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AU-DELÀ DE LA PULSION DE POUVOIR

Derrida et la déconstruction de la souveraineté

Simone Regazzoni

Editions Lignes | « Lignes »

2015/2 n° 47 | pages 72 à 86
ISSN 0988-5226
ISBN 9782355261459
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Au-delà de la pulsion de pouvoir.
Derrida et la déconstruction de la souveraineté
Simone Regazzoni

« Ce que j’ai cherché à penser, sinon à


connaître, tout au long de ce chemin, c’est
la possibilité d’un im-possible au-delà de la
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pulsion de mort, au-delà de la pulsion de
pouvoir, au-delà de la cruauté et de la souve-
raineté, et un au-delà inconditionnel. Non pas
souverain mais inconditionnel. »
J. Derrida, États d’âme de la psychanalyse

Droit de vie et de mort


S’il y a une question qui domine le parcours plus directe-
ment politique de Derrida et qui au cours des années a acquis,
de plus en plus, importance et visibilité – jusqu’à en devenir la
question même du politique –, cette question est, précisément,
celle de la souveraineté, ou mieux, du pouvoir interprété comme
souveraineté, comme pouvoir souverain. La parution récente
du séminaire La Bête et le souverain ne peut que confirmer, et
éclaircir ultérieurement, cette hypothèse.
Pour s’orienter dans le labyrinthe de la déconstruction du
politique il faudrait donc suivre les pas de la souveraineté, ou
mieux, du fantasme de la souveraineté – parce que c’est ça, à
supposer qu’elle existe, la souveraineté, pour Derrida : un phan-
tasma. Ni spectre ni revenant, mais fantasme.
La question de la souveraineté, du fantasme de la souverai-
neté déliée de toute référence à l’idée foucaldienne de biopo-
litique, pose la déconstruction derridienne sur un chemin peu

1. Cf. S. Regazzoni, La Decostruzione del politico. Undici tesi su Derrida, Genova,


il Melangolo, 2006.

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fréquenté dans le panorama philosophico-politique contempo-


rain français ou d’inspiration française. Dans ce panorama, en
effet, même les philosophes qui ne suivent pas entièrement la
thèse élaborée par Foucault d’un passage du paradigme de la
souveraineté au paradigme de la biopolitique, mais qui travaillent
sur le point de croisement entre souveraineté et biopolitique
(c’est le cas d’Agamben) ou réinterprètent la biopolitique par
le paradigme de l’immunisation (c’est le cas d’Esposito), arti-
culent, en tout cas, leur pensée à partir de l’idée que la simple
vie naturelle – à supposer qu’elle existe – serait désormais au
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centre de toute procédure politique sans médiations ou filtres.
Or, Derrida n’a jamais souscrit, corrigé ou intégré la thèse
foucaldienne qui s’articule à partir d’une interprétation désé-
quilibrée et asymétrique de l’attribut de la souveraineté : le droit
de vie et de mort. Dans la déconstruction s’annonce une pensée
totalement différente de la souveraineté : car différente est la
reconstruction généalogique de l’idée de souveraineté ; diffé-
rente est l’idée même de souveraineté dans son lien à la vie et à
la mort ; différent, enfin, est l’objectif de la déconstruction qui
vise à tracer les coordonnés d’un espace im-possible au-delà du
principe et de la pulsion de pouvoir et qui, à partir de là, essaie
d’élaborer l’idée d’une force sans pouvoir.
Selon Foucault, l’essence de la souveraineté consisterait dans
le droit de faire mourir et de laisser vivre : voilà la signification la
plus précise du droit de vie et de mort. Et c’est bien à partir de
cette interprétation que Foucault pense le passage de la souve-
raineté à la biopolitique comme une sorte de rééquilibrage en
faveur de la vie. Le nouveau droit à l’époque de la biopolitque
serait celui de faire vivre et de laisser mourir (ou de rejeter dans
la mort). La déconstruction de la souveraineté opère à partir
d’une autre lecture du droit de vie et de mort en tant que préro-
gative de la souveraineté et cœur de l’organisme politique.

