils, désir de tant sçavoir / N’engendre
rien qu’erreur, peine & souci. / Arguo fie, S’il est doncques ainsi / Que pour l’abus il faille oster ce livre, / Il est
2
tout clair qu’on leur devoit aussi / Oster le vin, dont chacun d’eux s’enyvre. »
« Thomas : Car il y avait danger qu’ils ne fussent devenus hérétiques, s’ils se fussent mis à lire les livres de
la sainte écriture si jeunes. Mais il n’y avait point de tel danger en ceux-ci. Hilaire : Tu as raison : pour
craindre que les chrétiens ne deviennent hérétiques, il leur faudra défendre la lectures des saintes écritures, &
3
leur permettre tous fols livres, pour en faire des bêtes brutes. »
« Quand on chante l’évangile, on lui baille des parfums, on allume des torches, on baise le livre, un chacun
4
se tient debout, pourvu que l’évangile soit chanté ou récité en langage inconnu aux auditeurs… »
La satyre, l’insulte et l’ironie furent les moyens utilisés par les plus grands docteurs de l’église réformée. On
retrouvera d’ailleurs dans la plupart des édits de conciliation l’interdiction faite de s’insulter ; on avait le sang
chaud alors, et l’insulte pouvait conduire à la mort. On jugera à cette aune les insultes rapportées plus haut à
l’encontre des membres du clergé, et celles ci-dessous reprises pour leur violence :
« … je ne m’arrête point à parler des méchancetés qui sont en leur vie, & de la grande corruption de leurs
mœurs, mais je viens droit au point de la matière, à savoir à leur doctrine : qui est telle que je puis affirmer
qu’on ne saurait rien imaginer de plus puant et corrompu. », ou encore : « Car que produiront les papistes ?
5
Leur eau bénite, les temples qu’ils ont bâtis, les prières qu’ils ont barbotées par conte devant quelque
charogne, devant quelque statue de pierre qui est ici ou là : leurs cierges, leurs lampes, leurs frocs, finalement
1
« Le Passavant… », Théodore de Bèze, 1553, [181] page 168
2
« Satyres Chrestiennes de la cuisine papale », Théodore de Bèze, 1560, [179] page 131
3
« Les disputations Chrétiennes... », Pierre Viret, 1552, [199] page 125
4
« Le monde à l’empire… », Pierre Viret, 1561, [201] page 308
5
Parler dans sa barbe, bredouiller, marmonner, parler de manière confuse.
42 La guerre des mots
pour venir à tout ce qui leur est de grande importance, leurs jeûnes, leurs mérites pour avoir couché sur la terre,
1
leurs haires , leurs aumônes, leurs voyages, leurs messes, & pour le dernier les pardons qu’ils ont achetés du
pape. Mais où en seront-ils quand Dieu leur répondra, O pauvres gens abêtis & abrutis en terre, & du tout
dépourvus de connaissance des choses d’en haut ! que m’apportez-vous sinon que toutes ordures &
2
vilénies ? ».
3
L’épitaphe de Messire Pierre Lizet dans le Passavant est de même nature:
« Hercules desconfit jadis
Serpens, géans, et autres bestes.
Roland, Olivier, Amadis
Feirent voler lances et testes.
Mais, n’en desplaise à leurs conquestes,
Lizet, tout sot et ignorant,
A plus faict que le demourant
Des preux de nations quelconques,
Car il feit mourir en mourant
4
La plus grand’beste, qui fust onques. »
5
et encore contre le même: « Venons au chapitre onzième, où se découvre votre mulerie d’Auvergne , ou votre
ânerie d’Arcadie, quoique, dans les procès séculiers, vous soyez on ne peut plus fin. » Et contre l’église, page
84, « … et faites dire une bonne messe, afin d’être bien inspirés. Car, sans cela, c’est fait de notre sainte mère
putain l’église romaine, et nous serons fils de putain; … » ; et encore page 50 : « à ce point, pourrais-je dire, que
si tous les sots gagnaient le ciel, monsieur le ci-devant président serait déjà à mille lieues au delà du ciel de la
6
lune. »
1
Dans la religion catholique, petite chemise faite d’un tissu de poils de chèvre, de crin, ou de tout autre poil rude et piquant,
qu’on porte sur la chair par mortification.
2
« Confession de la foy Chrétienne… », Théodore de Bèze, 1563, [203] pages 298 et 244
3
Pierre Lizet, ami de Béda, était un farouche ennemi des protestants, et se distingua par les persécutions qu’il suscita
lorsque qu’il a été président de Parlement de Paris. Imprudent néanmoins avec les Guise en leur contestant le titre de prince,
il encouru la vindicte du cardinal de Lorraine et dû donner sa démission en échange de l’abbaye de Sainte-Geneviève. Ne
pouvant se servir du bucher, il entreprit d’essayer de réfuter la réforme, et écrivit deux gros volumes de controverses qui
furent accueillis dans un éclat de rire par la communauté protestante. ([188] pages 185-186).
4
« Le Passavant… », Théodore de Bèze, 1553, [181] page 206
5
Pierre Lizet était auvergnat
6
« Le Passavant… », Théodore de Bèze, 1553, [181] page 112
La guerre des mots 43
sur un prêcheur ayant décrit l’enfer : « Eusebe : Car il a parlé fort disertement & fort profondément, & de
matières biens obscures & profondes. Hilaire : Il ne pouvait pas parler plus profondément. Car il est allé
jusqu’au centre de la terre. Pour ce je suis ébahi de ce qu’il a parlé si clairement, de matières tant obscures, et
1
de ces lieux tant ténébreux, auxquels on ne voit goutte. Car jamais le soleil n’y luit ».
« Ces théologiens me font souvenir du proverbe ancien de la règle lesbienne, laquelle était de plomb.
Parquoi, les maçons Lesbiens la faisaient ployer comme ils voulaient. Et au lieu qu’ils devaient mesurer &
compasser leur ouvrage par icelle, & les pierres qu’ils taillaient, & les murailles qu’ils édifiaient, & les
redresser, si elles n’étaient bien droite & compassées, ils faisaient tout au contraire : car ils courbaient et
ployaient leur règle, pour la faire convenir avec leur ouvrage, au lieu qu’ils devaient faire convenir l’ouvrage à
icelle. Et parainsi elle leur obéissait en toutes choses. Et au lieu de corriger leur œuvre par la règle, ils
corrigeaient la règle par leur œuvre. Ainsi sont plusieurs des lois, lesquelles on fait convenir aux mœurs & aux
affections des hommes, au lieu qu’ils dussent être corrigés & réglés par icelles, non pas les lois par les
2
affections humaines. »
Sur la pratique de se donner des titres en « ime » : « Très dignes & discrets Scotistes ! / Docteurs subtils,
subtilissimes, / Docteurs illuminatissimes, / Docteurs solennens, séraphiques, / Irrefragables, Deifiques, / Ne
3
voyci pas vos vrais esbats ?. »
La déchéance de l’église romaine ne pouvait signifier que la déchéance du monde, la pauvreté, les maladies,
le désordre :
« Tobias : quand je vois l’état & le train de plusieurs villes & cités, il me semble que je ne vois des cavernes
de larrons & de brigands. Car il n’y a presque métier, art ni pratique, qui ne soit une escroquerie & une
briganderie, pour couper la gorge aux pauvres gens. Quand je considère l’amitié & l’accord que les pays, cités,
villes, villages, voisins, parents, amis, frères, sœurs, & généralement tous hommes, ont les uns avec les autres, &
principalement les rois & les princes, il m’est avis que je voie des griffons, des lions, des ours, des sangliers, des
loups, des chiens, des pourceaux, des renards, des aspics, des vipères, des scorpions & des basiliques, des
aigles, des faucons, & autres oiseaux de proie, & toutes formes de bêtes sauvages enfermées toutes ensemble en
un parc, ou une cage de fer, lesquelles s’entrebattent, piquent, mordent, déchirent, dévorent & consomment les
4
unes les autres. »
Et si le pouvoir religieux, voire le pouvoir politique était la cause des malheurs du monde, il y avait alors
raison de se révolter, comme cela est suggéré dans cette Description des malheurs du monde datée d’avant 1591,
et que l’on pourrait presque voir comme « révolutionnaire » :
1
« Les disputations Chrétiennes... », Pierre Viret, 1552, [199] page 100
2
« Le requiescant in pace… », Pierre Viret, 1552, [200] page 44
3
« Satyres Chrestiennes de la cuisine papale », Théodore de Bèze, 1560, [179] pages 105&106
4
« Le monde à l’empire… », Pierre Viret, 1561, [201] page 226
44 La guerre des mots
«…
C’est un malheur de voir les rois & princes,
Dominateurs de peuples &provinces,
Au lieu d’aimer justice & piété
Nourrir erreur & toute iniquité.
1
…»
On peut ici évoquer un trait controversé de la vie Pourchassés, brûlés, les réformés étaient aussi
des vaudois, que l'on retrouve néanmoins dans attaqués sur leurs mœurs; on se rappelle les accusations
quelques témoignages datant de la fin du XVe portées sur les vaudois, cela sera monnaie courante, pour
siècle. Calomnie ou médisance, il était dit que lors démontrer la fausseté de la nouvelle secte il fallait
2
du passage des barbes dans les communautés, on montrer leur duplicité, les attaquer par là où ils
faisait venir tous les fils et filles de la maisonnée critiquaient l’église catholique. Ceux-ci se défendirent :
dans laquelle ils séjournaient, et qu'à la lumière
d'une seule bougie, les barbes faisaient alors leur « Tobias : On dit en commun proverbe, que quand on
sermon. A la fin de celui-ci, ils éteignaient la veut mal à un chien, & qu’on le veut faire tuer, on lui met
bougie et chacun s'écriait "qui ama si tegna", dessus qu’il est enragé. Il y en a aussi, qui ne peuvent
hommes et femmes, frères et sœurs, pères et filles, souffrir les prêcheurs, qui ne veulent & ne savent être
alors se rejoignaient pour faire l'amour, disant qu'en chiens muets, tels que plusieurs les désirent. Et pourtant
cette occasion cela n'était pas pécher. Les enfants on leur met la rage sus, pour les rendre odieux à tous,
mâles issus d'un barbe étaient, d'après la tradition, afin que leur personne & leur ministère aient moins
3 4
destinés à être barbe eux-aussi... d’autorité. »
Encart 2-6 : Les mœurs des vaudois … « C’est donc une impudence par trop désespérée à
ceux qui osent bien nous décrier & diffamer comme si
nous entretenions les paillardises, & nous faire le même reproche que jadis on faisait aux Chrétiens, que nous
faisons nos assemblées de nuit pour paillarder : car nos adversaires osent ramener encore ces vieilles calomnies
toutes rances, que la longueur du temps, pour le moins, devrait avoir abolies. Mais quelle apparence y a t-il en
leur dire ? Car si nous approuvions la paillardise, nous n’aurions que faire de sortir de la papauté, en laquelle
5
ce crime n’est estimé vice, comme chacun le fait. »
1
[193] pages 75 à 77
2
Les "pasteurs" dans la religion des vaudois
3
Gabriel Audisio, [66] page 261-263
4
« Le monde à l’empire… », Pierre Viret, 1561, [201] page 266
5
« Confession de la foy Chrétienne… », Théodore de Bèze, 1563, [203] page 311
La guerre des mots 45
Et contre-attaquèrent en ciblant les personnages qui s’élevaient le plus violement contre eux, ce qui
constituait au XVIe siècle une transgression, car les attaques nominales, qui remettaient en cause de manière
publique l’honneur des personnes, étaient perçues comme particulièrement odieuses. On pourra citer sur ce point
1
Jacques Peletier du Mans dans son traité de poétique : « Il n’y a chose si odieuse qu’une répréhension
personnelle qui se fait publiquement », et Joachim du Bellay « Taxer modestement les vices de notre temps et
2
pardonner aux noms des personnes vicieuses » :
Mais cela ne fit pas reculer les polémistes réformés qui attaquèrent de manière systématique ceux qui
s’élevaient contre eux par les mots ou par les armes :
contre Pierre Lizet: « Ordonc, voici ce qu’ils racontent : le pape actuel, Jules III, bien qu’il ne sache pas plus
de latin qu’un militaire et soit meilleur canoniste que théologien, s’étant fait lire un jour quelques pages de votre
livre, en eut telle estime, qu’il le fit porter à son cabinet, id est à sa chaise percée, que des truffeurs veulent nous
donner pour celle de saint Pierre : cette chaise où le pape fait caca, non en qualité de dieu sur la terre, mais en
la qualité de son humanité cacaturiante. Et là, comme il voulut s’en torcher le derrière, il trouva votre style si
dur, qu’il s’en écorcha tout le siège apostolique ; et il dit en se frottant les fesses : en vérité c’était un
3
montigène , tant il était dur et âpre ! », et sur son physique pages 10&11 : « Ah ! vous parlez de monsieur le ci-
devant président, » ce dit-il, « en voilà un bon numéro ! Comment va monsieur son nez ? est-il pas toujours
damasquiné ? Ce bon Jean de Gagney, notre maître, disait que tous les hérétiques étaient pâles. Tirez la
conséquence. Monsieur le ci-devant président est aussi rouge qu’une bouteille de vin théologal ou rosé, ergo il
n’est pas hérétique. Et comme il ne peut pas être cardinal, c’est à dire gond ou pivot de la sainte église
apostatique par la tête, il l’est par son équivalent, id est par le nez ; car qui ne serait assez hérétique pour
soutenir qu’un nez ne vaut pas bien un chapeau ? L’antécédent est prouvé pour quiconque a admiré sa
4
naséitude. Ergo, etc. »
contre Artus Désiré : « Car, comme dit Artus Désiré, en ses admirables rimes de Normandie, ces hérétiques
sont si mélancoliques que vous les diriez morts ; aussi sommes-nous grandement obligés à bon nombre de nos
vénérables maîtres, et surtout au susdit monsieur le ci-devant président, et à l’âne d’or, id est Pierre Doré, et
enfin au susdit Artus, pour nous avoir fournis de rire en telle provision, que nous en voilà engraissés pour plus
de cent carêmes. ». Artus Désiré (« l’Affamé ») est aussi l’un des trois sauveurs du pape que Satan va chercher
1
Jacques Peletier du Mans, ou Pelletier, né au Mans le 25 juillet 1517, mort à Paris en 1582 ou 1583, est un mathématicien,
médecin, grammairien et un poète humaniste français, membre de la Pléiade. Il est un des premiers avec Guillaume Gosselin
à user de lettres en algèbre pour résoudre les systèmes d'équations linéaires. Préfigurant la logistique spécieuse, ses
notations et ses exigences de fonder de façon abstraite les mathématiques font de lui un précurseur immédiat de François
Viète.
2
[195]
3
Auvergnat d’où « montigène »
4
« Le Passavant… », Théodore de Bèze, 1553, [181] pages 34&36
46 La guerre des mots
dans [178], celui « qui sache écrire en toutes langues / Des invectives et harangues, / Pour rembarrer et faire
taire / Ces ânes qui ne font que braire / Contre les abus de la messe, / Cette noble et brave déesse / Qui si bien
remplit nos chaudières. » (page 36) et qui dit de lui même page 50 : « Quant à moi, un chacun je sers, / Pour
1
argent, en prose ou en vers : / Aussi ne vis-je d’autre chose / Que d’écrire en rime ou en prose. »
contre Villegagnon (« L’outrecuidé »), un des trois personnages venant à la rescousse du pape à qui son
secrétaire conseille « C’est qu’il vous convient retourner / Un peu votre robe à l’envers, / Et tenir propos tous
divers / A ceux que tenir vous fouliez / Et feindre comme si vouliez / Contre ces huguenots écrire / Pour leur
doctrine & eux détruire. » (pages 43&44), conseil qu’il compte bien suivre « Ton conseil pertinent je trouve, / Et
comme expédient l’approuve / Après que je l’ai bien gouté. / De fait, je suis bien dégouté / De cette nouvelle
doctrine / Qui tout plaisir mondain ruine, / Et qui veut ainsi retrancher / Tous les foulas de notre chair. / Quant
à moi, j’aime le déduit, / de Venus de jour et de nuit : / Outre plus je tiens de mon père /Que j’aime à faire bonne
chère … » (page 44), ce qui correspond exactement à ce que recherchait Satan : « Quelqu’un qui forge & qui
controuve / A tous propos bourdes nouvelles, / Pour éteindre les étincelles / Du grand bruit qui court de leurs
2
faits. »
3
contre Antoine de Mouchy , dit Demochares (« Le zélateur »), dans lequel Satan trouve son troisième larron :
« Et après faut que j’ordonne / Quelque baudet de la Sorbonne, / Criard, mutin, opiniâtre, / Fol, insensé,
acariâtre, / Soit docteur soit bachelier / Rempli du zèle du celier,/ Qui fasse très bien son devoir / De mutiner &
émouvoir / Le pauvre ignorant populaire / A quelque sédition faire / Contre ces faux luthériens, / Disant que ce
sont loups et chiens / Qui sont entrés en l’héritage / De Dieu, pour y faire ravage, / Et mettre sainte mère église,
4
/ Si faire se peut, en chemise. »
contre Nicolas Maillard, doyen de la Sorbonne, sur lequel Satan s’exclame : « Qui donc ? notre maitre
paillard ? / Ce vénérable sodomite. / Non, non, Artus je te le quitte, / Garde-le pour chose qui vaille, / Ce
Maillard qui ne vaut pas maille. / Je n’en veut point, c’est une idole, / Un âne, un grenier à vérole, / Un chien
qui jappe, et ne peut mordre, / Qui sait fort bien la gueule tordre, / Hannir, cracher, moucher, tousser, / Taper
des pieds, claquer des mains, / Jetter ça et là regards meints / Et faire des yeux l’avantgarde / Pour voir si
5
chacun le regarde : / Car il s’estime être le veau / De la Sorbonne le plus beau. »
1
« Le Passavant… », Théodore de Bèze, 1553, [181] pages 12&13
2
« La comédie du pape malade… », Conrad Badius, 1561, [178]
3
Antoine de Mouchy (Antonius Monchiacenus Démocharès) (1494 - le 8 mai 1574) était un théologien et français canoniste ,
à Paris. Comme inquisiteur fidei il a exercé son influence contre les calvinistes , et a été juge au procès hérésie de Anne du
Bourg . Dans un livre 1560, il a accusé les calvinistes de libertinage sexuel, pratiqué après la fin du service religieux.
4
« La comédie du pape malade… », Conrad Badius, 1561, [178] page 35
5
« La comédie du pape malade… », Conrad Badius, 1561, [178] page 60
La guerre des mots 47
contre Antoine Cathelan : « Monsieur le singe Passavant / Asne derrière, asne devant, / Autrement Antoine
1
du Val, / Grand asne faisant du cheval. »
ou même Jean Calvin dans Réformation pour imposer silence à un certain bélitre nommé Antoine Cathelan
jadis cordelier en Albigeois : « Combien qu’aujourd’hui beaucoup de sottes bêtes se mêlent de brouiller le
papier tellement que tantôt les gens savants auront honte de faire imprimer, toutefois à grand’peine trouvera-t-
2
on qui surmonte un certain bélitre nommé Antoine Cathelan. »
contre la maison de Lorraine qui fut une des cibles privilégiées des attaques des réformés, d’abord par un jeu
sur un anagramme de leur nom, entre larron et Lorraine :
« Si vous voulez de vostre nom
Tost avoir certaines nouvelles,
Ostez uni de vostre nom
3
Et transportez les deux voyelles. »
contre le cardinal Charles de Lorraine :
« Si lors qu’Henry vivoit encor
Tu as, meschant, ravy tout l’or
Et tout le bien de France, en sorte
Que le peuple en estappauvry,
4
Ton nom tourné à bon droit porte
5
Que – Raclé as l’or de Henry. »
et encore:
« Cardinal de la ruïne
Tu es digne
D’avoir place au plus bas lieu
D’enfer ; car dès ta jeunesse
1
« Satyres Chrestiennes de la cuisine papale », Théodore de Bèze, 1560, [179] pages 45&46
2
Cité dans [188] pages 182-183
3
[197] page 20, un poème daté de 1559-1562
4
L’anagramme était alors un jeu très prisé –et complexe – dans les milieux savants du XVIe siècle.
5
[197] page 33, 1550-1560
6
[193] pages 117 à 124
48 La guerre des mots
1
[197] page 53, 1561
La guerre des mots 49
Et même contre la
royauté, même si cela se
développa surtout après
le massacre de la saint
Barthélemy: un sonnet
recueilli par l’Estoile et
peut-être d’Etienne
Pasquier , sur la mort du
roi Charles IX:
1
[194] page 104
50 La guerre des mots
Catherine de Médicis ne fut pas épargnée, elle l’italienne, elle l’étrangère, tel dans ce texte du « Réveille-
1
Matin des François » de 1574 ou on fait parler la paix :
« Mon père fut un diable des-guisé
Dessous l’habit d’un prestre supposé
Monstre fatal, composé de tout vice,
Trouble-repos, estable d’avarice,
Dont s’eschauffa celle noble putain,
Le sang infect des bougres d’Italie,
Qu’un pape au col des Valois attacha
Et dans le sein de nos roys la cacha,
Pour y nourrir la fammèche allumée
Dont France un jour fust toute consumée
Cause de maux semence de malheurs. »
Ou encore :
« La charogne de Catherine,
Sera différente en ce poinct :
2
Les chiens mesmes n’en voudront point. »
« Car la truye a de propre et tient cela de race,
De retourner au baing de sa première fange
…
Je vous laisse penser de quel naturel peuvent être ses
enfants,
3
Qui sont nourris de son lait et dressés de sa main. »
Mais au delà de l’écrit ou des bons mots, il fallait se défendre, et se défendre par les armes, voire conquérir
par la guerre qu’il fallait donc justifier. C’est le but de cette chanson de 1562, « Le chant de la guerre civile» :
1
[209], introduction
2
[209] page 34
3
« Le reveille-matin des François », Nicolas Barnaud, 1574, [209] page 127
La guerre des mots 51
Avec la guerre, ce n’était plus la défaite intellectuelle qui était recherchée, mais la destruction de l’autre. Il
fallait célébrer les victoires, et célébrer les défaites des ennemis. La mort du duc de Guise des mains de Jean
Poltrot de Méré, vue par les catholiques comme un assassinat, « le premier » assassinat politique dans un monde
qui n’était plus chevaleresque, et par les réformés comme l’acte d’un juste risquant sa vie pour la paix et pour
Dieu, a donné prétexte à une abondante production littéraire, et à moult chansons. On donne des extraits de deux
de ces chansons ci-dessous, la première, datée de 1564 et décrivant l’acte lui même:
« Durant que le Guisart gouvernait nostre France, Le Guisart s’escria en tombant de la selle :
Citadins d’Orléans vivoyent en grand’souffrance : Hélas ! je suis blessé au dessous de l’aiscelle.
Dieu suscita le vaillant de Méré Disant tout haut : O mauldits huguenots !
Qui le Guisart a massacré. Le monde n’a par vous que maux.
… …
Le Guisart est passé tout du long de la haye. Qui fit ceste chanson ? Un enfant de la ville
Poltot le devança, lui fest mortelle playe Faisant profession de suivre l’Evangile.
Et luy donne à ce verd galand, Au bout de l’an revisita le lieu
Dedans l’espaule bien avant. 2
Pour en rendre louange à Dieu. »
1
[197], pages 85-90 et [193],
2
[193] pages 257 à 259
52 La guerre des mots
[197] page 126, sur la mort du duc de Guise, tué par Jean Poltrot de Méré:
« Henry – Poltrot – les pervers
M’esleva – m’occit – me pleurent
L’orgueil – la honte – et les vers
1
Me nuit – me suit –me demeurent. »
Et sur ses funérailles, une longue chanson qui fut sans doute le modèle de celle de Marlborough:
1
à lire de haut en bas pour les trois registres
2
[193] pages 253 à 256
La guerre des mots 53
1
Ode sur la bataille de Saint-Gilles , écrite en 1562 :
1
Victoire réformée contre de Suze et le comte de Sommerive en septembre 1562, lors de la tentative faite de reprendre
Montpellier.
2
[193] pages 236 à 244
54 La guerre des mots
En l’honneur du prince de Condé (Louis 1er de Bourbon), un extrait de la « Chanson du Petit Homme et des
Cocus de Paris » :
1
[193], pages 250-253, datée de 1563
La guerre des mots 55
Si la mort du duc de Guise fut célébrée, son assassin fut néanmoins pris et subit les derniers supplices. Après
des tortures terribles pour essayer de le forcer à dénoncer le prince de Condé, il reçut le châtiment des régicides,
et fut écartelé ; le choix de ce supplice en dit long sur la hauteur à laquelle la maison de Lorraine était parvenue à
se placer, profitant de la faiblesse des derniers rejetons des Valois. La mort de Jean Poltrot de Méré fut célébrée
comme celle d’un nouveau martyr :
« Quand ce brave Poltrot, au supplice estendu, Un jour ne sera plus la France opiniastre :
Encourageoit sa chair à prendre patience, Lors elle te sera mère, et non plus marastre,
L’amour saint du pays fut alors entendu Te faisant vivre entier à la postérité.
En pitié consoler ainsi son innocence.
Hippolite revesquit, qui fut ainsi traité.
Mon cher enfant, par qui la paix retourne en France, Mais, sus, au ciel, mon fils, Dieu t’ouvre la barrière,
Qui n’as d’un si haut fait autre bien attendu, 1
Et voicy les chevaux pour fournir la carrière. »
En souffrant ce tourment contre ton espérance,
Le loyer t’en sera ès deux mondes rendu.
Le massacre de Wassy, en mars 1562, perpétré par François de Guise, allait lui aussi être considéré par le
camp réformé comme la preuve de la barbarie des catholiques :
1
1563, [197] page 143
2
[197] pages 63-70, 1562
56 La guerre des mots
1
[193] pages 392 à 397
La guerre des mots 57
Sur le massacre de la Saint Barthélemy, [193] pages 288 à 294, poème de Etienne de Maisonfleur :
Devant ces revers il fallait chercher courage dans la certitude de sa foi, il fallait susciter la volonté du
martyre :
Parmi les textes écrits à la suite de la saint Barthélemy, Le réveille-matin des François, et de leurs voisins
2
([209]), signé par « Eusèbe Philadelphe , cosmopolite », est sans doute le pamphlet le plus célèbre. Il se fait le
porteur à la fois d’une haine farouche contre les Valois, haine associée à Catherine de Médicis, celle qui est, pour
l’auteur, à l’origine de tous les maux de la France (voir plus loin quelques extraits), allant jusqu’à suggérer que
les Guise puissent réclamer la couronne de manière légitime comme descendants de Charlemagne. C’est aussi un
texte politique qui tend à mettre au-dessus des nations la communauté religieuse ; Eusèbe Philadelphe, bien
1
vers 1550, [193] page 359
2
Surnom attribué à Nicolas Barnaud
58 La guerre des mots
qu’écrivant pour les Français, se dit cosmopolite. Cela ne peut que conduire à justifier l’intervention étrangère
quand il s’agit de défendre les droits supérieurs de la religion par rapport à l’attachement à la patrie.
1
[193] pages 413&414
La guerre des mots 59
Sur les massacres de Cabrière et Mérindol, une chanson écrite vers 1545 et qui se chantait sur l’air de « O
combien est heureuse ! » :
…
Sont entrez dans Cabrière
Pour la prendre & piller ;
Femme, fille & chambrière
Pour forcer, violer ;
Et meurtrir les enfans
Qui n’avoient pas trois ans.
Enfin, on ne peut conclure sans mentionner le long martyrologue édité par Jean Crespin : Histoire des
martyrs persécutés et mis à mort pour la vérité de l’évangile ([60]), qui s’attache à mettre un nom à chaque tué,
et à décrire par le menu les circonstances de l’exécution. Ce n'est certes pas un livre à la gloire de la répression
catholique. Il dresse le catalogue des milliers de morts des guerres de religion du XVIe siècle, et réserve
quelques pages à l'histoire de l'exécution de Mérindol et de Cabrières.
60 La guerre des mots
Si les huguenots voulaient convaincre, expliquer, ce n’était pas le cas du camp catholique au début des
guerres de religion. Pour l’Eglise, il ne s’agissait pas de partager son savoir avec le peuple; cela procédait de la
même résistance que l’Eglise apportait à la diffusion des textes saints en français. Henri Estienne, dans
son Apologie pour Hérodote publiée en 1566, dénoncera « … qu’il n’y a pas trente ans, il se fallait autant
2
cacher pour lire une Bible traduite en langue vulgaire, comme on se cache pour faire de la fausse monnaie » .
3 4
Ainsi Artus Désiré, dans La singerie des huguenots, marmots et guenons … défend que :
« Dieu a donné …(à la) saincte église catholique …le vray $ens & intelligence de la $aincte e$criture … qui ne l’a voulu
communiquer à tout le monde, pour le me$pris & contemnement qu’on en eu$t faict. Mais $eulement aux venerables
docteurs & autres gens de $çavoir, qui ont faict profe$$ion és $ainctes e$critures, & de l’ouverture d’icelle, pour coupper &
di$tribuer le pain de ladicte e$criture au $imple peuple, qui le doit prendre & recevoir de leur main en toute humilité de
cœur, $ans $e formali$er ne enquerir, pourquoy, & comment les haults my$teres de Dieu $e peuvent faire, mais croire
fermement que tout ce qu’il luy e$t baillé par ladicte Eglise, e$t pour $on $alut & proufit. »
1
« Les quinze signes … », Artus Désiré, 1587, [185] page 6
2
[188] page 158
3
Singe à longue queue
4
« La singerie des huguenots … », Artus Désiré, 1574, [186]
5
Cité dans [61] page 397
La guerre des mots 61
Il ne fallait ainsi pas essayer de raisonner le peuple, de lui montrer la fausseté des arguments des réformés,
1
mais seulement condamner ceux-ci aux fagots , car ils persisteraient dans leur erreur comme le martèle Artus
Désiré encore:
« C’e$t vne cho$e toute prouuee, qu’ils ayment mieux e$lire la mort que $e convertir, tant $ont $uperbes & ambitieux, ce
qui les faicts tomber en eternelle damnation, faute d’humilité…”2
Mais il ne fallait pas seulement le réclamer, il fallait faire en sorte que cela soit mis en application, et la
« communication », si on peut utiliser un tel néologisme, fut un des éléments qui favorisa le déclenchement des
guerres de Religion et les massacres qui y furent commis.
A la fois le pouvoir et le peuple devaient mener la lutte, et toute une panoplie d’arguments, allant au-delà des
controverses théologiques, fut développée. Le pouvoir d’abord : la défense catholique allait associer le respect dû
à l’Eglise de Rome au respect dû au prince. Le refus de questionner les dogmes et le culte, était ainsi associé à
l’acceptation de la hiérarchie sociale et des privilèges et devoirs des différentes classes sociales dans la société et
entres elles. Le roi, les seigneurs, pour maintenir leur rang, pour pérenniser leur pouvoir, devaient s’associer à la
3
lutte contre la réforme, contre cette volonté de remettre en cause ce qui était le fondement de la société , ainsi
que pour s’assurer du soutien de l’Eglise dont leur pouvoir procède, et qui pouvait assurer la pérennité du
pouvoir monarchique en liant pour le peuple la religion et ce dernier :
« Leurs sermons ne leur servent, sinon pour appeler le Pape Antechrist, et les Cardinaux cuisiniers, et les
Prestres et Moines vermine et cafardz, et les Roys et Princes Bourreaux et tyrans du Pape, et de l’Antechrist : le
tout en présence de leurs seigneurs sans en estre punis, ny moins reprins. Et tout le peuple est instruict à vivre
en toute liberté de vie, sans aucunes œuvres. Et je te laisse penser quelle vie tient l’homme, qui est en sa liberté,
5
et sans craincte ny de Dieu, ny des hommes ».
1
Terme utilisé pour désigner les « buchers »
2
« La singerie des huguenots … », Artus Désiré, 1574, [186]
3
Et il faut reconnaître que les objectifs du parti huguenot dévièrent fréquemment vers la politique. On se remit à parler de
république, démocratie, …
4
« Les quinze signes … », Artus Désiré, 1587, [185] page 14
5
Antoine Cathelan, [182] page 16
62 La guerre des mots
ces corps saints enterré despuis longtemps il sortit de ausdicts princes, &en leur place faisant lieutenant de dieu,
ces blessures du sang très vermeil quoy que le corps les pauvres affligés de votre secte, qui sont la plus part de
fut entièrement desseché. pauvres moynes reniez, nonnains & prestres, et gens las de
3
leur condition. »
1
Ronsard, discours « Pour la monarchie de Royaume contre la Division », publié en 1563 – Cité par[61] pages 247-248
2
Gabriel de Saconay, 1573, [322]
3
« Response par le chevalier … », Nicolas de Villegagnon, 1561, [190] page 163
La guerre des mots 63
Artus Désiré et Antoine Cathelan à qui nous devons ces deux extraits, ne sont certes pas les hérauts souhaités
par le cardinal du Perron, mais même le grand Ronsard, du haut de sa renommée inégalée, entra avec tout son
talent dans la bataille. Il faut reconnaître qu’au début des troubles il avait été assez modéré, et prêchait plutôt
pour la conciliation et le pardon, mais après la massacre de Wassy qui déclencha une vague de violations de
sépultures dans sa province, il prit au propre et au figuré les armes pour défendre ses convictions. Il reproche en
particulier aux parlements leur laxisme:
« Si vous eussiez puny par le glaive trenchant
Le huguenot mutin, l’heretique meschant,
Le peuple fust en paix ; mais votre connivence
A perdu la justice et l’empire de France »
puis exhorte les princes à combattre les hérétiques pour sauver la France:
« N’espargnez vostre sang, vos bien ny vostre vie :
Heureux celuy qui meurt pour garder sa patrie !...
Que chacun à la mort fortement s’abandonne,
Et de ce jeune Roy redressez la couronne !
Redonnez-luy le sceptre, et d’un bras indonté
1
Combatez pour la France et pour sa liberté ».
« J’ai vu une fois brûler sur les grils quatre ou cinq seigneurs importants (et je crois même qu’il y avait deux
ou trois autres paires de grils où d’autres brûlaient). Comme ils poussaient de grands cris et qu’ils faisaient
pitié au capitaine, ou bien qu’ils l’empêchaient de dormir, celui-ci ordonna de les noyer ; et l’alguazil, qui
était pire que le bourreau qui les brûlait (et je sais comment il s’appelait ; j’ai même connu sa famille à
Séville), n’a pas voulu les noyer ; il leur a d’abord mis de ses propres mains des morceaux de bois dans la
bouche pour qu’ils ne fassent plus de bruit, puis il a attisé le feu pour qu’ils rôtissent lentement, comme il le
voulait. J’ai vu tout ce que j’ai dit plus haut et bien d’autres choses, innombrables. Tous ceux qui pouvaient
fuir se réfugiaient dans les forêts et grimpaient dans les montagnes pour échapper à des hommes aussi
inhumains, à des bêtes aussi impitoyables et aussi féroces, à ces destructeurs et ennemis suprêmes du lignage
humain. »
Bartholomé de Las Casas, 1552 ([198] page 56)
1
[61] page 53
64 La guerre des mots
Tout prétexte était bon pour « démontrer » l’esprit subversif des adeptes de la nouvelle religion : la non
reconnaissance de la rédemption apportée par le baptême, crime impardonnable, expliquait que celui qui le
commettait était prêt à tout: « .. je te laisse maintenant penser si telle vermine fera conscience de tuer soit leur
propre père, ou autres, de desrober, de faire faux tesmoignage, d’affronter, de voler, d’empoisonner, de
1
paillarder en quelque degré que ce soit, ou de faire une mutination et rébellion à ses seigneurs… »
« Et pource nostre devoir est de prier Dieu, qui luy plaise donner la paix et union entre les princes
Chrestiens, à fin de mettre chacun en son païs tel ordre, que telles assemblées, et congrégations secrettes de telz
Libertins (ennemis de toute Seigneurie et Echonomie), soit abatues : et puis tous ensemble mettre à feu et à sang
3
telle secte de Bannis, et pleins de tous vices, à l’honneur de Dieu et triumphe de son Eglise. Amen ».
Dans cette dernière citation, on voit poindre les prémices, dès 1552, de l’internationalisation des conflits, ce
qui allait conduire à des jeux politiques qui seront, in fine, bien plus dangereux pour le royaume que les vagues
iconoclastes.
Il est intéressant de remarquer que certains reprochaient aux réformés, après les exactions dont ils avaient été
victimes suite aux décisions de la Sorbonne, de vouloir se venger, voire de se défendre :
« O enfans desvoiez ! ou est cest Evangile,
Qui commande ou permet qu’on meurdrisse ou qu’on pille ?
Mais où ? en quel’Epistre a vostre Paul permis
De saccager son frere, et tuer ses amis ? …
Vous tuez qui vous tue : ainsi faisoit l’Ethnique
Dont Jesuschrist reprint l’impieté inique :
En ce vous declarez trop lourds réformateurs,
Qaund punissez le mal duquel estes autheurs… ;
Il n’y a rien de Dieu en telles entreprises,
En telz assassinatz, et en telles surprises
Des villes et chasteaux du domaine du Roy,
4
Et le vray heritage et de luy et de moy. »
1
« Le passevent parisien … », Antoine Cathelan, 1556, [182] pages 42-43
2
Laurent Desmons, cité par [61] page 244
3
« Le passevent parisien … », Antoine Cathelan, 1556, [182], conclusion, page 93
4
« Pleinte et prière de la France à Dieu .. », 1563, par Gemin Theobule Luc, cité dans [61] page 237
La guerre des mots 65
On voit ainsi, en ces périodes de crise économique, l’utilisation de « l’autre » comme cause, et donc la
justification naturelle des politiques répressives.
Si les règles de la vie sociale n’étaient plus respectées, cela ne pouvait que conduire à l’anarchie, à la
destruction des ressources de la France. En ce sens les huguenots étaient les vrais responsables de la destruction
des récoltes, de la cherté de la vie :
« Car la loy de Dieu (comme dict auons) n’apporte iamais que paix, amour & vnion entre les vns les autres, & ne
commande de prendre les armes contre $on prince & son prochain, ne tuer, piller, ne de$rober les cheuaux des poures
laboureurs, qui $ont contraincts de quicter leur labeur pour euiter voz cruautez & per$ecutions, ce qui nous cau$e vne
charté de pain & vin par tout le Royaume de France…”1
« Tels sont juments, qui pourrissent en leur fiente, chevaux & mulets, auxquels n’y a d’entendement : ce sont
pourceaux retournans à la fange, & chiens revenants à leur vomissement : qui a lors qu’ils se disent sages, sont
4
faits fols, aveugles, & conducteurs d’aveugles : car leur concupiscence & malice les aveugle … » .
1
« La singerie des huguenots … », Artus Désiré, 1574, [186]
2
Sur la façon d’élire les ministre de la parole de Dieu, « Le passevent parisien … », Antoine Cathelan, 1556, [182] page 70
3
[182] page 72
4
« La marmite renversée…. », 1572, Thomas Beaux-Amis, [177] page 6
66 La guerre des mots
Gabriel de Saconay, chanoine-comte de Lyon, a développé cette animalisation dans plusieurs de ses
ouvrages, en particulier dans la Généalogie et la fin des Huhgunaux… ([322]), où il explique en particulier les
rasions pour lesquelles il est légitime de considérer les huguenaux comme étant des bêtes,
« …Parquoy lon peut dire avec l’Apostre (l’exposant selon la lettre) que n’avez eu à combatre avec le sang
& la chair, à savoir avec hommes mortels, mais à l’encontre des principautez & puissances, avec les
gouverneurs & princes de ce monde (comme les nomme Jesus Christ) contre les malices spirituelles qui sont és
lieux celestes, lesquelles (ainsi que se discours demonstre) se sont comme bestes des champs, jouees, dit Job, en
votre royaume, & y ont fait ces beaux mesnages . .. ce n’est par aucune moquerie, ains je demopnstre que
j’ensuis Jesus Christ, qui appella le roy Herodes regnard, & les faux prophetes tels les heretiques, loups
ravissans, qui se revestent de la peau de brebis & pourceaux, & generation de viperes, … ».
Un peu plus loin, il assène cette « vérité » qu’une « …bonne guerre est beaucoup meilleur & plus desirable
qu’une paix impie… ».
Enfin, il s’étend spécifiquement sur les raisons pour lesquelles l’analogie entre les «Guenaux » et les
« guenons » justifie de les représenter sous la forme de singes, comme dans la gravure ci-après extraite de ce
livre, ou comme cela sera fait de manière systématique dans le Carmen de tristibus Galiae ([321]) :
« ... Les autres disent, que Huguenaux sont appellez pour estre singes & imitateurs de Jehan Hus, qui fut
bruslé au concile de Constance : car le nom de singe signifie aussi imitateur, si que les Latins appellent un
singe, celuy qui imite les autres… Quoy que ce soit, transmuant une seule lettre nous dirons Huguenau, estre un
guenau & un singe. Le François heretique a pris ce nom, pour s’estre plus tost transformé en singe & guenon
qu’en autre beste, suyuant un certain naturel d’aucuns François, qui se rendent asses souvent imitateurs des
nations estrangeres és meurs, gestes, & habillemens : qui est le propre du singe, comme nous dirons. »
La guerre des mots 67
Cette déshumanisation permettait d’enlever le peu de scrupules qu’avait l’homme du XVIe siècle devant les
exécutions, mais il fallait aussi pousser à l’acte. Il fallait que les réformés deviennent les ennemis du peuple, et
qu’on lui donne de bonnes raisons pour se faire justice. Un des premiers moyens fut de susciter le dégoût (ou
l’envie) en dépeignant ces puritains dans l’âme comme d’impudiques paillards passant leur temps à forniquer, à
boire et à manger, quand les bons chrétiens font abstinence ou carême :
« Il est bien vray, qu’en mariage chacun ha une femme publiquement : mais en secret, qui en peult avoir,
1
qu’il en preigne. »
« L’église nouvelle ne veut endurer les jeunes, & discretion de viande reçue par commune tradition entre les
enfants de Dieu. Les Israélites regrettaient les marmittes d’Egypte, pleines de chair, pour être assis dessus, & en
manger leur saoul, comme porcs, & bêtes ravissantes : l’église nouvelle regrette la liberté de manger de toutes
viandes, à ceux qui ne reçoivent préceptes ou commandements, qui ne veulent mortifier leur chair, mais vivre
2
comme Epicuriens, & gens qui n’ont espérance hors de ce monde. »
« A savoir ne permettent-ils pas contre la parole expresse, de même crédit que les anciens Juifs, que
l’homme répudie sa femme, & elle vivante en prenne une autre, & même que l’homme quelque temps privé de la
présence de son épouse, ou pour cause de maladie, ou de voyage, s’il se sent assailli des pointures charnelles,
3
puissse s’escouler au préjudice de sa promesse ? »
Le vice moral entraînait naturellement la délinquance civile, les huguenots devenaient des accapareurs et des
voleurs des biens, des femmes, des filles, et les responsables des malheurs du pauvre peuple,
« Pasquin : Et tu m’as dit au paravent, qu’ilz ont une bourse pour les pauvres, de laquelle j’ay ouy dire
qu’ilz marient des pauvres filles, et remontent ceux qui par les fortunes de ce monde ont estez privez de leurs
biens.
1
« Le passevent parisien … », Antoine Cathelan, 1556, [182] page 2
2
« La marmite renversée…. », 1572, Thomas Beaux-Amis, [177] page 5
3
« La marmite renversée…. », 1572, Thomas Beaux-Amis, [177] page 13
4
Ronsard, cité dans [61] pages 408-409
La guerre des mots 69
Passevent : L’on dit bien vray : que de loing païs grosse mensonge. Ilz donnent bien à entendre aux gens du
pays, qu’ilz l’ont ordonnée pour cela, mais je t’ay jà dict que tout se faict par le vouloir de Calvin, car ses frères
et seurs en sont enrichiz, et aux autres, s’il leur est donné trois gros du païs, qui sont trois carolus de monnoye
de France, chacune sepmaine, c’est tout, et si c’est quelque pauvre personnage, combien qu’il soit homme de
bien, s’il ne plaist à Calvin, il fault qu’il abandonne le pays, ou bien il sera tenu de Calvin, et de tous ses
1
compaignons comme excommunié et séparé d’eux, et de leur Eglise ».
« Car qui considérera le progré des troubles suscités par cette assemblée libertine, ne verra il pas les
cruautés exercées contre le peuple, les ravissements & pilleries, & que plusieurs par crainte de perdre leurs
2
biens se voyant comme brisés & cassés, ont suivi ces dieux étranges, ont fléchi le genou devant Baal. » ;
et Ronsard encore,
« Et quoy ? brusler maisons, piller et brigander,
Tuer, assassiner, par force commander,
N’obéir plus aux Rois, ammasser des armées,
3
Appelez-vous cela Eglises reformées ? »
tandis que les « ministres » de Genève se goinfraient et vivaient sur le dos des pauvres :
1
« Le passevent parisien … », Antoine Cathelan, 1556, [182] page 16
2
« La marmite renversée…. », 1572, Thomas Beaux-Amis, [177] page 7
3
[61] page 48
4
« Le passevent parisien … », Antoine Cathelan, 1556, [182] pages 19/20
70 La guerre des mots
Pour faire face à la dureté de la vie, le peuple avait besoin d’espoir et de communions – comme il avait eu
besoin du purgatoire pour être libéré du risque de la damnation éternelle – et l’église se chargeait de lui en
donner par l’intermédiaire de cérémonies traditionnelles prétextes à de grandes communions collectives, par
l’intercession des saints qui étaient « spécialisés » par métiers ou confréries et qui les aidaient dans leur vie
terrestre, qui plaideraient pour eux plus tard au moment du jugement dernier. Attaquer ces croyances, c’était
aussi, quelque part, désespérer le pécheur, détruire les symboles qui y étaient attachés, risquer de faire perdre la
bienveillance de ceux qui avaient gagnés une place auprès de Dieu. Il fallait donc choquer le peuple dans ses
convictions et traditions profondes en montant en exergue la lutte des réformés contre les traditions, la religion
des pères, les manifestations qui entraînaient les foules,
« Ilz font autant de cas des
églises, que des autres
bastimens, c’est bien assez
qu’ilz aient pour le plus deux
églises aux villes, et de toutes
les autres ilz en font des
estables, greniers, boucheries,
ou autres choses plus viles. Et
les images de bois ont esté
mises au feu, et celles de
pierres en édifices : et le
demeurant ou elles sont
égraffinées, ou sans teste. Et
les édifices des églises s’en
vont petit à petit au bas, et en
ruine, car ilz disent que
l’Eglise de Dieu sont les
fidèles : et pource si les
Destruction de la collégiale Saint-Just et de l'église Saint-Irénée. Les calvinistes sont l’une après l’autre, c’est tout
représentés en singes ; au premier plan, deux hommes frappent sur les cloches parmi un, pourveu que les Seigneurs
les ruines de la collégiale ; à l'arrière-plan, un homme détruit une colonne et un autre 1
tirent les revenuz , et que les
une châsse parmi les ruines de Saint-Irénée. Extrait de la légende ajoutée : '...mais paillards de leur Eglise soient
par un espèce de miracle la plus grosse de ces cloches ne peut être brisée quelque 2
paiés de leurs pensions. »
effort qu'on fit pour cela...'
1
Référence à l’aliénation des revenus ecclésiastiques au bénéfice des seigneurs ; Artus Désiré s’en plaint amèrement dans
tous ses ouvrages… il n’en a pas bénéficié.
2
« Le passevent parisien … », Antoine Cathelan, 1556, [182] page 28
La guerre des mots 71
Et Dieu ne pouvait pas supporter ces blasphèmes, et comme dans l’Ancien testament, il fallait craindre qu’il
n’y mette un terme violent et définitif. La perte du support de Dieu et des saints dans la vie de tous les jours, tout
1
annonçait la fin du monde , et on en lisait les signes dans les phénomènes naturels:
1
On pourra ici relever que si fin du monde il aurait dû avoir, ce n’étaient pas les actions de l’homme qui auraient pu y
mettre un terme ou y apporter un sursis.
2
« Les quinze signes … », Artus Désiré, 1587, [185]
72 La guerre des mots
1
Le même Artus Désiré énumère les signes annoncés de la fin du monde :
« Gardés (dit-il) que ne $oyez $eduicts : « Or puis dix ans quelle pe$te terrible
Car plu$ieurs gens de dammable renom A il couru par les villes & bourgs,
En ce temps la $eront $i mal induicts, N’a on pas veu un danger $i horrible
Qu’ilz corrompront tout mon divin canon » Qu’on delai$$oit les citez & faulsbourgs. »
« Qu’au derniers iours le peuple mecanique « Les vivres y $ont $i tre$chers & requis,
S’esleuera par un faux contredict Qu’à bien grand peine trouuer blé en nul lieu,
L’un contre l’autre, à l’e$pée & à picque, Nous denotant par cé grand $igne exquis
Gent contre gent, malheureu$e & ru$tique, Qu’en bref aurons le iugement de Dieu. »
Lors s’armera de haubert le heaume,
Et le royaume encontre le royaume
S’esleuera en debatz & contens,
Ainsi on pouvait démontrer que ce n’étaient que des personnes de mauvaise vie qui adhéraient à la nouvelle
2
religion, thème que l’on retrouvera aussi dans les mémoires de Claude Haton comme dans l’extrait ci-dessous
du « Passevent parisien »:
« Ilz sont la pluspart religieux et religieuses, simoniacles, et prestres, contrevenant à leur profession et vœu,
et autres luxurieux, gourmands, ambitieux, avaricieux, et bancquerotiers, faussaires, patricides, et murtriers et
gens vicieux, pour plus amplement et libéralement pouvoir accomplir leur concupiscence charnelle, et mauvais
3
vouloir . »
« Leur plaisir est assis à brusler et destruire
Les temples du grand Dieu, et se moquer et rire
Des reliques des saincts, pillées, embrasées ,
Des autels profanez, et Eglises rasées…
C’estoit peu tout cecy, si, vendants leur patrie,
Ils n’avoient declaré leur grand rage et furie
En vendant aux Anglois les ports et forteresses…
Et vous voulez la paix avec un tel voleur,
4
Et vous voulez l’accord avec l’assassineur ! »
1
« Les quinze signes … », Artus Désiré, 1587, [185]
2
Voir plus haut en 3.2.1
3
« Le passevent parisien … », Antoine Cathelan, 1556, [182] page 90
4
« Remonstrance aux princes françoys de ne faire point la paix avec les mutins et rebelles », de F. de Belleforest, publié en
1567.
La guerre des mots 73
Il fallait aussi trouver des boucs émissaires, comme l’avaient fait les réformés avec la papauté et le clergé,
pour personnaliser les attaques, pour démontrer que les troubles avaient été suscités par quelques individus et
n’étaient pas une réalité inéluctable, qu’il suffisait de se débarrasser de ces employés du diable pour retrouver la
1
paix et la prospérité . Calvin au premier rang, et ce jusqu’après sa mort comme on le verra dans le livre de
2
Bolsec La vie de Calvin ([196]) en 1582 qui reprend les calomnies qui avaient été publiées dès 1554 par
Antoine Cathelan dans le « Passevent parisien » ([182]),
« Et je te respons, que l’on parle bien d’un brigand, ou d’une putain publique, combien qu’ilz sont très bien
congneuz et renommez parmy le monde »
1
Il est intéressant de citer ici Prosper Tarbé, publiant un recueil de poésies calvinistes en 1866 ([197]), terminant son
introduction par « Les sociétés modernes, pas plus que n’ont pu le faire celles qui les ont précédées, n’arriveront au
bonheur, à l’ordre et à la liberté, tant qu’elles n’auront pas écrit sur leur bannière religieuse : - Obéissance aux
commandements de Dieu ; - sur leur bannière politique : - Place au droit pour chacun et pour tous ; - tant que les peuples
auront d’autre cri que ces deux mots : - Dieu et la loi. ». Il n’est pas nécessaire de préciser le camps pour lequel cet auteur
développe ses sympathies dans cet ouvrage partisan, mais cette permanence de l’argumentation pourra être relevée dans des
périodes encore plus récentes. Comme le dit Prosper Tarbé, les sociétés ont du mal à apprendre de leur histoire.
2
Troisième édition en 1556
74 La guerre des mots
Ou quand Antoine Cathelan soutient que Calvin a fait se marier une nonnain qu’il avait engrossée avec un
ancien prêtre, et qu’il profita des quinze jours entre l’annonce du mariage et le mariage lui-même pour continuer
à l’honorer : « … Et je te laisse penser comment Calvin repliquoit en grande diligence la leçon à la dame
Nonnain, veu qu’il n’avoit que quinze jours de terme, ou environ, pour accomplir sa volupté effrénée. »
Viret est accusé lui de tirer profit du bordel qui serait tenu par la « Belle Marguerite » à Lauzanne : « Et si
quelque bon personnage en parle à Viret, le grand paillard de l’église de Lausanne, luy respond qu’elle a laissé
son mary comme Papiste et idolâtre, pour venir à l’Evangile de Jésuschrist, qui est venu pour les pauvres
pécheurs, et non pas pour les justes. Et je t ‘assure que si Viret n’y sentoit prouffit, bien tost la ville d’elle, et de
1
ses compaignes en seroit nettoiée. »
Et ensuite Théodore de Bèze que peu égalaient et qui ne pouvait être attaqué que par l’injure. On rabâchera
sans cesse ses vers imprudents de jeunesse qu’il avait réunis dans ses Juvenilia :
1
« Le passevent parisien … », Antoine Cathelan, 1556, [182] page 31
La guerre des mots 75
« Luy est estimé de tous les frères Evangéliques sainct, et au pris ou comparaison de la vie des autres, et je te
laisse juger leur saincteté, si ce misérable, pour couvrir l’honneur de son amy Bèze et compaignon au butin, qui
avoit engrossie sa pauvre chambrière, et Viret la fit enfanter à son logis, et perdre la créature sans baptesme, et
quant et quant la renvoya hors de Lausanne, et illec fut mariée, sans plus retourner à la ville, à fin de ne parler
1
du faict, ou de donner occasion d’en parler aux gens. »
« Et Calvin fit le mariage jà de long temps consommé entre Bèze adultère, et Candide putain publique, qui
maintenant se faict appeler Dame Claude, bien puante émusquée, qui se vante que si son amy d’Oscula estoit en
2
la Papisterie, il seroit Evesque, et elle tousjours Putain. »
Si les cibles huguenotes peuvent paraître évidentes, les modérés, et en particulier le chancelier de l’Hospital,
devaient faire l’objet d’attaques personnelles vives ; Etienne Jodelle écrivit une pièce en vers contre lui après la
« surprise de Meaux » en 1567 dans laquelle il appelle au meurtre :
1
« Le passevent parisien … », Antoine Cathelan, 1556, [182]
2
« Le passevent parisien … », Antoine Cathelan, 1556, [182]
3
Ronsard, cité dans [61] page 406, « Continuation du discours des misères de ce temps à la mesme royne », publié en 1564
(voir aussi [218] page 27)
76 La guerre des mots
Ces écrits injurieux, où la bêtise se dispute la première place avec le cynisme, donnaient aussi la possibilité
de lancer des attaques plus personnelles ou sur d’autres sujets que la Réforme. Artus Désiré s’en était fait un
habitué en mettant sur la place publique son mépris des femmes, et sa frustration de ne pas appartenir aux cercles
récompensés par le pouvoir :
« Plorez mes Dames de la Court
Vo$tre grand’$uperfluité,
En ce malheureux temps qui court
Plorez vo$tre mondanité,
De vos $ouffletz de vanité
Vous auez allumé ce feu
Pour donner à voz plaisirs lieu,
Et prins par vne ambition
L’habit de l’homme, ce que Dieu
Ha en abomination »
et sans doute de pas pouvoir laisser libre court à ses pulsions sexuelles ; on ne compte plus en effet les
attaques contre la paillardise supposée des calvinistes dans ses ouvrages, et dans la conclusion de son ouvrage
3
Les disputes de Guillot le Porcher… , il laisse transparaitre le fond de sa pensée quand il énumère les
« désolations apportées par la Réforme » :
1
Si le nom de Jodelle aujourd’hui est complétement oublié, sauf de quelques lettrés, la statue de Michel de l’Hospital trône
toujours devant l’assemblée nationale à Paris.
2
Etienne Jodelle, cité dans [61] pages 274-276
3
« Les disputes de Guillot le porche… », Artus Désiré, 1559, [184]
La guerre des mots 77
Malgré le soutien apporté par l’Eglise et la noblesse catholique à ces écrits polémiques, certains néanmoins
voulaient rentrer dans la controverse dans un but de convaincre, avec l’espoir d’une critique productive, mais
souvent avec un talent bien moindre que celui des docteurs de Genève. Nicolas Durand de Villegagnon, celui de
la France Antarctique, fut un de ceux-là à son retour du Brésil. Mais ses velléités d’en découdre avec Calvin lui
même furent sans suite, et personne ne répondit à sa proposition de venir débattre du sujet de l’Eucharistie dans
1
l’église de Saint-Jean-de-Latran , paroisse des chevaliers de Malte à Paris :
« Il m’a semblé qu’à peu de frais, cette œuvre se pourra achever, s’il veut amener avec lui deux hommes de
sa secte, et moi deux de ma religion, et que nous en ayons deux de l’église germanique, auxquels soit toute la
puissance de juger de notre différent, et pour le nombre impair, soit adjoint le magistrat ou le prince qui nous
donnera le lieu et saufconduit : sur cette offre et sommations j’attends votre réponse à Paris à Saint-Jean-de-
2
Latran, l’espace de quarante jours. Ecrit le de treizième juillet 1560. »
C’est d’ailleurs l’Eucharistie qui semble avoir accaparé toutes les velléités de controverse de Villegagnon,
c’est le sujet principal de son ouvrage déjà cité ([190]), ainsi que celui des quelques trois cents pages de
ses Propositions contentieuses.. ([189]) ; la question de savoir si pendant la Cène l’hostie et le vin se
transformaient réellement en le corps et le sang du Christ, ou symboliquement, sera le grand sujet : « «En outre,
il est tout certain que les dernières et solennelles Pâques, devaient être celles, que les Pâques Mosaïques
1
Elle a été détruite au XIXe siècle ; il subsiste une tour.
2
« Propositions contentieuses … », Nicolas Durand de Villegagnon, 1562, [189], pages 30&31
78 La guerre des mots
avaient figuré, à savoir que notre Seigneur devait être offert, mangé et mis à mort, pour notre passage du
royaume du diable, à celui de Dieu éternel, ainsi que l’agneau mosaïque était offert, immolé et mangé pour le
1
passage d’Egypte en la terre promise, avant d’y arriver » . L’argumentation, au-delà des appels aux Saints et
aux pères de l’église qui ont interprétés de manière définitive le texte, se réfère aussi à la nature, et à une analyse
grammaticale très précise des textes issus de traductions que l’on ne peut assurer de parfaites : « Avant que de
répondre à cette objection, je dirai une chose en quoi pèchent les Calvins : Ils nous dussent prouver que leur
doctrine soit vraie, bonne et salutaire, pour nous y attirer, avant que d’impugner la notre : car si la leur n’est
2
bonne que par la ruine de la notre, elle sera religion de ruine, non d’édification » , et « Cependant oyons les
paroles de Dieu lors de la Cène, vérité de la Mosaïque : Et ayant pris le breuvage, après l’avoir bénit, leur
donna disant, buvez-en tous, il est mon sang du nouveau testament, lequel est répandu pour la rémission des
péchés. Il n’y a selon les paroles aucune différence entre ce qui est répandu pour la rémission des péchés, et
entre ce qui est fut béni, et donné à boire : car le relatif, qui s’y rapporte, et non à autre nécessairement, selon la
règle, et raison de notre langue : si donc le breuvage est figure, il faut que le répandu pour la rémission, soit
3
aussi figure : au contraire, si le répandu est la vérité du sang, aussi sera le breuvage. » .
Il est aussi notable que l’un des arguments utilisés pour démontrer l’erreur dans laquelle se complaisaient les
réformés était qu’il y avait plusieurs courants de pensée qui se développaient à la même époque, et qui, plus ou
moins, cohabitaient ; cette pluralité d’opinions était inacceptable pour les catholiques, et preuve de l’œuvre du
diable :
« Pour mettre fin à mon dire pour le présent avec toy : qu’ilz ont régné quelque temps, je n’appelle pas
régné, un qui est toujours en guerre en soymesmes, comme sont telle canaille, les uns Anabaptistes, les autres
Suinglistes, les autres Luthériens, les autres mélanthonistes, les autres Calvinistes et les autres Zébédéistes : les
autres Libertins, et la plupart de tous Athéistes et sans Dieu, comme se voit au vivre commun du monde, que
1
« Propositions contentieuses … », Nicolas Durand de Villegagnon, 1562, [189] page 41
2
« Propositions contentieuses … », Nicolas Durand de Villegagnon, 1562, [189] page 52
3
« Propositions contentieuses … », Nicolas Durand de Villegagnon, 1562, [189] page 66
4
Ronsard, cité dans [61] page 398, « Remonstrance au peuple de France», publié en 1564 (voir aussi [218] page 57)
La guerre des mots 79
depuis que telle brigandaille s’est levée, les espritz se sont addonnez à faire faulses monnoies, rongner icelles,
1
faire sacrilèges, et affrontements…. ».
