Vous êtes sur la page 1sur 668

LES

SAINTS MILITAIRES
MARTYROLOGE

VI ES ET NOTI CES

L’A BBÉ PROFILLET

TOME PREMIER

PARIS
ANCIENNE MAISON RETAUX-BRAY
VICTOR RETAUX ET FILS, ÉDITEURS
82, RUE BONAPARTE, 82
LES

SAINTS MILITAIRES
LES

MARTYROLOGE

VIES ET NOTICES
P AR

L ’A B B É P R O F IL L E T
AXCIlïX AUMÔNTNtt DF. LA FLOTTE ET DE l/ATlM F

TOME PREMI ER

PARIS
RETAUX-BRAY, LIBRAIRE-ÉDITEUR
82 , RUE 82
B O N A PA R T E ,

1890
Droits de traduction et de reproduction réservés.
PRÉFACE

Quoique les Saints Militaires soient en grand


nombre, il n’existe toutefois, à notre connaissance,
aucun Recueil de leurs Vies qui les présente en
corps à la vénération des Chrétiens. Si l’on trouve
quelques essais en ce genre, ils sont bien incom­
plets, l’exactitude leur fait souvent défaut et, en
général, ce sont plutôt des manuels de piété que
des recueils biographiques. Il est vrai que pour
arriver à un résultat plus satisfaisant, il fallait se
livrer à des recherches très laborieuses, et peut-être
qu’en présence de cette difficulté plusieurs auront
renoncé à poursuivre le but qu’ils avaient déjà en­
trevu. Quoi qu’il en soit, nous avons voulu essayer,
à notre tour, de faire ce que d’autres, sans doute,
auraient entrepris avec plus de succès, et, après
tout, si, malgré notre médiocrité, nous avons réussi
SAINTS MILITAIRES. — T. I.
II LES SAINTS MILITAIRES

à faire connaître mieux les Saints Militaires et, sur­


tout, à les faire honorer et imiter davantage, nous
aurons obtenu de nos efforts toute la récompense
que nous en attendons. Quelques hagiographes,
avant d’aborder leur sujet, parlent volontiers des
Saints et de toutes les questions relatives à leur
culte; nous n’en ferons cependant rien, voulant
éviter toute longueur inutile et aussi parce que ces
questions ont été traitées avec beaucoup de soin
dans d’excellents ouvrages et, en particulier, de
notre temps, dans les Petits Bollandistes; mais ce
qui convient absolument, c’est que nous donnions
quelques explications pour faciliter l’intelligence de
notre travail.

Et d’abord qu’avons-nous entendu par ces mots


de notre titre : les Saints Militaires? Par ce mot de
Saints, nous avons entendu les Saints proprement
dits, c’est-à-dire ceux qui sont honorés dans l’Église
d’un culte légitime ou, du moins, pour parler plus
exactement, ceux qui nous ont paru avoir dans
l’Église un culte légitime. Notre intention a été de
n’en point insérer d’autres dans notre Martyrologe ;
et parce que, dans une matière aussi importante que
PRÉFACE III

difficile parfois, nous pouvions n’avoir pas tout le


discernement désirable, nous avons cru qu’il était
sage de suivre les Bollandistes, nous soumettant,
comme eux, en tout ceci, et très filialement, aux dé­
crets du Saint-Siège. Ce n’est pas sans quelque
regret que nous avons du omettre quelques pieux
personnages à qui l’Église n’a point décerné les
honneurs réservés aux Saints, mais ce regret a été
bien tempéré par l’espérance que nous avons de leur
donner place dans un autre recueil, sous le nom de
Vénérables Militaires.
Quant à ce mot de « Militaire », on pouvait le
prendre soit dans un sens restreint, pour désigner
le Saint qui, pendant la majeure partie de sa vie,
avait vécu dans les camps ou sur les champs de
bataille, soit dans un sens large, pour désigner le
Saint qui, durant un temps quelconque de sa vie,
avait porté les armes dans un but officiel de défense
sociale. C’est dans ce dernier sens que nous avons
pris le mot de « Militaire », premièrement, parce
qu’il n’était guère utile ou possible d’établir des dis­
tinctions et, en second lieu, parce qu’il est bon que
le Soldat pût se dire qu’il n’y avait dans la carrière
des armes aucune situation spéciale où quelque
Saint n’eût vécu avant lui. Encore fallait-il que la
IV LES SAINTS MILITAIRES

condition militaire du Saint fut certaine et qu’elle


ne résultât pas de simples présomptions, et c’est à
quoi nous n’avons pas manqué de prendre garde.
Reconnaissons, toutefois, que nous avons fait quel­
ques exceptions à cette règle en faveur de quelques
saints évêques, dont l’ardeur guerrière ne s’explique
que trop bien par les circonstances des temps diffi­
ciles où ils vivaient, et en faveur, aussi, de quel­
ques saints religieux qui, sur les champs de ba­
taille, la croix à la main, enflammaient, par leurs
discours et leurs exemples, le courage des soldats
et les entraînaient à la victoire.

Ayant à parler des Saints, il était naturel de le


faire comme FÉglise le fait elle-même, je veux
dire selon l’ordre du Martyrologe Romain ou des
églises particulières, sans oublier de leur donner le
titre liturgique sous lequel chaque Saint est géné­
ralement honoré; mais ce qui n’était pas moins
naturel en parlant de nos Saints, c’était de joindre
à ce titre liturgique de Confesseur ou de Martyr
leur titre militaire. Rien de plus aisé, assurément,
lorsque l’histoire en avait fait la mention spéciale,
PRÉFACE y

mais chose bien moins facile et qui ne laissait pas


de causer quelque embarras lorsque, pour tout
renseignement, l’histoire ne nous avait donné que
cette courte phrase II porta les armes; il servit
dans les armées ; il fut militaire, en latin « miles ».
Dans le cas où la noblesse de la naissance, l’impor­
tance des services ou même une situation élevée
dans le monde, semblaient indiquer que le Saint avait
occupé quelque haut grade dans la hiérarchie, nous
avons dit « Officier, Officier supérieur, Officier gé­
néral » ; mais, dans la plupart des autres cas, nous
avons dit « Militaire, autrement Soldat », terme
sous lequel on peut, d’ailleurs, désigner tous les
membres d’une armée, le Généralissime comme le
plus humble de ses subordonnés.
Un fait assez remarquable, c’est le grand nombre
de Saints qui, après avoir porté les armes, sont de­
venus, les uns solitaires, les autres moines, ceux-ci
religieux et ceux-là même évêques. Ce beau titre,
qu’ils avaient conquis par leurs vertus dans les
camps du Seigneur, il était bien juste de le joindre
aux autres, et c’est ce que nous avons fait avec
toute la précision possible. En outre, il importait
beaucoup qu’on ne confondît pas les uns avec les
autres les Saints portant le même nom, et c’est
VI LES SAINTS MILITAIRES

pourquoi nous avons ajouté immédiatement à chacun


de ces noms un qualificatif spécial désignant soit
le lieu de leur naissance ou de leur bienheureuse,
mort, soit le pays où ils avaient vécu, soit, enfin,
la ville ou la contrée dans lesquelles ils étaient par-
culièrement honorés.

On nous permettra maintenant de dire quelque


chose de l’économie et du fond même de notre
travail.
Quand nous avons conçu le dessein de faire pour
les « Saints Militaires » ce que d’autres avaient fait
déjà pour les « Saints Rois et Reines », pour les
« Saints Jurisconsultes et Avocats », pour les « Saints
Médecins », pour les « Saints de l’Atelier », etc.,
nous ne nous doutions guère que la route où nous
allions entrer serait si longue à parcourir et qu’il
s’y rencontrerait tant de difficultés à vaincre; et,
vraiment, si nous avions pu tout calculer à l’avance,
il est probable que nous aurions renoncé à l’entre­
prise, nous défiant avec raison de nos forces,
puisque notre vie antérieure, ayant été plus active
PRÉFACE VII

que studieuse, ne nous avait point préparé à ce la­


beur intellectuel.
Qu’il y eût des Saints qui eussent porté les
armes, c’est ce que tout le monde savait; qu’il y en
eût même beaucoup, c’est ce que plusieurs per­
sonnes, plus au courant de l’hagiographie, n’igno­
raient pas; mais que leur nombre fût grand, c’est
ce que bien peu soupçonnaient. Mais du moment
où l’on voulait s’en rendre compte et qu’on n’avait,
d’ailleurs, à sa disposition que des listes très incom­
plètes, il n’y avait plus qu’un moyen à employer,
c’était de prendre en main le bâton du pèlerin et
de se mettre à parcourir en tous sens et jusque dans
ses endroits les moins fréquentés les vastes do­
maines de l’Hagiographie catholique. Mais, alors,
que de marches et de contre-marches, que d’allées
et de venues, que de courses fatigantes, que de
promenades militaires sans fin, surtout quand les
champs à explorer s’appelaient les Acta Sanc-
lorum, par les Bollandistes; les Annales de l'Eglise,
par Baronius; les Actes des Saints de VOrdre de
Saint-Benoît, par Mabillon ; le Ménologe Bénédictin,
par Bucelin ; le Ménologe Cistercien, par Henriquez;
le Ménologe Franciscain, par Hueber; la Biblio­
thèque des Prémontrés, par Le Paige; le Martyro­
VIII LES SAINTS MILITAIRES

loge Espagnol, par Tamayo-Salazar; le Martyro­


loge Gallican, par du Saussaye; les Mémoires pour
servir à ïhistoire de l'Eglise, par Tillemont; les
Vies des Saints, par Baillet, par les Petits Bollan-
distes et par tant d’autres auteurs qu’il serait trop
long d’énumérer ici.
D'un autre côté, après tant de recherches souvent
infructueuses, après tant de mirages décevants,
après tant d’espérances trompées, quelles surprises
agréables! quelles rencontres heureuses! quelles dé­
couvertes admirables! et, en somme, de nos chers
Saints Militaires, quelle riche moisson il nous est
arrivé de faire!
La petite nomenclature des auteurs que nous ve­
nons de signaler, et que beaucoup d'autres ouvrages
très approuvés dans l’Église auraient pu facilement
faire augmenter, n’a pas pour but, on le comprendra,
de nous faire passer pour un érudit; cela ne serait
pas sérieux de la part d’un homme qui n’est qu’un
simple ouvrier de la dernière heure; nous avons
seulement voulu montrer comment nous avons pro­
cédé pour la composition de notre Martyrologe des
Saints Militaires.
TUÉFACE IX

Avoir pu dresser une liste plus complète des


Saints qui ont porté les armes était pour nous, sans
doute, un résultat appréciable; ces noms sont ins­
crits en caractères ineffaçables sur le Livre de vie,
et l’on n’en pourrait pas dire autant des noms que
portèrent jadis les royales momies de l’Égypte. Mais
cela ne suffisait pas à notre ambition; il fallait
joindre encore aux noms de nos Saints quelques
sûrs documents qui fussent les révélateurs de leur
mérite et de leur gloire. Pour un certain nombre
d’entre eux, ces documents abondaient et il n’y
avait qu’à choisir; mais, pour beaucoup d’autres
aussi, ces documents étaient extrêmement rares. Et
où les trouver? De là, pour nous, la nécessité de
nouvelles recherches qui n’étaient pas toujours cou­
ronnées de succès.
De tous les ouvrages que nous avions à notre
disposition, il n’en est pas assurément qui nous aient
rendu plus d’importants services que les Acta Sanc-
torum. Sans les Bollandistes, en effet, il y a bien
des Saints que nous n’aurions pu insérer dans notre
Martyrologe; sans eux, il y a plus de cinquante
Vies ou Notices que nous n’aurions pu donner, parce
que, nulle part ailleurs, nous n’aurions trouvé les
éléments nécessaires et, sans eux encore, nous n’au-
SATNTS MILITAIRES. T. I. a.
X LES SAINTS MILITAIRES

rions pu apprécier les documents qu’ils nous ont


transmis, ni les auteurs qui en ont profité pour leurs
travaux particuliers. C/est assez dire que nous
n’avons voulu les employer qu’après nous en être
rendu suffisamment compte, admettant ceux que
nous reconnaissions pour authentiques, rejetant ceux
que nous regardions comme apocryphes et ne nous
servant des autres que dans la mesure permise par
une sage critique, en général celle de nos maîtres.
Quant aux dates, celles, principalement, de la bien­
heureuse mort ou de la naissance, au ciel, de nos
Saints, nous n’avons rien négligé pour les donner
aussi exactement que possible, à moins que l’his­
toire, dans ce qu’elle nous a transmis jusqu’ici, n’ait
été absolument muette sur ce point; et comment
son silence pourrait-il étonner, quand on songe aux
effroyables destructions dont le monde, et le monde
chrétien en particulier, a été le théâtre, notamment
à l’époque des persécutions de Dioclétien, à l’époque
des invasions des Barbares, à l’époque des conquêtes
de l’Islamisme, à l’époque des saccagements de la
Réforme et, plus tard, durant les jours tristes et
mauvais de la Révolution française. Cependant, bien
que la critique ne nous ait pas été du tout indiffé­
rente, il n’en paraît rien, ou presque rien, dans notre
PRÉFACE X[

ouvrage, et cela, parce que nous ne voulions pas


doubler le nombre de nos volumes et, bien moins
encore, en rendre la lecture impossible sous pré­
texte de la rendre plus scientifique.

Quelques mots maintenant sur le caractère de


notre rédaction. Si sous plusieurs rapports, l’ensemble
n’est pas aussi homogène quon pourrait le souhaiter,
cela vient non seulement de la diversité des sujets,
mais encore de ce que nous avons beaucoup em­
prunté aux auteurs qui ont écrit dans notre langue.
Il est vrai que nous les avons souvent modifiés, soit
par des additions, soit par des retranchements, selon
que le demandait notre point de vue particulier ou
même selon que l’exigeait la critique, mais il conve­
nait souverainement de ne rien changer à leur style.
On nous saura peut-être gré d’avoir reproduit plu ­
sieurs fois la manière naïve et gracieuse de quelques-
uns de nos vieux auteurs. Enfin, on peut croire que
si nous n’avions pas eu plus de 600 Vies ou Notices
à rédiger, nous aurions moins emprunté à autrui.
On sait qu’il y a parmi les hagiographes deux ten­
dances bien opposées, lorsqu'il s’agit de juger des
X II LES SAINTS MILITAIRES

faits miraculeux rapportés dans les Actes ou Vies des


Saints. Les uns, avec Tillemont, ne voyant partout
que des difficultés, sont toujours disposés à tout
rejeter; tandis que les autres, avec Surius, ne trou­
vant jamais rien d’invraisemblable, sont toujours
disposés à tout accepter. Gomme l’esprit de système
est un mauvais guide, surtout en pareille matière,
nous avons cherché à l’éviter, en ne tenant compte
que de la valeur même des témoignages. Les quel­
ques citations latines que nous avons faites n’ont eu
pour but que de bien établir la condition militaire de
plusieurs de nos Saints; elles pourront montrer en
même temps que nous avons eu quelque souci du
texte de nos auteurs. Il était inutile de les multiplier,
puisque nous indiquons à la fin de chaque Vie ou
Notice les Sources où nous avons puisé. Ces indica­
tions étaient importantes, d’ailleurs, non seulement
pour rendre à chacun ce qui lui est dû, mais encore
pour garantir la sincérité de notre travail.
En terminant par cette observation notre Préface,
qui est déjà bien longue, nous éprouvons le besoin
de remercier Dieu et les Saints Militaires de nous
avoir accordé les grâces d’aller jusqu’au bout de
notre pieuse entreprise.
Il est juste aussi que nous remerciions plusieurs
PRÉFACE XIII

prélats, vénérables et illustres, qui ont bien voulu


nous aider de leurs encouragements et de leurs béné­
dictions Leurs Eminences, le Cardinal Desprez,
archevêque de Toulouse, et le Cardinal Langénieux,
archevêque de Reims; le Cardinal Richard, arche­
vêque de Paris; Mgr Dabert, évêque de Périgueux:
Mgr Sebaux, évêque d'Angoulême; Mgr Coullié,
évêque d’Orléans; Mgr Lelong, évêque de Nevers;
Mgr Laborde, évêque de Blois; Mgr Turinaz, évêque
de Nancy; Mgr Cœuret-Varin, évêque d’Agen, et
notre vieil ami M. le Chanoine de Laval, Aumônier
de la Place de Vincennes, qui nous a prêté son
concours pour la publication de notre ouvrage.
Qu’ils veuillent bien nous permettre de leur offrir
ici, avec l’assurance de nos sentiments très respec­
tueux, un hommage public de notre sincère recon­
naissance.
O Saints Militaires, nous ne Vous quittons pas! Et
comment donc, pourrions-nous Vous quitter, après
avoir vécu si longtemps dans votre aimable compa­
gnie! De vos noms bénis qui ont été si souvent sous
notre plume et aussi sur nos lèvres, est-il un seul qui
ne soit gravé profondément et à jamais dans notre
cœur? O Saints Militaires, combien nous regrettons
de n’avoir pas été capable de parler plus dignement
X IV LES SAINTS MILITAIRES

de Vous! de vos vertus, de vos mérites, de votre


gloire. Mais nous avons cette douce confiance que
Vous nous le pardonnerez, à cause de nos bons désirs,
et parce que Vous savez bien que nous Vous aimons 1
Saints Militaires! nous Vous en supplions! Priez,
pour la France qui nous est si chère ! Priez pour les
fils de son armée et en particulier pour ceux qui ont
à cœur la sanctification de leurs âmes. Priez aussi
pour nous-mème, qui sommes votre humble et dévoué
serviteur, et daignez nous assister surtout à l’heure
de notre mort. Ainsi soit-il.

L’abbé P rofillet ,
Ancien aumônier de la Flotte et de l’Armée,

Magny-en-Vexin, le 10 mars 1890,


en la fête des Quarante Bienheureux Martyrs de Sébaste.
INTRODUCTION

LE CODE CHRÉTIEN DES DEVOIRS MILITAIRES


OU

DISCOURS DE MGR MARC-ANTOINE DE NOÉ


ÉVÊ QU E DE LESCAR

PRONONCÉ A AUCH, EN 1781


POUR LA DISTRIBUTION DES GUIDONS DU RÉGIMENT DU ROI
NOTES BIOGRAPHIQUES PRÉLIMINAIRES
SUR I/AUTEUR DE CE DISCOURS

« Marc-Antoine de Noé, évêque de Lescar, était né


en 172/i, au château de la Grimaudière, près de La
Rochelle. Lors du concordat, il donna sa démission
de son siège et fut nommé, en avril 1802, évêque
de Troyes. A peine eut-il le temps de prendre pos­
session de cet évêché, la mort l’ayant enlevé le
22 septembre, au moment où le gouvernement ve­
nait de le présenter pour un chapeau de Cardinal. Il
joignait à de grandes vertus, à des talents rares, une
modestie plus grande et plus rare encore. On a de
lui Discours 'prononcé à Anch pour la distribu­
tion des guidons du régiment du roi. C’est le chef-
d’œuvre de l’auteur. Les pensées en sont nobles et
justes, le style grave et élégant, le fond éminem­
ment religieux. Le patriotisme y respire, mais c’est
celui qui est fondé sur l’amour de l’ordre et sur la
XVIII LES SAINTS MILITAIRES

soumission aux lois. (Biographie universelle de


Feller.)

« Le traducteur du discours de Périclès (sur les


guerriers d’Athènes morts dans la guerre du Pélopo-
nèse), Marc-Antoine de Noé, évêque de Lescar au
moment de la Révolution, homme de grande doc­
trine et de grande vertu, eut lui-même occasion de
parler à des militaires et d’exposer les sentiments de
la religion sur la profession des armes. On Pavait
prié de bénir les drapeaux d’un régiment de dra­
gons; son discours est plus célèbre que connu. En
l’écoutant, nous découvrirons le principe stable et
fécond de cet héroïsme chrétien, de cette valeur
pleine d’humanité dont Joseph de Maistre nous a
présenté la noble image. » (La Guerre et l'Homme
de Guerre, par L. Veuillot.)
DISCOURS

Si la religion n’influait en rien sur les vertus guer­


rières, ou si, comme l’ont prétendu quelques faux
sages, elle ne pouvait qu’affaiblir la valeur, rabaisser
les sentiments, retenir l’âme du guerrier : effrayé de
leur opposition, je ne tenterais pas de rapprocher deux
milices inconciliables; j ’aurais fui comme profane ce
mélange d’armes, de prêtres et de soldats introduits
dans le lieu saint ; et loin d’avoir regardé comme un
honneur de concourir à cette cérémonie, je n’aurais
senti que la honte ou de n’oser parler de religion en
parlant à des chrétiens, ou de n’oser louer la valeur
en parlant à des braves.
Mais, grâce au ciel, je n’ai pas à séparer deux pro­
fessions qu’un lien sacré a réunies, ni à vous proposer
une vertu dont la religion ne serait pas le principe et
le terme. Oui, le Dieu de nos temples est le Dieu des
armées; il règne sur les camps comme sur les cloîtres,
et préside à tous les états qui partagent la société des
hommes, les animant par un même principe, les sou­
tenant par un même espoir, leur assurant la même
récompense. Eh quoi! une religion qui, par les mêmes
XX LES SAINTS MILITAIRES

moyens, a formé des hommes de tous les états el fait


voir des vertus de tous les genres, des monarques
humains, des sujets fidèles, de saints législateurs, de
pieux pontifes, de glorieux défenseurs de la foi, ne
saurait former de généreux défenseurs de la patrie!
Que dis-je? une religion qui a élevé au-dessus de la
faiblesse de leur âge des vieillards, des femmes, des
enfants, au point de leur faire affronter les périls les
plus cruels cette religion, dégradant le guerrier de la
noblesse de son origine ou de sa profession, pourrait
lui faire redouter des périls honorables et une mort
glorieuse, qu’il s’est fait une loi de ne pas craindre et
unë habitude de braver!
Repoussons un reproche si injurieux et, pour juger
à quel point la religion anime la vertu guerrière,
voyons quel grand intérêt, quel mobile puissant, quel
digne prix elle lui offre. Ce prix, c’est Dieu lui-même :
Dieu qui, maître absolu de la vie des hommes, ordonne
au.guerrier d’exposer ses jours; Dieu qui, lui ayant
juré son appui, le soutient dans les périls et peut le
ramener vainqueur des combats où il veut qu’il s’en­
gage; Dieu qui, juge et témoin de ses actions, tient en
ses mains la récompense de son courage et le châti­
ment de sa lâcheté.
A des motifs aussi puissants, nous opposerons ceux
qui peuvent nous venir de la part des hommes nous
opposerons aux ordres absolus d’un Dieu, aux assu­
rances de son secours, les lois de l’honneur et les
ressorts de la discipline; aux peines que Dieu réserve
INTRODUCTION XXI

aux lâches dans une autre vie, celles dont les hommes
punissent la lâcheté dans celle-ci; aux récompenses
du Roi du ciel, les plus magnifiques dons des plus
puissants rois de la terre. Et si, dans la balance, les
motifs sacrés l’emportent sur les motifs profanes; s’ils
vous paraissent plus grands, plus élevés, plus dignes
de vos vœux et de vos efforts, attachez-vous à une
religion sainte, guerriers valeureux, puisque ses motifs
peuvent ajouter à votre courage; embrassez avec une
nouvelle ardeur une profession nécessaire et brillante,
guerriers pieux, puisque ses travaux et ses périls
peuvent ajouter à vos mérites.

Tout homme, en naissant, contracte l’obligation


d’aimer sa patrie; en se nourrissant dans son sein, il
ratifie l’engagement de vivre et de mourir pour elle.
Mais la patrie, ayant divers besoins, n’exige pas de
tous ses enfants les mêmes sacrifices. Les uns versent
leur sang dans les combats, les autres leurs sueurs
dans les campagnes; le prêtre répand les dons de la
science divine et de la divine charité; le magistrat, veil­
lant sur le dépôt des lois, maintient parmi les citoyens
les droits de la justice. Mais si tout à coup l’ennemi,
paraissant en force, menaçait l’État d’une subversion
entière, alors, dans ce péril, tous devraient donner
l’exemple du courage et du zèle et, s’ils ne savaient
combattre, savoir du moins mourir.
Tout homme naît donc soldat, quoique tout soldat
X X II LES SAINTS MILITAIRES

ne porte point les armes. Mais le jour que la patrie


appelle un citoyen à son secours, ou que, ce citoyen
venant s’offrir lui-même, elle veut bien agréer ses ser­
vices, il reçoit le caractère de ministre armé pour sa
défense; il devient une victime honorable, dévouée à
la sûreté publique. Lorsque la patrie, arrachant l’ou­
vrier à son atelier, le pâtre à ses troupeaux, le labou­
reur à sa charrue, lui dit : Gesse de me nourrir, viens
me défendre, ce jour-là l’enfant du pays passe dans la
classe honorable de ses défenseurs. Sous les yeux du
Dieu des armées, qui fait la revue de ses nouveaux
soldats, chacuu d’eux, en se revêtant de ses armes,
reçoit comme en dépôt la sûreté de nos campagnes, le
repos de nos villes, la vie, la liberté de ses frères; il
devient l’épée et le bouclier de celui qui n’en a point
ou dont le bras, trop faible pour le porter, ne saurait
en faire usage. Et Dieu lui dit comme à Gédéon,
comme à Josué, comme à tous les chefs de son peuple :
Voici mes ordres, sois vaillant : Ecce pvæcipio tibi,
confortare, et esto robustus. Ne crains rien, que ton
cœur ne s’alarme point Noli metuere et noli
timere (1). Je te vois, je suis avec toi, je viendrai à
ton secours et je jugerai de ton courage lia ero
tecum (2). Voilà l’ordre de Dieu, le premier principe
des devoirs du soldat et le plus ferme appui de sa
valeur.

(1) Josué, c. i, 3.
(2) Ibid.j y, 5.
INTRODUCTION XXIII

Quelle hardiesse pour entreprendre, quelle force


pour exécuter ne doit pas inspirer le commandement
d’un tel maître et la présence d’un tel guide I Combien
l’ordre du Dieu des armées doit élever, agrandir l’âme,
ennoblir les fonctions du soldat et donner d’autorité
au chef qui le commande! Dès ce moment, tout change
de face aux yeux du chrétien. Un dépôt qui n’était que
respectable devient sacré; une profession qui n’était
que noble devient sainte; les drapeaux contractent
sous la main du prêtre qui les a bénis une vertu divine
comme les instruments consacrés au culte des autels,
et de profane qu’eût été le guerrier, il devient un
personnage religieux. Pour lui, l’abandon du drapeau
serait un sacrilège; la crainte en présence de l’ennemi,
un renoncement à sa foi; la fuite, une apostasie qu’il
redoutera plus que les périls, plus, que la mort.

Je n’ignore pas ce que peut l’honneur, ce que peut


la discipline, ce que la science sait obtenir. Je ne viens
ni décrier un sentiment qui, par ses effets, ressemble
à la vertu, et serait la vertu même s’il avait un autre
motif, ni rabaisser un art sublime qui, donnant des règles
à la valeur, la dirige, la fixe et la supplée. Mais les
plus sages institutions des hommes se ressentiront tou­
jours de la faiblesse de l’homme. Les moyens qu’elles
emploient produisent rarement tout l’effet qu’elles
s’étaient promis. Il est des temps, il est des circons­
tances où ces moyens viennent à manquer, d’autres
XXIV LES SAINTS M ILITAIRES

où ils ne sauraient suffire; et jamais les hommes, en


commandant, ne donneront ce qu’ils commandent.
L’honneur a ses erreurs et ses caprices : il est délicat,
douloureux, mobile, ne veut que lui pour maître et pour
loi; et pourvu qu’on ne puisse le soupçonner de crainte
ni de bassesse, il n’est point à l’épreuve d’un dégoût et
ne se fait pas toujours un crime de la désobéissance.
En vain une discipline savante a divisé, réuni, organisé
des corps pour le combat^ placé le faible à côté du
fort, le timide à côté du brave, et comme attaché le
corps mort au corps vivant pour les forcer de marcher
ensemble : le lâche ou ne combat point, ou trouve le
moyen de s’échapper du combat; il trompe les regards
de ses surveillants; le sort des armes le délivre des
plus importuns ; les ténèbres, le désordre, favorisent sa
crainte; la voix de l’honneur, la voix de ses chefs, a
beau tonner, il n’entend que les menaces de l’ennemi,
que les cris des mourants, ne voit, ne veut voir que
le chemin de la fuite.
Mais le soldat chrétien, placé par son général, se
regarde comme placé de la main de Dieu même. C’est
à Dieu qu’il obéit en défendant ce poste ; ce serait à
Dieu qu’il désobéirait en le quittant, ou en refusant
d’aller au feu, ou n’y marchant qu’avec mollesse. Le
signal est donné : c’est la voix de Dieu qui, du haut
des cieux, s’est fait entendre Et intonuit de cœlo
D ominus{ 1). Il ne regarde plus s’il est seul,, s’il est

(t) Eccl., xlvi, 20 .


INTRODUCTION XXV

accompagné, s’il sera suivi, si les murs qui lui sont


confiés sont en état de défense, si ceux qu’il a ordre
d’attaquer sont à l’abri d’insulte. 11 attend ou il avance,
il reçoit l’ennemi ou il va ]e chercher. Ni le nombre,
ni les armes, ni les menaces ne sauraient l’intimider.
Quand toute une armée marcherait contre lui seul et
que ces machines inventées pour la destruction des
hommes n’auraient que lui pour but, Dieu le voit, Dieu
lui ordonne de marcher, Dieu soutient son courage; il
ne craindra rien : Non timebo millia populi circum-
clanlis me (4). Actif et calme au fort de la mêlée, il
n’écoute que la voix de son chef, il règle tous ses
mouvements sur ses ordres, il n’avance ni ne retarde
sur le signal; il vaincra ou mourra dans le rang où
son général l’a placé.
Si, franchissant les règles ordinaires du devoir, il
cède au noble transport qui l’anime, il donnera
l’exemple d’un dévouement utile, et, par une heureuse
témérité, il déconcertera l’ennemi qui triomphait et
relèvera le courage des siens qui étaient au moment
de succomber.
Ainsi, tout à coup saisi de l’esprit de Dieu, Samson.
ébranle les colonnes du temple qu’il renverse sur les
Philistins et sur lui, et venge par sa mort la honte et
l’oppression de son peuple. Ainsi le fils de Saül, ne
prenant d’ordre que de son courage et ne voulant pour
compagnon que le confident de son entreprise, attaque

(1) Psalm., cxi, 3.


ES. — T. I. b
XXVI LES SAINTS MILITAIRES

seul et met en fuite toute une armée. Ainsi le brave


Eléazar, se faisant jour à travers les plus épais batail­
lons, pénètre jusque sous le plus énorme éléphant du
roi de Syrie, le perce de sa lance et, écrasé par sa
chute, donne le temps à l’armée d’Israël de pourvoir à
sa sûreté par la retraite.
Placez donc le soldat chrétien dans quelque péril,
dans quelque circonstance que ce puisse être, vous le
trouverez également tranquille, également soumis,
également ferme et déterminé. La voix de Dieu l’ap­
pelle son ordre le décide, sa parole le rassure, son
secours le fortifie, sa présence l’anime et l’embrase
d’une héroïque ardeur. Un soldat du Dieu vivant
marche toujours en sa présence. Ce n’est point le
tribun, ce n’est point le centurion qu’il redoute c’est
l’œil de l’Être suprême, cet œil si vif, si pénétrant,
qui le voit en tout temps, qui le suit en tous lieux;
c’est ce témoin incorruptible qui déposerait de sa
fuite, c’est ce juge inexorable qui le punirait de sa
lâcheté.

Expliquons-nous sans ménagement sur le crime et


le supplice des lâches. Je parle devant des braves. Ils
partagent l’indignation des peuples contre les soldats
indignes de ce nom* Ils souscriront sans répugnance
comme sans crainte à toute la rigueur des jugements
de Dieu.
Tous les peuples ont eu une égale horreur pour les
INTRODUCTION X X V II

lâches et ont employé contre eux des châtiments


divers. Les uns les punissaient d’avoir trop aimé la
vie en condamnant à l’infamie le reste de leurs jours ;
d’autres, les regardant comme indignes de vivre pour
avoir craint de mourir, prononçaient contre eux les
derniers supplices, vengeaient sur un sang vil la perte
de leurs plus nobles concitoyens, armaient la peur
contre la peur, et tâchaient, sinon d’inspirer le courage,
du moins de contenir la lâcheté.
Mais quel moyen d’arrêter la fuite du lâche? La
honte? Gomment celui qui n’a pas rougi à ses propres
yeux craindra-t-il les regards de ses égaux? Comment
celui qui, dans le combat, a bravé les reproches de ses
camarades, redoutera-t-il, dans le sein de nos villes, le
blâme de ses concitoyens? Non, l’infamie n’est rien
pour l’infâme, qui ne connaît de frein que la crainte,
et qui ne craint que le supplice. Et le supplice, du
moins, pourra-t-il le retenir ou le faire rentrer dans
son devoir? Inutile ressource. Dans le combat, le
supplice est éloigné et l’ennemi est proche ; on peut
éluder, on peut gagner le témoin de sa fuite ; on peut
tromper, on peut fléchir son juge; et d’ailleurs, pour
qui ne craint que les hommes, après la mort il n’est
plus rien à redouter. Pour le soldat chrétien, après la
mort, il est une autre vie, il est un juge devant lequel
il faut qu’il comparaisse et qu’il réponde. Il sait que la
mort est le terme où finit la justice des hommes, et
que c’est là où commence et triomphe la justice de
Dieu.
X X V III LES SAINTS MILITAIRES

Tl est écrit dans le prophète Ezéchiel que la senti­


nelle qui aura vu l’ennemi s’avancer vers le camp, et
qui aura manqué de crier aux armes, répondra de tout
le sang qui aura été versé ({). Si une sentinelle qui,
faute d’attention ou par trop de confiance, n’a pas
sonné l’alarme, est si coupable et doit être jugée si
sévèrement, comment échapperait au même supplice
ce soldat qui, averti par la trompette que l’ennemi est
proche, ne se sera pas mis en défense, ou qui, l’ayant
vu pénétrer dans le camp, ne l’aura pas repoussé, mais
aura fui, mais aura livré au tranchant de l’épée la vie
de ses frères, dont la garde lui avait été confiée?
Comptable de tout le sang qu’il aura laissé répandre,
coupable de la faute qu’il aura occasionnée par son
exemple, complice des ravages et des excès de l’ennemi,
il vaudrait mieux pour le lâche de n’être jamais né
son crime ressemble à tous les crimes, et son partage
éternel sera avec les traîtres, les assassins, les ravis­
seurs, les incendiaires.
O Dieu! où fuira donc le guerrier timide s’il n’est
point d’antre assez obscur pour le dérober à votre vue,
et si tôt ou tard il faudra qu’il comparaisse en votre
présence? Que dis-je? vous n’attendez pas toujours
qu’il ait achevé sa course et goûté le fruit de son crime.
Au moment qu’il mettait son salut dans la fuite, lors­
qu’il se croit déjà en sûreté, vous le joignez, vous le
frappez de cette même épée devant laquelle il fuyait;

(1) Ezecli., x x x iii, 6.


INTRODUCTION X X IX

dans le lieu même du combat d’où il cherchait à


s’échapper, vous le faites tomber au pied de votre
tribunal redoutable.
Pressé entre un Dieu vengeur et l’ennemi, quel parti
prendra donc le soldat chrétien? Le parti le plus glo­
rieux et le plus sûr en même temps : celui du courage.
Il gardera son poste; il attendra fièrement l’ennemi
qui ne peut perdre que le corps; il ne craindra que
le Juge terrible qui peut perdre le corps et l’âme tout
ensemble.

Oui, dira quelqu’un, la crainte d’un Dieu qui pour­


suit le lâche dès cette vie et qui doit le punir si rigou­
reusement dans l’autre, retiendra bien sous le feu le
soldat qui, d’ailleurs, n’aurait rien à se reprocher;
mais si, pécheur jusqu’alors intrépide, la crainte
réveille sa foi au moment du combat; si, au milieu du
péril, le remords l’accuse, si sa conscience le condamne,
pourra-t-il soutenir la vue du danger? ira-t-il affronter
le trépas au risque de tomber en des mains qui ne font
grâce à aucun coupable? et ne fuira-t-il pas plutôt
devant l’ennemi, pour avoir le temps de pleurer et
d’expier ses crimes?
Religion sainte, venez au secours de cette âme qui
s’agite et qui s’abuse! Vous seule avez excité, vous
seule pouvez calmer ses craintes. Vous avez ouvert
l’abîme sous les pas du pécheur, refermez-le devant
les yeux du pénitent. Dites-lui que, de tous ses crimes,
T . I. b.
XXX LES SAINTS MILITAIRES

le plus grand, le plus irrémissible, serait la fuite et le


désespoir; que fuir ne serait pas le moyen d’apaiser,
mais un nouveau grief capable d’irriter la justice
suprême; que Dieu préfère l’obéissance au sacrifice, et
qu’affronter la mort pour lui plaire, c’est la marque la
plus sûre d’un cœur contrit et l’offrande la plus puis­
sante sur le cœur d’un Dieu irrité.
« Me voici donc, grand Dieu! dira-t-il... Je sais que,
par ma fuite et par ma honte, je pourrais peut-être
échapper au péril qui m’environne; mais il faudrait
toujours retomber 'entre vos mains (1) quand je le
pourrais, je ne voudrais pas m’y soustraire. Frappez,
grand Dieu; couvert de mon sang, répandu pour la
patrie et pour mes frères, j ’oserai paraître devant
vous. ))
Oui, il peut se présenter avec confiance; la parole
de Dieu nous est garant que son espérance ne sera pas
confondue, et que la grande miséricorde du Seigneur
lui est réservée. Gomme il est un baptême de sang dans
lequel, au défaut des eaux salutaires de la régénéra­
tion, l’enfant d’Adam est lavé de la souillure du pre­
mier père et de la sienne même, et d’enfant de colère
qu’il était devient enfant de Dieu, l’objet de ses com­
plaisances et l’héritier de son royaume, il est aussi
une pénitence de sang qui, au défaut des ‘eaux amères
de la réconciliation, efface en un instant la tache, expie
(1) Nam etsi præsenti tempore suppliciis hominum eripiar, sed
manum Omnipotentis nec vivus, nec defunctus effugiam. (II Macch.,
vi, 2 6 .)
INTRODUCTION XXXI

le péché et rend au pécheur lavé et régénéré dans son


sang la première intégrité de son baptême ; et tel est
le prix inestimable que la religion offre au soldat : de
manière qu’une grâce qui coûtera de longues larmes au
pénitent, de rudes austérités au solitaire, le guerrier
peut la ravir, par un heureux effort, dans un instant, et
que le royaume de Dieu, qui de tout temps a souffert
violence, peut encore être appelé la conquête du soldat,
le prix de sa valeur, le fruit de son sang et de sa vic­
toire : Violenti rapiunt illud (1).

Le Sauveur du monde a dit que celui qui préfère une


vie périssable à ses devoirs subira une mort éternelle,
et qu’au contraire celui qui, fidèle à ses obligations,
et pour rendre témoignage de sa foi ou pour remplir
un devoir que prescrit la charité, exposera et perdra
sa vie, est assuré de la retrouver : Qui autem perdi-
derit animant suam... inveniet eam (2). Or, qui
expose sa vie à plus de dangers, qui la sacrifie avec
plus de résignation, qui mérite mieux de la retrouver,
s’il vient à la perdre, que ce soldat, disons mieux, que
ce martyr qui, victime de ses devoirs et pour rendre
gloire au Dieu des armées qui lui ordonne de com­
battre, et pour obéir au prince qui le lui commande
de la part de Dieu, se précipite dans tous les combats,

(1) Matth., xi, 12.


(2) Matth., xvi.
XXXII LES SAINTS MILITAIRES

se mesure aux plus terribles combattants, et trouve


enfin la mort qu’il avait tant de fois bravée?
Trois conditions font le martyr, disent les Pères
la cause, la volonté, la peine. Or, le sacrifice du guer­
rier chrétien les réunit toutes. La cause en mourant
pour la pairie, il meurt pour ses frères, et il n’est pas
de charité plus grande que celle qui donne sa vie pour
le prochain (1); la volonté à Dieu ne plaise qu’un
chrétien veuille profaner par d’indignes motifs une si
sainte cause, et qu’un soldat qui a Dieu pour chef
puisse avoir un autre-motif ou n’avoir pas celui de
lui plaire ; la peine que de martyrs n’ont pas autant
souffert que ce guerrier qui, percé, déchiré de coups,
expire sur un champ de bataille, ou vient subir de
nouvelles douleurs sous la main qui tente de le sou­
lager, ou traîne parmi nous les restes d’un corps
échappé des combats et couvert d’honorables bles­
sures.
Oui, vous êtes les martyrs du devoir, les martyrs
de la charité chrétienne et nationale, les dignes rivaux
des martyrs de la foi, généreux martyrs de la patrie;
et j’oserais vous adresser, au fort de la mêlée, des
paroles que saint Cyprien adressait aux confesseurs
de la foi, au milieu de leurs tourments « C’est ici un
grand et glorieux combat, où le prix du vainqueur n’est
pas moindre qu’une gloire immortelle. Dieu vous voit,

(1) Majorem liane dilectionem nemoliabet, ut animamsuam ponat


quis pro amicis suis. (Joan., xv, 13.)
INTRODUCTION X X X III

généreux combattants, ses anges vous voient, Jésus-


Christ vous voit. Quelle félicité! un Dieu pour témoin
du combat! Jésus-Christ attendant le héras au bout
de la carrière pour le couronner (1). »

A cette couronne d’un éclat immortel, à la gloire,


au bonheur qui l’accompagnent, comparez tous les
biens que peuvent donner les hommes ces prix, ces
dons, ces honneurs pendant la vie, ces regrets, ces
éloges, ces magnifiques tombeaux après la mort, par­
tage du petit nombre, récompenses vaines, tardives,
fragiles, incertaines, que le temps consume, que le
temps détruit, qu’il entraîne dans un oubli éternel
avec celui qui les donne et celui qui les reçoit.
Ce n’est pas que, dispensées avec mesure, attendues
avec patience, achetées par des services, les récom­
penses de la terre soient absolument à mépriser, ni
que le soldat chrétien les dédaigne ou les refuse; non
les éloges de ses chefs le flattent et l’encouragent;
l’estime de ses semblables le paierait de ses travaux;
les bienfaits du prince, il les regarde comme les dons
de la patrie, qui les distribue par les mains du mo­
narque; il les goûte comme un fruit qu’il a semé dans
le sang et dans les alarmes, et que Dieu lui fait cueillir
dans l’allégresse et dans la paix. Mais si un chef
injuste ou jaloux a dissimulé ses services, si un

(1) S. Cyp , cpist., De Exhort. ad Mart. ad Thibericanos.


XXXIV LES SAINTS MILITAIRES

ministre mal instruit ou malentionné en a dérobé la


connaissance au prince, si un concurrent plus adroit
a su lui ravir par ses intrigues un prix qu’il ne sait ni
ne veut disputer que dans les combats, il ne se ven­
gera ni par de vains murmures, ni par une retraite
prématurée, ni par une lâche et perfide désertion.
Murmurer et se plaindre, c’est le parti de la faiblesse
qui ne peut ni repousser ni pardonner l’injure ; renoncer
aux armes au milieu d’une guerre et refuser le secours
de son bras à la patrie qui l’aurait nourri, élevé,
distingué jusqu’alors, ce serait une noire ingratitude;
abandonner le drapeau auquel il s’était lié par le prix
qu’il avait reçu et par son serment, ce serait un vol et
un parjure; tourner, grand Dieu! ses regards et ses
pas du côté de l’ennemi, pour revenir un jour contre
un pays qu’il devait défendre, ce serait, je ne dis plus
un vol et un parjure, mais le plus exécrable des par­
ricides. Dure, dure à jamais l’injustice qu’il éprouve,
si, pour la faire cesser, il faut qu’il ait recours au
crime! Dieu l’a vu dans les combats, Dieu sera sa
récompense; et content de ce prix, digne objet de ses
vœux, il attendra sous le drapeau que son temps soit
expiré ou que l’État n’ait plus besoin de ses services.
Il ne voudra pas punir la patrie de la méprise du sou­
verain ou de la faute de ses ministres.

Oh ! si pour récompense de ses longs travaux, de


son sang et de ses sueurs qui, tant de fois, ont coulé
INTRODUCTION XX XV

pour la patrie, Dieu voulait l’appeler à lui au milieu


des combats ; si pour lui épargner les dégoûts et l’inu-
lilité des derniers ans, il daignait lui accorder une
mort prompte et glorieuse; si, comme Turenne, comme
Bayard, il pouvait mourir les armes à la main, ou,
comme le plus vaillant des Machabées, voir, en tom­
bant, fuir l’ennemi, et laisser à la postérité un grand
exemple! Des vœux aussi purs méritent d’être exaucés;
la prière du héros a été entendue, et son offrande est
acceptée.
La guerre éclate, déployant ce qu’elle a de plus for­
midable; elle éprouve la constance du guerrier autant
par l’appareil du combat que par le combat même.
Deux armées sortent de leurs camps, s’avancent à pas
mesurés, s’observent, se menacent avant de s’élancer
l’une contre l’autre. A ce spectacle le lâche pâlit, la va­
leur douteuse jette des regards incertains; le vrai cou­
rage s’anime, et le plus grand péril est son plus grand
attrait. Voyez, voyez ce soldat qui jusqu’à ce moment
s’est montré fidèle à tous les devoirs que la religion
prescrit et que la milice commande ; après une revue
rapide de sa conscience et de ses armes, il est prêt,
rien ne l’arrête, rien ne le retarde; il porte son âme
dans ses mains pour la rendre au moment qu’elle lui
sera redemandée. Atteint d’un premier trait, il n’en est
que plus intrépide et plus redoutable, il donne des
ordres et les exécute avec le même sang-froid que si
un autre était frappé ; percé du trait fatal, il chancelle
et succombe. Accourez* jeunes guerriers..; non pour le
X X XVI LES SAINTS MILITAIRES

secourir : vos efforts seraient superflus, il louche à son


heure dernière; mais pour contempler un beau mo­
dèle, pour voir comment un soldat chrétien sait mourir.
D’un regard ferme, il envisage la mort qui va finir
ses peines; il bénit le ciel du coup dont il vient de le
frapper; il vous exhorte à demeurer fidèles à sa loi
sainte, à combattre comme il a fait, à mourir comme il
meurt. Et voyant l’ennemi saisi d’épouvante et d’effroi
prendre la fuite, il vous rend grâces, ô mon Dieu, de
l’avoir fait vivre assez pour ctre témoin de ce spectacle,
et d’avoir choisi son bras pour le faire servir encore à
cette victoire. Il vous adresse un dernier vœu pour la
prospérité du prince et de la patrie, pour le bonheur
de ses concitoyens et la gloire des compagnons de ses
armes, dont il ne partagera plus ni les succès ni les
revers. Enfin les portes de l’éternité s’ouvrent; il voit
le souverain rémunérateur s’avancer vers lui avec les
palmes immortelles, pour le couronner dans le champ
même du combat, et lui payer le prix de ses fatigues et
de sa mort.

Ainsi, toujours prêt à combattre, et déterminé à


mourir, le guerrier qui prend pour motif de sa valeur
la loi de Dieu, ses châtiments, ses récompenses, doit
l’emporter sur tous les guerriers dont tout autre intérêt
animerait le courage.
Vous vous êtes trouvés au milieu des périls, vous
avez été à des assauts et à des batailles, vous avez vécu
INTRODUCTION XX XVII

dans les armées et dans les camps, vous y avez vu des


hommes de tous les caractères, agissant par toute sorte
de motifs des disciples de l’honneur et de la disci­
pline, des esclaves de la crainte, des martyrs des hon­
neurs et des récompenses, enfin, des serviteurs de
Dieu, l’honorant en esprit et en vérité, pleins de foi,
sans orgueil et sans hypocrisie, formés sur le modèle
du centenier de l’Evangile, ayant des hommes au-dessus
et au-dessous d’eux, obéissant et commandant tour à
tour : rendez donc gloire à la vérité, soldats, devant
qui je parle, et puisque vous avez été témoins, soyez
encore juges.
Si donc vous n’avez pas vu de guerrier obéissant
avec plus de ponctualité et moins de répugnance, com­
mandant avec plus de douceur et moins de faste, sup­
portant les travaux avec plus de constance, marchant
au combat avec plus de hardiesse, soutenant le premier
choc avec plus de fermeté, recevant le dernier coup
avec plus de résignation que le soldat chrétien, c’est
que la religion augmente le courage.
Et si après ou pendant le combat, vous n’avez pas
vu de guerrier plus humain, moins violent, moins
avide, moins injuste, moins jaloux de ses intérêts
propres, plus jaloux de la gloire du prince, plus en­
nemi de la mollesse, plus occupé, plus instruit, c’est
que la religion n’augmente pas seulement la valeur
par ses motifs, mais encore qu’elle l’épure par ses
maximes.

SAINTS MILITAIRES. — T. I.
X X X V III LES SAINTS MILITAIRES

La valeur, cette force de l’âme qui s’exerce contre


les obstacles et contre les périls, qui les appelle pour
les combattre et ne cherche que la gloire d’en triom­
pher, ressemble au glaive qui, tantôt instrument, et
tantôt vengeur du crime, frappe indifféremment sur
l’innocent et sur le coupable, selon le bras qui en
dirige les coups. Guidée par la raison et la justice, elle
fait le héros; égarée par l’ambition, elle fait les con­
quérants, les ravisseurs injustes; poussée par la ven­
geance, par l’avarice, par l’orgueil, elle rend le général
cruel, le soldat féroce, à charge aux alliés, difficile avec
ses concitoyens, plus difficile encore avec ses égaux;
engourdie par la mollesse, elle tombe dans la langueur
qui dégrade le guerrier, et perd les plus florissantes
armées ; enivrée par la présomption qui ne compte que
les bras, elle dégénère en un instinct aveugle, qui
succombe bientôt sous les efforts mesurés d’une valeur
fortifiée et dirigée par l’instruction.
Mais sitôt que la religion s’empare d’un cœur, elle
détruit ou empêche de naître* par son esprit, les vices
d’où proviennent les désordres et les abus : elle oppose
un esprit de modération à la soif des conquêtes, un
esprit de douceur à la violence, la sévérité des mœurs
à la mollesse, le désir et le devoir de s’instruire à
l’ignorance présomptueuse qui rejette toute instruction ;
et, parla réunion de règles aussi sages que saintes,
elle conserve à la valeur son activité et son éclat, et la
rend une vertu digne de l’admiration de la terre et du
ciel.
INTRODUCTION X X X IX

Il ne faut point un effort de raison pour reconnaître


que toute guerre qui n’est point juste, que toute con­
quête qui n’est pas légitime, que tout acte de violence
qui n’est pas nécessaire, est un attentat criminel. Mais
quel est le prince enorgueilli de sa puissance, le géné­
ral dépositaire de l’autorité du prince, le guerrier ayant
en main la force et se voyant l’avantage, qui veuille,
quand l’intérêt et la passion lui parlent, écouter la voix
de la raison?
C’est la religion seule qui donnera à la raison le
pouvoir de se faire entendre et de se faire obéir avant
l’heure de l’adversité.
Comme la religion arrête l’ambition du monarque
et le détourne d’une guerre injuste, la religion réprime
la violence du général et du soldat dans une guerre
même légitime.
Je ne veux pas retracer les maux sans nombre, les
uns forcés, les autres inutiles, qu’entraîne une guerre
après soi : les ravages, les incendies, les meurtres de
sang-froid, et toutes ces horreurs qui demandent ven­
geance au ciel, quand la justice est refusée par les
hommes. J’aime mieux m’arrêter à ce touchant et beau
spectacle d’un guerrier tempérant par sa douceur la
rigueur d’un ordre nécessaire, suspendant la fureur du
combat pour accueillir un ennemi qui rend les armes,
le relevant quand il est abattu, étanchant son sang et
fermant ses blessures, épargnant les édifices publics,
les monuments des arts, l’humble toit du laboureur et
ses travaux, tous ces objets qui, n’étant pas coupables
XL LES SAINTS MILITAIRES

de la guerre, ne doivent pas en être les victimes : et tel


est le spectacle que donne le chrétien, vainqueur de
l’ennemi par son courage et de lui-même par la cha­
rité. Il sait qu’enfants du même Dieu, tous les hommes
sont frères; que leurs droits peuvent être suspendus,
jamais détruits; qu’il doit s’interdire tous les maux
qu’il peut s’empêcher de faire, et gémir de tous ceux
dont il ne peut se dispenser!
Il sait qu’il est d’autres objets privilégiés par la
nature, protégés par la religion, objets non moins sa­
crés que nos temples, non moins précieux que la vie
des hommes, non moins chers à leur cœur. Malheur à
lui si, d’une main sacrilège, il tentait de ravir des
droits que la victoire ne peut transmettre, que des peu­
ples les plus barbares ont respectés, et que des païens
ont regardés comme inviolables.
L’univers a célébré la continence de Scipion; les
siècles en ont perpétué le souvenir. Quelque grande
pourtant que soit cette action, quelque sublime que
soit la vertu qui l’a produite, la vertu du chrétien est
encore et plus noble et plus pure. Les soins d’une guerre
importante dont le jeune général romain était chargé
ont pu distraire sa grande âme des plaisirs vulgaires.
Les ennemis de son nom, qu’il fallait réduire au silence;
deux illustres rivaux, son oncle et son père, qu’il fal­
lait atteindre et surpasser; des peuples qu’il fallait
vaincre par les armes, gagner par les bienfaits, éton­
ner du moins à force de générosité, étaient autant de
motifs qui pouvaient l’animer à ce sacrifice. Mais ce
INTRODUCTION XLI

chrétien obscur, ce soldat perdu dans les derniers rangs


de sa légion, qui n’a rien à espérer ni à redouter de la
part des hommes, qui ne sera ni puni de son crime ni
loué de sa vertu, ne se montrera pas moins pur dans
le désordre qui favoriserait sa licence, dans les ténèbres
qui cacheront sa vertu, que si l’univers avait les yeux
sur lui.

Faisant paraître tant de modération et de douceur


envers l’ennemi, comment le soldat chrétien pourrait-il
être injuste envers les peuples alliés ou neutres, diffi­
cile envers ses concitoyens, dur et sanguinaire à l’égard
des compagnons de ses armes? Cependant, il est à
craindre qu’accoutumé à voir tous les jours l’ennemi, à
se nourrir du fruit de ses travaux, à se revêtir de ses
dépouilles, il ne regarde des mêmes yeux tous les
hommes et tous les pays; que par l’habitude des com­
bats, il ne contracte une férocité qu’il ne veuille plus
changer contre des mœurs plus douces et plus faciles ;
qu’accoutumé à commander, il ne. dédaigne de deman­
der; qu’il n’aime mieux arracher par la violence qu’ob­
tenir par la douceur et par les lois, et que dégoûté
bientôt d’une paix qui n’offre ni périls à braver, ni
obstacles à vaincre, ni gloire à partager, il ne porte la
guerre au sein de la patrie, en tournant ses armes
contre l’ancien compagnon de ses travaux et le digne
émule de sa gloire.
Mais un soldat chrétien, fidèle à ses principes, tient
SAINTS M U i ï à i r t ^ . — T . I . C .
XLII LES SAINTS MILITAIRES

une autre conduite, Avec quelle circonspection ap­


proche-t-il d’une terre étrangère! quels égards pour
les personnes! quel respect pour les propriétés! « Vous
passerez, disait Moïse de la part de Dieu aux enfants
de Jacob, vous passerez sur les confins de vos frères
les enfants d’Esaü; mais prenez garde de commettre
contre eux aucune violence, car je ne vous donne
aucune portion de leur héritage. Vous vous détourne­
rez de leurs frontières ; vous éviterez toute contesta­
tion; vous achèterez d’eux tous les vivres dont vous
aurez besoin, et paierez jusqu’à l’eau que vous puiserez
dans leurs citernes (1). » Passe-t-il ou séjourne-t-il
chez les alliés, non seulement, il n’est point injuste,
mais il est affable et bienfaisant. C’est peu pour lui de
ne pas causer de crainte, il veut inspirer de la con­
fiance par sa modération, et de la bienveillance par ses
services. Aussi les cœurs ne se resserrent pas à son
approche, les peuples ne désertent point les lieux de
son passage, ne redoutent pas son séjour, et ne s’affli­
gent que de son départ. Ecoutez les serviteurs de
Nabal, faisant l’éloge de David et de sa troupe : c’est
l’éloge du guerrier chrétien chez les alliés « Cet
homme, disaient-ils, et tous ceux qui l’accompagnent,
ne nous ont rendu que des services, et loin de nous
avoir causé quelque dommage, ils nous ont garantis
des méchants dont nous avions à redouter les entre­
prises. Semblables à un mur élevé autour de nous, leur

(1) Dent., h.
INTRODUCTION XLI1I

vigilance a fait notre sûreté, et jour et nuit nos trou­


peaux paissent tranquillement sous leur garde (1). »
De retour dans sa patrie, tous les liens qui l’atta­
chaient à elle vont se resserrer. Plus doux et plus do­
cile que le reste des citoyens, il leur donne l’exemple
de l’obéissance aux lois, du respect pour la religion,
de l’amour qu’ils se doivent. Il a déposé jusqu’à cet air
de fierté qui pourrait le faire craindre; et ce fer qu’il
a si souvent plongé dans le sein de l’ennemi, il croirait
le profaner en le faisant servir à un autre usage qu’à
la protection de tous et au maintien de la tranquillité
publique.

Et ne craignez pas qu’en louant la douceur du soldat


chrétien, je veuille le porter à la faiblesse; que pour
combattre un préjugé cruel et prévenir l’excès du
courage, je prenne le parti de la lâcheté, ou qu’exhor­
tant le brave à pardonner l’injure, j’enhardisse le lâche
à la commettre. Non! la religion rougirait de combattre
un abus par un vice également ennemie de la fai­
blesse et de la violence, elle s’éloigne également des
deux excès, elle remonte à la source du mal, elle
l’attaque dans son principe, et du même coup elle
détruit et le mal et les passions qui en sont la véritable
cause.
D’où viennent, en effet, ces démêlés sanglants dont

(I) I Reg., xxv.


XL1V LES SAINTS MILITAIRES

la raison, la nature et la religion frémissent? D’où


vient que l’homme, comme dit l’Écriture, s’en va à la
chasse d’un autre homme et poursuit sa proie comme
une bête féroce, pour la dévorer (1) ? D’où vient que le
regard farouche, le visage altéré, Caïn dit encore à son
frère aujourd’hui Allons, sortons ensemble! et que
l’instant d’après le sang d’Abel, indignement versé, crie
vengeance? C’est que les passions divisent les cœurs
que la nature avait unis; c’est qu’à la place d’un amour
mutuel règne un amour excessif de soi-même, et que
l’orgueil, l’envie, l’intérêt propre, agitant tous les
hommes, les uns sont prompts à commettre l’offense,
les autres ardents à la venger ; et de ce mal si cruel, si
invétéré et regardé comme incurable, si vous demandez
quel est le remède, c’est la religion, c’est la charité
que la religion inspire. Faites rentrer la charité dans
le monde, l’ordre y rentre avec elle. Plus de haines,
plus d’offenses, plus de vengeances tous les hommes
sont frères, tous les frères sont amis. La charité est
douce, bienfaisante, point jalouse, point dédaigneuse;
elle ne s’enfle point d’orgueil, elle ne cherche point
son intérêt propre, elle ne se pique point, elle ne s’aigrit
point, elle ne soupçonne poiùt (2). Cela posé, d’où les
offenses et les vengeances pourraient-elles naître?

(1) Omnes in sanguine insidiantur, yir fratrem suum ad mortem


venatur (Mich., yii.)
(2) Charitas, patiens est, benigna est : cliaritas non emulatur,
non agit perperam, non inflatur, non est ambitiosa, non quærit
quæ sua sunt, non irritatur, non cogitât malum. (I. Cor., xm.)
INTRODUCTION XLV

L'homme de bien n’offense personne, parce que la cha­


rité est bienfaisante; l’homme de bien s’offense peu,
parce que la charité n’est point soupçonneuse, qu’elle
veut avoir vu le mal pour le croire, et qu’elle l’excuse
après l’avoir vu. Il est encore vrai que si l’homme de
bien s’offense peu, l’on veut rarement offenser un
homme de bien. Un de ces hommes qui se sont montrés
au-dessus de la crainte dans les combats, au-dessus de
l’intérêt dans la société, un homme de ce caractère
n’inspire que la vénération, l’amour, le respect. Et s’il
était une âme assez dure, assez atroce pour lui faire
outrage, l’indignation publique pourra prendre soin de
sa vengeance: quant à lui, sa vertu et son courage lui
ont acquis le droit de pardonner.

La valeur du Chrétien est sauvée du danger de la


valeur même; elle est sauvée de la violence envers ses
ennemis, envers ses alliés, envers ses concitoyens : il
ne reste plus qu’à la défendre de la mollesse qui la perd
et de l’ignorance qui la dégrade.
La mollesse, qui énerve le corps, altère la vigueur
de l’âme et nuit également à la vertu du sage et du
héros. Un corps affaibli par les excès, un cœur usé par
les passions, se prêtent peu aux entreprises difficiles et
périlleuses : il faut, pour soutenir le poids des armes,
un corps endurci par le travail; il faut, pour concevoir
et pour conduire de grands desseins, une âme préparée
par de grands sentiments et capable de grands sacri-
XLV1 LES SAINTS MILITAIRES

fi ces, et pour maintenir dans toute leur vigueur l’âme


et le corps, il faut encore un régime, des exercices, des
privations.
Pour prémunir les fidèles de Corinthe contre les
dangers de la mollesse, saint Paul leur montrait les.
athlètes qui brillaient dans les jeux publics. «Voyez, leur
disait-il, comment ces athlètes, pour la gloire frivole
de vous plaire, travaillent sans cesse à se rendre plus
agiles et plus forts. Ils endurent la faim, ils supportent
la soif, ils combattent contre les délices et se défendent
comme d’un poison mortel de tout ce qui pourrait
altérer leur force et leur souplesse. »
Ces athlètes ne sont plus; mais aù défaut de l’art et
du régime qui les avaient formés, il nous reste un code
sacré qui les supplée et les remplace : il nous reste les
maximes de l’Évangile, les préceptes de Jésus-Christ.
Ces lois sages et saintes, prescrivant la tempérance et
la frugalité, l’empire sur les sens, l’amour du travail,
la fuite des plaisirs, préservent un guerrier de la mol­
lesse, qui trop souvent éteint en lui l’amour de la vraie
gloire, et qui, plus souvent encore, lui ôte les moyens
de l’acquérir. Suivez ces lois, soldats, soyez chrétiens,
et bientôt votre troupe, aussi distinguée par la force
que par le courage, supérieure à la fatigue et aux
périls, ne redoutera ni la chaleur des plus longs jours,
ni les frimas des plus longues nuits, ni l’influence
des climats les plus contraires, ni la faim, ni la soif,
ni tant de travaux que le plus mâle courage, sans la
force, ne saurait longtemps soutenir. Pour mettre en
INTRODUCTION XLV1I

fuite un ennemi à moitié vaincu par la volupté, vous


n’aurez qu’à vous montrer, comme pour triompher
d’un ennemi aussi robuste que courageux, vous n’aurez
qu’à vous rendre de plus en plus habiles dans la science
des combats.

« Ne croyez pas, disait Gyrus aux compagnons de sa


jeunesse, ne croyez pas que, pour vaincre, il nous
suffise* d’avoir appris à tendre un arc, à lancer un ja­
velot, à manier un cheval avec adresse, à soutenir
les veilles, la faim, les travaux, avec constance : il est,
il est encore dans l’art un degré plus profond et plus
sublime auquel il faut atteindre, si nous voulons vaincre
un ennemi qui aurait tous ces avantages, et ne pas
éprouver de résistance de la part d’un ennemi qui
aurait négligé de les acquérir. »
Ce grand art de combattre et de vaincre, la religion
sans doute n’en donne point de leçons; mais, par
toutes sortes de motifs, elle anime le soldat à le re­
chercher.
Gomme le dépositaire des lois doit connaître les
règles de la justice, le conducteur des âmes la science
du salut, le médecin l’art de soulager et de guérir nos
maux, et comme ils répondent l’un de l’état et des
fortunes soumises à sa décision, les autres de la vie et
des âmes confiées à leurs soins; de même, le guerrier
doit connaître l’art de la guerre, et répond du sang de
ses frères que, faute de s’être instruit, il a laissé ré­
XLVIII LES SAINTS MILITAIRES

pandre, et du sang même de l’ennemi, qu’avec plus


d’art et d’instruction il eût pu épargner.
Tous les corps s’étant partagé le fardeau de la
guerre, chacun semble s’être restreint à la portion dont
il s’est chargé les uns, attendant l’ennemi de pied
ferme ou marchant à lui à pas lents et mesurés, forment
le fond et comme le corps d’une armée; d’autres joi­
gnant à l’intelligence et à l’adresse de l’homme la vi­
gueur et l’impétuosité du cheval, déploient ces masses
solides et mobiles en même temps qui sont comme les
ailes de ce vaste corps, dont d’autres, plus dégagés dans
leur armure, plus rapides, moins réguliers dans leurs
mouvements, semblent destinés, comme les yeux, à
éclairer la marche et à diriger les pas. Mais vous, aussi
légers que les uns, aussi fermes que les autres, rempla­
çant la force par la vitesse, suppléant à toutes deux par
votre ardeur, tantôt à pied, soldats d’élite, aussi propres
aux sièges qu’aux batailles, vous livrez et soutenez les
assauts; tantôt, remontant sur vos coursiers, vous vous
élancez de vos retraites et fondez tout à coup sur l’en­
nemi, vous le rompez par la force, vous le dissipez par
l’adresse, vous décidez les victoires, vous en assurez le
fruit; et comme vous réunissez les travaux et les périls
de tous les corps, que vous êtes appelés à remplir suc­
cessivement tous les grades, que vous exercez tour à
tour chaque partie de l’art des combats, vous ne devez
pas vous renfermer dans une seule, mais travailler aies
réunir toutes; vous devez montrer dans chacun de
vous un homme aussi prompt à obéir que propre à
INTRODUCTION XLIX

commander un jour, et dans le corps entier l’abrégé de


la science et des talents, comme vous l’êtes des opéra­
tions de toute une armée (1).
Quel spectacle plus rassurant pour la pratique, plus
effrayant pour l’ennemi, plus édifiant pour la religion,
qu’une troupe exercée et formée sur ces principes, don­
nant l’exemple de toutes les vertus et fournissant le
modèle de la science des combats? Quelle valeur plus
noble que celle qui, réglant la force par la justice, ne
veut combattre que pour se défendre, et, sans chercher
à nuire aux autres, ne se propose que de protéger les
siens ; qu’une valeur qui, ne disputant avec les alliés que
de services, avec les ennemis que de courage, avec les
compagnons de ses armes que d’une noble émulation,
ne fait aux uns que le mal qu’il est indispensable de
leur faire, fait aux autres tout le bien qu’il est possible
de leur procurer, épargne le sang de ses frères, et ne
répand celui de l’ennemi qu’autant qu’il est nécessaire
d’en verser? Quelle valeur plus sûre que celle qui,
ménageant ses forces par une sage retenue et les aug­
mentant par de nobles travaux, les retrouverait toutes
entières au moment du péril; qu’une valeur qui, joi­
gnant à la force du corps la vigueur de l’âme, et à toutes
deux les ressources de l’instruction, pourrait également
proposer, accepter, refuser le combat, s’assurer les
avantages de la victoire ou diminuer les malheurs delà
(1) L’évêque de Lescar s’adressait au régiment de dragons. On
verra aisément que ce passage s’adresse à toutes les écoles d’offi­
ciers, et fait à chacun une égale obligation de s’instruire.
LES

SAINTS MILITAIRES

MOI S DE J A N V I E R

SAINTS MILITAIRES. — T. 1. d
LES

SAINTS M I L I T A I R E S
----- _________ y-----

MOIS DE J ANVI ER

LE
MARTYROLOGE

Jours. Titres.
1. Les trente Bienheureux Soldats martyrs
à Rome, sur la voie Appienne.

Saint Moncain, Noble guerrier Irlandais,


puis Abbé. C.

2. Saint S ébastien de Fossano et saint A l-


vère , Soldats de la Légion Thébéenne. MM.

Saint M acaire de Rome} Vicaire de la


Préfecture de Rome, puisErmite. G.

Saint Adélard, Comte du palais de Char­


lemagne, puis Abbéde Corbie. G.
SAINTS MILITAIRES. — T. I, i
2 LES SAINTS MILITAIRES

•Jours. Titres.
3. Saint Athanase, de Cilicie, Greffier, M.

Saint Gorde Comte et Centurion. M.

h. Saint G régoire d'Aubin, comte d’Autun,


puis Evêque de Langres. G,P.

b. Saint G erlacii, Maître de Cavalerie, puis


Ermite. M.

6. Saint Gaspar d'Orient, saint M elchior


et saint B althasar, Rois Mages. CC.PP.

7. Saint J uliln de Cagliari, Comte. M.


Le Bienheureux W ittekind , D uc des
Saxons. M.

Saint R einold, Noble Guerrier, puis Moine


de Saint-Pantaléon, à Cologne. M.

Saint Canut L award, Roi des Obotrites,


et duc de Schleswig. M.

Le Bienheureux Ambroise F ernand: z ,


Soldat Portugais, puis Frère dans le
Compagnie de Jésus. M.

8. Saint Claude de Terni, Chef de la m ilice


de Terni; saint Carbonan, saint T ibu -
dien et saint P lanius , Soldats. MM.
MARTYROLOGE DE JANVIER 3
Jours. Titres,
9. Le Bienheureux Officier de Justice, con­
verti par saint Julien à Antinoë; et
vingt Bienheureux Soldats. MM.

Saint W aning, Gouverneur du pays de


Caux, puis Fondateur de l’Abbaye de
Fécamp. C.

10. Saint Domitien de Mélitène,Evêque de


Mélitène et Aumônier militaire. G.P.

Saint P ierre Ursôole, Doge de Venise,


puis Moine de Saint-Michel de Gusan,
en Catalogne. G.

12. Saint Méorce, Soldat. M.

Saint Z otiquë d ’Afrique, saint R ogat,


saint Modeste, saint Castule , saint
Q ujnctus, saint B iccien , saint Caroti-
que, saint Castulin , et trente-six autres
Bienheureux Soldats. MM.

Saint B enoit Biscop, Officier de la cour


d’Oswy, Roi de Norlhumbrie, puis Abbé
des monastères de Wearmouth et de
Yarrow. C.

Saint Aelred, Gouverneur du Palais de


4 LES SAINTS MILITAIRES

Jours. Titres
David Ier, Roi d’Ecosse, puis Abbé de
Riéval, en Angleterre. G.

13. Les quarante Bienheureux Soldatsmar­


tyrs sur la voie Lavicane.

Saint S econdin, saint ErsON et saint Qui-


rion , Soldats. MM.

Saint S tratonique, Garde de prison. M.

Le Bienheureux Godefroi, Comte de Kap-


penberg, puis Chanoine-régulier de
l’Ordre de Prémontré. C.

Saint S abba, Prince Serbe, puis Moine et


Archevêque de Serbie. C.P.

15. Saint E puyse, Officier romain. M.

Saint B ont, Chancelier de France et Gou­


verneur de Provence, puis Evêque de
Clermont, en Auvergne. C.P.

Saint Cléolavulf, Roi de Northumbrie,


puis Moine au monastère de Lindis-
farne. C.

16. Les neuf Bienheureux Soldats martyrs à


Rome, sur la voie Cornélienne.
MARTYROLOGE DE JANY1ER

Jours. Titres.
Saint J acques de Tarentaise, Officier
Persan, puis Evêque de Tarentaise. G.P.

Saint F r it z , Prince Frison. M.

18. Saint Musée et saint âmmône , Soldats. MM.

Saint A stère d’Ostie, Officier de la Pré­


fecture de Rome. M.

Les trente-sept Bienheureux Militaires


Egyptiens : Saint P aul d'Égypte, saint
P ansius, saint D enis d'Égypte, saint
T iionius, saint H orprèz, saint H orus,
saint D enis d'Égypte (un autre), saint
Ammonius, saint B essamône, saint Aga -
tuon d'Égypte, saint R ecombe, saint
B astame , saint S armate, saint P rotée ,
saint Orion, saint Gollute, saintD idyme,
saint P lésius , saint A ratus, saint
T iiéone , saint H ippéas , saint R omain
d'Égypte, saint S aturnin , saint P inu -
tu s , saint S érapion d'Égypte, saint
B astamon, saint P ape , saint P anthère ,
saint P apias d'Égypte, saint D ioscore
saint H éron, saint P otamon, saint P é -
tiiéciius , saint Æ comène, saint Z otique
d'Égypte, saint Cyriaque d'Égypte,
saint Ammonius (un autre). MM.
6 LES SAINTS MILITAIRES

Jours. Titres.
Saint V olusien , Sénateur, puis Evoque
de Tours. M.

19. Saint B laitumaic, Prince Irlandais, puis


Moine. M.

Saint Canut IV, roi de Danemarck. M.

20. Saint Basse , saint E usèbe de Nicomèdie,


saint E utyque de Nicomèdie. saint B a-
silide de Nicomèdie, Officiers gardes-
du-corps de Dioclétien. MM.

Saint S ébastien de fîome, Chef de la l re


Cohorte Prétorienne. M.

22. Saint A nastase de Perse, Soldat, puis


Moine. M.

Saint J ean de Bulgarie et saint L éon de


Bulgarie, Tribuns Militaires. MM.

Le Bienheureux Gauthier de B ierbèke


Noble Chevalier du Brabant, puis Moine
de l’Ordre de Gîteaux. G.

23. Saint P hengon et saint E ucarpe, Soldats. MM.

Saint A sclas, officier Egyptien.


MARTYROLOGE DE JANVIER 7

Jours. Titres.
Saint A nastase de Lérida,, et ses soixante-
treize Bienheureux Compagnons, Sol­
dats. MM.

Saint Barnard, Noble guerrier, puis Fon­


dateur de l’Abbaye d’Ambronay et
Archevêque de Vienne en France. C P.

24. Saint H ellade de Cilicie, Greffier. M.

Saint Cadoc, Prince de Cambrie, p u is


Abbé de Llancarvan. M.

25. Saint J uventin et saint Maximin , Officiers


de la Garde de l’Empereur Julien. MM.

Saint P oppon, Noble Chevalier Flamand,


puis Abbé de Stavelot. C.

27. Saint É méré, Noble Guerrier Franc, puis


Abbé du monastère de Bagnoles, en
Catalogne. C.

23. Saint F lavien VAncien, Vicaire de la Pré­


fecture de Rome. M.

Le Bienheureux C harlemagne, Roi de


France et Empereur d’Occident. C.

29. Les quarante-huit Bienheureux Soldats


convertis par saint Sabinien de Troyes. MM.
8 LES SAINTS MILITAIRES

Jours. Titres.
Saint P apias de Rome et saint Maur de
Rome, Soldats. MM.

SaintMAXJMEde Toscane, Officier Romain


et les mille Bienheureux Soldats ses
Compagnons. MM:

Saint A rnoul de Cysoing, Ecuyer Fla­


mand. M.

Le Bienheureux P jerre Thomas, de l’Or­


dre fies Carmes, puis Patriarche de
Constantinople et Vaillant Croisé. M.

30. Saint A delelme, Noble Guerrier Poitevin,


puis Abbé de la Chaise-Dieu et 1er
Prieur de Saint-Jean de Burgos. C.

31. Saint J ean d'Edesse, Officier de l’Armée


Romaine. M.

Saint P ierre Nolasque, Noble Croisé,


puis Fondateur de l’Ordre de la Merci. C.
LES

SAINTS MILITAIRES

MOI S DE JANVIER

VIES ET NOTICES
----------- 'V.A/W'-----------

I er JOUR DE J A N V IE R

LES TRENTE B. SOLDATS MARTYRS A ROME


SUR LA VOIE APPIENNE
Vers 303.

« A Rome, sur la voie Appienne, nous dit en ce


jour le Martyrologe rom ain, les couronnes rempor­
tées par trente bienheureux soldats, martyrs sous l’em­
pereur Dioclétien. »
Le Martyrologe cle Germanie ajoute que ces bien­
heureux soldats eurent à subir le poids des chaînes
et les horreurs de la prison, avant qu’on leur tranchât
la tête.
SAINTS MILITAIRES. — T. I. 1.
10 LES SAINTS MILITAIRES

Remarquons ici, avec le cardinal Baronius, comment


la sainte Eglise de Dieu, instruite par l’Esprit-Saint
lui-même de la propriété des termes, a coutume
d’appeler les horribles supplices des martyrs elle les
appelle couronnes, palmes, départ pour l’autre monde,
jour natal, etc. Le supplice de ces trente bienheureux
soldats immolés le jour même des calendes de janvier,
une des grandes fêtes des Romains, paraît en contra­
diction avec les lois et les usages de ce peuple, qui
défendaient aux magistrats aucuns sévices les jours de
fête. Mais la fureur et l’impatience des persécuteurs les
portaient souvent à la violation de ces lois et de ces
usages. Nous en avons des preuves nombreuses dans
les actes des martyrs. D’ailleurs, Philon, historien juif,
ne dit-il pas ceci en parlant de Flaccus, gouverneur
d’Egypte « C’est la coutume de ne livrer aucun con­
damné, les jours de fête et les jours de la naissance des
empereurs ; mais lui, pendant ces jours, il livrait à des
châtiments injustes des hommes innocents. »

S ources L e M a r ty r o lo g e R o m a i n . — L e s B o iia n d is te s au
1er janvier. — L e s P e tits B o iia n d is te s .
1 er JANVIER 11

SAINT MONCAIN, NOBLE GUERRIER IRLANDAIS,


PUIS ABBÉ, CONFESSEUR.

7e siècle.

Ce fut en 432 que Patrice ‘mit le pied sur cette terre


d’Irlande, dont il devait être le glorieux apôtre. Ses
disciples poursuivirent son œuvre d’évangélisation avec
tant de succès que, du cinquième au huitième siècle,
l’Irlande devint dans le monde l’un des principaux
foyers, non seulement de la vertu et de la sainteté
chrétienne, mais encore de la science, de la littérature
et de la civilisation intellectuelle, dont la foi allait
doter l’Europe, délivrée du paganisme et de l’empire
romain.
On sait que l’Irlande reçut à cette époque, du témoi­
gnage unanime de la chrétienté, le nom d’He des
saints; mais ce qu’on sait moins, c’est que ces saints
se rattachent tous ou presque tous aux institutions
monastiques, qui conservèrent en ce pays une disci­
pline et une régularité persévérantes.
Les anciens monuments de la tradition irlandaise
nous les montrent classés, par l’imagination poétique
et belliqueuse des Celtes d’Irlande, en trois ordres ou
bataillons le premier, commandé par saint Patrice,
composé exclusivement d’évêques romains, bretons,
francs ou scots qui resplendissaient comme le soleil;
le second, commandé par saint Columba et surtout
12 LES SAINTS MILITAIRES

composé de prêtres qui brillaient comme la lune; le


troisième, sous les ordres de Golman et d’Aidan, com­
posé à la fois d’évêques, de prêtres et d’anacborètes,
qui brillaient comme des étoiles. C’est dans celte foule
béatifîque, parmi ces belles étoiles qui resplendirent
au firmament de la primitive Église d’Irlande que nous
apercevons saint Moschua ou, comme le disent nos
vieux hagiographes français, saint Moncain, dont nous
célébrons aujourd’hui la mémoire.
Moncain, d’une illustre famille de Legsi, était fils de
Lonanus. Pendant sa jeunesse, il brilla d’un vif éclat
dans la carrière militaire et remporta toujours la vic­
toire sur les ennemis de son pays. Il avait ainsi passé
les premières années de sa vie dans les ténèbres du
paganisme, avant de s’enrôler dans la milice du Christ.
Parvenu à l’âge de trente ans, il fut averti par une
inspiration d’en haut; et tout pénétré de la crainte de
Dieu, il se convertit, se fit moine et prit l’habit reli­
gieux (t). Son oncle lui avait donné une maison de
campagne, il la fit incendier avec tout ce qu’il possé­
dait, afin que, nouveau serviteur de Jésus-Christ, il ne
pût rien garder des aumônes ou des trésors d’un
pécheur. Ensuite cet homme de Dieu, guidé par la
(1) « Clams generc vir crat, nomine Mochua, filins Lonani ex
Lugne trahens origincin. Hic in primæva ætatc vir erat multiim
bellicosüs, ac de hostibus suis semper victoriam liabens. Triginta
annis sic laicaliter vixit, antequam militiam Christi cxercerct.
Sed... divina inspiratione admonitus et Domini timoris telo per-
culsus ad fidem Christi conversus et monaclius factus, Clericalcm
assumpsit habitum. »» E x v i t a S . M o s c h u œ , a p u d B o ll.
1 er JANVIER 13

main de la Providence, se retira en un lieu nommé


plus tard Téach-Mochua, parce qu’il fut sa principale
demeure. Il y bâtit lui-même un monastère et le rendit
célèbre par une multitude de prodiges et de miracles.
Un des plus éclatants miracles opérés par notre saint
fut le suivant. Un savant religieux, nommé Golman-
Ela, issu d’une famille distinguée, se promenait un
jour dans sa cellule. Or voilà que le démon de l’orgueil
lui représentant la noblesse de sa naissance, sa beauté
et l’étendue de ses connaissances, Colman, plein de
lui-même, conçut une estime immodérée de sa per­
sonne, à la façon des mondains. Il se rassied, l’esprit
tout enivré de ces pensées, et aussitôt perd complète­
ment la mémoire de tout ce qu’il avait appris. Stupé­
fait et comme terrifié par un événement si étrange, il
jeûna la nuit suivante et conjura le Seigneur de vouloir
bien le délivrer de l’esprit d’ignorance et lui rendre sa
science d’autrefois. Un ange lui apparut en songe et
lui dit : « Colman, pourquoi jeûnez-vous? Quelle faveur
désirez-vous de la bonté de Dieu? » Colman répondit :
« Je demande que la science que j ’avais hier, Dieu
daigne me la rendre. » — « Ce que vous demandez,
reprit l’ange, vous l’obtiendrez. » — « A qui, repartit
Colman, Dieu a-t-il confié le soin de ma personne? » —
« Allez, répliqua l’ange, allez trouver saint Moncain, il
vous délivrera du démon de l’orgueil et de l’ignorance. »
Colman part donc, accompagné de quinze autres
pieux moines, et se rend directement à la cellule de
l’homme de Dieu. Il rencontra, hors de l’enceinte de
14 LES SAINTS MILITAIRES

son monastère, saint Moncain, revêtn d’un habit


grossier et portant sur ses épaules un fardeau de
branches. A peine le saint a-t-il aperçu Colman qu’il
le salue; celui-ci le salue à son tour. Tout à coup, un
petit oiseau, venant se percher à l’extrémité d’une
branche, se mit à roucouler il avait comme chanté
un vers. Saint Moncain demanda aussitôt ce qu’avait
chanté le petit oiseau. « Je l’ignore », répondit Colman.
« Vous m’étonnez, reprit notre saint, car moi, qui n’ai
jamais étudié les lettres, j ’ai compris ce qu’il a chanté,
et voici ce qu’a dit l’oiseau « Il ne vous reste rien
a aujourd’hui de la science que vous possédiez. » —
« Je l’avoue, répliqua Colman, je ne sais plus rien;
aussi Dieu m’a envoyé vers vous pour obtenir ma gué­
rison. » Alors saint Moncain lui dit « Que l’esprit
immonde qui habite en vous sorte à l’instant, car il ne
lui a été donné d’habiter en vous que pour un temps. »
Soudain, docile à cet ordre de l’homme de Dieu, le
démon sort de Colman qui recouvre toute sa science.
Il avait, en effet reconnu son péché d’orgueil, et la
lumière de la grâce, illuminant son âme, avait mis en
fuite le prince des ténèbres.
Le pieux confesseur du Christ, saint Moncain, pen­
dant son long séjour au monastère qui fut appelé
Téach-Mochua fonda en Irlande trente chapelles et
cent vingt maisons religieuses. Fatigué enfin de la
faveur dont il jouissait chez les siens et des visites que
lui rendaient ses nombreux amis, convaincu du reste
qu’il ne pourrait atteindre à la gloire des élus qu’à la
i ür JANVIER 15

condition d’abdiquer celle de ce monde, il prit le


chemin du désert et se dirigea vers la demeure de
saint Patrice, au nord de l’Irlande.
Après avoir parcouru plusieurs contrées, où il se
serait arreté si Dieu le lui avait permis, il toucha enfin
à la terre des Ergitliialliens. C’est là que le Ciel le
voulait. Il visita donc le pays, et, guidé par la main
de la Providence, il s’arrêta en un lieu nommé Dayrin.
Il y construisit un temple en l’honneur de Dieu, et
l’illustra par un grand nombre de miracles, pendant -sa
vie et après sa mort. Il habita celte solitude pendant
trente ans. Enfin, parvenu à sa quatre-vingt-dix-
neuvième année, le 1er janvier, vers le milieu du
septième siècle, il s’endormit du sommeil des justes,
par la grâce de Jésus-Christ Notre-Seigneur, auquel
soient l’honneur et l’empire dans les siècles des siècles.
Ainsi soit-il.

S ources : L e s B o lla n d isL e s, au Ier janvier. — L e M a r t y r o ­


loge u n iv e r s e l, de Ghastelain. — Les M o in e s d 'O c c id e n t,
livre X.
I I e JOUR DE JANVIER

SAINT SÉBASTIEN DE FOSSANO ET SAINT ALYÈRE


SOLDATS DE LA LÉGION THÉBÉENNE, MARTYRS..

302.

Guillaume Baldesan traite de ces saints martyrs, sur


la fin du chapitre XXXIIIe dé son Histoire de la, légion
thébéenne. C’est d’après lui, et d’après les monuments
de l’Église de Fossano en Piémont, que Philippe Ferrari
a écrit dans le catalogue des saints d’Italie
« Alvère et Sébastien, soldats de la légion Thé­
béenne, pour échapper à la persécution et aux cruautés
de l’empereur Maximien contre les chrétiens, quittè­
rent le pays des Sédunes (aujourd’hui le Valais), et se
réfugièrent chez les Taurins, près du lieu où est main­
tenant la ville de Fossano; mais saisis par les satel­
lites de l’empereur, ils furent martyrisés. Leurs corps,
après être restés longtemps cachés dans l’église,
autrefois paroissiale de Gampestre, près de Fossano,
furent découverts, sur l’indication de voix célestes, le
2 janvier de l’an du salut 1427, dans des tombeaux en
pierre, avec une inscription qui fait connaître qu’ils
appartenaient à la légion Thébéenne, et qu’ils ont
souffert sous l’empereur précité; leurs ossements on
2 JANVIER 17

été transportés dans l’église principale de la ville sus­


nommée, où ils sont en grande vénération. » Ferrari
en parle également dans son catalogue général des
saints.

S ources L e s B o llo n d is te s au 2 janvier. — M a r ty r o lo g e de


Ghastelain.

SAINT MAGAIRE DE ROME,


VICAIRE DU PRÉFET DE ROME, PUIS ERMITE, CONFESSEUR

Vers 450.

Ferrari donne l’abrégé de sa vie, d’après l’office de


l’Église de Plaisance, dans le catalogue des saints
d’Italie « Macaire de Rome, vicaire du préfet de la
ville, s’éprit de la vie monastique; il abandonna tout
pour se retirer dans le désert où il vécut de racines,
d’herbes et d’eau. Il surmonta les piège du démon par
ses prières assidues, la mortification de son corps et
surtout par ses jeûnes; particulièrement chéri de Dieu
pour ce motif, il termina très saintement sa carrière
dans une extrême vieillesse. Son cercueil en marbre
blanc et brillant se trouve dans l’église de Sainte-
Hélène, près de la rivière de Lavinium, dans le Bolo­
nais; ce qui nous fait penser que c’est là qu’il mena la
vie érémitique. Son corps a été déposé à Plaisance,
18 LES SAINTS MILITAIRES

dans la basilique de Saint-Xystc, sous l’autel qui lui


est dédié. »
Pallade fait mention de notre bienheureux Macaire,
dans son Histoire-Lausiaque, au livre VIIIe des Vies
des Pères, quand il dit qu a Pinien, autrefois mari de
Mélanie la Jeune, se joignirent Pammachius ex-consul,
un nommé Macaire ex-vicaire, et Constance, assesseur
des préfets d’Italie, hommes distingués et très ins­
truits, qui parvinrent à un très haut degré de piété et
de religion.

S ource L es B o lla n d is te s , au 2 janvier.

SAINT ADÉLARD, COMTE DU PALAIS


DE CHARLEMAGNE
PUIS ABBÉ DE CORBIE, CONFESSEUR
Vers 826.

Adélard naquit vers l’an 7ol, à Huysse, près d’Au-


denarde, dans le diocèse actuel de Gand. 11 eut pour
père le comte Bernard, qui était fils de Charles Martel.
Adélard était donc neveu de Pépin le Bref et cousin
germain de Charlemagne. Il fut élevé à la cour où il
reçut l’éducation qu’exigeait sa naissance. Charlemagne,
en montant sur le trône d’Australie, le nomma comte
2 JANV1EK 19

du palais; mais Adélard sut toujours résister aux


séductions des grandeurs et des plaisirs, en mettant
toutes ses actions sous la sauvegarde d’une pensée
chrétienne. 11 nourrissait depuis longtemps une pro­
fonde aversion pour la dissipation qui régnait à la
cour, quand la répudiation d’Hermengarde vint encore
fortifier ces saintes répulsions et le déterminer à em­
brasser la vie monastique. Pour donner une éclatante
désapprobation à cette répudiation, justifiée par les
^uns, condamnée par les autres, jugée encore aujour­
d’hui à des points de vue divers, il résolut de se retirer
à l’abbaye de Gorbie. 11 n’avait que vingt ans lorsqu’il
renonça à toutes les espérances qui lui souriaient,
pour aller remettre sa volonté entre les mains de
l’abbé Addon.
Adélard passa son année de noviciat dans les exer­
cices de la plus vive ferveur. Quand il eut fait profes­
sion, l’abbé Addon le chargea de la culture du jardin
du monastère. Adélard s’appliquait avec ardeur à rem­
plir ces modestes fonctions; et ces vulgaires travaux,
loin d’étouffer chez lui l’amour de la contemplation,
lui fournissaient d’ingénieux moyens d’élever son âme
à Dieu. Dans le terrain qu’il cultivait, il voyait le sym­
bole de l’âme qui ne peut produire de bons fruits que
sous l’effort d’un travail assidu. La renommée de cette
complète abnégation vola bientôt jusqu’à la cour. Les
grands du royaume prétextèrent les souvenirs de
l’amitié, vu les liens de la parenté, pour aller visiter
le prince jardinier, mais celui-ci, pour se soustraire
20 LES SAINTS MILITAIRES

aux égards que lui attiraient sa haute naissance et son


mérite éminent, s’en alla en Italie, pour demander le
calme d’une solitude impénétrable à la célèbre abbaye
du Mont-Gassin. Il espérait pouvoir y cacher sa naissance
et vivre dans l’obscurité; mais un anachorète, étant
venu demander l’hospitalité au Mont-Gassin, révéla le
nom et la patrie d’Adélard, qui bientôt dut se rendre
aux volontés de Charlemagne et reprendre le chemin
de France.
A peine le prince fugitif fut-il rentré dans Corbie,
que, par l’élection de tout le monastère, l’abbé, qui
était fort âgé, se démit sur lui de sa charge. L’ascen­
dant de la vertu suppléa chez le nouvel abbé à l’auto­
rité des années. Il ne craignait point d’introduire les
réformes qui devaient faciliter une plus grande perfec­
tion dans l’accomplissement de la règle; son éloquence
persuasive faisait évanouir toutes les objections de
l’indolence et de la paresse. Selon les circonstances, il
savait allier la fermeté qui résiste énergiquement aux
abus, avec l’indulgente condescendance qui s’accom­
mode aux nuances des caractères et à la variété des
humeurs.
Quoiqu’il eût renoncé à la charge qu’il occupait à la
cour, Charlemagne, qui avait en lui une grande con­
fiance, le consultait souvent; il voulut même, en 796,
pour le récompenser de ses services et lui donner
occasion d’en rendre de nouveaux, l’envoyer à Milan,
en qualité de ministre d’État, auprès de Pépin, roi de
Lombardie. Les circonstances étaient difficiles, mais
2 JANVIER 21

Adélard n’en fut point effrayé. Il s’attacha à faire


régner partout l’ordre et l’union, sévit contre les bri­
gandages qui infestaient les grandes routes, poursuivit
les déprédations des grands et punit les concussions
des magistrats. Grâce à sa vigilance, les pauvres furent
soulagés, et les opprimés échappèrent à la tyrannie
des exactions. Les peuples reconnaissants lui prêtaient
des qualités surhumaines, et croyaient voir en lui un
ange descendu des cieux, pour propager la justice et
consoler l’infortune.
L’an 809, Charlemagne députa Adélard à Rome vers
le pape Léon III, au sujet de quelques discussions que
•faisait naître l’addition des mots Filioque dans le
symbole de Nicée. « Il y fut reçu par le seigneur Léon,
avec tant d’amitié », dit Paschase Ratbert, « qu’il est
certain que personne d’entre les Francs n’avait été
ainsi accueilli jusque-là. » Et pour prouver en quelle
estime Léon avait notre saint, l’historien rapporte que
le Pontife lui dit en plaisantant « Franc, sache que
si je te trouve autre que je ne pense, il est inutile
dorénavant qu’il vienne ici quelqu’un de ta nation
pour que je me fie à lui. »
L’année suivante, Pépin étant mort, Bernard son
fils, qui devint roi de Lombardie, fut placé pat1Char­
lemagne sous la conduite d’Adélard qui fut chargé du
gouvernement pendant sa minorité. Quelques années
après, Bernard, qui, en qualité de fils de Pépin, l’aîné
des fils de Charlemagne (mort en 814), avait des pré­
tentions à la couronne impériale, prit les armes pour
22 LES SAINTS MILITAIRES

faire valoir ses droits; mais il fat malheureux dans


cette guerre, qui lui coûta la couronne et la vie. Louis
le Débonnaire, prévenu par les discours empoisonnés
de quelques flatteurs, soupçonna Adélard d’avoir favo­
risé sourdement les prétentions de Bernard, son élève,
et le condamna à l’exil. On lui assigna, pour le lieu
de son bannissement, le monastère de l’île d’Héro, en
Aquitaine.
Les rigueurs de cet exil, qui dura sept années, furent
singulièrement adoucies pour saint Adélard par raffec­
tion dont il se vit entouré. Les jeunes religieux de
Saint-Filibert le vénéraient comme un père, les anciens
l’aimaient comme un fils, Il jouissait, au milieu d’eux,
d’une tranquillité d’esprit parfaite et d’une joie si
grande qu’il ne pouvait la dissimuler, car il avait
trouvé dans cette solitude le genre de bonheur auquel
il avait toujours aspiré.
Ce ne fut qu’en 821 que Louis le Débonnaire conçut
un vif regret de son injustice et rappela Adélard de
son exil. Celui-ci, pour éviter à l’empereur la moindre
confusion de sa conduite passée, se présenta devant
lui avec un air joyeux et lui fit comprendre qu’il ne
conservait aucune rancune de sa disgrâce.
Au mois d’août 822, Louis convoqua une diète géné­
rale de l’empire dans son palais d’Attigny-sur-Aisne.
Adélard qui avait été remis en possession du gouver­
nement de Gorbie, prit une part importante aux déli­
bérations de l’Assemblée. Non content de lui rendre
ses précédents honneurs, l’empereur le combla de
2 JANVIER 23

nouvelles dignités. Le noble comte du palais aurait


pu profiter de son crédit renaissant pour se venger de
ses calomniateurs; mais il n’en usa jamais que pour
faire fleurir la prospérité publique, la justice et la piété.
Cette même année, Adélard, par excès d’humilité,
voulut se démettre de ses fonctions abbatiales, pré­
textant son âge et l’affaiblissement de ses forces. Mais
les religieux de Gorbie, faisant appel à sa vieille affec­
tion, parvinrent à le dissuader de son projet de retraite.
Adélard avait repris avec une nouvelle ferveur les
exercices du monastère. Souvent on le voyait, malgré
sa dignité d’abbé, s’assujélir aux plus humiliantes
fonctions de la communauté. Quoique avancé en âge,
il écoutait avec docilité les avis du dernier de ses
moines. Lorsque quelqu’un d’entre eux l’exhortait à
modérer ses austérités « J’aurai soin de votre servi­
teur », répondait-il en parlant de lui-même, « afin
qu’il puisse vous servir plus longtemps. » Il ne négli­
geait rien pour porter ses frères à la perfection : chaque
jour il leur faisait des discours tendres et pathétiques,
et il ne se passait aucune semaine qu’il ne leur parlât
à chacun en particulier. Sa sollicitude s’étendait encore
à tous ceux qui habitaient dans le voisinage du monas­
tère. Les pauvres étaient sûrs de trouver en lui un
père compatissant il leur distribuait des aumônes si
abondantes que les revenus de l’abbaye ne pouvaient
y suffire. J1 lui arriva un jour de leur distribuer tout
le fromage du monastère, sans rien réserver pour les
religieux. Le cellérier lui en témoigna son méconten­
24 LES SAINTS MILITAIRES

tement. « Rassurez-vous », dit Adélard, « Dieu pourvoit


toujours aux besoins de ses serviteurs. » — « Oui »,
répondit le cellérier, « pourvu qu’on ne lasse pas sa
générosité par d’imprévoyantes profusions ». Gomme
il disait ces mots, deux charrettes chargées de fro­
mages et de poissons, arrivèrent à la porte du monas­
tère, et le saint abbé fit remarquer avec douceur à
l’économe combien la libéralité divine avait dépassé
la mesure de sa confiance.
C’est en 823 que furent complètement réalisés les
projets d’Adélard et de son frère Wala, relativement à
la fondation de la Nouvelle-Gorbie de Saxe, connue
depuis sous le nom de Corwey. L’empereur les con­
firma par un diplôme daté du 27 juillet de cette même
année. Adélard, qui était abbé de la nouvelle Gorbie
comme de l’ancienne, alla visiter plusieurs fois le
monastère saxon. Les deux illustres frères n’auraient
cru accomplir que la moitié de leur tâche, s’ils n’avaient
pensé qu’à la sanctification des hommes. Ils bâtirent
un monastère de femmes à Herford, sur le Weser.
Mais tant de sollicitudes, de fatigues et de voyages
avaient fini par affaiblir la santé d’Adélard. Quelques
jours avant la fête de Noël de l’année 825, il fut saisi
d’une fièvre violente, dans l’église, où, selon sa cou­
tume, il passait en prières une partie de la nuit. Sa
maladie fit de rapides progrès, et Hildeman son dis­
ciple, alors évêque de Beauvais, s’empressa de venir
à Corbie pour lui administrer le sacrement des mou­
rants. Dès lors le saint vieillard n’aspira plus qu’à se
2 JANVIER 25

réunir à Dieu. « Seigneur », s’écriait-il, « brisez les


liens qui retiennent encore votre serviteur à la vie. Je
n’ai plus rien à désirer, si ce n’est de vous voir face à
face. » Ce fut le second jour de janvier de l’an 826,
qu’il rendit paisiblement son âme à Dieu. L’évêque de
Beauvais l’ensevelit de ses propres mains et fit la
cérémonie de ses obsèques. Il fut enterré dans l’église
de Saint-Pierre, qui était la principale du monastèfc
de Gorbie.
Dieu ayant fait connaître la sainteté de son serviteur
par plusieurs miracles, le pape Jean XX permit qu’on
levât de terre le corps de saint Adélard, pour le mettre
dans une châsse. On en fit la translation avec une
grande solennité en 1040.
Le culte de saint Adélard, interrompu à Gorbie, par
la Révolution française, n’a pas été rétabli dans l’église
abbatiale, devenue paroissiale. Le diocèse de Gand, en
revanche célèbre la mémoire de notre saint.
Il ne reste plus à Gorbie, des reliques de saint Adé­
lard que le crâne et quelques parcelles d’ossements.

S ources L e s B o lla n d is te s au 2 janvier. — Le Propre du


diocèse de Gand. — par
H a g io g r a p h ie d u diocèse d 'A m ie n s ,
l’abbé Gorblet.

SAINTS MILITAIRES.
IIIe JOUR DE JANVIER

SAINT ATHANASE DE CILICIE


® GREFFIER, MARTYR

Vers 30/i.

Le Martyrologe Romain célèbre aujourd’hui lamé-


moire de saint Athanase, greffier, et de saint Zozime,
moine, dans les termes suivants : « En Gilicie, les saints
martyrs Zozime et Athanase, greffier. »
Ferrari, dans son Catalogue général des saints, les
rapporte au 4 janvier, comme fait aussi le Ménologe
des Grecs, dans lequel on trouve ces paroles a Le
même jour, la mémoire du saint martyr Zozime et
d’Athanasc greffier, qui souffrirent un glorieux martyre
en Gilicie, sous le gouverneur Domitien. »
Les Ménées sont un peu plus étendues
« Saint Zozime habitait le désert en Gilicie avec les
bêtes sauvages. Il fut saisi et amené devant le gouver­
neur Domitien, et parce qu’il confessait le Christ, on
lui brûla les oreilles avec un fer chaud. Puis on le
plongea dans un bassin rempli de plomb fondu. Délivré
miraculeusement, il convertit à la foi le greffier Atha­
nase, alors qu’un lion avait paru au théâtre et avait
parlé de Jésus^Ghrist dans un langage humain. Renvoyé
3 JANVIER 27

par le tyran, il se retira de nouveau dans les mon­


tagnes, où il s’était auparavant appliqué à la piété et,
là, instruisit et baptisa Athanase. Ils se réfugièrent
sous des rochers ouverts et escarpés et rendirent leurs
âmes à Dieu. »

S ources L e M a r ty r o lo g e R ô m a in . — Les B o J la n d is te s au
3 janvier.

SAINT GORDE, COMTE ET CENTURION


MARTYR

Vers 320.

Saint Gorde naquit à Césarée en Cappadoce, et servit


d’abord en qualité de centurion dans les armées de
l’empire; mais il se retira dans le désert aussitôt que
Licinius eut rallumé le feu de la persécution. Quelque
temps après, il quitta la solitude pour suivre l’impé­
tuosité du désir dont il brûlait de répandre son sang
pour Jésus-Christ. 11 vint à Césarée lorsque le peuple
était assemblé dans le cirque pour célébrer des jeux
en l’honneur de Mars. Un corps exténué, des cheveux
négligés, une barbe longue, des habits déchirés, atti­
rèrent sur lui les yeux de tous les spectateurs. On
découvrit pourtant, à travers un extérieur si extraordi­
naire, un certain air de majesté qui inspirait de la
vénération. Mais à peine eut-on connu qu’il était
28 LES SAINTS MILITAIRES

chrétien, qu’on l’arrêta pour le conduire au gouver­


neur. Il confessa généreusement sa foi, et fut con­
damné à perdre la tète. La sentence prononcée, il fît le
signe de la croix, et reçut avec joie le coup de la mort.
Après ces quelques lignes qui résument la vie de
l’illustre martyr, nous allons donner en partie le ma­
gnifique discours que saint Basile le Grand a prononcé
en son honneur.
« Ce bienheureux martyr était de Gésarée en Cap-
padoce, et nous avons le bonheur d’avoir avec lui
une même patrie. On ne doit donc pas s’étonner si
nous sentons pour lui une estime et une affection
toute particulière. Car, comme on attribue au terroir
la bonté des fruits qui y croissent, de même Gorde,
ayant pris naissance dans ces murs, et étant monté
depuis au plus haut point d’élévation où un homme
puisse arriver, il fait réfléchir sur sa patrie l’éclat dont
il brille dans le ciel; et pour la nourriture qu’elle lui a
donnée, il lui rend une gloire incomparable.
« Gorde prit le parti de l’épée, et, s’étant mis dans le
service, il y eut des emplois considérables ; il commanda
même une compagnie d’ordonnance de cent hommes
d’armes. Sa valeur, soutenue par une force de corps
peu commune, lui acquit une grande réputation dans
les troupes. Il servait donc avec beaucoup de gloire, il
ne songeait qu’à remplir son devoir, lorsque l’empereur
qui régnait pour lors commença à répandre le poison
de sa rage sur le nom chrétien. Il eut l’impiété de
vouloir s’élever contre Dieu, et la folle pensée de pou­
3 JANVIER 29

voir renverser l’Eglise. On n’entendait plus dans toutes


les villes, dans les places, dans les carrefours, que la
voix des crieurs qui publiaient l’édit du tyran, par
lequel il était défendu, sous peine de vie, d’adorer
Jésus-Christ. Tout était en confusion dans Gésarée :
on pillait les maison des chrétiens; les bourreaux se
saisissaient des fidèles et les déchiraient impitoyable­
ment; des femmes de condition étaient traînées par
les rues; la jeunesse ne trouvait aucune compassion
dans ces âmes barbares, ni la vieillesse de respect;
l’innocence souffrait les peines dues au crime. Les
églises étaient profanées, on renversait les autels, on ne
pouvait plus offrir le divin sacrifice une tristesse pro­
fonde s’était emparée des âmes. L’enfer seul était dans
la joie; les démons tressaillaient d’allégresse. L’odeur
des sacrifices infectait l’air, et le pavé des temples et
des rues était tout couvert du sang impur des victimes.
« Notre centurion voyait tous ces désordres, et en
gémissait; mais il ne se contenta pas d’en gémir, car
prévoyant qu’il serait bientôt obligé de se déclarer, il
quitta le service, et se bannit volontairement de Cé-
sarée. Renonçant donc aux charges, aux dignités, à
toute sa fortune, à tout ce qu’il y a de plus engageant
dans la vie, il s’enfonce dans un désert, aimant mieux
vivre avec les bêtes sauvages que parmi des idolâtres.
« Pensant jour et nuit dans cette paisible retraite au
peu de fond qu’il y a à faire sur la vie présente, qui se
perd comme l’ombre et s’évanouit comme un songe, il
se sentait enflammé de l’amour de cette autre vie qui
11
SAINTS MILITAI ES — T. 2.
30 LES SAINTS MILITAIRES

ne doit jamais finir. Résolu donc de sortir du monde


d’une manière éclatante, il ne songea plus qu’à se dis­
poser au combat qu’il méditait; et comme un athlète
prudent et avisé, il s’exerçait continuellement por des
jeûnes, des veilles, par l’oraison et par la méditation
assidue des divins oracles. Lorsqu’il se crut bien
préparé, il observa le jour que toute la ville était
accourue au cirque pour voir une course de chariots.
C’était une fête solennelle parmi les païens, qui se
célébrait en l'honneur du dieu Mars, ou plutôt du
démon de la guerre. Tout le peuple y était, et il y avait
tin ordre exprès de l’empereur de s’y trouver, et per­
sonne n’avait osé s’en dispenser, juifs, païens, chrétiens.
« Ce fut dans le plus fort des courses et de l’attention
des assistants, que notre héros, descendant le long de
la colline contre laquelle le théâtre était appuyé, se
montra tout à coup. La crainte du peuple ne le retint
point; mais animé d’un courage extraordinaire, et
passant devant tous ceux qui remplissaient les sièges
comme s’il eût côtoyé une suite de rochers ou un rang
d’arbres, il s’arrêta au milieu de la lice, et prononça
distinctement ces paroles d’Isaïe, citées par saint Paul :
o J’ai été trouvé par ceux qui ne me cherchaient pas et
je me suis fait voir à ceux qui ne se souciaient pas de me
connaître ». (Rom., x, 20). 11 voulut montrer par ces
paroles qu’il venait là de son propre mouvement et
qu’il se présentait au combat de lui-même, sans que
personne l’y forçât, suivant l’exemple du Sauveur, qui,
pouvant, à la faveur de la nuit, échapper à la recherche
3 JAKVIEU 31

de ses ennemis qui ne le connaissaient pas, se remit


volontairement entre leurs mains.
« La voix de Gorde attira aussitôt sur lui les regards
de tous les assistants, et sa figure extraordinaire les
y arrêta. Elle avait quelque chose d’affreux : le long
séjour qu’il avait fait dans le désert l’avait rendu sem­
blable à un sauvage; les cheveux hérissés et tout en
désordre, la barbe longue et mal peignée, un habit
déchiré, le corps sec et noirci par le soleil, une besace
sur l’épaule et un bâlon noueux et mal poli à la main,
et toutefois, à travers tout cela, on ne laissait pas de
voir briller je ne sais quel agrément qui résultait de la
grâce dont son âme était remplie. Dès qu’on l’eut
reconnu, un cri s’éleva de tout le théâtre. D’un côté,
les chrétiens faisaient éclater leur joie en voyant leur
compagnon d’armes marquer tant de valeur; et d’un
autre côté, les païens demandaient sa mort au magistrat
qui présidait aux jeux. Enfin, le bruit s’apaisa, le seul
Gorde parla, et fut écouté.
Il fut conduit sur-le-champ au gouverneur, qui
lui parla d’abord avec beaucoup de douceur. Il lui
demanda qui il était, d’où il était et ce qui l’amenait.
Le saint lui répondit en peu de mots sur tous ces
articles « Si je reparais aux yeux des hommes »,
ajouta-t-il, « si je me trouve au milieu des villes, ce
n’est que pour avoir la gloire de confesser hautement
Jésus-Christ, pour vous apprendre que j’ai pour vos
édits le dernier mépris, et pour vous reprocher votre
cruauté. J’ai pris l’occasion des courses pour exécuter
32 LES SAINTS MILITAIRES

mon dessein. » Ces paroles firent sur l’âme du gou­


verneur ce que fait une étincelle que le vent porte sur
une pile de bois sec elles y allumèrent une fureur si
violente contre le saint qu’elle ne put s’éteindre que
par sa mort. « Des bourreaux », s’écria-t-il, « des fouets,
des plombeaux; qu’on l’étende sur une roue, qu’on
le mette sur le chevalet, qu’on m’apporte tous les ins­
truments propres à tourmenter, qu’on en cherche, qu’on
en invente de nouveaux. » Mais le martyr, tranquille
et rempli d’une sainte confiance, chantait ce verset
du Psalmiste « Le Seigneur est mon appui, je ne
craindrai point ce que l’homme peut me faire. »
(Psalm. cxvu.) Il se plaignait ensuite de la longue
attente où on le laissait des peines qu’on lui avait
promises. « Plus vous me ferez soulfrir », disait-il,
« et plus ma récompense sera grande. C’est une con­
vention faite entre Dieu et ses martyrs; chaque flétris­
sure qui paraîtra sur nos corps sera changée, au jour
de la résurrection, en un rayon de lumière; pour les
opprobres, nous recevrons 'des palmes, et le séjour
que nous aurons fait dans les prisons nous vaudra le
séjour du paradis. Oui, parce que vous nous punissez
du supplice dû aux scélérats, nous jouirons du bonheur
destiné pour les anges. Yos menaces sont pour moi
une semence d’immortalité et elles me produiront une
félicité éternelle. »
« Le gouverneur vit bien qu’il n’avancerait rien par
cette voie et que le serviteur de Dieu n’en serait que
plus inflexible. Il crut donc pouvoir en venir à bout
3 JANVIER 33

plus facilement par la douceur et par les flatteries. Il


changea tout d’un coup de langage; il lui fit les pro­
messes du monde les plus magnifiques dont il devait
sur l’heure accomplir une partie, et il engageait sa
parole que, dans peu de jours, il obtiendrait le reste
de l’empereur une des premières charges de l’armée,
de grands biens; en un mot, il l’assura qu’il n’avait
qu’a demander, et qu’on lui accorderait toutes ses
demandes. Gorde, aussi peu ému des promesses qu’il
l’avait été des menaces se mit à rire ouvertement de
la folie du gouverneur, qui s’imaginait qu’il y eût
quelque chose sur la terre qui pût le dédommager.
Alors cet impie, lâchànt la bride à sa colère, tira sa
propre épée du fourreau, et commandant que le bour­
reau se tînt prêt, il condamna le saint à mort. Dès que
le peuple qui assistait aux courses l’eût appris, il
accourut au tribunal. Et la nouvelle en ayant été
bientôt portée dans la ville, ceux qui étaient restés,
voulant avoir part au spectacle sanglant qui se prépa­
rait et qui devait réjouir les anges et désespérer les
démons, sortirent en foule hors des murs et se ren­
dirent au même endroit.
« Tandis que cette effroyable multitude remplit à
l’envi la place qui doit être arrosée du sang de Gorde,
les amis du saint et ses proches l’environnent, ils
l’embrassent, ils le mouillent de leurs larmes, ils le
conjurent en des termesjles plus pressants de ne pas
se perdre; ils lui représentent la honte du supplice qui
va l’ôter du monde à la fleur de son âge, et le priver
34 LES SAINTS MILITAIRES

pour toujours de la vue si douce et si consolante de la


lumière. Quelques-uns, qui voyaient bien qu’il serait
difficile de le faire changer entièrement de sentiment,
et qui croyaient peut-être qu’il est permis de feindre
même en matière de religion, pour sauver sa vie,
s’efforçaient de lui persuader, par des raisons revêtues
de fausses couleurs, quoique apparentes, qu’il pouvait
renoncer Jésus-Christ, de bouche et à l’extérieur, et le
reconnaître toujours, dans le cœur et en secret; que
Dieu regarde moins les paroles que la volonté, et que
c’était, après tout, le seul moyen d’apaiser le gouver­
neur sans irriter Dieu.
« Ainsi qu’un rocher résiste à tous les efforts que
les vagues font autour de lui, de même le saint demeure
ferme et inébranlable à tout ce qu’on peut lui alléguer;
et comme l’édifice que l’homme prudent a bâti sur la
pierre ne peut être renversé ni par la violence des
vents, ni par la chute continuelle des 'eaux, ni par le
cours impétueux d’un torrent, ainsi, ni les prières, ni
les pleurs, ni les motifs qui semblent être les plus
engageants, ne purent ébranler tant soit peu la cons­
tance du fidèle Gorde. En adressant particulièrement
la parole à ceux qui lui conseillaient de renoncer
Jésus-Christ, il leur disait : « Je tiens cette langue de
la bonté de mon Dieu, comment pourrais-je m’en servir
à le renier? Nous croyons de cœur, il est vrai, pour
être justifiés; mais nous confessons de bouche pour
être sauvés. Quoi! croit-on qu’il n’y a pas de salut
pour ceux qui portent les armes? Est-ce un prodige
3 JANVIER 35

qu’un oflicier dévot, et n’a-t-on jamais vu un.centu­


rion servir Dieu? N’en vit-on pas un à la mort du
Sauveur? Il était au pied de la croix et ne doutant plus
que celui qui y était attaché ne fût Dieu, après tant de
miracles dont il était lui-mème témoin, il ne craignit
point de confesser la divinité de Jésus-Christ en pré­
sence des Juifs encore tout furieux et tout couverts de
son sang adorable. »
a Le soldat de Jésus-Christ ayant ainsi parlé, fit sur
lui le signe de la croix et, d’un visage gai, sans changer
de couleur, sans marquer la moindre appréhension, il
marcha à la mort d’un pas assuré. On eût dit, en voyant
cette joie briller dans ses yeux, qu’il allait se jeter
entre les bras des anges, et c’était entre les mains des
bourreaux. Il est vrai que ces esprits bienheureux le
vinrent prendre dès qu’il eut expiré, et le portèrent dans
le ciel, comme ils y avaient autrefois porté Lazare. »
Le Ménologe des Grecs donne à saint Gorde la qua­
lité de comte. « Le saint martyr Gorde, de Césarée, en
Cappadoce, était comte du roi Licinius, et servait à
l’armée lorsqu’il souffrît le martyre pour avoir confessé
la foi de Jésus-Christ. »
Les Ménées lui donnent aussi le même titre : « Gorde
avait la qualité de comte et commandait à cent sol­
dats. »
S ources : L e M a r ty r o lo g e r o m a i n . — L e s B o lla n d is te s , au
3 janvier. — L e s v é r ita b le s a ctes des m a r t y r s , par dom Rui-
nard, traduits en français par Drouet de Maupertuy.
IV e JOUR DE JANVIER

SAINT GRÉGOIRE D’AUTUN, COMTE D’AUTUN


PUIS ÉVÊQUE DE LANGRES, CONFESSEUR, PONTIFE
Vers 539.

Quand l’empire d’Occident succombe sous les coups


répétés des barbares, ce sont les évêques qui retien­
nent dans leurs mains les débris de la société qui se
décompose, pour les faire servir à la construction de
la société de l’avenir. Plusieurs de ces évêques sont
remarquables, non seulement par les vertus qui font
les saints, mais encore par les rares qualités dont ils
font preuve, avant leur épiscopat, dans le gouverne­
ment des villes et des provinces confié à leurs soins.
Or, de ce nombre fut, sans contredit, Grégoire, comte
d’Autun, puis évêque de Langres, dont le Martyro­
loge Romain célèbre aujourd’hui la mémoire.
Grégoire naquit à Autun même, d’une des plus
anciennes familles sénatoriales de la ville. Ses nobles
et religieux parents lui firent donner une éducation
digne de leur position sociale, digne surtout de leur
piété. Après la mort de son oncle, Attale, comte
d’Autun, il fut jugé, quoique bien jeune- encore, ca­
pable de lui succéder dans cette charge importante
4 JANVIER 37

qui concentrait dans ses mains tous les pouvoirs.


