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TRIZ : l’approche altshullerienne

de la créativité

par Denis CAVALLUCCI


Ancien élève de l’École Nationale Supérieure en Génie des Systèmes Industriels (ENSGSI)
Enseignant/Chercheur à l’École Nationale Supérieure des Arts et Industries de Strasbourg
(ENSAIS)

1. La créativité envisagée sous l’angle d’une science exacte ? ....... A 5 211 - 2


2. TRIZ et ses concepts fondamentaux ................................................... — 3
2.1 Notion de résultat idéal final (RIF) .............................................................. — 3
2.2 Notion de contradiction ............................................................................... — 4
2.3 Inertie psychologique................................................................................... — 5
2.4 Cinq niveaux d’inventivité ........................................................................... — 6
3. Lois d’évolution des systèmes techniques........................................ — 7
3.1 Lois statiques ................................................................................................ — 7
3.2 Lois cinématiques......................................................................................... — 8
3.3 Lois dynamiques .......................................................................................... — 9
3.4 Conclusion sur les lois d’évolution ............................................................. — 9
4. Quelques outils TRIZ................................................................................ — 9
4.1 Matrice de résolution des contradictions technologiques........................ — 9
4.2 Vépoles (ou analyse substance-champ) ..................................................... — 10
4.3 Opérateurs DTC ............................................................................................ — 13
4.4 Méthode des hommes miniatures .............................................................. — 14
5. ARIZ, l’algorithme de TRIZ ..................................................................... — 14
6. TRIZ et les approches traditionnelles ................................................. — 16
6.1 TRIZ et l’analyse de la valeur....................................................................... — 18
6.2 Vers une méthode de conception totale..................................................... — 18
Références bibliographiques .......................................................................... — 18

T RIZ, quatre lettres occidentalisées au même titre qu’une théorie qui n’a pas
fini de nous surprendre. À l’origine TRIZ (en cyrillique) est l’acronyme de
TRPI ou « Théorie de la résolution des problèmes d’innovation ». Dès lors, le pre-
mier réflexe de nos esprits (habitués à l’arrivée successive ces dernières années
de quelque 200 outils et méthodes) est la suspicion. Encore une nouvelle
méthode ! Ces quelques pages, je l’espère, amèneront le lecteur à « penser
autrement ». En fait, le titre de cet article indique que TRIZ ne se classe ni dans
les outils, ni dans les méthodes. TRIZ est une théorie, une nouvelle façon d’abor-
der le problème de la créativité et les 46 années de recherches ayant contribué à
sa mise au point en font aujourd’hui une théorie représentant à elle toute seule,
une discipline.
À en croire les spécialistes TRIZ, ceux que Christine Snyder surnomme les
« sorciers », de longues années de pratique sont nécessaires pour monter effica-
cement en compétence dans la mise en œuvre de la théorie. Néanmoins, ce que
nous allons, au travers de cet article, tenter de faire comprendre au lecteur, c’est
qu’avoir une vision globale de la « sphère » TRIZ est relativement simple.

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TRIZ : L’APPROCHE ALTSHULLERIENNE DE LA CRÉATIVITÉ ______________________________________________________________________________________

Comprendre ses principales composantes, les outils qu’elle renferme, les


notions essentielles qu’elle prône, tout cet ensemble vu au travers de quelques
exemples industriels concrets peuvent représenter une première approche et
susciter chez le lecteur, l’envie d’aller plus loin.
Nota : le lecteur pourra notamment se reporter en bibliographie aux références [4] [7] et [16].

1. La créativité envisagée ● Analyse des comportements psychologiques des inventeurs


Quelles méthodes employaient Thomas Edison, Léonard de Vinci,
sous l’angle Pasteur ou encore les frères Wright, William Gordon, et bien
d’autres, pour parvenir à une invention ? S’inspirer de leur expé-
d’une science exacte ? rience, leurs erreurs, leur génie.
Exemple : une analyse approfondie de la méthode des essais et
des erreurs utilisée par Thomas Edison nous amène à mieux compren-
La première erreur que l’on commet en tentant de comprendre ce dre le lien entre la difficulté d’un problème et le nombre d’essais à réa-
qu’est TRIZ est de croire que c’est une simple analyse de brevets, liser avant d’espérer parvenir à la solution [2].
organisée certes, mais où l’on puise des solutions toutes faites
ayant déjà été mis en œuvre par d’autres. Plus encore, on risque ● Analyse des outils et méthodes existantes
d’être déçu si on attend de TRIZ des solutions toutes faites, comme L’analyse fonctionnelle, l’AMDEC (Analyse de modes de
par magie. En allant un peu plus loin, on distingue vaguement quel- défaillance, de leurs effets et de leur criticité), le brainstorming, la
ques principes fondamentaux d’innovation, quelques lois d’évolu- synectique, etc., tous sont analysés, pour être revus, parfois avec
tion des systèmes techniques et on est persuadé de ne jamais certains compléments, pour devenir des outils qui s’intègrent parfai-
pouvoir localiser tous les problèmes industriels dans 40 principes et tement dans la structure de TRIZ.
8 lois. Dès lors, on incrimine l’exagération naturelle qu’ont eu les Exemple : la synectique de William Gordon est étudiée et la
Américains de prétendre que cet outil allait révolutionner notre uni- méthode de petits hommes qu’il expose dans un de ses ouvrages [8]
vers industriel. TRIZ est alors rangé au niveau des quelques dizaines est complémentée par d’autres caractéristiques permettant d’en faire
d’outils et méthodes annoncés comme révolutionnaires et ayant un outil intéressant (la méthode des hommes miniatures, § 4.4), plus
déçu. proche des réalités industrielles, pour l’inventeur en phase de recher-
Pour bien comprendre l’idée première d’Altshuller, il est indispen- che d’idées.
sable de revenir à l’origine de ses travaux (figure 1). Les brevets ne ● Analyse de la littérature scientifique
sont pas à eux seuls la source des analyses d’Altshuller.
Ce secteur de la littérature renferme une mine d’or de renseigne-
■ Ses travaux trouvent leur origine dans quatre domaines ana- ments sur les résolutions potentielles des problèmes industriels. Le
lysés. seul inconvénient est la manière dont est structuré un ouvrage trai-
tant des effets scientifiques. Il est soit très exhaustif à propos d’un
● Analyse des brevets effet particulier (domaine de la recherche), soit de vulgarisation où
Dans ce domaine, Altshuller n’a pas observé le brevet en tant sont listés un nombre important d’effets souvent classés dans leur
qu’objet ou appareil. Il l’a observé en tant que résultante d’une ordre alphabétique ou par sous-familles des secteurs de la physi-
démarche générique qui, selon lui, est bien plus riche d’enseigne- que, de la chimie et de la géométrie.
ment que l’objet lui-même. Sa démarche d’analyse fut, dès lors, Altshuller a alors mis au point une routine de recherche du type
orientée vers les composantes du descriptif du brevet à savoir : « base de données » permettant de retrouver une liste d’effets
— Quelles sont les substances en présence ? potentiels en fonction d’une configuration spécifique de problème à
résoudre.
— Comment sont-elles interreliées ?
— Quels sont les champs observés ? Exemple : si le problème posé se résume à une mesure thermique,
nos connaissances individuelles (ou même regroupées) vont nous per-
— Dans quelles configurations était le système avant le dépôt ? mettre d’en établir une liste d’une dizaine (piézoélectrique, mercure...).
— De quel niveau d’inventivité s’agit-il ? Les bases de données effets d’Altshuller vous en offriront une quaran-
— Quel conflit l’inventeur a résolu ? et comment ? taine (fibre optique, effet Kondo, thermostriction...).

Analyse
des brevets

Analyse des
comportements Notions essentielles
psychologiques
des inventeurs
Lois d'évolution des
systèmes techniques
Analyse des outils
et méthodes
existantes Outils

Analyse de la
littérature
scientifique Figure 1 – Les quatre sources des travaux
d’Altshuller

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Exemple : une solution de la chimie permet de résoudre un pro-