Cette défense de l’orthodoxie catholique, si elle doit entre érudits utiliser le texte et les interprétations qui en
ont été faites par tous les sages, saints et docteurs, doit utiliser quand elle s’adresse au peuple des raisonnements
plus simples, et, alors comme aujourd’hui, le recours au bon sens, plutôt à l’aspect « naturel » des choses est
l’arme utilisée pour démontrer la fausseté des idées de l’autre. Artus Désiré l’utilise jusque dans le titre de son
ouvrage La singerie …de raison naturelle déjà cité plus haut. Mais c’est une constante dans son œuvre. Sur la
vénération des reliques par exemple, dans Le defensaire de la foy chrestienne, avec le miroer des francs taupins
autrement nommez Luthériens ([183]) :
« Que $i c’e$toit abu$ion & faincte,
De venerer le corps d’vn $ainct ou $aincte,
Dieu n’auroit point $i long temps enduré,
Que le deffault eu$t iu$q’icy duré.
Car certain e$t qu’a noz defunctz parens,
Eu$t demon$tré par $ignes apparens,
Que l’on eu$t faict contre $a volonté :
Donc croire fault pour $eure verité,
Qu’il à voulu & veult que les Chre$tiens
Portent honneur, & reverence aux $iens. »
Un raisonnement du même registre est appliqué pour démontrer que l’église catholique est « naturelle » car
elle compte beaucoup plus de vieilles et belles « pierres » que la « dérision huguenote » :
« Au re$te, nous requerons qu’ayez à mon$trer les ve$tiges & remarques des Temples & Eglises que voz predece$$eurs
heretiques vous ont ediffiees & ba$ties, & les lieux et places où ils ont exercé vo$tre damnee derri$ion, ce que ne $çauriez
en iour de vo$tre vie, qui e$t vn argument inuincible contre vous, au contraire de nous, qui auons vne infinité de grans
1
« Le passevent parisien … », Antoine Cathelan, 1556, [182] pages 92-93
2
Ronsard, cité dans [61] page 394, « Continuation du discours des misères de ce temps à la mesme royne », publié en 1564
(voir aussi [218] page 27)
80 La guerre des mots
liuvres de pierre, c’e$t à dire de belles Eglises, que voz peres & les no$tres, nous ont imprimez et ba$ties, par toute
l’vniuer$elle chre$tienté, & cho$e trop plus que $uffi$ante pour vous condamner & damner, par $entence & arre$t de ladicte
rais$on naturelle d’en voir tant de Cathedrales, Collegialles, Abbatialles, Parrochialles, et tant de beaux Monana$teres &
Conuens, que vous ne $çauriez que dire ne re$pondre à cela … autrement faudroit dire, que no$tre Seigneur auroit e$té
immi$ericordieux à $on peuple, & le $ainct E$prit endormy en $on Eglise iu$ques à ce ioud’huy… »1.
« On a raison de dire qu’ils ont toujours remis à plus tard Ne soyons pas surpris de ces
d’appliquer effectivement les dispositions et les raisonnements de cours d’école primaire, et ne
ordonnances relatives à la conversion et au salut de ces faisons pas non plus l’erreur de considérer le
populations, tout en feignant en paroles, en prétendant ou en pauvre Artus Désiré comme dénué de toute
dissimulant autre chose. Ils ont imaginé, ordonné (et cela a intelligence ; il fallait imprimer ces livres, et le
été fait) de sommer les Indiens d’adopter la foi et de rendre coût en était élevé, il fallait donc qu’ils
obéissance aux rois de Castille. Faute de quoi ils leur connussent le succès dans la population qui
feraient la guerre à feu et à sang, ils les tueraient, les pouvait les acheter. Il faut y voir sans doute la
mettraient en captivité, etc. … Ils ont exigé que les Indiens volonté réelle d’appauvrir le discours, de
adoptent notre foi sans prédication ni doctrine, qu’ils se revenir à des notions simples auxquelles on
soumettent à un roi qu’ils n’ont jamais vu ni entendu et dont peut adhérer sans effort. On retrouve ce
les sujets et les envoyés sont des tyrans si cruels, si procédé dans les discours discriminants,
impitoyables et si horribles.» chaque fois qu’il a fallu trouver des porte-
Encart 2-8 : Bartholomé de Las Casas ([198] page 70) paroles pour attiser la haine de l’autre.
Mais les appels à la guerre, aux exécutions sauvages, aux bûchers, tout cela pouvait choquer, voire faire
s’interroger une partie des lettrés ; n’oublions pas que c’est en 1552 que Bartolomé de Las Casas publie son
réquisitoire contre les exactions espagnoles en Amérique. Il fallait donner une légitimité à ces actes, elle sera
recherchée dans l’écriture elle-même, comme on peut le lire sous la plume de Thomas beaux-Amis dans La
marmite renversée …
« … Dieu premièrement use de grâce envers les malins, & sitôt ne permet que la vengeance en soit faite,
jusqu’à ce que la pourriture & dureté de leur cœur soit connue à tous : & lors a ce qu’il sauve le reste, il
exécute un témoignage de sa grande & inévitable justice. …D’autant qu’en cette dernière fureur ce ne lui est
assez que les suppôts de cette secte soient exterminés, mais il veut que toute la mémoire, toute l’impiété qu’ils
2
auront bâtie & dressée soit mise au feu : condamnée à la peine éternelle. »
1
« La singerie des huguenots … », Artus Désiré, 1574, [186]
2
« La marmite renversée…. », 1572, Thomas Beaux-Amis, [177] page 22
La guerre des mots 81
« … ne qu’ilz convertissent le monde par placquaurs, tant de jour que de nuict, et par tous autres moiens
illicites, tant contre Dieu, que contre son Eglise, et contre toute l’obéissance des seigneurs : ne se souciant que
2
d’estre les plus forts par quelque moien que se soit. »
« … Ils se sont garnis d’armes, ligués par ensemble, mis en campagne : & ainsi ayant allumé les gros os, les
principaux chefs de leurs trouppes, ont échauffé leur marmitte pour commander par force, puis que la raison &
3
vérité ne les pouvaient deffendre. »
« Toute leur gloire était de coupper les oreilles des prêtres, de sorte que plusieurs en faisait des carquants à
leur col, comme pensant recevoir une grande gloire de telles inhumanités. Ils leur couppaient la nature, la
faisaient rôtir, & l’apprêtaient en viande au pauvre homme tirant à la fin, & avec baillons lui mettaient en la
bouche. En d’autres lieux ils enfouissaient tous vifs les catholiques, tranchaient les enfants en deux, fendaient le
4
ventre aux prêtres & en tiraient le cœur hors et le brûlaient…. »
Dans cette dernière citation on retrouve, attribués aux huguenots, ce que les témoignages rapportent des
pratiques catholiques : expiation refoulée, ou tentative de conditionnement des foules pour qu’elles se vengent de
la même manière ?
1
Ronsard, cité par [61], page 565
2
« Le passevent parisien … », Antoine Cathelan, 1556, [182]
3
« La marmite renversée…. », 1572, Thomas Beaux-Amis, [177] page 10
4
« La marmite renversée…. », 1572, Thomas Beaux-Amis, [177] pages 16&17
82 La guerre des mots
Cette violence atteignit son apogée lors des événements de la Saint Barthélemy. On retrouvera Etienne
Jodelle auteur de trois sonnets diffamatoires sur Gaspard de Coligny placardés en divers lieux de Paris à la fin
août sous le titre de l’ Advertissement du peuple de Paris, Aux passants :
Tousjours entretenir les Princes en querelle, D’un visage fardé courtizer l’ennemy,
Parler des maux passez, et de Dieu sobrement, Abuzer ettrahir couvertement l’amy,
Chasser l’homme de bien, recevoir cherement C’estoit d’un Amiral la fiere outre-cuidance ».
L’imposture et
l’erreur d’une troupe rebelle ;
Le deuxième sonnet énumère une série de griefs analogues contre le parti protestant,
Et aussi Jean-Antoine de Baïf qui entonne un chant de victoire, et loue Catherine de Médicis pour le succès
de la journée :
« Dieu s’est levé comme un tonnerre : « Mais après Dieu, Roine tres sage,
Ses ennemis, gettez par terre Haut louer faut vostre courage,
Sont la plus-part mors etandus. Quand animastes vos enfans
Ceux qui restent d’eux, sans conduite, D’aprouver si juste vengeance,
Vaguent en miserable fuite, Qui, des ennemis de la France,
De honte et de peur éperdus. 2
Les rendit a coup triomphans. »
C’est à Dieu, c’est à Dieu la gloire
De tant memorable victoire. »
1
[61] pages 345&346, [219] et [220]
2
Cités dans [61] page 348
84 La guerre des mots
Coq à l’asne des Huguenotz tuez & massacrez à Paris le xxiiij jour d’Aoust 1572
En revenant de m’esbatre au pont troquard Dieu nous gard de mal
Grand chere pasté delard Bon faict voir de l’Admiral
Mais il n’est que le vin vieux La belle metamorphose,
J’ay rencontray un simple Elephant tortu, Le porc est sans groin
Et mon amy ou vas tu Qui monte plus qu’il ne peult
Qu’au Dyable les envieux, Descend plus tost qu’il ne veult.
Il n’est que Paris, Je veille & dors j’ay les yeux tous esbloys
Pour les Ratz & les Souris Jour & veille sainct Loys
Denicher de leur taniere, Fut à jouer au plus fin.
Souvent en esté On crie tant Noel qu’en la fin il vient
Le vieil Regnard se morfont Le peuple content se tient
Devinez quelz gents se sont. Mais par trop cher est le vin
Il faict bon voir tous ces gentilz perroquetz Ilz ont eu le sault
Qui maintenant sont muetz Pilles & Rochefoucault
Ainsi qu’un singe cornu, N’en diront mot ny la place,
Au demourant du grand mirabilia Approchez Ramus,
Du Turc sçay tu qu’il y a Subtil comme un hanneton
Il est Laquays devenu, De bon jour ma Janneton.
Par brides à vaux Plus beau chemin pour c’est heure je ne voys
Tout ainsi comme pourceaux Qu’aller au Lac Genevoys,
Sont happez les chats sans moufles On y grenoille à plaisir
Vieil fert vieux houseaux J’ay rencontray pres montfaucon un mouchart
Voicy du noir à noircir Vestu comme un canard
Mais gardez vous de vessir. Coiffé de la peau d’un Ours
Hazard de nuict de douze & de dixneuf Soyez huguenotz
Du reste de Chasteauneuf A ceste foys si devotz
Il my souvient bien encor’ Car le Roy vous le commande,
Et puis apres la victoire à Moncontour Ne vous saignez point
En fin chascun a son tour S’en ait faict & je m’en ry
Tout qui reluyt n’est pas or, Ou dyable est Montgommery.
J’ay à Rouen au beau milieu de Berry
Encart 2-9 : Coq à l’asne des Huguenotz tuez & massacrez à Paris le xxiiij jour d’Aoust 1572 (1/2)
La guerre des mots 85
A côté de cette production des faucons catholiques, certains, comme Ronsard au tout début des troubles, ou
Jacques Béreau, essayaient de prêcher la modération :
Ou Anne des Marquets, en 1562 aussi, qui, certes en des termes plus
mesurés que ceux choisis par Artus Désiré, invoque l’aide de Dieu pour
que les fidèles catholiques soient débarrassés des hérétiques :
Qui furent les plumes des catholiques ? Dans la période 1550-1580, quelques noms tiennent le haut du pavé,
Pierre Doré, Claude de Sainctes, Antoine Cathelan, Artus Désiré, le jurisconsulte François Baudouin, le
chevalier de Villegagnon, Ronsard et pour finir Hierosme Hermes Bolsec.
3
Pierre Doré , docteur de la Sorbonne, scrupuleux censeur, défendit dès les années 1540 la cause catholique
en publiant des ouvrages de dévotion, Allumettes du feu divin pour faire ardre les cœurs humains en l’amour et
crainte de Dieu (1538), Les neuf médicamens de chrétien malade et la Tourterelle de vividité (1574) dans
lesquels il sacrifiait à l’usage de la langue française, s’en justifiant dans la préface d’un autre de ses livres,
1
La « Complainte de France sur la guerre civille qui fut entre les François l’an mil cinq cens soixante et deux », cité par
[61] page 240. Jacques Béreau est né en 1535 et mort en 1565.
2
[213], « A ceux qui veulent demeurer obstinés en leurs erreurs »
3
Dominicain mort en 1569
La guerre des mots 87
L’arche de l’alliance nouvelle, et testament de nostre Saulveur Jesus Christ, contenant la manne de son précieux
corps, contre tous sacramentaires heretiques paru chez J. ruelle, à Paris en 1549 : « Si quelqu’un survient qui
propose mon zèle n’estre selon science, par ce que les hautz et arduz misteres d’icelle foy, ne convient en langue
vulgaire traicter. Je luy respondz avec sainct Paul : si je suis faict incipient, à ce qu’on m’a contrainct, pour
obvier aux assaulx continuelz des heretiques, qui publient livres en françois pernicieux … Hélas, nous voyons en
ce temps calamiteux, heresiarques interdictz baillez le poison d’infecte doctrine en nostre langue françoise, et ne
sera il loysible donner le contrepoison en semblable langue, et de telles armeures nous défende, qu’ilz nous
1
viennent assaillir ? » . Il s’attaquera aussi à Calvin dans L’anti Calvin , mais cette fois en latin, redoutant sans
doute de partager avec le peuple sa controverse.
Cela a été aussi le cas de Claude de Sainctes qui, quand il publie sa Déclaration d’aucuns athéismes de
Calvin et de Bèze en 1563, fait part de ses scrupules dans sa dédicace au roi Charles IX : « Sire, je crains qu’on
ne trouve mauvais que j’aie recherché la doctrine des Calvinistes jusques aux premières pierres fondamentales
du christianisme, et que je l’aie mise en français et proposée au peuple, qui pour la plupart n’est capable de
telles difficultés . » Pour lui Calvin et Théodore de Bèze sont de francs athées qui ne méritent que la corde et le
bûcher tel qu’il l’expose dans un petit manuel historique et raisonné de l’intolérance : Méthode contre les sectes
(Methodus contra sectas). Proche du cardinal de Lorraine, il participe pour celui-ci au colloque de Poissy. Mêlé
à l’extrémisme de la ligue, apologiste de Jacques Clément, il finit ses jours en prison, victime des haines qu’il
avait déchaînées.
Antoine Cathelan se fit surtout remarquer par sa réponse au « Passavant » de Théodore de Bèze : « Le
Passevent Parisien …» dans lequel, tirant parti effectivement d’un séjour qu’il fit à Genève, entreprit d’en faire
un récit qui ne sera in fine qu’un absurde pamphlet. Ce livre de calomnies a été écrit pour que, quelles que soient
les invraisemblances, il en reste toujours quelque chose, et c’est dans ce filon que Bolsec et bien d’autres
viendront puiser leurs « faits ».
Artus Désiré, « l’affamé » dans le Passavant de Théodore de Bèze, se distingue des auteurs précédents par
une production pléthorique et par l’insondable vulgarité de ses textes. La violence de ses injures s’allie avec ses
appels à la guerre et aux massacres. Même les catholiques de l’époque, s’ils devaient apprécier cette œuvre de
propagande, n’osèrent pas le soutenir publiquement, et il mourut sans avoir reçu la moindre récompense pour
ses excès. Les titres de ses ouvrages donnent une idée (au-delà des citations ci-dessus) de son style : La singerie
des Huguenots, marmots et guenons de la nouvelle derrision Theobeszienne, contenant leur arrêt et sentence par
jugement de raison naturelle , Le contrepoison des cinquante deux chansons de clément Marot, faussement
intitulées par lui Psaumes de David, faits et composés de plusieurs bonnes doctrines et sentences préservatrices
d’hérésie .
Dans son Histoire ecclésiastique des églises réformées ([107]), Théodore de Bèze rappelle un épisode de
1561 qui faillit coûter la vie à Artus Désiré. Il aurait été envoyé solliciter le roi d’Espagne pour qu’il intervienne
en France pour combattre la paix qui semblait devoir s’établir lors de l’avènement de Charles IX. Dénoncé par
1
Cité dans « Censorship and the Sorbonne « de Francis M. Higman, librairie Droz, 1979.
88 La guerre des mots
un peintre de la reine mère, nommé Nicolas, il fut arrêté à Orléans porteur d’un message pour le roi d’Espagne :
« … Et pouce que nous voyons ledit royaume en peril, & danger d’e$tre du tout $ubuerti & perdu, & encores, ce qui e$t
beaucoup à craindre, que no$tre ieune roy tre$chre$tien $ous bas aage, n’en $oit au temps aduenir in$truit & contaminé,
nous $ommes venus vous aduertir & informer de toutes ces cho$ses, comme le plus prochain du $ang, & auquel en
appartient la cognoi$$ance & reformation, & non à autre, tant pour la charité de Dieu, que pour la royale con$anguinité
fraternelle de vo$tre tre$cher & bien aimee conpagne & e$pou$e, pour au$quelles cho$es obuier & remedier, $upplions
derechef tre$humblement vo$tre tre$$acree maie$té en la vertu de Dieu & amour de Chre$tienté, pre$ter la main à $on
Eglise gallicane, & aduertir $i bien les magi$trats & gouuerneurs dudit royaume de France, que vos admonitions,
remon$trances & adverti$$ements leur $ervent d’vne verge de correction crainte … ». Risquant la mort, il écrivit une
lettre au roi et une à la reine mère leur demandant la grâce de le condamner aux galères ou à la prison perpétuelle
plutôt que d’être « enuoyer deuant le iugement de Dieu », grâce qui lui sera accordée… Il faut remarquer que dans
sa thèse sur La poésie Française et les guerres de religion ([61]), F. Charbonnier voit dans Artus Désiré un
« auteur honnête et lucide ». Jehan de La Fosse écrit dans son journal ([325] page 43) qu’ « Artus Désiré fist
amende honorable, tout nud, la torche au poing, dedans le palais, en ung jeudy, 14è du mois, et fut condamné à
rester dedans les Chartreux 5 ans au pain et à l’eau, il y fut 4 moys, les ungs disent qu’il s’en fut, les aultres que
les Chartreux le firent sortir, craignant les huguenots. Depuis il ne se cacha pas et se promenoit à Paris. ».
François Baudouin, ancien condisciple de Calvin au collège d’Orléans, est sans doute celui dont on n’a
retenu le moins de publications. Ce fut en effet un modéré, qui avait quelques temps hésité entre la Réforme et
l’église de Rome, et qui rêvait d’une conciliation qui aurait rassemblé les chrétiens. Mais ses écrits ont déchaîné
1
l’ire de Calvin pour qui le temps n’était pas au compromis, et le combat entre Ablativus et Accusativus
dégénérera en une polémique épistolaire dont François Baudouin se sortit néanmoins avec honneur.
Le chevalier Nicolas Durand de Villegagnon, héros malheureux de la France Antarctique ou il avait réussi à
ruiner l’entreprise qui lui avait été confiée par l’amiral Gaspard de Coligny en y emportant la controverse sur
l’Eucharistie, est un personnage qui détonne au milieu des lettrés. Aventurier, il se piquait aussi de théologie, et
voulait convaincre Calvin de rester avec lui dans l’arène pour vider leur querelle sur la signification de la Cène.
Calvin l’ignora, et laissa ses aides ferrailler avec lui. Villegagnon publia plusieurs ouvrages dans lesquels il
semble n’avoir voulu toucher que de l’Eucharistie, comme une idée fixe ramenée des côtes du Brésil. Il ne fut
guère considéré de ses contemporains qui relevèrent son ignorance et son outrecuidance.
Enfin Jérome-Hermès Bolsec, que nous n’avons pas développé ici car il a écrit près de vingt ans plus tard,
médecin et théologien, ou ni l’un ni l’autre, commet l’antithèse du livre de Théodore de Bèze sur la vie de
Calvin, ouvrage qu’il intitule Histoire de la vie, mœurs, actes, doctrine, et mort de Jean Calvin, jadis grand
ministre de Genève ([196]) dans lequel il accumule calomnies et mensonges, reprenant tout ce qui avait été
1
« Ablativus », d’après Calvin le sobriquet de Baudouin au collège, car on lui reprochait de savoir décliner jusqu’à l’ablatif,
« à cause, disait-il, que lorsque nous étions aux écoles, Baudouin qui faisait profession de dérober le papier et les plumes de
ses compagnons, fut appelé par eux « Ablativus ». « Accusativus », d’après Baudouin serait le surnom dont ses camarades
auraient affublé Calvin car son esprit jaloux et chagrin était toujours prêt à dénoncer et à blâmer ; ([188] page 234)
La guerre des mots 89
colporté sur le ministre de Genève. Œuvre d’un sectaire agressif, ce livre finit cette liste de publications
guerrières ; on trouvera ci-après le début de sa conclusion Calvinodie ou hymne sur le tombeau de Jean Calvin,
jadis grand ministre de Genève :
« Frère, ou penserois tu que la charongne morte
De l’imposteur Calvin peust en aucune sorte
Etre mise, si bien qu’elle fut desormais
Jouissante à souhait de repos & paix ?
Certes il est bien temps que ce vieil corps permette
Que demeure en repos ce fidelle Prophete :
Car tandis qu’icy bas ce mutin a vescu,
Il n’a jamais esté paisiblement repeu
Qu’il n’eust toujours le cœur rongé de convoitise,
Et que son corps ne fut point époint de paillardise,
Sa langue de mensonge & ses doits de Larcin.
…»
2.3 Commentaires
La littérature de la réforme est une littérature de révolte, de révolte religieuse mais aussi de révolte sociale.
Savoir si l’aspect social a été à l’origine du mouvement, ou bien une conséquence, ou bien seulement un moyen,
est une question qui mériterait d’être traitée plus avant, mais, quelle que soit la source, la révolte religieuse
renverse les valeurs qui font l’ordre social et s’appuie sur le collectif, menace les grands qui veulent, ou qui sont
le symbole, du statu quo. Littérature militante, elle veut convaincre, elle veut séduire.
La réponse catholique est d’abord caractéristique du parti en danger. Elle est d’abord dans une position de
déni, puis de condamnation et de haine. Voulant conserver les acquis, elle s’appuiera sur l’individu, sur le
seigneur, pour maintenir, renforcer ses soutiens.
90 La guerre des mots
De Conrad Badius, on a surtout utilisé La comédie du pape malade et tirant à sa fin ([178]).
1
Jeu de mots : « Le monde allant pire… »
La guerre des mots 91
Pour ce qui concerne Nicolas Durand de Villegagnon, les ouvrages consultés ont été :
• Propositions contentieuses entre le chevalier de Villegagnon, & maitre Iehan Calvin,
concernant la vérité de l’Eucharistie ([189]),
• Responce par le chevalier de Villegagnon aux remontrances faictes à la reine mère du
roi ([190]),
• Paraphrase du chevalier de Villegagnon, sur la résolution des sacrements, de maitre
Iehan Calvin, ministre de Genève ([191]).
D’Antoine Cathelan, on citera le Passevent parisien respondant à Pasquin Romain , de la vie de ceux qui
sont allez demeurer à Genève, et se disent vivre de l’Evangile : faict en forme de dialogue ([182]).
La marmite renversée et fondue, de laquelle nostre dieu parle par les saincts Prophètes ([177.
Et enfin L‘histoire de la vie, des meours, actes, doctrine, et mort de Iean Calvin, iadis grand ministre de
Genève ([196]), de Jérome-Hermès Bolsec.
Deux recueils de poésies de poésies de la réforme ont fourni des exemples de la production littéraire
« réformée », le Recueil de poésies calvinistes (1550-1566) de Prosper Tarbé, édité en 1866 à Reims ([197]),
et Le chansonnier Huguenot du XVIe siècle de Henri-Léonard Bordier, édité en 1870 par la librairie Tross à
Paris ([193]). Le premier, pourtant écrit par un historien, est un des plus beaux exemples de la vague de haine qui
resurgit à la fin du 19° siècle chez les catholiques envers les protestants. On ne peut relever tous les exemples de
la mauvaise foi de l’auteur, ses raccourcis, ses tentatives d’ironie ; il suffira de comparer les dix pages écrites sur
l’assassinat du duc de Guise par Poltrot de Merey aux deux lignes écrites sur la Saint-Barthélemy. Il finit sa
préface par « Les sociétés modernes, pas plus que n’ont pu le faire celles qui les ont précédées, n’arriveront au
bonheur, à l’ordre et à la liberté, tant qu’elles n’auront pas écrit sur leur bannière religieuse : - Obéissance aux
commandements de Dieu ; - sur leur bannière politique : - Place au droit pour chacun et pour tous ; - tant que
les peuples auront d’autre cri que ces deux mots : - Dieu et la loi ». Bordier, lui, ouvertement protestant,
annonce dès sa préface avoir voulu faire son recueil en réaction à celui de Prosper Tarbé. Il offre une sélection de
pièces réformées classées en quatre catégories, les chants religieux, les chants satyriques, les chants de guerre et
les chants de martyrs.
On a aussi utilisé:
• L’Histoire ecclésiastique des églises réformées de France de Théodore de Bèze - 1580 ([107]) ;
• Remontrances envoyées au roy, par les habitants de la ville du Mans du 29 avril 1562 ([110]) ;
• Lettre du seigneur baron des Adrets à la reine mère touchant la mort de La Motte-Grondin ([111]) ;
• Discours véritable des guerres et troubles advenus au pays de Provence, en l'an 1562 de Nicolas
Regnault Provençal ([112]) ;
• L'Histoire notable de la Floride, contenant les trois voyages faits en icelles par des capitaines et
pilotes français de René de Goulaine de Laudonnière, publiée en 1574 ([113]) ;
• Les mémoires d’Antoine de Puget, seigneur de Saint-Marc ([46]) ;
92 La guerre des mots
• Poésie polémique et satirique de la Réforme sous les règnes de Henri II, François II et Charles
IX ([194]) de Henri Weber ;
• Poésie officielle, poésie partisane pendant les guerres de religion ([195]) de Tatiana Debbagi
Baranova ;
• La "marmitte renversée": construction discursive et fonctionnement argumentatif d'une insulte dans
les polémiques des guerres de religion (1560-1600) » ([174]) de Caroline et Paul-Alexis Mellet ;
• La "marmitte renversée": construction discursive et fonctionnement argumentatif d'une insulte dans
les polémiques des guerres de religion (1560-1600) ([209]), et Dialogue second du réveillematin
des françois, et de leurs voisins. ([211]), d’Eusèbe Philadelphe ;
• L'aldoran des cordeliers, tant en latin qu'en français: c'est à dire la mer des blasphèmes &
mensonges de cette idole stigmatisée, que l'on appelle Saint François, recueillis par le docteur
Martin Luther, du livre des conformités de beau saint François, imprimé à Milan l'an 1510, &
nouvellement traduit. ([210]), de Barthélemy Abbizzi de Pise ;
• Le Réveille-matin des françois et de leurs voisins ([209]) paru en 1574, sans doute de la plume du
protestant Nicolas Barnaud. Il stigmatise sans relâche « le sang infect des bougres d’Italie » qui ont
perverti la cour, cette nouvelle Sodome, et la fureur d’un roi monstrueux systématiquement appelé le
« tyran ». Il fut désavoué par les calvinistes, non seulement par sa violence, mais aussi parce qu’il
remettait radicalement en question le principe monarchique. Il proposait en effet un régime
contractuel fondé sur un fédéralisme d’inspiration démocratique.
• Des voix de la nation à celles de l'Eglise: le premier dialogue du Reveille-matin des
françois ([212]), de Jean-Raymond Fanlo ;
La Polémique au
temps de la Ligue, de
la religion au
politique
94 La polémique au temps de la Ligue
La polémique au temps de la Ligue 95
Un saut dans le temps, depuis la fin des années 1560 au début des années 1590. La Saint-Barthélemy, la mort
de Charles IX et l’avènement d’Henry III, les Etats de Blois de 1576, la sixième guerre de religion, le début de la
Ligue, la huitième guerre de religion, l’assassinat du duc de Guise, l’assassinat d’Henry III, la guerre entre Henry
IV et le duc de Mayenne, la guerre avec l’Espagne, … une période riche en événements qui a donné lieu à une
importante production de libelles et d’écrits qui depuis la sphère purement religieuse gagnent les thèmes
politiques, avec une violence extrême contre les personnes qui étonne encore aujourd’hui. La guerre des mots
s’est ainsi poursuivie, accompagnée par une riche production de dessins et de caricatures dont Pierre de l’Estoile
à Paris a pu constituer une riche collection qui nous permet aujourd’hui de replonger dans la fureur de l’époque.
La période de la Ligue allait encore enrichir la source des thèmes à développer en internationalisant le conflit
français, et opposant catholiques et royalistes…
1
Nicolas Le Roux, [1] page 294.
96 La polémique au temps de la Ligue
1
Voir le placard complet dans les illustrations de ce chapitre.
2
[476]
3
Florent Chrétien avait été le précepteur choisi par Jeanne d’Albret pour son fils quand il retourna dans le Béarn en 1567.
[397] page 142.
La polémique au temps de la Ligue 97
Pellevé, monsieur de Lyon, le recteur Roze, le sieur de Rieux parlant pour la noblesse, et une deuxième partie
beaucoup plus « sérieuse » et constituée d’une très longue harangue de monsieur d’Aubray, parlant pour le tiers
état, et dénonçant les manœuvres de la Ligue.
L’auteur commence par rappeler que l’assemblée ne fut pas très nombreuse du fait des difficultés et du
danger des voyages, à tel point qu’il n’y avait que « trois tigneus & un pelé » ; trois tigneux car il y avait trois
députés qui portaient des calotes à la catholique, et un pelé car un des députés portait un grand chapeau dont il ne
se sépara jamais… Il y avait ainsi deux charlatans, un lorrain et un espagnol, ce dernier « estoit fort plaisans
&monté sur un petit eschaffault jouant des regales & tenant bancque, comme on en veoit assez à Venise en la
place sainctMarc ». Le charlatan lorrain « n’avoit qu’un petit escabeau devant luy couvert d’une vieille serviette,
& dessus une tirelire d’un costé & une bouëte de l’autre, pleine aussi de catholicon, dont toutesfois il debitoit
fort peu, parce qu’il commençoit à s’esventer, manquant de l’ingredient plus necessaire, qui est l’or ». Les
vertus du catholicon sont ensuite décrites en cinquante articles dont en particulier « qu’il emporte, ravisse, brusle
& mette tout en desert, le peuple du païs dira ce sont noz gens, ce sont bons catholiques, ils le font pour la paix
& pour notre mere saincte eglise » ; « soyez vilains, renegat ou perfide, n’obeissez ny à Dieu, ny à Roy, ny à
Loy, ayez là desuus en main un petit de catholicon, & le faictes prescheren votre canton, vous serez grand &
catholique homme » […].
Il décrit ensuite la salle des délibérations et en particulier les tapisseries dont celle représentant le frère
Jacques Clement dont l’anagramme était c’est l’enfer qui m’a créé, et une autre représentant une « grande
géante, gisante contre terre, qui avortoit d’une infinité de viperes et monstres divers […] » et sur le front de
laquelle était écrit « C’est la belle Lutece, qui pour paillarder aveq ses mignons a faict tuer son pere, et son
espoux », alors que « madame d’Espagne luy servoit de sage femme & de nourrice, pour recevoir, & allaicter
son fruit. ».
Le duc de Mayenne y est présenté comme recherchant uniquement son intérêt : « […] depuis que j’ay pris les
armes pour la Scte Ligue, j’ay toujours eu ma conservation en telle recommandation que j’ay preferé de tresbon
cœur mon interest particulier, à la cause de Dieu qui sçaura bien se garder sans moy », concupiscent : « […] &
ne tiray autre fruict de mon voiage que la prise de l’heritiere de Caumont, que je destinoy pour femme à mon
fils, mais le changement de mes affaires m’en faict à present disposer autrement. », utilisant la religion comme
prétexte pour manier les foules, à la fois pour les inciter aux armes et pour en tirer des ressources : « Et Dieu
sçait, si ces jeunes moynes tout fraischement defroquez, & ces prebstres desbauchez y ont devotement tourné les
feuillets de leur breviaire, & gagné planières indulgences », et « […] madame ma mere, ma sœur, ma femme, &
la cousine d’Aumale, qui sont icy pour m’en desmantir, m’assisterent fort catholiquement. Car elles & moy
n’eusmes autre plus grand soin & sollicitude qu’à faire fond pour la guerre, & en ce faisant soulager &
descharger tous les devots habitants bons catholiques, de la pesanteur de leurs bourses […] et nous saisir des
riches joyaux de la Couronne », et les convaincre de résister jusqu’à la mort pendant le siège de Paris : « […] et
jugez si les zelateurs Simon & Jean ont eù plus d’invention & desguisements de matieres pour faire opiniastrer
le pauvre peuple de Jerusalem à mourir de rage de faim, que j’en ay eù pour faire mourir de la mesme mort cent
mille ames dedans cette ville de Paris, jusques à faire que les meres ayent mangé leurs enfants, comme ils firent
en cete sacree cité. ». L’auteur dénonce sa lâcheté devant Henri IV : « Mais ce faulteur d’heretiques feit venir en
La polémique au temps de la Ligue 99
poste le Biarnois, lequel je ne voulut attendre de troppres, ny le voir en face, de peur d’estre excommunié. », et
sa volonté de ruiner la France pour atteindre ses objectifs : « Et par notre bonne diligence, nous avons faict que
ce royaume qui n’estoit qu’ung voluptueux jardin de tout plaisir & abondance, est devenu ung grand & ample
cimetiere universel, plein de force belles croix painctes, bieres, potences, & gibets. » et « C’est une belle
sepulture, que la ruine d’un si grand Royaulme que celuy cy, soubs lequel il nous faut ensevelir si nous ne
pouvons grimper dessus. ». Enfin Monsieur de Lyon raille sa goinfrerie et sa taille : « demanderiez vous ung plus
beau Roy, & plus gros, & plus gras qu’il est ? ».
Le légat est lui montré comme attaché à repousser toute possibilité de paix afin de permettre la domination
étrangère: « Ma una sola cosa mi pare necessaria à la salute d’elle anime vostre : cio è, di non parlar mai di
pace, & manco procurar la, che prima tutti gli Francezi non siano morti », et afin de protéger aussi la paix en
Italie : « che moltomeglio è per la quiete d’Italia, & la sicurità della santa fede apostolica, che i Francezi, &
spagnuoli guerregiano tra loro in Francia, ô veramente in Flandria per la religioneô la corona, che in Italia per
Napoli ô Milano. ».
Pour ce qui concerne Pierre de Saint-Priest d'Épinac archevêque de Lyon, appelé « monsieur de Lion », l’auteur
lui fait reconnaître et sa trahison et les motifs on ne peut plus troubles des adhérents de la sainte Union : « N’est-
ce point chose bien estrange, messieurs les zelateurs, de veoir nostre union maintenant si saincte, si zelee, & si
100 La polémique au temps de la Ligue
devote, avoir esté presque en toutes ses partie composees de gens qui, auparavant les sainctes barricades,
estoient touts tarez, & entichez de quelque note mal solsiée, & mal accordante aveq la justice ? Et par une
miraculeuse metamorphose veoit tout à ung coup, l’atheïsme converty en ardeur de devotion : L’ignorance, en
science de toutes nouveautés, & curiosité de nouvelles. La concussion, en piété & en jeusnes, la volerie, en
generosité & vaillance, bref le vice , & le crime transmué en gloire & en honneur ? », et continue de manière
ingénue en exposant les déviations de l’orateur : « […] ont eù opinion que je sentoy ung peu le fagot : A cause
qu’estant jeune escholier j’avoy pris plaisir à lire les livres de Calvin […]
& depuis n’ay jamais faict grande conscience ny difficulté de manger de la
chair en Karesme, ny de coucher aveq ma sœur […] mais depuis que j’eù
signé la saincte ligue […] personne n’a plus douté de ma créance »,
évolution dont il remercie le duc d’Epernon : « Je doy cette grace […] à
monsieur le duc d’Espernon, qui pour m’avoir reproché au conseil ce dont
on ne doutoit point à Lion touchant ma belle sœur, fut cause que de grand
politique, & un peu Calviniste que j’estoy, je devins grand & conjuré
ligueur. » Il vante enfin la science des prédicateurs qui savent « tenir
tousjours en haleine leurs devots parroissiens » en utilisant les passages de
l’écriture « & les tourner, virer aux occasions comme ils en ont besoin [
…] l’evangile est un cousteau de tripiere, qui coupe des deux costez. ».
Le représentant de la noblesse est dit être un capitaine de fortune qui avait été nommé gouverneur de la
forteresse de Pierrefont, pour seul mérite d’avoir adhéré à la sainte union. Il est utilisé pour nier la cause
religieuse des troubles « Quant à moy, je n’entends point tout cela : pourveu que je leve tousjours les tailles, et
qu’on me paye bien mes appointements, il ne me chaut que deviendra le Pape, ni sa femme. », et avoue être payé
pour dénoncer la loi salique à laquelle il n’entend rien, « Mais j’ay encor une autre chose à vous remonstrer :
La polémique au temps de la Ligue 101
c’est de ne parler plus de ceste Loy Salique. Je ne sçay que c’est, mais le seigneur Diego me l’a donné par
memoire, avec quelques pieces rondes qui me feront grand bien. ». La harangue du sieur d’Aubray, pour le tiers
état, laisse le ton satyrique pour un panorama sérieux de l’histoire des guerres de religion pour en faire remonter
l’origine aux appétits de la maison de Lorraine, et dénoncer l’ingérence étrangère « O Paris ! qui n’es plus
Paris, mais une spelunque de bestes farouches, une citadelle d’Espagnols, Ouallons et Neapolitains ; un asyle et
seure retraite de voleurs, meurtriers et assassinateurs ; ne veux-tu jamais te ressentir de ta dignité, et te souvenir
qui tu as esté, au prix de ce que tu es ? Ne veux-tu jamais te guarir de ceste frenesie qui, pour un legitime et
gracieux Roy, l’a engendré cinquante Roytelets et cinquante tyrans ? Te voila aux fers ! Te voila en l’Inquisition
d’Espagne, plus intolérable mille fois et plus dure à supporter aux esprits nez libres et francs, comme sont les
François, que les plus cruelles morts dont les Espagnols se sçauroient adviser ! ». Il finit par en appeler à Henri
IV dont il vante les qualités tout en excusant en particulier sa légèreté vis-à-vis des femmes : « […] aussi n’est-
ce pas ce que les Predicateurs et pédicateurs luy reprochent, de l’amour des femmes. Je m’assure que la plus-
part de la Compagnie, et principalement Monsieur le Lieutenant, ne lui sçauroit faire ce reproche sans rougir.
Car, à la verité, ce n’est pas imperfection qui puisse empescher les actes de vertu ; mais, au contraire, jamais
brave guerrier ne fut qui n’aymast les dames, et qui n’aymast acquerir de l’honneur pour se faire aymer d’elles.
[…] Qu’on considere tous les grands capitaines et monarques du monde, il ne s’en trouvera guere de sobres en
ce mestier […] Il faut conceder aux Princes quelques relasches et recreation d’esprit, aprés qu’ils ont travaillé
aux affaires serieuses qui importent nostre repos, et aprés qu’ils se sont lassez aux grandes actions des sieges,
des batailles, des castrametations et logis de leurs armées. […] Les Roys, pour estre Roys, ne laissent pas
d’estre hommes, sujets aux mesmes passions que leurs subjects : mais il faut confesser que cestuy-cy en a moins
de vicieuses qu’aucun de ceux qui ont passé devant luy ; et, s’il a quelque inclination à aymer les choses belles,
il n’ayme que les parfaites et les excellentes, comme il est excellent en jugement et à congnoistre le prix et la
valeur de toutes choses. Encore ce petit destour, ou passe-temps de plaisir, luy est comme un exercice de vertu,
dont il use le plus souvent, au lieu de la chasse et de la venerie, […].Mais il auroit beau estre continent, sage,
tempéré, morne et grave, et retiré, vous y trouveriez tousjours que redire. ». Il tient néanmoins à lui reprocher sa
clémence, et on comprend que plusieurs dans le camp des politiques auraient préféré des sanctions pour les
ligueurs plutôt que des primes : « C’est inclemence, voire cruauté, dit Ciceron, de pardonner à ceux qui
meritent mourir, et jamais les guerres civiles ne prendront fin si nous voulons continuer à estre gracieux où la
severité de justice est necessaire. La malice des rebelles s’opiniastre et s’endurcit par la douceur dont on use
envers eux, parce qu’ils pensent qu’on n’ose les irriter ni les mettre à pis faire. Je ne fay doute, s’il eust chastié
chaudement tous ceux qui sont tombez entre ses mains depuis ces troubles, que ne fussions à present tous soubs
son obeissance. »
Après le sérieux du chef des politiques de Paris, la satyre se termine par de bons mots :
Au prêcheur Boucher : Flambeau de la guerre civile, / Et porte-enseigne des meschants, / Si tu n’es évesque
de ville, / Tu seras évesque des champs ;
A l’avocat d’Orléans : Si pendre te voulois, tu ne ferois que bien, / Puisqu’on ne peut avoir de toy
misericorde. / Mais si tu veux sauver quelque peu de ton bien, / Va te jetter en l’eau : tu gagneras ta corde ;
102 La polémique au temps de la Ligue
Sur le vœu du prévot des marchands, Marteau, d’offrir un bateau d’argent à Notre-dame-de-Lorette : Faire
aux saincts quelque vœu en péril de naufrage, / Et puis s’en acquitter quand on est au rivage / C’est chose bien
louable, et blasmer ne la veux : / Mais qui est l’insensé qui veut payer ses vœux / Estant encore en mer au fort de
la tempeste ? / Thévet ne vit jamais une si grosse beste.
Sur les docteurs de l’union : Les docteurs de feincte Union / Pensent par leur doctrine fole, / Du manteau de
religion / Faire une cape à l’espagnole.
La polémique au temps de la Ligue 103
1
François Morin, sieur de Cromé, [326]
2
Pierre de l’Estoile écrit qu’il était difficile de se procurer cet ouvrage, « qui estoit un livre nouveau de la boutique des
Seize, où les principaux de Paris, principalement ceux qu’on apeloit politiques, et sur tous le duc de Maienne, estoient
nommés et dechiffrés de toutes façons », et que celui qu’il avait acheté un écu le samedi 11 décembre, fut revendu par lui
trois écus, puis six écus et enfin dix écus à un envoyé du roi qui voulait en avoir un exemplaire. [323] tome 2, pages 537-538.
3
On appelait ainsi la bourre que l’on plaçait dans les épaules d’un pourpoint pour élargir la carrure.
104 La polémique au temps de la Ligue
Autant la Satyre ménippée utilise de manière ouverte l’ironie et la caricature, autant le Dialogue d’entre le
Maheustre et le Manant reste sérieux voire austère. L’ouvrage a été écrit à une époque où le vent avait tourné en
faveur d’Henri IV, sa conversion, ses succès militaires, la soumission de la noblesse, la volonté de paix, les
dissensions au sein des grands qui soutenaient la Ligue, tout cela ne pouvait que laisser présager une fin
imminente de la lutte, et la fin de la Ligue et donc de ses plus acharnés défenseurs. L’auteur était un de ceux-là,
et on sent tout au long de la lecture de l’ouvrage son amertume et la perte de l’espoir que la Ligue pourra vaincre
dans le monde des hommes ; il ne lui reste plus que sa foi, et il en fait la conclusion de son essai : quand le
maheustre demande au manant qui va soutenir la ligue dans sa quête, ce dernier répond par neuf fois « Dieu ».
Quête ? Oui, c’est sous la forme d’une véritable quête, ou croisade, que le manant décrit l’origine de la sainte
union, ou plutôt du mouvement qui a conduit à Paris à l’établissement des Seize. L’état demandé par le Manant
est de fait un état théocratique où le pouvoir est assuré ou confié par le peuple. Dans ce dialogue le manant est
clairement le porte parole de la Ligue, celui qui parle avec son cœur ; le Maheustre, même s’il a rejoint le camp
de l’hérétique et est maudit pour cela, sert à plusieurs reprise le propos du Manant en dévoilant les traitrises qui
ont perdu le parti de la Ligue quand ce dernier n’ose pas le faire. Le Maheustre apparaît in fine aussi comme un
catholique convaincu, qui ne croit guère à la conversion toute récente du roi de Navarre : « […] et de nous
liberer de la promesse faire au roy, de la conversion duquel nous doubtons fort. », mais qui a choisi le camp
royaliste par intérêt, pour la conservation de l’état, mais surtout parce que c’est le parti qui ne peut que gagner
compte-tenu de ceux qui pourrissent la Ligue de l’intérieur : « Car il est tres-veritable que l’occasion principale
qui nous fais subsister & opiniastrer en nostre party & à suyvre le roy, c’est vostre division, & l’asseurance que
nous avons que l’on vous y entretiendra. // Mais quand nous considerons le peu d’ordre & d’asseurance qu’il y
a en vostre party nous sommes contraints de continuer au nostre». Et c’est sans doute ce qui a conduit le duc de
Mayenne à essayer d’interdire la publication de l’ouvrage, il y est dépeint comme le principal responsable de la
défaite du parti de Dieu.
Quels sont les thèmes défendus dans le Dialogue d’entre le Maheustre et le Manant ?
Le premier que l’on doit citer, c’est le fait qu’étant « hérétique, relaps et excomunnié », Henri de Navarre, ne
peut aucunement être considéré comme pouvant être capable de devenir roi de France ; ne pouvant être roi, rien
ne le protège, étant hérétique, c’est le devoir de tout catholique que de l’exterminer ; cela conduit aussi l’auteur à
bannir de la succession tous les bourbons, car de près ou de loin, ils ont assisté Henri de Navarre, et se sont donc
exclus eux-mêmes de la communauté catholique. Cette profession de foi est répétée des dizaines de fois dans le
discours, la discussion n’est pas possible, pire, celui qui voudrait en discuter est coupable de blasphème, est
fauteur d’hérétique. Cela s’applique d’ailleurs aussi aux serments, les serments faits à un hérétique sont nuls et
non avenus et peuvent donc être trahis : « Or le serment qu’avez fait au Roy de Navarre est contre ses trois
conditions, comme estant faict à un heretique, relaps & excommunié, auquel il n’y a verité, respect, ny justice, &
consequemment vostre serment ne vous oblige en façon quelconque, &au contraire vous offencez doublement en
l’executant. ».
Le deuxième thème important est la place de la religion et de l’état. Si le Maheustre défend une conception «
moderne » en affirmant qu’ « il faut asseurer l’Estat comme estant le fondement de la Religion n’estant la
La polémique au temps de la Ligue 105
Religion que l’ornement de l’Estat », le Manant lui répond par cette accusation de blasphème propre à tous les
fanatismes : « C’est un grand blasphème de postposer la Religion à l’Estat, c’est advancer le mensonge &
quitter la verité : Par là j’apperçoit que vous sentez vostre Machiavel […] ».
C’est sur cette idée que l’auteur développe un troisième thème, révolutionnaire celui-là, qui est que l’état
procède du peuple, que c’est le peuple qui choisit ses souverains ; en ce sens « n’est le Royaume de succession,
mais d’eslection. » ; si pendant près de deux cent ans le trône est passé de père en fils, ce n’était pas parce que
cela devait être, c’était parce que le peuple le voulait : « ce n’a esté par le droict de succession, ains seulement
par l’affection que les François portoient à la memoire de leurs Roys & par droict de bien seance, & pour
gratifier leur succession […] ». Il accuse les nobles de se satisfaire d’un roi hérétique ou tyrannique, alors que le
peuple lui doit avoir la possibilité d’y remédier : « Or Messieurs les Nobles vivez donc avec vostre Roy &
monstre d’heretiques si bon vous semble , quant à nous, nous n’en voulons que de Catholiques, encore s’ils
s’adonnent à la tyrannie trop grande & insupportable nous les changerons, comme indignes d’un tel sceptre
[…] ».
S’ensuivent de longs développements sur la plaie que constitue la noblesse, et que les deux protagonistes, sur
des registres différents vont développer, tel le Manant : « & la noblesse a ce proverbe commun qu’il faut que le
manant paye tout », « & voit-on ordinairement que la Noblesse qui a tout englouty & devoré le bien du peuple,
ils accusent le peuple d’ingratitude [ …] » et « Et vous autres, Messieurs les nobles suyvant ceste trace
commencee par vostre chef l’avez continuée & continuez faisans la guerre aux Catholiques […] pour soutenir
un heretique, & maintenir vostre ambition & domination sur le pauvre peuple » ; alors que la Maheustre répond
en appuyant encore plus « Au surplus le peuple estoit trop gras, malicieux & rebelle, il a bien merité ce qu’il a
enduré » et « ils sont naiz pour obeyr non pour commander. ». Et le Manant en voit la preuve dans la façon dont
la guerre est menée « Nous obeïssons aux Roys & non aux tyrans, & vous autres vous soustenez la tyrannie,
parce que elle vous fait vivre & nous destruict, tesmoin la guerre de present qui n’est faite qu’aux bourgeois des
villes & peuple de Dieu que vous appellez manans ; Les nobles & soldats se font bonne guerre, & les manans
paye tout […] ». Il refuse, malgré les protestations du Maheustre, de reconnaître tout honneur dans la façon dont
les nobles se comportent : « par ce qu’il y a plus de cinquante ans de ma cognoissance que la Noblesse n’a
cognueu ny apprehendé l’honneur de Dieu. ».
Le cinquième thème est la défense des Seize, dont l’auteur était un membre, un des responsable de la mort du
président Brisson – et qu’il justifie encore comme juste châtiment de celui qui a voulu trahir la cause : « Quant
aux President Brisson, Larcher & tardif ils ont esté convaincuz de trahison, & declarez ennemis de nostre
party» - et le seul qui échappa à la pendaison tout en étant condamné. Le Maheustre lui tend la perche en
critiquant la condition de ces Seize, simples hommes du peuple : « Le peuple est débordé […] il se fie à des
personnes de neant & de peu de condition, comme ceux que l’on appelle les seize qui ont voulu accuser &
reformer tout le monde, & se sont meslez des affaires d’Estat où ils n’entendent rien […] » ; cette présentation,
qui se doit être comprise comme ironique, doit en même temps soulever le vrai croyant contre les grands, ceux
qui ont utilisé les premiers ligueurs pour faire avancer leurs intérêts et veulent ensuite s’en débarrasser. Le
Manant peint cette communauté comme le dernier rempart du peuple et de la religion, les seuls qui ont toujours
agit selon leur honneur et selon la volonté de Dieu : « […] que sans la bonté de Dieu, la vigilance de ses bons
106 La polémique au temps de la Ligue
citoyens, que l’on appelle les seize, non seulement la ville estoit perduë, mais le royaume, & qui plus est la
Religion & toute la Chrestienté ». Les seize d’ailleurs étaient conduits par Dieu lui même, et les critiquer revient
à refuser la volonté de Dieu : « par ce qu’au discours des affaires passees & actions des seize, se sont esmotions
divines conduites de la main de Dieu qui s’est voulu aider d’eux en ceste cause contre l’heresie & la tyrannie. »,
et c’est ce dont la noblesse est coupable : « […] des gouverneurs & gentilshommes […] pour s’accomoder les
uns les autres de la sueur & sang du pauvre peuple, qui n’a eu morceau de pain qui ne l’ait acheté au quadruple
passant par les mains de ceste censuë de Noblesse, qui s’est entenduë avec ses grandes familles pour ruiner les
Predicateurs & les seize, soubs ombre qu’ils ne veulent recognoistre le Roy de Navarre ».
Si malgré la légitimité des Seize ils n’ont pas encore réussi à vaincre l’hérétique, c’est que des forces
puissantes ont été mises en œuvre contre eux. D’abord la noblesse, on l’a vu plus haut, qui a miné de l’intérieur
le Conseil Général de L’union en imposant quatorze membres de plus aux quarante qui avaient été nommés par
le peuple, diluant ainsi la cause et permettant des alliances et conjonctions d’intérêts contraire à l’intérêt de la
Religion et du peuple. Mais aussi le Parlement qui depuis des dizaines d’années est un support des hérétiques,
depuis le concordat de François 1er jusqu’aux édits de pacification successifs qu’il a enregistré. Le Parlement ne
représente la justice que quand il défend la cause des Catholiques, autrement il doit être châtié. Le Manant ne
considère pas mieux la justice du parti du roi, pour lui les deux sont également méprisables : « Tellement que
vostre Noblesse suit l’heresie, & la nostre l’argent. Quant à la justice je suis d’accord qu’elle est plaine de
corruption, mais la vostre ne vaut pas mieux & est de mesme farine […] la vostre maintient du tout vostre party,
& la nostre le trahit. ». Le Parlement est donc en tant que corps constitué l’ennemi de Dieu, mais les
Ecclésiastiques qui prônent la paix n’en sont pas loin, et ceux qui fuient la Ligue sont aussi condamnables que
les hérétiques qui les ont abusés, et c’est d’autant plus fort que c’est le Maheustre qui le dit : « Quant aux
Ecclesiastiques & le tiers estat ils sont si débandez que c’est pitié ». La Maheustre ironise d’ailleurs en faisant
remarquer « que des quatorze Archevesques de la France vous n’en avez que trois, & des cent quatre Evesques
vous n’en avez que cinquante, encores des moindres, & tout le reste est de nostre party. »
Les chefs, ou les grands, sont aussi responsables de l’échec de la Ligue, n’étant pas unis dans l’intérêt de la
religion mais recherchant leur intérêt particulier : « […] croyez que voz Princes ne s’entendent aucunement, ils
ont juré l’Union & ils n’en font rien moins que les effects : Le Duc de Mayenne tient son rang à part : Les Ducs
de Guyse, de Nemoux, d’Aumalle, & de Mercure de mesmes : Quant au Duc de Lorraine il n’a aucune
intelligence certaine avec le Duc de Mayenne […] Chacun fait u souverain en la province où il est ; chacun en
son particulier tasche à gaigner la bonne grace du Pape & du Roy d’Espaigne […] ».
Enfin, le responsable principal est le duc de Mayenne, lui qui a respecté et soutenu les Seize jusqu’à la
journée des barricades, et qui leur doit sa position : « Monseigneur le Duc de Mayenne, qui tient le grade qu’il a
des seize », mais qui depuis n’a de cesse de les déconsidérer : « […] que quant nous eussions esté Turcs ils se
fussent plustost rangez de nostre party pour se vanger des seize & de leurs adherans, que d’endurer leurs
deportements ny que le peuple parle ou qu’il soit gouverné & commandé par autres que par eux, ou que l’on
leurpuisse rien retrancher de leur authorité [..] ». Lui qui a retardé autant que faire se peut la convocation des
Etats qui auraient élu un nouveau roi : « Ils ont demandé la tenue des Estats pour eslire un Roy, on s’enest
excusé par l’espace de deux ans sur la malice du temps », lui qui, lors des états de 1593, a fait échouer l’élection
du duc de Guise par jalousie et pour conserver le trône pour lui ou pour son fils « … » ; lui qui se sert du roi
La polémique au temps de la Ligue 107
d’Espagne : « Au contraire resiste à ce qui est de l’advancement et bien de la France avec l’Espagnol, auquel il
promet tout & ne tient ny livre rien. ». Volonté du duc de Mayenne qui avait été soutenue par un Parlement
coupable, en particulier du fait de l’arrêt Le Maitre : « La cour de Parlement donna un Arrest contre les Estats,
par lequel elle declaroit nul tout ce qui seroit fait par les Estats pour transferer la Couronne à un Prince ou
Princesse estrangere. »
Le Maheustre dépeint aussi comment la Ligue est pourrie de l’intérieur en nommant toute une série de
personnes qui, dans Paris, au sein des Catholiques, sont en fait des agents ou des sympathisants du roi de
Navarre ; que ce soit le Maheustre qui le fasse, pour convaincre le Manant que c’est de l’intérieur que le mal
vient, est un procédé que l’auteur utilise de manière systématique dans la deuxième partie de l’ouvrage. Mais on
retrouve aussi une constante des régimes totalitaires, la dénonciation, la calomnie, pour faire taire l’opposition,
pour faire régner la terreur. Comme en témoignera Pierre de L’Estoile en décrivant la liste rouge, la chasse au
sorcière était prête à être lancée.
Car rien ne devait faire reculer les vrais catholiques, il ne devait pas être question de pardon, ni de tentative
de conciliation, une seule solution pour rétablir le royaume de Dieu, l’extermination des hérétiques : « Mes
arguments sont fondez sur la saincte Escriture & sur vives raisons, & n’y a point de rigueur hors de sujiet, car
la clemence envers l’heretique est une injustice envers Dieu, son Ef-glise & son peuple ». Et le bien public, le
salut du peuple, cela n’était rien devant ce que croyaient les meneurs de la révolution théocratique. Les
arguments pour la paix, la nécessaire clémence prônée par le Maheustre « Il faut quelques fois oublier les fautes
pour en eviter de plus grandes, voire une ruine totale, […] » est toujours soit qualifiée de blasphème soit utilisée
pour démontrer son caractère hérétique. Toute trahison, ou comportement décrié comme tel, devait être punie de
manière exemplaire : « Toutes trahisons contre le public se doivent punir exemplairement, & dessaillant
l’ordinaire, l’extraordinaire est permis. » ou encore « Jamais la douceur n’a esté bien seante à l’endroit des
ennemis de Dieu, comme sont les heretiques & leurs fauteurs (on voit ici comment le Manant élargi le champ
d’application, ce ne sont plus simplement les hérétiques mais tous ceux qui par leur action, ou inaction, les
favorisent ou ne les combattent pas) , & la misericorde en leur endroit est injustice. » Et il est facile de trahir, il
suffit de vouloir la paix : « Maheustre : Il n’est pas raisonnable que ceux qui desirent la paix souffrent pour les
opiniastres. / Manant : Il est moins raisonnable perdre sa Religion pour recognoistre un heretique. ».
Mais à la fin du discours, force est de reconnaître que l’entente est impossible, et, l’auteur ligueur, celui qui
vient de clamer haut et fort que seule l’extermination de ceux qui n’obéissent pas à la loi de l’église est justifiée,
accuse les royalistes de vouloir mettre un terme à la polémique par la force plutôt que par la raison : « Vous usez
du langage de voz Prescheurs, mais nous userons de nostre authorité & nous verrons qui l’emportera, vostre
caquet ne vous sauvera de la force de noz coustelas.». Tout cela justifie tous les moyens, et en particulier le
recours à l’Espagne, seul et dernier rempart contre l’hérésie. Le sentiment patriotique doit céder devant la
défense de la Religion, comme le dit le Manant à la fin de son discours. Mais plus rien ne peut atteindre le
manant qui met tout son espoir en Dieu, et la conclusion montre à la fois son aveuglement, son fanatisme et son
désarroi devant l’abandon dont la Ligue pâtie de la part de son Dieu.
108 La polémique au temps de la Ligue
Maheustre Maheustre
Quel appuy pensez-vous avoir, ny quelle asseurance Comment pensex-vous faire quelque bon
en voz brouilleries d’affaires, quel chef avez vous ? establissement, qui le soutiendra.
Manant Manant
Dieu Dieu
Maheustre Maheustre
Quel secours avez vous où esperez vous avoir. Comment pensez-vous avoir un Roy, veu la
Manant contradiction de voz Princes, qui le vous donnera.
De Dieu Manant
Maheustre Dieu
En qui avez vous creance & fiance pour vous Maheustre
delivrer. Qui l’establira veu que voz Princes vous nuisent pour
Manant cest effect, au contraire se debandent.
En Dieu Manant
Maheustre Dieu
Comment pensez-vous obtenir quelque repos & Maheustre
asseurance. Qui vous maintiendra.
Manant Manant
En Dieu Dieu par le ministere de la Saincteté du Pape & du
Maheustre Roy Catholique, desquels apres Dieu est l’esperance
Qui estimez-vous qui vous sauvera des mains & de la France, & l’asseurance de tous les Catholiques,
puissance du Roy. ausquels Dieu par sa grace donne sa benediction aux
Manant siecles des siecles. Ainsi soit-il.
Dieu
FIN
3.3 Illustrations
« Ceux-là ont puissamment contribué aux découvertes, qui ont conçu la possibilité de les faire. »
Sénèque, Questions naturelles, Livre VI, §5.