Formé à l’école de l’Évangile, affable et doux pour les
gens de bien, sévère contre les méchants, dont aucun
n’échappait à ses recherches, équitable pour tous,
il faisait respecter en lui l’autorité, parce qu’il la
faisait estimer et aimer. Armentaria, fille d’Armen-
tarius, sénateur de Lyon, femme digne de lui par sa
piété et sa naissance, s’associa à sa destinée et lui
donna deux fils, Tétricus et Grégoire. A l’âge d’environ
soixante ans, le noble comte la perdit et profita de ce
coup providentiel pour renoncer au monde. Ayant donc
abdiqué, au grand regret de toute la cité, la charge
qu’il remplissait si bien depuis près de quarante ans, il
entra dans le clergé.
Ses qualités éminentes, auxquelles une grande répu­
tation s’était attachée, ne lui permirent pas de rester
longtemps, comme il le désirait, simple prêtre dans sa
ville natale. Bientôt on le porta, malgré lui, au siège
de Langres, vers l’an 506, après la mort d’Albison. Dès
qu’il eut reçu la consécration épiscopale, il se retira à
Dijon, où il passa la plus grande partie de sa vie.
Langres n’était plus habitable depuis le passage d’At­
tila, et le siège de cette ville paraît avoir été pendant
un siècle transféré à Dijon.
Là, le saint pontife pratiqua toutes les vertus chré­
tiennes et épiscopales avec une perfection admirable.
Sa mortification était si grande qu’il ne prenait pour
nourriture qu’un peu de pain d’ôrge avec de l’eau; et
les saintes rigueurs de son abstinence, toujours cou-
SAINTS MILITAI1
1ES. — T. I. 3
38 LES SAINTS MILITAIRES

vertes du voile de l’humilité, n’étaient connues que


du seul domestique qui le servait. Tout le temps qui
n’était pas employé aux œuvres du ministère pastoral,
il le consacrait à l’oraison, et passait même une bonne
partie des nuits au baptistère de Saint-Vincent, voisin
de sa demeure et de l’antique église de Saint-Etienne.
Sa charité pour les pauvres était égale à sa piété. Il
employait à leur soulagement, non seulement les
revenus de l’église, mais encore son riche patrimoine.
Dieu ne tarda pas à récompenser une vie si sainte
par le don des miracles. Grégoire en lit même de son
vivant un grand nombre que nous a transmis son
arrière-petits-fils, saint Grégoire de Tours.
Ce lut vers ce temps là que l’on découvrit les re­
liques de saint Bénigne. Grégoire en fit la translation
avec beaucoup de solennité, et leur bâtit pour tombeau
une superbe église entourée d’une abbaye qui, durant
bien des siècles, répandit, dans toute la Bourgogne, la
Vraie lumière et la vraie charité.
Le vénérable évêque assista au concile d’Epaone
en 517, et à celui de Clermont en 525. 11 aurait bien
désiré pouvoir assister à un autre concile tenu à
Orléans en 538; mais cette fois, cassé de vieillesse*
il fut obligé de s’y faire représenter par le prêtre
Evance. Peu de temps après, ayant entrepris, sans
consulter ses forces, à l’occasion de la fête de l’Epi­
phanie qui approchait, le voyage de Dijon à Langres,
car il avait coutume d’aller célébrer dans cette ville
toutes les grandes solennités de l’Eglise, le saint vieil­
4 JANVIER 39

lard fut saisi d’une fièvre qui eut bientôt éteint le peu
de vie qui lui restait. Il mourut à l’âge de quatre-vingt-
dix ans (539), après un long et laborieux épiscopat,
plein de bonnes œuvres et sanctifié par toutes les
vertus.
A peine avait-il rendu le dernier soupir qu’on vit
la gloire céleste dans laquelle venait d’entrer la sainte
âme jeter comme un reflet sur son visage qui parut
radieux son teint se colora du frais incarnat de la
rose, et son corps blanc comme un lis semblait
marqué du sceau de la résurrection bienheureuse.
Un miracle opéré à ses funérailles augmenta l’opinion
qu’on avait conçue de sa sainteté. Gomme on portait
son corps au lieu de la sépulture, les prisonniers im­
plorèrent son secours, et à l’instant, la prison, devant
laquelle passait le convoi, s’ouvrit d’elle-même. Il fut,
conformément à ses désirs, transporté à Dijon et
inhumé au cimetière de Saint-Bénigne, dans cètte
même église de Saint-Jean, où déjà son prédécesseur,
saint Urbain, dormait en paix.
Tétricus, fils et successeur de saint Grégoire sur le
siège épiscopal de Langres, fit une nouvelle transla­
tion du corps saint. Les années passées dans le sé­
pulcre n’avaient amené aucune corruption ni du corps ni
des étoffes qui l’enveloppaient. Plus tard, une partie de
ses reliques fut apportée à la cathédrale de Langres*
en 1282. Gui de Genève, évêque de Langres* en fit
la reconnaissance solennelle et les renferma dans une
châsse d’argent qui fut mise sur une colonne, der-
40 LES S A IN T S M IL IT A IR E S

rière le maître-autel de Saint-Mammès. Le diocèse de


Langres célèbre la fête de notre saint le 6 novembre.
Afin de perpétuer sa mémoire, Venance Fortunat,
poète des meilleurs, avait inscrit sur son mausolée
cette épitaphe « Le Roi des cieux ayant vaincu
l’enfer, sous les pieds du juste est renversée la cruelle
mort. La vie sainte du vénérable Grégoire en est la
preuve; car, pour lui, le tombeau fut l’entrée glorieuse
dans les cieux. Noble par la gloire antique de ses
pères, il la soutint, et plus noble encore par sa vie,
sa demeure est au-dessus des astres. D’abord juge
sévère, puis prêtre plein de douceur. Ceux qu’il
réprima dans sa justice, il les secourut avec un amour
de père. Pendant trente-deux ans, il fut pasteur, et
pasteur il jouit des joies du troupeau de Jésus-Christ.
Youlez-vous savoir ses mérites? Ses miracles les
disent au long par lui les faibles retrouvent la force,
l’amour et le salut. »

S ources L e M a r ty r o lo g e r o m a in . — L e s B o lla n d is te s au
4 janvier. — L e s P e tit s B o lla n d is te s au 6 novembre.
Y' JOUR DE JANVIER

SAINT GERLACH, MAITRE DE CAVALERIE


PUIS ERMITE, CONFESSEUR
Vers 1170.

Gerlach naquit dans le territoire de la ville de Maës-


tricht, où l’on honore les reliques du bienheureux Ser­
vais. Ses parents étaient illustres, selon le monde.
Ayant embrassé dès sa jeunesse la carrière des armes,
il s’y distingua par ses exploits, et acquit une grande
renommée. Doué d’une taille et d’une force remar­
quables, il avait l’âme grande et l’esprit ardent.
Et parce que, selon le témoignage de la parole de
vérité, les sentiments et les pensées de l’homme incli­
nent vers le mal dès sa jeunesse, il arriva que Gerlach,
enflé par ses succès, embrasé par les ardeurs d’un sang
juvénile, entraîné enfin par l’exemple de ses compa­
gnons, se précipita dans la voie large et spacieuse que
suivent les enfants du siècle. C’était sans doute par un
dessein secret que la divine Providence avait permis
ses égarements, afin qu’un confesseur si glorieux, un
serviteur si fidèle de Jésus-Christ, fût pour tous un
modèle de vraie pénitence ; afin qu’aucun pécheur ne
désespérât de pouvoir obtenir son pardon de la Miséri­
42 LES S A IN T S M IL IT A IR E S

corde divine, en faisant de dignes fruits de pénitence,


à la vue de Gerlach tiré d’un abîme si profond, arraché
par la Bonté divine du fond des entrailles de l’antique
serpent, et élevé au faîte des vertus, que dis-jé? glo­
rifié par une telle renommée de sainteté.
A peine était-il entré dans la carrière des armes, qu’il
surpassa les mondains par la frivolité de ses goûts; et
parmi ses compagnons, il n’y en avait pas de plus
ardent à rechercher les biens de la terre, à écraser les
pauvres d’exactions, à se livrer aux futiles plaisirs de
ce monde. Ses oreilles étaient demeurées sourdes, pour
ne pas entendre cette parole du Seigneur, qui nous
avertit, dans l’Évangile, de veiller à la première et à la
seconde veille; car son enfance et sa jeunesse, qui
sont, pour ainsi dire, la première et la seconde veille
de la vie, s’étaient passées dans l’oubli de son salut
éternel. Mais quand il fut dans la force de 1âge mûr, à
la troisième veille, la grâce et l’infinie miséricorde du
Sauveur le tirèrent du sommeil où il était plongé, et lui
donnèrent tant de forces pour veiller dans l’accomplis­
sement des divins commandements que, s’élevant sur
les ailes enflammées de la vertu, il devança, dans le
chemin de la sainteté, la plupart de ceux qui, depuis le
premier âge, s’étaient adonnés à la vie religieuse.
Quand il plut à l’Auteur de la grâce de délivrer son
serviteur Gerlach de l’esclavage de Babylone et d’en
faire un généreux et fidèle citoyen de notre mère la
Jérusalem céleste, il allait, selon sa coutume, aux jeux
militaires, vulgairement appelés tournois. Il avait, en
5 JA N V IE R 43

effet, dans l’armée, le grade appelé ridmeister, c’est-à-


dire maître de cavalerie, dignité qui répondait à celle
des anciens tribuns. Au jour fixé, tandis que l’armée se
préparait à des évolutions militaires, dans un endroit
où César avait autrefois campé, et appelé de son nom
Juliers, Gerlach prit ses armes et se dirigea vers l’arène
avec les soldats qu’il commandait.
Déjà il se préparait à entrer dans la lice; déjà, la
poitrine couverte d’un bouclier, il agitait sa lance,
quand la nouvelle de la mort de son épouse le plongea
dans la consternation et la douleur. Bientôt l’inspira­
tion de la grâce céleste lui ouvrit les yeux du cœur
et il reconnut le néant et la vanité des richesses qui
périssent et des honneurs qui s’enfuient. Aussitôt donc
il renonce aux armes; en présence de toute la multi­
tude assemblée, il fait au Seigneur le sacrifice de ses
superbes coursiers et de la gloire qu’il pouvait acquérir
dans les combats; il prend la résolution d’abandonner
sa brillante carrière et de mener une vie meilleure.
Pour suivre l’exemple du Sauveur, Gerlhac, voulant
s’en aller au lieu de sa naissance, monte humblement
sur un âne et retourne vers sa patrie, laissant tous
les spectateurs étonnés et remplis d’admiration à la
vue d’un spectacle si nouveau.
Ayant ensuite réglé les affaires de sa maison, il partit,
pieds nus, avec un cilice et une chaîne de fer sous
ses vêtements, fit plusieurs pèlerinages et arriva enfin
à Rome. Après avoir visité les tombeaux des saints
Apôtres et confessé ses péchés, il pria le Souverain
44 LES S A IN T S M IL IT A IR E S

Pontife et les cardinaux de lui indiquer le chemin qu’il


devait suivre pour faire pénitence, et les remèdes
propres à guérir les blessures de son âme. Le pape
lui enjoignit d’aller servir pendant sept ans, ou cinq
selon d’autres, les pauvres dans l’hôpital de Jéru­
salem. Gerlach reçut cette pénitence avec foi et partit
avec la bénédiction du Souverain Pontife. Arrivé en
Terre sainte, il se rendit à l’hôpital où l’on recevait les
pauvres et les infirmes.
Les religieux de l’hôpital, ayant appris le motif qui
l’avait amené et considérant sa condition, voulurent
l’employer à des travaux moins pénibles. Mais l’homme
de Dieu répondit qu’il venait pour chercher le travail
et non pour l’éviter; qu’il désirait le mépris et non les
honneurs; qu’il voulait souffrir dans le service des
pauvres, pour l’amour de Jésus-Christ, qui s’est humilié
pour nous. Il obtint enfin, mais avec peine et seulement
pour un temps, qu’on lui confiât le soin de faire paître
les troupeaux. Pendant sept ans, il garda les porcs,
jeûnant et priant, sans cesse occupé de Dieu et châtiant
son corps sans relâche. Ensuite, il alla trouver le Sou­
verain Pontife et le conjura de lui tracer pour l’avenir
une règle de vie religieuse.
Le pape lui proposa diverses constitutions, et
l’homme de Dieu répondit qu’il s’était à jamais engagé
par plusieurs vœux à ne jamais monter à cheval, à
s’abstenir de chair et de vin, à jeûner continuellement
pendant l’hiver et l’été, à porter un cilice et à s’exercer
fidèlement toute sa vie dans les austérités de la péni-
5 J A N V IE R 45

tence, et que, par conséonent, il ne pouvait se con­


former au genre de vie des saints qui vivent en commun
dans la vie religieuse. Le Souverain Pontife, ayant
examiné avec prudence la vocation de Gerlach, le
renvoya dans sa patrie avec une lettre où il traçait
une règle de conduite, l’avertissant de se regarder
comme l’économe, et non comme le possesseur de
l’héritage paternel, de se contenter de ce qui lui était
nécessaire pour la nourriture et le vêtement, en don­
nant le reste aux églises et aux pauvres.
Revenu dans sa patrie, et se rappelant que c’est par
de nombreuses tribulations qu’il nous faut entrer dans
le royaume de Dieu, Gerlach forma un projet héroïque
et résolut de pratiquer les plus grandes austérités.
Dans une partie de son héritage, s’élevait un chêne
dont le tronc était d’une grosseur remarquable. Le
saint pénitent y fit creuser une large cellule et trans­
porter des pierres sur lesquelles il étendit une natte.
Tel était le lit où il prenait quelques instants de repos,
sans quitter le cilice et la cuirasse qu’il portait sous le
manteau blanc de l’ordre de Prémontré. Il mourut
même et fut enseveli avec ce rude vêtement, qu’il
n’avait jamais ôté que pour le faire réparer. Pour
nourriture, il avait du pain d’orge mêlé de cendres;
pour boisson, de l’eau froide qu’il puisait à la source
qui porte encore son nom. Cependant saint Gerlach
employait les revenus de ses terres et de ses troupeaux
à nourrir d’une manière splendide les pauvres et les
pèlerins.
SAINTS MILITAIRES. — T. I. 3.
46 LES S A IN T S M IL IT A IR E S

Il donnait aussi beaucoup de temps à la prière, et


alors on l’entendait répéter de temps en temps ces
paroles Kyrie eleison, Christe eleison, Pater
noster, Ave Maria. En outre, quoique sa cellule fût
à plus d’une lieue de Maëstricht, il s’y rendait tous les
jours pour se trouver à matines dans l’église de Saint-
Servais, par un chemin très difficile, escarpé ou maré­
cageux, sans aucune lumière et pieds nus, bien qu’il
fût boiteux par suite d’un ulcère qu’il avait contracté
en gardant les troupeaux à Jérusalem. Quand ses forces
furent épuisées, il se servit d’un âne, sans jamais
s’occuper du froid et de la pluie, ni des spectres qui
se présentaient sur son passage. Il faut cependant
excepter les jours de samedi qu’il consacrait au culte
de la sainte Vierge, allant en pèlerinage à son illustre
sancluaire d’Aix-la-Ghapelle, éloigné de son chêne
d’environ 3 lieues.
Une vie si sainte et si conforme à celle des anciens
Pères du désert, qui vivaient dans les antres et dans
les cavernes, ne fut pas néanmoins exempte des persé­
cutions de l’envie et de la médisance. Les religieux du
monastère de Mersen, ne pouvant souffrir que la vie
du bienheureux Gerlach condamnât la vie relâchée
qu’ils menaient, l’accusèrent auprès de l’évêque de Liège,
et lui firent entendre que le saint solitaire était un
hypocrite qui amassait de l’argent au lieu de le donner
aux pauvres; le prélat, croyant trop légèrement ce
rapport, se transporta sur le lieu, fit abattre le chêne
de Gerlach et commanda qu’on tirât toutes les pierres
5 J A N V IE R 47

de la grotte, où les moines avaient dit qu’il cachait son


argent. Il fut bien surpris de n’y trouver que les ins­
truments d’une rigoureuse pénitence; c’est pourquoi,
pour réparer l’honneur du saint, il ordonna que, de
ces mômes pierres, on fit deux cellules, l’une pour le
bienheureux pénitent (elle était si basse qu’il n’y pou­
vait être que couché ou à genoux), et l’autre pour une
chapelle à son usage. Afin de le mettre à l’abri de la
persécution de ses envieux, l’évêque le plaça sous la
conduite de l’abbé de Rolduc, pour lui administrer les
divins sacrements.
Gerlach eut pour contemporaine sainte Hildegarde,
que ses prophéties et sa sainteté ont rendue célèbre.
Un jour que, favorisée de ses extases ordinaires, elle
contemplait le Seigneur, assis sur son trône, au milieu
des chœurs des saints, elle vit, au milieu des confes­
seurs, un trône vide, et apprit qu’il était réservé à
Gerlach. C’est pourquoi elle lui envoya, comme sym­
bole d’une sainte affection, la couronne qu’elle avait
reçue, avec le voile virginal, des mains de l’évêque de
Mayence.
Les austères rigueurs de sa pénitence n’empêchèrent
pas Gerlach de parvenir à un âge fort avancé. Peu de
temps avant sa mort, un dimanche de la Passion, le
prêtre, qui offrait le saint Sacrifice dans sa cellule,
ayant puisé de l’eau à la source ordinaire, la lui pré­
senta pour qu’il pût étancher sa soif. Gerlach l’ayant
goûtée, crut qu’il buvait du vin. Il la répandit, et en
fit puiser une seconde fois, mais il lui trouva encore
48 LES S A IN T S M IL IT A IR E S

le même goût. Mécontent du prêtre, il se rendit lui-


même à la fontaine, et pour la troisième fois, l’eau
qu’il y puisa fut changée en vin. 11 but alors et rendit
grâce au Seigneur.
Cette merveille fut suivie d’une autre encore plus
grande à l’heure de son bienheureux décès, car le
prêtre de son oratoire n’étant pas venu assez tôt pour
lui administrer le saint Viatique, un vénérable vieillard
que chacun croit avoir été saint Servais lui-même, lui
apparut dans sa cellule, revêtu d’habits sacerdotaux
d’un merveilleux éclat et lui donna les derniers sacre­
ments; le saint Ermite alors rendit son âme à Dieu, la
veille de l’Epiphanie, l’an de Notre-Seigneur 1170. Il y
avait quatorze ans qu’il faisait pénitence au même lieu,
sans quitter son cilice ni son corselet de fer. Selon sa
volonté, il fut mis dans un cercueil de bois et enseveli
dans son oratoire. On le descendit avec des cordes
dans une fosse profonde, en présence d'une multitude
immense venue de toutes parts à ses funérailles.
Dieu ne permit pas qu’un corps aussi saint demeurât
longtemps caché dans la terre. Le tombeau s’ouvrit
de lui-même, et les restes du saint Ermite en sortirent
avec la croix qu’il avait apportée de Jérusalem et qu’on
avait laissée suspendue à son cou. Un morceau de son
cilice, couvert par cette croix, s’était également con­
servé intact. Les peuples accoururent pour voir ce
prodige, et un grand nombre de malades recouvrèrent
alors la santé. Plus tard, deux morts furent ressuscités
par son intercession et plusieurs infirmes furent guéris.
5 JA N V IE R 49

Ces merveilles s’opéraient non seulement au tombeau


du Bienheureux, mais encore près de la source où il
buvait pendant sa vie. Cette source ayant été couverte
de pierres, à l’instigation du démon, et négligée pen­
dant plus de soixante années par les religieuses du
monastère bâti en l’honneur de saint Gerlach, et où
s’observait la règle de l’ordre de Prémontré, non seu­
lement ce monastère cessa d’être florissant, mais il
devint la proie des flammes, les religieuses furent em­
menées en captivité, et accablées par les plus grands
malheurs. Instruit de tous ces événements, Henri Guyck,
évêque de Ruremonde, dans le diocèse duquel ce mo­
nastère était situé, fit rechercher la source, car il attri­
buait tous les maux dont nous venons de parler, à
l’oubli dans lequel elle était tombée. Winaud Balthasar,
fidèle économe des religieuses, et Arnold Nael, vieillard
centenaire, firent des recherches par ses ordres, et en
l’année 1599, la nuit de la fête de l’Ascension, la source
fut découverte, tandis que l’évêque se trouvait à
Walkenbourg. A cette nouvelle tant désirée, ce dernier
fut transporté de joie, et le lundi suivant, il se rendit
au monastère, accompagné de plusieurs membres
illustres de son clergé et de quelques nobles person­
nages de la province. On offrit solennellement le
saint Sacrifice de la Messe, et l’évêque, précédé de
l’étendard victorieux de la croix, partit en procession
vers la source avec un nombreux cortège. Après le
chant du Te Deum, l’évêque en bénit les eaux, et
tous y burent avec empressement. A cette même époque
50 LES S A IN T S M IL IT A IR E S

do nombreux miracles s’opérèrent à cette fontaine.


Deux siècles plus tard le monastère, qui avait été
rebâti avec luxe, fut vendu par le gouvernement fran­
çais. Il devint la propriété d’un particulier qui appropria
les bâtiments du couvent à son usage et qui céda
l’église à la paroisse. Cette église n’a qu’une seule nef,
large et fort élevée; à l’intérieur, tout autour, se trouve
représentée, en peintures à fresques, la vie de saint
Gerlach. La paroisse même, placée sous le patronage
de ce saint, porte aujourd’hui le nom de Houtem-
Saint-Gerlach.
C’est dans cette église que se conservent les reliques
du saint, et en particulier le crâne, qui est enchâssé
dans un reliquaire en argent. La fontaine de saint
Gerlach se trouve dans une des prairies de la ferme
située près des bâtiments de l’ancien monastère. Cette
fontaine est entourée et couverte d’une maçonnerie en
pierre de taille et pourvue de deux seaux attachés à
une chaîne pour puiser l’eau.
A cause de la solennité de l’Epiphanie, la fête de
saint Gerlach a été transférée dans le diocèse de Rure^-
monde au lundi avant la Pentecôte; dans le diocèse de
Liège, elle est célébrée le 1er juin. La fête de notre
saint se fait, dans l’ordre de Prémontré, le lundi après
l’octave de l’Ascension, mais un décret de la Sacrée
Congrégation des Rites l’a fixée, pour les Prémontrés
de France, au dimanche après l’Ascension.
Autbert Le Mire, au tome II des Diplômes belges,
fait mention de saint Gerlach. D’après cet historien,
5 J A N V IE R 51

on lit cette inscription sur le tombeau du saint ermite :


« D’abord guerrier, ensuite solitaire, Gerlach repose
dans son tombeau. Il méprisa sa patrie, sa famille, le
foyer paternel. Il eut une pierre pour lit, le creux d’un
chêne pour demeure; vous expiez, ô Gerlach, les an­
ciens égarements de votre vie, en donnant h un monas­
tère de vierges les domaines de vos pères. »

HYMNES DE SAINT GERLACH


TIRÉS DE L’OFFICE DE RUREMONDE

Hymne clés Matines.


Chantons maintenant les louanges de Gerlach, dont
la sainteté, attestée autrefois par tant de miracles,
brille encore par l’éclat d’une foule de prodiges.
Témoin cette eau, qui lui servit de breuvage, et
rendit la santé à une multituds d’infirmes. Témoin
cette eau, qui, à l’approche de l’instant où le saint
ermite devait quitter la terre, fut, par la puissance
divine, changée trois fois en un vin délicieux.
Que les habitants de Walkenbourg l’environnent des
plus grands honneurs, puisqu’il a renouvelé pour eux
le miracle de Cana.
Oui, votre pouvoir est grand, puisque telle est l’effi­
cacité de l’eau que vous buviez autrefois, qu’elle peut
guérir les malades. Faites, ô Gerlach, nous vous en
prions, que Dieu, par votre intercession, exauce nos
vœux. Gloire à vous, Seigneur, etc.
52 LES S A IN T S M IL IT A IR E S

H ym ne des Laudes, des premières


et des secondes Vêpres.
0 Gerlacb, vous méprisez les superbes cités et les
plaisirs du siècle, et vous faites vos délices d’habiter
dans le creux d’un chêne.
C’est là que, sans témoins, vous voulez vous élever
au-dessus de vous-même, et que vous rejetez le fardeau
des choses qui précipitent les âmes dans l’abîme.
C’est là que, vivant au pain et à l’eau, et ne vous
accordant que quelques rares instants de sommeil,
vous expiez par un torrent de larmes les crimes de
votre vie passée.
Vous bannissez la crainte et les désirs, les soucis
de ce monde, et vous goûtez les joies pures de la cons­
cience.
Jour et nuit, votre cœur et vos prières s’élèvent vers
le ciel, et c’est ainsi que votre cellule, malgré sa peti­
tesse, rivalise avec la cour céleste.
O Gerlach de Walkenbourg, abaissez, nous vous en
prions, sur nous vos regards, secourez ceux qui invo­
quent votre nom. Oui, vous nous protégerez, et nous
chanterons les louanges de celui qui, parmi tant de
bienfaits, nous a donné de vous posséder. Gloire à
vous, Seigneur, qui, etc.

Oraison en Vhonneur de saint Gerlach.


O Dieu, qui avez enrichi de mérites, et illustré par
les miracles, votre bienheureux Gerlach ermite, au
5 JA N V IE R 53

milieu des rigueurs d’une austère pénitence, faites-


nous la grâce de nous réconcilier avec votre Majesté
par ses mérites et sa protection, et d’éviter les justes
châtiments de votre colère en ce monde et en l’autre.
Par Jésus-Christ, etc.

S ources Le M a r ty r o lo g e des C h a n o in e s - r é g u lie r s } au


1er mai. L es B o lla n d is te s , au 5 janvier. P r æ m o n s tr a te n s is
O r d in is B ib lio tlie c a , a u c to re Le Paige, P. 49G. L es l 'e t i t s
B o lla n d is te s . A n n a le s N o r b e r tin e s , mai 1885.
V Ie JOUR DE JANVIER

SAINT GASPAR D’ORIENT, SAINT MELCHIOR


ET SAINT BALTHASAR
ROIS MAGES, CONFESSEURS, PONTIFES
1er siècle.

Parmi les Gentils appelés à Bethléem pour y adorer


le Rédempteur du monde, il ne s’en trouva qu’un petit
nombre de fidèles. L’Ecriture les désigne sous le titre
de Mages. C’était le nom que les Perses et la plupart
des peuples d’Orient donnaient à leurs docteurs, comme
les Hébreux les appelaient Scribes; les Egyptiens,
Prophètes; les Grecs, Philosophes, et les Latins, Sages.
L’Eglise leur donne aussi le titre de Roi ce qui est
fondé sur ces paroles du psaume l x x i c « Les Rois de
Tarse et des îles offriront des présents ; les rois d’Arabie
et de Saba apporteront des dons. Tous les rois delà
terre l’adoreront, et toutes les nations le serviront. »
Les plus anciennes peintures de l’Epiphanie s’accor­
dent avec ce sentiment, représentant les Mages cou­
ronnés et avec toutes les marques de la dignité royale.
En effet, c’est la croyance commune de tous les fidèles,
dont on ne peut marquer le commencement, et qui,
par conséquent, n’a pu venir jusqu’à nous que parla
6 J A N V IE R 55

tradition des premiers siècles. Nous en avons meme


des témoignages dans les Pères de l’Eglise les plus
célèbres, comme dans Terlullien, saint Cyprien, saint
Hilaire, saint Basile, saint Jean Ghrysostome, saint
Isidore, le vénérable Bède, Théopliilacte et plusieurs
autres. Gretzer et Baronius s’accordent à regarder les
Mages comme des gouverneurs ou petits princes, aux­
quels l’antiquité donnait souvent le nom de rois.
On peut croire aussi que ces Mages étaient prêtres,
suivant la coutume ancienne de plusieurs peuples
rapportée par Platon, en parlant des fonctions royales :
ils faisaient leurs rois prêtres, ou conféraient aux
prêtres la puissance et la dignité de rois, afin, sans
doute, que leurs rois, approchant continuellement des
autels pour y offrir des sacrifices, prissent plus facile­
ment les mœurs et les inclinations de la divinité, et
qu’ils fussent aussi plus respectés de leurs sujets.
Mais, que ces Mages fussent proprement rois et prêtres
ou non, il est certain que c’étaient des personnes de
grand mérite et de très haute considération, et l’on a
toujours cru qu'ils étaient trois, sans compter leur
suite, Gaspar, Melchior et Balthasar. Ils représentaient
ainsi, à la crèche du Sauveur, les trois branches de
l’humanité : Melchior, les descendants de Sem; Bal­
thasar, ceux de Japhet; Gaspar, ceux de Gham. Ayant
donc observé, par leur astronomie, qu’il paraissait une
nouvelle étoile beaucoup plus éclatante que les étoiles
ordinaires, ils jugèrent aussitôt et crurent indubitable­
ment que c’était là cette étoile de Jacob dont le pro­
56 LES S A IN T S M IL IT A IR E S

phète Balaam, de qui les prédictions leur étaient


connues, avait autrefois parlé, et qui devait annoncer
un roi admirable, né pour le salut des peuples. D’ail­
leurs, le Créateur des étoiles, qui les éclairait inté­
rieurement et leur parlait au fond du cœur, les excita
efficacement à suivre ce nouveau guide et à chercher
celui qu’il leur voulait montrer. Aussi, sans consulter
davantage le raisonnement humain ni les principes de
leur science astronomique, ils se dirent l’un à l’autre :
« C’est là sans doute le signe de ce grand Roi que nous
attendons; allons le chercher et offrons-lui des pré­
sents. » Et abandonnant leurs États et [leurs biens aux
soins de la divine Providence, ils prirent le chemin de
la Judée, où ils savaient, par leurs traditions, que naî­
trait ce Roi désiré de toutes les nations.
On ne sait pas précisément d’où ils vinrent, parce
que l’évangéliste s’est contenté de dire qu’ils venaient
d’Orient, c’est-à-dire d’un pays qui était oriental à
l’égard de Jérusalem et de Bethléem, ou de cette partie
du monde que l’on appelle absolument l’Orient, ce qui
comprend un grand nombre de provinces et de
royaumes. L’opinion la plus probable est qu’ils vinrent
de l’Arabie heureuse, qui fut habité par les enfants
qu’Abraham eut de Cétura, sa seconde femme, à savoir :
Jecsan, qui fut père de Saba, et Madian, qui fut père
d’Epha. C’est ce que le Roi-Prophète semble témoigner,
lorsqu’il dit « que Notre-Seigneur serait adoré par les
rois des Arabes et de Saba, et qu’on lui donnerait de
l’or de l’Arabie »; et le prophète Isaïe, lorsqu’il dit
6 JA N V IE R 57

« qu’on viendrait de Madian et d’Epha sur des cha­


meaux pour le reconnaître Les présents que les
Mages lui offrirent favorisent beaucoup cette opinion
en effet, c’est principalement dans l’Arabie que naissent
l’or, l’encens et la myrrhe.
On ne sait pas au juste combien de temps dura leur
voyage. La tradition de l’Eglise nous apprend qu’ils
arrivèrent à Jérusalem le 6 janvier. Là, ils deman­
dèrent non pas si le roi des Juifs était né, mais en quel
endroit il était; « car », disaient-ils, « nous avons vu
son étoile dans l’Orient, et nous sommes venus
l’adorer ». Ce langage inquiéta vivement le roi Hérode,
surnommé le Grand ou l’Ascalonite; la famille des
Hérodes, qui avait enlevé le trône de la Judée à la
famille légitime des Machabées, craignait sans cesse
d’en être dépossédée. L’Ascalonite, d’ailleurs, était d’un
caractère ombrageux et cruel.
Aussitôt donc qu’il entendit parler d’un roi des
Juifs nouvellement né, il résolut de ne reculer devant
aucun crime pour s’en défaire. Mais, pour cacher
mieux ses sanguinaires desseins, il fit semblant de
n’attacher aucune importance aux prophéties dont
parlaient les Mages; il leur accorda à eux et à leur
suite la faculté de continuer leur voyage, en leur
recommandant toutefois le plus grand secret, Et,
comme s’il était prêt à les aider par tous les moyens
dans leurs projets, il rassembla, sous prétexte de leur
fournir les renseignements qu’ils demandaient, les pre­
miers d’entre les prêtres et les docteurs les plus consi-
58 LES S A IN T S M IL IT A IR E S

durables de la ville, afin d’apprendre d’eux où devait


naître le Christ qu’ils attendaient pour leur roi. Ils lui
répondirent que, suivant leurs traditions, fondées sur
une prophétie de Miellée, ce devait être à Bethléem de
Juda. Puis il prit en particulier les Mages, leur
demanda bien précisément le temps auquel cette étoile
dont ils parlaient leur était apparue, et les envoyant à
Bethléem, il leur dit : « Allez, prenez des informations
exactes sur cet Enfant et lorsque vous l’aurez trouvé ne
manquez pas de m’en donner avis, afin que je puisse
y aller aussi et l’adorer. » Rien n’était plus éloigné de
sa pensée; mais il voulait savoir le lieu delà naissance
du Sauveur, pour le faire égorger au plus tôt comme
l’a prouvé depuis le massacre des Innocents.
Les Mages ayant reçu ces instructions, partirent à
l’heure même de Jérusalem, peu édifiés de ce procédé
des Juifs, qui négligeaient de chercher parmi eux celui
que des étrangers venaient adorer des pays les plus
éloignés. Et voilà que l’étoile qu’ils avaient vue en
Orient les précédait jusqu’à ce que, s’avançant tou­
jours, elle s’arrêtât au-dessus du lieu où était l’Enfant.
A la vue de l’étoile, ils furent transportés d’une grande
joie. Ils entrèrent et trouvèrent un enfant de treize
jours, enveloppé de pauvres langes et couché sur une
poignée de foin. Néanmoins, des dehors si chétifs ne
furent pas capables de les rebuter; pénétrant, par la
lumière de la foi, la grandeur infinie de Celui qui ne
paraissait qu’un enfant, ils le reconnurent pour vrai
Dieu et pour souverain Monarque de l’Univers; Ils se
6 JA N V IE R o9

prosternèrent devant lui jusqu’à terre, ils l’adorèrent


avec un profond respect et ouvrant leurs trésors, ils lui
offrirent en présent de l’or, de la myrrhe et de l’encens :
de l’or pour honorer sa royauté, de l’encens pour faire
hommage à sa divinité, de la myrrhe pour rendre té­
moignage de sa vie passible et mortelle.
Après que les Mages eurent rendu leurs hommages
à ce souverain Seigneur et qu’ils eurent joui quelque
temps de l’entretien admirable de Marie et de Joseph,
ils furent avertis, par révélation, de ne pas repasser
par Jérusalem, de ne point retourner vers Hérode, mais
de prendre un autre chemin pour se rendre en leur
pays. Ils prirent donc congé du Fils, de la Mère et du
saint Nourricier, versant quantité de larmes et leur pro­
testant qu’ils n’abandonneraient jamais cette foi dont
ils venaient de faire profession. Ensuite ils partirent à
petit bruit et le plus secrètement qu’ils purent sans se
faire connaître dans les lieux où ils passaient, de peur
qu’on en donnât avis à Hérode.
Le religieux Cyrille, dans la Vie de saint Théodose,
Abbé, dit qu’ils fuyaient les grands chemins et les lieux
les plus fréquentés par les voyageurs, et qu’ils allaient
par des sentiers écartés et se retiraient la nuit, dans
des cavernes qu’ils trouvaient au milieu de la solitude*
Conduits par la même main qui les avait amenés, ils
arrivèrent enfin à leur pays où ils prêchèrent à leurs
peuples ce qu’ils avaient vu et entendu des merveilles
du Verbe de Dieu incarné pour le salut des hommes*
Laissant ensuite leur royaume, leurs plaisirs et leurs
60 LES S A IN T S M IL IT A IR E S

richesses, pour se mieux conformer à l’état de pauvreté


et d’abjection qu’ils avaient reconnu dans le Sauveur
du monde, ils commencèrent à faire profession de
l’humilité chrétienne. Ils continuèrent avec beaucoup
de constance, s’efforçant d’ailleurs de faire pénétrer
dans les âmes aveuglées par les ténèbres de l’idôlatrie
la lumière dont ils avaient été éclairés, et d’embraser
les cœurs de ceux qui les écoutaient du feu divin qui
dévorait leurs entrailles. Ils vivaient encore lors-
qu’après la mort, la résurrection et l’Ascension de
Notre-Seigneur, l’apôtre saint Thomas vint en leur
pays; il leur apprit tout ce qui s’était passé depuis leur
départ de Judée, pendant le cours de la vie du Sau veur
et après sa mort, les instruisit de tous les mystères de
notre sainte religion, les baptisa, les confirma, les fit
prêtres et les consacra évêques; ils eurent alors plus de
liberté pour publier de tous côtés la foi de Jésus-Christ
et exercer dans ces contrées orientales les fonctions
apostoliques.
Enfin ils se sont acquis, par leur zèle et leur géné­
rosité, la couronne du martyre, s’offrant eux-mêmes
en sacrifice d’une odeur plus agréable que n’avaient
été l’or, l’encens et la myrrhe qu’ils avaient autrefois
présentés dans Bethléem. Voilà ce que la tradition
de l’Eglise nous fournit de plus certain sur les Mages,
quoique le calendrier de Cologne rapporte autrement
leur décès; d’après ce martyrologe, ces saints person­
nages étant déjà prêtres et évêques, se rencontrèrent
tous trois ensemble, l’an 54 de Notre-Seigneur, dans
6 JA N V IE R 61

la ville de Servan, après de nombreux travaux évan­


géliques et y célébrèrent en compagnie la fête de Noël;
ensuite Melchior décéda le 1er jour de janvier, âgé de
cent ans; Balthasar, le 6, la cent douzième année de
son âge; et aussitôt après Gaspar, âgé de cent neuf ans.
Ces choses, néanmoins, sont peu sûres, car il n’y a
pas d’auteur ancien qui en fasse mentiou. Ce qui est
plus certain, c’est que leurs saintes reliques furent
premièrement transportées de Perse à Constantinople
par le zèle et la piété de l’impératrice sainte Hélène,
et quelles y furent déposées avec magnificence dans
l’auguste basilique de Sainte-Sophie. Depuis elles ont
été apportées à Milan par l’évêque Eustorge-le-Jeune,
et là, pendant l’espace de six cent soixante-dix ans,
elles furent religieusement conservées dans la basi­
lique. Enfin, l’an 1162, où l’empereur Frédéric Barbe-
rousse prit et saccagea la ville de Milan, ces précieux
restes des corps des saints Mages furent transportés à
Cologne en Allemagne, où ils sont gardés jusqu’à ce
jour avec une extrême vénération.
En 1794, au moment où les armées françaises appro­
chaient de la ville, le trésor de la cathédrale fut porté
sur la rive droite du Rhin; le chapitre émigra à
Arnsberg, en Westphalie, et y mit la châsse en lieu sûr.
D’Arnsberg, ce trésor fut porté en différents endroits,
et enfin à Francfort-sur-le-Mein. C’est là que les Cha­
noines prirent le parti de vendre la châsse pour se
procurer des moyens d’existence. Le bruit de celte
spoliation, déjà en partie exécutée, parvint aux oreilles
SAINTS MILITAIRES. — T. 4
62 LES S A IN T S M IL IT A IR E S

.d’un habitant de Francfort, qui, alarmé à cette nou­


velle, chercha à détourner le sort funeste qui menaçait
ce précieux monument.
M. Molinari (c’est le nom de cet ami zélé des arts)
se rendit auprès du Président français à Francfort, et
obtint du Premier-consul la permission de faire re­
porter à son ancienne place l’antique reliquaire de
Cologne. Ce fut le 4 janvier 1804 que. la châsse entra
dans la ville et fut déposée dans la salle du chapitre,
où elle resta jusqu’à ce qu’elle eût été convenablement
réparée. Le transport avait considérablement endom­
magé le monument; quelques-unes des statues étaient
brisées, tordues ou détachées et perdues; un grand
nombre de pierres avaient été soustraites; les décora­
tions des couvercles manquaient presque entièrement.
Un orfèvre nommé Guillaume Pollock, aidé de ses
deux fils, s’occupa pendant plusieurs années de cette
restauration, et réussit à mettre la châsse à peu près
dans l’état où on la voit aujourd’hui.
Le 23 décembre 4807, la châsse fut publiquement ex­
posée dans la salle du chapitre, et le 8 janvier 1808,
elle fut bénite et rétablie dans la chapelle de marbre
qui avait été affectée à cette destination dans le dix-
septième siècle.
Un misérable, tenté par la cupidité, eut l’idée de
s’emparer de ce trésor, et dans la nuit du 18 au 19 oc­
tobre 4810, il emporta plusieurs ornements en or et
en argent et un grand nombre de pierreries. Grâce à
l’activité de la police, le voleur et les objets enlevés
.6 J A N V IE R 63

furent bientôt découverts; les choses les plus pré­


cieuses furent rendues au chapitre de la cathédrale,
et le 6 juin 1822, la châsse, entièrement rétablie pour
la seconde fois, était réintégrée dans le sanctuaire qui
lui était consacré.

S ources selon saint Mathieu, chapitre n. —


É v a n g ile
L e s B o lla n d is te s ,
au 1CP, 6 et 11 janvier. — Baronii A n n a le s :
A n n u s p r im u s J . C h r is ti, n° 10 et seq. — L e s P e t i t s B o l -
lanclistes , au 6 janvier.
V IP JO U R DE JA N V IE R

SAINT JULIEN DE GAGLIARI


COMTE, CONFESSEUR

Époque indéterminée.

Séraphin Esqnirre, dans la première partie de son


Sanctuaire cle Cagliari, livre II, ch. xxvr, atteste qn’en
l’an 1615, le 23 juillet, on trouva à Cagliari, en Sar­
daigne, les reliques suivantes de saint Julien, martyr
tous les ossements du corps, parfaitement conservés,
comme liés ensemble et chacun à sa place, la tête
entière avec trois plaies, et l’occiput encore ensan­
glanté. Dans le même tombeau se trouvait, près de la
tête, une pierre couverte de sang, ce qui laisserait
croire qu’il fut lapidé. On avait trouvé auparavant deux
épitaphes qui témoignaient assez que ce sont les restes
de saint Julien. Quoique l’on dise qu’il fût mis à mort
le 20 février, Séraphin assure cependant qu’il est
honoré le 7 janvier, que son culte a une très grande
célébrité et amène un immense concours d’hommes à
l’église qui lui est dédiée, bien qu’elle soit distante de
3 milles de Cagliari. Il ajoute qu’il fut illustre par sa
naissance et sa dignité, qu’ordinairement il est repré­
senté à cheval et qu’il est souvent appelé par les Sardes
7 JA N V IE R 65

saint Julien le Comte, comme s’il eût été comte. Ce


qui le ferait supposer, c’est que dans son tombeau, on
trouva la moitié d’un anneau d’or et aussi des fila­
ments d’or.
F. d’Esquivel, archevêqne de Gagliari, dans le rap­
port qu’il adressa à Paul Y, au sujet de l’invention des
reliques, parle également de la vénération de saint
Julien et des églises consacrées en son honneur; il
ajoute même que, dans les bourgs voisins de Gagliari,
la plupart ont contume d’ajouter au Confiteor qui se
récite au commencement de la messe « et au comte
saint Julien et cela même avant l’invention des
reliques.

S ource les B o l l a n d i s t c s , au 7 janvier.

LE BIENHEUREUX WITTEKIND, DUC DES SAXONS


MARTYR

Vers 807.

D’après ces paroles de l’Apôtre : « Où il y a eu une


abondance de péchés, Dieu a répandu une surabon­
dance de grâce, » il arrive quelquefois que ceux qui se
sont montrés les plus ardents persécuteurs de l’Église
de Dieu, combattent ensuite noblement pour sa gloire,
SAINTS MILITAIRES. — T.
6 6 LES S A IN T S M IL IT A IR E S

et resplendissent de l’auréole de la sainteté. C’est ainsi


que brilla la vertu de Witlekind, ce chef des Saxons,
qui, après de longues années de guerre soutenues
contre les Francs, moins par amour de la liberté de sa
patrie que par haine du christianisme, fut enfin amené
par la grâce divine à embrasser la foi qu’il avait mé­
prisée, et manifesta un zèle si ardent, qu’il obtint pen­
dant sa vie une gloire extraordinaire, et après sa mort
les honneurs dus aux Saints.
« De toutes les guerres de Charlemagne, dit Eginhard,
dans sa Vie cle Charles, il n’en est pas de plus acharnée
ni de plus longue que celle qui eut lieu entre les Saxons
et les Francs. Car les Saxons, comme presque toutes
les peuplades de la Germanie, naturellement féroces,
dévouées au culte des démons et opposées à notre
religion, ne se faisaient aucun scrupule de violer les
lois divines et humaines. Ce qui contribuait surtout à
troubler la paix des deux peuples, c’étaient leurs fron­
tières qui s’étendaient presque partout en plaine, à
l’exception de quelques endroits couverts de vastes
forêts, ou entrecoupés de montagnes, et dont rien ne
fixait les limites; aussi étaient-elles continuellement
le théâtre du meurtre, de l’incendie et du pillage. Ces
dévastations irritèrent tellement les Francs, que, sans
s’arrêter à des représailles, ils se résolurent à une
guerre ouverte. Cette guerre dura pendant trente-trois
ans, avec un acharnement égal des deux côtés, mais
plus au détriment des Saxons que des Francs. Elle eut
cessé bien plus tôt sans la perfidie des Saxons. On ne
7 JA N V IE R 67

saurait dire combien de fois les vaincus vinrent en


suppliants près du roi, lui jurant d’obéir à ses ordres,
et lui livrant sans délai les otages exigés. Ils recevaient
les députés qu’on leur envoyait, et maintes fois
domptés, ils promettaient d’abandonner le culte des
démons pour embrasser la religion du Christ, mais
ils étaient si prompts à promettre et à oublier, qu’on
ne saurait dire en vérité ce vers quoi ils inclinaient
davantage, car la guerre ne durait pas une année sans
qu’ils n’arrivassent à composition. »
Jusqu’à la dix-septième année du règne de Charle­
magne, le principal instigateur de ces rébellions fut
Wittekind, bien qu’il n’ait peut-être jamais violé la foi,
puisqu’il ne l’avait jamais donnée; car tandis que la
nation écrasée par ses défaites se soumettait aux
Francs, lui s’enfuyait toujours dans la Danie ou dans
quelques positions retranchées.
Il nous importe peu d’étudier les guerres que lit
Wittekind avant sa conversion, car elles ne lui eussent
apporté qu’un déshonneur éternel, si la main puissante
et miséricordieuse de Dieu ne l’eût retenu sur le bord
de l’abîme où il s’engloutissait. Toutefois il montra
dans toutes ses guerres un génie remarquable, mais
rendu trop farouche par les mœurs sauvages de sa
nation et par la haine qu’il nourrissait contre le puis­
sant peuple des Francs, et surtout contre les chrétiens.
Le triomphe de la grâce n’en fut que plus éclatant,
puisqu’elle éleva si haut cet homme couvert de crimes
et qu’elle le plaça dans la liberté des enfants de Dieu
68 LES S A IN T S M IL IT A IR E S

avec les princes du peuple, c’est-à-dire dans le séjour


heureux et immortel des Saints.
« L’an du salut chrétien 785 avait commencé, et
déjà était venue l’heure de la miséricorde céleste », dit
Grantz de Saxe, « Wittekind visité par le Seigneur
tourna ses regards vers la lumière. Il comprit qu’il ne
gagnerait rien à multiplier ses efforts et à prodiguer le
sang, puisque ce n’était point pour le souverain pou­
voir qu’il combattait, mais seulement en haine de la
religion que tant de provinces avaient embrassée depuis
longtemps avec bonheur. Prenant alors avec lui Albion,
homme noble et l’un des premiers de la Saxe, il se
rendit près de Charles, après avoir obtenu du roi, par
un de ses courtisans, la sécurité d’aller et, si on le
jugeait bon, de revenir. Ce fut l’an du Christ 785 que
le duc fut accueilli avec honneur par le roi et entière­
ment gracié. Admis au rang des catéchumènes, il fut
instruit sur la foi, et reçut le saint baptême avec
Albion. »
On rapporte de Wittekind un trait qui mérite d’avoir
sa place ici. Peu de temps après son retour en Saxe,
comme il n’était pas encore assez instruit de nos
mystères, il se déguisa sous l’habit d’un mendiant et
vint à la cour de Charlemagne pour mieux examiner les
cérémonies de l’Église pendant la semaine sainte. Mais
s’étant présenté, le jour de Pâques, pour recevoir
l’aumône avec une troupe de pauvres, il fut reconnu
à un doigt crochu qu’il avait et conduit au roi qui lui
demanda pourquoi il s’était ainsi travesti. Il répondit
7 J A N V IE R 69

que la curiosité l’y avait engagé, qu’il avait cru qu’étant


inconnu il aurait plus de liberté de voir et d’examiner
ce qu’il souhaitait. « Eh bien! dit le roi, qu’avez-vous
vu? — Prince, répondit-il, il y a deux jours que j ’ai
remarqué la tristesse peinte sur votre visage (c’était à
cause de la Passion du Sauveur), et aujourd’hui, jour
de Pâques, je vous ai vu d’abord pensif et recueilli,
ensuite, après que vous vous êtes approché de la table
qui est au milieu du temple, j ’ai vu éclater en vous
des marques d’une joie si intime que je ne sais à quoi
attribuer un changement si subit. Mais ce qui m’a le
plus surpris, ç’a été de voir que tous ceux qui appro­
chaient de la table recevaient dans la bouche, des
mains du prêtre, un bel enfant qui souriait aux uns
et qui paraissaient s’approcher des autres avec répu­
gnance. Je ne sais pas encore ce que c’est. » Le roi,
plein d’admiration, s’écria : « Que vous êtes heureux!
on vous a montré ce que ni moi ni nos prêtres n’ont
pas mérité de voir. » Ensuite, lui ayant fait donner
des habits convenables à son rang, il lui expliqua ce
que la foi nous apprend des adorables mystères qui
s’opèrent sur i)os autels.
Witiekind, à qui cette vision avait inspiré un nou­
veau respect et une nouvelle dévotion pour les sacre­
ments et les cérémoniss de l’Église, pria le prince de lui
donner un évêque qui résidât dans ses terres et y
ordonnât des prêtres, afin qu’il pût souvent assister à
la messe. Charlemagne y consentit volontiers, à la charge
que Wittekind assignerait un lieu convenable pour
70 LES S A IN T S M IL IT A IR E S

l’érection de ce nouveau siège. Le duc offrit sa citadelle


du Weser comme assez spacieuse pour permettre à
l’évêque d’y résider avec lui et, au milieu de cette
forteresse, il céda une vaste enceinte pour y bâtir une
église. C’est cette église qui, plus tard, prit le nom de
Minden, et dont Erembert fut le premier évêque.
La conversion de Wittekind causa partout une telle
joie que le pontife romain Adrien, à qui Charlemagne
l’avait fait connaître par l’abbé André, lui écrivit pour
l’en féliciter et ordonna même, sur le désir du roi, des
litanies d’action de grâces pendant trois jours. Dans la
lettre du Souverain Pontife, nous lisons ce passage :
« Informé des triomphes que Dieu a fait remporter à
Votre Majesté, sachant comment enfin vous avez amené
les féroces nations des Saxons au culte de Dieu et à la
vraie foi de sa sainte, catholique et apostolique Église,
et comment, avec l’aide du Seigneur et les suffrages
des princes des apôtres Pierre et Paul, vous les avez
réduites à votre puissance, en subjuguant leurs chefs,
qu’avec la grâce du Ciel et vos nobles efforts, vous avez
conduits à la source sacrée du baptême, nous avons
rendu à la clémence divine de bien justes actions de
grâces de ce que, de nos jours et des vôtres, les nations
des païens, embrassant-la vraie, la grande religion et
la foi parfaite, soient soumises à votre puissance
royale. »
Wittekind continua le reste de sa vie à donner des
marques de sa piété, ce qui ne l’empêchait pas d’en
donner aussi de sa bravoure. Il dut, en effet, repousser
7 JA N V IE R 71

souvent par la force des armes les ennemis de l’empire


et, en particulier, les Saxons païens réfugiés chez les
Danois ainsi que les Vandales, qui venaient ravager par
le fer et la flamme les frontières des Francs. Parvenu à
un âge avancé, il soutenait une guerre contre le duc
des Suèves, Northard (ou Gérold selon d’autres), quand
il succomba au sein de la bataille, accablé par le poids
de son armure et par l’opiniâtreté de la lutte. Il reçut
la sépulture chrétienne dans le collège ou monastère
qu’il avait fondé à Anglaria, aujourd’hui Engheren,
dans la Westphalie, et son corps y reposa quelque
temps jusqu’à ce que ses fils l’eussent fait transporter
à Paderborn, où, d’après la Chronique du couvent, il
reçut les honneurs dus aux saints. Le bienheureux
guerrier mourut, selon, les uns, en 805, et selon d’au­
tres, ce qui paraît d’ailleurs plus probable, en 807.
Quelques-uns l’appellent martyr et disent que des
temples lui ont été dédiés comme à un martyr.
Werner Rolevinck et d’autres auteurs rapportent
des vers latins qu’ils disent avoir été inscrits sur la
châsse où reposent les ossements du bienheureux
Wittekind, en voici la traduction :
« Les ossements d’un homme valeureux, qui vit
pour toujours, sont renfermés dans ce lieu; son âme
s’entend dire par Dieu Salut, bon serviteur. Qui­
conque vénère ce roi, reçoit de lui la santé : le roi du
ciel et de la terre guérit ici toutes les infirmités. »
Après avoir rapporté cette inscription, le célèbre
72 LES S A IN T S M IL IT A IR E S

P. Bolland ajoute « On dit que le corps du bienheu­


reux Wittekind se conserve à Herford, en Westphalie. »

S ources L e s B o lla n d is tc s au 7 janvier. — H is to ir e d e


l'E g l is e , par Rohrbacher, livre LIIL

SAINT REINOLD, NOBLE GUERRIER,


PUIS MOINE DE SAINT-PANTALÉON, A COLOGNE, MARTYR
960

Dieu, dont la providence s’étend à tout, voulant rap­


peler à la foi le genre humain, que les ruses perfides
du serpent retenaient dans le péché, choisit les mar­
tyrs, les confesseurs et les vierges, pour ramener les
brebis égarées dans les voies du salut éternel. Au
milieu d’eux resplendit comme une étoile qui surpasse
toutes les autres en éclat, le bienheureux martyr du
Christ, Reinold, qui sut parfaitement enseigner com­
ment on doit aimer Dieu.
Issu d’une très noble famille (on croit qu’il était fils
d’Haymon qui s’est illustré par ses exploits militaires),
Reinold commença, dès l’âge le plus tendre, à aimer
l’auteur de la vie et à mériter de connaître pleinement
Celui qu’il chérissait dans son cœur. Ensuite il em­
brassa, comme il convenait à un jeune homme de sa
Conditionna carrière des armes, s’y distingua en maintes
7 J A N V IE R 73

rencontres par sa bravoure et finit par y obtenir un


grade élevé. Bientôt aux avantages que procurent les
honneurs, il joignit ceux qui viennent de la richesse,
car il hérita de sa famille des domaines considérables.
Cependant, éclairé par la Sagesse divine, il abandonna
les biens temporels pour ne s’attacher qu’aux biens
éternels qu’il comprit être les seuls durables. Il vint
donc à Cologne prendre l’habit monastique et se trans­
former tout entier dans l’amour de Celui qui nous fait
régner en le servant. Là, la sainteté de Reinold ne
tarda pas à se manifester par des œuvres merveilleuses.
En effet, dans son cloître de Saint-Pantaléon, il guérit
les infirmes, fit marcher les boiteux, rendit l’ouïe aux
sourds, la vue même à quelques aveugles de naissance.
On rapporte encore que le Seigneur, à sa prière, res­
suscita un mort, et le rendit vivant à sa mère désolée,
en présence de tout le monde.
Il y avait peu de temps que Reinold était revenu
d’une contrée voisine où il avait fait cesser par ses
ferventes oraisons la peste qui la désolait, lorsque son
abbé le chargea de la direction de travaux de maçon­
nerie. Comme il s’y employait avec plus de zèle et
d’habileté que les autres ouvriers, ceux-ci conçurent
contre lui la haine la plus violente, et songèrent entre
eux au moyen de s’en débarrasser. Le serviteur de
Dieu avait l’habitude de visiter les monastères et les
églises tant proches qu’éloignés, et de distribuer des
aumônes aux pauvres qui l’attendaient à son passage.
Les scélérats, qui le savaient, s’en réjouirent grande-
SAINTS MILITAIRES. — T . I. 5
74 LES S A IN T S M IL IT A IR E S

ment parce qu’ils voyaient là le moyen de mettre à


exécution leur perfide dessein. S’étant donc placés en
embuscade au moment favorable, ils s’apprêtent à se
saisir du bienheureux, et décident qu’après l’avoir
frappé, ils cacheront son cadavre pour ne point laisser
de traces de leur crime. Bientôt les assassins se préci­
pitent sur l’homme qu’ils détestent, lui font sauter la
cervelle à coups de marteaux, et quand ils l’ont dé­
pouillé de ses vêtements, ils le jettent dans une fosse
pleine d’eau, sur les bords du Rhin. C’est ainsi que
saint Reinold trouva la palme du martyre. Son âme
fut emportée au ciel par un chœur au milieu des can­
tiques et des chants de triomphe. Son Abbé et les
autres moines firent chercher le corps de leur frère;
mais ils le cherchèrent longtemps de tous côtés sans
pouvoir le trouver.
Cependant le Seigneur, que Reinold avait servi avec
tant de zèle et de perfection, ne voulut point que le
corps de ce fidèle serviteur restât toujours caché. Il
arriva qu’une femme gisait depuis plusieurs années sur
son lit de douleurs, sans que les médecins lui fissent
espérer de guérison, à moins que le Père céleste ne
.vînt lui-même la tirer de là par sa toute-puissance.
Une nuit, elle eut une crise si violente, qu’elle appelait
la mort et qu’elle suppliait Dieu de faire finir ses maux
avec sa vie. Après minuit, abattue par l’excès de la
souffrance, elle tomba dans un profond sommeil et eut
le songe que voici : elle vit venir à elle un homme tout
resplendissant, qui lui dit . « Allez à la fosse remplie
7 J A N V IE R

d’eau, où les maçons ont jeté le corps du bienheureux


Reinold, vous y trouverez la santé»; et en meme temps
il lui montra l’endroit indiqué. A son réveil la malade
se rappelle le songe qu’elle a eu et le raconte le lende­
main aux personnes de sa connaissance. Celles-ci la
font aussitôt porter au lieu désigné, afin qu’elle soit
délivrée de son mal par les mérites du glorieux martyr.
A peine y fuLon arrivé, que le corps du Saint parut à la
surface de l’eau et rendit la santé à la pauvre femme.
La malade, quittant là meme son lit de douleurs
aida à retirer les saintes reliques qui furent déposées
sur le lit dans lequel ont l’avait apportée, et elle-même
les transporta avec les autres, au monastère où le Bien­
heureux s’était fait moine.
Peu de temps après cet événement, des envoyés
d’une ville voisine appelée Dortmundt, vinrent trouver
l’archevêque de Cologne et le prièrent très ins­
tamment de leur donner le corps de quelque saint
pour défendre et garantir leur territoire contre leurs
ennemis. Voulant répondre à leur demande, l’arche­
vêque appela les prêtres de la ville et s’enquit soi­
gneusement auprès d’eux pour connaître quel Saint il
pourrait accorder aux habitants de Dortmundt. Les
prêtres lui ayant désigné le Bienheureux Reinold, on
déposa, le 7 janvier, le corps du martyr dans l’église
de Dortmundt. « C’est là », dit l’auteur de sa vie, « que le
Seigneur a daigné faire un grand nombre de miracles
par l’intercession du Bienheureux, lui rendant ainsi
gloire et inspirant à tout homme affligé le désir d’aller
7G 7 J A N V IE R

l’invoquer. Des aveugles ont recouvré la vue, des lé­


preux ont été guéris et des paralytiques ont pu mar­
cher, pour la plus grande gloire de Dieu et l’honneur
du saint marlvr.

S ource L e s B o lla n d is te s , au 7 janvier.

SAINT CANUT LAWARD


ROI DES OBOTR1TES ET DUC DE SCüLESWIG, MARTYR
1133.

Canut, surnommé Laward, était fils d’Eric le Bon,


et petit-fils de Suénon, roi de Danemark, qui avait eu
cinq fils naturels, tous devenus rois successivement
après lui. Après la mort d’Olaf, Eric le Bon, son frère,
fut rappelé de Suède pour lui succéder sur le trône de
Danemark. Eric avait trois fils, dont il n’y avait que le
jeune Canut qui fût légitime, l’ayant eu de sa femme
Botilde. Le repentir de ses péchés lui ayant inspiré le
désir de faire avec Botilde le pèlerinage de Jérusalem,
il établit vice-roi son frère Nicolas, à qui il recom­
manda le soin de ses enfants, et surtout de Canut, qui
devait lui succéder, comme l’unique héritier de sa
couronne. Mais il arriva qu’au retour de Terre-Sainte,
il mourut ainsi que sa femme, dans l’île de Chypre.
A cette nouvelle, Nicolas se mit en possession du
7 JA N V IE R 77

royaume, sous le prétexte que son neveu Canut était


trop jeune pour le gouverner. Il ne laissa pas toutefois
de lui faire épouser, quelque temps après, Ingiburge,
nièce de la reine Marguerite, sa femme, et bientôt
même de lui donner de l’emploi dans ses armées.
Sur ces entrefaites, Henri, fils do Guthokale, prince
des Vandales, et de Sirilha, sœur du roi Nicolas, se
trouvant injustement dépouillé par ce prince de ses
biens maternels, voulut en revendiquer la possession
par la force des armes. Dans un combat désastreux
que lui livra Nicolas, Canut, qui avait reçu de grandes
blessures et qui se trouvait par là incapable de fuir,
eut une preuve sans égale de la fidélité d’un soldat.
Pour empêcher son seigneur de tomber au pouvoir
de l’ennemi, ce généreux guerrier n’hésila pas à attirer
sur sa tête tout le danger. Il lit simuler une fuite à ses
compagnons; alors, faisant semblant lui-même d’être
retardé dans sa fuite par ses blessures, il tendit ses
mains aux chaînes d’un cavalier slave qui le poursui­
vait. Le barbare s’approcha de plus près. Au moment
favorable, le soldat saisit rapidement les rênes de son
cheval, et, aidé de ses compagnons, s’en rendit maître.
Grâce à cet expédient, les forces épuisées de Canut ne
furent plus un obstacle à son salut, et un acte d’audace
aussi périlleux qu’habile obtint un plein succès.
Vers cette époque, Canut envoya quelques-uns de
ses gens dans la Séclande pour qu’ils y prissent et
rapportassent en Fionie une somme d’argent restée en
dépôt entre les mains du gouverneur Skyalmon, qui
78 LES S A IN T S M IL IT A IR E S

avait pris soin de son éducation. Mais voici ce qu’il


arriva. Quand le vaisseau porteur du trésor fut à égale
distance des deux rives, ses gens aperçurent de loin
des pirates qui leur donnaient la chasse, et ils se déci­
dèrent à laisser couler à l’eau leur trésor, après avoir
eu soin auparavant de le retenir par une corde. Enfin,
voyant qu’ils ne pourraient gagner de vitesse et que
tout était désespéré, ils coupèrent le fil et laissèrent
tomber au fond de l’eau les antiques trésors des rois,
aimant mieux les abandonner aux sables de la mer
qu’aux pirates. Le roi Nicolas, qui passait de Fionie en
Séclande, vit bien de loin le péril, mais il lui fut impos­
sible de leur porter secours, parce qu’il n’avait que des
vaisseaux trop faibles et mauvais voiliers. Plus tard,
comme il voyait que la gaieté de Canut n’en était point
altérée, il lui reprocha d’avoir un air si content après
la perte des richesses de son père et de son aïeul, et
il se prit à lui dire que la douleur lui siérait beau­
coup mieux en cette occasion. Canut répondit que cet
accident n’avait rien qui dût le faire sortir de son
calme habituel, et même, au contraire, qu’il lui per­
mettait de donner libre carrière à la libéralité : « Aupa­
ravant, dit-il, je n’osais toucher au trésor de mes
ancêtres; maintenant que je ne l’ai plus, je pourrai
donner largement tout ce qui viendra en mon pouvoir.
Le plus grand aliment de l’avarice, ce sont les richesses ;
chercher à les garder, c’est s’interdire toute acte d’hu­
manité. » Par ces mots, il prouvait que si l’argent
dominait le roi, pour lui, il dominait l’argent. Nous en
7 JA N V IE R 79

donnerons encore une preuve éclatante dans ce qui va


suivre.
Les incursions fréquentes et désastreuses des peuples
voisins faisaient que, loin de briguer le commande-
ment du Schleswig, personne n’osait même l’accepter.
Canut sollicita ce périlleux honneur auprès de son
oncle, non par cupidité, mais par la confiance qu’il
avait dans son propre courage. Il ne put toutefois
l’obtenir gratuitement, et il vendit une partie de son
patrimoine pour acheter un poste que l’on eût en vain
offert à d’autres; mais, pour lui, il pensait ne pas
payer trop cher un emploi qui lui permettait d’acquérir
la gloire et l’honneur. Ainsi le roi vendit au courage
ce qui eût été un présent rejeté par des lâches; l’ache-
teur, de son côté, vit plus de bénéfices à poursuivre
les combats que les richesses.
Dès son entrée en charge, il envoya des ambassa­
deurs à Henri pour lui annoncer qu’il traiterait volon­
tiers de paix avec lui, pourvu qu’il voulût d’abord
indemniser la Jutie des maux qu’il lui avait fait souffrir
et restituer les prises qu’il avait faites. Après leur
départ, Canut, certain d’avance de la réponse, ne
perdit point de temps, et, rassemblant sous ses ordres
les troupes dont il pouvait disposer, ainsi que les
alliés qu’il se trouvait avoir dans les pays voisins, il
se prépara à entrer en campagne immédiatement après
le retour de ses envoyés. En effet Henri répondit qu’il
ne ferait point la paix avec les Danois et qu’il persiste­
rait toujours à revendiquer son héritage maternel.
80 LES S A IN T S M IL IT A IR E S

Alors Canut lui dépêcha de nouveaux ambassadeurs,


chargés de lui déclarer publiquement que toute paix
était rompue entre eux. Henri se moqua de leur mis­
sion et dit que Canut ressemblait à un cheval qui rue
sous son cavalier, mais qu’il aurait soin de mettre un
frein à sa pétulance.
A celte nouvelle, Canut se mit en route pendant la
nuit avec la plus grande impétuosité, mais sans le
moindre bruit, s’abstenant de tout pillage afin de
moins donner l’éveil, et il arriva au point du jour en
face du camp de son ennemi. Henri, surpris d’une
attaque si imprévue, n’a le temps ni de prendre les
armes, ni de se fortifier; il passe de suite une rivière
qui borde son camp, et met cet obstacle entre lui et
Canut, fort heureux d’avoir confié son salut à une
rivière de préférence à une ville. Canut le voyant en
possession de la rive opposée, lui fit demander s’il
était mouillé. Henri lui répondit en lui demandant ce
qu’il venait chercher en cet endroit. « Je viens recevoir
la bride que tu m’as promise, dit Canut. » Henri com­
prit bien l’allusion à la réponse qui était sortie pré­
cédemment de sa bouche, mais il continua la plaisan­
terie : « Tu me semblés, dit-il, regimber si bien contre
l’éperon, que l’on ne peut ni te toucher ni te contenir. »
Canut ravagea d’abord le camp, ensuite toutes les
cultures de la contrée. Une seconde fois, s’étant mis à
la tête de troupes fraîches, il alla porter le fer et le feu
dans toute la Slavie, et non content de délivrer sa
patrie de l’ennemi, il enleva h son adversaire toute sa
7 JA N V IE R 81

puissance, au point que celui-ci après avoir employé les


provocations, se trouva incapable même de pourvoir
à sa défense.
Après avoir, grâce à son courage et à sa prudence,
affaibli les forces d’Henri, Canut écoutant la voix du
sang, chercha à faire de son ennemi public un ami
particulier. Un jour il renvoya son armée, et accom­
pagné seulement de vingt cavaliers, il se dirigea vers
le lieu où il avait appris qu’Henri devait s’arrêter; il
avait eu soin d’envoyer en avant des messagers pour
lui offrir ses salutations. Henri de s’écrier que les flat­
teries de son ennemi ne sont qu’un jeu; il demande
aussitôt où Canut se trouve en ce moment. Ceux-ci lui
apprennent qu’il est à la porte. A cette nouvelle, sur­
pris, interdit, il est sur le point de renverser de sa
main la table où il prend son repas. Mais les envoyés
lui jurent que la venue de leur maître est toute paci­
fique, et la persévérance de leur affirmation dissipe
enfin ses craintes. Dès qu’Henri fut persuadé de la
vérité de leurs paroles, son projet de fuite fit place aux
témoignages d’une vive affection. Penché sur la table,
le visage baigné de larmes, il proclamait le Danemark
malheureux, tant qu’il avait manqué d'un si grand
homme; il répétait que désormais il serait toujours
fidèle à son amitié. C’est ainsi que cet amour inspiré
par les liens du sang fit oublier à Henri se's revers, et
le força à reconnaître la valeur de son adversaire; il
ferma les yeux pour louer le bonheur d’un autre.
Canut de son côté ne fut pas sourd à ces regrets
SAINTS MILITAIRES. — T. I. 5.
82 LES S A IfsT S M IL IT A IR E S

émanés d’une véritable affection. Bien plus, mettant


plus de plaisir à ménager la paix qu’à faire honneur
au festin, il conseilla à Henri de solliciter sa grâce
auprès de son oncle, et la persévérance de ses avis lui
arracha enfin son consentement. Henri transmit à
Canut, moyennant une somme d’argent, ses droits sur
les possessions maternelles pour lesquelles il avait pris
les armes contre le Danemark, et Canut les remit au
roi avec les mêmes conditions; il compta ensuite à
Henri la somme qu’il en avait reçue.
Canut fut invité de nouveau à la table d’Henri, qui
prétendait l’avoir reçu d’une manière trop indigne, au
moment de leur première entrevue. Et même, Henri
reconnaissant qu’il lui avait naguère dû la vie et la
liberté, lui légua la Slavie et la lui promit sous la foi
du serment. La raison qui le faisait agir ainsi, c’est
qu’il n’avait pas confiance dans la force de ses fils pour
défendre la Slavie contre les Teutons, ses principaux
ennemis. A cette offre, Canut répondit que ce mépris
de ses enfants le ferait passer pour un mauvais père,
et il protesta qu’il ne profiterait pas d’une promesse
contraire à l’équité. Mais enfin, il se laissa vaincre par
les prières et les instances d’Henri, et surtout par la
considération des motifs qui faisaient agir ce prince.
Celui-ci l’avertit toutefois qu’il avait besoin de l’agré­
ment de l’empereur, parce que la Slavie était d’une
certaine manière sous sa suzeraineté. C’est pourquoi,
lorsque le trône des Slaves fut vacant par la mort
d’Henri, Canut se rendit avec de riches présents auprès
7 J A N V IE R 83

de l’empereur Lothaire qui, satisfait de sa conduite,


lui mit la couronne sur la tête, et reçut son hommage
en qualité de monarque des Obotrites.
De retour dans ses États, Canut s’appliqua à faire
fleurir les lois et la religion et h donner à ses peuples
l’exemple de toutes les vertus chrétiennes. Sa piété
envers Dieu était sincère et il s’efforçait .par toutes
sortes de bonnes œuvres de lui témoigner sa recon­
naissance pour tous les bienfaits qu’il en avait reçus.
Il travailla aussi avec succès à réconcilier ses frères
Harald et Eric, et les autres princes et seigneurs qui
étaient mal ensemble.
Cependant il arriva que Canut fit le voyage de
Schleswig, pour avoir une conférence avec Nicolas, son
oncle. Le peuple s’étant rendu à cette assemblée, le
vieux monarque prit place sur un trône avec tout
l’appareil de la royauté; Canut s’assit en face, portant
aussi la couronne royale des Obotrites, et entouré de
ses gardes. Le roi des Danois voyant alors son neveu
déployer tout le faste du souverain pouvoir, sans se
lever ni venir lui donner le baiser, prit le parti de dis­
simuler cette injure, et alla à lui pour lui offrir les
salutations et le baiser d’usage; Canut s’avança de son
côté et garda en tout le même cérémonial et le même
rang que son oncle. Aussi Nicolas en conçut une haine
mortelle.
Magne, fils de Nicolas, assistait à cette entrevue avec
sa mère; on ne saurait croire quelle fut la fureur de la
reine, lorsqu’elle se mit à lui dire « Ne vois-tu pas
81 LES S A IN T S M IL IT A IR E S

comme ton cousin est déjà roi avec son sceptre? C’est
un ennemi public, et traite-le comme tel, celui qui ne
craint pas d’usurper ce titre du vivant de ton père :
si tu dissimules trop longtemps cette offense, si tu
n’as pas sa vie, sois assuré qu’il t’arrachera bientôt la
tienne avec le trône. » Piqué de ces paroles, Magne se
mit aussitôt à tendre des pièges à la vie de Canut.
Mais Nicolas s’en aperçut; il fit appeler tous les grands
du royaume et mit tout en œuvre pour réconcilier les
deux princes. On y réussit, et des deux côtés la paix fut
jurée.
Malheureusement cette réconciliation qui était sincère
dans Canut n’était qu’apparente dans Magne, et celui-ci
en effet eut bientôt trouvé des complices pour exécuter
le meurtre qu’il avait résolu. Cependant afin d’empê­
cher de croire qu’il méditait une perfidie, il recouvrit
son complot d’une traîtreuse apparence de religion. Il
rassembla donc un certain nombre de nobles de la Sé-
clande, et ayant invité, vers les fêtes de Noël, Canut à
venir partager sa table à Roskildia, il lui dit qu’il avait
conçu le projet de faire un pèlerinage. Il le nomma en
conséquence le protecteur de sa femme et de ses enfants
et remit entre ses mains le gouvernement de sa maison.
Ingiburge venait, sur ces entrefaites, d’avoir con­
naissance du complot par quelques indices que le
hasard lui avait fait découvrir; elle écrivit aussitôt
à son mari pour l’avertir de se défier des embûches
qu’on lui préparait. Canut méprisa cet avis, inspiré,
pensait-il, par la peur naturelle à une femme, plutôt
7 J A N V IE R 85

que par un danger réel; et il répondit qu’il n’avait pas


moins de confiance dans l’attachement de Magne que
dans l’amour de son épouse. Les grands restèrent à
Roskildia pendant les quaire jours des fêtes de Noël,
mais Canut et Magne, ayant terminé leur entrevue,
passèrent le reste de ce saint temps chacun en son
particulier.
Canut se trouvait à Haralstad, dans la maison d’Eric,
homme du gouvernement de Falster, qui lui avait
offert l’hospitalité, lorsque Magne lui envoya là un des
conjurés pour le prier de lui accorder une entrevue
sans témoins; il lui indiquait en même temps, comme
lieu du rendez-vous, un bois voisin de sa maison de
campagne. Canut n’ayant aucun soupçon, se disposa
aussitôt à partir; il ne prit avec lui que deux soldats
et deux écuyers pour l’accompagner, et il monta à
cheval sans armes et sans sa cotte de mailles. Un de
ses serviteurs lui disant qu’il avait tort de laisser son
épée, il répondit qu’il n’avait nul besoin de fer pour
sa défense. Le fidèle serviteur insista, et, pour en finir,
Canut la prit malgré lui. Alors le conjuré, qui était un
chanteur saxon, se sentant gagné par l’attachement
du prince pour les Saxons et leurs coutumes, se promit
de l’instruire insensiblement du complot; et comme
son serment l’empêchait de parler clairement, ii s’in­
génia à l’informer au moyen d’une fiction, se parta­
geant ainsi entre la fidélité à sa promesse et le désir
de sauver l’innocent. Il commença donc un beau poème,
où il rappela à dessein la perfidie bien connue alors
83 LES S A IN T S M IL IT A IR E S

de Grimildas envers ses frères, cherchant par le sou­


venir d’une fameuse trahison, à faire naître en son
esprit la crainte d’un semblable crime. Ce fut en vain :
tous ces avis déguisés ne purent ébranler sa bonne foi.
Le chanteur voulant lui donner un avis significatif, fit
voir le bout de la cuirasse qu’il portait sous ses vête­
ments. Ce qui devait enfin donner lieu à un soupçon
bien fondé n’eut pas plus d’effet sur l’âme généreuse
de Canut; le messager royal voyait échouer les ruses
au moyen desquelles il cherchait à la fois à sauver sa
parole et à sauver l’innocence.
Déjà Canut faisait les premiers pas dans la forêt,
lorsqu’il rencontra Magne, assis sur un tronc d’arbre;
celui-ci le reçut avec une feinte gaieté et avec de per­
fides embrassements. Canut sentit en l’embrassant le
fer qui recouvrait sa poitrine, et lui demanda que
signifiait cette précaution. Magne cliercha à dissimuler;
et, pour donner l’explication demandée, il répondit
qu’il y avait là un campagnard dont il voulait piller la
maison. L’infortuné, songeant à l’atrocité de ce crime
et à la sainteté de l’époque où l’on était (on célébrait
alors les fêtes de l’Épiphanie), le conjura de ne pas
souiller un temps de fête par une vengeance particu­
lière. Magne jura qu’il n’y renoncerait pas et qu’il
accomplirait son projet : Canut promit alors que tout
serait réparé, et s’offrit comme caution de la satisfac­
tion que donnerait cet homme.
Les hommes placés en embuscade firent alors du
bruit : Canut jeta les yeux de ce côté et demanda ce
7 JA N V IE R 87

que signifiait cette troupe. Magne, pour toute réponse,


lui dit qu’il était temps de s’occuper de la succession
au trône et à la couronne. Canut alors fait des vœux
pour que le règne de son père continue encore long­
temps, avec les plus heureux ^succès; mais il ajoute
que le moment n’est pas encore venu de traiter une
semblable question. A ces mots, Magrie bondissant le
saisit à la gorge, comme s’il voulait lui reprocher ses
paroles. Canut comprend alors la trahison, porte la
main à son épée, et cherche à la tirer du fourreau
mais elle n’était encore dégainée qu’à moitié que Magne
l’égorge et l’étend sans vie à ses pieds. Les autres
conjurés percent à l’envi le cadavre de leurs glaives.
A la nouvelle de cet assassinat, les fils de Skyalmon,
que les bienfaits d’une éducation commune avait unis
à Canut par les liens les plus étroits, allèrent immé­
diatement trouver le roi, pour lui demander la permis­
sion de déposer le corps dans la galerie des tombeaux de
Roskildia. Mais Nicolas refusa, disant que ce spectacle
affreux ne ferait qu’exaspérer la ville, et que ceux qui
conduiraient la pompe funèbre en profiteraient pour
faire éclater avec plus de violence leur indignation
contre la présence odieuse de Magne. Etant donc
revenus après leur démarche infructueuse, les amis de
Canut portèrent sans aucune pompe les restes de
l’infortuné à Ringstadt. L’assistance divine ne leur fit
pas défaut, car au lieu où les porteurs avaient déposé
le lit funèbre pour prendre quelque relâche, on vit
tout à coup surgir une fontaine. Les membres du saint
88 LES S A IN T S M IL IT A IR E S

roi furent enfin déposés dans la basilique de la bienheu­


reuse Vierge Marie, et la Providence divine ne laissa
pas ensevelie avec eux la vertu de son serviteur : un
grand nombre de miracles, en effet, ne tardèrent pas à
s’opérer au tombeau du martyr. C’était le 7 janvier
de l’an de Notre-Seigneur 1133, que sa sainte âme
était entrée dans les tabernacles éternels.
Le bruit de l’horrible forfait remplit toutes les mai­
sons de deuil. Le peuple, en apprenant la nouvelle
d’un si lâche assassinat, dit aussitôt adieu à tous les
festins que l’on avaiLcoutume de faire à cette époque
de l’année, et prit une attitude de profonde tristesse;
on eût dit que chacun avait perdu un ami. Cette dou­
leur publique prouva combien l’attachement à la noble
victime était fortement enraciné au fond de tous les
cœurs. Ainsi celui que sa patrie avait aimé vivant, elle
le pleurait avec des larmes qui étaient les témoignages
de sa reconnaissance; et autant elle le regrettait, autant
elle poursuivait de ses plus terribles exécrations son
misérable assassin. Toutefois, pour que le noble sang
de celui qui avait si bien mérité de la terre et du ciel
ne fût pas perdu sans retour, Dieu lui donna un héritier
après sa mort. Huit jours après le douloureux événe­
ment, Ingiburge mit au monde un fils qui, en 1157,
monta sur le trône de Danemark. Waldemar, c’était
son nom, s’occupa avec zèle et avec succès de la cano­
nisation de son père, qui eut lieu en 1160. Voici com­
ment en parle le grammairien Saxo, qui était à la tête
de l’Église de Roskildia vers l’an 1200.
7 JA N V IE R 89

« Dans le même temps, les ambassadeurs que Wal-


demar avait envoyés à Rome pour en obtenir la per­
mission de rendre les honneurs divins à son père,
revinrent avec une réponse favorable.
« Après en avoir pris connaissance, le roi convoqua à
à Ringstadt, par un édit, toute la noblesse de Dane­
mark pour la fête de saint Jean, qui arrive au solstice
d’été, et il résolut de rendre à son père les honneurs
divins, en même temps que les honneurs royaux à son
fils; il pensait qu’il aurait le plus grand honneur qu’il
soit permis d’espérer, si le même jour il donnait à l’un
une couronne, à l’autre un autel, et si le royaume était
*promis à l’enfance du premier, pendant que la religion
consacrerait le souvenir du second. Waldemar fit les
fêtes à Ringstadt avec une magnificence royale, au
milieu des grands de sa cour. L’évêque de Hund, à qui
cet honneur revenait, mit sur l’autel les ossements
du père, et consacra roi le fils de Waldemar, Canut,
âgé de sept ans, en lui donnant la pourpre et en le
faisant asseoir sur le trône royal. Lorsque les céré­
monies furent achevées, Helgon, évêque d’Asloë en
Norwège, et Etienne d’Upsal en Suède, envoyés d'Er-
ling, duc des Norwégiens, à qui l’on avait réservé une
place honorable, sollicitèrent en termes très respec­
tueux la paix pour la Norwège, représentant que le roi
n’avait rien à refuser dans un jour où il avait vu son
fils honoré du diadème et son père placé sur les autels.
Ainsi parle Saxo. Baronius rapporte ses paroles à
l’an Ü64 (n° 50).
90 LES S A IN T S M IL IT A IR E S

On trouve dans un vieux bréviaire de l’Église du


Schleswig les oraisons suivantes

Pour la fête cle saint Canut.


« Seigneur, dans la foi de qui marchait fermement
le glorieux duc Canut, quand il fut arraché si violem­
ment à sa vie si pure, nous vous prions de nous accor­
der, comme à cette victime d’une mort injuste, de
pouvoir, par ses mérites et ses prières, échapper à la
mort que nous avons méritée, nous vous le demandons
par Notre-Seigneur, etc. »

Pour la fête de la translation des reliques


de saint Canut.
« Dieu tout-puissant et éternel, qui placez au rang
illustre de vos martyrs le bienheureux duc Canut, à
cause de ses mérites, et le glorifiez sur la terre par des
miracles, accordez, nous vous en prions, à ceux qui
célèbrent aujourd’hui sa translation, de pouvoir passer,
par son intercession, des misères présentes à la joie
éternelle. Par le Seigneur, etc. »
On s’étonnera peut-être de ce titre de martyr que
donnent à Canut tous les anciens martyrologes, puis­
qu’il n’a pas été tué pour la cause de la foi ou de la
justice, mais il en est beaucoup qui ont été immolés
par des hommes méchants, et qui, néanmoins, ont
passé, à une certaine époque, pour des martyrs. Ce
furent les pratiques de vertu de Canut et les grâces
7 J A N V IE R 94

qu’il recevait de Dieu qui excitèrent la haine de Magné


contre le saint roi, comme la vertu d’Abel avait excité
la haine de Caïn.
S ources : L e s B o lla n d is te s , au 7 janvier. — V ie des S a i n t s ,
par Baillet, au 10 juillet.

LE BIENHEUREUX AMBROISE FERNANDEZ


soldat portugais ,
PUIS FRÈRE DANS LA COMPAGNIE DE JÉSUS, MARTYR.

1620

Les souffrances des confesseurs de Jésus-Christ


resserrés dans la prison de Souzouta (en Omoura, au
Japon) allaient toujours croissant. Et comme elle était
devenue trop petite pour le grand nombre des détenus,
Gonrocou, gouverneur de Nangasaki, en fit faire dans
le voisinage une autre qui était peut-être dix fois pire.
Nous en avons une description exacte dans une lettre
du P. Charles Spinola « Notre prison », dit-il,
« large de seize palmes et longue de vingt-quatre, res­
semble tout à fait à une cage d’oiseaux. Elle est formée
dans son pourtour et son plafond de poutrelles carrées,
distantes l’une de l’autre de deux doigts; il y a un toit
de tuiles, et le sol est traversé par beaucoup de poutres
clouées à de grosses planches. On a percé une petite
porte par laquelle une personne peut à peine passer,
92 LES S A IN T S M IL IT A IR E S

et qu’on lient fermée à clef. Tout proche est un trou


de la grandeur et de la forme de l’écuelle de riz en
usage au Japon et dans laquelle on nous donne à
manger. Tout autour est un chemin large de huit
palmes, qui est clos par une double ligne de pieux
serrés, élevés, terminés en pointe, et dont rintervalle
est bourré d’épines. Cette palissade n’a qu’une porte
vis-à-vis de la petite, et qui ne s’ouvre qu’à l’heure du
déjeuner et du dîner. Il y a en deux endroits des bâti­
ments : les uns pour les soldats de garde jour et nuit
et pour leur caporal, qui leur fait faire des rondes fré­
quentes et les empêche d’être négligents dans leur
service; les autres pour la cuisine. Enfin tout le reste
de l’emplacement est entouré d’une autre forte palis­
sade où se trouve la porte principale, de manière que
nous sommes restés longtemps sans pouvoir échanger
aucune lettre avec Nangasaki, ni recevoir aucune sorte
de provisions. Notre ordinaire se compose de deux
écuelles, l’une de riz cuit simplement à l’eau, l’autre
d’herbes mal assaisonnées, et de quelques raves crues
ou salées, ou de deux petites sardines salées et d’eau
chaude et froide pour apaiser la soif. Et comme plu­
sieurs d’entre nous ne se sont jamais vus à pareil
régime, nous nous en tirons avec le riz et le sel. On
ne nous permet pas de nous servir de couteaux, ni de
ciseaux; et, pour ne pas compromettre ceux qui nous
en ont procuré, nous portons une barbe et des cheveux
d’ermite. On ne veut pas que nous lavions dehors notre
chemise et autres vêtements, ni que nous les fassions
7 J A N V IE R 93

sécher au soleil. Aussi la malpropreté est-elle extrême,


et comme tous les autres besoins naturels doivent
nécessairement se satisfaire dans l’intérieur de cette
prison, la puanteur y est grande. On ne nous donne
pas de lumière pendant la nuit, de manière que chacun
des sens a son supplice. L’été s’est encore bien passé
malgré le vent et l’air froid des nuits qui pénétraient
de tous côtés; mais, quand vinrent les pluies et les
tempêtes et que leur succédèrent les froids et les neiges,
comme nous n’avions rien pour nous garantir, nous
avons eu beaucoup à offrir au Seigneur. »
Trente-deux confesseurs de la foi demeurèrent en­
viron quatre ans dans cette horrible prison. La pre­
mière victime fut le P. Jean de Saint-Dominique, et la
seconde le F. Ambroise Fernandez, dont la mort est
racontée par le P. Spinola dans une de ses lettres au
Père provincial. On ne peut mieux faire que de citer
ce témoin oculaire « Beaucoup et de graves motifs
me pressent d’écrire à Votre Révérence, mais surtout
l’heureux départ de notre très vertueux vieillard Am­
broise Fernandez. Tous furent émerveillés de le voir
se dégager si prestement des liens de cette vie. Il
mangeait très difficilement et très peu, car on ne lui
donnait rien de mangeable. Survint un froid si glacial
qu’il perdit la voix, le mouvement, et resta frappé
d’apoplexie. On a eu quelque idée d’empoisonnement,
à cause de la quantité de sang qu’il a vomi. Il expira
vers minuit (7 janvier 1620) et resta si chaud qu’il
semblait plus vivant que tout autre.
94 LES S A IN T S M IL IT A IR E S

« Aussitôt qu’il eut été frappé par la maladie, quoi­


qu’il se fût confessé et eût communié ce jour-là même,
je lui demandai à haute voix s’il se repentait sincère­
ment de tous les péchés de sa vie. Il fit signe que oui,
et je lui donnai l’absolution. Je lui demandai s’il
mourait volontiers de faim pour l’amour de Jésus-
Christ. Il put répondre « Qu’il soit fait de moi ce
« qui plaît à Dieu. » Je lui demandai s’il voulait
recevoir l’Extrême-Onction pour se fortifier dans ce
dernier combat. Il prononça un dernier oui très intel­
ligiblement. Nous étions au milieu de la nuit. Le
voyant toucher à son dernier terme, je demandai par
pitié une lumière aux soldats, afin de pouvoir lui
administrer les saintes huiles. Je ne pus l’obtenir.
Alors je me décidai à allumer une mèche d’arquebuse,
ce qui me donna le moyen de lui faire les onctions
sacrées. Il s’en alla dans la demeure des anges, comme
nous le croyons, avec un visage angélique, accompagné
du chant des psaumes et des litanies, et au milieu de
ces bons religieux. Puis un d’eux, qui faisait les fonc­
tions de choriste de semaine, entonna le psaume
Laudate D om inum , omnes gentes, en actions de
grâces. Tous pleuraient de joie autour de moi; ils me
portaient envie d’avoir un compagnon martyr, qui
était parti de ce monde muni de tous les sacrements.
Us espéraient que, dans le ciel, celui qui, sur la terre,
avait été si aimable et si aimé, leur serait un inter­
cesseur commun*
« Mon heure n’est pas encore venue; mais j ’ai
7 J A N V IE R 05

confiance en la bonté de Dieu que je le suivrai bientôt,


car j’attends dans deux ou trois jours l’issue de mon
procès et la sentence de mort à laquelle je serai
condamné. Comme je me réjouis infiniment d’avoir
mon très cher compagnon au ciel, aussi j ’ai bien de la
douleur de ne l’avoir pas servi et traité selon ses
mérites. J’en avais bien le désir, mais les moyens me
manquaient. Il est mort le septième de janvier 1620,
âgé de soixante-neuf ans. » Son corps resta trois jours
dans la prison sans que les gardes se souciassent de
l’ensevelir. Enfin, ils l’emportèrent et l’inhumèrent
proche de la dernière des palissades.
Ambroise Fernandez était Portugais, né à Sisto,
dans le diocèse de Porto. Il s’adonna au commerce
dès sa plus tendre jeunesse, puis porta les armes aux
Indes. Ayant été jeté par la tempête sur les côtes de la
Chine, il passa de là au Japon, où il fut reçu dans la
Compagnie de Jésus, à l’âge de vingt-six ans, en 1577.
Il y vécut quarante-trois ans, sans jamais se reposer
des fatigues et des souffrances qu’il avait à endurer
dans cette mission. Il était coadjuteur temporel et
avait fait ses derniers vœux en 1591.
Ambroise Fernandez est dans le nombre des martyrs
japonais béatifiés par le pape Pie IX, le 7 juillet 1867.
S ources Notice sur les 205 martyrs du Japon, béatifiés
par Pie IX, en 1867, par le P. Boero, de la Compagnie de
Jésus, traduite de l’italien par le P. Aubert, S. J. — H i s ­
to ire d u J a p o n , par le P. Grasset, livre X Ve. — H is to ir e de
la r e lig io n c h r é tie n n e a u J a p o n , par Léon Pagès, chap. V;
V IIIe JO U R DE JA N V IE R

SAINT CLAUDE DE TERNI


CHEF DE LA MILICE DE TERNI

SAINT CARBONAN, SAINT TIBUDIEN


ET SAINT PLANIUS
SOLDATS, MARTYRS

Vers 270.

On lit dans le Catalogue général des Saints de Fer­


rari « A Terni, en Ombrie; les saints martyrs,
Claude, Carbonan, Tibudien et Planius, sous l’empe­
reur Claude. » Voici ce qu’il dit sur ces saints dans
son Catalogue des Saints d’Italie, d’après les docu­
ments et un, ancien martyrologe de l’Église de Terni
« L’empereur Claude ayant promulgué un édit contre
les chrétiens, ses officiers les cherchaient partout pour
les faire mourir; mais Claude, le chef de la milice de
Terni, ainsi que Carbonan, Tibudien et Planius, ses
soldats, méprisant les ordres impies de ce prince, con­
solaient les chrétiens qui étaient dans les fers et les
encourageaient, dans les tortures, à souffrir avec cons­
tance pour Jésus-Christ. C’est pourquoi ils furent
arrêtés par l’ordre du gouverneur, et comme ils demeu­
raient fermes dans la confession du vrai Dieu, ils
8 JANVIER 97

reçurent la palme du martyre, l’an du salut 270. Leurs


corps reposent à 2 milles de Terni, au lieu où s’élève
maintenant l’église de Saint-Zénon, près d’un torrent. »
Ainsi s’exprime Ferrari.

S ource L e s B o lla n d is te s , au 8 janvier.

A INTS MILITAIRES. — T. 0
I X e JO U R DE J A N V I E R

LE BIENHEUREUX OFFICIER DE JUSTICE


CONVERTI PAR SAINT JULIEN d’aNTINOÉ

ET 20 B I E N H E U R E U X SOLDATS, MARTYRS
Sous Dioclétien.

Dans le temps où la persécution sévissait en Egypte


contre l’Eglise de Dieu, il y avait à Antinoé un chrétien
fervent, nommé Julien, qui avait réuni plusieurs de ses
frères dans la foi pour marcher avec eux dans les voies
de la perfection évangélique. Quand le président Mar­
tien l’eut appris, il fit prendre et amener Julien devant
son tribunal; mais, après un long discours, toute la
réponse qu’il obtint du saint confesseur, fut que ni lui
ni aucun de ceux qu’il avait sous sa conduite n’obéi­
raient jamais à l’empereur pour adorer ses faux dieux.
Martien, aveuglé de fureur, fit mettre le feu aux quatre
coins de la maison où se trouvaient les disciples de
Julien, de sorte qu’ils furent tous consumés par ce
cruel élément et acquirent par ce moyen la glorieuse
couronne du martyre.
Après que cet embrasement fut éteint, Marcien fit
comparaître une seconde fois son prisonnier ; mais le
9 J A N V IE R 99

voyant invincible à tous scs artifices, il le fit battre


cruellement avec des cordes et des bâtons noueux; le
bourreau frappait avec tant d’acharnement et avec si
peu de précaution qu’il atteignit par hasard au visage
un des officiers du juge et lui creva un œil. Alors Julien,
plus attentif à faire du bien à ses ennemis qu’occupé
du mal qu’il souffrait de leur part, offrit au président
de guérir l’œil de cet homme; ce que les prêtres des
idoles, ajouta-t-il, ne pourraient jamais obtenir de
leurs fausses divinités, car, quels remèdes pourraient
donner ceux qui n’ont point de sentiment ni de vie, et
quelles prières seraient exaucées de ceux qui ont des
oreilles et n’entendent point? C’est pourquoi, après
que les démons eurent répondu du dedans des idoles
qu’ils étaient vaincus par Julien, le saint martyr, d'un
signe de croix, guérit l’œil de cet officier. Aussitôt
l^âme de cet homme fut éclairée d’une vraie foi en
jesus-Ghrist, qu’il confessa hautement, et pour cela
ayant été massacré sur place et baptisé dans son propre
sang, il acquit en ce moment l’illustre couronne du
martyre.
Cet acte de charité capable d’amollir les cœurs plus
durs que le diamant, endurcit néanmoins davantage
celui de ce mauvais juge; irrité de la victoire du
saint martyr, il commanda que, chargé de chaînes,
il fût conduit par les rues de la ville; or il arriva
que le fils unique de Marcien, courant avec les
autres écoliers à ce spectacle, aperçut une foule de
jeunes hommes vêtus de blanc, qui, environnant le
100 LES S A IN T S M IL IT A IR E S

martyr, s’efforçaient de lui mettre une couronne sur la


tête. Alors Gelse (c’était le nom de l’enfant), jetant ses
habits et ses livres, courut auprès de Julien, le sup­
pliant avec beaucoup d’instance de l’admettre en sa
compagnie, et s’écriant « que le Dieu des chrétiens était
grand; que désormais c’était lui qu’il voulait servir et
non les idoles ». Marcien, averti de cette rencontre, fit
tout son possible pour retirer son fils d’auprès du saint
martyr; mais n’en pouvant venir à bout, parce que
Dieu avait touché profondément le cœur du petit Gelse,
il fit jeter l’un et l’autre dans une basse-fosse, qui étant
aussitôt éclairée par une brillante lumière changea sa
puanteur naturelle en un agréable parfum; cette mer­
veille fut cause que vingt soldats, commis à la garde
des prisonniers, se convertirent, reconnurent la vérité
de la religion chrétienne et furent tous baptisés avec le
petit Celse, par un saint prêtre nommé Antoine, que
Dieu leur envoya exprès pour leur accorder cette grâce.
Tout ceci ayant été rapporté à l’empereur, celui-ci
donna ordre de faire mourir sans rémission Julien et
tous ses adhérents.
Cependant, le juge ne pouvant se résoudre à voir
souffrir son fils en sa présence, renvoya la cause à
l’un de ses assesseurs qui fit jeter les saints confesseurs
dans des cuves d’huile bouillante, mais ils n’en reçu­
rent aucun mal. Cette merveille étant rapportée au
président Marcien, il fit conduire les saints en prison,
et y envoya sa femme Marcionille, pour visiter son fils
qui l’avait demandée. Elle y alla de bon cœur, croyant
9 J A N V IE R iOl

par ce moyen triompher de la résolution de Gelse;


mais elle fut gagnée elle-même, de sorte que, s’unis­
sant par une même foi aux martyrs, elle reçut le saint
baptême.
A cette nouvelle, Marcien fut transporté de rage et
il fit trancher la tête aux vingt soldats qui s’étaient
convertis. Ensuite il mit tout en œuvre, prières, me­
naces, tortures, pour contraindre Julien, Marcionille
et son fils de sacrifier aux dieux; mais enfin, désespé­
rant de les vaincre, il les fit décapiter en la compagnie
de quelques meurtriers et malfaiteurs, afin que, leurs
corps étant mêlés parmi ces infâmes, ils fussent privés
de l’honneur que les autres chrétiens leur voudraient
rendre.
Cependant Dieu, qui garde soigneusement tous les
os de ses saints, sut bien les faire reconnaître ; car une
horrible tempête s’étant élevée, les païens prirent la
fuite et donnèrent le loisir aux chrétiens et aux prêtres
de se rendre la même nuit au lieu des martyrs. Dès
qu’ils y furent, ils aperçurent de loin les âmes des
saints martyrs qui, paraissant comme de jeunes vierges,
se reposaient chacune sur son propre corps. Les chré­
tiens purent ainsi leur donner une honorable sépulture.
Le martyrologe romain fait mémoire de saint Julien
et de ses bienheureux compagnons le neuvième jour
de janvier.
S ources Le Martyrologe romain. — L e s B o lla n d is te s au
9 janvier. — L es P e t i t s B o lla n d is te s .

SAINTS MÏM TAIUES. — T. I. 6.


102 LES S A IN T S M IL IT A IR E S

SAINT WANING
GOUVERNEUR DU PAYS DE GAUX ET FONDATEUR DE L’ABBAYE
DE FÉCAMP, CONFESSEUR

Vers 686.

Saint Waning naquit vers le commencement du sep­


tième siècle, sous le règne de Clotaire II, qui régna
depuis l’an 584 jusques en l’année 628.
Le lieu de sa naissance fut le diocèse de Rouen, dans
la haute Normandie, et selon toutes les apparences
la ville de Fécamp, au pays de Caux. Son origine était
illustre, puisqu’il était d’une très noble famille de
France, où les biens, la piété et la noblesse étaient
également héréditaires.
Son père et sa mère, encore plus illustres par leurs
vertus que par la noblesse qu’ils tiraient de leurs
ancêtres, vivaient dans la crainte du Seigneur, et
marchaient sans cesse dans la voie de ses comman­
dements.
Le désir qu’ils eurent de voir naître de leur mariage
des enfants qu’ils pussent élever dans la crainte de
Dieu, fut pleinement satisfait quand Dieu leur donna
saint Waning : aussi prirent-ils tous les soins possibles
pour donner à cet enfant de bénédiction une éducation
chrétienne.
Dès que saint Waning fut en âge de connaître et de
9 J A N V IE R 103

réfléchir, il répondit parfaitement à ces soins. C’était


une merveille de voir le respect qu’il avait pour tous
ceux que l’âge, la nature et la religion lui faisaient
regarder comme ses supérieurs et ses maîtres. Si on
le reprenait de ces fautes légères qui sont insépara­
bles de l’enfance, ou si on lui donnait les louanges
que méritaient sa naissance et sa vertu, une aimable
pudeur se répandait sur son visage, qui marquait en
même temps son innocence et sa modestie. Mais rien
ne le rendait plus aimable que la pureté avec laquelle il
faisait toutes ses actions; que l’humilité, la douceur
et la modestie de son entretien.
Lorsqu’il parut dans le grand monde, comme il avait
tout ce qui peut faire aimer et estimer un jeune sei­
gneur de son âge, le corps bien proportionné, le vi£ige
beau et agréable, l’esprit vif et pénétrant, les manières
douces et engageantes; il s’y fit aussitôt aimer de tout
ce qu’il y avait de personnes illustres. C’était à qui le
posséderait. Il ne se faisait aucune partie de jeu et de
divertissement où l’on ne mît le seigneur Waning. Mais
notre saint, bien loin de goûter ces plaisirs, qui char­
ment d’ordinaire insensiblement ceux même qui entrent
dans le monde avec le plus de répugnance, s’appliqua
à en remarquer les défauts, et à se faire un plan de vie
opposée à celle de la plupart des grands.
La profession des armes étant celle [qu’embrassent
ordinairement ceux que Dieu a fait naître de qualité,
il s’y engagea dès qu’il fut en âge d’en supporter les
fatigues : mais ce fut pour y vivre chrétiennement et
104 LES SAINTS MILITAIRES

dans le dessein de retrancher tons les excès et les dé­


fauts de cet état.
Nous ignorons les charges et les emplois qu’il y
exerça; mais nous en savons assez, pour juger qu’il
fut un des plus grands capitaines de son temps, doué
de toutes les vertus qui font le héros et le grand
homme. Car il était jeune, vaillant, ferme dans les pé­
rils, intrépide, magnifique, d’un grand sens, d’une vaste
prévoyance et d’une haute capacité. Et ce qui est plus
admirable, toutes ces vertus étaient également en lui
des vertus chrétiennes et militaires car il était géné­
reux, mais de cette générosité qui fait prévenir et mé­
priser la mort en soldat, après s’y être disposé en
chrétien. Sa prévoyance était grande; mais elle s’éten­
dait sur les besoins de son âme, comme sur ceux de
l’état. Il était magnifique dans son train et dans sa
dépense, mais plus encore dans les aumônes qu’il
faisait aux églises et aux pauvres. Il était ardent à
combattre les ennemis de son prince; mais il s’appli­
quait encore avec plus de vigueur à faire la guerre
aux ennemis de son salut, persuadé qu’étant invisibles,
il est plus difficile de leur résister qu’à des armées
entières d’ennemis visibles, et qu’on peut bien s’as­
surer d’avoir entièrement vaincu ceux-là; mais qu’on
ne peut jamais être certain d’avoir entièrement défait
ceux-ci. C’est ce qui lui a mérité la qualité que lui
donne l’Église, dans les hymnes faites à sa louange de
soldat de Jésus-Christ.
Comme les saints aiment les saints, il recherchait
9 JANVIER 103

avec soin la compagnie des gens de bien, et évitait au


contraire celle des personnes attachées au monde et à
ses passions. Le grand archevêque de Rouen, saint
Ouen, et le saint abbé de Fontenelle, saint Vandrille,
étant alors les deux lumières de l’Église de France;
celui-ci dans la vie monastique, celui-là dans l’Etat; il
s’attacha à ces deux grands hommes, comme à deux
anges visibles que Dieu lui avait donnés pour le con­
duire dans le chemin de la vertu.
Erchinoald, Maire du Palais, ayant donné à saint
Vandrille le bourg de Fontenelle, dans le pays de
Caux, pour y bâtir un monastère, saint Waning voulut
avoir part à cette œuvre de Dieu et il donna au saint
Abbé une grande partie des choses qui lui étaient
nécessaires pour achever les bâtiments, et beaucoup de
terres et d’héritages pour l’entretien de ses religieux.
Ces saintes libéralités avaient leur source et leur prin­
cipe dans l’amour qu’il avait pour la vie religieuse. Cet
amour croissant de jour en jour, il prit le dessein de
consacrer à Jésus-Christ tous les biens qu’il possédait,
et de se donner lui-même entièrement à lui, en faisant
profession de la vie monastique. Déjà cette vie lui
paraissait préférable à celle du grand monde, à tous
ses honneurs, à ses plaisirs et à ses richesses; et il
l’aurait effectivement embrassée, si Dieu qu’il consulta
avec beaucoup de soumission, ne lui eût fait connaître,
que c’était sa volonté qu’il demeurât dans le monde.
Mais alors il n’eut plus d’autre dessein que d’y vivre
comme n’y étant pas, et d’y consacrer à Dieu, non
106 LES S A IN T S M IL IT A IR E S

seulement son âme, par l’exercice de toutes les vertus


chrétiennes, mais aussi son corps par la continence et
par la virginité.
Il avait pour cette vertu un amour qu’il serait diffi­
cile de bien exprimer. De là l’estime qu’il faisait des
vierges qui, pour se* conserver pures de corps et d’es­
prit, et vivre uniquement pour Dieu, avaient renoncé
aux liens du mariage. Il honorait particulièrement les
vierges qui étaient déjà passées de la terre au ciel, et
il s’était choisi parmi elles, pour sa protectrice et son
avocate auprès de Dieu, la bienheureuse Eulalie, vierge
et martyre. Il employa une partie considérable de ses
biens à lui bâtir plusieurs chapelles. Aussi reçut il par
son intercession de très grandes grâces de Dieu, cette
illustre martyre prenant un soin particulier de lui, et
lui découvrant les voies par lesquelles Dieu voulait
l’attirer à soi.
Quelque grand toutefois que fût le désir qu’avait
saint Waning de vivre dans la continence, il fallut y
renoncer, comme précédemment au désir d’embrasser
la vie religieuse; Dieu lui ayant fait connaître que s’il
le voulait dans le monde, c’était pour qu’il y fût, par la
sainteté de sa vie, l’exemple des personnes engagées
dans le mariage.
En effet, on ne peut vivre plus chrétiennement en
cet état que notre saint; il y fut un modèle accompli
de la chasteté conjugale, dans un temps où cette vertu
était presque inconnue parmi les personnes de qualité.
Il n’eut qu’une femme, et il ne détourna jamais ailleurs
9 JANVIER 107

ni son cœur ni ses désirs. Encore purifiail-il l’amour


qu’il lui portait par des vues toutes spirituelles et fort
élevées au-dessus des sens. Car il se regardait avec
son épouse, suivant le conseil de l’Apôtre, comme n’y
étant pas, et il considérait l’état du mariage comme
un état passager, qui doit être suivi d’une mort pro­
chaine, et d’une durée infinie de siècles, où il n’y aura
d’heureux que ceux qui sont appelés, non pas aux
noces des enfants des hommes, mais au souper des
noces de l’Agneau. Dieu lui donna un fils qu’il appela
Désiré. Dès que cet enfant fut en état de faire quelque
usage de sa raison, il lui apprit à préférer Dieu et ses
commandements à toutes les choses du monde. Comme
il savait que le bon exemple a encore plus de force sur
l’esprit des enfants que les instructions, il eut un soin
particulier de donner à son fils l’exemple de toutes les
vertus chrétiennes dont il le jugea capable.
Quoique saint Waning n’eût qu’un enfant, il ne
pensa pas à l’établir dans le monde pour le faire
héritier de ses grands biens; son unique pensée fut de
le consacrer à Jésus-Christ et d’en faire un saint
religieux sous la règle de Saint-Benoît. Ce fut à Fonte-
nelle qu’il le plaça, sous la discipline et la conduite de
saint Vandrille. Désiré répondit parfaitement aux des­
seins de son père, car il fut un excellent modèle de
toutes les vertus religieuses, et il mérita d’être mis,
après sa mort, au nombre des saints.
Ces soins que notre saint prenait de l’éducation de
l’enfant que Dieu lui avait donné ne l’empêchaient pas
1G8 LES SAINTS MILITAIRES

de s’occuper de tous les devoirs d’un grand capitaine


et d’un sage courtisan. C’est ce qui le faisait regarder
avec estime et admiration de tous les grands du
royaume; ils ne pouvaient assez estimer un seigneur
de sa qualité qu’ils voyaient se donner au monde sans
se séparer de Dieu, servir fidèlement son prince et son
roi sans manquer en la moindre chose à la fidélité
qu’il devait à son Dieu et à son créateur.
Clotaire III était monté sur le trône depuis l’année
655, et la reine sainte Batilde, sa mère, avait la régence
du royaume pendant sa minorité. Saint Waning, qui
était, par sa naissance, un des premiers seigneurs de
la cour de ce prince, était aussi devenu, par son
mérite et par sa vertu, un de ses plus intimes favoris.
Clotaire et sa mère n’entreprenaieut rien d’important,
soit dans la conduite de leur famille royale, soit dans
te gouvernement de l’État, sans le consulter aupara­
vant. Aussi peut-on dire que ce fut par les sages
conseils de saint Waning qu’ils gouvernèrent, les pre­
mières années de leur règne, avec autant de vigueur,
de prudence et de justice qu’aient jamais fait les rois
les plus habiles. Durant ce temps, on ne vit aucun
trouble dans le royaume, et Ebroïn, Maire du Palais,
l’un des plus méchants hommes du monde, fut con­
traint de dissimuler sa perfidie et ses cruautés.
C’est particulièrement dans cette partie de la France
qu’on appelait la province de Caux, dont Clotaire lui
avait donné le gouvernement, que notre saint montra
sa capacité et sa vertu. Clotaire aimait ce pays à cause
1) JA N V IK tt m

du grand nombre de ses anciennes forêts où il trouvait


toute sorte de gibier en abondance, et où il prenait
souvent le divertissement de 1^ chasse. C’est pourquoi
il n’en donnait le gouvernement qu’à ses plus fidèles
et à ses plus anciens favoris.
Lorsque saint Waning reçut cette marque écla­
tante de la faveur de son roi, bien loin d’y arrêter son
cœur, il ne pensa qu’à faire des actions qui l’en ren­
dissent digne. Son zèle pour la justice parut avec
éclat; il la rendait avec tant d’application qu’il semblait
s’oublier lui-même pour se donner tout entier à ceux
qui la lui demandaient, avec tant de grandeur d’âme
et d’équité que, lorsqu’il prononçait quelque jugement,
tous s’y soumettaient volontiers; avec tant de bonté et
de charité, qu’il donnait libéralement de son argent
pour tirer des mains de la justice ceux qu’elle poursui­
vait pour leurs dettes.
Entrant dans son gouvernement, il y avait trouvé
des peuples extrêmement barbares, farouches, gros­
siers, n’ayant rien de chrétien que le nom, et qui se
plongeaient impunément dans toute sorte de crimes.
11 commença par déclarer la guerre à tous les vices qui
régnaient parmi eux, et il fit tant par ses propres soins,
et par les prédications de saint Vandrille et de ses
religieux, qu’on vit refleurir dans cette province le culte
du vrai Dieu, qui en avait été presque entièrement
banni.
Persuadé que la vie des grands est le modèle que
copient ceux qui leur sont soumis, le miroir où ils se
SAINT T. 7
110 LES S A IN T S m il it a ir e s

regardent et la règle à laquelle ils font gloire de se


conformer, une des obligations qu’il s’imposa, fut de
donner à tout le monde l’exemple d’une vie parfaite­
ment chrétienne. La raillerie étant un vice assez ordi­
naire de son temps parmi les personnes d’esprit, il se
fit une loi de ne jamais railler, quoiqu’il pût le faire
avec d’autant plus d’esprit qu’il l’avait très fin, très
vif et très présent. Les paroles indécentes et déshon­
nêtes lui paraissant quelque chose de honteux, il se
fit une religion de n’en jamais dire aucune qui pût
blesser tant soit peu la pudeur et l’honnêteté. Il évitait
aussi avec autant de soin, les festins et les grands
repas, dans lesquels régnent l’avidité et l’intempérance
dans le boire et dans le manger. C’est pourquoi quel­
que empressement qu’on eût de l’y posséder, il s’en
excusait toujours, aimant mieux paraître en cela peu
complaisant aux hommes, que de se rendre coupable
devant Dieu, en autorisant par sa présence des excès
qu’il défend. Le luxe qui avait commencé en son temps
d’être plus grand dans la cour des rois de France qu’il
n’avait été jusqu’alors, fut aussi un vice dont il
savait se garder. Il est vrai qu’il bâtit plusieurs belles
maisons, mais toutes nécessaires, et qui n’avaient rien
de superflu pour un homme de son rang et de sa
qualité.
Sa charité lui faisait distribuer libéralement aux
pauvres tout ce que sa modestie lui faisait épargner;
il étudiait avec soin leurs besoins et tâchait de leur
donner tous les secours nécessaires. 11 était d’une
0 JANVIER 11 i

douceur et d’une patience admirables à leur endroit,


jamais il n’en rebuta aucun, quelque déraisonnable et
importune que fût sa demande. Toujours au contraire
il accompagnait l’aumône qu’il faisait de quelques
paroles de consolation. Quoiqu’il eût de très grands
revenus, il n’avait jamais d’argent en réserve et la sage
économie qu’il gardait en secourant les pauvres le
mettait en état de rendre ses aumônes continuelles et
universelles. 11 serait difficile de rapporter tout le bien
qu’il fit aux religieux et le grand nombre d’églises,
d’oratoires et monastères qu’il leur fonda sur ses terres
et dans l’étendue de son gouvernement.
La plus riche et la plus célèbre abbaye fut celle de
Fécamp, au pays de Gaux, dans le diocèse de Rouen.
Ce fut sainte Eulalie, à laquelle, comme nous l’avons
dit, il avait une dévotion toute particulière, qui dans
une vision lui demanda de construire ce dernier mo­
nastère. Après en avoir obtenu la permission du roi,
il prépara tout ce qui était nécessaire pour élever cet
édifice. Une seule chose l’arrêtait il ne savait quel
endroit choisir. Le Ciel vint à son aide ; le lieu lui fut
indiqué dans une vision à la suite de laquelle il
recouvra une santé parfaite. Il était devenu tellement
malade que pendant quelques heures ont l’avait cru
mort, et que l’on avait tout disposé pour le service
funèbre. Le roi et les grands du royaume félicitèrent à
l’envi saint Waning de sa guérison miraculeuse. Quant
à lui, il s’occupait à mettre à exécution la grande entrer
prise que le Ciel demandait de lui*
112 LES SA IN T S M IL IT A IR E S

Ce fut merveille de voir avec quelle vitesse l’abbaye


de Fécamp fut construite. La nouvelle église étant
achevée, la dédicace s’en fit avec beaucoup de magni­
ficence et de solennité. Le grand archevêque de Rouen,
saint Ouen, et les saints Pères de plusieurs villes,
c’est-à-dire les évêques s’y assemblèrent et la con­
sacrèrent à la Très Sainte Trinité. Le roi Clotaire III,
l’illustre abbé de Fontenelle, saint Vandrille, une infi­
nité de seigneurs, de peuples, d’abbés, de prêtres
cl de religieux furent présents à la cérémonie.
La dédicace faite, Clotaire fit des présents vraiment
dignes d’un roi très chrétien ce n’étaient que vases
précieux, qu'1ornements magnifiques, que grandes
terres et autres riches donations. La première abbesse
du monastère fut sainte Hildemarque, qui, venue de
Bordeaux où elle avait gouverné une communauté,
vivait alors dans le diocèse de Rouen. Bientôt la nou­
velle abbaye fut peuplée de saintes filles qui venaient
s’y consacrer à Dieu par des vœux perpétuels. Ce lieu
désert fut un véritable paradis habité par des anges
visibles, qui vivaient dans une entière séparation du
monde, et n’avaient de communications qu’avec Dieu
par leurs prières et leurs cantiques. En peu de temps
on compta dans cette abbaye jusqu’à trois cent soixante-
six religieuses.
L’abbaye de Fécamp eut bientôt une perte doulou­
reuse à déplorer, la perte de saint Vandrille, son sage
directeur. C’était le moment où Ebroïn régnait en
maître et où il faisait paraître son esprit altier, violent
U JA N V IE R \ 13

et sanguinaire. Celui qui fut d’abord l’objet de sa


liaine fut saint Léger, conseiller de la reine Bathilde.
Ebroïn, depuis longtemps, détestait saint Léger qu’il
avait toujours rencontré sur son chemin pour s’opposer
à ses mauvais desseins. Après qu’il l’eut fait arrêter,
maltraiter et mutiler d’une horrible façon, il ordonna
qu’on le conduisît au château de saint Waning, auquel
il avait fait des recommandations comme à un de ses
émissaires. Mais c’était bien mal connaître saint
Waning; car celui-ci, loin de se prêter aux desseins
du tyran, traita saint Léger comme un martyr de
Jésus-Christ et chercha à lui adoucir sa captivité
autant qu’il était en lui. La vengeance d’Ebroïn 11’était
pas satisfaite, il tira saint Léger des mains de saint
Waning et le fit mettre à mort. Dieu vengea ce crime,
car trois ans après Ebroïn fut lui-même massacré.
Cependant saint Waning, toujours éloigné de la cour
et du grand monde, vivait dans sa terre de Fécamp, où
toute son occupation, jour et nuit, était de méditer la
loi du Seigneur, et de visiter la sainte maison dont
Dieu lui avait fait la grâce d’être le fondateur. Dégoûté
de plus en plus des choses de la terre dont il voyait
l’inconstance et la malignité, et charmé de la beauté
du monastère, dont la sainteté, la ferveur et la
pureté lui paraissaient les plus beaux ornements, il
prit le dessein de s’y retirer, pour y finir le reste de
ses jours dans l’humilité chrétienne, et dans un oubli
général de toutes les choses créées. C’est pourquoi,
ayant mis ordre à ses affaires, il donna tous les biens
114 LES S A IN T S M IL IT A IR E S

qui lui restaient à l’abbaye où il entrait, sans se rien


réserver, ravi de voir employer à des usages saints et
religieux des biens que la plupart des gens du siècle
font servir à des usages profanes et criminels.
Il y avait en ce temps-là à Fécamp, comme dans la
plupart des autres monastères, un grand nombre de
domestiques et de serviteurs, qui étaient employés
aux gros ouvrages, et à tout ce qu’il y a de plus bas et
de plus pénible dans une maison; c’étaient pour la
plupart des esclaves et des serfs, que des personnes
riches et pieuses, après les avoir rachetés, donnaient
aux monastères, ou que les monastères mêmes rache­
taient par charité, pour les tirer des mains des ido­
lâtres. Saint Waning ne craignit point de se mettre au
nombre de ces serfs; et ce qui est encore plus digne
d’admiration, il fut parmi eux un modèle excellent
d’obéissance et d’humilité : l’emploi le plus vil n’était
jamais indigne de lui; le travail le plus pénible et le
plus bas était celui qu’il embrassait avec plus de joie.
Il obéissait à l’abbesse avec autant de soumission et de
respect, que si Jésus-Christ lui-même lui eût parlé de
sa bouche; il regardait toutes les religieuses comme
ses supérieures et recherchait toutes les occasions de
leur rendre quelque service.
Telle fut la vie de cet illustre serviteur de Jésus-
Christ, de ce grand ministre, de ce généreux capitaine,
de ce sage gouverneur de province, de ce magnifique
fondateur de plusieurs abbayes, jusqu’à ce qu’il plût à
Dieu de l’appeler à soi, pour couronner tant d’actions
9 JA N V IE R 115

éclatantes, qu’il avait faites pour sa gloire. Il soupirait


continuellement après le terme de son pèlerinage; son
âme, comme une biche altérée qui n’aspire plus
qu’après les eaux, ne soupirait plus que pour la pos­
session de Dieu. Tantôt il disait avec le Prophète
a Que mon exil est long et qu’il y a longtemps que
mon âme languit dans ce pays étranger! » Tantôt il
s’écriait avec saint Paul : « Qui me délivrera de la
prison de ce corps mortel, afin de me réunir avec
Jésus-Christ? » Dieu exauça enfin ses désirs; les portes
de la céleste Jérusalem lui furent ouvertes; son âme
fut reçue, suivie et accompagnée d’une multitude
innombrable d’anges, qui la portèrent en triomphe
dans le sein d’Abraham, le 9 janvier, vers l’an 686.
Saint Waning étant mort de la manière qu’on vient
de le dire, son'corps fut enlerré dans le lieu où il avait
fini le cours d’une si sainte vie. Il y fut honoré par la
dévotion des fidèles, mais principalement parle respect
et les honneurs que lui rendirent les sainies religieuses
de Pécamp, qui prirent un très grand soin de ces restes
précieux de leur saint fondateur.
La vie de saint Waning que nous venons de retracer
a été composée presque entièrement avec des extraits
de la Vie de saint W aning, par le P. Christophe
Labbé, qui la donna au public en 1700. Il nous reste
maintenant, pour achever notre travail, à parler des
reliques et du culte de notre saint.
Ce fut pendant les incursions des Normands que les
reliques de saint Waning furent transportées du mo-
HG LES S A IN T S M IL IT A IR E S

naslère de Fécamp à Ham, en Picardie. Elles avaient


d’abord été déposées dans un lieu appelé le Mesnil,
hameau dépendant de la paroisse d’Esmery, sur le che­
min de Roye, et éloigné de Ham de trois quart de lieue.
On croit que ce lieu avait appartenu à saint Waning;
il y possédait un château et y venait de temps en
temps s’y livrer au divertissement de la chasse. Les
Normands ayant envahi le Vermandois, pillèrent le
Mesnil, détruisirent la châsse de saint Waning et
jetèrent ses reliques dans les marais où les habitants
les recueillirent précieusement et les conservèrent jus­
qu’au moment où elles furent transférées à Ham. De­
puis ce temps les habitants du Mesnil ont toujours
gardé le privilège, de porter aux processions la châsse
du saint Confesseur.
Il s’est fait, dans le cours des siècles qui ont suivi,
plusieurs reconnaissances authentiques des reliques
de notre saint. L’église de Notre-Dame de Ham, autre­
fois église de l’abbaye, possède aujourd’hui presque en
entier le corps de saint Waning. Quelques ossements
peu considérables ont été seulement détachés à diffé­
rentes époques pour enrichir les églises d’Esmery, Ep-
perville, Hombleux et Fécamp.
C’est à la piété et au dévouement du sacristain Bidet
et d’un nommé Manteau, que la ville de Ham dut la
conservation des précieuses reliques de son saint
patron, en 1793.
Témoins de l’enlèvement des châsses de saint Wa­
ning et de saint Maur, ces deux fervents chrétiens
9 JA N V IE R 417

recueillirent avec sollicitude les ossements sacrés que


les profanateurs avaient, sous leurs yeux, déposés
dans la sacristie, et la nuit suivante ils les enterrèrent
secrètement dans le cimetière avec les étoffes de soie
qui les enveloppaient et plusieurs reliquaires en bois,
dont la présence au milieu des saintes reliques devait
rendre impossible toute erreur, lorsqu’il serait permis
de les rendre à la vénération des fidèles.
Un peu plus de deux ans après, le 20 janvier 1795,
elles furent solennellement reconnues par le sieur Bé­
nard, curé de Notre-Dame de Ham, et par tous les
principaux habitants de la ville, en présence de Louis-
François Frémont, prêtre de Noyon,. chargé de l’admi-
nistration de ce diocèse, et qui les rendit au culte et à
la vénération des pieux fidèles. Enfin le 24 mai 1843,
Mgr Tirmarche, alors curé de Ham, et depuis évêque
d’Adras, fit une nouvelle translation des reliques de
saint Waning et de saint Maur, et les déposa avec la
plus grande solennité dans des châsses gothiques gar­
nies de glaces qui laissent voir la plus grande partie
des ossements sacrés; et c’est dans ces châsses qu’elles
restent exposées jusqu’à ce jour à la vénération des
fidèles.
S ources : L e s B o U a n d is te s au 9 janvier. — A c ta S S . O .
S . B . s æ c u lu m s e c u n d u m . — L a V ie d e s a in t W a n e n g , f o n ­
par le P. Christophe Labbé,
d a te u r de V a b b a y e de F é c a m p ,
précédée d’une notice historique par Michel Hardy, Fé­
camp, 4873. — L e s P e t i t s B o U a n d is te s au 15 lévrier.

