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p a r L u c BRISSON, P a r i s
I. Origines 2869
IV. M o r t 2874
V. Disciples 2874
Illustration 2931
Première partie: O r p h é e
I. Origines
II. Inspiration
Puisqu'il est le fils de la première des Muses, Orphée doit être le premier des
poètes, dans le temps et du point de vue de la qualité. Inspiré par les Muses,
et notamment par sa mère, Orphée peut remonter dans le passé jusqu'aux
origines: il allait donc de soi qu'on lui attribuât une Théogonie (cf. infra,
p. 2876 — 2914). Autour de cette œuvre majeure et pour ainsi dire nécessaire,
vint se greffer, à différentes époques, une constellation d'œuvres, dont plusieurs
seront décrites plus loin (cf. infra, p. 2 9 1 4 - 2 9 2 3 ) .
De l'inspiration poétique, on glisse facilement à l'inspiration mantique
( O T 87 — 89), dispensée par Apollon notamment; voilà pourquoi certains
témoignages font d'Apollon le père d'Orphée (pseudo-Apollodore, Bibliothè-
que I 3,2). Philochore (FGrH III B 328 F 77 = Clément d'Alexandrie, Stromates
I 21, 134,4) tenait déjà Orphée pour un devin et, dans son ouvrage 'Sur la
divination', il aurait même cité deux vers d'Orphée:
Par là s'explique qu'on ait pu mettre sous le nom d'Orphée un recueil d'oracles
(cf. infra, p. 2915).
Et de l'inspiration mantique dispensée par Apollon, on passe facilement
à l'inspiration 'télestique'.
La religion grecque, intimement liée à la cité (irôA.iç), est une religion
publique au sens le plus fort du terme, garantissant l'intégration de l'individu
dans la cité. Quiconque refusait ce mode d'intégration pouvait se voir accuser
d"impiété' (àaépeia). Mais, dans le même temps, il y avait des cultes non-
civiques qui n'intéressaient qu'un groupe restreint dans lequel on ne pouvait
entrer que par l'intermédiaire d'une initiation individuelle; c'étaient les mystè-
res. En grec ancien, «initier», c'est (iueîv ou xeXeïv. L'initié est appelé |iûcxr|ç,
et l'ensemble des cérémonies est qualifié de |iucrxf|pia, alors que le xeA.eaxf|piov
est le lieu où se déroulent ces cérémonies. L'ensemble des cérémonies peut
aussi être appelé xekexr|, mais le terme peut avoir une acception plus large. Le
terme ôpyia « exaltations » est aussi un terme utilisé pour décrire le rituel
exécuté lors de ces cérémonies. Or, le nom d'Orphée est lié d'une façon ou
d'une autre aux mystères les plus connus dans l'antiquité gréco-romaine:
ceux de Phlya, de Samothrace et d'Eleusis notamment, mais surtout ceux de
Dionysos.
3 A la fin de son article (cité dans la note suivante), P. TANNERY écrit: « En fait L'ô|I<paXôç
de la nfixpa désignait seulement, pour eux, ce que nous appelons le col de la matrice,
l'appendice saillant que présente un utérus, dont ils prétendaient retrouver la forme,
même dans celle du monde. Or cette partie, dont le nom technique, qu'ils avaient
probablement voulu éviter, était KaoX.ôç, offre effectivement une analogie de forme avec
une verge humaine. Hippolyte pouvait donc prétendre que les Sethiens avaient voulu,
dans la conception de leurs empreintes, accoupler les organes des deux sexes; c'était au
moins aussi sérieux que le rapprochement entre leur doctrine et les peintures de Phlya. »
C e passage évoque les mystères d'Eleusis, qui seront traités un peu plus
loin; mais qu'en est-il des rapports d ' O r p h é e avec les mystères de Samothrace?
Il n'est pas facile de parler du culte des Cabires à S a m o t h r a c e , n o t a m m e n t
pour cette raison qu'y interviennent des éléments non spécifiquement grecs.
Q u o i qu'il en soit, on y célébrait des mystères, auxquels O r p h é e , qui y avait
été lui-même initié, fait initier les Argonautes (Diodore IV 43, 1 - 2 = O T
105) 4 a .
Les mystères d'Eleusis étaient certainement les plus connus dans l'anti-
quité gréco-romaine. O n c o m p r e n d dès lors q u ' o n ait voulu faire d ' O r p h é e
l'initiateur de ce culte ( O F 1 0 2 - 1 0 4 ) . T h é o d o r e t de Cyr (Thérapeutique des
maladies helléniques I 21 = O T 103), raconte que c'est au retour d'un voyage
en Egypte q u ' O r p h é e t r a n s f o r m a en ceux de D é m é t e r et de Dionysos, les
mystères d'Isis et d'Osiris; ce thème, probablement inspiré d ' H é r o d o t e (II 81
= O T 216) en dernière analyse, revient souvent dans la littérature sur O r p h é e .
Par ailleurs, le témoignage littéraire le plus ancien sur les mystères d'Eleusis
est P ' H y m n e h o m é r i q u e à D é m é t e r ' . Or, un hymne à D é m é t e r semble avoir
été mis sous l'autorité d ' O r p h é e , qui racontait pratiquement la m ê m e histoire
(cf. infra, p. 2 9 1 8 ) .
C o n t r a i r e m e n t à ceux d'Eleusis, de S a m o t h r a c e et de Phlya, les mystères
de D i o n y s o s , qualifiés de ' b a c c h i q u e s ' n'étaient pas liés à un point fixe dans
l'espace et dans le temps. Voici c o m m e n t Platon décrit ceux qui prétendent
mettre en œuvre ces mystères:
« D ' u n autre côté, ils font état d'une masse de livres de Musée et d ' O r p h é e ,
rejetons, à les entendre, de la Lune et des M u s e s , livres d'après lesquels
ils font leurs sacrifices, et, non contents de convaincre les particuliers, ils
persuadent a u x Cités aussi que, c o m m e ils l'assurent, absolution et
purification (îcaGapnoi) des injustices peuvent être obtenues, et au moyen
de sacrifices et de réjouissances de divertissements pendant qu'on est
encore vivant, et aussi après la mort, avec ce qu'ils n o m m e n t initiations
(xeXeTâç), et par quoi nous sommes affranchis des m a u x de là-bas, m a u x
terribles, qui attendent c e u x qui n'ont pas sacrifié. »
( P l a t o n , R é p . II 3 6 4 e - 3 6 5 a , t r a d u c t i o n d e LÉON ROBIN = O F 3)
4 PAUL TANNERY, Orphica, fr. 3 Abel, Revue de Philologie 24, 1900, p. 9 7 - 102. Pour une
revue des rapports qu'entretient Orphée avec l'ensemble des mystères évoqués ici, cf.
WALTER BURKERT, Greek religion. Archaic and classica!, transi, by JOHN RAFFAN, Oxford
(Basil Blackwell) 1985, p. 276 - 304 ( = ID., Griechische Religion der archaischen und
klassischen Epoche, Die Religionen der Menschheit 15, Stuttgart - Berlin - Kòln - Mainz
1977, p. 4 1 3 - 4 5 1 ) .
4a S. G. COLE, The Mysteries of Samothrace during the Roman Period, ANRW II 18,2,
hrsg. v. W. HAASE, B e r l i n - N e w York (W. de Gruyter) 1989, p. 1 5 6 4 - 1 5 9 8 .
Un mythe fut même élaboré, qui associait Orphée aux mystères de Dionysos.
En effet, lorsqu'il parle de celui qu'il considère comme le troisième Dionysos,
Diodore (III 6 4 , 3 - 6 5 , 6 ) raconte comment ce Dionysos réussit à vaincre et à
punir Lycurgue, un roi de Thrace, qui voulait le tuer. Averti des intentions de
Lycurgue, par un autre Thrace, du nom de Charops, Dionysos aurait fait de
ce dernier le nouveau roi du pays et l'aurait initié « aux mystères qui ont
rapport avec les initiations (ta Kaxà tàç xeXzzàq ôpyia) ». Cette royauté et ce
savoir auraient été transmis par Charops à Oeagre, son fils. Puis Oeagre initia
son fils, Orphée, à ces mystères. Et Diodore conclut:
« Surpassant par ses dons naturels et par son éducation tous ses contempo-
rains, Orphée changea beaucoup de choses dans les mystères (ôpyioiç);
voilà pourquoi les initiations (xàç xeXezàç) instituées par Dionysos sont
appelées orphiques. »
(Diodore III 65, 6)
On trouve un nombre important d'autres témoignages faisant d'Orphée l'initia-
teur des mystères de Dionysos ( O T 9 4 - 1 0 1 : O T 94 = Cicéron, De nat.
deorum III 58; O T 95 = Diodore I 23, 2 — 3; Eusèbe, Préparation Evangélique
II 1,23); O T 96 = Diodore I 96, 4 = Eusèbe, Préparation Evangélique X 8,
4 - 5 ; O T 97 = Diodore IV 25, 1 - 4 ; O T 98 = Eusèbe, Préparation Evangéli-
que I 6; O T 99 = Lactance, Institutions divines I 22, 15 - 1 7 ; O T 99 a =
Eusèbe, Préparation Evangélique X 4, 4; O T 100 = Théodoret, Thérapeutique
des maladies helléniques I 114). A ces témoignages, il faut ajouter les textes
que O. KERN considère comme des fragments des Te^etai, des KaQapjioi et
des BaKXiKâ (cf. p. 2871 et 2915).
C'est d'ailleurs à la nébuleuse constituée par ces mystères de Dionysos
que devaient appartenir les croyances en une survie exprimées dans les lamelles
d'or trouvées dans plusieurs sépultures (cf. n. 5) et les cultes célébrés à Olbia
(cf. n. 92). Il est bien difficile de considérer ces doctrines comme spécifiquement
orphiques 5 , même si les rapports entre les deux courants sont réels et nom-
breux.