4.1 Introduction
Sénèque au premier siècle de notre ère décrit l’effroi de l’homme devant les conséquences des tremblements
de terre, phénomène devant lequel il se sent totalement dépourvu de moyens et plus que jamais soumis à sa
propre faiblesse devant les éléments : « Quel asile peut sembler assez sûr quand le monde éprouve des
secousses; quand ses parties les plus solides s'écroulent ; quand la base inébranlable et fixe qui sert d'appui à
tout l'édifice, s'agite comme les flots; quand le sol perd cette immobilité qui semble son privilège? Quel sera
alors le terme de nos frayeurs? Quelle retraite, quel refuge trouvera la race humaine épouvantée, si du centre
même de sa demeure part l'objet de ses craintes, si le danger est sous nos pieds? La consternation est générale,
quand le craquement du toit annonce la chute d'une maison : chacun fuit d'un pas rapide, déserte ses pénates et
cherche un asile dans les lieux découverts. Mais où fuir, où espérer un abri, si le globe lui-même menace ruine ;
si le sol qui nous protége et nous soutient, si la terre qui porte nos villes, si ce globe, dont quelques-uns font la
base de l'univers, s'entrouvre et chancelle? Quel secours, quelle consolation espérer, quand la peur n'a plus
même où fuir? Quel rempart assez solide nous préserverait du danger et en serait lui-même à l'abri? A la
guerre, un mur me protège; des forteresses hautes et escarpées arrêtent, par la difficulté de l'accès, les armées
les plus nombreuses. Les ports servent d'asile contre la tempête; à l'abri d'un toit, nous bravons les nuages qui
se fondent en pluie et les torrents que ne cesse de verser le ciel. L'incendie ne suit pas l'homme dans sa fuite;
enfin, contre les foudres et les menaces du ciel on se met à l'abri dans des souterrains et des cavernes profondes;
car les feux célestes ne traversent point la terre et sont émoussés par le moindre obstacle de sa surface. En cas
de peste, on peut changer de demeure. Point de fléau qu'on ne puisse éviter. Jamais la foudre n'a frappé des
nations entières : un ciel empesté a pu changer les villes en déserts, mais ne les a point détruites. Le fléau dont
nous parlons a des effets plus vastes, plus inévitables, plus funestes à tous; il est plus insatiable. C'est peu pour
lui d'attaquer maisons, familles, villes, il détruit des nations, des régions entières : tantôt il les couvre de débris,
tantôt il les ensevelit dans des gouffres profonds, sans même laisser de traces qui décèlent l'ancienne existence
de ce qui n'est plus. Sur les cités les plus fameuses s'étend un nouveau sol, sans nul vestige de ce qu'elles furent.
Bien des gens craignent, plus que tout autre, ce genre de mort qui engloutit l'homme avec sa demeure, et l'efface
vivant encore du nombre des vivants; comme si toute mort n'aboutissait pas au même terme ! ».
Il poursuit en affirmant solennellement qu’il ne faut pas néanmoins rechercher dans l’intervention du divin
les causes de ces catastrophes, mais dans les phénomènes de la nature : « Il est bon aussi de se convaincre que
les dieux ne sont point les auteurs de ces révolutions; que ce n'est point leur courroux qui ébranle la terre ou le
ciel. Ce sont des effets de causes nécessaires, et non des vengeances ordonnées par eux. Ce sont les résultats de
114 Tremblements de terre et volonté divine
quelque vice de ces grands corps, malades comme les nôtres, et en souffrance alors qu'ils semblent chercher à
1
faire souffrir. »
Alors que Sénèque encourageait à rechercher les causes naturelles des tremblements de terre, saint Jean dans
son Apocalypse liait ceux-ci à la venue du dernier jugement. Cette opposition entre les philosophes et les
hommes d’église allait perdurer pendant encore plus de vingt siècles. Comme les penseurs de l’Antiquité
l’avaient exprimé, l’exploitation de la peur, de l’inconnu était un outil puissant au service de la propagande
religieuse contre laquelle avec tout son talent Lucrèce se dressa.
La peur de l’inconnu, la désignation du coupable, l’organisation de grandes communions populaires,
l’amalgame entre difficultés économiques, climatiques et catastrophes naturelles, l’exploitation des éclipses, des
comètes, tout cela fut utilisé pendant les guerres de religion du XVIe siècle. On peut citer Artus Désiré qui
2
écrivait en 1587 :
[…]
O bon Chrestien en ton esprit rumine
Ces signes grands que tu vois devant toy,
Ne vois tu pas en France la famine
Quoy qu’abondance y soit, dont en esmoy
Je suis, aussi que pour or ny aloy,
Ne pour parens, ou grands amis acquis
Les vivres y sont si treschers & requis,
Qu’à bien grand peine trouver blé en nul lieu,
Nous denotant par cé grand signe exquis
Qu’en bref aurons le jugement de Dieu.
La terre aussi n’a elle pas tremble
En aucuns lieux impetueusement,
Et le soleil de tenebres comblé
Perdu clarté, en son haut element ?
[…]
Non que cela fut inventé alors, ce fut sans doute et de tout temps un des meilleurs outils des religions ou des
sectes pour, en donnant du sens à ce que les hommes ne pouvaient comprendre, en exploitant leurs peurs et leur
besoin de se rassurer – un peu comme l’invention du purgatoire au début du deuxième millénaire – les contrôler
et les asservir, et les faire se lever au besoin pour faire la guerre à ceux qui menaçaient le pouvoir religieux en
place.
Plusieurs grands séismes frappèrent la France dans la deuxième partie du seizième siècle, rythmant la
progression des guerres de religion. De 1564 à 1588, de Nice à Angers, ce fut au moins quatre grands épisodes
qui furent suffisamment violents pour devenir des événements notables, et qui, accompagnant les combats, les
1
Sénèque, [429], livre VI, 1 & 3
2
Artus Désiré, « Les quinze signes advenuz és parties d’Occident … », [185] page C2.
Tremblements de terre et volonté divine 115
famines, la cherté de la vie et les épidémies pouvaient être utilisés comme autant d’avertissements de Dieu pour
que les hommes reviennent dans la communauté de l’église catholique, apostolique et romaine. Si les textes qui
nous sont parvenus sont au début descriptifs, au fur et à mesure que l’on s’approche de la fin du siècle, le ton se
fait de plus en plus partisan jusqu’à accuser les tenants d’une explication naturelle d’hérétiques. C’est cette
évolution que ce chapitre entend illustrer après avoir fait un rapide panorama des théories sismologiques.
2 3
Ce ne fut pas le cas des Grecs , et en particulier d’Aristote qui dans ses Météorologie développe une théorie
des tremblements de terre tout en s’opposant à celles qu’Anaximène de Milet, Anaxagore de Clazomènes, et
après eux Démocrite d'Abdère avaient proposées.
1
L'érudit Qin Keda, qui a survécu au tremblement de terre, en a rapporté quelques détails et en a tiré comme conclusion que
les gens n'auraient pas dû sortir immédiatement, qu'il valait mieux se tapir au niveau du sol et attendre : car même si le nid
s'effondre, quelques œufs peuvent être conservés intacts. [Wikipedia]
2
Pour ce chapitre voir en particulier Louis Chatelain, [435]
3
Aristote, [432]
Tremblements de terre et volonté divine 117
Pour Aristote (- 384 / - 322), les tremblements de terre sont dus aux
vents. Ceux-ci proviennent de l’échauffement par le soleil et par le
« feu intérieur » de la terre de l’humidité que celle-ci contient. Les
vents et souffles qui s’en échappent alors se déversent soit à la surface
de la terre soit vers le dedans, c’est alors qu’ils provoquent les séismes.
Pour renforcer sa théorie il en déduit des propriétés qui pour lui sont
démontrées par l’observation : les tremblements de terre se produisent
quand il n’y a pas de vent sur la terre, les plus violents se produisent la
nuit car les nuits sont d’ordinaire calmes, ou alors en milieu de journée
quand la force du soleil contient le plus le vent, le vent se comportant
comme les marées, ils se produisent rarement en hiver et en été, l’un
étant trop froid l’autre trop sec, les régions proches de la mer sont plus
4-4 : Aristote © Musée national,
sensibles car l’eau refoule les vents qui viennent de la terre, ils se
Rome, palacio Altemps
produisent d’autant plus que le sous-sol contient des cavernes et est
spongieux, ….
1
Au premier siècle avant J.C., Lucrèce (- 98 / - 55) reprend dans son De rerum natura , une partie de la théorie
d’Aristote. Pour lui, la terre est dans son sein, comme à la surface, constituée de cavernes, de fleuves, de mers et
de montagnes. Quand les fleuves souterrains roulent des rochers, quand des montagnes s’écroulent, la terre à la
surface tremble comme tremblent les maisons quand passent dans la rue de lourds chariots. Les vents qui se
déchainent dans les profondeurs peuvent se porter en un point donné, et exercent alors une forte pression sur les
parois qui fait pencher la terre du côté où la pousse l’ouragan, ce qui fait vaciller les maisons situées à la surface.
1
Lucrèce, [433]
118 Tremblements de terre et volonté divine
Comme Aristote, il considère que le vent peut pénétrer parfois sous la surface de la terre et tourbillonner alors
dans les cavernes, créant tremblements et déchirements. Lucrèce fut aussi un des promoteurs de la démarche
matérialiste qui cherche dans des causes naturelles les explications des
phénomènes physiques. Pour lui la religion est dangereuse et a asservi
l’homme : « Alors qu’aux yeux de tous, l’humanité traînait sur terre une
vie abjecte, écrasée sous le poids d’une religion dont le visage, se
montrant du haut des régions célestes, menaçait les mortels de son
aspect horrible, le premier un Grec, un homme osa lever ses yeux
mortels contre elle, et contre elle se dresser (…) Et par là, la religion
est à son tour renversée et foulée aux pieds, et nous, la victoire nous
élève jusqu’aux cieux » ; il faut rechercher les causes et non pas se
contenter du divin : « Ce qui rend les hommes esclaves de la peur, c'est
que, témoins de mille faits accomplis dans le ciel et sur la terre, mais
incapables d'en apercevoir les causes,
1
4-6 : Lucrèce © Wikipedia ils les imputent à une puissance divine. ».
2
Sénèque (4 av. J.C – 65 ap. J.C.) consacre le livre 6 de ses Questions naturelles aux tremblements de terre.
Il commence par décrire celui qui frappa Pompéi, Herculanum et Naples en 62, soit près de 17 ans avant la
destruction complète de la ville. On retrouvera d’ailleurs dans la maison de Lucius Cæcilius Jucundus des bas-
reliefs qui représentaient sans doute les dommages subis par des monuments de la ville lors de ce séisme, en
particulier le temple de Jupiter ébranlé et l’écroulement de la porte du Vésuve.
1
Lucrèce, [433], livre I
2
Sénèque, [429], Livre VI
Tremblements de terre et volonté divine 119
Il semble qu’aucun de ces auteurs n’aient fait un rapprochement direct entre l’activité volcanique et les
1
séismes, ou recherché des causes communes. Strabon , dans sa Géographie reconnaît néanmoins le caractère
« variables » des terres émergées : « On peut donc, en somme, se montrer moins empressé qu'Eratosthène
d'adopter l'explication de Straton ; et peut-être vaudrait-il mieux rattacher le phénomène en question à un ordre
de faits plus sensibles, du genre de ceux, si l'on peut dire, auxquels nous assistons tous les jours. Les
inondations, par exemple, les tremblements de terre, les éruptions, les soulèvements du sol sous-marin, d'une
part, et d'autre part les affaissements ou éboulements subits sont autant de causes qui peuvent avoir également
pour effet les unes d'exhausser, les autres d'abaisser le niveau de la mer. Et comme on ne s'expliquerait point
que ces sortes de soulèvements fussent possibles pour des masses ou matières volcaniques et pour de petites îles,
sans l'être aussi pour des îles de grande étendue, possibles pour les îles en général, sans l'être aussi pour les
continents, de même on devra admettre la possibilité des grands comme des petits affaissements ; d'autant mieux
que la tradition parle de cantons entiers et de villes, comme voilà Bura, Bizoné et plusieurs autres, qui auraient
été abîmées et complètement englouties à la suite de tremblements de terre. Ajoutons qu'on n'est pas plus
autorisé à voir dans la Sicile un fragment détaché de l'Italie qu'une masse soulevée par les feux de l'Etna, et qu'il
2 3 1
en est de même pour les îles des Lipariens et les Pithécusses . » Bruno Helly mentionne néanmoins que
1
64 av. J.C. – entre 21 et 25 ap. J.C.
2
Ile d’Ischia, formée par les laves de l’Epoméo.
3
Strabon, « Géographie », [430], livre 1, 3 § 10
120 Tremblements de terre et volonté divine
2
quelques auteurs auraient tenté ce rapprochement, tels Antiphon le Sophiste (Ve siècle av. J.C.) et peut-être
3
Empédocle d’Agrigente (début du Ve siècle avant J.C.).
4
Au premier siècle après J.C., Pline l’ancien , qui devait mourir lors
de l’éruption du Vésuve qui entraina la destruction de Pompéi en 79,
attribue lui aussi la cause des tremblements de terre au vent qui se rue
dans les cavernes de la terre et fend la roche pour se libérer. Il décrit les
différents phénomènes de vibrations et d’oscillations, ainsi que la
création de failles qui peuvent d’ailleurs se refermer cachant à tout
jamais ce qu’elles ont englouti. Il considère que les villes dans
lesquelles beaucoup de puits ou de souterrains ont été construits sont
moins sujettes aux tremblements de terre, ceux-là servant comme autant
d’exutoires aux ouragans souterrains. Il observe aussi que les structures
5 6 7
Ammien Marcellin dans son « Histoire de Rome » Raconte la destruction de Nicomédie le 24 août 358 :
« Les uns pressés par la violence des ruines qui tombaient sur eux, périrent sous leur propre poids ; d’autres,
1
Bruno helly, [431]
2
Antiphon, (Rhamnos, Attique v.480 av. J.-C. – Athènes 410 av. J.-C.) est l'un des dix grands orateurs attiques. Ce sophiste
hédoniste s’était spécialisé dans plusieurs domaines de la sagesse, en grec ancien σοφία, tels que le juridique, l’onirocrisie,
la mantique, la thérapeutique par les mots, la rhétorique. Aristocrate convaincu, il est l'un des instigateurs de la révolution
oligarchique de 411 av. J.-C. à Athènes, aux côtés de Phrynicos et de Théramène. Au rétablissement de la démocratie en 410,
il est jugé pour sa participation à ce régime par le peuple athénien, inculpé de haute trahison, et condamné à mort ; en pareil
cas, cette sentence était aggravée de la privation de sépulture, de la confiscation des biens et de la perte des droits civiques
pour les descendants. [Wikipedia]
3
Empédocle est un philosophe, poète, ingénieur et médecin grec de Sicile, du ve siècle av. J.-C. Il appartient aux
présocratiques, les premiers philosophes qui ont tenté de découvrir l'arkhè du cosmos, son fondement. L'originalité
d'Empédocle est de poser deux principes qui règnent cycliquement sur l'univers, l'Amitié et la Haine. Ces principes
engendrent les quatre éléments dont sont composées toutes les choses matérielles : l'eau, la terre, le feu et l'éther (ou l'air).
L'Amitié est une force d'unification et de cohésion qui fait tendre les choses vers l'unité (par exemple les organismes vivants)
ou même l'Un quand il s'agit du cosmos. La Haine est une force de division et de destruction qui fait tendre les choses vers le
multiple. [Wikipedia]
4
23 – 79, « Histoire naturelle », livre II, §81 à §95 [434]
5
Un des derniers historiens du monde romain, né en 330 et mort vers 395. Son histoire, « Res Gestae », couvrait la période
allant de 96 à 378, mais seules les années 353 à 378 ont été conservées.
6
Histoire de Rome, [439]
7
Ville d’Asie Mineure, nommée aujourd’hui Izmit. Après le séisme de 358, elle fut frappée une deuxième fois cinq ans après
en 363.
Tremblements de terre et volonté divine 121
enfouis jusqu’aux épaules, auraient être sauvés si l’on était venu à leur aide : ils ont péri faute de secours ;
d’autres pendaient, retenus par des poutres qui sortaient des murailles. De ce qui naguère était des hommes on
voyait, par suite d’un seul désastre, des monceaux de cadavres mélangés. Certains, prisonniers sains et saufs
sous les ruines de leurs maisons, devaient mourir de peur et de faim … La tête broyée, privés d’un bras ou d’une
jambe, des mutilés, entre la vie et la mort, imploraient le secours de ceux qui souffraient des mêmes maux ; ils
étaient abandonnés malgré leurs supplications. Des édifices publics et privés, et même des hommes, un certain
nombre encore auraient pu être sauvés, si, dans un incendie, l’ardeur brusque des flammes courant en désordre
pendant cinquante jours, n’avait détruit tout ce qu’elle pouvait consumer . » Il indique aussi qu’il faut se garder
d’invoquer Dieu, car on ne sait pas de façon sure celui qui pourrait en être la cause : « Aussi, pour éviter une
méprise qui serait un sacrilège, les rituels et les livres des pontifes prescrivent-ils prudemment (et c'est une
réserve strictement observée par les prêtres) de s'abstenir en ces occasions d'invoquer un dieu plutôt qu'un
autre, puisqu'on ignore encore quelle divinité préside en effet à ce grand désordre de la nature. »
1
Les encyclopédistes du Moyen Âge ont le plus souvent repris la
2
théorie d’Aristote, tels Bède le Vénérable (673 – 735) et Isidore de
3
Séville (Vers 560/570 – 636). Au début du dix-septième siècle, Pierre
Gassendi (1592 – 1655) remet en cause cette explication et avance qu’il
faut rechercher la cause des tremblements de terre dans l’inflammation
4
soudaine de gaz souterrains qui agissent telles des mines.
Les mêmes raisons sont reprises par Kant en 1755 dans une
monographie consacrée au grand séisme de Lisbonne de 1755. Ce
dernier, qui détruisit Lisbonne, eut lieu le 1er novembre 1755 à 9h40 du
matin. On estime que sa magnitude atteignit 8,5 à 9 sur l’échelle de
4-9 : Pierre Gassendi © Versailles Richter. Il fut suivi d’un tsunami et d’incendies qui ravagèrent la ville.
Cinquant à soixante mille personnes y trouvèrent la mort.
1
[Jean-Paul Poirier / Histoire de la sismologie]
2
Bède, dit le Vénérable est un moine et lettré anglo-saxon né vers 672/673 en Northumbrie et mort le 26 mai 735. Son œuvre
la plus célèbre, l'Histoire ecclésiastique du peuple anglais, lui a valu le surnom de « Père de l'histoire anglaise ». Il est
également linguiste et traducteur, et ses traductions des œuvres grecques et latines des premiers pères de l'Église ont joué un
rôle important dans le développement du christianisme en Angleterre. En 1899, Bède est proclamé Docteur de l'Église par le
pape Léon XIII ; il est à ce jour le seul natif de Grande-Bretagne à avoir été ainsi honoré.
3
Isidore de Séville, né entre 560 et 570 à Carthagène et mort le 4 avril 636, est un ecclésiastique du viie siècle, évêque
métropolitain d'Hispalis (Séville), une des principales villes du royaume wisigothique entre 601 et 636. Il vient d'une famille
influente (son frère, Léandre, ami du pape Grégoire le Grand le précède à l'épiscopat de Séville) qui contribue largement à
convertir les Wisigoths, majoritairement ariens, au christianisme trinitaire. Son épiscopat fut marqué par de dures
persécutions anti-juives et des conversions forcées. Il est également connu pour ses œuvres littéraires abordant des domaines
variés, de l'Écriture sainte à la grammaire, en passant par la théologie, la cosmologie et l'histoire ; il est appelé pour cela
par Charles de Montalembert « le dernier maître de l'ancien monde ». Il est notamment célèbre pour son œuvre majeure
Etymologiae, encyclopédie en vingt livres rédigée vers la fin de sa vie.
4
Gassendi, [438] tome V, pages 119 – 136
122 Tremblements de terre et volonté divine
1
Au dix-huitième siècle, une nouvelle théorie émergea qui attribuait aux phénomènes électriques la cause des
2
tremblements de terre. La première mention de cette théorie apparaît dans un article de William Stukeley (1687
– 1765) écrit à la suite du séisme qui frappa Londres en 1750 ; il y cite une conférence de Benjamin Franklin
pour lier les secousses sismiques à une décharge électrique similaire à la foudre. Par un effet d’analogie, ceux
qui s’opposaient aux paratonnerres en prétextant qu’ils attiraient la foudre attribuèrent à ceux-ci la responsabilité
3
de favoriser les séisme, tel le révérend Thomas Prince (1687 – 1758) à Boston qui conclue par « Oh ! On ne
peut échapper à la puissante main de Dieu ». Bien que critiquée par John Winthrop (1714 – 1779), professeur à
l’université d’Harvard qui expliquait que la terre étant un conducteur il ne pouvait pas y avoir de concentration
locale de charges électrique, cette théorie se répandit dans le monde scientifique. John Winthrop fit un premier
1
Voir en particulier Jean-Paul Poirier, [436]
2
William Stukeley, (7 novembre 1687 - 3 mars 1765) est un antiquaire anglais, pionnier de la recherche archéologique sur
les sites mégalithiques de Stonehenge et Avebury. Il a également composé une biographie d'Isaac Newton.
3
Thomas Prince (May 15, 1687 – August 22, 1758) was an American clergyman, scholar and historian noted for his
historical text A Chronological History of New England, in the Form of Annals. Called 'an American pioneer in scientific
historical writing',[1] Prince influenced historians such as Jeremy Belknap and Thomas Hutchinson, and his Annals was still
being used as a reference text as late as 1791. [Wikipedia]
Tremblements de terre et volonté divine 123
pas vers une compréhension plus exacte du phénomène en mesurant le décalage de temps entre les différents
événements observés lors d’un séisme à Boston ; il conclut à l’existence du « passage d’une petite vague de
terre », première allusion à la propagation d’une onde. En 1760, John Mitchell calcula la vitesse de propagations
1
des séismes, il obtint la valeur de 1900 km/h ; en observant la direction des chocs pour en déduire l’épicentre, il
conclut que « les tremblements de terre sont provoqués par des blocs de roches qui se déplacent à des kilomètres
sous la surface ». Buffon, qui attribuait les séismes aux inflammations et explosions souterraines dans sa Théorie
de la Terre en 1749, se convertit à la théorie électrique dans son ouvrage Les Epoques de la Nature paru en
2
1778. Il fut en particulier vivement critiqué par Marat (1743 – 1793) qui évoqua la possibilité que les secousses
soient liées à l’arrivée d’ondes sonores.
Ce n’est qu’à la fin du XIXe siècle et au début du XXe que le lien fut fait entre la géologie et les lieux où se
produisaient les séismes. On peut reprendre le résumé qu’en fit Ferdinand de Montessus de Balllore publié à
3
Modène en 1916 :
« On peut enfin se demander quels sont les sismologues dont les travaux ont marqué les principales étapes
du progrès de la science des tremblements de terre. Nous pensons que tout le monde sera d'accord pour accepter
la liste suivante, limitée aux morts et rangée par ordre chronologique : Perrey, Robert Mallet, Cecchi, Bertelli et
de Rossi, Milne, Rudolph et le Prince Galitzine. Nous y ajouterons le géologue Edouard Suess. Leur rôle est
facile à caractériser en peu de mots.
Comme on sait la première impulsion est venue des catalogues de Perrey qui, on peut le dire, ont permis de
songer à l'établissement d'une géographie sismologique ; Mallet a eu le mérite de reconnaître dans les
tremblements de terre un phénomène de mouvement que rien d'essentiel ne distingue des autres mouvements
périodiques étudiés en physique ; il est donc le père de la sismologie mathématique et mécanique ; en outre, sa
fameuse monographie du célèbre tremblement de la Basilicate (16 XII 1857) a été et sera encore longtemps le
modèle des travaux de ce genre ; Suess a démontré que notre phénomène naturel appartient surtout à la
géologie par ses causes profondes ; de Rossi et Bertelli ont découvert les microséismes et avec Cecchi ils ont
créé la sismographie ; Milne a su éclaircir un très grand nombre de questions de détail et posé les principes
généraux de l'architecture antisismique ; Rudolph a montré que le sol des océans n'est pas moins instable que
celui des continents ; le Prince Galitzine enfin a donné un merveilleux essor à l'étude mathématique des
sismogrammes […]. »
1
Valeur très inférieure au valeurs de 6 km.s-1 et de 4 km.s-1 qu’ont les deux types principaux d’ondes générées par les
séismes.
2
Jean-Paul Marat, né le 24 mai 1743 à Boudry (Principauté de Neuchâtel (aujourd'hui canton de Neuchâtel)) et mort
assassiné le 13 juillet 1793 à Paris, est un médecin, physicien, journaliste et homme politique français. Il est député
montagnard à la Convention à l’époque de la Révolution. Son assassinat par Charlotte Corday permet aux hébertistes d'en
faire un martyr de la Révolution et d'installer pendant quelques mois ses restes au Panthéon.
3
Jean-Paul Poirier, [436]
124 Tremblements de terre et volonté divine
1
Enfin en 1906, H. Reid , suite au tremblement
de terre de San Francisco, associa le séisme au
mouvement tectonique de la faille de San Andreas.
Il proposa la théorie du rebond élastique : au début
d’un cycle sismique les contraintes augmentent
dans les roches de part et d’autre d’une zone fragile
jusqu’à une valeur critique ; le relâchement de la
contrainte de manière brutale provoque un
déplacement au niveau de la faille qui génére
l’onde de choc.
4-11 : San Francisco, 1906 © photo archives AP / Bancroft
Library
4-12 : Faille de San Andreas dans la plaine Carrizo © Ian Kluft (Wikipedia)
1
Harry Fielding Reid (May 18, 1859 – June 18, 1944) was an American geophysicist. He was notable for his contributions
to seismology, particularly his theory of elastic rebound that related faults to earthquakes
Tremblements de terre et volonté divine 125
4-13 : Les épicentres des séismes en France depuis 1000 ans © BRGM
La première suit l’arc alpin et se développe jusque dans les Vosges, avec des zones où les intensités sont plus
importantes au sud de l’Alsace et dans les Alpes-Maritimes. La deuxième zone est située sur la chaine des
Pyrénées. Une troisième zone qui a la forme d’un arc se développant de Clermont-Ferrand à Nantes, et qui, s’il
1
Site du BRGM, portail sisfrance.
126 Tremblements de terre et volonté divine
ne présente pas un nombre important de séismes observés, a donné lieu à des séisme de forte intensité. Enfin une
quatrième zone au nord près de Calais, où des séismes de fortes intensités se sont produits mais pour lesquels les
épicentres étaient plutôt localisés sous la Manche.
4-14 : Les intensités des séismes en France depuis 1000 ans © BRGM
provoquent des cassures dont les ondes élastiques génèrent des tremblements de terre, enregistrés
1
par des sismographes loin du pôle à travers le monde.
La carte ci-dessous qui représente les épicentres des séismes observés de 1963 à 1998 illustre de façon
saisissante le lien entre les plaques tectoniques et les sources des séismes.
1
[Wikipedia]
Tremblements de terre et volonté divine 129
4-18 : La tapisserie de l’apocalypse de saint Jean – Angers (XIVe) © siècle, professait le même crédo :
Château d’Angers « Dieu flagelle la terre en raison de
nos dispositions vicieuses qui ont
suscité sa colère ». Les séismes étaient vus comme des châtiments partiels avant le séisme universel tel que
prédit par Saint-Jean dans son Apocalypse : « Cela fait, l'ange reprit l'encensoir, le remplit de braises de l'autel
2
et les lança sur terre ; il en advint coups de tonnerre, voix, éclairs et séisme. » et « Le temple céleste de Dieu
s'ouvrit alors, on aperçut à l'intérieur l'arche de son alliance, et il se produisit des éclairs, des voix, des coups de
3
tonnerre, un séisme et une forte grêle. ».
Marie-Hélène Congourdeau dans son article Les byzantins face aux catastrophes naturelles sous les
4
paléologues , dresse un tableau des différents courants de pensée qui s’opposaient à Byzance à la fin du premier
1
Joseph l’Hymnographe est un moine et poète religieux byzantin, né en Sicile vers 816, mort à Constantinople le 3 avril 886.
Partisan des images durant la crise de l’iconoclasme, il fut envoyé à Rome plaider la cause de leurs partisans. Capturé par
des pirates au cours du voyage, il parvint à revenir à Constantinople où il fonda le monastère Saint-Barthélemy. Exilé par
l’empereur en raison de son appui au patriarche Ignace, il fut nommé à son retour sacristain de Sainte-Sophie où il demeura
jusqu’au moment où, sentant la mort approcher, il se retira dans un monastère. Appartenant à l’école poétique du Stoudios,
il est surtout connu pour ses « canons », forme de poésie religieuse grecque qui succéda au « kontakion ». Il est reconnu
comme saint par les Églises catholique et orthodoxe.
2
Apocalypse de Jean, VIII, 5
3
Apocalypse de Jean, XI, 19
4
Marie-Hélène Congourdeau, [445]
130 Tremblements de terre et volonté divine
millénaire et au début du deuxième sur l’interprétation qu’il fallait avoir des tremblements de terre. On peut
distinguer trois types de pensées. La première se place dans la pure tradition d’Aristote et est exposée au VIe
1 2 3
siècle par Jean Philopon , au IXe par Photius et au XIe par Psellos . Contre celle-ci, des auteur s’insurgent en
opposant des raisons purement religieuses, comme Cosmas Indicopleustès contre Philopon jusqu’à Nicétas
4
Chnoniatès qui oppose les chrétiens aux philosophes : « Nous (les chrétiens) disons que les tremblements de
terre sont produits par Dieu, pour infuser la terreur chez les hommes et pour le ramener à un état d’esprit plus
sain ». La troisième voie est un compromis entre les causes naturelles et la volonté divine, cette dernière étant la
5
cause première, la nature l’instrument. L’auteur cite Nicéphore Grégoras qui en 1344, dissertant sur un épisode
de grêle, fait le lien entre les raisons naturelles et la volonté divine : « Etant donné que la grêle tire son origine
de l’eau, qui est un élément mou et qui se brise facilement, mais qui produit ensuite un dommage bien plus fort
que les pierres et le bois et toutes les flammes, comment ne verrait-on pas clairement à partir de ces choses un
avertissement de Dieu ? ».
Mais si les séismes sont l’œuvre de Dieu, des signes annonciateurs, il faut les déchiffrer. Plusieurs types
d’interprétations avaient alors cours, de l’annonce de fléaux encore plus redoutables à une expression de la
1
Jean Philopon est un grammairien, philosophe et théologien chrétien de langue grecque, né sans doute à Alexandrie vers
490/495 et mort après 5681. Plusieurs de ses ouvrages sont conservés, soit en grec, soit dans des traductions syriaques ou
arabes.
2
Photios ou Photius Ier de Constantinople, né vers 820, mort le 6 février 891 (ou 897), érudit et homme d'État byzantin, fut
patriarche de Constantinople de décembre 858 à novembre 867, puis du 26 octobre 877 au 29 septembre 886. L’Église
orthodoxe le compte au moins depuis la fin du xe siècle parmi les saints et les Pères de l'Église : le Synaxaire de
Constantinople mentionne sa fête à la date du 6 février. Les Latins l'ont longtemps décrit comme le principal responsable du
schisme du ixe siècle. Les travaux de l'historien et ecclésiastique catholique François Dvornik ont sur ce point rendu justice
au patriarche, qui se réconcilia avec le pape Jean VIII. Son activité de savant fait également de lui une des personnalités les
plus marquantes de l'époque byzantine.
3
Michel Psellos (en grec : Μιχαὴλ Ψελλός / Michaél Psellós) est un écrivain et philosophe byzantin, né en 1018 et mort en
1078. Il est l'auteur de multiples traités sur sujets divers : étymologie, médecine, démonologie, tactique, droit… On compte
également dans son œuvre conservée sept éloges funèbres complets. Parmi les éloges de personnes vivantes dont il est
l'auteur, on peut citer celui de Constantin Monomaque et celui de Jean d’Euchaïta/Mavropous. Trois discours judiciaires
sont édités : un réquisitoire contre le patriarche Michel Cérulaire devant le synode de 1058, un discours de défense
(apologie) également devant un synode écrit pour l'évêque déposé Lazare de Philippopolis, et une défense de Jean Xiphilin
dont la nomination comme nomophylax était contestée. Sa correspondance compte environ 500 lettres qui ne sont pas toutes
éditées.
4
Nicétas Choniatès (anciennement appelé, par erreur, Nicétas Acominatos) est un administrateur et historien byzantin, né
vers 1155 à Chônai, en Phrygie, et mort en 1217 à Nicée. [Wikipedia]
5
Nicéphore Grégoras, né vers 1295 à Héraclée du Pont, et mort en 1360, est un historien, philosophe, savant et humaniste
byzantin.
Tremblements de terre et volonté divine 131
1
colère divine comme Andronic II en 1296 à Constantinople l’utilise en ordonnant une grande procession : « Il
fit comprendre, écrit Pachymère, que le fait survenu était une vengeance de Dieu et il s’en prit à eux, parce
qu’ils vivaient dans l’insouciance et l’indifférence aux lois et prescriptions divines, mais il résumait le tout dans
l’absence de justice. » Dieu s’en sert ainsi comme un avertissement pour pousser à la conversion, mais alors
c’est la conversion de « l’autre » qui était comprise, de celui qui, par sa
différence, menaçait l’équilibre du pouvoir en place.
1
Andronic II Paléologue (grec : Ανδρόνικος Β' Παλαιολόγος), né le 25 mars 1259, mort au mont Athos le 13 février 1332,
est empereur byzantin du 11 décembre 1282 au 23 mai 1328. Il est le fils de Michel VIII Paléologue et de Théodora Vatatzès.
[Wikipedia]
132 Tremblements de terre et volonté divine
4.3.2 Statistiques
1
Le site du BRGM présente un recensement de tous les séismes observés en France ou pour lesquels on
dispose d’une observation écrite, et ce depuis l’an 463. Si dans les années récentes des enregistrements sont
systématiquement faits en utilisant des moyens modernes, pour les séismes historiques il a fallut se contenter de
rechercher dans les chroniques contemporaines les récits ou descriptions faites par des témoins, soit dans les
textes originaux soit cités dans des compilations ou traités d’histoire. Le nombre absolu des tremblements de
terre ne peut pas ainsi permettre de comparer entre eux les siècles pour estimer si certains ont pu présenter des
activités sismiques plus importantes que d’autres. Cet écart est clairement mis en évidence sur le graphique ci-
2
après qui présente le nombre d’observations répertoriées au XVIe siècle et à la fin du XXe siècle . Il faut noter
d’ailleurs que même au XXe siècle il y a eu des périodes pendant lesquelles le nombre d’observations ne peut
pas être considéré comme réellement représentatif, c’est particulièrement le cas pour les deux épisodes de guerre
qu’a subit ce siècle.
On constate, pour la fin du XXe siècle, une grande variabilité d’une année sur l’autre avec des valeurs aussi
hautes que 70 à 89, et des valeurs basses de l’ordre de 5. Cet écart est en partie expliqué par la comptabilisation
des répliques qui suivent les tremblements de terre importants comme autant de séismes, ce qui conduit à gonfler
de manière importante les valeurs numériques.
Le site du BRGM donne aussi une mesure de l’intensité des tremblements de terre, ou pour les séismes
anciens une estimation. Cette estimation est basée sur une analyse des dégâts occasionnés par ces séismes tels
1
http://www.sisfrance.net
2
Seules les données couvrant la période 1965-2007 ont été représentées sur ce graphique ; elles ont représéentées par des
triangles verts. Les années correspondant à chacun de ces triangles s’obtiennent en rajoutant 400 à la valeur figurant sur
l’axe horizontal.
Tremblements de terre et volonté divine 133
que consignés dans les documents contemporains ; elle doit donc être considérée avec réserves. L’échelle utilisée
est la suivante :
4 : secousse modérée, ressentie dans et hors les habitations, tremblement des objets,
5 : secousse forte, réveil des dormeurs, chutes d'objets, parfois légères fissures dans les plâtres,
6 : dommages légers, parfois fissures dans les murs, frayeur de nombreuses personnes,
7 : dommages prononcés, larges lézardes dans les murs de nombreuses habitations, chutes de cheminées,
8 : dégâts massifs, les habitations les plus vulnérables sont détruites, presque toutes subissent des dégâts
importants,
9 : destructions de nombreuses constructions, quelquefois de bonne qualité, chutes de monuments et de
colonnes,
10 : destruction générale des constructions, même les moins vulnérables (non parasismiques),
11 : catastrophe, toutes les constructions sont détruites (ponts, barrages, canalisations enterrées...).
On a représenté sur le graphique ci-après les intensités notées de manière annuelle au XXe siècle, et les
intensités des quelques séismes du XVIe siècle pour lesquels une estimation a pu être faite sur la base des récits
contemporains. On constate une relative stabilité pour ce qui concerne les séismes de forte intensité, ceux qui
effectivement ont été consignés dans les chroniques. Les tremblements de terre les plus violents atteignent des
intensités épicentrales de 8 à 8,5.
Enfin le graphique ci-après présente le nombre de séismes répertoriés au XVIe siècle, ainsi que les intensités
épicentrales les plus notables. On peut noter en particulier le séisme de Manosque en 1509 avec une intensité de
8, le séisme Nissart de 1564 qui eut la même intensité, le séisme de Tours en 1579 avec une intensité de 7,5,
celui de Calais en 1580, d’intensité 7,5 et dont l’épicentre se trouvait dans la Manche, et enfin celui d’Angers de
1588 dont l’intensité fut plus faible avec une valeur atteignant seulement 6,5. On va dans les paragraphes suivant
détailler ces quatre derniers tremblements de terre. Il est intéressant aussi de noter qu’en 1578 un séisme,
répertorié dans les tables du BRGM comme s’étant produit dans le Dauphiné, à La-Tour-du-Pin et dont
134 Tremblements de terre et volonté divine
l’intensité n’est pas connue, a été ressenti à Lyon et a donné prétexte à un petit opuscule de
vulgarisation Tremblement de terre advenu à Lyon le mardy vingtiesme jour de May mil cinq cens septante
1
huict, peu avant les quatre heures du soir .
1
[444]
Tremblements de terre et volonté divine 135
2
Un peu avant l’arrivée du roi Charles IX dans le sud de la France, un fort séisme secoue la région de Nice le
3
20 juillet 1564; dans son Histoire de la Provence , César de Nostredame l’évoque et rapporte que 2/3 des
habitants de la ville durent se réfugier aux champs :
« Dejia le soleil avoit passé jusques au signe du Lyon, où il estoit avant entré, lors que des quartiers de
Terre-neuve furent mandees au Comte de Tende certaines lettres contenant plusieurs esclandres y advenus de ce
temps, dont telles estoyent les paroles.
Je cuyde que vous avez entendu la desolation qui est en ces montagnes de terre-neuve, où sont peries jusques
à dix ou douze villes que bourgades, & des morts de huict à neuf cens hommes, ayant commencé telle mortalité
& fleau de Dieu le vingt de Juillet passé : si qu’une ville tombe aujourd’huy, l’autre demain. Les montagnes se
fendent par le milieu, les roches se brisent & despecent, avec un bruit & tonnerre espouvantable, de sorte que
les pauvres gens ne peuvent estre seurs ny avoir retraitte salutaire aux champs ny aux villes. Le bestail demeure
regardant au Ciel, comme implorant par quelque instinct de nature, & mortelle necessité la souveraine
misericorde.
L’on entend dans les cavernes des grands cris & des hurlemens effroyables : encor mesme Mecredy passé
beaucoup de maisons tomberent. Les deux tiers des habitans de Nisse couchent aux champs. Une grande partie
du Chasteau de Vintimille est tombé par terre, avec la moytié du Convent. Somme que tous les quartiers des
montagnes se fendent d’heure en heure, & à yeux voyans, dont est grande desolation. Escrit ce xx Juillet 1564.
En ce mesme temps passa par nostre ville de Sallon, un qui se disoit de ces quartiers là, lequel racomptant
ces tristes choses & ces tant estranges prodiges, laissa un roolle en sa langue naturelle & Nissarde qui est
comme un vieil Provençal des villes & chasteaux ruynez : en premier lieu Roche Begleure, & Mage où estoyent
restés morts & accablés sous les ruynes, jusques au nombre de trois cens & plus, & trente blessés. Beauvers
ruyné, trois cens morts & d’avantage.
La Boullene entierement & de fond en comble ruynee, deux cens cinquante morts, & quatorze blessés.
Lantousques à moitié ruynee, tous les pauvres habitans morts & accravantés, fors quatorze petits enfans.
Venasque à moitié ruynee, trente-huict de morts, & onze blessés. Outre cela le chasteau de Cahours tombé
avec le Pont, qui avoit cousté plus de cinquante mille escus, & le pas dict Mont-taillat, qui faisoit le grand
chemin de Piedmont, lequel a deux grands Rochers fendus & taillez à force de ferrements & de marteaux acerés,
pour faire le grand chemin de Nisse, & de Piedmont. S’estans ces rochers joincts & assemblés, entre lesquels
passoit une grosse & bruyante riviere, qui s’est effondree & perduë.
1
Francesco Megiol, [310]
2
dont l’épicentre était sous la vallée de La Vésubie
3
César de Nostredame, [31]
136 Tremblements de terre et volonté divine
Davantage s’est ryuné le chasteau de la Bregue, & y sont mortes plusieurs personnes ? Si bien que deux ou
trois jours apres ceste cheute & ruyne, s’est trouvé un Marchand de Nisse qui passant à Vintimille se profonda
sur le ferme, & se trouva enterré & engloutti jusques au col, resté vif la teste seule franche dehors, & criant
espouventablement & à gorge desployee, famine, famine : voix horrible apportant une telle frayeur à ceux qui le
voyent & l’entendent, que aucun ne veut luy porter du pain à manger, combien qu’il replique continuellement &
hydeusement la mesme parole. Estranges & prodigieuses choses, si l’advis en fut veritable, d’autant qu’elles
1
participent en quelque sorte du fabuleux & du conte. ».
4-23 : Carte du séisme de Nice de 1564, dressée par le marchand génois Francesco Megiol © Universitätsbibliothek,
Erlangen, Allemagne
Les dégâts furent considérables dans l’arrière pays niçois : la Bollène fut entièrement détruite et 250 de ses
habitants trouvèrent la mort ; Roquebillière fut durement touché, et compta près de 300 victimes, Saint-Jacques
Valdeblore détruit, des dizaines de victimes à Belvédère, Venanson, La Roche, … Près du littoral, des
mouvements de mer ont été rapportés à Antibes, Monaco et à Villefranche-sur-Mer dont le port se serait affaissé.
Il y eut des répliques jusqu’en septembre. Ce séisme, dit « séisme nissart », eut beaucoup de répercussions en
Europe.
1
César de Nostredame, [31], pages 800&801
Tremblements de terre et volonté divine 137
1
Francesco Megiol , un marchand génois de passage à Nice un mois après l’événement, envoya une lettre à un
de ses correspondants à Nuremberg à laquelle il joignit une carte représentant les villages détruits. L’orthographe
des noms des villages ainsi que leur position sur la carte laissent penser que l’auteur n’avait pas une réelle
connaissance de l’arrière-pays niçois, mais son intérêt n’en est pas moindre.
1
[310]
Tremblements de terre et volonté divine 139
1
Imprimé à Nuremberg par Hanns Adam. »
2
François Arnulphy , notaire de Broc dans les Alpes-Maritimes, nota dans son journal :
« A 20 de juillet post ave grand vent et tremblament de la terre et environ la demye nuyt autre tremblament de
terre que a mys par terre toutes les maysons de la Bolène et dez autres lieux en terre neusve et y sont mortz beau
cop de gens.
A 26 de juillet a retourné d’avant ledit tremblement de terre dont c’est faicte la procession générale au présent
lieu du Broc et dict grand messe à la annontiation de Notre Dame de la Foulx pour prier dieu vulhe avoir
miséricordie du pauvre puble et cesser son ire et la métigier.
Le luns dy dernier jour de Juillet hure de vespres, encors est retourné le tremblement de terre. »
Foulquet Sobolis, à Aix, est beaucoup plus concis, notant dans son journal « Le XX° juillet au dit an fut faict
3
terre trembant. ». Andrea Moroni et Massimiliano Stucchi dans leur article Materials for the investigation of
the 1564, Maritime Alps earthquake ([442]) dressent la liste des sources originales et des compilations traitant de
ce tremblement de terre. Ils indiquent en particulier qu’un certain Pierre Antoine Boyer aurait indiqué que le
séisme avait duré cinquante jours, et que Roquebillière et Belvédère furent exemptés de taxes pendant 10 ans.
Aux archives de Turin, une source indique que la ville de La Bollène fut elle exemptée de taxes pendant 20 ans :
« Ö A tutti sia manifesto que havendoci humilmente supplicato li diletti fedeli nostri huomini della comunità
della Bollena nel contado di Nizza che atteso le ruine et disaggi, da loro patiti per causa di terremoti che
1
Traduction d’anglais en Français, sur la base d’une traduction faite à partir de l’ancien allemand en anglais.
2
1543 – 1572 ; [441]
3
Foulquet Sobolis, [327]
140 Tremblements de terre et volonté divine
successero l’anno 64 et sempre hanno continuato et ancora Ö continuano fosse di buon piacer nostro di
essimerli et liberarli di tutti i carichi straordinari tanto reali che personali [Ö] per il tempo di vinti anni (ASTo,
1565-1567) »
1
Cité dans le feuillet de la direction générale de la prévention des risques consacré au séisme nissart, [380].
Tremblements de terre et volonté divine 141
vapeur de souffre … Chacun courut à sa maison secourir les siens, sans s’arrêter aux instantes prières de ceux
qui imploraient leurs services en passant ; ce qui rendit bien service à ma mère, car se faisant entendre par ses
cris, fut bientôt découverte et désengagée de parmi ces ruines. Ce tremblement mit tout ce bourg sens dessus
dessous ; il étouffa presque tous les habitants et mit le reste aux aumônes … ».
A La Roche, Jean Salicis compte cinquante morts ; à Clans, Francesco Blancardi dénombre quatorze maisons
1
détruites : « a Clans aver gettato a terra quattordici case » ; enfin Rimplas aurait été aussi durement touché .
Encore plus loin, le château de Saorge fut endommagé comme ceux de La Brigue, de Piène (Breil-sur-Roya)
et encore de Vintimille. Des secousses furent ressenties aussi loin que San Remo et Porto Maurizio sur la côte,
Borgo san Dalmasso et Taggia dans les montagnes piémontaises.
Les tremblements de terre furent aussi suivis d’un tsunami qui affecta la côte. Ainsi à Antibes où Honoré
Laurenti raconte que dans le port la mer arriva « à la manière d’un fleuve, envahissant de nombreux magasins,
puis se retira en laissant le port presque à sec. ». On a vu que Francisco Megiol mentionne aussi cela pour le
port de Villefranche, ce qui est confirmé par une autre source qui évoque l’abaissement des eaux du port de la
hauteur d’une lance : « … al porto di Villafranca il mare se e abassato di una buona lancia ». Les villages de
montagnes furent aussi victimes pendant plusieurs jours de glissements de terrain , comme à Saint-Jacques-de-
Valdeblore où l’église fut endommagée, les livres paroissiaux enterrés et un homme tué lors de l’événement.
Si la première secousse eut lieu le 20 juillet 1564, de nombreuses répliques, et ce pendant au moins cinquante
jours si ce n’est plusieurs mois, continuèrent à secouer la région. Le notaire de Broc consigne par exemple les
dates des 26 et 31 juillet 1564, puis les 5, 19 et 27 août, trois aussi en septembre, les 4, 23 et 25, et enfin un le 7
novembre. Ce fut le cas jusqu’en Italie pendant au moins deux mois, à Taggia et à San Remo.
On notera, mais cela peut être lié aux auteurs de ces témoignages qui sont tous des laïcs, que ces textes sont
purement descriptifs, même si celui de Francesco Megiol n’est pas exempt de compassion. Il n’est pas fait
allusion à une quelconque volonté de Dieu de donner aux hommes un avertissement afin qu’ils s’amendent.
Francesco Megiol, dans sa conclusion, s’il évoque Dieu, cela semble plus pour obtenir de lui protection contre
ces accidents de la nature que pour le remercier d’avoir envoyé aux hommes un avertissement salutaire témoin
de sa grande bonté. Ce sera de moins en moins le cas au fur et à mesure que l’on s’enfonce dans les années de la
2
guerre civile.
1
Cités dans [380]
2
Je ne prétends pas néanmoins avoir tiré cette conclusion d’une analyse exhaustive des écrits de l’année 1564 sur ce séisme,
que ce soit en France ou à l’étranger. Mais les recherches faites sur internet, si elles ont permis de trouver de tels textes sur
les autres tremblements de terre évoqués plus loin, n’ont pas parmis d’identifier un quelconque autre document sur celui-ci.
142 Tremblements de terre et volonté divine
La Bollène- La Boullene [31], Morena [310], La Bolène [441] & [442], Détruit ou très largement endommagé - 250
Bolene [380], Bolena [380]
Vésubie victimes.
Roquebilière Roche Begleure [31], Roccaballiera [310], Rocabigliera Détruit ou très largement endommagé - 300
[380] + [442] (Boyer + Roquebilière ms.)
victimes.
Belvédère Beauvers [31], Bello vedere [442] (Lubonis) Une grande partie du village détruite, de
cinquante à quatre-vingt victimes.
Lantosque Lantousques [31], Lantussia [442] (Lubonis + Roquebilière Village à moitié ruiné – Tous les habitants
ms.))
morts sauf 14 enfants.
Venanson Venasque [31], Venanssoni [380] + [442] (Lubonis + Eglise et plusieurs maisons effondrées, 8
Roquebilière ms.))
hommes, le curé et deux femmes trouvés
morts dans l’église + 38 morts.
Rimplas Repella [310]
La Brigue La Bregue [31] + [442] (Roquebilière ms.)) Château endommagé – plusieurs morts.
Breil-sur-Roya Janue [442] (Lubonis + Roquebilière ms.)) Château endommagé.
(Piène)
Clans [442] (Blancardi) 14 maisons détruites.
Saorge Cahours [31], Saurgi [442] (Lubonis + Roquebilière ms.)) Château endommagé et pont détruit.
Le Broc Broc [441]
? Mage [31]
? Roccamarina [310]
de-Valdeblore
Villars ? Villaret [310]
La carte ci-après provient du site « sisfrance », et représente les principaux lieux où des observations ont été
faites.
1
Comme évoqué plus haut, c’est dans un opuscule écrit sur ce qui a été ressenti à Lyon que l’on trouve
mention de ce séisme qui s’est produit à plus de 60 km de la ville. Il ne semble pas que l’intensité ait été très
importante, et il n’est pas fait mention de dégâts importants. Néanmoins, il est intéressant d’examiner le contenu
du document qui fait cinq pages.
L’auteur commence par un rappel des théories sur les causes des tremblements de terre, en mentionnant les
Babyloniens : « Les Babyloniens estimoient les tremblemens de terre proceder de l’influence des planettes,
principalement des trois procreans les foudres ». Il retient néanmoins la théorie « des vents » : « & est
vraysemblable, les vents en estre la seule cause : car jamais la terre ne tremble, qu’en temps calme… » et en
déduit quelques signes annonciateurs tel « L’eau des puis s’en rend trouble », et comme Pline l’ancien considère
que « les villes qui ont force conduits sous terre, & celles qui sont en pente, y sont moins sujettes ».
Il mentionne ensuite quelques « grands » séismes célèbres répertoriés dans les classiques, avant d’évoquer à
la fin de son discours qu’il faut peut être y voir un présage : « Tels evenemens ne sont sans presage : & ne puis
croire que celuy qui fut faict le mardy, derniere feste de la Pentecoste, environ les quatre heures apres midy,
l’air estant de la qualité susdite, nous esveillant par sa soudaine cholere en ceste ville de Lyon, ne soit un
advertissement de Dieu secouant ceste terre, pour nous admonnester de nostre debvoir. » Position assez mesurée
qui néanmoins annonce des textes beaucoup plus partisans tels ceux que l’on verra sur les séismes évoqués dans
les paragraphes suivants.
1
Tremblement de terre advenu à Lyon le mardy vingtiesme jour de May mil cinq cens septante huict, peu avant les quatre
heures du soir » ([444])
Tremblements de terre et volonté divine 145
Il termine enfin par une description de ce qui a été ressenti, montrant que ce sont plutôt sur les grands
édifices que l’effet fut le plus important : « Iceluy tremblement a esté diversement senty à la ville & aux
environs, en quelques lieux moins, & en d’autres davantage, & voire de plusieurs non apperceu. Et au contraire
ceux qui estoyent aux Eglises, sur les ponts, & grands & amples bastimens en ont receu frayeurs plus
grandes. », ce qui lui permet de finir sur une morale :
auroient été réduites en cendre par le feu du ciel, s'il ne se fut trouvé accompagné la fois ceux qui sont la cause
d'une pluye excessive. La campagne fut entierement désolée et la consternation si des malheurs du peuple, les
grande que chascun croyoit que la fin du monde aprochoit'. huguenots, et ceux qui
cherchent des raisons naturelles à ce qui ne doit être interprété que comme le résultat de la volonté de Dieu. On
verra aussi utiliser les autres prodiges comme autant de présages, comme l’avait fait Artus Désiré :
« Et afin qu’il ne $emble que les adverti$$ements cy de$$us $oient en vain publiez, il a e$té notoirement veu en la
France plu$ieurs $ignes merueilleux au Ciel de nuées tre$ob$cures en forme de fore$t, les vnes venant de la partie
d’Orient, auec celles de l’Occident $ignificatiues de tre$grande violence. Et combien que le vent vint d’Orient $i e$t-ce
que celles d’Occident venoient de plus grande impetuo$ité, & aux rencontres s’e$leuoient en la partie de Septentrion du
1
Claude Haton, [155]
Tremblements de terre et volonté divine 147
bas en hault, à plu$ieurs fois & diuers endroicts des clartez e$troictes & longues, donnant tre$grandes $plendeur, puis de
fois à autre n’apparoi$$oit aucune lueur, iu$ques à ce que nouuelles clartez tre$longues & peu larges, auec autres ob$curitez
de pareille longueur & largeur, les vnes d’Orient, les autres d’Occident, de rechef $e venoient aheurter, dont de bas en
hault s’e$levoient pareilles clartez que celles de$quelles auons ia parlé, comme flamme d’artillerie, & girandolles
artificielles, montans en forme de fuzées en l’air, puis de$cendans en pluye dorée, & dont $e di$cernoit ay$ément la
fumée, & encores darder ardeurs & pouldres, en triangle de la partie de Midy, courans & roulans iusques aux extremitez
du pays d’Angleterre, qui dura iu$ques $ur le minuict, la veille du iour $ainct Michel, avec $ignes de grande frayeur, &
Comettes fort lucides e$dictes parties oppo$ites. Ce que ces Signes ain$i diui$ez & entrela$$ez peuuent certainement
$ignifier les diui$ions qui $e publient en mainctes regions & contrees des religions contraires les vnes autres, & de
1
plu$ieurs $ortes »
Le témoignage le plus factuel vient probablement du journal de Pierre Fayet, où l’auteur note sobrement :
« Le vingt-cinquième janvier 1579, advint es villes de Bourges et Moulins et autres endroicts de la rivière de
Loire, ung tremblement de terre qui fit tomber quelques images es églises et quelques vieilles murailles à
2
Moulins ».
La description du curé de Provins, Claude Haton, est plus détaillée et touche déjà à la propagande :
« Audit moys de janvier (1579), le 25° jour, qui est la feste de la conversion de monseigneur Saint-Paul, fut
ung grand tremblement de terre ès villes de Chartre, d’Orléans, de Potiers, de Bloys, de Bourdeaus, de Tours et
La Haye en Touraine, et spécialement en ladite ville de Tours, où il fut plus espouventable qu’en nulle aultre des
dessus nommées. Et commença ledit tremblement dès les sept heures de matin et dura quasi tout le jour. Les
habitants de Tours furent si grandement espoventez, qu’ilz pensoient estre au finement du monde ; plusieurs
femmes enfantèrent de peur ; plusieurs personnes tombèrent à terre toutes transies, à demy mortes, froides
1
« Les quinze signes … », Artus Désiré, 1587, [185]
2
Pierre Fayet, [443] page 14
148 Tremblements de terre et volonté divine
comme marbre ; des cheminées et vielz édifices tombèrent. Les verrières des églises et maisons gringotoient et
sonnoient à merveilles, jusques à tomber par terre en plusieurs endroictz. Le peuple de la ville s’enfuit ès églises
pour estre en meilleure sûreté, si luy sembloit, et à haulte voix, avec les ecclésiastiques, crioit à Dieu
miséricorde, les prebstres se confessant les ungs aux aultres et par après le peuple à eux. On voyoit à veue d’œil
les plus grands et somptueux bastimens de laditte ville, tant les églises qu’aultres, trembler d’une façon
espoventable. Le tremblement cessé, le peuple reprint courage, et d’une dévotion incroiable rendit graces à
Dieu, estans tous en ceste volunté de convertir leur meschante vie en une meilleure, affin de ne tomber en l’yre
de Dieu, en laquelle ilz pensoient avoir esté avant ledit tremblement. Les ecclésiastiques, les justiciers et tout le
peuple résolurent et publièrent la procession généralle de toute la ville se debvoir faire au lendemain, pour
remercier Dieu de la miséricorde dont il avoit usé envers eux. Au jour dit, le peuple de toutes qualitez, de tous
sexes, de tous âges, jusques aux petits enfans, se rassemblèrent chascun en l’église de leurs parroisses, et par
après toutes les églises et parroisses avec les monastères s’assemblèrent en la grande église mons. St. Martin, et
de là, avec les relicques et ossements des sainctz, fut faicte la procession hors la ville, en laquelle se trouvèrent
plus de trois cens personnes nues de corps, teste, piedz et mains, n’ayant devant elles qu’un simple linceuil ou
linge pour couvrir la vergongne de nature ; aulcuns, par pénitence, portoient de grosses barres de fer sur leurs
espaules, aultres de grosses pièces de bois ; les prebstres estoient tous nuds pieds et bien simplement vestuz. Le
peuple, au jour du tremblement, s’estoit voué à plusieurs pélerinages ès lieux sainctz ; dès les premiers jours
d’après laditte procession, chascun se mit en chemin pour aller accomplir lesditz pèlerinage.
Si la terre n’eust tremblé qu’à Tours ou en une seulle aultre ville, il eust semblé que le vent eus testé cause
dudit tremblement. Car les vens qui sont, ainsi que disent les philosophes, enserrez soubz la terre, sont
quelquesfois cause des tremblements d’icelle, quand, ne povant trouver leurs canaux ou souspiraux pour sortir,
esbranlent laditte terre qui de soy est creuse et la font trembler, jusques à ce qu’ilz ayent retrouvé leurs
souspiraux et pertuis. Mais on peult douter que le tremblement dessus dit n’est provenu par les vens, ains par
permission de Dieu, pour tirer à pénitence le peuple de France, veu que ledit tremblement a esté tout en ung jour
et à mesme heure, en plusieurs villes, distantes de quinze, trente, quarante, soixante et cent cinquante lieues, et
qu’audit jour le temps, dès le matin et toute la journée, fut beau, clair et serein, sans faire grans vens, du moings
1
en ce pays. »
Si Claude Haton aborde le sujet des causes naturelles dans sa conclusion pour essayer de démontrer que la
théorie « des vents » en vigueur ne peut expliquer l’ampleur et l’étendue de ce séisme, il le fait néanmoins avec
une approche presque scientifique, tirant sa conclusion d’observations, et essayant de convaincre par la raison
plutôt que d’asséner une vérité à laquelle il faut croire.
Le ton est différent dans le Discours espouvantable de l’horrible tremblement de terre advenu és villes de
2
Tours, Orleans & Chartres, le lundi xxvj. Jour de janvier, dernier passé, 1579 . Déjà le titre de l’ouvrage est
remarquable, il ne s’agit plus d’expliquer ou de relater, mais de faire peur, et le même modèle sera repris pour
des opuscules similaires édités après les séismes de Calais en 1580 et d’Angers en 1588.