SAINTS MILITAIRES. — T. I. 7.
X e JOUR DE JANVIER

SAINT DOMITIEN DE MÉLÏTÈNE


ÉVÊQUE DE MÉLÏTÈNE ET AUMONIER MILITAIRE
CONFESSEUR, PONTIFE
Vers 600.

Domitien florissait sous Tempereur Justin le Jeune.


Il était fils de Théodore et d’Eudocia, célèbres par
leurs richesses et leur piété. Il reçut d’eux une bril­
lante éducation, passa sa première jeunesse dans l’in-
nocenGe et la pratique des vertus chrétiennes, et
espérant trouver le bonheur dans les charmes d’une
union bien assortie, s’engagea dans les liens du ma­
riage ; mais le Seigneur, qui avait des vues sur lui, les
rompit tout à coup et la mort lui enleva la jeune
épouse sur laquelle reposaient toutes ses espérances
de félicité.
Cet événement lui fit entrevoir toute la fragilité de
la vie de l’homme et la vanité de ses projets; dès lors
il résolut de renoncer au monde, pour s’occuper uni­
quement de l’œuvre de son salut; mais ce ne fut pas
sans de grandes difficultés qu’il en vint à bout. Les
habitudes qu’il avait contractées, les affections qui l’y
attachaient de tant de manières, jointes aux solljci-
10 J A N V IE R 1 1 9

citations pressantes de ses parents et de ses amis,


tout cela le retint longtemps, et retarda l’accomplis­
sement de son généreux dessein : enfin la grâce triompha
dans son cœur, et brisa les liens qui l’attachaient en­
core, malgré lui, aux misérables jouissances de la vie.
Plein de courage et de force, il quitta tout pour se
consacrer entièrement à Dieu; et bientôt il parvint à
une vertu si éminente, que les fidèles de Mélitène, ville
principale de la Petite-Arménie, l’élurent d’une voix
unanime pour leur premier pasteur, après la mort de
leur évêque. Domitien n’avait alors que trente ans. Sa
modestie lui faisait trouver au-dessus de ses forces la
dignité dont on voulait le charger; mais on le força
d’accepter. Ayant donc été promu aux ordres sacrés,
il prit en main l’administration de son diocèse et
devint le modèle de son troupeau. Il travailla avec un
zèle infatigable à y faire fleurir de plus en plus la reli­
gion et on le cita bientôt comme l’un des plus vertueux
prélats de l’empire.
Son mérite ayant percé jusqu’à la cour de Constan­
tinople, l’empereur Maurice lui demanda de se rendre
auprès de Chosroès II, roi de Perse, qui, à la suite du
meurtre de son père Hormisdas et de l’usurpation de
Yarame, s’était réfugié sur les terres des Romains.
Maurice avait résolu de lui venir en aide, parce qu’il
espérait qu’une fois rétabli sur le trône, Chosroès,
reconnaissant, contracterait avec lui une alliance du­
rable et avantageuse à l’empire. L’évêque de Mélitène
fut1 accompagné dans cette mission par Grégoire,
120 LES S A IN T S M IL IT A IR E S

évôque d’Anlioche, prélat également respectable par


sa capacité et la sainteté de sa vie. Arrivés à Constan-
tine, tous deux ils consolèrent Ghosroès par leurs pro­
messes et leurs présents, et relevèrent les espérances
de ce prince infortuné.
La fourberie de ce roi barbare fut ensuite déjouée
par la prudence de Domitien. Car tandis que Martyro-
polis, fortifiée par une garnison qui n’avait point en­
core embrassé le parti de Yarame, était assiégée par
les Romains, les guerriers chargés de la défense de
cette ville, fidèles aux ordres secrets de Chosroès, et
nullement disposés à se rendre, repoussaient avec
courage les assauts de l’ennemi. Mais quand la con­
duite perfide de Chosroès eut été découverte, Domitien
opposa à la malice des Perses un plan habilement
conçu, déjoua leurs sourdes menées, comme si d’un
souffle il eût dissipé une bulle d’air. 1). fit venir les
principaux officiers de la garnison, gagna les uns par
ses discours, les autres par ses présents, leur montrant
à la fois et les Romains sur le point de s’emparer de
la ville et le secours de l’empereur nécessaire à Chos­
roès et la fortune de Yarame chancelante et incertaine.
Telle fut la puissance de ses paroles, que des senti­
ments opposés se manifestèrent dans la garnison, et
que les volontés étaient contraires. C’est pourquoi le
chef de la garde royale fut envoyé à Martyropolis par
Chosroès,. pour engager les Perses à livrer la ville et à
donner Nisibe. Fidèles à leurs engagements envers les
assiégeants, les Perses abandonnèrent Martyropolis.
10 J A N V IE R 121

Les principaux officiers de la garnison se rendirent


à Constantine; et comme Sittas, qui avait livré Marty-
ropolis aux Perses quatre ans auparavant, paraissait
au milieu d’eux avec distinction, bravant encore les
Romains et se tenant assuré de la protection de
Chosroès, Domitien déclara au roi, que s’il ne livrait
ce traître, il allait être abandonné de l’empereur, qui
tournerait toutes ses forces en faveur de Varame.
Cette menace effraya le roi; il ne balança pas de sacri­
fier Sittas à sa propre sûreté, il le mit entre les mains
du généralissime romain Comentiole, qui le fit brûler
vif. Tous ceux qui avaient trempé dans le même
complot, furent punis de mort. Domitien se transporta
lui-même à Martyropolis, où il fut reçu avec des
acclamations de joie. Les habitants respiraient enfin
après un siège de quatre ans, qu’ils avaient soutenu
malgré eux, plus maltraités par la garnison des Perses
que par les Romains qui les assiégeaient. L’évêque les
asssembla dans la grande église, et fit un panégyrique
en l’honneur des glorieux martyrs qui avaient succombé
dans la victoire. C’est en ces termes qu’il leur parla :
« Ce n’était pas seulement dans les combats et sur
les champs de bataille, c’était encore aux jours des
solennités que David faisait retentir la trompette en
l’honneur du Dieu Très-Haut. Car il convient de faire
servir aussi les instruments guerriers à la louange du
Seigneur, notre premier chef dans les combats, le
Dieu fort et puissant dans la guerre; il faut que la
louange vienne d’où la gloire est venue. Faisons donc
122 LES S A IN T S M IL IT A IR E S

retentir ces trompettes dont l’esprit entend les sons ;


chantons les chants do l’âme et laissons ces trompettes
dont la loi de Moïse prescrivait l’usage aux Juifs. Comme
eux, nous n’avons pas reçu le commandement de vé­
nérer le Seigneur en lui immolant des animaux. Que ce
jour soit donc un jour solennel, non seulement en pré­
sence de cet autel; élevons nos regards vers la hiérar­
chie céleste, dont le grand prêtre est Pontife pour
l’éternité, selon l’ordre de Melehisédec, et assis à la
droite de la Majesté de Dieu. Il a fait éclater la puis­
sance de son bras; il a humilié l’orgueil des superbes,
et après avoir renversé les puissants de leurs trônes, il
a fait paraître aux yeux de tous les merveilles de son
esprit sur Babylone; les lions adoucis, les dragons
brisés, Bel etMithra emmenés en captivité, le feu privé
de sa nature, et incapable même de brûler les vêtements
des martyrs, malgré la poix et le bitume abondant
qu’on lui fournissait comme aliments. La main du
Seigneur a opéré de nouveaux prodiges et étouffé l’or­
gueil des Ghaldéens, en écrivant leur condamnation
non plus sur une muraille, mais dans les cieux; le
royaume de Babylone est divisé, un trône superie
renversé et des étals orgueilleux ont été resserrés. Ce
qui était dans, l’humiliation est environné d’honneur,
et ce qui était vaincu a reçu de la force. Cette ville que
la guerre avait rendue stérile, nous apparaît joyeuse
à cause de la multitude de ses enfants.
« Que personne, dans cette fête consacrée à la
louange, ne paraisse avec des vêtements sans beauté;
40 JANVIER 123

que tous par la candeur de notre vie et la pureté de


nos mœurs, nous portions un habit éclatant de blan­
cheur, de peur que, si notre âme est vêtue autrement
qu’il ne convient au festin d’un roi, nous ne soyons
jugés indignes d’y être admis, et condamnés aux
supplices réservés à ceux qui en sont rejetés. Renou-
velle-toi donc, renouvelle-toi, ô notre cité, en ce jour
d’allégresse, car la lumière a brillé, et la gloire du
Seigneur s’est levée sur toi. Voilà ce que l’Esprit-Saint
me dit au fond de l’âme; telles sont les promesses que
j ’embrasse avec joie, car la gloire de ce jour surpasse
celle du passé. Non, ta reconnaissance n’était pas plus
grande, alors que tu possédais ce peuple de martyrs
qui remplissait tes chemins et les détours de tes rues.
Il est plus glorieux pour toi d’avoir été ainsi délivrée
que d’avoir été prise de la sorte. C’est la ruse qui t ’a
livrée à l’ennemi, c’est la crainte qui te fait rendre la
liberté; la ruse perfide d’un roi barbare s’était emparée
de toi, mais tu nous es rendue avec gloire.
« La voilà, ô saints Martyrs, cette cité dont votre
serviteur a opéré la réconciliation avec vous; il s’est
efforcé d’avoir pour amis ceux que l’ennemi du Seigneur
n’invoquait pas, lui auquel le malheur a enseigné la
pratique de la piété. C’est ainsi que, châtié ou averti
par le ciel, Pharaon permit autrefois le culte de Dieu.
Il vous la consacre, le prince et l’étranger venu de
Babylone, fugitif de son propre royaume, et qui, au
lieu d’être l’ennemi des Romains, leur est maintenant
soumis. Telles sont les merveilles que vous avez opé­
124 LES S A IN T S M IL IT A IR E S

rées contre nos ennemis. Le tyran en est dans un pro­


fond étonnement, el la terre, frappée d’épouvante, en a
tremblé. Celui qui est dès le commencement a réprimé
les peuples, et ce changement est l’œuvre de sa main
droite. Il est descendu du sommet des deux, et il est
allé jusqu’aux extrémités de la terre. Et nous avons
vu sa gloire pleine de grâce et de puissance. Que selon
le langage du Prophète, les fleuves voisins fassent
entendre leurs applaudissements. Que l’Euphrate,
remplissant la signification de son nom, se réjouisse
des grandeurs de son Créateur. Que le tigre change sa
férocité en douceur; désormais il n’engloutira plus les
cadavres des morts. Chantons au Seigneur le cantique
du salut; chantons en son honneur avec les Martyrs
l’hymne du triomphe; publions sa gloire près des
fleuves de Babylone el tressaillons d’allégresse. Nous
n’avons pas été condamnés à pleurer comme les Juifs;
et un ennemi ravisseur ne nous reproche point l’op­
probre de la captivité. Choisissons le Seigneur pour
principe de notre joie, de peur que nous n’oubliions la
Jérusalem d’en haut, et que notre langue ne s’attache
h notre palais, pour n’avoir pas dignement exalté les
merveilles du Seigneur...
« Chantons aussi au Seigneur l’hymne de la sortie, car
la nation des Perses est chassée de la ville comme un
sanglier que l’on repousse de la forêt qui produit les
glands; car elle osait fouler aux pieds les choses les
plus saintes et briser avec rage les perles de la foi.
Imitons ceux qui ont glorifié le Seigneur à Babylone, *
10 JANVIER

et partageons leurs danses sacrées. Aujourd’hui encore


le feu des Chaldéens n’a aucune puissance pour con­
sumer la ville des Martyrs. Que les cieux se réjouissent,
que la terre bondisse et que ses plaines tressaillent
d’allégresse; car elles sont renversées, les nations
arides de combats. Nos ennemis, selon la parole du
Prophète, ont reconnu qu’ils sont hommes, ils ont
ressenti la faiblesse de leur nature; instruits par les
revers, ils peuvent voir clairement la vérité qu’ils
n’ont point vue dans le bonheur.
« Tel est le langage que dans ma joie, j’ai cru devoir
vous adresser, et l’hymne que, sans préparation, je
vous suggère sans apparat et sans variété. Dieu aime
les dons qui partent des cœurs simples, et accepte le
culte dont ils l’honorent, malgré son peu de solennité ;
car c’est par le changement du cœur, et non point par
le poids et la grandeur de l’offrande qu’il juge notre
reconnaissance. Maintenant donc, ne cessons plus de
glorifier le Père, d’adorer le Fils, comme étant Dieu
par sa nature; ni de vénérer l’Esprit-Saint comme
l’une des trois personnes. Tous les trois ils sont Dieu,
auquel gloire infinie avant tous les siècles et dans tous
les siècles. »
Quand l’évêque eut achevé ce discours plein de
sagesse, la foule des auditeurs y répondit par ses
applaudissements, versant des larmes de joie et de
componction. Les paroles du saint évêque avaient fait
fondre en pleurs la multitude; il n’y avait aucun sujet
de tristesse, ni rien qui pût exciter la douleur, mais la
m LES S A IN T S M IL IT A IR E S

circonstance faisait couler les larmes. Le Pontife con­


sacra le pain et le vin avec la plus grande solennité,
offrit le sacrifice de l’Homme-Dieu, et sanctifia ras­
semblée en distribuant la sainte communion. Et c’est
ainsi que la ville consacra sept jours à la joie et à
l’allégresse de cette solennité.
Au commencement du printemps (c’était en l’année
593,), Narsès reçut de Maurice le commandement des
forces romaines à la place de Comentiole dont Chosroès
se croyait méprisé et qu’il accusait de négligence et
d’une lenteur préjudiciable à ses intérêts. Bientôt
Narsès, suivi de Domitien, se rendit avec Chosroès à
Mardes, place forte située à trois parasanges de la ville
de Daras. La vue des troupes richement équipées et
bien fournies de munitions, inspira une nouvelle con­
fiance à Chosroès; il fit son entrée à leur tête avec
toute la fierté d’un vainqueur; et poussé par une vaine
curiosité, ou peut-être par une dévotion bizarre, il
entra à cheval, couvert de toutes ses armes, dans la
grande église de Daras, pendant qu’on y célébrait les
saints mystères. Les habitants scandalisés d’une telle
conduite, poussent des cris d’indignation; ils se rap­
pellent que le grand Chosroès, n’avait rien fait contre
le respect dû à la religion. L’évêque Domitien court
au-devant du roi, et saisissant la bride de son cheval,
le menace d’emmener sur-le-champ ses troupes à
Constantine, s’il ne sort de l’église. Chosroès confus se
retire, en s’excusant sur l’ignorance où il était encore
des pratiques du christianisme.
10 JANVIER 127

Six jours après, l’empereur lui envoya en présent, à


Daras, un baudrier orné de pierres précieuses, une
tiare royale, des lits et des tables d’or avec un su­
perbe cortège, et pour l’honorer 'davantage, il y joignit
même quelques-uns de ses doryphores, de peur que,
privé de toute suite, il ne perdît toute considération
aux yeux des Romains et des Perses. Des gardes
l’environnaient donc de toutes parts, lui accordant
ainsi l’honneur que les Romains ont coutume de ren­
dre à leur empereur. Les Perses, à la vue de la puis­
sance que Ghosroès avait reçue de Maurice, abandon­
nèrent le tyran pour embrasser le parti de ce prince, et
l’armée de Varame diminuant chaque jour par les
défections, les forces de Ghosroès grandirent et l’expé­
dition obtint le succès désiré. Pour témoigner sa
reconnaissance à Maurice, il lui céda sans aucun retour
la ville de Daras et envoya à Byzance le satrape Dolab-
zane, personnage illustre, avec les clefs de la cité et
les titres de donation; l’ambassadeur se rendit à Cons­
tantinople, offrit la ville aux Romains, et après une
entrevue avec l’empereur, en reçut des présents d’une
magnificence impériale. L’empereur confirma de son
côté la foi des traités et donna à Ghosroès le titre de
fils.
Ghosroès, pour plus de sécurité, envoya ses femmes
et ses enfants à Sincar, ville de Perse ou de Médie,
place inexpugnable à cause de marais qui l’environnent,
puis il chargea Mébodès de prendre deux mille guer­
riers, de faire irruption sur le palais de Varame et
128 LES S A IN T S M IL IT A IR E S

d’égorger les guides de l’usurpateur. Dès que le tyran


fut informé de rapproche de Mébodès avec les cohortes
romaines, il rassembla ses soldats et s’avança pour
se défendre. Mébodès, à raison de l’ordre du roi, com­
mença la guerre. Mais dès le premiers jours de l’été,
alors que les prés étaient encore verdoyants, Chosroès
quitta Daras et partit avec des secours.
Quand on fut arrivé à Ammodium, ville située à
14 stades de Daras, Domitien monta sur une col­
line et adressa le discours suivant aux généraux et aux
soldats « Voici pour vous, généreux guerriers, une
heureuse occasion; vous avez pour combattre de justes
motifs, le théâtre de la guerre exige le mépris du
danger; il vous faut repousser une odieuse tyrannie.
Montrez-vous donc dignes de la lutte; vous êtes dans
un pays étranger où la victoire sera très glorieuse;
mais où la défaite serait d’autant plus funeste et amère.
C’est une arène où vous avez à recueillir de magni­
fiques lauriers. Toutes les nations de l’imivers contem­
plent vos exploits. La renommée de vos actions retentit
dans le monde, car vous luttez pour une noble cause;
vos combats seront immortels et aucun de vos tro­
phées ne sera enseveli dans l’oubli. C’est pourquoi
il ne faut point reculer devant les difficultés, mais mar­
cher contre un ennemi audacieux, et sacrifier la vie du
corps en immortalisant votre nom. C’est en combattant
courageusement que vous arriverez au terme de vos
travaux; voilà le chemin pour arriver à la paix. Gardez-
vous de fuir loin des coups de l’ennemi, ce serait fuir
10 JA N V IE R 129

en même temps votre salut. Présentez la poitrine aux


traits de l’ennemi pour remporter aussi le triomphe.
Que personne d’entre vous ne reçoive des blessures par
derrière ; car la victoire est inconnue à ceux qui tour­
nent le dos. Soyez unis de cœur encore plus que de
corps; partagez les mêmes travaux; loin de vous la
timidité.
« Que celui qui ne veut point s’exposer aux plus
grands périls reçoive son congé. Désirez la victoire au
prix de votre vie; c’est par les blessures et les coups
que l’on achète le triomphe. La lâcheté n’enfante rien
qui soit digne d’éloge. Rien n’est plus doux que de
succomber sur le champ de bataille, car s’il nous est
inutile de gémir sous le poids de la vieillesse ou de
nous consumer dans la maladie, il vaut donc mieux
pour vous, courageux guerriers, de mourir dans le
combat à la fleur de l’âge et d’être célébrés après votre
trépas. Les fuyards ne peuvent recevoir l’immortalité
de la nature, qui craint la séparation de l’âme et du
corps. 11 n’est ici-bas aucun lieu que la mort n’aborde
également. Toutes les choses humaines sont soumises
à la tristesse et à la douleur qui régnent partout. Une
grande et cruelle nécessité pèse sur notre vie. Ne
désirez pas avec ardeur que votre dernier jour soit
différé, afin de pouvoir accomplir de grandes actions,
car on trouve dans le délai un entraînement au repos,
à l’indolence et à la jouissance des plaisirs. Montrez
un mâle courage, méditez sur les événements qui se
sont opérés. Tombé dans l’abaissement, le roi de
130 LUS SAINTS MILITAIRES

Babylone s’est réfugié près de vous, il s’est confié,


lui et son royaume, à votre arbitre et à votre pouvoir,
plaçant son espérance la plus grande dans la clémence
de la religion que nous professons. Les Perses ont la
tyrannie en horreur, et Varame, qui n’est point né
de sang royal, s’appuie sur des forces qui s’évanoui­
ront. Il a établi les bases de son empire sur l’injustice
et l’audace; c’est pourquoi les révoltes ne tarderont
point à l’inquiéter. La possession ne peut être tran­
quille là où règne la violence. Gravez mes paroles au
fond de vos cœurs, gardez-les écrites avec des carac­
tères invisibles; ne laissez point s’échapper de votre
mémoire ce discours que je vous ai adressé, de peur
que vous ne recueilliez une honte, une infamie plus
triste que la déception. Que le Fils unique de Dieu,
qui est Dieu avant les siècles et commande aux armées
du Seigneur, vous conduise au combat et vous fasse
réussir au-delà de vos espérances. »
Quand les soldats romains eurent entendu ces
paroles, ils se sentirent animés d’un enthousiasme
sacré, enflammés d’ardeur et comme doués d’une
force invincible. Brûlant d’exécuter leur entreprise,
dans le transport de leur délire, ils ne respiraient que
les armes. L’armée quitta donc cet endroit pour con­
tinuer la marche, Domitien, après avoir confirmé le
commandement à Narsis, s’en retourna chez les
Romains.
Nous ne dirons qu’un mot des événements qui
suivirent, c’est qu’ils furent heureux pour Ghosroès
'JO JA N V IE R 131

qui, après la défaite de Varame, fut rétabli sur le


trône de Perse.
Le rôle important que le bienheureux Domitien joua
à cette époque dans les affaires politiques et militaires
de l’empire avait uniquement pour cause le grand
désir qu’il avait de voir tous les Perses devenir chré­
tiens; un moment même il avait espéré convertir à
l’Évangile le roi Chosroès, ainsi que nous le voyons
par une lettre que lui adressa le pape saint Grégoire;
mais il avait dû renoncer à cette espérance. « Je res­
sens une grande joie, lui écrivait Grégoire, de ce que
Votre Béatitude, occupées des causes séculières elles-
mêmes, consacre son génie à l’études des saintes
Écritures. Car de la sorte, il est nécessaire que, si
vous ne pouvez complètement éviter les unes, les
autres ne soient pas mises au dernier rang. Mais je
vous en conjure par le Dieu tout-puissant, tandis que
je suis agité par les tempêtes de la tribulations, accor-
dez-moi le secours de vos prières, afin que, par votre
intercession, je puisse me relever, moi qui suis retenu
au fond de l’abîme par le poids de mes péchés. Quant
à l’empereur des Perses, j ’éprouve de la doiileur de ce
qu’il ne s’est pas converti; je me réjouis cependant de
ce que vous lui avez annoncé la foi chrétienne; car
bien qu’il n’ait pas mérité de voir la lumière, votre
sainteté recevra la récompense de ses prédications.
L’Ethiopien aussi entre noir dans les bains, et il en
sort également noir; toutefois le maître des bains
reçoit son paiement. »
13:2 LES SAINTS MILITAIRES

Revenu au milieu de son peuple, l’évêque de Mélitène


continua à l’édifier par la pratique de toutes les vertus
pastorales. De sa bouche éloquente, comme d’une
source divine, découlaient sur les âmes les eaux pures
et vivifiantes de la céleste doctrine, et sa main multi-
plait les bonnes œuvres. Il consacrait à la restauration
des édifices sacrés et à l’entretien des pauvres dans les
hôpitaux les sommes d’or considérables qu’il recevait
de l’empereur Maurice.
C’est à Constantinople que le bienheureux Domitien
rendit paisiblement son âme au Seigneur. Il y reçut
de toute la cour et du clergé les honneurs qu’il méri­
tait; on le plaça ensuite dans un sarcophage, et son
corps fut reconduit au chant des hymnes, au milieu
des torches, jusqu’à Melitène en Arménie. Il y opéra de
nombreux miracles après sa mort, comme il avait fait
d’ailleurs pendant sa vie. Mais on ne laissa pas de célé­
brer tous les ans sa mémoire dans l’Eglise de Sainte-
Sophie à Constantinople conjointement avec celle de
saint grégoire de Nysse.

S ources L e s B o lla n d is tc s , au 10 janvier. — V ie s des


S a in ts ,
par Baillet. — H is to ir e d u B a s - E m p i r e , par Le
Beau, livre XLIIIe.
10 JA N V IE R 133

SAINT PIERRE URSÉOLE, DOGE DE VENISE


PUIS MOINE DE SAINT-MICHEL DE CUSAN
EN CATALOGNE, CONFESSEUR
Vers 997.

Puisque l’exemple d’une sainte vie et la révélation


d’une belle âme nous donnent en quelque sorte une
ouverture de l’éternelle félicité, ou plutôt comme la
véritable béatitude, qui perfectionne les puissances de
l’ctre raisonnable, s’acquiert au moyen de la persévé­
rance dans les combats et du couronnement d’une
pieuse carrière, il importe d’écrire la vie glorieuse et
les œuvres édifiantes d’un personnage accompli. Cette
histoire devient une leçon de mysticité pour les races
futures, un modèle efficace pour les amis de la vertu,
un sujet de louanges pour le Dieu créateur. C’est
pourquoi voulant dépeindre l’excellence du doge de
Venise, c’est-à-dire sa prudence, sa dévotion et la fin
de sa vie, nous devons remonter à son illustre origine
et suivre l’ordre des temps, afin de faire pressentir,
dans le miroir d’une bonne conduite, l’heureuse des­
tinée d’un élu.
Pierre, surnommé Urséole, parce qu’il était issu de
la très illustre famille des Ursins, naquit à Rivo-Alto,
sur le golfe Adriatique. Son père lui donna un précep­
teur chargé de lui apprendre les exercices de la vie
chrétienne et les éléments de la vie sociale; de sorte
- T. S
J 34 LES S A IN T S M IL IT A IR E S

que ce jeune chrétien, fils d’une maison chrétienne,


élevé dans toutes les pratiques du salut, bienveillant,
pour ses semblables, formé à la politesse et aux bonnes
mœurs, loin de laisser périr la gloire de ses ancêtres,
eut au contraire une éducation en rapport avec sa
naissance. Pierre s’était concilié les bonnes grâces de
la foule; si bien qu’après la mort de Pierre Gandien,
doge de la plus haute valeur, il fut élu, malgré sa
jeunesse, à la première dignité de Yenise par le suffrage
unanime de ses concitoyens.
Arrivé au pouvoir, il rendit la justice à ses sujets, aux
pupilles, aux voyageurs. A l’exemple de l’illustre Job,
il examinait soigneusement la cause des citoyens, raf­
fermissait ce qui était brisé, appuyait ce qui était
faible, restaurait ceux qui avaient faim, consolait ceux
qui étaient dans les pleurs, relevait ceux qui étaient
tombés, rejetait l’inutile, affirmait le droit, condamnait
l’injustice, faisait valoir les bons motifs, et enfin cher­
chait avec douceur et par des représentations raison-
nées, à faire évanouir les projets illégitimes; aussi
aimait-il Dieu de toutes ses forces. Il gardait la conti­
nence avec sa légitime épouse; veillait sur ses sens;
s’occupait avec soin des églises ; pourvoyait aux néces­
sités de leurs divers ministres, suivant la position de
chacun ; devinait tous les besoins et les faisait gracieu­
sement disparaître au moyen d’un adroit secours.
S’agissait-il des affaires publiques, il s’y livrait tout
entier. Il s’étudiait à prévenir tous les troubles et tous
les crimes. On le voyait aussi démêler, au sein du
10 JA N V IE R 435

peuple ou de la noblesse, les hommes de haute capa­


cité; puis à l’exemple d’un habile architecte, disposer
ces éléments de façon à tirer de cet arrangement ingé­
nieux une harmonie d’ensemble, des secours dans l’oc­
casion et quelques services en cas de nécessité. Assis
sur son tribunal, jamais il ne se laissa corrompre par
des présents; armé du sceptre de la justice et de la
loyauté, tenant en ses mains le glaive à double tran­
chant, il séparait adroitement l’équité de l’injustice, le
bien du mal, l’intempérance de la sobriété, l’orgueil de
la modestie, et l’avarice de la générosité.
Le doge se plaisait à suivre les lectures de nos livres
saints, les sermons des prêtres, l’entretien des sages et
les leçons des docteurs de la loi. Sa coutume était de
présenter des offrandes sur les autels ou sur le tom­
beau des saints. En souvenir (îe ces paroles : « J’étais
voyageur et vous m’avez accueilli, » Pierre regardait
l’étranger comme un autre Jésus-Christ et lui fournis­
sait la nourriture aussi bien que le vêtement. Il visitait
les maisons des infirmes et leur distribuait, suivant le
besoin, des vivres, des habits ou tout autre effet mobi­
lier. Des êvêques et des abbés faisaient-ils à Venise le
pèlerinage au tombeau de saint Marc, il les accueillait
avec des respects affectueux, exerçait vis-à-vis d’eux
toutes les œuvres de miséricorde, se recommandait à
leurs prières et les congédiait après les avoir comblés
de présents.
Tandis que Pierre Urséole gouvernait la province de
Venise au milieu des vagues du monde et des pompes
136 LES SAINTS MILITAIRES

de la terre, il entendit cette parole de l’Apôtre « Pour


nous, notre conversation est dans les deux. » Ce texte
lui revenait souvent à la mémoire et faisait l’objet de
ses méditations. En roulant en lui-même les pensées
qu’il lui suggérait, il se demandait aussi dans quel
asile il pourrait se retirer afin de se livrer entière­
ment au Seigneur et d’effacer, dans les larmes du
repentir, toutes les fautes de sa vie passé.
Sur ces entrefaites, un abbé vénérable concevait le
projet d’aller à Rome; cet abbé se nommait Guérin.
11 était supérieur du monastère de Cusan, en Catalogne.
Cet abbé s’étant donc mis en route pour Rome, tourna
ses pas du côté de Venise, afin d’y implorer les suf­
frages du bienheureux Marc, évangéliste. Après avoir
accompli ses dévotions, il demanda à certaine personne
de la ville dans quelle maison il pourrait loger. Cette
personne lui répondit : « Vous désirez peut-être que je
vous offre un lit; mais ni moi ni d’autres n’oserions
donner un asile soit à vous, soit aux autres pèlerins de
Saint-Marc, car le doge s’est réservé le privilège de
cette bonne œuvre. Pour cela il a fait bâtir de grands
hôtels et même des hôpitaux, où l’on reçoit les riches
et les pauvres en leur fournissant toutes les ressources
nécessaires. Vous ferez bien de vous adresser à lui.
Du reste, il aime à s’entretenir avec les gens de votre
condition. »
Ce qu’ayant entendu, le sage abbé Guérin entra avec
confiance dans le palais du doge* et demanda aux
gardiens si l’on pouvait avoir audience du magistrat.
10 JANVIER 137

Les gens de la cour, formes par leur illustre maître


dont ils avaient copié les vertus, firent au voyageur
.une réception honorable et le conduisirent auprès du
doge. Celui-ci, à l’aspect du religieux, se leva sur-le-
champ, et lui donna le baiser de paix. Puis il le ques­
tionna sur le lieu de son origine, sur le but de son voyage
et sur sa santé. Enfin ayant admiré dans un long entre­
tien le savoir et la prudence de Guérin, il lui donna un
logemeut et tous les objets nécessaires à la vie.
Le lendemain, le doge fit venir l’abbé et forma avec
lui un projet salutaire. Dieu, lui dit-il, aime mieux le
salut que la mort du pécheur. Il voulait, sans doute,
en vous envoyant ici, me procurer une faveur spéciale :
car j’ai résolu de quitter le monde et de suivre Dieu
en toute liberté. Mais si le naufragé, battu par les flots
d’une mer profonde, ne se dépouille de tout pour
gagner le rivage, pourrait-il échapper aux menaces de
la mort?
— Non, dit l’abbé.
— Eh bien d.onc, ajouta Pierre, veuillez me dire
commentée puis arriver nu à terre.
— Mais, répliqua Guérin, vous venez vous-même
d’indiquer la méthode à suivre; achevez de vous dé­
pouiller du vieil homme et de ses œuvres, pour revêtir
le nouvel homme, tel que Dieu l’a créé.
— Oui, répond le doge; mais puisque le Seigneur
disait jadis à Abraham « Sors de ta patrie, de ta
famille et va dans la terre que je te montrerai », j ’ai
dessein d’abandonner également le sol qui m’a vu
SAINTS MILITAIRES — T. I . 8.
138 LES SAINTS MILITAIRES

naître, dans la crainte que mon épouse, mes enfants


ou le peuple de la contrée, ne mettent obstacle à mes
projets; puis je veux me retirer dans vos pays lointains
pour que la distance des lieux et la séparation de mes
amis comme de ma famille, me permettent de goûter le
repos et d'oublier tous les soucis de cette vie passagère.
Je vais donc prendre quelques-uns de mes trésors ; vous
les recevrez en dépôt, et après votre retour de Rome,
vous les ferez parvenir avant nous dans votre monas­
tère. Après quoi, nous fuirons ensemble, et, par la
grâce de Dieu, nous parviendrons au lieu si désiré.
Cette affaire convenue, l’abbé Guérin s’en alla à
Rome. Lorsqu’il fut de retour à Venise, le doge avait
déjà tout préparé pour sa fuite, et la nuit suivante, il
s’embarquait avec Guérin et traversait rapidement les
lagunes.
A la nouvelle de la disparition de leur prince, les
habitants de la Vénétie tout entière furent plongés
dans une profonde tristesse; tous se regardaient comme
orphelins, abandonnés, délaissés, malheureux en un
mot. Au palais, la harpe fut suspendue, l’orgue resta
silencieux, le tambour disparut, les cymbales se brisè­
rent, la voix des jeunes filles s’évanouit, et l'on n’en­
tendit plus un seul chant d’harmonie; partout régnaient
le deuil et la stupeur.
Aussitôt que le bruit de cette évasion se répandit
dans la province, les Vénitiens courent à leurs barques,
préparent leurs rames, étendent les voiles, se couvrent
de leurs armures et poursuivent les fugitifs. L’on
10 JANVIER 139

devinait bien que le doge s’élait enfui dans un pays


étranger, par amour de la vie monastique. Après deux
jours et deux nuits de navigation, les Vénitiens décou­
vrent de loin les voyageurs, qui se reposaient sur les
bords d’un fleuve. L’illustre doge les aperçoit en même
temps et dit à l’abbé a Vous êtes aux portes de la
mort. Voilà les notables de Venise qui, regrettant mon
départ, se sont livrés à notre poursuite. S’ils me ren­
contrent ici, ils vous tueront ainsi que ces passagers.
Prenez donc vite un rasoir, coupez-moi la barbe, et
donnez-moi l’habit des moines. » L’abbé fit ce qu’on
lui avait ordonné. Alors la flotte nombreuse, qui portait
de vaillants guerriers, était entrée dans le fleuve. Les
hommes d’équipage sautent à terre, se jettent sur
l’abbé et menacent de lui couper la tête, s’il n’indique
où est le doge qu’ils recherchent avec tant de zèle.
« Me voici, répond l’abbé, voilà de même mes compa­
gnons; examinez-les tous et cherchez votre maître. »
Ils passent donc en revue tous ces hommes, et ne
reconnaissent pas le doge. Celui-ci n’avait plus de
barbe, et tenait sa tête enfermée dans un capuchon.
Quand la flotte fut repartie, le doge se réjouit avec
ses compagnons et reprit sa route. Trois notables
de la ville l’avaient accompagné : c’étaient Jean, sur­
nommé Maurocène, son gendre, Jean Gradenigo et
Romaldi. Lorsque l’on fut à Vérone, Pierre, dans la
crainte de se faire connaître, se cacha parmi les mule­
tiers, traversant à pied les montagnes arides et les
vallées marécageuses il tremblait toujours qu’un
140 LES SAINTS MILITAIRES

marchand ou qu’un citoyen de Venise, éveillé par


quelque soupçon, ne vînt à trahir son incognito. De
compagnie avec l’abbé et ses autres amis, il traversa
les confins de la Lombardie et de la Provence, sans
s’arrêter nulle part. Enfin il entra dans Narbonne, où
il se reposa trois jours, et prit le chemin si désiré du
monastère de Saint-Michel.
L’on s’approchait du saint asile, quand Pierre dit à
l’abbé : « Il me semble que nous ne sommes plus guère
éloignés du but de notre voyage : mon cœur, en effet,
se réjouit de son approche. — Pourquoi cette demande,
Seigneur, lui dit alors l’abbé? — Je l’ai faite, répond
le doge, parce qu’il n’est pas dans mon intention d’en­
trer à cheval et d’une manière pompeuse dans la cour
du prince des Anges ; je veux, au contraire, m’y présenter
humblement, comme il sied à un homme qui se voit
traîner une si longue chaîne de péchés. » Ce disant, il
quitte l’étrier, ôte ses guêtres, défait sa chaussure et
reste la tête nue. Ainsi découvert, il marche sur ses
pieds et sur ses mains pour aborder le monastère.
Bientôt le vénérable doge entrait, suivant l’usage,
dans la cellule du noviciat. Là, il observa avec scrupule
les règles de la vie monastique, et se forma soigneuse­
ment à l’étude des saintes lettres. On le fit sortir plus
tard de la chambre des novices pour le revêtir de l’habit
des moines. Sous le capuchon, Pierre était le miroir
de toute justice il portait un vêtement encore plus
grossier que celui de ses frères, il respectait le silence,
prolongeait ses veilles et renouvelait même par son
10 JANVIER 141

obéissance parfaite les merveilles des anciens cénobites.


Les plus viles occupations étaient celles qu’il recherchai t
avec le plus d’empressement; il avait, d’ailleurs, la
parole aimable, l’humeur gaie et un don tout particulier
pour réconcilier les cœurs.
Au bout de deux années, Pierre fut, sur sa demande,
nommé à la charge de sacristain. Quel bonheur pour
lui de passer des heures entières devant les saints
autels! Avec quel soin, avec quel zèle, avec quel amour
il s’acquittait de ses fonctions ! De douces larmes mouil­
laient sa paupière; les vœux de son âme agitaient ses
lèvres; de pieux soupirs s’exhalaient de sa poitrine.
Dans l’attitude de la prière, on l’eût pris pour un ange;
il semblait voir Dieu. Mais tandis que le doge s’occu­
pait ainsi du lieu saint, il eut à supporter, de la part de
l’ennemi des hommes et surtout des gens de bien, une
infinité d’embuches, qui tendaient à lui faire aban­
donner sa sainte vocation. Il en triompha toutefois, à
force d’humilité, de mortifications et de prières. Il jeû­
nait deux et même trois jours de suite, ne couchait
que sur la dure et distribuait aux pauvres le potage et
le pain qui formaient sa ration, gardant seulement pour
lui quelques miettes de pain d’orge.
Pierre demanda ensuite qu’on lui bâtit une cellule à
côté du monastère. C’est là qu’il veillait nuit et jour et
surmontait les nombreuses tentations du démon; il y
persévérait dans la prière et dans le travail des mains,
sans prendre d’autre nourriture qu’un peu de légumes
et de pain grossier.
U2 LES SAINTS MILITAIRES

Son fils Pierre étant venu le voir, il lui prédit qu’il


deviendrait doge et l’événement justifia sa prédiction,
de son vivant même. 11 l’avertit en outre de ne jamais
se départir de la justice et de conserver aux églises du
Seigneur tous leurs droits intacts.
Enfin, après dix-neuf ans de vie monastique, c’est-à-
dire d’exquise piété et de continuelle pénitence, la
soixante-neuvième année de son âge, averti par révéla­
tion divine qu’il ne tarderait pas à s’endormir du som­
meil de la mort, couché sur la cendre et le cilice, le
10 de janvier de l’an de notre salut 997, le vénérable
doge rendit son âme à Dieu. Divers prodiges attestèrent
sa sainteté; son corps, conservé dans l’église, sous un
autel dédié à son honneur, était visité et honoré par les
pieux fidèles. Clément XII le canonisa et permit de
faire sa fête le 14 janvier. Peu de temps après eut lieu
la translation solennelle de ses reliques, à Venise, dans
l’église de Saint-Marc. Toute la cité vénéra son prince
avec une dévotion extraordinaire. Sur la fin du dix-
huitième siècle, après que la Révolution eut éclaté en
France et que le monastère de Saint-Michel de Cusan
fut détruit de fond en comble, les saintes reliques de
Pierre Urséole furent transportées dans l’église parois­
siale de Prades, où elles sont encore très religieusement
conservées aujourd’hui.

S ources Le Martyrologe Romain. — A c t a S S . O . S . B .


sœ cu l. q u in t. — L e P r o p r e de Perpignan. — L e s P e t i t s B o l -
ta n d is tes.
X IIe JOUR DE JANVIER

SAINT MÉORCE, SOLDAT, MARTYR


Vers 294.

Méorce avait servi dans l’armée de Mauritanie, et sa


bravoure singulière lui avait mérité l’estime et même
l’affection de l’empereur et de ses compagnons d’armes.
Mais un jour, on voulut l’obliger de sacrifier aux dieux,
et, parce qu’il était chrétien, il refusa d’obéir à cet
ordre impie. L’empereur le fit alors dépouiller de ses
insignes militaires, puis attacher par les quatre mem­
bres et, en cet état, déchirer cruellement à coups de
verges. Le martyr supporta ce supplice avec tant de
courage qu’on ne l’entendit pas même pousser le
moindre soupir. L’empereur en fut tellement étonné,
qu’il ne put s’empêcher de dire aux soldats qui se trou­
vaient là : « Quelle triste fin pour un soldat si brave! »
Lorsqu’on ramena Méorce dans la prison, son corps
n’était plus qu’une plaie. 11 y avait déjà huit jours
qu’il y était enfermé, priant, chantant les louanges de
Dieu, mais ne respirant plus qu’un air vicié par le sang
corrompu qui s’échappait de ses blessures, lorsqu’il
rendit son âme au Seigneur.
C’était vers 294 sous le règne de Dioclétien.
S ources L e s B o lla n d is te s , au 7 janvier. — M e n o lo g iu m
G m c o -B a s ilia n a m , eodem d ie .
144 LES SAINTS MIL,TAHUS

SAINT ZOTIQUE D’AFRIQUE, SAINT ROGAT


SAINT MODESTE, SAINT CASTULE
SAINT QUINCTUS
SAINT BICCIEN, SAINT CAROTIQUE
SAINT CASTULIN
ET 36 AUTRES BIENHEUREUX SOLDATS
MARTYRS

Epoque indéterminée.

C’est en Afrique que ces généreux soldais souffrirent


la mort pour Jésus-Christ, mais nous ne savons à
quelle époque. Baronius dit avoir trouvé les noms de
huit d’entre eux dans un vieux manuscrit. Le Marty­
rologe de saint Jérôme en fait mention.

S ources L e M a r ty r o lo g e R o m a in . — L e s B o U a n d is te s au
12 janvier.

SAINT BENOIT B1SCOP


OFFICIER DE LA COUR ü’OSWY, ROI DE NORT11UMBRIE
PUIS ABBÉ DES MONASTÈRES DE WEARMOUTH
ET DE YARROW, CONFESSEUR
690.

Benoît, dont le vrai nom était Biscop Baducing,


naquit en 628, dans les rangs de la haute noblesse
12 JAKVI13R 145

anglo-saxonne. Ses parents le firent élever dans les


exercices militaires, à dessein d’en faire, dans la suite,
un grand capitaine; et comme il était naturellement
fort courageux, il acquit bientôt beaucoup de réputa­
tion dans les armes. Oswy, roi de Northumbrie, l’ayant
appelé à sa cour, l’investit d’un fief pris dans le
domaine public et proportionné à l’importance de la
charge qu’il lui confiait. Benoît s’acquitta pendant
quelques années des fonctions de cette charge avec
zèle et distinction; mais Notre-Seigneur, qui le desti­
nait à d’autres emplois, lui parla dans le secret du
cœur et le fit résoudre d’abandonner le monde. Il
n’avait encore que vingt-cinq ans lorsqu’il renonça à la
vie militaire, au mariage, à la famille, et restitua au
roi son domaine, pour se consacrer au service de
Dieu (1).
Il sortit non seulement de la cour, mais aussi du
lieu de sa naissance, et partit pour Rome, où l’attirait
depuis longtemps ce désir de vénérer les tombeaux
des apôtres, qui allait devenir si général et si conta-

(l) Hic vir Dei (S. Bcnedictus) de stirpe nobili gentis Anglorum
progenitus est, et in adolescentia militiæ rudimentis addictus.
Denique cum esset minister Oswii regis... ( E x M a tt h . W e s t m o n a s t .
apud Boll.)
Denique’cum esset minister Oswii regis et possossionem terrai
suo gradui competentem illo donante perciperet, annos natus
circiter viginti et quinque, fastidivit possessionem caducam, ut
adquirerc posset æternam despexit militiam cum corruptibili
donativo terrestrem, ut vero Régi militaret. ( E x v i t a S . Be ne -
d i c t i B i s c . In actis SS. O. S. B. sœcul. secund.

SAINTS MILITAIRES. — T. I. 9
146 LES SAINTS MILITAIRES

gieux chez les Anglo-Saxons. Etant arrivé dans cette


ville célèbre, il visita avec une singulière piété tous les
sanctuaires qui la rendent si chère au cœur du chré­
tien; à son retour, il s’appliqua entièrement à l’étude
des saintes Écritures et aux exercices de piété. Cinq ou
six ans après, Alcfrid, fils du roi Oswy, eut envie de
visiter les tombeaux des saints apôtres Pierre et Paul,
il pria le saint de l’accompagner; mais le père du
prince s’étant opposé à ce pèlerinage, Benoît partit seul
pour Rome, afin de s’y perfectionner de plus en plus
dans la science du salut. En revenant d’Italie, il passa
par le célèbre monastère de Lérins, où il prit l’habit
religieux. Après y être resté deux ans, il revint à Rome
l’an 608. Son dessein n’était pas d’en sortir; mais le
pape Yitalien voulut qu’il accompagnât saint Théodore,
archevêque de Cantorbéry, et Adrien qu’il envoyait en
Angleterre afin de travailler à l’instruction du peuple
chrétien.
Benoît fut chargé du monastère de Saint-Pierre et de
Saint-Paul, qui n’était pas éloigné de Cantorbéry,
laissant cette charge, quelque temps après, à saint
Adrien, il fît un nouveau voyage à Rome. Il était alors
dans toute la force de l’âge;.mais quand on se repré­
sente les difficultés et les dangers d’un tel trajet à une
telle époque; quand on songe qu’un voyage de Londres
à Rome était alors deux fois plus long et cent fois plus
dangereux qu’un voyage d’Angleterre en Australie au­
jourd’hui, on demeure stupéfait de la résolution et de
l’énergie qui, alors comme depuis, poussaient tant de
12 JANVIER 147

chrétiens et surtout tant de religieux anglo-saxons,


non pas une fois mais plusieurs fois dans leur vie, à
traverser la mer et les Alpes pour courir à Rome. Ce
quatrième voyage avait un but littéraire. Benoît en
rapporta une riche cargaison de livres. Revenu enfin
dans sa Northumbrie, il gagna les bonnes grâces
d’Egfrid, fils et successeur d’Oswy, et, par un effet des
libéralités de ce prince, il fonda en l’honneur de saint
Pierre le monastère de Wearmouth. Les bâtiments
destinés aux usages des religieux ayant été achevés, il
alla chercher en France des ouvriers capables de cons­
truire une église en pierre dans le goût de celles qu’il
avait vues à Rome. Il emmena aussi des verriers,
parce que l’usage des vitres était encore inconnu en
Angleterre. Un cinquième voyage qu’il fit à Rome (678)
le mit en état de former une nouvelle collection de
bons livres. Il apporta aussi de nouvelles reliques et
plusieurs tableaux de piété.
Cependant les moines de Saint-Pierre de Wearmouth
édifiaient le royaume par l’éclat de leurs vertus, et ré­
pandaient de toutes parts la bonne odeur de Jésus-
Christ. Egfrid, qui n’avait d’autre désir que de multi­
plier le nombre des vrais serviteurs de Dieu, donna de
nouveaux fonds de terre au saint* Ce fut le berceau du
monastère de Yarrow, dont le nom est indissoluble­
ment lié à celui du vénérable Bède, situé un peu au
nord du monastère de Wearmouth, et comme lui à
l’embouchure d’une rivière, la Tyne, qui se jette, en
suivant un cour parallèle à celui de la Wear, dans la
4 4 8 LES SAINTS MILITAIRES

mer du Nord. Yarrow fut dédié à l’apôtre saint Paul,


comme Wearmouth à l’apôtre saint Pierre. On re­
trouve toujours la pensée qu’avait Biscop de transporter
l’image et l’esprit de Rome sur cette plage northum-
brienne qu’embaumait déjà le parfum des fleurs mo­
nastiques.
Bien qu’il eût donné pour abbé à sa nouvelle fonda­
tion le plus intime de ses amis et compagnons de
pèlerinage, nommé Géolfrid, Benoît entendait bien ne
faire qu’une seule communauté des deux maisons,
grâce à l’union fraternelle qu’il voulait faire régner
entre elles et qui devait leur inspirer l’exemple des deux
glorieux apôtres qu’il leur avait donnés comme patrons.
Pour être plus libre de consacrer son temps aux
voyages, en outre pour être plus à la disposition du
roi qui réclamait sans cesse sa présence et ses conseils,
Benoît se donna un coadjuteur dans le gouvernement
de son premier monastère de Wearmouth. Ce nouvel
abbé était son neveu, et, comme Géolfrid, l’un de ses
plus dévoués associés. Il se nommait Eslerwine. Nous
parlerons de lui au 7 mars.
En revenant de son dernier voyage à Rome, Biscop
trouva mort son bienfaiteur et son protecteur, le roi
Egfrid, mort son coadjuteur et neveu Esterwine, morts
aussi un grand nombre de ses moines, enlevés par une
de ces terribles épidémies alors si fréquentes (686). Il
ne perdit pas courage et recruta promptement de nou­
veaux sujets, tout en reprenant et en poursuivant avec
sa passion habituelle la décoration de ses deux églises
12 JANVIER 149

de Saint-Pierre et de Saint-Paul. Les moines avaient


déjà donné pour successeur à Esterwine un diacre
nommé Sigfried, homme savant et vertueux, mais poi­
trinaire, et le premier des Anglais chez lequel l’histoire
ait signalé cette maladie si habituelle et si fatale à leur
race.
Le tour de Benoît lui-même allait bientôt arriver.
Mais Dieu se réservait de l’épurer en mettant sa pa­
tience à une longue et cruelle épreuve avant de le
rappeler à la récompense éternelle. Après avoir con­
sacré les treize premières années de son abbatiat à cette
vie laborieuse et errante qui lui était chère, à ces
expéditions lointaines si fructueuses pour son ordre et
pour son pays, il fut atteint d’un mal impitoyable qui
dura trois ans et paialysa tous ses membres l’un après
l’autre. Enchaîné par cette infirmité sur son lit, et ne
pouvant plus suivre ses frères au chœur, il n’en célé­
brait pas moins chaque office du jour et de la nuit avec
quelques-uns des moines, en mêlant sa voix défaillante
à la leur. Son esprit ne s’occupait que de Dieu et de la
perfection de ses disciples qu’il exhortait fréquemment
à observer leur règle avec exactitude.
Cependant la maladie ayant épuisé les forces tant du
saint abbé que de son coadjuteur poitrinaire, ils com­
prirent tous deux qu’ils allaient mourir, et voulurent
se voir une dernière fois avant de quitter ce monde.
Pour que le désir de ces deux tendres amis pût être
accompli, il fallut transporter le coadjuteur mourant
sur le grabat de l’abbé. On leur posa la tête sur le même
150 LES SAINTS MILITAIRES

oreiller; mais ils étaient tous les deux si faibles qu’ils


ne pouvaient pas môme s’embrasser. Il fallut encore
que des mains fraternelles les aidassent à rapprocher
leurs lèvres vénérables.
Enfin Benoît sentant augmenter sa faiblesse, de­
manda le saint Viatique, et mourut peu de temps après
l’avoir reçu, le 12 janvier 690. On transféra ses reliques
à l’abbaye de Thorney, en 970. Les moines de Glaston-
bury prétendaient en avoir une partie. Les Bénédictins
anglais honorent ce saint comme un de leurs patrons.
Les abbayes de Wearmouth et de Yarrow furent
détruites par les Danois. Rétablies en partie, elles
existaient encore sous le titre de prieurés, lorsque les
monastères d’Angleterre furent détruits l’an 37 du
règne de Henri VIII.

S ources L e M a r ty r o lo g e R o m a i n . — L e s B o lla n d is te s , au
12 janvier. — A c ta S a n c to r u m O . S . B . sæ c. sec. — V ie d es
S a in t s , par Baillet, Godescard. — L e s P e t i t s B o lla n d is te s .
— L e s M o in e s d 'O c c id e n t, par Montalembert, livre X V.
12 JANVIER 15!

SAINT AELRED, GOUVERNEUR DU PALAIS


DE DAVID Ier, ROI D’ÉCOSSE
PUIS ABBÉ DE RIÉVAL, EN ANGLETERRE
CONFESSEUR
1166 .

Aelred naquit l’an H09, dans la partie septentrio­


nale de l’Angleterre; ceux dont il reçut le jour étaient
distingués dans le monde par la noblesse de l’extrac­
tion; ils prirent un soin extrême de l’éducation de
leur fils, qui répondit parfaitement à leurs vues. Sa
réputation l’ayant fait connaître à David, roi d’Écosse
et fils de sainte Marguerite, ce prince religieux voulut
se l’attacher et lui confia le gouvernement de son
palais. Aelred remplit cette charge avec une supério­
rité qui lui attira l’estime du prince et de tous les
courtisans. La corruption du monde ne put gagner
jusqu’à son âme; incapable d’être ébloui par les gran­
deurs passagères, il conserva toujours l’humilité, cette
vertu favorite de Jésus-Ghrist, sans laquelle il n’y a
point de vrai chrétien. Il possédait encore dans un
degré éminent cette douceur qui, selon l’esprit de
l’Évangile, est inséparable de l’humilité; un ou deux
traits en seront la preuve.
Un jour qu’une personne de qualité lui faisait des
reproches injurieux en présence du roi, il l’écouta avec
patience, puis la remercia de la charité qu’elle avait
152 LES SAINTS MILITAIRES

de l’avertir de ses fautes. Cette conduite fit tant d’im­


pression sur son ennemi qu’il lui demanda pardon
aussitôt. Une autre fois, étant occupé à discuter quel­
que matière, il fut interrompu par quelqu’un de la
compagnie, qui l’accabla d’invectives; il les reçut dans
un profond silence et reprit ensuite le fil de son dis­
cours, sans témoigner la moindre émotion.
Aelred sentait en lui un ardent désir de quitter le
monde pour se consacrer uniquement au service de
Dieu; mais les charmes de l’amitié auxquels il était fort
sensible, l’y retinrent encore quelque temps. Cepen­
dant à force de réfléchir que la mort le séparerait
tôt ou tard de ceux qu’il chérissait le plus tendrement,
il s’accusa de lâcheté et prit enfin la généreuse réso­
lution de briser ces liens, quoiqu’ils lui fussent infini­
ment plus agréables que tous les autres plaisirs de la
vie.
Le saint pour se dégager de plus en plus de tout
attachement au siècle, quitta l’Écosse et se rendit à
Riéval où il embrassa l’ordre de Gîteaux, sous la con­
duite de Guillaume, disciple de saint Bernard et pre­
mier abbé de ce monastère. Il n’avait que vingt-quatre
ans lorsqu’il prit l’habit (1). On eût dit que la ferveur
fortifiait son corps naturellement faible et délicat, tant

(1) « Adolescens enim tanto amore a Rege Scotorum David


complexus est, ut quasi secundus in curia ejus factus... Ita pium
in omnibus et nfiansuetum se exhibuit, ut læsus non turbarctur
ad iram... Venions post hæc ad monasterium Rycvallense, et liabi-
tum monachorum suscipicns... » { E x v i t a S . A e l r e d i , apud Boll.)
12 JANVIER 153

il montrait de joie dans la pratique des plus grandes


austérités. La prière et les lectures pieuses emportaient
presque tout son temps ; les ardeurs de l’amour divin
embrasaient tellement son cœur qu’il ne trouvait rien
que de doux dans ce qui contrarie le plus les inclina­
tions de la nature. « Ce joug, s’écriait-il, ne m’accable
point, il ne fait qu’élever mon âme; ce fardeau est
léger et n’a rien de pesant. » Il parle avec une sorte de
transport de la divine charité, et l’on doit juger, par
ses exclamations fréquentes et toutes de feu, que son
occupation la plus ordinaire et la plus agréable était
de produire des actes de cette vertu. Écoutons-le.
« Puisse votre voix, ô bon Jésus! se faire entendre à
mes oreilles, afin que mon cœur apprenne à vous
aimer, afin que mon esprit vous aime, afin que toutes
les puissances, et, pour ainsi dire les entrailles de mon
âme et la moelle de mon cœur soient toutes pénétrées
du feu de votre amour; afin que toutes mes affections
puissent vous embrasser, vous qui êtes mon unique
bien, ma joie et mes délices ! Qu’est-ce que l’amour, ô
mon Dieu? C’est, si je ne me trompe, ce plaisir ineffable
de l’âme, qui est d’autant plus doux qu’il est plus pur,
d’autant plus sensible qu’il est plus ardent. Celui qui
vous aime vous possède, et il vous possède à propor­
tion de ce qu’il vous aime, parce que vous êtes amour.
C’est là le torrent de volupté dont vous enivrez vos élus,
en les transformant en vous par votre amour. »
Comme notre saint avait fait d’excellentes études
dans sa jeunesse et qu’il était doué d’un goût exquis,
SAINTS MILITAIRES. — T. I. 9.
do4 LES SAINTS MILITAIRES

il sentait mieux que personne toute la beauté des


anciens auteurs; de là ce plaisir qu’il avait trouvé
autrefois dans la lecture des ouvrages de Cicéron. Mais
il ne se fût pas plus tôt consacré à Dieu dans la retraite
que tous les livres profanes lui parurent insipides et
ennuyeux c’est qu’il n’y voyait ni le saint nom de
Jésus, ni la parole de Dieu; il nous en assure lui-
même dans la préface de son livre intitulé A m itié
spirituelle.
C’est en 1142 qu’Aelred fut élu, malgré lui, abbé de
Revesby, dans le comté de Lincoln, et on l’obligea,
l’année suivante, de prendre le gouvernement de
l’abbaye de Riéval, où il y avait trois cents moines. Il
décrit ainsi leur manière de vivre :
« Ils ne buvaient que de l’eau, ne mangeaient que
des choses fort communes et en très petite quantité;
ils dormaient peu, encore ne le faisaient-ils que sur
des planches; ils s’exerçaient à des travaux durs et
pénibles ; ils portaient de pesants fardeaux sans craindre
la fatigue et allaient partout où on voulait les conduire.
Le repos et les amusements leur étaient inconnus. A
toutes ces pratiques ils joignaient un silence rigoureux;
ils ne parlaient qu’à leurs supérieurs et seulement
quand la nécessité l’exigeait ; ils détestaient les dis­
putes et les procès. »
On offrit à Aelred plusieurs évêchés; mais son humi­
lité et son amour pour la solitude les lui firent tous
refuser. Son unique plaisir était de vaquer à l’exercice
de la prière et de s’entretenir dans la ferveur par de
12 JANVIER 155

pieuses lectures. Pour achever de le caractériser, nous


citerons les paroles d’un célèbre abbé du même ordre,
Gilbert de Oillandia. « Quelle vie fut jamais plus pure
que celle d’Aelred? Qui lut plus circonspect dans ses
discours? Les paroles qui sortaient de sa bouche,
avaient la douceur du miel. Son corps était faible et
languissant, mais son âme était forte et vigoureuse.
Semblable à l’épouse des cantiques, il languissait dans
l’attente des biens éternels; son cœur était comme un
autel sacré sur lequel il offrait continuellement à Dieu
le feu de son amour, la mortification de sa chair et
l’ardeur de ses brûlants désirs... Sous un corps maigre
et décharné, il cachait une âme engraissée de l’onction
et des douceurs de la grâce; de là cette joie ineffable
avec laquelle il louait Dieu... 11 souffrait patiemment
ceux qui l’importunaient et ne se rendait jamais à
charge à personne... Il écoutait volontiers les autres et
ne se pressait point trop de répondre à ceux qui le
consultaient. On ne le vit jamais en colère; ses paroles
et ses actions portaient la douce empreinte de cette
onction et de cette paix dont son âme était remplie. »
Saint Aelred mourut en 1166, à lage de cinquante-
sept ans; il y en avait vingt-deux qu’il était abbé.Le
chapitre général tenu à Gîteaux en 1250, le mit au
nombre des saints de l’Ordre et ordonna qu’on ferait
solennellement sa fête le 12 janvier, jour de sa mort, et
c’est eh ce jour qu’elle est marquée dans le Ménologe
de Cîteaux; mais on la trouve au 2 mars dans le nou­
veau Martyrologe que Benoît XIV a publié à l’usage de
J5‘5 LES SAINTS MILITAIRES

cet Ordre. On y lit un bel éloge du savoir, de l’innocence,


de l’humilité et de la patience de saint Aelred.
Le même Pape ajoute que Dieu couronna les vertus
de son serviteur par le don de prophétie et par celui
des miracles.
Nous avons de saint Aelred des ouvrages ascétiques
et des ouvrages historiques.

S ources L e M a r ty r o lo g e de l’ordre des Cisterciens, au


2 mars. — L e s B o lla n d is te s , au 12 janvier. — V ie des S a in t s ,
par Godescard et les P e tits B o lla n d is te s . — H is to ir e d e l'É g l is e ,
par Rohrbacher, livre LXIXe.
X IIIe JOUR DE JANVIER

LES QUARANTE BIENHEUREUX SOLDATS


MARTYRS A ROME SUR LA VOIE LAV1CANE
Vers 262.

Voici en quels termes le Martyrologe romain fait


aujourd’hui mention de ces martyrs :
« A Rome, sur la voie Lavicane, les couronnes rem­
portées par quarante bienheureux soldats et méritées
par eux pour avoir confessé la vraie foi, sous l’empe­
reur Gallien. »
Galesini et Pierre des Noëls prétendent qu’ils furent
décapités.

S ources Le Martyrologe romain. — L e s B o lla n d is te s , au


13 janvier.

SAINT SEGONDIN, SAINT ENON ET SAINT QUIRION


SOLDATS, MARTYRS
Vers 262.

Ces bienheureux martyrs sont mentionnés dans le


Martyrologe de saint Jérôme et dans d’autres; ils fai­
158 LES SAINTS MILITAIRES

saient partie, selon toute apparence, des quarante sol­


dats martyrisés sous l’empereur Gallien et dont il est
fait mention ci-dessus d’après le Martyrologe romain.

S ource L e s B o lla n d is te s au 13 janvier.

SAINT STRATONIQUE
GARDE DE PRISON, MARTYR
Vers 319.

La paix conclue, en 314, entre Constantin et Lici-


nius ne devait pas toujours durer. Persuadé de la pré­
férence qui était due à son collègue, Licinius croyait la
lire dans le cœur de tous les peuples. Cette sombre
jalousie le porta à une espèce de désespoir et donna
l’essor à tous ses vices. Enfin il s’imagina que tous
les chrétiens de son obéissance étaient contre lui dans
les intérêts de son rival, qu’ils y mettaient le Ciel par
leurs prières, et que tous leurs vœux étaient à son
égard autant de trahisons et de crimes de lèse-majesté.
Prévenu de cette folle pensée, fermant les yeux sur les
châtiments funestes, qui avaient éteint la race des
persécuteurs et dont il avait été le témoin et même
le ministre, il n’écouta que sa colère contre les chré­
tiens. Il leur fit d’abord la guerre sourdement et sans
la déclarer; et puis bientôt, cessant de dissimuler, il
13 JANVIER 159

les persécuta ouvertement et avec fureur. Nombreuses


furent les victimes de sa rage impie.
Gomme il se trouvait en Mœsie, on vint lui dire
qu’un diacre de l’Église, nommé Hermyle, avait bien
l’audace de le tourner en dérision, lui et ses dieux.
Alors Licinius s’indigne contre ce chrétien insolent, et
il ordonne qu’au plus tôt on l’arrête et on le fasse
comparaître devant son tribunal. Là l’empereur inter­
roge Hermyle, il cherche, d’abord par des caresses,
ensuite par des menaces, à lui persuader de sacrifier
aux dieux, mais ne pouvant y réussir, il a recours aux
tortures, et comme le martyr demeure inébranlable, il
le fait jeter en prison.
Au bout de trois jours, mêmes efforts de la part de
l’empereur; nouvelles tortures de la part des bour­
reaux; mais aussi même patience invincible chez le
généreux soldat du Christ. Licinius, toutefois, n’a pas
encore désespéré de le vaincre, et c’est pourquoi il le
fait derechef ramener dans sa prison.
Cependant dans le triste lieu où il était enfermé,
Hermyle ne fut pas privé de toute consolation, même
de la part des hommes, car il avait retrouvé un ami
particulier dans Stratonique, son geôlier, et cet ami
compatissait tendrement à ses souffrances. C’est que
Stratonique était chrétien, quoiqu’en secret; il n’avait
pas osé jusque-là faire ouvertement profession de sa
foi, mais le moment n’était pas éloigné où, grâce aux
prières du martyr, il allait partager ses tourments et
sa gloire.
1 30 LES SAIJSTS MILITAIRES

Bientôt, pour la troisième fois, Hermyle comparais­


sait devant le tribunal de Licinius, et comme il n’avait
rien perdu de sa première énergie, le tyran furieux le
fit frapper sur le ventre avec tant de cruauté qu’en peu
de temps les entrailles du martyr furent mises à nu. A
ce spectacle Stratonique ne peut contenir son émotion :
une pâleur mortelle couvre- son visage et des larmes
tombent de ses yeux. On s’en est bien vite aperçu ; bien
vite aussi on a deviné la cause d’une si grande douleur
et tout de suite Stratonique est dénoncé à l’empereur
comme chrétien.
Un instant d’abord l’empereur crut qu’on voulait
plaisanter, mais, quand les réponses de l’accusé eurent
donné raison aux dénonciateurs, sa colère ne connut
plus de bornes. Sur-le-champ Stratonique est dépouillé
de ses vêtements et frappé impitoyablement à.coups de
verges. Pendant ce cruel supplice le martyr tournait les
yeux vers son ami et lui disait d’une voix suppliante :
« Cher Hermyle, je t’en conjure, prie pour moi le Sei­
gneur Jésus-Christ, afin qu’il m’accorde la grâce de
demeurer ferme dans la confession de son nom. » Cette
grâce lui fut, en effet, accordée, et même il aurait
expiré sous les coups, si le tyran, voyant l’acharnement
des bourreaux, ne l’eût fait à temps conduire en prison.
Le lendemain, Licinius, après avoir condamné Her­
myle à périr dans les eaux du Danube, faisait amener
Stratonique en sa présence et lui criait : « Crois-moi
donc, misérable que'tu es, crois-moi, et sacrifie aux
dieux, si tu ne veux, coupable d’un même entêtement,
13 JANVIER 161

subir le môme sort que ton ami! » Mais Stratonique


lui répondit : « Ah! certainement, ce serait avec juste
raison qu’on m’appellerait misérable, si mon ami
venant à mourir pour le Christ, moi, j ’avais bien le
cœur de lui survivre! Ne convient-il pas qu’après
avoir ensemble souffert sur celte terre, ensemble aussi,
nous allions jouir de la gloire éternelle? »
Licinius se sentant vaincu ne voulut pas en entendre
davantage. Il commanda d’enfermer Hermyle et Stra-
tonique dans un même filet et de les précipiter ainsi
dans le Danube. Il y avait trois jours que cet ordre
avait été exécuté lorsque les chrétiens recueillirent les
corps des martyrs sur les bords du fleuve et leur don­
nèrent une honorable sépulture dans un lieu peu
éloigné de la ville de Singidon, aujourd’hui Belgrade.
Les Grecs ont toujours célébré la fête de ces bienheu­
reux martyrs avec beaucoup de solennité.

S ources : L e M a r ty r o lo g e r o m a i n . — L es B o lla n d is te s au
13 janvier. — B a r o n i i A n n a le s (ab Aug. Theiner), annus
Christi 31 G. — M é m o ir e s ec clésia stiq u es de Tillemont, tome Y.
* 6 2 LES SAINTS MILITAIRES

LE BIENHEUREUX GODEFROI
COMTE DE KAPPENBERG, PUIS CHANOINE RÉGULIER DE
L’ORDRE DE PRÉMONTRÉ, CONFESSEUR
1127.

Godefroi naquit en 1097, au château de Kappenberg,


en Westphalie, résidence ordinaire des comtes du
même nom, qui possédaient de vastes domaines en ces
contrées. Il descendait, du côté paternel, de Charle­
magne, et sa mère était issue du sang des empereurs
d’Allemagne de la maison de Souabe. Les vertus chré­
tiennes étaient comme héréditaires dans la maison de
Kappenberg. Déjà le bienheureux Hermann, aïeul de
Godefroi, y avait fait fleurir la pureté et la simplicité
des mœurs des premiers temps du christianisme, et
plusieurs miracles opérés après sa mort avaient attesté
d’une manière irrécusable la sainteté de sa vie.
Godefroi marcha sur les traces de cet excellent
modèle. De bonne heure il se fît remarquer par sa piété
et par un éloignement prononcé pour les plaisirs et les
divertissements du monde. Sa naissance lui faisant
une espèce d’obligation d’embrasser la carrière des
armes, il entra, jeune encore, au service de l’empereur
Henri Y, en qualité d’officier de l’état-major.
Son courage et son exactitude lui frayèrent en peu
de temps la route des dignités militaires on était
tellement convaincu de son mérite, qu’il ne s’éleva pas
i 3 JANVIER 163

une voix lorsqu’on le vit parvenir aux grades les plus


honorables mais au poste élevé qu’il occupait, il
n’oublia jamais qu’il était chrétien et donna constam­
ment l’exemple de la plus grande modération. Ennemi
du faste et des plaisirs sensuels, il sut conserver son
cœur pur au milieu de la licence des camps. Sa probité
était si grande, qu’il ne se serait jamais permis une
ombre d’injustice envers le dernier des soldats. Il était
inflexible dans le maintien de la discipline militaire, et
obligea un jour un de ses officiers à restituer quelques
bœufs qu’il avait enlevés à un cultivateur de l’endroit
où il était en garnison. Il accompagna cet acte d’équité
d’une somme qu’il fit remettre à l’individu lésé, afin de
l’indemniser des pertes qu’il avait éprouvées par l’enlè­
vement de ses bestiaux. Sa sévérité ne dégénéra cepen­
dant jamais en barbarie; car il se montrait dans toutes
les occasions juste et bon, écoutant les plaintes que les
militaires lui adressaient et y faisant droit quand elles
étaient fondées.
Une conduite si louable lui gagna tous les cœurs et
en fit l’idole de l’armée. Jamais on n’avait vu un officier
plus habile et plus dévoué aux intérêts du prince ainsi
qu’au bien-être du soldat. L’empereur le chérissait
comme un fils et les soldats comme un père.
Ainsi, tout lui souriait dans la carrière difficile qu’il
parcourait avec tant de gloire ; il pouvait aspirer aux
plus hautes fonctions de l’État. Mais ce qui eût été
capable d’éblouir une âme ordinaire, ne put nullement
toucher un homme comme Godefroi. Au sein des
164 LES SAINTS MILITAIRES

grandeurs, au faîte des honneurs, il éprouva un vide


que ne pouvaient combler les biens de la terre. Son
âme ardente convoitait d’autres jouissances que celles
que le vulgaire trouve dans l’ivresse des plaisirs du
monde. Il reconnut le néant de ces espérances sur
lesquelles les mortels bâtissent le frêle édifice de leurs
vœux, et, saintement passionné pour des causes plus
nobles, il prit la généreuse résolution de se soustraire
à l’influence du monde et de quitter le service, sans
cependant faire part des projets qu’il avait formés dans
son cœur.
Cette retraite fît grand bruit à la cour et dans l’armée,
et fut diversement interprétée par les habiles de la
terre. Sans s’arrêter aux vaines clameurs des courti­
sans, Godefroi se retira dans une de ses terres et con­
tracta, quelque temps après, un mariage avec une
pieuse comtesse d’Arensberg, avec laquelle il vécut
pendant plusieurs années dans une union parfaite,
sans cependant en avoir d’enfants. S’il n’eût soupiré
qu’après le bonheur que peut goûter un époux dans
une union si heureuse, on pourrait dire que Godefroi
n’avait rien à désirer ici-bas. Il coulait des jours pai-
bles et tranquilles au sein du bonheur domestique,
lorsque saint Norbert, fondateur de l’ordre de Pré­
montré, vint prêcher dans les environs du château de
Kappenberg.
Norbert était, d’après le témoignage de saint Ber­
nard. l’un des hommes les plus éloquents de l’époque.
Issu d’une famille illustre, il avait paru avec avantage
13 JANVIER 163

à la cour de l’empereur Henri Y, où il s’était fait chérir


et admirer par ses brillantes qualités; mais, pénétré
du néant des vanités de la terre, il se retira dans une
solitude, partagea ses biens entre les pauvres, se fit
prêtre et prêcha la pénitence, surtout aux grands de
la terre. Ses prédications, soutenues par l’éclat d’une
éminente sainteté, causèrent un ébranlement général
en Allemagne. Une foule de seigneurs des premières
familles revinrent de leurs égarements et commencè­
rent une vie sérieuse. Godefroi n’avait pas besoin de
s’occuper de sa conversion, cependant il alla entendre
saint Norbert et se mit sous sa direction.
Il prit, après avoir fait de longues réflexions, la
résolution de se consacrer à Dieu. Mais il prévit de
puissants obstacles, car il ne s’agissait pas seulement
de renoncer au monde Godefroi voulait convertir ses
châteaux en autant de monastères et s’enfermer dans
l’un d’eux pour y vivre dans la pénitence. Pour effec­
tuer ce double projet, il avait d’abord besoin du con­
sentement de son frère, Othon de Kappenberg, parce
qu’ils possédaient en commun plusieurs domaines;
ensuite, il lui fallait obtenir la permission de sa jeune
épouse pour rompre les liens du mariage qui l’unis­
saient à elle.
Rien n’annonçait qu’il lui serait facile de vaincre
ces obstacles ; tout, au contraire, semblait présager
qu’il échouerait complètement dans son projet. Cepen­
dant Godefroi ne perdit pas courage. Il adressa au
Seigneur de ferventes prières pour le conjurer de fléchir
1C6 LES SAINTS MILITAIRES

les cœurs, jeûna fréquemment, fil des aumônes consi­


dérables et remit le soin de cette affaire à la Providence ;
puis, un jour qu’il croyait son épouse bien disposée à
écouter ses propositions, il se jeta dans ses bras et
lui fit en sanglotant la demande de consentir à ce qu’il
effectuât son pieux dessein. Quelle ne fut pas la sur­
prise de Godefroi lorsqu’il apprit de la bouche de cette
femme vertueuse que, loin de mettre des entraves à
son projet, elle songeait elle-même à se retirer du
monde, et qu’elle consentait à tout ce qu’il pourrait
entreprendre.
Heureux d’avoir surmonté cette première difficulté,
Godefroi vola près de son frère, duquel il obtint de
même la promesse de consentir à son projet; ce der­
nier manifesta même le désir d’entrer avec lui dans
l’ordre de Prémontré.
Les deux frères, d’accord sur tous les points, se
rendirent donc auprès de saint Norbert, auquel ils
firent part de leur généreuse résolution, ainsi que du
projet de convertir en monastère le château de Kap-
penberg, de vendre leurs autres domaines et de faire
construire, avec les sommes produites, deux autres
communautés, à llmsladt et à Varlar. Saint Norbert
consentit à tout, pourvu que les deux familles des
jeunes comtes et de la comtesse, épouse de Godefroi,
y consentissent. Cette clause était nécessaire, car le
comte Frédéric d’Arensberg, père de la jeune épouse
de Godefroi, s’opposa vigoureusement à ce projet.
Il traita de folie la résolution des trois personnes qui
13 JANVIER J 67

désiraient se retirer du monde. En vain employa-t-on


tous les moyens de persuasion pour l’amener à donner
son consentement, en vain des seigneurs de la cour lui
écrivirent-ils des lettres pressantes pour le supplier de
se rendre aux vœux de sa fille et de son gendre, tout
fut inutile. Frédéric alla même jusqu’à faire des
reproches à Norbert, comme si ce saint homme avait
abusé de la confiance que les deux frères lui avaient
témoignée pour les engager à entrer dans son ordre.
Godefroi supporta avec beaucoup de grandeur d’âme
ces contradictions, en persistant néanmoins dans sa
résolution ; on n’épargna rien pour l’abreuver de
dégoût; on attenta même quelquefois à ses jours, mais
il échappa à toutes ces poursuites par la protection du
Seigneur. Ces épreuves durèrent longtemps sans que
Frédéric se relâchât en rien de ses rigueurs contre
Godefroi, qui, de son côté, ne fut pas ébranlé par tant
de contradictions.
Enfin l’heure de la délivrance sonna Frédéric
tomba malade à son château d’Arensberg, au retour
d’une partie de chasse, et mourut quelques jours
après. Godefroi et son épouse exécutèrent alors leur
projet. Le château de Kappenberg fut converti en
monastère, et les deux frères y entrèrent en qualité de
simples religieux, sans vouloir accepter aucune charge
au milieu des moines pleins de ferveur.
Godefroi donna dans cette maison l’exemple des
plus éminentes vertus, et pratiqua au plus haut degré
les austérités prescrites par la règle de l’ordre. Son
468 LES SAINTS MILITAIRES

humilité était si grande qu’il ne pouvait souffrir les


marques de déférence que les religieux ne cessaient de
lui donner. Saint Norbert, qui connaissait tout son
mérite, l’envoya à Prémontré même, dans la maison
mère de l’ordre, où Godefroi passa quelque temps.
Mais la Providence ne lui permit pas de séjourner
longtemps dans cette communauté, car saint Norbert
ayant été nommé archevêque de Magdebourg, rappela
Godefroi, ainsi que son frère Othon, afin d’être à même
de profiter de leurs lumières et de les consulter.
Ce nouveau genre de vie ne convint pas à Godefroi,
car, ne pouvant plus pratiquer avec la même liberté
qu’auparavantles mortifications auxquelles il était habi­
tué, il vit sa santé se détériorer sensiblement; il tomba
malade, et, comme les médecins prétendaient que le
climat de Magdebourg lui était nuisible, Norbert le fit
partir pour Ilmstadt avec son frère. Dans cette maison,
Godefroi devint en peu de temps l’objet de l’admiration
publique. Se santé se rétablit un peu, et il profita de
cette amélioration pour reprendre ses anciennes aus­
térités. Il portait si loin l’amour pour les pauvres qu’il
se priva plus d’une fois du nécessaire pour soulager
les malheureux. Sa douceur inaltérable, son affabilité,
son empressement à rendre service et surtout sa
patience lui gagnèrent l’affection de tout le monde.
Il ne vivait pas pour lui-même, mais pour les autres.
On a prétendu, depuis sa mort, que ses mortifica­
tions étaient trop grandes pour qu’il pût parvenir à
un âge avancé; s’il en était ainsi, Godefroi n’en fut
13 JANVIER 169

nullement affligé, car il n’avait jamais désiré vivrelong-


temps. Le vœu le plus ardent de son cœur était de se
voir au plus tôt affranchi des liens du corps pour aller
respirer l’air du royaume céleste. C’est ce qui lui fit
dire aux religieux qui cherchaient à tempérer un peu son
ardeur pour la pénitence : « Je ne voudrais pas, pour
tous les biens de la terre, prolonger ma vie d’un seul
instant, car je ne soupire qu’après le bonheur de jouir
bientôt de mon Dieu. Là, je le verrai face à face, et je
pourrai le bénir et le glorifier dans tous les siècles. »
Son frère Olhon, qui prévoyait sa fin prématurée,
lui fit un jour de tendres reproches sur ses austérités :
« Mon frère, lui répondit-il, ne me plaignez point, si
ma dernière heure est proche, félicitez-moi, au con­
traire, car je sais ce que j ’ai à gagner à la mort. O
douce mort! quand viendras-tu détruire cette maison
de boue qui me retient encore captif dans cette vallée
de larmes? Viens, les coups me sont agréables ; ils me
délivreront des angoisses de la terre. »
Cependant sa maladie prit un caractère très alar­
mant, et il reconnut bientôt lui-même qu’il approchait
du terme de ses vœux. Il demanda aussitôt les sacre­
ments de l’Église qu’il reçut avec une piété angélique :
avant de communier, il demanda, d’une voix défail­
lante, pardon à toute la communauté des scandales
qu’il aurait pu lui donner ainsi que des peines qu’il
aurait pu causer à chaque religieux en particulier. Ces
bons moines fondirent en larmes et allèrent l’un après
l’autre lui serrer la main pour lui témoigner leur
SAINTS MILITAIRES. — T. I. 10
170 les saints militaires

amitié ; alors il fat content : il se fit étendre sur la dure


pour terminer, dans la posture d’un pénitent, sa sainte
carrière.
Plusieurs défaillances se suivirent coup sur coup et
lui annoncèrent sa prochaine délivrance a Soyez les
bienvenus, dit-il, messagers de l’éternité; vous qui
m’avertissez que tout va finir pour moi. » Il pressa
ensuite avec une tendre affection contre ses lèvres
l’image de Jésus-Christ, récita une prière, et s’endormit
du sommeil de la paix, le 13 janvier 1127, jour où
l’Église célèbre le baptême de Notre-Seigneur.
Il avait demandé comme une grâce d’être enterré
avec les habits de son ordre et sans pompe. On accéda
à son pieux désir; mais les marques de sainteté qu’il
avait données pendant sa vie portèrent les fidèles à
l’invoquer comme un puissant protecteur dans le ciel.
L’Église a solennellement reconnu le culte qu’on lui
rendait de temps immémorial. Le corps de ce bien­
heureux militaire et confesseur repose dans l’église
d’Ilmstadt, en Weltéranie. Godefroi est regardé comme
un des patrons de l’ordre de Prémontré.
Sa fête, au lieu de se faire le J3 janvier, jour empê­
ché par l’octave de l’Épiphanie, est transférée au 16 du
même mois, avec indulgence plénière, accordée par le
pape Benoît XIII.
S ources : L e M a r ty r o lo g e de l'O r d r e des C h a n o in e s R é g u lie r s ,
au 16 janvier. — L es B o lla n d is te s , au 13 janvier. — Le Paîge :
B ib lio th e c a P r æ m o n s tr a te n s is . — V i e des S a i n t s , par Godes-
card.
X IV 0 JOUR DE JANVIER

SAINT SABBA, PRINCE SERBE


MOINE ET ARCHEVÊQUE DE SERBIE, CONFESSEUR PONTIFE

1237.

Saint Sabba, premier archevêque de Serbie, éclaireur


de l’armée du Christ, et grand thaumaturge, était fils
d’Étienne Némania, grand-Jupan ou grand comte de
Serbie. Étienne, né en 1114 et fils de Tchomil, avait
d’abord reçu le baptême sacrilège des Patares et des
Bogomiles, mais plus tard, il reçut le baptême de
l’Église catholique, selon le rite grec, des mains de
l’évêque Léonce. Ce prince, devenu souverain autocrate
de Dioclétie, de Dalmatie, de Travonie, de Racie et de
tous les peuples d’origine serbe, pratiquait plusieurs
vertus éminentes, mais surtout l’humilité, la miséri­
corde et la charité. Il considérait le Pontife de l’an­
cienne Rome comme son père et il l’honorait en toutes
choses, comme on peut le voir par les lettres que son
fils Étienne, grand comte de Serbie, adressa au Souve­
rain Pontife, Innocent III (1).
Étienne Némania avait épousé une princesse, douée
(1) « Romanum tamen imprimis Pontificcm coluit, et loco patris
in omnibus habuit, ut videre est ex litteris Stephani ejus filii,
172 LES SAINTS MILITAIRES

des plus belles qualités, Anne, fille de Romanus, empe­


reur grec. De cette union naquirent trois fils, Étienne,
Volkan et Rastko. Ce dernier, dont la naissance avait
été ardemment désirée, avait été appelé de ce nom au
baptême (du verbe rasti, croître), afin qu’il pût grandir
dans le bien du Seigneur. Lorsqu’il fut sevré, ses pa­
rents le confièrent aux soins des savants pour lui appren­
dre à lire dans les livres sacrés. Il y réussit à merveille,
car c’était un enfant d’une perception rapide, naturel­
lement gai, d’une figure charmante, aimé de tout le
monde et adoré de ses parents. Rien qu’à le voir on se
sentait l’âme réjouie, et l’on se disait l’un à l’autre:
« Certes, ce sera l’homme le plus éminent de son
pays », et l’on ne se trompait pas, puisque Dieu le
destinait à éclairer son pays des lumières de la vraie
foi. A l’âge de quatorze ans, son père lui donna à gou­
verner une province de l’empire, et attacha à son ser­
vice des hommes capables non seulement de lui faire
apprendre les choses indispensables à tout homme qui
doit régner un jour, mais aussi la morale, l’amour du
vrai et la miséricorde. Grâce à ses maîtres habiles,
Rastko, éclairé par le Saint-Esprit, reconnut que le
commencement de la vraie sagesse, c’est la crainte de
Dieu. Il évitait tous ces divertissemenis désordonnés
qui énervent l’âme et le corps; ne recherchant que
Dieu, son but unique; il y faisait converger toutes ses

magni Japani Serviæ ad Innocentium III, summum Pontificem


datis, etc. » (Ex Vita S. Sabbæ, apud Boll.)
14 JANVIER 173

pensées, soit qu’il assistât aux prières dans des sanc­


tuaires, avec tous les sentiments de dévotion, de crainte
de Dieu et d’humilité, soit qu’il méditât les merveilles
dë la commisération du Fils de Dieu envers les hommes,
soit, enfin, qu’il voulût y conformer sa vie, absorbé dans
la contemplation de la mort, du jugement dernier, de
l’enfer et du royaume céleste. Rastko méprisait toutes
les jouissances de ce monde.
Lorsqu’il eut atteint sa dix-huitième année, ses
parents se proposèrent de le marier. Par hasard ou
plutôt par un effet de la Providence divine, cela coïn­
cida avec l’arrivée d’une mission de vénérables moines
du mont Athos, envoyés à la cour de son père, pour y
rechercher l’aumône. Le jeune prince s’en réjouit vive­
ment, car il affectionnait le saint état monastique. Il ne
tarda pas à apprendre que parmi les envoyés, il y avait
un prêtre, russien d’origine et très versé dans les
matières de la vocation religieuse et de la vie de
privations. Rastko se ménage une entrevue avec lui,
et là, sans témoins, il lui demande des renseignements
sur les anachorètes du mont Athos et le mode de vivre
des dévots qui l’habitent. Puis, il lui dévoile ses pen­
sées les plus intimes ainsi que son projet de s’enfuir
avec eux, en priant le prêtre de ne point en parler à
qui que ce fût et de garder soigneusement le secret.
Au récit que le prêtre lui fit de toutes les particularités
de la règle monastique, Rastko, émerveillé et attendri,
fondit en larmes et supplia le vénérable vieillard de
favoriser son dessein. Alors celui-ci, admirant l’amour
SAINTS MILITAIRES, — T. I. 10.
174 les s a in ts m il it a ir e s

dont le jeune prince brûlait pour la cause de Dieu, lui


dit : « Mon fils, je vois ton âme plongée dans les pro­
fondeurs de l’amour divin; hâte-toi de réaliser tes
projets, qui ne manqueront pas de te profiter aussi bien
qu’aux tiens. Pendant le voyage, je t’accompagnerai
moi-même pour te soigner et te conduire j usqu’au mont
Athos. Espérons en Dieu; seulement pourvois-toi d’un
bon cheval de course, et partons d’ici au plus tôt. »
A ces paroles, le jeune homme, plein de joie, va
trouver ses parents, et les prie de le bénir sous le
prétexte de vouloir prendre part à une chasse aux bêtes
fauves, dont on organisait la battue dans les monta­
gnes voisines du château : « Que Dieu et sa bénédiction
disent-ils, soient avec toi, cher fils; qu’il te défende et
qu’il aplanisse le chemin sous tes pas. » Pour mieux
rassurer ses parents, Ratsko fait aussitôt envoyer dans
la montagne son équipage de vénerie avec ordre d’y
préparer la battue. Il sort du château avec ses gentils­
hommes, en indiquant le lieu du rendez-vous. En effet,
ils y arrivent, et après s’être divertis en sa compagnie
jusqu’au soir ils s’endorment d’un sommeil profond*
Alors Rastko court rejoindre son moine affidé et ils
partent secrètement.
A la nouvelle de la disparition de son fils, Étienne
Némania est frappé de consternation et d’une immense
douleur; il appelle auprès de lui plusieurs jeunes
seigneurs, et il leur ordonne de se rendre jusque dans
les réduits les plus reculés du mont Athos. Ceux-ci par­
tent aussitôt, chevauchent jour et nuit, arrivent enfin
14 JANVIER 475

dans l’intérieur delà montagne sainte, et là s’enquièrent


près de tous ceux qu’ils rencontrent, leur décrivant la
taille élancée du jeune prince, sa belle figure et autres
particularités de son extérieur. On répondit « Peu de
temps avant votre arrivée celui que vous cherchez s’est
renfermé dans le monastère russien de Saint-Pantaléon,
et y demeure depuis. A cette nouvelle, les officiers de
l’ambassade se dirigent au plus vite vers le monastère
désigné. Ils y entrent inopinément et y trouvent celui
qu’ils recherchent, ce qui les réjouit au point que,
dans l’enivrement de leur joie, ils oublièrent le malaise
et les fatigues d’un si lointain et si rapide voyage. Après
avoir pris du repos, ils se demandèrent l’un à l’autre
comment ils devraient s’y prendre pour le ramener à
la maison paternelle. Ils furent d’abord d’avis de lui
mettre les menottes, mais le cœur leur manqua et ils
eurent honte de porter la main sur leur maître! Ils
usèrent donc le moins possible de violence, se conten­
tant de disposer des sentinelles, de manière qu’il fût
sévèrement gardé à vue. En même temps, ils firent
reposer hommes et chevaux, pour pouvoir regagner
leurs foyers au premier signal.
Comme le jeune prince observait tout cela, le vaïvode
chef de l'ambassade, lui dit : « Si lorsque nous t’avons
découvert, toi notre seigneur, nous t’eussions trouvé
ayant déjà embrassé l’état monastique, nous eussions
eu tous deux un prétexte pour ne pas agir et différer
l’exécution de nos instructions; mais, puisque, par la
volonté de Dieu, nous te voyons tel encore que tes
176 LES SAINTS MILITAIRES

parents le désirent, comment pourrais-je éluder leurs


ordres? C’est pourquoi, je t’en supplie, mon seigneur,
de n’y plus penser, viens avec nous, tes esclaves,
content et heureux de pouvoir calmer la douleur de tes
parents. Je dois pourtant déclarer que dans le cas où
tu serais d’un avis contraire, et ne voudrais retourner
de bon gré, j’ai reçu l’ordre de te charger de chaînes
et de t’y conduire par force. »
Le tzarévitch, ayant entendu cette menace et voyant
le vaïvode inébranlable dans sa fidélité à son souverain
feint d’acquiescer à ses désirs et le remercie avec effu­
sion, mais en même temps, inspiré par la sagesse de
son cœur, il combine une œuvre de pieuse ruse, et il se
propose de surpasser le vaïvode en adresse. A cet effet,
il supplie l’égoumène (abbé du monastère) de leur faire
préparer un festin somptueux, comme s’il voulait se
réjouir avec le vaïvode et ses nobles, et ne les laisser
retourner chez eux que le lendemain. Le jeune prince
communique son projet à l’égoumène, et le prie
d’ordonner aux moines du monastère de commencer
le soir même à chanter les matines.
Sur ces entrefaites, les dispositions nécessaires étant
prises, les convives s’assoient à une table somptueuse.
Le jeune prince les sert de ses propres mains et, leur
versant du vin, il égaie ses illustres hôtes par des
joyeusetés. Le souper s’étant prolongé bien avant dans
la nuit, l'égoumène ordonna de faire résonner le maillet
du monastère, car c’était un jour férié; puis, s’étant
levé, il se rendit avec le jeune prince à l’église, pour
14 JANVIER 177

assister aux prières. Ils furent suivis par le vaïvode


ainsi que par tous ceux qui se trouvaient présents. Les
chants et les lectures se prolongeant plus que de cou­
tume, les assistants, y compris les nobles préposés à
la garde du prince et le vaïvode, succombèrent au
poids du sommeil et s’endormirent.
Le jeune prince avec son regard pénétrant s’aperçut
aussitôt de l’état où se trouvaient ses gardiens. Il se
leva, et, après avoir salué le saint autel, déclara qu’il
voulait accomplir les vœux faits au Seigneur. Aussitôt
qu’il eut reçu la bénédiction de l’égoumène, il choisit
un moine dans le nombre des religieux revêtus du
sacerdoce. Tous deux étant montés sur une colonne
qui se trouvait dans l’enceinte du monastère, et où il
y avait une chapelle sous l’invocation du prophète
saint Jean, précurseur du Christ, le très pieux tzaré-
vitch s’v enferma et s’écria d’une vdix ravie de bonheur :
« Maintenant je te remercie, ô Dieu, inépuisable dans
tes libéralités! Désormais je t’exalterai, ô bonté su­
prême, comme tu m’as élevé! » De son côté, le moine
ayant prié, lui coupa les cheveux; il le revêtit de la
dalmatique si ardemment désirée, et changea son nom
de Rastko en celui de Sabba. Le jeune homme, heu­
reux de son nouvel état, remercia beaucoup le Créateur
du bienfait qu’il avait daigné lui accorder en accom­
plissant le désir de son cœur pacifique.
Pendant ce temps, les lectures se terminent, tous
les fidèles se retirent. Alors les guerriers qui gardaient
le prince s’éveillent en sursaut et le cherchent, sans
178 LES SAINTS MILITAIRES

pouvoir le trouver ni à l’église ni dans le monastère,


grâce à sa métamorphose; dépités et furieux, ils se
mutinent, ils se ruent sur les prêtres et les accablent
de coups. Au bruit de l’émeute, qui grondait terrible
comme un orage, et aux cris plaintifs des saints pères,
battus sans pitié, le tzarévitch, caché dans sa colonne,
fut ému, et il craignit que l’ardeur de la vengeance
n’aboutît au meurtre. Aussi se penche-t-il du haut de
sa colonne, et il s’écrie : « Me voici! je suis celui que
vous cherchez », et il reproche au vaïvode et à ses
officiers leur conduite. Ceux-ci ne savaient que lui
répondre : seulement s’étant rapprochés de la colonne,
ils l’entourèrent et gardèrent toute la nuit. Le lende­
main, en plein jour, le vénérable Sabba, se penchant
du haut de la galerie, appela le vaïvode et ses nobles
compagnons et parut devant eux dans son habit de
moine. Le voyant dans cet état, frappés d’épouvante et
comme privés de parole, ils tombent tous le visage
contre terre, l’arrosant de larmes amères. Ils y demeu­
rèrent longtemps plongés dans les perplexités et le
désespoir, tandis que le prince-moine chantait l’hymne
du Seigneur, en disant : « O mon âme, glorifie le Sei­
gneur, qui m’a revêtu du vêtement de sa miséricorde. »
Les guerriers sanglotant relèvent enfin la tête, et re­
gardent le vaïvode qui, d’une voix forte et accentuée,
s’écrie : « Prince, comment pouvez-vous mépriser une
tendresse et une sollicitude semblables à celles que
vous témoignent vos parents, le tzar et la tzarine, qui
vous chérissent comme leur fils unique, plus que la
14 JANVIER 179

prunelle de leurs yeux, et vous préfèrent à la couronne


impériale et même à leur vie! Vous l’espoir et la joie
d’un peuple tout entier qui attend votre règne, com­
ment avez-vous pu vous laisser séduire par un moine
vulgaire? Ne craignez-vous donc pas que votre père,
outragé d’une manière si éhontée, ne vienne ici venger
l’insulte, et vous arracher de cette colonne, après avoir
écrasé vos suborneurs sous le poids de la toute-puis^
santé main de son peuple, qui brûle du désir de se
venger? »
Le tzarévitch frissonna de peur à la vue de l’extrême
irritation de tous les guerriers, et redoutant la possL
bilité d’une nouvelle attaque de leur part, il essaya de
les calmer par des paroles affectueuses. « Ne croyez
pas, leur dit-il, que j’aie prisé mes aises personnelles
au-dessus du bien-être du peuple, ou que d’ignobles
sentiments de mépris pour l’amour filial et la tendresse
due aux parents, m’aient poussé à fuir le monde, les
hommes et ma famille, jusqu’au fond de ce désert. Ah !
s’il m’était donné de pouvoir ouvrir mon cœur devant
vous, je serais certainement excusable aux yeux de tout
le monde et en même temps justifié! Mais maintenant*
c’en est fait ; vos efforts ne sauraient me profiter, non
plus que les larmes et les sanglots de mes parents*
Retournez là où le devoir vous appelle, saluez-y mes
chers parents ainsi que mes frères bien-aimés; qu’ils
ne s’affligent plus à cause de moi; qu’ils ne m’en veuil­
lent pas, je suis toujours de la famille* » Ensuite il
leur jette ses vêtements princiers et des poignée,s de
180 LES SAINTS MILITAIRES

boucles des cheveux blonds dorés qu’on lui a coupés,


en disant « Prenez ces signes et emporlez-les comme
autant d’incontestables preuves que vous m’avez trouvé
vivant, moi, Sabba de nom, moine de Dieu. » Il y joi­
gnit un message préparé d’avance, qu’il adressait à ses
parents. Alors le vaïvode et ses nobles compagnons,
ayant recueilli ces divers objets, partirent pour regagner
la Serbie. Quand ils furent éloignés, le saint descendit
du haut de sa colonne, remercia Dieu d’abord, puis
courut saluer l’égoumène et tous les frères, les conju­
rant de ne pas lui en vouloir de la brutalité qu’ils avaient
soufferte de la part des soldats et du vaïvode. Heureux
d’avoir souffert pour le tzarévitch, les moines oublièrent
vite leurs ressentiments et leurs meurtrissures.
La nouvelle se répandit aussitôt sur toute la surface
du mont Athos. On se racontait comme quoi le fils du
grand comte Étienne, autocrate de Serbie, avait quitté
son père, glorieusement régnant, et comme quoi, par
amour de la vie monacale et de la cellule d’anachorète,
il était venu vivre à l’image des anges. Tout le monde
voulait le voir. Le jour de la grande fête du monastère
de Vatopède (dit impérial, ou le plus important du
mont Athos), anniversaire de l’Annonciation de la très
sainte Vierge, mère de Dieu et notre souveraine, on
lui envoya une invitation de la part du prieur de ce
vénérable monastère, afin de jouir en communauté de
la bénédiction des prières du jour, et de participer aux
gloires du culte de l’immaculée Mère de Dieu. En y
arrivant, il reçut l’accueil le plus amical de la part de
14 JANVIER 181

tous. Le nouveau venu chanta avec les frères tous les


cantiques relatifs à la solennité, puis il visita le monas­
tère dans tous ses détails, et s’y fixa avec bonheur.
Après un assez long temps, Sabha demanda à l’égou-
mène de le laisser aller visiter les monastères et les
moines du mont Athos. Celui-ci, heureux de ce que
le jeune prince avait consenti à habiter le monastère
impérial, lui permit de s’absenter. Alors Sabha visita
tous les ermitages et cellules des pénitents (jeûneurs).
Il fit ensuite pieds nus le pèlerinage qu’il souhaitait
d’accomplir depuis longtemps au sommet de la sainte
montagne. Il y passa à genoux toute une nuit en prières,
veillant et adressant à Dieu des supplications qui jail­
lissaient du fond de son cœur attendri, faisant pleuvoir
de chaudes et joyeuses larmes sur la cime la plus
élevée d’Athos. Il fit ensuite le tour de la montagne, y
visita plusieurs pénitents qui ne vivaient que de fruits
et de l’herbe des champs, glorifiant Dieu nuit et jour,
n’ayant d’autre soin que de satisfaire la volonté divine.
Après avoir tout vu, le vénérable P. Sabha revint dans
son monastère.
Longtemps après, il vint chez l’égoumène et lui de­
manda la permission de vivre en ermite sur l’Atbos.
L’égoumène lui dit : « Ignores-tu donc que partout l’on
connaît déjà ton illustre origine? Si tu étais attaqué dans
ce désert, c’est à nous, quoique innocents, que l’on s’en
prendrait, à cause de ce désir téméraire. Ne fais donc
pas cela, reste avec nous et tu ne t’en trouveras que
mieux. » Le saint obéit à l’égoumène, et lui répondit :
SAINTS MILITAIRES. — T. I. 11
182 LES SAINTS MILITAIRES

(( Que la volonté de Dieu repose sur nous. » Tout le


inonde l’aimait et l’admirait pour son humilité. Il pas­
sait ses journées à aider les frères dont il faisait l’ou­
vrage, et passait la nuit en prières qu’il récitait chaque
heure, se privant de sommeil. Son manger et son boire
n’étaient que du pain sec et de l’eau, encore en usait-il
fort modérément, pour dompter les révoltes du corps.
En hiver, il souffrait beaucoup, car il ne portait qu’un
léger vêtement de crin et marchait toujours sans chau-
sures. La plante de ses pieds s’était durcie au point
qu’il ne craignait plus de se heurter aux cailloux.
L’égoumène et tous les prêtres, témoins de ces absti­
nences et mortifications dont il harcelait son corps
délicat, admiraient le zèle qu’il montrait pour cétte
rude vie monacale, lui fils de roi qui avait été élevé et
avait grandi dans le luxe et l’abondance.
Mais interrompons un instant l’histoire du jeune
prince, pour dire quelques mots de ses parents. Quand
le vaïvode leur eut appris ce qui était arrivé, ils furent
frappés au cœur comme d’un coup d’épée et tombèrent
par terre sans connaissance. Enfin, remis de sa défail­
lance, le souverain ne dissimule pas son ardent désir
de venger l’insulte dont cet événement flétrit l’honneur
de son empire. « Que l’on m’apporte mon vieux casque
et mon cimeterre », s’écrie-t-il d’une voix courroucée,
« j’irai en essuyer la rouille sur la tête de ces moines ! »
Tous les seigneurs qui l’entourent se jettent à ses
genoux, le suppliant de maîtriser les émotions de son
cœur paternel, qui pourraient être funestes à son corps
1 4 J A N V IE R 183

affaibli par l’âge. Ils parvinrent à le calmer. Aussitôt le


tzar prit le deuil et commanda que tous les membres
de sa famille le prissent avec lui. On voila de noir la
couronne, le globe (royaume) et tous les insignes qui
avaient appartenu à Rastko. Il pleura d’abord avec la
tzarine, accablée de douleur; ensuite ils baisèrent à
plusieurs reprises les blonds cheveux de leur cher fils.
Leurs regards ne se détournaient de ces objets que
pour y revenir aussitôt. Quelques heures après, la cour
et la ville se vêtirent de deuil, pour partager l’affliction
du souverain.
Étant après cela revenus à de meilleurs sentiments,
la crainte de Dieu ayant trouvé accès dans leurs âmes,
ils se dirent les âmes de nos jeunes enfants nous de­
vancent dans leurs aspirations vers le beau et le bon;
ainsi en a disposé le Seigneur, qu’il en dispose désor­
mais selon son bon plaisir, et que son nom soit béni à
présent et toujours 1Alors ils envoyèrent beaucoup d’or
pour subvenir, aux besoins du tzarévitch, disant
« Notre fils doit être abondamment pourvu de tous les
biens. Qu’il ne manque de rien pendant son séjour à
l’étranger. » Ils y joignirent des sommes d’argent pour
être distribuées aux vénérables Pères qui vivaient dans
la pauvreté et aux indigents qui viendraient le voir au
mont Athos. Le tzar lui écrivit aussi un message, où il
lui dit: « Dans mes prières je te recommande au ciel ;
notre maison est dans tes mains, enfant de Dieu; nos
âmes et nous tous dépendons de ta volonté. O bien­
heureux 1 tes vertus font l’admiration de tes parents *
184 LES SAINTS MILITAIRES

qui, dans la prière, ont trouvé un soulagement à leurs


souffrances. Daigneras-tu les honorer de ta visite?
Dans ce cas nous te promettons de ne plus mettre
aucun obstacle à ton retour dans la solitude. » Sabba
reçut la lettre de ses parents, la lut avec d’abondantes
larmes, remercia Dieu, le suppliant longuement de
bénir ses parents. Il accepta l’or, mais il n’en dépensa,
à son usage personnel, que ce qui fut nécessaire pour
s’acheter du pain et un froc. Du reste, sa vie exemplaire
au mont Athos, ressemblait à celle de saint Thomas,
aux Indes. Il "parcourait nu-pieds les déserts et les
monastères, distribuant de l’or, et s’édifiant au ciel un
palais invisible, qu’il appelait de tous ses vœux, espé­
rant y demeurer éternellement avec son père; et, en
effet, ils y habitent maintenant! Sabba, de retour à son
monastère de Vatopède, reprit ses premiers exercices.
Quelque temps après il reçut une nouvelle lettre de
ses parents qui le priaient instamment de revenir en
Serbie. A cette occasion, ils lui envoyèrent de l’or en
plus grande quantité que précédemment, en particulier,
de très riches présents pour le monastère de Vatopède.
Une partie des sommes envoyées fut distribuée par
Sabba aux pauvres, et le reste employée à de pieuses
constructions. Tout cela une fois accompli, il écrivit à
ses parents une lettre dans laquelle il disait : « Écoute-
moi, mon saint père, prête l’oreille à ton fils que tu ai­
mais autrefois, écoute la voix de son cœur ! Déjà maintes
fois, dans ton royaume de la terre, tu as agi en véri­
table apôtre, renversant les temples du démon, érigeant
14 JA N V IE R IBS

les sanctuaires de Dieu. Grâce à ces efforts, toutes les


terres de ton empire brillent déjà des lumières delà vraie
foi : tu en as chassé les loups de l’hérésie. Maintenant
je te supplie, mon père, je t’en conjure par tes véné­
rables cheveux blancs, ose encore une fois ! Accomplis
le dernier des commandements que le Sauveur nous a
légués, disant : « Celui qui veut me suivre renoncera
« à tout ce qu’il possède et à lui-même; il prendra sa
« croix de souffrance, et il me suivra dans l’humilité. »
Puisse mon conseil, ou plutôt celui du Christ, puisse-t-
il être agréé par toi! Méprise le royaume de la terre et
ses richesses, et prends le chemin de l’humilité que j ’ai
déjà frayé; suis-moi, et, loin de ta patrie, viens vivre
avec moi dans ce désert. Alors, mais seulement alors,
Dieu aura embelli ton front d’une double couronne de
gloire, comme roi et comme saint. Alors ta vue et ton
amour auront réjoui mon âme de même que j’aurai
réjoui la tienne, ô mon père... »
A la réception de cette lettre, le père se leva de son
trône et s’inclina .comme devant quelque sainte relique.
Puis il baisa l’écrit, et, après l’avoir déployé, il ne
pouvait le lire, à cause des larmes d’attendrissement.
Enfin, maîtrisant son émotion, il lisait et il en admirait
la rédaction et l’énergie des expressions. Incontinent,
il expédia des courriers à tous les grands seigneurs,
chefs des armées et autres nobles gouverneurs de
l’empire, pour leur enjoindre de se réunir en grand
conseil auprès de lui au jour convenu. Cependant, et
avant qu’ils ne s’assemblassent, le tzar mit l’ordre
186 LES SAINTS MILITAIRES

dans ses finances et dans sa maison impériale. Il fit


distribuer d’abondantes aumônes aux pauvres, aux
malades et aux vieillards infirmes. De tous côtés, il
vint une telle quantité de seigneurs et de nobles de
toutes conditions et des deux sexes, qu’on ne savait
plus où les loger dans la ville. Au jour désigné pour
la convocation, l’autocrate se présenta au milieu 'de
l’assemblée, et, se .tenant d’abord debout, il ordonna
de lire à haute voix l’écrit en question.
Après la lecture, il leur tint ce discours « Amis,
frères et enfants, vous connaissez tous les détails de
ma vie. Depuis son premier jour, elle s’est heureuse­
ment écoulée au milieu de vous; j ’ai élevé chacun de
vous comme un fils chéri; je vous considérais comme
mes amis. Je me plais à vous rendre ici ce témoignage
que, vous aussi, vous m’étiez toujours respectueuse­
ment soumis et fidèles. Tous ensemble et unis en Dieu,
nous défendîmes nos vies et nous sauvegardâmes
l’intégrité de notre empire contre les empiétements
de nos ennemis. Ce n’est pas en mettant notre espé­
rance dans nos arcs et dans nos bras que nous fûmes
sauvés, mais bien par la fermeté de notre foi au Père
et Fils et Saint-Esprit, réunis dans un seul Dieu. De
par la puissance de la vénérable croix du Sauveur,
nous terrassâmes nos ennemis. Maintenant je supplie
chacun de vous et je vous lègue ceci Éclairés par
notre foi dans la sainte, l’unique, la vivifiante et
l’indivisible Trinité, conservez-la pure et libre du
contact de toutes ces hérésies que nous avons victo­
14 JANVIER 187

rieusement repoussées. Obéissez et soyez fidèles à


celui que, Dieu aidant, je laisse à ma place pour vous
gouverner avec amour; je vous prie et vous recom­
mande, à vous tous, petits et grands, d’obéir à ses
ordres comme vous avez obéi aux miens. Honorez
dûment les sanctuaires de Dieu et ceux qui l’y servent.
Bref, faites ce que vous êtes habitués de me voir
faire. » Ces paroles de l’autocrate émurent, et en
même temps étonnèrent tous les assistants, qui en
ignoraient encore le motif; or, pour éclaircir leurs
doutes, il ajouta : « Membres du conseil, que j’aime et
que Dieu m’a donnés, vous venez d’entendre ce que
m’écrit mon fils; il me renie, déclarant qu’il ne me
verra plus de ma vie si je ne le suis dans le désert.
En effet, j ’ai bien assez de ces jouissances du pouvoir
suprême et de ces joies d’ici-bas, que j’ai partagées
avec vous jusqu’à ce jour. J’en appelle à vos sentiments
d’affection pour moi, et je vous prie de me laisser
m’en aller vivre avec mon fils en portant ma croix
derrière lui. »
Cette déclaration, faite devant tous, fut suivie d’un
tonnerre de cris de détresse et de désespoir qui écla­
tèrent tout à coup, accompagnés de clameurs, de
sanglots et de supplications des seigneurs, qui n’épar­
gnaient ni les larmes ni les plus douces paroles pour
détourner le prince de son projet de départ. Il ajouta :
« Je vous en supplie, tranquillisez mon cœur et ne
m’empêchez point, car je ne saurais plus supporter
l’éloignement de mon fils, qui est, après Dieu, mon
188 LES SAINTS MILITAIRES

père spirituel, mon maître et mon guide. » Là-dessus


retentit un cri unanime : « Que la volonté du Seigneur
soit faite! » Alors l’autocrate appelle son fils aîné,
Étienne, et aussi l’évêque Kyr Callinique. Entourés de
tout le clergé et de tous les seigneurs, ils entrent dans
l’église des saints apôtres Pierre et Paul. Après le
service divin, l’évêque et l’autocrate imposèrent les
mains à Étienne, proclamé dès lors souverain et auto­
crate de Serbie. Le couronnement du nouveau tzar se
fit avec tout le cérémonial usité, et la joie se ranima
aussitôt que chacun des assistants, récompensé selon
ses mérites, eut été congédié à son tour. Le lendemain
de cette mémorable journée, le père, accompagné de
son fils, le tzar nouvellement oint, l’évêque, la tzarine
mère et leurs enfants, partirent pour le monastère de
Stoudénitza, fondé et doté par lui. Après une messe
célébrée par l’évêqne Callinique, le tzar père reçut la
tonsure monastique et changea son nom d’Etienne en
celui de Syméon le moine. Son épouse, la grande-
duchesse Anne, reçut la tonsure et prit le nom
d’Anastasie la moinesse. Elle rassembla une congré­
gation de filles et s’enferma avec elles dans un monas­
tère de religieuses. Quant à Syméon, il resta avec les
autres moines, dans le monastère de Stoudénilza,
pour accomplir la loi des jeûnes.
Peu de temps après, il prit beaucoup d’or et des
vases destinés au service divin, et se mit en route
pour la montagne sainte d’Athos, afin d’y rejoindre
son fils, le bienheureux Sabba. Il y arriva après un
14 JANVIER 189

heureux voyage et fut reçu dans le monastère de


Yatopède avec tous les honneurs dus à son rang; le
bienheureux Sabha était au comble de ses vœux.
Bientôt, tous les égoumènes et les Pères délégués
exprès arrivèrent, au nom de leurs monastères, pour
voir et embrasser le vénérable ex-roi, déjà connu
comme leur bienfaiteur généreux et leur aide dans le
besoin, par l’entremise de son fils. Le saint père et son
fils Sabba les pourvoyaient tous à pleines mains. Plus
tard, le bienheureux Syméon, accompagné de son fils,
entreprit une tournée dans le mont Athos, pour visiter
en pèlerin tous les saints monastères, et il fit partout
d’amples aumônes à tout le monde. De retour à Yato­
pède, il s’occupa de faire réparer les constructions du
monastère qui étaient en mauvais état. Sur ces entre­
faites, il arriva que l’égoumène eut besoin d’aller voir
l’empereur Alexis, son parent, pour quelques récla­
mations concernant son monastère. Or, comme c’était
une affaire de grande importance, l’égoumène, qui
avait peu d’espoir d’y pouvoir réussir personnellement,
consulta les frères, et ceux-ci résolurent tous ensemble
d’envoyer à sa place le très sage Sabba. Il se laissa
fléchir et ne tarda pas d’arriver à Constantinople.
L’empereur, enchanté du plaisir de voir le saint, le
reçut avec tous les honneurs dus à un ange, messager
de Dieu, et souscrivit volontiers à toutes ses demandes;
il lui accorda, entre autres choses, la propriété du
monastère de Khilandar, situé dans la montagne
sacrée, mais alors en ruines. De retour à Yatopède,
SAINTS MILITAIRES. — T. I. 11.
490 LES SAINTS MILITAIRES