1. Cf. M. Foucault, LaVolonté de savoir (Histoire de la sexualité, I), Paris, Gallimard,


1976, p. 177-181 ; M. Foucault, « Il faut défendre la société », Paris, Seuil / Gallimard,
1997.

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Pour Derrida, comme pour Foucault, c’est le droit de tuer, la


peine de mort qui exprime l’essence du droit souverain de vie et
de mort ; toutefois, pour Derrida cela n’implique pas nécessai-
rement une asymétrie en faveur de la mort, parce que la preuve
de la mort est, paradoxalement, nécessaire à la vie même : elle
est une partie d’une économie sacrificielle dans laquelle est en
jeu une vie humaine qui vaut plus que la vie même. Voici le
nœud de la question où se soudent des éléments différents : l’on-
tologique, le théologique et le politique. Au cours du dialogue
avec Élisabeth Roudinesco, Derrida a affirmé :
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À la fois puissante et fragile, historique et non naturelle (c’est pour-
quoi me vient ici cette image d’alliage technique), cette soudure de
l’ontologie à la théologie politique de la peine de mort, c’est aussi
ce qui a toujours tenu ensemble, attenants ou maintenus dans un
même tenant, le philosophique (le métaphysique ou l’onto-théo-
logique), le politique (du moins là où il est dominé par une pensée
de la polis ou de l’État souverain) et un certain concept du « propre
de l’homme » : le propre de l’homme consisterait à pouvoir « risquer
sa vie » dans le sacrifice, à s’élever au-dessus de la vie, à valoir, dans
sa dignité, plus et autre chose que la vie, à passer par la mort vers
une « vie » qui vaut plus que la vie. […] La peine de mort serait
donc bien, comme la mort elle-même, le « propre de l’homme »
au sens strict.

La peine de mort en tant que prérogative de la souverai-


neté n’est pas un déséquilibre qui appartiendrait à une époque
passée, l’époque d’une souveraineté thanato-politique dont il
faudrait se libérer en coupant la tête au roi : elle est une partie
essentielle d’un procès d’indemnisation sacrificielle qui s’efforce
de restaurer la pureté d’une communauté saine et sauve,
indemne. Voici ce qui échappe à Foucault : la logique d’indem-
nisation sacrificielle de la souveraineté dans laquelle la mort
travaille au service de la vie – et donc une toute autre pensée

1. J. Derrida, É. Roudinesco, De quoi demain... Dialogue, Paris, Fayard /Galilée,


2001, p. 239.
2. Cf. J. Derrida, Foi et Savoir. Les deux sources de la « religion » aux limites de la
simple raison, Paris, Éd. du Seuil, 1996, coll. « Points », 2000, p. 46.

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de l’énigme du politique comme énigme de ce qu’on appelle


vie (bios ou zoé) si, comment écrit Derrida, « le vieux nom de vie
reste peut-être l’énigme du politique autour duquel nous tournons
sans cesse ». En analysant la souveraineté en tant qu’âme arti-
ficielle du Léviathan de Hobbes, Derrida définit précisément
la souveraineté comme machine de mort pour servir le vivant :

[...] la souveraineté est l’âme artificielle, l’âme, c’est-à-dire le prin-


cipe de vie, la vie, la vitalité, la vivance de ce Léviathan, c’est-à-dire
aussi de l’État […]. C’est comme une prothèse gigantesque destinée
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à amplifier, en l’objectivant hors de l’homme naturel, le pouvoir du
vivant, de l’homme vivant qu’elle protège, qu’elle sert, mais comme
une machine morte, voire une machine de mort, une machine qui
n’est que le masque du vivant, comme une machine de mort pour
servir le vivant.