1
Claude Haton [155] pages 973-975
2
[446]
Tremblements de terre et volonté divine 149
L’auteur commence par louer la bonté de Dieu qui condescend à ne semer la désolation que de façon limitée
de façon à ce que les hommes, reconnaissant ses signes, puissent s’amender comme le firent dans l’histoire
1
certains peuples anciens tels les « Ninivites » au contraire des misérables juifs qui jamais ne comprirent qu’il
fallait renoncer à leurs erreurs :
« La bonté et misericorde de Dieu est si grande que jamais elle ne punit aucun l’ayant offencé que
premierement elle ne luy tende la main, admoneste & convie de retourner vers sa clemence & pieté, soit par
douceurs (que souvent nous negligeons) par maladies ou autres afflictions autant pesantes, & bien souvent pas
signes et prodiges […] Les juifs en la miserable Jerusalem n’ont fait le semblable, par ce que demeurans
ensevelis en leurs pechez, nul advertissemens a eux envoyez de la hault les ont peu induire ou à requerir
misericorde & moins à penitence […] ont esté presque tous submergez en une mer rouge, engloutissement de
leurs pechez. »
Il constate ensuite que la situation dans laquelle se trouve le peuple de France n’est pas différente de celles
dans laquelle se trouvaient les peuples de l’antiquité à qui avaient été envoyés les mêmes avertissements :
« Une grande partie du peuple est maintenant si desbordee du sentier de verité & adonnee à tant de sortes de
vices, qu’il semble proprement qu’ils auroyent volontiers envie de crucifier Dieu une autre fois. En quel aage
aussi y a-il eu d’avantage de guerres civiles, cherté de vivres, charité plusabolie, meurtres, assassinats, &
larcins […] Et qui en est la cause ? que nous contemnons les commandemens de Dieu & faisons tout au
contraire, ne prenans garde aux remonstrances qui nous sont faites ordinairement par ceux qui nous annoncent
sa saincte parolle, les mesprisants, & contemnans la justice. »
2
Il lie dans le même paragraphe les guerres, les vols, l’insécurité, la cherté de la vie, et en toile de fond le
tremblement de terre, aux conséquences du manque de foi, vecteur pour mobiliser le peuple catholique contre les
hérétiques huguenots.
Avant de décrire le désastre, il prévient qu’il est inutile de chercher ailleurs que dans la volonté de Dieu les
causes de ce qui est arrivé :
« & nonobstant on n’en fait aucun estat, sinon que philosophiquement on veur recercher la cause de tels &
autres prodiges : & plusieurs sont siosez que dire cela estre naturel : non, non C’est qu’il nous faut retourner
vers Dieu. »
Comme on le voit, il ne s’agit pas comme pour Claude Haton de démontrer mais de nier la possibilité même
de rechercher une cause naturelle ; bientôt, comme pour l’interprétation de la bible elle même, il sera considéré
que la recherche d’explications naturelles à l’encontre de ce qui sera révélé par le clergé est un crime contre la
religion.
La description que l’auteur fait de l’événement est ensuite très proche de celle que l’on trouve chez Claude
Haton au point que l’on peut se demander s’il n’y avait pas une source commune (ou si Claude Haton n’avait pas
eu connaissance de cet opuscule). On notera néanmoins l’utilisation beaucoup plus fréquentes d’adjectifs, de
verbes ou de noms participants d’un registre anxiogène : horrible, épouvantable, horreur, lamentables cris,
piteuses complaintes, désolation, tremblement, frayeur, terreur, ruine, furie, dernier jour,… Il mentionne aussi
1
Habitants de Ninive, ville assyrienne qui aurait été convertie par Jonas. Elle était située là ou aujourd’hui est Mossoul sur
le Tibre.
2
Comme le fera Artus Désiré dans l’extrait reproduit au §1 provenant de [185]
150 Tremblements de terre et volonté divine
« Je concluray donc que ces tremblemens ne sont autre chose que un advertissement de nous reconcilier à Dieu,
& faire penitence de nos fautes passees, amendant nostre façon de vivre. ».
1
Ville pour laquelle il mentionne la cathédrale : « en laquelle est bastie […] ceste sumptueuse Eglise en ce temps dediee à la
vierge qui enfanteroit ».
2
On ne peut ici ne pas se remémorer le « septième sceau » de Bergman, et sa cohorte de flagellants parcourant la campagne
suédoise pour appeler le peuple au repentir avant l’arrivée de la peste noire.
3
Il y avoit plus de trois cens persones vestus d’un linge blanc tout simple pardessus la chair nue, marchans à pieds nuds, les
uns chargez d’une forte & massive piece de bois, &les autres d’une poisante barre de fer, crians miséricorde.
4
Sans doute du fait des épidémies qui devaient se déclarer à l’issue de séismes entrainant un grand nombre de morts suite à
la décomposition des cadavres qui ne pouvaient pas être enterrés suffisamment rapidemment.
Tremblements de terre et volonté divine 151
Le tremblement de terre qui a eu lieu le 6 avril 1580 dans la région de Calais a été ressenti en France jusqu’à
Paris et Rouen, en Angleterre jusqu’à Londres, ainsi qu’en plusieurs ville de Belgique et des Flandres.
1
Claude Haton en a fait une description détaillée: « Le 6° jour du moys d'apvril, advint ung grand et
espoventable tremblement de terre dans les villes de Chasteau-Thierry, de Soissons et de Laon, en ung village
près la Fère en Picardie, à Rouen, Pontoise, Poissy, St-Germain-en-Laye lez Paris, Beauvais, Calais, et en
quelques endroictz de la ville de Paris, tout en ung mesme soir et mesme heure dudit 6e jour d'apvril, le tout bien
vérifié par leshabitans desdittes villes et lieux et aultres qui y estoient logez, ainsi que nous en avons sceu par
eux le discours. Nous parlerons premièrement de la ville de Chasteau-Thierry-sur-Marne, qui est la plus proche
de la ville de Provins, en laquelle commença ledit tremblement de terre, dès les six à sept heurès du soir, dans le
chasteau, qui est assis au pied d'une montaigne et rocher fort ferme. Duquel chasteau tremblèrent les logis si
1
Claude Haton, [155], pages 1012&1013
Tremblements de terre et volonté divine 153
rudement, que les chiennetz ou landiers qui estoient souhz les cheminées tombèrent à terre, tant ceux des
chambres basses que des haultes, comme aussi firent-ilz en plusieurs maisons de la ville, où furent cassez
plusieurs potz de terre et verre, qui estoient sur les dressoirs, planches et buffetz desdittes maisons. Les verrières
des églises et maisons sonnoient et retentissoient à merveilles et en telle sorte que les habitans babandonnoient
leurs logis, de peur qu'ilz tombant ne les accablassent dessouhz. Et dura ledit tremblement deux nuictz l'une
après l'aultre, et non de jour. Le fauxhourg St-Nicolas, qui est oultre la rivière, du costé de la Brie, ne trembla
aulcunement, et n'y eut que la ville et chasteau. Les habitans coururent à l'église pour prier Dieu de les
conserver, et firent, pour apaiser l'yre de Dieu, des processions par chascun soir jusques au jour de l'octave de
Pasques, en jeusnant et confessant leurs pescbez.
A Rouen, les maisons tremblèrent depuis quatre heures du soir jusqu'à minuit; les verrières des églises et des
maisons furent brisées, quelques parties des voûtes de la cathédrale s'écroulèrent. A Calais, une portion des
murailles de la ville et plusieurs maisons tombèrent, la terre s'ouvrit et laissa voir des hommes armés se
combattant avec un bruit effroyable. Il fut rapporté que le tremblement s'était fait sentir en plusieurs endroits de
la ville de Paris, et nommément à l'hôtel de Nesle, où logeait madame de Nemours; mais le fait n'a pas été
suffisamment constaté. Ce fléau, avec plusieurs autres, guerres, maladies, etc. est un signe de l'approche de la
fin du monde. »
1
Pierre Fayet dans son journal note seulement : « Le sixiesme avril, la terre a tremblé à Paris. » Pierre de
l’Estoile est plus prolixe: « Ce mercredi 6° avril 1580, advint tremblement de terre espouvantable à Paris,
Chasteau-Thierri, Calais, Boulongne et plusieurs autres villes de France, petit toutefois à Paris au prix des
2
autres villes. »
A Rouen, on trouve dans un opuscule chrétien écrit à la suite du séisme qu’ « […] en date du vi. jour de ce
present mois : esquelles ({dans les lettres recues par l’auteur}) est contenu que le jour susdict, le temps estant
clair & serain, sans aucuns vens, foudres, ny tonnerres, sur les quatre à cinq heures du soir, il y eut un tel
tremblement de terre en ladicte ville de Rouen, que plusieurs des églises & bastimens de ladite ville, en ont esté
grandement endommagez. ». Le porteur de ces lettres arrivant à Pontoise, se rendit compte que le tremblement
de terre avait été général alors que « s’estant transporté en l’église nostre Dame dudit lieu, & il vit comme toutes
les verrieres de ladicte eglise estoient toutes rompues & cassees & mesmes quelques pierres estoient tombees
3
des voultes en baeucoup d’endroits. » .
Plus proches de l’épicentre c’est avec plus de passion que les chroniques ont été écrites. Le maire
d’Abbeville (Somme), Antoine Rohaut, consigne : « Le mercredy des festes de Pasques, sixiesme jour d’avril
mil vc quatre vingtz, entre six et sept heures après midy, advint ung tremblement de terre quy dura peu de temps
et néanmoins espoventa plusieurs personnes, les rendant en admiration pour estre une chose inacoustumée.
Ledit tremblement de terre fut aperceu d’aucuns et non des aultres. On conjonctura que Dieu estoit couroucé
contre ses créatures…. ». Le greffier de l’échevinage d’Arras, dans le Pas-de-Calais écrivit : « Sur les cinq heure
1
Pierre Fayet, [443], page 18
2
Cité dans la brochure éditée par la Direction Générale pour la Prévention des Risques consacrée au séisme de Calais
[379]
3
[371]
154 Tremblements de terre et volonté divine
et demye aprez midy, seroit advenu en ceste ville et territoir ung tremblement de terre qui n’auroit guerres duré
seulement environ la moitié d’un demy quart d’heure, quy auroit causé que plusieurs couvertures de cheminées
vieilles et caduques seroient tombées en divers lieux en ceste ville ; lequel tremblement de terre pour n’avoir
oncques esté oy ny sentu en ces quartiers, auroit fort estonné les habitans de ceste dite ville et pays, encoires
plus aprez avoir entendu qu’il auroit esté général partout, ayant icelui tramblement esté plus grand et
espouvantable es lieux approchans la mer et en iceux ayant porté grand domaige, signament en la ville de
Calais où aucunes maisons signallées, mesme le belfroy d’icelle ville auroient esté les aucunes ruynées du tout,
aultres en partie et le belfroy ouvert et party en deux, estant demeuré la partie où estoit le ghueteur. ».
Pour Calais, on trouve aussi trace d’un violent
mouvement de mer, sans doute un tsunami: « & mesmes que
la mer avoit passe ses bornes accoustumees, & en avoit
grandement endommagé les murailles de ladite ville de
1
Calais ». A Boulogne-sur-Mer les dégâts furent aussi
importants à la lecture d’un procès verbal établi par le
chapitre Notre-Dame de cette ville : « Si solides qu’ils
soient, les édifices de la ville furent agités comme feuilles au
vent. […] La masse même de la terre était remuée comme
une balle dansant sur un filet. […] La pyramide du clocher
de Notre-Dame oscillait en tous sens. Me faîte de la tourelle
toute proche du lieu capitulaire (battue par les vents depuis
les coups de bombardes anglaises lors du siège de
Boulogne) s’écroula. De nombreuses pierres tant dans le
chœur de l’église que dans les chapelles adjacentes
tombèrent. […] Les maisons des particuliers souffrirent
aussi : dans quelques-unes, la vaisselle et autres ustensiles
4-35 : Falaise effondrée à Douvres © Wikipedia
tombèrent sur le sol ; on vit les tables et les convives
s’élever presque à la hauteur de deux pieds et les verres placés devant eux se briser ; dans certaines caves des
tonneaux remplis de vin, enlevés à leur chantier, tournoyèrent … » ; encore à Lille : « Environs les six heures du
soir fit tel tremblement de terre à Lille et en plusieurs villes circonvoisines dont tombèrent par ledit tremblement
plusieurs cheminées, verrières rompues. Pareillement en ladite ville tomba l’égille du petit clocher de la
chapelle Notre-Dame de Lorette emprès le grand portail de Saint-Etiesnne et en plusieurs villages, les cloches
sonnèrent de la grande véhémence dudit tremblement. ». A Douai (nord), on trouve dans le registre aux
mémoires de la ville : « Un grand et espouvantable tremblement de terre ayant causé cheute de pierre
d’aulcunes maisons ». A Rumégies, dans le Nord, on trouve encore : « La terre trembla si fort que pot, paielle,
plats, caudrhons tomboient rus des asseelles ; plusieurs furent ruées par terre ; les cloches en aulcuns lieux
sonnoient du tremblement de terre. ».
L’épicentre de ce séisme est estimé avoir été entre Douvres et Calais du fait de la répartition des dommages.
En Angleterre c’est surtout la ville de Douvres où semblent avoir eut lieu le plus de destructions ; une partie des
1
[371]
Tremblements de terre et volonté divine 155
falaises s’écroule dans la mer, entrainant avec elle une partie des murs du château. Les villes de Sutton,
Sandwich et Saltwood subirent de fort dommages. S’il fut ressenti à Londres, les dommages y furent mineurs.
Claude Haton qui dans ses notes sur le tremblement de terre de Tours de 1579 invoquait, même si c’était
pour la dénoncer, la théorie d’Aristote sur l’effet du vent, dans son texte sur Calais n’hésite pas à faire appel au
surnaturel : « une portion des murailles de la ville et plusieurs maisons tombèrent, la terre s’ouvrit et laissa voir
des hommes armés se combattant avec un bruit effroyable ». L’église préférait sans doute ces explications
surnaturelles qui permettaient d’invoquer la colère de Dieu et la nécessité de réformer les mœurs et de courir sus
aux hérétiques, plutôt que les tentatives d’explications naturelles. Les « raisonneurs » étaient craints car possibles
sources de défiance par rapport au clergé comme on peut le voir dans cet extrait d’un autre occasionnel publié
1
sur le même événement : « Il n’est question de cercher icy aucun subterfuge, ia ne fault amener les raisons
naturelles ; le lieu est si evident, qu’il est mesme clair aux aveugles. Je scay que les Physiciens se opposeront de
prime face à mon dire, pour estre advenus jadis souvent choses semblables : pour avoir veu des villes par
tremblement de terre abysmées, renversées & fort esbranlées : pour avoir leu certaines raisons de tels
evenemens : si suis-je asseuré qu’ils seront en fin contraints de m’acorder qu’il y à icy quelqu’autre respect, &
que toute la raison naturelle y est confusse. ».
La construction de la brochure est
caractéristique de l’utilisation que faisait
l’église de ces catastrophes qui touchait tant
aux peurs de l’homme, comme Sénèque le
notait déjà. Après une brève description des
événements, l’auteur témoigne avec
émerveillement des processions qui se sont
organisées pour rendre grâces à Dieu et du
grand nombre de personnes qui y
participèrent, tout en convenant que
l’initiative populaire avait été soutenue par
l’obligation faite d’y assister : « Dequoy tout
4-36 : Effets sismiques autour de l’épicentre du séisme de Calais © le peuple estant grandement esmeu, le clergé
[379]
surce assemblé commanda tout sur l’heure,
que par toutes les parroisses de ladicte ville, on eut à faire processions & prieres publiques jusques à minuict &
apres minuict […] & fut enjoint à toute personne de justice, & qu’un chacun eult à fermer sa boutique, & se
mettre en prieres & oraisons ». Il fallait ensuite convaincre que ces événements n’étaient pas naturels et qu’ils
étaient des avertissements que Dieu donnaient aux hommes et qui annonçaient la fin du monde. Il fallait ensuite
insister sur l’état de péché dans lequel les hommes étaient alors qu’ils étaient si proches du jugement dernier
« Quand est du premier qui se sent estre hors de la grace de Dieu, pour estre en peché mortel, doit bien penser
avecques grant cogitation qu’il ha à mourir, & qu’il ne seait ne quant ne comment, n’en quel lieu, & que s’il
1
« Discours merveilleux et effroyable du grand tremblement de terre, advenu ès villes de Rouen, Beauvais, Pontoise,
Mantes, Poicy, Saint Germain en Laye, Calais & autres endroicts de ce royaume avec le traité des Processions, & prières
publiques qui ont esté faictes le Vi. Jour d’avril 1580 » ([371])
156 Tremblements de terre et volonté divine
mouroit en peché mortel, il iroit tout droit en enfer, ou il ny a autre chose que peine, pleurs, & grant misere. ».
L’auteur veut ensuite convaincre de la nécessité de se trouver un « bon confesseur » et de communier au moins
quatre fois par an : « C’est à savoir à Pasques, à la Penthecouste, à l’Assumption nostre Dame, & à Noel, ou
plus ou moins selon le conseil de son confesseur. ». Il conclu, de manière assez étonnante après avoir dit que l’on
ne pouvait pas savoir si on était dans la grâce de Dieu, sur les signes qui peuvent laisser penser que nous sommes
sauvés : « […] quand l’homme à ferme propos de ne jamais l’offenser, pour l’amour seulement qu’il luy porte
[…] quand l’homme garde les commandements de Dieu, & qu’il y prend plaisir […] quand il commence à avoir
le monde en ennuy, avec tous ses plaisirs […] quand il se delecte à ouyr la parolle de Dieu, & les predications,
1
& prent plaisir à la messe devotement dicte […] quand l’homme prent patiemment toute tribulation. »
1
Sur la voie du « pari » de Pascal … : Vous voulez aller à la foi, et vous n'en savez pas le chemin ; vous voulez vous guérir
de l'infidélité, et vous en demandez les remèdes : apprenez de ceux qui ont été liés comme vous, et qui parient maintenant
tout leur bien ; ce sont gens qui savent ce chemin que vous voudriez suivre, et guéris d'un mal dont vous voulez guérir. Suivez
la manière par où ils ont commencé : c'est en faisant tout comme s'ils croyaient, en prenant l'eau bénite, en faisant dire des
messes, etc. Naturellement même cela vous fera croire et vous abêtira. « Mais c'est ce que je crains. » - Et pourquoi ?
qu'avez-vous à perdre ?...
Tremblements de terre et volonté divine 157
2
Le 26 mars 1588, un tremblement de terre se produisit dans la région d’Angers ; Louis Vivant fit une
3
description de ce qui fut ressenti à Nantes dans un traité qu’il dédia à Philippe-Emmanuel de Lorraine, duc de
Mercoeur et gouverneur de Bretagne. :
« Soyez donc averti, monseigneur, que le vendredi vingt-cinquième
jour de mars 1588, jour de l’Annonciation, environ les onze heures du
matin, le temps étant assez calme, le vent Suest, lorsque se célébroit la
Grand’Messe, fut oui par toute la Ville un gros bruit, ronflant & grondant
avec un tressaillement & tremblement de Terre assez grand, pour la
simple passée & course qu’il fit, de sorte que le Peuple, qui étoit en
grande afluence ès Eglises, en fut tout instamment effraïé, fors les uns qui
pensoient que ce fussent quelques carosses que l’on menât par les rues :
les autres se doutoient que ce fût la mine de la porte Sauvetour qui eût
joué : ceux qui étoient ès maisons, en un moment jugeoient le feu être pris
ès cheminées entendant même bourdonnement que lorsqu’il y est allumé :
4-38 : Duc de Mercoeur © Atrium & même plusieurs craignoient que le feu fût en la maison. Ce bruit & ce
heroicum Caesarum, regum, [...] tremblement ne fut seulement en la Ville & Faux-bourgs, mais à Nozay,
imaginibus [...] illustr[atum].
Encenis, Oudon, Mauves, Carquefou, Saint-Erblein, Saint-Etienne, Bloi-
la-Haye, Basse Goulaine & en la Haute-Goulaine principalement, de quoi les Païsans furent si étonnés
plusieurs en ces lieux-là, qu’ils quitterent le Service, & abandonnerent le Prêtre qui célébroit la Messe. La
riviere même fut vue bouillonner à même temps. Ce prodige présage beaucoup de calamités & un admirable
changement en cet Etat.
Ce tremblement nous avertit de venir à la vive connoissance de nos fautes. Comme aussi ces derniers jours
nous avons été admonestés par les hommes en feu ; qui ont été vus se combattre en l’air, par les Batteliers du
Païs d’Amont, vers Tours & Saumur… ».
Au-delà de ce rapport presque officiel, on a trouvé plusieurs autres témoignages de l’événement, tel à Saint-
Mathurin-sur-Loire on trouve: « Tremblement de terre universel. Le vendredi, jour et feste de l’Annonciation
Nostre Dame, XXVème [de mars], lorsqu’on disoit l’évangile, moy soubzsigné, célébrant la messe, fist un grand
tremblement de terre lequel fut universel et trembla par trois fois. Que certifie soubz mon seing. Les dit « jours »
1
[367]
2
Jean Vogt dans [370] situe l’épicentre près d’Angers, avec une intensité un peu inéfrieure à VII.
3
[356] in [248] pages 301-302
158 Tremblements de terre et volonté divine
1
et an. Dieu par sa sainte grâce nous ceuille garder. ». Dans le registre paroissial de Bouille-Menard (Maine-et-
Loire) la description du séisme est plus précise : « Le jour de l’annonciation Notre Dame, vingt cinquiesme jour
de mars l’an susdict environ dix heures du matin, lhors que je commençois la grande messe,il feist un grand
tremblement de terre et s’entendit un grand bruit en l’air qui estonna beaucoup et moy et tous ceulx qui estoient
en l’église, desquelz plusieurs en yssirent hors car il sembloit que fussen un ou deux chariotz un cocher qui
passassent fort impétueusement par davant le chanceau de l’église. Ce bruit fut entendu de touz […] et lhors le
temps estoit clair, l’air sans […] et fesoit fort grand seicheresse. Ce bruit et tremblement dura comme on
arresteroit à dire deux fois pater noster et ave maria ou environ. Le soir du lundy auparavant, il avoit aussi esté
un aultre bruit ou tremblement non touteffois si grand ni bruiant comme cestuy cy. En ces mesmes jours, on veoit
2
aussi au soir de grandes clartes ou illuminations vers le costé de l’air de neuf à dix heures du matin. » A
Erigné, on trouve dans les registres de la fabrique : « Le 25 mars 1588, jour de l’Annonciation, un tremblement
de terre se fit sentir à six heures du matin. Il sépara le mur de l’église d’Erigné du côté nord ; plusieurs maisons,
proche l’église eurent beaucoup à souffrir du tremblement de terre ; les habitants de la paroisse furent
consternés et crurent que la fin du monde était arrivée. » Enfin, dans les archives du chapitre Saint-Laud
d’Angers, un texte qui tout en finissant en rendant grâce à Dieu, ose évoquer l’origine naturelle du séisme en
résumant la théorie d’Aristote : « Par écrit nous notons ici pour le présent et pour l’avenir, que cette année, le
jour de l’Annonciation de la sainte Vierge, pendant que la grand’messe se chantait dans les églises, tout à coup
il se fit un tremblement de terre si violent que tous les fondations et les murailles s’ébranlèrent et tremblèrent
très fort par l’impétuosité des vents enfermés et s’agitant dans les entrailles de la terre pour chercher une issue ;
grande terreur et grande épouvante se répandit partout dans les foules des fidèles rassemblés dans les églises. A
cette cause fut faite une procession générale, le même jour, jusqu’au Ronceray, au-delà des ponts ; dans laquelle
procession, quelles multitudes d’hommes s’y pressèrent pour rendre du fond du cœur des grâces immortelles à
Jésus-Christ, notre protecteur, la langue humaine peut à peine l’exprimer. »
1
Registre paroissial de Saint-Mathurin-sur-Loire, [381]
2
Transcription de Mme. Odile Halbert, [381]
Tremblements de terre et volonté divine 159
Célestin Port, dans son ouvrage Notes et notices angevines cite plusieurs témoignages ou récits de ces
1
événements. En particulier celui d’un certain Louvet : « Il faisoit ung beau temps, accompaigné de la clarté du
soleil, lequel estoit fort beau et ne faisoit aucun vent. Durant qu’on célébroit la sainte messe et que le peuple
estoit aulx grandes messes aud. Angers, il fist ung tremblement de terre, qui estoit et fust si grand, qu’on pensoit
que tout alloit tomber et abismer et que les église alloient cheoir par terre, qui rendist une si grande espouvante
au peuple, qui estoit ès églises, qu’on s’entrestouffoit à qui sortiroit des premiers, à raison du tremblement des
viltres et des voustes desd. Eglises ; mesme que les prestres, qui estoient à célébrer la messe aulx autels,
prenoient la fuite de la peur qu’ils eurent, à raison du tremblement des voustes des dittes esglises, desquelles il
tomboit de la chaux, que d’un grand bourdonnement, qui se faisoit au ciel, lequel tremblement estoit ung
avertissement de la part de Dieu de s’amender et un augure de beaucoup de maulx qui sont depuis arrivez. ».
2
Célestin Port cite un autre historien, Roger , qui lui vit dans le tremblement de terre l’annonce de la victoire
catholique d’Auneau : « Il se fit à Angers un horrible tremblement de terre sur les dix heures du matin.
Quelques-uns en furent si espouvantés qu’ils pensèrent en mourir de peur. Cela pouvoit estre un présage du
combat de Vimory et de la bataille d’Auneau, où le duc de Guise se vengea sur les huguenost et les reitres de la
disgrâce que les catholiques avaient soufferts à Coutras. »
Si Louis Vivant évoque l’origine divine du tremblement de terre, propre à terroriser le peuple, le clergé, dans
ces temps où il fallait mobiliser le peuple pour le pousser à se battre pour les intérêts de l’église, devait utiliser
encore et encore ces événements naturels pour justifier leurs prêches. En 1588 aussi, parut un opuscule Sur le
tremblement de terre survenu à Angers le 26 Mars 1588 ([367]), du « Conseil Chrétien », et qui lui va plus loin
dans l’interprétation de l’événement et dans la condamnation de ceux qui voudraient y voir une origine naturelle.
Pour l’auteur, la raison, ou l’usage de la raison pour interpréter la réalité, est l’un des plus grands dangers qui
menacent l’humanité : « C’est un grand mal-heur aux Monarchies Chrestiennes, & une coustume odieuse […]
que d’endormir par discours inutils les Rois, Princes, Republiques & peuples, remettant à la nature l’évenement
perilleux de tous les presages que Dieu nous envoye par advertissements pour nous amender & redouter ses
jugemens. » Et au-delà, il accuse ceux qui recherchent des causes aux événements d’être dépravés, il accuse la
science naissante d’être consubstantielle au vice : « Mais toy libertin […] pour ce que tu es plongé aux vices
[…] tu gouste & savoure le fruit amer de ta concupiscence […] Mal-heureux tu te couvres & te perds en tes
songes vains, en tes raisons naturelles, en la mescognoissance de ton Dieu. ». Et continue en leur prévoyant
malédiction éternelle : « O Atheistes, qui vous moquez du seul Dieu, […] vous le sentirez à vos despens : ô gens
perdus & abominables, qui mettez en ruine & abandon les Republiques […] souffrirez tourmens perdurables &
eternels […] ». Il exhorte ensuite le roi, le peuple, à s’amender et à combattre le péché, la dépravation des
moeurs entrainant la persistance des malheurs sur la France : « Ne t’effroie tu point de tant de guerres passées
sanglantes, de tant de feux au ciel, de tant de desbordemens d’eaux, de tant de famines, tremblements de terre, &
de celuy advenu le XXV, de ce mois à Angers […] ». Il reprend ensuite la description de Louis Vivant en
1
Sans doute issu d’un manuscrit de la bibliothèque de la ville d’Angers : « Journal ou récit véritable de tout ce qui est
advenu digne de mémoire, tant en la ville d’Angers, pays d’Anjou et autres lieux, depuis l’an 1560 jusqu’à l’an 1674, par
Jean Louvet, clerc au greffe civil du siège présidiat dudit Angers. » - Voir [381]
2
Barthelemy Roger, Histoire d’Anjou, page 447 – Manuscrit du XVIIeme siècle
160 Tremblements de terre et volonté divine
rajoutant que « le feu du ciel brusla deux cens mille arbres. ». Il relie cet événement à des événements similaires
du passé récent en citant une pluie de sang et ses effets : « L ‘an mil cinq cens quatre vingts cinq, au pont de Sel
pleut du sang, au mois de Septembre le chasteau d’Angers fut pris & rendu le vingtiesme d’Octobre ensuivant »,
et plus ancien pour en montrer la permanence : « Du feu du ciel brusla le clocher de sainct Julien du Mans,
l’année mil cinq cens soixante deux ». Il termine ensuite en essayant de ramener à la raison les pêcheurs qui
verraient des phénomènes naturels là où on doit voir des avertissements de Dieu, les insultants comme il se doit :
« O miserable, double de malice ne te repens tu point de ta vie ? les cheveux ne te herissent ils point ? […] C’est
folie d’alleguer tes raisons naturelles & philosophiques que ce sont des vents, lesquels enclos dans la terre, pour
n’avoir exhalation ny respiration, invitent à ce grand tremblement. ».
Un autre imprimé sur le séisme est plus modéré, il parut aussi en 1588 et a comme titre Effroyable
tremblement de terre advenu en la ville & cité d’Angers, le vendredi vingt cinquiesme mars, mil cinq cens
1
octantehuict . L’auteur rappelle la théorie d’Aristote en le nommant, et fait allusion à l’idée qui sera reprise par
Gassendi sur la détonation de gaz souterrains, mais c’est surtout pour inciter le lecteur à prendre de la
2
hauteur selon un procédé que l’on considérera souvent sous le nom de « jésuite » dans le monde moderne : « Or
Jaçoit que ces choses soient de vraye & prudemment selon le discours naturel considere, toutesfois, l’homme
Chrestien ne se doit arrester là où les Philosophes fichent leur pied, ains doit passer plus outre, & eslever son
esprit beaucoup plus haut, sçachant que Dieu par sa sagesse & puissance infinie se sert des choses naturelles
pour chastier les pechez des peuples…. », avant de finir par une oraison de Moise et une de Salomon incitant le
peuple à apprendre du malheur des autres :
Heureux sont ceux qui pour devenir sages
Du mal d’autruy font leurs apprentissages.
1
[378]
2
Je me rappelle une discussion à l’institut Teillard de Chardin sur l’origine du monde pendant lequel un célèbre
astrophysicien canadien, après avoir décrit comment à partir des lois physiques et de la valeur numérique d’une constante
avait dit à son voisin jésuite: « si Dieu existe, c’est dans cette constante, qui si, la valeur numérique était infiniment
modifiée, le monde tel que nous le connaissons ne pourrait pas exister. »
Tremblements de terre et volonté divine 161
4.4 Conclusion
Les opuscules qui ont été publiés juste après les tremblements de terre qui frappèrent la France pendant la
seconde moitié du seizième siècle témoignent à leur manière des troubles de religion. Si en 1564, ce sont surtout
les conséquences du séisme et la misère du peuple qui sont relatées, en 1589 le ton s’est fait plus polémique, on
accuse le peuple d’être la cause de la catastrophe. Il n’est plus question de permettre d’invoquer la possibilité de
raisons naturelles, mais de condamner ceux qui « ont conçus la possibilité de faire des découvertes ».
Cette charge contre la raison que nous avions déjà vue rattachée au camp catholique lorsque nous avions
examiné les écrits des années 1550-1560 (voir « La guerre des mots ») est caractéristique de cette église ne se
battant plus que pour son rôle temporel, pour ses bénéfices et ses privilèges, et essayant de chercher dans le
peuple le soutien nécessaire pour conduire ses guerres sans merci, pour le convaincre que son salut et sa paix ne
réside que dans son acceptation sans question de la parole des représentants de l’église catholique, apostolique et
romaine :
« […] tu brusle d’un desir violant à considerer les secrets de Dieu, ausquels tu ne peut atteindre la
cognoissance, pour ce que tu n’as la foy : mais un ame ingrate ? O homme de terre, contien toy en l’obeissance
2
de Dieu […]. »
1
Lucrèce, « de rerum natura », V, vers 1169 - 1197
2
[378]
Les trois verges et fléaux de l’ire du courroux de Dieu 163
fléaux de l’ire du
courroux de Dieu
Les trois verges et fléaux de l’ire du courroux de Dieu 165
Si la guerre, on l’a vu, a exercé un lourd tribu sur la population, que ce soit dans les couches populaires ou
dans la noblesse, si elle a contribué a vider les caisses de l’état et augmenter les prélèvements sur le corps social,
si elle a participé à un ralentissement de l’activité économique par l’insécurité et l’interruption des transports, par
la destruction de biens et de terres, elle n’a pas été seule à faire de cette période une calamité pour le peuple de
France. La famine et les épidémies ont elles aussi contribué à la misère, famine liée à la diminution de la
production céréalière et à la montée des prix de la base de l’alimentation du peuple, épidémies liées à une plus
grande « faiblesse » de l’homme face aux agressions dans une société qui ne savait pas encore lutter
efficacement contre la maladie et la propagation des épidémies. La fin du XVIe siècle n’est certes pas
comparable à ce qui c’est passé aux XIVe et XVe siècle, et on n’assistera pas à un dépeuplement analogue, mais
si l’échelle n’est pas la même globalement, le tribu payé fera effectivement croire au courroux de Dieu.
5-1 : Pierre Brueghel l’ancien – Paysage d’hiver avec trappe aux oiseaux © Musées royaux des beaux-arts de
Belgique
1
[155]
166 Les trois verges et fléaux de l’ire du courroux de Dieu
Ce paysage d’hiver peint par Pierre Brueghel l’ancien et dans lequel il a représenté les jeux des patineurs sur
la glace dans un paysage déserté, sous les yeux attentifs d’oiseaux noirs, eux mêmes menacés par le piège prêt à
fonctionner, est caractéristique d’un thème qui se développe en Hollande au XVIe siècle, et qui va se poursuivre
au XVIIe. Si Pierre Brueghel est sans doute le précurseur de ces scènes hivernales, il va être suivi par toute une
école. L’éclosion de ces représentations coïncide avec une période de froid qui a duré plusieurs siècles et qui a
frappé l’Europe entière, et pas seulement le Brabant qui sert de lieu à celui-ci.
L’hiver 1568/1569 connut un froid très vif qui encore une fois contribua à la misère de la Provence. Le 11
décembre 1568 le Rhône, du côté d’Avignon et de Tarascon, fut couvert de glace d’un bord à l’autre; la Durance
en charriait des masses considérables ; « le pain, le vin, les œufs, les oranges et l’encre, tout fut gelé » dit un
auteur du temps. Ce grand froid dura jusqu’au 20 décembre. L’année suivante, on connut un froid identique le
1er janvier 1570, et encore le 10 janvier 1571. Ces vagues régulières de froid firent dire aux Etats réunis le 12
octobre 1571, « que la violence du froid avoit, pendant trois ou quatre ans, fait périr les orangers & les oliviers,
1
& que la récolte en tout genre avoit été extrêmement modique »
Louis de Perussis fait une description poignante de la vague de froid qui toucha la Provence au début de
2
l’année 1571 : « La nuit du 10 (janvier) il tomba de la neige en beaucoup plus grande abondance qu’on n’avoit
vû depuis plus de cinquante ans ; dans la campagne il y en avoit un pan & demi, & en plusieurs endroits calmes,
de la hauteur d’une pique ; un vent austral tramontant s’étant ensuite levé, on ne voyoit guére le ciel, &
personne n’osoit marcher en campagne : le menu bétail mourut, & un fils de M. de Vaqueras âgé de vingt ans ;
le froid fut si terrible que les moulins cesserent de moudre, même ceux de la Sorgue, quoique eau chaude & de
fontaine. Le 30 il neigea encore, & la neige resta plus de soixante jours sur la terre : d’Apt & de trois lieuës au-
delà, on venoit moudre à l’Isle au Pont de Sorgue ; les moulins d’Avignons & ceux du Rhône furent de même, &
3
fort clos ; & le cardinal d’Armagnac fut obligé de permettre que le moulin à sang du palais travaillât, il ne
voulut pas que personne payât le droit de mouture. Une partie du Rhône se prit ; les loups, mujols, anguilles, &
autres poissons, venoient morts de froid sur l’eau, ce qu’on n’avoit pas veu depuis 77 ans ; les oliviers, lauriers,
figuiers, grenadiers, & abricotiers, moururent la plûpart ; & le pauvre peuple cessa de travailler plus de deux
mois ; les bêtes à dos ne pouvoient aller ; le mal fut bien plus grand vers Grenoble, Romans, en Gapençois, & en
Languedoc ». Louvet ([137]) rajoute que les pots d’étain se fendirent par la force de l’eau. Foulquet Sobolis,
dans son journal, note qu’il tomba « deux pans » de neige à Aix.
S’il fit très froid, cela doit être mis en perspective par rapport à la situation « normale ». Il est certain qu’en
comparaison avec le climat du début du siècle, ces témoignages illustrent un mouvement global qui concernait
l’Europe entière. Cette vague de froid faisait suite à celle qui avait conduit à la famine de 1562-1563, et elle
1
([15] pages 201-202)
2
[47] pages 129-130
3
à énergie humaine ou animale
Les trois verges et fléaux de l’ire du courroux de Dieu 167
précédait celle qui allait avoir lieu en 1586-1587. C’est vers 1550 que l’on situe le début du petit âge glaciaire
qui allait durer jusque vers les années 1860. C’est d’ailleurs entre 1565 et 1665 que la majeure partie des
peintures traitant du thème de l’hiver ont été produites. Ce sont dans les années 1530 et 1730 que le paroxysme
du froid aurait été atteint. En Savoie, des processions sont organisées pour conjurer l’avancée des glaciers.
1
L’hiver 1572/1573 ne fut pas en reste, l’eau des rivières et des lacs (le lac d’Annecy en particulier) gèlent en
Europe, les semences sont détruites, ….
2
Vagues de froid, mais aussi printemps et étés pluvieux, inondations , le climat semblait accompagner les
guerres civiles en enlevant le pain en même temps que le doute et les oppositions spirituelles se développaient.
En 1562, Claude Haton note qu’il a plut et neigé le jour de Saint-Jean-Baptiste, le 24 juin : « Pour le temps de
ceste présente année, les vignes jettèrent des grappes et raisins aultant habondamment qu’elles avoient faict il y
avoit plus de six ans pour une année, et estoient lesdittes grappes et raisins aux moys d’apvril, de may et de
juing fort belles et longues et quasi tout atirées, ayant plus d’ung pied de roy de longueur au moys de juing,
quand elles furent près à florir, et espéroit-on de recueillir tant de vin en ceste année, qu’il eust convenu
enfoncer les cuves, bagnoires et tonneaux ; mais Dieu, qui gouverne toute la terre, ne permist pas qu’il fust faict
ne qu’il advint. Car, dès le commencement du moys de juing, que l’on entroit en l’esté, la saison se porta au plus
mal, par pluies froides et continuelles, qui fut cause de faire deschoir tous les biens de la terre. Et se pourta
l’esté plus mal la moytié que n’avoit faict le printemps, lequel printemps, dès son commencement, s’estoit
adonné à challeur, qui avoit ainsi bien faict croistre et advancer les biens de la terre ; lesquelz du depuis, tant
les grains que vins ou vignes, allèrent de mal en pis, et empirèrent tant, que l’on ne fit recueil d’iceux biens à la
moytié de ce qu’on pensoit et que la terre avoit monstré apparence, lorsque les vignes entrèrent en fleur. Les
pluies continuelles qu’il faisoit par chascun jour estoient plus froides que glace, et advint que, le jour de la feste
de mons. St Jehan-Baptiste, qui est au 24° jour de juing, il plut et neigea tout ensemble pluie et neige si froides
que les mieux vestus ne pouvoient durer de froict. Cela fut cause de faire couler les vignes, qu’il ne demeura pas
une tierce partie. Les bleds pareillement en ceste année coulèrent, pour lesdittes pluies froides qu’il fit au temps
de la fleur. Les saisons de l’année se trouvèrent toutes changées en ceste présente. Le temps du printemps se
trouva estre en yver, au printemps l’esté, en esté l’automne et en automne l’yver.…. ».
Deux ans après le froid revint, cette fois avec moins de conséquences sur la population, il marqua les esprit,
les saisons se « déréglaient » : « … car la vigille de la feste dudit saint Thomas commença une froydure assez
grande, accompagnée dès le matin d’une pluye froide, qui sur le mydi se convertit en neige, qui tomba d’en hault
le reste de la journée en une si grande habondance que la terre, qui estoit for mouilliée, s’en trouva couverte au
lendemain matin, jour dudit St.Thomas, la haulteur d’ung pied de roy et plus. Avec laquelle neige survint ung
vent de bise ou hault galerne, qui desseicha la terre si soudain que rien plus, par une forte gelée, qui commença
1
Foulquet Sobolis note encore 2 pans de neige à Aix en février 1574, le jour de la saint Mathieu. ([327])
2
Benoist Rigaud, dans [165], raconte l’inondation consécutive au débordement du Rhône à Lyon le 2 septembre 1571 : «
D’autre costé, il s’estendit tellement par le plat pays qu’à une demie lieue de largeur et d’avantage il n’y eust village et bel
édifice ny métairie qui n’obéist et succombast à sa violence, et qui peust aucunement subsister, jusques mesmes à trainer
quant et soy une grange pleine de foin avec les bœufs attachez au ratelier, chose jamais ouye. ».
168 Les trois verges et fléaux de l’ire du courroux de Dieu
dès la nuict d’entre la vigille et jour de St. Thomas,et continua sans cesse jusques au dernier jour de décembre
inclusivement. Ceste gelée fut si forte que, dès le jour de St. Thomas au soir, la glace estoit si espesse ès rivières
qu’elles soustenoit ung homme sans rompre ni se casser soubz luy, combien que ce dit jour St. Thomas, comme
aussi le lendemain, il ne cessa de neiger nuict et jour, sans que laditte neige corrompist la gelée. La neige par
après fut si espesse par les champs, qu’ès lieux les plus planeux y en avoit jusques au lien des chaulses au-
dessoubz du genoil d’ung homme de moyenne grandeur. Depuis ceste neige tombée que le s’esclaircist, la gelée
redoubla avec un vent d’amont froict au possible, et si rude que les mieux vestus avoient moult à souffrir, quand
ilz estoient hors des maisons. Il n’y avoit maison en ville ne village où l’eau ne gelast à glace, en tous lieux
qu’on la pust mettre hors le feu et les charbons enfflambez ; et dirai jusque-là sans mentir qu’en plusieurs
maisons bonnes et bien closes l’eaue et le vin geloient devant le feu gros et bien moyennement entretenu de bois,
et vis en plusieurs maisons et en la mienne mesme une fois le pot de fer au feu bouillir devant et la glace à la
queue du couverscle ou couverceau qui le couvroit, qui s’estoit prinse de l’eaue qu’engendre la fumée d’ung pot
qui boust devant le feu. Toutes les nuictz et matins, quand toutes personnes se levoient de leur lict, la glace estoit
prinse sur le drap de dessus, de l’eau qu’engendroit le vent et alaine des personnes qui estoient couchez dans le
lict. Il n’y avoit cave, tant feust-elle bien estoupée, si elle n’estoit voultée et creuse de dix et douze marches en
bas, où le vin ne gelast dans les tonneaux, si l’on ne faisoit du feu de charbon ou aultre matière pour
l’empescher. … Les nuicts des … vingt-trois et vingt-quatriesme jours de décembre, comme aussi la nuict de
Noël, la gelée fut si forte et le geuvre si grand sur les bois de la terre, le soleil fut si cler de jour pour la fondre,
qui retendrissoit le bois, que les noyers et les bois des vignes furent entièrement gelés et gastés… ; La plus
grande froidure qui feust en ceste gelée-là fut le jour de la feste des Innocents, auquel jour les mainz, les piedz,
les aureilles et le membre viril de plusieurs hommes gelèrent, qui cheminoient par les champs… Ceux qui eurent
les membres susdits gelez endurèrent une grande douleur avant que d’estre guaris. Les aureilles leur enflèrent,
les mains et pieds leur crevèrent, puis pelèrent, et leur fut le mal si grand qu’ilz furent plus de six sepmaines ou
deux moys dans guarir…. Les crestes des cocqs et poulles furent gelez et tombèrent de dessus leurs testes.. ; Les
1
agnaux se mouroient en naissant .. comme aussy les couchons des truyes qui couchonnoient.… ».
1
Claude Haton, pages 391-392
Les trois verges et fléaux de l’ire du courroux de Dieu 169
5-3 : Lanslevillard – Chapelle Saint-Sébastien © Marincic moys de juilleiet, que l’on feit les
moissons partout. Le boisseau de blé
froment, mesure de Provins, depuis ledit 1er jour de janvier jusques au mois d’apvril, se vendoit la somme de 12
à 15 s., et depuis ledit moys d’apvril monta par chacune sepmaine de plus en plus jusques à la moisson, à la
somme de 25 s.t. d’argent comptant, et à créance ce que les créanciers usuriers vouloient, jusques à 30 s.t. et
plus. Il fut fort cher à Paris et en toute la Brie, ysle de France, pays de Vallois, Soissonnois et Picardie, où on
1
Jehan de la Fosse, [325] page 72.
170 Les trois verges et fléaux de l’ire du courroux de Dieu
recueille les fromens. Il ne fut si cher en Champaigne, Bourgongne et Lorraine, où on faict en habondance des
seigles, mestaux et orges. Les plus riches gens des pays de Brie, Picardie et aultres ne manqgèrent aultre pain
que d’avène, tant que les leurs durèrent, et l’espargnèrent fort à leurs chevaux pour la manger eux-mesmes ;
mais, après qu’elles furent semées en ceste année, ne leur en demeura guères, parquoy fallut qu’ils se
pourveussent. Ilz passèrent en Champaigne pour achepter des seigles, orges et avènes pour faire du pain, en
attendant leur moisson.Laquelle moisson venue, partout revint le grain de toutes espèces à bon marché et prix
honeste. Le froment revint à 7 s. et 6 den. Le boisseau, mesure de Provins, et les aultres menus grains au prix le
prix. Il eust valu moings de 18 den. Sur boisseau qu’il ne feit, si les marchans des villes n’eussent bouté la charté
après laditte moisson ; mais, à cause du grand hazard qu’ilz avoient veu durant laditte charté sur le grain,
l’acheptoient à l’envie les ungs des aultres pour remplir leurs greniers, estimans qu’en peu de temps après
reviendroit une aussi grande charté ou plus, ce que Dieu ne permist pas. »
Les crises céréalières conduisaient à une montée des prix du grain, et donc du prix du pain qui y était
indexé. Le graphique ci-dessus, construit à partir des données fournies dans l’ouvrage de Micheline Baulant et
Jean Meuvret, Prix des céréales extraits de la mercuriale de Paris ([157]), montre l’évolution et les brusques
flambées des céréales qui ont eu lieu en 1562/1563, 1566, 1568, 1573, 1587 et 1591. Pour cette dernière année,
les prix extraordinaires constatés sont la conséquence du siège de Paris.
Les trois verges et fléaux de l’ire du courroux de Dieu 171
Après 1562-1563, ce fut la disette de 1565-1566 qui fit suite aux dégâts de l’hiver 1564-65, mais dont
l’impact sur la population semble avoir été moindre. Après 1565-1566, l’hiver 1572-1573 et c’est la famine de
l’année post-récolte 1573-1574. Les témoignages sont unanimes dans toute l’Europe, la période de gel a duré
depuis octobre 1572 jusqu’au printemps 1573, voire le début avril 1573. Si l’augmentation de la mortalité n ‘a
pas été aussi importante qu’en 1562-1563, elle fut néanmoins considérable, et alliée à une baisse de la natalité.
La troisième grande vague, ce sont les années 1586-1587, conséquence du temps de l’hiver 1585-1586.
3
Jean de la Fosse s’en fait l’écho dans son journal , et impute au roi une partie de l’augmentation des coûts :
« […] procedoit de ce que le roy avoit faict saisir plusieurs bleds ès provinces pour envoyer aux camps […] ». Il
1
Micheline Baulant, « Le salaire des ouvriers du bâtiment à Paris, de 1400 à 1725 » ([164])
2
Jehan de la Fosse, [325] page 159
3
Jehan de la Fosse, [325] pages 200, 203, 205 & 206.
172 Les trois verges et fléaux de l’ire du courroux de Dieu
note pour le setier à Paris des prix allant jusqu’à 18 livres tournois en 1585, et de 24 à 25 livres en 1586 pour
atteindre 39 livres en 1587.
Suivons donc le
prêtre. Nous sommes
début 1573 à Provins,
une des villes qui
contribuent le plus à
l’alimentation de la
capitale comme on le
voit sur la carte ci-
contre. Après le froid
du début de l’hiver en
1572, le mois de
janvier 1573 est plus
clément : « .. les
neiges commencèrent
à fondre et les gelées
à cesser…Ce dégel
dura jusqu’au
5-6 : Approvisionnement de Paris © Marincic ([157]) commencement du
mois de février. ». Mais le froid revint avec neige et gelées, et le début du printemps n’apporta que peu
d’améliorations, ce jusqu’à Pâques, qui tombait le 22 mars cette année là. Il fit alors une semaine de relative
chaleur qui permit à la végétation de se développer. Mais à partir du premier avril, dix jours de gelées
s’abattirent sur les bourgeons qui venaient d’éclore. De partout on organisa des processions pour calmer l’ire de
Dieu, derrière les reliques des saints on chantait et on priait. Mais cela ne suffit pas, et le 24 avril « …tout
aussitôt que le peuple se fut retiré en sa maison, on apperçut le courroux de Dieu, pour les péchés commis
contre sa majesté ; il gela si fort et blanc, que les vignes furent partout entièrement gelées et gâtées ». Si les
vignes furent perdues, le grain résista, et le peuple en « remercia Dieu plus devôtement et patiemment ».
Mais dès le début du mois d’avril, le prix des céréales commença à monter de manière importante, et en
moins de dix jours passa de dix sols tournois le boisseau(*) à 24, 25 voire 30 sols tournois. Et rapidement il n’eut
plus de blé à vendre à ce prix de 25 sols car « les riches n’en eurent incontinent plus.. sous l’espérance qu’ils le
vendraient ce qu’ils voudraient avant que la moisson ne fut venue ». A Paris le froment resta aux alentours de 10
Les trois verges et fléaux de l’ire du courroux de Dieu 173
livres tournois le setier, pour passer à 24 livres tournois en juin. Si le prix montait, la cause en avait été attribuée
aux marchands étrangers qui venaient s’approvisionner à Provins avec l’espoir de vendre encore plus cher le
grain ailleurs. Le peuple ayant trouvé les coupables, ils furent surpris dans la banlieue de la ville et, après les
avoir malmenés, les habitants leur confisquèrent les grains qu’ils avaient achetés. Ils portèrent plainte, mais
devant le risque, les autorités de la ville décidèrent de ne pas faire de poursuites, et, discrètement, rendirent aux
marchands les grains qui leur avaient été volés.
Pour éviter que cela ne se reproduise, vers la fin du mois d’avril, le prévôt, les procureurs, les échevins et les
plus riches marchands de la ville décidèrent de fixer le prix du boisseau à 20 sols tournois. Ils firent ensuite
inspecter les greniers de la ville pour estimer les quantités disponibles et décidèrent d’imposer aux marchands de
réserver une quantité de leur bien qui permettrait d’attendre les prochaines moissons, quantité qui ne pourrait pas
être mise en vente à un prix supérieur à 20 sols tournois le boisseau ; le reste pouvait être vendu au prix du
marché, ce qui entraina luttes d’influence et tractations pour limiter les pertes : «Pour cette réserve en fournirent
le moins les plus riches et qui avaient le plus de blé dans leurs greniers, ainsi en chargea t-on plus les
communs. Car en toute chose faveur fait aveugler le droit ».
Pour que le message soit passé au peuple, les procureurs de la ville firent appel à un moine prêcheur, le
docteur Carré, pour qu’il en fasse l’annonce dans son sermon. Celui-ci, qui avait deux ans de grains dans ses
174 Les trois verges et fléaux de l’ire du courroux de Dieu
greniers d’après Claude Haton, et qui était bien marri de ne pouvoir le vendre à un écu le boisseau, s’attaqua
violemment à ceux qui pour lui ne méritaient pas de telles sollicitudes. Il fustigea en chaire « un tas de cocquins
cardeux, lesquels, durant le bon temps, ne veulent besongner que une ou deux journées pour le plus en la
sepmaine, pour vivre le reste à jouer et faire grand chère », qui d’après lui devait être « envoyér ès gallères sur
la mer pour le service du roi » ; pour les autres, « ung tas de cocquins vignerons et manouvriers de tous estatz,
1
lesquelz par tout l’hyver ont moru de faim et en ceste saison veullent gangnet par chascun jour des 10 , 11 ou 12
s., qui n’en méritent pas la moytié ; ausquelz si vous leur en offrez moings, ilz, en se mocquant de vous, vous
diront honte et villanie, et ayment mieux se tenir à repos et aller jouer que de besongner et gangner priz
honeste », sa conclusion était plus radicale, il fallait les pendre. Cela faillit finir en émeute, et toute la semaine on
l’épia dans la ville pour lui donner une leçon qui sans doute lui aurait coûté la vie. Ses amis, qui redoutaient une
émeute qui aurait pu leur coûter du blé, le convainquirent de faire amende honorable et de s’excuser. Cela ne
suffit pas sans doute, et Claude Haton raconte qu’il en tomba malade et en mourut « trois jours avant la feste de
la Magdelène .
Les propriétaires de grains, s’ils ne pouvaient pas vendre les réserves à plus de 20 sols, considérèrent que le
complément pouvait être vendu plus cher, et ils encouragèrent les habitants des villages voisins, ainsi que des
« forains », à venir acheter à Provins du blé qu’ils pouvaient vendre jusqu’à 50 sol le bichet (ou le boisseau) ; si
des dizaines de gardes furent employés aux portes pour empêcher tout transport de grain, d’autres veillaient
aussi, et souvent le blé était confisqué par les pauvres de la ville sans que les vendeurs n’agissent pour que les
acheteurs puissent repartir avec la marchandise acquise à si haut prix. De si hauts prix poussaient aussi à essayer
de profiter au maximum de la manne et donc à augmenter les quantité « vendables » en mélangeant au froment
du seigle, de l’orge ou de l’avoine.
Mais la protection de la ville créa un problème à ceux du dehors qui, pour se protéger des pillages liés à la
guerre civile, avaient stocké leur grain dans des greniers situés à l’intérieur des remparts. Ils durent faire faire
leur farine et leur pain dans la ville, celui-ci pouvant être plus facilement emporté à l’extérieur. Les boulangers
ensuite essayèrent de profiter de l’occasion ; quand il n’y eut plus de blé , les pauvres durent acheter du pain, et
les boulangers refusèrent de le leur faire payer l’équivalent de 20 sols le boisseau, ce qui correspondait à 20
deniers le pain, et demandèrent des sommes pouvant aller jusqu’à 3 sols 6 deniers, voire 4 sols. Les gouverneurs
de la ville durent recourir à la force et faire livrer quotidiennement du blé des réserves à 20 sols le boisseau pour
récupérer le pain qu’ils distribuèrent ensuite à la population.
Au delà de Provins, la situation n’était pas meilleure, et vint se rajouter la venue d’une multitude de
personnes des pays environnant, Bray, Sens, Auxerre, … qui faisaient encore augmenter les prix par une
demande accrue, et qui faisaient chuter les salaires en acceptant du travail pour seulement le boire et le manger.
Ceux qui ne voulaient pas mendier, se débarrassèrent de leurs vêtements, meubles, bêtes, … pour obtenir du
grain voire du son. D’autres se résolurent à manger des pains de noix ou de navettes comme l’on donnait aux
animaux. Si la pénurie en poussa beaucoup à fuir la ville pour essayer de trouver mieux ailleurs, près de 500
pauvres restèrent jusqu’à la moisson et durent se nourrir de légumes et de fruits.
Le nombre d’étrangers qui devaient dormir dans les rues ou les étables, amena une prolifération de poux qui
envahirent toute la ville : « … si remplie de poux et de pulses qu’ung personnage qui y eust arresté aultant due
1
Salaire des ouvriers du bâtiment à Paris à la même époque.
Les trois verges et fléaux de l’ire du courroux de Dieu 175
dure à dire l’Avé Maria en eust été tout couvert par les jambes et en ses habillemens. »
Les notables de la ville finirent par prendre peur de la population étrangère qui vivait dans les murs, et
entreprirent de s’en débarrasser. Ils organisèrent une distribution de pain (et une pièce d’argent) à côté des
remparts, les incitant à sortir après l’avoir reçut ; les portes furent aussitôt fermées, et les « expulsés » durent se
résoudre à chercher ailleurs refuge. C’est peu après que la maladie frappa la population, et, selon Claude Haton,
qui pour Provins y voit la main de Dieu voulant punir les habitants pour avoir chassé les pauvres, toute la France
en fut affectée, la mortalité pouvant atteindre 50% de la population dans des villes telles que Giens-sur-Loire ou
Châtillon-sur-Loing ; pour Provins il dénombre 300 morts.
En mai, alors que le seigle commençait à murir dans la vallée de la Seine, les pauvres s’y déplacèrent pour
aller manger le grain qui s’y trouvait, faisant grands dégâts dans les champs. Si la famine cessa après les
moissons, le prix se maintint à 25 et 30 sols le boisseau jusqu’en 1574, les quantités ramassées n’ayant pas été
suffisantes pour augmenter suffisamment l’offre.
1
Déjà Fernand Braudel faisait remarquer que les zones en Europe qui avaient été épargnées par la grande
peste noire étaient celles où la situation alimentaire était la plus saine et la plus riche. La famine, et les guerres
dans une autre mesure et sans doute pour d’autres raisons, alimentaient les risques d’épidémies et en particulier
les risques d’épidémies de peste. Cette fin du XVIe siècle n’a pas été épargnée par cette maladie, et même si
c’est surtout les années 1562/1563 qui virent le plus de mortalité, ce fléau resta présent tout au long du temps des
guerres de Religion, et fut un élément important de la peur devant le courroux de Dieu, courroux qu’il fallait
apaiser en revenant vers la pureté du culte, même si cette « pureté » avait des définitions différentes pour les
catholiques et les huguenots. On peut citer Ambroise Paré dans son Discours sur la peste de 1582, « au Lévitique
chapitre 26, le Seigneur dit : je verrai venir sur vous le glaive vindicateur pour la vengeance de mon alliance, je
vous enverrai la pestilence... » et dans le Deutéronome chapitre 28, le Seigneur des armées dit « j’envoie sur
vous l’épée, la famine et la peste », mais sont également responsables « les étoiles courantes et comètes de
2
diverses figures » .
1
« L’identité de la France » ([309]) : « A la peste noire de 1347-1350 n’échapperont, en effet, et jusqu’à un certain point
seulement, que quelques zones intérieures de l’Europe orientale et, en Occident, le Béarn, le Rouergue, la Lombardie, les
Pays-Bas, c’est à dire des régions que protégèrent les unes leur isolement, à l’écart des grandes routes que suivit l’épidémie,
les autres la prospérité exceptionnelle de populations mieux nourries, donc plus résistantes. »
2
Voir référence [172].
Les trois verges et fléaux de l’ire du courroux de Dieu 177
5-11 : Indices du mouvement annuel des baptêmes en 5-12 : Indices du mouvement annuel des sépultures (hors
France © [162] calviniste jusqu’en 1685) en France © [162]
178 Les trois verges et fléaux de l’ire du courroux de Dieu
Les mêmes types de courbes sur des villes ou régions particulières permettent de rendre compte du caractère
régional des guerres de Religion et des épisodes de famine et de peste. On trouvera ci-après les courbes de
baptême pour les villes de Lille et Strasbourg, pour les régions Alsace-Lorraine, Rhône-Alpes et Midi
méditerranéen, qui illustrent clairement dans la période 1560-1600, la prépondérance des régions du sud de la
France. Si on s’attache de manière plus particulière aux villes, les exemples de Saint-Malo, qui a été peu engagée
dans la politique, et d’Orléans qui a subi de plein fouet tous les épisodes belliqueux, montrent de façon
impressionnante l’effet de la guerre sur la population. Orléans a vu baisser, entre 1561 et 1597, de près d’un
tiers sa population !
5-13 : Mouvement des baptêmes à Saint-Malo © [162] 5-14 : Mouvement des baptêmes à Orléans © [162]
5-15 : Mouvement des baptêmes à Lilles et Strasbourg © 5-16 : Mouvement des baptêmes en Alsace-Lorraine ©
[162] [162]
Les trois verges et fléaux de l’ire du courroux de Dieu 179
5-17 : Mouvement des baptêmes en Rhône-Alpes © [162] 5-18 : Mouvement des baptêmes en région
méditerranéenne © [162]
180 Les trois verges et fléaux de l’ire du courroux de Dieu
Le niveau de vie au
seizième siècle
Le niveau de vie pendant les guerres de religion 183
6.1 A l’auberge
Le XVe siècle, après la reconstruction qui avait suivi les guerres et les épidémies, avait vu une élévation
générale du niveau de vie avec une augmentation concomitante de la population. Vers la fin du siècle, le niveau
de vie devait atteindre un maximum qui ne sera égalé que plusieurs siècles après, vers la fin du XIXe siècle.