Sabba fit part à ses frères de l'heureuse issue de ses


démarches, et bientôt, grâce à ses soins et aux libé­
ralités de son vénérable père, le monastère de Khi-
landar fut rétabli dans son ancienne splendeur.
Cependant, le vénérable Syméon envoya à son fils
l’autocrate, par l’entreprise de l’égoumène Méthodius,
une prière accompagnée d’une sainte eulogie et d’une
croix d’honneur qu’il portait jadis lui-même surl’épaule,
lors de ses campagnes victorieuses contre les héré­
tiques. Il y avait aussi un message écrit et ainsi conçu :
« Homme aimé de Dieu et serviteur du Seigneur,
esclave fidèle de Jésus-Christ et mon fils chéri ! Avec
cette première bénédiction que je te donne, je fais le
vœu que tu puisses régner en Dieu sur mon trône.
Avec l’eulogie, tu recevras une vénérable croix du
Christ. Puisse-t-elle te défendre, te conserver, et, en
assurant le salut de ton âme et de ton corps, servir
en même temps de bouclier à la patrie et l’aider à
triompher de ses ennemis visibles et invisibles, pour
toi-même et pour ta race, de génération en génération I
Comme Dieu le Père protégea David contre Goliath, et
son fidèle serviteur, l’empereur Constantin, de même,
puisse cette vénérable croix du Christ, vous couvrir,
vous fortifier et vous sauver partout et éternellement.
Amen. »
Le vénérable Syméon vécut longtemps encore dans la
pratique des bonnes œuvres et des vertus monastiques.
Enfin, ayant le bonheur de plaire à Dieu, il vit s’appro­
cher sa dernière heure. Il appela près de lui son fils chéri,
Vi JANVIER 191

lui disaut « Le temps de mon départ d’ici-bas vient


d’arriver, enfant bien-aimé; tu as déjà beaucoup fait
pour le salut de mon âme, mais c’est à présent surtout
que j ’ai besoin de ton aide, car je sais que Dieu t’accorde
tout ce que tu lui demandes. « A ces tristes paroles le
bienheureux Sabba, les larmes aux yeux, se jette au
cou du vieillard « C’est à moi de te prier, dit-il, ô
mon maître et père, de me secourir. De même que
pendant la vie, grâce aux ferventes et pieuses prières
que tu adressais au ciel, j ’ai vécu exempt de tous les
maux, et comme sous l’aile d’un ange, de même, puis­
que tu retournes auprès du Christ, continue à me
couvrir là-haut de tes prières, que Dieu aime à
exaucer; continue-les jusqu’à la fin de mes jours.
Ne nous oublie pas, n’abandonne aucun de nous,
ni tes enfants selon l’esprit, ni tes parents selon la
chair, ni notre patrie, ni notre église; travaille pour
nous tous! » A cela, le vénérable Syméon répondit
« Quant à moi, j ’ignore s’il me sera donné de contem­
pler le Christ, ni s’il daignera m’encourager au point de
pouvoir intercéder en votre faveur. » Il posa les deux
mains sur Sabba, le bénit, et l’entoura de ses bras en lui
donnant le dernier baiser. Voyant tous les frères avec
l’égoumène, réunis autour de son lit, il appelait chacun
par son nom, les bénissait et se recommandait à leurs
prières. Après les avoir congédiés, il leur défendit de
venir chez lui jusqu’au lendemain matin. Ensuite il
participa aux saints mystères, récitant à haute voix
ses actions de grâces. Il eut un paroxysme de fièvre.
192 LES SAINTS MILITAIRES

L’agonisant était sur le point de rendre le dernier


soupir, et c’est à peine s’il pouvait soulever sa main
vers l’image du Christ et de la très sainte Vierge qu’il
regardait avec joie. Il avait l’air d’accompagner les
chants de quelqu’un, mais on ne put comprendre
que les derniers mots qu’il prononça d’une voix forte et
claire : « Que tout ce qui respire loue le Seigneur ! » et
il s’endormit en Dieu, comme d’un sommeil paisible le
13 février de l’an 1200. On l’enterra ensuite dans un
sarcophage de marbre, dans l’église, après les chants
•d’usage. Les aumônes que le bienheureureux Sabba
distribua aux pauvres, en mémoire du défunt, furent
immenses.
Quelque temps après, il prit la résolution de se con­
sacrer au silence. Il choisit donc à Carey un terrain
propre à l’exécution de son projet et il s’y fit bâtir un
ermitage de silence, avec une chapelle. Cloîtré dans cette
retraite, il y resta dans un mutisme absolu, s’oubliant
soi-même et n’obéissant qu’à l’amour de Dieu, pour
courir après les conquêtes de l’âme, mener une vie
dure, jeûner au-delà des limites des forces humaines,
veillant des nuits entières, couchant dans un fossé,
méditant à genoux, le cœur contrit, avec des larmes
incessantes et des prières jaillissant du fond de l’âme.
Cependant à force de s’humilier et de plonger dans les
profondeurs de l’amour divin, il compromit sa santé
à un tel point que son estomac, affaibli par des jeûnes
excessifs, ne pouvait plus supporter aucune nourriture
solide; mais il souffrait avec des sentiments de grati­
14 JANVIER 193

tude, ne voyant qu’une épreuve de plus envoyée par


Dieu, et aimant mieux mourir d’un effort aussi sublime
que de donner prise à des passions charnelles. Souvent
il priait Dieu de lui faire savoir si son père jouissait
déjà des gloires célestes. Une nuit, il vit apparaître le
bienheureux Syméon, marchant en compagnie de quel­
ques figures éblouissantes de lumière, couronné d’une
gloire ineffable et d’une auréole de rayons solaires, et
lui disant « Pourquoi te tourmenter ainsi et te cha­
griner après moi, fils chéri? Réjouis-toi plutôt et sois
heureux de ce que, sur ta demande, le Seigneur Dieu
t’envoie cette vision à mon sujet. Contemple l’immen­
sité de ces gloires dont le bon Dieu m’a enrichi, en
m’octroyant la faveur de participer au règne du Christ. »
Alors Sabba se sentit tout rempli d’aise, de joie et
d’ineffables délices; il croyait être non pas sur la terre,
mais au paradis.
Ensuite le saint désireux de contribuer à populariser,
pendant sa vie, la gloire de son père, supplia le Sei­
gneur de manifester par quelque signe extraordinaire
la félicité et la puissance dont il jouissait dans le ciel,
et bientôt il convoqua tous les vénérables Pères des
monastères et du désert de la montagne sainte, pour
honorer sa mémoire dans le couvent de Khilandar.
Après avoir orné l’église et le tombeau du bienheureux,
il reçut le prote, c’est-à-dire le supérieur général des
moines, l’introduisit dans l’église, et lui dit « Moi
et mes compagnons serbes, nous monterons sur la
tour de l’église de Saint-Jean le précurseur, pour y
194 LES SAINTS MILITAIRES

faire la vigile. Vous, saint père et tous les vôtres, réu­


nis dans la basilique, vous y chanterez les matines et
des cantiques près du tombeau de mon père. Si Dieu
veut glorifier son serviteur par quelque signe extraor­
dinaire, appelez-moi, je viendrai aussitôt. » Or voilà
que le prote et ceux qui avec lui chantaient les
matines dans la basilique, s’aperçoivent que le sanc­
tuaire s’est rempli soudain d’un parfum suave au-delà
de toute expression : c’était une myrrhe odorante qui
découlait du sarcophage du bienheureux Syméon. On
envoie chercher Sabba. Le saint arrive avec une joie
ineffable, tout en larmes, glorifiant et remerciant Dieu;
il étreint dans ses bras le sarcophage et le couvre de
baisers comme si c’était son père lui-même. Le prote
commença par se frotter tout le corps de la sainte huile
et à s’oindre les organes des cinq sens, puis il en oignit
Sabba et tous les assistants. Parmi eux il y avait des
infirmes et des gens atteints de diverses maladies, qui,
se sentant tout à coup guéris, glorifièrent Dieu, le
remerciant, lui et ses élus. La sainte messe étant
finie, le prote avec tous les égoumènes' et les vieillards
appela saint Sabba, lui donna la bénédiction et lui
recommanda de rédiger la vie de son bienheureux père,
pour l’édification des générations à venir. En même
temps il établit une fête en sa mémoire, le 13 février,
jour anniversaire de son décès. Le saint, après leur
avoir donné l’hospitalité, les congédia comblés de
présents, et continua de rendre grâces à Dieu. Ayant
rempli une fiole de myrrhe, il l’envoya en guise d’eu-
14 JANVIER 195

logie à son frère Étienne l’autocrate, et dans une lettre


il lui raconta les preuves delà faveur divine récemment
accordée à leur père. Enfin il gratifia ses frères moines
de quelques paroles inspirées par le Saint-Esprit et il se
retira dans son silencieux ermitage de Carey. Le prote,
voyant le bienheureux Sabba rempli de vertu et de
sainteté, et capable de servir de guide aux autres
pour les conduire au salut, fit beaucoup d’instances et
lui conseilla de recevoir l’ordre sacerdotal. Le saint y
consentit, et Nicolas, évêque de Hiérisie et du mont
Athos, ordonna et consacra saint Sabba diacre et
prêtre. Il advint quelque temps après, que le saint fut
obligé de s’absenter pour les affaires de son monastère.
Durant son voyage il fut élevé à la dignité d’archiman­
drite de Khilandar et consacré en cette qualité par
l’archevêque métropolitain et plusieurs autres évêques
dont il était accompagné. Après quoi le saint revint à
l’Athos dans son monastère.
L’autocrate Étienne, frère de saint Sabba, aussitôt
qu’il eut reçu sa lettre et la myrrhe, les salua et les
baisa respectueusement, avec des expressions de recon­
naissance envers Dieu qui venait d’octroyer une si
haute faveur à leur père. Il fit appeler l’archevêque et
tous les seigneurs du royaume, et ordonna de leur
donner la lecture de la lettre. A la nouvelle d’une si
grande manifestation de la faveur divine et des mira­
cles opérés sur la tombe du bienheureux Syméon leur
père, tous s’étonnaient et remerciaient Dieu. Après
quoi, il arriva que le prince Volkan, frère de l’autocrate
196 LES SAINTS MILITAIRES

Étienne, leva l’étendart de la révolte contre ce souve­


rain. Alors celui-ci supplia Sabba de revenir en Serbie
avec les restes vénérables de leur père, dans l’espérance
d’obtenir par ce moyen la protection du Ciel contre
ses ennemis. Sabba se rendit à ses désirs, et ce fut au
milieu d’une allégresse ineffable que les saintes reli­
ques furent portées jusqu’au monastère de Stoudénitza,
où elles furent déposées dans un nouveau tombeau de
marbre. Le tzar les avait accompagnées depuis les
frontières du royaume. Pendant les cinq jours consé­
cutifs, ce n’étaient que des ovations, des prières publi­
ques et des fêtes. Après quoi chacun regagna ses
foyers. Saint Sabba et les moines, amenés par lui du
mont Athos, restèrent à Stoudénitza, attendant le jour
anniversaire de la mort du bienheureux Syméon, afin
de le célébrer en son honneur et de ne s’en retourner
qu’après avoir dûment accompli ce pieux devoir. Le
13 février, jour consacré à la mémoire du bienheureux,
le grand-Kniaze Étienne, avec tous les évêques, prêtres,
seigneurs et nobles, arriva au monastère de Stoudé­
nitza. Une foule de dévots, accourus de différents pays,
remplissaient l’église. Mais voici que tout à coup, pen­
dant la grand’messe, l’église se remplit d’un merveil­
leux parfum, suave au-delà de toute expression : C’était
la myrrhe qui découlait en abondance des reliques du
bienheureux. Le peuple glorifiait Dieu et son élu. Après
le service divin et les honneurs rendus à la mémoire
du défunt, saint Sabba s’approcha du tombeau paternel,
et fit une prière accompagnée de larmes pour exprimer
14 JANVIER 197

sa reconnaissance. Il oignit son visage et celui de l’au­


tocrate, et de tous ceux qui se trouvaient présents.
Plus d’un malade fut guéri, dès qu’il eut été oint de la
myrrhe des reliques du bienheureux. Sains et joyeux,
ils regagnèrent leurs foyers.
Quelques jours après, le saint fît souvenir l’autocrate
des devoirs qui rappelaient au mont Athos Sabba et
les moines venus avec lui. A ces mots, la joie d’Etienne
se changea en tristesse. Il se mit à pleurer amèrement,
et avec tous ses seigneurs, il supplia le saint, disant :
« Ne nous quittez pas dans ce moment d’épreuves, ô
notre saint père et frère! Pour Dieu et pour l’amour de
notre père Syméon, restez ici, dans notre monastère de
Stoudénitza, et soyez-y le chef de vos frères, non pour
ajouter à votre gloire, mais afin de nous corriger de
tous nos défauts, œuvre pour laquelle Dieu vous a
envoyé ici. » Or, entraîné par les sentiments de son
excellent cœur, Sabba se laissa fléchir et répondit
« Que la volonté du Seigneur soit faite! » L’autocrate
et tous ses seigneurs, ravis de joie, se sentirent aussi
heureux que s’ils eussent gagné un immense trésor.
Alors on convint que, sous ses auspices, le monastère
serait nommé retraite ou laure de Saint-Syméon, et
que désormais son chef serait revêtu de la dignité
d’archimandrite. En acceptant la direction de ce mo­
nastère, Sabba ne changea rien ni à ses aspirations pour
la vie ascétique du désert, ni à ses travaux habituels.
Au. contraire, il renchérit sur ces derniers, et non seu­
lement sa vie servait de modèle aux moines, mais
198 LES SAINTS MILITAIRES

encore on le voyait parcourir à pied toutes les pro­


vinces de sa patrie, prêchant en véritable apôtre toutes
les vérités de la religion. Il opéra plusieurs miracles et
guérisons, soit par des prières, soit par des onctions
avec la myrrhe qui découlait du tombeau de son père.
Il réconcilia aussi ses frères Yolkan et Étienne en
détruisant les sujets d’inimitié qui les divisaient.
Le saint, après un séjour prolongé à Stoudénitza,
bien qu’à l’apogée de la gloire et des honneurs, regret­
tait ses heures de silencieuse retraite au mont Athos,
et ses prières qui, partant du cœur, éclairaient sa raison
et entretenaient la vie de Taine. Il résolut donc d’y
retourner, mais Étienne ne voulut consentir à son
départ que lorsque Sabba eut promis de revenir vivre
en Serbie. En arrivant à son monastère de Khilandar,
le saint y fut l’objet de nombreuses visites des Pères
du mont Athos qui, dans son arrivée, voyaient celle
d’un ange céleste, et accouraient tous pour le voir et
l’embrasser. Sans plus tarder, il se retira dans son
silencieux ermitage de Garey, réjoui en esprit et savou­
rant les délices d’une vie toute consacrée aux pensées
divines. L’autocrate Étienne, son frère, lui écrivait
souvent pour le rappeler en Serbie. Sabba ne voulant
pas renoncer au vœu du silence, préférait causer du
chagrin à son frère pour un temps plutôt que d’offenser
Dieu. Après quoi, par les motifs inhérents à la volonté
divine, la myrrhe des reliques du bienheureux Syméon
cessa tout à coup de couler. L’autocrate s’en affligeant
beaucoup, Sabba lui envoya le moine Hillarion avec
14 JANVIER 199

deux lettres, l’une pour le tzar et l’autre pour le


bienheureux Syméon. Arrivé en Serbie, Hillarion ne
tarda pas à se rendre au monastère de Stoudénitza où
le tzar avait voulu l’accompagner. Après la célébration
des saints mystères, le moine s’approche de la tombe
du bienheureux, et l’ayant encensée devant tout le
peuple réuni, il se penche sur le cercueil, puis, comme
s’il s’adressait à un vivant,'il lit d’une voix haute, mais
douce et suppliante, la lettre de saint Sabba. Tout de
suite, après cette lecture, on vit la sainte myrrhe
déborder et découler du tombeau et des reliques, avec
une telle profusion que toute l’église s’emplit comme
autrefois d’un parfum exquis et délicieux. A la vue
d’un si glorieux miracle, tout le peuple fut dans l’ad­
miration et chacun des assistants fut oint par les
mains du vénérable moine, avec la sainte myrrhe
fraîchement découlée, dont ils recueillirent quelques
gouttes pour les garder chez eux comme une chose
sainte et bénie.
Quelques temps après ces événements, Théodore,
évêque de Serbie, étant mort, le tzar Étienne envoya
supplier Sabba de le remplacer. Celui-ci s’y refusa
d’abord longtemps, mais enfin il céda aux prières de
son frère et aux vives instances de tout son peuple.
Alors Sabba se rendit à Constantinople, y reçut la con­
sécration épiscopale des mains du patriarche et en
même temps juridiction sur toutes les populations de
langue serbe. Dans cette circonstance l’empereur traita
le saint avec beaucoup d’honneur et d’affabilité, tant à
200 LES SAINTS MILITAIRES

cause de ses vertus, que pour sa parenté, car Radoslav,


son cousin, avait épousé la fille de l’empereur.
A son retour dans le mont Athos, les Pères appre­
nant qu’il était archevêque, accoururent près de lui,
joyeux et en même temps affligés de son départ pro-.
chain. Ils voulaient recevoir sa bénédiction et lui
donner le baiser d’adieu. Sabba les accueillit comme
auparavant, dans son monastère de Khilandar, leur
prodigua sa bienveillance, ses consolations et ses dons,
et après qu’il se fut recommandé à leurs prières, il se
mit en route pour la Serbie. En quittant la montagne
sainte, il se retournait souvent tout en pensant à ceux
qui y vivaient comme des anges dans la chair, et à la
vie qu’il y avait menée lui-même, dans le silence et
loin des distractions mondaines ; il pleurait et s’avançait
brisé de douleurs. A l’entrée de la nuit, il vit apparaître
devant lui là très sainte Vierge, qui le releva de son
abattement et réconforta son âme par ces paroles
« Pourquoi t’affliger ainsi? Ne suis-je pas ton aide et
ton garant auprès du souverain Dieu, mon Fils? Sus,
relève-toi de ta langueur, et aborde courageusement
l’œuvre pour laquelle Dieu t’a choisi. Le saint, remis
du trouble que lui causa cette vision, sentit son cœur
déborder d’aise et de joie ineffable, et il poursuivit sa
route avec allégresse. Arrivé à Salone, il dépêcha un
messager pour prévenir de son arrivée le tzar Étienne
qui l’attendait depuis longtemps. L’autocrate, qui souf­
frait alors d’une maladie cruelle, envoya à sa rencontre
ses fils avec les dignitaires du clergé et les seigneurs
14 JANVIER 201

de la cour. Ceux-ci, l’ayant joint à la ligne des fron­


tières grecques, le conduisirent avec de grands hon­
neurs chez le tzar. Étienne, malade et pouvant à peine
marcher, vint l’embrasser, et avec la bienvenue du
saint tous ses chagrins se convertirent en allégresse. Le
saint se fit donner de l’eau qu’il bénit lui-même et dont
il aspergea son frère. Puis il lui en donna à boire, lui
imposa les mains, le couvrant de ses baisers et de ses
larmes, et voici que tout à coup l’autocrate fut complè­
tement guéri.
Sabba, après s’être remis des fatigues du voyage, se
relira au monastère de Stoudénitza. Entré dans l’église
il fit ses saluts accompagnés de larmes, et couvrit de
baisers la tombe de son père. Il bénit l’égoumène, les
Frères et tous les assistants. Quelques jours après, il se
rendit dans la ville de Gidtcha, siège métropolitain, d’ou
il écrivit à l’autocrate son frère, le priant de venir le
rejoindre avec les évêques, le clergé et les seigneurs.
Au jour convenu, en présence d’un peuple nombreux,
le saint, assis sur le trône, à côté de l’autocrate, déclara
à toute l’assemblée les motifs de la convocation et lui
adressa un pieux discours. Gomme c’était la veille du
jour de la fête de l’Ascension, après la vigile, tous les
évêques réunis, l’archevêque présidant, ils célébrèrent
la liturgie sacrée : Au moment propice pour le sacre du
tzar, l’archevêque fit signe au grand-Kniaze ou comte
Étienne de s’approcher du maître-autel où il l’atten­
dait. Après avoir récité sur lui les prières du sacre, et
l’avoir oint de myrrhe sainte, il le revêtit de la pourpre
202 LES SAINTS MILITAIRES

impériale, lui posa la couronne sur la tête, remit


le sceptre et le globe entre ses mains et le ceignit du
glaive des tzars (la couronne était celle que l’auto­
crate Étienne avait obtenue du pape Honorius III avec
le titre de roi). Puis il le proclama kral ou roi de
Serbie. L’imposition des mains terminée, l’archevêque
dit à haute voix : « Vive le premier couronné roi de
Serbie, Étienne l’autocrate, trois fois vive le roil » Tous
les seigneurs, les nobles et le peuple saluèrent leur
monarque en s’écriant « Qu’il vive de longues an­
nées 1 » Tous ceux qui étaient présents furent invités, à
leur sortie de l’église, à un festin magnifique. Le jour
suivant, après l’office divin, le saint engagea ses
ouailles à se rendre à l’archevêché pour assister au
sermon, dans lequel il s’étendit longuement sur les
commandements divins, la morale, la vérité, la cha­
rité, après quoi il leur dit de se retirer en paix. Saint
Sabba fit ensuite une tournée dans toutes les provinces
de sa patrie. Fils dévoué de la sainte Église romaine,
comme l’avait été son père, il ne se contentait pas de
réprimer les désordres, les mauvaises mœurs et les
scandales, il combattait encore avec vigueur l’esprit de
schisme qui depuis longtemps déjà désolait ces con­
trées ; grâce à son zèle on vit refleurir partout la piété
catholique.
Cependant le roi de Hongrie, ayant entendu comme
quoi le roi de Serbie avait été couronné sans son con­
sentement, et sachant que jusqu’alors la Serbie n’avait
eu aucun roi couronné, fut jaloux de tant de gloire. 11
44 JANVIER 203

envoya donc des ambassadeurs au roi Étienne, et, en


dépit de la paix et de l’amitié, lui déclara la guerre.
Étienne n’avait aucune envie de briser les liens de
bonne entente qui les unissaient, ni de voir le sang inu­
tilement versé de part et d’autre. C’est pourquoi il en­
gagea son frère Sabba d’aller en mission chez le roi de
Hongrie. Le saint y consentit et réussit à rétablir la
paix et la bonne amitié d’autrefois. Le roi de Hongrie
se prit même dans cette circonstance d’un tel amour
pour le saint qu’il voulait le voir souvent à sa cour,
pour jouir du charme de sa parole instructive et élo­
quente. Attendri et contrit il le supplia d’être son père
spirituel, et de vouloir bien recevoir l’aveu de ses
péchés, qu’il ne pouvait plus lui cacher. Grande fut la
joie du saint en recevant la confession du roi. Celui-ci,
grâce au traitement habile et efficace du médecin de son
âme, se sentit guéri de la lèpre d’hérésie dont son
âme était infectée. Ce fut comblé de présents, que saint
Sabba revint dans sa patrie.
Quelque temps après son retour, le roi, son frère,
tomba gravement malade, et mourut. On porta son
corps au monastère de Stoudénitza et on l’y enterra
honorablement dans un tombeau de marbre près de
son père; Ce fut alors que saint Sabba y fit à Radoslav,
fils aîné d’Étienne, l’onction royale, le couronna roi de
Serbie et lui donna de bons conseils. Quelques mois
après, le saint témoigna le désir d’aller en pèlerinage
à Jérusalem. Le roi Radoslav fournit les frais du voyage
et l’illustre pèlerin atteignit la ville sainte en peu de
204 LES SAINTS MILITAIRES

temps. Il en visita toutes les stations, y laissant des


dons; puis il se rendit aux rives du Jourdain et enfin
vint saluer le monastère de Saint Sabba rilluminé.
Quand il eut satisfait sa dévotion et acquis maintes
reliques, il s’embarqua à Saint-Jean d’Acre sur un na­
vire qui aborda providentiellement en peu de temps
en Bithynie, où l’empereur grec, Joannès Batatz,
lui donna un de ses vaisseaux pour le transporter
au mont Athos. Saint Sabba, arrivé dans la montagne
sacrée, alla se reposer dans son monastère de Khi-
landar. Après avoir édifié et consolé l’égoumène et ses
frères, il célébra la messe, embrassa avec une affec­
tueuse piété le tombeau de son père, saint Syméon,
donna à tous des paroles de bénédiction et de paix, et
poursuivit sa route vers la Serbie.
A la nouvelle de l’approche du saint, le roi Radoslav
se hâta, avec les évêques et les nobles d’aller à sa ren­
contre. Ils l’accompagnèrent d’abord jusqu’au monas­
tère de Stoudénitza. Là le saint célébra une messe
pour le repos de l’âme de son frère Étienne dont il fit
ensuite transporter le corps à l’archevêché de Gidtcha,
pour l’y déposer dans un tombeau de marbre. Après
cela le vénérable archevêque fit une tournée dans l’in­
térieur du royaume, consolidant l’église, soignant le
troupeau, guérissant et consolant chacun.
A quelque temps de là, il arriva que le roi Radoslav,
pour expier quelques fautes, prit la tonsure monas­
tique, et son frère Yladislav lui succéda (1230) au
trône de Serbie. Sabba oignit et couronna le nouveau
14 JANVIER 20o

roi, et lui fit épouser la fille d’Aciène, roi des Bulgares.


C’est à cette occasion que Yladislav reçut sa bénédic­
tion et commença la construction du monastère de
Milochévo, sous le nom de l’Ascension de Notre-
Seigneur. Le saint, voyant sa nation prospérer sous
une administration habile, les églises riches et embel­
lies, voulut quitter encore une fois sa patrie pour
finir ses jours sur la terre étrangère. Il réunit donc le
roi, les évêques et les seigneurs, et après leur avoir
donné ses instructions, il déclara qu’il serait remplacé
sur son siège archiépiscopal par l’un de ses disciples,
Arsénius, qu’il avait lui-même choisi. Tout cela étant
exécuté, le saint dit à tous des paroles de paix et de
bénédiction, et il partit avec quelques-uns de ses disci­
ples, emportant de l’or et de l’argent pour les frais de
route et les aumônes à distribuer dans les lieux saints
et aux indigents.
Nous ne suivrons pas le saint dans ses pérégrinations
qui furent longues et fatigantes ; il suffira de dire qu’il
parcourut tour à tour la Palestine, l’Égypte, l’Arabie,
la Babylonie et la Grande-Arménie. Partout il était reçu
avec honneur, même par les princes infidèles, répan­
dait autour de lui d’abondantes aumônes, édifiait tous
les peuples par ses vertus, et, plus d’une fois, Dieu
avait manifesté la sainteté de son serviteur, par des
miracles qu’il avait accordés à sa foi vive et ardente.
De l’Arménie, qu’il visita en dernier lieu, le saint se
rendit au bord de la mer, et y rencontrant un navire
nolisé pour Constantinople, il s’embarqua. Pendant la
— T. 12
206 LES SAINTS MILITAIRES

traversée, il tomba malade à la suite de ses fatigues


excessives et du roulis du vaisseau, ballotté par une
mer houleuse. Ses disciples étaient au désespoir de
ne pouvoir aborder pour le reposer un peu. Le saint,
voyant leurs larmes et leur chagrin, dit « Mes
enfants, ne vous dérangez ni ne vous affligez point,
j’ai confiance en Dieu, il ne vous arrivera aucun
malheur. » En effet, il aborda bientôt à Tzaragrad et
se rendit immédiatement au monastère d’Everguétessa.
Il n’y demeura que le temps nécessaire pour se remettre
des fatigues de la route. Puis il se rendit à Ternov,
chez son ami le tzar Aciène. Dès que ce dernier eut
appris la nouvelle de son arrivée, il s’empressa de
sortir à sa rencontre avec tous les hauts dignitaires,
lui donnant force marques d’honneur et d’amitié. La
ville entière prit part à cette grande et triomphale joie.
Gomme c’était en hiver, le tzar le logea chez lui, dans
une aile du palais bâti pour la saison froide. Le jour
de l’Épiphanie, le tzar et le patriarche Joachim, pour
témoigner leur haute estime au saint, le prièrent
d’officier aux vêpres et à la grande bénédiction de
l’eau du lendemain, cérémonie qui était réservée au
patriarche.
Après la fête, le tzar alla chasser la bête fauve. Le
saint tomba gravement malade, et, pressentant sa fin
prochaine, appela près de lui ses disciples. Il leur
remit tous les objets sacrés qui lui appartenaient et
un écrit renfermant les détails de ses dernières volontés.
11 les chargea de sa bénédiction et de paroles de paix
14 JANVIER 207

pour le roi Yladislav, l’archevêque Arsénius, son


successeur, et pour chacun de ses compatriotes. Le
patriarche bulgare, venu au chevet du malade et
voyant sa fin prochaine, lui dit « Permettez-moi
d’informer le tzar de votre maladie. » Le saint le
supplia de ne pas déranger le tzar, disant : « Laissez-
moi rendre tranquillement mon esprit au Seigneur. »
Il reçut les saints sacrements. A minuit, sa figure
brilla et rayonna comme celle d’un ange. Le saint,
très pâle, dit « Dieu soit loué en toutl » Il expira,
et l’air se remplit d’un parfum délicieux (14 décem­
bre 1237). Le patriarche lava lui-même le cadavre
pour le revêtir de ses habits pontificaux. Dès le matin,
accompagné de tout son clergé et des hauts dignitaires,
il conduisit les saintes dépouilles à l’église en chantant
des psaumes. On en informa le tzar, lui demandant où
il fallait l’enterrer : « En Bulgarie, répondit le tzar, au
monastère des Quarante-Martyrs de Sébaste, » et il fit
distribuer beaucoup d’or pour les funérailles et pour
les pauvres. L’inhumation se fit en grande pompe, le
14 janvier. Par l’ordre de l’empereur, on éleva au
saint un tombeau du plus beau marbre, recouvert d’un
drap de pourpre, où l’on tenait des cierges et des
lampes allumées jour et nuit. Quelque temps après,
Arsénius, archevêque de Serbie, demanda au roi
Yladislav à transférer les reliques du saint en Serbie.
Le roi s’en chargea lui-même, et, pour cela, se rendit
chez son beau-père Aciène, roi de Bulgarie. Celui-ci
ne consentit qu’avec beaucoup de peine à cette trans­
208 LES SAINTS MILITAIRES

lation. Avant le départ, on ouvrit le cercueil du saint,


et l’on trouva le corps parfaitement conservé, la figure
gaie et rayonnante de sainteté; on l’eût dit endormi.
Les cheveux et la barbe, intacts, exhalaient une suave
odeur. Divers malades furent guéris dès qu’ils touchè­
rent les précieux restes. On les mit dans un coffre de
grand prix et, pour éviter les violences de la populace,
le roi les prit avec lui, dans une voiture d’Aciène,
escortée par des gens bien armés. Le tzar offrit de
riches présents à son gendre et à sa suite, et leur fit
ses adieux.
Sur les frontières de Serbie, ils furent reçus par
l’archevêque Arsénius, le clergé et des délégués de
toutes les classes de la nation, qui vinrent au devant,
avec des cierges et des lampes, chantant des psaumes.
Ce magnifique convoi arriva au monastère de Milo-
chévo, nouvellement bâti par Vladislav. On déposa les
reliques dans la cathédrale. Pendant la veille de nuit,
les messes et les dévotions solennelles, le peuple
accourut baiser les reliques, et plusieurs malades
furent guéris, pour la plus grande gloire du Père, du
Fils et du Saint-Esprit. Amen.
Il y avait trois cent cinquante-huit ans que le corps
du bienheureux Sabba était conservé dans son entier,
sans aucune trace de corruption et dans l’état même
où il se trouvait après la mort du saint, lorsque les
Turcs l’arrachèrent de son tombeau pour le livrer aux
flammes; c’était en 1595. La mémoire de saint Sabba
a toujours été en vénération dans l’Église catholique.
14 JANVIER 209

La vie de saint Sabba, écrite par son disciple Domé-


tian (célèbre en 1264), n’a été éditée qu’une seule fois,
ce semble, et par l’évêque Givkovich, à Vienne, en 1794.
Malheureusement, l’éditeur cherche à satisfaire ses
rancunes schismatiques plutôt qu’à donner la repro­
duction fidèle du texte, qu’il avoue lui-même avoir
abrégé et épuré, et c’est ainsi qu’il a supprimé les
passages qui constatent l’action que l’Église romaine
exerçait alors dans les pays professant aujourd’hui le
rite gréco-slave. Notre travail n’est lui-même, en
grande partie et sauf quelques additions prises d’ail­
leurs, qu’un abrégé de la vie publiée par Givkovich;
cette vie nous ayant paru mieux ordonnée et plus
intéressante que la vie du bienheureux Sabba écrite
au treizième siècle par Jean Thomé Marnavitz, et
reproduite par le savant Bollandus, dans les Acta
Sanctorum . Du reste, elles s’éclairent et se complètent
l’une par l’autre, et on peut les consulter toutes deux
avec fruit.

S ources au 14 janvier. — L é g e n d e s
L e s B o lïa n d is te s ,
s la v e s d u m o y e n âge (1169-1237). L e s N é m a n i a . V ie s d e s a in t
S y m é o n et d e s a in t S a b b a , traduites du paléo-slave en fran­
çais, avec le texte en regard, par A. Ghodzko. — J. Mar-
tinov. A n n u s e c c le sia stic u s g r æ c o -s la v u s , dans les A c t a
S a n c t o r u m (édition Palmé), octobre, t. XI, p. 43 et suiv.

SAINTS MILITAIRES. — T. I 12.


X V e JOUR DE JANVIER

SAINT EPHYSE, OFFICIER ROMAIN


MARTYR

Sous Dioclétien.

Ephyse était né à Jérusalem, alors appelée Elia-


Gapitolina, d’une famille très distinguée dans cette
ville par son rang et ses richesses. 11 perdit de bonne
heure son père qui était chrétien et qui mourut en paix
dans la foi de Jésus-Christ. Mais sa mère, demeurée
païenne dans le fond de Taine, ne manqua pas de
rélever dans le culte des idoles et lui fit donner, d’ail­
leurs, une éducation brillante. C’était une femme am­
bitieuse qui ne rêvait pour son fils que gloire, honneurs,
richesses. Aussi, lorsqu’elle le vit en âge de porter les
armes, alla-t-elle le présenter elle-même à Dioclétien,
suppliant cet empereur de vouloir bien le prendre à
son service. Dioclétien, charmé de la bonne mine du
jeune homme, accéda facilement aux désirs de sa mère
et lui donna un rang parmi ses gardes.
Au bout de quelque temps, Ephyse, qui était doué
de très belles qualités, avait conquis les bonnes grâces
de son prince, et celui-ci, pour le récompenser de son
mérite, lui confiait un emploi important dans l’armée.
15 JANVIER 211

Cependant vint le moment où la grande préoccupa­


tion de Dioclétien était l’anéantissement du christia­
nisme. Alors il mande Ephyse, le fait entrer dans ses
vues et lui commande de passer en Italie avec quelques
troupes; une fois là, il aura pour mission spéciale de
poursuivre les chrétiens et de les contraindre à obéir
aux décrets des empereurs.
Docile à la voix de son chef, et l’assurant de son
entier dévouement, Ephyse part aussitôt, aborde
heureusement en Italie et ne songe plus qu’à exécuter
les ordres qu’il a reçus. Mais Dieu attendait le nouveau
Saul sur la route d’un autre Damas : à lui aussi une
voix se faisait entendre dans les airs, l’invitant à
suivre Jésus-Christ, en même temps qu’une croix lu­
mineuse apparaissait, l’éblouissait, et achevait de faire
entrer la foi dans son âme.
Devenu chrétien, Ephyse éprouva le besoin non seu­
lement d’adorer, mais de faire adorer ce qu’il avait
autrefois blasphémé; l’occasion s’offrit bientôt à lui
d’employer son zèle pour Jésus-Christ. Ayant appris, à
son arrivée en Italie, qu’une peuplade sauvage, en­
nemie de Dieu et des hommes, infestait l’île de Sar­
daigne et y insultait à la religion et aux mœurs, il
résolut aussitôt une expédition et une descente dans
ces parages désolés. Ayant rencontré les ennemis qu’il
cherchait dans la province de Nora, ses prières, plus
que ses armes, lui. obtinrent une entière victoire sur
eux. Puis, réunissant ceux que la défaite avait dis­
persés, il les gagna à Jésus-Christ. Ensuite, il se di­
212 LES SAINTS MILITAIRES

rigea vers Gagliari, capitale de Pile, pour y combattre


le culte des idoles et faire renoncer à l’erreur ceux
qu’il trouverait engagés dans ses funestes liens.
Mais des lettres accusatrices vinrent bientôt ap­
prendre à Dioclétien l’usage qu’Ephyse faisait de son
pouvoir. 11 envoie le gouverneur Julius lui en deman­
der compte. Julius emploie les supplices, comme tou­
jours, pour le ramener, suivant les ordres qu’il a reçus
au culte des idoles. Enfin, après avoir longtemps 'souf­
fert sans se plaindre, le saint demande à être conduit
au temple d’Apollon. « C’en est fait, le voilà vaincu,
disent les païens. » On l’y conduit, il se jette à genoux
et se met en prières devant l’édifice, qui, bientôt,
croule avec fracas depuis le faîte jusqu’aux fondements.
Dans son épouvante, la foule des assistants s’enfuit
précipitamment en désordre, et Julius lui-même, non
moins épouvanté qu’elle, remet toute l’affaire entre les
mains du juge Flavien. Ce juge fit, à son tour, tout ce
qu’il put pour vaincre la constance du martyr mais, à
la fin, voyant que tous ses efforts étaient inutiles, il lui
fit trancher la tête. On pense que l’exécution eut lieu le
15 janvier, mais on ne sait pas bien en quelle année.
Il existe à Gagliari, dans la partie occidentale de la
ville, un souterrain profond que les habitants appel­
lent la prison de notre saint m artyr. Là, ainsi que
dans l’église bâtie en son honneur, le peuple vient sou­
vent implorer sa puissante intercession et bénir sa
mémoire.
Saint Ephyse est le patron de Gagliari; les habitants
15 JANVIER 213

de cette ville célèbrent encore tous les ans la délivrance


de leur cité le jour anniversaire de celui où une tem­
pête éloigna la flotte française qui venait les attaquer,
en 1798. On l’honore aussi à Pise.

S ources : L e M a r ty r o lo g e r o m a i n . — L e s B o lla n d is te s au
15 janvier. — V ie des S a i n t s , par Godescard, au 15 février:
par les P e tit s B o lla n d is te s au 15 janvier.

SAINT BONT, CHANCELIER DE FRANCE


ET GOUVERNEUR DE PROVENCE, PUIS ÉVÊQUE DE CLERMONT
CONFESSEUR PONTIFE EN AUVERGNE

Vers 709.

Bont ou Bonet naquit en Auvergne, de parents illus­


tres par leur piété et fort considérés pour leur noblesse.
Son père s’appelait Théodat et sa mère Siagria. L’un
et l’autre descendaient des anciens sénateurs de Rome.
Lorsque cette pieuse femme le portait dans son sein,
elle se jeta aux pieds d’un saint prêtre qui l’était venu
visiter, le priant de lui donner sa bénédiction : « Mais
vous plutôt, répondit le prêtre, bénissez-moi, ô saint
père et seigneur vénérable. » Ces paroles surprirent
extrêmement Siagria, qui les trouva peu convenables à
son sexe et à la qualité de celui qui parlait; mais le
214 LES SAINTS MILITAIRES

serviteur de Dieu apaisa son trouble, lui faisant con­


naître que ce n’était pas à elle qu’il demandait la béné­
diction, mais à son enfant, qui devait être un jour un
des plus dignes gouverneurs de province et l’une des
plus éclatantes lumières de l’Église. Cette prédiction
obligea ses parents à veiller particulièrement à son
éducation et à le faire instruire dans toutes les sciences
qui ont coutume de préparer les esprits aux grandes
choses.
Théodat étant mort, Bont, quoique jeune encore,
quitta son pays et vint à la cour de Sigebert III qui
régnait alors en Austrasie. A peine ce prince le connut-
il, qu’il le prit en affection particulière. Il le fit pre­
mièrement son grand échanson; puis, reconnaissant
en lui toutes les qualités requises d’un homme d’État,
il l’éleva à la charge de référendaire, qui est la même
que celle de chancelier, lui mettant son anneau d’or
ou son sceau entre les mains. Il exerça cet emploi avec
tant d’intégrité pendant l’espace de trente ans, qu’il
s’acquit l’estime et le respect de tout le monde. Menant
la vie d’un religieux dans sa conduite particulière où
brillaient la chasteté et l’innocence, il fît régner par
tout le royaume d’Austrasie la justice et la religion.
Les bonnes grâces de sa personne ne faisaient qu’ajouter
un nouveau lustre à sa vertu (i).

(1) « Cumque ab eo (Sigeberto) obnixe diligeretur, principem


cum pincernarum esse præcepit. Non multo post annulo ex manu
Regis accepta, Referendarii officium adeptus est. Quod ita splendide
15 JANVIER 215

Thierry 111, roi de Neustrie, ayant réuni l’Austrasie


à la Neustrie, après la mort de Dagobert II, son cousin,
donna à Bont le gouvernement de Provence ou de Mar­
seille, qui passait alors pour le plus important de la
monarchie franque (680). Bont gouverna ce pays pen­
dant neuf ans avec tant de douceur et de bonté, qu’il
en fut considéré comme le père. Il y défendit expres­
sément la vente des esclaves qui était encore en usage
dans le pays, et lui-même racheta de ses deniers tous
ceux qu’il put connaître et les mit en liberté. Il prit
aussi un grand soin de mettre d’accord les différents
partis et de réconcilier les personnes et les familles qui
étaient en discussion. A ces vertus publiques qui regar­
daient le bien de ses sujets, il en joignit de particu­
lières pour sa propre sanctification telles qu’étaient
la pénitence, l’oraison et la pureté du cœur : il ne faut
donc pas s’étonner si Dieu le tira enfin de ses emplois
séculiers pour en faire un ministre de ses autels.
Saint Avit, second du nom, son frère aîné, était
alors évêque de Clermont en Auvergne; se voyant déjà
avancé en âge et accablé de maladies, il proposa à son
clergé, par inspiration divine, d’élire en sa place ce
saint gouverneur de Provence, dont les mérites leur
étaient assez connus. Son élection fut unanime et le
roi Thierry la confirma volontiers* Bont partit donc de

sibi commissum peregit, ut cunctis sibi palatii ministeriis traditis,


Principi et cunctis Proceribus placens esset et carissimus. Erat
quidem corpore pulcher, sed pulchrior mente, pollensque castitate. »
( E x v i t a S . B o n i t i , apud Boll.)
2 1 6 LES SAINTS MILITAIRES

Marseille et se rendit en Auvergne, où il fut consacré


évêque. Cette onction épiscopale fut pour lui un prin­
cipe de sanctification. Il parut, en un instant, non pas
comme un homme qui aspire à la perfection, mais
comme un homme qui l’a déjà acquise. Il passait trois
jours et même quatre sans rien manger. Sa vie était
un recueillement perpétuel. Il donnait le jour aux
emplois de sa charge, et presque toute la nuit à la
prière. Sa charité pour les pauvres et pour les pèlerins
était extrême; jamais il n’en renvoya un seul sans
secours. Il visitait assidûment son diocèse et prenait
un soin particulier de bien instruire son peuple. Une
tendre piété lui faisait verser des larmes avec tant
d’abondance pendant l’office divin, que la partie de sa
chape qui lui enveloppait la tête en était toute trempée,
Aussi ses prières étaient-elles efficaces pour désarmer
la colère de Dieu : nous en rapporterons un exemple.
Une grande sécheresse désolait l’Auvergne et mena­
çait les habitants d’une cruelle famine. Le saint évêque,
pour obtenir de la pluie, eut recours à la prière et au
jeûne et voulut que son peuple y recourût également.
Il ordonna que ceux à qui les forces le permettaient,
demeurassent deux ou trois jours sans manger; que
les autres jeûnassent au moins jusqu’au coucher du
soleil, où se réduisissent au pain et à l’eau. En même
temps il fit une procession solennelle avec son clergé
pour implorer la miséricorde divine. A peine la pro­
cession était-elle entrée dans l’église de Saint-Laurent,
qu’il tomba une pluie si abondante qu’il ne put ce
15 JANVIER 217

jour-là retourner avec son clergé à la cathédrale. L’au­


teur qui raconte ce fait y était présent.
Saint Bont opéra plusieurs autres miracles, qui ne
le rassurèrent pas sur l’irrégularité de sa promotion à
l’épistfopat. Gomme il avait été désigné par son frère,
qui l’avait fait nommer son successeur de son vivant,
il craignit d’avoir péché contre les canons et voulut
consulter sur ce sujet saint Thillon, renommé alors
dans l’Auvergne et dans le Limousin. Thillon jugea
l’élection de Bont peu canonique et lui conseilla de se
démettre de l’épiscopat. Ce saint évêque suivit sans
peine un conseil si conforme aux secrètes inspirations
de son humilité. Il fit élire, par le peuple et par le
clergé, Nadobert pour son successeur, et envoya par
l’archidiacre Cantin le décret d’élection au roi, qui
l’agréa.
Après cette élection, saint Bont se retira dans le
monastère deManlieu, fondé dans l’Auvergne par saint
Genès, évêque de cette province. Après s’y être exercé
quelque temps dans la pratique des vertus monastiques,
il entreprit, malgré son grand âge, d’aller visiter les
tombeaux des saints Apôtres. De Lyon, où il réconcilia
l’évêque Godin avec le duc de Bourgogne, il se rendit
au monastère de l’île Barbe, puis visita celui d’Agaune,
signalant son passage par des miracles et d’abondantes
aumônes. En Italie, Aribert II, roi des Lombards, le
reçut avec bonté. Ce prince s’entretenait avec le saint
évêque, lorsqu’il reçut un courrier qui lui apprit que
ses ennemis marchaient pour le surprendre. En partant
SAINTS MILITAIRES. — T. I. 13
218 LES SAINTS MILITAIRES

pour se mettre à la tête de son armée, il dit à saint


Bont « Mon père, priez le Seigneur pour qu’il daigne
m’accorder la victoire à cause de votre arrivée. » Ari-
bert gagna en effet la bataille.
Saint Bont, heureux d’avoir satisfait sa dévotion à
Rome, revint avec une troupe de captifs qu’il avait
rachetés. Il s’arrêta à Lyon à son retour, et demeura
le reste de sa vie, qui fut encore de quatre ans, dans
le monastère de celte ville. Sur la fin de sa carrière il
fut tourmenté de la goutte, ce qui lui donna lieu de
montrer une patience admirable. Il reçut révélation
du jour et de l’heure de sa mort; la sentant approcher,
il s’y disposa par la réception des divins sacrements,
et regardant le ciel par la fenêtre de sa cellule, qu’il fit
ouvrir exprès, il rendit, tout baigné de larmes sa belle
âme à Dieu, le 15 janvier, vers l’année 709, à l’âge
d’environ quatre-vingt-six ans.
Son corps fut porté, avec beaucoup d’honneur, dans
l’église de Saint-Pierre, célèbre abbaye de religieuses
de Saint-Benoît, et ce jour-là il guérit une paralytique
qui toucha son cercueil. L’an 723, il fut transporté à
Clermont, dont il avait été évêque, et déposé dans
l’église de Saint-Maurice, qui depuis a porté le nom
de Saint-BonL

S oubces : Le Martyrologe Romain. — L e s B o lla n d is te s au


15 janvier. V ie des s a in ts d 'A u v e r g n e , par Jacques Branche.
— H is to ir e
L e s P e tit s B o lla n d is te s . d e l'É g lis e c a th o liq u e en
F r a n c e , par Jager, livre X e.
15 JANVIER 219

SAINT CÉOLWULF, ROI DE NORTHUMBRIE


PUIS MOINE AU MONASTÈRE DE L1NDISFARNE
CONFESSEUR
Vers 767.

Céohvulf, issu d’Occa, fils puîné d’Ida le Brûleur,


succéda à Osric sur le trône de Northumbrie, en 729.
Peu de temps après, vaincu et captif d’on ne sait quels
ennemis, il subit, comme cela était déjà arrivé à plus
d’un prince mérovingien, l’affront d’une tonsure invo­
lontaire, et fut enfermé dans un cloître. Il s’en échappa
en 731, reprit la couronne et gouverna quelque temps
de façon à mériter les éloges du vénérable Bède, qui
lui dédia son Histoire des Anglais. Bède l’appelle un
roi très glorieux, le loue de son amour pour la science
et pour la piété et lui* demande de vouloir bien lire et
approuver son ouvrage.
Mais après huit ans de règne, il survint à Céohvulf
un regret ou un désir invincible de cette vie claustrale
qui lui avait été naguère imposée malgré lui. Il pour­
vut de son mieux à la sécurité de son pays et à la
bonne entente du spirituel avec le temporel, en dési­
gnant pour successeur un prince très vaillant de sa
race, qui était frère de l’archevêque Egbert. Puis
renonçant lui-même aux soucis du pouvoir et se mon­
trant véritablement le maître des richesses qu’il aban­
donnait, il coupa sa longue barbe, se fit raser la tête
220 LES SAINTS MILITAIRES

en forme de couronne, et alla de nouveau s’ensevelir


dans le principal sanctuaire monastique de son pays,
à Lindisfarne, qu’il avait déjà, comme roi, enrichi de
nouvelles et vastes donations. Il y passa les trente
dernières années de sa vie dans l’étude et la pratique
de toutes les vertus. Sa bienheureuse mort eut lieu
vers l’an 767. Plus tard on transporta son corps dans
l’église de Northam, et Dieu manifesta la sainteté de
son serviteur par de nombreux miracles opérés à son
tombeau.

S ources L es B o lla n d is te s au 15 janvier. — Hugues Me-


nard, M a r ty r o lo g e S S . 0 . B . B . Observât liber II. — Mon-
talembert, les M o in e s d yO c c id e n t , livre XV.
X V I e* J O U R D E J A N V I E R

LES NEUF BIENHEUREUX SOLDATS


MARTYRS A ROME SUR LA VOIE CORNÉLIENNE
Epoque indéterminée.

Celte mention est tirée de deux anciens martyrologes


manuscrits, dont l’un porte le nom de saint Jérôme.

S ource : L e s B o lla n d is ie s au 16 janvier.

SAINT JACQUES DE TARENTAISE


OFFICIER PERSAN, PUIS ÉVÊQUE DE TARENTAISE
CONFESSEUR, PONTIFE
429.

D’une illustre famille d’Assyrie, Jacques servait avec


honneur dans les armées de la Perse, lorsque la per­
sécution y sévissait contre les chrétiens. Il abandonna
tout, son grade, sa famille, ses richesses, sa patrie, et
vint chercher la lumière chrétienne dans l’empire
d’Orient, où l’Église était alors si florissante (t).
(1) « Beatus Jacobus miles, qui secundum seculi dignitatem apud
Assyrios clarus habebatur, divino muncre præventus... Proinde
222 LES SAINTS MILITAIRES

Deux frères, Honorât et Yenance, d’une famille con­


sulaire de la grande Séquanaise, dans les Gaules,
ayant embrassé le christianisme, malgré leurs parents,
s’étaient mis sous la direction d’un saint ermite nommé
Gapraise et avaient entrepris un pèlerinage en Orient.
Ils cherchaient surtout à se pénétrer de l’esprit reli­
gieux qui régnait dans les solitudes de la Thébaïde.
Jacques venait alors de recevoir lo baptême et cher­
chait un ami, un guide dans les voies du salut. Il eut
le bonheur de rencontrer nos deux pèlerins àNicomédie
et s’attacha tout spécialement à Honorât. Yenancë
mourut à Méthone, en Achaïe. Les trois autres retour­
nèrent dans la Gaule transalpine, se mirent sous la
direction de saint Léonce, évêque de Fréjus, et se reti­
rèrent dans l’ile de Lérins.
Saint Honorât sortait souvent de sa retraite pour
aller évangéliser les campagnes et initier ses disciples
à l’apostolat; il remontait quelquefois le Rhône et la
Saône jusque dans sa patrie, pour y gagner des âmes
à Dieu. Ce fut dans une de ces excursions qu’il s’ad­
joignit Jacques et Maxime, ce dernier né à Chateau-
Redon, près de Digne, et les mena dans la province des
Alpes Graies, habitée parles Centrons (420). Déjà des
missionnaires partis de Rome avaient évangélisé ces
contrées. Les moines de Lérins étendirent et dévelop­
pèrent ces précieuses semences. Mais leur prédication
se trouvant dans la suite entravée par les guerres de
habitum militarem, quo nitebat. rejiciens, pauperis Ghristi solerter
decrevit pauper sequi vestigia... » ( E x v i t a S . Jacobin apud Boll.)
16 JANVIER 223

l’empire contre l’irriiplion des Burgondes, ils durent


rentrer dans leur solitude de Lérins, et rendirent
compte du résultat de leur mission à, saint Honorât
qui les avait quittés dès la première année, pour
reprendre la direction de son monastère. Les vœux
unanimes du clergé et du peuple l’appelaient alors sur
le siège d’Arles, en remplacement de Patrocle, décédé
(426). Son premier soin fut d’emmener avec lui son
fidèle Jacques, de lui faire partager les soins de l’admi­
nistration de son église et de l’initier aux fonctions
pastorales auxquelles il le destinait.
Au bout de quelque temps, en effet, Jacques était
ordonné évêque de Tarenlaise, et partait avec plusieurs
prêtres que saint Honorât lui adjoignait. Se rappelant
alors les dangers et les luttes de son premier apostolat,
il crut faire un acte de prudence en arrivant sans éclat
et presque clandestinement. Mais la grâce de Dieu
avait changé les esprits : les premières semences de la
parole divine avaient germé. La réputation de sa
sainteté s’était répandue depuis son premier départ.
On chercha le serviteur de Dieu, il dut exercer solen­
nellement les fonctions épiscopales, et il y avait un
grand concours à ses prédications. Les temples païens
devinrent déserts et tombèrent en ruines lorsqu’ils ne
furent pas transformés en églises ou en chapelles. On
aurait dit que Dieu voulait récompenser dans l’évêque
les premières fatigues du prêtre. Lorsque l’éloquence
et les vertus du saint ne suffisaient pas pour gagner
des cœurs, Dieu y ajoutait des miracles.
224 LES SAINTS MILITAIRES

Cependant les Burgondes s étaient maintenus dans


la Viennoise et la moitié des Alpes Graies, malgré les
légions romaines. Mais, à peine rattachés au christia­
nisme, ces peuples étaient devenus ariens, et le saint
évêque de Tarentaise était désolé de voir l’exercice
de son zèle entravé par les hérétiques dans plus de la
moitié de son diocèse. C’est pourquoi il se résolut
à aborder Gondicaire, le chef des Burgondes. Celui-ci
le reçut très mal, et le saint s’en retournait en secouant
la poussière de ses chaussures contre le palais de
Genève, lorsque la maladie subite du fils du roi et les
prières des grands le firent rappeler en toute hâte. Il
guérit le prince et obtint du père plusieurs concessions
importantes sous le rapport matériel et moral.
Dieu permit que le retour de l’évêque fût marqué
par un éclatant témoignage des grâces dont il était le
dispensateur. Pendant son voyage l’un de ses amis les
plus dévoués était mort. Jacques voulut voir sa tombe,
il versa d’abondantes larmes, comme le Sauveur sur
son ami Lazare, et la mort ne put résister à la voix de
celui qui avait fait tant de prodiges. Dès lors son apos­
tolat ne rencontra plus d’obslactes. La maison épisco­
pale s’éleva sur le roc Puppim, une des donations de
Gondicaire, avec une chapelle en l’honneur de saint
Pierre, prince des Apôtres. Comme à la voix de Moïse,
une source jaillit pour le service du village qui porta le
nom de Saint-Jacquemoz et qu’un éboulement a détruit
quelques siècles plus tard. Plusieurs autres églises
s’étaient élevées, entre autres celles d’Aime, de Granier,
16 JANVIER 223

de Saint-Maxime, de Saint-Jacques de Luce, de Tignes,


des Glaciers,deVillaroger et de Saint-Jacques-sur-Macôt,
deLongefoy, de Centron, des Allucs, des Bellevilles, de
Gémilly, de Thénésol. Son zèle s’étendit même dans la
vallée d’Aoste, où il fonda la chapelle de Saint-Jacques.
Il n’y avait que trois ans que saint Jacques avait
reçu la consécration épiscopale, et déjà le pays était
tout transformé. On pouvait dire de lui, ce que l’Ecri­
ture dit du juste : « Il a vécu beaucoup dans un court
espace de temps. » Le Seigneur ne lui fit pas attendre
sa récompense. Il y ajouta même une consolation que
nous dirions humaine si elle ne se rattachait pas à la
mort des saints. Saint Honorât et saint Jacques s’étaient
liés, comme on a vu d’une intimité toute spirituelle. Ils
avaient déployé tous deux à la face des peuples les
vertus pratiquées dans une émulation mutuelle de tout
ce qui pouvait être plus agréable au divin Maitre.^11 ne
voulut point les séparer à la mort. Saint Jacques, éclairé
divinement sur sa fin prochaine et sur celle de son saint
ami, désigna son successeur à son peuple, et partit
pour Arles, où il eut le bonheur de rendre à Dieu son
âme pleine de mérites, le même jour que le saint arche­
vêque de cette ville, le huitième ou le neuvième jour
après l’Épiphanie de l’an 429.

S ources L e P r o p r e du diocèse de Tarentaise. — L e s


au 16 janvier. — L e s P e tit s B o lla n d is te s d’après
B o lla n d is te s
l’abbé Ducis, archiviste de la Haute-Savoie.

SAINTS MILITAIRES. — T . I . 13.


226 LES SAINTS MILITAIRES

SAINT FRITZ, PRINCE FRISON


MARTYR
Vers 732.

D'après une croyance généralement adoptée, Fritz


était fils de Radbod, prince frison, intrépide, mais opi­
niâtrement attaché au polythéisme. Tous les ennemis
du christianisme considéraient Radbod comme le plus
ferme défenseur des idoles. Pépin d’Héristal, voyant
l’attitude menaçante et les dispositions hostiles de ce
prince, leva une armée formidable et marcha contre
lui.* Les Francs remportèrent la victoire et n’accordè­
rent la paix aux Frisons qu’à la condition de faire
cesser toute persécution contre le christianisme.
A la faveur de ce traité, saint Villebrod, accompagné
de douze clercs saxons débarqua dans la Frise, vers
l’an 690, pour y prêcher la religion de Jésus-Christ.
Le zèle des missionnaires ne s’arrêta pas devant les
embarras suscités par la haine de Radbod ; et grâce à
la protection de la fille de Pépin, que le prince frison
avait obtenue pour épouse, l’Évangile fit de rapides
progrès. Radbod fut obligé de laisser pénétrer la nou­
velle doctrine jusque dans le palais; sa pieuse épouse
se fit un devoir d’élever Fritz, son fils, dans la religion
de ses pères, et elle sut lui inspirer le goût de la vertu,
ët préserver sa jeunesse de la contagion d’une cour
licencieuse.
Mécontent de l’obstination de Radbod dans le paga­
16 JANVIER 227

nisme, le jeune prince se retira sur les terres des


Francs pour porter les armes sous Charles-Martel dans
la guerre qu’il allait faire aux Sarrasins. Chargé par
son oncle de commander un corps d’armée dans l’Aqui­
taine, et sachant les barbares campés dans une plaine,
derrière la ville de Lupiac, il se porta au-devant des
ennemis et alla leur présenter la bataille. Notre jeune
héros fit des prodiges de valeur, rien ne résistait à son
courage, et déjà la victoire paraissait lui être assurée
lorsque le général infidèle accourut avec un secours
extraordinaire, cet incident arrêta ses troupes effrayées
et mit le désordre dans l’armée chrétienne. Fritz tâcha
de rallier les soldats autour de sa bannière, dans le
lieu qu’on appelle encore aujourd’hui le moulin de
YÉtendard, parce qu’il y avait planté son drapeau. Le
combat recommença avec acharnement et se prolongea
jusqu’à la nuit.
La victoire était restée indécise. Mais on dit que le
lendemain il se donna une seconde bataille, où saint
Fritz fut tué. La tradition du pays a conservé jusqu’au
genre de mort qui enleva ce héros chrétien : dans la
chaleur du combat, un infidèle lui lança une flèche qui
lui traversa les cuisses; il perdait tout son sang et
comme on cherchait à le soustraire à la fureur des
ennemis, il expira assez près du pont qu’on appelle
encore aujourd’hui Pont du chrétien, et on l’inhuma
dans ce lieu.
Notre martyr demeura longtemps ignoré dans sa.
tombe; mais Dieu voulant glorifier le courageux dé­
228 LES SAINTS MILITAIRES

fenseur de la religion, fit connaître miraculeusement


le lieu qui renfermait ce précieux dépôt. Selon une
tradition populaire, une vache allait tous les jours
lécher une pierre cachée sous des broussailles; elle
vivait sans prendre d’autre nourriture, et était cepen­
dant plus grasse que le reste du troupeau. Des pasteurs
observèrent ce prodige et le firent remarquer à un
grand nombre de personnes qui en furent témoins. On
creusa la terre et on trouva le corps du guerrier armé
de toutes pièces. C’était dans un lieu peu éloigné de la
ville (aujourd’hui Bassoues), département du Gers,
arrondissement de Mirande. A peine les reliques du
saint furent-elles enlevées, qu’aux yeux du peuple
étonné l’on vit tout à coup jaillir une source miracu­
leuse, telle qu’elle existe encore de nos jours. On voulut
transporter dans la ville, avec le corps, le tombeau que
les soldats du jeune chef avaient construit à la hâte;
mais plusieurs bœufs attelés ensemble furent impuis­
sants à le traîner. Alors un des assistants donna l’idée
de le faire porter par la vache qui l’avait découvert;
aussitôt elle fut attelée au char qui portait le précieux
dépôt, et seule, sans aucun autre seccTurs, elle le traîna
jusqu’au sommet de la colline voisine, mais arrivée
là il fut impossible de la faire passer outre. On pensa
que le saint ne voulait pas entrer dans la ville, et on
le déposa sur ce coteau. Bientôt après on y construisit
une magnifique église et son corps fut enfermé dans un
tombeau de marbre. On le voit encore derrière un
autel, seul reste de cet édifice.
1 6 J A N V IE R 229

Les miracles qui s’opérèrent sur son tombeau de­


vinrent bientôt célèbres dans toute la contrée, et attirè­
rent un grand concours auprès de ses reliques. On
l’invoquait avec succès contre l’épilepsie.
Les pèlerins qui se rendaient au tombeau de saint
Fritz, allaient aussi visiter la fontaine miraculeuse et
emportaient de l’eau pour la distribuer à leur$ amis
malades qui n’avaient pu les suivre.
Dieu signala la vertu de cette eau par plusieurs mi­
racles; aussi se serait-on bien gardé de s’en servir
pour un usage profane; personne, du reste, n’ignorait
qu’une femme' d’Andreon, qui avait voulu employer
l’eau de la fontaine pour faire du pain, l’avait vue se
changer en sang.
Ainsi s’établit le culte de saint Fritz, et sa fête fut
fixée au 16 janvier, jour de l’invention de son corps.
Les habitants de Bassoues vivaient depuis longtemps
en paix, sous la sage administration de leurs arche­
vêques, lorsque les hérétiques, faisant appel à toutes
les passions coupables, se jetèrent sur cette contrée
sous la conduite du farouche Mojitgommery. Ces
hordes de barbares, qui ravageaient tout sur leur
passage, massacrant les prêtres, brisant les images,
brûlant les églises et les oratoires des saints, ne de­
vaient pas épargner celui de saint Fritz; la confiance
que les populations avaient en cet illustre martyr de­
vait même exciter leur rage frénétique. Après l’avoir
pillé, ces misérables le livrèrent aux flammes, qui le
détruisirent en grande partie.
230 LES SAINTS MILITAIRES

Lorsque l’ennemi eut disparu, les habitants s’em­


pressèrent de se rendre à la chapelle de Saint-Fritz,
persuadés qu’il ne restait plus rien de ce magnifique
monument. Mais, quelle ne fut pas leur surprise,
lorsqu’ils* virent la chapelle où se trouvait le Saint
martyr, entièrement conservée et le corps intact. Les
flammes avaient respecté l’autel qui renfermait un
aussi précieux dépôt. Ce fut vers la fin de 1569 que
Bassoues perdit cette belle basilique.
L’archevêque, Léonard de Trappes, afin de remédier
aux maux causés par la Réforme, résolut de parcourir
tout son diocèse, accompagné de quelques prêtres et de
prêcher lui-même à son peuple le saine doctrine. 11
arriva à Bassoues en 1623. L’église de Saint-Fritz ne
présentait plus alors que des ruines, et la crypte, que
les flammes avaient respectée, ne renfermait plus que
quelques reliques. Les habitants de Bassoues, crai­
gnant le retour des Huguenots, avaient divisé le corps
du saint martyr et l’avaient envoyé en dépôt dans les
paroisses voisines pour le mettre en sûreté.
Léonard de Trappes, voulant sans doute que $es
précieux dépôts fussent restitués plus tard à Bassoues,
fit constater ce fait dans le procès-verbal qui fut dressé
à l’occasion de sa visite. Cette pièce précieuse a été
conservée aux archives de l’archevêché d’Auch, jus­
qu’en 1793; elle indiquait à quel titre les églises de Yic,
de Peyrusse-Grande, etc., possédaient les reliques de
saint Fritz.
Une note trouvée par le curé de Bassoues dans les
i 6 JANVIER 231

archives d’Auch, lui ayant fuit découvrir le lieu où


était déposée la tête du Saint martyr, il s’empressa de le
faire connaître à Mgr de Salinis. En conséquence, ce
pieux prélat, heureux de contribuer à relever le culte
d’un des principaux saints de son diocèse, rendit, le
29 mai 1857, une ordonnance par laquelle il prescrivait
aux habitants de Peyrusse-Grande de rendre ce saint
dépôt. M. l’abbé Darré, vicaire général du diocèse, fut
chargé de son exécution, et le 1er du mois de juin, le
chef de saint Fritz rentrait dans son antique chapelle,
aux acclamations d’une foule immense accourue à sa
rencontre.
Ç’avait été à la voix de Mgr Trappes que les habi­
tants de Bassoues avaient résolu de rétablir la chapelle
dédiée au Saint martyr. D’après ce qui en reste et le
souvenir des vieillards, l’église de Saint-Fritz se com­
posait de trois nefs. Une tour très élevée couronnait le
magnifique portail de l’entrée principale. Sur chaque
portail, saint Fritz était représenté à cheval, portant la
couronne sur la tête et le sceptre à la main.
A Bassoues, comme dans tout le reste de la France,
la mort de Louis XVI fut le signal des plus affreux
excès. Rien ne fut épargné et la chapelle de Saint-Fritz
devint l’objet de l’exécrable fureur des républicains de
l’époque. Ces forcenés renversèrent les voûtes, brisè­
rent les autels, et leurs mains sacrilèges profanèrent
les vases sacrés.
Dès que la liberté fut rendue à la religion, les habi­
tants de Bassoues s’empressèrent de rappeler les prêtres
232 LES SAINTS MILITAIRES

qui avaient été chassés et qui survivaient encore à la


tempête révolutionnaire.
Une nef latérale avait été conservée pour le rivage
des terres, on s’empressa d’en fermer les arceaux,
d’élever un autel, et de placer au-dessus, dans une
niche, le buste du Saint.
Derrière l’autel, sur six colonnes de marbre, fut élevé
l’antique tombeau du martyr, qui rappelait de si tou­
chants souvenirs, et qui, pendant plus de dix siècles,
avait été l’objet de la vénération de toute la province.
L’impiété ne l’avait pas épargné; après avoir brisé le
couvercle, on avait emporté le reste pour servir d’abreu­
voir aux animaux. Cette profanation ne devait pas rester
impunie le premier bœuf qui s’en approcha tomba
raide mort. C’en fut assez pour le faire respecter et on
s’empressa de le rendre aussitôt après que la tourmente
républicaine eut cessé.
On apprit bientôt au loin que les saintes reliques
avaient été rapportées dans leur chapelle. On accourut
de toutes les contrées voisines pour leur rendre hom­
mage et pour leur faire une réparation solennelle des
outrages quelles avaient reçus. De nombreux miracles
récompensèrent la foi des pèlerins et encouragèrent
leur dévotion.
Trois fêtes surtout sont remarquables par le con­
cours immense des populations de la contrée : la fête de
Saint-Fritz, la fête de la Trinité et la fête de Saint-Jean ;
c’étaient les fêtes des trois autels de la chapelle. Inutile
de dire que le peuple chôme entièrement les fêtes de
16 JANVIER 233

Saint-Fritz et de Saint-Jean; mais celle de la Trinité


l’emporte sur toutes les autres fêtes de l’année par les
magnificences qu’on y déploie et par l’affluence des
étrangers qui y accourent des pays les plus éloignés.

S ources : L e P r o p r e de farchidiocèse d’Auch. L e s B o l la n -


d û te s au 24 juin. H is to ir e d e B a sso u e s et d e la ch a p e lle S a i n t -
F r itz , par D. l’abbé Guilhempey. Auch, 1858.
X V IIIe JOUR DE JANVIER

SAINT MOSÉE ET SAINT AMMONE


SOLDATS, MARTYRS
P e u t- ê tr e sous Dèce.

« Dans le Pont, dit aujourd’hui le Martyrologe Ro­


main, la fête des saints martyrs Mosée et Ammône,
soldats, qui furent d’abord condamnés aux mines et à
la fin livrés aux flammes. » Galesini pense que ce fut
sous le règne de Dèce.

S ources L e M a r ty r o lo g e R o m a i n . — L e s B u lla n d is te s , au
18 janvier.

SAINT ASTÈRE D’OSTIE


OFFICIER DE LA PRÉFECTURE DE ROME, MARTYR

Vers 269.

La vertu de saint Valentin, prêtre, était si éclatante


et sa réputation si grande dans la ville de Rome,
qu’elle vint à la connaissance de l’empereur Claude II,
qui le fit arrêter, et, après l’avoir tenu deux jours en
18 JANVIER 235

prison, chargé de fers, il le fit amener devant son


tribunal pour l’interroger. Mais là, Valentin parla
avec tant de sagesse que l’empereur en fut tout ému
et dit à ceux qui l’entouraient « Ecoutez la sainte
doctrine que cet homme nous apprend. » A l’instant
même, le préfet de la ville, nommé Calpurnius, s’écria :
«Voyez-vous comme il séduit notre prince? Quitterons-
nous la religion que nos pères nous ont enseignée? »
Claude, craignant que ces paroles n’excitassent quel­
que trouble dans la ville, abandonna le martyr au
préfet, qui le mit à l’heure même entre les mains
d'Astère, l’un de ses officiers, pour être examiné et
châtié comme un sacrilège. Celui-ci fit d’abord conduire
le prisonnier en sa maison. Lorsque Valentin y entra,
il éleva son cœur au ciel et pria Dieu qu’il lui plût
d’éclairer ceux qui marchaient dans les ténèbres de la
gentilité, en leur faisant connaître Jésus-Christ, la
vraie lumière du monde. Astère, qui entendait tout
cela, dit à Valentin : « J’admire beaucoup ta prudence,
mais comment peux-tu dire que Jésus-Christ est la
vraie lumière? — Il n’est pas seulement, dit Valentin,
la vraie lumière, mais l’unique lumière qui éclaire
tout homme venant en ce monde. — Si cela est ainsi,
dit Astère, j ’en ferai bientôt l’épreuve j ’ai ici une
petite fille adoptive qui est aveugle depuis deux ans;
si tu peux la guérir et lui rendre la vue, je croirai que
Jésus-Christ est la lumière et qu’il est Dieu, et je ferai
tout ce que tu voudras. » La jeune fille fut donc amenée
au martyr qui, lui mettant la main sur les yeux, fit
236 LES SAINTS MILITAIRES

cette prière : « Seigneur Jésus-Christ, qui êtes la vraie


lumière, éclairez votre servante. » A ces paroles, elle
recouvra aussitôt la vue, et Astère et sa femme, se
jetant aux pieds de leur bienfaiteur, le supplièrent,
puisqu’ils avaient obtenu par sa faveur la connaissance
de Jésus-Christ, de leur dire ce qu’ils devaient faire
pour se sauver. Le Saint leur commanda de briser
toutes les idoles qu’ils avaient, de jeûner trois jours,
de pardonner à tous ceux qui les avaient offensés, et
enfin de se faire baptiser, leur assurant que, par ce
moyen, ils seraient sauvés. Astère fit tout ce qui lui
avait été commandé, délivra les chrétiens qu’il tenait
prisonniers, et fut baptisé avec toute sa famille, qui
était composée de quarante-six personnes.
L’empereur, averti de ce changement, craignit quel­
que sédition dans Rome, et, par raison d’Élat, il
commanda d’arrêter Astère et de le conduire à Ostie
pour y être mis en jugement. Cet ordre fut exécuté.
Au bout de quelques jours, Astère sortait de prison
pour comparaître devant le tribunal du juge Gélase,
et, comme il refusait généreusement de sacrifier aux
dieux, Gélase le fit torturer sur le chevalet; mais,
bientôt, voyant qu’il n’avançait à rien, il condamna
le martyr à être dévoré le lendemain par les bêles de
l’amphithéâtre. Le lendemain, en effet, le peuple y
était convoqué pour ce spectacle. Mais, au grand
étonnement de tous, on vit les bêtes féroces s’appro­
cher tranquillement du martyr et se coucher douce­
ment à ses pieds sans lui faire aucun mal. A cette vue,
1 8 J A N V IE R 237

vue, Gélase, ne se possédant plus de colère, s’écria :


« Voyez-vous comment ces chrétiens ont trouvé, avec
leur magie, le moyen d’adoucir même les bêtes fé­
roces! » Mais alors beaucoup de gens dirent à haute
voix : « Ce n’est pas à la magie, mais à son Dieu, qu’il
doit son salut. » Ensuite Gélase le fit jeter dans un
grand feu, mais comme Astère n’en éprouvait aucun
mal, il commanda de l’emmener hors de la ville, où
on lui trancha la tête. C’était le 18 janvier, vers
l’an 269. Pour Valentin, il fut, quelque temps après,
décapité sur la voie Flaminienne.

S ources L es B o lla n d is te s au 18 janvier, et au 19 janvier


dans les A c te s des s a in ts M a r is , M a r th e , etc. — Baronii Ann.
(ab Aug. Theiner). A n n u s C h r is ti, 270. Tillemont. M é m .
e c c lis., t. IV, p. 673. L e s P e tit s B o lla n d is te s au 14 février,
clans la V i e de s a in t V a l e n ti n .
238 LES SAINTS MILITAIRES

LES 37 BIENHEUREUX MILITAIRES EGYPTIENS


SAINT PAUL D 'É G YPTE t SAINT PANSIUS
SAINT DENIS D 'Ê G Y P T E , SAINT T1I0N1US, SAINT HORPRÉZ
SAINT IIORUS, SAINT DENIS D'ÊGYPTE (üN AUTRE)
SAINT AMMON1US, SAINT BESSAMÔNE
SAINT AGATUON D 'Ê G Y P T E , SAINT RECOMBE,
SAINT BASTAME, SAINT SARMATE, SAINT PROTÉE
SAINT ORION, SAINT COLLUTE, SAINT DIDYME
SAINT PLÉSIUS, SAINT ARATUS
SAINT TELÉONE, SAINT UIPPÉAS, SAINT ROMAIN D 'Ê G YPTE

SAINT SATURNIN, SAINT PINUTUS


SAINT SÉRAPION D 'Ê G YPTE , SAINT BASTAMON
SAINT PAPE, SAINT PANTHÈRE, SAINT PAPIAS D 'Ê G YPTE

SAINT DIOSCORE, SAINT HÉRON, SAINT TOTAMON


SAINT PÉTÜÉCUS, SAINT GECOMÈNE
SAINT*'Z0TIQUE D 'Ê G Y P T E SAINT CYRIAQUE D 'ÊG YPTE

ET SAINT AMMONIUS (UN AUTRE), MARTYRS


Époque indéterminée.

Les actes de ces bienheureux martyrs ont été insérés


par dom Ruinart _$<ms sa collection des Actes véri­
tables et sincères. Ils ne nous apprennent ni l’époque
à laquelle ils onL versé leur sang pour Jésus-Christ, ni
la profession qu’ils exerçaient dans le monde. Mais les
martyrologes manuscrits des monastères de Saint-
MarLin de Tournay et de Liessies leur donnant expres­
sément le titre de militaires, nous avons pensé que ce
18 JANVIER 239

n’élait pas sans quelque raison sérieuse, fondée sur la


tradition, et c’est pourquoi nous leur avons donné
place dans notre martyrologe.
Voici maintenant les actes des trente-sept bienheu­
reux martyrs égyptiens, tels qu’ils ont été traduits du
latin en français par Drouet de Maupertuy :
« L’on vit cette troupe de braves soldats de Jésus-
Christ marcher tête baissée au martyre. Le juge en fut
effrayé, troublé, presque hors de son bon sens, car
c’étaient tous gens de distinction, des premières maisons
d’Égypte, et qui soutenaient l’éclat de leur naissance
par celui de leurs richesses. Le Saint-Esprit les dis­
persa dans toute l’Égypte; il en fit comme quatre qua­
drilles (escouades), qu’il envoya dans les quatre par­
ties de la province pour y annoncer la parole et la
connaissance du vrai Dieu, et pour porter aux peuples
qui étaient encore dans les ténèbres la lumière et la
vérité. Les uns prirent à l’orient et les autres au cou­
chant, ceux-ci au midi et ceux-là au septentrion. Mais
la plupart des habitants de ces diverses contrées, ai­
mant leur ignorance et leurs ténèbres bien plus que la
science du salut que ces illustres prédicateurs allaient
répandant sur leur route, ne les regardaient que
comme des hommes ordinaires, se jetaient sur eux,
les chargeaient de chaînes, comme des gens qui avaient
de mauvais desseins ou qui enseignaient une doctrine
pernicieuse, et les maltraitaient en plusieurs manières.
« Lanouvelle de cette mission vint bientôt aux oreilles
du gouverneur d’Égypte ; il prit feu d’abord et, la co-
240 LES SAINTS MILITAIRES

1ère allumant la cruauté, il prit tumultueusement


l’avis de son conseil et envoya partout des soldats,
avec ordre de lui amener ces saints missionnaires qui,
cependant, n’ayant tous qu’un même esprit, une
même foi et une même volonté, s’étaient répandus par
toute l’Égypte et l’environnaient, en quelque sorte,
montrant aux hommes la voie pour arriver au bonheur
éternel. Ils reconnaissaient tous Paul pour leur chef,
Paul qui, par son zèle et son ardente charité, avait
beaucoup de rapport avec le grand apôtre des nations.
Pansius le suivait de près; Denis atteignait Pansius,
et Thonius, Horprèz et Horus marchaient après eux
d’un pas presque égal, et étaient suivis à peu de dis­
tance d’un autre Denis, des deux Ammonius et d’Aga-
thon. Ceux-là avaient pour leur partage la partie orien­
tale de l’Égypte. Ceux qui travaillaient à défricher les
endroits les plus septentrionaux ne le cédaient aux
premiers ni en capacité, ni en piété, ni en zèle aposto­
lique. Ce n’est pas qu’il n’y eût une espèce de jalousie
entre eux; c’était à qui établirait mieux et plus promp­
tement le royaume de Jésus-Christ. Le chef de cette
seconde bande était Recombe, avec Bastame, Sarmate,
Protée, Orion, qui brillait extrêmement parmi ses con­
frères, Collute et Didyme, auxquels Plésius et Aratus
s’étaient joints. La troisième troupe, qui parcourait le
midi, avait à sa tête Théone, que le Seigneur avait
planté lui-même de sa main. Il avait avec lui Hippéas,
Romain et Saturnin; Pinutus et Bastamon s’étaient
attachés à lui; Sérapion, Pape et Panthère ne l’aban­
J 8 JANVIER 241

donnaient point. La partie occidentale n’était pas


moins bien partagée que les trois autres; elle avait
aussi bien qu’elle ses docteurs et ses prophètes Pa-
pias, Dioscore, Héron et Potamon, qui avaient pour
adjoints Pethécus, OEcomèrie, Zotique, Cyriacus et
Bessamône.
« Ces trente-sept envoyés du Seigneur travaillaient
avec beaucoup de succès dans toute l’Égypte. Une
noble et sainte émulation les animait; chacun cher­
chait à se distinguer par un amour plus ardent pour
Jésus-Christ et par une plus grande indifférence pour
la vie. Ils couraient donc les villes et les bourgades, et
disaient aux peuples qu’ils assemblaient : — Consolez-
vous, nos chers frères, si les vérités que nous vous
annonçons vous ont été inconnues jusqu’ici; l’igno­
rance n’est péché que lorsqu’on ignore ce qu’on peut
ne pas ignorer. Maintenant que nous avons découvert
vos erreurs, que vous y avez renoncé, déplorez tous
ensemble l’aveuglement de nos pères; dans quelles
épaisses ténèbres n’ont-ils pas marché? Quelle longue
suite d’égarements ! Dans quels précipices ne les ont-
ils pas jetés avant que le Fils de Dieu quittât le sein de
son Père! Mais, enfin, le Père ne voulant plus retenir
son Fils, il lui donna la permission de descendre du
ciel en terre et de se revêtir de notre nature. Le Fils,
ayant cette permission, s’empressa de descendre et de
se faire homme. Il commença par prêcher les gran­
deurs de son Père; ensuite il prêcha ses propres gran­
deurs, sa divinité, sa filiation; confirmant par ses ac-
SAIXTS MILITAIRES. — T. I. 14
242 LF,S SAINTS MILITAIRES

lions ce que les prophètes avaient .prédit de lui, et


autorisant en même temps ses actions par le témoi­
gnage des prophètes, qui n’avaient rien dit ni rien
écrit que ce que son Esprit leur avait dicté. Car, avant
qu’il vînt enseigner lui-même sa doctrine et promul­
guer sa loi, il avait enseigné cette même doctrine et
donné cette même loi par ses prophètes. C’est ainsi que
nos saints missionnaires allaient plantant la foi dans
l’Égypte; ils faisaient entrer dans le bon chemin ceux
qui s’égaraient, ils instruisaient des mystères de la
religion ceux qu’ils trouvaient dociles, et ils purifiaient
de leurs péchés ceux qui les confessaient sincèrement.
« Cependant, le gouverneur, ainsi que nous avons
dit, averti des progrès qu’ils faisaient dans toute
l’étendue de son gouvernement, ayant envoyé de tous
côtés des soldats pour les lui amener, ils furent tous
arrêtés et présentés à ce juge. Il employa d’abord, pour
les obliger à sacrifier, les flatteries et les promesses.
— Évitez une mort cruelle, leur dit-il, sauvez-vous des
tourments qui vous menacent, accommodez-vous au
temps, car, enfin, il faut ou sacrifier ou mourir.
Paul, prenant la parole pour tous, répondit : — Nous
savons certainement qu’il vaut mieux mourir que sacri­
fier; ainsi, ne nous épargnez pas. Sur cette déclara­
tion, le juge prononça la sentence de mort contre tous
les trente-sept. Il condamna au feu ceux qui avaient
prêché la foi à l’orient et au midi. Il fit trancher la
tête à ceux qui l’avaient annoncé au septentrion; et
pour ceux qui avaient travaillé à l’occident, il les fit
1$ JANVIER 243

attacher à des croix. Mais, pour parler plus juste, il


les punit moins qu’il ne les donna pour protecteurs à
l’Égypte, puisque toujours partagés en quatre troupes,
ils veillent continuellement sur les quatre cantons de
la province avec encore plus de charité et de zèle que
pendant leur vie.

S ources au 18 janvier. — Dom Rui-


Les B o lla n d is te s ,
nart : A c t a s in c e ra , traduits en français par D. deMaiipertuy.
— Baillet V ie des S a in t s .

SAINT YOLUSIEN
SÉNATEUR, PUIS ÉVÊQUE DE TOURS, MARTYR
498.

Yolusien naquit à Lyon d’une famille sénatoriale,


originaire de l’Auvergne; il était allié de Sidoine Apol­
linaire, ou du moins son intime ami. Après avoir servi
quelque temps dans la milice, il épousa une jeune fille
de la maison des Ommaces, citoyens et sénateurs
d’Auvergne qui étaient fort riches, et, par cette alliance,
il devint le parent de Rorice, évêque de Limoges, qui
appartenait à la même famille. Yolusien vécut dans le
monde avec tout l’éclat que paraissaient exiger son
nom et sa fortune. Mais il n’y demeura pas toujours;
touché de la grâce de Dieu, il embrassa l’état ecclé­
244 LES SAINTS MILITAIRES

siastique du consentement de sa femme, comme cela


se pratiquait à cette époque. Quand il fut élevé au
sacerdoce, il visita les célèbres monastères de Lérins
et de Grigny, et exerça, par son crédit, sa fortune, ses
talents et sa piété, une assez grande influence c’est
ce qui explique une lettre de Sidoine Apollinaire à
Yolusien, que nous possédons encore et que nous
allons reproduire.
Pour avoir une parfaite intelligence de cette lettre,
il faut observer qu’auprès de Clermont existait un
monastère dont la famille de Yolusien avait jeté les
fondements, et qui avait été terminé par un solitaire
né dans la haute Syrie, nommé Abraham. Cet anacho­
rète, poursuivi par la persécution, quitta l’Orient, tra­
versa la Méditerranée, arriva dans les Gaules vers la
fin du règne de Yalentinien III, et s’arrêta en Auvergne,
auprès d’une église dans un des faubourgs de Clermont
dont nous venons de parler. Il termina le monastère
où il mourut saintement quelques années après. « Tu
m’ordonnes, seigneur frère, par la loi de l’amitié, qui
ne saurait être violée sans crime, de prêter à l’enclume
de ma vieille forge mes mains depuis longtemps inac­
tives, et de composer en vers lugubres une complainte
funéraire sur le saint Abraham qui vient de mourir. Je
me rendrai promptement à tes injonctions, entraîné
par ton autorité, conduit surtout par les égards qui
sont dus à cet illustre personnage, le comte Victorius,
mon patron suivant l’ordre civil, mon fils suivant
l’ordre ecclésiastique... » Sidoine envoie ensuite les
18 JANVIER 245

vers qui composaient l’éloge funèbre d’Abraham, et il


poursuit :
« Si les frères, les amis, les compagnons d’armes
doivent aussi céder aux lois de la charité, je te conjure
de consoler ses disciples (d’Abraham) par ces règles
que tu connais si bien, et d’affermir la discipline, qui
commence à chanceler parmi les frères, par les consti­
tutions de Lérins ou de Grigny (1). S’ils se montrent
rebelles, châtie-les toi-même; s’ils sont dociles, loue-
les toi-même. A la vérité, saint Auxanius est leur
prieur; mais tu le sais, il est faible, infirme et timide,
beaucoup plus fait pour obéir que pour commander :
tout cela paraît exiger qu’il ne conduise le monastère
que sous tes ordres. Et si quelqu’un des jeunes reli­
gieux voulait le mépriser, comme inhabile et pusilla­
nime, qu’il apprenne que ce n’est pas impunément
qu’on te méprise en le méprisant. Yeux-tu en peu de
mots connaître ce que je désire?... Qu’Auxanius notre
frère gouverne en qualité d’abbé le monastère, et toi,
gouverne l’abbé. Adieu. »
Cependant Yolusien fut élu évêque de Tours et suc­
céda à saint Perpétue, son oncle. Il y avait huit ans
qu’il gouvernait cette grande Église, lorsqu’Alaric II,

(1) « Sed, si vicissim caritatis imperiis fratres, amicos, commili-


tones obsequi decet, ad vicem, quæso, tu quoque, quibus emines
institutis, discipulos ejus aggredere solari fluctuantemque regulam
fratrum destitutorum, secundum statuta Lirinensium vel Griniccn-
sium, festinus informa... »
(E x A p o ll. S id o n ii E p is io lis Epistola XVII).
SAINTS MILITAIRES. — T. I* Î 4.
246 LES SAINTS MILITAIRES

informé que cet évêque témoignait assez ouvertement


le désir de voir la Touraine passer sous la domination
de Clovis, le fit arrêter et conduire à Toulouse. Nous
possédons le récit authentique du martyre de saint
Volusien tel qu’il a été tracé par Hugues, abbé du
monastère de Foix, d’après les monuments conservés
à l’hôtel de ville. Ce récit porte la date du 23 Oc­
tobre 1384.
« A tous ceux qui ces présentes verront, faisons
savoir que nous Hugues, par la miséricorde divine
humble abbé du monastère de Foix, de l’ordre de Saint-
Augustin, au diocèse de Pamiers, nous avons trouvé,
vu et parcouru mot à mot, dans les archives de notre
monastère qui sont dans la sacristie, plusieurs di­
plômes, livres et écritures antiques relatifs aux faits
anciens arrivés dans ce monastère et dans notre basi­
lique, parmi lesquels nous avons lu que le très heureux
martyr de Jésus-Christ, Volusien, d’heureuse mémoire,
archevêque de Tours, dont le corps repose dans cette
basilique, vivait au temps de Clovis, premier roi chré­
tien des Francs; lorsque les Gaules étaient ravagées
par les armées des Goths et des Ariens, la ville de
Tours fut dévastée, dépeuplée et privée d’un si
grand pasteur, lequel fut envoyé en exil à Toulouse
par ses cruels ennemis... et là, renfermé dans une
étroite prison, et ensuite dirigé tout chargé de chaînes
vers l’Espagne. Arrivé à un lieu appelé la Couronne,
près de Ville-Pierreuse (Varilles), Volusien y fut mis à
mort par ses satellites, qui lui tranchèrent la tête. La
18 JANVIER 2 4 7

nuit qui suivit son martyre, il apparut à deux dévoies


femmes, Julienne et Juliette, leur fit part de toutes les
circonstances de sa mort, et leur recommanda de se
rendre auprès des clercs et des fidèles qui habitaient la
ville de Foix, pour leur dire de transporter son corps
dans l’église de ce lieu : ce qui fut exécuté. » On croit
que ce fut en 498.
Le corps du saint évêque, enseveli d’abord auprès
de Foix, fut transporté plus tard dans une église que
le comte Roger fit élever en son honneur. Des religieux
augustins construisirent un monastère autour de cette
tombe qui devint bientôt un lieu de pèlerinage, que de
nombreux miracles rendirent célèbre.
Le Martyrologe Romain fixe sa fête au 18 janvier;
mais l’église de Tours la célèbre le 11 février, et celui
de Pamiers le 13, en vertu d’une permission du Saint-
Siège.

S ources L e M a r ty r o lo g e R o m a i n . — au
L e s B o lla n d is te s
18 janvier. — H is to ir e d e V É g lis e de T o u lo u s e , par l’abbé
Salvan, t. Iep. — L es P e tit s B o lla n d is te s .
X IX e JOUR DE JANVIER

SAINT BLAITHMAIC, PRINCE IRLANDAIS


PUIS MOINE, MARTYR
Vers 793.

Blaithmaic naquit en Irlande d’une très illustre


famille; il était fils d’un roi et l’héritier présomptif de
son trône. Beau de visage, bien fait de sa personne, il
joignait aux qualités du corps les qualités bien plus
précieuses de l’esprit et du cœur. Il brillait au milieu
de tous par son intelligence, sa sagesse, la pureté de
ses mœurs et surtout par son incomparable piété. En
le voyant orné de tant de vertus, les peuples saluaient
en lui l’espérance de la patrie, et le roi se réjouissait à
la pensée de laisser un jour entre des mains si dignes
le sceptre et la couronne.
Cependant le noble prince méditait en silence un
avenir bien différent de celui que des parents et des
amis rêvaient à l’envi pour sa gloire, car déjà il avait
%compris la vanité des plaisirs, des honneurs et des
biens de ce monde, et se donnant à Dieu tout entier, il
l’avait pris pour son unique partage. C’est pourquoi,
lorsqu’il crut le moment favorable, il quitta secrète­
ment le palais et alla se renfermer dans un monastère.
49 JANVIER 249

Au bout de quelques jours, vous y auriez vainement


cherché Blaithmaic, l'héritier du trône, ce prince
jusque-là si richement vêtu, si somptueusement nourri,
toujours entouré de nombreux serviteurs, ou bien
encore s’avançant sur un fier coursier à la tête de ses
hommes d’armes; Blaithmaic n’était plus qu’un pauvre
moine, couvert d’un habit grossier, appliqué aux plus
vils travaux, confondu parmi ses frères et volontiers le
dernier d’entre eux.
Comme l’absence du prince se prolongeait et qu’on
ne savait ce qu’il était devenu, le roi, saisi d’une inquié­
tude mortelle, le fit rechercher de tous côtés. Enfin on
vint lui apprendre dans quel monastère son fils s’était
réfugié, et il y courut aussitôt, accompagné des prin­
cipaux seigneurs de son royaume. Tous ils avaient
espéré que, vaincu par les prières, les larmes et les
supplications de son père, Blaithmaic reviendrait sur
sa première détermination, et qu’ils allaient le ramener
triomphalement au palais de ses ancêtres. Mais ils
furent bien trompés dans leur attente, car le nouveau
moine, qui avait déjà goûté combien le Seigneur est
doux, refusa généreusement de les suivre.
Blaithmaic avait été docile aux inspirations de la
grâce, Dieu l’en récompensa par d’abondantes béné­
dictions. Son mérite le fit élever au sacerdoce, et, plus
tard, il fut jugé digne de gouverner ses frères. 11 était
pour eux un parfait exemplaire de toutes les vertus
monastiques et son union avec Dieu était si étroite, si
intime qu’il pouvait s’écrier comme saint Paul : « Non,
250 LES SAINTS MILITAIRES

ce n’est pas moi qui vis, mais c’est Jésus-Christ qui


vit en moi. » Son armure n’élait plus celle qu’il avait
portée dans le temps de sa jeunesse, armure polie,
brillante et étincelante aux feux du soleil, mais l’ar­
mure spirituelle dont le Seigneur couvre ses élus pour
les protéger contre les traits du grand ennemi des
hommes : il avait, dit son historien, pour bouclier, la
paix; pour cuirasse, la prière; pour épée, la parole de
Dieu ; pour ressource suprême dans la lutte, la patience ;
et pour gages assurés de la victoire, l’espérance et
l'amour.
La réputation de sainteté du serviteur de Dieu s’était
répandue au loin; on venait de toutes parts pour le
visiter; on lui prodiguait les témoignages de vénéra­
tion ; -enfin son humilité s’en alarma, et il résolut de
se retirer au loin dans des lieux où il pourrait vivre
inconnu. XJne nuit donc, à la faveur des ténèbres, et
tandis que le silence profond règne autour de lui, il
abandonne sa cellule et se met en route pour exécuter
son projet. Il n’y réussit pas, car bientôt l’éveil est
donné dans le monastère et aux environs : on le pour­
suit, on le trouve, on l’arrête et il est obligé de revenir
sur ses pas.
Le saint abbé avait une dévotion particulière à la
Passion du Sauveur, et il puisait dans la méditation de
ses souffrances un amour du sacrifice qu’il ne satis­
faisait pas à son gré par sa vie pénitente et mortifiée.
Il aurait voulu mourir pour son Dieu, et il enviait le
bonheur des martyrs qui, au milieu des supplices,
19 JANVIER 251

avaient versé leur sang pour Lui. Ce vœu le plus ardent


de son cœur devait être un jour exaucé.
Il existe, à l’ouest de la presqu’île calédonienne, un
îlot dont la surface peu étendue est aujourd’hui plate
et dénudée, c’est la célèbre Iona des temps passés. A
l’époque où vivait Blaithmaic, il y avait près de deutf
siècles que le grand Columba y avait rendu le dernier
soupir et toutefois les vertus monastiques n’avaient pas
encore cessé de fleurir sur cette terre, témoin de sa
sainteté et de sa gloire. Ce fut pour en respirer les
célestes parfums que notre prince, devenu moine,
abandonna sa patrie et vint habiter ces lieux. Avait-il
alors le secret pressentiment de ce qui devait lui arriver
sur cette plage lointaine, des dangers qu’il devait y
courir et du sort qui lui était réservé? Nous l’ignorons,
mais s’il en fut ainsi, il ne dut pas en être effrayé,
car quel événement fâcheux pouvait redouter un ser­
viteur qui n’avait d’autre ambition que d’être crucifié
comme son adorable maître.
Il y avait déjà quelque temps que Blaithmaic tra^
vaillait avec une nouvelle ardeur à sa propre sanctifi­
cation, sans négliger celle de ses frères, lorsqu’une
nuit, au moment où l’on y pensait le moins, les farou­
ches Danois débarquent dans l’île, nombreux et bien
armés. Bientôt ils se répandent partout* pillent, rava*
gent, comme il leur convient, enfin pénètrent dané
l’église du monastère, où ils espèrent assouvir leu*
rapacité. A cette heure même Blaithmaic était à l’autel,
achevant dans le plus grand recueillement la célébra*
252 LES SAINTS MILITAIRES

tiori des divins Mystères. Les pirates le voient, ils


s’avancent audacieusement jusqu’à lui et le somment
de leur déclarer où se trouve le riche tombeau de
Columba. Indigné d’une pareille demande, Blaitlimaic
refuse de leur répondre. Alors ils se précipitent sur
lui avec fureur, le percent de mille coups, et le prêtre
du Seigneur tombe victime d’amour pour son Dieu au
pied de l’autel même où son Dieu venait de s’immoler
par amour pour lui.
Après le départ des cruels Danois, le corps du martyr
fut enseveli dans le lieu même où il avait consommé
son sacrifice, et Dieu glorifia son tombeau par de
nombreux miracles.

S ources au 49 janvier. — H. Ménard;


L e s B o lla n c lis te s
M a r ty r o lo g e S S . D . B . Observât. Liber II.

SAINT CANUT IV, ROI DE DANEMARK, MARTYR.


8 06 .

Canut ou K n u t, quatrième du nom, roi de Dane­


mark, surnommé quelquefois d'Odensée et plus sou­
vent le Saint, était fils naturel de Suénon II, et pelit-
neveu de Canut le Grand, qui subjugua l’Angleterre.
Le roi, son père, qui n’avait point d’enfants légitimes,
s’étant tout à fait converti au bien, sous la conduite
19 JANVIER 253

de saint Guillaume, évêque de Rotschild, eut soin de


le faire élever par de sages gouverneurs. Canut ré­
pondit parfaitement à leur éducation et se perfectionna
en peu de temps dans les exercices de l’esprit et du
cœur qui convenaient à sa naissance. On remarquait
en lui une éminente piété qui donnait un nouveau
lustre à ses autres vertus. Quand il fut en âge de com­
mander les armées, il le fit avec cette supériorité qui
annonce le héros; et il n’eût pas été facile de décider
s’il avait plus de courage que de capacité dans le mé­
tier de la guerre. Ses premiers coups d’essai furent de
purger les mers des pirates qui les infestaient, et de
soumettre plusieurs peuples voisins qui désolaient le
Danemark par leurs incursions.
Ces grands succès lui frayaient sans doute le chemin
du trône. Mais après la mort du roi Suénon, son père,
les Danois, se souvenant des périls auxquels son cou­
rage les avait exposés lorsqu’il n’était encore qu’au
second rang, craignirent que, s’ils lui mettaient la
couronne sur la tête, son humeur guerrière ne leur en
fît courir de nouveaux et de plus grands. C’est pour
cette raison qu’ils lui préférèrent son frère Harold, qui
était son aîné, mais peu capable.
Canut se voyant chassé d’un État qui lui devait sa
gloire et une grande partie de sa puissance, se retira
auprès du roi Halstan, qui le traita comme le deman­
dait sa vertu. Harold qui ne pouvait longtemps sou*
tenir le poids d’une couronne envoya le presser de
revenir et lui offrit de la partager avec lui; mais Canut
MILITAIRES. — T. I, 15
254 LES SAINTS MILITAIRES

ayant reconnu que c’était un artifice pour le perdre,


eut assez de prudence pour ne pas se fier, dans sa
mauvaise fortune, aux promesses d’un homme qui,
lors même qu’elle était meilleure, lui avait fait assez
connaître sa mauvaise volonté. Il fut assez généreux
pour résister aux occasions qui se présentaient de faire
souffrir à son pays la peine que méritait son ingrati­
tude. Bien loin de tourner ses armes contre lui, il les
employa à son service, et continua toujours avec le
même succès la guerre qu’il avait commencée contre
les ennemis du Danemark. Cette grandeur d’âme qui
lui faisait ainsi venger l’injure par des bienfaits, ne
demeura pourtant pas longtemps sans récompense, car
Harold étant mort après deux ans de règne, il fut rap­
pelé avec honneur et élevé sur le trône, qui était dû à
son mérite, par le suffrage même de son frère qu’on
lui avait préféré, dans un pays où l’ordre de la nais­
sance ne donnait point de rang quand il se trouvait
seul.
Ses premiers soins, après son élévation, furent
d’employer les forces du royaume, pour achever, contre
les ennemis de l’État, la guerre qu’il avait commencée
fort jeune et continuée pendant son exil* Il la termina
plus glorieusement encore pour la religion que pour
sa propre renommée ou pour l’intérêt de sa couronne;
car ayant entièrement assujetti les provinces de Cour-
lande, de Samogitie et d’Esthonie, on vit qu’il ne s’en
était rendu maître que pour y faire régner Jésus-Christ.
N’ayant plus d’ennemis à combattre, Canut songea à
19 JANVIER 255

se marier. Il épousa Adèle, fille de Robert, comte de


Flandre, dont il eut Charles, aussi comte de Flandre,
et surnommé le B on, duquel l'Église honore la mé­
moire comme d’un bienheureux le 2 mars. Canut s’ap­
pliqua aussitôt à faire refleurir les lois et la justice
dans son royaume et à rétablir l’ancienne discipline,
que l’insolence et les diverses entreprises des grands
avaient fait relâcher dans tous ses États. Il fit de
sévères, mais de justes ordonnances pour ce sujet,
sans que ni la proximité du sang, ni l’amitié, ni telle
autre considération que ce fût pût lui arracher l’impu­
nité du crime et du désordre. Il ne fit rien qu’avec
beaucoup de prudence et de sagesse; mais ce qui de­
vait faire aimer sa vertu lui attira la haine et le mépris
des personnes les plus puissantes qui ne pouvaient
souffrir qu’on réprimât la tyrannie qu’elles exerçaient
sur leurs inférieurs. Canut ne crut pas devoir s’arrêter
à leurs murmures et à leurs mécontentements.
Le saint roi ne s’occupait que des moyens de rendre
ses sujets heureux. Sa charité pour eux était si tendre
que, pour les décharger de l’incommodité que leur
causait l’excessive dépense de ses jeunes frères, il se
chargea de leur entretien et laissa seulement à Olaf
la province de Schelswig comme un apanage. Aux
vertus qui font les grands rois, Canut joignait toutes
celles qui font les grands saints. Il châtiait son corps
par des jeûnes rigoureux. Son amour pour la pénitence
allait si loin qu’il faisait usage de la discipline et du
cilice. Souvent il s’entretenait avec Dieu par des prières
256 LES SAINTS MILITAIRES

ferventes, afin d’obtenir les grâces dont il avait besoin.


Il accréditait la piété, en protégeant et en honorant
tous ceux qui servaient Dieu. Les ministres sacrés res­
sentirent les effets de sa libéralité. Il accorda au clergé
un grand nombre de privilèges et d’immunités; son
but en cela était de le rendre plus respectable au
peuple. Il ne négligeait rien pour convaincre ses su­
jets de l’obligation où ils étaient de payer les dîmes,
destinées à la subsistance de ceux qui s’étaient dévoués
au service des autels. L’accroissement du royaume de
Jésus-Christ lui parut encore un objet très digne de
son attention : de là ce zèle ardent pour la propagation
de l’Évangile. Il fonda plusieurs églises qui furent
décorées avec une magnificence vraiment royale. Il fit
présent d’une très belle couronne qu’il avait coutume
de porter, à l’église de Rotschild, qui était sa capitale
et le lieu de sa résidence.
Quoique l’Angleterre eût passé, en 1066, sous la
domination de Guillaume le Conquérant, Canut ne
laissa pas de prendre des mesures pour soutenir les
droits que lui ou ses alliés pouvaient avoir sur ce
royaume. Il y envoya des troupes; mais elles furent
aisément vaincues, parce que personne ne voulut
se joindre à elles. Quelque temps après, c’est-à-dire
en 1085, Canut leva une nombreuse armée à la solli­
citation de plusieurs Anglais réfugiés en Danemark :
son dessein était de faire une descente en Angleterre,
afin d’en chasser les Normands. Il eut le désagrément
de voir échouer ce projet par la trahison de son frère
19 JANVIER 257

Olaf, qui l’obligea, par des retardements affectés, à


rester dans le détroit de Lymfiord; et le départ fut
tellement différé, que les troupes désertèrent à la fin.
Le saint roi crut cette occasion favorable pour tra­
vailler à l’établissement des dîmes ecclésiastiques. Il
ordonna donc qu’on paierait, en punition de la déser­
tion, ou les dîmes ou une taxe considérable. Les Da­
nois, qui avaient une aversion marquée pour l’assujet­
tissement aux dîmes, aimèrent mieux payer la taxe,
quelque grande qu’elle fût. Le prince, mortifié de ce
choix, voulût qu’on levât l’impôt avec une sorte de
rigueur, dans l’espérance que ses sujets changeraient
de résolution.
Les collecteurs commencèrent à faire cette levée
dans la Fionie; ils passèrent ensuite dans la Jutie,
puis dans la petite province de Wensyssel; à l’extré­
mité de la partie septentrionale de la Jutie. Cette
province était alors la plus pauvre de tout le Danemark,
elle avait deux préfets ou gouverneurs, Thor-Skor et
Tolar-Werpill. Ils mutinèrent le peuple, se mirent à la
tête des mécontents et levèrent l’étendard de la rébel­
lion. Le roi, instruit de l’approche des rebelles, s’était
retiré à Schleswig, d’où il passa dans l’île de Fionie
avec un corps de troupes assez considérable; de là il
manda à la reine de se retirer au plus tôt en Flandre
auprès de son père et d’y mener ses enfants avec elle.
Ayant été quelque temps dans la ville d’Odensée, capi­
tale de l’île, il résolut d’aller chercher les rebelles pour
leur livrer bataille; mais leurs chefs, quoique supé­
258 LES SAINTS MILITAIRES

rieurs en nombre, n’osèrent en venir aux mains avec


des troupes bien disciplinées, aguerries et commandées
par un prince qui avait déjà donné tant de preuves de
sa valeur et de sa prudence; ils eurent donc recours
à la perfidie pour l’empêcher de se mettre en campagne.
Un d’entre eux, nommé Asbiorn, l’alla trouver et lui
dit que son peuple était rentré dans le devoir, ce qu’il
assura par plusieurs faux serments. Le roi, qui n’avait
que des intentions pacifiques, crut le fourbe, malgré
tout ce que put dire son frère Benoît pour l’empêcher
de tomber dans le piège ; mais il ne tarda pas à être
détrompé, car il apprit que l’armée des rebelles mar­
chait en diligence vers Odensée pour l’y surprendre.
Cette nouvelle ne causa en lui aucun trouble; il se
rendit, selon la coutume, dans l’église de Saint-Alban,
où il entendit la messe. A peine fut-elle finie, qu’on
vint lui dire que les ennemis approchaient à grands
pas. Le comte Eric lui ayant conseillé de prendre la
fuite, il répondit : « Non, non, je ne fuirai pas. J’aime
mieux tomber entre les mains de mes ennemis que
d’abandonner ceux qui me sont attachés; d’ailleurs on
n’en veut qu’à ma vie. »
Le saint roi ne pensa plus qu’à se préparer à la mort :
il alla se prosterner au pied de l’autel, où, après avoir
fait une humble confession de ses fautes, et protesté
qu’il pardonnait à ses ennemis, il communia avec la
plus parfaite tranquillité; il prit ensuite le livre des
psaumes qu’il se mit à réciter. Cependant les rebelles
arrivent auprès de l’église et l’investissent de toutes
19 JANVIER 259

parts. Benoît, frère du roi, en défendait les portes


avec le peu de troupes qu’il avait; mais pendant qu’il
fait des prodiges de valeur, Canut reçoit un coup de
pierre dans le front au-dessus du sourcil. Cette pierre
venait du dehors et avait été lancée par une fenêtre
de l’église. Le roi, loin d’interrompre sa prière, se
contenta de porter la main à sa blessure pour arrêter
le sang qui coulait en abondance. Les rebelles n’avant
pu forcer les portes de l’église eurent encore recours
à la trahison. Un de leurs chefs, nommé Blancon, de­
manda à parler au roi, sous prétexte de lui proposer
des conditions de paix: Canut ordonna qu’on le laissât
entrer; mais Benoît n’obéit qu’à contre-cœur parce
qu’il soupçonnait encore quelque nouvelle perfidie, et
l’événement prouva qu’il avait eu raison; car l’infâme
Blancon s’étant baissé profondément en présence du
roi, comme pour le saluer, tira, en se relevant, un
poignard de dessous son manteau et le lui enfonça
dans le sein. Le traître monta aussitôt sur l’autel pour
se sauver par la fenêtre mais lorsqu’il n’était encore
qu’à demi sorti, Palmar, l’un des principaux officiers
du roi, le divisa en deux d’un coup de sabre, de sorte
qu’une moitié de son corps tomba dehors, et l’autre
resta dans l’église. Ce spectacle ranima la fureur des
barbares; ils jettent des briques et des pierres par les
fenêtres. Les châsses où étaient les reliques de saint
Alban et de saint Oswald, que Canut avait rapportées
d’Angleterre, en furent renversées. Cependant le saint,
les bras étendus devant l’autel, recommandait son
260 LES SAINTS MILITAIRES

àme à Dieu et attendait la mort avec résignation. Il


était encore dans cette posture, lorsqu’un javelot lancé
par une lenêtre acheva son sacrifice. Son frère Benoît
périt aussi avec dix-sept autres personnes. Ceci arriva
le 10 juillet 1086, selon Elnoth. Canut avait régné près
de six ans. Il eut pour successeur son frère Olaf II.
Dieu vengea la mort de son serviteur en affligeant
le Danemark de diverses calamités, entre autres d’une
cruelle famine, dont les ravages durèrent pendant huit
ans et trois mois du règne suivant. Le ciel attesta
aussi sa sainteté par plusieurs guérisons miraculeuses
qui s’opèrent à son tombeau. C’est ce qui fit qu’on
exhuma son corps à la fin du règne d’Olaf, pour le
mettre dans un lieu plus honorable que celui où il
était. Eric III, successeur d’Olaf, prince religieux, qui
travailla avec autant de zèle que de succès à faire
refleurir la piété dans ses Etats, envoya des ambassa­
deurs à Rome avec les preuves des miracles opérés au
tombeau du bienheureux Canut. Le pape, après avoir
examiné les pièces, donna un décret qui autorisait son
culte, avec la qualité de premier ou de principal martyr
du Danemark. On fit à cette occasion une translation
solennelle de ses reliques qui furent mises dans une
très belle châsse. On trouva cette châsse à Odensée,
le 22 janvier 1582, lorsqu’on travaillait à réparer le
chœur de l’église de Saint-Alban ; elle était de cuivre
doré et enrichie de pierres précieuses, ainsi que de
quelques autres ornements d’un très beau travail.
On lisait dessus l’inscription suivante a L’an de
19 JANVIER 261

Jésus-Christ 1086, dans la ville d’Odensée, le glorieux


roi Canut, trahi comme Jésus-Christ, à cause de son
zèle pour la religion et de son amour pour la justice,
par Blancon, l’un de ceux qui mangeaient à sa table,
après s’être confessé et avoir participé au sacrifice du
corps du Seigneur, eut le côté percé et tomba contre
terre devant l’autel, les bras étendus en croix. Il mourut
pour la gloire de Jésus-Christ, et reposa en lui le ven­
dredi 7 de juin dans la basilique de Saint-Alban,
martyr, dont quelque temps auparavant il avait apporté
des reliques d’Angleterre en Danemark. » Saint Canut
a un office particulier dans le bréviaire romain, le
19 janvier.

S ources Le Martyrologe romain, le 19 janvier. — L e s


au 10 juillet. — V ie s d es s a in ts , par Godescard,
B o lla n d is te s
au 19 janvier. — Rohrbacher, H is to ir e d e l'É g l is e , liv. LXVC.

SA.IXT3 MILITAIRES. — T. I. 15.


X X e JOUR DE JANVIER

SAINT BASSE, SAINT EUSÈBE DE NICOMÉDIE


SAINT EUTYQUE DE NICOMÉDIE
ET SAINT BASILIDE DE NICOMÉDIE
OFFICIERS, GARDES DU CORPS DE DIOCLÉTIEN, MARTYRS
Sous Dioclétien.

Basse, Eusèbe, Eutique et Basilide avaient dans le


monde un rang très distingué ; ils étaient revêtus de
la dignité sénatoriale et possédaient de grandes ri­
chesses. Mais ce qui les honorait encore davantage,
c’était d’être attachés en qualité de gardes du corps,
à la personne de l’empereur Dioclétien. Or, il leur
arriva un jour d’être témoins de la patience invincible
que le bienheureux évêque Théopempte montrait au
milieu des tortures, et des -miracles que Dieu opérait
à la prière de son martyr. Ils furent tellement frappés
et si profondément touchés de ce spectacle, qu’ils se
convertirent à Jésus-Christ et reçurent le baptême.
Dioclétien, qui en fut bientôt averti, les fit comparaître
devant son tribunal. Il chercha d’abord par toute sorte
de caresses et de menaces à les obliger de sacrifier;
mais n’y ayant point réussi, il commanda de les
dépouiller honteusement de leurs insignes militaires;
20 JANVIER 263

et enfin, comme malgré cette humiliation, les géné­


reux officiers n’en persistaient pas moins dans la con­
fession de la foi, l’empereur les condamna à mourir
par des supplices différents. Ses ordres furent exécutés.
On enterra Basse jusqu’aux hanches, puis on lui coupa
les mains, on lui infligea mille blessures, et c’est dans
cet état qu’il ne tarda pas à rendre le dernier soupir.
Eusèbe fut suspendu par la tête, et on se servit de la
hache pour lui mettre tout le corps en pièces. Eutyque
fut écartelé; et quant à Basilide, il expira sous le
glaive avec lequel les bourreaux lui fouillaient et lui
déchiraient les entrailles. C’est par ce genre de mort,
différent il est vrai, mais tout aussi cruel, que les
quatre officiers du palais de Dioclétien conquirent des
palmes immortelles. Quelques temps après, un grand
nombre de personnes de leurs familles, devenues chré­
tiennes, donnaient aussi leur vie pour Jésus-Christ.

S ources au 20 janvier; au 7 février


les B o lïa n d is te s
B e S S . M ille et T rib u s, etc. — M e n o lo g iu m G r œ c o - B a s i-
l'ia n u m . — Tillemont : M é m . ee cles., t. Y, p. 657.
2 6 4 LES SAINTS MILITAIRES

SAINT SÉBASTIEN DE ROME


CHEF DE LA l re COHORTE PRÉTORIENNE, MARTYR
Vers 304.