S
G. ZUNTZ, Persephone. Three essays on religion and thought in Magna Graecia, Oxford
(Clarendon Press) 1971. Le troisième essai est entièrement consacré aux lamelles d'or,
p. 275 — 293. Depuis, un certain nombre d'articles ont paru, qu'il n'est pas possible de
recenser ici.
toute particulière: elle subjugue non seulement les êtres infra-humains: bêtes
sauvages, arbres et même pierres ( O T 4 6 - 5 5 , notamment Apollonius de
Rhodes, Argonautiques I 26 —31 = O T 51; Sénèque, Hercule furieux 572 —
573; Médée 228 - 229, 625 - 629; Hercule sur l'Oeta 1 0 3 6 - 1039; Macrobe, In
Somn. Scip. II 3, 8 = O T 55), mais aussi des monstres comme les Sirènes.
C'est d'ailleurs pour s'opposer à elles qu'Orphée participe à l'expédition des
Argonautes ( O T 7 8 - 8 0 ) .
Mais l'exploit le plus connu d'Orphée, celui que racontent des poètes
célèbres (Virgile, Géorgiques IV 453 — 506; Ovide, Métamorphoses X 8 s q . ) ,
est sa descente chez Hadès pour en ramener Eurydice. Un jour qu'elle se
promenait le long d'une rivière de Thrace, Eurydice fut poursuivie par Aristée,
qui voulait lui faire violence. Dans sa fuite, elle piétina un serpent qui la
mordit, et elle mourut. Orphée descend alors chez Hadès pour y chercher sa
femme. Par les accents de sa musique, il charme non seulement les monstres
des Enfers, mais même les dieux infernaux. Hadès et Koré consentent à rendre
Eurydice à un mari qui donne de telles preuves d'amour. Mais ils y mettent
une condition. Orphée remontera au jour, suivi de sa femme, sans se retourner
pour la voir avant d'avoir quitté le royaume des morts. Orphée accepte et se
met en route. Déjà, il est presque revenu à la lumière du jour, qu'un doute
lui vient. Aussitôt il se retourne. Alors Eurydice redescend définitivement dans
le monde des morts. Orphée veut aller la rechercher, mais cette fois Charon
est inflexible, et l'accès au monde des morts lui est refusé. Il doit revenir parmi
les vivants. Or, à l'époque impériale, on attribuait à Orphée un poème: 'La
descente chez Hadès' (cf. infra, p. 2915), où il devait raconter sa quête d'Eury-
dice, et décrire la destinée de l'âme après la mort.
ZV. Mort
La mort d'Orphée a donné lieu à plusieurs versions (OT 113 — 135). La plus
généralement admise raconte comment Orphée fut mis en pièces par des fem-
mes thraces, qui jetèrent sa tête et sa lyre dans un fleuve de Thrace, l'Hèbre qui
les emporta jusqu'à la mer. De là, elles parvinrent à l'île de Lesbos. On racontait
que la tête continuait de chanter sur la musique que faisait retentir la lyre.
On disait aussi que, après sa mort, la lyre d'Orphée fut transportée au
ciel, où elle devint une constellation ( O T 136— 137 notamment).
V. Disciples
Deuxième partie: O r p h i s m e
I. Les œuvres
1. Description
Avant de m'interroger sur leur origine, sur l'usage qu'on pouvait en faire
et sur l'influence qu'ils purent avoir dans le domaine littéraire et philosophique,
je vais m'efforcer de décrire, à partir de témoignages les concernant, un certain
nombre d'écrits mis sous le nom d'Orphée.
a) La version ancienne
Après avoir cité la théogonie des ' R h a p s o d i e s ' , Damascius cite la théologie
mentionnée par E u d è m e 6 :
6 Eudème appartient à la première génération des disciples d'Aristote. Sur sa vie et son
œuvre, cf. F. WEHRLI, RE, supp. XI (1968), s.v. Eudemos 11, 6 5 2 - 6 5 8 . Les fragments
qui subsistent de son œuvre ont été réunis par F. WEHRLI, dans: Die Schule des Aristoteles.
Texte und Kommentar, hrsg. von FRITZ WEHRLI, Heft VIII: Eudemos von Rhodos, Basel/
Stuttgart (Schwabe) 1969 [zweite, ergänzte und verbesserte Auflage). On ne sait pas à
quelle œuvre d'Eudème peut appartenir le fragment 150, sous lequel sont rangées les
citations faites par Damascius.
identifier l'Olympe au ciel, car l'épithète naicpôç, qui convient à l'Olympe (nombreuses
occurrences dans l"Iliade'), ne convient pas au ciel.
tout ce qui était alors venu à l'être; et par suite Zeus devint
l'unique.
25 Maintenant il est le roi de tous les êtres, et il le sera dans
l'avenir.
Zeus fut le premier à venir à l'être, Zeus à la foudre éclatante
est le dernier,
Zeus est la tête, Zeus est le milieu, c'est à partir de Zeus que
tout fut fabriqué.
Zeus tient lui-même dans ses mains la fin de tous les êtres, Zeus
est la Destinée ( = Moira) puissante:
Zeus est le roi, Zeus à la foudre éclatante est le principe de tous
les êtres.
30 En effet, après les avoir tous cachés, de nouveau à la lumière
qui cause une grande joie,
hors de son cœur saint, il les ramena, accomplissant de terribles
exploits.
En vérité, en tout premier lieu parmi les divinités, l'Aphrodite
d'or,
l'Ouranienne séduisante, il la conçut grâce à sa thornë-,
puis, c'est grâce à elle ( = thornë) que, en même temps, Harmo-
nie et l'aimable Peithô ( = Persuasion) naissaient.
35 II conçut encore la Terre ( = Gaia) et le Ciel ( = Ouranos) qui
s'étend en largeur là-haut,
puis il conçut la grande force d'Okéanos qui se répand au loin;
il déploya aussi les fibres de l'Achéloos qui roule des flots
. d'argent.
Il conçut une autre terre immense ( = la lune), — Sélênè
l'appellent les immortels, mais ceux qui habitent sur la terre
(l'appellent) Mené —.
40 qui contient beaucoup de montagnes, beaucoup de villes, beau-
coup de demeures;
à partir de son centre égale en ses membres de tous côtés
( = sphérique),
elle brille pour de nombreux mortels sur la terre sans bornes.
(Il conçut aussi le grand soleil, qui est utile aux mortels
et les astres brillants dont le ciel se couronne
45 [vers trop lacunaire pour être traduit]
Ensuite, quand il eut conçu tout cela, Zeus à la métis
éprouva le désir de s'unir dans l'amour à sa mère.
(ma traduction sur un texte de M. L. WEST8)
8 Le texte reconstitué par M. L. WEST est imprimé dans: The orphie poems, op. cit.,
p. 114 — 115; ma traduction se trouve dans la Revue de l'Histoire des Religions 202, 1985,
p. 418 — 420. Je l'ai modifiée sur certains points.
Dans un bref proème, Orphée annonce qu'il va chanter pour les initiés
ce qu'a fait Zeus, et les dieux nés de lui. Son récit commence au moment où
Zeus va s'emparer du pouvoir royal et où il prend l'avis de la Nuit. Zeus
avale Protogonos, le «Premier né». En un flash-back, est évoquée la lignée
divine dont vient Zeus: Nuit, Protogonos, Ouranos (Gaia), Kronos (qui castre
Ouranos). Après avoir avalé Protogonos, Zeus devient le début, le milieu et
la fin de tout, puis procède à une nouvelle création que décrivent les vers
suivants. Mais le récit s'arrête sur la mention du désir de Zeus pour sa mère.
Quelles conclusions tirer de tout cela?
Cette théogonie a pour principe primordial la Nuit, dans la mesure où
rien ne laisse supposer que Chronos la précède. A partir de la Nuit, la suite
des événements correspond en gros à ce qu'on trouve dans les 'Rhapsodies'
jusqu'à Zeus à tout le moins. Aucune mention n'est faite de Dionysos, de son
démembrement par les Titans et de sa résurrection. Il faut bien admettre que
cette théogonie est fragmentaire et que, par voie de conséquence, tout laisse
penser qu'intervenaient d'autres figures que celles mentionnées dans les quel-
ques dizaines de lignes reconstituées par M. L. WEST. Il n'en reste pas moins
que, dès lors qu'on ne s'appuie plus sur un texte, même fragmentaire, même
douteux, on entre dans le domaine de l'hypothèse.
Jusqu'à la fin du I er siècle ou au début du II eme siècle apr. J.-C., on
connaissait forcément cette version ancienne de la théogonie orphique directe-
ment ou indirectement, à travers les œuvres d'Aristophane, de Platon, d'Aristote
et d'Eudème notamment.
En fait, la plupart des témoignages sur l'Orphisme chez les auteurs de
cette époque font référence à trois divinités: Zeus, Déméter et Dionysos.
Il est à noter cependant que Chrysippe, cité par Philodème (SVF II no 636
VON ARNIM = Philodème, De pietate 14, p. 81,18 GOMPERZ = OF 28 a)
témoignait du fait que la Nuit était le premier principe dans la théogonie
orphique 9 . On peut dès lors penser que la chose était bien connue dans certains
milieux stoïciens notamment.