1
Vers 1560, manger restait quelque chose qui rimait avec quantité. Dans ses mémoires , Claude Haton
reproduit en appendice une ordonnance du roi datée du 28 janvier 1563 qui fixe le prix des denrées et des repas
2
pour les « hosteliers, taverniers et cabaretiers » dans la ville de Provins et les villages alentour. Les menus sont
très détaillés, différenciant le dîner du souper, prévoyant ce qu’il fallait servir à un homme voyageant seul et à
une troupe de six personnes, précisant ce qu’il fallait manger en période de carême* et en période de charnage, et
enfin détaillant le coucher ainsi que le traitement des montures des voyageurs. Ainsi, pour un « dîner » (déjeuner
aujourd’hui), le menu pour un voyageur seul incluait la nappe, la serviette blanche, les autres frais de l’hôtelier
et:
1
[155], page 1117 et suivantes
2
[155] : Hostelerie : logis garni que tient un hôtelier, où le voyageur et les passants sont logés et nourris. Cabaret : logis,
maison où on donne seulement du vin à pot par un trou pratiqué dans un treills de bois. On trouve dans le dictionnaire cette
savoureuse citation : « Une servante de cabaret n’avait pas possibilité d’attaquer en justice une personne qui en aurait
abusée, la loi n’ayant pas jugé qu’une personne d’une condition si vile fut digne de ses soins. » Taverne : On y sert le vin
« par assiette », et on y apprête à manger.
184 Le niveau de vie pendant les guerres de religion
6-1 : Repas de Noces (Pierre Bruegel l’ancien, 1568) © Musée d’histoire de l’art de Vienne
Pour le souper (et le coucher, celui-ci étant fixé à 12 deniers quand le passant ne voulait pas manger), les
menus étaient les suivants:
1
Abats
Le niveau de vie pendant les guerres de religion 185
On notera la quantité assez importante de viande qui était proposée ; ainsi pour un repas en temps de
charnage ce sont 750 grammes de viande qui étaient proposés! Aussi étonnant que cela puisse paraître, le XVe et
le début du XVIe siècles ont été une époque de mangeurs de viande. Si la consommation de viande devait
ensuite baisser, elle était encore importante dans les années 1560 au début des guerres de religion.
On notera aussi la grande quantité de pain et de vin, avec près d’un kilogramme de pain par jour, et deux
litres de vin. Le pain et le vin à eux seuls apportaient l’énergie suffisante pour une journée. Ces déjeuners
correspondaient en effet à 3200 kcal en période maigre, et de l’ordre de 3600 kcal en période de charnage, alors
que la quantité journalière pour une activité normale est estimée aujourd’hui à 2100 kcal, et à 3500 kcal pour une
activité soutenue.
Un coût de 5 sous pour un repas correspondait à quatre heures de travail pour un maçon de Paris en 1563
({6.3}). En 2013, dans un restaurant de petit standing, on doit pouvoir prendre un repas pour 15 €, ce qui
correspondrait à deux heures d’un ouvrier payé au SMIG, soit 50% de moins qu’en 1563.
Une journée à l’auberge, pour un homme et son cheval, coûtait donc 11 sous et 6 deniers pour le manger et le
1
coucher, et 1 sou 6 deniers pour le cheval , soit au total 13 sous. Jean de Malestroit indique 25 sous par jour en
2 3
1568 dans ses fameux paradoxes . Jean Bodin , se plaint lui de la cherté des traiteurs à Paris ; en particulier il
mentionne Le More, Sanson, Innocent et Havard, qui, tous « ministres de volupté et despenses », pratiquaient des
4
prix astronomiques . Un repas chez Le More pouvait couter 2 écus pour le maître et 1 écu pour le valet, soit 120
sous et 60 sous, vingt fois le repas à l’auberge mentionné ci-dessus (et si on se rapporte au prix 2013 mentionné
plus haut, l’équivalent de 200 €). Le 10 octobre 1563, la ville de Sisteron dû héberger Balthazar Rangoni,
marquis de Longiano et Romagnano, qui commandait les troupes envoyées par le pape en secours du Comtat, et
qui passait, au sortir de son terrible siège. Les frais, pour deux dîners, se seraient montés à 172 sous ; le maître
d’hôtel du gouverneur de Sisteron consigna le menu offert : « pour le soper dudit seigneur, troys pattez de
perdriz, pour la fasson d’iceulx à cinq sols pièces ; troys pattez de pigeaon à quatre sols et demi pièce ; troys
pattez de conilh (lapin) à cinq sols pièce. Pour la déserte : troys tartes de pommes à cinq sols pièce ; troys id.
d’Angleterre, au même prix ; trois plats de petit gibiez, à cinq sols pièce » ; le lendemain il est noté le même
5
nombre de tartes et de pâtés, dont un de coing .
1
On considère que pour un cheval, il faut 6 kg par jour de foin, soit 1 s.t. et 1 l d’avoine, soit 0,15 sous ; pour la litière, on
comptera 7 kg par jour, soit 0,35 sous ([Mme. Pelle, Le Val, 9/11/2013]).
2
[257]
3
[168], page 439
4
Un édit de 1563 régla le nombre de plats qui pouvaient couvrir la table : « Pour toute sortes d’entrées il n’y aura que six
plats, en chacun desquels ne pourra avoir qu’une sorte de viande ; et ne seront lesdites viandes doublées, comme, pour
exemple, ne se pourront servir deux chapons, deux lapins, deux perdrix. Quant aux poulets et pigeonnaux, se pourront servir
jusques à trois, allouettes une douzaine, etc…. Le tout sur peine aux infracteurs et contrevenants de deux cens livres
d’amende pour la première fois, et quatre cens pour la seconde, applicables par moitié à nous et au dénonciateur. » Jean
Bodin précise que ce type d’ordonnances ne furent jamais pleinement en vigueur. ([168], page 439)
5
Edouard de Laplane, [36], page 73
186 Le niveau de vie pendant les guerres de religion
Les voyages dans les Amériques commençaient aussi à changer les habitudes alimentaires, et s’il était
encore sans doute trop tôt pour voir arriver sur les tables des gourmets les légumes ou la faune des pays
lointains, leur connaissance se diffusait par le biais des récits de voyage. Ainsi on trouve dans l’ouvrage d’André
Thevet, Les singularités de la France Antarctique ([221]) la description, entre autres, des noix de cajou et de
l’ananas. En 1546, lors d’un banquet donné à Paris en l’honneur de Catherine de Médicis, soixante-six dindes
furent servies, ces « grosses poules avec des plumes comme une sorte de laine », comme les décrivait Christophe
Colomb lors de son premier voyage. Elles coûtaient huit fois le prix d’une poule.
$aveur, autant amoureu$e que fin $ucre,&et plus. Il n’e$t gro$$e comme vn marron, en forme d’vn rognon de liure.
po$sible d’en aporter par deça, $inon en confiture, car Quant au noyau qui e$t dedans, il e$t tre$ bon à manger,
pourueu qu’il ait pa$$é legerement par le feu.” [221] :
e$tant meur il ne $e peut longuement garder.” [221]
l’expédition française remonte le long des côtes du Brésil, et
visite les îles des cannibales… (entre le cap Saint-Augustin et
l’état de Marignan).
Le niveau de vie pendant les guerres de religion 187
On trouve néanmoins des recettes de cuisine utilisant les produits du nouveau monde, telles ces recettes de
pommes de terre données par Lanceleau de Casteau dans son ouvrage Ouverture de cuisine.
Mais dîner à l’auberge, cela n’était possible que pour ceux qui avaient déjà des revenus au-dessus de la
moyenne, et ce n’était certainement pas le cas pour la foule des artisans, ouvriers ou employés de maison. C’est
ce que nous allons essayer de quantifier dans ce qui suit.
Mais avant de rentrer plus précisément dans la réalité des coûts, et dans le monde de ceux qui comptaient, il
faut noter que la Renaissance a été aussi le retour d’un certain art de la table, manger devenait aussi un rituel,
voire un spectacle dans l’ordonnancement rigoureux qu’un roi comme Henri III avait rétabli à la cour. Les
maîtres de cérémonies étaient célèbres, comme par exemple Lancelot de Casteau, un Montois, qui fut maître-
cuisinier de trois Princes-évêques successifs de Liège : Robert de Berghes, Gérard de Groesbeek et Ernest de
Bavière. Il a publié en 1604 un réceptaire dont il ne reste qu'un seul exemplaire, témoignage de la gastronomie
du XVIe siècle dans la Principauté de Liège; l'ouvrage est le premier livre de recettes publié en français dans
cette région et constitue le seul chaînon en langue française entre la cuisine médiévale et la cuisine classique du
XVIe siècle. Sur la page suivante on a représenté le menu qu’il avait élaboré pour le banquet de l’entrée de
188 Le niveau de vie pendant les guerres de religion
monsieur « Robert de Berges, Conte de Walhain, Evesque & Prince de Liege, faict au pallais en Liege, l’an
M.D.LVII. au mois de Decembre ».
1
On peut aussi citer un extrait de la relation de l’ambassade de Jerome Lippomano, ambassadeur de Venise
auprès de la cours de France qui ne cache pas son étonnement devant les usages parisiens en termes de
nourriture en 1577: « « Paris a en abondance tout ce qui peut être désiré. Les marchandises de tous les pays y
affluent: les vivres y sont apportés par la Seine de Normandie, d’Auvergne, de Bourgogne, de Champagne et de
Picardie. Aussi, quoique la population soit innombrable, rien n’y manque: tout semble tomber du ciel,
cependant le prix des comestibles y est un peu élevé, à vrai dire, car les Français ne dépensent pour nulle autre
chose aussi volontiers que pour manger et pour faire ce qu’ils appellent bonne chère. C’est pourquoi les
bouchers, les marchands de viande, les rôtisseurs, les revendeurs, les pâtissiers, les cabaretiers, les taverniers
s’y trouvent en telle quantité que c’est une vraie confusion: il n’est rue tant soit peu remarquable qui n’en ait sa
part. Voulez-vous acheter les animaux au marché, ou bien la viande; vous le pouvez à toute heure, en tout lieu.
Voulez-vous votre provision toute prête, cuite ou crue; les rôtisseurs et les pâtissiers en moins d’une heure vous
arrangent un dîner, un souper pour dix, pour vingt, pour cent personnes: le rôtisseur vous donne la viande, le
pâtissier les pâtés, les tourtes, les entrées, les desserts; le cuisinier vous donne les gelées, les sauces, les ragoûts.
Cet art est si avancé à Paris qu’il y a des cabaretiers qui vous donnent à manger chez eux, à tous les prix; pour
un teston, pour deux, pour un écu, pour quatre, pour dix, pour vingt même par personne, si vous le désirez.
Mais, pour vingt écus, on vous donnera, j’espère, la manne en potage ou le phénix rôti, enfin ce qu’il y a au
monde de plus précieux. Les princes et le roi lui-même y vont quelquefois (comme avait coutume de faire le
More quand il vivait) ».
1
Jerome Lippomano, [344] pages 601-603.
Le niveau de vie pendant les guerres de religion 189
1
plus précisément l’année 2013
Le niveau de vie pendant les guerres de religion 191
Enfin, l’estimation du niveau de vie nécessite d’avoir une connaissance du niveau des salaires, ce qui au delà
de ce qui est mentionné pour le prix des marchandises, est d’autant plus difficile que le nombre de journées
travaillées dans l’année, ou le nombre d’heures dans la journée ne sont pas forcément accessibles, et sont
attachés d’une marge d’incertitude importante.
Dans les données que nous avons sur les
salaires au XVIe siècle, nous trouverons des
salaires journaliers, des salaires à la tâche et
des salaires annuels. Si on veut comparer les
niveaux de vie, on recalculera le montant
disponible par jour (revenu journalier) de la
même façon que ce que nous ferons ci-
dessous pour 2013. Par contre, si on veut
estimer le nombre d’heures de travail
nécessaires pour acheter un produit donné,
on se servira du salaire horaire « réel ». Pour
appliquer cette méthode, il faut préciser la
durée du travail au XVIe siècle. Le nombre
6-6 : Intérieur de cuisine (pèlerins d’Emmaüs) – fin du XVIe,
début du XVIIe © Lille, Palais des Beaux-Arts
d’heures travaillées par jour pouvait
dépendre de la saison. Par exemple au début
1
du siècle la durée de la journée de travail était de 14 h en été et de 12 h en hiver ; le salaire lui même pouvait,
loi de l’offre ou de la demande, ou efficacité différente, varier de manière importante en fonction de la saison ;
enfin il n’était pas évident que tout un chacun puisse se trouver un emploi pour tous les jours ouvrés. Dans ce qui
suit on supposera que la durée de travail journalière était de 12 h, que tous les jours ouvrés étaient travaillés et
enfin qu’il n’y avait pas de variation saisonnière des salaires. Pour ce qui concerne le nombre de jours travaillés,
2
on retiendra ainsi 275 jours par an.
Pour les salaires (gages) donnés par an, et pour lesquels la personne était nourrie et logée, on rapportera
ceux-ci au nombre de jours ouvrés (275), et on rajoutera l’équivalent des avantages en nature journaliers corrigés
par le rapport 365/275. Pour le salaire horaire, on considérera qu’ils ne travaillent que 12 heures par jour et les
jours ouvrés. Il est nécessaire d’évaluer la valeur de ces avantages en nature. Pour ce qui concerne le logement,
Claude Haton indique que la nuit à l’hostellerie valait 12 deniers en 1563, soit un sou. On ne peut pas prendre
cette valeur comme base pour les employés qui ne devaient certes pas pouvoir se payer des nuits à ce niveau de
3
prix. Une valeur de 30% me semble raisonnable, d’où 4 deniers/nuit .
Pour ce qui concerne les repas, on ne peut pas non plus prendre les coûts donnés dans les hostelleries, surtout
quand on considère la quantité des aliments donnés lors de ces repas. On a reconstruit, sur la base de deux repas
1
Micheline Baulant, [164]
2
En particulier en suivant Léon Le Grand dans on ouvrage sur l’hôpital des Quinze-vingts ([264]) qui indique une
moyeenne de 272 à 277 jours par année.
3
On considérera que ce coût suit l’évolution du prix du froment, ce qui donne 0,61 s.t./jour pour 1571-1575 ; 0,72 s.t./jour
pour 1585-1589, et 0,96 s.t./jour pour la période 1594-1598.
192 Le niveau de vie pendant les guerres de religion
« type », l’évolution du coût de l’alimentation par jour depuis le début du siècle jusqu’à sa fin. Pour cela on a
utilisé d’une part l’évolution donnée par Micheline Baulant ([263] & [157]) pour une série de denrées
alimentaires, et le prix du pain provenant de l’ouvrage de Claude Haton que l’on a estimé sur l’ensemble de la
période en considérant qu’il était proportionnel au prix du froment tel que donné par Micheline Baulant. La
1
« façon » du pain en effet ne dépassait pas les 15% de son prix . Cela donne l’évolution suivante pour un repas
2 3 4
dit « moyen » correspondant à 3500 kcal/jour , et pour le repas d’un militaire , tel que donné par l’abbé E.
Barbe ([51]) et qui correspond à 5800 kcal/jour ; on a de plus représenté l’évolution du coût de la nourriture pour
5
une famille de 4 personnes .
La nuitée et la nourriture pour un jour représenteraient donc pour :
6
• la période 1561-1565, 1,66 + 0,33 = 2 s.t. /jour
• la période 1571-1575, 2,81 + 0,48 = 3,3 s.t./jour
• la période 1585-1589, 3,81 + 0,66 = 4,5 s.t./jour
• la période 1594-1598, 4,9 + 0,49 = 5,5 s.t./jour.
1
[264], tome 2, pages 83 et suivantes
2
1 kg de pain, 110 g de viande, 2 l de vin, 50 g de pois, 20 g de beurre.
3
On estime la quantité nécessaire de l’ordre de 2100 kcal/jour pour une activité faible, et de 3500 kcal/jour pour une
activité soutenue.
4
1,63 kg de pain, 730 g de viande et 0,9 l de vin par jour.
5
On a supposé qu’il fallait de l’ordre 3500 kcal pour l’homme et de l’ordre 3000 pour chacun des autres membres de la
famille. Le total énergétique correspondant à la courbe traçée est de 12750 kcal.
6
d.t. = Deniers tournois / s.t. = Sous tournois / l.t. = livre tournois
Le niveau de vie pendant les guerres de religion 193
Reconnaissant ces difficultés, on a néanmoins tenté de faire un exercice en utilisant les prix recueillis par
Claude Haton dans ses mémoires ([155]) et les données relevées par Micheline Baulant ([163]) sur les salaires et
1
les prix à Paris à la fin du XVIe siècle . On retiendra donc comme année de référence l’année 1563.
Pour ce qui concerne le salaire en 2013, on a pris comme référence le SMIG, en supposant que celui-ci est
perçu par un employé travaillant à temps plein. Pour se rendre indépendant des durées annuelles de travail, on a
considéré le salaire annuel qui est constitué du salaire journalier (35 heures par semaine donc 7 heures par jour),
multiplié par le nombre de jours ouvrables, c’est à dire 5 jours par semaine sur 52 semaines. Le nombre de jours
2
travaillés dans l’année est ainsi de 260 jours . Le SMIG horaire net étant de 7,39 €/h au premier janvier 2013, le
salaire journalier est de 51,73 €, et le salaire annuel de 13450 €. Le salaire dont dispose la personne pour vivre
par jour est donc ce dernier montant divisé par 365, ce qui donne 36,85 €/jour (revenu journalier).
On a déjà évoqué les difficultés liées à l’utilisation de données sur les prix au XVIe siècle, pour ce qui est du
monde moderne, et même si on se restreint à la sphère alimentaire, les difficultés peuvent être équivalentes. Que
l’on prenne le vin pour lequel, même en restant dans le domaine du raisonnable, le rapport entre les prix les plus
hauts et les prix les plus bas dépasse dix, ou que l’on considère la viande ou le pain, pour lesquels des rapports
de trois à cinq ne sont pas rares entre les différentes qualités que l’on peut trouver dans le commerce, définir une
valeur moyenne précise est une gageure. L’exercice a néanmoins été fait en prenant pour la majorité des cas, les
3
prix donnés sur les sites internet des supermarchés . Il est de plus pratiquement impossible d’établir une
correspondance en termes de qualité entre les produits actuels et ceux de l’époque considérée.
1
Elles présentent pour la période 1561-1565 une cartographie assez complète des prix d’un ensemble de produits de la vie
courante.
2
On considère ici que les jours fériés, ou les jours de congés sont « travaillés » car payés.
3
[255]
194 Le niveau de vie pendant les guerres de religion
Micheline Baulant dans [164] indique que le salaire du manœuvre n’est pas sur les chantiers parisiens le plus
bas salaire constaté. En effet lors des grands chantiers, on trouve dans les livres de compte des salariés qui
touchent la moitié du salaire des manœuvres. Ainsi, pour la période 1561-1565, ces plus bas salaires seraient de
l’ordre de 3 sous par jour, 4,5 sous en 1571-1575, 5,8 sous en 1585-1589 et 5,2 sous pour 1594-1598.
1
Micheline Baulant, [163]
Le niveau de vie pendant les guerres de religion 195
1
[163], les calculs sont faits dans [255]
196 Le niveau de vie pendant les guerres de religion
1 2
à 6 à 7 s.t./jour . La façon d’un cent de provins était elle rémunérée aux alentours de 5 s.t./jour. L’ensemble de
ces valeurs est représenté sur la figure ci-dessous pour la période 1560-1600 ; les chiffres sont donnés en sols
tournois par jour, à l’exception des moissonneurs dont le salaire est donné en sols tournois par arpent(*), et pour
3
le travail à façon comme la constitution de fagots ou de falourdes .
1
Voir [255]
2
Le provignage est employé pour rajeunir les vieilles vignes ou pour obtenir des plants enracinés. Il s’opère immédiatement
après la taille. Pour y procéder, on choisit un cep qui ait, autant que possible, trois ou quatre brins de force égale ; on creuse
au-dessous du cep que l’on veut coucher, des fosses de quinze à seize pouces de profondeur et de trois pieds de longueur sur
un pied de largeur. On relève le cep, on le dépouille de ses racines surabondantes, on l’étend dans la fosse, on recourbe avec
précaution les branches en demi-cercle, on les assujettit avec un crochet de bois pour qu’elles ne se dérangent pas, et l’on
redresse presque perpendiculairement leur extrémité sur le bord extérieur de la fosse. Les provins se taillent à deux ou trois
yeux au-dessus du niveau du sol. Au bout d’un an on sèvre les provins : ils sont alors assez enracinés pour se suffire à eux-
mêmes ; mais il vaut mieux ne pas les séparer de leur mère. Quand le provin a été bien fait, il donne quelques raisins dès la
première année ; à la seconde il est déjà dans toute sa force. [267]
3
Fagot de 4 ou 5 bûches courtes liées aux deux extrémités.
Le niveau de vie pendant les guerres de religion 197
Les militaires:
Pour les militaires on utilise une
1
lettre patente du roi Henri III sur le
coût de l’armée du duc d’Epernon en
1586. Les coûts sont donnés par
mois ; de façon à pouvoir être
comparable avec les autres salaires,
on calculera à partir de ces « salaires
» un salaire moyen journalier en
calculant le salaire annuel que l’on
divisera par 365 (en supposant que,
sur le principe, les militaires
travaillaient tous les jours).
On obtient, pour l’année 1586, la
répartition suivante des soldes en ne
6-11 : Répartition des soldes de l’armée du duc d’Epernon © Marincic
2
rajoutant aucun avantage en nature
(en abscisse le montant du « salaire » en sous tournois et en ordonnée le nombre de personnes concernées). Si on
3
s’intéresse aux bas «salaires» , et si on suppose que le rapport entre ceux-ci et ceux que l’on devait avoir dans la
période 1561-1565 est égal à celui du manœuvre parisien, on aurait pour la période 1561-1565 une solde de
l’ordre de 3 à 4,2 sous tournois par jour.
1
[222]: Estat de la despense que le Roy à ordonné estre faite par chacun mois pour le payement tant de la gendarmerie que
des gens de guerre à pied & à cheval … pour estre exploictée par monsieur le duc d’Espernon… faite le 2 juillet 1586.
2
On notera en particulier que pour cette période on a calculé le coût d’une journée en nourriture plus coucher à une valeur
de l’ordre de 7,2 s.t./jour pour un repas « moyen » qui n’était pas celui des soldats.
3
Le rapport entre la solde du soldat et celle du duc d’Epernon est de l’ordre de 100. Aujourd’hui, un général de division
perçoit un salaire brut de l’ordre de 6400 €/mois alors qu’un homme du rang perçoit un salaire de 1800 €/mois
([www.auservicedumilitaire.com]); ce facteur de 3,5 est bien loin des différences de traitement des hommes dans les armées
du XVIe siècle…
198 Le niveau de vie pendant les guerres de religion
On retiendra pour l’année 1563 un salaire « minimum » de 4 sous tournois par jour. Pour les autres périodes
on appliquera les rations calculées sur la base de l’évolution du salaire des manœuvres, soit pour les
périodes :
• 1571-1575 : 4x9/6,13 = 5,87 s.t./jour ;
• 1581-1585 : 4x11,6/6,13 = 7,6 s.t./jour ;
• 1594-1598 : 4x10,4/6,13 = 6,8 s.t./jour.
La grande disparité observée, de 1,7 heures pour le coût d’un cent d’écrevisses à 36 heures pour le brochet
provient du choix fait de calculer ces coûts pour des quantités arbitraires qui ne rendent pas compte de l’apport
énergétique des aliments ni de la qualité de ceux-ci.
La distribution reproduite sur le schéma ci-après donne pour chaque aliment considéré, et pour la quantité
1
représentant un apport énergétique de 1000 kcal , son équivalent en heure de travail pour le salaire minimal tel
que déterminé au paragraphe précédent, soit 4 sols tournois par jour.
6-13 : Nombre d’heures pour un salaire de 4 s.t./jour pour un apport énergétique de 1000 kcal © Marincic
En particulier on notera que le lard coûtait près de trois fois plus que la viande au kilogramme alors que son
coût était à peu près le même pour un équivalent énergétique de 1000 kcal. Pour ce qui concerne les poissons, si
le prix de la carpe semble abordable, même si 30% plus élevé que celui de la viande, ceux de la perche, du
brochet et de l’anguille les apparentent à des mets de luxe. On notera aussi la différence importante du prix du
beurre entre les deux périodes correspondant d’une part à la période allant de Pâques à Septembre, soit
printemps-été, de celle allant d’octobre à Pâques, automne-hiver, le prix dans la deuxième période étant près de
deux fois plus élevé que pour la première période. L’origine pourrait se trouver dans la relative plus grande
abondance du beurre quand les vaches peuvent manger dans les prés par comparaison aux périodes d’étable et de
foin. Enfin l’huile d’olive, apparaît comme étant très chère, cela est d’ailleurs confirmé par l’analyse suivante qui
compare les prix 2013 à ceux de 1563 ; sans doute une des conséquences du transport de cette huile depuis les
régions productrices du midi de la France.
1
Soit de 20% à 50% de la ration journalière (voir ci-avant)
200 Le niveau de vie pendant les guerres de religion
1
Pour en revenir à l’huile, René Baehrel donne l’évolution du prix de l’huile à Aix entre 1570 et 1600, qui
varie en moyenne entre 4 et 5 sous par litre, ce qui est significativement inférieur au prix à Provins en 1563 qui
était de 7,9 s.t./l dans la période 1561-1565 et 9,4 s.t./l pour la période 1571-1575. On retrouve ces différences
régionales dans le prix du vin qui, à Provins, était de l’ordre de 2 à 3 sous par litre dans la période 1571-1575,
alors qu’à Aix il était de l’ordre de 1 sou par litre.
6-14 : Cueillette des olives à Terracina © [415] Civitates Orbis terrarum - Tome 3
1
[158]
Le niveau de vie pendant les guerres de religion 201
Si on s’intéresse au pain et au vin, bases de l’alimentation, on notera qu’il fallait trois fois plus de temps de
travail, pour un même apport énergétique, pour se procurer du vin que du pain. On valorisera ainsi d’autant plus
l’avantage que constituait pour certains travaux la fourniture pendant la journée de travail de vin ou de bière.
La deuxième liste a été utilisée pour les pièces de volaille et le gibier, denrées qui ne figurent pas dans la liste
précédente (on retiendra donc qu’il faudrait y rajouter de l’ordre de 10% si on voulait comparer ces prix à ceux
des denrées couvertes dans la première liste). Pour celles-ci, les équivalences sont données à la pièce.
Même si l’incertitude qui pèse
sur les quantités est importante, on
peut identifier les mets de luxe, en
particulier le gibier particulièrement
prisé par la noblesse. L’exemple de
menu donné au § 6.1 l’illustre
parfaitement. On notera en
1
particulier les bisets , les pigeons,
les lapins (connins), la grive ( !), la
bécasse ( !), …. Si une poule, pour
laquelle il fallait 13,5 heures de
travail pouvait peser de 1 à 1,5 kg,
la grive qui ne dépasse guère 100 g
nécessitait elle donc plus de 30
heures de travail.
1
Pigeon
202 Le niveau de vie pendant les guerres de religion
On a comparé ensuite ces valeurs à ce que l’on obtient en faisant le même exercice en 2013 en utilisant
comme base salariale le SMIG ; on a représenté sur le diagramme suivant le rapport des deux.
6-16 : Comparaison des prix en heures de travail du salaire minimum entre 1563 et 2013 © Marincic
Le niveau de vie pendant les guerres de religion 203
1
Si à l’exception notable des écrevisses , tous les produits étaient plus chers en 1563, d’un facteur allant de
1,5 pour le veau à près de 40 pour l’huile d’olive, on constate quatre grands ensembles de denrées :
• celles pour lesquelles le nombre d’heures de travail nécessaire en 1563 était entre une fois et deux fois le
nombre d’heures de travail en 2013 ; on trouve principalement la viande ; on remarquera néanmoins
l’étonnante cherté du lard, qui nécessitait en 1563 près de 30 fois plus de travail qu’en 2013 ;
• celles pour lesquelles il fallait travailler de 4 à 7 fois plus en 1563 qu’en 2013 pour les acquérir, et qui
sont représentées par le vin, le pain, les pois et la morue ;
• celles qui étaient beaucoup plus chères en 1563 qu’en 2013, et qui sont représentées par les poissons, de
10 à 20 fois plus « onéreux » au XVIe siècle, le beurre, de 20 à 40 fois plus onéreux, l’huile d’olive,…
• et enfin celles qui étaient moins chères en 1563, peu nombreuses il est vrai, et qui ne sont représentées
dans le graphique que par les écrevisses et le verjus.
En particulier, et pour ce qui concerne donc les denrées alimentaires de base, le prix du pain était cinq fois
plus élevé qu’il ne l’est aujourd’hui, le prix de la viande entre une fois et demi le prix actuel pour le bœuf et cinq
fois pour le porc, traduisant l’évolution des prix dans nos sociétés actuelles où le bœuf est significativement plus
cher que le porc (plus de deux fois plus aujourd’hui alors que le bœuf était moins cher de près de 20-25% que le
porc en 1563).
On a fait le même exercice sur les volailles et le gibier, les résultats sont présentés sur le graphique ci-
dessous. Il traduit, comme le précédent, un niveau de prix très élevé en 1563. Par contre, certains mets de luxe en
1563 le demeurent en 2013, tels la bécasse, la grive, le chapon, …
6-17 : Comparaison des prix des volailles en heure de travail d’un salaire minimum entre 1563 et 2013 © Marincic
1
… qui devaient se trouver en beaucoup plus grande quantités dans les rivières non polluées de la France du XVIe siècle
204 Le niveau de vie pendant les guerres de religion
6-19 : Comparaison des prix du pain en heures de travail d’un manœuvre dans différentes villes du monde ©
Marincic
1
Il faut noter ici que l’on ne prend pas en compte les avantages dont on dispose aujourd’hui quand on est salarié, en
particulier l’assurance maladie et l’assurance choôage qui devaient, en 1563, être couvertes par le salaire perçu seulement.
2
« Histoire économique de la propriété, des salaires, des denrées et de tous les prix en général depuis l’an 1200 jusqu’en
l’an 1800 », [263] tome 7, pages 413 et suivantes.
Le niveau de vie pendant les guerres de religion 205
Tout en reconnaissant le caractère très simplificateur de cette démarche, on pourrait comparer Paris en 1563
aux villes de Delhi et Bangkok en 2012. Par contre la vie à Caracas et à Manille aujourd’hui apparaît comme
beaucoup plus précaire que ce que l’on pouvait observer au XVIe siècle dans la capitale du royaume de France.
206 Le niveau de vie pendant les guerres de religion
6-20 : Le prix des aliments à Paris entre 1561 et 1589 en heures de travail (salaire minimal) en relatif vs 61-65 ©
Marincic
1
« Prix et salaires à Paris au XVIe siècle ; sources et résultats », [163]
2
On notera néanmoins l’augmentation très importante du prix du sel qui double sur la période, et ce sans même considérer
l’augmentation de la gabelle, qui si importante, on l’a vu, en valeur absolue, ne l’est pas en valeur relative.
Le niveau de vie pendant les guerres de religion 207
Jerome Lippomano note d’ailleurs vers 1577 l’abondance du marché des vivres et le dynamisme du
commerce : « La chose à mes yeux la plus remarquable, c’est la grande abondance de vivres dans les villes,
dans les bourgades, dans les plus minces villages; il y a toujours à foison du pain, de la viande, du poisson, du
blé, du fourrage. Le tiers de la population, dans tous les lieux habités, s’occupe de commerce-là, comme
1
taverniers, pâtissiers, hôteliers, rôtisseurs, bouchers, fruitiers, revendeurs. », malgré une certaine méfiance
envers les nobles : « Dans le commerce et les affaires, les Français ne tiennent pas scrupuleusement leur parole
[…] c’est là une des causes principales du peu de crédit qu’ont les nobles auprès des marchands. Les Français
ont naturellement une haute estime d’eux-mêmes; ils se croient la première nation du monde; ils se préfèrent
2
aux italiens, et les appellent leurs stipendiés et leurs serviteurs. ».
1
Jerome Lippomano, [344], page 489
2
Jerome Lippomano, [344] page 569
208 Le niveau de vie pendant les guerres de religion
6-21 : L’évolution des prix des denrées non alimentaires (1561 – 1598) – 1 © Marincic
6-22 : L’évolution des prix des denrées non alimentaires (1561 – 1598) – 2 © Marincic
Le niveau de vie pendant les guerres de religion 209
Quand on compare les prix de la période 1560-1600 en heures de travail par rapport à l’année 2013, on
retrouve ce que le bon sens nous laissait prévoir compte-tenu des progrès faits par l’industrie. Les écarts les plus
importants se retrouvent sur les métaux et sur les textiles, matériaux pour lesquels la part du travail dans le coût
de production a dû baisser le plus significativement. On retrouve des valeurs qui se rapprochent de celles
calculées pour les produits alimentaires pour le bois et les matériaux de construction.
6-23 : Les prix des denrées non alimentaires en heures de travails vs 2013 – 1 © Marincic
6-24 : Les prix des denrées non alimentaires en heures de travails vs 2013 – 2 © Marincic
210 Le niveau de vie pendant les guerres de religion
Le XVIe siècle, la
découverte de
l’inflation
Le XVIe siècle, la découverte de l’inflation 213
1
La monnaie de compte est une monnaie théorique qui sert à définir de manière universelle la valeur d’un bien ou un
salaire ; elle est exprimée en livres, sous et deniers. La livre équivalait à une livre d’argent à l’origine ; 20 sous font une
livre, et douze deniers un sou. La monnaie d’échange était constituée de pièces fabriquées avec différents métaux, et pour
lesquelles une équivalence en monnaie de compte était définie.
2
Orléans, Soissons, Troyes
214 Le XVIe siècle, la découverte de l’inflation
Malgré la grande dispersion des données, un mouvement d’ensemble se dégage nettement qui conduit à des
prix qui atteignent à la fin du seizième siècle, pour certains produits, près de dix à douze fois le niveau qu’ils
avaient en 1500. Les auteurs anglo-saxons nomment cette période, qui s’étend de 1550 à 1650, « the price
revolution », ou la révolution des prix. Le même envol des prix s’est en effet produit dans toute l’Europe au
même moment, modifiant de manière profonde le monde économique. De manière plus précise, on distingue
dans les vingt premières années une augmentation rapide pour certains produits qui conduit à un doublement du
niveau des prix (ce qui correspond à une inflation de l’ordre de 2,5% par an), alors que d’autres restent
relativement stables. Cette première période est suivie d’une période d’augmentation modérée qui dure jusque
vers les années 1550-1560, date à laquelle les prix ont été multipliés par un facteur de deux à quatre. Enfin une
dernière période ou les prix augmentent régulièrement pour atteindre entre cinq et douze fois le niveau du début
du siècle. Il est à noter que malgré ces augmentations importantes, le niveau d’inflation, si on considère la
moyenne sur la durée du siècle, est de 2,5% par an pour couvrir l’ensemble des évolutions constatées, valeur
assez modeste comparée à celles que nous avons connues au XXe siècle.
Sur le graphique ci-dessus on a représenté deux
courbes encadrant l’ensemble des prix, représentant
deux hypothèses d’inflation théorique, une
« maximale » et une « minimale ». Les valeurs
d’inflation utilisées sont représentées ci-contre en
fonction du temps. Ces courbes ne correspondent pas
à des produits particuliers et ne sont utilisées que
pour visualiser les évolutions des prix d’un produit
donné par rapport aux courbes encadrant l’ensemble
des prix. Les prix qui sont significativement au- 7-2 : Hypothèses d’inflation © Marincic
dessus de la courbe maximale correspondent aux céréales, froment, seigle, orge et avoine.
Si les disparités observées proviennent pour partie des difficultés et des incertitudes liées à l’utilisation de
prix provenant de la documentation contemporaine, il y a néanmoins des différences nettes entre produits. Si on
se restreint à une catégorie de denrées, on trouve des écarts bien plus faibles, ce qui permettra de dégager des
tendances chiffrables qui pourront à leur tour être utilisées pour quantifier une mesure de l’inflation telle qu’elle
pouvait être vécue par les contemporains.
Le XVIe siècle, la découverte de l’inflation 215
On notera que la hausse tendancielle se poursuit au-delà de 1591 pour l’ensemble des céréales, avant une
chute brutale dans les deux dernières années du siècle. Si on examine de manière plus précise le début du siècle,
on constate qu’une première phase de hausse modérée semble commencer vers 1520 pour réellement
« décoller » à partir de 1560. Si on essaye de convertir cette hausse en inflation, on obtiendrait une inflation de
l’ordre de 2% de 1520 à 1560, suivie d’une phase à 4,5% par an jusqu’à la fin du siècle. On notera néanmoins
une phase de dépression de l’ordre de 8 ans entre 1574 et 1582 ; cette phase est un peu plus courte à Aix.
1
[157], voir les courbes détaillées au paragraphe 7.5
216 Le XVIe siècle, la découverte de l’inflation
Micheline Baulant ([163]) a tenté, malgré la difficulté d’être sûr de comparer des qualités équivalentes de
1
grains , de comparer les prix du blé dans les villes de Lyon, Montpellier, Toulouse et Paris. Les résultats sont
représentés sur les deux figures ci-dessous. Le prix du froment à Paris apparaît comme toujours
significativement plus élevé que celui observé dans les autres villes (mais c’est le prix du meilleur froment qui
est représenté ici). C’est à Lyon que le prix est le plus bas, près de quatre fois moins qu’à Paris en 1594-1598
(mais il s’agissait ici des années suivant immédiatement le siège de la capitale), et cinquante pour cent de moins
qu’à Toulouse. Par contre, et si on excepte Paris, les évolutions sont du même ordre de grandeur, atteignant un
facteur cinq entre le début et la fin du siècle ; il atteint dix pour Paris. Compte-tenu du poids important du pain
dans le budget, le prix du froment sera un élément fort du calcul de l’inflation, cette différence entre la capitale et
la province aura ainsi tendance à maximiser l’inflation (car elle sera calculée sur la base de l’évolution des prix
2
parisiens), et donc à minimiser le niveau de vie calculé . En effet, Micheline Baulant note par ailleurs que les
niveaux des salaires étaient beaucoup plus homogènes en France, comme si dans cette époque où le transport
3
était difficile , la main d’œuvre voyageait beaucoup mieux que les denrées.
7-4 : Evolutions du prix du blé en France © Marincic 7-5 : Prix du blé en France © Marincic
1
Ainis elle note aux halles de Paris une différence de près de 30% entre les prix maximums et minimums.
2
Frédéric Mauro ([305]), indique que vers 1550, la ville de Paris comptait de l’ordre de 300 000 habitants, ce qui en faisait
un pôle de demande forte.
3
On citera notamment Jerome Lippomano ([344] page 295) : « Le sol de la Beauce que l’on appelle basse, est si argileux
que, depuis Paris jusqu’à Orléans, dans l’espace de trente-six lieues, il a fallu paver tout le chemin, sans quoi il n’y aurait
pas assez de chevaux pour tirer les charrettes de la boue pendant tout l’hiver. Ce pays abonde en froment et en vin. ».
Le XVIe siècle, la découverte de l’inflation 217
7-6 : La moisson d’août – Pierre Brueghel l’ancien © Metropolitan Museum of Art à New York
218 Le XVIe siècle, la découverte de l’inflation
Pour le vin, denrée très liée aux aléas climatiques, ainsi qu’aux dégâts causés par les armées en campagnes,
l’évolution des prix peut présenter des pics locaux significatifs. Néanmoins, on peut noter une période assez
longue d’augmentation modérée, épousant la courbe à 1%/an du début du siècle jusque vers 1550/1560 environ.
Cette période est suivie d’une augmentation beaucoup plus rapide, légèrement supérieure à la courbe « 3,5% par
an » jusqu’en 1590, et encore plus marquée ensuite (il faudrait une inflation légèrement supérieure à 4% pour
1
que la courbe épouse l’évolution des prix du vin). Micheline Baulant mentionne deux dépressions, une de 1544
à 1556, et la deuxième de 1579 à 1586 que l’on ne peut pas mettre en évidence ni sur les données
complémentaires utilisées ici, ni sur la base de ses données moyennées sur les sept périodes de référence qu’elle
a choisies. Il faut noter la plus grande dépendance de la production de vins aux ravages occasionnés par la
guerre. Il faut effectivement plusieurs années pour qu’une plantation de vignes commence à produire de manière
constante, alors que le cycle est beaucoup plus court pour les céréales ou les pois. Pour ce qui concerne le prix du
vin à Aix, la valeur de référence prise pour le début du siècle a été estimée par rapport à celle du vin de Paris,
corrigée par le rapport entre Paris et Aix en 1580. Cela a conduit à une valeur de 0,2 s.t./l au lieu de 0,31 s.t./l sur
la période 1506-1510. Le vin à Paris est toujours plus cher que le vin en Provence, sans doute du fait d’une
proportion importante du transport dans son prix final. Jerome Lippomano, ambassadeur de Venise auprès de la
1
[163]
Le XVIe siècle, la découverte de l’inflation 219
1
cour de France, note dans sa « relation » en 1577, l’extrême variabilité du prix du vin : « Tous les mercredis se
tient le marché des vins, qui sont apportés par la rivière d’Orléans et de Bourgogne. Les vins de l’Ile-de-France
ne sont guère estimés. Le tonneau est la plus grande des mesures, ce qui répond, je crois, à la moitié d’une botte
vénitienne: le prix est très-variable. En 1578 le vin de qualité moyenne valait trente francs le tonneau; en 1579,
neuf ou dix. ».
1
Toutes les citations de Jerome Lippomano reprises dans ce chapitre proviennent de la référence [344], pages 293 à 615.
Bien que nous atribuons à l’ambassadeur la paternité du texte, il a été dans les faits écrit par son secrétaire.
220 Le XVIe siècle, la découverte de l’inflation
Pour la viande, on constate une évolution assez modérée pour le mouton, alors qu’elle est plus forte pour le
boeuf tout au long du siècle. Micheline Baulant et d’Avenel indiquent que si le prix du bœuf était inférieur de
25% à celui du mouton au début du XVIe, l’équilibre était plus ou moins atteint à la fin de celui-ci. On constate
une augmentation beaucoup plus importante pour le porc (mais avec une incertitude sans doute plus importante
sur la conversion poids/pièce) ; néanmoins les fourchettes de prix données par d’Avenel, qui vont du simple au
double, et expliquent sans doute la proportion importante de points au-dessus de la courbe correspondant à
l’inflation maximum, sont à considérer avec précaution.
Le XVIe siècle, la découverte de l’inflation 221
La viande était une denrée consommée relativement en grande quantité au XVIe siècle, même si on constatait
déjà une diminution par rapport à ce qui se pratiquait au XVe siècle, diminution qui va se poursuivre sur encore
quelques siècles. Les poids des animaux qui sont donnés dans les comptes qui nous sont parvenus témoignent à
la fois de pratiques d’élevage encore archaïques, et d’une grande dépendance aux saisons. En effet, que ce soit
pour les moutons ou les bœufs, les poids donnés sont près de 25% à 50% inférieurs à ceux que l’on connaît au
XXe siècle en occident, et varient en fonction de la période de l’année. Ainsi, Bennassar ([276]) indique qu’en
Espagne, à Valladolid, si un boeuf pouvait peser de l’ordre de
170 kg en été, son poids tombait à 130 kg en hiver ; pour le
mouton c’était de 13 kg à 9 kg. La viande n’était consommée
que dans les périodes de charnage, c’est à dire en dehors du
carême qui durait du mercredi des Cendres au dimanche de
Pâques, soit de l’ordre de quarante jours. L’illustration ci-contre
montre un bœuf dont le garrot est à la hauteur de la taille d’un
homme, permet de voir effectivement que les animaux étaient
beaucoup moins gros que ceux que nous élevons aujourd’hui.
Bien que sur la figure ci-dessus, le prix du porc se situe dans la
partie haute de la gamme, il semblerait que cette viande ait été
mal considérée et réservée aux pauvres ; c’est du moins ce qu’en
écrit Jerome Lippomano : « Le porc n’est pas prisé et sert de
nourriture aux pauvres; cependant les jambons de Mayence, ou
qui passent pour en être, sont très-estimés. » et « J’ai dit que le
7-9 : Le boucher (1568) © Jost Amman
porc est l’aliment accoutumé des pauvres gens, mais de ceux qui
(1539-1591)
sont vraiment pauvre. ». Mais comme il note aussi, « la viande
et le poisson se vendent à la vue, et en si grande abondance qu’en aucun temps je n’en ai vu manquer. », ce qui
rend difficile toute tentative d’établir des prix au kilo.
tout marchand si chétif qu’il soit, veut manger, les jours gras, du mouton, du chevreuil, de la perdrix, aussi bien
que les riches. ».
L’évolution du prix des volailles suit les tendances du prix des viandes de boucherie, avec néanmoins une
adhérence plus forte à la courbe d’inflation minimum. Le peu de données, et surtout leur caractère assez
disparate, ne permet pas d’identifier de
manière plus fine des périodes où cette
évolution présenterait des caractères
particuliers. Jerome Lippomano fut si
impressionné par la consommation de
volailles à Paris, qu’il en parlera deux fois
dans la relation de son ambassade en 1577 :
« Les mercredis et les samedis il y a le
marché des volailles, des lièvres, des lapins,
des chevreaux et des marcassins. Chaque fois
il y en a une si grande quantité qu’on la
croirait suffisante pour bien du temps:
toutefois, ce qui est apporté pour un marché
7-12 : Les marchandes de Volaille – Bartolomeo Passarotti – 1577
© Fondazione Longhi, Firenze
ne paraît jamais dans l’autre, et en un peu
plus de deux heures tout est vendu. » et
« Tous les mercredis et samedis, il entre dans la ville deux mille chevaux chargés de volailles, de gibier, de
lièvres, de lapins, de marcassins, et (chose admirable) en moins de deux heures tout est vendu. La viande, quelle
Le XVIe siècle, la découverte de l’inflation 223
qu’elle soit, se vend à la vue, tant la pièce, mais non à la livre, si ce n’est bien rarement et lorsque l’acheteur le
désire. Les prix sont modérés, mais les Français, qui étaient accoutumés à des prix encore plus bas, se plaignent
que la guerre ait fait tout renchérir. ».
Le gibier était aussi prisé, mets de prédilection de la noblesse, mais que le peuple voulait s’offrir ; Jerome
Lippomano note : « Le lièvre et le jeune sanglier sont beaucoup plus recherchés que la perdrix et le faisan
même. La venaison est abondante, mais n’est pas aussi fine que chez nous; on mange peu de gros gibiers. ».
7-13 : Vincenzo Campi (1536 – 1591) – Le Christ dans la maison de Marie et de Marthe © Modane, galerie Estense
224 Le XVIe siècle, la découverte de l’inflation
bétail en grande abondance, ne savent pas faire le fromage, et, si quelque part on le fait bien, ce sont des
Italiens établis en France qui y travaillent. », jusqu’à dire que c’est la qualité du fromage italien qui permet d’en
manger pendant carême : « Aussi durant le carême les herbages et le poisson abondent: et cependant les
Français ont, à ce qu’ils disent, reçu du saint-siège la permission de manger du beurre et du laitage pendant
tout le carême. Le fromage est défendu, si ce n’est celui de Milan, peut-être parce qu’il est le meilleur. ».
La courbe des œufs donnée ci-après présente une augmentation significativement plus importante de leur prix
tout au long du siècle, qui tend à les rapprocher de la courbe maximale.
ne remarchent point, $ont defendues comme infettes & mal$aines : mais tout le poi$$on, e$t permis, horsmis
1
Maladie paraistaire des bovins et des porcins, provoquée par le développement dans divers tissus et notamment dans les
muscles, de larves de ténia ou cysticerques.
Le XVIe siècle, la découverte de l’inflation 227
certain poi$$on mol & vi$queux. Et n’e$t pas vray$emblable que Dieu eu$t cree quatre cens $ortes de poi$$ons,
qui ne cou$te rien à nourrir, & qua$i tout propre à l’v$age humain, s’il e$toit mal$ain….Ie confe$$e bien qu’il
n’y a rien pire pour l’e$tomac que manger chair & poi$$on, en$emble, pour la varieté, mais on peut bien en
v$er $eparement. »
Jerome Lippomano identifie une autre cause possible de la faible consommation de poisson à Paris, sa qualité
et sa fraicheur : « Le poisson n’est pas aussi bon ni aussi abondant qu’il devrait l’être dans un pays si riche en
rivières, qui, de trois côtés, est baigné par la mer, et où l’on peut le transporter aisément partout,
principalement en hiver. Les poissons de mer, plus estimés que ceux d’eau douce, sont surtout la sole, le
saumon, l’esturgeon, qu’on pêche aux embouchures de la Loire et de la Seine, le turbot et les huîtres qu’on
trouve à Paris presque toute l’année. Pour les autres poissons de mer on en fait peu de cas; et ceux même que
j’ai nommés ne sont pas, il s’en faut beaucoup, aussi délicats que les nôtres, soit à cause de leur grosseur, soit
qu’à Paris on les apporte de trop loin, ce qui les gâte, notamment en été. Parmi les poissons de rivière on
préfère le brochet, la grosse lamproie, le persico; on n’aime guère la carpe, dont on fait ordinairement des
pâtés. ».
Mais si le poisson frais n’était pas forcément prisé, durant les périodes maigres, le poisson séché ou salé
devenait la seule source possible de protéines, comme le note encore Jerome Lippomano : « Au reste, tout
ouvrier, tout marchand si chétif qu’il soit, veut manger, […] et les jours maigres, du saumon, de la morue, des
harengs salés, qu’on apporte des Pays-Bas et des îles septentrionales, en très-grande abondance. Il en vient des
bâtiments tout chargés, comme les navires marseillais le sont du bois et des fagots de la Slavonie. Les magasins
de Paris en regorgent. ».
2
Le bois et le charbon ont subi une augmentation très importante au début du siècle, plus à Paris néanmoins
3
que dans les autres villes prises ici en compte qui sont Orléans et Soissons . La demande en effet a été dopée par
l’accroissement de la population, et une plus grande utilisation de combustible pour les forges et les verreries,
sans oublier une industrie de construction navale grande consommatrice de bois dans les provinces maritimes.
Ces besoins ont permis le développement d’un grand nombre de métiers spécialisés tels que bucherons, fendeurs,
charbonniers, boisseliers, sabotiers, vanniers, cercliers, … L’industrie du charbon de bois se développe du fait de
la plus grande facilité de transport qu’il procure ; en effet le bois perd les trois cinquièmes de son poids en
cuisant. Les charbonniers sont aussi ceux qui deviennent cendriers pour tirer usage des branches et du petit bois
qui ne pouvaient être transformé en charbon. La cendre, utilisée comme lessive (grâce à la potasse qu’elle
1
Du bois livré en bûches, mais aussi des cotrets qui sont des petits fagôts de bois courts.
2
Marino Cavalli note en 1546 ([374]) que bien qu’un sixième de la France soit couvert de forêts, le bois y coûte deux fois
plus cher qu’à Venise, car presque toutes les forêts appartiennent au roi, qui permet la coupe et la vente du bois quand cela
lui plait.
3
Georges D’Avenel, [263]
Le XVIe siècle, la découverte de l’inflation 231
contient), l’était aussi pour la fabrication des poudres dont la production était en nette augmentation et pour la
1
fabrication du verre . Cette hausse a été suivie à partir de 1550 d’une relative accalmie.
Micheline Baulant explique cette stabilisation des prix du bois à Paris par le développement du transport du
2
bois par flottage depuis le Morvan, puis par l’ouverture du canal de l’Ourcq . Dans la dernière partie du siècle,
les prix reprennent leur progression avec un taux de l’ordre de 2,5% à 3% par an. Jerome Lippomano note dans
sa relation la fragilité de Paris vis-à-vis de l’approvisionnement en bois qui dépend de la navigabilité de la Seine
: « Le foin, le bois, le blé, le charbon viennent par la Seine, et se vendent, non pas au marché, mais à leur
arrivée, sur les bateaux mêmes. Le foin, la paille se vendent par bottes: le gros bois se vend au nombre comme
les fascines et les fagots; le charbon et le blé se mesurent;
Paris n’est exposé à être privé d’autre chose que de bois et de fourrages, qui ne peuvent être apportés que
par bateau; et toutes les fois que la rivière monte beaucoup (comme en 1578), ou qu’elle gèle, les bateaux ne
pouvant pas arriver, la ville doit être à cet égard, l’hiver surtout, dans la disette. Elle renferme presque toujours
cent mille chevaux de selle ou de somme, et ses alentours donnent à grande peine du fourrage pour un mois.
Mais quant aux vivres, il n’y a rien à craindre de semblable; l’été, on les apporte par la rivière; l’hiver, sur des
voitures et sur des chevaux. Rien n’y manque, quoique d’après l’opinion commune il se trouve continuellement
dans cette ville plus d’un million de personnes. ».
3
Pour ce qui concerne l’éclairage, on constate une évolution assez différente pour la cire, qui, produit de luxe ,
a été moins sensible à l’augmentation générale des coûts, et pour le suif et les chandelles qui, malgré une longue
période de stagnation entre 1520 et 1560, ont suivi une courbe d’inflation de l’ordre de 3%/an.
1
Voir en particulier Fédéric Mauro, [305]
2
Au début du XVIe siècle la rivière d’Ourcq se révèle comme la voie la mieux adaptée pour amener à Paris le bois de
chauffage et de construction de la forêt de Retz près de Villers-Cotterêts, ainsi que les céréales produites dans le duché de
Valois. Un début d’aménagement est alors décidé. Le 26 mai 1520, des lettres patentes sont signées par François 1er qui
autorisent le prévôt des marchands et les échevins de Paris à faire curer, nettoyer et rendre navigable tant lesdits rus et
rivières de Seine, Vanne, Morin et Ourcq, qu'autres étangs et démolir tout moulin qui nuirait à la navigation. Sur la base
d’un projet présenté par Louis de Foligny, le lit de la rivière Ourcq est redressé, des barrages et ouvrages de canalisation
sont construits sur une quarantaine de kilomètres entre Silly-la-Poterie et sa confluence avec la Marne pour approvisionner
Paris en bois de chauffage de la forêt de Retz et en céréales du duché de Valois. Mais des différends entre concessionnaires
perturbent la réalisation des travaux. Catherine de Médicis, propriétaire de la forêt de Retz, intervient en 1562 pour les
relancer. Vers 1564, la rivière d'Ourcq est rendue flottable de Lizy-sur-Ourcq à Silly-la-Poterie pour favoriser
l'approvisionnement de Paris et l'exploitation des bois de la forêt de Villers-Cotterêts.
3
Jerome Lippomano note néanmoins : « Dans les églises on brûle de la cire jaune, car il y en a peu de blanche quoique à
Rouen on raffine la cire aussi bien qu’en quelque ville d’Italie que ce soit. »
232 Le XVIe siècle, la découverte de l’inflation
Le XVIe siècle, la découverte de l’inflation 233
Les métaux non ferreux font preuve d’une très grande stabilité, suivant une courbe d’inflation de l’ordre de 1
% par an, voire pratiquement nulle en fin de siècle. Le fer présente une augmentation plus nette, et suit la
tendance générale observée sur les autres produits, en restant très proche de la courbe correspondant à ce que
1
nous avons appelé « inflation minimale ».
1
Marino Cavalli note en 1546 ([374]) que l’argent, le cuivre et une grande partie de l’étain étaient importés d’Allemagne,
et qu’ils coûtent bien plus cher qu’à Venise, sans doute à cause du volume du commerce existant entre l’Allemagne et Venise,
ainsi que de la proximité des états.
234 Le XVIe siècle, la découverte de l’inflation
Le XVIe siècle, la découverte de l’inflation 235
1
On a représenté sur ce graphique le montant en absolu donné par Georges d’Avenel ([263]) et Emmanuel Le Roy Ladurie
([265]), sans chercher à montrer l’évolution au cours du siècle. En effet, les données disponibles ne permettent pas de faire
le lien entre un loyer et une surface habitée, entre un loyer et une catégorie de logement, en ce sens elles sont difficilement
comparables entre elles. Néanmoins, le travail d’Emmanuel Le Roy Ladurie analysant des données notariales, permet
d’avoir une assez bonne vision de la progression du « marché » locatif à Paris.
236 Le XVIe siècle, la découverte de l’inflation
7.1.12 L’habillement
Alimentation, logement, éclairage, chauffage, il est aussi intéressant pour finir de s’intéresser au prix des
matériaux de base pour l’habillement, que ce soit les cuirs ou les toiles. Pour ce qui concerne les peaux, on
constate une évolution assez constante jusqu’en 1560 légèrement au-dessus de la courbe d’inflation minimale. Il
y a ensuite une phase de stagnation, voire de baisse pour le veau, jusqu’à la fin du siècle.
Pour les toiles et draps, l’évolution constatée correspond en moyenne à une inflation constante sur l’année de
l’ordre de 2%/an sur toute la durée du XVe siècle. L’industrie de la laine – les draps - s’est développée très tôt,
dès le XVe siècle avec la mise en place de réseaux commerciaux européens. Il y avait des moutons partout, mais
c’est surtout l’Espagne et l’Angleterre qui étaient les deux grands pays producteurs. La fabrication des draps était
elle développée en Italie et dans les Flandres. En France c’est surtout dans les régions normande et champenoise,
dans l’Aunis, la Saintonge et le Berry que se maintient cette industrie. L’industrie du lin – les toiles – est elle liée
1
aux régions humides qui conviennent à la culture de la plante et qui sont riches en cours d’eau pour le rouissage
des fibres. En France, ce sont dans les vallées de la Saône et du Rhône, dans la Bourgogne, la Bresse et le Bugey
que se sont développés les lieux de production. L’industrie flamande est devenue la première d’Europe, en
particulier suite au besoin en voiles pour la navigation.
1
Dans le dictionnaire de Furetière, [107], on trouve la définition suivante : « On met le chanvre, le lin, rouïr dans des eaux
mortes, pour en détacher plus facilement la filasse quand il est à deli pourri. Il est défendu de faire rouïr le chanvre dans les
eaux vives, parce que cela fait mourir le poisson. »
Le XVIe siècle, la découverte de l’inflation 237
L’industrie de la soie s’était développée de manière importante en France depuis Louis XI qui l’avait
introduite à Tours. Grace à la proximité de la cour, cette industrie y prospéra, occupant vers 1550, 800 maîtres et
1
4000 compagnons sur 8000 métiers .
1
Frédéric Mauro, [305]. L’industrie de la soie, s’était développée d’abord en Italie du Nord : Toscane, Ligurie et Vénétie.
Ce fut une des activités principales des Médicis à côté de l’industrie de la laine. Marino Cavalli, en 1546 ([374] page 259),
donne ce chiffre et rapporte : « Plusieurs fabricants vénitiens s’y sont établis avec leurs familles, et des Génois en plus grand
nombre encore ; puis des Lucquois, sans compter les Français eux-mêmes, qui ont appris le secret du métier. Ils ont même
commencé à planter des mûriers, à élever les vers à soie, et à en tirer du produit autant que le climat le permet. Ils tâchent de
réussir à force d’industrie ; et nous autres, que la nature a favorisés de tant de manières, nous laissons les étrangers
s’enrichir des profits que nous devrions faire. »
238 Le XVIe siècle, la découverte de l’inflation
Le premier était « Que l’on $e plainct à tort en France de l’encheri$$ement de toutes cho$es, attendu que
rien n’y e$t enchery puis trois cens ans ». Malestroit, sur une série d’exemple, cherche à montrer que le prix des
denrées n’a pas augmenté si on les compte en quantité d’or. Il est en ce sens dans la logique de la séparation de
la monnaie de compte de celle d’échange. Le premier exemple cité, et qui
vaut pour les quelques autres, concerne le prix de l’aune(*) de « bon
velours ». Il part du fait qu’en 1328, du temps de Philippes de Valois,
l’aune de velours valait quatre livres (tournois), et qu’il fallait donc quatre
écus (pièce d’or) pour s’en acquitter. En ce temps, l’écu « valait » vingt
2
sols. En 1568, le même écu vaut 50 sols pour la même quantité d’or .
L’aune de velours valant en 1568 dix livres (200 sols) et non plus quatre,
elle peut aussi être payée par quatre écus (de cinquante sols chacun). Ici,
la monnaie de compte a été « dévaluée » par rapport à la monnaie
d’échange et le prix de la marchandise concernée, en monnaie de compte,
a été « augmenté » en proportion. Bien entendu, le raisonnement de
Malestroit généralisé à l’ensemble des denrées supposerait que cette
7-29 : Evolution de la livre
augmentation d’un facteur quatre était valable pour tous les produits, ce
tournois en poids d’Ag © [157]
qui, on l’a vu précédemment, n’a pas vraiment été le cas. On notera
néanmoins que ce facteur « 4 » en 1568 se situe entre les deux courbes d’inflation que nous avons utilisées
comme références.
Le deuxième paradoxe était « Qu’il y a beaucoup à perdre $ur un e$cu, ou autre monnoye d’or & d’argent,
encores qu’on la mette pour me$me pris qu’on la reçoit. ». Le seigneur de Malestroit dans son développement
sur le deuxième paradoxe commet une erreur de principe à la fois liée à la coexistence d’une monnaie de compte
et d’une monnaie de paiement, et à une connaissance balbutiante des mécanismes monétaires à une époque où
ceux-ci, du fait de l’internationalisation des échanges et des afflux des métaux précieux provenant du nouveau
monde, commençaient à se développer dans toute leur complexité. Ainsi Malestroit se plaint de l’augmentation
1
Jean de Malestroit (XVIe siècle) est un économiste connu pour ses débats, plus tard désignés sous le nom de Controverse
sur la monnaie. Les archives de la Chambre des comptes mentionnent l'existence d'un certain Jehan Cherruyt, Jean
Cherruies ou Cherruier, seigneur de Malestroit. Jean de Malestroit serait mort en 1578.