Sébastien, chrétien zélé, élevé à Milan, mais citoyen


de Narbonne, fut si cher aux empereurs Dioclétien et
Maximien, qu’ils lui donnèrent le commandement de
la première cohorte, et voulurent qu’il se trouvât tou­
jours avec eux. C'était un homme d’une prudence
consommée, vrai dans ses paroles, plein d’équité dans
ses jugements, sage dans le conseil, fidèle à un secret,
courageux dans les coups imprévus, et remarquable
par sa bonté et la parfaite pureté de ses mœurs. Les
soldats le vénéraient comme un père, et tous les offi­
ciers du palais l’aimaient d’une sincère affection. C’était
enfin un vrai serviteur de Dieu; et il convenait qu’il
fût aimé de tous, celui que Dieu avait comblé de sa
grâce.
Chaque jour, il rendait au Christ un hommage
assidu; mais il en gardait le secret à l’égard des
princes sacrilèges à la personne desquels il était at­
taché ; non par crainte des supplices et pour servir sa
fortune terrestre; mais en couvrant sa qualité de soldat
chrétien sous la chlamyde du soldat, son dessein était
de soutenir le courage des chrétiens qu’il voyait faiblir
au milieu des tourments, et de conserver à Dieu les
âmes que le diable s’efforçait de lui enlever.
2 0 JANVIER 2 6 5

Enfin, après avoir arraché à la crainte des souffrances


un grand nombre de martyrs et excité leurs désirs
vers la couronne de la vie éternelle, il parut lui-même
ce qu’il était, la lumière ne pouvant se cacher au
milieu des ténèbres.
Parmi les chrétiens à qui Sébastien conserva la vie
de la grâce par ses paroles, il y eut deux chevaliers
romains, nommés Marc et Marcellien, frères jumeaux,
fils de Tranquillin et de Marcia, personnes de haute
qualité et possédant de grandes richesses. Une sen­
tence de mort avait été donnée contre eux s’ils ne
sacrifiaient aux dieux, et déjà, attendris par les larmes
de leurs parents et de leurs amis, ils paraissaient
presque irrésolus sur la conduite qu’ils avaient à tenir,
lorsque Sébastien s’apercevant du péril qu’ils courent,
leur dit « Vaillants soldats du Christ, combattants
du divin combat, vous touchiez à la palme ; et voici
que de misérables caresses vous font renoncer à la
couronne immortelle. Apprenez donc, ô guerriers du
Christ, que la foi est une armure plus solide que le fer.
Ceux-ci, dont les pleurs vous distraient, se réjoui­
raient eux-mêmes pour vous, s’ils savaient ce que vous
savez vous-mêmes. Us croient que cette vie est Tunique,
et qu’après elle l’âme ne survit pas au corps. Si l’autre
vie joyeuse et immortelle leur était connue, ils cour­
raient avec vous pour l’atteindre! C’est là que les roses
ne se fanent jamais, que les prairies sont toujours
verdoyantes, que l’émail et le parfum des fleurs ne
s’altèrent pas ; là brille une lumière éblouissante sans
2G6 LES SAINTS MILITAIRES

le secours du soleil, un jour que la nuit ne remplace


jamais. L’œil n’y est blessé par rien de difforme, et
l’oreille y entend sans cesse des concerts exécutés par
las anges, à la gloire du roi de ce séjour. Les mets
dont on s’y nourrit offrent à chacun la saveur qu’il
préfère. Dès que l’âme y a formé un désir, tout s’em­
presse à le satisfaire.
« O amis, ô parents, ô épouses des saints, gardez-
vous donc d’arracher à la vie ceux que vous aimez et
de les plonger dans la mort. Le chrétien ne craint pas
les tourments, car il sait qu’une heure de souffrance
vaut pour lui une éternité de bonheur. Laissons notre
âme sortir de son corps avec la palme du martyre, afin
qu’elle arrive aux délices éternelles. Changeons nos
larmes en allégresse; ne pleurons pas comme s’ils
étaient morts ceux qui vont régner avec le Christ. »
C’est ainsi que sous l’habit militaire, le bienheureux
Sébastien soutenait, par ses discours, la foi des mar­
tyrs.
Ces choses se passaient dans la maison de Nicos-
trate, l’assesseur du préfet, à la garde duquel Marc et
Marcellien avaient été confiés. Ce Nicostrate avait une
épouse, nommé Zoé qui, depuis six ans, à la suite
d’une grande maladie, avait perdu l’usage de la parole.
Mais elle avait conservé l’ouïe et avec l’ouïe l’intelli­
gence. Elle avait donc entendu et compris les paroles
de Sébastien. C’est pourquoi, se jetant à ses pieds,
elle le suppliait en agitant les bras. Le bienheureux
officier, voyant qu’elle ne pouvait exprimer de vive
2 0 JANVIER 2G 7

voix les secrets de son cœur, demanda la cause de


son silence. Quand on lui eût dit qu’une grande ma­
ladie avait enlevé à cette femme l’usage de la parole,
il reprit : « Si je suis vrai serviteur du Christ, si c’est
la vérité qui a parlé dans les discours que cette femme
a recueillis de mes lèvres et qu’elle a retenus dans son
cœur, que Jésus-Christ mon Maître commande, qu’il
rende à cette femme l’usage de la langue; qu’il lui
ouvre la bouche, lui qui a ouvert la bouche de Za­
charie son prophète. » En même temps il fit le signe
de la croix sur les lèvres de Zoé. A cette parole du
bienheureux Sébastien, Zoé jeta un grand cri, et dit
d’une voix puissante « Sois béni, Sébastien; bénie
soit la parole sortie de tes lèvres. Ils sont bienheureux
ceux qui par toi ont tenu au Christ, fils du Dieu
vivant,. »
Nicostrate, voyant la grande puissance du Christ
manifestée d’une manière si éclatante dans son épouse,
se jeta aux pieds de Sébastien et le pria de leur par­
donner si, pour obéir aux ordres de l’empereur et du
préfet, il avait retenu les saints de Dieu en prison, et
qnand il eut ajouté « Je ne prendrai aucune nourri­
ture que je n’aie été initié aux mystères de la religion
chrétienne, » Sébastien lui dit « Change d’office et
deviens assesseur du Christ, et non plus celui du
préfet. Ecoute encore ceci II faut que tu réunisses
tous ceux qui sont dans la prison, sous les chaînes et
dans les cachots. Quand tu l’auras fait, j ’irai trouver
le pontife de la loi trois fois sainte; et tu recevras
268 LES SAINTS MILITAIRES

avec ceux d’entre eux qui le désireront l’initiation aux


mystères. » Nicostrate répondit : « Gomment peut-on
confier les choses saintes à des hommes injustes et
criminels? » Le bienheureux Sébastien dit « Notre
Sauveur a daigné nous manifester sa puissance en
faveur des pécheurs; il a enseigné un mystère qui
efface tous les crimes et les péchés de l’homme, et
qui confère aux âmes une vertu divine. » A ces mots,
l’assesseur Nicrostate alla trouver le geôlier Claude, et
lui ordonna d’amener tous les prisonniers. « Comme
ils doivent être jugés, dit-il, à la première séance, je
veux les réunir aux chrétiens qui sont chez moi, afin
que nul ne manque au jour où le préfet siégera sur
son tribunal. »
Tous ces captifs ayant donc été rassemblés dans la
maison de l’assesseur, et étant encore chargés de leurs
fers, le courageux Sébastien leur parla d’une manière
si convaincante et si persuasive que tous ils répan­
daient des larmes de repentir et attestaient qu’ils vou­
laient croire au Christ. Le bienheureux Sébastien
ordonna alors qu’on déliât leurs chaînes. Il se rendit
ensuite au lieu où le prêtre Polycarpe se tenait caché
à cause de la persécution, et lui raconta tout ce qui
s’était passé. A ce récit, Polycarpe, ayant rendu grâces
à Dieu, vint avec Sébastien à la maison de l’assesseur
Nicostrate. Ayant aperçu cette multitude de croyants,
il les salua avec bonheur et leur fit une longue instruc­
tion sur la religion chrétienne. Les paroles du bien­
heureux prêtre les remplit tous de joie, et chacun
2 0 JANVIER 2 6 9

s’empressa de donner son nom, avant même qn’on les


lui demandât. Peu de temps après ils furent tous bap­
tisés et reçus au sortir de l’eau par le bienheureux
Sébastien. De ce nombre étaient Nicostrate et Zoé;
Claude que la guérison miraculeuse de Zoé avait con­
verti à la foi; Marcia, mère de Marcellien et de Marc,
ainsi que Tranquillin, leur père. Ce dernier, qui avait
souffert longtemps de la goutte aux mains et aux
pieds, avait recouvré une santé parfaite en descendant
dans la fontaine sacrée.
Les dix jours de délai accordés à Marc et à Marcel-
lien étant expirés, Agreslius Ghromace, préfet de Rome,
fit comparaître devant lui Tranquillin et l’interrogea
sur les intentions de ses enfants. Mais quel ne fut pas
son étonnement lorsque celui-ci lui rapporta tout ce
qui s’était passé, comment il était lui-même devenu
chrétien et de quelle manière il avait été délivré de la
goutte qui le tourmentait. A cette dernière informa­
tion, Chromace, qui souvent souffrait horriblement du
même mal, prête une oreille encore plus attentive ; il
recueille les moindres détails, l’espérance de guérir,
dût-il pour cela se faire chrétien, s’éveille dans son
cœur, elle triomphe ee ses répugnances, et enfin il se
décide à faire venir en secret le prêtre Polycarpe et
Sébastien pour savoir d’eux ce que c’est que la reli­
gion chrétienne. Les longs entretiens qu’il eut avec
eux dissipèrent ses préjugés, ses erreurs et quand il
eut fait briser ses idoles il fut subitement guéri.
Alors le bienheureux Sébastien dit à Chromace
2 7 0 LES SAINTS MILITAIRES

« Gomme tu le sais, j ’ai le commandement de la pre­


mière cohorte; j ’avais autrefois résolu d’ignorer tou­
jours jusqu’à l’existence d’une milice chez les hommes,
et j’aurais voulu tenir à ma résolution. Si plus tard je
me suis caché sous la chlamyde, je l’ai fait unique­
ment dans le but d’instruire les âmes incertaines et de
fortifier les courages chancelants, de peur que l’excès
de la douleur dans les supplices ne triomphât de ceux
que la foi avait armés comme ses défenseurs. Mais
toi, avec les honneurs et le pouvoir dont tu es revêtu,
tu ne peux te dérober aux spectacles publics, ni te
refuser à juger les causes portées devant ton tribunal.
Je te conseille donc de prétexter une maladie et de
demander un successeur, afin que, libre de toutes les
occupations du siècle, tu puisses apprendre nos ensei­
gnements sur la vie future, et recevoir, dans une nou­
velle naissance, le privilège d’avoir pour père le Dieu
éternel. » Ghromace suivit le conseil de Sébastien, et,
peu de jours après, ayant renoncé dans les formes du
droit à toutes les affaires du siècle, il fut baptisé avec
son fils Tiburce et quatre cents personnes de tout sexe
appartenant à sa maison, et, comme son titre de
chrétien ne pouvait pas rester longtemps un mystère
pour le public, il obtint, par un rescrit émané de la
personne sacrée des empereurs, de se retirer sur le
rivage de Campanie où il avait de vastes domaines.
Cependant la persécution contre les chrétiens deve­
nait de jour en jour plus violente, et déjà un très
grand nombre d’entre eux avaient préféré la mort,
2 0 JANVIER 271

même la plus cruelle, à l’apostasie, lorsque les dénon­


ciateurs s’attaquèrent au bienheureux Sébastien.
Le préfet parla de lui à l’empereur Dioclétien, qui
le fit venir et lui dit « Je t’ai toujours donné place
parmi les premiers officiers de mon palais ; et toi, jus­
qu’ici, pour la ruine de mon trône et de ma vie, tu as
prodigué dans le secret l’injure à nos dieux. » Sébas­
tien répondit : « C’est pour ton salut que toujours j’ai
honoré le Christ, c‘est pour le salut de l’empire romain
que toujours j ’ai adoré Celui qui règne dans les cieux,
convaincu que c’était vanité et folie de demander du
secours à des pierres. »
Alors Dioclétien, plein de colère, ordonna de le
conduire au milieu du champ de Mars et de l’attacher
à un poteau, afin qu’il servît de but aux archers qui
avaient ordre de le percer de leurs traits. Les soldats
l’établirent donc au milieu du champ de Mars, et
bientôt tout le corps du martyr fut couvert de leurs
flèches, comme un hérisson garni de dards.
Ils le crurent mort et s’éloignèrent. Cependant la
veuve du martyr Castule, nommée Irène, vint la nuit
pour l’enlever et l’ensevelir. Elle le trouva vivant et
l’emmena dans sa demeure, qui était dans les appar­
tements les plus élevés du palais de l’empereur. Au
bout de très peu de jours, les plaies dont le corps de
Sébastien était couvert, s’étaient fermées; il était par­
faitement guéri. Les chrétiens accouraient en foule au­
près de lui et l’exhortaient à fuir. Mais lui, après avoir
prié, descendit de sa retraite, et se tenant sur les degrés
2 7 2 LES SAINTS MILITAIRES

qui conduisaient aux appartements de Dioclétien,


lorsque les empereurs passèrent devant lui, il s’écria :
« C’est par d’injustes calomnies que les pontifes de vos
temples jettent le trouble dans tout l’empire, en incom­
bant des crimes contre les chrétiens, et en répétant
qu’ils sont les ennemis de l’État, tandis qu’au con­
traire la république s’améliore et grandit par leurs
prières ; car ils ne cessent point de prier pour le salut
de l’empire et la prospérité des armées romaines. » A
ces mots, Dioclétien surpris « Serais-tu donc, lui
dit-il, ce Sébastien que nous avons fait périr dernière­
ment à coups de flèches? » Saint Sébastien répondit :
« Notre-Seigneur Jésus-Christ m’a rendu la vie pour
que je vinsse protester devant tout ce peuple que vos
persécutions violentes contre les serviteurs du Christ
n’ont été inspirées que par l’injustice. »
Dioclétien le fit conduire aussitôt dans l’hippodrome
du palais, où, par ses ordres, on l’accabla de coups,
jusqu’à ce qu’il rendît l’esprit. Puis les bourreaux
enlevèrent son corps pendant la nuit, et le jetèrent
dans la Cloaca maxima. Mais le bienheureux Sébas­
tien apparut en songe à une pieuse dame romaine
nommée Lucine, et lui dit « Dans la Cloaca, près
du cirque, tu trouveras mon corps arrêté à un clou;
tu l’enlèveras et le porteras aux catacombes, pour l’y
enterrer à l’entrée de la crypte des apôtres. »
La bienheureuse Lucine, prenant avec elle des ser­
viteurs, partit au milieu de la nuit; et quand elle eut
trouvé le corps, elle le mit sur son char, le transporta
2 0 JANVIER 273

au lieu que le saint lui avait désigné, et l’y ensevelit


avec tous les hommages qu’elle put lui rendre.
Le martyre de saint Sébastien eut lieu le 20 janvier
l’an 304; l’Église célèbre sa fête le même jour.
Le cimetière où furent déposées les reliques de notre
saint, anciennement celui de Calixte, porte depuis
longtemps le nom de catacombes de Saint-Sébastien.
L’église bâtie par le pape Damase à l’entrée de ces
catacombes, et que l’on a eu soin de réparer de temps
en temps, est une de celles que l’on visite à Rome par
dévotion. Le tombeau de saint Sébastien, en marbre
blanc, placé dans une des chapelles latérales, est très
beau. Sa statue, sur le tombeau, le représente couché
et percé de flèches; c’est l’œuvre de Giorgetto, un des
meilleurs élèves de Bernini.
L’église de Saint-Sébastien, qui est très ancienne,
et l’une des sept les plus illustres de Rome et du
monde chrétien, a été bâtie sur le lieu même où le
saint accomplit son martyre, près du cimetière de
Calixte. Un monument précieux du saint martyr, c’est
son image vénérable conservée dans le titre de sainte
Eudoxie, à Saint-Pierre-ès-Liens. C’est un vieillard
avec une longue barbe blanche. Parmi les précieuses
reliques que renferme cette basilique, on voit une
partie de la colonne à laquelle le saint fut lié pour la
flagellation, et aussi une des flèches dont il fut percé.
Dans l’église de Saint-André de la Vallée, située
près du cloaque où le saint avait été jeté, on expose
sur le tabernacle de la chapelle qui lui est dédiée, dans
274 LES SAINTS MILITAIRES

un reliquaire d’argent, trois anneaux de la chaîne avec


laquelle il avait été lié.
Quant aux reliques de saint Sébastien, la translation
la plus importante et la plus célèbre fut celle qui se
fit en France sous Louis le Débonnaire. Ce prince
obtint du pape Eugène II la permission de faire trans­
porter à Saint-Médard de Soissons ce qui était resté du
corps de saint Sébastien, hors de la ville de Rome,
dans les catacombes. Ce riche trésor fut placé solen­
nellement par l’évêque Rothade dans la célèbre abbaye
de Saint-Médard, le second dimanche de l’Avent, le
neuvième jour de décembre l’an 626. Cette déposition
de saint Sébastien fut accompagnée de nombreux mi­
racles. Eerthe, sœur de l’empereur, était présente à
la cérémonie. Sur l’invitation du prélat, elle s’était
tenue longtemps près de l’autel, devant les reliques,
afin de pouvoir raconter ces merveilles à son frère,
comme témoin oculaire. Le lendemain les prodiges
continuèrent, tandis que le seigneur évêque, monté
à l’ambon, enseignait au peuple « à aimer et à prati­
quer la vraie lumière des saints ». Il en fut ainsi les
huit jours suivants, pendant lesquels Rothade avait
ordonné de faire des prières non interrompues auprès
des reliques.
Louis le Débonnaire voulut aussi les visiter. Il se
rendit à Saint-Médard avec l’impératrice Judith et
voulut fêter la Pâque de 827, dans le château des
Mérovingiens. A la troisième borne milliaire, avant
d’arriver au monastère, Louis se dépouilla de ses
2 0 JANVIER 275

ornements impériaux, ôta sa chaussure et continua sa


route nu-pieds avec l’impératrice et tout son cortège,
pour témoigner son respect pour saint Sébastien qu’il
venait honorer. Hilduin, revêtu des riches insignes de
la dignité abbatiale, vint à la tête de ses religieux les
recevoir aux portes du monastère, leur adressa un
discours et les ramena, au chant des hymnes, dans
l’église qui contenait les restes du saint martyr. Louis
et Judith, avant d’entrer dans le sanctuaire, se pros­
ternèrent, avec toute la cour, la face contre terre, sur
des tapis qu’on avait étendus. Après qu’ils eurent versé
des larmes accompagnées de gémissements et de sou­
pirs et adressé des vœux à leur saint protecteur, on
les recommanda aux prières de toute l’assistance et ils
entrèrent dans une salle où ils reprirent les ornements
impériaux. Ils revinrent à l’église avec toute leur suite.
L’empereur, le front ceint du diadème, monta sur un
trône pour assister à une messe solennelle, en l’hon­
neur de saint Sébastien. Lorsqu’on fut à l’évangile, il
prit de ses propres mains un riche calice d’or massif
avec sa patène, orné du monogramme de Charlemagne,
et, après l’évangile, il le3 porta lui-même à l’offrande
pour les consacrer au saint. A la fin de la messe, il
s’avança avec Judith vers l’autel, devant les reliques;
ils se dépouillèrent de nouveau des ornements royaux
et y déposèrent encore une lampe d’or, un encensoir du
même métal, d’une grandeur et d’un poids extraordi­
naire (t8 sicles), une vaste amphore d’huile pour le
luminaire, et parmi une foule d’autres dons non moins
2 7 6 LES SAINTS MILITAIRES

riches, un texte ou livre des Évangiles écrit en lettres


d’or et orné de riches enluminures.
Louis ne manqua pas, après la grande cérémonie
qui avait eu lieu en sa présence, de revenir les jours
suivants visiter les corps des saints Sébastien et Gré­
goire, autour desquels les miracles se multipliaient,
au point que dix-huit personnes furent guéries en sa
présence. Le pèlerinage de l’empereur ne dura pas
moins de seize jours.
En l’an 1564, le samedi 27 mars, entre trois et
quatre heures du matin, une troupe cachée d’échevins
et d’autres habitants de Soissons, huguenots ou calvi­
nistes, conduits par leurs chefs MM. de Jenly et Yendy,
cachés dans un bourg voisin, s’introduisirent dans la
ville avec de fausses clefs et y saccagèrent les églises
de telle sorte, qu’après trente ans oii pouvait encore en
voir les ruines non relevées.
Quand ils furent arrivés près du monastère de Saint-
Médard, situé dans le faubourg de la ville, ils étaient
réunis en troupes nombreuses; c’était le dernier jour
du mois de mars; les religieux avaient dû fuir, après
le sort de la ville. Les hérétiques n’y trouvèrent donc
personne. Ils se mirent à détruire les autels, les saintes
images, le cloître, le réfectoire, le dortoir; ces lieux
remarquables étaient cependant dus à la munificence
de Charles le Grand et de Louis le Pieux, son fils ;
à peine le royaume en comptait-il d’aussi beaux. Mais
il se trouva qu’ils ne découvrirent point les châsses de
saint Sébastien, de saint Grégoire et de saint Médard,
2 0 JANVIER 2 7 7

parce que dans l’intervalle du samedi où commencèrent


leurs sacrilèges, jusqu’au dernier jour de mars, quel­
ques nobles de leurs troupes étant venus aux mêmes
lieux avaient ravi les saintes reliques ainsi que trois
croix en or, en argent d’un admirable travail, un vase
d’argent et des candélabres d’argent fort beaux.
Mais par la miséricorde divine, plus tard, les pré­
cieuses richesses furent retrouvées. Une partie flottait
sur l’eau des fossés qui séparaient le cloître du côté
du jardin des religieux où se distribuaient les aumônes;
de sorte que, flottant sur les eaux, ces saintes richesses
paraissaient vouloir entrer dans la maison d’un em­
ployé du monastère, homme dévot et pieux. Antoine
Barre (c’était son nom) recueillit précieusement ces
restes vénérés qu’il reconnut aisément, car, avant le
sacrilège, il les avait honorés souvent dans les proces­
sions et aux fêtes solennelles. Dieu voulut qu’une
pauvre veuve nommée Jeanne Hurillon vînt en ce
moment chez Antoine Barre. Elle l’aida à recueillir les
reliques sacrées qu’ils convinrent de remettre entre les
mains de la pieuse dame Catherine de Bourbon, abbesse
de l’abbaye Notre-Dame de Soissons. Cette dame était
la sœur du prince de Condé. Peu de temps après, un
vigneron nommé Philippe Doden, homme bien posé
dans sa condition, trouva d’autres reliques dans une
vigne qu’il tenait en location du monastère. Ces reli­
ques furent déposées dans la chapelle de l’aumônerie,
jusqu’à ce qu’ellés eussent été'reconnues, ainsi que celles
qui avaient été remises à l’abbesse de Notre-Dame.
SAINTS M 1U ÎA IR Ê S . — T . I, 16
278 LES SAINTS MILITAIRES

Le vendredi 17 janvier 1578, le révérendissime Char­


les de Roussy, évêque de Soissons, procéda à la vérifi­
cation des reliques, en présence d’un très grand nombre
de témoins, tant laïques qu’ecclésiastiques, qui avaient
été convoqués à cet effet. Devant cette assemblée, on
déposa sur une table, recouverte d’une serviette de fin
lin, une petite châsse de chêne, fermée par une clef et
renfermant les saintes reliques; c’était celle que l’ab­
besse avait gardée précieusement dans son oratoire,
sachant bien qu’elle renfermait les précieux restes que
souvent, avant le sacrilège, elle avait vénérés et baisés.
Aussi assura-t-elle et affirma-t-elle qu’ils avaient été
constamment sous sa sauvegarde depuis le sac de la
ville par les hérétiques. Alors les saintes reliques furent
tirées de lâchasse et posées sur la table, puis montrées
séparément aux témoins, et chacun d’eux ayant prêté
serment entre les mains de l’évêque, affirma que tels
étaient bien les restes de saint Sébastien, saint Gré­
goire et saint Médard, qui étaient gardés précédem­
ment dans des châsses d’or et d’ivoire; que c’étaient
bien les reliques portées aux processions et honorées
par les pèlerins, à Saint-Médard, avant la sacrilège
profanation, et qu’ils avaient eux-mêmes si souvent
vues et touchées. Ensuite le révérendissime évêque les
fit distribuer dans trois reliquaires et signa le procès-
verbal.
L’ancienne abbaye de Saint-Médard-lès-Soissons a
été dévastée et en partie ruinée par suite de la Révo­
lution de 1792; ce qui en reste a été acheté par l’ancien
20 JANVIER 279

évêque de Soissons qui en a fait un établissement de


sourds-muets. Il existe dans la contrée des reliques de
saint Sébastien; il est à présumer qu’elles viennent de
Saint-Médard, au moins en partie. Notre-Dame de
Moret, diocèse de Meaux, a le bonheur de posséder
encore aujourd’hui quelques unes de ces saintes reli­
ques. On en conserve aussi à la Cathédrale, au Carmel,
à la Yisitation, et à la Sainte-Famille d’Amiens.
Saint Sébastien est particulièrement invoqué contre
la peste. Plusieurs villes et plusieurs pays ont été
redevables à sa puissante intercession auprès de Dieu,
de la délivrance de ce fléau. On en ressentit surtout
les effets à Rome en 680, à Milan en 1575 et à Lisbonne
en 1599.

S ources L e M a r ty r o lo g e r o m a in . L e s B o lla n d is te s , au
20 janvier. — B a r o n i i A n n a le s : A n n u s C h r is ti 286. Tille-
mont M é m . ecclés.y t. IV, p. 515 et 740. — De Rivaz,
E c la ir c is s e m e n ts s u r le m a r t y r e d e la L é g io n th é b é e n n e , p. 216,
257. — Ch. Barthélemy, les S a i n t s d e F r a n c e , t. II. A n n a l e s
d u diocèse d e S o is s o n s , par l’abbé Pécheur, t. Ier. — L’abbé
Corblet, H a g io lo g ie d u diocèse d 'A m i e n s , t. IV. — L e s p e t its
B o lla n d is te s .
X X I I e JO U R D E JA N V IE R

SAINT ANASTASE DE PERSE


SOLDAT MARTYR

628 .

Anastase signifie, en grec, qui passe de la mort à la


vie, et c’est en effet, à parler le langage des chrétiens,
ce qui se réalisa pour le saint que nous honorons sous
ce nom. Né au milieu de l’idolâtrie, enseveli dans les
ténèbres de l’erreur, il en fut tiré par ces voies secrètes
et merveilleuses qui ramènent parfois les âmes à Dieu :
il fut recréé par la grâce, conduit au jour de la vraie
foi, et admis enfin à la vie céleste des élus.
Anastase, appelé d’abord du nom de Magundat,
était fils d’un mage qui l’instruisit dans toutes les
sciences de sa secte. De bonne heure il prit le parti
des armes et se livra avec ardeur à l’exercice de cette
profession. Toutefois un incident survenu vers ce
temps (614) vint donner à ses pensées une direction
nouvelle et fournir un plus pur aliment à son ambition.
Chosroès, roi de Perse, venait de s’emparer de Jéru­
salem; en retournant dans ses États, il emporta la
croix sur laquelle Jésus-Christ avait donné sa vie pour
2 2 JANVIER 281

le salut du monde. Get événement excita l’attention de


Magundat; la vénération des chrétiens pour l’instru­
ment d’un supplice regardé comme infâme le surpre­
nait, il en voulut chercher la cause, il étudia leur
religion ; puis, frappé de sa beauté, de sa morale, de la
sublimité de ses dogmes, il en demeura tout ému. De
ce moment le jeune mage cessa d’être le même; il
semblait inquiet, préoccupé; quelque chose de grand
oppressait son âme, le poussait au pied de cette croix,
signe de salut pour tous dont il pénétrait déjà le
mystérieux symbole.
Ce ne fut néanmoins qu’après un certain temps, au
retour d’une expédition contre les Romains, dans la­
quelle il avait servi, qu’il se livra tout entier au sen­
timent nouveau qui l’animait. Alors il renonça à la
profession des armes, se retira dans la ville d’Hiéraple,
en Syrie, et y prit sa demeure chez un monnayeur
persan qui était chrétien, et auquel il ouvrit son cœur.
Celui-ci, afin de l’entretenir dans ses bonnes résolu­
tions, le menait quelquefois avec lui à la prière des
fidèles. La simplicité, la grandeur du culte chrétien,
firent sur le néophyte une vive impression; les saints
cantiques, le profond recueillement des fidèles, le ravis­
saient; tout autour de lui excitait sa surprise et son
admiration; les peintures pieusês qui décoraient les
églises le frappaient particulièrement; il se faisait
expliquer les combats des martyrs, s’enflammait au
récit de leurs souffrances, et revenait chez lui exaltant
leur courage et enviant leur triomphe. A quelque
SAINTS MILITAIRES — T. I. 16.
2 8 2 LES SAINTS MILITAIRES

temps de là, il sortit d’Hiéraple, ville alors dépen­


dante de la Perse, pour aller recevoir le baptême à
Jérusalem.
Magundat, après s’être préparé avec une ferveur
singulière à la grâce de la régénération, fut baptisé par
Modeste, qui administrait l’église de Jérusalem pendant
la captivité du patriarche Zacharie. Ce fut à cet instant
qu’il changea son nom en celui d’Anastase dont nous
avons dit plus haut la signification mystique. Durant
les jours qui suivirent, revêtu d’habits blancs, ainsi
qu’il était alors d’usage pour les nouveaux baptisés, il
demeura en prières ou tout occupé de pieux exercices ;
puis il se retira dans un monastère à quelques lieues
de Jérusalem, et peu après fut admis lui-même au
nombre des moines.
Anastase devint bientôt le modèle de ses frères; nul
n’était plus soumis à la règle, plus fervent et plus avide
de la parole de Dieu. Après l’Écriture sainte, il n’était
pas de lecture qui l’intéressât plus que l’Histoire des
Martyrs ces touchants récits faisaient couler ses
larmes et l’embrasaient du désir de verser son sang
pour Jésus-Christ.
Dieu, en effet, ne l’avait pas destiné à la vie calme
et paisible du cloître, il devait subir d’autres épreuves,
confesser l’Évangile en présence de la mort, et, par son
exemple, gagner le peuple à la foi. Après sept ans d’une
vie édifiante au milieu de ses frèresj il sortit du monas­
tère, et sur l’avertissement secret qu’il reçut d’en haut,
il fit des pèlerinages à Diospolis, à Garizim et à Notre-
22 JANVIER 283

Dame de Gésarée. Cette dernière ville, comme presque


toute la Syrie, était alors soumise aux Perses, et le
culte des mages y était observé. Anastase se retrouva
donc au milieu des erreurs qu’il avait abjurées; il en
fut douloureusement frappé; une sainte indignation
s’alluma dans son âme, et à la vue de quelques pra­
tiques superstitieuses qui s’opéraient publiquement, il
ne put se défendre de manifester tout haut son mépris
pour ces adorations impies. Il est arrêté sur l’heure,
on le presse, on le traîne en prison. En apprenant qu’il
avait renoncé au culte de sa nation, ses juges irrités le
menacent de toute la vengeance des lois ; mais les
persécutions et les promesses ne peuvent ébranler sa
constance. On le charge alors de chaînes, on le lie à
un autre prisonnier, et dans cet état on Te condamne
aux plus rudes travaux; il est contraint de porter des
pierres, et tandis que harassé de fatigues, il sent son
corps faiblir d’épuisement et de souffrance, il lui faut
essuyer encore les outrages des Perses, de ceux de sa
province surtout qui le couvraient d’insultes et l’accu­
saient d’être un opprobre pour eux tous.
Néanmoins tant de douleurs n’ont pas lassé la pa­
tience du martyr; il demeure inébranlable et la rage
des persécuteurs doit recourir à de nouvelles tortures.
Les bourreaux l’entourent, ils s’arment de bâtons
noueux pour déchirer ses membres. Anastase n’oppose
aucune résistance. Mais il a jusque-là conservé le
saint habit des moines; il veut le préserver de cette
dernière ignominie, et, pour toute grâce, il demande
284 LES SAINTS MILITAIRES

qu’avant le supplice son vêtement lui soit ôté. Satisfait


sur ce point, il s’incline, et sans pousser un cri, sans
le moindre mouvement il reçoit les coups dont il est
accablé.
Cependant le bruit des persécutions supportées par
Anastase étant arrivé jusqu’à son monastère, l’abbé
ordonna des prières dans la communauté et fit partir
deux moines pour le consoler et lui prêter assistance.
Quant au saint confesseur, on l’avait de nouveau envoyé
aux carrières pour transporter des pierres jusqu’à ce
que le roi, devant lequel l’affaire avait été déférée, eût
prononcé sur son sort. Il n’avait de relâche que pendant
la nuit, encore en passait-il une grande partie en
oraison; mais charitable autant que fervent, il priait le
cou baissé, et prenant garde de remuer le pied, de
peur de troubler le sommeil de son compagnon de
chaîne.
Les ordres du roi Chosroès arrivèrent enfin; il pres­
crivait qu’un dernier effort fût tenté pour ramener
Anastase à son ancienne religion. Alors Barzabane,
gouverneur de la province pour les Perses, fit dire à
son prisonnier que le roi voulait bien user d’indul­
gence envers lui, et que s’il abjurait le christianisme
seulement de bouche, il lui serait libre d’embrasser tel
état qu’il voudrait. « Vous pourrez, ajouta l’envoyé au
nom du gouverneur, avoir une place parmi les premiers
officiers. Si vous ne vous sentez point de goût pour
cette dignité, et que vous aimiez mieux vivre en chré­
tien, et même en moine, on ne vous inquiétera point
2 2 JANVIER 2 8 o

sur cet article; d’ailleurs vous ne renierez votre Christ


qu’en présence d’un seul homme. Quelle injure lui
ferez-vous, puisque, dans le fond du cœur, vous lui
resterez toujours attaché? » Anastase répondit géné­
reusement que l’apparence même de la dissimulation
lui faisait horreur, et que jamais il n’aurait la lâcheté
de renier son Dieu. Barzabane le voyant inébranlable,
lui déclara qu’il avait ordre de l’envoyer au roi chargé
de fers. « Il est inutile de m’enchaîner, dit le martyr;
puisqui’l s’agit de souffrir pour Jésus-Christ, j’irai avec
joie au lieu de ma destination. » Le gouverneur
ordonna de le faire partir dans cinq jours avec deux
autres prisonniers chrétiens. Durant les préparatifs du
voyage, arriva la fête de l’Exaltation de la sainte Croix
que l’on célébrait le 14 septembre. Le receveur des
impôts pour le roi, qui était un chrétien de distinction,
obtint pour Anastase la permission d’aller à l’église et
d’assister à l’office divin. Sa présence et ses exhorta­
tions affermirent les fidèles dans leurs bonnes résolu­
tions, ranimèrent la ferveur des âmes tièdes et fit
couler bien des larmes de tous les yeux.
Les cinq jours étant expirés, Anastase partit sous
bonne garde, avec les deux prisonniers chrétiens et
l’un des moines envoyés par le monastère, et qui
voulut jusqu’au bout lui rester attaché. Dans tous les
lieux où il passait les chrétiens s’empressaient d’aller
à sa rencontre et lui prodiguaient mille témoignages
d’admiration et de respect. Tant d’honneurs alarmèrent
l’humilité du saint, il craignait que l’orgueil se glissant
286 LES SAINTS MILITAIRES

dans son cœur ne lui ravît sa couronne; il écrivit de la


ville d’Hiéraple et des bords du Tigre pour solliciter les
conseils de l’abbé et se recommander aux prières de
ses anciens frères.
Lorsqu’il fat arrivé à Barsaloé, en Assyrie, petite
ville à quelque de distance de Discarthes, près de
l’Euphrate, où était alors le roi de Perse, on le mit en
prison en attendant les ordres du monarque. Chos-
roès l’envoya interroger par un officier, qui tâcha de
l’éblouir par les plus magnifiques promesses. « La
pauvreté de l’habit que je porte, dit le saint, annonce
assez le mépris que je fais de la vanité des pompes mon­
daines. Les honneurs et les richesses d’un roi qui doit
bientôt mourir lui- même, ne sont pas capables de me
tenter.
Le lendemain l’officier revint à la prison dans l’es­
pérance que les menaces seraient plus efficaces que les
promesses : il se trompa. « Seigneur, lui dit le saint
avec tranquillité, il est inutile que vous vous tour­
mentiez de la sorte. Je suis, par la grâce de Jésus-
Christ, incapable d’être ébranlé. Vous pouvez donc
exécuter ce que vous avez résolu à mon égard. » L’offi­
cier, irrité, le condamna à être cruellement fustigé, ce
qui fut exécuté trois jours de suite; il ordonna ensuite
qu’on l’étendît sur le dos, et qu’on lui mît sur les
jambes une grosse pièce de bois, sur les extrémités de
laquelle on fit encore monter deux hommes robustes.
On peut imaginer l’effet que produisit une pression si
violente. La patience et la tranquillité d’Anastase éton-
2 2 JANVIER 2 8 7

nèrenl le juge. Il alla trouver le roi, lui rendit compte


de ce qui se passait, et lui demanda de nouveaux
ordres.
Durant son absence, le geôlier qui était chrétien,
mais par trop faible pour quitter une profession qui ne
convenait nullement à un disciple de Jésus-Christ,
permit aux fidèles de visiter Anastase. Ils accoururent
en foule dans la prison; chacun s’empressait de baiser
les pieds et les chaînes du martyr on emportait
comme une chose sainte et précieuse ce qui avait seu­
lement touché son corps, ou même les instruments de
son supplice. Le saint, qui n’avait que de bas senti­
ments de lui-même, fut très mécontent de cette con­
duite; il s’en expliqua même en termes assez forts,
mais il ne put rien gagner.
L’officier étant de retour fit battre Anastase de nou­
veau, mais toujours inutilement. On eût dit à voir la
constance du martyr que son corps était insensible.
On le pendit ensuite par une main, après lui avoir
attaché un gros poids aux pieds; il resta deux heures
en cet état, sans que ni les promesses ni les menaces
que l’on mit encore en œuvre pussent l’ébranler.
Enfin le juge, désespérant de pouvoir vaincre sa
résistance, alla encore trouver le roi, afin de savoir ses
dernières volontés. Il eut ordre de faire mourir le
saint avec les autres prisonniers chrétiens. A son
retour les deux compagnons d’Anastase, et soixante-
six autres chrétiens, furent étranglés sur le bord du
fleuve. On voulut qu’Anastase fût témoin de l’exécu-
2 8 8 LES SAINTS MILITAIRES

lion : on se flattait que cet horrible spectacle l’ébran­


lerait. On employa encore d’autres moyens pour le
faire rentrer dans la religion des Perses; mais ils
furent tous sans succès. « Je m’attendais, dit-il aux
bourreaux, à un genre de mort plus cruel. Je pensais
qu’on mettrait mon corps en pièces; mais puisque
Dieu m’appelle à lui par une voie si facile, le sacrifice
que je lui fais de ma vie ne me coûte rien; je le prie
seulement de l’accepter. » A peine eût-il cessé de
parler, qu’on l’étrangla comme les autres on lui
coupa ensuite la tête.
Son martyre arriva le 22 janvier, l’an de Jésus-Christ
628, et le dix-huitième de l’empire d’Héraclius.
Saint Anastase avait prédit la chute prochaine du
tyran Chosroès. La prédiction se vérifia dix jours après
par l’entrée de l’empereur Héraclius en Perse.
Le corps du saint, qu’on avait jeté aux chiens avec
ceux des autres chrétiens, fut seul respecté par ces
animaux voraces. Les fidèles le rachetèrent et l’enter­
rèrent dans le monastère de Saint-Serge, qui n’était
pas éloigné, et qui a fait donner le nom de Sergiopolis
à la ville de Barsaloé. Le moine qui l’avait suivi rap­
porta sa tunique en Palestine; son corps y fut aussi
transféré dans la suite. Quelques années après, on le
porta à Constantinople, et de là à Rome.
Le septième concile général approuva l’usage de
tirer des copies de sa tête, dont on gardait l’ancienne
image dans cette ville, avec une vénération singulière.
On la voit encore aujourd’hui dans l’église de Notre-
2 2 JANVIER 289

Dame ad aquas Salvias. Les autres reliques de saint


Anastase sont dans la chapelle de la Scala-Sancta,
près de Saint-Jean-de-Latran.

S ources L e M a r ty r o lo g e R o m a i n .
— L e s B o lla n d is te s au
22 janvier. — V ie des S a in t s , par Godescard. — L e s P e t i t s
B o lla n d is te s .

SAINT JEAN DE BULGARIE


ET SAINT LÉON DE BULGARIE
TRIBUNS' MILITAIRES MARTYRS

Vers 818.

L’Histoire ne nous ayant rien transmis de la vie


particulière de ces bienheureux tribuns, nous dirons
seulement quelque chose de la dernière guerre à la­
quelle ils prirent part, et de la persécution dont ils
furent les glorieuses victimes.
Ce fut au mois de février 813 que l’empereur Michel.
Rangabé se mit en campagne pour aller combattre
Grumnus, roi des Bulgares, qui, maître déjà d’une
partie de la Thrace et de la Macédoine s’était encore
emparé de Mésembrie. Étant arrivé à Andrinople, il
apprit que la maladie s’était mise parmi les ennemis
et avait forcé leur chef à se retirer dans ses États.
Pour profiter de la faiblesse des Bulgares, l’empereur
se mit une seconde fois en campagne au mois de mai,
SAINTS MILITAIRES. — T. I. 17
2 9 0 LES SAINTS MILITAIRES

avec des troupes plus considérables. Les deux armées


se rencontrèrent près d’Andrinople; elles restèrent en
présence pendant quinze jours, ne cessant d’essayer
leurs forces par de petits combats, où les Grecs avaient
toujours l’avantage. Le dessein de l’empereur était de
laisser les Bulgares se consumer peu à peu, mais
l’Arménien Léon poussait à une bataille générale; nous
verrons pourquoi. Son avis l’emporta dans le conseil
de guerre, la bataille se donna le 22 juin 813. Les
Grecs ont le dessus, les Bulgares plient, lorsque Léon
voyant la victoire se déclarer pour l’empereur, prend
la fuite et entraîne après lui les troupes orientales
qu’il commandait. Les Bulgares restent vainqueurs,
les Grecs défaits; Michel revient à Constantinople,
après avoir confié les débris de son armée au traître
Léon, qui s’en fait ou s’en laisse proclamer empereur.
Cependant le roi des Bulgares, avec son armée vic­
torieuse, arriva jusqu’aux portes de Constantinople;
toutefois il n’osa l’assiéger, tant le nouvel empereur
y avait mis bon ordre. Mais Léon ayant voulu le faire
tuer, sous prétexte d’une conférence, il se retira furieux*
brûla les églises, ravagea tout le pays jusqu’à Andri-
nople, qu’il assiégea et prit. 11 en emmena tous les
habitants captifs en Bulgarie, entre autres l’archevêque
Manuel, puis le fendit par le milieu du corps et le
donna à manger aux bêtes. Il fit aussi déchirer de
coups Georges, archevêque de Déboîte, et un autre
évêque nommé Pierre, puis leur fit trancher la tête. 11
fit fendre le ventre à Léon, évêque de Nicée, et lapider
2 2 JANVIER 29 J

le prêlre Parode; deux tribuns ou généraux, Jean


et Léon, eurent la tête coupée, aussi bien que Gabriel
et Sonius. On compte trois cent soixante-dix-sept
chrétiens tués en cette occasion pour n’avoir pas voulu
renoncer à la foi. L’Église grecque les honore tous
comme martyrs le 22 janvier.

S ources L e s B o llc in d is te s , au 22 janvier. — H is to ir e de


l'É g lis e , par Rohrbacher, livre LIV®. — H is to ir e d u B a s -
E m p ir e , par Le Beau, livres LXVII et LXVIIIe.

LE BIENHEUREUX GAUTIER DE BIERBÈKE


NOBLE CHEVALIER DU BRABANT, PUIS MOINE DE L’ORDRE
DE CITEAUX, CONFESSEUR
Vers 1220.

Le bienheureux Gautier appartenait à la famille des


barons de Bierbèke, petite ville située à une lieue de
Louvain : ses vertus ne contribuèrent pas peu à l’illus­
tration de cette maison. Dès sa jeunesse il se sentit
animé d’une dévotion fervente envers la Mère de Dieu;
il l’invoquait souvent, et il mérita d’en être protégé
d’une manière particulière dans une multitude d’oc­
cisions.
Il embrassa la profession des armes où il ne tarda
pas à se faire une grande réputation par sa belle con­
2 9 2 LES SAINTS MILITAIRES

duite, sa bravoure et ses actions d’éclat. Son zèle pour


la gloire de Dieu plus encore que son ardeur guerrière
le décidèrent à aller jusqu’en Palestine pour y com­
battre les ennemis du nom chrétien. Mais une fois de
retour dans sa patrie, le noble chevalier se sentit ins­
piré de quitter la vie bruyante des camps, pour se con­
sacrer entièrement au service de Dieu dans la retraite
et la prière. Il obéit généreusement à cette inspiration
qui lui venait de la Mère de Dieu, déposa pour toujours
la cuirasse et l’épée, et entra dans un monastère de
l’ordre de Gîteaux établi à Hemmerode. Auparavant il
avait eu soin de distribuer tous ses biens aux pauvres
et aux églises, et ne s’était qu’à peine réservé le strict
nécessaire. Les religieux prirent bientôt une haute idée
de ses vertus et de sa sainteté, et le chargèrent de
recevoir les étrangers. Dans ces fonctions, Gautier eut
des occasions fréquentes de pratiquer les vertus qu’il
affectionnait davantage, et surtout la charité. Ses
exemples et sa conversation avaient quelque chose de
si touchant et de si persuasif, que, dans les simples
rapports que lui donnait sa charge avec les gens du
dehors, il eut le bonheur de convertir plusieurs pécheurs
jusque-là endurcis, et d’en faire de saints pénitents.
Le bienheureux Gautier mourut à Yillers, monastère
de l’ordre de Cîteaux dans le Brabant, le 22 janvier
vers l’an 1220. Plusieurs miracles s’opérèrent à son
tombeau (1).
(1) Dominus Walterus de Birbaco... vir dives et nobilis valde
qui cum adliuc ætate florens esset militiæ seculari deditus, atquc
22 JANVIER 293

S ources L e s B o lla n d is te s au 22 janvier. — V ie s des s a in ts ,


par Godes card* au 29 janvier.

in ea strenuus satis atque nominatus... Virginem Mariam ab ipsa


pueritia cœpit invocare... ( E x v i t a , apnd Boll.)
Frater Walterus monachus in Hemmenrodc, referre solet mira-
culum mirabile, cui se interfuisse memorat. Cum peregrini in
prima expeditione obsiderent civitatom Aclion, etc., unde patet
cum quoque in Palastina Catholicæ rcligionis adversus Barbaros
armis propagandœ gratia esse profectum. ( E x c o m m e n t a r i o , apud
Boll.)
X X I I I e JO U R DE JA N V IE R

SAINT PHENGON ET SAINT EUCAEPE


SOLDATS MARTYRS
Vers 304.

Le juge Domitius voyant que, malgré des tortures


cruelles, le bienheureux Clément, évêque d’Ancyre et
Agathange, son compagnon, persistaient généreusement
dans la confession de leur foi, les fit jeter dans une
citerne pleine de chaux vive. Deux soldats, qui s’appe­
laient Phengon et Eucarpe, furent chargés de veiller
tout auprès pour empêcher les chrétiens d’approcher.
Cependant Clément et Agathange n’avaient éprouvé
aucun mal et ils chantaient les louanges de Dieu. La
nuit suivante les soldats virent briller sur eux une
lumière céleste, ils en furent d’abord très étonnés,
mais bientôt cette lumière qui éclairait leurs yeux,
éclaira si bien#leurs âmes qu’ils se confessèrent haute­
ment chrétiens, et tout de suite se jetèrent dans la
citerne pour partager le sort des martyrs. Le juge
Domitius apprit le lendemain ce qui s’était passé, il
s'emporta violemment contre Phengon et Eucarpe et
les condamna à être crucifiés. Ce fut à Amise, ville du
Pont, le sixième jour de la semaine et le septième du
2 3 JANVIER 2 9 3

mois de septembre, vers l’an 30i, que ces deux sol­


dats glorifièrent le nom de Jésus-Christ, en mourant,
comme lui et pour lui, sur une croix. Peu de temps
après Clément et Agathange eurent la tête tranchée.

S ources L e s B o lla n d is te s , au 23 janvier, dans les actes


des saints militaires Clément et Agathange, etc. — Tille-
mont, M é m o r ia l e c c lé s ia s tiq u e , t. V, p. 162.

SAINT ASCLAS
OFFICIER ÉGYPTIEN, MARTYR

Vers 304.

Àsclas, nommé aussi Sabin, était de la ville d’Her-


mopolis dans la Thébaïde et, à ce qu’il paraît, l’un de
ses citoyens les plus distingués. Tant qu’il fut en âge
de porter les armes, il eut divers emplois dans les
troupes du duc ou gouverneur d’Égypte. Mais sa prin­
cipale qualité était d’être un fidèle disciple de Jésus-
Christ. Les édits de Dioclétien qui condamnaient tous
les chrétiens à la mort, ayant été publiés et excitant
une grande persécution par toute l’Egypte, Asclas
quitta la ville, et alla s’enfermer dans une petite maison
où il ne s’occupait jour et nuit qu’au jeûne et à la prière.
On prit durant ce temps-là beaucoup de chrétiens,
mais on souhaitait surtout de prendre Asclas, et on le
296
LES SAINTS MILITAIRES

cherchait avec soin par l’ordre d’Arien. On le trouva


enfin et à ce que l’on croit par la trahison d’un men­
diant à qui il faisait souvent l’aumône. Il fut pris avec
six autres, mais on le chargea seul de chaînes pour
être présenté au gouverneur. Arien était alors en
chemin pour aller d’Hermopolis en un autre lieu. Il fit
interroger le saint par un de ses officiers nommé
Apollonide. Il répondit aussitôt qu’il était chrétien, de
condition libre et qu’il avait servi dans l’armée (1).
Alors le gouverneur lui demanda s’il ne savait pas ce
que les empereurs avaient ordonné contre les chrétiens.
Asclas lui répondit qu’il avait entendu parler de ces
édits, qui mettaient partout le trouble pour faire adorer
des idoles.
Arien fut indigné do ce qu’il traitait ainsi ses dieux
et ses princes avec leurs lois, et il le menaça de le
contraindre par les tourments à se rétracter. La ré­
ponse du saint fut qu’il n’avait qu’à faire ce qu’il vou­
drait : <( Car je ne connais, dit-il, pour lois que celles
qui sont légitimes, et pour 1*utilité commune, et non
celles qui n’ont pour motif que de satisfaire la passion
d’un particulier. Pour vos menaces, elles ne me font
pas peur et je crains davantage Celui qui peut envoyer
le corps et l’âme dans les supplices éternels que ceux
qui n’ont de pouvoir que pour tourmenter mon corps,
et qui ne l’auront pas toujours. »
(1) Respondit sanctus Sabinus vocor et christianus sum, liber
sum et dam per ætatem licuit in militia Ducis locum obtinui...
(M a r ty r iu m S. S a b in i , mart. 13, apud Surium.)
23 JANVIER 297

Arien, en colère, le fil mettre sur le chevalet et


déchirer si cruellement, qu’on lui arrachait de longs
morceaux de chair qui pendaient jusque sous ses
pieds. Le saint ne disait pas un mot durant un si
terrible supplice; et comme Arien avouait que c’était
un effet de sa constance invincible, un avocat nommé
Bisamon dit que l’approehe de la mort lui ôtait le
jugement. Asclas répondit « Je n’ai point perdu le
jugement, mais je n’abandonnerai jamais le Dieu qui
m’a crée. » Arien le fit détacher et ordonna qu’on le
menât devant lui jusqu’à la ville d’Antinoé, où il se
rendait lui-même. Dès qu’Arien y fut arrivé, il fit
venir le saint en sa présence et commanda de lui appli­
quer le feu sur les côtés et sur le ventre, en sorte que
sa chair en fut grillée, sans toutefois que le martyr dît
un seul mot. Arien se lassa le premier et comme il fai­
sait observer à Asclas qu’on voyait bien qu’il voulait
mourir, celui-ci répondit seulement « Si je meurs
c’est pour ressusciter et vivre à jamais. » Arien con­
vaincu que rien n’était capable d’ébranler sa foi, le
condamna à être jeté dans le Nil avec une pierre aux
pieds.
Le nombre de ceux qui accoururent pour voir cette
exécution, la retarda quelque temps; et cependant
diverses personnes ayant présenté au saint à manger,
il s’en excusa, en leur disant qu’il ne voulait plus ni
manger ni boire en ce monde et qu’il ne songeait qu’à
aller recevoir ces biens incompréhensibles, qui sont
préparés aux saints; il conjura aussi tous les assistants
SAINTS MILITAIRES. — T. I. 17.
298 LES SAINTS MILITAIRES

de travailler à se rendre dignes de ces biens. Quand on


l’eut mis dans un bateau pour l’aller jeter dans le
courant du fleuve, il s’adressa à quelques chrétiens^
qui se trouvaient auprès de lui, pour les prier, comme
ses chers enfants, de ne pas négliger sa sépulture et
d’enterrer aussi avec lui la pierre qu’on lui avait atta­
chée aux pieds. Il leur marqua même l’endroit où ils
devaient trouver son corps deux jours après. Gela
arriva de la sorte et il fut enterré le 23 de janvier,
étant mort le 21 de ce même mois vers l’an 304. Usuard
et quelques autres Latins marquent sa fête le 23. Les
Grecs qui l’honorent sous le nom de saint Sabin, en
font leur principal office le 16 de mars.

S ources L e M a r ty r o lo g e R o m a in . — L e s B o lla n d is te s, au
23 janvier et au 13 mars. — Surius, V i tæ S a n c t o r u m ,
mart. 13e die. — Tillemont, M é m o r ia l e c c lé sia stiq u e , t. V,
p. 358 et 728.

SAINT ANASTASE DE LÉRIDA


ET SES 73 BIENHEUREUX COMPAGNONS
SOLDATS, MARTYRS.

Sous Dioclétien.

Anastase était originaire de la ville de Lérida, en


Espagne. Il avait embrassé la carrière des armes, et il
se trouvait à Tarragone lorsqu’il fut arrêté comme
23 JANVIER 299

chrétien. On le retint longtemps en prison, d’abord


à Tarragone et ensuite à Saragosse, dans l’espérance
que les dures privations qu’on lui imposait et les
mauvais traitements dont on l’accablait finiraient par
le 'faire changer de sentiment; mais rien n’étant
capable d’ébranler sa fidélité à Jésus-Christ, on le
mena jusqu’à Badalona, petite ville peu éloignée de
Barcelone, et là on lui trancha la tête, ainsi qu’à
soixante-treize autres soldats que ses exhortations et
ses exemples avaient préparés au martyre. Cela arriva
le 23 janvier, sous l’empire de Dioclétien, mais on ne
sait en quelle année.

S ources L es B o l la n d is te s ,au 23 janvier. — Tamayo


M a r ty r o lo g i u m H is p a n u m , januarii XXIII dies.

SAINT BARNARD
NOBLE GUERRIER, PUIS FONDATEUR DE L’ABBAYE
D’AMBRONAY ET ARCHEVÊQUE DE VIENNE EN FRANCE
CONFESSEUR PONTIFE.

842

Barnard naquit, vers l’an 778, d’une ancienne et


noble famille du Lyonnais. Ses parents, aussi recom­
mandables par leur piété que par leur naissance,
laissèrent toute liberté à son amour pour le silence et
3 0 0 LES SAINTS MILITAIRES

la prière, et le jeune saint pouvait travailler à sa


perfection en même temps qu’il s’instruisait dans les
lettres humaines, ainsi qu’il convenait à un homme de
son rang, car le monde commençait à sortir de l’état
de barbarie où les invasions des peuples du Nord
l’avaient jeté; et les grands du royaume, à l’exemple
de Charlemagne, cultivaient avec succès les sciences et
les beaux-arts. Cependant il resta bientôt seul rejeton
d’une nombreuse famille et l’unique espoir des projets
de ses parents. Ce fut à lui dès lors qu’il appartint de
sauver son nom de l’oubli et de l’illustrer par ses
exploits, en suivant les traces de ses ancêtres. Il fut
donc obligé de se marier et de partir pour -le camp de
Charlemagne où il devait faire son premier appren­
tissage dans le métier des armes.
Mais son cœur, épris du ciel, demeura toujours
insensible à la terre. Il n’en remplissait qu’avec plus
d’exactitude les devoirs de son état. Il se distingua
dans la guerre contre les Saxons. Il fut charmé de la
discipline qui régnait dans l’armée, de la manière dont
Charlemagne faisait observer à ses troupes les lois du
christianisme. Il admirait surtout l’héroïsme avec
lequel le soldat supportait les privations. Souvent,
l’hiver, le camp était inondé par la pluie et les tentes
toutes couvertes de neige, en sorte qu’on trouvait
quelquefois étendus et à demi morts les soldats qui
avaient passé la nuit en sentinelle. « Hélas! disait
Barnard en lui-même, si l’on faisait pour Dieu une
partie de ce qu’on fait pour les hommes ! » D’autres
23 JANVIER 301

fois, causant familièrement avec de vieux officiers tout


couverts de blessures et plus courbés sous le poids des
fatigues militaires que sous celui des années « Je
conviens, disait-il, qu’il est juste et même glorieux de
marcher sous les ordres du prince; mais avouez qu’il
vaut encore mieux servir un maître à qui rien n’échappe
et qui récompense si libéralement. » Ces vieux guer­
riers recevaient d’autant mieux les leçons du jeune
capitaine, qu’elles étaient l’effet de la piété, mais non
de la timidité; ils l’avaient toujours vu courir des
premiers au péril et donner partout des marques d’une
valeur éprouvée. Barnard passa sept ans sous les
armes, mais il venait à peu près chaque année, pen­
dant l’hiver, veiller à l’éducation de ses enfants et faire
les délices de sa famille.
Pendant qu’il était, pour la septième année, occupé
à une expédition militaire, il reçut la nouvelle de la
mort de sa mère et, quelques jours après, celle de la
maladie dangereuse de son père, qui ne survécut pas
longtemps. 11 profita de ce malheur pour quitter la
cour et les armes. Charlemagne lui en accorda la
permission à regret, et tout le monde fut triste de son
départ.
A peine fut-il de retour dans sa famille qu’il pensa
aux moyens d’y renoncer pour Jésus-Christ. Sa ver­
tueuse épouse ayant consenti à ses pieux désirs, il lui
confia le soin de ses enfants, régla toutes ses affaires
domestiques et quitta cette demeure où il aurait pu
encore passer des jours heureux. 11 marchait sans
302 LES SAINTS MILITAIRES

route certaine, mais l’Esprit de Dieu le conduisait. Il


entra dans le Bas-Bugey, vers l’an de NotreSeigneur 803,
et, charmé de cette solitude, il s’arrêta à Ambronay.
Ce n’était alors qu’un petit hameau Connu seulement
par un monastère dépendant de Luxeuil et par une
église de la sainte Vierge renversée dans les guerres.
Barnard acheta donc Ambronay à l’abbé de Luxeuil,
fit relever l’église et bâtir un grand monastère, lui
assigna des revenus considérables et le remit entre les
mains de religieux qui, sous la conduite d’un saint
abbé, donnèrent l’exemple de toutes les vertus. Il se
renferma lui-même dans une petite cellule à côté du
monastère. Il la quittait souvent pour l’église où il
passait les nuits dans la prière et les larmes. Sa piété,
toutefois, ne fut entièrement satisfaite que par la
renonciation complète qu’il fit de sa volonté propre
en prenant l’habit religieux. Quelque rang que son
esprit, sa vertu, sa naissance et sa qualité de fondateur
lui donnassent au-dessus de ses frères, il se réduisit
dans un si grand abaissement qu’il voulut en être le
dernier. Ses austérités étaient si grandes qu’on se
demandait comment il pouvait les supporter. Il com­
battait les tentations du démon autant par le travail
que par la prière, cultivant la terre et s’exerçant aux
emplois les plus pénibles et les plus bumiliants.
L’abbé étant mort, tous les moines jetèrent les yeux
sur Barnard pour le remplacer. Il eut beau protester,
prier, gémir, tout fut inutile, il lui fallut céder aux
importunités de ses frères. Dieu bénit tellement son
23 JANVIER 303

administration, qu’en moins de trois ans le monastère


s’accrut en toutes manières, en régularité, en nombre
de religieux, en revenus, en bâtiments et en réputation.
L’an 810, Volfère, archevêque de Vienne, étant
décédé, on s’assembla pour lui choisir un successeur;
les suffrages étaient partagés. Tout à coup un enfant
de dix à douze ans élève la voix dans l’assemblée, et
s’écrie que le Seigneur a élu archevêque de Vienne,
Barnard, abbé d’Ambronay. A cette voix, on se regarde
en silence et avec admiration; bientôt il n’y a qu’un
cri pour applaudir à cette élection. Des députés vien­
nent pour l’annoncer à Barnard. Il refuse. Charlemagne
emploie l’autorité du pape Léon III, et Barnard est
obligé d’accepter. Il fut sacré, l’an 810, à l’âge de
trente-deux ans, par Leidrade, archevêque de Lyon.
Alors commença pour Barnard cette vie si active, si
zélée pour les intérêts de son troupeau, ce sacrifice de
lui-même, de ses plaisirs, de son bien-être dans un
des postes de l’Eglise les plus éminents. 11 devint le
frère des pauvres, l’espoir des pécheurs, le refuge de
ses enfants affligés, leur guide et leur soutien dans
toutes les tribulations de la vie. Avec quel zèle il par­
courait les plaines, malgré l’ardeur de l’été qui les
brûle dans le Dauphiné ; avec quels efforts pénibles il
gravissait les montagnes du Vivarais, malgré les neiges
de décembre! Il logeait dans les cabanes de ses ouailles
et partageait leurs mets grossiers. Un jour qu’on s’as­
semblait pour l’arrivée du saint évêque, un aveugle
vint comme les autres, disant qu’il voulait aussi le
304 LES SAINTS MILITAIRES

voir. On rit de sa simplicité. Lui, sans se mettre en


peine de ces railleries, se place sur les marches de
l’escalier d’une chapelle, disant en lui-même à peu près
comme la femme de l’Evangile « Si je puis m’appro­
cher et le toucher, il me fera voir aussi bien que les
autres. » Dans ce moment les cris de joie annoncent
l’arrivée de Barnard; l’aveugle court se jeter à ses
pieds. Le saint, levant les yeux au ciel, lui dit : « Votre
foi vous a donné la vue; rendez-en gloire à Dieu. » Et
aussitôt l’aveugle vit clairement son bienfaiteur. Celui-
ci, se tournant vers les ecclésiastiques, qui le suivaient,
leur dit, comme pour effacer l’impression produite par
le prodige : « Les pauvres et les simples ravissent les
grâces du ciel, et nous, nous les laissons échapper. »
Barnard eût continué à gouverner en paix son trou­
peau, et à défendre dans ses écrits la doctrine catho­
lique, sans une circonstance malheureuse qui le lança,
malgré lui, dans les voies de la politique et les haines
des partis. En 813, Louis le Débonnaire avait donné à
ses trois fils une partie de ses États : à Pépin, l’Aqui­
taine; à Louis, la Bavière; à Lothaire, l’Italie. Mais
s’étant depuis remarié, et ayant eu de sa seconde
femme un quatrième fils, Charles le Chauve, il voulut,
pour doter ce prince, revenir sur le premier partage
(823). Les trois enfants du premier lit se révoltèrent.
Grégoire IV étant venu en France pour réconcilier le
père et les enfants, le rusé Lothaire le retint dans son
camp et fit croire ainsi qu’il approuvait leur entreprise.
Agobard, archevêque de Lyon, et Barnard prirent le
23 JANVIER 30o

parti de Lothaire ; ils furent du nombre des évêques


qui, à Compïègne, prononcèrent la déchéance de l’em­
pereur et le condamnèrent à une pénitence publique.
Il fut bientôt rétabli sur son trône, et une nouvelle
assemblée d’évcques à Saint-Denis, condamna celle de
Compiègne. Ebbon, archevêque de Reims, qui l’avait
présidé, fut déposé. Abogard et Barnard furent aussi
déposés, au concile de Tramoye, dans le Lyonnais.
Mais Lothaire obtint qu’on ne leur donnât pas de suc­
cesseurs: il les réconcilia même avec son père, et ils
rentrèrent dans leurs diocèses après une absence de
près de quatre ans.
Dès lors l’archevêque de Vienne ne s’occupa plus
que du soin de son salut et de son diocèse. Il évangélisa
de nouveau cette contrée avec une telle ardeur que ses
amis craignirent pour sa santé. Il leur répondit avec
humilité que la loi de la restitution l’obligeait à réparer
le mal dont son absence avait été cause. Cependant les
pénibles fonctions de l’épiscopat, le poids des années,
le souvenir de l’abbaye d’Ambronay, lui firent sentir le
besoin d’une solitude où il pût se reposer de temps en
temps et enfin se préparer à la mort. Il découvrit sur
les bords de l’Isère, au lieu où se trouve aujourd’hui
la ville de Romans, un endroit favorable à ses desseins,
et en fit l’acquisition d’une noble veuve, qui, n’ayant
point d’héritier, lui céda une partie de son patrimoine
pour y construire un monastère. Barnard y jeta les
fondements de la superbe église qu’on y voit encore
aujourd’hui et y fonda un monastère de Bénédictins,
306 LES SAINTS MILITAIRES

qui fut longtemps célèbre par ses privilèges et sa régu­


larité. C’est là qu’il allait se délasser des travaux de
l’épiscopat et puiser de nouvelles forces. Il y méditait
loin du monde, dans d’épais bocages ou sur les bords
du fleuve. Il voulait que les moines le traitassent comme
l’un d’eux; il suivait tous les exercices et exerçait sur
son corps de saintes rigueurs qui donnaient une vigueur
céleste à son âme. Il sortait de sa retraite tout enflammé
de zèle, instruisant, exhortant, reprenant. Il cherchait
à remédier à tout; il parcourait la ville et la campagne,
consumant les restes de sa vie en charité, en zèle et
en bonnes œuvres.
Dieu lui ayant fait connaître que sa fin était proche,
il fit assembler le clergé et le peuple de Vienne dans
sa cathédrale, leur adressa un discours touchant, où
il les exhortait à vivre dans la paix et dans l’union, et
à servir Dieu. Il prit ensuite congé d’eux, leur deman­
dant pardon des fautes qu’il avait commises et les
assurant de sa tendre amitié. Arrivé à Romans, il
s’enferma dans une grotte profonde et y passa trois
jours et trois nuits en contemplation, la face prosternée
contre terre. Le quatrième jour, il se vit entouré d’une
grande lumière et entendit une voix qui lui dit : « Venez,
on vous attend. » Cette parole le remplit de consolation.
Les religieux, alarmés, envoyèrent quelqu’un qui l’in­
vita à prendre quelque nourriture et à ne plus continuer
ce jeûne indiscret. « Vous avez raison, mon père,
répondit le saint, j’ai besoin de nourriture : apportez-
moi le pain qui est descendu du ciel, car il me faut
23 JANVIER 307

prendre des forces pour le grand voyage de l’éternité. »


Ses religieux étant venus, il commença le psautier
qu’ils continuèrent, et il reçut Notre-Seigneur. L’heure
des Matines étant sonnée, il envoya ses religieux au
chœur et n’en retint que quelques-uns, avec lesquels il
continua de chanter les louanges de Dieu. Après Ma­
tines, la communauté revint vers lui, et aussitôt ce
lieu fut rempli d’une grande clarté et d’une odeur très
suave. Barnard reposait sur un cilice, « la seule manière
de mourir qui convînt, disait-il, à un si grand pécheur ».
Lorsque le jour commença à paraître, il rendit l’esprit
et entra, comme il le dit lui-même, « dans le grand jour
de la gloire et de l’éternité ». C’était le XI des calendes
de février, c’est-à-dire le 22 janvier de l’année 842, la
soixante-quatrième année de son âge, la trente-
deuxième de son épiscopat.
Dès qu’il eut expiré, la lumière dont nous avons
parlé disparut, mais la suave odeur demeura jusqu’à
ce que l’on eût mis son saint corps au tombeau; Une
foule immense s’assembla pour le voir et pour assister
à ses obsèques, qui se firent dès le lendemain pour
éviter un plus grand concours. En effet, il arriva en­
suite une foule si considérable, se disputant les moin-
dres'parcelles de ce qui avait appartenu au saint, qu’on
ne sait à quels excès le peuple se serait porté pour
avoir des reliques, si le corps n’eût pas été enseveli.
On l’avait placé au bas de l’église dans le lieu où le
saint avait coutume de faire son oraison.
On le leva de terre le 23 avril 944, et il fut mis dans
308 LES SAINTS MILITAIRES

une châsse enrichie d’or et de pierreries. De nombreux


miracles eurent lieu lors de cette translation; ils se
multiplièrent depuis avec les pèlerins. C’est le 23 jan­
vier que l’Église de Romans a toujours célébré sa
mémoire.
Au seizième siècle, les calvinistes s’étant rendus
maîtres de la ville et de l’abbaye de Romans, pillèrent
cette maison, rompirent la châsse de saint Barnard,
brûlèrent ou jetèrent ses reliques. Les fidèles ne purent
sauver qu’une partie des vertèbres, une rotule, et l’os
du bras. Les impies de 1792 voulurent achever cette
œuvre sacrilège, mais quelques membres fervents de
la confrérie des pénitents s’emparèrent des reliques de
saint Barnard et les cachèrent dans la chapelle dite du
Saint-Sacrement, elles restèrent dans cet état jusqu’au
rétablissement du culte catholique; alors sur la de­
mande deM. le Curé de Romans, Mgr Bécherel, évêque
de Valence, fit reconnaître l’authenticité de la relique,
et depuis lors elle a été exposée à la vénération des
fidèles, le jour de la fête de saint Barnard, comme on
avait coutume de le faire avant 1792.
L’archevêché de Vienne n’existe plus depuis la révo­
lution française; mais les diocèses de Grenoble, de
Valence et de Viviers, qui ont conservé le bréviaire de
cette antique et vénérable métropole, font encore au­
jourd’hui l’office de Saint-Barnard. Sa fête est aussi
marquée au 23 janvier dans le rituel de Belley publié,
par Mgr Devie. Près de Trévoux, une paroisse porte le
nom de Saint-Barnard. On assure qu’il possédait non
23 JANVIER 309

loin de là le château de la Bruyère et des terres


considérables.

S ources L e s B o lla n d is te s y au 23 janvier. — H is to ir e


h a g io lo g iq u e du diocèse de B e lle y , par Mgr Depéry. —
H is to ir e h a g io lo g iq u e d u d io cèse d e V a le n c e , par l’abbé Nadal.
— Les P e tits B o lla n d is te s .
X X IV e JOUR DE JANVIER

SAINT HELLADE DE CIL1GIE


GREFFIER, MARTYR

Sons Dioclétien.

Sous l’empire de Dioclétien et de Maximien, Pélage


fut envoyé dans la ville d’Anazarbe en Gilicie, pour y
poursuivre les chrétiens. Bientôt Théodule fut arrêtée,
et comparut devant son tribunal, et comme elle confes­
sait hautement en présence de tous les assistants que
le Christ était véritablement Dieu, on la suspendit par
les cheveux à un cyprès et on lui perça les mamelles
avec des alênes rougies au feu. Mais alors s’adressant
au président, elle lui dit : « Où sont tes dieux? Montre-
les-moi, afin que je puisse leur témoigner toute ma
vénération. » Aussitôt Pélage la fit conduire dans le
temple d’Adrien. Lorsqu’elle y fut entrée, elle se mit à
prier Dieu, et, par le souffle seul qui s’échappa de ses
lèvres, renversa le simulacre d’Adrien qui se brisa en
trois morceaux. Ensuite étant sortie du temple, elle dit
au président « Un accident fâcheux est arrivé à ton
dieu Adrien, il s’est brisé en morceaux, va donc lui por­
ter secours. » Pélage accourt, il constate le fait, il fré­
mit, il s’emporte et pousse des cris de fureur. Cependant
24 JANVIER 311

l’empereur entend parler de celle affaire et il dépêche


à Anazarbe un de ses premiers officiers, avec ordre
si le fait est vrai, de faire jeler le président aux bêles
de l’amphithéâtre. Celui-ci l’apprend, et dans son
épouvante, il tombe aux pieds de Théodule et lui
promet de se faire chrétien, si, par la puissance de son
Dieu, le simulacre d’Adrien est rétabli dans son premier
état. Théodule l’obtient par ses prières.
Peu de temps après, l’empereur était informé par son
officier de tout ce qui s’était passé et il écrivait à Pélage
pour lui enjoindre de faire subir à la martyre toutes
sortes de supplices et à la fin, de lui arracher la vie par
la mort la plus cruelle. Oublieux de ses promesses et
redoutant surtout d’encourir la colère du tyran, Pélage
s’empressa de faire déchirer et brûler Théodule qui
demeura invincible au milieu des tourments. C’est
alors que le greffier Hellade dit au président « Eh
bien ! puisque vous ne pouvez rien obtenir- d’elle, livre-
la entre mes mains, donne-moi tout pouvoir de la
tourmenter et si je ne parviens pas à lui persuader
de sacrifier à Adrien, j’y consens de grand cœur, tu
pourras me faire trancher la tête. » Le président ac-
# cepte tout de suite la proposition du greffier, et celui-ci
s’armant de clous en perce le front, les oreilles et les
mamelles de la marlyre; mais voyant qu’il ne peut
triompher de sa constance, il commence à songer qu’il
y va de sa tête, s’il n’y réussit point, il renonce à to r­
turer sa victime et la fait conduire dans sa maison. Là
il s’efforce, par tous les moyens qui sont en son pou­
312 LES SAINTS MILITAIRES

voir, de lui persuader d’offrir de l’encens aux idoles,


mais, ô puissance de la grâce divine, voilà qu’en un
instant les rôles sont changés ; et c’est ïhéodule qui,
par ses exhortations éclaire, touche le cœur d’Hellade,
et lui persuade de se faire chrétien.
Aussi lorsque, le lendemain, le greffier se fut présenté
avec la martyre devant le tribunal du président, il dit
à celui-ci : « Il s’en faut de beaucoup, certes! que j ’aie
réussi à pervertir la fidèle adoratrice du vrai Dieu, et
à la détourner des voies de la vérité et de la justice,
car, c’est elle, au contraire, qui, en éclairant les yeux
de mon cœur, m’a tiré des ténèbres de mon ignorance,
et m’a fait reconnaître pour le véritable Dieu, mon
Seigneur Jésus-Christ. » Ces fières et généreuses
paroles irritèrent si vivement le président Pélage, que,
sur-le-champ, il fit décapiter Hellade, puis commanda
de prendre son corps et d’aller le jeter jusque dans la
mer. C’était le 24 janvier, sous le règne de Dioclétien,
mais nous ne savons en quelle année. Quelques jours
après, ïhéodule consommait son martyre dans les
flammes avec plusieurs autres chrétiens.

S ource L e s B o lla n d is te s au 24 janvier; et au 5 février,


dans les A c te s de sainte-ïhéodule, etc.
24 JANVIER 313

SAINT CADOC, PRINCE DE CAMBRIE


PUIS ABBÉ DU MONASTÈRE DE LLANCARVAN, MARTYR

Vers 57o.

Cadoc naquit probablement vers la fin du cinquième


siècle. Il était fils de Gundlée bu Guenlion, l’un des
petits rois de la Gambrie méridionale. A l’âge de
sept ans, et lorsque déjà il avait été initié aux exercices
de la guerre et de la chasse, il fut confié aux soins du
moine Irlandais qui lui avait conféré le baptême. Le
jeune prince passa douze ans auprès de ce moine dont
il allumait le feo, dont il faisait la cuisine et qui lui
enseignait la grammaire d’après Priscien et Donat.
Préférant aux grandeurs du monde la vie solitaire, il
alla s’y former en Irlande, pendant trois ans, à
Lismore.
11 s’acquitta, sans doute, des fonctions du pouvoir
royal avec intelligence, zèle et dévouement, mais nous
ne pouvons rien en dire, parce que tout ce que nous
savons de son règne, c’est qu’il fut court, et que bien­
tôt, à l’exemple de son père, il descendit volontairement
les degrés du trône pour aller se consacrer uniquement
et sans retour au service de Dieu. Il avait alors environ
vingt-cinq ans.
Après avoir accompli son sacrifice, Gadoc se mit
sous la conduite de saint Tathaï, moine irlandais qui
avait ouvert une école célèbre à Gwent; il y fit des
SAINTS MILITAIRES. •“» T. L 18
314 LES SAINTS MILITAIRES

progrès si rapides dans les saintes lettres et dans la


vertu, qu’étant retourné dans la Cambrie méridionale,
il répandit partout la bonne odeur de Jésus-Christ. Il
fonda ensuite la grande abbaye de Llancarvan. Cette
abbaye ne fut pas seulement un grand atelier où de
nombreux religieux, assujettis à une règle très sévère,
courbaient leurs corps sous le joug d’une fatigue con­
tinuelle en défrichant les forêts et en cultivant les
champs ainsi défrichés, c’était encore une grande
école religieuse et littéraire où l’on menait de front
l’étude et la transcription de l’Ecriture avec celle des
auteurs anciens, école monastique déjà célèbre, puis
revint en Cambrie, pour y continuer ses études, au­
près d’un fameux rhéteur breton, nouvellement arrivé
d’Italie.
Cadoc progressait chaque jour en savoir et en vertu,
lorsqu’un événement auquel personne ne s’attendait,
vint, pour un temps du moins, changer le cours de son
existence. Et en effet, Gundlée ayant renoncé au monde
pour embrasser la vie solitaire, Cadoc, en qualité
d’aîné, dut succéder à son père (1).

(i) « Gtindleus ex uxore sua Gladusa filium Cadocum genuit...


Mane autem surgens regale palatium desoruit et rcgno Gadoco
filio suo commendato, ad monticulum sibi ab angelo nuntiaturn
pervenit... » {E x v i t a S. G u n d l e i , apud Boll. XIX martii.)
« In Anglia S. Gundlei Regis... cui multuin cupido spiritualis
profectus... Angélus apparuit.. Quapropter continuo corona et
regno in filium translato... vitam pluribus miraculis celebrem
duxit... { E x M a r ty r o lo g i o a n g l i c a n o , auctore Ricliardo Witfordo,
apud Boll. in commentario de S. Gundleo Regulo, XIX martii.)
24 JANVIER 315

Cadoc ne demandait rien aux postulants qui venaient


prendre l'habit dans son monastère. Tout au contraire,
pour obtenir l'admission, il fallait se dépouiller de
tout, même de son dernier vêtement, et être reçu « nu
comme un naufragé », selon l’expression précise de la
règle. Cela lui était d’autant plus facile, qu’il possédait
de très grandes richesses provenant des donations
territoi’iales qui lui avaient été faites par ses parents.
Ces donations lui constituaient une richesse patrimo­
niale et une puissance matérielle dont il usait pour
faire régner autour de son monastère la sécurité et la
prospérité qui manquaient partout ailleurs. Elles lui
permettaient surtout d’accomplir avec énergie et succès
la noble mission qui constitue la partie intéressante
de sa vie, celle où il apparaît comme le protecteur de
ses clients et de ses voisins, le gardien du bien des
pauvres, de l'honneur des filles, de la faiblesse des
petits et de tout le menu peuple contre l’oppression,
le pillage, les violences et les extorsions des princes et
des puissants. C'est par ce rôle mi-parti de solitaire
austère et de chef quasi-féodal où s’est déployé le
mieux son caractère personnel, si courageux et si com­
patissant, que le glorieux abbé acquit le surnom de
Cadoc le Sage, qui figure encore en tête des nombreux
poèmes qui lui sont attribués.
Cependant l’invasion des Saxons idolâtres, avec
toutes les horreurs et les profanations qui les accom­
pagnaient, gagna successivement les bords de la Sa-
verne et de l’Ulsk qui limitaient les domaines monas­
313 LES SAIKTS MILITAIRES

tiques de Cadoc. Il se crut obligé de quitter la Carabrie


et de faire voile vers l’Armorique. Il y fonda un
nouveau monastère dans une petite île déserte de
l’archipel du Morbihan que l’on montre encore près de
la presqu’île de Rhuys, et, pour rendre son école
accessible aux enfants du canton qui avaient, deux fois
par jour, à faire en bateau le trajet de la terre ferme
à l’île et de l’île à la terre ferme, il jeta sur le bras de
mer un pont de pierre, long de 450 pieds. Dans cette
modeste retraite, le prince cambrien put reprendre sa
vie monastique.
Après un séjour de plusieurs années en Armorique,
il laissa sa nouvelle communauté florissante sous le
gouvernement d’un autre pasteur, et il retourna en
Bretagne, non plus pour y trouver la paix et l’ancienne
prospérité de sa bien-aimée retraite de Llancarvan,
mais pour s’établir au cœur même des établissements
saxons et y consoler les nombreux chrétiens qui
avaient survécu aux massacres de la conquête et
vivaient sous le joug d’une race étrangère et païenne.
Quelques auteurs prétendent qu’il reçut à cette époque
le caractère épiscopal. Quoi qu’il en soit, Cadoc alla se
fixer à Weedon, dans le comté actuel de Northampton
c’était là que l’attendait le martyre.
Un matin que, revêtu des ornements sacerdotaux,
il célébrait le divin sacrifice, une bande furieuse de
guerriers saxons à cheval, chassant les chrétiens devant
eux, entra pêle-mêle dans le temple et se rua vers
l’autel. Le saint continua le sacrifice, aussi calme qu’il
24 JANVIER 317

l’avait commencé. Un chef saxon, poussant son cheval


et brandissant sa lance, alla droit h lui et le frappa au
cœur. Gadoc tomba à genoux et son dernier vœu, sa
dernière prière fut encore pour ses chers compatriotes.
Cela arriva probablement vers l’an 560.
Les Bretons de Cambrie et les Bretons d’Armorique
se sont longtemps disputé la gloire et le privilège de
lui rendre des honneurs à la fois religieux et natio­
naux. Ceux-ci lui sont demeurés plus fidèles, et, huit
siècles après sa mort, le grand moine, le grand pa­
triote celtique, fut invoqué, comme leur patron spé­
cial, par les chevaliers bretons, dans ce fameux combat
des trente, où Beaumanoir but son sang. En y allant,
ils entrèrent dans une chapelle dédiée à saint Cadoc,
pour réclamer son assistance; en revenant victorieux,
ils chantaient une chanson bretonne qui se termine
ainsi :
« Il n’est pas l’ami des Bretons, celui qui ne pousse
pas des cris de joie en voyant revenir nos guerriers,
des fleurs de genêt à leurs casques.
« Il n’est pas l’ami ni des Bretons ni des saints de
Bretagne, celui qui ne bénit pas saint Cadoc, patron
des guerriers du pays.
« Celui qui n’a point applaudi, et admiré, et béni, et
chanté : Au paradis comme sur terre, saint Cadoc n’a
point de pareil. »
On honore saint Cadoc comme martyr, dans le dio­
cèse de Vannes, le 21 septembre,'et le martyrologiste
SAINTS MILITAIRES, — T. I. 18.
318 LES SAINTS MILITAIRES

français, Chastelain, pense que notre saint est le même


que saint Gado ou Caduad dont l’Église de Rennes fait
mémoire.

S ources L e s B o lla n d is te s au 24 janvier. — L e s B o l l a n -


(listes, au 19 mars : In Vita S. Gundlei Reguli. — L e s M o in e s
d 'O c c id e n t , liv* X. — Dom Gobineau, V ie s des s a in ts d e
B r e ta g n e , — V ie s des S a i n t s , par Godescard,
X X V e JOUR DE JANVIER

SAINT JUVENTIN ET SAINT MAXIMIN


OFFICIERS DE LA GARDE DE L’EMPEREUR JULIEN, MARTYRS

363.

« Bien que Julien affectât de paraître doux et mo­


déré », nous dit Théodoret, « il mettait de jour en
jour plus d’acharnement à combattre la piété, non à
force ouverte, mais par adresse, et en tendant aux
chrétiens des pièges pour les surprendre et pour les
perdre. Il corrompit les fontaines du faubourg de
Daphné et de la ville d’Antioche, en jetant dans leur
eau quelque chose de présenté aux idoles, afin que
personne n’en pût boire, sans être souillé par l’impu­
reté de ces sacrifices. Il infecta de la même sorte le
pain, la viande, les légumes, les fruits, et généralement
tous les aliments qui étaient en vente en faisant jeter
dessus de l’eau consacrée aux démons. Les chrétiens
gémissaient de ces abominations dans le secret de
leur cœur et mangeaient pourtant de ces aliments
souillés par l’eau lustrale, selon ce précepte de saint
Paul : « Mangez tout ce qui se vend à la boucherie,
« sans vous enquérir d’où il vient par un scrupule de
« conscience. »
320 LES SAINTS MILITAIRES

(( Or il arriva un jour que, clans un banquet mili­


taire, deux officiers de la garde de l’empereur se mirent
à déplorer avec une certaine véhémence la triste condi­
tion où les chrétiens étaient réduits par ces violences
qu’on exerçait contre eux, et pour exprimer leur dou­
leur, ils empruntèrent ces paroles des trois jeunes
hommes qui se rendirent autrefois si célèbres à Baby-
lone « Yous nous avez livrés à un prince apostat et
le plus injuste qui soit parmi les nations de l’univers. »
Mais l’un de ceux qui étaient à table avec eux ayant
rapporté tout leur discours à l’empereur, celui-ci les
fit venir aussitôt et leur demanda ce qu’ils avaient dit.
Les deux officiers se sentant animés d’un saint zèle lui
firent celte réponse « Ayant été élevés dans la piété,
et n’ayant jamais obéi qu’aux sages lois du grand
Constantin ot des empereurs ses enfants, nous ne
pouvons voir sans une douleur sensible que tout,
jusqu’aux choses les plus nécessaires à la vie, soit
infecté par la contagion du paganisme. C’est sur ce
malheur que nous versons depuis longtemps des larmes
en secret; mais en ce moment permeltez-nous de vous
en exprimer librement toute notre douleur. C’est
d’ailleurs l’unique mal qui nous afflige sous votre
empire. »
«Alors Julien, ce prince très sage et très modéré,
car c’est ainsi que l’appelaient ses semblables, leva le
masque de sa fausse douceur, et fit voir sa véritable
cruauté. En effet, il fit tourmenter les deux chrétiens si
cruellement, qu’ils expirèrent dans les supplices, ou
25 JANVIER 321

plutôt qu’ils furent délivrés des misères du siècle pré­


sent et allèrent recevoir les couronnes que méritait
leur victoire. L’empereur publia qu’ils avaient été mis à
mort, non en haine de la religion qu’ils avaient dé­
fendue, mais en punition de l’insolence avec laquelle
ils avaient parlé. Il prétendait par là leur ravir la gloire
et les honneurs du martyre. Au reste, il est juste de
laisser à la postérité les noms de ces deux illustres
guerriers : l’un se nommait Juventin et l’autre Maxi­
min. »
Saint Jean Chrysostôme a prononcé, à Antioche, le
panégyrique des saints martyrs Juventin et Maximin;
c’est à lui que nous demandons d’achever le récit de
Théodoret :
« En apprenant l’exécution de nos bienheureux,
plusieurs chrétiens, sans tenir compte du danger
auquel ils exposaient leur vie, se mirent à la recherche
des victimes et enlevèrent ces précieuses dépouilles,
étant en quelque sorte martyrs de leur vivant, car,
s’ils ne devaient pas trouver la mort dans leur entre­
prise, ils l’avaient du moins acceptée en tentant de
l’exécuter. Ceux qui assistèrent à ces saintes funérailles
et qui eurent le bonheur de voir les corps encore
saignants de nos martyrs disent que, lorsqu’ils étaient
étendus l’un à côté de l’autre, avant d’être ensevelis,
leur visage était resplendissant de beauté, comme
autrefois, selon le rapport de saint Luc, celui d’Étienne,
au moment où il allait prier pour les Juif, et il n’y
en eut aucun parmi eux qui ne se sentît saisi d’une
322 LES SAINTS MILITAIRES

sainte horreur. Hors d’eux-mêmes à la vue de ce


spectacle, tous redisaient à haute voix ces paroles du
roi-prophète : « Après avoir été unis durant leur vie,
« ils n’ont point été séparés à la mort. »
« Ils ont, en effet, confessé ensemble la foi de
Jésus-Christ, demeuré ensemble dans la prison, marché
ensemble au supplice; leurs têtes sont tombées à la
fois, et la même urne renferme leurs corps, comme
aussi un même tabernacle les recevra dans le ciel,
lorsqu’ils revivront à une gloire immortelle. C’est avec
raison qu’on leur donne le nom de colonnes, de forts,
de tours, de flambeaux, de taureaux : ils soutiennent
l’Église comme des colonnes, la protègent comme des
tours, la défendent contre toute surprise comme des
forts avancés, tenant ainsi dans une sécurité parfaite
tous ceux qui vivent dans son sein. Gomme des
flambeaux, ils ont dissipé les ténèbres de l’impiété;
comme des taureaux enfin, ils ont courbé sous le joug
suave du Seigneur leur corps et leur âme, et l’ont
porté avec une égale vigueur.
« Venons donc souvent leur offrir l’hommage de
notre piété; approchons de leur tombeau, et, dans les
sentiments d’une vive foi, baisons leurs saintes reli­
ques, certains de trouver dans ce contact une vertu
céleste. Comme de braves soldats parlent avec confiance
à leur souverain quand ils peuvent lui montrer les
bfessures qu’ils ont reçues en combattant pour sa
gloire, de même nos deux saints, quand ils se présen­
tent devant le Roi du ciel, portant dans les mains
25 JANVIER 323

leur tête qu’ils ont donnée pour son nom, peuvent


obtenir de lui tout ce qu’ils demandent. Oui, venons
dans ce sanctuaire avec une grande confiance et un
saint empressement; nous y trouverons, dans la vue
des tombeaux de nos martyrs, dans le souvenir de
leurs combats, dans tous les objets qui s’y offrent à
nos regards, de nombreux et puissants secours à l’aide
desquels nous pourrons traverser heureusement cette
mer de la vie en demeurant toujours fidèles au Sei­
gneur, entrer au port avec toutes nos richesses spiri­
tuelles, parvenir enfin au royaume des cieux par la
grâce et la miséricorde divine de Notre-Seigneur
Jésus-Christ, avec qui gloire, puissance, honneur et
adoration soient au Père et au Saint-Esprit dans tous
les siècles des siècles. Amen. »
On peut dire que la fête de saint Juventin et de
saint Maximin est presque aussi ancienne que leur
martyre. Les Syriens, les Grecs et les Occidentaux
l’ont toujours célébrée le 25 de janvier, le lendemain
de celle de saint Babylas, comme le marque saint
Ghrysostôme. Si ce jour est celui de leur triomphe, il
faut mettre leur mort bienheureuse en l’an 363.

S ources : L e M a r ty r o lo g e R o m a i n . — L e s B o lla n d is ie s au
25 janvier. — H is to ir e d e l'É g l is e , par Théodoret, livre IIIe>
ch. xve. — P a n é g y r iq u e des s a in ts J u v e n t i n e t M a x i m i n , par
saint Jean Ghrysostôme. — V i e des s a in ts , par BailleL
324 LES SAINTS MILITAIRES

SAINT POPPON
NOBLE CHEVALIER FLAMAND, PUIS ABBÉ DE STAYELOT
CONFESSEUR

IO/18

Poppon naquit vers Yan 978, dans une partie de la


Flandre que les auteurs ne déterminent point. On sait
seulement qu’elle était arrosée par la Lys. Son père,
qui était un noble seigneur du pays, s’appelait Tizckins ;
sa mère portait le nom d’Adelwise. Comme il était
venu au monde avant le terme ordinaire et dans un
était de faiblesse extrême, ses parents craignaient
beaucoup de perdre ce fils, leur unique héritier. Mais
Dieu exauça leurs ferventes prières en faveur d’un
enfant sur qui il avait de grands desseins.
11 y avait un mois à peine que le jeune Poppon était
né, lorsque Tizckins, son père, périt dans une bataille,
sur les confins du Liégeois, où les comtes de Flandre
et de Hainaut se faisaient la guerre. Sa mère, quoique
fort jeune, consacra dès lors sa viduité à Dieu et fit
son unique alfaire de l’éducation de son fils. L’enfant
répondit à ses soins : il puisa dans ses leçons et ses
exemples le goût de la vertu et cette douceur de
caractère qui ne l’abandonna jamais.
Gomme son père et comme la plupart des jeunes
gens de sa condition, Poppon dut plus tard embrasser
la carrière des armes. 11 se fit bientôt remarquer entre
25 JA N V IE R 325

ses compagnons par son adresse, sa valeur, et plus


encore par l'affabilité de son caractère qui le faisait
chérir de tous. Mais, malgré la bienveillance qui
l’entourait et les brillantes espérances qui s’offraient à
lui, le vertueux guerrier ne se sentait pas d’attrait
pour ce genre de vie. Les dangers sans nombre qu’il
présente, la licence trop ordinaire de ceux qui l’em­
brassent, les écueils multipliés qui environnent surtout
les jeunes gens, tout le portait à déposer le casque et
le baudrier pour aller vivre dans un paisible monas­
tère. Mais Dieu ne permit pas que ce pieux désir se
réalisât aussitôt. Il voulut auparavant donner comme
un nouvel exemple de la puissance de sa grâce dans
un cœur droit, en présentant au monde ce jeune
homme orné de toutes les vertus qui font le soldat
chrétien. Sous la conduite d’un puissant chevalier
nommé Thierri, auquel il s’était attaché, Poppon vécut
donc saintement dans sa profession, et donna à tous
ses compagnons d’armes des exemples d’innocence et
de sainteté. « *Ainsi, dit l’auteur de sa vie, sous le
baudrier du chevalier, il avait les pensées d’un prêtre,
et l’austérité d’un religieux sous la cuirasse du guer­
rier. Ainsi l’on pouvait presque deviner dans ce soldat
le futur prêtre et le pasteur des âmes (1). »

(1) « Qui proccssu temporis semper in dics sc melior tiens...


licet adliuc intonsus sub laicali habitu atquo militari tironcm sc
ostenderet, et sub Theodcrico, tune temporis viro illustrissimo,
militiæ arma prætcnderet; sub cingulo tamon militiæ armaturam
sacerdotalis religionis induebat, monaclialisquc devotionis insign a
? Al XTS MILITAIRES. — T . I. 19
326 LES SAINTS MILITAIRES

C’est à cette époque que Poppon entreprit le voyage


de Terre-Sainte avec deux personnages d’une éminente
piété. Le premier s’appelait Rotbert, le second Lausus.
Ce pèlerinage, si cher alors à toutes les âmes fidèles,
présentait alors beaucoup de difficultés, à cause des
Sarrasins qui dominaient dans le pays et qui exerçaient
toutes sortes d’avanies et de persécutions contre les
chrétiens. Les trois pèlerins ne l’ignoraient pas; mais
cette considération ne fut pas capable d’ébranler la
confiance qu’ils avaient en la protection du Ciel. Quant
au jeune Poppon, dit son biographe, une pensée secrète
s’était déjà présentée à son esprit, et elle lui faisait
espérer que peut-être il souffrirait le martyre pour
Jésus-Christ dans ces lieux sanctifiés par sa présence
adorable.
Poppon, Rotbert et Lausus partirent donc pleins de
joie et de confiance en Dieu. Ils ne tardèrent pas à se
voir exposés à des dangers de tout genre, soit sur la
mer qu’ils durent traverser, soit au milieu des peuples
étrangers, soit surtout parmi les infidèles qui ne leur
épargnaient ni les insultes, ni les affronts, ni même
les mauvais traitements. La charité dont leur cœur
était embrasé, les mit au-dessus de toutes ces contra­
dictions. Ils s’en trouvèrent d’ailleurs bien dédom­
magés, quand ils furent arrivés au terme tant désiré
de leur voyage. Qui pourrait exprimer les sentiments
bpera exhibebat ut per omnia futuram speciem Pastoris suis
præsignare in gcstis crederetur... » (E x V ita S. P o p p o n is , aptid.
Bon.)
25 JANVIER 327

dont ils furent remplis au moment où ils se proster­


nèrent devant le tombeau du Sauveur des hommes?
Qui pourrait dire leurs prières, leurs larmes et les
ardeurs de leurs âmes dans les divers lieux où s’étaient
accomplis les grands mystères de noire sainte religion?
Quand les pieux voyageurs eurent satisfait leur dévo­
tion, ils reprirent le chemin pour retourner dans leur
patrie. Une fois arrivés là, Rotbert se retira au monas­
tère dé Beaulieu, près de la ville de Verdun; Lausus
préféra rester dans le monde qu’il édifia constamment
par ses vertus; et Poppon continua de mener dans la
carrière des armes la vie la plus exemplaire.
Au bout de quelque temps, notre pieux chevalier
entreprit un nouveau pèlerinage; ce fut à Rome qu’il
voulut aller, pour visiter le tombeau des saint apôtres
Pierre et Paul. Il eut pour compagnon de voyage le
noble Thierri, auprès duquel il avait fait ses premières
armes. Au retour de ce pèlerinage sur lequel les auteurs
ne donnent aucun détail, Thierri fut frappé d’un mal de
tête si violent, qu’il le mit à deux doigts du tombeau.
Par bonheur Poppon eut le temps de le faire transporter
au monastère de Saint-Thierri, près de Reirps, où les
bons soins des frères, leurs prières et celles de Poppon
procurèrent au malade une prompte guérison.
Cependant en vivant quelques jours au milieu des
religieux, notre saint chevalier avait senti se réveiller
dans son cœur le désir de la vie monastique; mais,
avant de l’embrasser, il devait encore remporter sur
lui-même une éclatante victoire. Attaché à la personne
328 LES SAINTS MILITAIRES

de Beaudoin, comte de Flandre, son suzerain, il avait


pris rang auprès de lui parmi les plus illustres cheva­
liers de la contrée, et était aimé de tous ses frères
d’armes à cause de son bon caractère et de ses belles
qualités. 11 l’était surtout d’un seigneur appelé Fru-
mold, qui habitait les environs de Saint-Omer. Ce
seigneur ayant proposé à Poppon d’épouser une de ses
filles, et d’entrer ainsi dans sa famille, celui-ci ne fut
pas insensible à ces avances. La pensée de contracter
un mariage avec une jeune personne de grande vertu,
de devenir le gendre d’un homme pour lequel il se
sentait rempli de vénération, et qui lui promettait une
partie de ses biens, toutes ces considérations faisaient
sur lui une profonde impression. Il donna donc son
consentement à l’alliance qui lui était proposée et se
prépara à épouser la fille de Frumold.
Mais Dieu, qui voulait s’attacher irrévocablement
Poppon, lui mit alors dans le cœur une pensée d’abné­
gation et de sacrifice. Cette pensée lit sur ce cœur si
droit une impression très vive. D’un autre côté, la
promesse donnée à Frumold, la crainte de contrister
un homme si vénérable et si plein de bonté pour lui,
retenaient encore Poppon, et l’empêchaient de prendre
une détermination. Cependant le jour fixé pour la
célébration des noces approchait, et le jeune chevalier
sentait de plus en plus la difficulté de sa position. Un
soir donc, ayant appelé quelques hommes de sa suite,
il monta à cheval et partit avec eux vers la ville de
Saint-Omer. Il espérait que Dieu, considérant la droi-
25 JANVIER 329

tare de ses intentions, lui indiquerait d’une manière


certaine et sensible sa volonté sur lui. Sa confiance ne
fut pas trompée. Tandis qu’il était en chemin, il se
trouve tout à coup environné d’une lumière éclatante
qui l’éblouit, et lui ôte pour un moment la vue des
objets qui l’entourent. En même temps une voix inté­
rieure lui fait entendre que Dieu l’appelle à la vie reli­
gieuse et qu’il a sur lui de grands desseins. Sur-le-
champ le jeune homme déclare à ses compagnons qu’il
faut rebrousser chemin et songer désormais à prendre
un nouveau parti.
Rentré dans sa demeure, il déposa aussitôt ses
armes et tous les insignes des chevaliers; puis il se
dirigea vers ce même monastère de Saint-Thierri, où
il s’était arrêté à son retour de Rome (1). Là il retrouva
un vénérable religieux, nommé Elbert, dont il avait
fait alors la connaissance, et qui avait conçu pour lui
une sincère affection. Elbert présenta lui-même Poppon
à l’abbé du monastère et aux religieux, et tous, en
rendant grâces au Ciel, se réjouirent de compter parmi
eux un jeune homme de si haute espérance. Le néo­
phyte renonçant pour toujours au siècle, prit donc
l’habit de l’ordre et commença à donner à tous ses
frères les plus touchants exemples de vertu et de régu-
(1) « Necesse est, inquit, commilitones mei, alia intentione,
aliaque via inccdere... Posthac projcctis armis iniütaribus, induitur
Dei armatura, et mutata mente ad meliora, meliori via rediit ad
propria. Nec mora intcrcessit; sed statim è vesligio ad sanctum
Thcodoricum, ut se monacluim profiterctur, evolavit... » { E x v i t a
S. P o p p o n i s , apud BolL)
3 3 0 LES SAINTS MILITAIRES

larilé. On le confia à Elbert pour qu’il lui enseignât les


lettres sacrées, et Poppon y fit des progrès très rapides.
Le nouveau religieux eût bien désiré terminer ses
jours dans la paisible retraite qu’il s’était choisie, mais
Dieu en disposa autrement. Richard de Verdun, l’un
des personnages les plus remarquables de cette époque,
étant venu à l’abbaye de Saint-Thierri, admira les vertus
et les brillantes qualités de Poppon, et obtint, noii
sans peine, de l’abbé de l’emmener avec lui pour
l’attacher à son monastère de Saint-Vanne. Là, Poppon
se fit bientôt remarquer par son esprit d’obéissance,
de douceur et de régularité, et l’abbé Richard ne tarda
pas à lui confier quelques affaires importantes concer­
nant l’administration de la communauté.
Quelque temps après, le comte de Flandre ayant
obligé l’abbé Richard de prendre le gouvernement de
l’abbaye de Saint-Vaast d’Arras, pour y rétablir la
discipline, celui-ci se fit accompagner par Poppon
qu’il nomma procureur du monastère. Poppon s’ac­
quitta de cette charge avec un succès merveilleux,
faisant rentrer tous les biens de l’abbaye aliénés par
les désordres des guerres. Les usurpateurs essayèrent
de se venger, mais Dieu le préserva de leurs embûches.
Ses belles qualités ne brillèrent pas moins dans une mis­
sion qu’il eut à remplir en Allemagne auprès de l’em­
pereur Henri II : non seulement il réussit dans la négo­
ciation qui lui avait été confiée, mais il profita encore de
l’occasion pour obtenir de ce prince l’abolition des
spectacles où les hommes combattaient avec des oiirs.
25 JANVIER 331

Le bienheureux Poppon, au retour de son voyage,


reçut de ses supérieurs l’ordre d’aller à Verdun, où il
reprit avec une admirable humilité les exercices ordi­
naires de la vie régulière. Il espérait que désormais
on le laisserait tranquille dans cette sainte demeure,
mais bientôt il fut chargé de la direction d’une autre
abbaye et d’une nouvelle mission auprès de l’empereur
Henri II. Ce prince, qui avait conçu une profonde
estime pour Poppon, éprouva une vive satisfaction en
le revoyant auprès de lui. Il forma alors le dessein de
le placer à la tête de l’important monastère de Stavelot,
dans le pays de Liège. Il fallut l’intervention du saint
évêque de Cologne, Héribert, pour déterminer Richard
à céder un religieux qui lui rendait de très grands
services et en qui il avait une entière confiance.
Poppon prit donc la direction du monastère de Sta­
velot; mais là aussi des persécutions l’attendaient de
la part de plusieurs hommes puissants du pays qui y
exerçaient de continuelles violences. Ils entrèrent
même un jour, l’épée à la main, dans le chœur de
l’église, pour y égorger les religieux, mais des bou­
cliers invisibles les protégèrent. Deux ans plus tard,
dans l’abbaye de Saint-Maximin de Trêves, on présen­
tait à Poppon un breuvage empoisonné; mais l’ayant
pris, il n’en éprouva aucun mal.
Les fatigues seules purent mettre ses jours en
danger; et comme les religieux, en le voyant gravement
malade, ne cessaient de répandre des larmes, Dieu lui
fit connaître dans une vision qu’il vivrait encore vingt
332 LES SAINTS MILITAIRES

ans. Illes employa à réconcilier les princes, à instruire


les prélats, à réformer les abbayes, et assurer ainsi la
paix et la prospérité de l’Église. Il contribua surtout à
rétablir la paix entre le roi de France, Henri, Ier et l’em­
pereur d’Allemagne, Conrad, qui avait remplacé saint
Henri II sur le trône impérial. Ce prince voulut le faire
nommer à l’évêché de Strasbourg, mais Poppon résista
toujours à ses instances. Baudoin, comte de Flandre,
ayant prié le saint de prendre la direction de l’abbaye de
Saint-Vaast d’Arras, celui-ci refusad’abord et finit par
accepter. Les moines qui connaissaient et aimaient
depuis longtemps le vénérable abbé, le reçurent avec de
grandes démonstrations de joie. Il lui fut donc facile de
faire fleurir la discipline monastique dans cette maison.
Quand le bienheureux Poppon sentit que sa fin appro­
chait, il en confia le gouvernement à Emmelin, et se
disposa à retourner à Stavelot. Mais le comte de Flandre
l’ayant prié de s’arrêter en passant dans l’abbaye de
Marchiennes, le saint y consentit bien qu’à regret, car
il avait hâte de retourner au milieu des siens. La mala­
die, en effet, ne tarda pas à le surprendre parmi les
religieux de Marchiennes, qui lui prodiguèrent tous les
secours et l’environnèrent des témoignages d’affection
la plus sincère. Il se fit administrer les derniers sacre­
ments par Everheilm, abbé de Haumont, qui depuis
composa l’histoire de sa vie. Il fit ensuite étendre à
terre son cilice, y descendit pieis nus, et, s’y proster­
nant, il commença lui-même l’antienne : « Saints, venez
à mon secours; anges, venez à ma rencontre. » 11 récita
25 JANVIER 333

ensuite les litanies des agonisants auxquelles répon­


daient les assistants, puis, après diverses recomman­
dations qu’il fit aux religieux, il dit : « Seigneur si je
suis véritablement converti, donnez-m’en une marque
en m’appelant à vous le jour de la conversion de saint
Paul, qui sera demain. » Il fut exaucé, et mourut le
25 janvier de l’an 1048, âgé de soixante-dix ans.
Son corps fut transporté au monastère de Stavelot,
où il avait choisi sa sépulture. Il répandait une agréable
odeur, comme si son âme, avant de quitter le corps,
lui eût laissé le parfum de ses vertus. On l’enterra avec
ses habits sacerdotaux, tel qu’il était quand il célébrait
les saints mystères, et l’on mit sur sa poitrine un calice
et une lettre que son maître, l’abbé Richard, lui avait
autrefois écrite sur la charité. Il se fit un grand nombre
de miracles à son tombeau. On lui rend un culte public
depuis que le Saint-Siège a fait introduire son nom
dans le Martyrologe par le cardinal Baronius. Son
corps, élevé de terre, l’an 1624, par Ferdinand de
Bavière, archevêque de Cologne, qui était aussi évêque
de Liège et abbé de Stavelot, fut mis dans une châsse
d’argent, couverte d’or et de pierreries, et exposé deux
ans après à la vénération des peuples qui y accoururent
de toutes parts, à la suite d’une nouvelle translation
et de 1’établissement d’une confrérie en son honneur.
S ources : L e M a r ty r o lo g e R o m a in — L e s B o lla n d is te s , aii
25 janvier. — V ie s des S a in t s d es d io c èses d e C a m b r a i et d 'A r r a s ,
par l’abbé Destombes. — L e s P e tit s B o lla n d is te s .

SAINTS MILITAIRKS. — T. I 19.


X X V I I e JOUR DE JANVI ER

SAINT EMÉRÉ
NOBLE GUERRIER FRANC
PUIS ABBÉ DU MONASTÈRE DÉ BAGNOtES, EN CATALOGNE
CONFESSEUR
Fin du huitième siècle.

Eméré naquit en France de parents non moins dis­


tingués par leur piété que par la noblesse de leur
origine. Son père s’appelait Baudilon, et sa mère, Can­
dide. Elevé dans la crainte et dans l'amour de Dieu,
Eméré conçut de bonne heure la pensée dé se consacrer
tout entier à son service; mais lorsqu'il en manifesta
le désir, ses parents n'entrèrent pas dans ses vues,
parce qu'ils n’avaient point d’autre héritier que lui de
leur nom et de leur fortune. Pour ne pas les contrister,
le noble chrétien remit à un autre temps l'exécution
de ses pieux desseins. C’était à l'époque où le roi de
France marchait contre les Sarrasins qui avaient
envahi les provinces du Midi. Eméré saisit avec em­
pressement cette occasion de se dévouer pour la cause
de son Dieu, et s’il le faut de verser son sang pour lui,
et bientôt il s’enrôle sous les étendards du prince, à la
27 JANVIER 335

grande satisfaction de ses parents. On le vit sans tarder


se signaler dans les combats par sa prudence et sa
valeur, et telle était déjà la réputation de sa sainteté
que les chrétiens attribuèrent leurs succès moins à
leurs beaux faits d’armes qu’aux prières du noble
guerrier. Cependant, docile aux inspirations de la grâce,
Emeré comprit que Dieu l’appelait à combattre et à
vaincre sur d'autres champs de bataille ; c’est pourquoi
il quitta la cuirasse et le baudrier pour passer dans
les camps du Seigneur et s’y livrer aux exercices non
moins nobles et non moins laborieux de la vie religieuse.
Il y avait en Catalogne, près de Girone, un lieu appelé
Bagnoles. C’est là où Eméré vint se fixer; il y construisit
un monastère et par la suite en devint le premier
abbé. Il gouvernait ses religieux avec beaucoup de
sagesse, leur donnant lui-même l’exemple de toutes
les vertus. Dieu lui accorda le don des miracles, et de
toutes parts les infirmes et les malades accouraient à
Bagnoles pour implorer le secours de ses prières. Il
les instruisait, les bénissait et les renvoyait en bonne
santé. Mais comme tous ceux qui avaient été guéris
proclamaient partout les louanges du vénérable abbé,
son humilité finit par s’en alarmer, et, pour échapper
aux témoignages de vénération qu’on lui prodiguait à
l’envi, il prit le parti de se retirer dans une profonde
solitude. C'est après y avoir vécu longtemps, loin des
hommes, dans l’exercice d’une prière continuelle et
les pratiques d’une austère pénitence, qu’il s’endormit
paisiblement dans le Seigneur vers la fin du huitième
336 LES SAINTS MILITAIRES

siècle. On croit que sa bienheureuse mort eut lieu le


27 janvier, jour où l’on célèbre sa fête.

S ources au 27 janvier. — Tamayo


L e s B o lla n d is te s
M a r ty r o lo g i u m januarii dies XXVII. Bucelin.
H is p a n u m ,
M e n o l. B e n e d ic t ., 27 januarii.
XX VI I I e JOUR DE JANVI ER

SAINT FLAVIEN L’ANCIEN


VICAIRE DE LA PRÉFECTURE DE ROME, MARTYR
Sous Dioclétien.

Le comte Maxime, tribun militaire, avait déjà versé


son sang pour la foi, lorsque Secunda, sa femme, Sé véra,
sa fille, et ses deux fils Marc et Galendin furent arrêtés
par ordre de Maximien et comparurent devant le tri­
bunal de ce persécuteur acharné des chrétiens. Bientôt
Secunda rendait le dernier soupir au milieu des sup­
plices et ses trois enfants, conduits à Gentumcelles, y
expiraient sous les coups de fouets plombés.
Cependant il s’était passé quelque chose d’extraor­
dinaire durant l’interrogatoire que Flavien, vicaire de
la préfecture de Rome, faisait subir à Marc et à Galen­
din; tout à coup, en effet, il avait aperçu au-dessus des
martyrs un ange tout brillant de lumière, et la vue de
ce messager céleste l’avait tellement effrayé que sur-le-
champ il avait quitté le tribunal pour se rendre en
toute hâte dans sa maison. Quelque temps après, Flavien
renonçait au culte des idoles et recevait le baptême
avec plusieurs personnes de sa famille. Maximien ne
338 LES SAINTS MILITAIRES

l’eut pas plus tôt appris qu’il les fît tous conduire à
Centumcelles où on leur trancha la tête.

S ources : L e M a r ty r o lo g e R o m a in . — L es È o lla n d is te s , au
28 janvier; au 29 janvier De SS. Mart. Severa, etc. —
B o r o n i i A n n a l e s ; annus Christi 298, num. 16.

LE BIENHEUREUX CHARLEMAGNE
ROI DE FRANCE ET EMPEREUR D’OCCIDENT, CONFESSEUR

814.