Plutarque, lui, insiste sur le fait que, pour les Orphiques, tout sort de
l'œuf primordial (Quaest. conv. II 3,2, Moralia 636 d —e = OF 71), et cela
après avoir évoqué le premier vers cité dans la reconstruction de la théogonie
orphique commentée dans le papyrus de Derveni (cf. Quaest. conv. II 3,2,
Moralia 636d). Et, dans le De E apud Delphos 15 (Moralia 391 d), il cite le
vers évoqué par Platon dans le Philèbe (66 c = OF 14) et qui rappelle que la
théogonie orphique comprenait six générations.
Aucun témoignage ne nous renseigne sur les divinités qui sortirent de
l'œuf, et cela jusqu'à Zeus. L'hymne à Zeus, auquel fait allusion Platon dans
' Cela dit, on ne doit tirer aucune conclusion d'ordre historique de la théogonie qu'Apollo-
nius de Rhodes met dans la bouche d'Orphée au chant I des ses 'Argonautiques'
(494 - 511). Rien, en effet, ne nous force à voir dans ces vers d'Apollonius de Rhodes le
résumé d'une théogonie orphique originale connue de lui; et il est tout à fait vraisemblable
que la réaction des lecteurs des premiers siècles de notre ère fut la même. Une lecture
attentive amène à penser qu'il s'agit là d'une composition éclectique qui emprunte à
différents auteurs, notamment Phérécyde de Syros.
les 'Lois' (IV 715 e = OF 21, cf. le v. 2; voir aussi Plutarque, De def. oracul.
48, Moralia 436 d; Jamblique, Protreptique chap.4, p. 5 4 . 1 9 - 2 0 DES PLACES),
semble avoir été bien connu à l'époque impériale. L'ouvrage apocryphe d'inspi-
ration stoïcienne 'Ilepi icôo(iou', qui est attribué à Aristote, mais qui a dû être
composé entre la seconde moitié du I er siècle av. J.-C. et la seconde moitié du
Ier siècle apr. J.-C., en cite 9 vers.
« Aussi n'est-ce pas sans vérité qu'il est dit dans les hymnes Orphiques:
Zeus fut le premier à naître, Zeus maître de la foudre est le
dernier.
Zeus est la tête et le milieu, c'est de Zeus que tout a reçu l'être.
Zeus est le fondement de la terre et du ciel étoile.
Zeus immortel est tout ensemble mâle et femelle.
5 Zeus est le souffle de toutes les créatures, l'élan du feu infatiga-
ble.
Zeus est la racine de la mer, et le soleil et la lune.
Zeus est roi, Zeus maître de la foudre est le chef de tous les
êtres;
car, les ayant cachés, il les ramène tous à la lumière joyeuse
hors de son cœur sans souillure,
lui, le dieu aux exploits terribles ».
(pseudo-Aristote, De mundo 401 a 27 — b 7, traduction française due à
A.-J. FESTUGIÈRE10; cf. la traduction en latin 'De mundo' faussement
attribuée à Apulée = OF 21 a)
Ces vers sont immédiatement interprétés dans le cadre de la doctrine stoïcienne
(pour un bon exemple de ce type d'interprétation, cf. Chrysippe, SVF II, nos
1078 & 1081 VON ARNIM = Philodème, De pietate 13 & 14 p. 80,16 sq.
GOMPERZ = O F 30).
Cela dit, il est difficile de savoir si les vers qu'on attribue à Orphée,
concernant la recherche entreprise par Déméter pour retrouver sa fille, Koré
enlevée par Pluton se trouvaient dans cette version ancienne de la 'Théogonie'
ou dans un poème séparé. Sur le marbre de Paros, qui date de 264/3 av. J.-C.,
on trouve mention d'un poème sur le rapt de Koré et sur la recherche
qu'entreprend Déméter pour la retrouver. Ce poème, qui raconte le mythe
éleusinien 11 , est dit avoir été publié sous Erechtée, un des rois fondateurs
d'Athènes: le nom du poète n'a pas été conservé, mais « Orphée » semble être
une reconstruction tout à fait acceptable 12 . Il est possible que ce poème ne
soit rien d'autre que T'Hymne homérique à Déméter', car, dans un papyrus
de I er siècle av. J.-C. (P. Berol. 13044 = OF 49 KERN), la même histoire est
10 A.-J. FESTUGIÈRE, La révélation d'Hermès Trismégiste II: Le dieu cosmique, Paris (Ga-
balda) 1949, p. 476.
" Cf. FRITZ GRAF, Eleusis und die orphische Dichtung Athens in vorhellenistischer Zeit,
Religionsgeschichtliche Versuche und Vorarbeiten 33, Berlin/New York (de Gruyter)
1974, p. 161 sq.
12 Marmor Parium, FGrHist II B 239 A 14.
racontée en prose. Des vers sont cités de mémoire, qui se retrouvent dans
l " H y m n e homérique' à Déméter. Quoi qu'il en soit, cet épisode mythologique
devait se trouver dans la première version de la T h é o g o n i e orphique, car le
papyrus de Derveni semble y faire une lointaine allusion.
Mais c'est le meurtre et la manducation de Dionysos par les Titans qui
retiennent surtout l'attention des auteurs au début de l'époque impériale 1 3 .
Le témoignage de Philodème (De pietate 44, p. 16 GOMPERZ = O F 36)
nous fait remonter au III e m c siècle av. J . - C . , car il cite un poème d'Euphorion
(frag. 33 SCHEIDWEILER = frag. 39 v. GRONINGEN), OÙ cet épisode aurait été
raconté. Une scholie à Lycophron (207 SCHEER) nous apprend que la même
histoire était racontée dans ce poème ou dans un autre poème d'Euphorion
(frag. 12 SCHEIDWEILER = frag. 14 v. GRONINGEN) et dans un poème de Calli-
maque (frag. 3 7 4 SCHNEIDER = frag. 643 PFEIFFER). Ces fragments qui vien-
nent de Callimaque et d'Euphorion, auxquels il faut ajouter un autre fragment
de Callimaque, que mentionne P'Etymologicum m a g n u m ' (p. 4 0 6 . 4 6 = frag.
171 SCHNEIDER = frag. 517 PFEIFFER), constituent le point de départ de ce
que nous pouvons savoir sur le mythe orphique de Dionysos.
Les informations que donne Diodore sur ce mythe peuvent être regroupées
sous deux chefs.
1) Reprenant une conviction (cf. supra, p. 2872) déjà exprimée par Héro-
dote (II 81 = O T 216), suivant laquelle c'est d'Egypte q u ' O r p h é e aurait
rapporté les mythes qu'il a racontés et les rites qu'il a institués, Diodore
raconte qu'Orphée a emprunté aux Egyptiens les mystères d'Osiris et d'Isis et
les a rajeunis en ceux de Dionysos et de Déméter (Diodore I 11,3 = O F 237;
I 23,7 et 96,5 = O T 9 5 - 9 6 ; I 92,3 et 9 6 , 2 = O F 293); voilà d'ailleurs
pourquoi Dionysos se trouve identifié à Osiris et, par son intermédiaire, au
soleil (Diodore I 11,3 = O F 237), et Déméter, la terre-mère, à Isis (Diodore
I 12,4 = O F 302; I 96,2 = O F 293). Plutarque, qui lui-même avait été initié
aux mystères de Dionysos (Cons, ad ux. 10, M o r a l i a 611 d), il faut le rappeler,
revient avec insistance sur l'identification d'Osiris avec Dionysos (De Iside et
Osiride 13, Moralia 356 b; 28, Moralia 3 6 2 b; 3 4 - 3 5 , M o r a l i a 3 6 4 d; 36,
Moralia 365 d; cf. 25, Moralia 360 e; 37, M o r a l i a 365 e). Il relève les correspon-
dances dans les cultes de l'un et de l'autre: notamment l'homologie entre les
cérémonies relatives aux Titans et les fêtes nocturnes de Dionysos d'une part,
et les mises en pièces, les retours à la vie et les palingénésies d'Osiris d'autre
part (De Iside et Osiride 35, Moralia 3 6 4 f). Pour sa part, Servius rapprochera
" Les pages qui suivent s'inspirent essentiellement de A . J . FESTUGIÈRE, Les mystères de
Dionysos, Revue Biblique 44, 1935, p. 192 - 211, 3 6 6 - 396 = ID., Études de religion
grecque et hellénistique Paris (Vrin) 1972, p. 1 3 - 6 3 ; de IVAN M . LINFORTH, The arts of
Orpheus, Berkeley/Los Angeles (Univ. of California Press) 1941; de MARTIN P. NILSSON,
The Dionysiac mysteries of the Hellenistic and R o m a n age, New York (Arno Press)
1957, surtout le chap. I X ; et de JEAN PÉPIN, Plotin et le miroir de Dionysos (Enn. IV,
3 [27], 1 2 , 1 - 2 ) , Revue internationale de Philosophie 24, 1970, p. 3 0 4 - 3 2 0 . Voir aussi
L. FOUCHER, Le culte de Bacchus sous l'empire Romain, A N R W II 17,2, hrsg. v. W.
HAASE, B e r l i n - N e w York (W. de Gruyter) 1981, p. 6 8 4 - 7 0 2 .
des propos d'Orphée sur Liber déchiré par les Géants, l'histoire d'Osiris aux
membres arrachés par Typhon et recueillis par Isis (In Verg. Georg. I, 166 =
OF 213). Enfin, Théodoret (Thérapeutique des maladies helléniques I, 21 =
O T 103) rappelle, d'après Plutarque et Diodore, qu'Orphée ramena d'Egypte
les mystères d'Isis et d'Osiris, et les transforma en ceux de Déméter et de
Dionysos.