Il ne faut pas attendre l’avènement de la biopolitique pour


que la vie et sa sauvegarde se placent au cœur de l’espace poli-
tique. La biopolitique n’est pas une invention moderne, la fin
du paradigme de la souveraineté dans l’histoire du politique :
elle est une articulation à l’intérieur d’un espace – l’espace de
la souveraineté – qui depuis toujours s’occupe essentiellement
non seulement de faire vivre, mais de sauver et potentialiser la
vie – en lui donnant, en se donnant, bien sûr, souverainement
la mort, dans le rêve de donner la mort à la mort. Bio-politique,
politique de la vie est un pléonasme, car le politique, en tant
qu’espace de l’Un communautaire et souverain, est depuis
l’origine un espace immunitaire ou mieux – pour utiliser une
formule derridienne – co-immunitaire visant à sauvegarder la
vie, un espace bio-thanato-politique.
Cette économie souveraine de la vie dans laquelle travaille
la mort s’inscrit à l’intérieur de ce que Derrida définit comme
le paradigme auto-immunitaire de la communauté – sans d’ail-
leurs l’épuiser. Parce que c’est précisément l’auto-immunité

1. J. Derrida, Voyous. Deux essais sur la raison, Paris, Galilée, 2003, p. 22.
2. J. Derrida, Séminaire. La bête et le souverain.Volume I (2001-2002), Paris, Galilée,
2008, p. 53.

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qui hante la communauté, comme hyperbole de sa possibilité,


qui déconstruit la souveraineté.

Le fantasme, le principe, la pulsion


Venons maintenant au fantasme. Au fantasme qui est la
souveraineté. À plusieurs reprises, dans Inconditionnalité ou
souveraineté – texte d’une conférence prononcée à Athènes
en 1999 – Derrida définit la souveraineté comme fantasme.
La souveraineté serait un fantasme archaïque et puissant ;
un fantasme qui ne cesse pas de revenir du fond de l’histoire
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onto-théologique de l’Occident, et dont la nature théologique
demeure même là où la souveraineté devient pouvoir d’autodé-
termination du peuple :

Marx a sans doute raison – écrit Derrida –, dans sa Critique de la


philosophie de l’État de Hegel, de distinguer entre deux concepts de
souveraineté, la souveraineté du monarque ou celle du peuple.
« Souveraineté du monarque ou souveraineté du peuple, voici la question »,
dit-il. Il a aussi raison de dire qui il y a là deux concepts de la souve-
raineté, distincts comme la souveraineté divine ou la souveraineté
humaine. Mais malgré cette différenciation justifiée, je persiste
à croire que la filiation théologique de la souveraineté demeure
même là où on parle de liberté et d’autodétermination populaire.

Autrement dit : « théologie politique inavouée, et tout aussi phal-


locentrique, phallo-paterno-filio-fraterno-ispocentrique, de la souve-
raineté du peuple – en un mot de la souveraineté démocratique. »
La souveraineté serait donc un «  principe-phantasme
archaïque  », un principe de pouvoir d’origine théologique, plus

vieux que sa théorisation moderne et les formules qui, entre


la fin du Moyen Âge et la modernité, commencent à désigner
le souverain comme principe de l’ordre juridico-politique (rex
in regno suo est imperator regni sui ; ille qui est supremus non potest

1. J. Derrida, Inconditionnalité ou souveraineté. L’Université aux frontières de l’Europe,


Athènes, Éditions Patakis, 2002, p. 60
2. J. Derrida, Voyous, op. cit., p. 38.
3. J. Derrida, Inconditionnalité ou souveraineté, op. cit., p. 50.

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habere alium supra se ; nullus est maior imperator). Un principe


toujours lié à la logique de l’arché c’est-à-dire au fantasme
du principe de pouvoir, du lieu du commandement et de la
force, de l’origine absolue d’où tout vient, de la cause première
rassemblée en soi, auprès de soi, dans le rêve d’une jouissance
pleine et pure de soi-même comme jouissance vitale. Les racines
de la souveraineté s’enfoncent, pour Derrida, dans la Grèce
ancienne et remontent au moins à Hésiode, dont la Théogonie
inaugure le cycle théologico-politique et phallocentrique de la
souveraineté.
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Or, quand Derrida parle de la souveraineté comme d’un
principe-fantasme ou d’un fantasme de toute-puissance, il ne
renvoie pas aux revenants ou aux spectres évoqués dans Spectres
de Marx. Le terme fantasme évoque la dimension d’imagination,
de simulacre, d’illusion extrêmement puissante (« illusion autar-
chique du sujet souverain » écrivait Derrida dans La Dissémination)
o como
ou de « fiction onto-théologique » de la souveraineté. Autrement operación
dit : la souveraineté n’existe pas – sinon comme fiction ou metafísíca
fantasme théologico-politique et phallocentrique.