Charles., dit le Grand ou Charlemagne, roi de France


et empereur d’Occident, fut l’un de ces hommes que la
Providence suscite ici-bas, lorsqu’elle a besoin d’un
bras puissant pour accomplir les merveilleux desseins
de sa divine sagesse. Ces hommes, supérieurs à leur
siècle, sont les instruments dociles de la main de Dieu;
et leur nom, ceint de la double auréole de la foi et du
génie, passe couvert de gloire à la postérité la plus
reculée. En donnant un précis dé la vie de cet illustre
monarque, nous ne prétendons pas faire connaître
toutes ses belles et mémorables actions ; mais laissant
à d’autres le soin de raconter en détail les conquêtes
et les victoires qui lui valurent le surnom de Grand,
nous nous attacherons plus particulièrement à parler
2 8 JA N V IE R 339

de ses vertus et des services éminents qu’il rendit à


l’Église.
Le bienheureux Charles naquit en 742, aü château
de Salzbourg, dans la Haute-Bavière, lorsque Pépin le
Bref, son père, n’était encore que maire du palais de
Neustrie. Pépin étant monté sur le trône en 752, en­
voya, l’année suivante, son fils Charles, âgé seulement
de onze ans* au-devant du pape Étienne II, qui Venait
implorer son secours contre Astolphe, roi des Lom­
bards. Le jeune prince rencontra le Pape à Thionville,
et l’accompagna jusqu’à Ponthyon, près de Langres,
d’où Pépin le conduisit à Paris. Étienne sacra Charles
et Carloman, son frère, et les créa patrices de Rome.
Après la mort de leur père, en 768, Charles fut de nou^
veau sacré roi de Neustrie et Carloman roi d’Aüstrasie.
Le commencement de leur règne fit craindre une
mésintelligence entre les deux frères, parce que Gar-
loman se plaignait d’avoir été lésé dans son partage;
mais Bertrade, leur mère, réussit à les réconcilier*
L’Aquitaine s’étant révoltée, ils marchèrent contre les
insurgés; mais Carloman se brouilla de nouveau avec
Charles et, arrivé en face de l’ennemi, il donna à ses
troupes l’ordre de rétrograder. Charles, resté seul, n’eti
livra pas moins la bataille, qu’il gagna, et, par leur
défaite, Hunald, duc d’Aquitaine, et Loup, duc des
Gascons, devinrent ses tributaires.
Charles avait épousé, du vivant de son père, Himil-
trude, dont il eut Pépin le Bossu. Bertrade entreprit de
la lui faire répudier pour le marier à Hermangarde,
340 LES SAINTS MILITAI HES

fille de Didier, roi des Lombards. Le pape Étienne III


ayant en connaissance de ce projet d’union, écrivit à
Charles qu’il ne pouvait pas passer à de secondes noces
du vivant de sa première femme. Bertrade, qui avait à
cœur cette affaire, alla trouver à Rome le Pape, qui
trouva sans doute ses raisons bonnes, puisqu’elle
ramena en France Hermangarde, que Charles épousa
en 769; mais un an après il la répudia, alléguant qu’elle
avait des infirmités qui ne lui permettaient pas d’avoir
des enfants bien constitués, et il épousa, en 771, Hil-
degarde, fille de Childebrand, roi des Suèves. Celte
princesse, pendant douze ans qu’elle vécut après son
mariage, conserva l’estime et l’affection de son époux,
et lui donna trois fils et trois filles, sans compter trois
enfants qui moururent en bas âge. L’Église l’a mise au
nombre des Saints.
Carloman étant mort à Samoucy, le 4 décembre 771,
Charles prit possession de son royaume ef resta mo­
narque absolu des Francs. Il se vit par là plus en état
de s’opposer aux rebelles et de réduire les ennemis de
l’Église. La première guerre qu’il entreprit après la
mort de son frère, fut celle contre les Saxons; elle
dura trente ans et exigea dix-huit grandes expéditions.
Sans entrer dans les détails de cette lutte terrible, nous
nous contenterons d’énoncer ici son résultat, qui fut
la conversion de ces idolâtres, leur entrée dans la
famille chrétienne et dans la civilisation. La première
campagne contre les Saxons était à peine terminée,
qu’il marcha contre Didier, roi des Lombards, qui
28 JANVIER 341

menaçait les domaines du Saint-Siège. Il franchit les


Alpes à la tête d’une armée et vint mettre le siège
devant Pavie, où Didier s’était enfermé. Après en avoir
confié la direction à son oncle Bernard, Charles se
rendit à Rome, où il fut reçu avec de grands honneurs.
Ayant été conduit par le Pape au tombeau de saint
Pierre, non seulement il renouvela solennellement la
donation faite au Saint-Siège par Pépin, son père,
mais ill’augmenta encore considérablement, en y ajou­
tant l’exarchat de Ravenne, les duchés de Spolète et de
Bénévent, ainsi que plusieurs autres territoires. Il
signa cet acte, le fit signer par les seigneurs qui rac­
compagnaient, le déposa sur l’autel et ensuite on l’en­
ferma dans le tombeau des saints apôtres.
A son retour devant Pavie, Charles força Didier à
capituler et l’envoya en France, où il finit en paix son
existence dans un monastère. Ayant ainsi mis fin au
royaume des Lombards, il se fît couronner roi d’Italie
par l’archevêque de Milan. Pendant ce même temps,
les Saxons, animés par Witikind, le plus entreprenant
et le plus indomptable de leurs chefs, s’insurgèrent de
nouveau. A cette nouvelle, le prince quitte l’Ilalie et
vient les faire rentrer dans le devoir. Mais Rotgand,
duc de Frioul, profite de son départ pour se proclamer
roi, et Charles est obligé de repasser les Alpes pour
lui arracher le sceptre et la vie.
L’année suivante (777), le monarque franc tint à
Paderborn un champ de Mai où il reçut la soumission
des Saxons, et la plupart renouvelèrent leur serment
342 LES SAINTS MILITAIRES

de fidélité, et se firent chrétiens. En 778, il marcha


contre les Arabes d’Espagne, franchit les Pyrénées,
s’empara de Pampelune et de Saragosse et, après avoir
conquis l’Aragon et la Catalogne, il fut rappelé sur le
Rhin par une révolte des Saxons. Dans une assemblée
tenue à Mayence, Tassilon, duc de Bavière, ayant été
accusé et convaincu du crime de trahison contre Char­
lemagne, fut condamné à mort; mais son souverain
lui fit grâce de la vie, à la condition qu’il s’enfermerait
dans un monastère. Au printemps de l’année 779, il
y eut un nouveau traité de paix avec les Saxons, qui
reçurent le baptême en très grand nombre. C’est alors
que, dé concert avec le pape, le prince établit en Saxe
des évêchés, y érigea des paroisses et y fonda des
monastères.
Après la mort de sainte Hildegarde, Charles, que
nous pouvons désormais appeler Charlemagne à cause
de ses grands exploits, avait épousé Falstrade, fille du
comte Rodolphe; c’était une princesse altière et ambi­
tieuse qui eût troublé l’État sous un roi moins ferme
et moins habile. Là haine qu’on lui portait fit naître
deux conspirations dont la dernière eut pour chef Pépin
le Bossu* fils aîné de Charlemagne, qui lui fit remise de
la peine capitale qu’il avait méritée. Falstrade étant
morte en 794, le monarque épousa, l’année suivante,
Luitgarde, fille d’un seigneur allemand. Ce fut à cette
époque qu’il jeta les fondements d’Aix-la-Chapelle, où
il se plaisait à résider lorsque ses expéditions militaires
ou les affaires publiques ne l’appelaient pas ailleurs.
28 JANVIER 343

Cependant le pape Léon III, successeur d’Adrien Ier,


ayant été traité à Rome avec la dernière indignité,
parvint à s’échapper de la prison où il avait été ren­
fermé et vint, en 799, implorer l’assistance de Charle­
magne. Ce prince le fit reconduire à Rome et le délivra
de ses ennemis. Bientôt il se rendit lui-même dans la
capitale du monde chrétien, où il arriva en 800, quelque
temps avant Noël. Étant allé, le jour même de celte
fête, à l’église où le pape officiait, Léon III, qui lui
devait son rétablissement sur le Saint-Siège, le cou^
ronna empereur des Romains sans que ce prince s’y
attendît; car il protesta, dit Eginhard son secrétaire,
qu’il se fût abstenu de paraître à la solennité, s’il eût
prévu ce qui devait arriver. Il est vrai que cette dignité
n’ajoutait rien à sa puissance, mais elle lui conférait
des privilèges qui n’étaient pas à dédaigner, et le pape,
en prenant cette mesure, consultait autant les intérêts
du Saint-Siège que ceux du prince son bienfaiteur. Le
nouvel empereur des Romains fit aux églises de Rome
des libéralités dignes de sâ grandeur. Entre autres* il
donna à la basilique de Saint-Pierre une table d’argent,
divers vases d’or et une grande couronne d’or enrichie
de pierreries, du poids de 55 livres, pour être suspendue
au-dessus de l’autel; une patène ou un bassin d’or,
orné aussi de pierres précieuses, du poids de 30 livres;
un calice à deux anses, du poids de 18 livres; deux
autres calices, l’un, avec son siphon, pesant 37 livres,
et l’autre 36. L’empereur fit en outre présent à l’autel
de Saint-Paul de plusieurs grands vases avec une table
344 LES SAINTS MILITAIRES

d’argent du poids de 53 livres sur laquelle on les pla­


çait. A la basilique du Sauveur, aujourd’hui Saint-Jean
de Latran, il donna une croix de pierres d’hyacinthe
pour être portée aux processions des grandes Litanies;
un autel avec des colonnes d’argent et un couronne­
ment de même matière. Il donna encore à la même
église un livre d’Évangiles couvert d’or et enrichi de
pierreries, et à la basilique de Sainte-Marie à la Crèche,
divers vases d’argent. On peut juger par la richesse
de ces dons quelle abondance d’or et d’argent il y avait
alors chez les Francs. On y possédait en effet les
principaux trésors que les Goths et les Huns avaient
enlevés à Rome, et Rome à l’univers presque entier.
Pour qu’il ne manquât rien à la gloire de Charle­
magne, il reçut à Rome une ambassade de Haroun-al-
Raschid, calife de Bagdad, qui lui envoyait l’étendard
et les clefs du saint Sépulcre, en témoignage de la
cession qu’il lui faisait de ce saint lieu. C’était le pré­
sent le plus agréable qu’il pût faire à un prince qui ne
cultivait son amitié qu’en faveur des chrétiens et des
saints lieux de la Palestine dont ce conquérant s’était
rendu maître.
Charlemagne, en revenant de Rome, perdit Luitgarde,
qui l’avait accompagné dans son voyage. Il épousa
successivement des personnes d’un rang inférieur
auxquelles les historiens donnent, pour cette raison,
le nom de concubines, quoique leur mariage fût légi­
time aux yeux de l’Église. Il fut marié huit fois, et des
écrivains lui en ont fait un reproche; mais, à l’excep­
28 JANVIER 45

tion de ses deux premières femmes qu’il répudia,


Himiltrude, par déférence pour sa mère, qui voulut,
par des motifs politiques, lui faire épouser Herman -
garde, et celle-ci, par des raisons qui ne nous sont pas
bien connues, peut-être parce que cette union était
nulle; les autres, c'est la mort qui les lui enleva, et
l’on ne voit pas qu’il ait jamais manqué à la fidélité
conjugale. On ne peut donc l’accuser d’incontinence ou
de dérèglement dans ses mœurs, ou si, dans sa jeunesse,
il pécha en quelque chose sur ce point, il l’expia dans
la suite par la pénitence.
En 806, Charlemagne convoqua à Thionville une
assemblée des grands de l’empire, à laquelle il com­
muniqua son testament par lequel il partageait ses
États entre ses trois fils, Pépin, Charles et Louis. Ce
partage fut approuvé et signé par les membres de
l'assemblée. Pépin étant mort en 810, et Charles
l’année suivante, le partage souscrit à Thionville se
trouva dérangé. Bernard, fils naturel de Pépin, obtint
l’Italie; Louis fut associé à l’empire, en 813, et son
père se déchargea sur lui du gouvernement, pour ne
plus s’occuper que de se préparer à la mort, par des
prières, des aumônes et des œuvres de pénitence.
Enfin arriva pour Charlemagne le terme de sa longue
et glorieuse existence. Le 20 janvier 814, au sortir du
bain, il fut pris de la fièvre. Il espéra d’abord se guérir
par une diète rigoureuse, ainsi qu’il en avait usé
dans ses autres maladies ; car, quoiqu’il eût plusieurs
habiles médecins à sa cour, il ne suivait guère leurs
346 LES SAINTS MILITAIRES

avis, et la diète était son unique remède. La pleurésie


s’étant jointe à la fièvre, il n’en continua pas moins sa
rigoureuse abstinence. Enfin le septième jour de sa
maladie, le danger augmentant, il fit venir l’arche^
vêque Hildebolde, son archichapelain, qui accompagné
d’autres évêques, lui donna l’Extrême-Onction, avec
le corps et le sang de Notre-Seigneur. Peu après il
entra dans une agonie qui ne lui ôta pas l’usage de la
raison et qui dura le reste du jour et la nuit suivante.
Le lendemain à la pointe du jour, sachant bien ce qu’il
allait faire, il recueillit toutes ses forces, étendit la
main droite, et fit le signe de la croix sur son front,
sur sa poitrine et sur tout son corps. Enfin, allongeant
ses pieds et étendant ses bras sur son corps, il chanta
doucement ces paroles : In m anus tuas commendo
spiritum m eum , c’est-à-dire : « Je remets mon esprit
entre vos mains », et sortit paisiblement de ce monde,
dans son palais d’Aix-la-Chapelle, le 28 janvier 814. Il
était dans la soixante-douzième année de son âge, la
quarante-septième de son règne et la quatorzième de
son empire. Il n’avait rien marqué touchant sa sépul­
ture; mais, après quelques délibérations, on jugea que
le lieu le plus convenable était la magnifique église
d’Aix-la-Chapelle qu’il y avait bâtie en l’honneur de la
Mère de Dieu. Il fut enterré dans cette église le jour
même. On embauma son corps; on le revêtit du cilice
qu’il porta toujours secrètement, et puis de ses habits
impériaux, par-dessus lesquels on lui mit la pannetière
d’or qu’il portait à ses voyages de Rome comme pèlerin.
28 JANVIER 347

On l’assit dans son tombeau snr un siège d’or, ou cei­


gnit son épée d’or à son côté; on plaça sur sa tête une
couronne où il y avait du bois de la vraie croix ; on lui
mit entre les mains et sur les genoux un livre des
Évangiles couvert d’or, et l’on suspendit devant lui
son sceptre et son bouclier, bénits par le pape saint
Léon III. Après quoi, on remplit le sépulcre de divers
aromates et on le ferma. On érigea ensuite sur son
tombeau un couronnement d’or en forme d’arc, sur
lequel on plaça sa statue avec cette inscription : a Sous
ce mausolée repose le corps de Charlemagne, grand et
orthodoxe empereur, qui a étendu glorieusement le
royaume des Francs, et qui l’a gouverné heureusement
pendant quarante-sept ans. Il est mort septuagénaire,
l’an du Seigneur 814, indiction septième, le 5 des
calendes de février. »
« On ne saurait exprimer, dit un des biographes
contemporains, quels furent à sa mort le deuil et
l’affliction par toute la terre. Les païens même le pleu­
rèrent comme le père de tout le monde. Les regrets
furent extrêmes parmi les chrétiens, particulièrement
dans tout son empire. » L’humanité contemporaine
l’ayant ainsi pleuré, la postérité J ’a mis au-dessus des
autres grands hommes et lui a donné cc nom de Char­
lemagne qui lui est propre et qu’il a mérité à tous
égards. « Charlemagne, dit Eginhard, était large de
carrure, robuste et d’une taille élevée, mais bien pro­
portionnée, et qui n’excédait pas en hauteur sept fois
la longueur de son pied. Il avait le sommet de la tète
348 LUS SAINTS MILITAIRES

arrondi, les yeux grands et vifs, le nez aquilin, une


belle chevelure, la physionomie ouverte et gaie. Qu’il
fût assis ou debout, toute sa personne commandait le
respect et respirait la dignité. Il marchait d’un pas
ferme, tous les mouvements de son corps présentaient
quelque chose de mâle; sa voix, quoique perçante,
paraissait trop grêle pour son corps. Il jouit d’une
santé constamment bonne jusqu’aux quatre dernières
années qui précédèrent sa mort.
a Le costume ordinaire du roi était celui de ses
frères, l’habit des Francs. Il avait sur la peau une
chemise et des hauls-de-chausses de toiles de lin; par­
dessus était une tunique vernie avec une ceinture de
soie et des chaussettes. Des bandelettes entouraient
ses jambes, des sandales renfermaient ses pieds, et,
l’hiver, un justaucorps de peau de loutre garantissait
la poitrine et les épaules contre le froid. Toujours il
était couvert de la saye des Wenètes et portait une
épée dont la poignée et le baudrier étaient d’or ou
d’argent; quelquefois il en portait une enrichie de
pierreries, mais ce n’était jamais que les jours de très
grandes fêles ou quand il donnait audience aux ambas­
sadeurs des autres nations. Les habits étrangers,
quelque riches qu’ils fussent, il les méprisait et ne
souffrait pas qu’on l’en revêtit. Dans les grandes so­
lennités il se montrait avec un justaucorps brodé d’or,
des sandales ornées de pierres précieuses, une saye
retenue par une agrafe d’or, et un diadème tout brillant
d’or et de pierreries; mais le reste du temps, ses
28 JANVIER 349

vêtements différaient peu de ceux du commun. Voilà


sous quel extérieur tout à la fois simple et imposant
nous apparaît dans Thistoire la personne de Charles,
dit le Grand. Qui pourrait lui contester ce surnom
glorieux ?
« Ce monarque fut grand dans la guerre : une partie
de sa vie se passa à remporter des victoires. Mais dans
le but qu’il poursuivait, il eut des vues plus élevées
que les autres conquérants; en effet, des divers partis
qu’il pouvait prendre, il choisissait de préférence celui
qui devait contribuer le plus puissamment à la gloire
de Dieu et au bien général de l’humanité. Ce fut moins
une guerre de politique qu’il fit aux Saxons qu’une
guerre de religion; c’était une véritable croisade. Il la
fit en effet prêcher par les prêtres, comme on prêcha
dans la suite les croisades; son camp fut une espèce
de séminaire où l’on observait des jeûnes rigoureux,
où l’on faisait des prières publiques et des processions
solennelles, où l’appareil religieux était joint partout à
l’appareil militaire. Le conquérant montre à nu le fond
de sa grande âme dans un diplôme qu’il donna, en
788, à l’église de Brême. Ce diplôme est conçu en ces
termes :
« Au nom de Notre-Seigneur et Sauveur Jésus-Christ,
Charles, par l’ordre de la Providence divine, roi. Si
par le secours du Dieu des armées, nous avons rem­
porté la victoire dans les guerres, c’est en Lui et non
pas en nous que nous nous glorifions; c’est de Lui que
nous espérons en ce monde la paix et la prospérité, et
SATNTS MILITAIRES. — T. I. 20
350 LES SAINTS MILITAIRES

dans l’antre une récompense éternelle. Sachent donc


tous les fidèles du Christ : que les Saxons, indomptables
à nos ancêtres par l’obstination de leur perfidie et si
longtemps rebelles à Dieu et à nous, jusqu’à ce que
nous les ayons vaincus par sa force et non parla nôtre,
et que, par sa miséricorde, nous les ayons amenés à
la grâce du baptême, nous les rendons à leur antique
liberté, les déchargeons de tous les tributs qu’ils nous
doivent, et, pour l’amour de Celui qui nous a donné
la victoire, nous les lui déclarons dévoiement, tribu­
taires et sujets, à savoir : comme ils ont refusé jusqu a
présent de porter le joug de notre puissance, mainte­
nant qu’ils sont vaincus et par les armes et par la foi,
ils paieront à Notre-Seigneur et Sauveur Jésus-Christ
et à ses prêtres la dîme de tous leurs bestiaux, fruits
et cultures, etc. »
Charlemagne ne fut pas moins grand dans la paix
que dans la guerre; il se montra en effet habile admi­
nistrateur et fit faire de notables progrès à la civilisa­
tion. Le bonheur des peuples et le bien de la religion,
tel fut le double but qu’il poursuivit dans son gouver­
nement : de là ces règlements admirables et ces Capi­
tulaires qui rendront sa mémoire immortelle comme
législateur. Ils résument les mœurs, les besoins, les
progrès moraux et matériels de la société carlovin-
gienne, presque tout entière germanique par ses
instincts, ses origines et ses traditions. « On voit dans
les lois de ce prince, dit Montesquieu, un esprit de
prévoyance qui comprend tout et une certaine force
28 JANVIER 351

qui entraîne tout; les prétextes pour éluder les devoirs


sont ôtés, les négligences corrigées, les abus réformés
ou prévenus. » Nous ne saurions d’ailleurs douter de
l’esprit qui animait le sage monarque dans la rédaction
de ces lois, lorsque nous lisons cette inscription qui
précède le premier de tous ses Capitulaires : « Charles,
par la grâce de Dieu, roi et recteur du royaume des
Francs, dévot défenseur de la sainte Église, et auxi­
liaire du Siège apostolique en toutes choses » ; et cette
autre déclaration de foi dans le recueil d’ordonnances,
publié à Aix-la-Chapelle, le 21 mars 789 : « Notre-
Seigneur Jéus-Ghrist régnant à jamais, moi, Charles,
par la grâce et la miséricorde de Dieu, roi et recteur
du royaume des Francs, dévot défenseur et humble
auxiliaire de la sainte Église de Dieu, à tous les ordres
de la piété ecclésiastique et à toutes les dignités de la
puissance séculière, le salut de la perpétuelle paix et
béatitude dans le Christ, Seigneur, Dieu éternel. »
Ennemi de l’ignorance et de la barbarie de son siècle,
Charlemagne protégea les sciences et les arts, établit
des écoles dans les cathédrales et les monastères de
son empire* Il fonda aussi des écoles publiques dans
les grandes villes, entre autres celle de Paris qui est
devenue si célèbre sous le nom de l’Université. Il
institua encore une espèce d’Académie, dont les séances
se tenaient dans son palais et dont il était l’un des
membres les plus distingués. Au milieu des savants
Italiens, Irlandais, Anglo-Saxons dont il s’était entouré
et qui cherchaient dignement à seconder ses viies,
3 52 LES SAINTS MILITAIRES

l’idéal d’une science plus parfaite le désolait encore et


lui arrachait ce cri de naïve impatience : « Plût à Dieu
que j’eusse seulement douze clercs tels que saint
Augustin et saint Jérôme! » Et le moine Alcuin le re­
prenait en disant : « Le Créateur du ciel et de la terre
n’en a eu que deux, et lu en demandes douze ! »
Ne se bornant pas à la langue paternelle, Charle­
magne donna beaucoup de soins à l’étude des langues
étrangères, et apprit si bien le latin, qu’il s’en servait
comme de sa propre langue. Il consacra aussi beaucoup
de temps et de travail à l’étude de la rhétorique, de la
dialectique et de l’astronomie, apprenant l’art de cal­
culer la marche des astres et suivant leur cours avec
une attention scrupuleuse et une étonnante sagacité.
Doué d’une éloquence abondante et forte, il s’exprimait
avec une grande netteté sur toute espèce de sujets. La
fécondité de sa conversation était telle, qu’il paraissait
aimer trop à causer. Et cela n’étonne pas lorsqu’on
considère que ses principaux délassements étaient
l’étude et la lecture.
Conquérant chrétien, législateur chrétien, roi très
chrétien dans tous les actes de son gouvernement et
particulièrement dans ses rapports avec les Souverains
Pontifes, les évêques et le clergé, Charlemagne donna
encore dans sa vie privée l’exemple des vertus chré­
tiennes.
Il aimait avec tendresse ses enfants ; jamais il ne
prenait ses repas sans eux; il s’en faisait accompa­
gner dans ses voyages les garçons le suivaient à
28 JANVIER 353

cheval, les filles venaient par derrière, et une troupe


nombreuse de soldats choisis, destinée à ce service,
veillaient à leur sûreté. « Ses filles étaient fort belles,
dit Eginhard, et il les aimait beaucoup; aussi s’étonne-
t-ôn qu’il n’ait jamais voulu en marier une seule, soit
à quelqu’un des siens, soit à quelque étranger; il les
garda toutes chez lui jusqu’à sa mort, disant qu’il ne
pouvait se priver de leur société. »
Sobre dans le boire et le manger, il l’était plus
encore dans le boire; haïssant l’ivrognerie dans quel­
que homme que ce fût, il l’avait surtout en horreur
pour lui et les siens. Il était tellement réservé dans
l’usage du vin et de toute espèce de boisson, qu’il ne
buvait guère que trois fois dans son repas. Quant à la
nourriture, il ne pouvait s’en abstenir autant et se
plaignait souvent que le jeûne l’incommodait. Très
rarement donnait-il de grands repas; s’il le faisait, ce
n’était qu’aux principales fêtes, mais alors il réunis­
sait un grand nombre de personnes. Pendant le repas
il se faisait réciter ou lire, et de préférence, les histoires
et les chroniques des temps passés.
Fidèle observateur des devoirs du chrétien, il se
rendait exactement à l’église, qu’il avait fait bâtir à
Aix-la-Chapelle, pour les prières publiques, le matin et
le soir, et y allait même aux offices de la nuit. Il veil­
lait à ce que les cérémonies s’y fissent avec une grande
décence. Il observait rigoureusement les jeûnes pres­
crits par l’Église; alors on ne mangeait qu’une fois par
jour, et après le coucher du soleil. Ces jour-là le dîner
SAIN'TS MILITAIRR3. — T. I. 20.
354 LES SAINTS MILITAIRES

de Charlemagne avait lien à la huitième heure, c’est-à-


dire à deux heures de l’après-midi; il ne violait cepen­
dant pas la règle dil jeûne, ne prenant rien depuis
cette heure jusqu’à la même heure du lendemain* S’il
ne prolongeait pas son jeûne plus tard, c’était par
condescendance pour les serviteurs du rang le plus
inférieur, dont le tour de se mettre à table n’arrivait
que plusieurs heures après son repas. Aux mortifica­
tions publiques imposées aux fidèles, il joignait des
mortifications volontaires, surtout dans les dernières
années de sa vie.
Il fit quatre fois le voyage de Rome par dévotion et,
selon quelques auteurs, il alla à Saint-Jacques, en
Galice, par esprit de pénitence. Durant ses conquêtes,
il eut grand soin de chercher les reliques dans les
lieux que ses armes prenaient : il faisait plus de cas
de ces précieux trésors que de toutes les richesses des
peuples qu’il subjuguait.
Il ne faut pas s’étonner, après cela, si cette insigne
piété lui a mérité tant de faveurs extraordinaires du
Ciel; en effet, plusieurs saints lui ont souvent apparu
pour l’entretenir familièrement comme s’il eût déjà été
de leur compagnie on remarque, entre autres, saint
Salve, évêque d’Angoulême, dont il avait fait mettre
les reliques dans une belle châsse, et saint Suitbert,
qu’il avait fait canoniser par Léon III; on peut joindre
encore à ces apparitions celle de deux esprits bienheu­
reux qui, jetant l’épouvante dans l’armée des Saxons,
les obligèrent de prendre la fuite et d’abandonner le
28 JANVIER 355

siège de Fritzlar, qu’ils avaient entrepris pendant


l'absence de Charlemagne. Enfin, on raconte que,
faisant la guerre à ce peuple, il obtint de l’eau par
ses prières, durant une grande sécheresse, pour rafraî­
chir son armée qui en manquait depuis trois jours.
La piété de Charlemagne né parut pas seulement
par ce grand zèle qu’il eut pour la gloire et la majesté
des temples matériels, mais encore par le soin qu’il
prit des temples spirituels qui sont les pauvres, soit
en fondant des hôpitaux pour les abriter, soit en leur
distribuant des aumônes capables de les faire sub­
sister; et, comme si les vastes provinces de ses
royaumes n’eussent pas renfermé assez de misérables
pour leur faire ressentir les effets de sa charité, il
envoyait de prodigieuses sommes d’argent en Syrie,
en Égypte, à Jérusalem, à Alexandrie, à Carthage,
pour y secourir les nécessiteux. C’est ainsi qu’il se fit
des amis qui le reçurent dans les tabernacles éternels.
« De tous les hommes qui ont obtenu le nom de
grand, et qui, privilège beaucoup plus rare, l’ont
conservé de siècle en siècle, dit Gabourd, aucun mieux
que Charlemagde ne l'a mérité par un plus étonnant
assemblage de dons glorieux, d’actes illustres, de
puissance prodigieuse et de services rendus aux
peuples; il est le géant de la vérité et de la légende, le
héros de la chronique et des épopées; partout où il a
posé le pied, une trace est restée de son passage ; le
monde moderne remonte à lui; toutes les nations de
l’Europe, qu’il a ployées et jetées dans un moule, gar­
356 LES SAINTS MILITAIRES

dent l'empreinte de ses mains... Le plus grand, le


plus redouté d’entre les rois, il avait devoir et fonc­
tion de montrer au monde qu’il n’y a pas, pour les
chefs des peuples, d’honneur plus relevé, de gloire
plus haute que de se mettre au service de la foi et de
la justice, et que d’accomplir vraiment le sacerdoce
civil, qui est de sanctifier la force et le pouvoir en les
employant à la cause de Dieu... »
Le corps de Charlemagne, enterré dans la magnifique
église d’Aix-la-Chapelle qu’il avait fait bâtir, fut levé
de terre, en 1165, par les soins de Frédéric Ier, sur­
nommé Barberousse,* et son chef fut transféré à
Osnabrück.
Sur le culte rendu à Charlemagne, voici ce que dit
dom Guéranger, en son Année liturgique
« Au gracieux souvenir de la douce Agnès, un grand
nombre d’églises, surtout en Allemagne, associent
aujourd’hui (28 janvier) la mémoire imposante du
pieux Charlemagne. Le respect des peuples était
déjà préparé en faveur de la sainteté de Charlemagne,
lorsque Frédéric Barberousse fit rendre le décret de
sa canonisation par l’anti-pape Pascal III, en 1165;
c’est pourquoi le Siège apostolique, sans vouloir
approuver une procédure irrégulière, ni la recom­
mencer dans les formes, puisqu’on ne le lui a jamais
demandé, a cru devoir respecter ce culte dans tous
les lieux où il fut établi.
« Dans nos églises de France, nous ne nous faisons
aucun scrupule de donner le titre de saints et d’ho­
28 JANVIER 357

norer comme tels un nombre considérable d’évêques


sur la sainteté desquels aucun décret n’a été rendu
par personne, et dont le culle n’est jamais sorti de la
limite de leurs diocèses; les nombreuses églises qui
honorent, depuis près de sept siècles, la mémoire du
grand empereur Charlemagne, se contentent, par
respect pour le Martyrologe Romain, où son nom ne
se lit pas, de le fêter sous le titre de bienheureux,
« Avant l’époque de la Réforme, le nom du bienheu­
reux Charlemagne se trouvait sur le calendrier d’up
grand nombre de nos églises de France; les bréviaires
de Reims et de Rouen sont les seuls qui l’aient con­
servé aujourd’hui (1847). Plus de trente églises en
Allemagne célèbrent encore aujourd’hui la fête du
grand empereur; sa chère église d’Aix-la-Chapelle
garde son corps et l’expose à la vénération des peuples.
Il est conservé dans une châsse de vermeil. Un de
ses bras est dans un reliquaire à part. On trouve dans
la grosseur des os de ce bras la preuve de ce que les
auteurs racontent sur la haute taille et la force corpo­
relle du grand empereur. Dans le trésor de la même
église se trouve aussi son cor de chasse et, dans
une galerie, le siège de pierre sur lequel il était assis
dans son tombeau. »
Nous trouvons dans un manuscrit du douzième
siècle, dont Bollandus a reproduit le texte dans ses
Acta, la relation de plusieurs miracles opérés à cette
époque par l’intercession du bienheureux roi. L’auteur
de cette relation la termine en disant a Qu’il y a eu,
358 LES SAINTS MILITAIRES

à sa parfaite connaissance, non seulement dans les


temps passés, mais encore dans les temps présents, un
très grand nombre de miracles obtenus par les mérites
du très saint empereur, et que, par tous ces miracles
et même par chacun d’eux, Dieu s’est montré et ne
cesse pas de se montrer, tous les jours, admirable et
plein de gloire dans la personne de son saint. » C’est
là sans doute un précieux témoignage en faveur de la
sainteté de l’illustre monarque, car si les populations
chrétiennes en eussent pensé différemment, comment
l’auteur de ce manuscrit aurait-il pu s’exprimer comme
il le fait (1) ?
L’Université de Paris choisit Charlemagne pour son
patron en 1661. La nation d’Allemagne, l’une des
quatre de cette célèbre Université, l’honorait sous ce
litre dès l’an 1480. La messe Os ju sti avec une oraison
propre, est indiquée pour la fête de saint Charlemagne
dans deux anciens missels de l’Église de Paris, dont
l’un est de 1497. Les Églises de Rouen et de Reims ont
été les dernières en France à honorer d’un culte le
bienheureux empereur, elles n’en font plus mention
aujourd’hui dans leur office. Nous avons laissé aux

(1) « Sunt enim et alia quam plurima quæ praetërea in gestis


Francorum, et ante nostra tempora, nostris quoque diebus audi-
vimüs et cognovimus, meritis ejusdem justissimi Imperatoris,
mirifice et magnifiée obtigisse quibus omnibus et singulis glo-
riosus et mirabilis in Sancto suo Deüs apparuit, et quotidic...
apparere non desinit. »
[E x m i r a c u l i s S . C a r o l i , apud Boll. XXVIII januarii.)
28 JANVIER 3 5 3

Allemands le soin de perpétuer par des solennités


religieuses la sainte et glorieuse mémoire de l’incom­
parable monarque.

S ources : L e s B o lla n d is te s au 28 janvier. H is to ir e d e


V É g lis e par Rohrbacher, liv. LUI et LIV. — H is to ir e d e
l'É g l is e en F r a n c e , par Jager, liv. XII et XIII. — H is to ir e
de F r a n c e , par Gabourg, t. III. — L e s p e t its B o l la n d is te s ,
X X IX e JOUR DE JANVIER

LES 48 BIENHEUREUX SOLDATS


CONVERTIS PAR SAINT SAVINIEN DE TROYES, MARTYRS
Vers 275.

Après avoir défait Tétricus et reçu à Rome les hon­


neurs du triomphe, Tempereur Aurélien était entré
dans les Gaules, dans le dessein de repousser les Bar­
bares qui les ravageaient et de leur faire lever le siège
d’Augsbourg. Ce prince qui était extrêmement ennemi
des chrétiens, passant par la ville de Troyes, apprit
bientôt qu’un nommé Savinien, grec de nation, y prê­
chait la doctrine du Christ et détournait chaque jour
un grand nombre de personnes du culte des idoles.
L’empereur le fit saisir et amener en sa présence; il
chercha d’abord, par de belles paroles et par de grandes
promesse, à lui persuader de sacrifier aux dieux, mais
voyant que la douceur n’y faisait rien, il eut recours à
la violence ce fut encore bien vainement, car Savi­
nien demeura, inébranlable au milieu des plus affreux
supplices.
Alors Aurélien ordonna qu’on mît le martyr en
prison. Quarante-huit soldats vinrent pour le garder;
mais dès qu’ils le virent, ils furent convertis, et ils
29 JANVIER 361

mirent bas leurs armes, en disant « Et nous aussi


nous croyons au Seigneur de Savinien, et nous l’ado­
rons. » L’empereur leur dit « Est-ce que vous aussi
vous êtes maudits, que vous voulez le suivre? Venez et
adorez mes dieux, et je vous donnerai de l’or et de
l’argent, et je vous élèverai aux plus grands honneurs. »
Mais les soldats lui dirent : « Que ton or te suive dans
la perdition, pour nous, nous avons été baptisés en­
semble et nous croyons en la Sainte-Trinité. »
L’empereur irrité ordonna qu’ils fussent décapités,
et eux, à cause de la grâce que leur avait obtenue
saint Savinien, ils accomplirent ainsi leur martyre,
qui eut lieu dans le mois de janvier, vers l’an 275.

S ources : L e M a r ty r o lo g e R o m a m . — L e s B o lla n d is te s , au
29 janvier, clans les Actes de saint Savinien. B a r . a n n .t annus
Christi 275, num. 6.

SAINT PAPIAS DE ROME ET SAINT MAUR DE ROME


SOLDATS, MARTYRS
Vers 303.

Dans le temps où la persécution contre les chrétiens


sévissait à Rome avec le plus de violence, par l’ordre
de Maximien, le préfet Laodice fit comparaître devant
son tribunal le vieillard Saturnin et le diacre Sisinne,
SAINTS MILITAIRES. — T. I. 21
362 LES SAINTS MILITAIRES

qui, depuis quarante-deux jours, étaient en prison


pour la foi.
— Eh bien! dit le préfet, avez-vous renoncé à votre
vaine superstition? Adorez-vous les dieux que les em­
pereurs adorent?
— Nous, pécheurs, répondit Sisinne, nous adorons
le Seigneur Jésus-Christ nous ne nous humilions
point devant des pierres ni des démons.
— Qu’on apporte un trépied, dit le préfet^ et qu’ils
offrent de l’encens aux majestés divines.
— Que le Seigneur brise les dieux des nations, dit
Sisinne.
Aussitôt le trépied qui était d’airain, tomba en
poussière, comme de la boue sèche. A la vue de ce
prodige, deux soldats, Papias et Maur, s’écrièrent
«En vérité, le Seigneur Jésus-Christ, qu’adorent Sisinne
et Saturnin, est le vrai Dieu. »
Laodice, irrité plus qu’effrayé du miracle, Ht étendre
les saints martyrs sur le chevalet. Après qu’on eut
serré et tiré leurs membres avec force, on les meurtrit
de coups de bâton et de scorpion. Pendant ce supplice,
les saints disaient « Gloire à vous, Seigneur Jésus-
Christ, de ce que vous avez bien voplu nous associer
à vos serviteurs ! »
Alors Papias et Maur crièrent aux bourreaux « De
quel démon êtes-vous possédés, pour traiter ainsi des
serviteurs de Dieu? » Cette fois Laodice les entendit;
il ordonna de leur briser la bouche avec des pierres,
ët de les mener en prison. Il lit ensuite apporter des
29 JANVIER 363

torches pour brûler les flaucs de Sisinne etde Saturnin.


Loin d’être vaincus parla souffrance, les deux martyrs
remerciaient Dieu d’un visage riant.
Laodice désespéra d’abattre leur courage il les
condamna à mort. On les descendit du chevalet, on
les conduisit à deux milles de la ville, sur la voie
Nomentane, et on leur coupa la tête. C’était le troisième
jour avant les calendes de décembre (29 novembre).
Le quatrième jour avant les calendes de février
(29 janvier), Laodice se fit amener, dans le cirque de
Flaminius, les deux soldats Papias et Maur que le saint
pape Marcellin avait baptisés dans leur prison. « Je
sais maintenant, leur dit le préfet, que vous êtes chré­
tiens.
« — Oui, répondit Papias, nous sommes maintenant
véritablement chrétiens.
a — Laissez là, dit le préfet, cette vaine superstition ;
adorez les dieux de nos princes.
« — Que cèux-là les adorent, répondit Maur, qui,
désespérant de leur âme, doivent périr pour jamais.
— Yous en désespérerez vous-mêmes tout à l’heure,
reprit le préfet, si vous ne sacrifiez aux dieux immor­
tels. Écoutez, faites ce que je vous dis, et vous vivrez*
« — Sacrifie, toi, répondit Papias, et tu vivras dans
les tourments éternels. »
Sur l’ordre du préfet, on les jeta par terre, pour leur
donner des coups de bâton. On les frappa longtemps
sans qu’ils poussassent un soupir; ils disaient seule­
ment « Seigneur Jésus-Christ, venez en aide à vos
364 LES SAINTS MILITAIRES

serviteurs! » Le préfet les ayant fait relever, on les


flagella avec des cordes garnies de plomb. Ils mouru­
rent dans ce supplice. Le prêtre Jean vint chercher de-
nuit leurs corps, qu’il inhuma sur la voie Nomentane,
dans le cimetière qu’on appelait Aux Eaux de Pierre,
à cause delà source où le bienheureux apôtre baptisait.
On conserve encore aujourd’hui à Rome les pré­
cieuses reliques de ces deux vaillants soldats de Jésus-
Christ.

S ources L e M a r ty r o lo g e R o m a in . — L e s B o lla n d is te s , au
29 janvier. B a r o n i i A n n a l e s Annus Ghristi 270, num. 10;
Annus Ghristi 303, num. 108 et seq. — L e s C h r é tie n s à la
c o u r d e D io c lé tie n , par Daras.

SAINT MAXIME DE TOSCANE


OFFICIER ROMAIN ET LES 1G00 BIENHEUREUX SOLDATS
SES COMPAGNONS MARTYRS
Vers 303.

Maxime occupait un rang distingué dans l’armée


romaine; il y avait le commandement de mille soldats.
Fidèle aux enseignements de la foi qu’il avait reçus
dès son enfance, il s’employait encore avec activité
à les propager autour de lui. Il convertit beaucoup de
païens, et, entre autres, cent vingt hommes de la
29 JANVIER 365

troupe dont il était le chef, et qu’il fît baptiser par le


bienheureux pape Marcellin. Cependant l’empereur
Maximien ne tarda pas à être informé de ces conver­
sions, et il en fut tellement irrité, qu’il condamna
Maxime et ces hommes devenus chrétiens, aux rudes
travaux des sablonnières, que l’on exploitait pour la
construction des Thermes de Dioclétien. Mais alors on
vit combien Maxime était aimé de ses subordonnés,
car tous les autres soldats qui avaient servi sous lui,
venaient le voir et lui prodiguaient des marques de
leur attachement et de leur reconnaissance. Maxime
profita de la confiance et de l’affection qu’ils lui témoi­
gnaient pour les entretenir de la vérité chrétienne et
il parvint à les gagner tous à Jésus-Christ. Le tribun
Marc, qui appartenait à la même légion, n’eut pas
plus tôt appris ce qui s’était passé, qu’il commanda de
jeter Maxime en prison et de le frapper cruellement à
coups de bâlon ; mais dans ce même temps, par un
juste jugement de Dieu, le misérable persécuteur fut
lui-même frappé de cécité. L’empereur, ayant eu con­
naissance de tous ces faits, condamna Maxime et les
cent vingt soldats à être décapités; et tous les autres
du même corps qui s’étaient faits chrétiens, à être
brûlés vifs dans la sablonnière. Quand ces ordres bar­
bares eurent été exécutés, le bienheureux pape Mar­
cellin et le prêtre Jean firent recueillir et déposer les
précieux restes des martyrs dans le cimetière qui se
trouvait sur la voie Salaria, près de la colline dite des
Concombres.
366 LES SAINTS MILITAIRES

Saint Maxime et ses bienheureux compagnons sont


particulièrement honorés à Sainte-Sévère en Toscane.

S ources L e s B o lla n d is te s , au 29 janvier. — B a r o n ii A n ­


n a le s ; Annus Ghristi 293, num. 14.

SAINT ARNOÜL DE GYSOING


NOBLE ÉCUYER FLAMAND, MARTYR
Vers 750.

La vie de saint Arnoul a été écrite en vers latins,


sous forme de complainte, par un chanoine meme de
Cysoing. Les Petits Bollandistes en ont donné une
traduction aussi littérale que possible elle nous a
paru avoir trop de mérite pour que nous n’en fassions
pas ici profiter le lecteur.
a D’Arnoul Porte-Dieu et soldat fidèle, voici l’his­
toire :
« Dans la fleur de l’âge, il servait Dieu dévotement,
se laissant conduire par la grâce.
« Irrépréhensible et à tous aimable, tel s’efforçait-il
de paraître.
« Sans nul souci du lendemain, pour l’amour de
Dieu, il vêtissait et nourrissait les mendiants.
« Une mûre gravité et la pureté, voilà ce qui le dis­
tinguait : la tempérance, voilà sa règle.
29 JANVIER 367

a Vivant, il était mort ail monde; sa sainteté écla­


tait, mais la prudence le faisait se cacher.
« Il veillait sur lui-même, n’oubliait jamais Dieu
présent ât s’efforçait de lui plaire.
« Son innocence ne connut jamais rien de la folle
sagesse du monde.
« Priant et jeûnant, il semait dans les larmes pour
récolter dans la joie.
« Il avait garde surtout de se laisser embarrasser
par les préoccupations de la terre.
a Or, il était l’écuyer fidèle d’un chef militaire riche
et puissant.
a Haut de taille, plein de vigueur et de santé, c’était
un vrai brave.
« La pureté de ses mœurs, autant que la parenté, le
rendait cher à son seigneur.
« Mais ce qui est gracieux, ce qui dépasse le
commun niveau, excite l’envie de la foule qui est
en bas.
a Par des larcins furtifs, il dérobait, dit-on, à son
maître pas peu de son bien.
« C’était un salutaire larcin, puisque ainsi il soula­
geait l’indigence des pauvres.
«Unjour qu’il portait du pain sous ses vêtements
les serviteurs l’arrêtèrent.
« On l’accuse, on l’entraîne, on le condamne, on le
tiraille, on déchire son vêtement.
« Pour sa justification, des copeaux tombent de son
sein devant tout le monde.
368 LES SAINTS MILITAIRES

«Les soupçons s'évanouissent, son seigneur lui


confie le gouvernement de sa maison.
« Mais sachant Lien par devers lui-même ce
qui en est, il s’éloigne au plus tôt, emportant ses
copeaux.
« Pendant qu’il les distribue, il voit ceux-ci reprendre
leur forme première.
« Sans aucunement s’enorgueillir il continue, comme
auparavant, ses bonnes œuvres.
« Il évitait de nuire à personne et avait sans cesse
présente à l’esprit ]a pensée du jugement dernier.
« Lorsque parfois son maître lui donnait l’ordre de
dépouiller ses sujets,
« Il préférait épargner le pauvre peuple et puiser
pour ses besoins dans les greniers du seigneur.
« Mais à force de puiser, le blé peu à peu décroissait.
« On rapporte au seigneur qu’à peine sa solde mili­
taire lui suffira pour le lendemain.
« On s’assemble, on décrète des peines contre Arnoul
comme coupable de ce forfait.
« Mais Dieu, témoin des bonnes œuvres de son ser­
viteur, va prendre sa défense.
« Il répare le dommage et réjouit doublement Tanne
du maître d’Arnoul.
« Toutes les voix s’élèvent pour le proclamer très
saint et ami de Dieu.
« L’officier veut que désormais Arnoul soit son fils
et il l’embrasse.
« Renonçant à rien posséder en propre, il déclare
29 JANVIER 369

que ses biens appartiennent aux pauvres et que désor­


mais on ne fera plus l'aumône en secret.
« C’est ainsi que la sainteté d’Arnoul et son admi­
rable charité éclatèrent partout.
« C’est ainsi qu’il mérita de parvenir par le martyre
à la félicité des saints.
« Quoique laïque, il était parfaitement instruit de la
loi du Seigneur.
« Un jour, s’étant mis en marche avec son maître,
tous deux cheminaient gaiement sur la voie publique.
« Or son maître avait des ennemis que de loin ils
aperçurent venir à eux.
« La fuite est impossible, le jeune homme se tourne
vers le vieillard et lui suggère ceci :
«Votre cheval, dit-il, ne vaut pas le mien qui est
fougueux et agile montez-le.
« Pour moi je ne crains rien : que craindrais-je, ne
leur ayant pa; fait de mal?
So'n maître s’enfuit à toute bride : lui, les ennemis
l’atteignent, le maltraitent, le déchirent.
« lis lui reprochent d’avoir facilité la fuite à celui
qu’ils haïssent mortellement.
« Ils lui passent autour du cou une forte corde pour
ainsi mettre fin à ses jour..
« A un arbre ils le suspendent, et longtemps le
laissent entre le ciel et la terre; mais, ô prodige, il ne
ressent aucun mal.
« Le saint jeune homme invoque trois fois le nom
ineffable, le nom divin, le nom terrible.
ÏF.S. — T. I. 21.
370 LES SAINTS MILITAIRES

a La rage torture ses bourreaux quand ils le voient


si calme suspendu à son arbre.
« Si nous quittons de la sorte, disent-ils, nous n’au­
rons pas la gloire de l’avoir fait mourir.
a Pendant que chacun parle ainsi, tous escaladent
l’arbre en même temps.
« Sur les épaules du saint, les barbares posent leurs
pieds et font les plus grands efforts.
« Ils étranglent l’innocent, ce que prouvent abon­
damment les miracles qui là s’opèrent incessamment.
« Plusieurs hommes de piété survivent qui ont par­
faitement connaissance de l’histoire.
« Pendant longtemps, sur le même arbre, on a vu
des lumières élinceler.
« La corde qui a servi au supplice est un excellent
remède contre les maux de gorge.
« Tout le peuple de Cysoing se réjouit de la présence
d’un si grand martyr.
« Si quelqu’un atteint de la fièvre y vient prier, aus­
sitôt il est soulagé.
« Plusieurs, nous l’avons vu, portent au cou des fils
d’argent en témoignage de leur dévotion. »
Dans son Histoire des saints de la province
de Lille, Douay, etc., le R. P. Martin Lhermite
donne une vie de notre bienheureux écuyer, nous
en extrairons deux passages pour compléter notre
récit l’un se rapporte à la naissance et à la jeu­
nesse militaire de saint Arnoul et l’autre contient
son éloge.
29 JANVIER 371

Yoici le premier passage qui est le commencement


même de la Yie du saint :
« Sous Pépin Ier qui fut appelé de Dieu, de son
Yicaire et de toute la France à la couronne l’an 751,
fleurissait à Gysoin en sainteté le B. Arnoult. La ferveur
de sa jeunesse Pavait porté à la guerre contre les Sar-
razins, où il se comporta de sorte qu’il ne relâchât
jamais rien de sa piété parmi la licence militaire.
C’était un soldat généreux et de noble extraction, qui,
par ses prouesses de guerre, éclatait en ce temps-là
entre les cavaliers de l’esperon d’or, au premier rang
d’honneur, qui était le prix de ses mérites et de sa
valeur non pareille, servant d’écuyer à un brave cava­
lier son parent. Il fit d’abord paraître sa résolution
foulant aux pieds le monde et ses damnables maximes
pour jeter les yeux et attacher ses espérances sur les
couronnes immortelles, s’étudiant à plaire à Dieu et
mériter les applaudissements du ciel : personnage haut
de stature, plein de vigueur et d’entrailles de piété. »
Yoici maintenant le second passage ou l’éloge du
saint :
a Le Soldat de Jésus, Cavalier de la Croix, S. Arnoult
généreux pouvait-il bien mourir? il faisait un Bouclier
d’une Foy toute vive; et sa Cuirasse était une Justice
insigne, Chasteté sa ceinture,la Prudence son casque;
la Charité luisante lui servait d’une espée, qui séparait
très bien par Maxime Céleste l’Esprit du corps, l’Éter­
nité du temps. 11 faisait jours et nuits la garde et
sentinelle aux portes de ses sens et à sa Conscience;
372 LES SAINTS MILITAIRES

son repos n’était autre que dévotes Prières, son repas


l’Abstinence, et sa mort est la Vie. »
On a conservé précieusement les reliques de saint
Arnoul dans l’abbaye de Cysoing, jusqu’à l’année 1566.
Elles furent alors profanées et dispersées par les héré­
tiques; mais le souvenir du saint est toujours vivant
dans la mémoire des habitants du pays.
Il est le patron de Cysoing.

S ources L es B o l la n d is te s , au 29 janvier. — L e s P e tit s


B o l la n d is te s , au 28 janvier. — H is to ir e d es s a in ts d e L ille ,
D ouay, etc., par le R. P. Martin Lhermite (A Douay,
l’an MDCXXXVIII). — V ie s des s a in ts des diocèses de
C a m b r a i e t d ' A r r a s , par l’abbé Destombes.

LE BIENHEUREUX PIERRE THOMAS


DE L’ORDRE DES CARMES, PATRIARCBE DE CONSTANTINOPLE
ET VAILLANT CROISÉ, CONFESSEUR
1366.

Pierre Thomas naquit vers l’an 1305 dans un petit


village du Périgord, nommé Sales, entre Belves et
Montpazier. Son père était un homme de la campagne,
occupé à cultiver la terre et à nourrir les bestiaux d’un
maître. Le jeune Thomas, voyant l’indigence de ses
parents, quitta de bonne heure son père, sa mère et
29 JANVIER 373

une sœur, c’était toute sa famille. Il se rendit à Mont-


pazier et il y fréquenta les écoles, vivant des aumônes
qu’on lui donnait. Ses progrès furent rapides, et en
peu de temps il en sut assez pour enseigner les autres
enfants du canton. Il passa de Montpazier à Agen, où
il étudia la grammaire et la logique, se soutenant tou­
jours par les aumônes et par son petit travail; car il
répétait aux écoliers du pays ce qu’il avait appris lui-
même, et il continua ces sortes d’exercices jusqu’à
l’âge de vingt ans. Le prieur et le lecteur ou professeur
des Carmes, témoins des heureuses dispositions de ce
jeune homme, le menèrent à Lectoure, où il enseigna
encore un an; après quoi le prieur des Carmes de
Condom le reçut dans sa maison et lui donna l’habit
de l’ordre. Il y fît profession et gouverna pendant deux
ans les études des jeunes religieux. Il revint à Agen
où il fut ordonné prêtre, malgré les oppositions de son
humilité. A Bordeaux, Albi, Cahors, Paris, il se per­
fectionna dans les sciences et fit part de ses connais­
sances aux autres. L’innocence de ses mœurs et sa
régularité étaient admirables. Il avait tant de confiance
dans la sainte Vierge qu’il en obtint plusieurs grâces
singulières. Pendant ses études, s’étant trouvé réduit
à n’avoir pas les choses nécessaires, la sainte Vierge
lui procura miraculeusement une aumône considérable.
Cependant Pierre fut envoyé à Paris par ses supé­
rieurs pour y prendre le grade de docteur. L’Université
dérogea en sa faveur aux statuts qui exigeaient un
cours de cinq ans, e't il reçut le bonnet doctoral après
374 LES SAINTS MILITAIRES

trois ans d’étude. Peu de temps après, Clément YI le


fit venir à Avignon en qualité de théologien du pape*
Ses talents pour la chaire ne le cédaient en rien à
son habileté dans l’école. Il prêchait avec tant d’élo­
quence et d’onction, qu’après un sermon qu’il prononça
à Avignon contre le luxe des femmes, on vit une
réforme générale dans l’habillement des dames les
plus distinguées de la ville. Dans le tribunal de la
pénitence, il opéra des conversions plus nombreuses
et plus difficiles encore. Ses succès ne se bornèrent
pas à la seule ville d’Avignon. Le pape Clément YI,
mort le 6 décembre 1352, avait ordonné que ses restes
fussent transportés sans pompe à l’abbaye de la
Chaise-Dieu, en Yélay. Pierre, choisi pour accompagner
le cercueil, prêcha dans toutes les villes qui se trou­
vaient sur son passage, et partout ses exhortations
produisirent les effets les plus salutaires.
Innocent VI, successeur de Clément dans la Chaire
de saint Pierre, qui avait su apprécier le mérite extra­
ordinaire du serviteur de Dieu, l’employa dans plu­
sieurs missions également difficiles et délicates; entre
autres, il l’envoya auprès des Vénitiens et des Génois
qui avaient eu recours à sa médiation pour régler les
différends qui existaient entre eux depuis longtemps.
Par sa prudence et sa haute intelligence des affaires,
Pierre aplanit toutes les difficultés d’une manière qui
surpassa l’attente et les vœux du Souverain Pontife.
Ces deux républiques puissantes purent réunir leurs
forces, contre les Turcs dont les progrès alarmants
29 JANVIER 375

menaçaient toute la chrétienté. Presque immédiate­


ment après, il fut envoyé auprès d’Étienne, roi de
Rascie, en qualité de légat, avec le titre d’évêque de
Pati et Lipari en Sicile.
Celui-ci, qui prenait le titre d’empereur des Bulgares,
avait fait témoigner au Pape, par des ambassadeurs,
le désir qu’il avait de renoncer au schisme des Grecs,
et de rentrer dans le sein de l’Église romaine. Il reçut
le légat avec la plus grande distinction; mais il pen­
sait beaucoup moins à la réunion des deux Églises,
qu’à obtenir des secours contre les Hongrois, et toute
l’habileté du saint prélat échoua contre la dissimulation
de ce prince hypocrite.
Mais la plus célèbre de toutes les ambassades dont
Pierre fut honoré, est celle qu’il eut à remplir auprès
de la cour de Constantinople, lorsque Jean Paléologue,
empereur des Grecs, manifesta le désir de mettre fin
au schisme et de se réunir à l’Église romaine. La négo­
ciation était difficile; mais à force de prudence et
d’habileté, il parvint à obtenir de l’empereur une pro­
fession de foi catholique et une promesse d’obéissance
au Saint-Siège. La réunion n’eut cependant pas lieu
parce que les malheurs de Jean Paléologue l’empêchè­
rent de tenir ses engagements.
A son retour, Pierre passa, par ordre du Pape, dans
le royaume de Chypre, où il fut reçu avec de grands
honneurs par le roi Hugues IV ; mais le saint évêque, se
dérobant à ces pompes mondaines, qui étaient pour
lui de véritables supplices, se réfugia dans un couvent,
376 LES SAINTS MILITAIRES

où il vécut comme un simple religieux pendant tout le


temps que dura sa mission dans celle île. L’ayant
quittée, il alla à Jérusalem pour y visiter le Saint
Sépulcre et les autres lieux sacrés; partout il célébra
la messe, et prêcha publiquement, quoiqu’au péril de
sa vie, car on le chercha plusieurs fois pour le faire
mourir.
Ce fut sur la fin de l’année 1358 que Pierre Thomas
revint à Avignon. Alors le Souverain Pontife, voyant
toutes les bénédictions que Dieu répandait sur les
travaux et les efforts du saint évêque, révoqua tous les
légats qu’il avait en Orient et nomma Pierre légat
général pour toute la Thrace, en le faisant passer du
siège de Pati à celui de Coron et de Négrepont.
Le serviteur de Dieu, muni de celle commission du
Pape, partit pour Constantinople avec une multitude
de vaisseaux et de galères, bien garnis de soldats
chrétiens qu’il avait ramassés de plusieurs endroits
pour les conduire à l’empereur, afin de lui venir en
aide dans la guerre qu’il soutenait contre les Turcs. 11
assista ce prince de ses conseils dans plusieurs de
ses expéditions auxquelles il prit part, et il courut sou­
vent de grands dangers pour l’amour de Dieu. Ce fut
lui qui fît emporter de force le château de Lampsaki,
quelque peu éloigné de la mer, parce que de là les
Turcs incommodaient notablement les voyageurs chré­
tiens; et comme au retour, sa petite troupe se trouva
entourée d’un gros d’ennemis, sans espérance de pou­
voir échapper à ce péril, lui seul, fortifié d’une vertu
29 JANVIER 377

céleste, encouragea tellement les soldats, qu’ils culbu­


tèrent les Turcs, tuèrent leur chef et en laissèrent trois
cents, morts sur la place. Ce ne fut pas la seule action
martiale que cet invincible soldat de Jésus-Christ fit
par le glaive matériel, pendant quatre ans que dura sa
légation (1).
Mais c’est surtout dans l’exercice des devoirs d’évêque
qu’il se montra admirable. On ne saurait raconter
toutes les conversions éclatantes qu’il opéra durant
ces quatre années qu’il passa en Orient. Il parcourut
à diverses reprises, souvent seul, presque toujours à
pied, toutes les provinces de sa légation, prêchant,
réformant les mœurs, faisant refleurir la piété parmi
les chrétiens et convertissant surtout dans l’Achaïe, où
était situé son évêché, un grand nombre de schisma­
tiques à la véritable Église.
Pierre, sur le point de revenir en Europe, persuada
au roi de Chypre de l’accompagner et de se rendre à

(1) « Et iniperatorem contra Turcuni guarram facientem, ipse


Legatus... associatus visitavit et... confortavit. Et omnes suæ
legationis Cliristianos in guarram Tiircoruin pic animavit... Ad
quoddam castrum Turcoriim, nominc Lapsaco vocatum... ivit.
Ipse quidem et sui manu forti castrum fortiter expugnaverunt»
et tandem adjutorio Dei... obtinucrunt. His pcractis Turci... inter
mare et castrum in insidiis latitabant... Tandem strennitate
militum Hospitaliorum... et strennitate et benedictione ipsius
Domini Legati, Turcis devictis et retroactis... galeas ascenderunt.
De Turcis vero trecenti mortui sunt et Capitaneus corum. Et sic
voluit Deus Lcgato suo victoriam dare in captione castri ; et in
bello qiioque virtutem ejus et constantiam ostendere... » (E x v it a
S. P é tr i T h o m a sii, apud Boll.)
378 LES SAINTS MILITAIRES

Avignon, afin de solliciter auprès du pape Urbain Y et


des princes chrétiens des troupes et des secours pour
recouvrer la Terre-Sainte. Ils s’embarquèrent ensemble,
mais le roi s’étant arrêté à Gênes, Pierre arriva seul
à Avignon, où il fut reçu par le Pape et les cardinaux
avec toutes les marques d’estime et de vénération qui
étaient dues à ses vertus et à ses succès.
Sur ces entrefaites, le Pape, ayant appris que Urse,
archevêque de Crète ou Candie, autrefois légat du
Saint-Siège à Smyrne, était mort, promut le bienheu­
reux Pierre à ce siège métropolitain, sans avoir égard
à ses humbles refus et à la vive répugnance qu’il lui
manifesta. Puis il l’envoya à Bologne pour régler la
contestation qui existait entre le Saint-Siège et le duc
de Milan sur la propriété de cette ville.
Ce fut durant cette importante négociation, dont le
résultat fut heureux pour l’Église, que la croisade fut
résolue contre les infidèles. Le Pape nomma pour chef
de cette expédition Jean, roi de France, et pour légat
universel le cardinal de Talleyrand-Périgord; mais le
roi et le légat étant morts la même année, il remplaça
le cardinal par le bienheureux Pierre qu’il nomma
légat du Saint-Siège dans toutes les provinces de
l’Orient, avec le titre de patriarche de Constantinople.
Ce devait être la dernière et la plus glorieuse situation
du vaillant serviteur de Jésus-Christ, évêque titulaire
de la nouvelle Rome, revêtu tant de fois de l’autorité
du Saint-Siège, honoré dans toutes les cours de la
chrétienté, il fallait encore qu’il fut l’âme d’une guerre
29 JANVIER 379

sainte, le pasteur et le père d’une armée de croisés.


C’était l’an 136o.
Pierre ayant reçu la bénédiction du pape Urbain V,
se rendit d’abord à Venise où il devait attendre le roi
de Chypre. De là, il passa avec celui-ci dans l’île de
Rhodes, où il jeta les fondements d’une expédition
vraiment chrétienne par le soin qu’il prit de préparer
les cœurs et de purifier les consciences. Son occupa­
tion journalière fut d’annoncer la parole de Dieu,
d’entendre les confessions, de célébrer des messes
solennelles, de faire des processions, de visiter les
malades, de pacifier les différends, de concilier les
divers intérêts. Il se multipliait en quelque sorte,
tantôt dans le conseil du roi et parmi les grands, tantôt
avec les matelots et les simples soldats; ici s’employant
pour le grand maître de Rhodes et ses chevaliers, là
pour les étrangers de toutes les nations qui avaient
pris la croix; partout inspirant l’union, la charité et le
courage. Ses travaux ne lui laissaient presque pas le
temps de prendre un peu de nourriture et de sommeil.
Il ne pouvait se refuser aux empressements qu’on avait
de le voir et de l’entendre; c’était la ressource com­
mune, et, quand on avait eu le bonheur de recevoir sa
bénédiction ou de lui baiser la main, on se croyait en
état d’affronter tous les dangers. Dans cette multitude
de croisés, il se trouva des gens qui ne s’étaient pas
confessés depuis dix ou vingt ans, d’autres qui avaient
pris la croix pour des motifs de vanité ou d’avarice,
cherchant plus les grâces du prince que la gloire de
3 8 0 LES SAINTS MILITAIRES

Dieu ; toutes les consciences furent purifiées, tous les


sentiments défectueux furent réformés par les soins
du patriarche. Peu de jours avant qu’on mît à la voile,
il y eut une communion générale dans l’armée; le roi
et les seigneurs donnèrent l’exemple et communièrent
de la main du prélat.
On s’embarqua enfin le dernier jour de septem­
bre 1365, et le bienheureux Pierre, de dessus la galère
royale, bénit la flotte, la mer et les troupes. En quatre
jours, on arriva au port d’Alexandrie; le légat, tenant
sa croix haute, donna encore la bénédiction à l’armée,
et il lui inspira tant d’ardeur que, malgré la multitude
infinie des Sarrazins qui couvraient le rivage et parmi
une grêle de flèches qu’ils lançaient sur les croisés,
ceux-ci firent leur descente, repoussèrent les infidèles,
les poursuivirent et se rendirent maîtres d’Alexandrie.
On trouva dans la ville des richesses immenses; les
croisés s’en emparèrent, mais, sous prétexte de leur
petit nombre, ils ne voulurent point garder une place
que les Sarrazins, revenus de leur frayeur, ne man­
queraient pas de venir assiéger avec toutes leurs forces.
Le roi et le légat eurent en vain recours aux prières
et aux larmes ; il fallut se rembarquer quatre jours
après la prise d’Alexandrie et retourner en Chypre. Le
roi souhaita que le bienheureux Pierre Thomas repassât
en France pour rendre compte de toute l’expédition au
Pape. Il alla préparer son voyage à Famagouste; c’était
aux fêtes de Noël. Le saint homme, se livrant aux sen­
timents de sa dévotion, célébra tous les offices de ces
29 JANVIER 381

grands jours. La saison était rigoureuse; il y ajoutait


le jeûne et la nudité des pieds. Le corps ne put soutenir
la ferveur de l’esprit, une fièvre ardente le saisit. Dieu
lui fit connaître que sa dernière heure approchait; il s’y
prépara par tous les exercices de la piété et de la péni­
tence. Il voulut qu’on le mît à terre, revêtu d’uu sac
et la corde au cou. Dans cet état, il demanda pardon
à toute l’assemblée, fit sa profession de foi, reçut le
saint Viatique et l’Extrême-Onclion, récitant toutes
les prières dont l’Église accompagne toutes ces saintes
actions. Les derniers moments de sa vie se passèrent
dans un recueillement profond et une intime commu­
nication avec Dieu. Sans cesse on l’entendait prononcer
les saints noms de Jésus et de Marie; tous ses traits
brillaient d’une joie si pure et si vive qu’on eût dit
déjà qu’il jouissait par anticipation du bonheur des
élus. Comme on voulut lui offrir quelque chose à
prendre, il montra le crucifix qu’il tenait entre ses
mains en disant « Voilà le seul aliment qui me con­
vienne et duquel je puisse désormais attendre quelque
soulagement. » Peu d’heures après, il entra dans une
douce agonie, et il rendit tranquillement son esprit à
Dieu le 6 janvier 1366.
Le concours fut prodigieux à ses obsèques ; pendant
six jours, il demeura exposé dans l’église des Carmes,
revêtu de l’habit de cet ordre, et recevant les respects
de tous les états, sans en excepter les schismatiques,
qui vinrent comme les plus fidèles catholiques, lui
baiser les mains et les pieds. Ce saint corps répandait
382 LES SAINTS MILITAIRES

une odeur agréable et ses membres parurent flexibles


comme s’ils avaient été animés.
Pierre avait ordonné par humilité qu’on l’enterrât à
l’entrée du chœur afin, disait-il, qu’il fût plus souvent
foulé aux pieds; mais ses vœux furent trompés. Les
miracles qui s’opérèrent sur son tombeau lui attirèrent
longtemps le respect des fidèles qui venaient en foule
pour l’honorer et l’invoquer. Au quinzième siècle, son
nom fut inséré dans les calendriers, et le Pape Paul Y
permit aux Carmes de célébrer sa fête dans leur ordre,
et même de la transférer au 29 janvier, parce que le
jour de sa mort est occupé déjà par la solennité de
l’Epiphanie. Les Carmes lui donnent le titre de martyr,
parce qu’on dit qu’il avait été blessé à la prise
d’Alexandrie et que ses blessures lui causèrent la
mort.

S ources L e M a r ty r o lo g e des Carmes-Déchaussés, au


6 janvier. — L e s B o lla n d is te s , au 29 janvier. — H is to ir e de
l'É g lis e , par Rohrbacher, livre LXXIXC. — V ie des s a in ts ,
par Godescard. — L e s P e tit s B o lla n d is te s .
X X X 0 JOUR DE JANVIE R

SAINT ADELELME
NOBLE GUERRIER POITEVIN, PUIS ABBÉ DE LA CUAISE-DIEU
ET PREMIER PRIEUR DE SAINT-JEAN DE BURGOS
CONFESSEUR
Vers 1097.

Messire Jacques Branche, qui écrivait dans la pre­


mière moitié du dix-septième siècle, nous a donné,
dans la Vie des saincts et des sainctes de VÀu-
vergne et du Velay, l’histoire de saint Adelelme ; ce
travail nous a paru très exact et intéressant; c’est
pourquoi nous allons le reproduire en grande partie,
tout en nous permettant de corriger en quelque chose
l’orthographe de cet ancien auteur :
« Ce serviteur de Dieu fut fils unique de parents
fort illustres et dévots citoyens, non de la ville de
Lyon, comme veulent les historiens espagnols, qui ont
écrit sa vie, mais bien de Loudun, qui est entre
l’évêché de Poitiers et celui d’Angers, aux limites du
Limousin. Ses parents l’appliquèrent aux études dès
ses plus tendres années, et après voulurent qu’il
suivît les guerres, bien que, dès l’issue du berceau, il
eut plus d’inclination à la piété qu’aux armes. (Il vécut
plusieurs années dans cette profession, soldat par
384 LES SAINTS MILITAIRES

l’habii, mais moine par le cœur) (1). Après leur décès


de ce monde, il distribua tous ses biens aux pauvres,
pour les lui porter aux trésors célestes, où ils sont
hors de danger d’être rongés de la teigne ou enlevés
des larrons. Et s’étant abandonné entre les mains de
Dieu, qu’il prit pour sa consolation et pour ses ri­
chesses, il partit de sa maison au déçu (non connais­
sance) de tous ses amis, destitué de toute sorte de
commodités, pour servir de consolation aux pauvres et
d’exemple aux riches; et se porta en plusieurs endroits
du royaume, cherchant un lieu propre pour y passer
le reste de ses ans au service de Dieu, sous la conduite
de qui il arriva à la ville d’Issoire en Auvergne, où il
fit rencontre de saint Robert, abbé de la Chaise-Dieu,
de la bouche de qui il reçut plusieurs belles et saintes
instructions pour bien et religieusement régler sa vie,
et obtint de lui qu’à son retour de Rome, où il s’était
voué, il le recevrait à sa compagnie.
<c Saint Robert lui donna sa bénédiction, avec laquelle
il prit joyeusement son chemin, assisté d’un homme,
qu’il renvoya bientôt, afin qu’il n’eût point de témoins
de ses austéritée et bonnes œuvres : la terre nue était
son lit, son chevet une pierre, et les aumônes sa

(1) Cum jam per littcrarum cucnrrisset cxordia, baltheum


militare suadcntibus cognatis, ipse vero reluctante præcinxit, in
cujus status cxcrcitamentis, nonnullos sago miles, corde mona-
clius, transcgit annos, donec defunctis parentibus, ad altiora
spiritus munia animum erexit. In patriam redux, etc... » (E x V ita
S . A d e le lm i , In A c tis S S. O. S. B. S æ cu l. s e x tu m .)
30 JANVIER 385

nourriture. 11 passait les nuits entières à l’oraison,


marchait tout le jour à pieds nus, refusait l’argent
qu’on lui donnait, pour n’avoir pas occasion de penser
au lendemain, selon le conseil de l’Évangile, 11 em­
ploya trois ans entiers à ce voyage pendant lequel il
demeurait souvent trois jours sans manger, visitant
continuellement les églises et lieux saints. Et sa vie
tout innocente était suivie d’une infinité de miracles
sur la personne des malades qu’il guérissait souvent
au nom de Jésus.
« Etant revenu de Rome, ses austérités incompre-
nables l’avaient tellement séché, qu'à grand peine fut-il
connu de saint Robert. Il le reçut au nombre de ses
religieux, et lui donna plusieurs rares enseignements,
lui conseillant d’attacher tous ses sens à la croix de
Notre-Seigneur, de renoncer à sa volonté propre et
d’accomplir celle de Jésus-Christ. Ce que ce bon
pèlerin fit avec un tel abandonnemcnt de soi-même,
qu’on eût dit à le voir, qu’il n’avait plus de sentiment.
« 11 se fit prêtre par l’ordre de son supérieur. Sa
prêtrise fut une prêtrise de grâces et de bénédictions;
ce fut une prêtrise de salut, et un ministère aussi pur
que celui des anges, et si utile à la religion, que celui
des intelligences, qui gouvernent le temps pour le
profit des créatures ; si bien que dans peu de mois il
fut jugé capable de régir le noviciat. Quelque temps
après, l’abbé Durand, qui avait succédé à saint Robert,
ayant été par ses rares vertus élu évêque de Clermont,
l’an mil huictante-cinq (1085), donna ordre que saint
SAINTS MILITAIRES. — T. I. 22
386 LES SAINTS MILITAIRES

Adelelme fût mis en sa place par tous les religieux,


qui étaient alors trois cents, quoique ce fût contre la
volonté de ce bon saint, qui enfin accepta cette charge,
forcé par l’obéissance. Il s’y comporta si dignement et
parvint à un tel degré d’humilité, qu*il s’estimait le
moindre de tous, et voulait en toutes choses tenir le
dernier rang, quoique sa dignité, jointe à sa vertu, lui
eût acquis le premier. 11 rendait mille devoirs d’hon­
neur aux religieux qu’il voyait être amis de l’obéis­
sance, et corrigeait tous les rebelles avec toutes les
démonstrations de charité. Et parce qu’il s’était tou­
jours cru indigne de cette charge, il fit tant qu’on lui
permit enfin de se démettre de l’abbaye.
« Saint Adelelme se voyant quitte d’une charge si
pesante, se retira dans sa cellule, pour occuper son
esprit à la vive contemplation des choses célestes, et
à la recherche des moyens de son salut, affaiblissant
son corps par le redoublement de ses prières, par la
continuation de ses austérités, et par les efforts qu’il
faisait de résister aux combats qu’il sentait en soi-
même, tant de la part de Satan, que de sa propre
concupiscence. Ce qu’il ne put faire si secrètement,
que la sainteté de sa vie ne volât jusques aux régions
les plus éloignées; et la reine d’Angleterre qui en
avait ouï le bruit, se sentant attaquée d’une maladie
incurable, l’envoya supplier qu’il lui fît cette charité
de lui envoyer du pain bénit de sa main, l’assurant que
de là seul dépendait sa guérison. Le saint, qui avait
des sentiments plus humbles de soi-même, y porta de
30 JANVIER 387

grandes difficultés, mais enfin l'importunité des délé­


gués et sa charité non pareille, eurent cet avantage
sur lui, qu’il bénit du pain et le lui envoya, dont elle
n’eut pas à peine goûté, qu’elle fut délivrée de son
indisposition, et lui en resta pour guérir un grand
nombre de malades qui étaient dans son royaume.
Alphonse YI, roi d’Espagne, mari de la reine Cons­
tance, ayant ouï parler des vertus héroïques de ce
grand religieux, jugea que son assistance lui pourrait
être utile pour pacifier les troubles que les Maures
faisaient naître dans ses États. Il lui en fit écrire par
la reine, qui le priait qu’à l’imitation des Apôtres, et
pour le zèle qu’il voyait en eux, il lui plût de prendre
la peine de se porter en ses terres, pour retirer un
million d’âmes de la damnation, où l’infidélité de cette
nation infidèle les avait précipitées. Le saint qui ne
désirait rien tant que d’exposer sa vie à toutes sortes
de malheurs, pour acquérir les âmes à Jésus-Christ,
s’y porta fort librement, avec la permission de son
supérieur saint Séguin, qui la lui donna après avoir
recommandé l’affaire à Dieu, et su par révélation
divine, que c’était sa volonté.
Etant arrivé en ce pays, il alla trouver le roi, qui
était à l’armée, tout contre le fleuve du Tage, en Por­
tugal, bien en peine de le passer à cause de son dé­
bordement, et de la nécessité qui le pressait de courir
promptement sur l’ennemi. Saint Adelelme pour donner
courage à l’armée, ayant récité le verset 8 du psaume,
Exaudiat te Dominus Iii in curribus et hi in
388 LES SAINTS MILITAIRES

equis, nos ai item in nomine Domini Dei nostri


invocabimus, c’est-à-dire : « Ceux-là se confient dans
la multitude de leurs chariots, et ceux-ci dans la
vitesse de leurs chevaux, mais pour nous, nous aurons
recours à l’invocation du nom du Seigneur notre Dieu»,
monte sur son âne et passe le premier, traverse le
fleuve en dépit des ondes, et de ses vagues, et tout le
reste de l’armée suit, à moins (sans) qu’une seule per­
sonne se perdît; dont le roi ravi d’aise et d’admiration,
se prosterne à ses pieds, les baise, et le prie de faire
sa retraite dans son royaume, afin qu’il l’assiste à la
conduite de ses États. Il lui bâtit un couvent aux fau­
bourgs de la ville de Burgos, qu’il dédie à saint Jean
l’Évangéliste, avec un hôpital pour y loger les pèlerins
de saint Jacques, que le bon Adelelme servit de là en
avant de ses mains propres, et y acheva 'le reste de
ses jours en prières, abstinences et bonnes œuvres,
accompagnées d’un nombre infini de miracles, qui
attirèrent plusieurs jeunes hommes, qui firent profes­
sion de la règle de Saint-Benoît, et voulurent que leur
monastère fût régi par le saint.
« Dieu, pour récompenser tant de bonnes œuvres
que son fidèle serviteur avait mises en pratique, et
tant de mortifications dont il avait exténué son corps
jusques aux os, lui donna avis de sa prochaine fin,
dont le saint étant bien aise, se munit des sacrements,
fait plusieurs exhortations à ses disciples, leur donne
le baiser de paix, prend la croix entre les mains, et
disant : « Vous qui êtes mon Dieu, venez à mon aide,
30 JANVIER 389

« et recevez mon âme », rend l’âme à Dieu entre leurs


mains. Il fut enseveli dans le même monastère le tren­
tième janvier, l’an mille nonante (1090), ou selon
quelques autres l’an mille nonante-sept. A son enter­
rement un homme qui était rompu de tous ses mem­
bres, fut parfaitement guéri. Une femme ayant perdu
la vue à force de pleurer la mort de son mari et de
tous ses enfants, recouvra la vue en priant Dieu
devant son sépulcre. Un autre perclus de tous ses
membres, ayant fait protestation de quitter sa vie
débordée devant son tombeau, fut remis en santé.
« Les Espagnols l’appellent saint Lesmez, son corps
fat translaté, l’an mil quatre cent-huictante, sous le
règne de Jean Ier, dans une église, que les habitants
lui bâtirent tout contre le monastère, dans une châsse
peinte d’or et d’azur, magnifiquement élevée sur une
muraille de la hauteur d’une aune, soutenue de quatre
colonnes de jaspe, ayant quatre figures, qui représen­
tent les quatre vertus cardinales, avecque plusieurs
autres ornements, et son image au plus haut, habillé
à la Bénédictine, le tout beau à ravir. »
La ville de Burgos a choisi saint Adelelme pour son
patron, et elle célèbre sa fêle tous les ans, le 30 jan­
vier, avec beaucoup de solennité.
S ources : M a r ty r o lo g e de 1*0. de Saint-Benoît, au 30 jan­
vier. — L es B o lla n d is te s , au 30 janvier. — A c ta S S . O . S . B .
Sax. Sext. — L a V ie des s a in e ts e t sa in c te s d 'A u v e r g n e et d e
V é la y , par Messire Jacques Branche Au Puy, 1651.

SAINTS MILITAIRES — T. I. 2 :2 .
XXXV JOUR DE JANVIER

SAINT JEAN D’EDESSE


OFFICIER DE L’ARMÉE ROMAINE, MARTYR
Sous Dioclétien.

Gyr était citoyen d’Alexandrie, en Égypte; il y exer­


çait la profession de médecin, guérissant les âmes des
erreurs du paganisme, non moins que les corps de
leurs maladies. Le gouverneur donna ordre de l’ar-
rêtee. Cyr se réfugia, sur les frontières de l’Arabie, en
un lieu nommé Getzo, et continua de guérir les corps
et les âmes par la foi et la prière seules. Bientôt le
bruit de sa sainteté et des œuvres merveilleuses qu’elle
opérait se répandit au loin et parvint enfin aux oreilles
de Jean, chrétien fervent, qui était issu d’une illustre
famille d’Edesse, et occupait un poste élevé dans
l’armée. Alors Jean se sentit attiré vers cet admirable
médecin dpnt on racontait tant de choses extraordi­
naires, et, pour se faire son disciple, il quitta tout,
son emploi, ses honneurs et ses richesses. Il voulut,
avant de passer en Egypte, séjourner quelque temps à
Jérusalem, et lorsqu’il eut le bonheur de se trouver
dans la compagnie du vénérable Cyr, il s’édifia si bien
31 JA N V IE R 391

de ses exemples, que chaque jour il fit de nouveaux


progrès dans la vertu (I).
Cependant la persécution de Dioclétien ayant re­
doublé, trois vierges chrétiennes de Canope, consacrées
à Jésus-Christ, furent arrêtées avec leur mère Atha-
nasie et présentées à Syrien, gouverneur d’Alexandrie.
Saint Gyr, l’ayant appris dans sa retraite, craignit
beaucoup que ces enfants, intimidées à la vue des
supplices, ne vinssent à renier leur céleste époux,
surtout à cause de leur grande jeunesse. Car Théoctiste,
l’aînée des trois, n’avait que quinze ans; Théodosie, la
seconde, en avait treize, et Eudoxie, la dernière, était
dans sa onzième. Le bienheureux Cyr rentra donc dans
Alexandrie, accompagné de Jean. Ils pénètrent dans la
prison et inspirent aux jeunes vierges un courage au-
dessus de leur âge et de leur sexe. Le gouverneur
l’ayant su, les fit amener tous deux devant son tribunal,
ainsi que les trois vierges et leur mère. Il comptait
entraîner ces dernières dans l’apostasie des deux
hommes, ou les effrayer par leur supplice. Il essaya
d’abord de gagner Cyr et Jean par des promesses ; leur
offrit de l’argent et des honneurs, s’ils voulaient revenir

(1) a Jamque nomen ejus (Cyri) fama vulgaverat; quæ Joannem


patria quidem et généré Edessenum, moribus autem verum cceli
civem, sed et militari dignitate pollentem, non præteriit. Ea igitur
cognita fama, generosus hic miles mutato statu, desertaque hu-
mana militia, magnis animis militiæ Christi nomen dédit... Hinc
et nuntio mox opibus, prosperitati, gloriæ et dignitatibus remisso,
Hierolosyman profectus... » (E x v it a S S . C y r i et J o a n n is , apud
Boll.)
392 LES SAINTS MILITAIRES

à la religion du prince. Sur leur refus, il leur fit en­


durer toutes les espèces de tourments, les coups de
fouet, le fer, le feu. Voyant ces deux hommes insen­
sibles, comme s’ils avaient souffert dans un corps
étranger, il les fît mettre à part, et se mit à tourmenter
les jeunes vierges et leur mère. Gomme elles demeu­
rèrent inébranlables, il fit trancher la tête à la mère
et aux trois filles. Après quoi il essaya de nouveau sur
les deux martyrs, Cyr et Jean, toutes les espèces de
promesses et de tortures, et finit par les condamner à
être décapités. Les chrétiens transportèrent les corps
dans l’église de Saint-Marc, et les placèrent, les trois
vierges et leur mère dans un tombeau, les deux amis
saint Cyr et saint Jean dans un autre. Plus tard, saint
Cyrille, patriarche d’Alexandrie, transféra saint Cyr et
saint Jean dans l’église des Évangélistes, sur le bord
de la mer, où ils opérèrent une infinité de miracles.
Leurs corps furent plus tard transportés à Rome. Si
donc Rome est citée dans la mention du martyrologe,
c’est comme le lieu où ils sont honorés, et non comme
celui de leur martyre. Il y a, dit Baronius, sur la voie
de Porto, dans la région ou quartier de la basilique
Saint-Paul, au-delà du Tibre, une vieille église nommée
communément Sainte-Passara, mais que les anciens
manuscrits appellent sainte Praxède; on y lit ces deux
vers gravés sur le marbre

Ici brillent les saints corps de Cyr et de Jean.


Alexandrie la Grande les a donnés à Rome.
31 J A N V IE R 393

S ources : L e M a r ty r o lo g e R o m a in . —- L e s B o lla n d is te s , au
31 janvier. — Tillemont, M é m o ir e s ec clésia stiq u es, t. Y. —
L e s P e tit s B o lla n d is te s .

SAINT PIERRE NOLASQUE


NOBLE CROISÉ
puis Fondateur de l’ordre de sainte -marie de la merci

1256.

Ce fut en 1189, dans la province du Languedoc, au


bourg du Mas-des-Saintes-Puelles, non loin de Castel-
naudari, que naquit Pierre Nolasque. Sa famille, riche,
puissante, illustre, se faisait surtout remarquer par sa
haute piété dans ces temps d’épreuve et de foi. L’en­
fance de Pierre, ainsi préparée par les vertus de ses
pères, contracta de bonne heure les heureuses qualités
qu’une brillante éducation vint ensuite développer et
féconder en lui.
La sensibilité de son caractère, jointe à l’obligation
plus particulière que lui imposaient sa fortune et sa
position sociale, l’initièrent bientôt à toutes les dou­
leurs et à toutes les souffrances du peuple. Il s’étudia,
jeune encore, à en alléger le poids par d’abondantes
aumônes et de douces consolations. Il se fit une règle
d’assister chaque nuit à l’office divin, et de commencer
les œuvres de sa journée par une aumône glissée secrè­
394 LES SAINTS MILITAIRES

tement dans la main du premier pauvre qu’il rencon­


trerait. Pierre n’avait encore que quinze ans, lorsqu’il
perdit son père, mais il avait déjà l’expérience et la
maturité que donne la pratique assidue des vertus
chrétiennes; et les exemples et les conseils d’une mère
dont une rare piété dirigeait la tendresse, lui restaient
comme une compensation à la perte immense qu’il
venait de faire. Nolasque persévéra donc sans rien
ralentir de sa première ferveur. Le monde s’éclipsa de
plus en plus à ses yeux; ses terres, ses châteaux et
toutes ses possessions lui parurent petites et bornées
il ne vit plus que Dieu seul capable de remplir son
cœur et de combler tous ses désirs. Gomme on le
pressait de se marier pour le maintien de son nom et
la gloire de sa famille, il réfléchit, pria et comprit que
sa vocation l’appelait ailleurs; il fît le vœu d’une chas­
teté perpétuelle et se consacra à la défense des intérêts
sacrés de la religion et au soutien de la foi catholique,
si violemment attaquée à cette époque.
Mais en attendant que le Ciel s’expliquât ouverte­
ment sur la route qu’il devait teuir, le pieux gen­
tilhomme prit les armes et combattit contre les Albi­
geois, dans l’armée de Simon de Montfort, général de
la croisade chargée de purger le Languedoc des hordes
cruelles qui y portaient partout la désolation et la
mort. Le comte de Montfort gagna la fameuse bataille
de Muret, contre les comtes de Toulouse, de Foix, de
Comminge, et Pierre, roi d’Aragon ce dernier y fut.
tué et son fils Jacques fait prisonnier. Le vainqueur,
31 JANVIER 39o

qui avait clé l’ami de Pierre d’Aragon, fui louché du


malheur de son fils, âgé de six ans ; il en eut le plus
grand soin, confia son éducation à Pierre Nolasque et
les envoya tous deux en Espagne. Le noble précepteur,
qui avait alors vingt-cinq ans, vécut à la cour de
Barcelone avec toute la régularité d’un religieux.
Une partie de la péninsule ibérique était encore
alors au pouvoir des Maures, et une foule de chrétiens
gémissaient dans les fers des infidèles, tant en Espagne
que sur les côtes d’Afrique. L’aspect de ces malheureux
frappait Pierre d’une douleur qu’il ne pouvait calmer
qu’en allégeant leurs maux; il résolut donc de con­
sacrer ses biens à leur délivrance. Mais quels furent
son étonnement*et sa surprise lorsque, dans le temps
qu’il prenait les mesures nécessaires pour exécuter
cette œuvre de miséricorde, la sainte Vierge lui apparut
la nuit pour lui dire qne c’était la volonté de Dieu qu’il
travaillât à l’établissement d’un ordre dont les religieux
s’obligeraient par vœu particulier à s’employer au
rachat des captifs! Gomme il ne faisait rien sans con­
sulter son père spirituel, saint Raymond de Pegnafort,
il alla le trouver pour lui communiquer cette vision*
Sa surprise augmenta lorsqu’il apprit de ce saint qu’il
avait vu la même chose et que la sainte Vierge lui
avait ordonné de le fortifier dans ce dessein. Ainsi, ne
doutant point que ce ne fût la volonté de Dieu, ils ne
songèrent plus qu’aux moyens de procurer l’exécution.
Comme il fallait le consentement du roi et de l’évêque,
ils allèrent d’abord trouver le prince. Celui-ci les écouta
396 LES SAINTS MILITAIRES

avec une joie d’aulant plus sensible que, la même


nuit, il avait eu la même vision. Il offrit de contribuer
à cette sainte entreprise et par son autorité et par ses
libéralités; il se chargea même de faire agréer ce
nouvel établissement à l’évêque de Barcelone.
Ce fut le jour de Saint-Laurent, 10 août 1223, qu’eut
lieu l’institution solennelle. Le roi, accompagné de
toute sa cour et des magistrats de Barcelone, se rendit
dans l’église cathédrale, appelée Sainte-Croix de Jéru­
salem. L’évêque Bérenger officia pontificalement. Saint
Raymond de Pegnafort monta en chaire et protesta
devant tout le peuple que Dieu avait révélé miracu­
leusement au roi, à Pierre Nolasque et à lui-même,
sa volonté touchant l’institution de Wordre de Sainte-
Marie de la Merci pour la rédemption des captifs. A
l’issue de l’offrande, le roi et saint Raymond présentè­
rent le nouveau fondateur à l’évêque., qui le revêtit de
l’habit de l’ordre. L’ayant reçu, Pierre Nolasque le
donna, comme principal fondateur, à treize gentils­
hommes, dont les deux principaux furent Guillaume
de Bas, seigneur de Montpellier, et son cousin Arnaud
de Carcassonne,
Le roi avait d’abord voulu que les frères de la Merci
fussent logés dans son palais; mais leur nombre
devint bientôt trop considérable, et il leur fit construire
un magnifique couvent à Barcelone. Trois ans après,
le pape Grégoire IX confirma le nouvel ordre et ap­
prouva ses constitutions.
Les religieux s’étaient employés d’abord à, racheter
31 JANVIER 397

quelques captifs sans sortir toutefois des terres sujettes


aux princes chrétiens, mais Pierre Nolasque leur re­
présenta que, pour la perfection de leur ordre, il
fallait encore passer chez les infidèles et délivrer leurs
frères de la cruelle servitude de leurs ennemis, au
risque même d’y demeurer en esclavage à leur place,
suivant le voeu qu’ils en avaient fait aux pieds des
autels. Il ne s’agissait pas d’y aller tous à la fois, mais
de députer un d’entre eux pour ces saintes négociations
d’où leur vint dès lors le glorieux nom de rédempteurs.
Il fut lui-même choisi, avec un second, pour frayer aux
autres le chemin d’un voyage si périlleux. Le premier
qu’il fit au royaume de Valence, occupé alors par
les Maures, fut fort heureux. Il en fit un second au
royaume de Grenade, qui ne le fut pas moins; si bien
qu’il relira quatre cents esclaves d’entre les mains des
infidèles en ces deux expéditions.
C’est alors que l’ordre prit une nouvelle extension
et vit arriver dans son sein des gentilshommes de
France, d’Allemagne,-de Hongrie, d’Angleterre. Tant
de succès ne firent que stimuler le dévouement du
saint fondateur. Il multiplia ses excursions sur les
côtes d’Espagne, toujours avec le même bonheur, et
se décida enfin à passer les mers pour arriver jusqu’à
Alger. C’est là qu’après de nombreux succès et une
intrépide résistance aux menaces des cadis, il fut
chargé de fers, abandonné aux flots de la mer sur une
frêle barque et porté comme par miracle sur les côtes
de sa patrie. Arrivé de nouveau à Barcelone, il sentit
SAINTS MILITAIRES. — T . I. 23
398 LES SAINTS MILITAIRES

ses forces l’abandonner, essaya, mais inutilement, de


se faire décharger du généralat, et ne pouvant plus
retourner parmi les infidèles, il voulut au moins dis­
tribuer les aumônes à la porte du couvent, afin de voir
les pauvres, de leur donner dès avis et de les instruire.
Ce fut à cette époque que saint Louis, roi de France,
rempli d’admiration pour les vertus et les œuvres du
pieux fondateur, lui écrivit pour le prier de venir le
voir. Pierre répondit à cette invitation, et l’entrevue
eut lieu en Languedoc, l’an 1243. Ces deux grands
hommes s’embrassèrent, et Louis, qui se disposait à
partir pour la Terre-Sainte, proposa à l’illustre frère
de la Merci de l’accompagner.
Cette proposition que le saint eût accueillie jadis
avec tant de joie et qui eût mis le comble à ses vœux,
dut par lui être refusée, vu l’état de sa santé qui ne
lui permettait plus de se livrer à aucun travail.
Il éprouva en effet, durant les dernières années de
sa vie, une langueur continuelle, principalement occa­
sionnée par les fatigues et les austérités de la péni­
tence. Ses infirmités augmentant de jour en jour, il
se démit du généralat, en 1249, pour ne plus penser
qu’à l’éternité. Dans la dernière maladie qui devait
le ravir au monde, il supporta ses souffrances avec
une patience vraiment héroïque. L’Église allait bientôt
célébrer la naissance du Sauveur. Reconnaissant alors
que sa fin était proche, il supplia qu’on lui donnât le
saint Viatique. Quand il vit qu’on le lui apportait, la
dévotion lui fournit de nouvelles forces ; et sautant de
31 JANVIER 399

son lit, il sortit de sa chambre, se traîna à genoux


jusqu’à ce qu’il arrivât aux pieds de celui qui tenait
le Saint-Sacrement à la main, et là, répétant souvent
ces paroles avec un grand transport de ferveur : « D’où
me vient cet honneur que mon Seigneur vienne à
moi? » il tomba de faiblesse. Les religieux, le prenant
sur leurs bras, le remirent dans son lit, où il reçut
avec d’admirables témoignages de douceur et de con­
solation intérieure le corps précieux de son Dieu.
Pendant son agonie, il fit à ses religieux une instruc­
tion sur la persévérance, et la termina par ces paroles
du Psalmiste : « Le Seigneur a envoyé un Rédempteur
à son peuple, il a fait une alliance avec lui pour toute
l’éternité ». Il recommanda ensuite son âme à Dieu, et
mourut le jour de Noël, l’an de Jésus-Christ 1256, et
le soixante-septième de son âge.
Son corps fut inhumé dans la sépulture ordinaire
des religieux, comme il l’avait ordonné; mais quatre-
vingt-sept ans après, l’an 1343, il fut levé de terre
par ordre du Pape Benoît XII et transporté dans une
chapelle où le peuple vint le vénérer. Le bruit des mi­
racles opérés par l’intercession du saint, et les solli­
citations des religieux de son ordre portèrent le Pape
Urbain VIII à le canoniser l’an 1628, et, depuis, le
Pape Alexandre VII l’a fait mettre avec beaucoup d’é­
loges dans le Martyrologe romain*
Dans la suite on ignora le lieu où se trouvait le
corps de notre saint; mais Charles III, roi d’Espagne,
ayant fait faire des fouilles à Barcelonne en 1788, on
400 LES SAINTS MILITAIRES

le trouva à une grande profondeur, dans une niche


placée au bas d’un escalier. L’illustre fondateur de
l’Ordre de Sainte-Marie de la Merci, était en habit
de chevalier revêtu de sa cuirasse et ayant au côté
une longue épée. On trouva aussi une inscription qui
portait que c’était le corps de saint Pierre Nolasque.
L’Ordre de la Merci, dans ses commencements, était
composé de deux sortes de personnes : de Chevaliers,
dont l’habillement ne différait des séculiers qu’en ce
qu’ils portaient une écharpe ou scapulaire, et de
Frères engagés dans les saints ordres qui faisaient
l’office divin. Les Chevaliers gardaient les côtes pour
empêcher les incursions des Maures; mais ils étaient
obligés d’assister au chœur quand ils n’étaient point
de service. Saint Pierre Nolasque lui-même n’a jamais
été prêtre; il appartenait à la classe des Chevaliers;
et c’est ce qui nous explique comment on l’a retrouvé
dans son tombeau avec l’habit militaire. On prit parmi
les Chevaliers, quoiqu’en plus petit nombre que les
frères, les sept premiers généraux ou commandeurs.
Le premier prêtre qui ait possédé cette dignité est
Raymond Albert, élu en 1317. Les tapes Clément Y
et Jean XXII ayant ordonné que les prêtres seuls pour­
raient être élevés au généralat, les Chevaliers furent
incorporés à d’autres ordres militaires.

S ources L e M a r ty r o lo g e R o m a i n . — L e s B o l la n d ù te s , au
29 janvier. — Hclyot D ic tio n n a ir e des O rd re s r e lig ie u x . —•
V ie s des S a i n t s , par Godescard. — L e s P e t i t s B o lla n d is te s .
TABLE DU MOIS DE JANVIER

Jours. Pages.
2. S. Adélard 18
30. S. Adelelmc. 383
12. S. Aelred. 151
18. s. Agathoa d 'E g y p t e . 238
2. s. Alvère. 16
7. B. Ambroise F e r n a n d e z . 91
18. S. Ammône. 234
18. s. Ammonius. 238
18. s. Ammonius (un autre). 238
23. s. Anastase de I J r i d a . 298
22. s. Anastasc d e P e rs e . 280
18. s, Aratus. 238
29. s. Arooul d e C y s o in g . 366
23. s. Asclas. 295
18. s. Astère d 'O s tie . 234
3. S. Athanase de C ilic ie . 26
6. S.. Balthasar. 54
23. S. Barnard. 299
20. S. Basilide d e N ic o m é d ie . 262
18. S. Bas tanie. 238
18. S. Bastamon. 238
20. S. Basse. 262
12. s. Benoît B is c o p . 144
18. s. Bessamônc. 238
12. s. Biccien. 144
•402 LES SAINTS MILITAIRES

Jours. Pages.
19. S. Blaithmaic. 248
15. S. Bont. 213
24. S. Gadoc. 313
7. S. Garnit L a w a r d . 76
19. S. Canut IV. 252
8. S. Carbonan. 96
12. S. Carotique. 144
12. S. Castule. 144
12. S. Castulin. 144
15. S. Céolwulf. 219
28. B. Charlemagne. 338
8. S. Claude d e T e r n i. 96
18. S. Collute. 238
18. S. Gyriaque d 'E g y p t e . 238
18. S. Denis d 'E g y p t e . 238
18. S. Denis d 'E g y p t e (un autre). 238
18. S. Didyme. \ 238
18. S. Dioscore. . . 239
10. S. Domitien d e M è litè n e . 118
27. S. Eméré. 334
13. S. Enon. 157
15. S. Ephyse. 210
23. S. Eucarpe. 294
20. S. Eusèbe d e N i c o m é d ie . 262
20. S. Eutyque de N ic o m é d ie . 262
27. S. Flavien l'A n c ie n . 337
16. S. Fritz. . 226
6. S. Gaspar d 'O r ie n t . . 54
22. S. Gautier de B ie r b è /c e . 291
5. S. Gerlach. 41
13. B. Godefroi. 162
3. S. Gorde. 27
4. S. Grégoire d ' A u t u n . 36
24. S. Hellade de C ilic ie . 310
TABLE DU MOIS DE JANVIER 403

Jours. Pages.
18. S. Héron. 238
18. S. Hippéas. 238
18. S. Horprèz. 238
18. S. Horus. 238
16. S. Jacques de T a r e n ta in e . 221
22. S. Jean d e B u l g a r i e . 289
31. S. Jean d 'E d e s s e . 390
7. S. Julien de C a g li a r i . 64
25. S. Juventin. 319
22. S. Léon d e B u l g a r i e . 289
2. S. Macaire de R o m e . 17
29. S. Maur d e R o m e . 361
29. S. Maxime de T o sc a n e . 364
25. S. Maximin. 319
6. S. Melchior. 54
12. S. Méorce. 143
12. S. Modeste. 144
1. S. Moncain. 11
18. S. Mosée. 234
18. CËcomène. 238
18. S. Orion. 238
18. S. Pansius. 238
18. S. Panthère. 238
18. S. Pape. 238
18. S.. Papias d 'E g y p t e . . 238
29. S. Papias d e R o m e . 361
18. S. Paul d 'E g y p t e . 238
18. S. Péthécus. 238
23. S. Phengon. 294
31. S. Pierre N o la s q u e . 393
29. S. Pierre T h o m a s . 372
10. S. Pierre U rséole. 133
18. S. Pinutus. 238
8. S. Planius. 96
404 LES SAINTS MILITAIRES

Jours. Pages.
18. S. Plésius. 238
25. S. Poppoa. 324
18. S. Potamon. 238
18. S. Protée. 238
12. S. Quinctus. 144
13. S. Quirion. 157
18. S. Recombe. 238
7. S. Reinold. 72
12. S. Rogat. 144
18. S. Romain d 'E g y p t e . 238
14. S. Sabba. 171
18. S. Sarmate. 238
18. S. Saturnin. . 238
2. S. Sébastien d e F o s s a n o . 16
20. S. Sébastien d e R o m e . 264
13. S. Secondin. 157
18. S. Sérapion d 'E g y p t e . 238
13. S. Stratonique. 158
18. S. Théorie. 238
18. S. Thonius. 238
8. S. Tibudien. 96
18. S. Volusien. 243
12. S.Zotique d 'A f r i q u e . 144
18. S. Zotique d 'E g y p t e . 238
9. S. Waning. 102
7. B« Witlelund. 65

LES SAI NTS MILITAI RES A N O N Y ME S


1. Les 30 Bienheureux soldats martyrs à Rome,
sur la voie Appienne. 9
9. Le Bieuheureux officier de justice converti par
saint Julien à Antinoë, martyr, et 20 Bien­
heureux soldats martyrs. 98
TABLE DU MOIS DE JANVIER 405

12. Les 36 Bienheureux soldats martyrs, compa­


gnons de saint Zotique d 'A f r i q u e . 144
13. Les 40 Bienheureux soldats, martyrs sur la
voie Lavicane. 157
16. Les 9 Bienheureux soldats, martyrs à Rome,
sur la voie Cornélienne. 221
23. Les 73 Bienheureux soldats martyrs, compa­
gnons de saint Anastase d e L é r id a . 298
29. Les 48 Bienheureux soldats martyrs, convertis
par saint Savinien de T ro i/e s . 360
Les 1000 Bienheureux soldats martyrs, com­
pagnons de saint Maxime d e T o sc a n e . 364

SAINTS MILITAIRES. — T. 23.


LES

SAINTS MILITAIRES

MOIS DE FÉVRI ER
LES

SAINTS MILITAIRES
_______
------------*. ?------------

MOIS DE FÉVRIER

LE

MARTYROLOGE

Jours. Titres.
1. Saint S évère de Montefalco, Maître delà
Milice, puis Ermite. G.

Saint S igebert de France, Roi d’Austrasie C.

Saint E mile, Chef Militaire. M.

2. Saint Corneille, Centurion, puis Evêque de


Césarée. C.P.

Saint A fronien, Garde de prison. M.

Saint A dalbaud, D uc de Douai. M.


410 LES S A IN T S M I L IT A IR E S

Jours. Titres.
Les Saints Guerriers d’Ebstorp saint B ru-
non, Duc des Saxons; saint W igman , saint
Bardon, saint B ardon (un autre) ; saint
B ardon (un troisième) ; saint T hiotéric ,
saint G erric , saint L iutolf, saint F ol-
cuart, saint Avan, saint T hiotrich , saint
L iutaire , Comtes; saint A déram , saint
Alfuin , saint A ddaste , saint Aïda , saint
Aï da (un autre); saint D udon, saint B odon
d’Ebstorp, saint W al, saint H alife , saint
H unilduin , saint Adalwin , saint W erin -
hart , saint T hiotrich (un autre), saint
H ilavart, Gardes-royaux ; et les Bienheu­
reux Soldats leurs Compagnons. MM.

3. SaintL aurentin et saint I gnace d'Afrique,


Soldats. MM.

4. Saint P hilorôme, Tribun militaire. M.

Saint Obice , Vaillant Chevalier de Brescia. C.

5. Saint I sidore, Intendant Militaire. M.

Le Bienheureux D omitien de Cann£hie,Duc


de Carinthie. C.

7. Saint Adauque, Maître général des Offices


et Questeur. M.
M ARTYRO LO G E D E F É V R IE R 411

.Tours. Titres.
Les Bienheureux Compagnons de saint Adau-
que le Préfet militaire et le Préfet du
Trésor d’Antandros, ville de Phrvgie. MM.

Saint T héodore d’Héraclée, Général ro­


main. M.

Saint R ichard, Roi Anglo-Saxon. G.

8. Saint M engold, Comte de Huy,en Belgique. M.

9. Saint A nsbert, Chancelier de France, puis


Archevêque de Rouen. C.P.

40. Saint P orphyre et saint B a pt , Soldats. MM.

Saint Z otique de Rome, saint I rénée , saint


H yacinthe de Rome, saint Amantius,
Soldats; et dix autres Bienheureux Sol­
dats Martyrs à Rome, sur la voie Lavi-
cane. MM.

SaintZÉNON d'Antioche, Messager impérial,


puis Solitaire. C.

Saint Guillaume de Maléval, Noble guerrier


Poitevin, puis Ermite en Toscane et Fon­
dateur de l’Ordre des Guillelmites. G

11. Saint Benoit d’Aniane, Officier de la cour


412 LES S A IN T S M IL IT A IR E S

Jours. Titres.
de Pépin le Bref et de Charlemagne, puis
MoineetFondateurduMonastère d’Aniane. C.

42. Saint Damien cVAfrique, Soldat. M.

Saint J ulien VHospitalier, Noble guerrier


et Ami des Pauvres. C.

Saint Constance, Comte Italien, puis reli­


gieux de l’Ordre des Humiliés. C.

13. Saint P olyeucte et saint N éarque, Officiers


de l’Armée Romaine. MM.

Saint L ézin , D uc des Angevins, puis Evêque


d’Angers. G.P.

14. Les quarante-quatre Bienheureux Soldats


Martyrs à Spolète en Ombrie. MM.

Saint Valentin d ’Afrique, officier, et vingt-


quatre Bienheureux Soldats. MM.

Saint Valère de Cologne, Roi enBretagne. M.

Saint A uxence de B ithynie, Officier de la


Garde de Théodose le Jeune, puis Soli­
taire. C.

15. Saint Major, Soldat. M.


M ARTYRO LOGE DE F É V R I E R 413

Jours. Titres.
IG. Saint S éleucus, Officier de l'Armée Romaine. M.

17. Saint D onat, saint S econdien de Concor-


dia, saint R omulus, saint S olone, saint
Ciirysante , saint E utycuius. saint J ustus,
saint Cordius, saint S ilvanus, saint N éo-
mède et saint P olycrates, Soldats, MM.

18. Saint Maxime le (borate, Intendant particu­


lier de Dioclétien, et saint Claude d’Os£ie,
Personnage clarissime. MM.

Saint H ellade de Tolède, Ministre d’État,


puis Moine et Evêque de Tolède. C. P.

19. Saint Conrad, Noble Chevalier delà ville de


Plaisance, puis Ermite. C.

20. Le Bienheureux É gindard , Officier de la cour


de Charlemagne et de Louis le Débon­
naire, puis Moine. C.

21. Saint M aurice d'Apamée, Officier supé­


rieur et saint P iiotin , son fils, jeune mi­
litaire; saint TnÉODORE d'Apamée, saint
P hilippe d'Apamée et soixante-sept au­
tres Bienheureux Soldats. MM.

Le Bienheureux P épin de L anden, Duc de


Brabant et Maire du Palais. C.
LES S A IN T S M I L IT A IR E S

Jours. Titres.
22. Saint Galle, Consul.

g g
Saint E utère , Officier du Palais.

2\. Saint E thelbert cle Kent, Roi de Kent, en


Angleterre. C.

25. Saint P ierre de Phœnice, Garde de p rison


et sept Bienheureux Soldats. MM.

Saint T araise , Consul et Secrétaire d’État,


puis Patriarche de Constantinople, C.P.

27. Saint B esas, Soldat. M.


Saint E tienne de Constantinople, Officier
de la cour de l'empereur Maurice. C.
LES

SAINTS MILITAIRES

MOI S DE FÉVRIER

VIES ET NOTICES
------—
-----------

1" JOUR DE FÉVRIER

SAINT SEVERE DE MONTE-FALCO


MAITRE DE LA MILICE, PUIS ERMITE, CONFESSEUR
Vers 4 4 5.

Sévère, né à Martula, petite ville de l’Ombrie, avait


embrassé la carrière des armes. Un jour qu’il travail­
lait dans son champ, Dieu lui fit trouver un trésor qui
s’y trouvait caché. Aussitôt il prend son glaive, en
frappe à mort son bœuf de labour, nettoie la peau de
l’animal et s’en sert comme d’un sac pour transporter
son trésor. Mais bientôt il distrait une partie de son
416 LES SAINTS MILITAIRES

or et va jusqu’à Rome pour l’offrir en présent à l’em­


pereur. Celui-ci est charmé de la belle conduite de
Sévère et pour l’en récompenser, il l’élève au grade
de maître de la milice.
Riche, honoré, Sévère se montra reconnaissant
envers Dieu et pour le remercier de ses bienfaits, il
lui bâtit un temple magnifique. Déjà sa réputation
s’était répandue par toute l’Italie et chacun chantait
ses louanges, lorsque Patritius, gouverneur de Ra-
venne, cédant à de bas sentiments de jalousie, s’irrite
contre lui et envoie quelques-uns de ses gardes pour
l’arrêter, le charger de chaînes et le remettre entre
ses mains.
Peu de temps après, les soldats avaient surpris
celui qu’ils cherchaient, l’avaient arrêté, enchaîné et
contraint de marcher avec eux. Mais au retour ils se
trompèrent de route, et, sans y prendre garde, ils
s’engagèrent dans un chemin qui les conduisit dans
un lieu où il y avait une assemblée de chrétiens qui
célébraient une fête religieuse. Alors Sévère demande
ce que tout cela signifie, et quand on lui a répondu
que c’est dans ce même lieu que le bienheureux prêtre
Fortunat a vécu, où il a rendu la vue à deux aveugles,
guéri deux lépreux et opéré bien d’autres merveilles,
il lève aussitôt les yeux et les mains vers le ciel, et
s’écrie : « O bienheureux Fortunat, si, par votre se­
cours, je suis débarrassé de ces chaînes et rendu à la
liberté, je ne rentrerai point dans ma maison, que je
n’aie auparavant élevé une basilique en votre hon­
1er FÉVRIER 417

neur. » Cependant les soldats entraînent leur prison­


nier, poursuivent leur route et s’arrêtent à Lucioli
pour y passer la nuit.
Mais voilà que cette même nuit, le bienheureux
Fortunat apparaît à Patritius et le menace d’une mort
terrible et prochaine s’il ne laisse point aller en paix
Sévère, le maître de la milice. Tout effrayé de cette
vision, Patritius dépêche aussitôt d’autres hommes
pour révoquer ses premiers ordres, et ceux-ci ayant
rencontré à Lucioli leurs compagnons d’armes, le
prisonnier se voit délivré de ses liens et tout à coup
traité avec le plus grand respect.
Une fois devenu libre, Sévère voulut aller jusqu’à
Ravenne pour rendre visite à son persécuteur, et
savoir pourquoi il avait changé de conduite à son
égard. Patritius ne l’eût pas plus tôt aperçu qu’il
courut se jeter à ses pieds et lui demander très hum­
blement pardon de la manière dont il avait agi envers
lui; ce ne fut même qu’après lui avoir fait les plus
grands honneurs, qu’il consentit à le laisser partir.
Fidèle à sa promesse, Sévère construisit une superbe
église sur le tombeau du bienheureux Fortunat; il vint
ensuite habiter tout auprès, pour ne plus s’occuper
désormais que des choses de Dieu. Il passa plusieurs
années dans ce lieu, priant, se mortifiant et pratiquant
toutes sortes de bonnes œuvres. Dieu lui accorda le
don des miracles, et comme la foule des fidèles s’em­
pressait de plus en plus autour de lui, le louant et le
bénissant, son humilité finit par s’en alarmer. 11 se
418 LES SAINTS MILITAIRES

retira dans un endroit solitaire, nommé Barsano, et


situé au pied des montagnes qui s’élèvent en face de
Martula. Là, il établit une fontaine souterraine en
l’honneur de la Mère de Dieu, avec un petit réduit
pour s’y abriter, et il se livra avec une nouvelle ferveur
aux exercices de la vie érémitique; mais il ne trouva
pas dans ce lieu la solitude profonde qu’il avait es­
pérée; on accourut de toutes parts pour le visiter et
Dieu fît encore éclater la sainteté de son serviteur par
plusieurs miracles qu’il accorda à ses prières. Il y
avait seulement deux ans que Sévère s’était réfugié à
Barano, lorsque Dieu l’appela à la récompense éter­
nelle; c’était le premier jour de février, vers l’an 445.
Le corps du bienheureux Sévère fut d’abord inhumé
dans sa chapelle, et ensuite placé dans l’église que l’on
construisit en son honneur. Il se forma aussi dans le
voisinage un bourg qui prit le nom de Saint-Sévère.
Plus tard ses reliques furent transportées à Monle-
falco, et réunies à celles du bienheureux Fortunat,
dans l’église même qu’il avait fait bâtir à la gloire de
son céleste protecteur.
Ferrari nous dit dans son Catalogue des saints
d’Italie que d’anciennes peintures représentent saint
Sévère avec un visage beau, l’air doux et vénérable.

S ource L es B o lla n d is te s , au Icr février.


1er FÉVRIER 419

SAINT SIGEBERT DE FRANGE


roi d’austrasie

Vers 656.

Sigebert était fils de Dagobert Ier, roi de France, et


de Ragnétrudè. Le roi, qui depuis quelque temps
menait une vie assez déréglée, fut si touché de la
grâce que Dieu lui faisait de lui donner un fils, que,
pour reconnaître cette faveur, il conçut le dessein de
se corriger entièrement. Résolu de faire baptiser ce
fils par le plus saint prélat du royaume, il jeta les
yeux sur saint Amand, évêque de Maëstricht, qu’il
avait auparavant exilé à cause de la généreuse liberté
avec laquelle il le reprenait de ses désordres. L’ayant
donc fait venir à Glicby, près de Paris, il se prosterna
à ses pieds, lui demanda pardon de l’injustice qu’il
avait commise à son égard, et le détermina, avec
l’aide de saint Ouen et de saint Éloi, qui n’étaient
encore que laïque^, à conférer à son fils le sacrement
de la régénération.
La cérémonie du baptême se fit avec une grande
pompe à Orléans, où Gharibert, roi d’une partie de
l’Aquitaine, se rendit pour être le parrain de son
neveu. L’éducation du petit prince fut confiée au bien­
heureux Pépin de Landen, maire du palais, qui, con­
traint de céder à l’envie de la noblesse, se retira avec
lui dans les États de Cbaribert, où il possédait plu­
420 LES SAINTS MILITAIRE^

sieurs terres du chef de la bienheureuse Itte, sa femme.


Dagobert rappela Pépin au bout de trois ans, et dé­
clara son fils Sigebert roi d’Austrasie; il lui donna en
même temps pour ministres saint Cunibert, arche­
vêque de Cologne, et le duc Adelgise, et confia l'admi­
nistration de tout le royaume à Pépin, qu’il retint
néanmoins toujours auprès de lui. L’année suivante,
Dagobert eut un second fils, connu sous le nom de
Clovis II. La crainte qu’il ne s’élevât des divisions
entre les deux frères, le porta à partager entre eux ses
États. Il confirma Sigebert dans le royaume d’Austrasie,
et donna à Clovis celui de Neustrie ou de la France
occidentale, avec une partie de celui de Bourgogne.
Après la mort de Dagobert, arrivée en 638, les deux
frères vécurent dans la plus parfaite union. Sigebert,
aidé des conseils du bienheureux Pépin, qui l’aimait
comme son fils et qui continua d’exercer auprès de
lui la charge de maire du palais, fit bientôt connaître
qu’il avait parfaitement répondu aux soins que cet
habile maître avait pris de le former à la pratique de
toutes les vertus chrétiennes et royales (I). Sa piété,
sa prudence et sa valeur lui concilièrent l’amour et le
respect de ses sujets, et rendirent son nom redoutable
à ses ennemis. Les Thuringiens furent les seuls qui
prirent les armes contre lui; mais il sut les faire
rentrer dans le devoir, et cette guerre, la seule où il

(1) La mort lui ayant enlevé Pépin en 640, il choisit Grimoald


pour être le maire du palais à la place de son pcre.
1er FÉVRIER 421

se soit trouvé engagé, n’eut point d’autres suites.


Ce vertueux prince, se voyant alors paisible dans
son royaume, se donna entièrement aux exercices de
la piété, de sorte qu’on l’eût pris plutôt pour un reli­
gieux nourri dans un cloître, que pour un roi élevé
dans la pourpre et dans les armes. De là vient que
quelques-uns de nos historiens français, ne considé­
rant les choses que selon la politique et la prudence
humaine, désapprouvent sa conduite et l’accusent de
lâcheté; mais ceux qui ont parlé de lui avec un esprit
moins préoccupé des intérêts temporels, l’ont com­
paré au grand Salomon, et disent qu’il en a meme sur­
passé la gloire. En effet, il ne fut pas seulement doué
par Dieu dès ses plus jeunes années d’une sagesse
extraordinaire, mais il sut encore faire servir ses
biens au salut de son âme, en les employant à sou­
lager les misères des pauvres, à bâtir et à doter des
hôpitaux, des églises et des monastères. Il n’omit rien
de ce qui pouvait contribuer au bien spirituel et cor­
porel de scs peuples auxquels il donnait en outre, ce
que ne fît pas Salomon, l’exemple d’une innocence de
vie admirable. La confiance et l’estime qu’il avait pour
Grimoald le porta à choisir son fils Childebert pour
son successeur au royaume d’Austrasie, s’il venait à
décéder sans enfants. Mais la naissance d’un fils qu’il
eut de sa femme Imnéchilde rendit nulle cette dispo­
sition. Celui-ci, toutefois, ne régna que vingt ans après
son père, par suite de la perfidie de Grimoald qui lui
avait substitué son fils Childebert.
SAINTS MILITAIRES. — T. I. 24
42 2 LES SAINTS MILITAIRES

Gomme Sigebert avait commencé de bonne heure


à marcher dans la voie étroite qui conduit au ciel,
Dieu voulut aussi pour l’en récompenser finir de bonne
heure sa carrière en ce monde, et il le tira des misères
de cette vie, le 1er février, vers 656, dans la vingt-
cinquième année de son âge. Le corps du bienheureux
roi fut inhumé près de la ville de Metz, dans une église
dédiée à saint Martin, pour lequel il avait une dévotion
particulière. Des miracles s’opérèrent à son tombeau;
le moine Sigebert, auteur de sa Vie, en rapporte
un grand nombre et dit qu’il en a été témoin
oculaire.
L’an 1063, quatre cents ans après sa mort, le corps
de saint Sigebert fut trouvé aussi entier dans son
sépulcre que s’il n’y eût été mis que depuis deux
heures; il en fut tiré pour être mis dans un lieu plus
décent. Sept ans après il fut enfermé solennellement
dans une riche châsse d’argent et placé à côté du
maître-autel de l’église. En 1552, le précieux dépôt fut
transporté à Metz dans l’église du prieuré Notre-Dame.
En 1603, Charles III le fit transférer à Nancy dans
l’église collégiale dont le Pape lui avait permis l’érec­
tion. En 1740, après qu’on eut constaté dans quel état
se trouvait le corps du saint roi, on le replaça dans sa
châsse avec de nouveaux et riches ornements. C’est de
ce reliquaire qu’il fut tiré en 1793, par les républicains
impies, pour être livré aux flammes. Quelques per­
sonnes, néanmoins, en sauvèrent des débris dont la
meilleure partie fut remise, eti 1803, à Mgr Osmond,
1er FÉVRIER 4 2 3

évêque diocésain, et exposée de nouveau à la vénération


des fidèles.
Cette vénération du peuple pour les reliques de
saint Sigebert, et les grâces obtenues du Ciel par
l’intercession de ce Bienheureux, l’ont fait choisir pour
patron de la capitale de l’ancien duché de Lorraine. Le
diocèse de Metz, toutefois, en perdant ce précienx
trésor, n’a pas cessé pour cela d’honorer le saint roi
d’Austrasie. Un beau vitrail lui a été consacré, il y a
peu d’années encore, dans l’église Sainte-Ségolène,
bâtie près de l’emplacement où s’élevait l’ancien palais
des rois d’Austrasie, dont on voit encore quelques
restes.

S ources : L e s B o lla n d is te s , au 1er février. — V i e clés S a i n t s ,


par Godescard, et les P e tit s B o l la n d is te s .

SAINT ÉMILE
CHEF MILITAIRE MARTYR

Epoque indéterminée.

Le 1er février de l’an 1200, à Lucques en Toscane et


dans la basilique de Saint-Paulin, on découvrit, sur
une pierre de l’autel de Sainle-Barbe, l’inscription sui­
vante « Ici repose le corps de saint Émile, chef
militaire. »
424 LES SAINTS MILITAIRES

A une époque antérieure, cet autel avait été ouvert,


et on avait trouvé au dedans une boîte qui contenait
des cendres, des ossements, une cuirasse en fer et un
vêtement à franges d’or. Quelles pouvaient bien être
ces reliques, sinon celles de saint Émile?
Nous voyons, en outre, dans les Archives de la
basilique de Saint-Paulin, qu’au nombre des corps
saints que cette basilique possédait, se trouvait le
corps de saint Émile, chef militaire.
Enfin, à ces témoignages importants vient se joindre
celui d’un manuscrit de la Chartreuse de Bruxelles, où
se lit la mention suivante : « A Lucques, ville de Tos­
cane, la fête des saints martyrs, Marcien, Valère et
Émile. »

S ource L e s B o lh in d isle s, au 1er février.