2
A 10% près néanmoins
Le XVIe siècle, la découverte de l’inflation 239
de la valeur des monnaies métalliques comptée en monnaie de compte ; il donne l’exemple de l’écu, pièce d’or,
qui passe de 20 sols tournois au début du siècle à 50 sols tournois dans les années 1560. Il en déduit que les
revenus des terres, des rentes, des offices, en fait les revenus de la noblesse principalement, qui étaient comptées
en monnaie de compte, et qui restèrent très longtemps stables, et qui étaient payés en « écus », ne firent que
décroître au fil du temps en équivalent écu. Ainsi, un revenu de 100 livres en 1500 était payé avec 5 écus et ne
l’était plus qu’avec 2 écus en 1560. En suivant son premier paradoxe, ce revenu ne permettait d’acheter que 2,5
fois moins en 1560 qu’en 1500. Jean Bodin, de son côté, commence dans sa réponse aux paradoxes du seigneur
1
de Malestroit par s’opposer à l’idée que les prix des marchandises, comptés en métal précieux, or ou argent,
sont restés stables pendant de longues périodes de temps. Au-delà du constat déjà relevé ci-dessus que le facteur
quatre de Malestroit ne s’appliquait qu’à une partie du marché, Jean Bodin développe l’exemple du velours pour
montrer que la référence elle-même utilisée par Malestroit ne pouvait pas être considérée comme étant stable, et
que son exemple, au contraire de démontrer la stabilité du coût de cette matière, démontrait son enchérissement
de fait. En effet, sous Philippe de Valois, le velours était une denrée rare et précieuse, provenant de Damas en
2
Syrie et de Bourse en Natolie , industrie progressivement assimilée par les Grecs et les Italiens. Jean Bodin dit
que les moulins à soie, « empruntés » aux Génois, étaient inconnus en France au XVe siècle, alors que leur
3
implantation était, dans les années 1560, largement développée à Tours, Lyon , Avignon, Toulouse et dans
beaucoup d’autres villes du royaume. Ce développement a fait que le velours est devenu commun et que de plus
en plus de personnes, « tout le monde », en portait ; sa valeur intrinsèque ne pouvait donc qu’être qu’inférieure à
celle qu’il avait du temps de Philippe de Valois. En conséquence, si son prix en or est demeuré constant, cela
signifie qu’il s’est enchéri considérablement. Jean Bodin complète sa démonstration en développant la même
analyse sur le vin et le blé, et enfin sur les terres.
1
Jean Bodin, « La response de maistre jean Bodin avocat à la cour au paradoxe de monsieur de malestroit… » ([257])
2
La ville de Pruse, ou Bursa, en Anatolie : Sous la domination ottomane, la ville est le centre de production de soieries
royales, facilitée par la culture du mûrier aux alentours du Nilufer. En plus d'une sériciculture locale de grande ampleur, on
y importe de la soie naturelle principalement en provenance d'Iran (via Tabriz et Trabzon) et parfois de Chine. Elle est alors
le centre de confection de caftans, la longue tunique traditionnelle, ainsi que celui des coussins, de la broderie et d'autres
soieries ornant les palais impériaux jusqu'au xviie siècle. [Wikipedia].
3
C’est en 1535 que François 1er accorde une charte à deux commerçants de Lyon, Etienne Turquet et Barthelémy Naris
pour développer la soierie à Lyon : «pour ce mêmement que lesdits Gênois, rebelles comme dit est, au moyen de ce toutes les
années tirent un million d'or ou environ de notre royaume, et de ce portent faveur et aide à nos ennemis, à notre très grand
regret et déplaisir, et pour obvier à ce, lesdits suppliants nous ont fait dire et remontrer que s'il nous plaisait octroyer à
Etienne Turquet, Barthélemy Nariz, leurs compagnons et ouvriers qu'ils feront venir dudit pays de Gênes avec leurs femmes,
familles et enfants pour perpétuellement habiter et résider en notre dite ville de Lyon et y faire lesdits draps de soie, jouir de
tels ou semblables privilèges que nous ou nos dits prédécesseurs ont donné et octroyé à ceux de Tours, lesdits Turquet et
Nariz et compagnons feront tel devoir que, dedans les fêtes de Pâques prochaines, ils auront mis sus plusieurs métiers et
ouvrages en notre ville de Lyon pour faire lesdits velours et autres draps de soie, qui sera un gros bien pour notredit
royaume et pour ladite ville, et la totale ruine desdits Gênois, humblement requérants sur ce nos lettres de provision. » ([Site
de l’académie de Lyon]). L’industrie de la soie compte près de 5000 ouvriers à Lyon en 1550.
240 Le XVIe siècle, la découverte de l’inflation
Jean Bodin continue par proposer des explications de l’augmentation des prix et les moyens de faire en sorte
de lutter contre leurs effets négatifs. Il propose « trois causes » qui seront in fine quatre :
• « l’abondance d’or et d’argent »
• « la di$ette »
1
En particulier relevé par Marino Cavalli en 1546 ([374]), qui chiffre les revenus de la vente du vin à 1 500 000 écus.
2
Et à attirer chez eux ouvriers et artistes, appâtés par des perspectives de rémunération bien plus fortes qu’en France.
3
Sel, sulfate double d’aluminium et de potassium, astringent, émétique et hémostatique, il était utilisé pour traiter le cuir.
D’importants gisements furent découverts à la fin du XVe siècle dans les monts de Tolfa, une région appartenant aux Etats
Pontificaux.
Le XVIe siècle, la découverte de l’inflation 241
« prenant à dix, puis à $eize,& iu$ques à vint pour cent en sa nece$$ité » avait attiré beaucoup d’investisseurs
1
italiens en France, comme d’ailleurs les rentes constituées sur la ville de Paris.
Sur les monopoles, il ne s’étend pas trop, considérant que les décisions des états généraux d’Orléans devaient
réduire l’influence des confréries et des syndicats. Sur la disette, ou la pénurie, il condamne la pratique de
certains négociants consistant à « confisquer » le blé de France pour le vendre à l’exportation, conduisant ainsi à
2
l’augmentation des prix dans le pays qui était lui même le producteur . Il constate de plus que le prix du blé est
plus bas en temps de guerre extérieure qu’en temps de paix du fait de l’interruption du commerce extérieur qui
poussait les négociants à baisser leurs prix pour écouler leur marchandise. Cette disette organisée a été aussi
longuement décriée par Claude Haton dans ses mémoires ([155]). Il condamne aussi le gaspillage qui est fait de
certaines denrées, comme la soie par exemple, dont la trop grande consommation conduit à une augmentation
des prix. Il prônera un retour à la sobriété, en particulier pour les vêtements, mais aussi pour la nourriture.
Enfin, et pour certains produits, il condamne les effets de
Jean Bodin explique que c’est le plaisir des
mode provenant de la cour qui transforment certains produits
grands seigneurs qui définit le prix des
en produits de luxe pour lesquels le prix d’achat n’a pas
pierres précieuses plus que leur abondance
vraiment de valeur modératrice pour l’acheteur.
ou leur rareté. Il donne l’exemple de la perle
Les mesures qu’ils proposent ne sont pas vraiment toutes
qui était dans l’antiquité le bien le plus
convaincantes. Il confesse ne pouvoir rien faire par rapport à
précieux et qui au 16° siècle avait perdu
l’afflux d’or et d’argent dans le royaume ; il pense que les
beaucoup de son attrait et donc de sa valeur.
lois prises ou qui vont être prises contre les monopoles
Il cite Cléopâtre qui, possédant deux perles
seront suffisantes ; il propose de simplifier les monnaies de
d’une once chacune, estimées à cinq cents
paiement et de les rendre plus difficilement falsifiables. Pour
mille écus, en fit « fondre » une pour l’avaler
la disette organisée, il propose deux types de mesures.
afin de montrer sa puissance…
D’abord il défend dans un long développement la nécessité
de ne pas arrêter de faire du commerce international, que ce soit pour des raisons économiques, morales ou
religieuses, mais défend, qu’au moins pour le blé, celui-ci soit encadré et que des greniers soient établis dans les
3 1
villes . Il propose aussi un transfert des taxes sur ces marchandises du marché intérieur vers le marché
1
Les rentes constituées, appelé aussi constitutions, constituts ou rentes à prix d'argent, se sont développées en France aux
XVIIe et XVIIIe siècles pour pallier l'absence de système de crédit bancaire, la religion catholique interdisant de toucher des
intérêts. Jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, l'immense majorité du crédit en France passe par ce système.
2
Et à faire rentrer en France du « méchant blé noir venant de la Baltique ».
3
Il faut noter que les mesures protectionnistes étaient “monnaie courante » au XVIe siècle. Frédéric Mauro dans [305]
donne quelques exemples. En Espagne d’abord, où, dès 1511 une loi imposait aux articles de laine étrangers qu’ils fussent
conformes aux règlements des métiers castillans ; Charles Quint interdit l’exportation de plusieurs types de denrées : lin,
chanvre, peaux, cuirs, soie brute, fer et minerais de fer, …. En France, des lettres royales de 1516 interdisaient l’importation
de tissus d’or, d’argent, de satin, de velours, de taffetas, de damas. A Florence, Cosme Ier interdit la sortie des denrées en
1557 et 1559, et stabilise ainsi les prix agricoles et les salaires industriels. Il cite aussi un essai de Luis Ortiz, « memorial
para que no salga dinero del reino », publié en 1558, et qui déjà montrait que l’exportation de matières premières et
l’importations de denrées manufacturées ne pouvait que conduire à la ruine le pays exportateur et enrichir les pays qui
transformaient les matières premières….
242 Le XVIe siècle, la découverte de l’inflation
extérieur, avançant que le besoin qu’avaient l’Espagne, l’Italie, l’Angleterre, … des produits français était tel
qu’un enchérissement des ces produits ne seraient pas un frein à leur exportation, et qu’en conséquence il y
aurait une diminution des charges sur le peuple français qui faciliterait son enrichissement. Une autre mesure
2
étonnante et sur laquelle il consacre un long développement, est de favoriser la consommation du poisson pour
permettre de diminuer la demande sur la viande et donc d’en faire baisser le prix…
Sur la courbe ci-après, on a repris les évolutions des prix qui avaient été représentées sur la figure donnée en
tête de ce chapitre, en corrigeant les prix pour garder une équivalence en « poids d’argent ».
7-31 : Evolution générale des prix corrigée sur valeur argent © Marincic
On constate que pendant la première moitié du siècle, la dévaluation de la livre tournois par rapport à l’argent
ne joue pratiquement pas sur l’évolution des prix, mais que cet effet est important, principalement dans les trente
dernières années où elle entraîne une baisse de 40% de la hausse…. Le premier paradoxe de Malestroit, si
applicable, aurait conduit à une courbe « plate ».
1
Il mentionne que certains produits français étaient moins chers en Angleterre qu’en France car non soumis aux mêmes
taxes.
2
Voir plus haut un extrait de son texte.
Le XVIe siècle, la découverte de l’inflation 243
7.3 Et les salaires ? L’inflation a-t-elle été une calamité ou une aubaine ?
« Toutefois par noz cou$umes arre$tees, comme i’ay dit, &corrigees depuis $oixante ans, la iournee de
l’homme en e$té, n’e$t pri$ee que $ix den. en hyuer quatre den. & avec $a charrette à bœufs douze den. La
monnoye noire n’e$t point diminuee ny hau$$ee de pied depuis ny au parauant $oixante ans : & toutesfois on
voit que pour $ix deniers le vigneron, le bra$sier, le maneuvre, le $oldat, ne se contente pas de cinq $ouz :
me$mes en ce pays ils en veulent huit ou dix, remon$trant qu’ils ne peuuent autrement viure. Quant à la
coruee des bœufs, elle e$t e$timee vingt $. au meilleur marché. c’e$t donc vingt fois autant qu’elle e$toit
1
pri$ee il y a $oixante ans… »
S’il est difficile de reconstituer des séries de prix sur le siècle, la difficulté est encore plus importante pour les
salaires du fait de la nécessité de pouvoir se reposer sur des sources cohérentes sur toute la durée considérée. La
comptabilité de l’Hôtel-Dieu utilisée par Micheline Baulant donne quelques séries pour les métiers du bâtiment,
de l’agriculture ou du petit personnel de l’hôpital. Ce sont celles-ci que nous allons utiliser pour évaluer la façon
dont les salaires ont évolué par rapport aux augmentations des coûts des produits de base.
La première catégorie de personnel concerne les métiers du bâtiment : manœuvres, maçons, couvreurs,
2 3
tailleurs de pierres, charpentiers, … pour lesquels nous avons des séries de salaires sur l’ensemble de la
4
période. On a représenté sur le graphique ci-après ces séries et quelques données provenant de l’ouvrage du
vicomte d’Avenel et concernant Orléans. Deux types de populations apparaissent nettement. Les « maîtres »,
maçons, couvreurs, tailleurs de pierre, ont des salaires qui sont près du double de celui des manœuvres ou des
aides, et ce sur toute la durée du XVIe siècle. En terme d’évolution, on constate un facteur 4 entre le début du
siècle et la fin de celui-ci, ce qui est nettement plus bas que l’évolution des prix ; ceci se traduira par une baisse
du pouvoir d’achat comme on le verra de manière plus précise ci-après. Pour la catégorie de travailleurs la plus
basse, les évolutions de salaires suivent à peu près la même progression sur la durée. On notera de plus un retard
de près de 20 ans de cette augmentation de salaire par rapport à l’augmentation générale des prix.
1
Jean Bodin, « La response de maistre jean Bodin avocat à la cour au paradoxe de monsieur de malestroit… » ([257])
2
Micheline Baulant, [163] : « Prix et salaires à Paris au XVIe siècle. Sources et résultats.
3
Ces salaires doivent s’entendre comme des salaires moyens sur l’ensemble de l’année. L’abbé Hanauer, dans son étude sur
l’Alsace ([298]) nous donne des salaires pour l’été et l’hiver ; la différence est de 20 % à 30 %. L’été en Alsace s’étendait du
22 février à la Saint Gall, le 16 octobre.
4
Georges d’Avenel, [263] : «Histoire économique de la propriété, des salaires, des denrées et de tous les prix en général
depuis l'an 1200 jusqu'en l'an 1800 ».
244 Le XVIe siècle, la découverte de l’inflation
On a pu aussi tracer les évolutions des « salaires » du personnel de l’Hôtel-Dieu. Ces données sont à
considérer avec précaution ; en effet, seuls des gages annuels sont disponibles, les personnes concernées étant
nourries et logées dans l’hôpital. Nous avons donc rajouté aux gages l’équivalent de ces avantages en nature.
S’ils représentent la moitié du salaire au début du siècle, ils représentent en fin de période près de 2/3 de la
rémunération pour les cas extrêmes (on l’a représenté sur le graphique en trait continu orange), ce qui augmente
l’incertitude associée à la méthode choisie pour les valoriser.
Pour les métiers agricoles, on dispose de salaires journaliers, mais aussi de salaires à la tâche, incluant ou non
le gîte et le couvert, ce qui nécessite, pour établir des comparaisons, de reconstituer un salaire journalier moyen.
On constate ici aussi une grande disparité des salaires, allant de 1 à 6 au début du siècle, et de 1 à 2 à la fin du
siècle. Il est en particulier notable de voir que le début de l’augmentation des salaires se situe entre 1550 et 1560,
à une époque donc où les prix des denrées avaient déjà augmenté de manière très importante. Les courbes
d’évolutions, dans lesquelles nous avons inclus les salaires à façon, sont représentées ci-après. On remarquera
une très faible progression des salaires de base de la vigne, labours et provins, caractéristique sans doute d’une
situation très dégradée de l’industrie viticole, à la fois du fait des vagues de froid et des mouvements de guerre.
Par contre, les travaux des vendanges semblent avoir suivi de manière plus proche l’évolution des prix.
7-39 : Les postes de dépenses du « panier 1 » © Marincic 7-40 : Les postes de dépenses du « panier 2» © Marincic
Pour le panier 1, le poste « alimentation/boissons » correspond à 85% du total, alors que le poste
« vêtements » n’est que de 5% ; le poste « logement » monte lui à 10%. Nous avions vu précédemment que
l’alimentation représentait près de 60% du salaire journalier d’un maçon en Alsace. Ici le panier correspond à ce
qui est nécessaire pour trois personnes, l’apport énergétique étant de 3630 kcal par jour et par personne. Pour le
panier 2, qui est beaucoup moins dépendant du poste relatif à l’alimentation, les fortes variations du prix du pain
sont amorties de manière considérable. Néanmoins, le coût de la vie atteint à la fin du seizième siècle 6 fois le
niveau de l’année 1500. Pour ce panier, l’alimentation représente 50% du coût total, les vêtements 5 à 8%, le
248 Le XVIe siècle, la découverte de l’inflation
logement 15 à 20% et les autres dépenses de 15 à 20% selon l’année. Dans la référence [284], les proportions
suivantes sont données pour le calcul des inflations :
• pour l’Angleterre : 80 % pour l’alimentation et les boissons, 12,5% pour les vêtements et 7,5% pour
le chauffage et l’éclairage (on notera qu’il n’y a rien pour le logement en tant que tel, poste qui
représente 3 à 4% dans notre indice) ;
• pour le Brabant : 75,4 % pour l’alimentation et les boissons, 18 % pour les vêtements et 6,6 % pour
le logement (hors loyer).
1
L’abbé Hanauer donne dans son étude sur l’Alsace ,
la décomposition du budget annuel en 1580 d’un
chroniqueur d’Uberlingen qui vit en ménage avec une
servante. Le détail du poste alimentation est donné ci-
contre, il représente 68,8% du total ; le poste
« vêtements » se monte à 8,9% du total, le logement à
11,9% et le poste « autre », comprenant les gages de la
servante et les outils, fait le complément à 10,7%.
1
Abbé A. Hanauer [298]
2
Pour l’indice des denrées alimentaires, on a considéré le poste « alimentation » du panier 1 ; pour l’indice des prix
industriels, on a considéré un panier proche des quantités du panier 2 : 40 stères de bois (vs. 36), 500 kg de fer, 10 kg de
plomb, 1 m3 de plâtre, 1000 tuiles, 8 draps et 44 kg de chandelles.
Le XVIe siècle, la découverte de l’inflation 249
Si on se limite au pouvoir d’achat des maçons et des métiers de l’agriculture qui ont le mieux évolué au cours
du siècle, on obtient les graphiques ci-dessous (combinaison de l’évolution des salaires et de l’inflation pour les
deux paniers). Si on constate une légère hausse au début du siècle, provenant principalement de la baisse du prix
du froment, on constate une dégradation importante jusque vers 1540, avec une baisse du pouvoir d’achat de près
de 20%, avant que les salaires ne commencent effectivement à remonter. La période suivante, à part pour les
maçons à Paris pour la fin du siècle, présente une relative stabilisation, seules les variations du prix du froment,
donc du pain, semblant affecter la courbe. Cela provient essentiellement du fait que dans ce panier de la
ménagère, comme on le voit sur les graphiques 7-39 et 7-40 qui présentent les principaux postes de dépenses
entre 1500 et 1600, c’est la nourriture, et au premier chef le pain et le vin, qui représentent la plus grande
proportion du prix du panier. La dégradation du pouvoir d’achat semble plus importante pour le « maçon » que
pour les métiers de l’agriculture. Deux phénomènes peuvent expliquer cette différence. Le premier est
l’augmentation très forte des prix des produits issus de l’agriculture, ce qui a dû permettre de faire suivre les
salaires. Le deuxième est la rémunération en nature de certains de ces métiers, ce qui « gomme » l’effet dû à
l’augmentation importante du poste relatif à l’alimentation dans le budget des ménages.
250 Le XVIe siècle, la découverte de l’inflation
7-45 : Evolution du pouvoir d’achat (1) © Marincic 7-46 : Evolution du pouvoir d’achat (2) © Marincic
L’inflation au XVIe siècle a touché toute l’économie européenne, depuis l’Espagne et le Portugal qui
apportait l’or et l’argent depuis leurs nouveaux territoires, jusqu’à la Russie et l’Angleterre. Phelps Brown et
Sheila Hopkins, dans leur article Seven centuries of the prices of consumables, compared with builder’s wage-
rates ([272]) analysent l’évolution des prix et des salaires des ouvriers du bâtiment dans le sud de l’Angleterre de
1264 à 1954. Les mêmes auteurs complètent leurs données dans deux autres articles, Money, prices, wages, and
"profit inflation" in Spain, the Southern Netherlands, and England during the price revolution era, ca. 1520 - ca.
1650 ([290] et Wage-rates and Prices: Some further evidence ([291] pour la France, l’Alsace, le Haut-Poitou,
1
Munster, Vienne, Augsbourg et Valence (Espagne). John H. Munro reprend leurs données et les complète de
2
données similaires pour l’Espagne et le Brabant . Sur le graphique ci-dessous on a représenté l’évolution du prix
du panier considéré pour chacun des trois pays, ainsi que ceux que nous avons calculés pour la France.
On constate entre 1500 et 1600 une augmentation des prix d’un facteur de 4 à 5 pour l’Angleterre, et entre 5
et 6 pour le Brabant, assez proche de ce que l’on a trouvé pour la France jusque vers les années 1585-1590, les
années du siège entraînant une augmentation qui se prolonge pour Paris, alors que la tendance s’inverse ailleurs.
Il est intéressant de noter dès maintenant le cas de l’Espagne qui présente l’inflation la plus faible, contrairement
à ce à quoi l’on pourrait s’attendre si la cause de ce phénomène, comme suggéré pour partie par Jean Bodin était
liée à l’apport d’or et d’argent depuis les nouveaux territoires espagnols. Il faut néanmoins noter la politique
volontariste de l’Espagne pour tenter de limiter la progression des prix en les régulant. Cette politique commence
3
en 1557, et conduisit en particulier à ce que les tarifs en vigueur en 1558 le demeurent jusqu’en 1571 . On
retrouve le même type d’évolutions pour Valence (Espagne), mais aussi pour Augsbourg et Vienne. On a
représenté aussi les évolutions des prix en Alsace et dans le Haut-Poitou qui se situent entre les courbes
« Espagne » et « Paris », assez proches de la courbe « Angleterre », avec néanmoins une montée des prix qui
commence une dizaine d’années avant.
1
John H. Munro, “Money, prices, wages, and "profit inflation" in Spain, the Southern Netherlands, and England during the
price revolution era, ca. 1520 - ca. 1650 », [284]
2
Le duché de Brabant est un ancien duché situé à cheval entre les Pays-Bas et la Belgique actuelle. Il comprend les villes de
Louvains, Bruxelles et Nivelles.
3
Frédéric Mauro, [305]
Le XVIe siècle, la découverte de l’inflation 251
L’Angleterre a connu elle une progression plus importante avec un net décrochement dans les années 1545-
1550, suivi d’une période de stabilité de près de 15 ans. Ceci est sans doute le résultat de la politique menée par
Elisabeth pour stabiliser la monnaie dont la dévaluation était vue comme cause de la montée des prix. Pour
renforcer sa monnaie l’Angleterre va procéder en plusieurs étapes, d’abord donner aux pièces en circulation leur
valeur en argent fin, ce qui leur fit perdre leur valeur nominale ; ensuite elle interdit l’exportation des monnaies
1
et supprime le cours de toutes les fausses monnaies et des monnaies dépréciées .
Enfin l’évolution des prix dans les Pays-Bas est plus rapide, sur tout le siècle, et présente un maximum de
près de 6 dans les années 1586-1590 alors que l’on a respectivement près de 4 et près de 3 pour l’Angleterre et
l’Espagne. Pour ce qui concerne la France on trouve pour le panier 1 une évolution assez similaire à celle
constatée pour les Pays-Bas du moins si on excepte la dernière décennie pendant laquelle l’indice pour la France,
mais correspondant à Paris, continue de monter. On doit reconnaître ici les conséquences du siège de la capitale,
et le temps qui aura été nécessaire pour retrouver une situation économique « normale ». Il faut aussi noter que la
part importante que tient le pain dans la constitution de l’indice considéré, ainsi que celle du vin, tend à exagérer
de manière importante le pic des années 1591-1600, ce qui est sans doute un phénomène typiquement parisien.
L’indice du panier 2 est lui beaucoup plus proche de la courbe du Brabant. On notera aussi une progression
soutenue pendant les 40 premières années du siècle, donc bien avant l’arrivée massive du métal précieux des
colonies. John Munro dans son article The monetary Origins of the Price Revolution: South German Silver
1
Frédéric Mauro, [305]
252 Le XVIe siècle, la découverte de l’inflation
Mining, Merchant-banking, and Venetian Commerce, 1470-1540 » ([285]), rapproche cette évolution de
l’augmentation, après une période de déclin au XVe siècle, de la production des mines d’argent d’Europe
Centrale grâce à des progrès technologiques comme la généralisation du procédé de l’amalgame utilisant le
mercure, qui permit d’améliorer grandement la séparation de l’argent et du cuivre, et la mise au point de pompes
hydrauliques qui, permettant de mieux évacuer l’eau des galeries, permirent d’accéder à de nouveaux filons. Ce
relativement modeste (voir figure ci-dessus « importation d’argent et or à Séville ») surplus de production,
associé à une diminution concomitante des exportations d’argent vers l’Asie qui se faisaient via le commerce de
Venise suite au développement de la puissance ottomane en Méditerranée qui perturba de manière profonde les
chemins commerciaux, conduisit à une augmentation du stock de métal en Europe et donc à une inflation
1
« monétaire » .
2
Sur le graphique présentant l’évolution des salaires ci-dessus , si on retrouve l’évolution générale des prix,
on notera d’abord un décalage de près de 10 à 15 ans, mais surtout une évolution très nettement plus basse en
Angleterre que dans les autres pays considérés. Cet écart va se retrouver de manière exacerbée sur les courbes de
pouvoir d’achat données à la suite. On notera aussi une baisse importante des salaires dans les Pays-Bas dans les
1
Il faut noter ici le déficit structurel millénaire en métal précieux de l’Europe envers l’Asie qui échangeait ses épices contre
l’argent occidental. Earl Hamilton ([296]) rappelle Plinese plaignant des quantités énormes d’épices consommées lors des
funérailles de Sabina Poppaea en 65, favorite de Néron, et de la perte d’argent pour Rome que cela devait représenter.
2
Nous n’avons pas représenté ici les salaires proposés par Phelps Brown dans [290] du fait du haut niveau d’incertitude
affiché par les auteurs.
Le XVIe siècle, la découverte de l’inflation 253
années 1566-1575, au plus fort des guerres d’indépendance contre la domination espagnole. On retrouvera la
même chute dans la période 1586-1590 avant une remontée nette de ceux-ci. On constate à Paris la même
tendance lors des années du siège de Paris vers 1591-1595 avec une baisse de l’ordre de 10% alors que dans la
même période les prix montaient d’autant.
1
Ces tendances sur les prix et sur les salaires se retrouvent sur les courbes ci-dessous qui présentent le rapport
entre les indices prix et salaires. Une valeur supérieure à 100% signifie un niveau de vie « supérieur » à celui de
la période de référence. On constate, à l’exception des Pays-Bas, une dégradation nette du niveau de vie dès le
début du siècle, résultat d’une inflation constante, bien que modérée, en même temps qu’une extrême rigidité des
salaires. Les commentaires de Jean Bodin sur le sujet permettent d’illustrer les freins sociaux qui existaient à la
montée des salaires, souvent d’ailleurs définis en unité de compte alors que celle-ci perdait de sa valeur de
manière continue par rapport à la monnaie. A la fin du siècle, et avec des variations importantes directement
liées au prix des céréales, une nouvelle chute très rapide converge en moyenne vers une valeur de 40%. Il faudra
attendre pratiquement la fin du 19° siècle pour retrouver le niveau du XVe siècle …..
1
Sur lesquels nous n’avons pas fait figurer les valeurs calculées par Brown et Hopkins du fait du haut niveau d’incertitude
sur les salaires de leurs études.
254 Le XVIe siècle, la découverte de l’inflation
C’est cette baisse significative qui a été utilisée par Earl Hamilton dans un article célèbre publié en 1928,
American Treasure and Andalusian Prices, 1503-1660 suivi en 1934 de American treasure and the price
revolution in Spain pour créer le concept de « l’inflation du profit ». Il considérait en effet que cet écart
grandissant entre le coût de la main d’œuvre et le coût des produits conduisait à des bénéfices de plus en plus
importants pour les « capitalistes », bénéfices qui leurs auraient permis d’investir dans l’industrie et donc de
lancer l’ère de la révolution industrielle. Le processus d’inflation, dû selon Hamilton à des raisons monétaires
liées à l’afflux de métal précieux, aurait été l’instrument déterminant de l’émergence de la société industrielle
1
moderne .
2
Montaigne dans ses Essais aborde le comportement des Espagnols dans les Amériques et leur soif d’or. Le
premier concerne le Pérou : « Celuy du Peru, ayant esté pris en une bataille, et mis à une rançon si excessive,
qu’elle surpasse toute créance, et celle là fidellement payée : et avoir donné par sa conversation signe d’un
courage franc, libéral, et constant, et d’un entendement net, et bien composé : il print envie aux vainqueurs,
après en avoir tiré un million trois cens vingt cinq mille cinq cens poisant d’or : outre l’argent, et autres choses,
qui ne monterent pas moins (si que leurs chevaux n’alloient plus ferrez, que d’or massif) … » ; le deuxième
l’usage de la monnaie : « …( car encore qu’on en retire beaucoup, nous voyons que ce n’est rien, au prix de ce
qui s’endevoit attendre) c’est que l’usage de la monnoye estoit entierement incognu, et que par consequent, leur
or se trouva tout assemblé, n’estant en autre service, que de montre, et de parade, comme un meuble reservé de
pere en fils, par plusieurs puissants Roys, qui espuisoent tousjours leurs mines, pour faire ce grand monceau de
vases et statues, à l’ornement de leurs palais, et de leurs temples : au lieu que nostre or est tout en emploie et en
commerce. Nous le menuisons et alterons en milles formes, l’espandons et dispersons. »
1
Il note d’ailleurs que le fait que la progression des salaires en Espagne a suivi celle des prix (voir ci-dessus la stabilité du
pouvoir d’achat en Espagne), explique le non-développement du capitalisme en Espagne par rapport aux autres pays
européens, en particulier en Angleterre et en France (Earl J. Hamilton, [296]).
2
Livre III, chapitre VI « Des coches », [303] pages 956 et 958
Le XVIe siècle, la découverte de l’inflation 255
7-50 : Valeur (Pesos) des importations espagnoles © Marincic correspond au salaire annuel de
115 000 maîtres maçons, ou à la
(*)
valeur de 3 345 070 sétiers de froment. Dans les années 1591-1600, les importations se montent à 13 922 672
pesos, soit près de 2,75 fois plus, alors que les prix du froment ont eux été multipliés par 2,9 et le salaire des
maçons par 1,7. On a vu par ailleurs que les revenus du roi se montaient à près de 16 millions de livres tournois
en 1576. Cet afflux de valeur était effectivement de nature à déstabiliser profondément l’équilibre monétaire
européen. Si de l’ordre de trente pour cent de ces importations de métaux précieux étaient d’ordre public, la
majorité concernait des personnes privées. L’abondance d’argent et d’or dans les nouveaux territoires, dont
l’exploitation était plus rentable que le développement de l’agriculture par exemple ou d’autres industries, et les
besoins liés à la construction des infrastructures, créèrent d’immenses besoins en produits européens, produits
industriels mais aussi denrées alimentaires. C’est cet excédent de la balance commerciale espagnole, qui va se
traduire par un excédent au niveau de l’ensemble des pays du vieux monde, qui va faire augmenter le stock de
3
monnaie et donc provoquer l’inflation . Le développement de l’économie des villes va aussi participer à cet
accroissement du stock de monnaie en en permettant une circulation plus rapide. Cet effet peut être illustré par la
formule de Fisher (Théorie quantitative de la monnaie) qui se traduit par MV=PT, où M est le stock de monnaie
en circulation, ici le stock d’argent, V la vitesse de circulation de la monnaie qui, dans ce milieu du 16e siècle
commençait à croître, P le niveau des prix (nos indices) et T le volume des transactions.
1
Il s’agit ici des comptes officiels, donc des quantités d’or et d’argent déclarées au trésor royal et sur lesquelles
l’administration percevait des taxes. Il faudrait y rajouter les quantités de métaux précieux qui étaient importées en
contrebande, et qui selon certaines estimations pourraient représenter de 20% à 50% des quantités officielles.
2
Il est intéressant de noter ici que la valeur totale de la monnaie en circulation en France était de l’ordre de 40 à 80
millions de livres tournois entre 1520 et 1580 (Glassman, Debra et Redish, Angela, [301]).
3
D’autant plus que l’Espagne « produit peu et fabrique encore moins ». L’argent provenant des colonies permettait
d’acquérir le nécessaire et le superflu auprès des autres pays d’Europe, la France et l’Angleterre, qui durent développer et
leur agriculture et leur industrie pour faire face à la demande, alors que l’Espagne perdait ses capacités de production. Jean
Bodin s’en plaint abondamment dans sa réponse aux paradoxes de Malestroit….
256 Le XVIe siècle, la découverte de l’inflation
7-52 : Population en Europe © Marincic d’énergie. Il faut néanmoins noter que les courbes
obtenues ci-avant sur l’évolution des coûts en
France, semblent étroitement corrélées à l’afflux d’argent en Espagne comme on le voit sur la figure ci-dessus
(7-51).
.
1
Voir en particulier l’article de David Félix, « Profit inflation and industrial growth : the historic record and contemporary
analogies.” ([306])
2
En particulier dans leur article «Wage-rates and Prices: Evidence for population sur pressure in the Sixteenth Century »
([290]), Phels Brown et Sheila Hopkins défendent la thèse que l’augmentation de la population dans les campagnes a
conduit à un déplacement vers les villes qui aurait particpé à une baisse relative des salaires et une montée du prix des
denrées.
Le XVIe siècle, la découverte de l’inflation 257
1
Tout en notant néanmoins que les propriétaires des terres ne pouvaient alors que voir leur pouvoir d’achat provenant des
rentes diminuer. Earl Hamilton, dans « American Treasures and the rise of capitalism » ([296]) cite le « knight in Hales »
qui dans son « discourse on the common weal of this realm of England » (1549) se plaint de manière répétée des anciens
baux qui ne lui permettent pas de revoir les loyers de ses terres en fonction de la montée des prix du fait de leur durée. Il
désespère de ne pas pouvoir récupérer ses terres durant sa vie, et même durant celles de ses descendants.
258 Le XVIe siècle, la découverte de l’inflation
Une calamité ou une catastrophe ? Le tableau est contrasté comme souvent. Même s’il faut être prudent du
fait des incertitudes inhérentes aux reconstitutions des prix et des salaires utilisées, il semble néanmoins que cette
révolution des prix du XVIe siècle a conduit à un appauvrissement des ouvriers et des paysans après un XVe
siècle qui avait permis un rétablissement suite aux guerres et aux épidémies qui avaient ruiné l’Europe, tout en
permettant le développement des industries capitalistiques, et sans doute la création de nouvelles fortunes. Cela
sans compter la noblesse qui a profité des guerres pour se constituer d’immenses fortunes via les pardons
accordés aux vaincus, et in fine, le rachat de la France aux ligueurs lors de la pacification opérée par Henri IV
dans la dernière décennie du siècle.
Le XVIe siècle, la découverte de l’inflation 259
La réforme de 1577 est un des résultats des états généraux de Blois. Elle peut se résumer à six grands axes :
• (a) la suppression de la livre tournois comme monnaie de compte, remplacée par l’écu dont le cours
est ainsi défini de manière fixe à 60 sous, le sou n’étant en théorie plus qu’une division de l’écu ;
• (b) la fixation du cours du teston d’argent comme étant une subdivision de l’écu, et valant 20 sous ;
260 Le XVIe siècle, la découverte de l’inflation
• (c) par ce biais, la réforme redéfinissait le cours légal des espèces, ainsi que leur hiérarchie et leurs
rapports quantitatifs ;
• (d) elle définit le cours légal des espèces étrangères qui sont tolérées en France (une dizaine), et
interdit d’usage les autres ;
• (e) elle est complétée par une ordonnance du 14/04/1578 interdisant l’exportation de toute matière
d’or ou d’argent ;
1
• (f) enfin elle limite le caractère libératoire des espèces de billon et des espèces de cuivre ; le billon
ne pourra plus être utilisé au maximum que pour payer le tiers du montant d’une transaction.
En 1602, l’édit de Monceaux restaure le compte en livres ; en 1614-1615, suite aux états généraux, un nouvel
édit monétaire fixe le régime français.
1
Le billon est un alliage d'argent et de cuivre, contenant souvent environ 50 % de cuivre, une teneur variable en argent, et
auquel est ajouté environ 5 % de plomb. Cet alliage servit à la frappe de pièces dévaluées ayant le même cours que les vraies
monnaies en argent, notamment dans le système monétaire romain dans l'Antiquité et également en France sous l’Ancien
régime jusqu’au XIXe siècle. Contrairement à la monnaie d’or et d’argent, il s’agissait de petite monnaie circulant entre les
mains du plus grand nombre et dont la valeur numéraire n’atteignait pas la valeur faciale. On distinguait le bon billon ou
billon blanc contenant environ 50 % d’argent et conservant une couleur blanche malgré une proportion minoritaire d'argent
(probablement grâce à l'ajout de plomb) du bas billon ou billon noir qui lui ne contenait pas plus de 25 % d’argent.
Le XVIe siècle, la découverte de l’inflation 261
7.5 Illustrations
7-61 : Joachim Beuckelaer, Market Woman with Fruit, Vegetables and Poultry 1564 © Gemäldegalerie Alte
Meister (Kassel)
262 Le XVIe siècle, la découverte de l’inflation
Vin 1 l par personne soit 3 l/jour + une fois par semaine pour deux 1199 l
personnes 1 l, soit 104 l par an. On prendra aussi le vin qualifié par
Claude Haton de « meilleur vin » .
Viande 150 g par jour et par personne sur la moitié de l’année en période de 82 kg
(mouton) charnage (325/2)+ 1 repas par semaine de plus pour 2 invités à 200 g.
Viande 150 g par jour et par personne sur la moitié de l’année en période de 82 kg
(boeuf) charnage (325/2)+ 1 repas par semaine de plus pour 2 invités à 200 g.
Harengs 150 g par jour en carême par personne (18 kg) + un repas pendant 6 19,8 kg
semaines pour deux personnes de plus, soit 1,8 kg
Oeufs 2 par jour en carême par personne + 2 pour 2 personnes de plus pour 6 22
jours douzaines
Fromage 200 g par personne par semaine (31,2)+ 50 g pour deux personnes de 36,4 kg
plus par semaine
Pain 3 kg par jour + par semaine 0,5 kg par personne pour 2 personnes 1147 kg
Vêtements Equivalent 2 robes par an par personne mais de prix 2 fois plus cher 12 robes
278 Le XVIe siècle, la découverte de l’inflation
He was born in the village of Bruchenbrücken (now part of Friedberg, Hesse) about the year 1500. Although his
father Tilemann Alber was a schoolmaster, his early education was neglected. Ultimately in 1518 he found his
way to the University of Wittenberg, where he studied theology. He had the good fortune to attract the attention
of Martin Luther and Philipp Melanchthon, and subsequently became one of Luther's most active helpers in the
Protestant Reformation.
Not only did he fight for the Protestant cause as a preacher and theologian, but he was almost the only member
of Luther's party who was able to confront the Roman Catholics with the weapon of literary satire. In 1542 he
published a prose satire to which Luther wrote the preface, Der Barfusser Monche Eulenspiegel und Alkoran, a
parodic adaptation of the Liber conformitatum of the Franciscan Bartolommeo Rinonico of Pisa, in which the
Franciscan order is held up to ridicule.
Of higher literary value is the didactic and satirical Buch von der Tugend und Weisheit (1550), a collection of
forty-nine fables in which Alberus embodies his views on the relations of Church and State. His satire is incisive,
but in a scholarly and humanistic way; it does not appeal to popular passions with the fierce directness which
enabled the master of Catholic satire, Thomas Murner, to inflict such telling blows.
Several of Alberus's hymns, all of which show the influence of his master Luther, have been retained in the
German Protestant hymnal.
After Luther's death, Alberus was for a time a deacon in Wittenberg; he became involved, however, in the
political conflicts of the time, and was in Magdeburg in 1550–1551, while that town was besieged by Maurice,
Elector of Saxony. In 1552 he was appointed Generalsuperintendent at Neubrandenburg in Mecklenburg,where
he died on 5 May 1553.
l'inverse de nombre de penseurs grecs, il méprise la sphère politique et clame que seul le Cosmos importe. Ce
dernier serait formé de substances diverses qui n'auraient ni naissance ni fin mais s'agenceraient seulement par
combinaisons et séparations. Il est le premier Grec à aborder le problème de la quadrature du cercle ; ses voyages
en Égypte lui permettent de perfectionner ses connaissances. Pour Empédocle, par l'action du ciel, la Terre reste
tranquille par l'effet d'un tourbillon qui l'entoure ; pour Anaxagore, Anaximène et Démocrite, elle est une vaste et
plate huche. L’acmé de Socrate est contemporaine de la mort d’Anaxagore.
Anaxagore fut condamné dans un procès pour impiété, vers 437 av. J.-C.
Sur proposition du devin Diopeithes, un décret venait d'être adopté à
Athènes, qui autorisait à poursuivre « ceux qui nient les choses divines ou
qui répandent dans leur enseignement des théories sur les phénomènes
célestes ». Ses adversaires lui reprochaient sa théorie cosmique : là où le
regard théologique voyait des dieux dans les astres, lui ne les considérait
que comme des masses incandescentes. Il enseignait que la lune (formée de
terre) reflétait la lumière du soleil1, qui est une pierre chaude (plus grande
que le Péloponnèse), comme Parménide : Platon disait que sa théorie, qu'il
donnait comme sienne, sur la lumière de cette planète, est une opinion
beaucoup plus ancienne. Accusé de ne pas respecter le panthéon grec, et de
8-1 : Anaxagore © Université
ramener les astres à de simples pierres, il fut condamné à mort mais échappa
d’Athènes
à la sentence grâce à son ami Périclès, et il s'exila à Lampsaque, une colonie
de Milet en Asie mineure, où il mourut en 428 av. J.-C.
8.3 Anaximène
Anaximène est fils d'Eurystrate ; selon Diogène Laërce (II, 3), il est mort dans
la 63e olympiade (528-525 av. J.-C.). Il fut le dernier disciple de l'école
milésienne fondée par Thalès.
En physique et en astronomie, il n'apporta aucun progrès décisif par rapport à
ses devanciers. Il suivait ses prédécesseurs en concevant la Terre en
suspension. Il la concevait plate et circulaire, recouverte d'un dôme céleste. Le
Soleil et la Lune étaient aussi des disques plats qui tournaient autour de la terre.
Il refusait toutefois le fait que le Soleil passe sous la Terre. La nuit, selon lui, il
se dissimulait derrière l'horizon pour retourner à son point de départ matinal.
Il affirmait que l’air est à l’origine de toute chose : dilaté à l'extrême, cet air
8-2 : Anaximène © Internet devient feu; comprimé, il se transforme en vent; il produit des nuages, qui
donnent de l'eau lorsqu'ils sont comprimés - une compression plus forte de
l'eau transforme celle-ci en terre, dont la forme la plus condensée est la pierre.
[Wikipedia]
Notices sur les personnages historiques 281
8.4 Aristote
Aristote (384 av. J.-C.1 - 322 av. J.-C.) (en grec ancien : Ἀριστοτέλης) est un philosophe grec de l'Antiquité.
Avec Platon, dont il fut le disciple à l'Académie, il est l'un des penseurs les plus influents que le monde ait
connus. Il est aussi l'un des rares à avoir abordé presque tous les domaines de connaissance de son temps :
biologie, physique, métaphysique, logique, poétique, politique, rhétorique et de façon ponctuelle l'économie.
Chez Aristote, la philosophie est comprise dans un sens plus large : elle est à la fois recherche du savoir pour lui-
même, interrogation sur le monde et science des sciences.
La nature (Physis) tient une place importante dans la philosophie d'Aristote. Selon lui, les matières naturelles
possèdent en elles-mêmes un principe de mouvement (en telos echeïn). Par suite, la physique est consacrée à
l'étude des mouvements naturels provoqués par les principes propres de la matière. Au-delà, pour sa
métaphysique, le dieu des philosophes est le premier moteur, celui qui met en mouvement le monde sans être lui-
même mû. De même, tous les vivants ont une âme, mais celle-ci a diverses fonctions. Les plantes ont seulement
une âme animée d'une fonction végétative, celle des animaux possède à la fois une fonction végétative et
sensitive, celle des hommes est dotée en plus d'une fonction intellectuelle.
La vertu éthique, selon Aristote, est en équilibre entre deux excès. Ainsi, un homme courageux ne doit être ni
téméraire, ni couard. Il en découle que l'éthique aristotélicienne est très marquée par les notions de mesure et de
phronêsis (en français sagesse). Son éthique, tout comme sa politique et son économie, est tournée vers la
recherche du Bien. Aristote, dans ce domaine, a profondément influencé les penseurs des générations suivantes.
En lien avec son naturalisme, le Stagirite considère la cité comme une entité naturelle qui ne peut perdurer sans
justice et sans amitié (philia).
À sa mort, sa pensée connaît plusieurs siècles d'oubli. Il faut attendre la fin de l'Antiquité pour qu'il revienne au
premier rang. Depuis la fin de l'Empire romain et jusqu'à sa redécouverte au XIIe siècle, l'Occident, à la
282 Notices sur les personnages historiques
différence de l'Empire byzantin et du monde musulman, n'a qu'un accès limité à son œuvre. À partir de sa
redécouverte, la pensée d'Aristote influence fortement la philosophie et la théologie de l'Occident durant les
quatre à cinq siècles suivants non sans créer des tensions avec la pensée d'Augustin d'Hippone. Associée au
développement des universités, qui débute au xiie siècle, elle marque profondément la scolastique et, par
l'intermédiaire de l’œuvre de Thomas d'Aquin, le christianisme dans sa version catholique.
Au xviie siècle, la percée de l'astronomie scientifique avec Galilée puis Newton discrédite le géocentrisme. Il
s'ensuit un profond recul de la pensée aristotélicienne dans tout ce qui touche à la science. Sa logique,
l'instrument de la science aristotélicienne, est également critiquée à la même époque par Francis Bacon. Cette
critique se poursuit aux xixe siècle et xxe siècle où Frege, Russell et Dewey retravaillent en profondeur et
généralisent la syllogistique. Au xixe siècle, sa philosophie connaît un regain d'intérêt. Elle est étudiée et
commentée entre autres par Schelling et Ravaisson, puis Heidegger, ainsi qu'à sa suite par Leo Strauss et Hannah
Arendt, deux philosophes considérés par Kelvin Knight comme des néo-aristotéliciens « pratiques ». Plus de 2
300 ans après sa mort, sa pensée demeure toujours étudiée et commentée par la philosophie occidentale.
[Wikipedia]
Notices sur les personnages historiques 283
Il voyagea alors en Allemagne et en Suisse : à Strasbourg, il se lia avec Martin Bucer ; à Genève, il connut Jean
Calvin et devint même brièvement son secrétaire (mais ils devaient s'affronter violemment par écrit quelques
années plus tard). En 1548, il se fixa à Bourges, où il enseigna le droit aux côtés notamment d'Éguiner Baron
(qui lui décerna le doctorat en droit le 13 mars 1549) et de François Le Douaren. Il s'y maria avec une certaine
Catherine Biton, veuve de Philippe Labbe, et eut d'elle une fille prénommée également Catherine. En 1555, étant
en mauvais termes avec Le Douaren, il quitta l'Université de Bourges pour celle de Heidelberg (remplacé par
Jacques Cujas).
284 Notices sur les personnages historiques
Revenu en France au début de 1561 avec l'héritier du comte palatin qui venait
féliciter Charles IX de son avènement, il se lia alors au roi de Navarre et au
prince de Condé ; il soutint dans le conflit religieux de l'époque, notamment au
colloque de Poissy (septembre 1561), les positions des irénistes et des «
moyenneurs », comme son ami Georges Cassander, contribuant à ce combat
par son érudition historique et juridique. La sentence portée contre lui dans les
Pays-Bas espagnols fut révoquée le 27 mai 1563 sur l'intervention de
Maximilien de Berghes, archevêque de Cambrai, et d'amis bien placés, mais à
de dures conditions, qu'il accepta : il dut venir à Louvain en juillet 1563 pour y
abjurer, de bouche, ses « erreurs », et se rétracter par écrit. Il devint ensuite
professeur à l'Université de Douai. En 1564, il rencontra, à Bruxelles, le prince
d'Orange, et discuta avec lui de la manière de retrouver la paix religieuse.
8-4 : François Baudouin © Après l'arrivée du duc d'Albe et la mise en place du Conseil des troubles, en
[530] 1567, Baudouin, effrayé, repassa en France. En 1568, il fut nommé maître des
requêtes de l'hôtel du duc d'Anjou, frère du roi, et à partir de 1569 il professa à l'Université d'Angers. Après la
Saint-Barthélemy (août 1572), on exigea un moment de lui qu'il compose une justification de cet acte, mais il
s'en défendit énergiquement, selon le président de Thou. Le duc d'Anjou ne lui en tint apparemment pas rigueur,
et quand il fut élu roi de Pologne (mai 1573), il nomma Baudouin conseiller d'État. Mais il mourut de maladie en
octobre suivant, avant le départ du cortège du nouveau roi qui eut lieu en décembre. Selon l'abbé Jean-Noël
Paquot, il mourut parfaitement catholique, veillé par le jésuite espagnol Jean Maldonat. Il fut inhumé dans la
chapelle du couvent des Mathurins. La tradition prétend qu'il serait passé sept fois du catholicisme au
protestantisme et inversement au cours de sa vie, mais il semble que ce chiffre n'ait rien de rigoureux.
[Wikipedia]
La vie d'Eustorg de Beaulieu est mal connue, il tombe dans un oubli profond pendant de longues années. Son
premier biographe important est Guillaume Colletet (1596-1659) avant de subir un regain d'intérêt au XIXe
siècle.
Eustorg de Beaulieu, le septième et dernier enfant de Raymond seigneur de Beaulieu et Jeanne de Bosredon est
né à Beaulieu-sur-Ménoire (actuellement Beaulieu-sur-Dordogne) en Bas-Limousin, vers 1495. Il est d’abord
identifié comme organiste à la cathédrale de Lectoure en 1522 puis comme maître de musique à Tulle à partir de
1524, époque à laquelle il endosse la prêtrise. Un procès qu’il poursuit à l’occasion d’un héritage familial en
1529 le met en contact avec Bernard de Lahet, conseiller du roi au parlement de Bordeaux et protecteur de
Clément Janequin.
Notices sur les personnages historiques 285
De Beaulieu se déplace à Lyon vers 1534, peut-être à la suggestion de Charles d’Estaing, protonotaire du Saint-
Siège apostolique et chanoine-comte de la cathédrale Saint-Jean8. Il entre au service de Pomponne de Trivulce
[Pomponio Trivulzio], gouverneur de Lyon, rencontre le lieutenant-général Jean du Peyrat, le notable florentin
Antoine de Gondi, son épouse Catherine de Pierrevive et devient maître de musique de leur fille Hélène. Il
s’introduit dans la vie littéraire et musicale de la ville, très florissante à cette époque et se lie avec des artistes
influents de l’époque, tels le poète Maurice Scève, le peintre Jehan Perréal et le compositeur Francesco di
Layolle. Il éprouve une admiration particulière pour Clément Marot, s’adresse à lui à plusieurs reprises dans ses
œuvres jusqu’en 1546, et contribue avec six blasons à la collection des Blasons anatomiques du corps féminin
élaborée par Marot et sa mouvance (Paris, 1543).
C’est à la fin de cette période lyonnaise qu'Eustorg de Beaulieu publie ses Divers rapportz en 1537, qui
contiennent plusieurs pièces dédicacées aux notables susdits. Ses fréquentations l’amènent aussi à connaître la
mouvance évangélique, rencontrant Marguerite de Navarre (1492-1549) et son secrétaire Antoine Du Moulin.
Subissant l’influence de ce cercle, il se convertit finalement au protestantisme.
De Beaulieu part à Genève à la fin avril 1537 et se déplace rapidement vers Lausanne où il suit un cursus de
théologie. Le consistoire de Berne (qui gérait alors les affaires de Lausanne) l’envoie le 12 mai 1540 à Thierrens
et à Moudon pour y exercer la charge de pasteur. Il se marie quelques mois plus tard avec une orpheline
genevoise, Rolette, mais elle le quitte peu après sous prétexte qu’il est homosexuel. Un second mariage avec
Madeleine Massandt, pas plus heureux, intervient encore, puis il abandonne sa charge de pasteur. Il se déplace
encore à Bienne pour un an, puis à Bâle, où il s’inscrit à l’université en 1548. Là, il a été protégé par le recteur
Boniface Amerbach, grand amateur de musique, et devient précepteur de son fils Basile.
Œuvres littéraires :
• Le Mirouer et exemple moral des enfans ingratz pour lesquelz les pères et mères se destruysent pour
les augmenter qui en la fin descongnoissent, Paris, Alain Lotrian et Denis Janot ;
• Les Divers rapportz, contenantz plusieurs rondeaulx, huictains, dixains, ballades, chansons, épistres,
blasons, épitaphes, et aultres joyeusetez, Paris, Alain Lotrian, 1540 ;
• L'Espinglier des filles, composé par Eustorg, aultrement dict Hector de Beaulieu : Reveu et
augmenté par luy mesme, depuis sa première impression, comme on verra, Basle, s.n., 1550,
• La Doctrine et instruction des filles chrestiennes, désirans vivre selon la parole de Dieu, par Hector
de Beaulieu. : Avec la repentance de l'homme pécheur, Lyon, J. Saugrain, 1565 ;
• Histoire de l'enfant ingrat, mirouer et exemple moral des mauvais enfans envers leurs Pères et
Mères, contenant encore comme les Pères et Mères se destruisent le plus souvent pour l'avancement
de leurs enfans qui souventefois se descognoissent. : Le tout par personnages, Lyon, B. Rigaud,
1589 ;
• Les Gestes des solliciteurs où les lisans pourront cognoistre qu’est ce de solliciteur estre et qui sont
leurs reformateurs, Bordeaux, J. Guyart, 1529 ;
286 Notices sur les personnages historiques
• Chrestienne resjouyssance composée par Eustorg de Beaulieu, jadis prestre, musicien et organiste en
la faulce église papistique, et despuis ministre evangelique en la vraye Eglise, Genève, Jean Girard,
1546 ;
• Le Souverain blason d’honneur à la louange du tres digne corps de Jesus Christ : Reveu despuis et
augmenté, Bâle, ca 1550 ;
[Wikipedia]
parents avaient obtenu pour lui deux bénéfices dont les revenus s’élevaient à 700 couronnes d’or par an et son
oncle avait promis de faire de lui son successeur.
A Paris, Bèze passa deux années heureuses et acquit bientôt une position en vue dans des cercles littéraires. Pour
échapper aux tentations nombreuses auxquelles il était exposé, il se fiança en 1544 à une jeune fille d’origine
modeste, Claudine Denoese, en promettant de rendre cet engagement public dès que les circonstances le
permettraient. Il publia un recueil de poésies latines, Juvenilia, qui le rendit célèbre et il fut partout regardé
comme un des meilleurs auteurs de poésie latine de son temps.
Mais il tomba malade et, dans sa détresse physique, se révélèrent à lui ses besoins spirituels. Peu à peu, il vint à
la connaissance du salut en Christ, qu’il accepta avec une foi joyeuse. Il résolut alors de trancher les liens qui le
rattachaient au monde et se rendit à Genève, ville qui était un refuge pour les évangéliques. Il y arriva avec
Claudine le 23 octobre 1548.
Il fut chaleureusement accueilli par Calvin, qui l’avait déjà rencontré chez Wolmar et il se maria tout de suite à
l’église, publiquement et solennellement. Comme Bèze ne voyait pas comment s’occuper tout de suite, il prit le
chemin de Tübingen pour y voir son ancien maître Wolmar. En cours de route, à Lausanne, il rendit visite à
Pierre Viret, qui le retint immédiatement et le fit nommer professeur de grec à l’Académie de la ville (novembre
1549).
Malgré le lourd travail qui lui incombait, Bèze trouva le temps d’écrire un drame biblique, Abraham sacrifiant
(publié à Genève en 1550). En juin 1551, il ajouta quelques psaumes à ceux que Marot avait déjà commencé à
traduire en français et qui connaissaient aussi beaucoup de succès.
Bèze s’impliqua à cette époque dans deux contreverses sérieuses. La première concernait la doctrine de la
prédestination et la controverse de Calvin contre Jérome-Hermès Bolsec. La seconde portait sur l’exécution sur
le bûcher de Michel Servet à Genève, le 27 octobre 1553. Pour défendre Calvin et les magistrats genevois, Bèze
publia en 1554 De haereticis a civili magistratu puniendis.
En 1557, Bèze s’intéressa spécialement aux vaudois que l’on persécutait dans le Piémont. Pour les défendre il se
rendit, accompagné de Guillaume Farel, à Berne, Zurich, Bâle, Schaffhouse ; de là à Strasbourg, Montbéliard,
Baden et Göppingen. Dans ces deux dernières villes, on leur demanda de préciser clairement leurs positions sur
les sacrements par rapport à celles des vaudois, ce qu’ils firent le 14 mai 1557. Leur déclaration, bien reçue par
les théologiens luthériens, fut nettement condamnée à Berne et à Zurich.
À l’automne 1557, Bèze entreprit un deuxième voyage avec Farel, à Worms via Strasbourg pour demander l’aide
des princes de l’empire ralliés à l’Évangile en faveur des frères de Paris qu’on persécutait. Avec Melanchthon et
d’autres théologiens rassemblés alors à Worms, Bèze suggéra une union de tous les protestants, mais cette
proposition fut catégoriquement rejetée par Zurich et Berne. Sur de faux rapports, selon lesquels les persécutions
contre les huguenots avaient cessé en France, les princes allemands n’envoyèrent aucune ambassade à la cour de
Henri II et Bèze dut continuer son entreprise, allant avec Farel, Jean Buddaeus et Gaspard Carmel à Strasbourg
et Francfort, où l’envoi d’une ambassade à Paris fut résolu.
De retour à genève, il occupa la chaire de grec à l’Académie.
Les choses avaient pris en France une tournure telle que, pour le protestantisme, l’avenir semblait prometteur.
Cédant aux insistances de nobles évangéliques, le roi Antoine de Navarre fit savoir qu’il serait heureux
d’entendre un des maîtres éminents de l’Église. On invita Bèze au château de Nérac ; il était un noble français et
288 Notices sur les personnages historiques
à la tête de l’Académie dans la métropole du protestantisme de langue française, mais il ne parvint pas à
convertir le roi.
L’année suivante (1561), Bèze représenta les Évangéliques au colloque de Poissy où il défendit éloquemment les
principes de leur foi. Le colloque n’eut pas de résultats mais Bèze, considéré comme le chef et le porte-parole de
toutes les communautés réformées de France, se vit à la fois adulé et détesté. La reine insista pour qu’on
organisât un autre colloque, qui s’ouvrit à Saint-Germain le 28 janvier 1562, onze jours après la proclamation du
célèbre décret de janvier qui accordait aux Réformés des privilèges importants. Cependant le colloque fut
interrompu quand il devint évident, après le massacre de Wassy du 1er mars, que le parti catholique se préparait
à abattre le protestantisme.
Bèze publia à la hâte une circulaire (le 25 mars) à toutes les congrégations réformées de l’empire et, avec Condé
et ses troupes, se rendit à Orléans. Il était nécessaire d’agir avec rapidité et énergie, mais il n’y avait ni soldats, ni
argent. À la demande de Condé, Bèze visita toutes les villes protestantes pour en obtenir. Il écrivit aussi un
manifeste où il montrait le bon droit de la cause réformée. Pour obtenir des troupes et des fonds parmi ses
coreligionnaires, Bèze fut chargé de visiter l’Angleterre, l’Allemagne et la Suisse. Il alla à Strasbourg et Bâle,
mais sans succès. Il revint alors à Genève, où il arriva le 4 septembre. Il n’y était pas depuis deux semaines qu’il
fut appelé encore une fois à Orléans par d’Andelot. En février 1563, il est à Caen, alors aux mains de l'amiral
Gaspard de Coligny, et il prêche dans l'église Saint-Jean un sermon sur « l'utilité de l'argent, qui est nerf de la
guerre ». La campagne pour le protestantisme devenait plus heureuse ; mais la publication du malheureux décret
de pacification que Condé avait accepté (12 mars 1563) remplit d’horreur Bèze et tout le protestantisme français.