Car dans l’humanité, du moins – écrit Derrida –, la souveraineté


n’a jamais marché qu’au fantasme, qu’il s’agisse de l’État-nation,
de son chef, du roi ou du peuple, de l’homme ou de la femme,
du père ou de la mère. Elle n’a jamais eu d’autre motif ou d’autre
mobile, ladite souveraineté, que ce vieux fantasme qui la met en
mouvement. Fantasme tout-puissant, certes, car fantasme de toute-
puissance. « Souveraineté » n’a jamais traduit, si l’on préfère des
langues plus précieuses ou plus savantes, que la violence performa-
tive qui institue en droit une fiction ou un simulacre. Qui voudrait
faire croire, et qui, en la souveraineté ? en la souveraineté de quoi
que ce soit ou de qui que ce soit, l’État-nation, le Peuple, le Roi,
la Reine, le Père ou la Mère ? Par exemple.

1. Cf. J. Derrida, Voyous, op. cit., p. 38.


2. J. Derrida, La Dissémination, Paris, Éd. du Seuil, 1972, coll. « Points », p. 362.
3. J. Derrida, Voyous, op. cit., p. 12.
4. J. Derrida, Papier Machine, Paris, Galilée, 2001, p. 328.

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En greffant l’analyse derridienne de la souveraineté sur celle


du phallique et de son phantasme élaboré dans les pages de
Foi et savoir, on pourrait dire que le principe-fantasme de la
souveraineté est un fantasme d’érection phallique et puissance
vitale-mortelle absolues, un fantasme ou le fantasme fallogo-
centrique de l’érection d’un pouvoir qui dépasse tous les autres.
Mais cette érection fantasmatique et phallique ressemble, dans
son automaticité colossale, à un fétiche, au redoublement d’un
corps qui, pour être ce qu’il est – présence de présence à soi
–, doit déjà se détacher de soi-même et se dédoubler dans le
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mouvement même de sa propre auto-position comme auto-
appropriation de soi.
Le pouvoir souverain s’élève et s’érige, se gonfle de toute
sa puissance vitale-mortelle à partir de ce détachement de soi,
de cette césure ou castration : il s’érige pour se défendre et se
protéger de cette césure qui est à la fois ressource et menace
de sa propre érection – menace de castration et de mort. La
castration, comme la mort, est en jeu depuis l’origine comme
jeu et césure dans la possibilité ou dans la puissance du présent
et du présent vivant :

Castration – en jeu de toujours – et présence à soi du présent. […]


Le présent ne se présente comme tel qu’en se rapportant à soi, il ne
se dit comme tel, il ne se vise comme tel qu’à se diviser, en se pliant
à soi dans l’angle, dans la brisure […]. Dans le déclenchement. La
présence n’est jamais présente. La possibilité – ou la puissance – du
présent n’est que sa propre limite, son pli intérieur, son impossibi-
lité – ou son impuissance. Tel aura été le rapport entre l’en-jeu de
castration et la présence.

La déconstruction de la souveraineté dépasse, donc, les


frontières du texte dans le sens étroit du terme (philoso-
phique, poétique, politique, théologique, etc.) – les frontières
de la bibliothèque de la vieille Europe. Derrida ne se limite
pas, en effet, à reconstruire la généalogie onto-théologique du
1. Cf. J. Derrida, Foi et savoir, op. cit., p. 72-75.
2. J. Derrida, La Dissémination, op. cit., p. 367.

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fantasme de la souveraineté depuis les textes poétiques et philo-


sophiques de la Grèce archaïque et classique : il traque les forces
qui donnent forme à ces figures poético-politiques et philoso-
phico-politiques. Autrement dit : la déconstruction derridienne
de la souveraineté se préoccupe de l’articulation entre le texte
dans le sens étroit du terme et le texte général comme texte
politique, historique, pulsionnel.
À l’arrière-plan de l’analyse micrologique des figures onto-
théologico-politiques de la souveraineté, Derrida trace le profil
plus général d’un phénomène qui a la forme d’un mouve-
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ment circulaire d’auto-constitution et auto-détermination de pero cómo es
soi, dont les langues indo-européennes portent trace dans les esto en la
termes désignant à la fois l’identité et le pouvoir. C’est dans teogonía ?
ce mouvement circulaire d’auto-détermination de soi, dans
cette prise de possession de soi-même, que s’érige le fantasme
de la puissance souveraine. Au-delà donc de la souveraineté
comme principe de pouvoir, Derrida nous indique une pulsion
de pouvoir ou de souveraineté qui est aussi une pulsion d’ipséité.
Voici le cœur de la question pour Derrida :