Il* JOUR DE FÉVRIER

SAINT CORNEILLE
CENTURION, PUIS ÉVÊQUE DE CÉSARÉE
CONFESSEUR, PONTIFE
l or siècle.

Pendant que le prince des Apôtres était à Joppé, où,


à sa parole puissante, s’était opéré l’éclatant miracle
de la résurrection de Tabithe, il eut l’ordre, dans une
vision, de suivre des hommes qui le cherchaient. C’est
de là qu’il devait partir pour aller faire la conquête de
la gentilité. Tout était déjà préparé par la Providence
dans une ville du voisinage pour l’accomplissement de
cette grande oeuvre.
Il y avait à Césarée un homme nommé Corneille,
centurion de la cohorte italienne. Il était religieux et
craignait le Seigneur. Détrompé du culte des idoles, il
adorait le Dieu unique et véritable auquel les Juifs
sacrifiaient dans son temple de Jérusalem. 11 aimait
les pauvres, leur faisait de grandes aumônes, et sa
charité tendre et généreuse était la ressource des indi­
gents et la consolation de tous les affligés. Cet homme
était celui que Dieu avait prédestiné pour être les
prémices des nations. Un jour qu'il était en prières,
SAINTS MILITAIRES. — T. I. 24.
426 LES SAINTS MILITAIRES

sur les trois heures après midi, il eut une vision dans
laquelle il vit clairement un ange de Dieu, qui, venant
à lui, l’appela par son nom « Corneille! » A ce mot,
saisi de frayeur, il lève les yeux vers l’ange qui lui
parle, et répond avec respect : « Qu’y a-t-il, Seigneur? »
L’ange lui dit « Yos prières et vos aumônes sont
montées en la présence de Dieu, et il s’est souvenu
de vous. Envoyez, sans différer, quelques-uns de vos
serviteurs à Joppé, et faites venir un homme appelé
Simon, surnommé Pierre. Il demeure chez un autre
Simon, corroyeur, dont la maison est près de la mer.
C’est Pierre qui vous dira ce qu’il faut que vous fas­
siez. » A ces mots, l’ange disparut et laissa le vertueux
Gentil comblé de consolation. Sans perdre un moment,
Corneille, après avoir raconté sa vision, envoie à Joppé
deux de ses serviteurs et un soldat craignant Dieu.
Dans le même temps Pierre avait eu aussi une
vision, par laquelle il lui fut dit qu’il devait appeler au
christianisme et baptiser, non seulement les Juifs,
mais encore les païens. C’est pourquoi lorsque les
messagers de Corneille arrivèrent chez lui, il les reçut
avec bonté et leur donna tous les témoignages pos­
sibles de son affection.
Le lendemain, il partit avec eux, accompagné de
quelques disciples fervents et instruits, et le jour
d’après ils entrèrent dans Césarée. Quels durent être
la joie et l’empressement de Corneille! Il avait assemblé
chez lui ses parents et ses amis pour faire honneur
au prince des pasteurs. Averti que l’apôtre approchait,
2 F É V R IE R 427

il court au-devant de lui, se jette à ses pieds, et lui


donne des marques de sa profonde vénération. Pierre
le relève et veut qu’il traite avec lui sans contrainte.
Ils se racontent l’un à l’autre les événements surna­
turels et divins qui viennent de s’exécuter à leur égard.
Corneille, dans le sentiment de l’admiration qui le
ravit et le transporte, s’adresse au représentant de
Jésus-Christ : « Nous voilà tous devant vous, lui dit-il,
pour entendre ce que le Seigneur vous a ordonné de
nous dire. » Pierre répondit : « En vérité, je vois bien
que Dieu ne fait point acception des personnes, mais
qu’en toute nation, celui qui le craint et qui pratique
la justice, lui est agréable. » Ensuite il parla à l’as­
semblée de Jésus-Christ, de sa nature divine, de sa
mission, de ses miraeles, de sa mort sur la croix, de
sa résurrection, de sa venue future comme juge des
vivants et des morts, et des éclatants témoignages que
les prophètes lui ont unaniment rendus. Il parlait
encore lorsque le Saint-Esprit, dont l’action invisible
s’était unie à sa parole, descendit sur tous les
assistants. Ce prodige fut la pleine manifestation du
secret divin, Pierre le comprit et comme il y vit en
même temps la réfutation des préjugés judaïques
« Peut-on, dit-il, refuser l’eau du baptême à ceux qui
ont reçu le Saint-Esprit aussi bien que nous? » Et il
ordonna qu’ils fussent baptisés au nom du Seigneur
Jésus. Tels furent les commencements de la conversion
des Gentils, parmi lesquels Corneille tient le premier
rang; telle fut la digne récompense que ses libéralités
428 LES SAINTS MILITAIRES

et ses oraisons lui méritèrent devant le trône de l'in­


finie miséricorde.
Après ces prémices de la grâce apostolique au sein
de la gentilité, saint Pierre, forcé d'abandonner ses
nouveaux prosélytes, les recommanda à Corneille qu'il
éleva dans la suite sur le siège de Gésarée, h la place
de Zachée, qui en fut le premier pasteur, comme nous
l’apprenons du Martyrologe Romain. La maison de
saint Corneille fut changée en une église, que l’on
allait encore, visiter par dévotion au temps de saint
Jérôme.

S ources L e M a r ty r o lo g e R o m a i n . — B a r o n i i A n n a l e s
Annus Christi 41, num. 9. — L e s B o lla n c lis te s , au 2 février.
Tillemont, M é m o ir e s e c clésia stiq u es , t. Ier. — V ies d es S a i n t s ,
par Godescard, — L e s P e t i t s B o lla n d U te s .

SAINT APRONIEN
GARDE DE PRISON, MARTYR

Vers 303

Quand l’empereur Maximien revint d’Afrique à Rome


(298), il voulut, pour plaire à son collègue Dioclétien,
construire des thermes qui porteraient son nom.
Comme il détestait la religion chrétienne, il résolut
d’employer à cette œuvre immense tous les soldats
2 FÉVRIER 429

chrétiens des armées romaines. Il les rassembla donc


en très grand nombre et les fit condamner aux travaux
publics : les uns à tirer du sable, les autres à extraire
et porter des pierres.
Il y avait en ce temps un chrétien nommé Thrason,
très puissant et très riche, qui passait sa vie à secourir
ses frères. Touché des fatigues et de la misère de ces
pauvres soldats, il les nourrissait et les entretenait de
son bien. Il se servait, pour leur distribuer ses au­
mônes, de plusieurs personnages chrétiens, nommés
Sisinnius, Cyriaque, Smaragde et Largus. Or, une
nuit que ceux-ci portaient aux saints martyrs les
aliments que Thrason leur fournissait, ils furent
arrêtés par des soldats païens et conduits devant le
tribun Spurius. Le tribun les ayant interrogés, les
fit enfermer dans la prison commune. Trois jours
après, il parla à l’empereur Maximien, qui donna
ordre de les employer aussi à tirer du sable, et de le
leur faire porter sur leurs épaules jusqu’au lieu où
l’on construisait les thermes. Parmi eux se trouvait
un vieillard nommé Saturninus, dont les forces dé­
faillaient sous les années; mais ses compagnons l’ai­
daient à remplir sa tâche. Les gardes s’en aperçurent;
ils remarquèrent que Sisinnius et Cyriaque, outre
leurs propres fardeaux, portaient encore ceux des
autres. Ils en parlèrent au tribun Spurius. Celui-ci
raconta le fait à Maximien, ajoutant qu’ils chantaient
continuellement des hymnes à la louange de leur
Dieu, et glorifiaient sans cesse le nom de Jésus-Christ.
430 LES SAINTS MILITAIRES

L’empereur Maximien fit venir devant lui Sisinnius et


voulut l’obliger à sacrifier, mais n’ayant pu y réussir,
il le remit au préfet Laodicius, qui le fit enfermer dans
la prison Mamertine, où il resta dix-sept jours.
Au bout de ce temps, Laodicius donna ordre qu’on
le lui amenât. Apronien, garde de prison, l’alla donc
chercher. Gomme il se disposait à le conduire au
prefet, une grande lumière descendit du ciel dans la
prison, et l’on entendit de cette lumière sortir une
voix qui disait : « Venez à moi, les bénis de mon Père;
entrez dans le royaume qui vous a été préparé dès le
commencement dù monde. » Apronien, tout tremblant,
se jeta aux pieds du diacre Sisinnius : « Je t’en con­
jure, lui dit-il, par le Christ que tu adores, baptise-
moi sur-le-champ; fais-moi gagner la couronne avec
toi. » A l’heure même il commanda qu’on apportât de
l’eau. Sisinnius le catéchisa; puis ayant béni l’eau,
il lui dit : « Crois-tu en Dieu, Père, Fils et Saint-
Esprit? — J’y crois, répondit-il. — Que Jésus-Christ
t’éclaire, reprit Sisinnius. » Et il le baptisa. Il le con­
duisit ensuite au saint évêque Marcel, qui le confirma,
et célébra le Saint Sacrifice auquel ils participèrent
tous du corps et du sang de Notre-Seigneur Jésus-
Christ.
Dans l’après-midi, Laodicius fit comparaître Sisin­
nius à son tribunal; Apronien, selon le devoir de sa
charge, l’accompagnait. En entrant au prétoire, le nou­
veau baptisé s’écria : « Quel démon vous pousse à
exercer tant de cruautés contre les serviteurs de Dieu?
2 FÉVRIER 431

— A ce que je vois, dit le préfet à Apronien, tu es


aussi devenu chrétien? — Malheur à moi, malheu­
reux! qui ai jusqu’ici perdu ma vie, reprit Apronien.
— Tu as raison, dit le préfet, car tu perdras la vie
tout à l’heure. »
Alors il prononça contre lui la sentence de mort, en
disant « Si je n’éteins pas ce fanatique, il en entraî­
nera beaucoup avec lui. » On le conduisit donc sur la
voie Salaria, à 2 milles de la ville de Rome, où il eût la
tête tranchée, le quatrième jour des nones de février
(2 février).
Les chrétiens l’inhumèrent sur la voie Latine dans
une catacombe qui prit son nom, et qui est peu éloi­
gnée de la porte Latine, aujourd’hui fermée.

S ources Le M a r ty r o lo g e R o m a in . — L e s B o lla n d is te s , au
2 février. — B a r . A n n a le s : Annus Christi 303, num. 108.
— Daras, les C h r é tie n s à la c o u r d e D io c lé tie n .

SAINT ADALBAUD
DUC DE DOUAI, MARTYR
Vers 645.

Adalbaud était un des trois fils de sainte Gertrude,


qui fonda le monastère d'Hamage, près de Marchiennes,
où elle passa les dernières années de sa vie. Son père*
qu’il perdit de bonne heure, s’appelait Rigomer; l’un
432 LES SAINTS MILITAIRES

de ses frères, Erchinoald fat maire du palais sous la


régence de sainte Bathilde; l’autre appelé Sigobert,
épousa sainte Berthe, qui, devenue veuve, bâtit le
monastère de Blangy, en Artois, et s’y retira.
Saint Amand, qui prêchait la foi dans ces provinces,
connut de bonne heure la maison d’Adalbaud, et entre­
tint des rapports intimes avec elle. Il se chargea de
l’éducation du jeune duc qui, sous sa conduite, fit
d’admirables progrès dans la piété ; car le saint lui
traçait avec de belles couleurs ce qui est du devoir
d’un prince chrétien, et l’esprit vif du disciple remar­
quait tous les traits de vertu qui pouvaient servir de
lustre à sa noblesse, estimant d’un grand prix tout ce
que cet illustre maître prisait, jugeant de bas aloi tout
ce qu’il méprisait, aimant ardemment tout ce qu’il
embrassait. Ce fut ensuite par le conseil d’Amand et
par reconnaissance des services qu’il en avait reçus,
que le pieux Adalbaud commença le premier bâtiment
du monastère de Marchiennes, dans une belle, et riche
propriété qui lui appartenait.
Plus tard, en sa qualité de noble Leude du royaume,
il fréquenta la cour de Dagobert Ier, qui aimait à réunir
autour de sa personne les fils des principales familles,
afin de les attacher plus étroitement à sa dynastie. IL
se distingua par de brillantes qualités, qui le firent
aimer de tous les nobles du palais et de ses frères
d’armes, et qui inspirèrent au monarque lui-même une
grande confiance en sa bravoure et en sa fidélité.
Jeune encore, il fit partie de plusieurs expéditions
2 F É V R IE R 433

militaires en Gascogne, où remuait toujours un peuple


belliqueux et indomptable. Les détails en sont peu
connus. Quant à ce qui concerne Adalbaud, nous
soyons seulement qu’ayant fréquenté, dans les envi­
rons de Toulouse, l’illustre et noble famille du sei­
gneur Ernold, il demanda et obtint sa fille Rictrude en
mariage. On sait que c’est dans ce pays que s’était
retiré saint Amand, après l’injuste exil auquel Dago­
bert l’avait condamné, et des auteurs croient qu’il eut
la consolation de consacrer lui-même l’union d’Adal-
baud et de Rictrude, qui tous deux le regardaient
comme leur guide et leur père spirituel ; il avait en
effet opéré un grand bien dans tout le pays par ses
prédications, et particulièrement dans la famille de
sainte Rictrude, qui était une des plus puissantes.
Ce mariage béni du ciel avait reçu l’approbation de
tous les parents, à l'exception de quelques-uns qui
voyaient avec colère et dépit l’alliance d’une princesse
de leur sang avec un franc d’Austrasie. Cet antago­
nisme des races du Nord et du Midi était encore vivace
à cette époque, et les guerres si longues et si meur­
trières qu’eurent à soutenir plus tard les rois succes­
seurs de Dagobert le témoignent suffisamment.
La cérémonie du mariage se fit avec solennité, et de
part et d’autre les présents d’usage furent présentés et
acceptés. Mais, ajoute le biographe, le plus beau pré­
sent était celui que les fiancés se faisaient mutuelle­
ment de leur personne. « Adalbaud offrait à sa jeune
épouse des vertus héréditaires, un sang illustre, une
SAINTS MILITAIRES. — T. I. 25
434 LES SAINTS MILITAIRES

mâle beauté, une sagesse et une prudence qui avaient


devancé les années. Rictrude lui apportait en retour
des charmes modestes et pudiques, une noble nais­
sance, de grands biens, et par-dessus tout, une vie
pure et chaste ». Belle et sainte union des deux cœurs
que Dieu avait faits l’un pour l’autre, et que, malgré
la distance des lieux, il sut réunir pour l’accomplisse­
ment de ses adorables desseins.
Adalbaud, de retour avec son épouse, dans ses pos­
sessions d’Ostrevant, continua de donner tous les
exemples de vertu que l’on avait admirés en lui dès
son adolescence. Souvent il recevait dans sa demeure
les missionnaires qui prêchaient l’Évangile. Saint
Amand et saint Riquier, en particulier, venaient leur
adresser des conseils qu’ils recevaient avec bonheur.
Jaloux de voir les enfants que le ciel lui avait accordés
marcher dans la voie du bien, il avait soin de les con­
fier à des maîtres vertueux. Adalbaud et Rictrude
s’appliquaient eux-mêmes à confirmer ces leçons par
leur conduite. Aussi était-ce d’ordinaire avec leurs
enfants qu’ils pratiquaient les œuvres de religion et de
charité, afin d’inspirer à ces jeunes cœurs l’amour de
Dieu, et une tendre compassion pour les pauvres.
« Avec eux ils portaient secours aux indigents, don­
naient la nourriture à celui que pressait la faim, et
des vêtements à celui qui était transi de froid; avec
eux ils visitaient les malheureux pour les consoler, les
malades pour leur procurer des remèdes* les criminels
quelquefois pour rappeler le repentir dans leurs âmes. »
2 FÉVRIER 435

C’est ainsi qu’Adalbaud et son épouse formèrent leurs


enfants, Mauront, Eusébie, Glotsende et Adelsende, qui
croissaient en sagesse et en grâce devant Dieu et
devant les hommes.
11 y avait près de seize ans qu’il remplissait avec
fidélité ces devoirs si doux pour un père chrétien, lors­
qu’il fut rappelé en Gascogne. Adalbaud s’éloigna à
regret de sa famille où il goûtait tant de bonheur. A
son départ, sa vertueuse épouse, Rictrude, ne pouvait
s’arracher de ses bras : on eut dit qu’elle pressentait le
coup qui allait la frapper. Elle voulut l’accompagner
quelque temps et le plus loin qu’il fut possible; mais
enfin il fallut se séparer, le cœur rempli de tristes
prévisions qui ne devaient que trop tôt se réaliser.
En effet, Adalbaud, arrivé dans les environs de Péri-
gueux, fut attaqué à l’improviste par des hommes de
la famille même de Rictrude, qui brûlaient de satisfaire
leur haine et leur vengeance. L’infortuné seigneur
succomba sous leurs coups dans les solitudes du Péri­
gord, et alla recevoir dans le ciel la récompense de sa
piété et de ses bonnes œuvres*
La nouvelle de cet horrible meurtre arriva prompte^
ment aux oreilles de Rictrude, dont il serait impossible
d’exprimer la douleur. Rictrude fit rendre les honneurs
funèbres à son époux et obtint peu après que sa dé­
pouille mortelle lui fût rendue. Des miracles opérés
auprès de ces reliques déterminèrent le culte qu’on lui
rendit dans le Périgord, où il fut assassiné, et dans les
contrées dont il était originaire.
436 LES SAINTS MILITAIRES

On donne ordinairement à saint Adalbaud le tilre de


martyr, soit parce qu’à cette époque on désignait quel­
quefois sous ce nom-les personnes de haute vertu qui
mouraient d’une mort violente, soit parce qu’on croit
que le motif de la religion ne fut pas étranger à ce
meurtre, dans un pays où il y avait encore beaucoup
d’idolâtres. Ses reliques reposèrent au monastère
d’Elnon, du vivant même de saint Amand; dans la
suite, le chef fut transporté à Douai, comme on le voit
dans un ancien manuscrit de l’église de Saint-Amé.
Il existait autrefois dans cette collégiale une magni­
fique chapelle avec un autel dédié à saint Mauront et à
ses parents. De temps immémorial, leurs statues y
étaient exposées à la vénération publique. La première
représentait saint Adalbaud revêtu d’une robe couverte
de lis, tenant dans la main droite un livre, dans la
gauche une épée. Entre saint Adalbaud et sainte Ric-
trude était saint Mauront, leur fils, aussi revêtu d’une
robe magnifique, un sceptre dans la main droite et un
édifice muni de tours dans la gauche; puis sainte Ric-
trude, en habit de bénédictine, et tenant aussi en main
l’édifice sacré qui représentait l’abbaye de Marchiennes.
Tous les auteurs placent la fête de saint Adalbaud
au 2 février, qui est sans doute le jour de sa mort ou
celui de la translation de ses reliques au monastère
d’Elnon. a Les funérailles du saint martyr y furent
célébrées l’an 646, le 2 février, dit le P. Martin l’Her-
mite, avec toute la magnificence et dévotion qu’on se
peut figurer. La cour, les princes et la noblesse y assis­
2 F É V R IE R 437

tèrent;le concours du peuple fut incroyable, chacun


voulant participer aux mérites et aux faveurs du saint,
qui commençait dès lors à faire de très beaux miracles. »
On chantait anciennement à Saint-Amé, en l’honneur
de notre martyr, l’antienne et l’oraison suivantes qui
étaient imprimées sur un tableau, avec les noms des
principaux patrons de celle église :
A la mémoire de saint Adalbaud, père de saint Mau-
ront.
Yoici celui qui, à cause de son martyre, est devenu
le parfait ami de Dieu.
f Yous l’avez, Seigneur, couronné de gloire et
d’honneur.
if Et vous l’avez placé par-dessus les ouvrages de
vos mains.
Oraison.
Seigneur, nous vous en prions, secourez votre peuple,
afin que, nous confiant dans les mérites de votre martyr
Adalbaud, nous soyons toujours aidés de ses prières,
pour obtenir voire miséricorde. Ainsi soit-il.

S ources : L e s B o U a n d is te s , au 2 février. — L e s S a i n t s d e
C a m b r a i e t d 'A r r a s , par l’abbé Destombe. — H is to ir e des
S a i n t s d e la p r o v in c e d e L i l l e , Douay, par le R. P. Martin
l’Hermite.
438 LES SAINTS MILITAIRES

LES SAINTS GUERRIERS D’EBSTORP


SAINT BRUNON, DUC DES SAXONS, SAINT WIGMAN
SAINT BARDON, SAINT BARDON (üN AUTRE)
SATNT BARDON (UN TROISIÈME), SAINT THIOTERIG
SAINT GERRIC, SAINT L1UTOLF, SAINT FOLCUART
SAINT AYAN, SAINT THIOTRICH, SAINT LUITAIRE, COMTES
SAINT ADÉRAM, SAINT ALFUIN, SAINT ADDASTE
SAINT AÏDA, SAINT AÏDA (üN AUTRE), SAINT DUDON
SAINT BODON D’EBSTORP, SAINT WAL, SAINT HALIFE
SAINT HUNILDU1N, SAINT ADALW1N, SAINT WERINIIART
SAINT THIOTRICH (UN AUTRE), SAINT IIILWART
GARDES-ROYAUX
ET LES BIENHEUREUX SOLDATS, LEURS COMPAGNONS D’ARMES
MARTYRS
Vers 881.

On confondait, dans le neuvième siècle, sous le


nom de Normands, les Teutons des régions boréales
et ceux dont les descendants occupent encore au­
jourd’hui le Danemark, la Suède et la Norwège. Ces
pirates formaient comme le dernier ban de l’idolâtrie
contre la civilisation romaine, et leur audace avait
été telle, du vivant même de Charlemagne, que ce
grand homme n’avait pu s’empêcher de pleurer en
songeant au mal qu’ils devaient faire à ses peuples,
dès que lui-même il ne serait plus là pour protéger
l’empire. On ne peut se faire une idée des désastres
2 FÉVRIER 439

qui accompagnaient leurs invasions rapides. C’était


surtout aux prêtres et aux signes extérieurs du culte
que ces barbares portaient une haine implacable :
partout, sur leur passage, les églises et les monastères
étaient profanés et réduits en cendre; aussi les reli­
gieux s’éloignaient-ils en toute hâte à leur approche,
emportant avec eux les vases sacrés et les saintes
reliques.
La plupart du temps les populations, mal protégées
par l’épée des Carlovingiens, s’enfuyaient effrayées de­
vant les farouches envahisseurs. Il y eut toutefois, dans
quelques occasions trop rares, des résistances qui ne
furent pas sans succès. La lutte fut vive en France;
elle ne le fut pas moins dans le nord de la Germanie.
Sur la fin de l’année 880, les Normands s’emparèrent
de Gand, surprirent au mois de décembre la ville de
Tournay, d’où ils se répandirent sur les bords de l’Es­
caut, mettant tout à feu et à sang; puis ils continuè­
rent leurs courses dévastatrices jusqu’à Arras, où ils
firent un horrible carnage des habitants. Louis, roi de
Neustrie, ayant appris ces tristes événements, dans
son camp devant Vienne qu’il assiégeait, y laissa son
frère Garloman pour poursuivre l’entreprise, et mar­
cha en diligence contre les barbares. Il les atteignit à
Saultcourt, dans le Vimeux, et leur livra en ce lieu
une sanglante bataille, où il leur tua jusqu’à neuf
mille hommes, la plupart de cavalerie.
Mais dans ce même temps les chrétiens furent
moins heureux en Saxe, où ils furent battus par les
4 Î0 LES SAINTS MILITAIRES

Normands dans une bataille qui se livra près des rives


de l’Elbe, et non loin des lieux où s’éleva plus tard le
célèbre monastère d’Ebstorp. Grand fut le nombre des
guerriers chrétiens, qui succombèrent dans cette cir­
constance mémorable. Ah! sans doute, ils étaient
braves, zélés, pleins d’ardeur; mais ils furent accablés
par la multitude toujours croissante de leurs ennemis!
Parmi ceux qui tombèrent victimes de leur dévoue­
ment à la religion et à la patrie furent Brunon, duc
des Saxons et frère de la femme de Louis II, roi de
Germanie, onze comtes et environ quatorze gardes
royaux, tous mentionnés dans notre titre, et, en outre
un nombre considérable de soldats dont l’histoire ne
dit pas les noms. Peu de temps après, il est vrai, sous
la conduite du comte Poppon, les chrétiens prirent à
Minden, leur revanche contre les ennemis de la foi,
mais leurs succès ne firent point oublier Brunon et
ses vaillants compagnons d’armes, car bientôt les
fidèles, qui avaient recueilli pieusement leurs dé­
pouilles, commencèrent à les honorer comme de vé­
ritables martyrs de Jésus-Christ.
Dieu lui-même attesta la sainteté de ces généreux
guerriers et la gloire dont il les avait couronnés dans
le ciel par les nombreux miracles qu’il opéra en faveur
de ceux qui recouraient à leur intercession. On trouve
dans un manuscrit de Paderborn le récit de plusieurs
de ces miracles. Nous n’en rapporterons qu’un seul,
dont l’auteur dit avoir été témoin oculaire, et qui eut
lieu le 2 février 1243, au monastère d’Ebstorp, alors
2 FÉVRIER 4H

que l’on célébrait en grande pompe la fôlo anniver­


saire des bienheureux guerriers. L’affluence était con­
sidérable dans l’église et les chants sacrés s’élevaient
joyeusement jusqu’au ciel, lorsque tout à coup on
s’aperçut qu’une huile merveilleuse découlait des os-
ments des saints martyrs. Bientôt on crie au prodige,
on s’empresse, on regarde, on se convainc par ses
propres yeux et l’enthousiasme s’empare de tous les
cœurs. C’était vers le lever du soleil que le fait mer­
veilleux avait commencé de se produire, et il dura
jusqu’à dix heures de la matinée. Cependant il y eut
des gens qui cherchèrent à expliquer le phénomène
par je ne sais quelle abondante humidité de l’air dont
la masse des saintes reliques aurait été pénétrée, mais
Dieu, pour dissiper tout doute à cet égard, voulut que
le lendemain, par un temps clair et serein, le même
fait se renouvelât depuis le milieu du jour jusqu’à la
tombée de la nuit. On put donc constater tout à loisir
que la liqueur découlant des ossements sacrés était
bien en réalité de l’huile; on en recueillit une grande
quantité, et, par les guérisons extraordinaires dont
elle fut l’instrument, Dieu montra qu’il aime à se glo­
rifier dans ses amis qui sont les saints.
L’auteur du manuscrit, après avoir rapporté ce mi­
racle et plusieurs autres, comme nous avons dit, ter­
mine par ces belles paroles : « C’est par ces merveilles,
Seigneur, et par beaucoup d’autres- semblables, que
vous avez magnifié votre peuple. C’est par ces mi­
racles, qui ne cessent point, que vous avez manifesté
SAINTS MILITAIRES. — T. I. 25.
442 L E S S A IN T S M IL IT A IR E S

la vraie gloire dont jouissent vos saints. C’est pourquoi


empressons-nous de vénérer ces soldats de Dieu, qui
par leurs œuvres admirables témoignent des dons
magnifiques dont le Seigneur les a enrichis, afin que
par leurs glorieux mérites et leurs prières, nous mé­
ritions d’être appelés un jour à partager avec eux le
royaume de l’éternelle lumière. »

S ource L e s B n lla n d is te s , au 2 février.


I II e JOUR DE FÉ V R IE R

SAINT LAURENTIN, SAINT IGNACE D’AFRIQUE


SOLDATS MARTYRS

Vers 236.

Laurentin et Ignace étaient les oncles, Tan paternel


et l'autre maternel du bienheureux diacre Gélérin qui
confessa la foi, devant Dieu, avec un courage si
héroïque.
« Laurentin et Ignace, dit saint Gyprien dans une de
ses lettres, avaient été enrôlés dans les armées du
siècle. Mais comme ils étaient encore plus véritable­
ment des soldats spirituels du camp de Dieu, ils ter­
rassèrent le diable par la confession du nom de Jésus-
Christ, et méritèrent par une mort illustre de recevoir
du Seigneur des palmes et des couronnes. Vous savez
bien, ajoute le saint évêque, que nous offrons pour
eux des sacrifices, lorsque nous célébrons tous les ans
la solennité des martyrs ». Saint Augustin explique,
dans son dix-septième sermon, ce qu’il faut entendre
par les mots « pour eux » « Gela ne veut pas dire que
l’on prie pour eux pendant le sacrifice, mais que l’on
fait mémoire d'eux dans la célébration du sacrifice ».
Tillemont pense que saint Laurentin et saint Ignace
LES S A IN T S M IL IT A IR E S

onl été martyrisés en Afrique et peut-ctre à Carthage


meme, sous Alexandre Sévère, ou, au plus tard, sous
Maximin Ier.

S ources L e M a r ty r o lo g e R o m a in . — L e s B o lla n d is te s , au
3 février. — Tillemont, M é m o ir e s ec clé sia stiq u e s, tome If 1°.
IV e JOUR DE FÉVRIER

SAINT PHILOROME
TRIBUN MILITAIRE, MARTYR

Vers 304•

Dans les temps où la persécution de Dioclétien sé­


vissait en Egypte avec plus de violence, Philéas,
évêque de Thmuis, fut arrêté et comparut à Alexandrie
devant le tribunal de Gulcien, qui lui fit subir un long
interrogatoire. Mais loin de se laisser ébra^er par les
promesses et les menaces du gouverneur, ou embar­
rasser par ses questions captieuses, le saint évêque
demeura ferme dans la confession de la foi et même
démontra avec une éloquence admirable la vérité de la
religion chrétienne.
Cependant les juges, voulant absolument conserver
la vie à un homme aussi distingué que Philéas, dirent
à Culcien « Philéas demande un délai ». Culcien se
tournant vers Philéas, lui dit « Eh bien, je vous
l’accorde, afin que vous pensiez un peu à ce que vous
avez à faire. » Mais Philéas répliqua : J’y ai pensé, et
je persiste toujours dans la ferme résolution de mourir
pour Jésus-Christ ». Alors les juges, le lieutenant de
l’empereur, qui était le premier magistrat de la ville,
446 LES S A IN T S M I L I T A I R E S

et tous les autres officiers de la justice, s’étant joints


aux proches de Philéas, se jetèrent tous à ses pieds et
le conjurèrent d’avoir pitié d’une famille désolée, et de
ne pas abandonner ses enfants dans un âge où sa vie
leur était si nécessaire : mais le saint confesseur, sem­
blable à un rocher que la fureur des vagues ne peut
ébranler, éleva son cœur à Dieu, et protesta qu’il ne
reconnaissait pour ses parents que les apôtres et les
martyrs.
Or il se trouva parmi les assistants un tribun de
l’armée d’Egypte, qui était en même temps un trésorier
général de l’empereur à Alexandrie; il avait dans la
ville un tribunal particulier où il jugeait les procès
avec plusieurs personnes de grande considération. On
le nommait Philorôme. Pénétré d’admiration pour les
réponses de Philéas, et indigné de l’acharnement de
ses ennemis à le perdre, il s’écria : « Pourquoi vous
opiniâtrer ainsi à vouloir vaincre la généreuse résis­
tance de ce brave homme? Que vous servira de le
rendre infidèle à son Dieu? Pourquoi vouloir qu’il le
renonce par une pure complaisance? Ne voyez-vous
pas que ses yeux sont fermés à vos larmes, et que ses
oreilles sont sourdes à vos paroles? Croyez-moi, on
n’est guère touché de quelques pleurs, quand on
envisage la gloire du ciel. » Ces reproches irritèrent
l’assemblée, qui demanda la mort de Philéas et de Phi­
lorôme. Ils furent donc condamnés tous deux k perdre
la tête.
Comme on les conduisait au supplice, le frère de
4 FÉ V R IE R 447

Philéas, qui était du nombre des juges, dit : « Philéas


désire qu’on lui accorde sa grâce. » Culcien, l’ayant
fait appeler, lui demanda si cela était vrai. « Moi,
répondit le saint, à Dieu ne plaise. Bien loin de sou­
haiter la révocation de la sentence qui me condamne
à mort, je n’ai au contraire que des actions de grâces à
rendre aux empereurs et à vous, puisque je vais entrer
aujourd’hui en possession d’un royaume que Jésus-
Christ veut bien partager avec moi. » A peine eût-il
achevé ces paroles, qu’on le reconduisit au lieu du
supplice, où après avoir exhorté les fidèles à la persé­
vérance, il fut décapité avec Philorôme. Cette exécu­
tion eut lieu, suivant Bollandus, au mois de février 304
et, suivant Tillemont, entre les années 306 et 312.

S ources L e M a r ty r o lo g e R o m a i n . — L e s B o lla n d is te s , au
4 février. — Eusèbe, H is to ir e d e l'E g lis e , livre VIII. —
Tillemont, M é m o ir e s e c c lé sia stiq u e s, tome V. — Dom Rui-
nart, A c te s des M a r t y r s . — Godescard, V ie des S a i n t s .

SAINT OBICE
VAILLANT CHEVALIER DE BRESCIA, CONFESSEUR

Vers 1200.

Il y eut guerre, en 1191, entre plusieurs villes de la


Lombardie, et ce fut à propos d’une délimitation de
4'i8 LES S A IN T S M I L IT A IR E S

territoire que les citoyens de Brescia entrèrent en lutte


avec ceux de Bergame. Ces derniers, toutefois, furent
vaincus, malgré les renforts que Crémone leur avait
envoyés. On avait combattu de part et d’autre avec
beaucoup d’acharnement, surtout dans la dernière
affaire, où le vaillant Obice, chevalier de Brescia avait
failli perdre la vie. En effet, dans son ardeur à pour­
suivre les ennemis, Obice se hâtait de passer le pont
qui traverse l’C)glio, lorsque ce pont, venant tout à coup
à crouler sous la masse des hommes qui l’encombrent,
les entraîne tous dans sa chute jusque dans les eaux
de la rivière. La plupart y périrent et ce ne fut que par
un véritable miracle de la bonté divine de Dieu que le
vaillant Obice pût échapper à la mort. Transporté par
ses compagnons d’armes dans un bourg voisin, Obice
y reçut les soins que réclamait son pitoyable état et
bientôt il fut plongé dans un profond sommeil. Quand
il en sortit, il poussait des gémissements et des san­
glots, et la pâleur de l’effroi était empreinte sur son
visage. Que lui était-il donc arrivé, à ce guerrier qui,
jusque-là, n’avait pas cônnu la peur? Il avait eu une
vision pendant laquelle son esprit était descendu dans
les enfers, et là, il avait vu les âmes arriver en foule,
aussi pressées et aussi nombreuses que les flocons de
neige qui tombent sur la terre, et bien plus, il avait
été témoin des supplices affreux dont Dieu punit les
victimes de son éternelle justice. Obice n’eut pas de
peine à comprendre que cette vision était un avertis­
sement du Ciel, et aussitôt qu’il fût remis de ses blés-
4 F É V R IE R 449

sures, il renonça à la carrière des armes et au monde,


pour ne plus s’occuper que des choses de Dieu. Il
consacra, en effet, toutes les années qu’il vécut encore,
aux exercices de la pénitence et à la pratique des plus
excellentes vertus; et c’est vers le commencement du
treizième siècle qu’il s’endormit saintement dans le
Seigneur. Son corps fut inhumé à Brescia dans l’église
de Sainte-Julie, et Dieu fit éclater par de nombreux
miracles la sainteté de son serviteur.
m
S ources L e s B o lla n d is te s , au 4 février.
V e JOUR DE FÉVRIER

SAINT ISIDORE
INTENDANT MILITAIRE, MARTYR

Vers 250.

La première année du règne de Dèce, cet empereur


ayant publié un édit pour lever des troupes, on vit
arriver à Chios un navire qui apportait le décret relatif
à cette ville. Parmi ceux qui furent enrôlés se trouvait
le bienheureux Isidore, qui se montra constamment
un bon et vaillant soldat en Jésus-Christ Notre-Sei-
gneur. En effet, lorsqu’on avait prêché la divine doc­
trine de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à ceux qui en
étaient dignes, le saint et vénérable martyr du Christ
l’avait embrassée avec empressement et la pratiquait
depuis avec zèle. Et après qu’il se fut fortifié en toute
manière par les saintes Écritures et les commande­
ments du Christ, il sentit d’une manière merveilleuse
son âme raffermie, son esprit ranimé et son corps même
plein de vigueur. Il éprouvait aussi en lui-même une
certaine émulation céleste, en songeant à ceux qui
étaient morts en souffrant le martyre pour le Seigneur;
et en même temps il se préparait aux épreuves, aux
menaces et aux persécutions des tyrans. 11 était juste,
5 F É V R IE R 451

pieux, à l’abri de tout blâme, en un mot, parfait en


toutes choses. On n’apercevait en lui ni légèreté, ni
inconvenance; et jamais ni le vice, ni la malice, ni
aucun des défauts provenant d’un esprit peu soumis à
Dieu, ne vinrent ternir une si belle âme; mais toute sa
conduite était empreinte de piété, de modestie et
d’honnêteté.
Quelque temps après la publication du premier édit
impérial, on en apporta un autre, aux termes duquel on
devait contraindre à quitter la religion du Christ et à
embrasser les erreurs impies des démons, tous ceux,
quels qu’ils fussent, qui servaient le Seigneur Jésus-
Christ, et qui, au lieu d’obtempérer aux ordres des
empereurs, aimaient mieux obéir aux commandements
du même Seigneur Jésus-Christ, conformément aux
oracles des prophètes. En ce temps-là arrivèrent à
Chios des soldats nouvellement enrôlés, sous la con­
duite d’un certain Numérius. Or, le bienheureux Isidore,
à qui les Césars, par affection pour lui, avaient confié
l’administration des vivres, distribuait avec une par­
faite égalité leur nécessaire à tous ceux dont il était
chargé; car il était pour eux comme un bon père de
famille; et comme il détestait toutes les erreurs du
paganisme, si on lui ordonnait quelque chose qui ne
fût pas juste et équitable, il n’en tenait pas compte.
Or, un centurion de cette armée, nommé Jules, poussé
par la démence et par l’envie, comme Caïn, résolut
d’accuser le bienheureux Isidore auprès de Numérius,
préfet de la milice, afin qu’on le déposât de la dignité
4 5 2 LES S A IN T S M IL IT A IR E S

qu’il occupait dans l’armée; mais il craignait que ses


desseins ne fussent pas couronnés de succès. Ce n’est
pas, au reste, qu’il se mît en peine du bien-être des
soldats; car c’était un vil mercenaire, et il ne cher­
chait, sous le nom de centurion, qu’à piller ceux qu’il
aurait sous ses ordres. Ce centurion, ayant quitté la
voie de la vérité pour s’abandonner au mensonge,
était descendu au plus profond de l’abîme de la perver­
sité; et lorsque parurent les édits de l’empereur Dèce
contre les chrétiens, il ne rougit pas d’honorer les
idoles par des prières et des sacrifices.
Jules alla donc trouver Numérius, et lui dénonça
Isidore comme ne sacrifiant pas aux idoles. Numérius
lui commanda de le faire venir.
Jules, montant "aussitôt sur un char, s’en alla avec
trois autres soldats d’un caractère féroce, se saisit
d’Isidore, qui ignorait ce qui se passait, et lui dit :
« La justice vengeresse de nos dieux m’ordonne ce que
je fais en ce moment, pour punir la profonde négli­
gence dans laquelle tu vis à leur égard. Car il faut que
tu sacrifies aux dieux et que tu les honore religieuse­
ment : ainsi l’ordonne l’empereur Dèce ». Le bienheu­
reux martyr du Christ Isidore, tressaillant de la plus
vive allégresse, préparé comme il était au combat par
la grâce du Saint-Esprit, répondit modestement à
Jules « Oui, qu’il en soit ainsi; partons gaiement
l’heure du combat est arrivé. C’est, je l’avoue avec un
grand plaisir que je vais descendre dans l’arène pour
combattre contre Bélial, me sentant rempli du Saint-
5 F É V R IE R 453

Esprit, tout inondé et pénétré de la rosée de la grâce,


et ravi de joie dans l’attente d’une magnifique cou­
ronne c’est pour cela que, sans la moindre hésita­
tion et par de solides raisonnements, j ’accomplirai,
sous les yeux de ceux qui doivent venir avec moi, une
lutte courageuse, afin que Dieu, touché des prières des
saints, donne à tous ceux qui l’aiment du fond du
cœur, la vie éternelle par Jésus-Christ Notre-Seigneur. »
Isidore fut donc amené par Jules et ses soldats
devant le tribunal de Numérius, chef de la milice. Dès
que celui-ci l’eût aperçu « Quel est ton nom? lui dit-
il. Il répondit « Isidore ». Numérius dit « N’est-ce
pas toi qui refuses d’obéir aux édits de l’empereur et
de sacrifier aux dieux? » Le bienheureux Isidore
« Quelle peut être la vertu ou la puissance de ces dieux
faibles, et impuissants, pour que je sacrifie à des êtres
qui ne sont nulle part? » Numérius : « O indomptable
dureté de ton âme perverse! comment as-tu osé em­
ployer contre les dieux ces expressions si coupables?
Mais leur colère est prête à fondre sur toi pour
punir ton audace nous craignons seulement que,
pour tes paroles de blasphème, ils ne nous châtient
nous-mêmes ». Le bienheureux Isidore « Tu auras
beau dire, tes paroles ne me causeront aucun dom­
mage. Le Christ, qui a créé tout ce qui existe, et que
tout le genre humain doit servir, est tout prêt à te
couper par le milieu, toi, Jules et ton empereur ».
Numérius « Eh bien! voyons le jugement de ton
Dieu, comment il te protégera, si tu refuses encore de
454 LES S A IN T S M I L I T A I R E S

sacrifier à nos dieux ». Le bienheureux Isidore : « 11


me semble que j’ai déjà acquis la couronne céleste par
une glorieuse victoire sur les ennemis du Fils de
Dieu ». Numérius : « Il est en mon pouvoir de t’in­
fliger des supplices rigoureux; mais plutôt, sois docile
à mes conseils, et, conformément aux édits de notre
empereur, sacrifie aux dieux; autrement ma colère va
éclater contre toi ». Le bienheureux Isidore « Je
résisterai toujours à tes menaces; car tu veux m’inti­
mider, comme si tu pouvais tuer mon âme. Mais c’est
sur mon corps seulement, et nullement sur mon âme
que peut s’exercer ta puissance; mon âme, et elle
seule, vit d’une vie impérissable. Du reste, fais tout
ce qu’il te plaira; jamais tu ne m’amèneras à perdre
par une lâcheté la couronne d’une joie sans fin; car
elle est pour moi le gage de la seule vie véritable. Fais
donc, je te l’ai dit, fais donc ce que tu roules dans ta
tête; jamais je ne chasserai de mon esprit ni de mon
cœur le Christ, à qui tout est soumis avec crainte ».
Alors Numérius, transporté de colère, lui dit : « Je
vais donner l’ordre de couper cette langue perverse ».
Isidore : « Si tu me fais couper la langue, tu ne me
persuaderas point pour cela de manger de tes viandes
impies* puisque j’adore Jésus-Christ crucifié sous
Ponce-Pilate, ressuscité d’entre les morts et monté
aux cieux; non, non, jamais tu ne viendras à bout de
me persuader de faire ce qu'il me défend ». L’impie
Numérius ordonna alors qu’on lui coupât la langue.
Le bienheureux Isidore souffrit ce supplice en se
5 FÉ V R IE R 455

moquant du tyran. Mais, au même moment, Numé-


rius, tombant par terre, perdit l’usage de sa propre
langue. Ce que voyant, tous ceux qui étaient présents,
ils furent hors d’eux-mêmes de la chute que venait de
faire le chef de la milice, et un bon nombre d’entre
eux crurent au Seigneur Jésus-Christ. Après qu’on
l’eût relevé de terre, on s’aperçut qu’il était privé de
l’usage de la parole. Pour lui, il demanda par signes
qu’on lui apportât des tablettes, et il écrivit cette sen­
tence : « Les lois du César Dèce ordonnent qu’Isidore,
qui n’a pas voulu obéir aux lois, ni sacrifier aux dieux,
perde la tête par le tranchant du glaive ». Le bienheu­
reux martyr du Christ Isidore, prenant les tablettes,
y lut la sentence et dit : « Je vous remercie, ô Sei­
gneur Jésus-Christ d’avoir trouvé grâce devant vous;
je vous loue, Seigneur, vous qui êtes la vie de mon
esprit; je vous glorifie, Seigneur, qui êtes l’âme de
mon âme et toute ma force, vous qui m’avez donné
une langue au-dessus de toute atteinte ».
Les licteurs se saisirent d’Isidore et le conduisirent
au lieu du supplice; il s’y rendit en tressaillant de
joie, mais comme un innocent agneau qu’on va im^
moler; et de même qu’Isaac offrit autrefois des dons
à Dieu, ainsi Isidore, par sa mort endurée pour le
Christ, fut donné pour exemple aiix autres. Lorsqu’on
fut arrivé au lieu appelé la Fosse de la Vallée, il se mit
à genoux et après avoir fait le signe de la croix sur
toutes les parties de son corps, il dit : « Je vous bénis,
ô Père de mon Seigneur Jésus-Christ, d’avoir permis
456 LES SAINTS MILITAIRES

que j ’aie été trahi aujourd’hui, et de m’avoir conduit


au terme de ma vie. Je vous prie, ô Seigneur Jésus-
Christ, très miséricordieux Sauveur, de ne point me
refuser le partage de vos saints dans la vie éternelle ».
Après avoir ainsi prié, il mit sa tête sous le glaive,
dont le tranchant lui ôta la vie.
Un certain Ammonius, plein de piété et de crainte
de Dieu, qui avait été le compagnon du saint martyr,
aidé de quelques frères, creusa une fosse dans le lieu
même, y déposa le corps*du bienheureux Isidore avec
de grands honneurs, et lui fit construire un monument.
Le bienheureux Isidore mourut la veille des ides de
mai (15 mai), Numérius étant chef de la milice, et
Dèce, empereur.

S ources L e M a r ty r o lo g e R o m a i n .
— L e s B o lla n d is te s , au
15 mai. — A c te s des M a r ty r s , traduits par les PP. Béné­
dictins.

LE BIENHEUREUX DOMITIEN DE CARINTHIE


DUC DE CARINTIIIE, CONFESSEUR

Vers 800.

La Carinthie, aujourd’hui duché et pays de l’empire


d’Autriche, fut éclairée de bonne heure des lumières
de l’Évangile; mais les Hérules, les Ostrogoths et les
Avares qui la ravagèrent et s’y établirent successive­
5 FÉVRIER 457

ment finirent par la replonger dans les ténèbres de


l’idolâtrie. Cependant lorsque les Slaves eurent défini­
tivement pris possession de cette contrée, le flambeau
de la foi y brilla de nouveau d’un vif éclat. Le duc
Ingon, qui la gouvernait, vers le milieu du huitième
siècle, était un prince très chrétien et un propagateur
très zélé de sa religion. On rapporte de lui un fait qui
montre bien le fond de son cœur. Comme on se trou­
vait à l’époque des fêtes de Noël, il fit préparer un
festin magnifique auquel il invita un grand nombre de
personnes. Les convives n’y furent pas, toutefois,
traités delà même manière; car, tandis que les sim­
ples gens de la campagne étaient servis dans une vai-
selle d’or et d’argent, les gens d’une condition dis­
tinguée l’étaient tout bonnement dans une vaisselle
de terre fort commune. Cette conduite du duc parut
tellement étrange qu’on voulut en savoir la raison
« Ah! dit celui-ci, c’est que, dans l’ordonnance de
mon festin, je me suis bien moins préoccupé de la
dignité des personnes que de la dignité des âmes. C’est
pour cela que j’ai fait plus d’honneur à de simples
campagnards dont l’âme est pure et toute rayonnante
de la grâce du baptême qu’à ces nobles habitants des
châteaux et des villes dont l’âme est encore souillée
par le culte infect des démons. »
Le bienheureux Domitien était fils de ce même
duc Ingon. Une fois arrivé au pouvoir, il marcha
fidèlement sur les traces de son père, et s’appliqua
avant tout à faire régner Jésus-Christ dans le cœur
SAI2ÏTS M ILITAIRES. — T . I. 26
458 LES SAINTS MILITAIRES

de ses sujets. Il fut merveilleusement secondé dans ses


efforts par sa pieuse épouse Agnès, fille du duc de Mé-
ranie. Leurs vertus contribuèrent plus encore que tout
autre moyen au succès de cette grande œuvre. Pour la
rendre durable le duc de Garinthie fit construire un
grand nombre d'églises et plusieurs monastères. Le
plus célèbre de ces monastères fut celui de Muhlstadt,
ainsi nommé parce qu’on le bâtit sur les ruines d’un
temple où les païens avaient réuni mille statues de
leurs divinités. Ce fut vers le commencement du neu­
vième siècle que Dieu appela son serviteur à la récom­
pense éternelle.
Le corps du bienheureux Domitien fut inhumé dans
l’église de Muhlstadt, et de nombreux miracles s’opé­
rèrent à son tombeau. On y accourait non seulement
de toutes les parties de la Garinthie, de la Garniole et
de la Styrie, mais encore des extrémités de l’Istrie.
En 1102, des religieux et des religieuses de l’ordre de
Saint-Benoît furent amenés à Muhlstadt. Plus tard
l’empereur Frédéric III donna le couvent des moines
aux chevaliers de Saint-Georges. Dans la suite il fut
cédé aux Pères de la Compagnie de Jésus. En 1441, le
27 juin, on procéda à la troisième translation des
reliques du bienheureux Domitien. Elles étaient dans
un état parfait de conservation, et l’on remarqua qu’au
moment où l’on ouvrit le tombeau, elles exhalèrent
une odeur délicieuse.
S ources L e s B o lla n d is te s , au 5 février.
V IIe JOUR DE F É V R IE R

SAINT ADAUQUE
MAÎTRE-GÉNÉRAL DES OFFICES ET QUESTEUR-

LES BIENHEUREUX COMPAGNONS


DE SAINT ADAUQUE
LE PRÉFET MILITAIRE
ET LE PRÉFET DU TRÉSOR d ’a NTANDROS, VILLE DE PHRYGIE
MARTYRS

30k.

Adauque était Italien de nation, illustre par l’éclat


de sa naissance et par celui de sa dignité, car il avait
passé par toutes les charges de la cour des empereurs
et même avait été honoré par eux des fonctions impor­
tantes de maître-général des offices. Il remplissait
encore celles de questeur ou intendant des finances,
lorsqu’il mérita la couronne du martyre pour la défense
de la foi.
Comme Eusèbe, dans son Histoire de VÊglise,
parle de saint Adauque immédiatement après avoir
rapporté le martyre du peuple entier d’une ville de
Phrygie, Rufin et plusieurs autres auteurs en ont
conclu que cet Adauque avait été le chef glorieux de
460 LES SAINTS MILITAIRES

cette illustre troupe, et de fait, nous le voyons inscrit


dans le Martyrologe Romain avec le titre de gouver­
neur d’une ville de Phrygie, où périrent pour la foi
un grand nombre de chrétiens. Cette ville était, suivant
l’opinion commune, celle d’Antandros, qui n’est plus
aujourd’hui qu’un village de la Turquie d’Asie, nommé
Saint Démétrius.
Yoici maintenant, d’après la version de l’évêque
Christophorson, comment Eusèbe rapporte le massacre
des habitants de la cité héroïque « Il n’est pas néces­
saire, dit-il, d’employer de longs discours pour décrire
les divers combats que les martyrs soutinrent l’un
après l’autre dans toute l’étendue de la terre, puisqu’ils
furent attaqués même à main armée comme des en­
nemis déclarés. Une ville de Phrygie fut assiégée par
les troupes, et les soldats y ayant mis le feu, réduisirent
en cendres les hommes, les femmes et les plus petits
enfants, parce que tous les habitants généralement, les
magistrats, le préfet du trésor, le préfet militaire, les
personnes de qualité aussi bien que tout le reste du
peuple, faisaient profession de la religion chrétienne
et protestaient qu’ils ne pouvaient obéir à ceux qui
voulaient leur faire adorer les idoles ». Rufin ajoute
On avait permis de se retirer de la ville à ceux qui
voudraient renoncer à leur foi, mais il n'y en eut pas
un seul qui voulut accepter cet offre. Ils ne se défen­
dirent qu’en invoquant Jésus-Christie Dieu et le maître
de toutes choses. Le chef de cette illustre population
et celui qui les anima à résister jusqu’à la mort, fut
1 FÉVRIER 461

saint Adauque, qui avait une charge très considérable


et qui demeurait alors dans celte ville. »

S ources L e M a r ty r o lo g e R o m a i n . — Les B o lla n d is te s , au


7 février. — Eusèbe, H is to ir e d e l'É g lis e , livre VIII. —
Rufin, H is to ir e de l'É g lis e , livre VIII. — Tillemont, M é ~
m o ire s e c c lé sia stiq u e s , tome V, p. 213 et 672.

SAINT THÉODORE D’HÉRACLÉE


GÉNÉRAL ROMAIN, MARTYR
319.

Théodore était né de parents chrétiens à Euchaïte,


ville jde la province du Pont; on rapporte de lui une
chose remarquable et digne d’un courage vraiment
chrétien. Comme il commandait un corps de troupes
dans l’armée de Licinius, beau-frère de l’empereur
Constantin, il apprit que dans les environs d’Euchaïte
paraissait un dragon furieux qui, sortant le matin de
sa caverne, dévorait tout ce qui se présentait devant
lui. Alors il résolut de l’attaquer et de montrer en cette
circonstance la force invincible de la croix du Sauveur.
11 alla donc sur le lieu qui devait etre le champ de sa
victoire; et conjurant le monstre par le nom de Jésus-
Christ qu’il eût à sortir de sa caverne, il le perça à
coups d’épée et le foula aux pieds de son cheval. Plu-
SAINTS MILITAIRES. — T. I. 26.
462 LES SAINTS MILITAIRES

sieurs Gentils qui entendirent parler de cette action,


éclairés d’une lumière céleste, reconnurent la vérité et
embrassèrent la foi chrétienne. L’empereur en ayant
été informé envoya des personnages de sa cour prier
Théodore de venir le trouver à Nicomédie. Le général,
après avoir fait faire, durant trois jours, grande chère à
ses envoyés, leur donna une lettre pour l’empereur; il
le suppliait de venir lui-même à Héraclée, où il était,
afin d’honorer ses sujets de sa présence.
Cette lettre, et la manière magnifique dont ses en­
voyés avaient été traités, persuadèrent si bien Licinius
des bonnes dispositions de Théodore qu’il se mit aus­
sitôt en chemin. Le général en ayant eu révélation se
revêtit de ses habits précieux, et alla au-devant de lui.
L’empereur le reçut avec tous les témoignages possi­
bles de bienveiilance. Mais quand il eut fait son entrée
dans Héraclée, il demanda à Théodore quel jour il vou­
lait prendre pour sacrifier aux dieux de l’empire. Celui-
ci le supplia de les lui confier quelque temps dans sa
maison, afin de les parfumer et de se disposer ainsi à
leur faire des sacrifices en public. L’empereur, ravi de
ces paroles et s’imaginant déjà avoir triomphé de la foi
de Théodore, lui fit aussitôt porter ses fausses divi­
nités. Mais, dès que le général les eut en sa possession,
comme c’étaient des statues d’or et d’argent et d’autres
matières précieuses, il les brisa, les mit en pièces et
en distribua les morceaux aux pauvres; il n’est pas
possible d’exprimer combien l’empereur, sachant ce
procédé inouï de Théodore, en demeura piqué, et avec
7 FÉVRIER 463

quelle rage il fit apprêter les tourments dont il avait


coutume de se servir contre ceux qui se déclaraient les
ennemis de l’idolâtrie.
Mais Dieu, qui n’abandonne jamais ses élus et qui
savait les dangers auxquels son serviteur devait être
exposé, l’avait, pour fortifier sa résolution et augmenter
son courage, assuré de sa protection par une voix
céleste qui lui avait dit : « Théodore, prends courage
et te fie en moi, car je suis avec toi. » Ces paroles
l’animèrent tellement qu’il s’offrit à Dieu en sacrifice,
et sentit en lui une force divine et une constance iné­
branlable pour endurer toutes sortes de tourments.
L’empereur le fit d’abord étendre tout de son long
et, en cette posture, lui fit donner cinq cents coups de
nerf de bœuf sur les épaules nues et cinquante sur le
ventre. Après cela, on lui brisa le corps avec des
cordes plombées par le bout, et on lui arracha la chair
avec des ongles d’acier; puis on lui brûla les plaies
avec des flambeaux ardents et on lui ratissa le sang
caillé avec des têts de pots cassés. Ensuite, pour lui
donner le loisir de respirer, on l’envoya en prison où
il demeura cinq jours sans boire ni mapger. Au bout
de ce temps, le tyran le fit attacher sur une croix et
ordonna qu’on lui perçât d’une broche les parties les
plus secrètes et les plus sensibles; durant ce cruel
supplice, on excitait les petits enfants à lui jeter des
pierres et le peuple à l’insulter et à exercer sur son
corps mille indignités. Le saint, parmi tant de maux,
sc recommandait à Jésus-Christ pour lequel il souffrait,
464 LES SAINTS MILITAIRES

et il se plaignait amoureusement à lui en ces termes


« Vous me disiez, Seigneur, que vous étiez avec moi;
mais maintenant je vous en trouve bien éloigné, puisque
vous m’avez abandonné entre les mains de vos ennemis,
qui me déchirent comme des bêtes farouches ; il ne me
reste plus qu’à vous supplier, comme je fais, de rece­
voir mon esprit. » Le martyr, ayant dit cela, se tut, et
Licinius, croyant qu’il était déjà mort, le laissa atta­
cher à la croix; mais au commencement de la nuit, un
ange descendit du ciel, le détacha et le guérit entière­
ment, lui disant : « Réjouis-toi, Théodore, et te fortifie
en ton Seigneur qui est avec toi; ne dis plus qu’il est
éloigné, achève hardiment le combat que tu as entre­
pris et triomphe pour recevoir la couronne de l'immor­
talité. » A l’instant l’ange disparut, et le saint rendit
grâce à Dieu de sa santé rétablie, et de la victoire qu’il
espérait remporter par le secours de sa grâce.
Cependant l’empereur commanda à deux centurions,
nommés Antiochus et Patrice, de lui apporter, avant
qu’il fut jour, le corps de Théodore, qu’il avait laissé
pour mort, afin de le jeter à la mer, pour le priver de.
l’honneur que les fidèles n’eussent pas manqué de lui
rendre. Les centurions vinrent au lieu du supplice,
trouvèrent la croix où le martyr avait été attaché‘et le
virent lui-même libre et jouissant d’une parfaite santé.
Cet événement les mit hors deux-mêmes et leur éton­
nement fut beaucoup augmenté parla lumière du ciel
qui l’environnait ils voulurent être chrétiens, et re­
connurent la divinité de Jésus-Christ avec quatre-vingts
7 FÉVRIER 465

de leurs soldats. Licinius averti de ces conversions,


envoya le proconsul Sextus, avec trois cents hommes
de guerre, pour passer au fil de l’épée ceux qui s’étaient
faits chrétiens. Ges nouveaux soldats marchèrent avec
la résolution d’exécuter le commandement de l’empe­
reur ; mais aussitôt qu’ils eurent reconnu les merveilles
que le Créateur du ciel opérait par Théodore, ils vou­
lurent se mettre à son service aussi bien que les autres.
Ils furent en meme temps suivis d’une grande multi­
tude de peuple qui s’écria « Vive le Dieu des chré­
tiens! il est le seul vrai Dieu et il n’en est point
d’autre. »
Cependant la cruauté de l’empereur avait excité une
espèce de sédition dans la ville ; le saint Martyr l’étouffa
dans son commencement, enseignant aux fidèles que,
puisqu’ils adoraient Jésus-Christ crucifié pour les
hommes, lequel n’avait pas permis à ses anges de tirer
vengeance de sa mort, ils ne devaient pas penser à
venger la sienne. Néanmoins les chrétiens ne voulurent
jamais l’abandonner, mais le suivirent jusqu’à la mort.
Comme il passait devant la prison, tous les prisonniers
se mirent à crier « Théodore, serviteur de Dieu, ayez
compassion de nous! » Le saint, touché de leur misère,
brisa leurs chaînes par une seule parole et les renvoya
libres en leur disant : « Allez en paix et ayez souvenir
de moi! Une multitude de païens, qui virent ce
miracle, reçurent la foi de Jésus-Christ. De plus, un
grand nombre de démoniaques, sur lesquels il étendit
les mains ou qui touchèrent ses habits furent aussitôt
436 LES SAINTS MILITAIRES

délivrés. Ces choses étant venues à la connaissance de


Licinius, qui craignait une sédition populaire, il com­
manda qu’il eût la tête tranchée. Théodore, ayant
entendu cet arrêt, fit le signe de la croix sur tout son
corps, supplia ceux qui étaient présents de le faire
porter dans la ville d’Euchaïte, sa patrie; et après
avoir achevé sa prière, il dit adieu à toute l’assistance
et tendit le cou au bourreau qui trancha le cours de sa
vie, le 7 février, sur les trois heures de l’après-midi,
l’an 319.
Le corps du martyr qui avait été inhumé d’abord à
Héraclée, fut ensuite transféré à Euchaïte, ville de sa
naissance, ainsi qu’il l’avait souhaité. C’est pourquoi
elle fut nommée Théodoropolis, c’est-à-dire la ville de
Théodore et devint très célèbre par les miracles qui
s’opérèrent au tombeau de son martyr. La dévotion y
attirait un grand nombre de pèlerins de toutes les con­
trées de l’Orient. L’empereur de Constantinople, Jean Ier
Zimiscès, se croyant redevable à l’intercession de saint
Théodore, d’une victoire complète qu’il avait remportée
sur les Sarrasins en 930, fit rebâtir avec beaucoup de
magnificence l’église d’Euchaïte, où l’on avait déposé
ses reliques. Dans la Yénétie on a une siugulière véné­
ration pour la mémoire de l’illustre martyr et il était
le premier patron de Venise, avant que le corps de
saint Marc y eût été transporté. On voit aussi à Venise
la statue de saint Théodore sur une des magnifiques
colonnes qui ornent la place de Saint-Marc. Ses reliques
sont dans l’église Saint-Sauveur de la même ville; elles
7 FÉVRIER 467

y furent apportées de Constantinople en 1260, par


Marc Dandolo ; celui-ci les tenait de Jacques Dandolo ;
amiral des galères de la République qui les avait trou­
vées en 1256, à Mésembrie, ville arcbi-épiscopale de la
Roumanie.

S ources L e M a r ty r o lo g e R o m a i n . — L e s B o lla n d is te s , au
7 février. Baillet. — V ie s des S a i n t s . — L e s P e t i t s B o l la n -
d is te s .

SAINT RICHARD
ROI ANGLO-SAXON, CONFESSEUR

722,

Sortis de la région péninsulaire qui sépare la mer


Baltique de la mer du Nord, les Saxons avaient trouvé
sur les plages de la Bretagne un climat et un aspect
semblables à ceux de leur pays natal. A la fin du
sixième siècle, ils formaient déjà un grand peuple sou­
mis au régime patriarcal et fédéral. Ceux qui les gou­
vernaient appartenaient tous à une sorte de caste,
composée de familles qui prétendaient remonter à
Odin ou Woden, le monarque divinisé delà mythologie
germaine. Mais à la différence des envahisseurs bar­
bares du continent, les Saxons n’avaient point adopté
la religion du peuple qu’ils avaient subjugué. En Gaule,
en Espagne, en Italie, le Christianisme avait refleuri et
4GB LES SAINTS MILITAIRES

s’était énergiquement affirmé sous la domination des


Francs et des Goths; il avait conquis les conquérants.
En Bretagne, il disparut sous le poids de la conquête
étrangère, et il en fut ainsi jusqu’au jour béni où le
moine Augustin commença la conversion des vain­
queurs en donnant le baptême au bon et loyal Ethel-
bert, roi de Kent.
Dans la suite, les Anglo-Saxons eurent plusieurs de
leurs rois ou chefs qui se distinguèrent, comme Ethel-
bert, par des qualités vraiment royales et surtout par
les vertus qui font les saints. De ce nombre fut Richard
dont l’Église célèbre aujourd’hui la mémoire, mais
dont l’histoire nous est peu connue. Il était contempo­
rain des rois saxons Ceadwalla et Ina qui moururent à
Rome; l’un, dix jours après son baptême, et l’autre
dans les exercices d’une rigoureuse pénitence. Des
auteurs anciens veulent que Richard ait eu pour mère
la sœur d’Olfa, roi dès Saxons orientaux et, pour
proche parent, Boniface, le grand apôtre de la Ger­
manie. Quoiqu’il en soit de la noblesse de son origine
et des faits de son gouvernement, à une époque où les
guerres furent fréquentes entre les rois et princes de
l’heptarchie saxonne, ce qui est certain, c’est que Dieu
lui fit cette grâce insigne de devenir le père de Wine-
bald, de Guillebald et de Walburge qui sont tous les
trois honorés comme saints dans l’Église, et ce qui
n’est pas moins certain encore, c’est que, par suite
soit de quelque révolution qui l’aurait privé de ses
États, soit d’une abdication volontaire du pouvoir
7 FÉVRIER 469

royal, il entreprit de faire le pèlerinage de Rome avec


ses fils Winebald et Guillebald. Ce fut ce dernier dont
la Providence se servit pour déterminer le roi à ce
pieux voyage et nous allons dire par quel enchaînement
de circonstances il eut tant d’influence sur l’esprit de
son père.
A l’âge de trois ans, Guillebald était tombé dans une
maladie dangereuse, qui fit craindre pour ses jours.
Ses parents, après avoir employé inutilement tous les
remèdes humains pour le guérir, le portèrent devant
la croix qui avait été érigée dans la campagne près de
l’habitation où ils résidaient alors. En effet, depuis
que, pour la première fois et à la veille de sa première
bataille, le pieux Oswald avait planté la croix, comme
un signe d’espérance, sur le sol de la Northumbrie,
cette croix avait apparu en guise d’oratoire et de
sanctuaire dans mainte région à peine défrichée et,
chaque jour, dans tout domaine seigneurial, on voyait
se réunir autour d’elle, pour la prière publique, le
thane, ses laboureurs et ses bergers. Ce fut donc
devant une de ces croix que Richard vint demander à
Dieu la guérison de son fils, avec promesse de le con­
sacrer à son service dans quelque monastère, s’il plai­
sait à la divine Bonté de le conserver à la vie. Les
prières ferventes de Richard et de sa royale épouse
furent exaucées et Guillebald recouvra la santé. Deux
ans après, son père le conduisit à l’abbave de Waltheim
où le jeune prince fut élevé et instruit, avec le plus
grand soin, dans la piété et dans les lettres.
SAINTS MILITAIRES. — T. I. 27
470 LES SAINTS MILITAIRES

Cependant, après plusieurs années, Guillebald, qui


était devenu moine, conçut le désir d’aller prier à
Rome au tombeau des saints apôtres et de faire encore
d’autres pèlerinages que la piété des fidèles rendait
célèbres à cette époque. Il invita le roi son père à
l’accompagner dans ses voyages avec son frère Winebald
qui n’avait pas fait moins que lui-même de progrès
dans la vertu. D’abord Richard, malgré ses grands
sentiments de religion, rejeta cette invitation, tant il
lui paraissait dur de tout sacrifier, honneurs, famille
et richesses pour ne plus s’occuper désormais que du
salut de son âme. Mais Guillebald ne se laissa pas
rebuter par ce refus il pria, il jeûna, et en même
temps qu’il intéressait le ciel à sa cause, il persuada si
bien par ses douces exhortations le cœur de son père,
que celui-ci se décida enfin à tout quitter pour suivre
ce fils que ses prières ferventes avaient autrefois
arraché à la mort.
S’étant donc embarqué à Hamble-Haven avec Wim-
bald et Guillebald, le roi pèlerin aborda heureusement
sur les côtes de la Neustrie, et de là il se rendit à
Rouen par le cours de la Seine. Après avoir fait un
assez long séjour dans cette ville, il continua sa route,
donnant partout les plus grandes marques de piété. Il
ne put toutefois aller jusqu’à Rome, car il mourut
subitement à Lucques, en Italie, vers l’an 722. On
l’enterra dans l’église de Saint-Fridien. Les miracles
que Dieu avait accordés à la piété de ce prince avant
sa mort, et ceux dont il a depuis honoré ses reliques
7 FÉVRIER 471

lui ont mérité une place parmi les saints. Le culte de


saint Richard est fort célèbre dans la ville de Lucques,
qui fait sa fête le 7 février. On lit sur son tombeau
l’inscription suivante :
« Ici repose le roi Richard, dont le règne fut si pros­
père.
« Autrefois roi des Angles, aujourd’hui il possède le
royaume des cieux.
« Il abandonna son royaume, il quitta tout pour
l’amour du Christ.
« Il fut le père de sainte Walburge, vierge excellente;
de saint Winebald et aussi de saint Guillebald.
« Puissent leurs suffrages nous obtenir le royaume
des cieux. »

S ources L e M a r ty r o lo g e R o m a i n . — L e s R o lla n d is te s ,
au 7 février. — V ie s des S a i n t s , par Godescard.
V IIIe JOUR DE F É V R IE R

SAINT MENGOLD
COMTE DE I1UY, EN BELGIQUE, MABTYR

Vers 892.

Mengold était issu du sang le plus illustre des races


franque et anglo-saxonne. On croit qu’il eut pour père
Hugo, roi des Angles et que sa mère était fille de Car-
loman, roi de Bavière et d’Italie, et sœur de l’empe­
reur Arnoul. Le jeune prince reçut une excellente édu­
cation et il en profita si bien que son oncle, charmé de
ses belles qualités, le fil venir de bonne heure à la cour
impériale. Là, par sa belle conduite et par la rare
intelligence dont il fit preuve dans les affaires qu’on
lui confia, il conquit bientôt l’estime et l’affection de
tous. Quoiqu’il eut beaucoup de goût pour tous les
exercices de la vie militaire, il se gardait bien, toute­
fois, de se laisser entraîner aux plaisirs que recher­
chent [avec ardeur la plupart des jeunes gens qui
embrassent la carrière des armes. Il avait pris, au
contraire, pour modèle, le bienheureux Martin, et il
s’efforçait de l’imiter en toutes choses, surtout en se
montrant comme lui plein d’une tendre compassion
envers les pauvres.
Cependant Mengold avait trop do vertus et il avait
8 FÉVRIER 473

déjà rendu des services trop importants, pour que


l’empereur ne cherchât pas à l’en récompenser en
l’établissant dans le monde d’une manière conforme à
sa naissance et à son mérite. C’est pourquoi il lui fit
épouser Geyla, veuve du comte Guillaume, que le duc
Albrice, frère de Geyla, avait assassiné, parce que le
comte réclamait la propriété des biens qui apparte­
naient à sa femme. Les donations magnifiques que
l’empereur fit à son neveu en cette circonstance, vin­
rent ajouter encore à la dot de Geyla qui déjà était
considérable, et ainsi tout semblait heureux dans cette
alliance où les deux époux s’offraient mutuellement en
présents des richesses et des vertus.
Possesseur désormais de vastes domaines dans
lesquels se trouvait compris le comté de Huy, Men-
gold crut qu’il était de son devoir de s’occuper par
lui-même de leur administration. Il eut beaucoup à
faire pour réparer les maux de toute nature que les
aggressions d’Albrice contre Guillaume avaient causés
parmi les populations, et il y réussit à la grande
satisfaction de ceux qui en avaient été les victimes.
Observateur exact des règles de la justice, il savait
toutefois en tempérer à propos les rigueurs. Il était
bon et affable envers tous, mais particulièrement en­
vers les pauvres gens de la campagne. Geyla avait eu
du comte Guillaume un fils nommé Liéthard, Mengold
voulut lui servir de père et il en remplit toutes les
obligations avec beaucoup de zèle et de désintéresse­
ment.
474 LES SAINTS MILITAIRES

Une conduite aussi digne d’admiration aurait dû, ce


semble, concilier à Mengold tous les esprits et les cœurs,
mais il n’en fut pas ainsi : le démon de la jalousie et
de la cupidité pénétra de nouveau dans le cœur du
duc Albrice et lui lit concevoir les plus criminels des­
seins. Pour les mieux exécuter, Albrice s’associa le
duc Beaudoin, et ils convinrent entre eux de recourir
à la force des armes pour dépouiller Mengold de ses
biens, dussent-ils pour cela, s’il était nécessaire, le
mettre lui même à mort. Ayant donc appris, sur ces
entrefaites, que le comte de Huy devait, le jour de
l’octave de Noël, se rendre dans un de ses châteaux
pour y toucher des revenus, ils le devancèrent dans
son voyage, surprirent l’intendant et ses employés
qu’ils firent prisonniers et ne se retirèrent qu’après
avoir pillé et incendié les bâtiments. Us revenaient
sur leurs pas, comme en triomphe, avec leurs gens
tout chargés de butin, lorsqu’ils rencontrèrent sur leur
route Mengold qui se dirigeait paisiblement vers eux.
Mais à peine le comte a-t-il eu le temps de considérer
cette troupe que déjà il a compris tout ce qui vient de
se passer, et bientôt dans son indignation contre ces
ravisseurs du bien d’autrui, contre ces profanateurs des
jours consacrés à fêter la naissance du Sauveur, il
fond sur eux avec la poignée de braves qui l’accompa­
gnent, et, dans la lutte acharnée qui s’engage, le duc
Beaudoin est tué et Albrice contraint de chercher son
salut dans la fuite.
Le bruit de cet événement se répandit bientôt au
8 FÉVRIER 475

loin et causa partout une vive émotion. D’abord l’em­


pereur fît tout ce qu’il put pour amener les ennemis à
une réconciliation, et pour seconder ses efforts, Men-
gold consentait à de grands sacrifices, mais les fils de
Beaudoin, Albrice et Liéthard lui-même qui avait
épousé leur querelle, ne voulant entendre à aucun
accommodement et poursuivant avec ardeur leurs hos­
tilités, l’empereur convoqua à Metz les grands de
l’empire pour y former une cour de justice où toute
cette affaire serait débattue solennellement et jugée en
dernier ressort.
Les ordres d’Arnoul ayant été exécutés, on se rendit
bientôt de part et d’autre au lieu indiqué pour les
débats, Mengold avec des intentions toutes pacifiques,
mais ses adversaires avec un cœur plein de haine.
Albrice s’y présentait d’ailleurs sans aucune inquiétude
sur l’issue du procès, car déjà il avait gagné traîtreu­
sement à sa cause le juge Inghelfrid, qui devait pro­
noncer la sentence finale. Cet homme inique accuse
donc hautement Mengold d’avoir assassiné le duc
Beaudoin; mais le noble comte n’a point de peine à
prouver son innocence, et son désir de la paix est si
grand qu’il veut bien offrir aux fils de Beaudoin les
compensations exigées par la loi en pareille matière.
Tout fut inutile pour sa justification; il était condamné
à l’avance, et Inghelfrid prononça contre lui une sen­
tence de mort. Il y eut alors une grande agitation dans
l’assemblée. Comme pour inviter les fils de Beaudoin
à se précipiter sur leur ennemi, Tnghelfrid s’avance
476 LES SAINTS MILITAIRES

vers le noble comte et de sa canne le frappe à la tête,


mais au même instant, Richard, neveu de Mengold,
fond résolument sur l’insulteur et d’un coup de son
épée lui abat la tête. Les uns applaudissent, les autres
crient vengeance, et pendant le tumulte qui suit, Men­
gold et Richard, protégés par leurs amis, parviennent
à s’échapper et à se réfugier en lieu sûr.
Cependant le duc Albrice, plus irrité que jamais
contre le comte de Huy, vint l’assiéger avec des forces
considérables dans le château de Lespinois, où il s’était
enfermé avec toute sa famille. La place était forte, ses
défenseurs vaillants, elle fit donc bonne résistance; et,
toutefois, le duc n’avait pas encore désespéré de
s’en emparer, lorsqu’il fut lui-même attaqué à l’im-
proviste et vaincu complètement par les troupes que
l’empereur avait envoyées au secours de son neveu.
Les fils de Beaudoin et leurs plus zélés partisans
avaient perdu la vie dans la bataille, et peu de temps
après, on retrouvait le cadavre d’Albrice dans le vivier
du château.
Reconnaissant envers Dieu qui l’avait sauvé de la
main de ses ennemis, Mengold résolut de le servir
désormais avec plus de fidélité. A la prière et aux
autres exercices de la piété chrétienne, il joignit les
bonnes œuvres et il s’appliqua aussi avec un grand
zèle à remplir les obligations que sa haute condition
lui imposait. En peu de temps ses domaines désolés
par la guerre revinrent à leur ancienne prospérité les
ruines furent réparées, les champs ensemencés se cou­
8 FÉVRIER 477

vrirent de riches moissons, le commerce refleurit, et


ce qui ne fut pas moins admirable, il n’y eut point de
veuves et d’orphelins, de pauvres et de malades qui
manquassent d’appui dans leur faiblesse ou de secours
dans leurs besoins. Les populations se félicitaient à
l’envi de vivre sous le gouvernement d’un si bon prince.
Il semble qu’en voyant ses efforts couronnés de si
beaux succès, le comte Mengold dût être entièrement
satisfait dans son ambition pour le bien, et toutefois il
s’en fallait de beaucoup qu’il en fût ainsi, car il aspirait
en secret à tout quitter pour suivre Jésus-Christ
pauvre et crucifié. Il parla à sa pieuse épouse de ses
projets de retraite; celle-ci, loin de les contrarier, les
approuva; elle fit plus encore, elle lui déclara qu’elle
était disposée à suivre son exemple. C’est pourquoi,
après avoir, d’un commun accord, employé en bonnes
œuvres une partie de leurs biens et abandonné l’autre
à leurs parents, ils se retirèrent de la scène du monde
Geyla, pour aller se consacrer à Dieu dans un monas­
tère; Mengold pour embrasser les rigueurs d’une vie
pénitente.
Le noble comte, sans doute, ne s’était pas rendu
coupable de ces injustices criantes que commettaient
sans scrupules tant de puissants seigneurs de son
temps, mais sa conscience n’était pas pour cela sans
reproches et il se réfugiait dans la pénitence comme
dans un port assuré de salut. Lorsqu’il eut déposé la
vaillante épée dont il ne s’était jamais servi que pour
la bonne cause, et qu’il se fut dépouillé des vêtements
SAINTS MILITAIRES. — T. I. 27.
478 LES SAINTS MILITAIRES

somptueux qu’il avait coutume de porter, Mengold se


revêtit d’un cilice, mit des cendres sur sa tête, et, sans
'tenir aucun compte des vains jugements des hommes,
entra pieds nus dans la rude carrière des expiations.
Il la parcourut pendant sept années sans se relâcher
en rien de sa première ferveur et avec un courage
véritablement héroïque. Que de fatigues il eut à sup­
porter dans les différents pèlerinages qu’il entreprit!
Que d’humiliations n’eut-il pas à subir? Gomme le
Seigneur, il n’avait point où reposer sa tête, et comme
le dernier des mendiants il vivait du pain de l’aumône.
Sa prière était continuelle, sa mortification extrême,
et son humilité si profonde qu’il se croyait indigne de
pénétrer dans le lieu saint pour y prendre place au
milieu des fidèles. Il se tenait habituellement, pendant
l’office divin, à la porte de l’église, genoux en terre et
dans la posture d’un véritable criminel, et là il unissait
au sacrifice du Seigneur le sacrifice de son cœur contrit
et humilié. A la vue de cet homme qui avait autrefois
occupé dans le monde une situation si brillante, et qui
aujourd’hui, pauvre volontaire, portait si patiemment
dans ses membres la mortification de Jésus-Christ, on
était, comme malgré soi, ému jusqu’aux larmes, et il
y eut un très grand nombre de pécheurs que le spec­
tacle d’une vertii si admirable fit rentrer en eux-
mêmes.
Il y avait sept ans que l’illustre pénitent avait quitté
sa patrie, lorsqu’il y rentra. Dans ce voyageur de
chétive et maigre apparence, grossièrement vêtu, à
8 FÉVRIER 479

peine l’ombre du seigneur d’autrefois, qui aurait pu le


reconnaître? L’ancien comte alla se fixer dans les
environs de Huy et dans un lieu peu distant d’un ora­
toire qui avait été dédié à saint Timothée et à saint
Svmphorien. Pour habitation il n’eut qu’une pauvre
cellule, et c’est là qu’il voulut continuer la vie de
pénitence qu’il avait embrassée, priant sans cesse et ne
prenant de nourriture que la quantité nécessaire pour
ne pas mourir de faim. On accourait de toutes parts,
pour le voir, le consulter, se recommander à ses
prières, et lui, il se montrait bon et affable envers tous
ses visiteurs et cherchait à les édifier par de sages
conseils. Mais, hélas! pourquoi fallait-il qu’un crime
abominable privât ces populations du rare bonheur
de posséder un saint? Et cependant c’est ce qui arriva.
Il y avait dans la contrée quelques parents d’Inghelfrid,
ce juge inique que Richard, le neveu de Mengold, avait
frappé à mcrt; le démon, qui est homicide dès le com­
mencement, leur souffla au cœur de violents désirs de
vengeance; ils y consentirent et l’assassinat du servi­
teur de Dieu fut décidé. Le saint pénitent se rendait
un jour à l’oratoire de Saint-Timothée pour y prier,
lorsque tout à coup des gens armés sortent d’un bois
voisin, accourent vers lui et lui barrent le passage.
D’abord il pense avoir affaire à de vulgaires malfaiteurs,
et il veut par quelques bonnes paroles les détourner
de tonte mauvaise action, mais aussitôt l’esprit de
Dieu l’éclaire, et lui fait comprendre quels sont ces
hommes qui viennent ainsi l’attaquer; alors il renonce
480 LES SAINTS MILITAIRES

à toute résistance, élend ses bras en croix et bientôt


tombe à terre percé de mille coups.
Quelles ne furent pas, peu de temps après, la sur­
prise, la douleur, de quelques personnes, qui se ren­
daient à la cellule du saint pour l’y visiter, lorsqu’elles
aperçurent sur la route sa dépouille sanglante ! Elles
la recueillirent avec respect et sans tarder allèrent la
déposer dans l’oratoire de Saint-Timothée et Saint-
Symphorien. C’est dans ce même lieu que le corps du
martyr fut inhumé, après qu’on lui eut fait des funé­
railles magnifiques, et Dieu se plut à le glorifier par les
nombreux miracles qui s’opérèrent à son tombeau.
Le corps de saint Mengold demeura dans ce même
oratoire jusqu’aux jours où la fureur sacrilège des
Normands obligea les fidèles de l’en tirer pour le
cacher en lieu sûr, mais lorsque toute crainte de
profanation eut disparu, on le transporta dans l’église
de la bienheureuse Yierge, et là il fut placé auprès des
restes vénérables du saint confesseur Domitien.
On croit généralement que saint Mengold souffrit la
mort pour la justice en l’an de notre salut R92, le
8 février suivant certains auteurs et suivant d’autres le
28 août.

S ources L e s B o lla n d is te s , au 8 février. — B a v a r i a s a n c ta ,


auctore Radero, S. J., tome II.
IX e JOUR DE F É V R IE R

SAINT ANSBERT
CHANCELIER DE FRANCE, PUIS ARCHEVÊQUE DE ROUEN
CONFESSEUR, PONTIFE
695.

Ansbert naquit sous le règne de Clotaire III, fils de


Clovis II et de la reine Bathilde, à Chaussy, village
du Yexin, situé sur les bords de l’Epte. Siwin, son père,
qui était un noble franc, lui fit donner une éducation
conforme à sa fortune et à son rang. On ne peut douter
qu’Ansbert, comme la plupart des jeunes seigneurs de
cette époque, n’ait été instruit à l’école du palais
mérovingien. Ses progrès furent rapides, parce qu’il
était doué d’une grande vivacité d’esprit. Aussi se
rendit-il de bonne heure fort habile dans la science et
la pratique des choses divines et humaines. Dieu, qui
avait sur lui de grands desseins, lui accorda des grâces
singulières, et le jeune leude y répondit par de géné­
reux sacrifices : il fit en secret vœu de virginité et sut
garder son innocence au milieu des joies et des dis­
sipations de la cour.
Cependant l’aversion qu’il avait pour les vains plai­
sirs du monde ne put échapper à son père. Siwin, qui
n’avait qu’un fils, voulait le retenir dans la vie sécu-
482 LES SAINTS MILITAIRES

lière, espérant le voir arriver aux premières charges


du royaume. Il ne négligea donc rien de ce qui pouvait
changer les idées et les habitudes d’Ansbert : il chercha
à l’amuser et à le distraire par des festins, des parties
de chasse et des divertissements de tout genre.
Mais une épreuve bien plus grande était réservée à
la vertu du jeune seigneur. Siwin, voyant le peu de
succès qu'avaient obtenu jusque-là ses efforts, résolut
de l’engager irrévocablement dans le monde par les
liens d'un mariage. Il en parla à Robert, chancelier du
roi Clotaire III, et lui proposa d'unir sa fille Anga-
drême à son fils : la proposition était tout à la fois avan­
tageuse et agréable; elle fut immédiatement acceptée,
et le pieux jeune homme fut fiancé à la vertueuse An-
gadrême, sans qu'on eût consulté leurs désirs ni leurs
inclinations mutuelles.
Peu de temps suffit pour rompre ce projet qui n’avait
d’autre mobile que l'ambition et l’avantage temporel
des parents. Angadrême, qui unissait aux plus aimables
vertus tous les charmes de la jeunesse, fut tout à coup
frappée de la lèpre : Dieu répondait ainsi à la prière de
la jeune fille, qui l'avait conjuré de mettre un obstacle
à son mariage. En vain employa-t-on tous les remèdes
de l’art, ils ne faisaient qu’augmenter le mal c’est
alors que, profitant d’une question de son père, elle lui
déclara qu’elle avait promis à Dieu de vivre dans la
virginité et de se consacrer à son service. Le chance­
lier communiqua cette confidence à Siwin, et tous
deux, reconnaissant dans cette maladie extraordinaire
9 F É V R IE R 483

une marque de la volonté du Ciel, appelèrent Ansbert


pour demander son consentement à la rupture de
l’union projetée. Celui-ci la donna aussitôt de bon
cœur. On conduisit alors Angadrême à Rouen, où elle
elle reçut le voile religieux des mains de saint Ouen,
et fut presque au même moment guérie de son infir­
mité.
Pour Ansbert, il dut se rendre au palais avec son
père, et le roi ne tarda pas à remarquer en lui, à
travers sa modestie et sa réserve, une grande droiture
et une perspicacité d’esprit admirable. La place de
chancelier étant devenue vacante, il l’accorda au jeune
officier de la cour, à qui il confia en même temps la
dispensation des privilèges royaux. Malgré tous ces
honneurs qui semblaient le poursuivre, Ansbert sou­
pirait toujours après la solitude et la retraite : il aimait
à se recueillir devant Dieu, à le prier, à méditer sa loi
sainte, à marcher continuellement en sa présence, et il
cherchait à lui plaire en toutes choses.
Il y avait déjà plusieurs années que le vertueux
chancelier s’acquittait dignement de ses fonctions,
lorsque, pour suivre la volonté de Dieu qui l’appelait
à lui, il abandonna la cour, se rendit au monastère de
Fontenelle, en Normandie, et demanda au saint abbé
Vandrille de le recevoir au nombre de ses enfants. Sa
prière fut acceptée avec joie, et après les épreuves
ordinaires, il put revêtir l’habit monastique. Il devint
bientôt un modèle accompli de toutes les vertus. On
remarquait surtout en lui une humilité profonde, une
484 L E S S A IN T S M IL IT A IR E S

obéissance sans réserve et une patience admirable.


Son abbé lui ayant ordonné de se préparer à la récep­
tion du sacerdoce, il se rendit à Rouen, où il fut or­
donné prêtre par saint Ouen; il s’appliqua ensuite avec
ardeur à l’étude des livres sacrés, sans se dispenser
toutefois du travail des mains. Un jour qu’il travaillait
à une vigne plantée à quelque distance du monastère,
le prince Thierri, qui prenait de ce côté-là le divertis­
sement de la chasse, s’avança pour avoir la satisfaction
de le voir. Le saint moine lui donna quelques avis, lui
prédit qu'il régnerait, mais après avoir eu beaucoup à
souffrir de la part de ses ennemis. Les événements
justifièrent dans la suite cette prédiction.
Ayant été élu abbé de Fontenelle, il marcha sur les
traces de saint Vandrille et de saint Lantbert, ses
prédécesseurs. Pour s’exciter à remplir ses devoirs, il
en considérait sans cesse l’étendue et la difficulté. Ses
exemples ajoutaient une nouvelle force aux instructions
qu’il donnait à ses disciples. Il avait pour les pauvres
une charité singulière : il bâtit trois hôpitaux, où il en
nourrissait un grand nombre. Son exactitude à main­
tenir la règle n’avait rien d’austère ni de dur, et sa
grande maxime était qu’un supérieur doit moins cher­
cher à se faire craindre qu’à se faire aimer. Les fidèles
des environs venaient en foule le consulter sur l’affaire
de leur salut; il entendait la confession de leurs péchés
et leur prescrivait de sages règlements pour la conduite
de leur vie.
Après la mort de saint Ouen, arrivée en 683, il fut
9 F É V R IE R 4 * 5

élevé sur le siège archiépiscopal de Rouen, et sacré


par saint Lantbert à Clichy-lez-Paris, où Thierri III
avait convoqué les états du royaume. Devenu ensuite
confesseur du prince auquel naguère il avait promis
la couronne, il s’appliqua à l’aider sans cesse de ses
conseils dans le gouvernement des peuples. Mais pen­
dant qu’il prêchait, soulageait les pauvres, élevait des
églises et des hôpitaux, transférait les restes de saint
Ouen avec magnificence à la basilique qui devait porter
son nom, et enfin répandait dans tout son diocèse la
bonne odeur de Jésus-Christ par ses exemples et ses
bonnes œuvres, voici que l’envie et la haine s’appesan­
tirent sur sa tête. Une famille austrasienne, après avoir
grandi dans l’ombre, en était tout à coup sortie pour
marcher à l’accomplissement de ses ambitieux projets.
Les conseils d’Ansbert ne pouvaient qu’entraver ses
espérances. Pépin, chef de cette famille, devenu maire
du palais, arracha le saint évêque à ses ouailles, et le
relégua au fond du Hainaut dans le monastère de Haut-
mont.
Humblement soumis à la volonté de Dieu, le saint
évêque reprit avec bonheur les observances de la vie
monastique qu’il avait quittée malgré lui. Son humilité
et sa ferveur lui attirèrent la vénération des religieux
avec lesquels il vivait, et des peuples du voisinage qu’il
allait évangéliser. Son injuste condamnation ne servit
qu’à augmenter ses mérites et à faire briller au loin
l’éclat de ses vertus.
Quelque dure et imméritée que fût la disgrâce d’Ans-
486 LES S A IN T S M I L I T A I R E S

bert, elle fut impuissante à assouvir la haine de ses


ennemis, qui réclamèrent auprès de Pépin de nouvelles
sévérités contre le pontife. Pépin allait céder à ces
pernicieux conseils, lorsqu’il reconnut enfin l’inno­
cence du saint pasteur et lui permit de revoir son
troupeau. Mais la mission du bienheureux était accom­
plie ici-bas. En effet, il venait à peine de connaître la
fin de son exil, lorsqu’il tomba gravement malade. Ne
concevant aucun espoir de guérison, il ne s’occupa
plus que du voyage de l’éternité. Il demanda alors
qu’on célébrât en sa présence le divin sacrifice auquel
assistèrent tous les religieux de la communauté; puis
après avoir reçu le corps et le sang précieux de Jésus-
Christ, il fit sur lui-même le signe de la croix, donna
une dernière bénédiction à tous ceux qui l’environ­
naient et s’endormit paisiblement dans le Seigneur, le
9 février 695.
Dix-sept jours après la mort du saint, ses dépouilles
furent solennellement transférées du monastère de
Hautmont à celui de Fontenelle et, pendant le trajet,
plusieurs miracles furent opérés par sa puissante
inrercession.
Le corps de saint Ansbert fut plusieurs fois levé et
transporté en différents lieux. Saint Bain, évêque de
Térouane et depuis abbé de Fontenelle, le transféra de
l’église de Saint-Paul, où il avait été d’abord inhumé,
dans la nouvelle église de Saint-Pierre, bâtie dans le
même monastère. En 858, il fut reçu dans la province
du Ponthieu et, trente-sept ans plus tard (895), dans
9 F É V R IE R 487

la ville de Chartres pour le mettre en sûreté contre les


ravages des Normands. Poursuivis encore dans cette
ville, que les barbares vinrent assiéger à cette môme
époque, les religieux de Fontenelle se réfugièrent avec
leur précieux dépôt dans la ville de Bçulogne (900), et
enfin à Gand où ils arrivèrent le 3 septembre de
l’année 944. C’est dans ces lieux que les reliques véné­
rables de saint Ansbert furent, en 1578, profanées et
dispersées par les calvinistes qui détruisirent en môme
temps le monastère de Blandinberg, où elles reposaient
depuis plus de six cents ans.

S ources L e M a r ty r o lo g e R o m a in . — L es B o lla n c lis te s , au


9 février. — L’abbé Destombes V ie des S a i n t s d e C a m b r a i
e t d 'A r r a s . — L’abbé Sabatier : V ie s des S a in t s d e B e a u v a is .
X* JOUR DE FÉ V R IE R

SAINT PORPHYRE ET SAINT BAPT


SOLDATS, MARTYRS
202

Septime Sévère se montra d’abord assez favorable


aux chréliens. Mais, ou grâce au fanatisme de son
entourage, ou grâce à la paix de l’Empire enfin établie,
qui encourageaient à tout oser, ou enfin par suite de
sa colère contre les Juifs avec lesquels, comme Hadrien,
il aimait à confondre les chrétiens, Septime Sévère fut
entraîné. Il rendit (pendant son voyage de Palestine, à
ce qu’il semble) un édit où il défendait sous une peine
grave de se faire juif et appliquait la même interdiction
au christianisme (202).
C’est vers cette époque que le préfet Lucius fit
arrêter à Magnésie un très saint prêtre de Jésus-Christ,
nommé Caralampe. Ayant employé en vain les pro­
messes et les menaces pour déterminer ce vieillard à
sacrifier aux dieux, il entreprit de vaincre sa résistance
par les supplices. Cependant, comme le saint prêtre
montrait une patience invincible au milieu des plus
affreuses tortures, Lucius en fut tellement irrité que,
dans son emportement, il alla jusqu’à se précipiter sur
Caralampe pour le frapper. Mais dans le moment même
10 F É V R IE R 489

la justice divine se manifesta, et voilà que les mains


du sacrilège demeurèrent attachées au corps de sa vic­
time sans qu’il pût les en arracher. Saisi d’effroi et ne
sachant plus que faire, il finit par conjurer le martyr
de lui obtenir sa délivrance et il l’obtint en effet. A la
vue de ce double prodige, Porphyre et Bapt, deux sol­
dats qui remplissaient alors les fonctions de bourreaux,
furent tellement touchés de la grâce divine que, sur-le-
champ, ils se proclamèrent hautement chrétiens. Mais
l’ingrat préfet, attribuant à l’art de la magie tout ce
qui venait de lui arriver, voulut aussitôt s’en venger
sur Porphyre et Bapt, et lorsqu’il les eut fait cruelle­
ment torturer, il commanda de leur trancher la tête.

S ource L es B o lla n d is te s , au 10 février.

SAINT ZOTIQUE DE ROME, SAINT IRÉNÉE,


SAINT HYACINTHE DE ROME, SAINT AMANTIUS
SOLDATS MARTYRS

LES 10 BIENHEUREUX SOLDATS


MARTYRS A ROME SUR LA VOIE LAVICANE
Peut-être S.-Dècc.

« A Rome », dit aujourd’hui le Martyrologe Rom ain,


« les saints martyrs Zotique, Irénée, Hyacinthe et
490 LES S A IN T S M IL IT A IR E S

Amantius ». Et ensuite : « Encore à Rome, sur la voie


Lavicane, dix bienheureux soldats martyrs ». Mais
Zotique et ses compagnons doivent-ils être considérés
comme soldats? C’est ce qui paraît; car non seulement
les deux mentions n’en font qu’une dans la plupart des
martyrologes, mais encore elles sont jointes ensemble
dans un ancien manuscrit de Trêves de la manière
suivante « A Rome, les saints martyrs Zotique,
Irénée, Hyacinthe et Amantius et dix autres soldats. »
En outre, nous observerons avec Bollandus que le
manuscrit du Carmel de Cologne, et celui du monastère
de Saint-Cyriaque à Rome, ne s’expriment pas autre­
ment.
Galesini, et, après lui, Ferrari placent le martyre de
tous ces bienheureux soldats sous l’empire de Dèce.

S ources : L e M a r ty r o lo g e R o m a in . — L e s B o lla n d is te s , au
10 février.

SAINT ZÉNON D’ANTIOCHE


MESSAGER IMPÉRIAL, PUIS SOLITAIRE, CONFESSEUR
Vers 419.

Zénon naquit, dans le Pont, de parents qui possé­


daient de grandes richesses. Il embrassa la carrière
des armes et fit partie du corps des officiers qui avaient
mission de porter dans les différentes provinces les
10 FÉVRIER 491

messages de l’empereur. Mais lorsque Yalens eut péri


misérablement dans la sanglante défaite que les Goths
lui firent subir près d’Andrinople, en 378, Zénon ré­
solut d’abandonner le monde pour se consacrer uni­
quement au service de Dieu. 11 avait été préparé, depuis
quelque temps déjà, à ce grand sacrifice par Basile,
évêque de Césarée, dont la vive et douce éloquence
charmait son esprit et persuadait son cœur.
Ayant donc déposé le baudrier militaire et quitté
pour toujours le palais impérial, il se retira sur une
montagne voisine de la ville d’Antioche en Syrie, et
là, dans une grotte, qui était un véritable tombeau, il
vécut seul pendant quarante ans, purifiant son âme
par la prière, la méditation des choses divines et les
pratiques d’une austère pénitence (î).
La pauvreté du solitaire était extrême : il n’avait ni
flambeau, ni meuble, ni ustensile de cuisine, rien, en
un mot, de ce que l’on voit dans les habitations des
hommes; je me trompe, il y avait une natte placée sur
quelques pierres, mais c’était moins pour son usage
qne pour la commodité de ceux qui venaient le visiter.
Sa mortification égalait sa pauvreté, car il n’avait que
quelques haillons pour couvrir son corps, qu’une mau-

(1) Simili ac enim Valens e vita sublatus est, militiae cingulum


dcposuit : erat enim in ordine eorum qui Imperatoris litteras
celeritcr deferunt. Ex palatio autem in sepulchrum quoddam se
conferens (cujiismodi in monte Antiochiæ vicino sunt plurima)
solus ibi degebat, animam purificans, et I)ivinæ vacans contem-
plationi... ( E x v i t a S . Z e n o n i s , a p u d B o ll.)
492 LES S A IN T S M I L IT A IR E S

vaise chaussure pour garantir ses pieds et quelques


poignées de foin lui servaient de lit. Toute sa nourri­
ture consistait en un peu de pain qu'un de ses amis lui
procurait et en un peu d’eau qu’il allait chercher lui-
même assez loin, sans soulfrir jamais qu’on lui évitât
cette peine. Mais son âme trouvait dans les livres
sacrés et dans les pieux ouvrages une nourriture abon­
dante et délicate. Ce n’est pas toutefois qu’il possédât
une bibliothèque; non, mais il empruntait un livre à
quelque ami, le lisait tout entier, après quoi il le
rendait et en redemandait un autre.
Dans un genre de vie si différent de celui que mènent
la plupart des hommes, Zénon était parvenu en peu
de temps à un très haut degré de sagesse, et ceux qui
avaient le bonheur de converser avec lui en étaient
tout émerveillés. Cependant il se considérait lui-même
comme un homme dépourvu* de tout mérite et ayant
surtout beaucoup à apprendre des autres. Chaque di­
manche il se rendait à l’église, et là, mêlé dans la
foule du peuple, il écoutait avec attention la lecture
des livres sacrés et les instructions qu’on adressait
aux fidèles. Lorsqu’il avait reçu les saints Mystères, il
s’en retournait à sa grotte, bien assuré d’y retrouver
tout ce qu’il y avait laissé, quoiqu’il ne l’eût point
fermée. Et qu’avait donc besoin de clefs et de verrous
pour se défendre contre îes malfaiteurs ce pauvre
volontaire dont Dieu lui-même s’était constitué le gar­
dien? On le vit bien le jour où les Isaures, parcourant
la montagne et tuant avec fureur tous les solitaires
40 F É V R IE R 493

qu’ils purent y rencontrer, passèrent devant la grotte


de notre saint sans même l’apercevoir!
Ce qui étonnait le plus dans Zenon, ce n’était ni sa
pauvreté, ni sa mortification, ni même sa science
extraordinaire, mais son humilité profonde. Il semblait
s’ignorer lui-même. Théodoret raconte qu’ayant voulu
le visiter, il le rencontra portant deux cruches d’eau
qu’il était allé chercher au loin selon sa coutume, et
comme il ne le connaissait pas encore, il lui demanda
où demeurait l’admirable Zénon. Celui-ci pensa aus­
sitôt que ce titre ne pouvait convenir à sa chétive per­
sonne, et c’est pourquoi il répondit qu’il ne connaissait
pas de solitaire qu’on nommât ainsi. Une réponse si
modeste fit tout de suite comprendre à Théodoret que
c’était bien à Zénon lui-même qu’il s’était adressé.
Après l’entretien qu’ils eurent ensemble, le solitaire,
pour faire honneur au visiteur, l’invita à réciter la
prière d’usage, mais celui-ci n’en voulut rien faire, à
cause de son grand respect pour le saint vieillard, et
ce ne fut pas sans une véritable peine que Zénon se
résigna à élever la voix vers le Ciel, parce que Théo­
doret, bien que jeune à cette époque, remplissait déjà
dans l’Église les fondions de lecteur.
Nous avons parlé de la pauvreté du solitaire; elle
était d’autant plus méritoire que, dans le temps même
où il en recherchait les rigueurs, il était demeuré
possesseur de son immense fortune. Il n’avait pu, en
effet, s’en dépouiller lorsqu’il avait quitté le monde,
parce que ses frères étaient encore trop jeunes et que,
SAINTS MILITAIRES. — T. I. 28
4 9 /i LES S A IN T S M IL IT A IR E S

depuis, de graves obstacles avaient empêché le règle­


ment définitif des affaires de sa famille. Mais dès qu’il
fut maître de ses biens, il les employa en bonnes œuvres
avec beaucoup de générosité et de discernement.
Enfin vint pour Zénon l’heure suprême qu’il avait
tant de fois appelée de ses vœux. Il sortit donc de la
carrière de la vie, non pas comme les vainqueurs sor­
tent du stade, au vain bruit des applaudissements des
hommes, mais ce qui est bien autrement glorieux,
avec les applaudissements des anges qui reçurent sa
sainte âme et la portèrent en triomphe jusque dans
les tabernacles éternels.

S ources L e s B o llc in d is te s , au 10 février. — Théodoret,


P h i lo thée o u V ie s des S o lita ir e s .

SAINT GUILLAUME DE MALÉVAL


NOBLE GUERRIER POITEVIN PUIS ERMITE EN TOSCANE
ET FONDATEUR DE L’ORDRE DES GUILLELMITES, CONFESSEUR

1127.

Guillaume de Maléval était issu d’une très noble


famille du Poitou* Ayant embrassé la carrière des
armes, il s’y distingua par de brillantes qualités et sur­
tout par un courage indomptable (1). Mais il ne sut

(1) Eeatus Guilielnius ex comiüli fuisse fertur generc ortus. Ex


10 FÉVRIER 495

pas se préserver des vices trop communs aux gens de


sa profession, et peut-être fût-il demeuré bien des
années encore dans celte honteuse servitude, si Dieu,
par l’effet d’une grâce particulière, ne l’eût fait rentrer
en lui-même et pénétré de la plus vive componction.
Dès ce moment Guillaume ne songea plus qu’à satis­
faire à la justice divine par une rigoureuse pénitence.
C’est pourquoi afin que rien ne mît obstacle à sa géné­
reuse résolution, il abandonna tout, biens, honneurs,
famille, patrie et ensuite il se rendit à Rome pour
demander au Pape, qui était alors Eugène III, une péni­
tence proportionnée à ses fautes passées. Le Pape,
selon la manière dont on en usait alors envers les
grands pécheurs, lui imposa le pèlerinage de Jéru­
salem.
C’est en 1145 que Guillaume partit pour la Terre-
Sainte et il y passa huit ans. Là, sa prière était conti­
nuelle, sa mortification extrême, et, pour mieux châtier
son corps, il portait nuit et jour, sur la chair nue, une
cuirasse de fer qu’il tenait cachée sous un vêtement
grossier. Il revint ensuite en Europe et se retira, en
1153, dans un désert de la Toscane. Quelque temps
après, on le força de prendre le gouvernement d’un
monastère situé dans l’île de Lupocavio, près de Pise,
mais la conduite des religieux l’affligea si vivement
qu’il les quitta pour aller demeurer dans un autre
provincia namque Pictaviensi præclaram suam origincm duxit.
Bcllator acerrimus, utique armis ferox, hoc in ævo extitit.
( E x E p i to m e v i t æ a n t iq u æ . apud Boll.)
496 LES S A IN T S M IL IT A IR E S

monastère bâti sur le mont Pruno. Les religieux qui


l’habitaient ne valant pas mieux que les premiers, il
se détermina à mener seul un genre de vie qu’il avait
tâché inutilement de faire embrasser aux autres. Pour
cet effet, il se retira dans une vallée déserte, dont la
seule vue était capable déglacer d’horreur les hommes
même les plus intrépides. Cette vallée, située sur le
territoire de Sienne, dans le diocèse de Grosseto,
s’appelait alors l’Etable de Rhodes, nom qui depuis a
été changé en celui de Malévat ou mauvaise vallée.
Le saint pénitent entra dans cette affreuse solitude
au mois de septembre de l’an 1155. Il n’eut d’abord
d’autre demeure qu’une caverne souterraine; mais le
seigneur de Buriano l’ayant découvert, au bout de
quelque temps, lui fit construire une cellule. Il fut
quatre mois sans autre compagnie que celle des bêtes,
vivant des herbes qu’il leur voyait manger. Le jour de
l’Epiphanie de l’année suivante, il lui vint un disciple
nommé Albert, qui vécut treize mois avec lui, c’est-à-
dire jusqu’à sa mort, et qui écrivit ensuite les dernières
circonslances de la vie de son maître, dont il avait été
le témoin oculaire. Guillaume ne parlait jamais de lui-
même que comme du plus misérable de tous les
hommes, que comme d’un infâme pécheur qui méri­
tait la plus cruelle de toutes les morts de là, ce zèle
qui le portait à exercer sur son corps les plus grandes
rigueurs de la pénitence. Il couchait sur la terre nue,
et ne prenait pour toute nourriture qu’un peu d’eau et
du mauvais pain; encore se renfermait-il dans les
10 F É V R IE R 497

Bornes les plus étroites du besoin par rapport au boire


et au manger, disant que la sensualité pouvait se glisser
jusque dans la nourriture la plus commune. La prière,
la contemplation et le travail des mains absorbaient
tout son temps. C’était en travaillant qu’il instruisait
son disciple dans les plus sublimes maximes de la per­
fection; mais il l’instruisait bien plus efficacement
encore par ses exemples. 11 fut honoré du don des
miracles et de celui de prophétie. Sentant approcher
sa fin, il demanda les sacrements, qui lui furent ap­
portés par un prêtre delà ville de Châtillon-de-Pescaire,
et mourut entre les bras de son cher disciple, le
10 février 1157.
Un médecin, nommé Renaud, s’était joint à Albert
un peu avant la mort du saint : ils enterrèrent le corps
de leur bienheureux maître dans son petit jardin, et
s’appliquèrent à conformer leur conduite aux maximes
et aux exemples qu’il leur avait laissés; ils eurent la
consolation de voir plusieurs personnes pieuses em­
brasser le même genre de vie. Ces solitaires, dont le
nombre augmentait de jour en jour, bâtirent un
ermitage avec une chapelle sur le tombeau du saint
pénitent. Telle fut l’origine de l’ordre des Guillelmites
ou ermites de Saint-Guillaume.
S ources L e M a r ty r o lo g e R o m a i n .
— L e s B o lla n d is te s , au
10 février. — V ie s des S a i n t s , par Baillet et Godescard.

SAINTS MILITAIIlE S. — T . I 28.


X I e JOUR DE F É V R IE R

SAINT BENOIT D’ANIANE


OFFICIER DE LA COUR DE PÉPIN LE BREF
ET DE CHARLEMAGNE, PUIS MOINE ET FONDATEUR
DU MONASTÈRE D’ANIANE, CONFESSEUR
821.

Benoît était issu d’une noble famille de Goths, établie


dans la Gaule. Son père, Aigulfe, comte de Maguelone,
chevalier pieux et brave, voulait faire de son fils un
homme de guerre, habile à manier la pique et la lance;
il voulait en même temps en faire un bon chrétien.
Aussi, après avoir, pendant les plus tendres années,
façonné son cœur à la vertu et à la piété, il le conduisit
à la cour du roi, au milieu des jeunes fils des leudes
qu’on élevait dans le palais pour les former aux exer­
cices des armes. Benoît apprit à cette école tout ce
qu’un chevalier de son rang devait savoir, mais il
n’oublia pas les enseignements qu’il avait reçus sur
les genoux de sa mère. Les qualités de l’esprit répon­
daient aux grâces de son corps, aussi devint-il l’ami
de tout le monde. Le roi Pépin dit le Bref le prit en
particulière affection, il le fit d’abord son premier
échanson; mais ayant reconnu, depuis, qu’il avait de
grandes dispositions pour les armes, il lui donna un
11 F É V R IE R 499

commandement parmi ses troupes. Le jeune comte fit


paraître, dans toutes les rencontres, qu’il n’avait pas
moins de courage que son père, dont il imitait la
sagesse et la valeur.
Charlemagne, fils et successeur de Pépin, ayant pris
le gouvernement du royaume à la place de son père,
ne fut pas longtemps sans reconnaître par lui-même
le mérite distingué de Benoît; aussi ne manquait-il
pas de le conserver dans ses emplois et de le destiner
même à de plus hautes dignités il voulait l’avoir
toujours à ses côtés.
La bienveillance, le bon accueil et les grandes mar­
ques d’estime que le monarque témoigna, au jeune
héros, étaient de puissants motifs pour l’empêcher de
penser à autre chose qu’au brillant avenir qui lui
paraissait réservé. Mais ce fut dans ce temps-là même
que Dieu, qui voulait faire de Benoît un grand saint
plutôt qu’un grand capitaine, toucha son cœur et lui
fit connaître la vanité de toutes les grandeurs de la
terre. Aussi, reconnaissant de jour en jour que la plus
haute fortune à laquelle on peut aspirer auprès des
grands du monde est toujours fragile, il résolut de
chercher une gloire moins sujette aux caprices du
temps. Il garda toutefois son secret en lui-même et
ne le communiqua point à son père, qui, l’aimant ten­
drement, n’aurait pas manqué de s’opposer à sa réso­
lution. Dieu permit qu’il demeurât trois ans sans
trouver le moyen d’exécuter ce qu’il avait conçu; mais
s’il demeurait extérieurement et par nécessité à la
500 LES S A IN T S M IL IT A IR E S

cour, il avait toujours l'esprit élevé au ciel; il com­


mença à s’exercer dans la pratique de toutes les
vertus il se privait des plaisirs les plus innocents,
il passait les nuits dans la prière, il n’usait presque
plus de vin, il parlait fort peu, et il évitait toutes les
les compagnies dangereuses pour conserver une plus
grande pureté de cœur. Enfin il quitta l’épée pour se
charger de la croix; et.voici dans quelle occasion
il se détermina à rompre entièrement avec le
monde.
En 773, Charlemagne, sollicité par le Pape saint
Adrien, partait pour l’Italie, afin d’arrêter les dévasta­
tions de Didier, roi des Lombards. Benoît suivit le roi
des Francs et combattit son dernier combat sous les
murs de Pavie, pour la défense des droits du Saint-
Siège. Un de ses frères qui l'avait suivi dans la cam­
pagne, entreprit de passer à la nage la rivière du
Tessin, sans en avoir bien connu les dangers. Le pas­
sage était difficile : l’imprudent jeune homme, entraîné
par les eaux, allait périr, quand Benoît, qui était à
cheval, apercevant son frère en un pareil danger, se
jeta dans le ileuve. La violence du courant les eut
bientôt mis dans un commun péril, mais Dieu veillait
sur eux : les deux frères sortirent heureusement de
ce mauvais pas. Benoît reconnut la main de Dieu sur
lui; il fit vœu de ne plus différer sa retraite. De retour
à la cour, il découvrit son dessein au roi Charles, qui
ne consentit qu’à regret à se séparer de lui. « Si vous
me quittiez, lui dit-il, pour servir un autre prince, je
I l F É V R IE R 501

ne vous le permettrais pas, mais puisque c’est pour


servir le roi Jésus, je ne puis m’y opposer. »
Pour éviter les obstacles, Benoît n’avait découvert
son dessein qu’à un saint religieux aveugle nommé
Vitmar. Par son conseil, il feignit de faire un voyage
à Aix-la-Chapelle, où était la cour, et, en y allant, il
entra dans le monastère de Saint-Seine en Bourgogne,
renvoya les serviteurs qui l’accompagnaient et y prit
l’habit monastique. Il passa deux ans et demi dans la
pratique des plus dures mortifications, n’ayant d’autre
lit que la terre nue et d’autre nourriture que du
pain et de l’eau. Son abbé crut devoir modérer une
ferveur qui paraissait indiscrète, et pour le distraire
de son application trop continue aux exercices de
piété, il lui donna la charge de cellérier. Benoît l’exerça
avec exactitude, mais avec une charité qui lui gagna
les cœurs de ses frères, en sorte que, l’abbé de Saint-
Seine étant mort, toute la communauté jeta les yeux
sur lui pour le remplacer, quoiqu’il n’eût que cinq ans
de religion. Mais le saint moine, pour éviter cette
dignité, n’hésita pas à prendre la fuite.
Il partit donc de Saint-Seine, et se retira dans son
pays pour y édifier ceux qu’il pouvait avoir autrefois
scandalisés. Là, de concert avec le saint homme
Vilmar, il bâtit un petit monastère dans une terre de
son père sur le ruisseau d’Aniane, près de l’Hérault,
et y vécut dans la plus grande pauvreté avec quelques
disciples qui vinrent se ranger sous sa conduite. Ces
saints religieux ne possédaient ni vignes ni troupeaux.
502 LES S A IN T S M IL IT A IR E S

Ils ne buvaient de vin que le dimanche, et ne se nour­


rissaient les autres jours que de pain et d’eau, à moins
que quelques femmes du voisinage ne leur apportas­
sent du laitage par compassion. Leurs vêtements étaient
si misérables qu’à l’office de la nuit ils étaient obligés
de porter leurs couvertures de lit pour se garantir du
froid. Mais plus ils étaient dénués des biens de la terre,
plus ils étaient riches de ceux du ciel.
Cependant la régularité et l’austérité du monastère
d’Aniane attirèrent tant de disciples à Benoît, qu’il fut
obligé d’en bâtir un plus grand au même lieu. Mais en
agrandissant les bâtiments, il voulut conserver la
même pauvreté. Les toits n’étaient couverts que de
chaume et la liberté était rendue à tous les esclaves
que l’on donnait au monastère. Il n’usa d’abord pour
le sacrifice de la messe que de calice de bois; il en
eut ensuite de verre et d’étain. Le saint abbé consentit
enfin à se servir de vases d’or et d’argent; mais il
repoussa constamment l’usage des chasubles de soie,
et donnait à d’autres églises celles qu’on lui offrait.
Benoît fit voir que les pauvres trouvent souvent plus
de ressources dans la charité de ceux qui ont à peine
le nécessaire que dans le surperflu des riches. Pendant
la famine qui affligea la Gaule en 793, il fit mettre en
réserve ce qui était absolument nécessaire pour la
subsistance des moines jusqu’à la moisson, ordonnant
qu’on distribuât le reste aux pauvres. Les provisions
furent bientôt épuisées. Benoît commanda que les lar­
gesses fussent continuées, et dès lors, par un effet de
H F É V R IE R 503

la bonté divine, les pauvres trouvèrent, jusqu’à la fin


de la famine, leur pain de chaque jour dans les mains
du saint abbé.
Persuadé que toutes les bonnes œuvres ne sont point
méritoires sans la foi, Benoît conserva non seulement
ce précieux dépôt avec la plus parfaite fidélité, mais
encore il s’éleva fortement contre ses ennemis, notam*
ment contre Félix d’Urgel, qui attaquait la filiation
divine de Jésus-Christ. Il assista, en 794, au concile de
Francfort, où cet hérésiarque fut condamné; il composa
môme quatre traités pour défendre la vraie doctrine.
•Ce fut alors que, pour récompenser son vieil ami du
zèle qu’il avait déployé contre l’erreur, Charlemagne
lui fit bâtir, à Aniane, un splendide monastère, un des
plus beaux du royaume, au témoignage des historiens.
Ce monastère avait trois églises, dont la principale
était dédiée au Sauveur, la seconde à la sainte Vierge,
et la troisième, qui était dans le cimetière, à saint
Jean-Baptiste. Le cloître, enrichi de divers ornements,
était soutenu de colonnes de marbre. Mais le saint
abbé redoubla ses soins pour faire toujours habiter
l’esprit de pauvreté et de mortification dans ces somp­
tueux édifices*
Outre ses propres disciples, Benoît gouvernait encore
de nombreuses maisons de religieux. Préposé à tous
les monastères de Languedoc, de Provence et de
Gascogne, il établit dans tous une salutaire réforme;
On fait mention de douze principaux dont il était
reconnu le premier abbé* et la réputation de sainteté
504 LES S A IN T S M IL IT A IR E S

dont il jouissait était si grande, que chacun désirait ou


le voir, ou lui parler, ou l’aider dans ses entreprises.
Aussi Louis le Pieux, ayant quitté l’Aquitaine, dont il
avait été roi, pour prendre le gouvernement de l’empire
à la place de Charlemagne, son père, qui était mort,
ne put demeurer longtemps privé de la présence de
Benoît. 11 l’appela donc auprès de lui pour se servir de
ses conseils, et lui donna Maur-MunsLer, bâti en Alsace
par saint Léonard. Mais comme ce lieu était encore
trop éloigné de la cour, l’empereur, qui voulait avoir
Benoît près de son palais, lui ordonna de choisir aux
environs d’Aix-la-Chapelle quelque endroit convenable
pour y construire un monastère.
Benoît ne délibéra pas longtemps. 11 y avait environ
à six milles d’Aix-la-Chapelle un agréable vallon, arrosé
par un ruisseau nommé l’Inde et qui n’était hanté que
par les bêtes fauves. Le saint abbé désigna ce lieu
solitaire, et l’empereur y fit bâtir un fort beau monas­
tère, auquel il assigna des revenus pour l’entretien de
trente religieux.
Benoît en fut le premier abbé ; mais les affaires dans
lesquelles son zèle et sa charité l’entraînaient sans
cesse, ne lui permettaient que de rares séjours dans
cette retraite. Il ne pouvait se dispenser d’être presque
toujours à la cour pour le service des peuples et la
consolation du prince : il y était l’avocat des pauvres
et le protecteur des opprimés. On lui présentait les
placets qu’on voulait faire passer sûrement jusqu’à
l’empereur. Louis les recevait toujours avec plaisir de
11 FÉVRIER 505

sa main, et souvent ce prince, par une douce habitude


de familiarité avec ce saint abbé, fouillait dans ses
manches et dans ses poches pour les lui prendre.
Benoît profita de la bienveillance et de l’appui du
monarque pour étendre à l’Alsace ‘et aux provinces de
la Germanie les bienfaits de la réforme monastique, et
il réussit merveilleusement dans cette difficile entre­
prise.
On ne saurait s’étonner si dans le récit qui nous est
resté de sa vie, il est fait mention de nombreux mira­
cles attribués à sa vertu. Dieu ne refuse rien à ceux
qui ont tout quitté pour se consacrer à lui. Tantôt
c’était une inondation qui s’arrêtait à sa voix, tantôt
un incendie, dont sa parole, comme un vent puissant,
détournait les ravages; une fois il chassa, en priant,
une nuée d’insectes qui menaçaient la contrée; une
autre fois, sa bénédiction suffit pour protéger un reli­
gieux contre des brigands qui l’avaient déjà saisi. 11
savait lire au fond des cœurs il a ramené plusieurs
fois à leur devoir, par ce moyen, des religieux qui
étaient sur le point d’abandonner leur vocation, en
leur faisant connaître qu’il savait la déplorable dispo­
sition dans laquelle ils étaient. Ces grandes faveurs
que le saint abbé recevait du ciel, jointe à la singulière
bienveillance dont l’empereur l’honorait, ne manquè­
rent pas de susciter contre lui bien des envies, des
calomnies et des intrigues, mais il s’en mettait fort
peu en peine, et Dieu l’en faisait d’ailleurs aisément
triompher.
SAINTS MILITAIRES, — T . I . 29
506 LES SAINTS MILITAIRES

Yers la fin de sa vie, Benoît fut éprouvé par de


nombreuses maladies, qu’il supporta avec une parfaite
résignation. Il se trouvait à Aix-la-Chapelle près de
l’empereur, quand les maux dont il souffrait s’étant
aggravés, il fut obligé de se retirer au logis qu’il avait
dans la ville, et où, dès le lendemain, tous les seigneurs
de la cour s’empressèrent de lui rendre visite. L’empe­
reur, informé de la maladie de l’abbé Benoît, envoya
Tangulfe, son chambellan, pour le faire transférer
pendant la nuit à son monastère d’Inde. Le saint abbé
y arriva, le samedi matin 9 février 821, avec l’abbé
Élisacar, son ami le plus cher, qui ne le quitta point.
Sur les neuf heures du matin, Benoît pria qu’on le
laissât seul jusqu’à midi. Élisacar, étant rentré à midi
avec le prévôt du monastère, ils lui demandèrent com­
ment il se trouvait « Je ne me suis jamais si bien
trouvé, dit-il ; j’ai été jusqu’à présent parmi les chœurs
des saints et en présence du Seigneur. »
Le lendemain, qui était le dimanche, Benoît fit
appeler ses religieux pour leur donner ses derniers
conseils* et leur dit, entre autres choses édifiantes,
que depuis quarante-huit ans qu’il était moine* il
n’avait jamais pris son repas sans avoir auparavant
répandu des larmes devant le Seigneur. Le même jour*
il envoya quelques avis à l’empereur et à divers monas­
tères* et dicta deux lettres que nous avons encore.
Malgré sa maladie, il ne se dispensa pas un seul jour
de réciter l’office divin. L’ayant achevé le lundi, il
toulut chanter à la fin le verset Foies êtes juste,
11 FÉVRIER 507

Seigneury etc., mais, les forces venant à lui manquer,


il dit : « Je n'en puis plus; Seigneur, faites miséricorde
à votre serviteur. » En disant ces paroles, il expira
le 11 février l’an 821, dans la soixante-dixième année
de son âge et la quarante-huitième depuis son entrée
en religion au monastère de Saint-Seine. Il fut enterré
le 12 février, jour auquel on célèbre sa fête. Trois
jours après on ouvrit son tombeau pour mettre son
corps dans un cercueil de pierre que l’empereur avait
envoyé, et on lui trouva le teint plus vermeil qu’il ne
l’avait eu pendant sa vie. Les moines d’Inde envoyèrent
une relation de sa mort au prêtre Ardon, moine
d’Amaise, et le prièrent d’écrire la vie de leur commun
maître. Il l’écrivit en effet peu de temps après, sur ce
qu’il avait vu de ses yeux ou appris de témoins ocu­
laires.
Les reliques de saint Benoit d’Aniane sont toujours
demeurées dans le monastère d’Inde, appelé depuis de
Saint-Corneille, mais elles y ont été si bien cachées,
que jusqu’ici on n’a pu les y découvrir*

S ources au 2 février. — Jager,


L e s B o llc in d is te s , H is ­
to ire de V É g lis e c a th o liq u e en F r a n c e , livre XIIIe. — A c ta
S S . O . S . B . S æ c u l . Q u a r t. — L e s P e t i t s B o lla n d is te s .
X I I e JOUR DE F É V R IE R

SAINT DAMIEN D’AFRIQUE


soldat , martyr

Époque indéterminée.