2) Le drame dont Dionysos est le protagoniste doit être interprété allégori-
quement. Dionysos, le fils de Zeus et de Déméter, est tué par les Titans. Ces
derniers le dépècent, jettent les membres dans un chaudron et les cuisent,
notamment en les faisant bouillir; puis ils les mangent. Mais la mort de
Dionysos n'est pas définitive. Rhéa ou une autre divinité rassemble les membres
et leur redonne vie. C'est dans une perspective naturaliste que Diodore va
interpréter ce mythe, que d'autres auteurs vont interpréter dans une tout autre
perspective.
14 JEAN PÉPIN, Mythe et allégorie. Les origines grecques et les contestations judéo-chrétien-
nes (1958), Paris (Etudes Augustiniennes) 1976 2 .
5) L'exégèse morale
b) La t h é o g o n i e d e s ' R h a p s o d i e s '
(double création, triades divines). On comprend dès lors que les Néo-platoni-
ciens n'ont pas eu trop de mal à y retrouver une préfiguration de leur système.
Lactance, qui aurait écrit les 'Institutions divines' vers 301 apr. J . - C . ,
semble bien être le premier auteur à évoquer les débuts des 'Rhapsodies' 1 7 en
parlant de Phanès, dont il explique le nom et dont il justifie le qualificatif de
« premier-né »:
« [6.] Il ( = Orphée) affirme que celui-ci est le père de tous les dieux, qu'il
a créé le ciel pour eux et l'a organisé pour ses enfants, afin qu'ils eussent
une maison et une résidence commune:
Guidé par la nature et par la raison, il a donc compris qu'il existait une
puissance infiniment supérieure, créatrice du ciel et de la terre (cf. Lac-
17 En effet, il est impossible de savoir si Proclus extrapole lorsqu'il déclare: « Ces trois
intellects donc, ces trois Démiurges, Amélius assume que ce sont aussi les trois Rois
dont parle Platon (Lettre II 312 e 1 — 4) et les trois d'Orphée, Phanès, Ouranos et Kronos,
et celui qui à ses yeux est le plus démiurge est Phanès. » (In Tim I 306.10—14) Sur le
sujet, cf. L u c BRISSON, Amélius: Sa vie, son œuvre, sa doctrine, son style, ANRW II
36.2, éd. W. HAASE, Berlin/New York (de Gruyter) 1987, p. 811 - 8 1 2 .
18 Le vers se présente ainsi en grec: ITptoxôyovoç <Daé(kûv 7tepi(II|K£oç r|époç u l ô ç .
" Sur la création intelligible, cf. CHARLES KANNENGIESSER, Philon et les Pères sur la double
création de l'homme, dans: Philon d'Alexandrie, Colloques nationaux du C.N.R.S., Lyon
[ 1 1 - 1 5 septembre 1966], Paris (éd. du C.N.R.S.) 1967, p. 277 - 296. Cf. aussi La 'doppia
creazione' dell'uomo negli Alessandrini, nei Cappadoci et nella gnosi, a cura di UGO
BIANCHI, Roma (ed. dell'Ateneo& Bizarri) 1978.
De peur d'être détrôné par eux, Kronos dévore ses fils au fur et à mesure
qu'ils naissent. Mais Rhéa réussit à substituer à Zeus une pierre qu'ingurgite
Kronos. La Nuit apprend alors à Zeus comment procéder pour s'emparer du
pouvoir et devenir le cinquième roi. Voici ce que raconte Porphyre:
« Mais chez Orphée, on voit Kronos tomber, grâce au miel, dans les
embûches de Zeus. S'étant gorgé de miel, le voilà ivre, obnubilé comme
s'il avait bu du vin; il s'endort, comme, dans Platon (Banquet 203 b)
Poros, quand il s'est gorgé de nectar: c'est que le vin n'existait pas encore.
La Nuit, dans Orphée, suggère en ces termes à Zeus le coup de ruse avec
le miel:
I) Attributs de Zeus
1. Totalité: coïncidence des contraires
— premier / dernier 1
— début / fin 2
— mâle / femelle 3
— h a u t / bas 4
20 On comparera cet hymne avec les vers cités dans le T l e p i K.ôcr|iou' (cité supra, p. 2881)
et dans le papyrus de Derveni (cf. supra, p. 2 8 7 8 - 2 8 7 9 ) .
« [3] Zeus est donc l'ensemble du cosmos, vivant entre les vivants et dieu
entre les dieux 21 ; et Zeus en conséquence est l'intellect, d'où il produit
toutes choses et les crée par ses pensées. [4] Dès lors que les théologiens
avaient interprété de cette façon la condition divine, il n'était pas possible
de créer une image telle que la raison l'avait indiquée, et, en admettant
qu'on l'eût imaginée, elle ne montrait pas par la sphère ce que Dieu a
de vivant, d'intellectuel, de provident. [5] Ils ont anthropomorphisé la
représentation de Zeus, parce que c'était selon l'intellect qu'il créait et
par des raisons séminales qu'il exécutait tout; il est assis, par allusion à
la stabilité de sa puissance; les parties supérieures sont nues, parce qu'il
est visible dans les parties intellectuelles et célestes de l'univers; le devant
est couvert, parce qu'il est invisible dans le bas, qui est caché; de la main
gauche il tient le sceptre, vu que des parties du corps la plus dominatrice
et la plus intellectuelle est le viscère le plus intime, le cœur; car l'intellect
créateur est roi de l'univers; et de la main droite il tend en avant un aigle,
21
II pourrait s'agir là d'un commentaire d'une représentation de Zeus, dont les traits
avaient valeur d'allégorie (cf. Macrobe, Saturnales I 17, 13 = Apollodore d'Athènes,
FGrH II B 244 F 95).
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2892 LUC BRISSON
parce qu'il règne sur les dieux aériens comme l'aigle sur les oiseaux des
hauteurs; ou une victoire, parce qu'il a lui-même vaincu. »
(Eusèbe de Césarée, Préparation Evangélique III 9, 3 - 5 , traduction E.
DES PLACES)
Koré reste dans la maison de sa mère, que gardent les Kourètes (OF 191, cf.
OF 151). Alors que sur le péplos qu'elle fabrique, elle est en train de tisser un
scorpion 2 2 , Koré est enlevée par Pluton (OF 196). Déméter descendra aux
enfers pour aller rechercher sa fille; elle arrivera à un accord avec Pluton, à
qui par ailleurs Koré donnera neuf filles, les Euménides hypochtoniennes.
Dans les 'Rhapsodies', plusieurs vers devaient raconter ces aventures
mises en rapport avec la fondation des Mystères d'Eleusis; on peut même se
demander si, comme dans le cas de Dionysos, il n'existait pas sur Déméter et
sur le rapt de Koré un hymne autonome attribué à Orphée (cf. infra, p. 2918).
La même question s'est d'ailleurs posée plus haut (cf. supra, p. 2881 - 2 8 8 2 )
dans le cadre de l'ancienne version de la 'Théogonie' orphique. Voici ce que
raconte Eusèbe qui reprend le récit de Clément d'Alexandrie (Protreptique II
20,1-21,1):
[35] Et voici le mot de passe des mystères d'Eleusis: « J ' a i jeûné, j'ai bu
le cycéon, j'ai pris dans la corbeille; après avoir manié, j'ai remis dans le
panier et du panier dans la corbeille. » Beaux spectacles, vraiment, et
séants à une déesse. »
(Eusèbe de Césarée, Préparation Evangélique II 3, 3 0 - 3 5 , traduction E.
DE PLACES, cf. aussi Arnobe, Adv. nat. V 25 - 27 = OF 52)
Bref, dans ces vers, Orphée était censé décrire l'origine même des mystères
d'Eleusis; ce qui, tout naturellement, amenait à le considérer comme l'instiga-
teur de ces mystères (cf. supra, p. 2871-2872).
Puis Zeus va s'unir à sa fille Koré pour engendrer Dionysos, à qui, même
s'il n'est encore qu'un enfant, il va transmettre la royauté. A l'instigation
d'Héra, les Titans vont s'en prendre à Dionysos.
23 Ces vers sont très corrompus. Plusieurs reconstitutions en ont été proposées; celle de F.
GRAF (op. cit. n. 11) semble être l'une des meilleures.
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2894 LUC BRISSON
24 Sur les Kourètes, cf. H. JEANMAIRE, Couroi et Courètes. Essai sur l'éducation Spartiate
et les rites d'adolescence dans l'Antiquité, Trav. & M é m . de l'Univ. de Lille, Section
Droit-Lettres 21, L i l l e - P a r i s (Payot) 1939.
25 Cf. A. S. F. G o w , I Y T E , P O M B O E ; rhombus, turbo, Journal of Hellenic Studies 54, 1934,
p. 1 - 13. Et M . L. WEST, T h e orphie poems, op. cit., p. 156 - 159.
26 Le nom de Pallas est mis en rapport avec le verbe 7tâXX.ea0ai « palpiter».
27 Cf. M . DETIENNE, Dionysos orphique et le bouilli rôti, Annali délia Scuola Normale
Superiore di Pisa, Classe di Lettere e Filosofia, Serie III, vol. 4,4, 1974, p. 1193 — 1234
= ID., Dionysos mis à mort, Paris (Gallimard) 1977, p. 161 —217.
28 Iliade II 426.
29 Iliade IV 49.
30 Ce passage est repris par Eusèbe de Césarée, Préparation Evangélique II 3, 23 - 26. Cf.
aussi Arnobe, Adv. nation. V 19.
Cet épisode, auquel font allusion Proclus (In Remp. II 338.10— 14) et Damas-
cius (In Phaed. I, par. 8), n'est mentionné par aucun auteur antérieur à la
fondation de l'Ecole néo-platonicienne d'Athènes.