Historique blème de la mécanique : l’attaque chimique des surfaces des emprein-
tes des outillages d’injection plastique pour créer un état de surface
Genrich Saoulovich Altshuller (né en 1926) a 15 ans lorsqu’il marbré sur les pièces moulées.
est remarqué, dans l’ex-URSS, par les services d’expertise en
● Les analyses mettent en évidence des principes fondamentaux
brevet d’invention de la marine russe. Il est alors dépositaire
d’un brevet permettant à un engin sous-marin d’évoluer grâce à simples et des effets physiques, chimiques ou géométriques dispo-
du carbure. Dès lors, la marine décide d’en faire son expert en nibles dans la littérature spécialisée.
brevet d’invention. Altshuller n’est pas à l’aise dans ce type de Exemple : le principe d’Archimède, l’effet Coana, l’effet Seebeck...
démarche, son esprit créatif refuse de faire une analyse des bre- Une application de l’effet Seebeck a permis d’utiliser la chaleur déga-
vets sous la simple forme de veille ou d’expertise. Ce qui le gée par un fourneau domestique pour produire l’électricité d’une mai-
hante, ce sont les mécanismes inventifs qui ont mis en action son d’habitation [9].
l’esprit créatif des inventeurs, les conditions psychologiques
dans lesquelles ils se trouvaient au moment de déposer leur
brevet. Très vite, son dessein lui apparut comme évident : tout
mettre en œuvre pour faciliter ces mécanismes inventifs et faire
en sorte que les ingénieurs aient à l’avenir, à leur disposition,
une science leur permettant de systématiser le processus de 2. TRIZ et ses concepts
génération d’idées dans le cadre des phases de recherche de
concepts et de résolution de problèmes.
fondamentaux
En 1946, le sigle TRIZ apparaît pour la première fois.
Entouré d’un groupe de chercheurs ralliés à sa cause, il pour-
suit ses travaux pour fonder en 1951 la première université TRIZ Lors de la mise en pratique de TRIZ, Altshuller a mis au point cer-
à Bacou, en Azerbaïdjan. taines notions qu’il qualifie d’essentielles à tout problème de recher-
Dans les années qui suivirent, le rythme de création des uni- che d’idées. Il est alors nécessaire de prendre connaissance de ces
versités TRIZ en URSS ne cesse de croître (Saint-Pétersbourg, notions puis de suivre certaines règles permettant soit d’éviter les
Moscou, Minsk, Pétrosavosk, et bien d’autres) et voient leurs pièges dressés par les problèmes complexes, soit d’aller à l’essen-
premiers ingénieurs TRIZ apparaître sur le marché de l’emploi tiel en s’affranchissant de certains stigmates de la recherche d’idées
industriel. comme le syndrome de la page blanche ou encore l’aspect satisfai-
Comment une théorie d’une telle ampleur a-t-elle pu nous sant des solutions faites de compromis.
échapper ? Les spécialistes de l’équipe d’Altshuller expliquent Les notions essentielles mises en évidence par Altshuller ne sont
qu’ils avaient suffisamment de difficulté à faire admettre au tout pas simplement citées, elles sont approfondies et il est proposé
puissant syndicat des Innovateurs de Russie [1] le bien-fondé de dans TRIZ de les considérer comme des « fils rouges » de la
leur théorie pour aller tenter de la diffuser ... Outre mur... réflexion et de les garder présentes à l’esprit tout au long des cas
Puis vint la chute du mur de Berlin. Altshuller, après avoir mis d’études afin d’aller plus vite, plus loin et plus pertinemment en
le feu aux poudres avec son livre « La créativité en tant que direction de la solution.
science exacte » [2], en est à son 30e ouvrage et 350e article ; les
universités qu’il a fondées sont reconnues dans la toute nou-
velle ex-URSS et quelques dizaines de ses élèves décident de
s’expatrier aux États-Unis, en Finlande, en Hollande, et en Israël. 2.1 Notion de résultat idéal final (RIF)
En 1991, TRIZ débarque aux États-Unis et, en quelques années,
des instituts, des cabinets de consulting, des programmes
d’enseignements dans les plus grandes universités vont voir le La plupart des solutions préconisées par les ingénieurs ne sont en
jour. fait que des compromis. Le compromis est un type de solution sim-
Aujourd’hui, quelques outils TRIZ apparaissent sous une ple à trouver ; il remplit en partie l’objectif recherché sans trop
forme informatisée. La société Invention Machine commer- dégrader l’un ou l’autre des paramètres du système étudié.
c i a l i s e a u j o u r d ’ h u i d e u x l o g i c i e l s ( Te c h O p t i m i z e r ) e t
Phenomenon) ; ces derniers incluent certains outils TRIZ. Une Exemple : une situation simple peut être illustrée comme suit.
récente étude du MIT (Massachusetts Institute of Technology) ● Une pièce est mise en place sur deux appuis (figure 2a ), sa fonc-
avance qu’avec TRIZ on est 70 % plus inventif que sans TRIZ [13] tion principale est de supporter en flexion un effort F.
et l’ASI (American Supplier Institute) annonce TRIZ comme ● Dans l’objectif de supporter un effort plus important, une solution
l’outil qui va bouleverser l’univers industriel du XXIe siècle [9]. simple serait d’accroître sa section (figure 2b ).
Enfin, près de 500 entreprises (États-Unis et Europe), 1 500 dans
le monde, sont actuellement recensés comme ayant intégré Ce type de solution revêt un désavantage : la masse de notre objet
TRIZ dans leur démarche de création de nouveaux produits [5]. est aussi augmentée.
Cette solution est un compromis entre la résistance à la flexion et la
masse.
● Une solution plus innovante (bien que très vulgarisée en mécani-
que) serait d’utiliser le principe de la poutre en « I » pour ne pas faire de
Il est à noter que depuis l’apparition d’une version informatisée de compromis entre la résistance à la flexion et la masse (figure 2c ).
cet outil TRIZ, la société Invention Machine poursuit ses recherches
et implémente régulièrement la base de données avec de nouveaux ■ Selon Altshuller, les systèmes lourds, inflexibles, de type « usine
effets. à gaz », devraient être remplacés par de la lumière, par de l’air, voire
des systèmes éphémères constitués de petites particules, molé-
■ Très vite, deux avantages d’une telle démarche sont apparus. cules, atomes, ions ou électrons contrôlés par divers champs [1]. Un
● Les analyses ne tiennent pas compte de l’industrie d’origine du système idéal ne devrait avoir ni un poids élevé, ni un grand
brevet. volume.
De ce fait, elles rendent le processus transdisciplinaire et décu- Nous parvenons au résultat final idéal lorsqu’une action est
plent les possibilités de trouver des solutions aux problèmes en complétée et qu’il y a absence de système. Dans le même temps,
allant les chercher dans d’autres domaines [11]. c’est un outil psychologique, qui permet, lorsqu’on réfléchit en

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■ Cet idéal est caractérisé par la formule suivante :

å Fu -
D = -------------------------------
å Fn + å Fc
où :
— D est le degré d’approche de l’idéal,
— å F u est la somme des fonctions utiles du système (la fonction
« écrire » du stylo est assurée),
a la poutre est soumise à un effort
— å F c est la somme des coûts générés par le système (les coûts
en vue d’assurer la fonction « écrire » du stylo sont nuls),
— å F n est la somme des fonctions nuisibles causées par le sys-
tème (les fonctions nuisibles que causait la fonction « écrire » du
stylo n’existent plus).

■ Le mode de réflexion en direction du RIF poursuit un triple


objectif :
— maximiser les fonctions utiles ;
— minimiser les coûts ;
— minimiser les fonctions nuisibles ou inutiles.
b une poutre de section supérieure Bien entendu, cet idéal est, dans bien des cas, utopique, mais une
réflexion dans cette direction peut souvent mettre en évidence des
solutions jusqu’ici inexplorées.

Les objectifs du RIF sont les suivants :


— encourager les idées novatrices ;
— diriger la réflexion vers des solutions rejetant les compromis ;
— établir rapidement les limites du cas d’étude ;
— orienter la réflexion dans les différents outils TRIZ.

c la solution : une poutre en " I "


2.2 Notion de contradiction

Figure 2 – Solution avec et sans compromis d’une poutre Tous les problèmes d’innovation présentent la même difficulté
soumise à un effort majeure : ils semblent insolubles.
D’après Altshuller, tout système technique comporte une contra-
diction souvent cachée. En fonction de la difficulté du problème à
direction du RIF, d’éviter les solutions faites de compromis. La tran-
résoudre, cette contradiction est plus ou moins apparente. Il existe
sition en direction du RIF, une des étapes essentielles d’ARIZ (§ 5),
trois types de contradiction.
est un processus puissant qui permet de formuler un résultat idéal
de façon très précise. La chose la plus importante est d’exiger que
■ Contradiction opérationnelle
tout soit exécuté de façon autonome.
Un problème d’innovation, au premier abord, laisse entrevoir une
Tout système peut prétendre parvenir à son idéal. Il s’agit ici contradiction opérationnelle. C’est souvent notre premier contact
d’imaginer, bien au-delà des réalités technologiques, ce que pour- avec le problème tel qu’il est formulé initialement. Une contradic-
rait être la représentation idéale d’un système. tion opérationnelle n’indique cependant pas dans quelle direction la
solution doit être prospectée et nécessite une révision pour dimi-
nuer son degré de complexité.
Par définition, un système idéal est un système « qui
n’existe pas, mais dont la fonction est assurée d’une manière ou ■ Contradiction technique
d’une autre ». C’est un système :
Lorsque, dans un système, on améliore une caractéristique tech-
— qui n’a pas de coût ; nique (ou un paramètre) d’un objet, une autre caractéristique (ou
— qui n’a pas de volume ; paramètre) s’en trouve détériorée. Bien souvent cette contradiction
— qui n’a pas de surface ; technique est cachée ou mal formulée.
— qui maximise sa capacité de travail ;
— qui maximise ses fonctionnalités. ■ Contradiction physique
Elle oppose directement deux requêtes (ou paramètres) formu-
Exemple : un stylo idéal est un stylo dont la fonction « écrire » est lées par un seul et même système. Elle souligne l’opposition littéra-
assurée en l’absence totale du stylo en tant qu’objet (par le prolonge- lement en mettant en évidence le caractère impossible de la
ment du doigt, de la pensée...). situation.

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Exemple : dans le polissage de lunettes optiques (figure 3), il est


nécessaire de placer un lubrifiant entre la surface de polissage (faite de Lunette optique
résine) et la lunette. Des essais furent mis en œuvre ; ils consistaient à
incorporer dans l’appareil à polir des orifices au travers desquels un Solide abrasif
liquide lubrifiant pourrait être injecté par intervalles.
Liquide évacuateur
Les ingénieurs en charge de ce projet ont trouvé une solution de
compromis en plaçant un nombre déterminé de perçages, améliorant Bac principal
quelque peu l’aptitude à la lubrification mais détériorant, dans le même
temps, l’aptitude à l’abrasion. Perçage pour lubrifiant
● Formulation des contradictions Lubrifiant
— Contradiction opérationnelle : la surface perforée de l’appareil à
polir étant moins importante que celle sans les perçages, l’efficacité du
Figure 3 – Schéma de mise en situation :
polissage diminue.
exemple de polissage de lunettes optiques
— Contradiction technique : si j’augmente l’aptitude à la lubrifica-
tion de mon système, je détériore son aptitude au polissage.
— Contradiction physique : la surface de polissage doit être pleine
et vide à la fois.
● Analyses et solutions
Un appareil à polir fait de glace avec, à l’intérieur, la substance abra-
sive faite de particules peut satisfaire la fonction de résolution de cette
contradiction physique.
Cet abrasif-glace aura, en outre, l’avantage d’épouser les formes de Problème Solution
la lunette au fur et à mesure de l’opération d’abrasion. Le nombre des
orifices laissant passer le lubrifiant sera maximal, tout comme la sur-
face de polissage (nous sommes dans la bonne direction, celle de
l’idéal).
a recherche aléatoire de la solution