Après vingt-deux mois d’absence, Bèze retourne à Genève. Calvin et Bèze se chargèrent d’effectuer leurs
fonctions de concert et à tour de rôle chaque semaine, mais bientôt Calvin mourut (27 mai 1564) et Bèze devint
tout naturellement son successeur.
Comme successeur de Calvin, Bèze eut beaucoup de succès, non seulement en continuant le travail de son
prédécesseur mais également en préservant la paix dans l’Église de Genève. Les magistrats s’étaient entièrement
approprié les idées de Calvin et la direction des affaires spirituelles, dont les organes étaient les « ministres de la
Parole » et « le consistoire », fut établie sur une base solide. Aucune polémique doctrinale ne surgit après 1564.
Les discussions concernèrent des questions à caractère pratique, social, ou ecclésiastique, comme la suprématie
des magistrats sur les pasteurs, la liberté dans la prédication et l’obligation faite aux pasteurs de se soumettre à la
majorité de la compagnie des pasteurs.
Son activité était grande. Il jouait le rôle d’intermédiaire entre la compagnie et les magistrats et ces derniers
demandaient continuellement ses conseils même dans des questions de politique. Il correspondait avec tous les
chefs du parti réformé en Europe. Après le massacre de la Saint-Barthélemy (1572), il usa de son influence pour
que les réfugiés reçussent bon accueil à Genève.
En 1574 il écrivit son De jure magistratuum (Les limites fixées aux pouvoirs du souverain), dans lequel il
protestait solennellement contre la tyrannie en matière de religion et soutenait qu’il est légitime pour un peuple
de s’opposer activement à un gouvernement indigne et, au besoin, de recourir aux armes pour le renverser.
Sans être un grand dogmaticien comme son maître, ni un génie créateur dans le domaine ecclésiastique, Bèze
possédait des qualités qui le rendirent célèbre comme humaniste, comme exégète, comme orateur et comme
chef, dans les affaires religieuses et politiques, et le qualifiaient pour être le guide des calvinistes dans toute
l’Europe. Dans les diverses polémiques où il fut impliqué, Bèze manifesta souvent un caractère excessif par son
Notices sur les personnages historiques 289
irritabilité et son intolérance ; Bernardino Ochino, pasteur du rassemblement italien à Zurich (à cause d’un traité
qui contenait quelques points répréhensibles sur la polygamie), et Sébastien Castellion à Bâle (à cause de ses
traductions de la Bible en latin et en français) l’ont appris à leurs dépens.
Par la suite, l’activité de Bèze se restreignit de plus en plus à ses affaires domestiques. Claudine, sa fidèle
épouse, était morte sans enfants en 1588. Sur le conseil de ses amis, il contracta un deuxième mariage avec
Catharina del Piano, une veuve génoise, afin qu’elle lui vînt en aide dans ses dernières années. Il jouit d’une
excellente santé jusqu’à soixante-cinq ans, mais on remarqua ensuite que sa vitalité baissait peu à peu. Il
continua cependant à enseigner jusqu’en janvier 1597.
Dans ses vieux jours il eut la tristesse de voir le roi Henri IV se convertir au catholicisme malgré les exhortations
qu’il lui adressa (1593). Malgré la bizarrerie du fait, on doit signaler qu’en 1596 les Jésuites firent courir le bruit
en Allemagne, en France, en Angleterre et en Italie que Bèze et l’Église de Genève étaient revenus à la foi de
Rome, et Bèze répondit par une satire où l’on voyait qu’il n’avait rien perdu de l’ardeur de sa pensée et de la
force de son expression.
Il mourut à Genève et on ne l’enterra pas, comme Calvin, au cimetière général, à Plainpalais (car les Savoyards
avaient menacé d’enlever son corps et de l’amener à Rome), mais à la Direction des Magistrats, au monastère
Saint-Pierre.
8-6 : Jean Bodin © [587] Dans Les Six Livres de la République, il est l'un des premiers à établir le
concept de la souveraineté qui inspirera Hobbes et Locke. Il pose
également les fondements théoriques de la monarchie absolue — puissance de commandement, puissance
absolue, puissance indivisible, puissance perpétuelle — et les notions juridiques relatives à la souveraineté des
États. Par son influence sur le cardinal de Richelieu et ses juristes, Bodin peut être considéré dans une certaine
mesure comme l'un des fondateurs de l'absolutisme à la française. Parmi ses autres apports, figurent également
l'encadrement des attributions des juges et de l'administration ainsi que l'établissement de distinctions
fondamentales entre État et gouvernement.
290 Notices sur les personnages historiques
Esprit moderne à certains égards, Bodin est toutefois susceptible de déconcerter les lecteurs actuels à la fois par
son traité de philosophie de la nature, qui accorde beaucoup de poids à l'arithmologie et à l'astrologie, et surtout
par un traité de démonologie invitant à la répression de la sorcellerie.
Alors que les guerres de religion dévastent la France, il se fait l'avocat de la tolérance religieuse, notamment par
sa courageuse opposition à une initiative royale qui voulait lever des fonds pour reprendre la guerre contre les
huguenots. Il a aussi défendu l'idée de tolérance dans ses écrits, tout particulièrement dans le Colloquium
heptaplomeres, resté à l'état de manuscrit, où il fait dialoguer sept sages de confessions différentes.
Un sermon un peu libre que Bolsec, religieux de l’ordre des Carmes, avait prêché dans l’église de St-
Barthélémy, à Paris, lui attira des affaires qui le forcèrent à s’enfuir. Il se réfugia en Italie, dans les États de
Renée de France, duchesse de Ferrare, dont il devint l’aumônier lorsqu’il embrassa la religion réformée, prit
femme et se mit à pratiquer la médecine.
Selon Théodore de Bèze, Bolsec s’étant conduit de façon à se faire chasser de la ville qui lui avait donné
l’hospitalité, il se rendit alors à Genève, où il arriva en 1551. Sa pratique, comme médecin, lui laissant beaucoup
de loisir, il songea à l’employer à dogmatiser. Imbu des doctrines semi-pélagianistes, il le fit d’abord en secret,
puis peu à peu, il prit de la hardiesse et alla jusqu'à se produire en public, il apostropha le pasteur qui prêchait sur
ce texte de saint Jean : « Celui qui est de Dieu, écoute les paroles de Dieu. C’est pour cela que vous ne les
écoutez point, parce que vous n’êtes point de Dieu. » Jean Calvin qui, ayant été empêché d’assister au
commencement du service, se trouvait mêlé à la foule des fidèles, bondit sur son banc, lorsqu’il entendit attaquer
ses doctrines avec tant de passion et, s’avançant au-devant du perturbateur, il l’écrasa sous le poids de ses
arguments.
Un magistrat, qui avait assisté à cette scène, arrêta alors Bolsec et le fit conduire en prison. Le soir même, les
ministres de Genève se réunirent et dressèrent dix-sept questions qu’ils envoyèrent au Conseil pour être soumises
au prisonnier. Les réponses de Bolsec ayant été loin de satisfaire les ministres, on disputa longuement, de vive
voix et par écrit, mais en vain, car Bolsec persista dans ses convictions. Le consistoire pria alors le Conseil de
suspendre son verdict jusqu’à ce qu’on eut pris l’avis des églises de la Suisse. Celles de Zurich, de Berne et de
Bâle furent consultées. Les consistoires de ces trois villes reconnurent, en citant les passages de l’Écriture à
l’appui de leur sentiment, qu’une foule de bons esprits ne partageaient pas l’opinion exclusive de la grâce
élective.
Notices sur les personnages historiques 291
La cause de Bolsec paraissait donc gagnée, tandis que Calvin demeurait seul dans son camp, abandonné même
par ses propres amis lorsque, le 23 décembre 1551, le Conseil de Genève déclara Bolsec convaincu de sédition et
de pélagianisme et, comme tel, le bannit des terres de la République, sous peine du fouet s’il y revenait.
Pendant sa captivité, Bolsec avait cherché à repousser l’attaque de ses adversaires par une contre-mine dirigée
contre Calvin en dressant une suite d’articles sommant le réformateur de « lui respondre catégoriquement et sans
raisons humaines ni vaines similitudes, mais simplement par la Parole de Dieu. » Ce moyen ne lui avait pas non
plus réussi, ce fut dans ces circonstances qu’il composa une Complainte.
Après sa condamnation, Bolsec se retira à Thonon, sur les bords du lac de Genève. Cependant, les persécutions
qu’il avait essuyées ne contribuèrent pas à le rendre plus circonspect et il recommença à dogmatiser, accusant
hautement Calvin de faire Dieu l’auteur du péché. Pour prévenir l’effet de ses accusations, Calvin se fit députer
auprès du Conseil de Berne et réussit à obtenir son expulsion du canton, sans que les magistrats voulussent
cependant se prononcer sur sa doctrine.
Bolsec retourna alors à Paris. Le désir d’obtenir une place de ministre du culte lui aurait suggéré l’idée de faire
sa paix avec les églises de Genève et de Berne. Après une conférence avec les pasteurs de Paris, il se rendit au
Synode national d’Orléans pour y abjurer ses erreurs. Le Synode l’admit au ministère. Après sa soumission au
Synode d’Orléans, Bolsec s’étant rendu en Suisse pour y faire amende honorable, la guerre civile qui venait
d’éclater en France le détermina à se fixer de nouveau dans ce pays.
Il se trouvait à Lausanne, où il avait obtenu le droit de bourgeoisie, à condition de souscrire à la confession de foi
de Berne, et exerçait la médecine dans cette ville, lorsqu’à l’instigation de Bèze, il fut de nouveau soumis à un
interrogatoire, à la suite duquel il reçut l’ordre de s’éloigner.
Il se rendit alors à Montbéliard et rentra finalement en France ou il reprit sa première religion. Il alla d’abord
s’établir, comme médecin, à Autun et changea plusieurs fois de résidence depuis. Il habitait, en 1577, Lyon où il
devait mourir en 1585.
[Wikipedia]
292 Notices sur les personnages historiques
légume. L'utilisation d'une cuisine « étrangère », d'autre part, fait de ce livre le premier recueil de recettes
internationales.
La description du banquet constitue évidemment un apport historique précis quant à la gastronomie pratiquée à
la cour de la Principauté de Liège.
[Wikipedia]
Dans le domaine philosophique, il fut un précurseur des grands rationalistes classiques, tels que Spinoza et
Descartes.
[Wikipedia]
8.16 Démocrite
Démocrite d'Abdère (en grec Δηµόκριτος / Dêmókritos, « choisi par le peuple »), né vers 460 av. J.-C. à
Abdère et mort en 370 av. J.-C., est un philosophe grec considéré comme matérialiste en raison de sa conception
d'un Univers constitué d'atomes et de vide.
« Aristoxène rapporte, dans les Commentaires historiques, que Platon avait eu l'intention de brûler tous les
écrits de Démocrite qu'il avait pu rassembler, mais que les pythagoriciens Amyclas et Clinias l'en détournèrent
en lui représentant qu'il n'y gagnerait rien, puisqu'ils étaient très répandus. Ce qui confirme ce récit, c'est que
Platon, qui a parlé de presque tous les anciens philosophes, ne cite pas une fois Démocrite, pas même lorsqu'il
serait en droit de le combattre, sans doute parce qu'il savait bien à quel redoutable adversaire il aurait affaire. »
(Diogène Laërce, IX, Démocrite, paragraphe 5).
Le concept d'atome de Démocrite, écrit en grec ancien « ἡ ἂτοµος ἰδέα », « E atomos idea », est composé de
« idée » et de « insécable » ou « indivisible ». Mais « ἂτοµος », adjectif accordé en genre et en nombre, peut être
traduit par « non-coupé » ou « non-sécable », plutôt que par « atome » en tant que substantif du genre neutre au
sens moderne. Le substantif « atome » est apparu plus tard avec le sens de « partie de matière indivisible », chez
Aristote, dans le Nouveau Testament, etc. Ce sont les physiciens modernes qui ont conçu « un atome » petit,
corpusculaire, et nommé ainsi parce qu'initialement supposé par erreur « insécable ». En grec moderne, le mot «
το άτοµο » (to atomo), substantif neutre, signifie surtout, très communément « individu, personne ».
296 Notices sur les personnages historiques
Démocrite est souvent classé parmi les présocratiques du point de vue philosophique, bien qu'il soit un peu
plus jeune que Socrate, et qu'il soit mort quelque trente années après lui.
Né vers 1510, probablement en Normandie, Artus Désiré est un prêtre catholique. L'apparition de la Réforme
puis ses progrès le décident à prendre la plume pour dénoncer ce qu'il considère comme une nouvelle hérésie. Il
commence à écrire en 1545, sans répit jusqu'à sa mort. En 1561, il est arrêté aux alentours d'Orléans en
possession d'une lettre destinée au roi d'Espagne, Philippe II. Dans cette lettre, il demande l'aide du souverain
espagnol pour vaincre le protestantisme en France. Pour cet acte de trahison, Artus Désiré est seulement
condamné à cinq ans d'isolement dans un monastère par les membres du Parlement. Toutefois, il s'échappe au
bout de quatre mois et n'est plus inquiété.
Les textes d'Artus Désiré sont frappants par leur violence. Il insulte vertement les protestants et plus
particulièrement les leaders de la Réforme. Si Luther est la cible de ses invectives dans ses premiers textes, Jean
Calvin et Théodore de Bèze le remplacent rapidement: Artus Désiré se place véritablement en polémiste lorsqu'il
cherche à atteindre ses contemporains. La ville de Genève, refuge et ville emblématique des protestants, est
également visée, par exemple dans le Passevent parisien, où le narrateur témoigne des dommages causés à la
ville et se plaint des mœurs de ses habitants.
Mais les invectives ne suffisent pas à exprimer sa haine du protestantisme. Il considère la Réforme comme une
hérésie qui gangrène le corps du royaume. Selon lui, l'amputation du corps malade est nécessaire : il appelle
régulièrement au massacre des réformés. Son appel est d'autant plus fort qu'il est parfois directement adressé aux
princes (comme dans le Secret conseil, inédit d'Artus Désiré publié par F. S. Giese).
L'autre manière pour lui de ramener ou de maintenir les chrétiens sur le droit chemin du catholicisme est de leur
rappeler les dogmes fondamentaux. Sous la forme d'une dispute théologique comme dans les Combatz du fidelle
papiste ou Les disputes de Guillot le Porcher ou encore Le Deffensaire de la foy chrestienne, il répète
systématiquement les arguments bibliques ou patristiques qui justifient les dogmes catholiques. Ainsi, il rappelle
l'importance de l'Eucharistie, du culte des saints et de la Vierge, de l'utilisation des chandelles et de l'eau bénite,
de l'autorité du pape, de la confession auriculaire et du rôle du clergé, de l'existence du purgatoire, de l'utilité des
bonnes œuvres, etc. Son œuvre n'est pas très originale dans le sens où ses arguments ne sont pas neufs: au
contraire, il insiste sur l'idée d'une tradition respectée pendant plus de 1500 ans pour légitimer la poursuite des
croyances catholiques.
Notices sur les personnages historiques 297
Les protestants ne restent pas sans réaction face aux textes haineux d'Artus Désiré. Théodore de Bèze est le
premier à le critiquer et le moquer dans ses ouvrages. Il écrit un Passavant dans lequel il dit avoir ri du Passevent
d'Artus Désiré. Dans la Comédie du Pape malade, attribuée à Théodore de Bèze ou à Conrad Badius, Artus
Désiré devient un personnage, l'Affamé, qui agit en faveur du pape avec l'attente désespérée d'obtenir un
avantage financier en retour.
D'autres lui répondent directement, comme Jacques Bienvenu avec sa Response au livre d'Artus Désiré,
intitulé : Les grandes Chroniques et Annales du Passepartout, faite par Jacques Bienvenu, citoyen de Genève,
Genève: Jacques Berthet, 1558 ; ou un anonyme caché derrière les initiales J. D. D. C. : Singulier antidote à la
poison des chansons d'Artus Désiré, ausquelles il a damnablement et execrablement abusé d'aucuns psalmes du
prophete Royal David, fait par I. D. D. C., [s. l.], 1561.
• Les combatz du fidelle papiste, pélerin romain, contre l’apostat priapiste tirant à la synagogue de
Genève, maison babilonicque des luthériens. Ensemble la description de la Cité de Dieu assiégée
des hérétiques, Rouen : Robert et Jehan du Gort, 1550.
• Passevent parisien respondent à Pasquin rommain, de la vie de ceux qui sont allez demourer et se
disent vivre selon la réformation de l’Évangile au païs jadis de Savoye, et maintenant soubz les
Princes de Berne et seigneurs de Genève, faict en forme de dialogue, Lyon, 1556. (L'attribution de
cet ouvrage à Artus Désiré est discuté : il est possible que l'auteur en soit Antoine Cathelan).
• Les regretz et complainctes de Passepartout et Bruitquicourt sur la mémoire renouvellée du trespas
en bout de l’an de feu tresnoble et venerable personne Maistre François Picart, docteur en théologie
et grand doyen de sainct Germain l’Aucerroys, (lieu ?) : Pierre Gaultier, 1557.
• Les articles du traicté de la paix entre Dieu et les hommes, Paris : Pierre Gaultier, 1558.
• Les disputes de Guillot le porcher et de la Bergère de S. Denis en France contre Jehan Calvin
prédicant de Genesve, sur la vérité de nostre saincte foy catholicque et religion chrestienne.
Ensemble la Généalogie des héréticques et les fruictz qui proviennent d'iceulx, Paris : Pierre
Gaultier, 1559.
• Plaisans et armonieux cantiques de devotion, composez sur le chant des Hymnes de nostre Mere
saincte Eglise, à la louange de Dieu & de ses Sainctz, qui est un second Contrepoison aux
cinquante deux Chansons de Clement Marot. Par Artus Desiré. Veu, visité & approuvé, par
venerables Docteurs de la faculté de Theologie, Paris : Pierre Gaultier, 1561.
• Le grand et admirable signe de Dieu apparu au Ciel, contraire a la blaspheme faulsement proposée
en la personne de nostre sainct père le Pape, par ceulx de la nouvelle Religion l’appellant Antechrist.
Par M. Artus Desiré, Paris : Thibault Bessaut, 1563.
• Le contrepoison des cinquante-deux chansons de Clément Marot, faulsement intitulées par luy
Psalmes de David, fait et composé de plusieurs bonnes doctrines , sentences préservatives d'hérésie,
Paris : Jehan Rueile, 1567.
• Le deffensaire de la foy chrestienne, avec le miroer des francs taupins, autrement nommez
luthériens. Nouvellement composé par A. D., Paris : Jean Ruelle, 1567.
298 Notices sur les personnages historiques
[Wikipedia]
Notices sur les personnages historiques 299
À la recherche d'une voie moyenne entre dogmatisme et scepticisme, Gassendi s'attaque avec violence à Aristote
dès sa première publication. En réalité, sa critique porte contre tous ceux qui prétendent avoir découvert quelque
recette, innée, nécessaire et indubitable, relativement à la nature réelle des choses. Pour lui, tout le savoir
provient de l'expérience sensible. Son courant de pensée tient du phénoménisme et de l'éclectisme. Gassendi est
rationaliste et pragmatique. En particulier, il s'oppose à Descartes, auquel il reproche à la fois les idées innées, et
300 Notices sur les personnages historiques
sa théorie de l'animal-machine. Un animal a une « petite âme », écrit Gassendi (pour ajouter aussitôt : « Pas aussi
grande que celle des hommes »). Sa préférence va à Hobbes, qu'il admire pour la force et la liberté de sa pensée.
De fait, Gassendi est l'héritier de moralistes, comme Pierre Charron et d'anti-aristotéliciens, comme Jean Louis
Vivès et Pierre de La Ramée. Renouvelant Pyrrhon d'Élis, il prend ainsi le relais de Francis Bacon, auquel il
emprunte de nombreux éléments de la « méthode » scientifique. De surcroît, il croit au vide (contrairement à
Descartes) et aux atomes (alors que Descartes en tient pour les quatre éléments) ; il s'accorde avec la méthode
expérimentale de Blaise Pascal et manifeste un sentiment très vif de la connaissance approchée. Fidèle à
l'érudition des savants de la première moitié du xviie siècle, il s'oppose donc naturellement à la tabula rasa
cartésienne.
À l'opposé des certitudes du philosophe de la Haye, Pierre Gassendi maintient un scepticisme curieux. Alors que
Descartes explique l'Univers par sa vision mécaniste, Gassendi y devine une complexité sensible due à
l'interaction des atomes et du vide. Il demande à Descartes par quel mécanisme une âme immatérielle pourrait
mouvoir un corps matériel ; questions qui irritent le philosophe de la Haye. D'autre part, Gassendi voudrait que
soit reconnue à l'imagination une place aussi importante que celle de la raison ; que le doute cartésien demeure
un doute sceptique et non une simple prétérition du discours. Leur querelle oppose deux philosophes d'égale
renommée à l'époque mais Descartes en retour le traite avec mépris de philosophe charnel, de disciple d'Épicure.
Dans ses lettres, il l'appelle mon très chair ou « bonne grosse bête », selon Tannery et Adam « ô Caro optima »
dans le texte. Mais à ce jeu, Gassendi gagne l'avantage car, selon le mot d'Adolphe Franck, il sait mieux que
Descartes railler sans blesser6.
La démarche de Gassendi consiste en une tout autre approche que le cartésianisme. Elle est d'abord nominaliste,
au sens double où :
• seuls les concepts sont universels ;
• il n'y a d'existence que singulière.
Ce point de vue réduit la philosophie des catégories substantialistes à néant, évacue la métaphysique et réclame
dès lors de ne faire porter les raisonnements que sur la physique. Dans ce domaine, Gassendi adopte le point de
vue de Démocrite et d'Épicure ; l'épicurisme de Gassendi est la solution aux apories que révèle son nominalisme.
Il en retient la théorie corpusculaire et l'interprétation de la lumière. Contrairement à Descartes, pour qui le
propre de la matière est l'étendue, Gassendi la relie à l'impénétrabilité. Cette profession de foi atomiste lui attire
alors de sévères critiques de Campanella. Il se défend du coup du matérialisme dont on l'accuse en supposant ces
atomes sensibles… Pour Gassendi, la matière est active ; ce qu'on a pu appeler un matérialisme dynamique. Il
défend ce point de vue dans trois ouvrages :
• De Vita, moribus et doctrina Epicuri libri octo (Lyon, 1647, in-4),
• De Vita, moribus et placitis Epicuri, seu Animadversiones in librum X Diogenis Laertii (Lyon, 1649,
in-fol.; dern. édit., 1675)
• Syntagma philosophiae Epicuri (Lyon, 1649, in-4; Amsterdam, 1684, in-4).
Ce système, où les atomes sont mortels, mais l'âme non, est le ferment qui donnera naissance au sensualisme de
Locke et de Condillac. Il va bien au-delà de son précurseur, l'archevêque polonais Guillaume de Sanok.
Nominaliste (et si l'on veut, en ce sens, relativiste), Pierre Gassendi resta sa vie durant fidèle à l'Église et à la foi
chrétienne. Autre paradoxe, il étudia toute sa vie Épicure, qu'il réinterpréta à la lumière de la science de son
Notices sur les personnages historiques 301
temps et de sa foi. Sa théologie s'exprime (autour d'Épicure), dans Du principe efficient, c'est-à-dire des causes
des choses.
Sans aller, comme Giordano Bruno, jusqu'à défendre l'idée d'une pluralité de Mondes, théorie qu'il condamne en
regard de ses conséquences théologiques, Gassendi, qui possédait un exemplaire de Immenso laisse affleurer
dans ses ouvrages son accord avec l'aspect cosmologique des thèses du philosophe nolain, notamment l'idée que
les étoiles sont d'autres soleils, éventuellement entourés de planètes. Il imagine également que ces étoiles sont
dispersées dans l'univers mais pas forcément rangées en « couches » comme l'imaginait encore Johannes Kepler.
Il envisage que ces planètes soient habitées, tout en mettant en garde contre les conceptions anthropomorphiques
des conceptions du vivant.
L'édition complète de ses œuvres en 1655 (rédigé en 1636) comprend entre autres un traité spéculatif intitulé
Manuductio ad theoriam seu partem speculativam musicæ. Il s'agit d'une introduction à la théorie musicale assez
convenue (intervalles, consonances, clefs, indications de mesure) et sans aspects pratiques, au contraire des
œuvres théoriques de son époque (Harmonie universelle de Marin Mersenne par exemple). Gassendi insiste sur
les fondements mathématiques des intervalles, des consonances et des modes.
Il comprend quatre parties :
• les proportions universelles et leur conséquences harmoniques;
• les consonances et leurs proportions relatives ;
• les genres musicaux (diatonique, chromatique, diatonique);
• les tons et modes de chant.
302 Notices sur les personnages historiques
horse with a lion's head, a bishop, a cardinal and other clerics, on the réalise plusieurs œuvres satirique dirigées
right devils on similar horses, and Turkish warriors with a banner contre l'empereur et le pape. Dans une
decorated with a book entitled 'Alcoran' (Qur'an), in the background on gravure de 1546, il montre des diables
top of a mountain a church with Jesus Christ preaching to a group of faisant bouillir le pape et les ecclésiastiques
believers, on a band of clouds on the left the figures of the apostles Sts dans un chaudron. En 1548, il grave le
Peter and Paul, and those of the prophets Moses and St John on the
couronnement de l'Antéchrist qu'il
right; one of forty-eight woodcuts of the incomplete set 'Apocalypse and
représente doté de cornes démesurées,
Satirical Allegories on the Church', without text or title-page, bound in
entouré de dignitaires de l’Église et de
one volume (BM 1911-7-8-103 to 150). ca1558
l'empereur accompagnés d'un loup. Entre
1544 et 1558, il réalise 27 illustrations du
Commentaire de l'Apocalypse de Sebastian Meyer (de), traduit par Laurentius Agricola. Vers 1546-1548, il
Notices sur les personnages historiques 303
grave la « prostituée de Babylone » coiffée d'une tiare, assise sur une hydre aux pattes griffues, devant laquelle
se prosternent des princes laïques et ecclésiastiques, et l'empereur lui-même avec sa couronnne fermée. Ces
images font partie d'une vaste campagne de pamphlets et d'images dirigés contre l'autorité impériale.
Matthias Gerung figure sur le registre des impôts de Lauingen jusqu'en 1568. Sa date de décès exacte n'est pas
connue.
[Wikipedia]
Jodelle appartient à la bourgeoisie parisienne, mais il est attiré par la noblesse. Il porte le titre de « Sieur du
Lymodin ». Il séjourne à Lyon (v. 1550), puis il s'établit à Paris où il se lie avec Jean-Antoine de Baïf, Nicolas
Denisot et Remy Belleau. Il appartient au cercle du mécène Jean II Brinon.
Au début de l'année 1553, il fait représenter la première tragédie humaniste,
Cléopâtre captive, et la première comédie humaniste, L'Eugène, devant le roi, à
Paris (Collège de Reims), puis au collège de Boncourt. Pour fêter la première
représentation (et « baptiser » la naissance du théâtre à l'antique en France),
Jodelle et ses amis de la Pléiade se rendent à Arcueil, où ils procèdent à une
cérémonie à l'antique connue sous le nom de « pompe du bouc », qui leur attire
les foudres des dévôts. Il est désormais protégé par le cardinal de Lorraine et
par Marguerite de France. Il écrit une seconde tragédie, Didon se sacrifiant que
Jacques Grévin imite lorsqu'il rédige son César (1561).
En 1558, il est chargé par la municipalité de Paris d'organiser un spectacle en
l'honneur du roi Henri II qui vient de conquérir Calais. À la suite d'un certain
8-12 : Etienne Jodelle © [530]
nombre de catastrophes, cette fête est un échec qui lui vaut la disgrâce. C'est
vers ce temps qu'il aurait été condamné à mort. Il s'éloigne de la Cour, puis il finit par y revenir. Il écrit contre les
protestants (Contre les ministres de la nouvelle opinion). Il fut plus tard accusé d'avoir fait l'apologie du
massacre de la Saint-Barthélemy, notamment par Pierre de l'Estoile1. Il a peut-être fait partie du cercle littéraire
de la maréchale de Retz. Jodelle meurt dans la misère en 1573 ; le poète protestant Agrippa d'Aubigné le célèbre
dans des Vers funèbres.
[Wikipedia]
304 Notices sur les personnages historiques
8.22 Léon X
Giovanni de’ Medici (Florence, 11 décembre 1475 – Rome, 1er décembre 1521) était le second fils de Laurent de
Médicis; cardinal à 13 ans, il fut expulsé de Florence avec sa famille en 1494, mais s’y rétablit en 1512 et
gouverna quelques temps avec son frère Julien. Elu pape en 1513,
comme successeur de Jules II, il ne fut ordonné prêtre et consacré
évêque que plusieurs jours plus tard. Son pontificat fut celui d’un
prince italien de la Renaissance. La victoire de François 1er à Marignan,
en 1515, le contraignit à accorder le concordat de Bologne (1516) et à
se rapprocher de la France, devenu le soutien de sa politique italienne.
Michel de l'Hospital fut considéré comme un écrivain très renommé. Ses Épîtres furent en effet comparées à
celles d'Horace. Il écrivit aussi des Poésies. La majorité de ses œuvres sont cependant en rapport avec son rôle
Notices sur les personnages historiques 305
8.25 Lucrèce
Lucrèce (en latin Titus Lucretius Carus) est un poète philosophe latin du ier siècle av. J.-C. (peut-être 98-55),
auteur d'un seul ouvrage en six parties, le De rerum natura (De la nature des choses, qu’on traduit le plus souvent
par De la nature), un long poème passionné qui décrit le monde selon les principes d'Épicure.
C’est essentiellement grâce à lui que nous connaissons l'une des plus importantes écoles philosophiques de
l'Antiquité, l'épicurisme, car des ouvrages d’Épicure, qui fut beaucoup lu et célébré dans toute l’Antiquité
tardive, il ne reste pratiquement rien, sauf trois lettres et quelques sentences.
dans une époque troublée par les guerres civiles et les proscriptions (massacres de Marius, proscriptions de Sylla,
révolte de Spartacus, conjuration de Catilina). De là, les pages sombres du De rerum natura sur la mort, le dégoût
de la vie, la peste d’Athènes, de là aussi sa passion anti-religieuse qui s’en
prend avec acharnement aux dieux, aux cultes et aux prêtres, passion que
l’on ne retrouve pas dans les textes conservés d’Épicure, même si celui-ci
critique la superstition et même la religion populaire. Contre les positions
du monde clérical, il propose de se soustraire aux craintes induites par la
sphère religieuse, à laquelle il oppose la dimension rationnelle.
Proche du roi Henri III, il composa pour lui les Plaintes de Cléophon sur la mort de Danaïs, en l'honneur des
trois mignons (Jacques de Caylus, Louis de Maugiron baron d'Ampus et Paul Stuard de Caussade de Saint-
Maigrin), tués lors d'un duel en 1578. Il participa également à la satyre Ménippée contre le roi d'Espagne qui
soutint la Ligue (il est l'auteur des épigrammes en vers, dont la satire est émaillée).
Notices sur les personnages historiques 309
Mathurin Régnier [573] lui dédia un sonnet : Sonnet sur la mort de Passerat :
Passerat , le séjour , et l'bonnenr des Charites ,
Les délices de Pinde , et son cber ornement :
Qni , loing dn monde ingrat, qne bien-heurenx tu qnittes,
Comme un antre Apollon , reluis au firmament!
Il a complété ses études à l’Université de Bourges , où il a obtenu son doctorat en droit et écritures. Il fut
professeur de droit public à l’Université de Bourges, avocat, puis maître des requêtes au tribunal français.
Conseiller au Parlement de Paris, il devint membre du Conseil privé du roi Henri II. Il est devenu directeur de
l’ecclésiastique de département, devint prieur de cornets , diocèse d’Avranches , puis abbé commendataire de
Saint-Remi à Reims et abbé commendataire de Saint-Paul à Verdun .
1
Il pris les ordres et devient l’abbé commendataire «perpétuel» de Sts-Cornelius-et-Cyprien Corbeya , dans le
diocèse de Soissons . Il a rejoint la cour du cardinal Charles de Lorraine-Guise , qui a contribué à son élévation.
Il a également obtenu l’abbaye de Saint-Corneille de Compiègne dans le diocèse d’Amiens en 1552 . Élu évêque
d’Amiens le 14 Août 1552 , il fut consacré plus tard. Parti en Écosse avec d’autres médecins de la Sorbonne
grâce à Henry II en 1559 pour tenter de convertir les prêtres anglicans, par conviction ou la force; la reine
Elizabeth Iere d’Angleterre , a envoyé son assistance aux Écossais pour contrer ce phénomène imposé de
l’extérieur. En 1562 , en échange du diocèse d’Amiens il obtient l’abbaye de Saint-Julien des Échelles, près de
Tours , en gardant toutefois le titre d’évêque d’Amiens jusqu’au 18 mai 1564 . Promu au siège épiscopal de Sens
à partir du 16 Décembre 1562 , il a participé au Concile de Trente, à partir du 15 Février 1563 jusqu’à la fin. Il
s’oppose aux tendances gallicanes de l’ Église française , en participant avec le cardinal de Guise à l’Assemblée
du Clergé à Orléans , organisée pour examiner les décrets du Concile de Trente.
Nommé cardinal-prêtre dans le consistoire du 17 mai 1570 , il n’a pas pris part au conclave de 1572 qui a élu le
pape Grégoire XIII , mais dans la même année, il a reçu le chapeau de cardinal et le titre de Saints Jean et Paul ,
le 4 Juillet. Il a participé au conclave de 1585 qui a élu le pape Sixte V et à celui de 1590 qui a élu le pape
Urbain VII . Dans la même année, il a également pris part au conclave qui a élu le pape Grégoire XIV.
Il est rapidement devenu l’un des membres les plus influents de la Ligue catholique, et en 1585 a été l’un des 25
cardinaux qui ont signé la lettre de Sixte V qui excommunie le roi Henri de Navarre.
Il fut nommé archevêque de Reims le 10 mai 1591 , et il n’en prit possession officiellement que le 4 Octobre
1592 . Il a participé au conclave de 1591 qui a élu le pape Innocent IX et encore à celle de 1592 qui a élu le pape
Clément VIII . Commendataire nommé abbé de Notre-Dame du Thoronet à Fréjus , en 1593 , il devint plus tard
le chef du Conseil de la Société et président du clergé catholique en général. Le cardinal de Pellevé est tombé
malade, le 22 Mars 1594 quand le roi Henri IV fit son entrée dans Paris et lui a assuré sa protection et tous les
soins nécessaires.
En dépit de cette attention, le cardinal est décédé lundi 28 Mars 1594 à 7 h environ, à Paris . Ses restes ont été
inhumés dans l’église de Celestine à Paris jusqu’en Octobre 1598 , lorsque ses restes ont été transférés à Reims
et enterré près de l’autel de Sainte-Marie-Madeleine au pied de la tombe du cardinal Charles de Lorraine-Guise.
Son cœur a été inhumé dans l’église de Jouy-sous-Thelle qu’il avait fait construire. Il s’y trouverait toujours.
1
On appelle de ce nom en Jurisprudence un ecclésiastique séculier qui est pourvu par le pape à titre de commende d’un
bénéfice régulier, tel qu’une abbaye ou un prieuré, avec le droit de profiter des fruits du bénéfice tant qu’il en sera
possesseur. La qualité de commendataire est opposée à celle de titulaire.
Notices sur les personnages historiques 311
[http://www.lechojovacien.fr/495eme-anniversaire-naissance-nicolas-pelleve/]
8-19 : Jacques Davy du Perron © Musée des s’empressa de le présenter au roi, comme un jeune homme qui
beaux arts de Saint-Lô n'avait point d’égal dans le monde du côté de la science et de
l’esprit. Trois mois après, il était lecteur du roi et pourvu d’une
pension de deux cents écus. Sa fortune alla désormais croissant : admis, bien que laïque, dans les plus hautes
intimités, Du Perron fut appelé, en 1585, à prêcher, devant le roi et ses confrères hiéronimites, au couvent de
Vincennes, où il prononça un discours dont le roi accepta la dédicace. La même année, son oraison funèbre de
Ronsard, dont il était l’ami et qu’il appelait « le prince des poètes », obtint les applaudissements du plus brillant
auditoire. Ces succès le convainquirent de prendre les ordres.
312 Notices sur les personnages historiques
À la mort de Henri III, présenté par Jean Touchard, il entra dans la maison du cardinal Charles de Bourbon,
éphémère prétendant de la Ligue, contre le roi ; mais il se rallia à Henri IV, auquel il rédigea, de concert avec ses
patrons, une requête dans laquelle il était menacé de défection s’il ne se faisait catholique. La recommandation
de Gabrielle d’Estrées acquit à Du Perron la faveur de Henri, qui le promut à l’évêché d’Évreux. Le nouvel
évêque d’Évreux avait tellement su s’insinuer dans les bonnes grâces du Béarnais, qu’il était admis jusqu’à son
chevet et l’entretenait avec la plus grande familiarité. Cette familiarité allait parfois si loin, que Du Perron,
jouant aux échecs avec Henri IV, laissa échapper un vent, et que, sans se démonter, il dit : « Du moins il n’est
pas parti sans trompette. » II s’occupa avec insistance de la conversion du roi, et le détermina enfin à se faire
instruire dans la religion catholique et reçut sa conversion. C’est également lui qui sollicita et obtint à Rome
l’absolution du roi et sollicita la levée de l’interdit lancé contre la France en se prosternant aux pieds du pape et
en recevant des coups à la place du roi Henri IV, qu’il représentait.
L’abjuration de Henri IV devait susciter d’implacables animosités entre les pasteurs dissidents. Un ministre
calviniste, nommé Rotan, arriva de La Rochelle à Paris, s’offrant à confondre tout docteur catholique sur les
matières de religion. Dans la conférence qui fut décidée, c’est Du Perron qui fut opposé au ministre. Le combat
s’engagea, le 7 décembre 1595, en présence des principaux seigneurs de la cour. Après sept jours de dispute, Du
Perron, sortit victorieux, laissant à son principal adversaire « un grand mal de tête ». Son frère, Jean Davy Du
Perron, qui, plus tard, lui succéda à l’archevêché de Sens, et quelques autres, avaient à l’église, devant la chaire,
un banc chargé de beaux livres qu’ils ouvraient à la citation des passages, et qu’ils refermaient ensuite avec le
plus de bruit possible.
« L’avantage que Du Perron remportait dans toutes les disputes faisait dire aux ministres qu’il pratiqua mieux
que personne le secret d’embarrasser exprès son discours de paroles obscures, d’entasser une pile de distinctions
en termes philosophiques, et d’y répandre un nuage de poussière, avec un style capricieux et imposteur, lorsqu’il
se trouvait empêché et pressé de l’évidence de la vérité. » Ses triomphes lui valurent, de la part de ses
adversaires, un grand nombre d’épigrammes :
« Celui qui hautement caquette,
Blâmant notre vocation,
Parlait plus bas sur la sellette,
Lorsqu’il eut son abolition. »
Du Perron se préoccupait fort peu de toutes ces attaques. Tout entier à ses ouvrages de controverse et, aux soins
de son diocèse, il semblait avoir oublié les agitations de la cour, lorsqu’il y fut rappelé pour combattre les
doctrines de Philippe Duplessis-Mornay, célèbre réformiste qui avait écrit contre la messe et sur l’eucharistie un
ouvrage que le prélat d’Évreux avait publiquement déclaré être rempli de citations tronquées. Sur la demande des
deux adversaires, la conférence ordonnée par le roi, qui eut lieu à Fontainebleau le 4 mai 1600, tourna à la
confusion de Duplessis-Mornay. Clément VIII, ayant appris la victoire de Du Perron, lui envoya, le 17 juin 1604,
le bonnet de cardinal. Il combat également dans une célèbre conférence les doctrines du calviniste Agrippa
d’Aubigné. Il convertit, entre autres, le frère de Jean de Sponde, Henri de Sponde, qui devint évêque de Pamiers.
Notices sur les personnages historiques 313
Après la mort de Henri IV, il joue un rôle actif aux États généraux de 1614, où il soutient les doctrines
ultramontaines contre le tiers état. II fit condamner le De ecclesiastica et politica potestate de Richer. Le pape lui
en adressa des remerciements5.
Du Perron, fatigué des tracasseries continuelles dont il était le sujet, se retira dans sa maison de Bagnolet, où il se
prit à controverser avec ses auteurs favoris, Montaigne et Rabelais. Là, Du Perron, qui n’épargnait ni soins ni
dépenses pour ses livres, avait fait monter une imprimerie spéciale. Il commençait par un premier tirage destiné à
ses amis particuliers, pour qu’ils pussent lui envoyer leurs observations. Après avoir fait son profit de chaque
conseil, il livrait au public un second tirage en la dernière forme qu’il avait résolu d’adopter. Il était tout entier à
son ouvrage contre le roi de Grande-Bretagne, quand il fut pris d’une rétention d’urine qui détermina son retour à
Paris, à l'hôtel de Sens où il mourut, après quinze jours de souffrances.
[Wikipedia]
Comme beaucoup de gens cultivés du début de l'empire romain, Pline était adepte du stoïcisme. Il était lié avec
son plus noble représentant, Publius Clodius Thrasea Paetus et subit aussi l'influence de Sénèque. Ce stoïcien qui
s'adonnait à l'étude de la nature et dont la morale lui enseignait d'être agréable avec les autres, chercha sans cesse
dans son œuvre littéraire à être bénéfique et à instruire ses contemporains (Praef. 16, XXVIII, 2 ; XXIX, I).
Il fut aussi influencé par l'épicurisme, l'académisme et la renaissante école pythagoricienne, mais sa vision de la
nature et des dieux resta essentiellement stoïcienne. Selon lui, c'est la faiblesse de l'humanité qui enferme la déité
sous des formes humaines entachées de fautes et de vices (II, 148). La divinité est réelle : c'est l'âme du monde
éternel, dispensant sa bienfaisance tant sur terre que sur le soleil et les étoiles (II, 12 sqq., 154 sqq.). L'existence
de la divine Providence est incertaine (II, 19) mais la croyance en son existence et à la punition des méfaits est
salutaire (II, 26) ; et la récompense de la vertu consiste en l'élévation à la divinité de ceux qui ressemblaient à un
dieu en faisant le bien pour l'humanité (II, 18, « Deus est mortali iuuare mortalem, et haec ad aeternam gloriam
via »)18. Il est mauvais de s'enquérir du futur et de violenter la nature en ayant recours aux arts de la magie (II,
114 ; XXX, 3) mais l'importance des prodiges et des présages n'est pas rejetée (II, 92, 199, 232).
La vision que Pline a de la vie était sombre : il voyait la race humaine plongée dans la ruine et la misère (II, 24 ;
VII, 130). Contre le luxe et la corruption morale, il se livra à des déclamations si fréquentes (comme celles de
Sénèque) qu'elles finissent par lasser le lecteur. Sa rhétorique fleurit pratiquement contre des inventions utiles
(comme l'art de la navigation) dans l'attente du bon sens et du goût (XIX, 6).
Avec l'esprit de fierté nationale du Romain, il combina l'admiration des vertus qui menèrent la république à sa
grandeur (XVI, 14 ; XXVII, 3 ; XXXVII, 201). Il n'éluda pas les faits historiques défavorables à Rome (XXXIV,
139) et, bien qu'il honorât les membres éminents des maisons romaines distinguées, il était libre de l'indue
partialité de Tite-Live pour l'aristocratie. Les classes agricoles et les vieux seigneurs de la classe équestre
(Cincinnatus, Curius Dentatus, Serranus et Caton l'Ancien) étaient pour lui les piliers de l'État et il se lamentait
amèrement du déclin de l'agriculture en Italie (XVIII, 21 et 35, « latifundia perdidere Italiam »)19. De même,
pour l'Histoire des débuts de Rome, il préféra suivre les auteurs pré-augustéens ; cependant il vit le pouvoir
impérial comme indispensable au gouvernement de l'Empire et il salua le salutaris exortus de Vespasien
(XXXIII, 51).
Notices sur les personnages historiques 315
À la fin de ses longs travaux littéraires, en tant que seul Romain à avoir choisi
comme thème l'entièreté du monde de la nature, il implora la bénédiction de la
Mère universelle sur tout son travail.
En littérature, il attribua la plus haute place à Homère et à Cicéron (XVII, 37
sqq.) puis en second lieu Virgile. Il fut influencé par les recherches du roi Juba
II de Maurétanie et qu'il appelait « mon Maître ».
Il voua un profond intérêt à la nature et aux sciences naturelles, les étudiant
d'une manière nouvelle pour cette époque dans le monde romain. Malgré le peu
d'estime que l'on portait pour ce genre d'études, il s'efforça toujours d'être au
service de ses concitoyens (XXII, 15).
8-21 : Pline l’ancien © L'envergure de son œuvre est vaste et complète, une encyclopédie de toutes les
Library of congress, connaissances et les arts tant qu'ils sont liés à la nature ou qu'ils en tirent leurs
Washington matériaux. Dans ce but, il étudia tout ce qui fait autorité dans chacun de ces
sujets et ne manqua pas d'en citer des extraits. Ses indices auctorum (index
d'auteurs) sont, dans certains cas, les autorités qu'il a lui-même consultées (bien que cela ne soit pas exhaustif)
parfois ces noms représentent les auteurs principaux sur le sujet qui ne sont connus que de seconde main. Il
reconnut franchement ses obligations à tous ses prédécesseurs dans une phrase qui mérite d'être proverbiale
(Praef. 16, « plenum ingeni pudoris fateri per quos profeceris »). Il n'eut pas en revanche le tempérament ou le
loisir d'aller enquêter lui-même.
Sa curiosité scientifique pour les
phénomènes de l'éruption du Vésuve mena
sa vie d'étude infatigable à une fin
prématurée. Il écrit dans sa préface : « nec
dubitamus multa esse quae et nos
praeterierint ; homines enim sumus et
occupati officiis ». Préface,13 : Je ne doute
pas que beaucoup de choses m'ont échappé,
mais je suis un homme, occupé par les
affaires publiques.. À noter aussi sa
conviction de la rotondité de la Terre,
8-22 : Histoire naturelle, manuscrit du XIIe siècle © Musée de encore peu partagée à cette époque, ainsi
Cluny que sa description précise des marées, avec
une esquisse d'explication par les phases de
la Lune.
Son style trahit une influence de Sénèque. Il vise moins à la clarté qu'à l'épigramme. Il est plein d'antithèses, de
questions, d'exclamations, de tropes, de métaphores, et d'autres maniérismes de l'âge d'argent de la littérature
romaine (deux premiers siècles). La forme rythmique et artistique de la phrase est sacrifiée à une passion pour
l'emphase qui enchante par le report de l'argument vers la fin. La structure de la phrase est aussi souvent
erratique et décousue. On note aussi une utilisation excessive de l'ablatif absolu et des phrases à l'ablatif sont
316 Notices sur les personnages historiques
souvent mises en apposition pour exprimer l'opinion de l'auteur sur un énoncé qui précède immédiatement. Par
exemple : XXXV, 80, « dixit (Apelles)... uno se praestare, quod manum de tabula sciret tollere, memorabili
praecepto nocere saepe nimiam diligentiam ».
Il s'intéressa spécialement à la fabrication de grands papyrus (XIII, 68-38) et aux différentes sortes de teintures
de pourpre (IX, 130), alors que sa description du chant du rossignol est un exemple élaboré du caractère parfois
splendide de sa prose.
La plupart des études récentes sur Pline se concentrent sur l'étude de ses domaines d'expertise, spécialement ceux
présentés dans ses chapitres sur l'histoire de l'art (les livres XXXIII à XXXVII) - le plus ancien exposé sur ce
sujet ayant survécu. Ses sources sont les traités perdus sur la sculpture en bronze et sur la peinture du sculpteur
Xénocrate d'Athènes (iiie siècle av. J.-C.) et l'érudit romain Varron (ier siècle av. J.-C.).
On peut voir des statues des deux Pline en position assise, et revêtus de l'habit des érudits des années 1500, dans
l'entrée principale de la cathédrale Santa Maria Assunta de Côme.
Les anecdotes de Pline l'Ancien concernant les artistes grecs inspirent à Vasari les sujets des fresques qui
décorent encore les murs de son ancienne maison à Arezzo.
Dans 16 livres de l'Histoire naturelle, Pline tenta de réunir toutes les connaissances de son temps sur les
végétaux. Non seulement il rassembla toutes les informations botaniques disponibles dans les ouvrages auxquels
il avait accès mais mena aussi des enquêtes auprès médecins, des herboristes, des gens de la campagne et fit par
lui-même des observations sur le terrain. De cette large collecte, il tira un inventaire de la plus grande partie des
plantes connues et nommées de son temps, soit environ 900 végétaux, le double de ce qu'avait donné
Théophraste, quatre siècles plus tôt. Il donna sur chaque plante des informations de nature botanique mais
précisa aussi leurs utilisations agricoles, alimentaires, pharmaceutiques ou magiques. En général, il rapportait ces
informations en disant « on dit », « on raconte », sans porter de jugement de valeur, sans qu'on puisse savoir ce
que lui-même en pensait.
Pour Ducourthial, « En dépit de leurs défauts et des erreurs qu'ils contiennent, les seize Livres de l'Histoire
naturelle que Pline a consacrés à l'étude des plantes constituent sans nul doute l'ouvrage le plus complet sur le
sujet que l'Antiquité nous ait légué. Ils sont une mine inestimable de renseignements sur les connaissances
botaniques au ier siècle de notre ère ainsi que sur les croyances populaires attachées à la cueillette de nombreux
végétaux et à leurs propriétés ».
Notices sur les personnages historiques 317
Il est maire de sa ville, en 1569, quand, à cette date, la cité fut enlevée par les protestants. Rapin ne fut pas
compris dans les personnalités graciées. Il s'évada, et ne quitta plus guère les armes. Il se fit remarquer au cours
du siège de Poitiers par les huguenots, composa une élégie aux morts catholiques et gagna ainsi l'estime du roi
Charles IX. Le 30 décembre 1570, le roi le fit assesseur à Fontenay. Le titulaire protestant de l'office dont l'a
pourvu Charles IX protesta. Rapin se rapproche pendant ce temps des milieux littéraires parisiens. Il publie en
1575 les Plaisirs du Gentilhomme champestre dédiés à Guy du Faur de Pibrac. Le succès de son poème lui vaut
d'être en 1576, pourvu de l'office de vice-sénéchal de Bas-Poitou. Ce juge botté, résidant à Fontenay ou à Niort,
est alors d'une extrême sévérité contre les brigands, les déserteurs et les huguenots. Alors qu'il rime avec " La
Puce de Madame des Roches", il menace vers la même époque Françoise de Rohan, car elle abrite sur ses terres
des amis protestants.
Après son exécution des arrêts criminels des Grands Jours de Poitiers en 1579, il est appelé à Paris. Il se lie à
Jacques-Auguste de Thou, renforce son pouvoir, se lie au président Harley. Enfin, grâce à la protection de ce
dernier, il est nommé en 1586 lieutenant de robe courte et grand prévôt de la connétablie. Il vend sa charge de
sénéchal à Jean Tiraqueau.
Aux États généraux de Blois, il défend avec vigueur la royauté. Tout en se mêlant à la vie littéraire lors des
funérailles de Ronsard ou par sa paraphrase des "Sept Pseaumes Pénitentiels", ou encore sa traduction des
"Remédia amoris". Rapin s'oppose à la Ligue, par la plume, en dressant l'épitaphe du duc de Joyeuse et par ses
poèmes sur les victoires de l'armée royale. Lors de la journée des barricades, jugé trop timide par le parti des
seize, il est contraint de fuir et rallie le camp d'Henri III. Prévôt de l'armée du Poitou, commandée par le duc de
318 Notices sur les personnages historiques
Nevers en 1589, prévôt général des bandes, ou de la Connétablie et Maréchaussée de France, il fait partie de
ceux qui, avec Jacques-Auguste de Thou réclame à Henri de Navarre de venir au secours d'Henri III. Après
l'assassinat de ce roi, Rapin combat à Arques. Son ascension se fait sur les champs de bataille, à Ivry, ce qui lui
vaut d'être anobli en octobre 1590. Chargé de missions de confiance comme la levée d'impôts arriérés, il est
nommé Prévôt général en 1594.
Après l'attentat de Jean Châtel, il mène une lutte sans merci contre les Jésuites. On le retrouve à Pougues (en
1598) où il soigne sa gravelle, en Savoie, où il rend visite à Théodore de Bèze et enfin chargé du maintien de
l'ordre pendant l'exécution du maréchal de Biron (le 31 juillet 1602). Son activité se rapproche de celle d'un
agent de la police politique (alors que sa carrière poétique se poursuit et qu'il fait école avec son neveu Hilaire
Cailler, Salomon Certon, Odet de La Noue, Jacques Gillot, d'Aubigné...)
Parvenu à un âge où les combats le lassaient, Rapin résigne son office le 1er janvier 1605. Il prend sa retraite à
Fontenay, dans un petit château, le Château de Terre Neuve, bâti pour lui en 1580, où il reçoit ses amis, dont
Sully (en 1604). Il y apprend le grec, compose des pièces de circonstance, s'adonne à des divertissements
littéraires. À la fin de l'année 1607, l'hiver le surprend à Poitiers. Il rédige son Testament le 25 janvier 1608, et
meurt le 16 février.
Le père Garasse, jésuite qui le confessa ce jour-là, avec le père Jacques de Moussi, donna ultérieurement un récit
détaillé de ses derniers instants. Selon son rapport, Rapin vécut l'espace de « soixante-quatorze ans avec un assez
grand libertinage, le reconnut mais confessa que jamais il n'avait été Huguenot, ni incertain dans sa croyance,
quoiqu'il eût vécu familièrement parmi eux. Il ajouta qu'il avait grandement haï les jésuites mais qu'il avait tout
fait pour empêcher que l'athéisme ne s'enseignât publiquement dans Paris arguant pour cela qu'il avait fait pendre
un des marchands familier de la Pléiade semant parmi les poètes de très méchantes et abominables maximes
contre la divinité...
Le dernier récit de ce père Jésuite ressemble à une affabulation.
En correspondance avec les meilleurs esprits de son temps, D'Aubigné, Jacques Auguste de Thou, Pasquier, les
Dupuy, Scaliger, Rapin connut le succès dès 1575. Il écrivit onze mille cinq cents vers dont un cinquième en
latin et beaucoup circonstanciels. S'il brille dans les genres brefs, odes, épigrammes ou sonnets, son inspiration le
plus souvent rustique, gaillarde et plaisante ne passa pas la rampe des siècles. Engagé dans les luttes de son
temps, Rapin composa quelques vers éditées à la suite de la Satyre Ménippée et l'on croit souvent qu'il a
directement participé à la rédaction de ce pamphlet dirigé contre la Ligue, écrit en collaboration avec Pierre
Pithou et Jean Passerat et dont le nom entier est Satyre Menippée de la vertu du catholicisme d'Espagne et de la
tenue des États de Paris, à laquelle est ajoutée un Discours sur l'interprétation du mot de Higuiero del Infierno &
qui est l'auteur. Plus le regret sur la mort de l'Asne Ligueur d'une Damoiselle, qui mourut pendant le Siège de
Paris, édité par les héritiers de Mathias Kerner à Ratisbonne.
[Wikipedia]
Notices sur les personnages historiques 319
1
Mathurin Régnier [573] lui dédia un sonnet à la fin de sa vie:
Passant , cy gist Rapin , la gloire de son âge ,
Snperbe konnenr de Pinde , et de ses beanx secrets :
Qni vivant surpassa les Latins et les Grecs,
Soit en profond sçavoir , on douceur de langage.
1
Mathurin Régnier, né le 21 décembre 1573 à Chartres et mort le 22 octobre 1613 à Rouen, est un poète satirique
français.
320 Notices sur les personnages historiques
En 1558 il achète avec son frère Aymé le château de la Carrodière à Pomeys (Rhône) connu sous le nom de
château de Saconay. Il est chanoine-comte de Lyon comme d’autres membres de sa famille l’ont été et maître-
de-chœur (précenteur) du Chapitre. Avec le Procureur du Roi il exerce conjointement la censure et cherche à
empêcher toute publication favorable aux Réformés.
En 1561, ayant écrit une préface virulente contre les idées réformées dans une réédition de l’ouvrage de Henri
VIII d’Angleterre contre Luther, il est l’objet d’une réplique cinglante de la part de Jean Calvin intitulée
Congratulation à vénérable prêtre messire Gabriel de Saconay, Précenteur de l’Eglise de Lyon, touchant la belle
et mignone préface dont il a remparé le livre du roi d’Angleterre. Puis dans un pamphlet intitulé Gratulatio ad
venerabilem presbyterum dominum Gabrielum de Saconay, praecentorem ecclesiae lugdunensis, Pamphlet
contre Gabriel de Saconay, il est accusé toujours par Jean Calvin de mauvaises fréquentations (Louise Labbé, la
Belle Cordière) et de mœurs indécentes.
En 1562 il est témoin du Sac de Lyon par les troupes du Baron des Adrets.
En 1563 il en décrit la violence et dénonce la proposition d’entente proposée par les Réformés dans son ouvrage
Discours des premiers troubles… ; l’ouvrage sera publié par Michel Jouve en 1569.
Il fait le lien entre cet événement et des prophéties de Nostradamus dans le récit qu’il en donne dans
En 1568 dans son Discours catholique… il demande au roi Charles IX de ne pas accepter la cohabitation de deux
religions chrétiennes au sein du Royaume et de rejeter la Réforme.
Il publie des ouvrages à l’encontre des Réformés d’une surprenante violence verbale qui semble être de mise
dans les polémiques du moment.
Il décède en 1580.
[http://museedudiocesedelyon.com]
En 1536, de Sainctes fut reçu, à l’âge de 11 ans, chanoine régulier dans l’abbaye de Chéron-lès-Chartres et y fit
profession en 1540. Ne voulant pas demeurer oisif dans l’obscurité de ce monastère, il le quitta pour venir à Paris
où le cardinal de Lorraine le plaça au collège de Navarre. Il y fit ses humanités, sa philosophie et sa théologie et
fut reçu docteur de Sorbonne en théologie en 1555. Il attaqua avec véhémence les disciples de Calvin, et
s’acquit, tant par ses écrits que par ses sermons, et par ses disputes contre les calvinistes, une très grande
réputation de controversiste.
Il entra ensuite dans la maison du cardinal, qui l’employa, en raison de l’érudition de ses premières œuvres et de
son aptitude à la controverse, au colloque de Poissy qui s’est tenu entre catholiques et huguenots en 1561, et
auquel Théodore de Bèze et Diego Lainez se tenaient. Le cardinal le fit également déléguer par le roi Charles IX,
avec onze autres docteurs, au concile de Trente pour représenter l’Université de Paris. C’est lui et Simon Vigor,
Notices sur les personnages historiques 321
depuis archevêque de Narbonne, qui disputèrent contre deux ministres calvinistes chez le duc de Nevers, en
1566. Leur triomphe fut complet, et de Sainctes fit imprimer, deux ans après, les Actes de cette conférence.
À son retour, il a publié un écrit contre la spoliation des églises catholiques par les huguenots accompagné d’une
vigoureuse déclaration contre les doctrines de Calvin et de Bèze, qui répondirent et s’attirèrent une nouvelle
attaque de Sainctes. Ses écrits, ses sermons, et son zèle contre les calvinistes lui valurent d’être promu à l’évêché
d’Évreux en 1575. L’année suivante, il assista aux États de Blois, et au concile de Rouen en 1581.
Très zélé dans ses efforts pour convertir les protestants, il embrassa le parti de la Ligue, et son zèle pour ce parti
le jeta dans des travers : il souleva son diocèse contre l’autorité royale, et vendit ses biens pour salarier les
factieux. Les troupes royales prirent possession d’Évreux et l’évêque fut contraint de fuir. Les gens du roi
trouvèrent parmi ses papiers un écrit où il justifiait l’assassinat du roi Henri III, et incitait à commettre le même
attentat sur la personne du roi de Navarre. Henri IV l’ayant fait arrêter à Louviers, il fut conduit prisonnier à
Caen, devant le parlement de Normandie, qui le condamna à mort comme coupable de haute trahison pour avoir
approuvé l’assassinat de Henri III, enseigné qu’on pouvait tuer son successeur et avoir excité les populations à la
révolte pendant les guerres de la Ligue, mais le cardinal de Bourbon et quelques autres prélats ayant intercédé en
sa faveur, le roi commua sa peine en emprisonnement à perpétuité. Condamné à demeurer le reste de ses jours
emprisonné au château-fort de Crèvecœur, au diocèse de Lisieux, il y mourut, dit-on, empoisonné. Ce savant
théologien, qui avait rendu de grands services à l’Église, fut lui-même cause de sa perte, en soutenant un
mauvais parti avec opiniâtreté.