En revanche, à partir de Plotin, on semble avoir interprété le démembre-
ment de Dionysos comme l'illustration de la descente de l'Ame du monde et
de l'âme humaine dans le monde de la génération. Suivant cette double
interprétation à la fois métaphysique et anthropologique, c'est 1'EÏSCÛA.OV d'elle-
même que l'âme aperçoit dans le miroir, c'est-à-dire son reflet, qui seul descend
s'unir au corps: l'âme, elle, demeure dans le monde supérieur. Voilà en quel
sens J E A N P É P I N 3 1 interprète cette brève référence des 'Ennéades':
« [1] C'est ainsi, très saints empereurs [Constant et Constance II, les
deux fils de Constantin], que les éléments ont été divinisés par des
hommes dévoyés. Mais d'autres superstitions survivent encore dont il
faut exposer les secrets au grand jour: il s'agit des mystères de Liber et
de Libéra 3 2 dont je dois informer en particulier vos saintes intelligences.
Il faut que vous le sachiez: dans ces cultes païens aussi, ce sont des morts
qu'on a divinisés.
Liber était fils de Jupiter (c'est-à-dire d'un roi de Crète). Mis au
monde par une mère adultère 33 , il était élevé chez un père avec plus
d'amour qu'il ne convenait. La femme de Jupiter (qui s'appelait Junon),
exacerbée par son animosité de marâtre, machinait par tous les moyens
le meurtre de l'enfant.
[2] Le père part en voyage. Il connaissait les rages secrètes de sa
femme. Pour faire échec aux fourberies éventuelles d'une épouse irritée,
il confie la surveillance de son fils à des gardiens qui lui paraissent
sûrs. Alors Junon saisit l'occasion favorable à ses manigances. Elle était
31 Cf. JEAN PÉPIN, Revue internationale de Philosophie 24, 1970, p. 3 0 4 - 3 2 0 (cf. la note
13).'
32 Libéra, par ailleurs identifiée à Déméter-Cérès, est la parèdre de Liber. Les allégoristes
païens voyaient en ces deux divinités la désignation du soleil et de la lune. En fonction
du syncrétisme astral, Mithra et Anahita sont pour leur part assimilés au soleil et à la
lune. En fait, Firmicus Maternus s'attaque ici à la fois au Dionysisme et à l'Eleusinisme.
33 Perséphone qu'on identifiait à la lune (cf. la note précédente).
38 R. TURCAN, note à sa traduction de L'erreur des religions païennes, Paris (Les Belles
Lettres) 1982, p. 219.
39 Ce membre de phrase auveïvai ôè AÙTCÛ TT|V 'AvàyicTiv, «Dóaiv oùaav if|v aùxfiv Kai
'ASpàaxeiav est très difficile à comprendre. Premièrement auveïvai 8è aùxô peut vouloir
dire soit « il y avait avec lui », soit « s'unissait (sexuellement) à lui »; j'ai opté pour la
première solution, parce que plus générale, mais non sans réserve. J ' a i lu Siaû)|iaTOÇ,
comme chez Athénagore (Supplique au sujet des chrétiens, X V I I 5) et non àacû|iaxoç;
l'explication proposée par JEAN RUDHARDT, Le thème de l'eau primordiale dans la
mythologie grecque, Travaux publiés sous les auspices de la Société Suisse des Sciences
humaines 12, Berne (Francke), 1971, n. 3, p. 1 4 - 1 5 , me semble tout à fait vraisemblable.
40 La dernière tentative en ce domaine reste celle de M . L. WEST, T h e orphie poems, op. cit.,
p. 1 7 6 - 1 7 8 .
41 Sur les relations entre ces témoignages, cf. l'article intéressant, mais discutable de J . VAN
AMERSFOORT, Traces of an Alexandrian orphie theogony in the pseudo-Clementines,
dans: Studies in Gnosticism and hellenistic religions presented to Gilles Quispel on the
o c c a s i o n o f h i s 6 5 t h b i r t h d a y , e d . b y R . VAN DEN B R O E K a n d M . J . V E R M A S E R E N , EPRO
91, 1981, p. 1 3 - 3 0 .
42 Athenagoras, Legatio and De resurrectione, ed. and trans. by WILLIAM R. SCHOEDEL,
Oxford early Christian texts 25, Oxford (Clarendon Press) 1972; pour une traduction
française: Athénagore, Supplique au sujet des chrétiens, introduction et traduction de
GUSTAVE BARDY, Sources chrétiennes no 3, Paris (éd. du Cerf)/Lyon (éd. de L'Abeille)
1943.
43 Sur Athénagore, le livre le plus récent est celui de LESLIE W. BARNARD, Athenagoras. A
study in second century Christian apologetic, Théologie historique 18, Paris (Beauchesne)
1972.
44 T. D. BARNES, T h e embassy of Athenagoras, Journal of Theological Studies 26, 1975,
p. 1 1 1 - 1 1 4 .
45 La dépendance d'Homère par rapport à Orphée est soulignée encore par le pseudo-Justin,
Cohortatio 18 et par Clément, Stromates VI 2,5. Sur l'autorité d'Orphée à l'époque, cf.
M.-J. LAGRANGE, Introduction à l'Etude du Nouveau Testament 4. Critique historique. I
Les mystères: l'Orphisme, Paris (Gabalda) 1937, p. 187 sq. et 211 sq. Cf. supra, p. 2869.
46 Les mots Kai &XXr|v xaúpoo ont été suppléés par ZOEGA à partir du témoignage de
Damascius (De princ., par. 123 bis, RUELLE I, p. 319.1) pour donner un sens à ce qui
suit. Ces mots manquent aussi dans la scholie à Grégoire de Naziance (Discours X X X I
16).
47 Le SicrcbuaToç est une correction proposée par LOBECK. A cet endroit, le texte est
certainement corrompu.
leur correction. Quoi qu'il en soit, l'idée générale semble être celle exprimée dans ce
fragment des Rhapsodies ( O F 145). Le nom de Déméter (ATIHT)TT|P) signifie « mère de
Z e u s » (Aiôç |iT|TT|p).
5 0 Cf. aussi la scholie à Hésiode, Les travaux et les jours 7 6 [Jean Tzetzès]).
viril de son père et l'a jeté lui-même à bas de son char, et qu'il est devenu
parricide en dévorant ses enfants mâles. Puis, que Zeus, après avoir
attaché son père, l'a précipité dans le Tartare, comme Ouranos l'avait
fait à ses propres fils; qu'il a fait la guerre aux Titans pour la souveraineté;
qu'il a poursuivi sa mère Rhéa qui refusait de s'unir à lui; et que, quand
elle fut devenue un serpent femelle, il l'a entravée par le nœud qu'on
appelle « n œ u d d ' H é r a c l è s » 5 1 et s'est uni à elle. Le bâton d'Hermès est
le symbole de cette union 5 2 . Ensuite, Zeus s'est uni à sa fille Perséphone
en lui faisant violence à elle aussi sous la forme d'un serpent 5 3 ; de cette
dernière lui est né un enfant, Dionysos 5 4 .
[4] Il était nécessaire que j'en dise autant. Quelles sont la dignité ou
l'utilité d'un tel récit, pour nous faire croire que Kronos, Zeus, Koré, et
les autres sont des dieux? La description de leur corps? Mais quel homme
qui a du bon sens 5 5 et qui a été formé dans la spéculation (philosophique)
croira qu'une vipère (ëxiSva) est née d'un dieu? Orphée:
Ou qui pourrait admettre que Phanès, le dieu premier-né, car c'est lui
qui est sorti de l'œuf, ou bien avait le corps et l'apparence d'un serpent,
ou aurait été avalé par Zeus, afin que Zeus fût désormais sans limites?
[5] S'ils ne diffèrent en rien des animaux les plus vils, — car il est évident
que le divin doit être différent des choses terrestres et des choses dérivées
de la matière, — ils ne sont pas des dieux. Et alors, pourquoi leur
rendrions-nous nos hommages, à eux dont la naissance est pareille à celle
des bêtes et qui ont eux-mêmes la forme de bêtes et un aspect affreux? »
(Athénagore, Supplique au sujet des chrétiens, 20, traduction de GUSTAVE
BARDY quelque peu modifiée = O F 58)
Enfin, Athénagore rappelle aux païens, qui accusent les chrétiens d'immo-
ralité, les comportements immoraux qu'ils attribuent à leurs propres dieux,
lesquels n'hésitent pas à commettre l'inceste notamment:
58 Sur la date, la composition et les sources de ces deux écrits, cf. W. HEINTZE, De Historiae
Clementis Romani auctoribus quaestiones selectae, Diss. Gôttingen 1913 ( = Der Kle-
mensroman und seine griechischen Quelle, T U 40,2, Leipzig [Hinrichs] 1914); OSCAR
CULLMAN, Le problème littéraire et historique du roman pseudo-clémentin, Paris
(Jouve & Cie) 1930; et G. STRECKER, Das Judenchristentum in den Pseudoklementinen
[1958], T U 70 2 [2. bearbeitete und erweiterte Auflage], Berlin (Akademie-Verlag) 1981.
59 Die Pseudoklementinen I: Homelien, hrsg. von BERNHARD REHM, zum Druck besorgt
durch JOHANNES IRMSCHER, Die Griechischen Christlichen Schriftsteller der Ersten Jahr-
hunderte 42, Berlin (Akademie-Verlag)/Leipzig (Hinrichs) 1953; trad. française par A.
SIOUVILLE, Les Homélies clémentines, Les textes du Christianisme 11, Paris (Rieder)
1933.
60 Die Pseudoklementinen II: Recognitionen in Rufins Übersetzung, Die griechischen christ-
lichen Schriftsteller der ersten Jahrhunderte 51, hrsg. von BERNHARD REHM, zum Druck
besorgt durch FRANZ PASCHKE, Berlin (Akademie-Verlag) 1965. Voir aussi Die Pseudo-
klementinen III: Konkordanz zu den Pseudoklementinen, erster Teil, lateinisches Wortre-
gister von GEORG STRECKER, Berlin (Akademie-Verlag) 1986.