N S
2.3 Inertie psychologique Problème Solution

b TRIZ combat l'aléatoire et oriente la


Nous sommes tous sous l’influence de nos savoirs respectifs. La réflexion en direction de la solution
maîtrise que nous avons de telle ou telle activité nous apporte par-
fois une assurance, une rigidité dans notre façon de penser et, de ce
Figure 4 – Recherche de la solution idéale en dépassant les effets
fait, nous interdit bien souvent de voir une solution existante, et
de l’inertie psychologique
toute proche ! Tout cela nous conduit à l’inertie psychologique (IP),
où les solutions considérées résident principalement dans votre
propre expérience et ignorent les technologies alternatives afin de des, les compétences trop pointues dans un domaine particulier et
développer de nouveaux concepts. les inerties générées par le « jargon » du spécialiste.
TRIZ part du principe que la plupart des problèmes et des progrès
dans le domaine industriel peuvent être résolus par des savoirs pré-
cédemment acquis par les concepteurs ; l’ensemble des outils que Altshuller préconise de suivre ces quelques règles afin de ne
cette théorie développe vise à briser cette inertie psychologique en pas subir l’IP.
structurant la réflexion de l’ingénieur, afin de l’entraîner au-delà de ● Ne jamais être persuadé que la solution réside dans son
ses compétences propres, et, surtout, bien au-delà de son centre propre domaine de compétence.
d’intérêt du moment. ● Favoriser la pluridisciplinarité.
■ Un problème majeur se pose lorsque la solution recherchée n’est ● Identifier les termes ou expressions porteurs d’IP et les rem-
pas une solution connue. On appelle cela un problème d’innova- placer par d’autres plus neutres.
tion ; ce même problème peut contenir des exigences contradictoi- ● Respecter toutes les idées même les plus farfelues.
res. Déjà au IVe siècle, le scientifique égyptien Papp suggérait
l’existence d’une science, qu’il appelait l’heuristique, pour résoudre
les problèmes d’innovation. Dans les temps modernes, la résolution ■ Lorsque nous dépassons les effets limitatifs de l’inertie psycholo-
de problèmes d’innovation se heurte au domaine de la psychologie gique sur une cartographie de solutions couvrant de multiples disci-
où les liens entre le cerveau et sa perspicacité face à l’innovation plines scientifiques et technologiques, nous remarquons que la
doivent être étudiés. Des méthodes telles que le brainstorming et solution idéale peut se trouver en dehors du domaine de prospec-
celle des essais et des erreurs sont communément suggérées. En tive de l’inventeur. Elle est alors ignorée ou parfois même invisible.
fonction de la complexité du problème, le nombre d’essais variera.
Si la résolution de problèmes était un procédé aléatoire, alors
Si la solution d’une expérience dans un domaine tel que l’ingénie- nous attendrions que la solution survienne de façon aléatoire par
rie mécanique (domaine de l’inventeur) n’apparaît pas, alors l’ingé- une recherche systématique au travers de la cartographie des solu-
nieur doit regarder au-delà de son expérience et de sa connaissance tions potentielles. L’inertie psychologique combat l’aléatoire
propre vers de nouveaux domaines tels que la chimie ou l’électroni- (figure 4).
que. Le nombre d’essais potentiels augmentera alors en fonction de
l’aptitude de l’inventeur à maîtriser des outils psychologiques Exemple : [14] dans un mécanisme d’impression couleur, un rou-
comme le brainstorming, l’intuition et la créativité. leau chargé positivement (figure 5a ) a pour fonction, lors de sa mise
en rotation en opposition au défilement du film photoélectrique,
■ L’inertie psychologique est le principal frein à la créativité d’expulser par répulsion les surplus de liquides chargés eux aussi posi-
des individus, avec des éléments déclencheurs tels que les habitu- tivement.

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● Dans l’objectif d’améliorer les performances du système, une


étude a permis de déterminer que si l’on augmente le diamètre du rou-
leau, l’opération d’expulsion est plus efficace. Les ingénieurs en charge
Film
de ce projet ont eu le réflexe de maximiser le diamètre du rouleau
(situation secondaire, figure 5a ) afin qu’il occupe, au maximum,
l’espace du boîtier pour maximiser son efficacité sans trop nuire à Rouleau
l’encombrement de l’ensemble.
● Dans les conseils d’Altshuller pour éviter l’inertie psychologi-
que, il est indiqué que les mots « porteurs d’IP » nous éloignent des
solutions. Situation
Le premier réflexe dans la formulation des phrases de mise en situa- secondaire
tion, est d’identifier ces mots porteurs d’inertie et de les remplacer par
d’autres plus neutres. Dans notre cas, la principale pièce en conflit est
« rouleau » ; ce mot impose à notre pensée que l’objet doit être de
forme circulaire ; or, si on remplace ce mot par « objet » qui doit éva- a situation initiale
cuer les surplus d’encre, nous brisons une barrière psychologique et
pouvons pousser la réflexion plus loin.
Un autre vecteur de réflexion (§ 2.1) présentait la notion de résultat
idéal final. Dans notre cas, le RIF physique de l’objet est le plan. Nous
pouvons maintenant transposer cette situation dans les réalités
techniques : quel objet peut à la fois être plan et mis en rotation ? La
réponse est simple : une courroie (figure 5b ) !

2.4 Cinq niveaux d’inventivité b une solution idéale : la courroie

Dans ses analyses de brevets, Altshuller remarque très vite Figure 5 – Situation d’inertie psychologique : exemple
qu’une immense partie des dépôts ne sont en fait que des améliora- de mécanisme d’impression couleur [14]
tions mineures, insignifiantes en terme de progrès industriels et
dont les solutions peuvent être très rapidement trouvées.
— La résolution des problèmes passe par l’analyse de pistes de
■ Dès lors, quelques questions évidentes se posent. solutions sans cesse croissantes, en fonction de leur complexité.
— Qu’est-ce qui rend un problème simple et facile à résoudre ?
— Pourquoi les problèmes complexes sont-ils difficiles à ■ Après plusieurs milliers de brevets analysés, Altshuller a mis en
résoudre ? évidence 5 niveaux d’inventivité (tableau 1) [2]. Il a effectué un clas-
— Qu’est-ce qui rend un problème complexe ? sement par ordre de complexité du problème résolu, a estimé le
— N’existe-t-il pas une méthode permettant de transformer un pourcentage de solutions que représente chaque niveau par rapport
problème complexe en un problème simple ? au total analysé, puis l’ampleur de l’origine des connaissances dans
lesquelles il est nécessaire de puiser les solutions. Avant de parvenir
■ Partant de ces questions, il est possible de formuler les quelques à la solution, le nombre d’essais approximatif à réaliser est indiqué
éléments de réponse suivants. dans ce tableau.
— Les méthodes traditionnelles de créativité affirment toutes que
les problèmes sont variés et ne peuvent être traités dans leur On s’aperçoit alors que le réel « bond technologique » qui carac-
ensemble. térise l’innovation n’est présent que dans moins de 23 % des bre-
— Certains problèmes simples peuvent être traités en un rien de vets. Mais, afin de simplifier la phase de recherche de solution, il est
temps, d’autres ne trouveront pas de solution même dans une vie primordial de diminuer le niveau d’inventivité d’un problème en le
entière. ramenant au plus près du niveau 1.

Tableau 1 – Les cinq degrés d’inventivité [2]


Degré Pourcentage Origine des Nombre
Niveau Exemple
d’inventivité de solutions connaissances d’essais
1 Solution 32 % Connaissance 10 Isolation thermique d’un tuyau pour éviter les pertes par évacuation
apparente d’un individu (brevet no 317 707)
2 Amélioration 45 % Connaissance 100 Conception d’un capot de protection pour la soudure à l’arc
mineure de l’entreprise (brevet no 252 549)
3 Amélioration 18 % Connaissance 1 000 Système vis-écrou avec un jeu relatif et guidé en liaison pivot
majeure de l’industrie hélicoïdale par un champ magnétique
(brevet no 154 459)
4 Nouveau 4% Connaissances 100 000 Méthode d’inspection de l’usure des moteurs par l’introduction d’une
concept toutes industries substance luminescente dans l’huile et en analysant la quantité de
confondues lumière produite en sortie
(brevet no 260 249)
5 Découverte <1% Ensemble 1 000 000 Toutes les applications résultant de la découverte des monocristaux
des savoirs d’alliage cuivre-aluminium-nickel et de leurs propriétés
de corps solides transformant de la chaleur en énergie mécanique
par la modification de leur résilience

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■ Pour synthétiser un ST, selon la loi 1, il est nécessaire :