[...] il y aurait donc le concept de pulsion de pouvoir – c’est-à-dire deseo


de l’habilitation, du « je peux », I can ou I may, et en particulier du
pouvoir performatif […]. Cette pulsion de pouvoir annonce sans
doute, avant et au-delà de tout principe, avant et au-delà même
de tout pouvoir (le principe étant le pouvoir, la souveraineté du
pouvoir), l’un des lieux d’articulation du discours psychanalytique
freudien avec les questions juridiques et politiques en général, avec
tout ce qui concerne les données inédites, aujourd’hui, de cette
double problématique de la souveraineté et de la cruauté.

Le fantasme de la souveraineté dans toutes ses formes prend


corps à partir d’une pulsion, la pulsion de pouvoir ou de souve-
raineté qui est aussi une pulsion d’ipséité où se lient indissolu-
blement le pouvoir du « je peux », l’être soi d’un soi et l’élément
compulsión viril. Dans Voyous, en parlant de la « compulsion » de souverai-
neté, Derrida précise :
1. J. Derrida, État d’âme de la psychanalyse, Paris, Galilée, 2000, p. 47-48.
qui rest inexpliqué; la pulsión de poder no explicitada, el deseo
presupuesto pero no explicado, es la presuposición de la violencia
y del deseo como violencia; ahora bien, eso es algo así como un
asidero, como un punto de apoyo, esto es, como un fundamento
no cuestionado del diagnóstico

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[...] qui est aussi, rien de moins, celle de l’ipséité même, du même
du soi-même (meisme, de metipsissimus, meisme), ipséité qui comporte
en soi, comme l’étymologie le confirmerait aussi, la position de
pouvoir androcentrée du maître de céans, la maîtrise souveraine
du seigneur, du père ou de l’époux, la puissance du même, de l’ipse
comme soi-même.

S’il y a un au-delà de la pulsion de pouvoir ou de souverai-


neté, cela ne se donne que dans la dimension de l’im-possible,
c’est-à-dire de ce qui reste étranger à l’ordre de mes possibles et
du « je peux » (donc du performatif), et que Derrida appelle, par
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une formule paradoxale, ou mieux impossible, inconditionnalité
sans souveraineté. L’au-delà du principe de pouvoir et, plus radi-
calement, l’au-delà de la pulsion de pouvoir comme pulsion de
souveraineté et d’ipséitè se donne à partir de la déconstruction
de la pulsion de souveraineté par l’exigence d’inconditionnalité.

L’hyperbole impossible de la souveraineté


Dans Voyous, à propos des concepts d’inconditionnalité et
de souveraineté, Derrida parle d’une alliance, ou d’une indis-
sociabilité, et d’une nécessité de distinction – bien que difficile
et fragile, à la limite im-possible : « Il est plus im-possible, et pour-
tant nécessaire, de dissocier souveraineté et inconditionnalité. » Par
un geste hyperbolique, et plus qu’hyperbolique, il s’agirait de
distinguer deux concepts indissociables pour les déconstruire :
l’un dans le nom de l’autre : la souveraineté au nom de l’incon-
ditionnalité, la pulsion de souveraineté au nom de l’exigence
d’inconditionnalité :

Il ne s’agirait pas seulement de dissocier pulsion de souveraineté


et exigence d’inconditionnalité comme deux termes symétrique-
ment associés, mais de questionner, de critiquer, de déconstruire,
si vous voulez, l’une au nom de l’autre, la souveraineté au nom de
l’inconditionnalité. Voilà ce qu’il s’agirait de reconnaître, de penser,
de savoir raisonner, si difficile ou improbable que cela paraisse,

1. J. Derrida, Voyous, op. cit., p. 196.


2. Ibid., p. 123.

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si im-possible même. Mais il y va justement d’une autre pensée du


possible (du pouvoir, du « je peux » maître et souverain, de l’ipséité
même) et d’un im-possible qui ne serait pas seulement négatif.