61 W. FRANKENBERG, Die syrischen Clementinen mit griechischem Paralleltext, T U 48,3,
Leipzig (Hinrichs) 1937. Un résumé en syriaque, fait probablement à partir de la
traduction en syriaque des 'Homélies' se trouve dans les œuvres de Théodore Bar ChônT,
un Nestorien du VI è m c siècle. Sur le sujet, cf. T. NÖLDEKE, Bar ChönT über Homer,
Hesiod und Orpheus, Zeitschrift der Deutschen Morgenländischen Gesellschaft 53, 1899,
501 — 507. Il a été tenu compte de cette traduction en syriaque pour l'établissement du
texte des 'Homélies' et des 'Reconnaissances'.
Il veut dire que tout tire de là son origine et, après la dissolution de la
substance humide et terrestre, retourne à sa nature première, qui est le
chaos. Hésiode, de son côté, dit dans la 'Théogonie':
bouillante, attire à soi par sa propre chaleur l'esprit très puissant et divin
qui était resté dans l'élément humide des régions inférieures: c'est cet
esprit qu'on a appelé Métis.
[8] Arrivé au sommet de l'éther lui-même et absorbé par lui, comme
un élément humide mêlé à un élément chaud, l'esprit produisit la palpita-
tion perpétuelle et engendra l'intelligence qu'on a surnommée Pallas à
cause de cette palpitation 66 . Cette intelligence est très habile dans les arts
et c'est en se servant d'elle que l'artisan éthéré a fabriqué le monde entier.
Depuis Zeus, l'éther le plus chaud, qui pénètre (tout) jusqu'aux lieux
d'ici-bas, s'étend l'air, qu'on a appelé Héra. C'est pourquoi, descendue
de la substance la plus pure de l'éther, réputée du sexe féminin en raison
de sa pureté et en comparaison de Zeus qui est plus fort, Héra a été
considérée comme la sœur de celui-ci, à juste titre, puisqu'elle est née de
la même substance que lui, et en même temps comme son épouse, parce
que, comme femme, elle lui est soumise.
[9] On admet qu'Héra est la bonne température de l'air, et c'est
pourquoi elle est féconde. Athéna, appelée aussi Pallas, ne pouvant, à
cause de l'excessive chaleur, donner naissance à quoi que ce soit, a été
regardée comme vierge. Même interprétation pour Artémis, qui n'est
autre que le fond le plus bas de l'air: étant stérile à cause de l'extrême
intensité du froid, elle est également appelée vierge. Dionysos, (le dieu)
qui trouble l'esprit, c'est le rassemblement tumultueux, trouble, c'est-à-
dire ivre, produit par les vapeurs qui montent et descendent. L'eau qui
est en dessous de la terre, une par sa nature, passant à travers tous les
conduits de la terre ferme et se divisant en un grand nombre de parties,
comme si elle était coupée en morceaux, on l'a appelée Osiris. On prend
également Adonis pour les belles saisons, Aphrodite pour l'union sexuelle
et la génération, Déméter pour la terre, Koré pour les semences et certains
prennent Dionysos pour la vigne.
[10] Mets-toi bien dans l'esprit que toutes les autres choses de ce
genre ont pareillement un sens allégorique analogue. Ainsi considère
Apollon comme le soleil qui accomplit sa révolution et qui est un rejeton
de Zeus; on l'a appelé aussi Mithra 67 , comme remplissant entièrement le
cours circulaire de l'année. Représente-toi les métamorphoses elles-mêmes
de Zeus parcourant toutes les régions comme ses nombreuses révolutions,
et ses innombrables femmes comme des années ou des générations. Car
la force qui, partant de l'éther lui-même, pénètre l'air, en s'unissant à
chaque année et à chaque génération imprime à l'air des changements
divers et ainsi produit ou détruit les fruits des saisons. Les fruits arrivant
à maturité sont dits ses enfants; ses unions avec des mâles sont les périodes
de stérilité qui arrivent quelquefois.
« [ X 17] Ceux qui, chez les païens, savent le plus de choses racontent
donc qu'au début de tout il y eut le chaos. Beaucoup de temps ayant
passé, le chaos dont la périphérie avait durci, se dota de limites et d'une
constitution apparentée par l'aspect et par la forme à celle d'un œuf
énorme. Cela prit beaucoup de temps, mais, à l'intérieur du chaos, ce fut
comme dans la coquille d'un œuf: un fœtus se forma et se mit à vivre.
Ensuite, lorsque cette sphère énorme se fut brisée, il en sortit une espèce
d'être humain qui présentait cette double nature qu'ils appellent andro-
gyne. Or, cet être, ils le nommèrent Phanès, par suite de son apparition;
en effet, lorsqu'il apparut, disent-ils, la lumière brilla aussitôt. C'est à
partir de lui, disent-ils aussi, que furent engendrés substance, sagesse,
mouvement, accouplement, à partir de quoi furent fabriqués le ciel et la
terre.
Le Ciel engendra six mâles, qu'ils appellent aussi Titans; il en alla
de même pour la Terre qui mit au monde six femelles, qu'ils ont l'habitude
d'appeler Titanides. Et voici les noms, des mâles qu'engendra le Ciel:
Océanus, Coeus, Crios, Yperion, Iapetos, Cronos, qui, chez nous, est
appelé Saturne. De la même manière les femelles qu'engendra la Terre
reçurent ces noms: T h i a , Rhéa, Thémis, Mnémosyme, Téthys, Hébé. De
ce groupe, celui qui avait été engendré le premier par le Ciel reçut pour
épouse la première fille de la Terre, le second, la seconde et tous les autres
de la même manière suivant leur rang. La première Titanide fut entraînée
à ses côtés vers le bas. En fait, la seconde Titanide suivit celui qu'elle
avait épousé et fut attirée vers le haut; et ainsi un à un suivant leur rang,
ils s'établirent en ces lieux que leur avait attribués le sort lors de leur
mariage. Ils s'accouplèrent et engendrèrent un nombre vraiment prodi-
gieux de rejetons.
[18] Mais, parmi les six mâles, l'un, celui qu'on appelle Saturne,
avait reçu Rhéa pour épouse. Et comme un oracle l'avait averti qu'un de
ses fils arriverait à être plus puissant que lui et le déposséderait du
pouvoir, il décida de dévorer tous les fils qui naîtraient de lui. D o n c le
premier fils qu'il engendra fut celui qu'ils appellent Aidés, lequel a reçu
chez nous le nom d'Orcus; celui-ci fut dévoré par son père, pour les
raisons que nous avons dites plus haut. Après celui-ci, Cronos engendra
un second fils, qu'ils disent être Neptune; ce fils, Cronos le dévora de la
même manière. Cronos engendra le plus jeune de ses fils, qu'on appelle
Zeus, mais sa mère Rhéa eut pitié de l'enfant, et arriva, grâce à un
subterfuge, à le soustraire à son père qui voulait le dévorer. Et d'abord,
pour éviter que l'on perçoive les vagissements de l'enfant, elle chargea
les Corybantes de frapper sur des cymbales et des tambours; couverts par
ce bruit retentissant, les vagissements de l'enfant passèrent inaperçus.
[19] Mais Cronos, qui s'était rendu compte que le ventre de Rhéa
était moins gros, avait compris que l'accouchement avait eu lieu, et il
s'attendait à dévorer l'enfant. Alors, Rhéa lui présenta une grosse pierre,
en déclarant: « Voici le fils, dont je viens d'accoucher. » Cronos prit la
pierre et l'avala. Une fois avalée, la pierre exerça une pression sur les fils
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2910 LUC BRISSON
que Cronos avait déjà absorbés, et les fit sortir. Le premier donc qui
sortit fut Orcus, qui descendit le plus bas; voilà pourquoi il a pris
possession des lieux infernaux. Le second se trouva tout naturellement
plus haut, il fut rejeté sur les eaux, et c'est lui qu'ils appellent Neptune.
Le troisième, qui ne fut pas dévoré grâce au subterfuge de sa mère qui
le confia en nourrice à une chèvre ( = Amalthée), fut envoyé au ciel. »
(Reconnaissances X 17 - 1 9 , ma traduction = O F 56)
« [30] Tout ce qui, chez les Grecs, a été écrit sur l'origine des temps est
certes dû à une multitude d'auteurs; mais les deux principaux sont Orphée
et Hésiode. Or, les écrits de ceux qui parlent de l'origine se répartissent
en deux genres, suivant le type de compréhension qu'ils impliquent:
compréhension littérale, compréhension allégorique. Sur les écrits qui ne
demandent qu'une compréhension littérale s'est précipitée en masse la
foule de ceux qui sont de basse naissance; mais c'est devant les écrits qui
ressortissent à l'allégorie, que tombent en admiration ces bavards de
philosophes et d'érudits.