3. Lois d’évolution a que ce ST soit composé des quatre parties principales ;
des systèmes techniques b que ces parties aient chacune une utilité minimale pour rem-
plir les fonctions du ST, car une partie qui fonctionne dans un ST
peut s’avérer inutile dans un autre.
La recherche technologique traditionnelle a toujours tenté de pré-
dire les évolutions futures des systèmes. Basées sur des simulations Exemple : un moteur à combustion interne est capable de fonction-
ou sur la méthode des « essais et des erreurs » ou sur des observa- ner mais ne l’est plus si on l’utilise en tant que moteur pour un sous-
tions ou des anticipations, ce type d’analyse mène souvent à des marin.
impasses, voire même à des catastrophes, mais n’invente que trop
rarement. Les résultats des travaux d’Altshuller reposent sur l’ana- Définition de la loi 1 : un ST est capable de fonctionner uni-
lyse d’environ 2 500 000 dépôts de brevets (en particulier les plus quement si toutes ses parties ne sont pas jugées « médiocres »
innovants d’entre eux) [11]. sachant qu’on note la qualité du rôle de la partie dans l’ensem-
Les lois d’évolution n’échappent pas à cette règle ; elles se sont ble du ST.
dessinées au fur et à mesure de la capitalisation des informations S’il y a au moins une partie jugée « médiocre », le ST ne fonc-
issues de ces mêmes analyses. Leur rôle est essentiel dans une tionnera pas, même si les autres sont jugées « performantes ».
prospective de traitement d’un problème par la méthode TRIZ ; elles
guident l’ingénieur dans ses recherches afin de réduire les direc-
Cette loi joue un rôle décisif dans les débats sur la priorité des
tions possibles d’évolution du système étudié et montrent la « voie
démarches qui nous orientent vers un système d’abord capable de
à suivre ».
fonctionner.
Les lois du développement des systèmes techniques (ST) peuvent
être divisées en trois groupes : statiques, cinématiques et dynami- ■ La loi 1 renferme aussi une propriété très importante d’un point
ques. de vue pratique : pour pouvoir contrôler un système, il est néces-
saire qu’au moins une de ses parties soit contrôlable. Être
« contrôlable » signifie : changer certaines caractéristiques afin de
satisfaire l’élément qui effectue le contrôle.
3.1 Lois statiques
La connaissance de cette propriété permet de mieux comprendre
le fond de nombreux problèmes et de mieux évaluer les résultats
Tout ST apparaît suite à une synthèse de parties séparées en un
obtenus.
tout. Mais une synthèse aléatoire de ces parties ne peut former un
ST capable de fonctionner. Il existe trois lois dont les règles doivent Loi 2 : loi de « la conductivité énergétique » d’un ST.
être respectées pour que le ST soit opérationnel.
■ Une condition indispensable au fonctionnement d’un ST réside
Loi 1 : loi d’intégralité des parties d’un ST. en un libre passage de l’énergie à travers toutes ses parties. De plus,
tout ST peut être un convertisseur d’énergie. Par conséquent, il est
■ Une condition indispensable pour qu’un ST fonctionne réside en nécessaire de transmettre l’énergie du moteur, via la transmission, à
la capacité de travail des parties principales constituant ce ST. Cha- l’organe de travail.
que ST doit comprendre quatre parties principales à savoir :
La transmission de l’énergie d’une partie à une autre peut être
— un élément moteur ;
matérielle (par exemple, par un arbre, un pignon, un levier, etc.),
— un organe de transmission ; magnétique (par exemple, un champ magnétique) ou les deux en
— un organe de travail ; même temps (par exemple, une transmission d’énergie par le flux
— un organe de contrôle. des particules chargées). Beaucoup de problèmes d’innovation se
Pour une voiture, ces quatre parties sont facilement identifiables. ramènent à la sélection du type : transmission d’énergie le plus effi-
cace dans des conditions données.
Exemple : comment cette loi s’applique-t-elle à la fonction
« empilement » des boîtes boisson en aluminium ? [10]. Les trois Exemple : problème de l’échauffement d’une substance à
gouttes d’azote liquide ajoutées à la boisson créent une pression l’intérieur d’un centrifugeur en rotation. L’énergie se trouve en
interne dans la boîte comme un moteur. La pression interne, sous dehors du centrifugeur. Il y a aussi un élément « consommateur » qui
forme d’azote gazeux, sert de transmission et transmet sa force aux se trouve à l’intérieur du centrifugeur.
parois de la boîte. Les parois de la boîte font le travail, supportant La solution du problème consiste à créer un « pont énergétique ».
l’empilage des autres boîtes du dessus. Les parois représentent les Les « ponts » de ce genre peuvent être homogènes ou hétérogènes.
actionneurs de la boisson du système. Si la forme d’énergie change lorsqu’elle passe d’une partie à une autre,
L’ensemble ne formerait pas un tout efficace sans une compression il s’agit, dans ce cas, d’un « pont » hétérogène. Le plus souvent dans
à l’intérieur du système. Les éléments ne se compriment que quand la les problèmes d’innovation, nous sommes confrontés aux « ponts »
pression interne est accrue par une haute pression générée par de hétérogènes. Ainsi, dans le problème de l’échauffement d’une subs-
l’azote. En un sens, les contrôles ont été conçus dans ce système tance à l’intérieur d’une centrifugeuse, il est avantageux d’utiliser
comme « automaîtrisés ». Le dôme interne sur le fond de la boîte ainsi l’énergie électromagnétique qui, d’une part, ne crée pas de frotte-
que les parois de la boîte elle-même cèdent lors de changements inter- ments mécaniques et, d’autre part, ne génère pas de pertes thermi-
nes de pression. ques par convection forcée.
Ces quatre parties du système de la boîte boisson sont toutes en Les effets et les phénomènes permettant de contrôler une énergie
étroite relation avec leur fonction : soutenir un empilement, une sont particulièrement importants. Dans le problème de la centrifugeuse,
charge. un échauffement peut se produire si ce dernier se trouve dans le champ
magnétique et s’il y a, à l’intérieur, des particules ferromagnétiques.
Le décapsuleur sur le couvercle de la boîte est une partie impor-
tante, mais il y est relié avec une fonction différente : ouvrir la boîte de Cependant, imaginons que les données du problème évoluent : il
manière à ce que son contenu puisse être consommé. Pour cette fonc- faut non seulement chauffer la substance à l’intérieur du centrifugeur,
tion aussi, il y a quatre parties. mais aussi entretenir une température constante d’environ 250 oC.
Dans une configuration de problème de ce type, nous pouvons trou-
Il est parfois difficile d’identifier ces quatre parties pour un sys- ver une solution dans la connaissance des phénomènes fondamen-
tème particulier, pour une fonction particulière. La difficulté provient taux. Quand la température atteint 250 oC, la matière du disque se
du manque de pratique de la pensée « système ». démagnétise automatiquement (passage par la température de Curie).

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■ Cette propriété de la loi 2 est d’une grande importance : pour il faut s’orienter en particulier sur l’accroissement du perfectionne-
qu’une partie d’un ST soit contrôlable, il est nécessaire d’assurer ment, un critère sûr dans l’amélioration des problèmes, des solu-
la conductivité énergétique entre cette partie et les organes de tions et dans l’évaluation des réponses.
contrôle.
Loi 5 : loi du développement inégal des parties d’un ST.
Loi 3 : loi de coordination du rythme des parties d’un ST.
Les parties d’un système se développent d’une manière inégale.
Une condition indispensable au fonctionnement d’un ST est la Plus le système est complexe, plus le développement de ses parties
coordination du rythme (fréquence, vibrations, périodicité) de tou- est inégal. Ce développement inégal génère l’apparition de contra-
tes ses parties. dictions techniques et physiques et, par conséquent, suscite le
Exemple : situation des acteurs sur un plateau de tournage. besoin d’innover.
Ces acteurs se trouvent soumis à l’éclairage de projecteurs à haute Exemple : supposons que nous ayons un bateau rapide ayant la
température et tout le plateau se trouve chauffé par cette situation. Les meilleure coque et le plus performant des moteurs modernes.
acteurs sont donc soumis à cette chaleur et transpirent à cause de ces Comment augmenter la vitesse du bateau jusqu’à 100 ou même
projecteurs. 200 km/h ? Considérons que le bateau possède déjà un moteur de der-
Observons maintenant la nécessité de l’éclairage des acteurs. Ils ne nière génération. Selon le principe de la conservation d’énergie, il est
doivent fonctionnellement être éclairés que durant le laps de temps où évident que la vitesse ne peut pas augmenter toute seule. Il faut modi-
la caméra prend une image (soit environ 25 fois par seconde, pendant fier des parties du bateau, notamment le moteur ou la coque (en prin-
les prises de vues). Hors de cette courte période, il est inutile de les cipe, il est possible aussi de changer le milieu dans lequel se trouve le
éclairer de cette façon. bateau).
Nous sommes en présence, dans cette situation, d’une absence de ● Pouvons-nous modifier le moteur ? Pas qualitativement, car,
coordination du rythme des parties où une partie, le projecteur, fonc- selon les données de départ, le bateau possède déjà le plus performant
tionne 100 % du temps et l’autre partie, la prise d’image, fonctionne à des moteurs. Par contre, nous pouvons le faire quantitativement. Pre-
un rythme différent. Dans ce cas, une évolution logique du système nons à la place d’un seul moteur deux, trois, cinq moteurs... Puisque la
serait d’accroître la coordination du rythme des deux parties. coque du bateau en mouvement sort de l’eau la résistance principale
est créée par le flux d’air. Augmenter la puissance du moteur en gar-
dant les mêmes dimensions de la coque signifie augmenter la vitesse.
Nous avons fait le premier pas : nous avons augmenté une partie d’un
3.2 Lois cinématiques ST sans toucher aux autres.
Soulignons qu’augmenter une partie sans apporter de modifications
aux autres est essentiel, sinon il n’y aura pas de gain.
La partie cinématique comprend des lois qui définissent le déve-
loppement d’un ST sans tenir compte des facteurs concrets techni- Mais en gagnant de la vitesse, nous perdons sur d’autres qualités du
ques et physiques définissant ce développement. système. Ainsi, le bateau, surchargé de poids annexes perd sa capacité
à se tenir sur l’eau (avant de prendre de l’élan). Donc, il sera obligé de
Loi 4 : loi d’augmentation du niveau de perfectionnement prendre le départ à partir du bord, en remorquage, comme les skieurs
d’un ST. nautiques. Le développement inégal a conduit à l’apparition d’une
contradiction technique. Le gain en poids s’accompagne des pertes
Le développement de tout ST tend vers un niveau plus élevé de
en confort d’exploitation du système (départ du bord, remorquage). Un
perfectionnement. Comme il est défini dans les notions fondamen-
problème nécessitant une innovation est apparu.
tales de TRIZ (§ 2.1), un ST idéal est un système dont le poids, le
volume, la surface, le coût, cherchent à atteindre zéro et dont la ● De toute évidence, le deuxième pas réside dans le changement
capacité de travail et les fonctionnalités restent toujours identiques. de la coque. Cependant, nous sommes confrontés dès le départ à une
Autrement dit, un ST idéal est un système qui n’existe pas mais qui contradiction physique : la coque doit être changée (agrandie) pour
conserve toutes ses fonctionnalités. que le bateau ne coule pas à l’arrêt ou quand il prend de l’élan et, en
même temps, elle ne doit pas être modifiée pour ne pas augmenter la
■ Malgré l’aspect évident du concept de « ST idéal », il subsiste un résistance à l’air quand elle a pris son élan.
paradoxe : les ST réels deviennent de plus en plus lourds et impor- Il est facile de diviser des propriétés contradictoires dans le temps.
tants. Les dimensions et le poids des avions, des pétroliers, des D’après un autre outil TRIZ développé par Altshuller (la matrice de réso-
automobiles, etc., augmentent. Ce paradoxe s’explique par le fait lution des contradictions techniques, § 4.1), nous avons la masse
que les moyens dégagés pour le perfectionnement d’un ST servent contre le confort d’exploitation : la matrice nous suggère notamment le
principalement à augmenter ses dimensions et à élever, ce qui est le principe no 35 : changer l’état de la coque, notamment, remplacer une
plus important, ses paramètres de travail. coque solide par une coque liquide ou gazeuse. Le plus simple serait
Exemple : les premières automobiles atteignaient une vitesse de de faire une partie de la coque sous la forme de coussins d’air soute-
15 à 20 km/h. Si la vitesse n’avait pas augmenté, nous aurions vu appa- nant le bateau quand il est arrêté ou quand il se déplace en vitesse
raître, au fur et à mesure, de nouvelles automobiles plus légères, plus lente.
compactes, ayant la même solidité et le même confort.
Dans cet exemple, l’inégalité des parties du système est artificiel-
Néanmoins, chaque amélioration dans le domaine de l’automobile,
lement accentuée. Nous avons un bateau rapide et il faut quand
comme par exemple l’utilisation de matériaux plus solides pour un
même augmenter la vitesse de 100 à 200 km/h. Dans des conditions
meilleur rendement du moteur, etc., a servi à augmenter la vitesse des
réelles, les parties d’un ST évoluent moins brusquement. Les
automobiles et à améliorer les dispositifs qui autorisaient la vitesse
contradictions apparaissent graduellement, d’une façon parfois peu
(système de freinage puissant, carrosserie solide, système d’amortis-
évidente. Tout se complique encore par le fait que certains ST réels
sement renforcé, etc.).
contiennent beaucoup de sous-systèmes. Des contradictions s’accu-
Pour observer l’accroissement du niveau de perfectionnement de mulent alors dans ces sous-systèmes et seulement après éclatent et
l’automobile, il faudrait comparer une automobile moderne avec une se répandent sur tout le système.
automobile ancienne à la même vitesse et sur une même distance.
Loi 6 : loi de la transition vers le supersystème.
■ Le processus visible secondaire, dans le cas de l’exemple
(augmentation de vitesse, de la puissance, du poids) masque le pro- Après avoir épuisé ses possibilités de développement, un sys-
cessus primaire, c’est-à-dire l’augmentation du niveau de perfec- tème se rattache à un supersystème en tant qu’une de ses parties.
tionnement d’un ST. Mais, en résolvant des problèmes d’innovation, Alors, son développement ultérieur se poursuit via le supersystème.