L’indissociabilité entre la souveraineté et l’inconditionna-


lité relève du fait que l’inconditionnalité est une prérogative
essentielle de la souveraineté : l’inconditionnalité de la souve-
raineté est son être absolu, elle exprime son droit (au-delà du
droit) à l’exception, droit à suspendre la loi en décidant de
l’exception. Ce droit n’est soumis à aucune condition : c’est
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l’inconditionnalité même de la souveraineté comme arché qui
s’auto-détermine absolument par soi-même. La souveraineté
présuppose par définition l’inconditionnalité et elle est condi-
tionnable seulement à partir d’un choix libre et inconditionnel
des limites qui peuvent la conditionner.
Comment peut-on dissocier, donc, deux concepts insépa-
rables ? Comment déconstruire, donc, la souveraineté ?
La déconstruction de la souveraineté au nom de l’incon-
ditionnalité prend la forme d’une radicalisation hyperbolique,
bataille et paradoxale, de la souveraineté. La figure et la logique de
l’hyperbole sont évoquées par Derrida dans un passage de
L’Université sans condition. L’université serait, exemplairement,
le lieu de la déconstruction de la souveraineté et l’institution qui
donne corps à l’inconditionnalité sans souveraineté. D’un côté,
l’université est le lieu où la déconstruction de la souveraineté
agit comme radicalisation de ce qui est en cours dans le monde.
De l’autre, l’université est aussi le lieu où l’inconditionnalité
hyperbolique et impossible, l’inconditionnalité sans la souve-
raineté, prend corps :

Il faut y insister encore : si cette inconditionnalité constitue, en


principe et de jure, la force invincible de l’université, elle n’a jamais
été, en fait, effective. En raison de cette invincibilité abstraite et
hyperbolique, en raison de son impossibilité même, cette incon-
ditionnalité expose aussi une faiblesse ou une vulnérabilité. Elle
exhibe l’impuissance de l’université, la fragilité de ses défenses

1. Ibid., p. 197.

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82 Au-delà de la pulsion de pouvoir.

devant tous les pouvoirs qui la commandent, l’assiègent et tentent


de se l’approprier. Parce qu’elle est étrangère au pouvoir, parce
qu’elle est hétérogène au principe de pouvoir, l’université est aussi
sans pouvoir propre.

L’université est une figure de l’inconditionnalité sans


souveraineté parce qu’en elle la souveraineté prend une forme
absolue, hyperbolique, à la limite im-possible. La dissociation
de souveraineté et inconditionnalité passe par une radicalisation
hyperbolique de la souveraineté qui, poussée au point le plus
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pur d’inconditionnalité, dans la plus pure abstraction de toute
condition, perd toute défense et se transforme en faiblesse et
vulnérabilité absolues. L’inconditionnalité de la souveraineté
est en même temps, donc, indissociable de la souveraineté et
hyperbole déconstructive de la souveraineté comme reddition
sans condition, reddition inconditionnelle.
Tout se passe alors comme si le pouvoir absolu de la
souveraineté trouvait son accomplissement hyperbolique et
sa déconstruction dans la faiblesse ou dans la vulnérabilité.
Derrida ne cite pas les mots de Saint Paul (« la puissance s’ac-
complit dans la faiblesse [he gàr dýnamis en astheneia teleîtai] ») ;
mais il est évident que, à travers Kierkegaard et Benjamin, cette
formule hante le fond du texte derridien.
Le pouvoir absolu, absolument sans condition, absolument
et purement rendu à soi, devient reddition inconditionnelle,
im-pouvoir – voici le cœur du pouvoir que le pouvoir ne peut
pas se réapproprier : son im-pouvoir constituant comme force
déstructurante. La formule sans la condition en tant qu’attribut
de l’université dit précisément cette absence de pouvoir qui
expose l’université à tous les risques :