O r Orphée est le premier à avoir dit que, au début, fut le Chaos,
cette réalité sempiternelle, énorme, qui n'est pas née et de laquelle toutes
choses ont été faites. Il a raison de dire que le Chaos n'était ni ténèbres
ni lumière, qu'il n'était ni humide ni sec, ni chaud ni froid; que c'était
plutôt un mélange qui comprenait simultanément toutes choses; et que
toujours il resta dépourvu de toute forme. Un jour cependant, le chaos
engendra et fit sortir de lui, après l'avoir fabriqué dans une espèce d'œuf
immense, une sorte d'être double que les païens appellent hermaphrodite;
une sorte d'être formé pendant très longtemps à partir d'un mélange de
contraires d'une grande variété. Cet être, on peut le considérer c o m m e le
principe de toutes choses, parce qu'il est le premier à sortir de la matière
la plus pure et que, en sortant, il a provoqué la division des quatre
éléments et que des deux éléments qui sont considérés c o m m e les premiers
(feu et air) il a fait le ciel, et que des deux autres il a fait la terre. C'est
à partir de ces quatre éléments et de la division de leur nature que naissent
et que sont engendrés, dit-il, toutes choses. Voilà ce que raconte Orphée. »
(pseudo-Clément, Reconnaissances X 30, ma traduction = O F 55)
68 Homélies VI 4 - 7 .
« Zénon aussi dit que, chez Hésiode, le Chaos, c'est l'eau, dont, par
condensation, naît le limon (iXùv), duquel, par solidification (f|Ç ÎCTIYVU-
|iévr|ç), se forme la terre ferme. »
(Schol. Apoll. Rhod. I 498 = SVF I no 104, p. 2 9 . 1 7 - 1 9 VON ARNIM)
En plaçant l'eau à l'origine, cette théogonie met d'accord Orphée avec Homère
(cf. Aristote, Mét. N 4, 1091 b 4sq.). Et, en interprétant le Chaos comme eau,
elle réconcilie Orphée et Homère avec Hésiode. Une interprétation de ce genre
ne va cependant pas sans poser un problème. En effet, Damascius raconte que
Chronos engendre Ether, Chaos et Erèbe, en qui il dépose l'œuf dont sort
Protogonos. Dans cette perspective, le Chaos se trouverait à la fois avant et
après Chronos. La difficulté pourrait être levée de plusieurs façons. Ou bien
on rectifie le témoignage de Damascius en le comparant à ceux d'Athénagore
et du pseudo-Clément, où le Chaos n'intervient pas après Chronos. Ou bien
on distingue entre un chaos primordial dépourvu de tout attribut et un Chaos
postérieur au Temps, spatialement qualifié — même sous un mode négatif —
d'« illimité ».
Cette théogonie semble être de peu postérieure à celle des 'Rhapsodies',
dont j'ai placé la composition vers la fin du I er ou au début du II eme siècle apr.
J.-C. La théogonie de Hiéronymos et d'Hellanikos se borne à modifier la
théogonie des 'Rhapsodies' de façon à la rendre compatible avec les théogonies
qu'on trouve chez Homère et chez Hésiode, et même avec la cosmologie
stoïcienne. Cette hypothèse qui résulte d'une analyse interne se voit corroborer
par le fait que les témoignages relatifs à la théogonie de Hiéronymos et
d'Hellanikos ne remontent jamais plus haut que le milieu du second siècle
apr. J . - C .
Cela dit, essayons d'analyser cette version qui commence avec l'Eau.
Avant l'Eau primordiale, Damascius pose un principe suprême, que n'auraient
pas mentionné Hiéronymos et Hellanikos, parce qu'il s'agit de 1'« Ineffable ».
Cette astuce permet donc à Damascius de retrouver à bon compte son premier
principe dans cette théogonie orphique et donc de corroborer sa position dans
le cadre du courant néoplatonicien. Et il nous permet, à nous, d'être absolu-
ment certains que cette version commençait bien par l'Eau.
A partir de l'Eau, une réalité nouvelle apparaît. Athénagore parle de
« limon » (IAA>Ç), ce qui suggère l'idée d'un dépôt, d'une sédimentation. Pour
sa part, Damascius utilise un verbe qui signifier « geler » se « solidifier » (è7tâyT|).
L'une et l'autre façons de s'exprimer décrivent un processus à la suite duquel
la terre se différencie de l'eau primordiale. Un tel processus, comme le fait
remarquer JEAN RUDHARDT69, se déroule hors des cadres du Temps et de
l'Espace, d'un Espace défini par le haut et par le bas en tout cas; sexe, vie et
personnalité n'y ont point place. Malgré tout, quelque chose se passe. Pour
la première fois, la réalité revêt une forme. Un serpent apparaît.
69 Cf. JEAN RUDHARDT, Le thème de l'eau primordiale dans la mythologie grecque, op. cit.,
p. 1 5 - 1 6 .
Par ailleurs, si Chronos est pourvu d'ailes, c'est qu'il s'identifie à Phanès,
qui, lui, sort d'un œuf: le mélange Eau et Terre prend chez Athénagore la
forme d'un œuf énorme. De plus, dans la tradition orphique, le soleil est ailé
(OF 62). En outre, si Chronos est présenté comme un serpent, ce peut être
pour trois raisons. 1) Pour signifier le cours du soleil dans les signes du
zodiaque; les têtes de taureau, de lion (et peut-être celle du dieu) évoquant
certains signes du zodiaque. 2) Pour instaurer une opposition avec les ailes
qui représentent les choses d'en haut, le serpent étant le représentant des
choses d'en bas. 3) Ou enfin, pour illustrer l'épithète àyr|paoç, adjectif formé
à partir du terme yfjpaç, qui, en grec ancien, signifie tout à la fois « vieille
peau » et « vieillesse » (Elien, NA VI 51).
Tout ce qui vient d'être dit sur l'assimilation de Chronos à la course du
soleil dans le zodiaque explique son nom d'Héraclès, les représentations
animales qui interviennent dans la description de son apparence physique, son
apparence physique et même son union avec la Nécessité, « qui est à la fois
Nature et Adrastée ». A cet égard, il faut rappeler que, dans la seconde version
où elle occupe par rapport à Phanès un rang correspondant, la Nuit est appelée
Anagké, Adrastée et Heimarméné ( = la Destinée). Mais les noms d'Anagké
et d'Adrastée présentent plus d'affinité avec le Temps qu'avec la Nuit. Car
c'est dans le Temps, mesuré par la course du soleil dans le zodiaque, que
s'inscrit la Nécessité sous la forme d'un Destin, auquel nul ne se peut soustraire.
D'où l'idée d'une Providence évoquée par cet autre nom de Phanès dans les
'Rhapsodies', et dont le gouvernement est à la fois universel et inéluctable.
Il semble que, au niveau de Chronos, une première distinction sexuelle
soit opérée. Voilà pourquoi, par la suite, on parle d'engendrement. Engendre-
ment d'une triade: Ether, Chaos et Erèbe. Cette triade est dite analogue à la
première: Eau, Terre et Chronos. Sur ce point, on notera que l'Ether est
qualifié d'« humide », le Chaos d'« illimité » et l'Erèbe de « nébuleux ».
72 Dans la Notice qu'ils ont donnée à leur édition et traduction des 'Lapidaires grecs', Paris
(Les Belles Lettres) 1 9 8 5 , p. 5 6 - 5 7 , ROBERT HALLEUX et JACQUES SCHAMP font r e m o n t e r
la composisiton de cet ouvrage au II cme siècle de notre ère. Il n'est pas possible de rouvrir
ici le dossier; et il en va de même pour beaucoup d'autres ouvrages considérés comme
orphiques. Pour un inventaire de ces ouvrages, cf. KONRAT ZIEGLER, RE XVIII 2 (1942),
s. v. Orphische Dichtung, 1321 - 1417.
Assez tôt, ont dû circuler sous le nom d'Orphée des Hymnes 7 3 , que
Ménandre ([cité par Genethlius] Rhet. graec. III 3 3 3 . 1 2 s q . SPENGEL = OF
3 0 6 ) qualifie de «pucnKOÎ, peut-être parce qu'ils célébraient des divinités comme
Ouranos, le Soleil, l'Océan etc.
a) Hymne à Dionysos
73 A ne pas confondre avec les 'Hymnes orphiques'. Je ne tiendrai pas compte ici de ce
recueil de 88 hymnes, qui pourraient remonter au II eme ou au III emc siècle de notre ère,
et que G . QUANDT a éditées: Orphei Hymni [1941], it. cur. ed. G . QUANDT, photomech.
Nachdr. mit addenda & corrigenda, Berlin (Weidmann) 1955. Le professeur J. RUDHARDT
prépare une traduction française commentée de ces hymnes.
P) Hymne à Eros
D'autres hymnes devaient célébrer d'autres divinités intervenant dans la
théogonie orphique, par exemple Eros (Pausanias IX 30, 12 = O F 304:
Pausanias IX 27, 2 = OF 305).
74
Vers cité par le pseudo-Justin (Cohort, ad Gentiles 15) qui le met en rapport avec le
monothéisme du Testament. Cf. aussi l'empereur Julien, (Discours) Sur Hélios-Roi (IV)
10. La quatrième dénomination que Macrobe attribue à Dionysos est attribuée à Sérapis
par l'empereur Julien. Pour une explication possible, cf. M . L. WEST, The orphie poems,
op. cit., p. 253, n. 55.
y) Hymne à Déméter
On peut même penser que ces hymnes, qui jouaient un grand rôle dans
la tradition pythagoricienne (D. L. VIII, 24) eurent un usage cultuel. Au second
livre du ' D e abstinentia' (34, 4), Porphyre évoque l'offrande d'hymnes assimilés
à des sacrifices, idée qu'on retrouve chez Plotin (Enn. II 9 [33], 9.33).
e) Epigrammes ('Ejtiypâ|i^aTa)
Toute une série d'ouvrages sur des questions d'ordre naturel s'inspirant
des 'Travaux et des jours' d'Hésiode circulaient, à l'époque impériale, sous le
nom d'Orphée 7 6 . Il ne saurait être question ici d'entrer dans des considérations
d'ordre chronologique, ou de faire preuve d'exhaustivité.
a) La Dodécennie (AcoôeKaexTiplç)
Une 8(D8EKO£TT|PÎÇ est une période de douze ans, où chaque année est mise
en rapport avec un signe du zodiaque; cette notion essentiellement astrologi-
que, aurait été élaborée par les Chaldéens. O n a voulu voir, dans le chiffre de
1 2 0 0 0 0 années que, selon Orphée (Censorinus, D e die natali 18, 11 = O F
2 5 0 ) 7 7 aurait compté la « G r a n d e A n n é e » , une référence à la ôcoôeKœxTipiç.