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Nous retrouvons ici, une notion qui n’est pas sans rappeler le une exploration avancée de nouvelles lois, ainsi que par des recou-
cycle de vie produit (S-curves), où un système, à la fin de l’exploita- pements avec d’autres travaux tels ceux de Mélèze sur les lois de la
tion des ressources de son développement, laisse la place à un autre systémique [12], une représentation exhaustive et générique des
système pour repartir sur une nouvelle courbe de croissance. systèmes peut considérablement assister et éclairer l’ingénieur
dans une mise en application efficace de la méthode TRIZ.

3.3 Lois dynamiques


La partie dynamique comprend des lois qui expriment le dévelop-
pement des ST actuels sous l’effet de facteurs techniques et physi-
ques concrets. Les lois « statiques » et « cinématiques » sont 4. Quelques outils TRIZ
universelles, c’est-à-dire qu’elles sont vraies de tout temps, non
seulement pour les ST mais aussi pour les systèmes en général (bio-
logiques, sociaux, etc.). Le terme « dynamique » exprime les ten-
dances principales de développement des ST actuels. 4.1 Matrice de résolution
des contradictions technologiques
Loi 7 : loi de la transition d’un macroniveau vers un micro-
niveau.
● Après de nombreuses années de recherches et d’analyses, les
Le développement des organes de travail du système passe
premières conclusions d’Altshuller sur la théorie de l’innovation
d’abord par le macroniveau puis ensuite par le microniveau.
voient le jour.
Dans la plupart des ST modernes, les organes de travail sont des
objets (hélices d’avion, roues d’automobile, outils de tournage, Parmi ces conclusions, il a mis en évidence le fait que les princi-
godet de pelle mécanique, etc.). Le développement de tels organes pes fondamentaux utilisés par les inventeurs, toutes industries
de travail n’est possible que dans les limites du macroniveau. Mais confondues, n’excédaient pas le nombre de 40 (cf. encadré 1). Ces
un objet reste un objet, et voit ses performances sans cesse évoluer. « méthodologies » furent ensuite subdivisées en sous-groupes afin
Néanmoins, le moment de voir un développement ultérieur saturé de parvenir à un degré supplémentaire de définition.
au macroniveau arrive inévitablement et, tout en gardant ses fonc-
tions, le système change radicalement. Son organe de travail
commence à fonctionner au microniveau. À la place des « objets » 1. Liste des 40 principes d’innovation
on trouve des molécules, des atomes, des ions, des électrons, etc.
qui effectuent le travail. 1. La segmentation 21. L’aléatoire
Exemple : système de débâchage de camion. Le système de
2. L’extraction 22. La transformation
départ étant une bâche plastique simplement posée sur la zone de
d’un plus en moins
chargement de la remorque du camion, il nous est proposé de trouver
une solution pour débâcher rapidement. 3. La qualité locale 23. L’asservissement
Une solution à ce problème peut être définie comme suit : deux rails
fixés de part et d’autre des flans du camion, des roulements fixés sur 4. L’asymétrie 24. L’insertion
la bâche et une perche pour l’action de débâchage peuvent remplir
l’objectif du développement. Le rail est un objet, par conséquent le ST 5. La combinaison 25. Le self service
est modifié dans les limites du macroniveau.
6. L’universalité 26. La copie
Une seconde solution, plus innovante, consisterait à débâcher par
une courbure automatique de deux bandelettes bimétalliques dispo- 7. Le placement interne 27. L’éphémère
sées de part et d’autre de la bâche. Par un apport thermique minime, et l’économique
l’action de débâchage serait remplie. C’est une autre solution pour un
même problème mais au microniveau, car l’action est considérée au 8. Le contrepoids 28. La reconception
niveau moléculaire du problème.
9. L’action inverse antérieure 29. Le système hydraulique
Loi 8 : loi d’augmentation du niveau de contrôlabilité.
10. L’action préliminaire 30. La membrane flexible
Le développement des ST contrôlables tend toujours vers un
niveau plus élevé de contrôlabilité, avec notamment : 11. La compensation 31. La porosité du matériau
a) des systèmes non contrôlables qui cherchent à devenir
contrôlables ; 12. L’équipotentialité 32. Le changement de couleur
b) dans des systèmes contrôlables, un développement qui suit 13. L’inversion 33. L’homogénéité
une transition de champs mécaniques en champs électromagnéti-
ques ; 14. La sphéricité 34. Le rejet et la régénération
c) dans des systèmes contrôlables, des développements qui cher-
chent à établir des liens entre les éléments ; 15. Le degré de dynamisme 35. Le changement de produit
d) dans des systèmes contrôlables, un développement qui tend 16. Le surplus ou la réduction 36. L’utilisation des
vers la compatibilité des éléments. changements de phase

17. Le changement 37. L’expansion thermique


3.4 Conclusion sur les lois d’évolution de dimension

18. L’oscillation 38. L’oxydation


Il est à noter que ces 8 lois sont très génériques et de nombreuses
digressions restent à formaliser. Il existe aussi beaucoup de princi- 19. L’action périodique 39. L’environnement
pes dont l’intitulé prête parfois à confusion ou manque de clarté. d’insertion
L’étude des lois de développement des ST doit être poursuivie,
mais les éléments présentés par Altshuller sont d’importance. Par 20. L’action d’utilité 40. Le matériau composite

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● Son travail fut ensuite de dresser des configurations de problè-


mes types et de les exprimer sous la forme de contradictions entre
des paramètres (§ 2.2). Ces principales familles de paramètres en X
conflit lors d’une recherche de contradiction sont au nombre de 39 1 2 ... 38 39
(cf. encadré 2). Y
Masse d'un
Productivité
objet mobile
Masse d'un 35. 3.
1
2. Liste des 39 paramètres de conception objet mobile 24.37
1.28.
2 ... 38
15.35
1. Masse d’un objet mobile 21. Puissance
35.26.
39 Productivité
24.37
2. Masse d’un objet 22. Gaspillage d’énergie
immobile
Figure 6 – Fragment de la matrice d’Altshuller
3. Longueur d’un objet 23. Gaspillage de substance
mobile
— en ordonnée, le paramètre Y, qu’il faut améliorer ;
4. Longueur d’un objet 24. Perte d’information
immobile — en abscisse, le paramètre X qui, par cette amélioration, se
trouve détérioré.
5. Surface d’un objet mobile 25. Perte de temps
À l’intersection de ces cases, un ou plusieurs principes d’innova-
tion (encadré 1), donnant des pistes de recherche de solutions, sont
6. Surface d’un objet 26. Quantité de substance indiqués.
immobile

7. Volume d’un objet mobile 27. Fidélité Exemple : pour illustrer l’utilisation de la matrice d’Altshuller, nous
prenons le cas d’une mesure de niveau dans les bombonnes de gaz
(figure 7a ).
8. Volume d’un objet 28. Précision de la mesure
immobile Tout le monde connaît le problème de la bombonne de gaz qui se
vide à un rythme que l’on ne maîtrise pas et qui, le dimanche, lorsque
9. Vitesse 29. Précision de l’usinage vous avez des invités et en avez un besoin absolu, tombe « en
rupture » et vous place dans une situation délicate. Le problème est
simple : Comment trouver un moyen d’être prévenu que vous allez
10. Force 30. Facteurs nuisibles
être « en panne » dans les prochaines 48 heures ?
agissant sur l’objet
■ Le réflexe traditionnel des ingénieurs est de chercher une solution
11. Tension et pression 31. Facteurs nuisibles qui leur apparaît comme évidente, se trouvant dans leur domaine de
annexes compétence, dans des limites d’efficacité parfois démesurées. Ainsi
les réponses types à ce problème sont :
12. Forme 32. Usinabilité — Pourquoi ne pas installer un système de mesure de pression à un
endroit visible du tuyau qui indiquerait au-delà d’une limite, qu’il est
13. Stabilité 33. Facilité d’utilisation nécessaire de prévoir, le changement de la bombonne ?
— Pourquoi ne pas placer une balance sous la bombonne qui indi-
14. Résistance 34. Aptitude à la réparation querait que sa masse a atteint une limite nécessitant son
remplacement ?
15. Longévité d’un objet 35. Adaptabilité De telles solutions sont catégoriquement refusées par Altshuller, car
mobile elles s’écartent de l’idéal, elles complexifient le système plutôt que de
le simplifier. Elles rendent le système plus complexe et plus coûteux,
16. Longévité d’un objet 36. Complexité de l’appareil elles sont donc à rejeter.
immobile
■ Une solution idéale et innovante ne se trouve pas dans une
17. Température 37. Complexité de contrôle complexification de l’existant, mais en minimisant les coûts et les fonc-
tions inutiles et en maximisant les fonctions utiles (§ 2.2 notion d’idéal).
18. Brillance 38. Degré d’automatisation ● Commençons par déterminer la contradiction opérationnelle du
système : je veux connaître le niveau de remplissage de ma bom-
bonne, sans rien ajouter au système pour ne pas augmenter son coût.
19. Énergie dépensée par 39. Productivité
l’objet mobile ● Ensuite passons à la contradiction technique : la difficulté de
mesurage entraîne une complexification du système.
20. Énergie dépensée par Dans les 39 paramètres (encadré 2), nous pouvons sans trop de dif-
l’objet immobile ficulté modéliser cette situation technique comme suit :
Pour : 37 (complexité de l’appareil)

● Dès lors, il devient possible de représenter sous forme matri- Contre : 36 (complexité de mesure)
cielle ces situations conflictuelles en indiquant, pour chacune Un des principes suggéré est le 14, qui dans un de ses sous-princi-
d’entre elles, le ou les principe(s) ayant été employés par d’autres pes peut être interprété comme suit : rendre la bombonne automati-
dans des configurations similaires. quement ajustée par une séparation géométrique qui évoluerait vers
● Quant à son fonctionnement, il consiste à déterminer (figure 6) : une position requise au moment requis.