Et je dis « sans condition » autant que « inconditionnelle » pour


laisser entendre la connotation du « sans pouvoir » ou du « sans
défense » : parce qu’elle est absolument indépendante, l’univer-
sité est aussi une citadelle exposée. Elle est offerte, elle reste

1. J. Derrida, L’Université sans condition, Paris, Galilée, 2001, p. 18.

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à prendre, souvent vouée à capituler sans condition. Partout où


elle se rend, elle est prête à se rendre. Parce qu’elle n’accepte
pas qu’on lui pose des conditions, elle est parfois contrainte,
exsangue, abstraite, à se rendre aussi sans condition.
L’inconditionnalité sans souveraineté est donc l’impossible.
Mais l’impossible n’est pas ici une dimension négative : l’impos-
sible signale l’ouverture au cœur de la souveraineté d’un espace
d’im-pouvoir ayant la force de s’exposer sans condition à l’événe-
ment de l’autre, la force de se rendre vulnérable.
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Force faible
S’il est vrai que l’inconditionnalité sans pouvoir risque
toujours de se transformer en reddition inconditionnelle au
pouvoir, il n’en reste pas moins qu’elle porte en soi une force
sans pouvoir – force faible ou force de la faiblesse. Parce que
l’inconditionnalité est sans pouvoir, mais elle n’est pas sans force :

C’est une inconditionnalité sans souveraineté, c’est-à-dire au fond


une liberté sans pouvoir. Mais sans pouvoir ne veut pas dire « sans
force ». [...] sans pouvoir mais sans la faiblesse. Sans pouvoir mais non
sans force, fût-ce une certaine force de la faiblesse. Loin de se retirer
derrière les frontières sûres d’un champ, d’un camp, d’un campus
inoffensif et protégé par d’autorités invisibles, cette pensée de
l’Université doit préparer, de toutes ses forces, une nouvelle stra-
tégie et une nouvelle politique, une nouvelle pensée du politique.

Mais qu’est-ce que cette force faible qui annonce une


nouvelle pensée du politique ? C’est la force sans pouvoir
comme force d’exposition inconditionnelle à ce qui arrive et à
qui arrive ; c’est la force de se rendre vulnérables à l’autre, de
la laisser ou de le laisser venir avant même de la faire/le faire
venir. Seulement à condition de cette inconditionnelle exposi-
tion, de cette vulnérabilité exposée, de cette reddition à l’autre,
il y a possibilité pour l’impossible : possibilité pour l’événement
impossible dont la venue dépasse le pouvoir du performatif
1. Ibid., p. 18-19.
2. J. Derrida, Inconditionnalité ou souveraineté, op. cit., p. 64.

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et se confie plutôt à l’inconditionnalité d’une ouverture. Une


politique de l’événement, s’il y en a, politique de ce qui arrive
et de qui arrive, politique de l’à-venir de ce qui et de qui arrive,
ne peut pas simplement être une politique de la puissance et du
pouvoir. Parce que le pouvoir annule l’événement.
Le pouvoir ne peut l’impossible de l’événement – il lui en
manque la force – parce qu’il pense et agit seulement dans les
limites du possible, de ce qu’il peut. Le pouvoir efface l’à-venir
de l’événement – et donc efface l’à-venir tout court.
Ce qu’il faut c’est une force sans pouvoir, le courage d’une
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force vulnérable pour laisser venir l’à-venir.

Cette force vulnérable – écrit Derrida – cette force sans pouvoir


expose inconditionnellement à (ce) qui vient et qui vient l’affecter.
La venue de cet événement excède la condition de maîtrise et l’au-
torité conventionnée de ce qu’on appelle le « performatif ».