On a un grand nombre d’ouvrages de de Sainctes, qui avait beaucoup de savoir et d’érudition et écrivait très bien
en latin, quoique d’un style assez diffus. Le plus considérable et le plus rare est son grand Traité de l’Eucharistie,
plein d’érudition, et qui irrita particulièrement les ministres huguenots contre lui. Divisé en dix parties, ce traité
traite dans les six premières, de l’institution de la Cène ; y prouvant la réalité du corps et du sang de Jésus-Christ
dans l’Eucharistie, par l’Écriture, et par les Saints Pères, et répondant aux arguments sur lesquels les calvinistes
voulaient établir leur manducation spirituelle. Les deux livres suivants traitent de la transsubstantiation ; le
neuvième, de l’Adoration ; et le dernier, de la Communion sous une Espèce. Cet ouvrage, qui était le plus exact
et le plus ample traité encore jamais fait sur cette matière, compose un gros volume, en latin, in folio, imprimé à
Paris en 1575. Cet excellent traité n’a pas peu servi à ceux qui ont traité cette matière depuis lui.
De Sainctes avait publié quelques années auparavant en 1566 un livre intitulé, Examen de la doctrine de Calvin
et de Beze touchant la Cène, auquel Théodore de Bèze opposa un écrit intitulé Examen de la Doctrine
Sorbonique sur la Cène. Quelque temps après, parurent deux Réponses à l’Examen de Claude de Sainctes ; l’un
de Bèze, et l’autre de Chandieu. De Sainctes fit l’année suivante, 1567, une Réponse à l’apologie de Bèze, où il y
a beaucoup de personnel.
Il avait aussi publié en 1561, pour prouver que les princes ne devaient pas tolérer les hérétiques, un écrit intitulé,
Commentaire sur les édits des anciens princes, touchant la tolérance des sectes dans la religion chrétienne ; ou
méthode que les premiers empereurs catholiques ont gardée contre les sectes.
On a encore de lui : Liturgiœ Jacobi apostoli, Basilii Magni, Joannis Chrysostomi1, etc., Anvers, chez Plantin,
1560, in-8°, et la même année à Paris, in-fol. ; ouvrage rare, en grec et en latin, où il a inséré quelques chapitres
de sa composition, et recherché à cause des choses curieuses et importantes qu’il contient touchant la messe ; on
le joint ordinairement à la Missa latina antiqua, de Matthias Flacius.
322 Notices sur les personnages historiques
Autre ouvrage important : Déclaration d’anciens athéismes de la doctrine de Calvin et de Bèze contre les
premiers fondements de la chrétienté, Paris, 1567, in-8°, rare. Dans cet ouvrage est compris quasi tout l’examen
de tout le premier livre, et d’une partie du troisième de l’Institution de Calvin, et douze articles de la Confession
présentée au Roi à Poissy. Voici les titres des matières : 1. de la Toute puissance de Dieu. 2. des Écritures saintes
et autres fondements du Christianisme. 3. des Traditions Apostoliques. 4. des inspirations du Saint Esprit. 5. des
Livres Canoniques. 6. des erreurs de Calvin contre la Trinité. 7. de l’Essence du Fils de Dieu. 8. de l’invocation
de la Trinité. 9. de l’erreur des Trinitaires de notre temps. 10. que Dieu n’est point auteur du péché. 11. de la
fatale nécessité. 12. de la Prescience. 13. de la Providence. 14. de la Prédestination et réprobation, à Paris en
1568 et 1572.
Nommé chanoine-comte de Lyon à 10 ans en 1552, il fait des études à Toulouse où il est reçu "docteur en l'un et
l'autre droit" (c'est-à-dire en droit civil et en droit canon). Il est chamarier en 1559 et doyen du chapitre de la
primatiale Saint-Jean de Lyon en 1569 ; à plusieurs reprises il est désigné par ses confrères pour les représenter.
Il est aussi abbé de l'Île Barbe, abbé d'Ainay et prieur de Saint-Rambert.
En 1573, Antoine d'Albon résigne la dignité épiscopale en sa faveur, et sur les instances du pape Grégoire XIII,
le roi accepte ce choix. Pierre d'Espinac prend possession de son siège le 2 octobre 1574. Il est le premier
titulaire noble de cet évêché à avoir fait figurer une couronne sur ses armes ecclésiastiques.
Homme de talent, zélé dans l'exercice de sa charge, on le voit prêcher dans sa cathédrale, administrer les
sacrements et participer aux processions. En 1577, il publie de nouveaux statuts synodaux en y incluant les
prescriptions du Concile de Trente. Il s'efforçe de remettre un peu de tenue dans ses abbayes où la règle et
l'office divin étaient quelque peu délaissés.
Il ne reste pas longtemps dans son diocèse : député aux États de Blois en 1577, il préside, en tant que Primat des
Gaules, l'assemblée du clergé tenue à Melun en 1579. Il est aussi envoyé en ambassade en Angleterre par le roi
Henri III, avant son retour définitif en 1590.
Ayant été ligueur, d'ailleurs modéré, il s'attire l'inimitié du roi Henri IV, ce qui explique que l'avènement de ce
roi coïncide avec la fin de son temps d'ambassade.
Notices sur les personnages historiques 323
Pierre d'Épinac meurt dans son palais épiscopal lyonnais le 10 janvier 1599 vers onze heures du soir.
L'archevêque est inhumé le 13 janvier dans la chapelle Sainte-Madeleine de la Primatiale Saint-Jean de Lyon.
8.38 Sénèque
Sénèque (en latin Lucius Annaeus Seneca), né à Corduba, dans le
Sud de l'Espagne, entre l'an 4 av. J.-C. et l'an 1 ap. J.-C., mort le 12
avril 65 ap. J.-C., est un philosophe de l'école stoïcienne, un
dramaturge et un homme d'État romain du ier siècle. Il est parfois
nommé Sénèque le Philosophe, Sénèque le Tragique ou Sénèque le
Jeune pour le distinguer de son père, Sénèque l'Ancien.
Ses tragédies constituent l'un des meilleurs exemples du théâtre tragique latin avec des œuvres qui nourriront le
théâtre classique français du xviie siècle comme Médée, Œdipe ou Phèdre.
En 1524, son père Antonio Servet (alias Revés, c'est-à-dire « Le contraire »), notaire au monastère royal voisin
de Sijena, l'envoie à l'université, probablement celle de Saragosse ou de Lérida. Très doué pour les langues, il
étudie le latin, le grec et l'hébreu. À l'âge de quinze ans, il entre au service d'un moine franciscain du nom de
Juan de Quintana, un érasmien, et il lit la Bible entière dans les langues originales des manuscrits, dont on
dispose alors. Il fréquente par la suite (en 1526) l'université de Toulouse, où il étudie le droit, et devient suspect
pour sa participation à des réunions secrètes et à des activités d'étudiants protestants.
En 1529, il voyage en Allemagne et en Italie avec Quintana, alors le confesseur de Charles Quint. En octobre
1530, il rend visite à Œcolampade, à Bâle. Vers cette époque déjà, ses convictions se forment. En mai 1531, il
rencontre Martin Bucer et Wolfgang Fabricius Köpfel Capiton à Strasbourg. Deux mois plus tard, en juillet
1531, il publie De trinitatis erroribus (« Les Erreurs concernant la Trinité »), ce qui le signale à l'inquisition
catholique. Il se réfugie à Paris sous le pseudonyme de Michel de Villeneuve. L'année suivante, il publie
Dialogorum de Trinitate libri duo (« Dialogues sur la Trinité en deux livres ») (1532) et De Justitia Regni Christi
(La Justice du Règne du Christ »). Il doit cependant s'enfuir de Paris à la suite du scandale des Placards en 1534.
Dans ces livres, Servet expose une théologie qui soutient que la croyance à la Trinité n'est pas fondée sur
l'enseignement biblique mais plutôt sur ce qu'il considère comme un enseignement trompeur des philosophes
(grecs). Il se regarde comme celui qui peut ramener à la simplicité et à l'authenticité des Évangiles et des
premiers Pères de l'Église. En outre, il espère que l'abolition du dogme trinitaire va rendre aussi le christianisme
attrayant envers les juifs et les musulmans, dont la religion est restée sévèrement monothéiste.
Surtout, Servet pousse très loin le principe du retour aux Évangiles. Pas de trace, dans ces derniers, du discours
complexe sur la Trinité que l'Église catholique romaine a mis au point pendant des siècles. Jésus n'est pas Dieu,
mais un homme auquel l'essence divine s'est alliée temporairement. Il s'aliène de la sorte la plupart des chrétiens
de son temps, d'autant plus quand il propose une métaphore radicale : selon lui, la Trinité est un « chien des
Enfers à trois têtes, signe de l'Antéchrist ». Cette image forte est évidemment jugée blasphématoire et Calvin
Notices sur les personnages historiques 325
écrit alors : « Si Michel Servet vient à Genève, je ne réponds pas qu'il puisse en sortir vivant ». Michel Servet est
pour cette raison honoré par les chrétiens unitariens qui fleurissent chaque année sa statue à Paris.
Servet est arrêté par l'Inquisition à Vienne, mais il parvient à s'évader. Le procès est tout de même tenu par
contumace et Servet condamné à mort pour l'exemple, en effet, l'Inquisition ira jusqu'à brûler une effigie de
Servet pour le symbole de la répréhension des hérétiques. Servet ayant pris la fuite se rend à Genève pour des
raisons obscures.
Le dimanche13 août 1553, Michel Servet se rend au culte au temple où Calvin prêche. À la sortie du temple,
Michel Servet est arrêté, sans doute à l'instigation de Calvin. S'entama alors un long et fastidieux procès. En effet
l'État de Genève ne pouvait en aucun cas appliquer la même sentence que l'Inquisition catholique pour une
question de mœurs.
Il faut dire que le parti des libertins avait pratiquement pris le pouvoir au Conseil des Deux-Cents qui gouverne
la ville. Ses membres sont tous des adversaires de Calvin et en général favorables à Servet. Certains pensent qu'il
avait été appelé à Genève par les ennemis de Calvin, qui voulaient se servir de lui comme d'un instrument pour
se débarrasser du réformateur. Paradoxalement, ils ne veulent pas apparaître comme des hérétiques. Ils ne le
défendront pas quand il aurait fallu le faire. Servet sera victime de la situation la plus mauvaise pour lui, mais
aussi pour Calvin. Certains ne pensaient qu'à bannir Servet, ce qui aurait pu se produire. Mais quand Servet,
lassé par des semaines de détention - détenu depuis le mois d'août, il est mort le 27 octobre -, s'emporta et
attaqua Calvin, il alla jusqu'à dire : "C'est lui ou moi. Il s'agit de savoir qui vous voulez suivre". Ayant l'habitude
des affaires de l'État, on savait que Calvin avait des aptitudes pour gouverner, ce qui n'était sûrement pas le cas
de Michel Servet. Cela fut donc très maladroit.
Cependant, durant la durée de son emprisonnement, Servet prépara une défense pour le moins complexe. Le
procès fut extrêmement long car les magistrats ne parvenaient pas à comprendre les positions de Servet. Le
Conseil prit donc la décision de faire appel à Calvin, en tant qu'expert théologien. Calvin avait donc pour rôle de
déterminer si la pensée de Servet était chrétienne ou hérétique.
Malheureusement pour lui le théologien se prononce contre Michel Servet. Au milieu du conflit d'intérêts qui
oppose Calvin à ses adversaires, la décision est prise de demander l'avis des cantons réformés de Suisse. Le mois
de septembre 1553 passe alors dans l'attente des résultats. Les réponses arrivèrent début octobre et furent
catégoriques: les Églises réformées de la Confédération approuvent à l'unanimité l'action du Conseil dirigé par
Ami Perrin de neutraliser cette menace.
C'est dans l'actuel jardin de La Colline, clinique privée située au bas de Champel, que Michel Servet a été attaché
à un poteau et brûlé vif sur ordre du Grand Conseil, le 27 octobre 1553.
[Wikipedia]
8.40 Strabon
Strabon (grec ancien : Στράϐων / Strábôn, « qui louche », en latin Strabo), est un géographe et historien grec né à
Amasée dans le Pont (actuelle Amasya en Turquie) autour de 60 av. J.-C. et mort autour de 20 ap. J.-C.
Strabon ne nous a laissé que très peu d’informations sur sa vie. Il est issu d’une famille illustre d’Amasée,
famille qui a eu un rôle important dans la vie politique du royaume. Strabon a suivi pendant sa jeunesse de
nombreux enseignements. Tyrannion, Aristodème et Xénarque, sont les maîtres qu'il cite, tous grecs,
326 Notices sur les personnages historiques
grammairiens ou philosophes. Bien qu’aucun d’entre eux ne soit stoïcien, Strabon subit l'influence de cette
pensée, comme il l'évoque lui-même au livre II de sa Géographie. Il s'installa à Rome probablement juste avant
la mort de César, ce qui fait de lui une source supplémentaire pour l’étude de l’histoire romaine sous Auguste. À
ses nombreux séjours à Rome s'ajoutent d’autres voyages, notamment dans le reste de l’Italie, en Gaule mais
aussi en Afrique (Éthiopie, Égypte en particulier). Son voyage en Égypte et plus précisément sur le Nil s’est fait
en compagnie d’Aelius Gallus, préfet romain qui fut un de ses grands amis. Ses nombreux voyages lui permirent
d’accumuler une documentation suffisante pour écrire la
Géographie, un ouvrage en 17 livres, organisés par région. Fondé
sur une démarche scientifique et ethnographique, cet ouvrage
apparaît comme une œuvre notable pour l’époque du fait de son
ampleur. On sait également que Strabon a écrit, avant la
Géographie, des Commentaires Historiques en 43 livres. De cet
ouvrage écrit entre 37 av. J.-C. et le début de la Géographie, il ne
nous reste que quelques fragments. Enfin, Strabon ne cache pas
son admiration pour Rome. On peut considérer que « Strabon
accepte ainsi de mettre l’érudition grecque au service de la
conquête romaine ». Les détails de sa vie après 20 av. J.-C. sont
obscurs, mais il semble particulièrement bien connaitre la Judée,
ce qui suggère qu'il a pu passer du temps à la cour d'Hérode Ier le
Grand. Il est possible qu'il ait passé ses dernières années autour de
8-26 : Strabon © Wikipedia
Naples ou dans sa ville natale d'Amasée à la cour de Pythodoris
de Trallès, la petite-fille putative de Marc Antoine. Il aurait corrigé sa Géographie jusqu’aux alentours de 23
après J.-C., approchant alors des 90 ans.
[Wikipedia]
Notices sur les personnages historiques 327
Nicolas Durand de Villegagnon est né à Provins vers 1510. Il est le fils d’un procureur du roi au bailliage de
Provins. Il est élève aux collèges de La Marche et de Montaigu à Paris,
en compagnie de Calvin. Il obtient ensuite sa licence de droit à Orléans.
Villegagnon © Wikipedia des Orcades. Il descend la mer d’Irlande et fait embarquer Marie Stuart à
Dumbarton dans l’estuaire de la Clyde pour gagner Morlaix. En 1551, il
tente en vain, depuis Malte, de défendre Tripoli contre les Turcs. Rentré en France, il est nommé en 1553 vice-
amiral de Bretagne après ses campagnes en Hongrie et au Piémont.
Il reçoit en 1554 le commandement de la flotte mise par Henri II à la disposition de Gaspard II de Coligny
pour installer une colonie au Brésil où les protestants français pourraient exercer librement leur religion.
Il part du Havre le 14 août 1555, piloté par le capitaine de navire Nicolas Barré, sur deux navires chargés de 600
marins et passagers. Il a avec lui son neveu et adjoint Legendre de Boissy, seigneur de Bois-le-Comte. Il arrive
dans la baie de Guanabara, le 10 novembre, et débarque dans l’île de Serigipe, qui porte aujourd’hui son nom, où
il fait élever le fort Coligny, voulant appeler Henryville la bourgade qu’il compte créer sur la terre ferme, sur la
côte qu’il nomme la « France antarctique ». Mais le ravitaillement s’épuise vite et une conspiration est montée
contre lui. Celle-ci étant découverte à temps, les conspirateurs se réfugient parmi les Indiens et les montent
contre les Français, qui partent chercher du renfort en Europe.
328 Notices sur les personnages historiques
Le récit de l’expédition a été écrit en 1578 par l’un de ses membres, le cordonnier puis étudiant en théologie Jean
de Léry : Histoire d’un voyage faict en la terre du Brésil.
Le 15 février 1550, Nicolas Durand de Villegagnon devient le seigneur du domaine de Torcy par don du roi
Henri II pour le rembourser des travaux de fortifications du château de Ponteflures du marquisat de Montferrat.
De retour en France, Villegagnon poursuit sa polémique avec les calvinistes et prend part aux guerres de
Religion dans le camp catholique. Il fut notamment blessé au siège de Rouen en 1562.
Nommé gouverneur de Sens en 1567, Il meurt, quatre ans plus tard, dans la commanderie hospitalière de
Beauvais-en-Gâtinais.
[Wikipedia]
Notices sur les personnages historiques 329
réformé, parviennent à faire expulser Viret en 1565. Il part donc pour Orange, principauté indépendante sous la
protection de Guillaume de Nassau, puis à Montpellier en décembre 1566. Expulsé de France, il passe les
dernières années de sa vie à l'invitation de Jeanne d'Albret en Navarre, et enseigne à l'Académie d'Orthez. Le 4
mai 1569, le duc d'Anjou, futur Henri III, donne l'ordre de s'emparer du Béarn, afin d'en extirper l'« hérésie ».
Viret est emprisonné jusqu'à ce que Gabriel Ier de Montgommery reconquière les États de la reine. Viret, libre,
poursuit alors sa mission jusqu'à sa mort en 1571.
« Entre les grandes pertes que j’ai faites durant et depuis les dernières guerres, écrit Jeanne d’Albret, je mets au
premier lieu la perte de Monsieur Viret que Dieu a retiré à soi ».
Références 331
9 Références
[137] Histoire des troubles de Provence, depuis son retour à la couronne jusqu'à la paix de Vervins,
en 1598
Pierre Louvet - à Aix, par Charles David, imprimeur de roy, du clergé et de la ville – 1679
[155] Mémoires de Claude Haton contenant le récit des événements accomplis de 1553 à 1582
Calude Haton, publié par Félix Bourquelot – Imprimerie impériale, 1857.
Certes, Claude Haton ne pouvait pas être accusé de pencher pour la religion dite réformée, mais ses
mémoires, même si limitées à la ville de Provins, sont riches d’enseignement sur la vie du peuple du XVIe
siècle.
[165] Discours sur l'espovantable et merveilleux desbordement du Rosne dans et a lentour la ville de
Lyon, et sur les miseres et calamités qui y sont advenues
Benoist Rigaud - Lyon, 1570 in [106] tome 6
On ne peut pas dire que l’auteur de cette « relation » ait eu de vrais talents littéraires, mais la naïveté du
style est caractéristique de nombre de relations du même type de l’époque ; il nous donne le détail du
déroulé de l’innondation et de ses conséquences, mettant en exergue le courage et l’abnégation du
gouverneur de la ville….
[168] Discours sur les causes de l'extreme cherte qui est aujourd'huy en France, et sur les moyens d'y
remedier
Jean Bodin - A Paris, à l'Olivier de Pierre l'Huilier, rue S. Jacques, 1574 - in [106] tome 6
[173] Le contrepoison des cinquante deux chansons de Clément Marot, faussement intitulées par lu
psaumes de David, faict et composé de plusieurs bonnes doctrines et sentences préservatives d'hérésie.
Artus Désiré – A Paris, par Pierre Gaultier, rue Sainct Jacques, à l’enseigne de la vigne – 1561
C’est une œuvre assez rébarbatrice qui n’emprunte à Marot que le découpage en cinquante deux parties et le
titre correspondant de ses psaumes ; sur chacun il développe un texte en vers qui attaque systématiqument
Calvin, et où il developpe toutes les calomnies portées contre les réformés.
[177] La marmite renversée et fondue, de laquelle nostre dieu parle par les saincts Prophètes
Thomas Beaux-Amis – A Paris, chez Guillaume Chaudière, rue Sainct-Jacques, à l’enseigne du temps et de
l’homme sauvage – 1572
Ouvrage dans lequel l’auteur, dans un jeu à la « c’est pas moi, d’abord, c’est toi ! », s’escrime à vouloir
démontrer par l’écriture elle-même que l’image de la « grande marmite » doit s’appliquer aux huguenots et
non pas à l’église de Rome.
[181] Le Passavant
Théodore de Bèze – Paris, Isidore Liseux - 1875
[182] Passevent parisien respondant à Pasquin Romain , de la vie de ceux qui sont allez demeurer à
Genève, et se disent vivre de l’Evangile : faict en forme de dialogue
Antoine Cathelan – Paris, Isidore Liseux, 5 rue Scribe , sur la troisième édition datant de 1556 – 1875
Ce livre se veut une réponse à l’ouvrage de Théodore de Bèze, mais autant un est brillant, autant celui-ci est
lourd et affligeant..
[183] Le deffensaire de la foy Chrestienne, avec le miroer des Francs Taupins autrement nommez
Luthériens
Artus Désiré – A Paris, par Jean Ruelle, demeurant en la rue S. Iasques, à l’enseigne de S. Nicolas – 1567
Ce livre nous livre en vers la défense d’une sélection de rites catholiques : le culte de reliques, l’utilsation
des chandelles, l’intercession des saints, la scène… et finit par une attaque des femmes faisant de la
théologie dont l’outrance laisse pantois.
[184] Les disputes de Guillot le porcher, et de la bergère de S. denis en France, contre Jean Calvin
prédicant de Genesve, sur la vérité de nostre saincte foi catholique, & religion chrestienne : ensemble la
généalogie des hereticques, & les fruictz qui proviennent d’iceux.
Artus Désiré – A Paris, Pierre Gaultier, rue D. iacques, à l’enseigne de la vigne – 1559
Dans cet ouvrage l’auteur veut démontrer que par raison naturelle le moindre représentant du peuple, le
plus ignorant, est capable de tenir tête aux raisonnements et à la logique de Calvin, et, in fine, d’être capable
de le convertir…
334 Références
[185] Les quinzes signes advenuez és parties d'occident, vers les royaumes d'escosse, & angleterre,
significatifs de la ruine, fin, & consommation du monde
Artus Désiré – A Paris, Michel Buffet, demeurant pres le collège de Lysieux – 1587
Petit ouvrage, sans doute de la fin de la vie de l’auteur, et qui au-delà de ses outrances habituelles semble
avoir perdu le peu de capacités qu’il avait de mettre sur le papier un raisonnement clair et en français.
[187] Compte-rendu de lecture sur "Artus Désiré, Priest and pamphleter of the Sixteenth century"
(Chapel Hill, 1973)
R.J. Knecht - in "Revue belge de Philologie et d'histoire, année 1976, volume 54, numéro 3" (Persée)
[189] Propositions contentieuses entre le chevalier de Villegagnon, & maitre Iehan Calvin,
concernant la vérité de l’Eucharistie
Nicolas Durand de Villegagnon – A Paris, de l’imprimerie d’André Wechel, rue S. Jehan de Beauvois au
cheval volant - 1562
Sur près de trois cents pages l’auteur s’oppose aux thèses calvinistes sur la présence réelle du corps du
Christ dans l’hostie de la Cène. Il y fait une analyse détaillée des propositions de Calvin et des textes de
l’orthodoxie catholique. S’il continue le combat de retour du Brésil, sur ce sujet même qui avait conduit à la
ruine de son entreprise de création d’une France Antartique, certains y virent une façon de se justifier
auprès du partyi catholique de certaines familiarités qu’il avait eu avec des thèses « protestantes »..
[190] Responce par le chevalier de Villegagnon aux remontrances faictes à la reine mère du roi
Nicolas Durand de Villegagnon – A Paris, de l’imprimerie d’André Wechel – 1561
Je n’ai pas trouvé le livre auquel Nicolas de Villegagnon veut répondre par celui-ci, il le dit plein d’injures
et ne souhaite n’y répondre que par des arguments théologiques. Il est vrai qu’il reste sur une réserve toute à
son honneur, mais sur deux cents pages il se lance dans une défense, à nouveau, de l’interprétation
catholique de la Cène. Les « Porpositions contentieuses .. ; » n’en disant pas plus et avaient sans doute
l’intérêt d’être plus controlées.
Références 335
[191] Paraphrase du chevalier de Villegagnon, sur la résolution des sacrements, de maitre Iehan
Calvin, ministre de Genève
Nicolas Durand de Villegagnon – A Paris, de l’imprimerie d’André Wechel, rue S. Jehan de Beauvois au
cheval volant, 1562.
Comme le titre le dit, Villegagnon paraphrase les écrits de Calvin sur la communion. Il y oppose quelques
sophismes et fait appel aux différentes interprétations des saints et des docteurs de l’église des textes saints.
Si on peut juger les arguments du chevalier un peu minces, et être étonné de la croyance en la réelle
transformation du pain en le corps de Jésus Christ, on ne peut néanmoins lui reprocher d’insulter les
protestants, il essaye de convaincre.
[192] Tristes tropistes. Du Brésil à la France, une contreverse à l’aube des guerres de religion
Frank Lestringant - in: revue de l'histoire des religions, tome 202 n°3, 1985. pp. 267-294
[194] Poésie polémique et satirique de la Réforme sous les règnes de Henri II, François II et Charles
IX
Henri Weber - in: cahiers de l'association internationale des études françaises, 1958, n°10, pp. 89-118
[196] L ‘histoire de la vie, des meours, actes, doctrine, et mort de Iean Calvin, iadis grand ministre de
Genève
Hierosme Hermes Bolsec - A Paris chez Guillaume Chaudière, rue S. Iacques à l’enseigne du temps & de
l’homme sauvage - 1582
Cette vie de Calvin fait partie des ouvrages polémiques des années 1560-1590. La charge est si véhémente et
calomnieuse que la cible réelle du livre en devient son auteur. Un exemple néanmoins intéressant des
tentatives catholiques de peindre les austères protestants sous des couleurs de débauche.
de l’auteur, ses raccourcis, ses tentatives d’ironie ; il suffira de comparer les dix pages écrites sur
l’assassinat du duc de Guise par Poltrot de Merey aux deux lignes écrites sur la Saint-Barthélemy. Il finit sa
préface par « Les sociétés modernes, pas plus que n’ont pu le faire celles qui les ont précédées, n’arriveront
au bonheur, à l’ordre et à la liberté, tant qu’elles n’auront pas écrit sur leur bannière religieuse : -
Obéissance aux commandements de Dieu ; - sur leur bannière politique : - Place au droit pour chacun et
pour tous ; - tant que les peuples auront d’autre cri que ces deux mots : - Dieu et la loi ».
[199] Disputations chrétiennes, touchant l'état des trépassés, faites par dialogues: desquelles la
première partie est intitulée Les Enfers.
Pierre Viret - A Genève, de l'imprimerie de Jean Gérard, 1552
Même si jean Calvin, dans la préface, prend mille précautions pour justifier le retour à l'ironie ou la farce
dans le domaine théologique, il faut reconnaître que pour le lecteur moderne les occasions de rire "à pleine
gorges" sont assez rares…. Dans cet ouvrage, l'auteur s'attache a réfuter point à point les thèmes orthodoxes
relatifs à l'enfer, au purgatoire et aux limbes, ainsi que la signification du baptême.
[203] Confession de la foy chrétienne, faite par Théodore de Bêze, contenant la confirmation d'icelle,
& la réfutation des superstitions contraires.
Théodore de Bèze - A Genève, par Iaques du Pan, 1563
Références 337
Comme l'indique le titre, c'est une confession de foi, mais dont le but est aussi de combattre la "papauté".
Théodore de Bèze décrit les principaux actes de foi des réformés dans une première partie, en insistant
particulièrement sur les sujets qui les séparent du parti de Rome: les sacrements, le mariage, les oeuvres, le
voeu de chasteté, l'intercession des saints,... Dans une deuxième partie, dans laquelle il déclare vouloir
montrer les différences entre les deux religions, il prend un ton beaucoup plus polémique, ayant plus recours
à l'insulte qu'à la satyre ou l'ironie.
[204] Traité de l'authorité du magistrat en la punition des hététiques, & du moyen d'y procéder, fait
en latin par Théodore de Bèze, contre l'opinion de certains Académiques, qui par leurs écrits soutiennent
l'impunité de ceux qui sèment des erreurs, & les veulent exempter de la sujection des loix.
Théodore de Bèze – Imprimé par Conrad Badius - 1560
Pour répondre à Castellion, qui publie sous le nom de Martin Bellie, Théodore de Bèze écrit plus de quatre
cents pages pour justifier la comdamnation et l'exécution de Servet, ainsi que de tous les "hérétiques".
L'auteur y déploie sa logique, reprenant d'abord les concepts d'hérétique, de magistrat pour les redéfinir,
avant de prendre un à un les arguments de Castellion pour les démonter en se servant des textes des docteurs
et des saints de l'église, ainsi que des textes philosophiques des "anciens". Il adopte ensuite une démarche
"positive" en développant ses propres arguments pour justifier sa thèse. Si certains avaient regretté qu'il ait
utilisé ses capacités pour écrire le Passavant, ici il se met au niveau de ceux qui justifiaient le fagot pour
tous les réformés de Genève.
[205] Antithèse des faicts de Jésus Christ et du pape: mise en vers françois
Simon du Rosier - 1584
En 1558 paraît la première édition en latin d’un livre qui sera souvent réédité et traduit, « l’anthithèse des
faicts de Jésus Christ et du Pape », qui comme son titre l’indique entends démontrer que contrairement à ce
que l’église attribue au pape, celui-ci ne peut se réclamer d’aucune manière du sauveur. Ces livres ont été
dès le début enrichis d’illustrations montrant pour chacun des exemples pris l’opposition entre ce que fait le
pape et ce qu’a fait Jésus Christ.
Un acte de révolte de l'humaniste Sébastien Castellion contre l'éxécution de Michel Servet décidée par
Calvin. L'émergence de la conscience contre la violence, titre de l'essai que Stefan Sweig consacrera dans
les années trente à Castellion, il ouvre la voie de ceux qui oseront se lever contre la violence, le despotisme.
[210] L'alcoran des cordeliers, tant en latin qu'en français: c'est à dire la mer des blasphèmes &
mensonges de cette idole stigmatisée, que l'on appelle Saint François, recueillis par le docteur Martin Luther,
du livre des conformités de beau saint François, imprimé à Milan l'an 1510, & nouvellement traduit.
Barthélemy Abbizzi de Pise - A genève, Conrad Badius - 1556
Ce livre est la traduction (partielle?) de l'ouvrage du frère Barthélemi Abbizzi de Pise qui comparait la vie
de Saint François à celle de Jésus Christ. Les franciscains eux même rougirent de l'ouvrage original et
essayèrent d'en éliminer les passages les plus ridicules dans la réédition qu'ils en firent en 1590. Ici au
contraire, Martin Luther n'a pas essayé de sauver du ridicule l'auteur original. Cette édition est
accompagnée d'une épitre de Luther et de pièces attaquant de manière très violente l'église de Rome.
[212] Des voix de la nation à celles de l'Eglise: le premier dialogue du Reveille-matin des françois
Jean-Raymond Fanlo - in: bulletin de l'association d'étude surl'humanisme, la réforme et la renaissance. N°
46, 1998, pages 47-62
Analyse détaillée de la structure et des thèmes du"Reveille-matin des François…", dans laquelle l'auteur
détaille la construction du récit, basée sur des dialogues, et met en exergue les principaux points de ce
pamphlet protestant où la haine contre les valois, et contre Catherine de Médicis, est portée à son comble.
[213] Sonnets, prières et devises en forme de pasquins pour l'assemblées de messieurs les prélats et
docteurs, tenue à Poissy.
Références 339
[215] Coq à l'asne des huguenots tuez & massacrez à Paris le xxiiij iour d'aoust 1572
Anonyme – 1572 ?
Un Coq-à-l'âne typique qui commence par une allusion à Clément Marot, pour se terminer par une menace
contre les Rochelois.
[216] Le Coq-à-l'âne
C.A. Mayer - in "Bulletin de l'association d'études sur l'humanisme, la réforme et la renaissance, n° 11, 1980,
pp. 105-117"
[217] Sonnets affichés en plusieurs endroits de Paris, le jeudi 28° aoust 1572, iiii° journée d'après le
massacre
Etienne Jodelle - Manuscrits français de la BNF, n° 10304
[223] Histoire de la mappemonde papistique en laquelle est declaire tout ce qui est contenu &
pourtraict en la grande table, ou carte de laMappe-Monde
Jean-Baptiste Trento - En la ville de Luce Nouvelle, par Brisaud Chasse-diables, 1567
Franck Lestringant - in "comptes-rendus des séances de l'Académie des inscriptions et Belles-Lettres, 142°
année, n°3, 1998, pp. 699-730"
[255] Dossier d’étude dur les prix et salaires au XVIe siècle : données, sources et interprétations
Alexis Marincic
[256] Discours de Jean Bodin sur le rehaussement et diminution des monnaies, tant d'or que d'argent,
et le moyen d'y remédier
Jean Bodin – A Paris, chez Jacques du Puys, 1578
Jean Bodin continue dans cet ouvrage ses réflexions sur la monnaie suite à sa réponse aux paradoxes de
Malestroit.
[257] Les paradoxes du seigneur de Malestroict, … avec la réponse de M. Jean Bodin aux dits
paradoxes
Jean Bodin & Malestroit – A Paris, chez Martin le Jeune, 1568
La réponse de Jean Bodin aux paradoxes de Malestroit. Sans doute le début de l'étude de la monnaie et de sa
signification économique et politique.
[258] Prix et salaires 2012: Une comparaison du pouvoir d'achat dans le monde
UBS, 2012
Une étude du pouvoir d'achat dans le monde en 2011.
[262] Etude de la consommation dans une communauté parisienne entre 1500 et 1640.
Corinne Beutler - Fédération des sociétés historiques et archéologiques de Paris et Île-de-France - 1978
Références 341
[263] Histoire économique de la propriété, des salaires, des denrées et de tous les prix en général
depuis l'an 1200 jusqu'en l'an 1800
Georges d’Avenel – Paris, Ernest Leroux, 1898
Sept gros volumes de tableaux et d'analyses. La disparité de la provenance des données ne permet pas de
vraiment constituer des séries homogènes. Il y a par contre quelques données utilisables pour Paris et sa
région.
[264] Les quinze-vingts depuis leur fondation jusqu'à leur translation au faubourg Saint-Antoine (
XIIIe-XVIIIe siècles
Léon Le Grand - in "Mémoires de la la société de l'Histoire de Paris et de l'Ile-de-France- Tome XIII (1887)
et XIV (1888)"
L'histoire de l'hôpital des Quinze-vingts, avec en particulier quelques indications sur des prix et des salaires.
[265] Le mouvement des loyers parisiens de la fin du moyen âge au XVIIIe siècle
Emmanuel LE Roy Ladurie & Pierre Couperie - in " Annales, Economies, Sociétés, Civilisations. 25° année,
n°4, 1970 pp 1002-1023"
Une des suites de l'ouvrage de Paul Guilhiermoz sur les poids et mesures du moyen âge, document allant
dans le détail mais assez austère.
[272] Seven centuries of the prices of consumables, compared with builders’ wage-rates
E.H. Phelps Brown & Sheila Hopkins - Economica, new series, vol 23, N° 92 (nov; 1956), pp 296-314
Une étude du "pouvoir d'achat" des métiers du bâtiment en Angleterre. Des données de réréférences pour
l'histoire économique de la Grande-Bretagne.
[276] L'alimentation d'une ville espagnole au XVIe siècle. Quelques données sur les
approvisionnements et la consommation de Valladolid.
Bartolomé Bennassar - in: "Annales, Economies, Sociétés, Civilisations. 16° année, n° 4, 1961, pp. 728-740.
[278] La mort et l'au-delà en Provence d'après les autels des âmes du purgatoire (XVe-XXe siècles)
Michel Vovelle & Gaby Vovelle - In "Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 24e année, N. 6, 1969.
pp. 1602-1634."
[283] Bases de rémunération du travail à la tache et conditions d'emploi spécifiques aux tacherons
Convention collective du 21 novembre 1997 concernant les exploitations et entreprises agricoles de Côte
d'Or, Nièvre et Yonne - MAJ avenant 39 du 13/01/2011
[284] Money, prices, wages, and "profit inflation" in Spain, the Southern Netherlands, and England
during the price revolution era, ca. 1520 - ca. 1650
John H. Munro - MPRA paper n° 10849, posted 1. october 2008
[285] The monetary origin of the "price revolution": south german silver mining, merchant-banking,
and venetian commerce, 1470-1540
John H. Munro - Department of Economics and institute forpolicy Analysis, University of Toronto, June
1999
Dans cet article Munro tente d'expliquer le début de l'inflation au 16e siècle, avant l'arrivée des richesses
américaines, par une augmentation transitoire du stock d'argent en Europe, provenant d'une part d'une
augmentation de la production minière combinée et d'autre part de la diminution des exportations d'argent
du fait d'une diminution du commerce en méditerranée.
[289] Le train de vie d'un évêque au XVIe siècle: les comptes de l'évêque de Vaison
Marc Venard - in "Mélanges" de Michel Vovelle, volume Aixois - Sociétés,mentalités, cultures France
(XVe-XXe siècles) - Publications de l'unibersité de Provence - 1997
344 Références
[290] Wage-rates and Prices: Evidence for population sur pressure in the Sixteenth Century
E.H. Phelps Brown & Sheila Hopkins - in: Economica, New Series, vol. 24, No. 96 (nov. 1957), pp. 289-306
Suite de l'article cité en [272], les auteurs, sur la base de données complémentaires concernant la France
(d'Avenel), l'Alsace et le Haut-Poitou défendent la thèse d'un effet direct de l'augmentation de lapopulation
sur les prix et les salaires. Ils développent aussi l'idée que l'exode des populations agricoles, par manque de
terres, vers les villes est la cause d'une modération des salaires par rapport aux prix. enfin, cet afflux de
main d'oeuvre "bon marché" aurait prmis aux premiers industriels de trouver les moyens de se développer: "
but industrialism did not create that class, it found jobs for it."
[293] American Gold and Silver Production in the First Half of the Sixteenth Century
Clarence Haring - in: The Quarterly Journal of Economics, Vol. 29, No. 3 (May, 1915), pp. 433-479
Clarence Haring, dans cet article de 1915, et sur la base des archives espagnoles (conservées pour la plus
grande part à Séville), tente une mise à jour définitive des estimations des productions et importations de
métaux préciaux par l'Espagne depuis ses colonies américaines. Il complète, et corrige le cas échéant, les
travaux qui avaent été faits par Humboldt (1811), Soetbeer (1879) and Lexis (1880).
classe ouvrière et qui ont permis, par le développement du capitalisme, d'augmenter le niveau de vie général
de la population et de donner plus de temps "libre" à tout un chacun.
[297] Cycles of Silver: Global Economic Unity through the Mid-Eighteenth Century
Denys O. Flynn & Arturo Giraldez - in: Journal of World History 13, no. 2 (Fall 2002): 391–427
Les auteurs insistent sur la nécessité, et ce depuis au moins le seixième siècle, de prendre en compte les
intéractions entre les économies mondiales, europe, asie, amérique, afrique, pour analyser les cycles
économiques qui ont marqué notre histoire. Ils refusent de considérer chacun des continents comme une
unité économique propre et isolée. Le premier de leur exemple est l'extraordinaire importation d'argent de la
Chine depuis les amériques via l'europe, et depuis le japon, jusqu'à ce que les rapports entre la valeur de
l'argent et celle de l'or s'équilibrent dans les différentes régions du monde, et ce vers les années 1640.
[299] Population and demographic changes in the european economy, 1450-1640: from the end of
the late medieval depression to the eve of the general crisis.
John H. Munro – University of Toronto
Une riche bibliographie et quelques tableaux récapitulatifs sur l'évolution de la population en Angleterre et
en Europe. Le tableau utilisé pour la population de l'angleterre est issu de "English Population History from
Family Reconstitution, 1580-1837; de E.A. Wrigley, R.S. Davies, J.E. Oeppen et R.S. Schofield. Le tableau
utilisé pour la population européenne est issu de "Population" de Jan De Vries, in T.A. Brady, H.A. Oberman
et J.D. Tracy, eds. Handbook of european history, 1400-1600, Vol. 1: structures and assertions.
[306] Profit inflation and industrial growth : the historic record and contemporary analogies.
David Felix - The Quarterly Journal of Economics, Vol. 70, No. 3 (Aug., 1956), pp. 441-463
Un des articles d'un opposant aux thèses de Earl Hamilton sur le lien entre l'essor du capitalisme, et le
développement industriel, et "l'inflation du profit" rendue par un écart grandissant entre le niveau des prix et
le niveau des salaires. Cette contreverse a sans douté été nourrie par une volonté de Hamilton d'expliquer ou
de justifier au XXe siècle l'effet bénéfique de l'inflation sur l'économie. L'article de David Félix manque
néanmoins de données nouvelles sur lesquelles il aurait pu construire une critique définitive des travaux
d'Hamilton. Il différencie en particulier l'évolution des prix agricoles de l'évolution des prix industriels, et
met en doute le transfert des gains "agricoles" vers le monde industriel.
[325] Journal d'un curé ligueur de Paris sous les trois derniers valois (suivi du journal du sécrétaire
de Philippe du Bec, archévêque de Reims, de 1588 à 1605)
Références 347
Jehan de La Fosse - Publié par Edouard de Barthélemy, Paris - Librairie académique, 1865
Journal d’un ligueur, mais réel témoignage de la vie à Paris lors des grands événements, ainsi que sur
l’information qui arrivait dans la capitale en provenance des provinces.
[326] Dialogue d'entre le maheustre & le manant: contenant les raisons de leurs débats & questions
en ces présents troubles au royaume de France.
François Cromé, sieur de Cromé - 1593
L'éditeur souligne à bon droit que le Dialogue n'est pas l'exposé le plus systématique ni le plus clair de la
pensée politique ligueuse, mais résume le débat politico-religieux tel qu'il s'exprimait en 1593, et surtout
constitue l'histoire la plus détaillée des Seize. Pamphlet en français, le Dialogue est dans la lignée des
productions ligueuses, qui visaient l'appui immédiat du peuple des villes plus que l'audience européenne, que
donnait le latin. (Bibliothèque de l'école des chartes, Année 1979, Volume 137, Numéro 1)
[327] Histoire en forme de Journal de ce qui s'est passé en provence depuis l'an 1562 jusqu'à l'an
1607
Foulquet Sobolis - Publié par le docteur F. Chavernac (d'Aix)
Les guerres de religion en Provence et la vie quotidienne vues par un bourgeois de la ville d’Aix. Quand il
raconte les épisodes de peste, son témoignage devient poignant.
[344] Voyage de Jerôme Lippomano, ambassadeur de Venise en France en 1577, par son secrétaire.
Jerome Lippomano – in [343], tome 2
[530] Pourtraictz de plusieurs hommes illustres qui ont flory en France depuis l'an 1500 jusques à
présent
Léonard Gaultier - A Paris, chez Jean le Clerc, rue Sainct-Jean-de-Latran. A la Salemandre.
10 Lexique
Boisseau : D’après [240], le 1/12 du setier de Paris, il contenait 16 litrons= 256 mesurettes, et est équivalent à
13,01 l.
Pour l’avoine le boisseau se divisait en 4 picotins ou 16 litrons, et valait 26 l (voir setier).
Pour le charbon, le boisseau (voir ci-après setier), valait 11,56 l.
Bichet : A Montereau, le bichet vaut deux boisseaux. Le bichet de froment pèse 40 livres, celui de méteil, 38
livres, de seigle, 36 livres, d’orge, 32 livres. Le setier du pays est de 8 bichets ou 16 boisseaux de Paris; le muid
est de 12 setiers, ils y ajoutent 4 bichets pour faire le compte juste de 100 bichets. Le muid de Montereau est de
16 setiers huit boisseaux de Paris. Le setiers de Paris étant de 12 boisseaux, et valant 156 l, le muid de
Montereau est de 192 x 156 / 12 = 2496 l. Le bichet est donc égal à 2496 / 96 = 26 l, ce qui correspond bien à
deux boisseaux comme indiqué ci-dessus.
[Dans [Traité de la Police …] ([259]) tome II, par M. Delamare, Amsterdam, 1729.]
Il est dit qu’à Provins on utilise deux sortes de boisseaux. Celui qui sert dans les marché pèse 24 livres, les dix
boisseaux font le setier, et les 120 le muid de Paris (au lieu de 144 boisseaux de Paris), le boisseau de Provins est
donc égal 1873 l/ 120 soit 15,6 l. Dans [240] il est indiqué pour le setier de Paris (en général 156 l), un poids de
240 livres pour le froment, ce qui correspond; mais le setier d’avoine faisait 312 l. (le double). Si on considère
que le bichet de Provins valait deux boisseaux de Provins, on aurait pour le bichet une valeur de 31,2 l.
Quand on a besoin d’avoir le poids d’un bichet de grain mesure de provins, on prendra les poids donnés pour
Montereau et on corrigera par le rapports des valeurs en l des bichets (31,2 l / 26 l).
Le carême est une période de jeûne de quarante jours que le christianisme a institué en référence aux quarante
jours de jeûne effectués par Jésus-Christ dans le désert. Il ne s'agit pas de quarante jours consécutifs, mais de
quarante jours ouvrables : le jeûne ne s'observe en effet pas le dimanche, la modération restant cependant
conseillée ce jour-là. Selon le comput de l’Église latine, le carême dure quarante jours du mercredi des cendres
au dimanche de Pâques. Pendant le carême l'alimentation doit être plus frugale et en particulier les aliments
animaux restreints.
L
350 Lexique
Livre : Une livre « poid de marc » (voir ce terme), valait 489,505 grammes. A Marseille (dans l’actuelle
départment des Bouches-du-Rhône), cette livre « poid de marc » n’était utilisée que par les orfèvres ([78]), on
distinguait deux « autres » livres, la « livre poids de romaine ou poids de table ou grand poids », qui était utilisée
pour le commerce de gros au-dessus de 20 livres, valaient 403 grammes, et la « livre poids de balance ou petit
poids », qui était utilisée pour le commerce de détail au-dessous de 20 livres, valait 380 grammes. Dans le Var,
le poids de marc n’était utilisé qu’à Toulon, on utilisait la « livre poids de table » qui valait 397,43 grammes.
Dans le Vaucluse enfin, on distingue aussi la « livre poids de gros » de la « livre poids de détail » ; leur valeur
était variable d’une commune à l’autre, mais se situaient aux alentours de 400 grammes pour la livre de poids de
gros, et aux alentours de 380 grammes pour la livre de poids de détail.
Muid (matières sèches): D’après [240], le muid de Paris était une monnaie de compte, l’unité de mesure étant
le boisseau.
Le muid de grain en général contenait 12 setiers (voir « setier »), et valait 1,87 m3.
Le muid d’avoine valait 3,746 m3 (voir « setier »).
Le muid de sel valait 2,497 m3 (voir « setier »).
Le muid de charbon de bois valait 4,162 m3 (voir « setier »).
Le muid de plâtre valait 936,6 l.
4-18 : La tapisserie de l’apocalypse de saint Jean – Angers (XIVe) © Château d’Angers .......................... 129
4-19 : Andronic II © Wikipedia ........................................................................................................................ 131
4-20 : Les séismes en France au XVIe et au XXe siècles © Marincic ............................................................ 132
4-21 : Intensités des séismes en France au XVIe et au XXe siècles © Marincic ........................................... 133
4-22 : Les séismes en France au XVIe © Marincic .......................................................................................... 134
4-23 : Carte du séisme de Nice de 1564, dressée par le marchand génois Francesco Megiol ©
Universitätsbibliothek, Erlangen, Allemagne ..................................................................................... 136
4-24 : Carte actuelle de la zone du séisme « Nissart » © Michelin................................................................. 137
4-25 : La lettre de Francesco Megiol © Universitätsbibliothek, Erlangen, Allemagne .............................. 139
4-26 : Effets sismiques autour de l’épicentre du séisme Nissart © [380]....................................................... 140
4-27 : Manuscrit de Lubonis relatant le séisme, conservé à la bibliothèque de Nice © [380] ..................... 143
4-28 : Carte macrosismique (Nice) © Bureau central sismologique français .............................................. 143
4-29 : Lyon © [415] ............................................................................................................................................. 144
4-30 : Tremblement de terre (Carmen de tristibus Galliae) © [321] ............................................................. 146
4-31 : Tours © [415] ........................................................................................................................................... 147
4-32 : Chartres © [415] ...................................................................................................................................... 150
4-33 : Carte macrosismique (Tours) © Bureau central sismologique français ........................................... 151
4-34 : Calais © [415] ........................................................................................................................................... 152
4-35 : Falaise effondrée à Douvres © Wikipedia ............................................................................................. 154
4-36 : Effets sismiques autour de l’épicentre du séisme de Calais © [379] ................................................... 155
4-37 : Carte macrosismique (Calais) © Bureau central sismologique français ........................................... 156
4-38 : Duc de Mercoeur © Atrium heroicum Caesarum, regum, [...] imaginibus [...] illustr[atum]. ......... 157
4-39 : Angers © [415] ......................................................................................................................................... 158
4-40 : Carte macrosismique (Angers) © Bureau central sismologique français ......................................... 161
5-1 : Pierre Brueghel l’ancien – Paysage d’hiver avec trappe aux oiseaux © Musées royaux des beaux-arts
de Belgique ............................................................................................................................................. 165
5-2 : Chasseurs dans la neige – Pierre Brueghel l’ancien © Kunsthistorisches Museum............................ 169
5-3 : Lanslevillard – Chapelle Saint-Sébastien © Marincic ........................................................................... 169
5-4 : Evolution des prix des céréales © Marincic ............................................................................................ 170
5-5 : Nombre de journées de travail pour 4 kg de blé à Paris © Marincic ................................................... 171
5-6 : Approvisionnement de Paris © Marincic ([157]) .................................................................................... 172
5-7 : Famine © [162] ........................................................................................................................................... 173
5-8 : Provins © Marincic.................................................................................................................................... 175
5-9 : Epidémie © [162] ...................................................................................................................................... 176
5-10 : Nombre de ville atteintes par la peste © Marincic .............................................................................. 177
5-11 : Indices du mouvement annuel des baptêmes en France © [162]......................................................... 177
5-12 : Indices du mouvement annuel des sépultures (hors calviniste jusqu’en 1685) en France © [162] .. 177
5-13 : Mouvement des baptêmes à Saint-Malo © [162] .................................................................................. 178
5-14 : Mouvement des baptêmes à Orléans © [162] ........................................................................................ 178
5-15 : Mouvement des baptêmes à Lilles et Strasbourg © [162] .................................................................... 178
354 Tables
12 Index
Aix, 139, 166, 167, 200, 215, 218, 331, 347 Beuckelaer, Joachim, 226, 261
Alberus, Erasmus, 21, 279 Bèze (de), Théodore, 12, 15, 16, 19, 21, 22, 25, 27, 28,
Allumettes du feu divin pour faire ardre les cœurs 29, 30, 33, 34, 36, 37, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 74,
humains en l’amour et crainte de Dieu, 86 87, 88, 90, 91, 283, 286, 290, 294, 296, 297, 305,
Ammien Marcellin, 120 318, 320, 321, 331, 333, 336, 337
Anaxagore de Clazomènes, 116, 117, 119, 279, 280 Blois, 60, 95, 150, 259, 317, 321, 322
Anaximène, 116, 117, 119, 279, 280 Bodin, Jean, 185, 226, 238, 239, 240, 243, 250, 253,
Angers, 114, 129, 133, 148, 157, 158, 159, 160, 161, Bolsec, Hierosme Hermes, 73, 86, 87, 88, 91, 287, 290,
Angleterre, 38, 71, 90, 121, 147, 152, 154, 185, 189, Bora (von), Katharina, 73
221, 236, 242, 248, 250, 251, 252, 254, 255, 256, Bordeaux, 150, 284, 285
257, 288, 289, 292, 298, 310, 313, 320, 322, 338, Borgo san Dalmasso, 141
Antiphon le Sophiste, 120 Bourbon (de), Louis 1er (Prince de Condé), 54, 55, 284
Aristote, 116, 117, 119, 121, 130, 131, 150, 155, 158, Braudel, Fernand, 176, 346
Arras, 153, 283, 294 Brown, Phelps, 250, 252, 342, 344
Avignon, 24, 166, 239, 331 Brueghel, Pierre, 165, 166, 169, 190, 217
Buffon (de), Georges-Louis Leclerc, 123
B
C
Badius, Conrad, 21, 27, 33, 46, 90, 294, 297, 333, 337,
338 Cabrière, 59
Baehrel, René, 200, 332 Calais, 126, 133, 148, 152, 153, 154, 155, 156, 303
Barnaud, Nicolas, 50, 57, 92 Calvin, Jean, 3, 12, 19, 47, 65, 69, 73, 74, 75, 77, 79, 87,
Barthelemy de Pise (Bartolomeo Rinonico), 21 88, 89, 90, 91, 100, 283, 287, 288, 289, 290, 291,
Baudouin, François, 86, 88, 283, 284 293, 294, 296, 297, 320, 321, 322, 324, 325, 327,
329, 332, 333, 334, 335, 336, 338
360 Index
Casteau (de), Lanceleau, 187, 292, 347 Fisher, Douglas, 257, 343
Castellion, Sébastien, 12, 13, 14, 289, 293, 337, 338 Flandres, 152, 236
Charles IX, 49, 87, 92, 95, 135, 171, 259, 260, 284, 305, Franklin, Benjamin, 122
Italie, 50, 92, 99, 119, 141, 221, 224, 228, 231, 236, Le deffensaire de la foy Chrestienne, avec le miroer des
237, 240, 242, 289, 290, 314, 324, 326, 345 Francs Taupins autrement nommez Luthériens, 79
Le monde à l'empire et le monde démoniaque, fait par
J dialogues, 29, 41, 43, 44
Le More, 185
Jodelle, Etienne, 75, 76, 82, 83, 303, 339
Le passavant – Epitre de maître Benoît Passavant à
Joseph l’hymnographe, 129
messire Pierre Lizet, 16, 19, 25, 29, 30, 33, 37, 41,
Juvenilia, 74
42, 45, 46, 333
Le requiescant in pace de purgatoire, fait par
K
dialogues, en manière de devis, 16, 17, 24, 27, 43,
Mayenne (de), Charles (duc de Mayenne), 95, 96, 97, 318, 320, 321, 322, 324, 325, 327, 329, 331, 332,
98, 100, 103, 104, 106 333, 334, 335, 336, 339, 340, 341, 343, 345, 346,
Médicis (de), Catherine, 50, 57, 83, 186, 231, 304, 338 347, 349, 350
Megiol, Francesco, 135, 136, 138, 139, 141 Pasquier, Etienne, 49, 308
Melanchton, 73 Passerat, Jean, 96, 308, 309, 318
Méré (de), Poltrot, 51, 52, 55 Passevent parisien respondant à Pasquin Romain , de
Mérindol, 59 la vie de ceux qui sont allez demeurer à Genève, et
Méthode contre les sectes, 87 se disent vivre de l’Evangile
Monaco, 136 faict en forme de dialogue, 64, 65, 68, 69, 70, 72, 74,
Montaigne, 254, 293, 313, 346 75, 79, 81
Montessus de Ballore (de), Ferdinand, 123 Peletier du Mans, Jacques, 45
Montpellier, 53, 216, 330 Pellevé (de), Nicolas, 98, 99, 309, 310
Moulins, 147 Pérou, 254
Munro, John H., 250, 256, 343, 345 Perron (du), Jacques Davy (cardinal), 11, 311
Perussis (de), Louis, 166, 331
N Peste, 113, 150, 171, 176, 177, 178, 283, 306, 347
Philopon, Jean, 130
Navarre (de), Antoine, 48, 287
Photius, 130
Necker (de), David, 20
Piène, 141, 142
Nice, 114, 135, 136, 138, 139, 142, 143, 331
Pithou, Pierre, 96, 313, 318
Nicéphore Grégoras, 130
Pleinte et prière de la France à Dieu, 64
Nicomédie, 120
Pline l’ancien, 120, 144, 314, 315
Nissart, 133, 137, 140
Poitiers, 150, 286, 308, 317, 318
Nostredame (de), César, 135, 136, 140
Pompéi, 118, 119, 120, 314
Nuremberg, 22, 138, 139
Porto Maurizio, 141
Pour la monarchie de Royaume contre la Division, 62
O
Pourtrait de la Ligue infernale, 95
Orléans, 17, 51, 85, 88, 100, 101, 147, 148, 150, 178, Propositions contentieuses entre le chevalier de
213, 216, 219, 230, 240, 241, 243, 283, 286, 288, Villegagnon, & maitre Iehan Calvin, concernant la
290, 291, 296, 310, 327 vérité de l’Eucharistie, 77, 78, 91, 334
Provence, 69, 91, 135, 166, 218, 224, 240, 331, 342,
P 343, 347
Provins, 147, 152, 169, 172, 173, 174, 175, 183, 200,
Paraphrase du chevalier de Villegagnon, sur la 201, 327, 331, 349
résolution des sacrements, de maitre Iehan Calvin, Psellos, 130
ministre de Genève, 91, 335 Purgatoire, 15, 16, 21, 24, 25, 26, 70, 90, 114, 296,
Paré, Ambroise, 176, 177 336, 342
Paris, 19, 42, 45, 46, 54, 76, 77, 82, 84, 85, 87, 88, 91,
95, 96, 98, 101, 103, 104, 107, 123, 152, 153, 169, Q
170, 171, 172, 174, 185, 186, 188, 190, 193, 205,
206, 208, 213, 215, 216, 218, 220, 222, 224, 227, Quarton, Enguerrand, 24
228, 230, 231, 234, 235, 241, 243, 248, 249, 250,
251, 253, 283, 285, 286, 287, 290, 291, 294, 297, R
298, 299, 303, 304, 305, 308, 310, 312, 313, 317,
Rangoni, Balthazar, 185
Index 363
Rapin, Nicolas, 96, 317 Strasbourg, 115, 178, 226, 283, 287, 288, 293, 294,
Réformation pour imposer silence à un certain bélitre 324
nommé Antoine Cathelan jadis cordelier en Albigeois, Stukeley, William, 122
47 Sutton, 155
Reid, Harry Fielding, 124
Remonstrance aux princes françoys de ne faire point T
la paix avec les mutins et rebelles, 72
Taggia, 141
Ronsard (de), Pierre, 11, 60, 62, 63, 68, 69, 75, 78, 79,
Taxe de la chancellerie romaine, 21, 337
81, 86, 283, 311, 317, 339
Taxe romaine, 23
Roquebillière, 136, 139, 140
Thevet, André, 186, 339
Rouen, 84, 152, 153, 155, 231, 297, 319, 321, 328
Toulouse, 65, 216, 239, 322, 324
Tours, 133, 146, 147, 148, 151, 155, 157, 237, 239,
S
308, 310
Saconay (de), Gabriel, 62, 66, 320 Tourterelle de vividité, 86
Sainctes (de), Claude, 86, 87, 320, 321 Traité de l'authorité du magistrat en la punition des
Saint Barthélemy, 49, 57, 82, 338 hérétiques, & du moyen d'y procéder, 12, 90
Saint-Jacques Valdeblore, 136 Tremblement de terre, 134, 144, 146, 157
Saint-Malo, 178 Tsunami, 121, 141, 154
Saint-Mathurin-sur-Loire, 157, 158
Saint-Priest d’Epignac (de), Pierre, 99, 100 V
Saltwood, 155
Vadersoltavlan, 71
San Andreas, 124
Vassy, 48, 55, 56, 63, 288
San Francisco, 124
Venanson, 136, 140, 142
San Remo, 141
Vésubie, 135, 140, 142
Sandwich, 155
Vésuve, 118, 120, 314, 315
Sanson, 185
Villefranche-sur-Mer, 136
Saorge, 141, 142
Villegagnon (de), Nicolas Durand, 62, 77, 78, 88, 91,
Satyres Chrestiennes de la cuisine papale, 22, 27, 28,
327, 328, 334, 335
29, 34, 41, 43, 47
Vintimille, 135, 136, 141, 142
Séisme, 116, 118, 119, 120, 121, 122, 124, 126, 127,
Viret, Pierre, 15, 16, 17, 19, 21, 24, 25, 26, 27, 29, 41,
129, 133, 135, 136, 137, 139, 140, 141, 143, 144,
43, 44, 90, 287, 329, 336
146, 148, 150, 152, 153, 154, 155, 157, 158, 160,
162
Z
Sénèque, 113, 114, 118, 119, 155, 314, 315, 323
Servet, Michel, 12, 287, 293, 323, 324, 325, 338 Zhang Heng, 116
Sisteron, 185, 331 Zwingli, 73
SMIG, 185, 193, 194, 202
Sobolis, Foulquet, 139, 166, 167, 347
Strabon, 119, 325, 326
364 Index