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■ Dès lors, on peut mener une réflexion sur les ressources évoluant

,,,
,
,, ,,
,
,,
,, ,, ,,
,,
,,
,,,
, ,,, ,,
au fur et à mesure de l’utilisation du gaz et leurs implications potentiel-
les dans l’évolution de la géométrie de la bombonne. Bombonne Centre de gravité
Nota : on rappelle que les « ressources » sont une des notions de TRIZ présentées
comme des éléments, facteurs, objets, énergies dites gratuites et à proximité du système

,,,,, ,,
pouvant à un moment ou à un autre être utilisé.
Le temps :
— faire un planning ? cette donnée est aléatoire, car on ne peut G
prévoir à l’avance, avec exactitude, le rythme auquel le gaz sera Gaz

,,,,, ,,
consommé ;
— une bombonne avec parois se rétractant et indiquant le volume
minimal atteint ? trop de modifications de l’existant sont requises.
La pression : les systèmes actuels de mesure de pression ne sont
pas adaptés, car, dans notre cas, le degré de précision à atteindre dans Masse Méplat
déterminée
la mesure nécessite un appareillage sophistiqué et complexe.
La masse : quel système peut réagir simplement par une séparation a schématisation b bombonne pleine c bombonne vide :
géométrique dans le cas où la masse évoluerait ? La réponse est de la bombonne 48 h d'utilisation
simple : le système du contrepoids fait effectivement réagir un corps
lors de l’évolution de sa masse en le faisant basculer ! Notre solution Figure 7 – Bombonne de gaz : utilisation de la matrice d’Altshuller
est là ! dans la mesure de niveau

■ Un poids ainsi déterminé, et placé dans le fond de bombonne de


façon asymétrique, peut déplacer le centre de gravité et, en fonction de
la masse, faire basculer la bouteille dans une autre position (figures 7b ■ Comparons maintenant les similitudes dans les solutions aux
et 7c ). problèmes.
Solution au problème 1 : un moyen d’identifier les fuites dans des
unités de réfrigération est de les remplir avec du fréon auquel on
ajoute du pétrole (comme dans la majorité des réfrigérateurs
domestiques). L’unité de réfrigération est éclairée, dans une pièce
4.2 Vépoles (ou analyse substance- assombrie, par des rayons ultraviolets. L’emplacement de la fuite est
champ) mis en évidence par un élément luminescent introduit dans le
pétrole lors d’une fuite (Brevet n° 277 805).
Les Vépoles sont un des travaux essentiels d’Altshuller [2]. Par le Solution au problème 2 : pour déterminer la dureté du polymère,
terme « Vépole » on entend la contraction de deux mots russe : l’objectif est d’exécuter une inspection indestructible : une poudre
substance et champ. Le Vépole peut aussi être défini comme le magnétique est introduite dans la masse et un changement dans la
« système technique minime ». pénétration magnétique de la masse en voie de durcissement peut
■ Examinons quelques problèmes d’innovation. être mesuré (Brevet n° 239 633).
Problème 1 : peut-on concevoir un système de repérage de fuites Solution au problème 3 : un moyen d’indiquer une pseudo-
(fréon, pétrole, solution d’hydroammoniaque) dans les équipe- liquéfaction de la masse d’une matière est une inspection acousti-
ments de réfrigération ? que directe de l’intensité de mouvement des particules de métal par
la conduction du son. Une tige métallique est introduite au cœur de
Problème 2 : comment peut-on déterminer la dureté d’un poly- la matière en mouvement ; elle transmet des vibrations physiques
mère lorsqu’il est dans un état physique où il est impossible d’effec- qui sont alors converties en signaux électromagnétiques (Brevet
tuer une mesure directe (par « contact ») ? n° 318 404).
Problème 3 : comment peut-on contrôler l’intensité des mouve-
ments de particules d’une matière dans un état de pseudo- ■ Comparons maintenant les spécifications des problèmes avec ce
liquéfaction ? qui a été obtenu dans les solutions.
● Ces problèmes sont issus de divers domaines de la technolo- Dans les spécifications du problème 1, une substance était don-
gie, et décrivent des situations possédant chacune leurs propres piè- née (une goutte d’un liquide). Dans la solution une deuxième subs-
ges. tance est ajoutée (une substance luminescente) et un champ
(radiation ultraviolette ) est créé.
Le problème 1 requiert un repérage exact et rapide de petites
gouttelettes d’un liquide par lequel la « rapidité » est en conflit avec Une situation analogue est appliquée dans le problème 2. Une
« l’exactitude ». substance est donnée (un polymère) ; une deuxième substance est
ajoutée (une poudre ferromagnétique) et un champ (magnétique )
Dans le problème 2, on doit introduire un dispositif de mesure au
contrôle l’ensemble.
milieu d’une masse en phase de durcissement, ce qui est impossible
car ce dispositif ne doit pas rester dans la masse lorsqu’elle sera Également, dans le problème 3, une nouvelle substance est ajou-
dure. tée (une tige métallique) et un champ (acoustique).
Dans le problème 3, le dispositif de mesure doit être introduit Dans les 3 problèmes, un champ réagit sur la première substance
dans une matière. Mais précisément quelle sorte de dispositif de par la seconde ou la première substance réagit au moyen de la
mesure ? Alors que dans diverses matières (masse, pression), nous seconde pour en finir avec une interaction transportant l’informa-
aurons des intensités variées. tion de l’une à l’autre. Il est évident qu’aucun champ n’est capable
Une chose est clarifiée ici, notamment la contradiction technique de révéler des gouttes minuscules de fréon ou de pétrole. Mais une
qui oppose « force nécessaire pour l’extraction » et « coût de radiation ultraviolette peut révéler aisément une quantité infime de
complexification du système ». particules luminescentes. Dans ces problèmes, notre analyse passe
toujours par le même type de modélisation, une modélisation où
● Qu’est-ce que ces problèmes ont en commun ? Ils contiennent
apparaissent deux substances et un champ.
tous, naturellement, des contradictions physiques et techniques.
Mais c’est ici que prend fin leur ressemblance, parce que ces contra- ■ Altshuller a défini un mode de représentation graphique de
dictions diffèrent en fonction de la nature du problème. ce système minime.

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● La lettre C suivie en indice par le nombre représentant le champ ● Les deux substances et le champ peuvent être complètement
considéré. dissemblables, mais sont nécessaires et suffisants pour la formation
— En physique un « champ » est le nom donné à un effet causant d’un système technique minime qu’Altshuller a nommé le Vépole.
une interaction entre les particules d’une substance. On distingue La multiplicité des formules de Vépoles peut aussi croître en pré-
six formes différentes de champs pouvant être citées avec le sigle cision en tenant compte des représentations connexes suivantes :
MATHEM :
— M : Mécanique ;
— A : Acoustique; C1
— T : Thermique ; S1 ® S2 : vépole (vue générale) ;
— H : cHimique ; ® : action ou interaction (vue générale) ;
— E : Électrique ;
— M : Magnétique. « : interaction mutuelle ;
— En technologie, le terme « champ » est employé au sens large : --® : action (ou interaction) devant être introduite selon les
il y a l’espace, auquel un certain vecteur, ou positions scalaires de spécifications du problème ;
magnitude dans la relation, peut être affecté.
: action (ou interaction) insatisfaisante et qui selon les
Nous emploierons le terme « champ » dans son sens très large, spécifications du problème doit être remplacée ;
en allant du domaine de la physique au domaine de la technique
(apport de chaleur, action mécanique, acoustique, etc.). F® : champ en entrée : « le champ agit » ;
● La lettre S suivie en indice par le nombre représentant la subs- ®F : champ en sortie : « le champ répond bien à
tance considérée. Par le terme « substance » nous comprenons tout l’action » ;
objet, quel que soit son degré de complexité : la glace et son brise-
glace, une vis et son écrou, un câble et sa charge ; toutes sont des F’ : état du champ en entrée ;
« substances ». F’’ : état du même champ en sortie (les paramètres chan-
● Une flèche est placée entre les deux substances et représente gent, mais pas la nature du champ) ;
l’action qui les relie. C’est l’interaction. Elle est une forme univer-
selle du raccordement de corps ou phénomènes résultant de leur S’ : état de la substance en entrée ;
changement mutuel [2]. C’est la première chose que nous voyons S’’ : état de la substance en sortie ;
quand nous observons les choses. Nous voyons un nombre de for-
mes en mouvement (en évolution) : mécanique, thermique, lumi- S’-S’’ : transition de substance se trouvant dans l’état S’ ou
neux, électrique, chimique, magnétique, changements d’états, vie l’état S’’ (par exemple, sous l’effet d’un champ en
organique. Tous, hormis la vie organique, passent de l’un à un autre transition) ;
et conditionnent leur survie mutuelle. F÷ : champ en transition.
■ La représentation des solutions des trois problèmes évoqués
est indiquée figure 8.
● Dans les solutions à ces problèmes trois « agents actifs » sont Dans les formulations des Vépoles, Altshuller conseille
présents : d’écrire, sur la même ligne, les substances et, sur des lignes
— la substance S1 qui doit être changée, traitée, convertie, supérieures ou inférieures, les champs, cela afin de mieux
découverte, contrôlée, etc. ; observer leurs actions sur les substances.
— la substance S2, l’« instrument » par lequel l’action nécessaire
est accomplie ;
— le champ F, qui fournit l’énergie, la force, etc. ; il garantit ■ Dans un premier temps, le lecteur risque de se heurter à des dif-
l’action de S2 sur S1 (ou leur interaction mutuelle). ficultés purement psychologiques.
Il n’est pas difficile de noter que ces trois « agents actifs » sont Imaginez que l’on demande à un enfant à qui on apprend ce
nécessaires et suffisants pour obtenir le résultat escompté dans les qu’est un triangle de penser que trois pommes dans un sac peuvent
problèmes. Indépendamment les uns des autres, substances et être un triangle dès lors qu’on les prend et qu’on les pose sur une ta-
champs ne peuvent produire l’effet escompté. ble, en forme de triangle ? Pourquoi trois pommes (ou trois objets
● Dans tout problème d’innovation, il y a un objet : quelconques) devraient-ils représenter un triangle ? Avec de l’en-
— dans le problème 1, les gouttes d’un liquide ; traînement, il devient facile de surmonter ces obstacles. Par analo-
— dans le problème 2, un polymère, etc. gie avec la géométrie, le triangle est la figure géométrique minime.
Toute figure plus complexe (le carré, le rectangle, l’octogone, etc.)
Cet objet ne peut pas réaliser l’action nécessaire en autonomie,
peut être exprimée comme une somme de triangles.
mais doit communiquer avec son environnement ou avec un autre
objet. De plus, tout changement est accompagné par une sépara-
tion, une absorption ou une conversion d’énergie.
Le Vépole est aussi un système à trois éléments (S1, S2 et F)
qui jouent le même rôle fondamental en technologie que les
sommets d’un triangle dans la géométrie. En admettant plu-
C1 sieurs règles fondamentales (comme les tables de trigonomé-
Problème 1 : S1 S1 S2
trie), il est possible de résoudre des problèmes simplement,
C1 sans calculs fastidieux. Dans ce même objectif, construire et
Problème 2 : S1 S1 S2 transformer les Vépoles, rend possible la résolution de nom-
breux problèmes d’innovation.
C1
Problème 3 : S1 S1 S2

évolution Nota : Altshuller a écrit plusieurs ouvrages sur les Vépoles [2] [3]. L’ensemble de son
œuvre donne un algorithme de transformation des Vépoles qui, à la manière de modèles
de référence, aiguille vers des standards de solution aux problèmes et permettent, en un
Figure 8 – Représentation sous forme de Vépole des trois problèmes temps réduit, d’évoquer des solutions potentielles. Il existe 76 formes différentes de Vépo-
d’innovation les, 5 lois de transformation, et de nombreux exemples pour illustrer leur fonctionnement.