Cette force vulnérable ou force faible est ce que Derrida


appelle aussi « messianique sans messianisme » ou « messianicité
inconditionnelle » entendue comme structure universelle de
l’expérience, « exposition non performative à ce qui vient ». Je
ne peux pas aborder ici la question du rapport entre la force
faible dont parle Derrida dans son lien au messianique sans
messianisme et la « faible force messianique » de Benjamin. Je me
limite à dire que la force faible évoquée par Derrida renvoie,
plutôt qu’à l’affaiblissement de la force messianique, à l’affai-
blissement du pouvoir de défense de l’ipséité. Et c’est ici que
la force faible et la structure du messianique sans messianisme
s’entrelacent avec le paradigme de l’auto-immunité comme
hyperbole de la possibilité de la communauté souveraine :
« L’auto-immunitaire hante la communauté et son système de survie
immunitaire comme l’hyperbole de sa propre possibilité. »

1. J. Derrida, Voyous, op. cit., p. 13-14.


2. J. Derrida, Marx & Sons, Paris, PUF / Galilée, 2002, p. 70.
3. J. Derrida, Voyous, op. cit., p. 132.
4. J. Derrida, Foi et savoir, op. cit., p. 71.

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Or l’hyperbole auto-immunitaire abîme le pouvoir immu-


nisant comme condition de possibilité de la communauté
souveraine. Mais c’est seulement à partir de cette auto-immu-
nité qui hante le cœur de toute communauté souveraine en
tant qu’hyperbole de sa propre possibilité qu’il y a ouverture
pour l’altérité réelle, pour l’événement de l’autre, exposition
sans condition, c’est-à-dire sans pouvoir et sans défense, à
l’altérité réelle de (ce) qui vient : pour le mieux comme pour
le pire. Pas d’événement, en effet, sans possibilité ouverte du
mal radical.
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Avec l’immunité absolue, qui est le phantasme de toute
communauté souveraine, plus rien n’arriverait – même pas la
vie, surtout pas la vie si, comme on sait, la reproduction de la
vie dans les mammifères, de la conception à l’accouchement,
a lieu dans un espace qui est interdit au système immunitaire.

Si un événement digne de ce nom doit arriver, il lui faut,


au-delà de toute maîtrise, affecter une passivité. Il doit toucher
une vulnérabilité exposée, sans immunité absolue, sans indem-
nité, dans sa finitude et de façon non horizontale, là où il n’est
pas encore ou déjà plus possible de faire face, et de faire front,
à l’imprévisibilité de l’autre. À cet égard, l’auto-immunité
n’est pas un mal absolu. Elle permet l’exposition à l’autre, à ce
qui vient et à qui vient – et doit donc rester incalculable. Sans
auto-immunité, avec l’immunité absolue, plus rien n’arriverait.

1. L’existence de ce « privilège immunologique » avait été attribuée, il y a plus de


cinquante ans, à la présence de barrières anatomiques ; or en 1995 on a décou-
vert que sur la frontière de cet espace qui a, comme on dit, le « privilège immu-
nologique », il a une barrière constituée de cellules qui déclenchent le suicide des
combattants du système immunitaire. Pour le dire avec les mots de Jean Claude
Ameisen : « Nous sommes les descendants de ceux qui ont, un jour, par hasard, fermé
ces territoires au système immunitaire. […] Aussi étrange que cela puisse paraître, notre
corps et notre système immunitaire sont engagés dans un combat mutuel. Et ce sont les
chants de la mort qui sont les véritables gardiens des sanctuaires » (J. C. Ameisen, La
Sculpture du Vivant. Le Suicide cellulaire ou la Mort créatrice, Paris, Éd. du Seuil,
coll. « Points », 2003, p. 216).

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86 Au-delà de la pulsion de pouvoir.

On n’attendrait plus, on ne s’attendrait plus, on ne s’attendrait


plus l’un l’autre, ni à aucun événement.

L’auto-immunité est le risque absolu du mal – mais elle n’est


pas le mal absolu : elle est ce qui permet l’exposition incondi-
tionnelle à l’altérité réelle de l’autre. Elle donne la chance de
désarmer l’espace ipso-crato-phallogocentrique de la commu-
nauté politique. Elle ouvre au cœur du commun l’espace d’une
vulnérabilité, d’une passivité qui a la force faible de laisser venir
l’autre, la dýnamis sans pouvoir de khôra.
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Si le pouvoir est le pouvoir de produire, d’inventer ou de
faire venir, en un mot le pouvoir du performatif souverain, la
force de la faiblesse est précisément la force de s’exposer au
risque de laisser venir l’autre, l’événement de l’autre comme le
réel impossible.

1. J. Derrida, Voyous, op. cit., p. 210.

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