Par ailleurs, Plutarque aurait fait allusion à cette doctrine dans le D e def.
orac. 12, Moralia 4 1 5 f = O F 250).
Dans les ouvrages de ce genre, chaque jour du mois lunaire était pris en
considération en fonction de sa signification faste ou néfaste. Un témoignage
de Clément d'Alexandrie (Stromates V 8, 4 9 , 3 = O F 273) pourrait faire
allusion à un ouvrage de ce genre attribué à Orphée.
y) Le Cratère (Kpcrrf|p)
par les autres. Ce titre semble devoir être compris dans une perspective
platonicienne. Le corpus platonicien, comporte en effet trois mentions d'un
cratère « c o s m i q u e » : dans le 'Phédon' (111 d), lorsqu'est décrit le sous-sol de
la terre; dans le 'Philèbe' (61 c), en rapport avec ces vies où se mêlent
plaisir et sagesse; et dans le ' T i m é e ' (35 a —b; 41 d), lorsque sont décrites la
constitution de l'âme du monde et celle de l'âme de l'homme. L'image se
retrouve chez des auteurs postérieurs qui dépendent de Platon 7 8 . Peut-être
M a c r o b e (In Somn. Scip. I 12, 7 = O F 241) et Plutarque (De sera num. vind.
28, Moralia 566 b) font-ils allusion à cet ouvrage?
5) Sur la médecine par les plantes et par les herbes (Flepi cpuTcov
ßotavcüv (iaxpiKfjç))
d) Ouvrages apologétiques
a) Le Testament (AiaGfiKai)
Par ailleurs dans les dernier vers du fragment 247, Orphée rappelle à
Musée ses devoirs de réserve. En effet, dans un culte à mystères, l'initié devait
d'abord jurer de ne pas divulguer les secrets qu'on venait de lui transmettre.
Aussi bien les abjurations de l'officiant que les réponses du candidat devaient,
pour assurer plus de solennité, être versifiées et attribuées à Orphée. Théon
de Smyrne nous a conservé trois vers appartenant à ces serments:
« Le nombre huit qui est le premier cube se compose de l'unité et du
septenaire. Quelques-uns disent qu'il y a huit dieux maîtres de l'univers,
et c'est aussi ce qu'on voit dans les 'Serments' d'Orphée:
Par les créateurs des choses à jamais immortelles:
le feu et l'eau, la terre et le ciel, la lune
et le soleil, le grand Phanès et la Nuit noire. »
2. Grandes orientations
Pour les Grecs anciens, Orphée est d'abord et avant tout un poète inspiré.
D'où son rapport avec la musique d'une part, et ses liens avec la divination
et la pratique d'initiations surtout d'autre part. Cela dit, les poèmes qu'on
met sous son nom sont consignés par écrit, et cela dès l'époque de Platon. Le
premier et le plus important de ces écrits paraît avoir été une ' T h é o g o n i e ' de
type hésiodique; mais, très rapidement, plusieurs poèmes de genre divers
durent venir s'ajouter à cette théogonie. Vers la fin du I er ou au début du II , c m c
siècle apr. J . - C . , une compilation de ces poèmes donna naissance à une seconde
version de la théogonie, celle que les Néo-platoniciens connurent sous le titre:
'Discours sacrés en 24 rhapsodies' et qui, comme semble l'indiquer son titre
pourrait avoir eu l'ampleur de l"Iliade' ou de T'Odyssée'. Rapidement, cette
seconde version fut suivie par une troisième, la théogonie dite « de Hiéronymos
et d'Hellanikos » qui se présente comme une interprétation syncrétiste de celle
des 'Rhapsodies'. Avec le temps, d'autres poèmes vinrent s'ajouter à ceux qui
existaient déjà.
Mais quels sont les caractères généraux de cette immense production,
dont nous avons sûrement perdu la plus grande partie?
A. Théogonie
B. Mystères bacchiques
C. Pythagorisme
Rapidement des liens furent par ailleurs établis entre Orphisme et Pytha-
gorisme, liens qu'on matérialisa en imaginant ces rapports, prenant la forme
d'une initiation d'Orphée par Pythagore:
Celui qui initie Pythagore est Aglaophamos, personnage qui n'est mentionné
que par Jamblique, lequel, dans sa 'Vie pythagoricienne' (28, par. 146, p.
82.15 sq. DEUBNER = O T 249a), raconte à peu près la même histoire; ce qui
incline à penser que sur ce point au moins Proclus s'est inspiré de Jamblique.
Ces révélations, Pythagore, qui passe pourtant par ailleurs pour n'avoir rien
écrit, les aurait faites dans le 'Discours sacré [sur les dieux]' ("Iepôç Xàyoq
[icepi Gecùv]'), un apocryphe en prose écrit en dialecte dorien 8 7 . Et finalement
Platon aurait tiré toute sa science d'Orphée et de Pythagore:
Il allait dès lors de soi qu'on mette sous le nom de Pythagoriciens des écrits
attribués par ailleurs à Orphée. C'est ainsi que, selon Clément d'Alexandrie
(Stromates I 21, 131,5), Epigène attribuait à Cercops le pythagoricien et la
'Descente chez Hadès' et le 'Discours sacré', et à Brontinos 8 8 , le 'Péplos' et la
87 Pour une description de cet ouvrage, cf. H. THESLEFF, An introduction to the Pythagorean
writings of the Hellenistic period, Acta Academiae Aboensis, Humaniora 24,3, Abo(Abo
Akademi) 1961, p. 19. Les fragments qui en subsistent ont été réunis par H. THESLEFF,
dans: The Pythagorean texts of the Hellenistic period, Acta Academiae Aboensis,
Humaniora 30,1, Abo (Abo Akademi) 1965, p. 1 6 4 - 166. Selon THESLEFF, cet écrit aurait
été composé au Ier siècle av. J.-C. Mais, il faut le remarquer, Jamblique (Vit. Pyth.,
par. 146, p. 82.12 sq. DEUBNER) est le premier à le citer. Ce qui laisserait supposer une
date plus récente que celle proposée par H. THESLEFF.
88 M. L. WEST, The orphie poems, op. cit., p. 9 n. 16.
190*
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2926 LUC BRISSON
D. Interprétations allégoriques
sur Orphée des notes et des commentaires d'un nombre assez important
de vers, même s'il ne lui fut pas possible de faire de même pour l'ensemble
des mythes relatifs aux dieux ou pour l'ensemble des 'Rhapsodies'. »
(Marinus, Vie de Proclus, 27, ma traduction = O T 239)
II. Culte(s)
à gauche. La tête du jeune dieu est surmontée de la tête d'un serpent qui
entoure son corps de quatre replis. Et ses pieds se terminent par des sabots
figurant les pieds fourchus de Pan à qui le dieu qui sort de l'œuf produit par
Chronos dans la troisième version, c'est-à-dire Protogonos et Zeus, est assimilé.
Enfin, sa main droite saisit la foudre, alors que sa main gauche s'appuie sur
un sceptre: insignes de Zeus qui s'identifie aussi bien à Phanès qu'à Chronos.
La bande ovale qui entoure la niche où se trouve l'image divine comporte
les représentations des douze signes du zodiaque. On notera que le Bélier et
la Balance, signes des deux équinoxes, sont placés respectivement au-dessus
de la tête du dieu et sous ses pieds. En dernier lieu, placés dans les écoinçons,
on trouve les bustes des quatre vents.
Ce bas-relief permet d'une part de faire, dans le cadre de l'Orphisme, la
synthèse entre les figures de Zeus, de Phanès et de Chronos qui, de toute
façon, s'identifient les unes aux autres, et d'autre part d'établir un lien entre
la figure de Chronos dans la tradition orphique et celle du dieu léontocéphale
dans la tradition mithriaque, dont on peut retrouver 40 représentations figurées
disséminées par tout l'Empire romain 9 6 .
Le caractère orphique de ce bas-relief ne fait aucun doute. A l'époque,
on commandait donc des représentations figurées illustrant les 'Rhapsodies'.
Pour un individu ou pour une communauté? Le second membre de l'alternative
semble être le plus probable, étant donné le réemploi du bas-relief. Tout se
passe comme si Félix s'était « converti », passant de l'Orphisme au Mithria-
cisme. Quel pouvait être l'usage cultuel de ce bas-relief? Il est impossible de le
savoir. On peut imaginer qu'on récitait des hymnes devant des représentations
figurées de ce genre.
Mais on notera, pour terminer, qu'un certain nombre de témoignages
(Diodore III 62, 8; Pausanias I 37, 4; Plutarque, Quaest. conv. II, 2, Moralia
636 d) dissocie nettement les mythes orphiques des rites auxquels ils les
associent par ailleurs. On en vient dès lors à se demander si, à l'époque,
l'Orphisme n'appartenait pas à cette catégorie de mystères qu'on a appelés
« littéraires » 9 7 , pour les distinguer des mystères fondés sur le culte. Une simple
lecture aurait suffi à initier aux mystères orphiques. Ce qui a été dit des
sacrifices d'hymnes viendrait corroborer la chose (cf. supra, p. 2919).
Illustration
Planche: Chronos, Phanès, Zeus. Bas-relief. IIcme siècle apr. J.-C. — Musée de Modène. —
photo Soprintendenza.
Comme le fait justement remarquer A. BOULANGER, au début de son article cité dans la
note précédente.