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4.3 Opérateurs DTC ● En utilisant cela, sous la plaque de verre nous devrions propager
les atomes. Ce ne sont pas des atomes de gaz, parce qu’ils peuvent
s’évaporer, et ce ne sont pas des atomes en matière dure, parce qu’ils
ne pourraient pas se déplacer. La seule possibilité concerne des ato-
Afin de vaincre le principal frein de la créativité des individus mes liquides. Chauffés au rouge, les plaques de verre se déplaceraient
qu’est l’inertie psychologique, Altshuller, en s’inspirant des métho- sur une surface liquide ! C’est un convoyeur idéal.
des synectiques, a mis au point un outil qui brise les stéréotypes
● Les problèmes pour le choix du liquide de ce convoyeur sont les
psychologiques.
suivants :
— nous avons besoin d’un liquide qui fond aisément ;
Par DTC, on entend : — ce liquide doit avoir un point d’ébullition haut ; dans le cas
— D : dimension ; contraire, en cas d’ébullition, la surface de verre deviendra ondulée ;
— T : temps ; — la masse volumique du liquide doit, de plus, être beaucoup plus
— C : coût. haute que celle du verre (2,5 g/cm3) ;
— dans le cas contraire, le feuillard de verre ne flottera pas sur la
L’objectif principal de cet outil réside dans la reformulation de surface du liquide.
la description du problème. Il s’agit ici de se poser six questions
cardinales ; qu’adviendrait-il si : Donc, le liquide que nous cherchons doit avoir les propriétés
suivantes :
1 : le système était minuscule ?
— une température de fusion comprise entre 200 et 300 oC ;
2 : le système était immense ?
— une température d’ébullition supérieure à 1 500 oC ;
3 : le système opérait en un rien de temps ?
— une masse volumique supérieure à 5,0-6,0 g/cm3.
4 : le système opérait en un temps infini ?
5 : le système avait une valeur nulle ? Seuls les métaux ont de telles propriétés. Si nous rejetons les
6 : le système avait un coût très élevé ? métaux rares, il reste le bismuth, le plomb et l’étain. Le bismuth est
cher. La vapeur du plomb est dangereuse. Il reste l’étain.
Puis, la logique nous porte à nous poser la question suivante :
comment le problème peut-il être résolu dans de telles En conclusion, au lieu d’un convoyeur à rouleau nous aurons un bac
conditions ? avec de l’étain liquide sous forme d’atomes au lieu de rouleaux de fai-
ble diamètre.

Dans le cas du problème du transport d’une voiture, les six ques- Le travail des opérateurs DTC est de déplacer, par la reformu-
tions cardinales se formulent de la façon suivante. lation, l’angle de vision de la pensée en la plaçant dans des
Qu’adviendrait-il si : situations extrêmes. Cela afin de donner une vision différente
du problème parfois plus propice pour entrevoir la solution.
— 1-2 : une voiture transportait un atome ou une planète ?
— 3-4 : une voiture transportait en un centième de seconde ou en
une éternité ?
— 5-6 : une voiture coûtait 1 centime ou dix millions de francs ?
Comment le problème du transport est-il perçu sous ces divers
angles ?
Exemple : pour illustrer la mise en application des opérateurs DTC,
nous prenons le cas du convoyeur de laminoir.
Dans une fabrique de plaques de verre, un rouleau de verre est
chauffé au rouge et est alimenté via un convoyeur. Le rouleau se
déplace d’un support à l’autre et est lentement refroidi (figure 9a ).
Le verre doit ensuite être poli durant un certain temps car le rouleau,
encore à l’état visqueux demeure flexible, sensible aux fléchissements
a le convoyeur sur ses rouleaux
et tend à se déformer en surface lors de son évolution sur les rouleaux
(figure 9b ).
Les ingénieurs, en charge de ce problème, proposent de diminuer le
diamètre des rails autant que possible. Plus les rouleaux seront petits,
moins le rouleau sera marqué par son fléchissement. Cela signifie que
les plaques de verre sortiraient plus planes.
b les déformations du rouleau
Une contradiction technique apparaît ici : plus les rails sont petits,
plus il est difficile de fabriquer un convoyeur long de plusieurs mètres.
● La première question cardinale serait d’imaginer que le diamè-
tre de chaque rouleau soit égal à la taille d’une allumette, alors chaque
mètre de convoyeur aura 500 rouleaux au moins ! Et leur mise en place
nécessitera la précision d’un travail de bijoutier.
● Poussons la réflexion jusqu’à penser que les rails atteignent
le diamètre d’un fil (figure 9c ), en diminuant le diamètre des rouleaux :
1/10, 1/100, 1/1 000 mm (plus petits qu’un cheveu humain !).
Fabriquer un tel convoyeur est pratiquement impossible. Cependant,
parce que l’expérience que nous faisons est mentale, nous ne devrions
pas être effrayés d’essayer. Faisons des rouleaux aussi minces que
des molécules, puis étirons une molécule. L’épaisseur minimale d’une c le convoyeur doit avoir des rouleaux minuscules
molécule est un atome ; après cela la molécule casse. La feuille chauf-
fée de verre se déplacerait sur une couche d’atomes. C’est d’ailleurs le Figure 9 – Mise en application des opérateurs DTC dans le cas
meilleur convoyeur : il est idéalement plat ! du convoyeur de laminoir

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4.4 Méthode des hommes miniatures

Cette méthode [8] destinée également à surmonter l’inertie psy-


chologique fut employée par un ingénieur (américain, William Gor-
don), près de trente années auparavant. Il proposait d’employer une
méthode emphatique durant le procédé de résolution des
problèmes : la technique consiste à faire en sorte qu’une personne
imagine qu’elle est à l’intérieur du système, vivant le système et
essayant de trouver une solution au problème. C’est une méthode a présentation du fonctionnement
purement psychologique visant à trouver de nouvelles idées pour
faire face aux problèmes.
Le problème majeur de l’empathie de Gordon est de conduire
dans bien des cas à des impasses. Quand les inventeurs imaginent
eux-mêmes être une partie du système, ils passent à côté des idées
techniques liées au système car, pour un organisme vivant, de telles
actions ne sont pas acceptables. Elles sont prohibées.
TRIZ emploie des hommes miniatures en lieu et place de
« l’empathie ». La méthode des hommes miniatures (MHM) est très
simple, vous devez imaginer qu’une zone de conflit dans un sys-
I II III
tème (machine, dispositif, appareil) consiste en une foule d’hommes
miniatures. Puis vous regardez le problème de l’intérieur par leurs b modélisation du problème par la MHM
yeux.

Par « hommes miniatures » (HM), on entend :


— un ensemble, variable à souhait, d’hommes dont la taille
est minuscule, microscopique ;
— chaque homme pouvant être différencié, par un certain
type, couleur, sexe... ;
— des hommes pouvant obéir exactement aux ordres donnés c solution
(mouvements, actions...).
Figure 10 – Mise en application de la méthode des hommes
Exemple : pour illustrer la mise en application de la MHM, on prend miniatures dans le cas du récipient à bascule
le cas du récipient à bascule [1].
● Le récipient en question fonctionne de la manière indiquée
(figure 10a ). Une arrivée de liquide déverse goutte à goutte de l’eau analyse supplémentaire nous porterait à dire que le niveau qui
sur la partie gauche du récipient. Lorsque cette partie gauche est rem- n’était pas constitué, au départ, de parties mobiles est maintenant
plie d’eau, elle bascule. L’eau se déverse alors en dehors du récipient. devenu « dynamique ». Le système est entré dans la période de son
La partie gauche devient alors plus légère ; le récipient bascule et développement dynamique (loi d’évolution no 8).
revient à son point d’équilibre.
Dans le cas étudié, l’ensemble du liquide ne sort pas de la bascule et La méthode des hommes miniatures aide à surmonter l’iner-
le problème à résoudre est d’accroître l’efficacité du déchargement tie psychologique et sert à vaincre le syndrome de la page blan-
d’eau. che. Elle est une brève escapade du réel vers l’imaginaire (il y
est souvent plus simple d’y résoudre les problèmes), puis un
● Dans la mise en œuvre de la méthode des hommes miniatu-
retour au réel nous permet de mieux affronter le problème.
res, nous plaçons un ensemble d’HM sur la bascule en différenciant
ceux qui représenteront le liquide (des femmes) et ceux qui représen-
teront le contrepoids (des garçons). Dans la figure 10b, I, la charge de
liquide est en équilibre. Puis un supplément de liquide arrive
(figure 10b, II) et le système bascule vers le bas. Aussitôt qu’une ou
deux filles sautent hors de la bascule, le côté gauche commence à
5. ARIZ, l’algorithme de TRIZ
remonter (figure 10b, III).
● L’étape suivante consiste à revenir dans les réalités techniques : Quelques années après l’apparition de TRIZ, la nécessité d’une
une masse sur le côté droit de la balance doit facilement évoluer de démarche cadre destinée à structurer l’évolution de la mise en appli-
droite à gauche. Il est clair qu’un poids en forme de boule est l’objet le cation des concepts et outils développés devint inéluctable. Par défi-
plus approprié pour notre cas (figure 10c ) et le problème est résolu. nition, un algorithme est une séquence déterminée et connue
d’opérations mathématiques. Dans le cas de TRIZ, c’est une succes-
● La question qui se pose alors est : que pourrait-il être fait pour que
sion d’étapes avec des objectifs clairs :
toutes les filles sortent de la bascule ?
— ouvrir un large potentiel d’idées ;
La réponse est la suivante : tandis que les filles sortent de la bascule, — servir de « cadre » à toute étude ;
les garçons devraient se déplacer vers le centre de la planche — fournir des résultats optimaux.
(figure 10b, III). Lorsque toutes les filles ont quitté la bascule, les gar-
çons peuvent revenir à leur position originale. Les méthodes et comportements traditionnels face aux problè-
mes d’innovation passent tous par les mêmes standards :
Il n’est pas difficile de remarquer que la contradiction technique a — chance ;
été identifiée et supprimée. La valeur de la force agissant sur le côté — compétence des individus ;
droit de la bascule doit être minime, de manière à ce que le liquide — heuristique ;
puisse se déverser hors du récipient, et doit être assez importante de — temps de prospection élevé (essais et erreurs) ;
manière à ce que le liquide puisse faire basculer le récipient. Une — aptitude intrinsèque des personnes à être créatives.

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Ces méthodes demeurent toutes « technologiquement équipe, des versions successives ont eu pour dénomination ARIZ 77
orientées », aléatoires et peuvent passer un temps considérable et ARIZ 85b. La dernière version, faisant à cette heure référence, est
autant à développer de mauvaises solutions que d’autres plus origi- ARIZ 91, dont l’auteur n’est pas Altshuller lui-même mais certains
nales. ARIZ : algorithme de résolution des problèmes d’innovation de ses collaborateurs ayant repris ses travaux. Il est à noter qu’Alts-
est une méthode cadre, systématique et évolutive. huller a cependant validé cette version d’ARIZ.
Chronologiquement, la première version d’ARIZ remonte à 1956,
où une structure simplifiée voyait pour la première fois le jour. Puis, Une vue d’ensemble de la structure d’ARIZ 91 est donnée
au fur et à mesure de l’évolution des travaux d’Altshuller et son figure 11.

1 - Analyse du système

Phase 1 :
Restructuration
2 - Analyse des
du problème
ressources
originel
(planification)

3 - Définition du RIF
et formulation
des contradictions
Oui Y-a-t-il une
solution ?

Non
4 - Séparation
des contradictions

Oui Y-a-t-il une


solution ?

5 - Mise en application Phase 2 :


Non
des bases de données Élimination des
(effets, principes, contradictions
standards) (action)
Oui Y-a-t-il une
solution ?

Non
6 - Transfert vers le
mini-problème

Y-a-t-il une
Non solution ?

7 - Évaluation des
solutions et analyse
Oui de l'élimination des
contradictions

Phase 3 :
8 - Maximiser
Analyse des
l'utilisation des
solutions
solutions
(contrôle)

9 - Passage en revue
de toutes les phases
d'ARIZ dans leur mise
en application réelle

Figure 11 – Vue d’ensemble d’ARIZ 91

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Exemple : nous prenons le cas du système d’auto-orientation de


cylindres pour la mise en application d’ARIZ (figure 12).
● Formulation : après une phase antérieure d’usinage, des cylin-
dres arrivent sur un tapis roulant dans des orientations diverses
(figure 12a ). Les cylindres, avant leur phase d’emballage, doivent être
orientés. Les systèmes d’alignement sont complexes et dans le cas de
telles formes, pas toujours fiables.
Le problème posé est de trouver une solution simple, fiable et éco-
nomique d’alignement des cylindres.
● Réduction au Mini-problème : les cylindres doivent être orientés
sans altération majeure du système.
● Contradiction technique : l’orientation des cylindres requiert un
appareillage d’alignement, mais ce dernier accroît la complexité du sys- a présentation des cylindres b solution
tème.
● Modèle du problème : un élément ressource du système doit Figure 12 – Mise en application d’ARIZ dans le cas d’un système
permettre l’alignement. d’auto-orientation de cylindres
● Analyse de la zone de contradiction et des ressources : la zone
de conflit est la surface du convoyeur. La seule ressource en présence
est le convoyeur lui-même.
● Formulation du RIF : le convoyeur aligne de lui-même les cylin-
6. TRIZ et les approches
dres. traditionnelles
● Contradiction physique : afin d’effectuer l’action « orienter »,
différents points de la surface du convoyeur devraient avoir des vites- Les outils et méthodes traditionnels mettent tout en œuvre pour
ses différentes. déclencher l’idée, mais, tous, basent la capacité de produire des
Afin d’effectuer l’action « convoyer », ce dernier devrait évoluer à idées sur les compétences créatives intrinsèques de l’homme. Les
une vitesse donnée. problèmes sont reformulés, analysés sous divers angles, les person-
● Élimination de la contradiction physique : le principe 1 (§ 4.1) ;
nes sont placées dans des conditions les plus propices à la généra-
segmentation ou séparation, contient un sous-principe formulé comme tion d’idées, mais le résultat, l’éclair de génie est encore et toujours
suit : séparer des requêtes opposées entre un système et son sous- produit par l’homme : TRIZ ne remet pas en cause la créativité pro-
système en le divisant en plusieurs parties où chaque partie possède pre, mais hisse les capacités de production des idées à un niveau
une propriété P et les autres une propriété–P. supérieur en dirigeant dans la bonne direction, en soufflant des
solutions génériques pour que l’effort de créativité prenne alors le
● Transposition vers une solution : un convoyeur à deux niveaux relais et transpose ces ébauches d’idées au problème posé
de convoyage (figure 12b ), dont les deux bandes des côtés possèdent (figure 13).
des directions de convoyage opposées.
Tout n’est qu’une question de temps, précise Altshuller [1]. Les
approches d’inventeurs, tel Thomas Edison, étaient basées sur des
méthodes telles que les essais et les erreurs. De telles méthodes ont
En conclusion, ARIZ est l’outil qui permet de mettre TRIZ en permis à Edison d’être détenteur de quelque 200 brevets mais au
pratique de façon structurée, efficace et pragmatique. Son évo- prix de combien d’années d’efforts, de la part de combien de
lution future est directement liée à l’évolution des outils et personnes ? Le cheminement aléatoire ou heuristique du problème
notions essentielles de TRIZ. à la solution peut prendre une éternité en fonction de la complexité
du problème.

Problèmes déjà Solutions ayant déjà


correctement résolus fait leurs preuves

Domaine
abstrait Prisme représentant
Prisme déformant
votre effort de créativité
de TRIZ (reformulation)
Réalités (interprétation)
industrielles

Votre problème Votre solution

Figure 13 – Résoudre un problème par TRIZ

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Planning
stratégique

Les outils

Avons-
nous
réellement la
Q.F.D./KANO :
maîtrise des besoins
Non Pour comprendre, documenter
présents et futurs des
et développer les besoins des
consommateurs
consommateurs (apparents,
ainsi que la connaissance
latents, présent et futurs)
de la position de nos
concurents ?

Oui

Avons-
nous la TRIZ, Brainstorming,
connaissance de la Non
Benchmarking, etc. :
technologie et des Pour générer des concepts
concepts ?

Sélection des concepts :


Oui Pour évaluer et sélectionner
les meilleurs concepts

Le concept TRIZ :
est-il libre Afin de créer des concepts
de tout conflit Non
nouveau, générer des idées
technologique ? et/ou résoudre les conflits
techniques

Non
Oui

Les Doit-
performances du on
concept sont-elles robustes Non Robust Design : Oui poursuivre
et compétitives Afin d'optimiser les coûts et l'amélioration du
au point de vue l'aspect robuste des solutions concept ?
des coûts ?

Le
Oui concept est-il
Oui amélioré tant au point Non
de vue des performances
que des coûts ?

Implémentation

Figure 14 – Complémentarité TRIZ, QFD et Robust Design [17]

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Une méthode idéale serait une méthode qui puisse vaincre le syn- 6.2 Vers une méthode de conception
drome de la page blanche en orientant la personne dans une direc-
tion restreinte de solutions. Guidée par un processus systématique, totale
cette méthode lui permettrait d’aborder le problème en s’appuyant, à
chaque étape de sa résolution, sur des outils pour orienter encore la
réflexion dans des directions génériques que d’autres ont suivi dans Depuis des décennies, ingénieurs et chercheurs développent
des configurations de problématiques similaires. La multiplicité des outils et méthodes dans l’objectif d’améliorer la qualité des pro-
réponses potentielles, augmentant les chances de trouver la solution duits. Après toutes ces années, dans un contexte socio-économi-
idéale à un problème, pourrait, en outre, être régie par certaines lois que difficile, l’entreprise qui possède ne serait-ce qu’une courte
ayant pour objectif de se rapprocher au plus près de cet « idéal ». tête d’avance prendra automatiquement l’avantage sur ses concur-
rents et dominera le marché tant qu’elle conservera cette avance.
La maîtrise que les sociétés ont des outils leur permettant de
6.1 TRIZ et l’analyse de la valeur mettre un nouveau produit sur le marché est quasi identique d’une
société à l’autre. Ainsi, toutes se retrouvent, à l’heure actuelle, dans
La méthode TRIZ n’entre nullement en compétition avec l’analyse un mouchoir de poche en termes de compétitivité et leur « time-
de la valeur. Bien au contraire, elle vient étayer sa structure en to-market » respectif demeure on ne peut plus proche [15].
apportant des réponses lorsque dans les phases de 1 à 4 de l’ana-
L’arrivée sur la scène industrielle occidentale de TRIZ boulever-
lyse de la valeur, on se pose des questions concernant les concepts
sera certainement les données actuelles. Cette théorie est en quel-
à suivre et comment résoudre des problèmes autrement que par des
que sorte le chaînon manquant du développement total des
méthodes aléatoires où seul l’homme reste détenteur du moment et
produits. Ses points forts résident dans la systématisation de la
de la pertinence de l’idée émise. Dans la phase 4 (phase de résolu-
production d’idées, dans cette phase où les outils et méthodes
tion des problèmes) TRIZ est dans son élément ; non seulement, la
actuelles ont cet inconvénient majeur de se reposer totalement
théorie peut servir d’outil de résolution des problèmes, d’outil per-
sur les compétences de l’homme. Cette situation rend ainsi
mettant d’avoir des idées, mais elle va au-delà de cette notion en
l’ensemble du processus difficile à estimer en terme de temps et
proposant les idées qui vont en direction de l’idéal.
en terme de prédiction de la qualité des solutions émises. Un
Plus encore, en intégrant TRIZ, l’analyse de la valeur pourrait dé- exemple de complémentarité actuellement en cours de dévelop-
sormais réduire considérablement la durée de sa mise en œuvre, op- pement entre TRIZ et certains outils et méthodes [17] est donné
timaliser son efficacité et ainsi prédire la durée de son déroulement. figure 14.

Références bibliographiques

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