« En Afrique, dit aujourd’hui le Martyrologe Ro­


m ain, saint Damien, soldat et martyr. »
Plusieurs anciens martyrologes font mention de
saint Damien, soldat et martyr, qu’il ne faut pas
confondre avec un autre saint Damien, martyr, dont
le corps fut à Rome dans les catacombes de Saint-
Callixte et donné, en 1640, par le pape Urbain VIII,
à la ville de Salamanque, en Espagne.

S ources L e M a r ty r o lo g e R o m a in . — L e s B o lla n d is te s , au
12 février.

SAINT JULIEN L’HOSPITALIER


NOBLE GUERRIER ET AMI DES PAUVRES, CONFESSEUR

Époque indéterminée.

On ignore le lieu et le temps auxquels vécut saint


Julien l’Hospitalier. Les Espagnols le réclament pour
12 FÉVRIER 509

leur compatriote et le font naître à Naples où son père


et sa mère, originaires d’Aragon, s’étaient retirés.
Nous empruntons à saint Antonin, archevêque de
Florence, les détails qui suivent :
« Vivant encore sous la conduite de ses nobles pa­
rents, et poursuivant un cerf dans la campagne, Julien
entendit une voix, comme sortant de la bouche de cet
animal, qui lui dit : « Pourquoi me poursuis-tu, toi qui
« ôteras la vie à ceux qui te l’ont donnée? » Ce jeune
homme, extrêmement affligé de cette prédiction, résolut
dès lors de s’enfuir bien loin de la maison de son père,
de crainte de tomber quelque jour dans le malheur
dont il se voyait menacé. Il sortit donc secrètement
et se retira dans un pays fort éloigné où il s’attacha
au service d’un prince qui, admirant sa belle conduite
à la cour et sa bravoure à la guerre, lui confia un
commandement important dans son armée. Ce prince
voulut encore récompenser le digne officier en lui
faisant épouser une noble veuve et, pour cadeau de
noces, il leur donna un beau château (1).
Il arriva un jour que le père et la mère de Julien,
qui vivaient encore, ne pouvant plus supporter la
longue absence de leur fils dont ils n’entendaient point
parler, résolurent de voyager eux-mêmes par le monde

(1) Ad regioncm vaîde remotam pergens, et cuidam principi ibi


adhæsit, et tam strenue et in bello et in palatio se gessit, qnod
princcps ille militcm eum fecit, et quamdam Castellanam nobilem
viduatn ei conjngem tradidit, castellum pro dote tribuens. (E x
v it a S . J u lia n i , apud Boll.)
510 LES SAINTS MILITAIRES

et de le chercher. Après quelque temps, ils rencon­


trèrent enfin son habitation, d’où, par hasard, il était
alors absent. La châtelaine reçut avec beaucoup de
courtoisie les deux vieillards, et, s’informant des
causes de leur voyage, elle apprit par leurs discours
qu’ils étaient le père et la mère de son mari. C’est
pourquoi elle les reçut le mieux qu’il lui fut possible;
et, pour leur témoigner son respect et son affection,
elle voulut qu’ils reposassent la nuit dans sa propre
chambre à coucher. Lorsque le matin fat venu, elle
s’en alla à l’église pour y faire ses prières, selon sa
coutume.
Cependant Julien, qui ne savait rien de ceci, revint
chez lui et entra dans sa chambre; apercevant un
homme dans son lit avec une autre personne, il s’ima­
gina qu’il avait devant les yeux deux adultères ; saisi
de douleur, il tira son épée, la plongea dans le sein de
l’un et de l’autre et les laissa sans vie. Cela fait, il
sortit tout effrayé; mais il le fut encore bien plus,
quand il aperçut sa femme qui revenait de l’église, et
qu’il apprit le funeste accident qui lui était arrivé.
Saisi d’effroi, il ne voulut plus rentrer dans son châ­
teau, mais résolut d’aller sur l’heure en quelque lieu
désert pour y faire pénitence. Sa femme désolée lui
déclara qu’elle le suivrait partout où il irait.
Après un voyage à Rome où l’infortuné Julien se fit
absoudre par le Pape, les deux époux se retirèrent
auprès d’une rivière dont le passage était extrêmement
dangereux et firent bâtir sur le bord un hôpital en
12 FÉVRIER 511

faveur des pèlerins. Là ils vécurent l’un et l’autre dans


une pénitence continuelle et au service des pauvres;
surtout Julien, qui leur faisait passer le fleuve par
charité, et leur donnait ensuite l’hospitalité. Une nuit,
au milieu de l’hiver, il entendit comme la voix d’un
pauvre qui l’appelait pour passer l’eau. A cette voix il
se réveilla, sauta de son lit, et alla promptement
obliger ce pauvre, qui paraissait malade et tout cou­
vert de lèpre; il l’emmena dans sa maison et le plaça
auprès du feu, mais voyant qu’il ne pouvait le ré­
chauffer, il s’avisa de le coucher dans son lit. Alors le
malade parut brillant comme un soleil, et, prenant
congé de son hôte, il l’assura que Dieu avait agréé sa
pénitence, et que bientôt il reposerait lui-même dans
le sein du Seigneur. La parole de l’ange ne tarda pas
à s’accomplir, car peu de temps après la merveilleuse
apparition, Julien et sa femme, chargés de bonnes
œuvres et de mérites, allèrent en recevoir au ciel la
récompense éternelle.
En mémoire de sa grande charité, saint Julien a été
surnommé le Pauvre ou l’Hospitalier. C’était autrefois
une dévotion fort répandue que les voyageurs embar­
rassés récitassent un Pater en son honneur pour
obtenir un bon logis. Il était aussi en beaucoup d’en­
droits le patron d’hospices où l’on n’avait qu’à se
présenter comme voyageur pauvre, pour être hébergé
pendant trois jours. Cet ancien et louable usage subsiste
encore à Anvers.
L’église de Saint-Julien-le-Pauvre, à Paris, possé­
512 LES SAINTS MILITAIRES

dait un curieux bas-relief du quatorzième ou quinzième


siècle, représentant saint Julien et sa femme, passant
l’eau avec Jésus-Christ qu’ils ont pris pour un lépreux.
Saint Julien est particulièrement honoré en Italie, en
Espagne et en Belgique. Dans ce dernier pays, on le
représente en habit militaire, tenant une petite barque
sur la main et ayant un cerf auprès de lui.

S ources : L e s B o lla n d is te s , au 29 janvier. — L e s P e t i t s


B o l ta n d is tes, au 12 février.

SAINT CONSTANCE
COMTE ITALIEN, TUIS RELIGIEUX DE L’ORDRE DES HUMILIÉS
COr^FESSEUR

XIIe siècle.

Issu d’une noble famille d’Italie, Constance avait le


titre de comte. Il passa d’abord quelques années dans
la profession des armes, et puis il ne songea plus qu’à
jouir des avantages que lui procurait une très grande
fortune. Mais un jour qu’il était entré dans une église,
il entendit prêcher sur ces paroles de Notre-Seigneur :
« Si vous voulez être parfait, allez, vendez ce que vous
avez et donnez-le aux pauvres. » Ces paroles le tou­
chèrent profondément, il lui sembla que c’était à lui
en particulier que le prédicateur s’adresait, et dès ce
12 FÉVRIER 513

moment il résolut de ne plus rechercher désormais que


les biens spirituels et d’employer toutes ses richesses
en bonnes œuvres. Fidèle à sa résolution, il fit bâtir à
Conches, lieu situé dans les environs de la ville de
Brescia, une églis^en l’honneur de la Mère de Dieu, et
un monastère destiné à des vierges chrétiennes. On
rapporte que dans le temps où les ouvriers préparaient
les charpentes nécessaires à la construction, une co­
lombe vint prendre dans son bec des menus morceaux
de bois et alla les disposer successivement de distance
en distance, comme pour indiquer l’endroit précis des
fondations du nouvel édifice. Ensuite Constance fit
encore bâtir en différents lieux vingt-quatre églises.
Enfin, après avoir employé en bonnes œuvres tout ce
qu’il possédait et n’ayant plus rien à donner que lui-
même, le noble comte se donna à Dieu sans réserve
en entrant dans l’ordre des Humiliés, qui était alors
dans toute sa ferveur. C’est là qu’il acheva de se sanc­
tifier par la pratique des vertus religieuses, et déjà sa
sainteté avait brillé d’un vif éclat lorsque Dieu l’appela
à la récompense éternelle. On ignore l’époque de sa
bienheureuse mort; mais quelques auteurs, et Bucelin,
entre autres, veulent qu’elle ait eu lieu dans la seconde
moitié du douzième siècle.

S ources L e s B o lla n d is te s , au 12 février. — Bucelin,


M e n o lo g i u m B e n e d i c t i n u m .

SA1NTT3 MlfiTTAlRES. — T. 39.


X II I e JOUR DE F É V R IE R

SAINT POLYEÜGTE ET SAINT NÉARQUE


OFFICIERS DE L’ARMÉE ROMAINE, MARTYRS

Vers 259.

Au temps des empereurs Dèce et Valérien, vivaient


dans les contrées orientales, deux hommes de guerre,
Néarque et Polyeucte, que les liens de l’amitié unis­
saient plus étroitement que si la naissance eût établi
entre eux les liens du sang et de la parenté. En effet,
leurs âmes étaient liées par une si vive affection
mutuelle et par un accord si parfait, que chacun d’eux
croyait vivre et respirer dans le corps de son ami.
Néarque était un chrétien remarquable par sa foi et sa
piété; mais le noble Polyeucte était gentil, et n’avait
pas encore été illuminé de la splendeur de la vérité.
Du reste, s’il n’avait pas encore les dehors du chris­
tianisme, il en possédait l’esprit, et s’appliquait à orner
son âme de toutes les vertus ; c’était un olivier fécond
auquel il ne manquait plus que d’être planté dans la
maison de Dieu.
Or Dèce et Valérien ne faisant pas de l’empire le bon
usage qu’ils auraient dû, osèrent même lever une main
impie et sacrilège contre Celui qui le leur avait conféré;
13 FÉVRIER 515

et, en effet, ils voulurent contraindre les habitants de


l’empire à rendre les honneurs divins à des simulacres
encore plus dépourvus de sentiment que la pierre et le
bois. Ils firent donc publier qu’on allait décerner des
récompenses à ceux qui obéiraient à leurs édits et, au
contraire, punir, par des supplices et enfin par la mort,
ceux qui refuseraient de s’y soumettre.
Néarque alors craignait pour son ami, et il se per­
suada que la diversité de culte allait amener la rupture
de leur amitié. Polyeucte, le voyant livré à de dou­
loureuses pensées, l’interrogea affectueusement pour
savoir le motif de son affliction. Néarque s’efforça de
dissimuler son angoisse ; mais ses yeux remplis de
larmes le trahirent « Je dois garder le silence, lui
dit-il, car en ceci ton amitié ne pourrait me consoler.
— Est-ce que je t’ai offensé en quelque chose? » ré­
pondit Polyeucte.
A ces mots, Néarque n’y put tenir davantage, a Cher
ami, lui dit-il, c’est en pensant à notre prochaine
séparation que mon âme est accablée de tant de tris­
tesse. » Polyeucte fut comme foudroyé et s’écria
« D’où pourrait venir cette séparation que la mort
même ne saurait opérer. »
Polyeucte ne pouvant encore entrevoir où tendaient
de pareils discours, soudain se lève, embrasse son ami,
et le tenant étroitement serré, lui dit « Explique-toi,
car je ne puis plus supporter cette réserve si peu ami­
cale. » Néarque regarda fixement son ami, et tout en
lui dénotait une âme en proie aux plus violents senti­
516 LES SAINTS MILITAIRES

ments. Il ne put se contenir plus longtemps et s’écria :


« C’est cet édit de l’empereur, ô très cher Polveucte,
qui va nous séparer à jamais. »
Polyeucte comprit parfaitement ce que signifiaient
ces paroles; mais à l’instant une pensée que Dieu lui
envoya vint relever son esprit abattu; car repassant en
sa mémoire une vision qu’il avait eue, et jugeaut
qu’elle était adaptée à la circonstance présente, il se
sentit aussitôt pénétré de joie et d’allégresse, puis il
s’empressa de faire part de cette vision à son ami, et
lui dit : « Il y a quelque chose, Néarque, qui empê­
chera cette séparation de s’exécuter, car j’ai vu le
Christ que tu adores s’approcher de moi, me dépouiller
de ce méchant habit dont je suis recouvert, et me
revêtir d’un vêtement précieux qui pourrait dire sa
beauté et son éclat? Il le fixa sur mes épaules avec une
agrafe d’or, puis il me donna un cheval ailé. » Telle
était la vision qu’avait eue Polyeucte ; il ne la racon­
tait pas par vanité, mais parce qu’elle exprimait ce
qui allait arriver. En effet, l’échange d’un méchant
vêtement pour un meilleur eut lieu lorsqu’il passa de
la milice terrestre dans les. rangs de l’armée du Christ.
Et ce cheval ailé, que pouvait-il signifier autre chose
que sa prompte ascension de Ja terre au ciel?
Néarque, entendant ces choses, tressaillit de joie,
et dans son allégresse, il lui dit « Connais-tu le
Christ? Ce Christ, Polyeucte, qui est vraiment Dieu. »
Polyeucte lui répondit « Comment aurais-je pu
l’ignorer? Quand tu parlais de lqi, est-ce que mou
13 FÉVRIER 517

âme n’était pas saisie de crainte? Est-ce que la lecture


que tu faisais de ses discours ne me ravissait pas
d’admiration? Le nom seul de chrétien me manquait,
puisque je l’étais par sentiment, et que déjà je me
disposais à m’enrôler au service du Seigneur Christ,
disant dès lors un éternel adieu à l’idolàtriexiles faux
dieux. Que faisons-nous donc, ô Néarque? Pourquoi ne
nous déclarons-nous pas publiquement les serviteurs
du Christ? Mais avant instruis-moi sur quelques points
de la vie de l’esprit. Je crains que, si je m’approche du
Sauveur sans expiation et sans avoir reçu les mystères,
je ne sois pas agréable à ses yeux, ni digne d’être
admis au nombre de ses soldats. » Néarque se leva
soudain, et dit « Sois sans inquiétude, tendre ami,
car il est écrit que Dieu peut, de ces pierres mêmes,
faire des enfants d’Abraham, c’est-à-dire que les Gen­
tils peuvent être sauvés par Jésus-Christ. Il est encore
écrit que les ouvriers qui sont allés travailler à la
dernière heure seront récompensés, comme ceux qui
sont allés travailler à la première ; en sorte que, quoique
venu tard, tu seras récompensé comme les premiers.
Vois le larron qui fut crucifié avec Jésus-Christ : une
simple et courte parole lui obtint le ciel, comme s’il
l’avait gagné par de nombreux mérites. »
Ce discours fit naître dans l’âme de Polveucte une
grande confiance. « Tout cela, dit-il, nous manifeste
clairement que l’un de nous doit subir le martyre; je
me représente par la pensée tout ce qu’il y a beau dans
le ciel, comme si je le voyais présent devant moi; je
518 LES SAINTS MILITAIRES

vois le Christ devant mes yeux, et mon visage est tout


illuminé par l’éclat de cette vision. Mais il est temps
que nous lisions l’édit des empereurs, afin que nous
sachions ce qu’il exige de nous. » Il saisit l’édit, et
après l’avoir lu, il le déchira en mille morceaux qu’il
jeta au vent; se retournant ensuite, il aperçut qu’on
transportait les idoles qui allaient être placées sur des
autels pour y recevoir des adorations insensées. Il
feignit de s’approcher de l’autel d’un air calme. Là, il
prend les idoles les unes après les autres, les brise,
contre terre et les réduit en poussière.
Cette action attira sur les lieux son beau-père Félix
que les empereurs avaient chargé de diriger la persé­
cution; il se montra d’abord courroucé, puis touché
d’une affection humaine et d’une compassion très sen­
sible envers le saint, il lui parla ainsi « Polyeucte,
consens du moins à vivre jusqu’à ce que tu aies vu ton
épouse. — Et comment, répondit le saint, me met­
trais-je encore en peine d’une épouse et des enfants,
moi qui ai rejeté tout soin des choses humaines, pour
n’occuper mon esprit que des biens célestes et incor­
ruptibles? Si ta fille veut me suivre, cette pensée du
ciel et cette espérance des mêmes biens la rendront
heureuse; sinon elle périra avec vos dieux. » Félix
versa d’abondantes larmes, car il avait perdu tout
espoir. « Malheur à moi, s’écria-t-il, l’art magique
du Christ a précipité Polyeucte dans l’erreur. — Je
le confesse, répondit Polyeucte, c’est par le Christ
que j’ai été appelé à la connaissance de la vérité. C’est
13 FÉVRIER 519

lui qui, par sa grâce bienfaisante, m’a rendu digne


d’être son soldat et d’en porter le nom. »
Comme il parlait ainsi, ceux qui persécutaient les
saints s’approchèrent, et se saisissant de la personne
du matyr, ils le frappaient à la bouche. Mais le géné­
reux Polveucte se mettait peu en peine de ces coups,,
car il voyait à ses côtés Jésus-Christ qui avait souffert
pour lui, et avec ce refuge assuré il méprisait tous les
maux qu’on pouvait lui faire endurer, môme les fouets
dont on menaçait son corps.
Il allait avoir à lutter contre une autre épreuve; son
beau-père et sa femme se présentèrent en répandant
des larmes, et en manifestant la plus vive douleur;
mais le martyr, qui n’ignorait pas les embûches du
démon, se redressa dans toute sa fermeté, et opposa à
l’émotion que lui causa d’abord la vue de leurs larmes,
toute l’énergie de sa foi ; puis il parla ainsi à son beau-
père d’un ton grave et pénétrant « Serviteur de pro­
fanes idoles, pourquoi par tes larmes et celles de mon
épouse cherches-tu à me faire renoncer à la confession
de ma foi dans le Christ? Et pourquoi pleures-tu sur
Polyeucte? Tu devrais bien plutôt pleurer sur toi-
même, en songeant que, après avoir temporellement
servi des princes qui doivent bientôt périr, tu seras
livré à un feu éternel. » Regardant ensuite sa femme
qui pleurait amèrement et lui disait « Que t’est-il
donc arrivé, Polyeucte? Par quelle tromperie as-tu été
amené à briser nos douze dieux? » le martyr sourit
doucement et dit « Si moi seul j ’ai vaincu et brisé les
520 LES S A IN T S M IL IT A IR E S

douze dieux, te voilà maintenant complètement privée


de divinités. Courage donc, Pauline, écoute-moi; je
t’enseignerai la connaissance du vrai Dieu; hâte-toi de
l’adorer et d’échanger cette courte vie pour une autre
qui est éternelle. »
Durant cet entretien, les persécuteurs, voyant avec
dépit que'l’exemple de Polyeucte convertissait à la foi
chrétienne un grand nombre de gentils pressèrent sa
condamnation à mort. Lorsqu’on lui signifia la sen­
tence, il parut à peine ému. L’épreuve était terrible
pour un jeune converti, jouissant comme lui des dou­
ceurs et des charmes de la vie! 11 laissa bientôt pa­
raître une grande joie, comme quelqu’un qui commen­
cerait à jouir de la béatitude du ciel. Il répétait à ceux
qui étaient présents : « J’ai vu un jeune homme tout
céleste s’approcher de moi, m’adresser la parole et
m’engager vivement à oublier toutes les choses ter­
restres. »
Ah! qui pourrait, ô Polyeucte, proférer un éloge qui
soit digne de toi? Tu allais mourir et recevoir dans
ton sang le divin baptême et le signe du Christ. O âme
généreuse tu n’as pas pour cela oublié l’amitié de
Néarque; car l’ayant aperçu « Va, Néarque, lui dis­
tu, et souviens-toi de notre alliance. » Laissant cette
parole à ton généreux ami, tu cours vers le glaive et,
par son tranchant, tu reçois joyeusement la mort.
Les frères qui étaient présents s’empressèrent de
déposer son saint corps à Méütène, ville d’Arménie.
Qr? il s’écoula quatre jours entre la mort de Polyeucte
13 FÉVRIER 321

et la déposition de son corps. Néarque était présent


aussi, il prit du sang du martyr sur un linge fin, et le
porta dans la ville de Gananéote, à laquelle il donna
ainsi un précieux héritage.
Néarque lui-même ne devait pas tarder à rejoindre
son ami, car il fut* peu de temps après, arrêté comme
chrétien et condamné à périr par le feu. On l’entendit
s’écrier au milieu des flammes « O Christ, Sauveur
des hommes, ce ne sont point ces flammes qui m’arra­
chent à la vie de ce monde, mais le vif et ardent désir
que j’ai de m’unir à toi. »
L’Église d’Orient célèbre la fête de saint Néarque le
22 avril; mais nous avons voulu réunir dans nos
hommages ceux qu’une même amitié unit sur la terre
et qu’une même gloire couronne à jamais dans le ciel.
Il y avait à Mélitène, dans le quatrième siècle, une
église de Saint-Polyeucle, où saint Euthyme allait sou­
vent prier. Il y en avait aussi une magnifique à Cons­
tantinople, sous l’empereur Justinien les hommes y
faisaient leurs serments les plus solennels. Nos rois de
la première race confirmaient leurs traités parle nom
du saint martyr Polyeucte.

S ources L e M a r ty r o lo g e R o m a i n . — au
L es B o lla n d is te s ,
13 février et au 22 avril. — A c te s des m a r t y r s , traduits par
les PP. Bénédictins. — L es P e tit s B o l la n d is te s .
522 LES S A IN T S M I L I T A I R E S

SAINT LÉZIN
DUC DES ANGEVINS, PUIS ÉVÊQUE p’ANGERS
CONFESSEUR PONTIFE

605.

Lézin naquit vers l’an 530. Il appartenait par sa


naissance la famille des rois de France. Son père,
qui était lTin des plus puissants leudes de la cour de
Clotaire Ier, lui fit donner une éducation très soignée
et lorsqu’il eut achevé ses études, il le présenta au
monarque, qui l’accueillit avec beaucoup de bienveil­
lance. La noblesse et la beauté de ses traits, la sagesse
et la prudence de sa conduite, la maturité et la pureté
de ses mœurs, l’affabilité de sa conversation, la foi vive
qui dominait dans toutes ses actions, lui concilièrent
dès lors l’affection et l’estime, non seulement du fils de
Clovis, mais encore de tous les hommes les plus in­
fluents et les plus recommandables de la cour. Le
monarque lui donna bientôt une preuve de sa prédi­
lection, en lui conférant avec le baudrier militaire,
la dignité de connétable, qui dès lors, sans avoir
l’importance qu’elle eut depuis en France, donnait à
celui qui en était revêtu un rang distingué parmi les
premiers officiers du palais et de l’armée.
On sait que la guerre était l’élément ordinaire des
mérovingiens. Lézin fut donc plus d’une fois appelé
sur le champ de bataille, et prit une part active, soit
43 FÉVRIER 523

aux combats nombreux livrés par Clotaire contre les


tribus rebelles et les peuples voisins des frontières de
ses Etats, soit aux troubles intérieurs qui suivirent de
près la mort de ce prince, arrivée en 56t. Le biographe
du saint remarque même que Lézin se distinguait par
son habileté dans l’art de la guerre et que le Ciel,
secondant sa bravoure toujours fortifiée par la prière,
jeta plus d’une fois à son approche l’épouvante dans
les rangs ennemis.
Clotaire, avant de mourir, avait voulu donner une
dernière preuve de la haute considération dont jouis­
sait auprès de lui son jeune connétable, et l’avait
honoré du gouvernement des frontières armoricaines,
avec le titre de comte et de duc des Angevins. L’empire
des Francs, qui avait été possédé en entier par Clotaire,
ayant été partagé entre les quatre fils de ce monarque,
Lézin put venir habiter la capitale de l’Anjou. Il avait
alors trente et un ans. L’estime générale dont il était
entouré à la cour empêcha Chilpéric, sous la domina­
tion duquel tomba l’Anjou, de confier à un autre la
charge importante que possédait Lézin, son proche
parent.
Doué, dès le bas âge, d’une discrétion précoce, le
jeune prince avait perfectionné cette qualité précieuse
au contact du monde et des affaires. Esprit éclairé, il
comprit toute l’étendue de ses devoirs et les besoins de
sa haute position, et on le vit marcher au milieu des
écueils du gouvernement avec autant d’assurance et
d’habileté que s’il eût eu une longue expérience des
524 LES S A IN T S M I L I T A I R E S

hommes et des choses. C'est que le Seigneur était avec


lui. Après les heures consacrées à sa charge, il n’avait
pas de plus doux passe-temps que la prière, la lecture
des livres saints et la visite des pauvres. Déjà la pro­
vince commençait à goûter un bonheur depuis long­
temps inconnu, lorsqu’un événement inattendu vint
renverser cette félicité. Chilpéric, de concert avec le
père, les parents et les amis de Lézin, voulut récom­
penser la fidélité de ce digne magistrat en lui donnant
une épouse digne de lui. Lézin, qui avait toujours
chéri la virginité comme sa vertu de prédilection, et
avait su vivre dans les camps avec la retenue d’un
religieux, répugnait vivement à celte résolution. Mais
comment éviter la volonté formelle de son père et
celle du roi? Il consentit donc à l’union projetée, et se
laissa fiancer à une princesse de son rang.
Déjà le jour de la solennité nuptiale était fixé,
lorsque Dieu intervint directement, et renversa par un
miracle tous ces beaux rêves de l’avenir. La jeune
fiancée fut tout à coup frappée de la lèpre. Chilpéric
ne pouvant méconnaître le doigt de Dieu dans cet
accident étrange consentit à ce que son leude fidèle
se démît de sa charge pour se consacrer uniquement
au service de Dieu. Le jeune prince vendit aussitôt
tout ce qu’il possédait en propre, et après avoir tout
distribué aux pauvres, aux églises et aux monastères,
.il se retira, d’après un ancien manuscrit de ses actes,
dans le monastère de Chalonnes.
Il y avait six ans que Lézin édifiait ses frères par
13 F É V R I E R 525

l’exemple de ses vertus, lorsque l’éveque d’Angers, le


débonnaire Audouin, vint à mourir. C’était vers l’an 586.
Les seigneurs de la province, qui, par leur influence,
dirigeaient les élections épiscopales, jetèrent les yeux
sur leur ancien compagnon d’armes, dont la renommée
proclamait partout l’éminente sainteté. Dans cette cir­
constance, l’autorité du jeune roi Clotaire II, ou plutôt
de Frédégonde, sa mère, fut mise au service de la
volonté de Dieu. Saint Lézin fut élu d’une voix una­
nime, et acclamé avec enthousiasme ; lui seul était
dans la tristesse. Il résista et voulut s'enfuir; et la
violence seule put le contraindre à demeurer dans
l’église. Quelques jours après, le métropolitain, le
célèbre saint Grégoire de Tours, lui conférait le carac­
tère épiscopal.
Dès le premier jour il parut ce qu’il devait ctre,
c’est-à-dire l’un des plus saints pontifes de son siècle.
Son historien résume en ces termes les œuvres de son
épiscopat : « Il répandit dans les cœurs la semence de
la parole de Dieu, veilla avec la sollicitude d’une mère
au salut des âmes et des corps qui lui étaient confiés,
arracha à la servitude un grand nombre de captifs, et
fît des veuves et des affligés l’objet de ses soins
assidus. Son immense prodigalité envers les pauvres
était si connue des contrées les plus éloignées, que
d’innombrables troupes de mendiants accouraient, sur
la foi de la renommée, pour solliciter son assistance. »
Grand avec les grands, petits avec les petits, il se
faisait tout à tous, sans acception de personnes, pour
526 LES SAINTS MILITAIRES

les gagner tous à Jésus-Christ. Afin d’attirer sur ses


œuvres la bénédiction du Ciel, il s’exerçait aux actes
les plus admirables de l’humilité chrétienne. On le
vit couvrir la nudité du pauvre, laver et essuyer les
pieds et les mains du mendiant avec cet amour dont
les saints seuls ont le secret. Non seulement il portait
un vêtement grossier, mais encore sous cette robe
vulgaire, il cachait un cilice de crin, comme les plus
austères solitaires. Sa nourriture de prédilection était
du pain d’orge trempé dans de l’eau.
Vers 599, Lézin eut la douleur de perdre son père,
qui était Warnachaire ou Garnier, .maire du palais du
roi Thierry. Et nous voyons que lui-même, malgré son
horreur pour les honneurs terrestres, il fut contraint
d’accepter cette charge aussi importante que difficile,
par ordre exprès du roi Clotaire, et du consentement
de tous les leudes du palais; on ne sait à quelle
époque, mais il paraît que ce fut avant l’an 593. La
répugnance du saint pour cette dignité trouve son
explication, non seulement dans la difficulté d’en rem­
plir les graves devoirs, conjointement avec ceux de
l’épiscopat, mais encore, et surtout, dans la situation
malheureuse des affaires politiques, en ces temps
malheureux : aussi est-il à croire qu’il ne conserva
pas longtemps ce poste périlleux et incommode.
Attirés par le parfum de ses vertus, un grand
nombre de laïques, particulièrement de l’aristocratie,
entrèrent sous sa conduite dans la voie étroite des
conseils évangéliques. Tous, après leur conversion,
1 3 F É V R IE R 327

désiraient îirdemment ne pas s’éloigner de leur père


spirituel, afin de pouvoir puiser à loisir à la source si
féconde de sa sagesse et de sa sainteté. Saint Lézin,
ne pouvant se refuser à un souhait si légitime, fit
construire, non loin des portes de la ville d’Angers,
un vaste monastère, qu’il plaça sous le patronage de
saint Jean-Baptiste, et qui prit dans la suite le nom
de collégiale de Saint-Julien.
Le biographe de notre bienheureux raconte un assez
grand nombre de miracles opérés par saint Lézin. Je
n’en rapporterai qu’un seul.
Un dimanche, pendant que saint Lézin célébrait les
saints mystères, un homme du peuple, nommé Ghison,
se leva tout à coup au milieu de l’assemblée, et se mit
à conjurer à haute voix le pontife d’avoir pitié de lui
et de lui rendre la vue. Le bienheureux, blessé dans
sa modestie, répondit aussitôt avec quelque humeur :
« Pourquoi, mon frère, me troubles-tu ainsi, moi et
tout ce peuple? — Mon seigneur, pontife élu de
Dieu, répartit l’aveugle, voici pourquoi : Cette nuit, un
homme vénérable m’est apparu dans une vision, et
m’a commandé d’aller vous trouver avec confiance,
m’assurant que je recouvrerais la vue par votre inter­
cession. J’ai obéi à l’ordre du Ciel; me voici prêt à
faire ce que vous me recommanderez. » Saint Lézin,
encore plus confus de ce qu’il venait d’entendre, fit
mettre en prière le clergé et le peuple, tandis que lui-
même acheva le saint sacrifice. Puis, lorsque la foule
se fut retirée, il conduisit l’aveugle à la sacristie, lui
528 LES SAINTS MILITAIRES

fît avec de l’huile bénite une onction sur les yeux, et


au même instant, l’aveugle vit, et se retira en glori­
fiant Dieu.
Enfin approcha le jour où ce vaillant athlète dut
succomber sous le poids des travaux et des années.
Pendant les chaleurs du mois d’août, vers l’an 605,
une fièvre violente le saisit. Il s’en réjouit comme d’un
heureux présage; car il soupirait sans cesse après la
patrie céleste. Dans les accès de sa douleur, Dieu pour
exciter son amour et récompenser sa charité, souleva
un instant le voile qui nous dérobe la réalité des splen­
deurs éternelles. Depuis lors la terre ne lui parut plus
que comme un exil insupportable.
Cependant Dieu adoucit peu à peu ses souffrances,
et les changea en une maladie de langueur, qui se pro­
longea jusqu’au 1er novembre de la même année 605.
Ce fut le dernier jour de son pèlerinage ici-bas. Il fut
enterré dans l’église de Saint-Jean-Baptiste. Lorsque
sa dépouille mortelle, que le vice n’avait jamais
souillée, entra dans la basilique, un parfum céleste se
répandit de toutes parts, et saisit les assistants d’une
douce et religieuse émotion. Ce miracle ne fut que le
prélude de beaucoup d’autres, qu’il ne cessa d’opérer
pendant plusieurs siècles. Le jour même de ses funé­
railles, deux aveugles recouvrèrent la vue, et un grand
nombre d’infirmes, la santé la plus parfaite.
Bien que le 1er novembre soit le jour de la mort de
saint Lézin, aucun ancien martyrologe ne fait mention
de lui ce jour-là. Il est probable que l’Église d’Angers
13 F É V R IE R 529

préféra honorer sa mémoire le 13 février, jour où il


reçut la consécration épiscopale. C’est à cette même
date que son nom est inscrit dans le Martyrologe
romatn.
Trente-trois ans après sa mort, saint Maimbœuf,
son disciple et son successeur presque immédiat,
transféra son corps dans une chapelle, au côté droit
du chœur de l’église de Saint-Jean-Baptiste; car, dès
lors, la voix du peuple l’avait déclaré digne des hon­
neurs d’un culte public. Dans le premier tombeau
déjà fracturé par le temps, on trouva intacts, non seu­
lement ses membres sacrés, mais encore les vêtements
sacerdotaux avec lesquels il avait été enseveli, selon
l’ancienne coutume de l’Église.
Le corps de saint Lézin resta dans son nouveau
sépulcre jusqu’au milieu du neuvième siècle. A cette
époque si fameuse par nos désastres, on fut contraint
de le dérober à la fureur des Normands. Ce ne fut
qu’après le siège d’Angers (873) qu’on put le transporter
de nouveau dans la basilique du monastère de Saint-
Jean-Baptiste. Le 21 juin 1169, il y eut une troisième
translation du saint corps on le déposa dans une
magnifique châsse où il demeura jusqu’à la Révolution.

S ources : L e M a r ty r o lo g e R o m a in . — L e s R o lla n d is te s , au
13 février. — V ie s des s a in ts p e r s o n n a g e s d e V A n j o u , par
Dom Ghamard.

SAINTS MILITAIRES. — T. 30
X IV 0 JOUR DE FÉVRIER

LES U BIENHEUREUX SOLDATS


MARTYRS, A SPOLÈTE, EN OMBRIE
Epoque indéterminée.

La mention de ces bienheureux soldats, martyrs,


est extraite du Martyrologe H iéronym ien,

S ource L e s B o lla n d is te s , au 14 février.

SAINT VALENTIN D’AFRIQUE


OFFICIER, ET 24 BIENHEUREUX SOLDATS
MARTYRS
Epoque indéterminée.

La mention de ces bienheureux martyrs, est tirée *


comme la précédente, du très ancien Martyrologe
Romain, qui porte le nom de saint Jérôme.

S ource ; L e s B o l la n d is te s , au 14 février.
14 F É V R IE R 531

SAINT VALÈRE DE COLOGNE


ROI EN BRETAGNE, MARTYR

Vers 451.

L’Église de Cologne célèbre aujourd’hui la fête de


saint Yalère, roi et martyr. Lorsque sainte Ursule et
ses nobles compagnes quittèrent la Bretagne pour
aller se réfugier en Armorique, Yalère voulut les
accompagner dans ce périlleux voyage; mais la tra­
versée fut malheureuse, car les bâtiments qui les por­
taient, entraînés par la violence de la tempête, vinrent
s’échouer sur les côtes de la Germanie. C’était à
l’époque où les Huns, chassés de la Gaule, avaient
envahi le territoire de Cologne et mettaient tout à feu
et à sang. Rien n’égalait leur fureur contre les chré­
tiens. On croit que Valère fut enveloppé dans le mas­
sacre où périrent glorieusement pour la foi Ursule et
ses compagnes (1).
Qn conserve dans le maître-autel de l’église de
Saint-Ursule, à Cologne, des reliques de saint Yalère.
Elles sont renfermées avec le corps de saint Ethérius

(1) « Coloniæ S. Valerii martyris, quem necatum ob pietatis


Christianæ confessioqem a barbaris qui S. Ursulam ejusque socias
trucidarunt, eadem causa Agrippinensis ecclesiæ traditio testatur.
Additiones Carthusinnæ et Ferrarius vocant eumdem. regem.
(E x C a l e n d a r io U r s u la n o , apud Boll.)
532 LES S A IN T S M I L I T A I R E S

dans un sarcophage en métal doré d’un ornement


précieux.

S ources L e s B o lla n d is te s , au 21 octobre. Dans les A c te s


d e s a in te U r s u le par
e t de ses c o m p a g n e s . S a in te U r s u le ,
J.-H. Kessel, docteur en théologie, traduit de l'allemand
par Bectemé, p. 403.

SAINT ACJXENCE DE B1THYNIE


OFFJCIER DE LA GARDE DE THÉODOSE LE JEUNE
TUIS SOLITAIRE, CONFESSEUR

Vers 470.

Auxence était originaire de Perse, quoiqu’il fût né


en Syrie, où son père, qui se nommait Addas, se
relira du temps de l’empereur Constance. L’histoire
ne nous apprend rien des premières années de sa vie;
elle nous dit seulement qu’il fit de rapides progrès dans
la vertu en même temps que dans les sciences.
A peine sorti de l’adolescence, il se livra à la carrière
des armes dans la milice de Théodose le Jeune. Son
intrépidité le fit remarquer entre tous et bientôt il
obtint un grade dans les gardes du prince. Cependant
l’état militaire ne possédait pas complètement le cœur
du jeune soldat. Dieu était toujours présent à son
1 4 F É V R IE R 533

esprit. Auxence n’aspirait qu’à le posséder, et son seul


désir était de le servir dans la retraite. Aussi, au
milieu de tous les tracas que comporte la vie de
l’armée, et tout en rendant à César ce qui est à César,
savait-il rendre à Dieu ce qui est à Dieu, et tous ses
moments de loisir étaient-ils consacrés à la prière. Il
se lia intimement avec un saint moine qui habitait une
grotte près de Constantinople. Son bonheur était d’aller
avec le solitaire chanter les louanges de Dieu, et passer
ses nuits dans la contemplation des choses du ciel. A
cette prière ardente le jeune officier joignait la morti­
fication des sens, jeûnant tous les jours et portant
continuellement le cilice.
Cet héroïsme dans la pénitence, il le fit paraître
aussi dans la charité pour les pauvres. Il leur donnait
tout ce qu’il avait, ne se réservant absolument rien pour
lui. C’est ainsi qu’il lui arriva un jour de donner la
seule tunique qu’il possédât. Pour récompenser tant de
charité, Dieu accorda à son serviteur le don des
miracles. Dès ce moment la vie d’Auxence ne fut plus
qu’une longue suite de merveilles. Comme il se rendait
un jour au palais, une possédée accourut à sa ren­
contre « Auxence, Auxence, s’écria-t-elle, toi qui
mets en fuite les démons, d’où vient ta puissance
contre nous? » L’humble soldat continuait son chemin
sans faire attention à ces paroles, mais l’esprit im­
monde le suivait toujours en criant : « Pourquoi donc
m’entralnes-tu? je sors. La multitude qui s’était déjà
réunie, entoura le saint, qui sévit forcé de montrer
SAINTS MÎLITATRÇS — T* T. 30f
534 LES SAINTS MILITAIRES

aux yeux de tous le don que lui avait fait le Ciel. Il se


mit en prières et la possédée fut guérie.
Le bruit de sa sainteté se répandit bientôt dans toute
la ville. Pour échapper aux louanges du monde, le
jeune soldat quitta précipitamment la cour et se retira
sur le mont Oxie, en Bythinie, pour y servir Dieu dans le
silence et la solitude. Mais quelque soin qu’il prît de
demeurer caché, il fut néanmoins bientôt connu : car
de jeunes bergers, qui avaient perdu leurs troupeaux,
et à qui le saint les fit retrouver par miracle, en ayant
fait le récit à leurs parents, ceux-ci le vinrent trouver
et lui bâtirent sur le haut de la montagne une cellule
où il se fit enfermer afin de vaquer plus facilement à
l’oraison. Sa retraite fut bientôt connue de toutes les
provinces environnantes et dès lors il vit affluer autour
de son humble cabane une multitude de personnes qui
venaient lui demander des conseils et recevoir ses
instructions. Les malades accouraient de toutes parts
et recouvraient près de lui la santé. Dieu se plaisait à
faire éclater tous les jours la sainteté de son serviteur.
Il y avait environ dix ans que le bienheureux solitaire
était sur la montagne d’Oxie, lorsque l’empereur Mar-
cien, successeur de Théodose le Jeune, réunit un con­
cile à Ghalcédoine pour condamner les erreurs d’Euty-
chès. Connaissant la vertu et la sainteté d’Auxence, il
le pria de venir y assister, mais le saint s’y refusa.
Alors Marcien lui envoya une députation de moines
et de clercs avec quelques soldats ayant ordre de le
conduire de force s’il ne voulait pas venir librement.
14 F É V R IE R 535

Auxence résista encore aux ardentes supplications de


ces envoyés qui, désespérant de pouvoir vaincre sa
résistance, essayèrent de l’arracher à sa cellule. Mais il
fut impossible d’en ouvrir la porte. Cependant le saint
priait pour connaître la volonté de Dieu. Ayant fait
ensuite le signe de la croix sur la porte en disant ces
mots « Le Seigneur soit béni », la porte s’ouvrit
comme d’elle-même. La joie fut grande parmi les assis­
tants de pouvoir contempler enfin les traits du saint
vieillard. Mais ils le trouvèrent si exténué par ses
austérités, qu’on fut obligé de l’emmener sur un chariot.
Nombreux furent les prodiges accomplis sur son pas­
sage. Il guérit tous les malades qui lui furent pré­
sentés et délivra une multitude de possédés. Après être
demeuré quelque temps au monastère de Philé, où il
étonna les moines par ses austérités, le saint solitaire
fut conduit à Chalcédoine. Les religieux du couvent de
Saint-Hypace l’y reçurent avec un extrême bonheur, et
comme les miracles se multipliaient encore sous sa
main, on fut obligé de laisser ouvertes les portes du
monastère à cause de la multitude des personnes qui
venaient le voir.
Le concile était terminé quand le serviteur de Dieu
arriva à Chalcédoine. Cependant l’empereur, qui con­
naissait sa grande sainteté, voulut lui en faire approuver
les décrets; et pour cela il le fit mander auprès de sa
personne. Le saint d’abord se récria parce que, disait-il :
« étant le dernier du troupeau de Jésus-Christ, je ne
mérite pas d’être mis au rang des princes de l’Église ».
536 LES S A IN T S M I L IT A IR E S

Cependant pressé par l'empereur, il prit connaissance


des actes du concile, et voyant qu’on n’avait rien décidé
de contraire à la foi de Nicée et qu'on avait défini que
la sainte Vierge était vraiment la mère de Dieu, il
protesta au prince qu'il les approuvait de tout son
cœur.
Le saint vieillard demanda aussitôt à rentrer dans la
solitude, et chercha à gagner la montagne de Siope,
parce qu’elle était plus escarpée et plus solitaire que
le mont Oxie. Il y fut accompagné par quelques clercs
et par les religieux de Saint-Hypace au chant des
hymnes sacrées. Il s’y enferma dans une petite cellule,
n’ayant pour toute ouverture qu’une fenêtre très
étroite, par où il parlait et bénissait ceux qui venaient
le voir.
Comme sur le mont Oxie, il vit bientôt accourir
autour de son humble cabane une foule immense qui
venait recevoir ses instructions. Il les exhortait prin­
cipalement à fuir les spectacles, parce que, disait-il,
rien n’est plus capable de soulever les mauvaises pas­
sions et de corrompre la pureté de l’ame. Il leur ensei­
gnait aussi à prier, à chanter les louanges du Christ.
Ses exhortations entraînèrent un bon nombre de jeunes
personnes à renoncer au siècle pour servir le Christ
dans la solitude et la pénitence. Il se vit obligé de
donner l’habit religieux, consistant en une robe et un
grand manteau de poil, à une noble femme, dame
d’honneur de l’impératrice Pulchérie. Soixante-dix
autres personnes suivirent ce saint exemple, et deman­
14 F É V R IE R 537

dèrent au saint vieillard de les faire toutes religieuses.


Après avoir éprouvé leur vocation, il accéda à leurs
suppliques et leur fit bâtir à un mille de sa cellule une
petite église autour de laquelle elles se logèrent.
Malgré son grand âge, Auxence n’avait rien changé
h ses terribles austérités ni à ses longues prières.
Enfin, l’an 470, le 11 février, à la suite d’une exhor­
tation qu’il fit à ses religieuses sur la nécessité d’être
fidèles à Dieu, il tomba malade. Trois jours après il
s’endormit doucement dans le sein du Seigneur. Son
corps fut accordé aux religieuses qu’il avait fondées;
et sur son tombeau où s’opérèrent un grand nombre
de miracles, s’éleva peu après un monastère sous le
vocable de saint Auxence. Le mont Siope porte encore
aujourd’hui le nom de notre saint.

S ources L e M a r ty r o lo g e R o m a in . — L e s B o l la n d is te s , au
14 février. — Le Pèlerin, V i e des s a i n t s . — L es P e tit s B o l ­
la n d iste s .
X V e JOUR DE F É V R I E R

S AI NT MAJ OR
SOLDAT MARTYR

Bous Dioclétien.

Dans le teipps où Dioclétien gouvernait l’empire, il


y avait à Gaza, dans la cohorte dite de Mauritanie, un
soldat nommé Major. On l’accusa auprès du préfet de
la ville d’être chrétien, et celui-ci le fit comparaître
devant son tribunal. Là, Major confessa généreuse­
ment sa foi, et comme, au lieu de se laisser intimider
par les menaces ou séduire par les promesses, il ne
cessait de s’écrier « Je crois en mon Christ et je
méprise des idoles qui sont sans vie », le préfet irrité
l'abandonna à la fureur impie de trente-six soldats
qui, après l’avoir étendu à terre, l’accablèrent tour à
tour de coups et de blessures. Quand le niartyr fut
ramené en prison, il était à demi mort et d’ailleurs
tellemeut couvert de poussière et de sang qu’il eût été
impossible de le reconnaître. Au bout de sept jours
Major sortait de sa prison pour subir un nouvel inter­
rogatoire et de nouveaux tourments; mais lorsque le
préfet vit que rien ne pouvait ébranler sa résolution, il
lui fit trancher la tête.
S ources L e s B o l la n d is te s , au 15 février. — M e n o lo g iu m
G r æ c o - B a s iU a n u m .
XVI» JOUR DE F É V R I E R

SAINT SÉLEUGUS
OFFICIER OE L’ARMÉE ROMAINE, MARTYR

308.

Le célèbre Pamphile, prêtre de Césarée, venait d’être


condamné à mort pour la foi avec quelques autres
chrétiens, lorsque Porphyre, un jeune homme qu’il
avait élevé et nourri, s’élança du milieu de la foule, et
demanda au juge Firmilien qu’il fût au moins permis
de donner la sépulture aux corps des martyrs. Firmi­
lien ayant à l’heure même interrogé le jeune homme
et appris par sa confession qu’il était chrétien, il le fit
torturer par les bourreaux et enfin périr dans un grand
feu.
La nouvelle de cette glorieuse mort fut portée à
Pamphile par Séleucus, confesseur de la foi, qui avait
servi dans les armées. Ce message dont il s’était fait
le porteur lui valut de partager immédiatement le
bonheur des martyrs. Au moment, en effet, où il venait
d’annoncer la mort de Porphyre, et saluait par un
baiser l’un des confesseurs, des soldats l’arrêtèrent et
le conduisirent au préfet. Celui-ci, comme s’il eût eu
hâte de donner à Porphyre un compagnon et d’envoyer
540 LES S A IN T S M IL IT A IR E S

promptement Séleucus prendre avec lui possession du


ciel, le condamna à avoir aussitôt la tête tranchée.
Séleucus était de Cappadoce, et faisait partie d’un
corps de jeunes soldats d’élite ; il avait obtenu des grades
élevés dans les armées romaines; car la jeunesse, un
corps robuste, une haute stature, lui donnaient un
grand avantage sur ses compagnons d’armes. Tout le
monde vantait sa bonne mine, et l’on admirait à la
fois en lui une tenue imposante et un extérieur plein
de grâces. Au commencement de la persécution, il
avait généreusement soutenu sous les coups de fouet
la lutte sanglante des confesseurs. Plus tard, renon­
çant à la milice, il s’était fait le disciple zélé des
ascètes dans les exercices de la piété. Les orphelins
abandonnés, les veuves sans appui, les malheureux
abattus par les infirmités et la misère, trouvèrent en
lui comme un tuteur et un père qui les visitait et les
assistait dans leurs besoins. C’est pourquoi le Dieu qui
préfère les œuvres de la charité à la fumée et au sang
des victimes, daigna l’appeler à l’ineffable bonheur du
martyre.

S ources L e M a r ty r o lo g e R o m a in . — L e s B o l la n d is te s , au
16 février. Eusèbe, H is t o i r e d e l'É g lis e , livre VIIIe.
XVII* J O U R DE F É V R I E R

SAINT DONAT DE CONCORDIA


SAINT SECOND1EN DE CONCORDIA
SAINT ROMULUS, SAINT SOLONE
SAINT CHRYSANTHE, SAINT EUTYCHIUS
SAINT JUSTUS, SAINT CORDIUS
SAINT SILVANUS, SAINT NÉOMÈDE
SAINT POLYCRATES
SOLDATS MARTYRS
303.

(( A Goncordia, dit aujourd’hui le Martyrologe


R om ain, les saints martyrs Donat, Secondien et
Romulus, avec quatre-vingt-six autres chrétiens qui
participèrent au même triomphe. »
Aux noms de Donat, Secondien et Romulus, Bol-
landus joint ceux de Solone, Ghrysanthe, Eutychius,
Justus, Cordius, Silvanus, Néomède et Polycrates,
comme se trouvant inscrits dans divers martyrologes.
François Barbarano écrit, dans son Histoire ecclé­
siastique de Vicence, que ces martyrs étaient origi­
naires de cette dernière ville, et qu étant soldats, c’est
pendant leur séjour à Goncordia qu’ils furent mis à
mort pour la foi : ils sont les patrons de Goncordia oii
SAINTS MILITAIRES. — T. 31
o 42 LES S A IN T S M IL IT A IR E S

leurs reliques sont l’objet d’une grande vénération.


Le même auteur atteste qu’il vit, en 1645, une
liqueur merveilleuse découler des ossements sacrés,
et que cette liqueur guérit un grand nombre de ma­
lades : il voulut même en emporter avec lui par dévo­
tion. Il fait encore remarquer que ce phénomène se
produisit dans un temps où il faisait tellement chaud,
que les raisins se desséchaient sur les vignes, et que
les campagnes étaient brûlées comme si le feu y eût
passé.
On croit que nos bienheureux soldais souffrirent le
martyre dans la persécution de Dioclétien, vers l’an 303.

S ources î L e M a r ty r o lo g e R o m a in , — Les B o lla n d is te s , au


17 février.
XV I I I e JOUR DE F É V R I E R

SAINT MAXIME LE COMTE


INTENDANT PARTICULIER DE DIOCLÉTIEN

ET SAINT CLAUDE D’OSTJE


PERSONNAGE CLARISSIME, MARTYRS

Vers 295.

Sous le règne des empereurs Dioclétien et Maximien,


vivait à Rome un prêtre nommé Gabinius, frère utérin
du saint pape Caïus. C’était un homme fort savant
dans la sainte Écriture, et qui joignait à l’étude de la
sagesse divine le goût des lettres humaines» Du reste,
il était d’une famille illustre et très proche parent de
Dioclétien, en sorte que son nom était bien connu dans
tout l’empire. Gabinius avait une fille d’une grande
beauté et qui lui était très chère; elle s’appelait
Suzanne. Il avait fait lui^même son éducation, lui
enseignant d’abord la littérature profane; puis, quand
il se fut converti, il lui apprit les lettres divines, dans
lesquelles elle fit de rapides progrès. Aussi, malgré la
retraite où ils vivaient, la renommée de sa science et
de sa beauté parvenant jusqu’à Dioclétien, Ce prince
la fit demander etl mariage à Gabinius pour son fils
544 L E S S A IN T S M IL IT A IR E S

adoptif Maximien-Galère, qu’il avait associé àTempire.


Il chargea de cette mission un de leurs parents com­
muns, le clarissime Claude, espérant ainsi l’obtenir de
bon gré.
Claude vint donc trouver Gabinius et lui proposa
l’affaire qu’il croyait être très agréable. Le saint prêtre
l’accueillit avec bienveillance, mais lui demanda quel­
ques jours de délai pour préparer l’esprit de sa fille à
cette union que projetait l’empereur. Alors Claude se
retira, et bientôt Suzanne, informée de ce qui se
passait, déclarait qu’elle n’aurait jamais d’autre époux
que Jésus-Christ. Gabinius et Caïus louèrent sa réso­
lution et l’exhortèrent à y persévérer généreusement.
Trois jours après, pendant que Gabinius et Caïus
s’entretenaient de cette affaire de mariage, Claude sur­
vint tout à coup. Il paraissait fort joyeux et était accom­
pagné d’une nombreuse escorte militaire; mais il laissa
sa suite à la porte et entra seul. Gabinius et Caïus
furent contents de le voir; ils se levèrent pour lui
donner le baiser de paix et tous trois s’embrassèrent
cordialement. Lorsque le noble seigneur Claude eut.
exprimé de nouveau les désirs de l’empereur, Gabinius
lui dit : « Ne nous laissons pas éblouir ni arrêter par
des considérations étrangères; mais assurons-nous
ensemble des sentiments de la jeune fille. » On fit donc
venir Suzanne. Comme ils étaient entièrement en
famille, Claude s’avança pour l’embrasser; Suzanne
l’arrêta, a Ne souille point mes lèvres, lui dit-elle, car
mon Seigneur Jésus-Christ sait que la bouche de sa
1 8 F É V R IE R 545

servante n’a jamais été touchée par un homme. —


C’est uniquement par un sentiment d’affection, répondit
Claude, que j ’ai voulu t’embrasser, toi que je regarde
comme ma dame et ma nièce. — Et moi, reprit
Suzanne, je ne refuse ton baiser qu’à cause des souil­
lures dont ta bouche s’est remplie en participant aux
sacrifices des idoles? — Que puis-je faire, demanda
Claude, pour la purifier? — 11 faut, répondit Suzanne,
faire pénitence, et être baptisé au nom du Père, et du
Fils et du Saint-Esprit. »
Claude dit alors à l’évêque Caïus « Puriflez-moi
donc, puisqu’un homme pur et croyant en Jésus-Christ
vaut mieux qu’un adorateur des dieux. — Mon frère
Claude, répondit le pontife, écoute-moi, car ce que
je vais te dire est pour ton bien. » Claude prêta une
oreille attentive au discours du saint évêque et lui dit
ensuite « Je ferai, révérendissime seigneur, tout ce
que tu désires, pourvu que la demande de l’empereur
ne souffre pas de retard. — Fais d’abord, mon frère,
répondit Caïus, ce que nous te demandons, et toutes
choses te seront favorables sois fidèle à Dieu, fais
pénitence pour avoir répandu le sang des saints, reçois
le baptême, et tu obtiendras tout; car Notre-Seigneur
Jésus-Christ a daigné nous en avertir « Lorsque vous
« serez devant les rois et les princes, ne pensez pas à
« ce que vous aurez à dire, parce que je vous donnerai
« alors une éloquence et une sagesse à laquelle vos
« adversaires ne pourront résister, à laquelle ils ne
« sauront rien répondre. » — Ainsi donc, reprit
546 LES S A IN T S M IL IT A IR E S

Claude, lorsque j ’aurai reçu le baptême, tous les crimes


de mon cœur seront expiés? — Oui, répondit Caïus,
si tu crois fidèlement, tous les crimes seront effacés.
— Je crois sur voire promesse, dit Claude, pourvu
que tous mes péchés me soient pardonnés. » Le pape
lui dit alors « Au nom de Notre-Seigneur Jésus-
Christ, Dieu tout-puissant, tous tes péchés te sont
remis », et, lorsqu’il lui eut imposé la pénitence qu’il
devait faire, il le congédia.
En rentrant chez lui, Claude raconta à sa femme
comment il avait trouvé grâce devant le Seigneur; sa
femme se nommait Prépédigne. Ce récit la jeta dans
un grand étonnement. « Qui a pu, s’écria-t-elle, t’amener
à une telle action? — C’est, répondit Claude, mon
frère l’évêque Caïus, le prêtre Gabinius et la vierge sa
fille, qui est incomparable par sa vertu. » A l’heure
même, Prépédigne, montant en litière, se fit conduire
à la demeure de Gabinius et, entrant seule chez l’évêque
Caïus, elle se jeta à ses pieds, en disant « Sauvez
votre serviteur et votre servante et mes deiix enfants. »
La nuit suivante, Claude vint avec ses deux fils chez
Gabinius ; il se mit à genoux et lui dit : « Par Notre-
Seigneur Jésus-Christ, je t’en conjure, ne diffère plus
de me baptiser avec ma femme et mes enfants. » Le
prêtre Gabinius les instruisit sur-le-champ des prin­
cipaux mystères de la foi; puis, ayant béni de Peau, il
baptisa Claude. En sortant de la piscine, celui ci
s’écria « J’ai vu une lumière plus éclatante que le
soleil et qui m’a éclairé de ses splendeurs. Je crois
18 F É V R IE R 547

donc entièrement que Notre-Seigneur Jésus-Christ est


Dieu, Fils de Dieu. » Aussitôt le bienheureux évêque
Caïus lui administra le sacrement de confirmation;
puis il baptisa Prépédigne, sa femme, et ses deux fils.
Il offrit ensuite pour eux le saint Sacrifice, et, ayant
consacré le corps et le sang de Notre-Seigneur Jésus*
Christ, il leur donna à tous la sainte communion.
Depuis ce jour, Claude commença de se défaire de
ses grands biens pour en donner le prix aux pauvres
chrétiens, s’enquérant des lieux secrets et cachés où
ils se retiraient afin de leur distribuer de l’argent et
des vêtements. Il allait aussi dans les prisons, faisant
mettre en liberté tous ceux qu’il avait arrêtés pour la
foi. Il s’approchait d’eux avec respect, leur donnait
des vêtements et baisait leurs chaînes; puis, se jetant
aux pieds de chacun d’eux, il leur exprimait son
repentir et les servait avec joie le reste de la nuit, leur
fournissant tout ce dont ils avaient besoin.
Au bout de six semaines, l’empereur Dioclétien
demanda ce que Claude était devenu, s’étonnant qu’il
ne lui eût point rendu compte de sa mission. On lui
répondit qu’il était malade. L’empereur fit appeler le
frère de Claude, nommé Maxime, qui était intendant
particulier de sa maison ; il lui ordonna d’aller voir
son frère et de s’informer auprès de lui de Suzanne,
leur nièce. Maxime se rendit aussitôt chez Claude,
qu’il trouva en prière et couvert d’un cilice. Il le crut
dangereusement malade. « Mon frère bien-aimé, lui
dit-il, toi qui as pris soin de mon enfance avec une si
548 LES S A IN T S M IL IT A IR E S

vive tendresse, mon cher frère, comment es-tu devenu


si pâle et si maigre? — Si tu veux m’écouter, répondit
Claude, je t’en dirai la cause. » Maxime le prenant
dans ses bras, lui dit <• Raconte-moi, seigneur les
douleurs que tu endures. — Eh bien, répondit Claude,
je fais pénitence de ce qu’obéissant aux ordres du
prince, j ’ai versé le sang innocent et persécuté les
chrétiens, quoique j ’aie agi par ignorance. J’ai été voir
ma chère nièce au sujet de la mission que l’empereur
m’avait confiée, et je l’en ai entretenue; mais je l’ai
trouvée pleine de sainteté, de sagesse, de beauté, et
consacrée au Dieu éternel. C’est à sa prière que j ’ai été
racheté de mes péchés. Mais afin que tu saches que le
Dieu tout-puissant peut sauver tous les hommes, ren­
dons-nous cette nuit à la demeure du prêtre Gabinius :
c’est là que tu verras la lumière éternelle. — Je ferai
tout ce que tu voudras, répondit Maxime. »
Ils allèrent donc, la nuit même, à l’arc de la porte
Salaria, près du palais de Sallusle, dans le voisinage
duquel était située la maison de Gabinius. Celui-ci les
reçut avec joie et bientôt envoya chercher le saint
évêqueJCaïus, qui demeurait dans une petite retraite
de l’église qu’il avait fondée auprès du palais de Sal-
luste. Le saint Pape étant arrivé dit alors a Je re­
mercie Dieu, mon frère Maxime, de ce que tu as daigné
nous ,visiter. Raconle-nous le motif qui t’amène ici.
— L’empereur Dioclétien, votre parent, dit Maxime,
m’a chargé de m’informer auprès de mon frère Claude,
qu’il croyait malade, de la réponse du saint prêtre
18 F É V R IE R 549

Gabinius à la demande qu'il faisait de la main de sa


fille pour son fils adoptif Maximien-César; sans quoi
je n'eusse point osé venir vous voir. — Cette jeune fille,
dit le Pape, a reçu de Dieu le Père tout-puissant, Jésus-
Christ pour époux et nous voulons bien que tu ne
l’ignores pas. — Ce qui vient de Dieu est éternel,
répondit Maxime. — Accepte donc toi aussi la vie éter­
nelle, reprit saint Caïus. — Et qu’est-ce que la vie
éternelle? dit Maxime. » Claude répondit : « C'est celle
que j ’ai déjà appris à connaître. — Eh bien, dit Maxime,
je désire aussi connaître ce que tu sais. Cependant il
me semble que notre famille ne doit pas renoncer vo­
lontairement à la grandeur impériale. — Mais nous,
reprit Caïus, nous t’avertissons de croire en Notre-
Seigneur Jésus-Christ, Fils éternel de Dieu. Car la gran­
deur que tu nous proposes est passagère, tandis que
celle dont nous te parlons est éternelle, innocente et
pleine de charmes. — Ne différez donc plus, mes
seigneurs, répondit Maxime; indiquez-moi prompte­
ment ce que vous croyez m’être utile comme cela vous
l’a été. »
Le Pape alors lui ordonna de jeûner et lui dit adieu.
De retour chez lui, Maxime ne se découvrit à personne;
mais il pensait continuellement à l’évêque Caïus et au
prêtre Gabinius, dont l’amour prit de si fortes racines
dans son cœur, qu’il lui fit mépriser la mort pour
confesser Jésus-Christ. Ceux-ci lui avaient conseillé de
vendre ses biens dans l’espace de cinq jours et d'en
distribuer le prix aux pauvres cnrétiens. Le sixième
AI XTS MILITAIRES. — T. I. 31.

/
550 LES S A IN T S M I L I T A I R E S

jour, Maxime alla se jeter aux pieds du Pape. « Mon


seigneur, lui dit-il, je t’en conjure au nom de Celui
par lequel tu as éclairé mon frère Claude, ne tarde
plus de m’éclairer; car depuis le moment où tu m’as
fait entendre la parole de vie, j’ai senti dans mon cœur
la componction de Notre-Seigneur Jésus-Christ que tu
m’as prêché. Je supplie Votre Sainteté de sauver mon
âme, de la tirer de l’abîme de l’idolâtrie et des ténè­
bres, pour la conduire à la vraie lumière. — Ecoute-
moi, mon frère, dit le Pape Crois-tu de tout ton
cœur, et renonces-tu aux pompes et aux anges de
Satan? — J’y ai déjà renoncé, répondit Maxime; car je
veux régler ma vie sur vos exemples. » Alors le prêtre
Gabinius le catéchisa en lui expliquant les sacrements
et les mystères de la foi. Le Pape l’ayant ensuite
baptisé, le confirma, et offrit pour lui le saint sacrifice,
auquel ils communièrent tous.
Or Maxime avait pour aide, dans son ministère
d’intendant impérial, un païen nommé Arsitius. C’était
un ambitieux courtisan, qui, voulant flatter Dioclétien,
lui dit, quinze jours après la conversion de Maxime
« Prince très sacré et toujours auguste, il court un sin­
gulier bruit du ministre de votre trésor : il paraît, à ce
que rapporte la renommée, qu’il nourrit un très grand
nombre de pauvres. — Tâche de me découvrir, lui
répondit l’empereur d’où il tire cet argent. — Très
sacré et victorieux empereur, si vous voulez me per­
mettre de parler, je crois pouvoir le dire. — Parle sans
crainte, dit l’empereur, — Il vend ses biens à vil prix,
18 F É V R IE R

reprit Arsitius ; et il paraît qu’il se dépouille ainsi parce


qu’il est devenu chrétien à l’instigation de l’évêque
Caïus et du prêtre Gabinius. »
Alors l’empereur manda au palais un païen cruel
nommé Jules; il eut une conférence avec lui et lui dit :
a J’avais chargé mes plus chers amis de demander à
un homme sa fille en mariage pour mon fils ; mais ces
serviteurs, méprisant mes ordres, se sont faits chré­
tiens. — Quiconque, répondit Jules, méprise les
ordres du prince, même quand ils sont injustes, doit
être puni. Or, votre piété, dans sa prudence, n’avait
rien commandé que de juste, et c’était un devoir de
lui obéir. Je crois donc qu’il faut sans délai punir ces
rebelles. »
Alors Dioclétien lui donna l’ordre de les arrêter tous,
à l’exception de l’évêque Caïus. Jules fit saisir en effet
par ses soldats le prêtre Gabinius et sa fille Suzanne,
qu’on enferma. Claude, avec sa femme Prépédigne et
ses deux fils, furent exilés de Rome, ainsi que Maxime;
arrivés à Ostie, on les brûla sur un bûcher et on jeta
leurs cendres dans la mer. Quant au prêtre Gabinius
et à sa fille Suzanne, Dioclétien ordonna de les laisser
en prison.

S ources L e M a r ty r o lo g e R o m a i n . — au
L e s B o l la n d is te s ,
18 février. — L es c h r é tie n s à la c o u r d e D io c l é ti e n , par Tabbé
Daras.
552 LES S A IN T S M I L I T A I R E S

SAINT HELLADE DE TOLÈDE


MINISTRE D’ÉTAT, PUIS MOINE ET ÉVÊQUE DE TOLÈDE
CONFESSEUR, PONTIFE

632.

Hellade florissait au commencement du septième


siècle. D’une naissance illustre, il parut avec éclat à la
cour des rois goths, qui faisaient leur résidence à
Tolède, et il eut une grande part dans l’administration
de l’État. Il assista, en 589, avec les grands officiers
de la couronne, au concile de Tolède qui contribua si
puissamment à faire rentrer dans le sein de l’Eglise les
sujets ariens de Recarède (1). Ses grandes occupations
ne l’empêchaient pas de nourrir dans son cœur les
sentiments d’un véritable religieux et d’en pratiquer
les œuvres. En effet, dès que les affaires publiques lui
laissaient quelque loisir, il s’enfuyait seul et sans
aucun appareil au monastère d’Aguilar, et là il se
livrait à tous les travaux des moines, jusqu’à porter du
bois au four avec eux et confondu dans la foule. Aussi­
tôt que la chose fut possible, il quitta le monde et vint
s’enfermer définitivement dans ce même monastère où
il habitait déjà depuis si longtemps par ses désirs. Il

(1) « Ex Palatinis autem Helladius illustrissimus aulæ regiæ


cornes, qui inter Proceres aulicosque Regis nomine interfuit con-
cilio, fuit et rerum publicarum gubernator... » ( E x C o m m e n t a r io
fi i s t o n c o , apud Boll.)
18 F É V R IE R 558

combla cet établissement de ses libéralités et édifia ses


frères par.ses vertus. Il en était devenu abbé, lorsqu’on
le tira de sa solitude pour le placer sur le siège de
Tolède, après la mort d’Aurase, vers l’an 614. Pendant
son épiscopat il montra de plus grandes vertus encore
qu’il n’avait fait étant moine, et sa sainteté semblait
briller de jour en jour d’un plus vif éclat. Il mit autant
de discrétion à gouverner le monde qu’il avait employé
de courage à le mépriser. Il se rendit recommandable
surtout par sa charité envers les pauvres : il était si
miséricordieux envers eux que son cœur paraissait
comme la source d’où la chaleur et la vie s’écoulaient
dans leurs membres et dans leurs entrailles pour les
ranimer. Il n’écrivit point : il aima mieux agir.
C’est saint Iidefonse, son successeur, qui parle ainsi,
puis il ajoute : a Revenant dans le même monastère aux
derniers moments de sa vie, il m’ordonna diacre; il
mourut vieux, il tint dix-huit ans le gouvernement de
son église, sous les rois Sisiteut, Suntillan et Sisenand.
Il a été tenu pour bienheureux, et il est entré dans
la possession de la gloire céleste, plein d’années et de
mérites.

S ources : Le M a r ty r o lo g e R o m a i n . — L e s B o lla n d is te s , au
18 février. — L e s P e tit s B o lla n d is te s .
X IX e JOUR DE FÉVRIER

SAINT CONRAD
NOBLE CHEVALIER DE LA VILLE DE PLAISANCE, CONFESSEUR

1351.

Ce jour est vénérable par la commémoration de


saint Conrad. Il était de la très illustre famille des
Gonfaloniers, fameuse dans la ville de Plaisance pour
en avoir .dignement exercé les premières charges. Ses
parents lui ayant fait apprendre tous les exercices
convenables à un gentilhomme de sa naissance, lui
donnèrent pour femme une vertueuse demoiselle
nommé Euphrosyne, fille du seigneur Nestor Laudon.
Ces deux illustres personnes que la Providence divine
avait si heureusement unies ensemble, étaient douées
de si éminentes qualités, qu’il semblait que le Ciel eût
pris plaisir de les enrichir de tous les dons de la grâce
et de la nature.
Conrad était également sage et vaillant, et il n’avait
pas moins de capacité pour remplir la place d’un mi­
nistre d’État que celle d’un général d’armée. Sa pro­
bité avait si bien affermi sa réputation, que jamais
personne ne douta de la vérité de ses paroles; il était
l’arbitre des différends de toute la noblesse, et l’on
1 9 F E V R IE R 555

avait une telle déférence pour ses sentiments, qu’ils


étaient suivis sans contradiction. Euphrosyne ne cédait
ni en qualité, ni en vertu, à son mari. Sa continence,
sa modestie et l’obéissance qu’elle lui rendait, étaient
l’exemple de toutes les dames.
Ils avaient l’un et l’autre tant de charité pour les
pauvres, qu’ils ne souffraient jamais qu’aucun sortît
de leur présence, les mains vides.
Cet assemblage de tant et de si rares vertus qui se
rencontrait si avantageusement en la personne de
Conrad et d’Euphosyne, rendait leur mariage si heu­
reux, qu’ils semblaient avoir anticipé leur béatitude
future mais parce qu’il n’y a point de sainteté solide
ni véritable, si elle ne porte les caractères de Jésus-
Christ crucifié, et qu’il est nécessaire que la tentation
éprouve les âmes d’élite, Dieu permit que Conrad pre­
nant un jour le divertissement de la chasse, la bête
qu’il poursuivait se retirât dans un buisson, d’où ne
l’ayant pu faire sortir, il fut obligé d’y mettre le feu
pour lui donner l’épouvante; mais cet élément étant
passé du buisson à une forêt voisine, il l’embrasa et
la réduisit toute en cendre, quelque effort qu’on fît
pour l’éteindre. Cependant Conrad voyant le mal sans
remède, prend la fuite, et le magistrat du lieu, averti
de l’incendie, se transporte sur la place pour en décou­
vrir l’auteur. Ce juge ayant par malheur rencontré un
pauvre homme de la campagne qui regardait avec
compassion ce désastre, il se saisit de sa personne et
le traite comme coupable. La violence de la question
556 L E S S A IN T S M IL IT A IR E S

ayant fait confesser à cet innocent le crime dont il


était soupçonné, il fut enfin condamné à être pendu et
étranglé, car la pauvreté ne lui permettait pas de
réparer par une autre voie une perte si considérable.
Mais cet arrêt que l’on va exécuter jette Conrad dans
d’étranges inquiétudes; enfin, pressé par la loi de la
justice et de la charité, il va trouver le juge, lui déclare
qu’il est l’auteur de l’incendie et promet de réparer
tous les dommages qui en ont été la conséquence.
Que Dieu est sage dans sa conduite, et que ses
jugements sont incompréhensibles! Ce dépouillement
que Conrad va faire de tous-ses biens pour réparer
les désordres causés par le feu, sera le commencement
de tout son bonheur, et sa première démarche dans
les voies de la perfection (I). En effet, il ne se fut pas
plus tôt acquitté de ce qui fut ordonné par le juge,
qu’il se sentit intérieurement inspiré de se retirer dans
un lieu solitaire pour vaquer avec plus de liberté à
l’affaire de son salut. Il communiqua son dessein à
Euphrosyne, qui, éclairée de la même lumière que
son mari, se renferma aussitôt dans un monastère de
Sainte-Claire, où, après son année de probation, elle
fit profession de la règle.
Le jour suivant de sa consécration, Conrad se mit

(l) Conradus, miles Placentinus, genere nobilis, ob venatum,


cujus mira capiebatur voluptate, terrenis opibus exspoliatus ad
cœlestes comparandas omnem operam adliibuit. Accidit enim,
ut magno rerum apparatu feras insecutus... ( E x v i t a B . C o n r a d i ,
apud Boll.)
19 F É V R IE R 557

en chemin sans se proposer aucun lieu particulier.


Après avoir marché longtemps, il rencontra un ermi­
tage où quelques tertiaires de Saint-François faisaient
leur demeure; il frappe à la porte et demande pour
l’amour de Dieu un morceau de pain. Ces bons ana­
chorètes le reçurent avec une bonté tout extraordi­
naire, exerçant envers lui tous les actes d’hospitalité,
qu’il pouvait attendre de leur charité.
Conrad resta si édifié du bon exemple et de la sainte
vie de ses hôtes, qu’il les pria de lui donner l’habit de
leur ordre, et de le recevoir à la profession de la règle.
Ce fut dans .cette académie que notre novice devint
bientôt savant dans la science des saints et où il apprit
par la pratique encore plus que par l’étude mentale, la
doctrine du Fils de Dieu et les maximes de saint Fran­
çois. Son exactitude à garder sa règle et sa fidélité à
correspondre à la grâce de sa vocation furent si grandes,
que n’étant encore qu’un jeune profès, il pouvait servir
d’exemple aux vieillards : il priait sans cesse, ne par­
lait jamais sans nécessité, et témoignait une si rare
prudence dans sa conduite, qu’il était l’admiration de
la communauté. Il joignit à sa sagesse une bonté sin­
gulière qui geignait facilement les cœurs des personnes
avec lesquelles il conversait. Quoique ce saint fît tout
son possible pour cacher les grâces dont Dieu le favo­
risait, néanmoins la sainteté de sa vie le rendit si re­
commandable, qu’il fut visité par un grand nombre de
malades qui venaient chercher dans son pouvoir auprès
de Dieu le remède de leurs maux, et jamais leur cou-
558 LES S A IN T S M IL IT A IR E S

fiance ne fut privée de son effet. Au commencement il


ne rebuta personne; mais parce que les miracles por­
tèrent sa renommée fort loin, et que la multitude de
ceux qui venaient le voir troublait son repos, il fut
inspiré de Dieu d’entreprendre le voyage de Rome
pour visiter les reliques des saints martyrs.
Étant arrivé dans l’auguste cité, il y visita tous les
temples, particulièrement celui des saints apôtres
Pierre et Paul, qui avait été le premier motif de son
pèlerinage. De là il passa en Sicile, où il espérait bien
donner un si bon ordre à ses affaires, que personne
n’aurait connaissance ni de sa qualité ni de son mérite.
Mais vous avez beau vous éloigner, grand saint, en
vain vous traversez la terre et la mer pour ensevelir
toutes vos perfections, celui qui en est l’auteur les
manifestera pour sa gloire, et malgré votre modestie
vous serez honoré. En effet, pendant la navigation, il
s’éleva une tempête si horrible, que les mariniers
étaient au désespoir de leur vie, et ne trouvant plus de
secours parmi les hommes, le saint le chercha pour
eux dans le ciel. Son oraison fut si efficace, qu a
peine l’eut-il finie, l’orage cessa, chacun disant avec
étonnement : « Quel est celui-ci à qui les vents et la
mer obéissent. » Ainsi ayant évité le péril, il vint
prendre terre àPalerme et de là il se rendit à Noto, où
il avait appris que la piété était plus en honneur qu’en
aucun autre endroit du royaume. Le voilà donc, ce lui
semble, dans son lieu de repos, où il espère bien passer
le reste de sa vie inconnu aux hommes ; mais il n’y fit
19 F É V R IE R 559

pas un long séjour sans être découvert, car quelque


effort qu’il fît pour cacher l’éclat de ses vertus, le
bruit se répandit aussitôt par toute la contrée qu’un
grand serviteur de Dieu faisait sa demeure dans Noto.
Chacun voulut voir ce prodige de sainteté, et écouter
les oracles que le Saint-Esprit rendait par sa bouche.
Conrad voyant ce concours de monde qui venait de
toutes parts le chercher, jugea qu’il fallait chercher
son salut dans la fuite. Ce dessein était terrible à la
nature, et l’éloignement de toutes les créatures avait
quelque chose de bien dure à un homme de qualité.
Cependant de tous les maux, celui que peut faire la
vanité dans un cœur fidèle lui sembla le plus dange­
reux, et sans autre conseil que celui de la modestie,
il abandonna la ville, et s'enfonça dans le creux d’une
montagne, où il trouva une grotte que la divine Provi­
dence semblait avoir bâtie exprès pour lui servir d’ha­
bitation. Il demeura le reste de ses jours dans cette
caverne, bien éloigné de la compagnie des hommes,
mais fort proche de Dieu, qui se trouve où les créa­
tures cessent de nous donner du secours.
Saint Conrad fit de cette sombre demeure un paradis
de délices spirituelles, où il goûta à loisir combien
le Seigneur est débonnaire envers ceux qui le cherchent
en vérité. La pénitence qu’il pratiqua dans cette soli­
tude est inexplicable; il y souffrit la faim, la soif, la
nudité et toutes les injures du temps, mais avec une
patience sans exemple.
Le diable, jaloux d’une vie si sainte et si pénitente,
560 LES S A IN T S M I L IT A IR E S

le tourmenta en mille manières dans ce désert, et


employa tous ses artifices pour l’en chasser; mais
Conrad demeura toujours victorieux, de tous les com­
bats qu’il lui livra, étant secondé par son bon ange,
qui mit toujours en fuite son ennemi.
Pendant que le saint resta dans cette solitude, où
il croyait être caché aux yeux des hommes, Celui qui
prend plaisir à élever les humbles, le manifesta par
un si grand nombre de merveilles que la narration en
serait impossible; car le signe de la croix qu’il impri­
mait sur les malades, l’eau dont il lavait ses mains, ou
quelque autre chose qu’il eût bénite avait toujours l’effet
que les infirmes en espéraient. Il avait aussi l’esprit
de prophétie et l’événement a souvent justifié ses
prédictions.
Mais l’estime générale des peuples et le concours de
monde qui applaudissait à sa vertu affligèrent si sen­
siblement le serviteur de Dieu, que n’eussent été les
exhortations de l’évèque de Syracuse, qui vint le
visiter, il aurait mis à exécution le projet qu’il avait
déjà formé de fuir si loin, que jamais homme vivant
ne le pût découvrir.
Quelques années après cet entretien, Conrad, sentant
approcher la fin de sa vie que l’âge et les travaux de
la pénitence avaient usée, fut trouver ce bon évêque
pour lui faire sa confession générale; il versa tant de
larmes en s’accusant de ses fautes, qu’on aurait cru sa
vie très criminelle, quoiqu’en effet elle fût très inno­
cente. Il entendit ensuite la messe du prélat, où il
19 F É V R IE R 561

communia avec une dévotion singulière. De retour


dans sa cellule une multitude de petits oiseaux l’en­
vironnèrent, faisant un concert si mélodieux qu’on
n’avait jamais rien entendu de si charmant sur la
terre. Le bienheureux ermite était encore dans le doux
ravissement que lui avait causé cet agréable concert,
lorsque Dieu lui révéla le jour de son trépas et le degré
de gloire qui lui élait préparé dans le ciel. Pour se
rendre plus digne de l’effet de cette heureuse nouvelle,
il demanda les derniers sacrements, et les reçut des
mains de son confesseur ordinaire, avec une présence
d’esprit merveilleuse, sans témoigner de faiblesse ni
de crainte, mais beaucoup de désir de voir Dieu.
Il eut ensuite une extase qui dura assez longtemps
pour croire que son âme avait quitté son corps. Dans
cette suspension de tous ses sens, il fut éclairé d’une
lumière céleste, qui lui donna une grande connaissance
des secrets de l’autre vie; il en découvrit quelque
chose à son confesseur, qui, ravi de tant de merveilles,
se contenta d’admirer ce qu’il ne pouvait comprendre.
Après ce ravissement qui fut d’une heure entière, son
visage parut ardent comme un chérubin, et une lumière
brillante fît un si beau jour dans sa grotte, que les
ténèbres de la nuit furent changées en un plein midi.
Ce fut en cet heureux moment que notre incomparable
solitaire rendit sa sainte âme entre les mains des
anges, qui la portèrent en triomphe dans la Jérusalem
céleste, pour y recevoir la couronne de gloire due à sa
persévérance (13ot).
562 LES S A IN T S M I L I T A I R E S

A l’heure de sa mort, les cloches de Noto et d’Avolo


sonnèrent d’elles-mêmes, et les habitants de ces deux
villes furent avertis par ce signal que la terre avait
perdu ce trésor de sainteté. Ils se transportèrent tous
en hâte dans la grotte du serviteur de Dieu, qu’ils
trouvèrent privé de vie, les genoux en terre, les mains
et les yeux élevés au ciel. Gomme le clergé de Noto se
disposait à lever son saint corps pour lui rendre les
honneurs funèbres dans leur église, celui d’Avolo s’y
opposa fortement et avec tant d’opiniâtreté, que la
bourgeoisie de ces deux villes se mit sous les armes;
et les courages s’échauffèrent de telle sorte, qu’il y eut
plusieurs coups de flèches tirées de part et d’autre,
sans que personne en fût blessé.
Un miracle si évident ayant fait mettre les armes
bas, il fut arrêté par l’avis du confesseur que ce sacré
dépôt serait mis au milieu des deux partis, et que
celui qui le lèverait sans peine lui donnerait la sépul­
ture dans son église. Alors le clergé et les habitants
d’Avolo, désireux de posséder un si précieux trésor
dans l’enceinte de leurs murailles, se prosternèrent
aussitôt, conjurant le saint, les larmes aux yeux, de
choisir leur église pour le lieu de sa sépulture, et lui
promettant de faire bâtir un magnifique temple en son
honneur, et un superbe mausolée pour y mettre ses
vénérables reliques. Après ces vœux et ces prières, les
plus considérables du clergé se mirent en devoir de
lever le saint corps; mais ils ne purent y parvenir
malgré tous leurs efforts, ce qui leur fit connaître que
19 FÉVRIER 563

le bienheureux voulait être enterré à Saint-Nicolas de


Nolo, Aussitôt le clergé de Noto et d’Avolo s’étant joints
ensemble firent cette translation avec beaucoup de
solennité.
Dieu voulant relever la gloire de saint Conrad après
sa mort, comme il avait manifesté sa sainteté pendant
sa vie, permit qu’il se fît quantité de miracles à son
tombeau. Les aveugles étaient illuminés, les muets
recouvraient la parole, les sourds l’ouïe, et les paraly­
tiques l’usage de leurs membres. En un mot, le nombre
en fut si grand, que l’on députa quatre officiers publics
pour en faire les informations et dresser les procès-
verbaux.
Cent soixante ans après l’inhumation du saint, on
voulut faire la translation de ses reliques son corps
fut trouvé entier, sans corruption et exhalant une
odeur céleste; on le mit dans une châsse d’argent*
Dans cette circonstance, Dieu glorifia son serviteur
par un grand nombre de miracles. C’est pourquoi, en
1515, le pape Léon X permit d’honorer sa mémoire
dans la ville de Noto ce que Paul III a étendu à Plai­
sance, à toute la Sicile et à d’autres lieux. Enfin le
pape Urbain VIII a permis, par un bref du 13 sep­
tembre 1625, à tous les religieux de l’ordre de Saint-
François de l’insérer dans leur calendrier.
S ources L e M a r ty r o lo g e R o m a n o - s é r a p h iq u c . — Les B o l-
la n d isie s , au 19 février. — A b r é g é des p lu s illu s tr e s vies des
S a i n t s d u T ie r s - O r d r e d e S a i n t - F r a n ç o i s , par un solitaire.
Paris, 1726. — L e P a l m i e r s é r a p h iq u e .
X X e JOUR DK FÉVRIER

LE BIENHEUREUX EGINHARD
OFFICIER DE LA COUR DE CHARLEMAGNE
ET DE LOUIS LE DÉBONNAIRE, PUIS MOINE, CONFESSEUR

Vers SM -

Le Bienheureux Eginhard n’a pas été nommé dans


la plupart des recueils hagiographiques, même les
plus complets; mais c’est à tort, puisqu’il a reçu un
culte public dans l’abbaye de Fontenelle ou Saint-
Wandrille, au diocèse de Ro.uen, depuis l’époque de sa
mort jusqu’à la fin du dix-huitième siècle.
Il fut élevé à la cour de Charlemagne avec les enfants
de ce monarque. On ignore quelle fut sa famille et le
lieu de sa naissance. Quelques historiens prétendent
qu’il est né dans l’Odenwald. 11 est vraisemblable que
Charlemagne l’affectionna parce qu’il était né pauvre,
mais avec une grande intelligence. Le bienheureux
Alcuin devint son maître, et il fit de si grands progrès
en mathématiques qu’il mérita les éloges de ce savant.
Il fut admis parmi les membres de la cour de Charle­
magne, à côté de Charles-David, d’Alcuin-Flaccus,
sous le nom de Béséel, d’après le livre de l’Exode, et
fut nommé inspecteur des bâtiments royaux. C’est à
20 F É V R IE R 565

ce titre qu’il dirigea les travaux du dôme d’Aix-la-


Chapelle, du grand monastère de Saint-Gall, et qu’il
remit, dit-on, entre les mains de Charlemagne, le plan
de la réunion de la mer du Nord, de la Méditerranée
et de la mer Noire, au moyen de deux canaux. Outre
ces grands travaux, Eginhard fit toujours partie de la
suite de l’empereur comme confident, secrétaire intime,
chancelier impérial. Ce fut en cette qualité qu’il porta
à Rome, pour l’y faire confirmer, en l’année 806, le
testament de Charlemagne.
La légende a fait de l’ami et du fils adoptif de Char­
lemagne le gendre de l’empereur, et la chronique du
douzième siècle, époque à laquelle Charlemagne et son
cycle en général étaient tombés dans le domaine de la
poésie, raconte pour la première fois l’histoire de la
fille de l’empereur, Emma, portant à travers la neige
son amant sur ses épaules; fable qui a bien quelque
fondement historique dans les soucis que donnèrent à
leur père les filles de Charlemagne, et auxquels
Eginhard lui-même fait allusion dans sa Yie de l’em­
pereur. Toutefois il paraît hors de doute qu’Eginhard
n’aurait pas oublié de nommer parmi les enfants de
Charlemagne sa femme Emma, si elle avait été, en
effet, la fille du grand empereur; et qu'il n’aurait pas
passé sous silence, parmi les motifs qui le portaient
à écrire la vie de son ami et de son bienfaiteur, une
alliance aussi proche.
Eginhard, après la mort de Charlemagne (814), resta
à la cour, car l’empereur Louis le Débonnaire l’avait
AINTS MILITAIRES. — T. I. 32
566 L E S S A IN T S M IL IT A IR E S

pris fort en affection et lui confia son fils Lothaire


pour qu’il le format et le conseillât dans ses fonctions
de co-régent de l’empire. Cependant les intrigues et les
agitations de la cour du faible Louis le Débonnaire le
dégoûtèrent de ce genre de vie. Sa femme Emma et lui,
avaient reçu de l’empereur Louis en 815, peut-être
pour prix des services rendus à ce prince dans la suc­
cession paternelle, le gouvernement des domaines de
Michlinstadt et de Mulinheim, dans l’Odenwald. En
outre, et quoi qu’il ne fût pas dans les ordres majeurs,
par un abus très répréhensible de ce temps-là, il
jouissait de plusieurs abbayes et bénéfices; mais il
était probablement dans [les ordres mineurs et s’était
séparé de sa femme d’un mutuel consentement
ils ne se donnaient plus que les noms de frère et de
sœur.
Il résolut donc de fonder sur ses terres un monastère
de bénédictins et d’y finir ses jours. Il fut ordonné
prêtre et devint abbé du monastère de Séligenstald,
fondé et doté par lui à Mulinheim. Emma vécut jus­
qu’en 836; elle fut pleurée par son époux et frère
Eginhard, comme il le dit dans une touchante lettre
adressée par lui à son saint ami l’abbé Loup. Quoique
retiré de toutes les affaires mondaines et politiques et
uniquement occupé des exercices de la vie religieuse
dans son cloître, Eginhard resta dévoué aux intérêts
de la maison impériale. Il chercha dans un livre qu’il
adressa à l’empereur Louis, et qu’il intitula Monita
Gabrielis archangeli ou « Avertissements de l’ar­
20 F É V R IE R 567

change Gabriel », à le ramener de son injuste prédilec­


tion pour son fils Charles; en même temps il rappela
sérieusement à Lothaire ses devoirs de fils et prit pro­
bablement une part active à la fameuse diète de Ni-
mègue en 830, où l’on chercha à réconcilier les princes
divisés.
Eginhard acheva le reste de ses jours dans le calme
de la contemplation, tandis que l’empire était troublé
par. les bouleversements qu’il n’avait pu conjurer.
L’année de sa mort est incertaine; on la place ordinai­
rement en 844; mais on a des raisons de la rejeter
plus tard. Dans un vieux bréviaire de Fontenelle sa
mémoire est inscrite au XV des calendes de juin, mais
on faisait sa fête le 20 février. Auguste Potthast indique
sa mort au 14 mars 844.
Eginhard avait écrit des Annales qui ne nous sont
point parvenues pures d’alliage. 11 nous reste encore
de lui une relation de la translation des saints Mar­
cellin et Pierre, dont il rechercha les reliques pour
son monastère. Ses lettres sont très importantes pour
l’histoire de son temps. Sa lettre à son fils Yussinus
et sa correspondance avec saint Loup prouvent des
connaissances très variées et même une certaine
science de la langue grecque?
Depuis le commencement du seizième siècle, beau­
coup de travaux ont été publiés sur Eginhard en latin,
en français et en allemand. Ses divers ouvrages ont
été reproduits plusieurs fois, mais la publication la
plus complète est celle de M. A. Teulet, elle est inti­
568 LES S A IN T S M I L I T A I R E S

tulée : Œuvres complètes d'Eginhard, réunies pour


la première fois et traduites en français. Paris,
4840-43.

S ources : Dom Piolin, S u p p lé m e n t a u x V ies des s a in ts , au


20 février. — Mabillon, A c t a S S . O . S . B . Sæc IV : Egin-
hardi C o m p e n d iu m v i tæ } sous le titre D e tr a n s la tio n e
S S . M a r c e llin i et P é t r i , M M . — Suvius, V i t æ s a n c to r u m ,
au 2 juin.
X X I e JOUR DE F ÉV R IE R

SAINT MAURICE D'APAMÉE


OFFICIER SUPÉRIEUR

ET SAINT PHOTIN SON FILS


JEUNE MILITAIRE

SAINT THÉODORE D’APAMÉE


SAINT PHILIPPE D’APAMÉE
OFFICIERS

ET 67 AUTRES BIENHEUREUX SOLDATS


MARTYRS

Sous Maximien.

Dans le temps où Maximien se trouvait dans la ville


d’Apamée, quelques prêtres des idoles vinrent lui dire
que le commandant Maurice et bon nombre de ses
soldats méprisaient ouvertement le culte des dieux de
l’empire. Il en fut vivement irrité et sur-le-champ
donna ordre d’arrêter aussitôt les coupables et de les
faire comparaître devant lui. On ne tarda pas à les
amener en sa présence : il y avait Maurice et Photin
son jeune fils, deux officiers, nommés Théodore et
Philippe, et, en outre, 67 soldats.
SAINTS MILITAIRES. — 'J'. 31
570 LES S A IN T S M IL IT A IR E S

Maximien s’adressa d’abord à Maurice et lui dit :


« Les bienfaits que tu as reçus de notre munificence
auraient dû te faire comprendre qu’il était de ton
devoir de te conformer en toutes choses à nos volontés,
mais il paraît qu’il n’en est rien, car non seulement
tu as négligé de ramener aux autels de nos dieux ceux
qui les avaient désertés, mais, par une conduite plus
criminelle encore, tu as excité les autres à leur refuser
tout hommage, et toi-même, tu t’es déclaré publique­
ment leur ennemi! » Maurice « C’est bien cette lutte
contre des dieux qui sont privés de toute espèce de
sentiment, qui nous vaut la victoire et une couronne
de gloire. Nous ne repoussons point, nous ne comp­
tons pas pour rien le Dieu qui nous a formés, comme
vous le prétendez follement, mais nous glorifions
celui qui est le seul véritable Dieu, celui qui a fait
le ciel et la terre avec toutes les choses qu’ils con­
tiennent. Quant aux démons qui ne travaillent qu’au
malheur des hommes, convient-il de les appeler des
dieux? » Maximien « Lorsque tu auras obtenu, par
la faveur des dieux, des honneurs et le grade le plus
élevé dans l’armée, tu leur rendras de belles actions
de grâce. » Maurice « Des honneurs, je n’en ai
jamais reçu de vos dieux et ils n’en recevront point
de moi. Et vraiment, il faudrait être insensé, lorsqu’on
a la connaissance du vrai Dieu, pour rendre des hon­
neurs à une matière dépourvue de tout sentiment. On
ne peut agir ainsi que lorsqu’on est soi-même dépourvu
de raison ». Maximien « Quoi donc! Maurice, t’ima­
21 FÉ V R IE R 571

gines-tu par hasard que ton rang distingué dans


l’armée te permet de nous répondre avec une pareille
hardiesse? »
Ayant ainsi parlé, Maximien fît retirer Maurice pour
qu’il n’assistât pas à l’interrogatoire des autres ac­
cusés; puis, se tournant vers ceux-ci, il leur dit
« Quel mal on vous a fait, en vous persuadant de
renoncer au culte de nos dieux protecteurs pour
adorer un homme crucifié comme homicide! Ce n’est
pas nous, certes, qui vous avons enseigné une si
méprisable doctrine! » Alors Théodore et Philippe
lui répondirent, au nom de tous leurs frères : « Cette
doctrine méprisable, nous serions heureux de te voir
l’embrasser, car loin de nous engager dans l’erreur,
c’est elle qui nous a délivrés de toute erreur, en nous
faisant connaître le seul Dieu véritable : le Père tout-
puissant, Jésus-Christ, son Fils unique et le Très Saint-
Esprit. C'est cet Esprit qui a éclairé nos âmes de sa
divine lumière, qui nous a montré tout ce qu’il y a
d’abominable dans le culte de tes idoles et qui nous
a faits soldats dans la milice du vrai Dieu, qui est
aussi le roi des armées. » Maximien « Un jeune
homme se conduirait avec plus de sagesse que toi,
Philippe, et pourtant tu es déjà arrivé à l’âge respec­
table de la vieillesse! Allons, il faut revenir au culte
de nos dieux, donner à tes soldats le bon exemple et
mériter ainsi que nous te traitions encore plus libéra­
lement que par le passé. » Philippe « Je ne serai pas
un mauvais conseiller pour des hommes qui, agissant
5 7 2 LES SA IN T S M ILITA IR E S

en toute liberté, ont eu le bonheur de parvenir à la


connaissance du vrai Dieu. Il est écrit dans les livres
saints : Malheur à celui par qui le scandale arrive ».
Maximien : « Ma patience, je le vois, ne fait qu’accroître
ton audace, mais sache bien que si tu persistes dans
ton erreur, tu n’éviteras pas de justes châtiments. »
Dans le moment même, tous les soldats du Christ
s’écrièrent à la fois « Ne vous imaginez pas, ô empe­
reur, que vos menaces puissent nous effrayer, elles ne
sauraient troubler des cœurs où règne l’amour du vrai
Dieu. » Alors Maximien commanda de leur ôter leur
ceinture et de les dépouiller même de leur habit mili­
taire. Cet ordre ayant été exécuté, il leur dit : « Voyez
le bel état où vous a réduit votre désobéissance, quelle
honte pour vous! » Mais les saints lui dirent : « Vous
vous trompez beaucoup, si vous croyez que c’est une
honte pour nous d’avoir été dépouillés de notre habit
de soldat, car le Dieu que nous adorons le remplacera
et pour jamais, par un vêtement d’honneur et de
gloire. »
Voyant qu’il ne pouvait rien gagner sur eux, Maxi­
mien les fit conduire en prison, afin, dit-il, qu’ils
eussent là le temps de réfléchir à loisir sur le parti
qu’ils devaient prendre. Au bout de trois jours, il les
appela de nouveau devant son tribunal, et, dès qu’ils
furent en sa présence, il leur dit : « Eh bien! soldats,
j ’espère que vous avez consulté vos véritables intérêts,
que vous avez pris le bon parti, que vous avez résolu
enfin de sacritier aux dieux, et, par ce sage moyen,
21 FÉV R IER 573

d’échapper à une mort cruelle. » Les saints lui répon­


dirent « Nous avons pris en effet le bon parti, et
c’est pourquoi nous n’adorerons jamais les démons.
Faites donc contre nous tout ce qui vous plaira, car,
en supportant des supplices passagers, nous éviterons
par là des châtiments éternels. »
Ils parlaient encore lorsque Maximien, apercevant
au milieu d’eux un tout jeune homme, lui demanda
qui il était et comment il s’appelait. « Je suis un
soldat du Christ, répondit le jeune militaire, et je
m’appelle Photin. Le clarissime Maurice est mon père;
il m’a engendré non seulement selon la chair, mais
encore selon l’esprit, car c’est de lui que j’ai reçu la
connaissance du vrai Dieu. » Maximien : « Tu parles
comme on parle à ton âge, jeune homme, tu parles
comme un insensé ; mais, puisqu’il s’agit en ce
moment de ton bonheur, de ton avenir, crois-moi,
épargne ta belle jeunesse et viens sacrifier au grand
Jupiter. » Photin « Eh quoi! parce que je ne ferais
pas ce qui vous plaît, que je refuserais de sacrifier à
vos idoles, je serais un insensé? La suprême sagesse,
c’est de croire à Notre-Seigneur Jésus-Christ. »
Photin ayant ainsi confessé sa foi, Maximien déclara
aux vaillants chrétiens que, s’ils ne consentaient à
sacrifier de leur plein gré, il allait les y contraindre
par la force des tourments. Mais les saints s’y refu­
sèrent généreusement. Alors le tyran commanda de les
étendre tous à terre, de les frapper avec des nerfs de
bœuf et puis de les déchirer avec des ongles d’acier.
574 LES SAINTS MILITAIRES

Pendant cette exécution cruelle, les martyrs priaient,


s’exhortaient mutuellement à la patience et paraissaient
insensibles à leurs propres douleurs. Ils dirent enfin
à Maximien que, si cela lui était agréable, il pouvait
essayer contre eux d’autres tortures. En les entendant
parler ainsi, le tyran se sent provoqué ; il ne se pos­
sède plus de colère; par ses ordres, on prépare aussitôt
un immense bûcher, on y met le feu et les saints y
sont tous jetés. Ce fut bien en vain car, par la puissance
de Dieu, les martyrs n’éprouvèrent aucun mal. A la
vue d’un miracle aussi extraordinaire, le peuple, qui
était accouru en foule à ce spectacle, poussait des cris
d’admiration. Il n’y eut que le seul Maximien qui n’en
fut point touché, car, dans sa fureur, il commanda
aux bourreaux de se remettre à déchirer les martyrs
et, comme Maurice lui faisait remarquer l’inutilité de
ses efforts, il s’en vengea tout de suite en faisant
égorger Photin sous les yeux de son père.
Cependant Maximien, qui se sentait vaincu, tint
conseil avec ses assesseurs pour savoir comment on en
finirait avec les saints martyrs. Ils furent condamnés
à un genre de mort atroce : ils devaient être attachés,
tout enduits de miel, aux arbres d’un bois marécageux
et abandonnés là aux morsures cruelles de millions
d’insectes qui viendraient les dévorer. C’est, en effet,
de cette manière qu’ils achevèrent leur glorieux combat
après quelques jours d’un lent et affreux supplice.
Lorsque Maximien eut appris qu’ils avaient tous
succombé, sa haine ne se trouva pas encore satisfaite;
21 FÉVRIER 575

il envoya des bourreaux pour les décapiter. Peu de


temps après, les chrétiens profitèrent des ténèbres de
la nuit pour recueillir les dépouilles des saints et leur
donner une honorable sépulture.

S ource L es B o lla n d is te s , au 21 février.

LE BIENHEUREUX PÉPIN DE LANDEN


DUC DE BRABANT ET MAIRE DU PALAIS d’a ü STRASIË
CONFESSEUR

640.

Pépin surnommé.de Landen vint au monde en 580.


11 était fils de Carloman et d’Emegarde, qui apparte­
naient tous deux à la plus haute noblesse du royaume
franc. L’auteur anonyme qui a écrit sa vie nous donne
peu de détails; mais ce qu’il dit suffît pour montrer
que ce fut un de ces hommes dont la grâce corrigea la
nature barbare et qui firent de la France, le royaume
très chrétien, le protecteur né des intérêts de Dieu et
de son Église.
La jeunesse de Pépin fut tout entière passée à la
cour de Clotaire II. Il sut s’y conserver chaste au
milieu des délices et des séductions de tout genre. Il
montra en même temps un esprit si propre à la conr
duite des peuples et au maniement des affaires que
576 LES SA IN T S M ILITA IR E S

Clotaire le fit maire du palais, malgré son âge peu


avancé. Il porta cette charge peu différente de la dignité
royale, avec honneur, et la grande prudence qu’il
déploya dans les affaires les plus difficiles, lui valurent
l’admiration et l’estime de tous. Fidèle à son roi, plein
d’amour pour le peuple, il sut concilier les droits de
l’un et de l’autre et ne permit jamais que, pour favo­
riser le peuple, on fît tort au roi ni que l’on causât de
dommage au peuple pour servir les intérêts particuliers
du roi.
Ayant résolu de se marier, il choisit pour femme
Ideburge, sœur de saint Modoald, évêque de Trêves,
aussi distinguée par ses vertus que son mari, et qui,
comme lui, a mérité d’être placée dans le catalogue
des saints. Dieu, qui voulait faire de grandes choses
par Pépin, bénit ce mariage. Il leur donna trois en­
fants : Grimoald, qui succéda à son père dans la charge
de maire du palais; Gertrude qui fut la fondatrice des
chanoinesses de Nivelle; enfin Beggha, la troisième
fille de Pépin, épousa Anségise, fils de ce saint Arnoul
qui renonça au siècle et fut depuis évêque de Metz. De
cette union naquit Pépin d’Héristal, père de Charles
Martel, aïeul, par conséquent, de Pépin le Bref et du
plus illustre roi de France, Charlemagne. Dieu voulait
ainsi récompenser, par une grande et magnifique pos­
térité, les vertus du père et de la mère.
Pour si sage que fût Pépin, il ne crut cependant pas
pouvoir bien gouverner les peuples sans l’aide d’hommes
savants et saints. Il choisit d’abord, pour conseiller,
21 FEV R IER 577

saint Arnoul, évêque de Melz, qu’il connaissait comme


très rempli de la crainte et de l’amour de Dieu; et
quand celui-ci eut quitté la terre, il le remplaça, dans
son conseil, par un autre saint évêque, Cunibert de
Cologne.
Le roi Clotaire II voulant associer son jeune fils
Dagobert au trône, lui donna l’Austrasie et choisit,
parmi tous les grands du royaume, le bienheureux
Pépin pour lui confier entièrement la conduite du
jeune prince qui ne devait rien faire que d’après l’avis
d’un si sage conseiller. Cette charge fut aussi digne­
ment remplie que toutes les autres. Le trône d’un roi
qui rend justice aux pauvres, répétait-il souvent à
Dagobert, ne sera jamais ébranlé. Ainsi, ce fut par sa
prudence que ce roi gouverna si heureusement, non
seulement l’Austrasie, mais encore tous les États que
son père lui laissa en mourant. Son frère Garibert, et
plusieurs grands les lui ayant disputés, cette faction
fut bientôt dissipée par la valeur de Pépin, qui n’était
pas moins généreux dans la guerre que juste et sage
dans la paix.
Cependant Dagobert emporté par ses passions, s’étant
laissé entraîner dans les désordres de la volupté, eut
recours à des moyens injustes pour couvrir ses folles
dépenses. Pépin en eut le cœur percé de douleur et il
n’oublia aucune remontrance pour faire rentrer le
prince dans le devoir. Ses avis furent d’abord mal
accueillis, et Dagobert, poussé par ses courtisans,
songea même à faire périr son sage conseiller. Mais
— T . I. 33
578 LES SAINTS MILITAIRES

Dieu, qui veille sur ses saints, délivra Pépin de ce


péril. Le roi comprit enfin la sagesse de ses remon­
trances, et eut plus de vénération que jamais pour le
mérite et la vertu d’un si grand ministre ; et pour lui
en donner une preuve non équivoque, il mit entre ses
mains son fils Sigebert, qu’il envoya régner en Aus-
trasie sous sa conduite. Ainsi Sigebert étant roi de
nom et Pépin gouvernant en effet le royaume, l’Aus-
trasie se trouva délivrée des incursions des barbares
dont elle avait eu tant à souffrir auparavant. Il les
réprima et les refoula victorieusement dans leur pays.
Ce saint duc mourut le 21 février de l’an 640, dans
son château de Landen en Brabant; l’affliction que
toute l’Austrasie en conçut fut si extraordinaire, qu’elle
ne le pleura pas moins que l’un de ses meilleurs rois :
« car il était, nous dit l’auteur de sa vie, l’oracle de
la sagesse, le trésor des conseils, la défense des lois,
la fin des procès, le soutien de la patrie, l’ornement de
la cour, le modèle des grands et l’école des rois ». Son
corps, qui fut d’abord déposé au lieu où il mourut, fut
depuis transféré au monastère de Nivelle et renfermé
dans une châsse avec ceux de saint Ideburge ou Ilte,
sa femme, et de sainte Gertrude, leur illustre fille. On
trouve le nom du bienheureux Pépin dans les Marty­
rologes de Flandre et dans les litanies publiées avec
rautorisation de l’archevêque de Malines, mais il n’a
jamais été honoré dans l’Église par un office public,
bien que l’on porte ses reliques dans les processions.
D’après Bollandus, on doit considérer le bienheureux
21 FÉVRIER 579

Pépin de Landen comme ayant reçu depuis de longs


siècles les honneurs d’un culte public.

S ouiices L e s B o l la n d is te s , au 21 février. — Le Pèlerin,


V ie s des S a in t s . — L e s P e t i t s B o lla n d is te s .
X X I I e JOUR DE F É V R I E R

SAINT GALLE
CONSUL, MARTYR

Époque indéterminée.

La sainteté de Galle ajoute beaucoup, sans doute, à


l’éclat de la dignité consulaire, mais l’honneur qu’elle
lui fait serait plus grand encore, si nous le voyions
briller dans les actes mêmes du saint martyr. Or,
malheureusement, tout ce que nous savons de lui
se réduit à la simple mention que nous trouvons dans
le Martyrologe dit de saint Jérôme, Martyrologe dont
on ne saurait d’ailleurs assez reconnaître le mérite.
Voici comment il s’exprime « A Antioche, la nais­
sance au ciel du consul Galle ». Comme la mention
est suivie d’une longue liste de martyrs, on croit que
c’est par le martyre que Galle a conquis les palmes
immortelles.

S ource : Les Bollandistes , au 22 février.


22 FÉVRIER 581

SAINT EUTÈRE
OFFICIER DU PALAIS, MARTYR

Époque indéterminée.

Le Martyrologe de saint Jérôme fait aujourd’hui


mention de plusieurs martyrs qui souffrirent à Nico-
médie, et probablement sous l’empire de Dioclétien.
L’un d’eux, nommé Eutère, est qualifié de palatin. Or
nous savons par l’histoire, que les palatins étaient des
soldats d’élite chargés du service militaire dans le
palais des empereurs.

S ource L es B o l la n d is te s , au 22 février.
X X I V e JOUR DE F ÉV R I E R

SAINT ETHELBERT DE KENT


ROI DE KENT, EN ANGLETERRE, CONFESSEUR

616.

Ethelbert était arrière-petit-fils de Hengist, le pre­


mier des conquérants saxons, qui lui-même passait
pour descendre d’un des trois fils du grand Odin.
Irminric, son père, étant mort en 560, il lui succéda
sur le trône de Kent, le plus ancien de l’Heptarchie
saxonne. Une paix profonde de près d’un siècle avait
rendu ce royaume très florissant. Il le devint plus
encore lorsque le vaillant Ethelbert eut acquis par ses
conquêtes cette sorte de suprématie militaire qui s’at­
tachait au titre de Bretwalda ou de chef temporaire de
la Confédération saxonne.
Ce fut pour affermir sa puissance que le roi de Kent
rechercha l’alliance de Caribert, roi des Francs de
Paris, et lui demanda en mariage Berthe, sa fille
unique. La jeune princesse fut accordée au roi païen,
mais à la condition qu’elle pourrait observer librement
les préceptes et les pratiques de sa foi sous la garde
d’un évêque gallo-franc. Ce fut Lindhard de Senlis qui
l’accompagna sur la terre étrangère et qui n’oublia
24 FÉVRIER 583

rien pour la confirmer dans ses pieuses résolutions et


la faire avancer de plus en plus dans les voies de Dieu.
Il allait avec elle célébrer les divins mystères dans une
ancienne église dédiée à saint Martin, près de Cantor-
béry. Cependant le roi de Kent, charmé des douces et
aimables vertus de la reine, éprouvait déjà moins
d’éloignement pour le christianisme, lorsque le moine
Augustin, envoyé par le pape saint Grégoire, vint, avec
plusieurs de ses frères, aborder aux rivages de son
royaume.
Ethelbert n’autorisa pas tout d’abord les mission­
naires romains à venir le trouver dans la cité de Gan-
torbéry, qui lui servait de résidence. Tout en pour­
voyant à leur subsistance, il leur prescrivit de ne pas
sortir de l’Ue où ils avaient débarqué, pendant qu’il
délibérerait sur ce qu’il avait à faire. Au bout de quel­
ques jours il alla les visiter lui-même, mais ne voulut
les entretenir qu’en plein air; on ne sait quelle super­
stition païenne lui faisait redouter d’être victime de
quelque maléfice s’il se trouvait sous le même toit avec
ces étrangers. Au bruit de son approche, ils s’avancè­
rent processionnellement au-devant de lui, en chantant
des litanies en usage à Rome. A leur tête marchait
Augustin, dont la haute stature et la prestance patri­
cienne attiraient tous les regards, car il dépassait,
comme Saül, tous les autres de la tête et des épaules.
Le roi, entouré d’un grand nombre de ses fidèles,
les reçut assis sous un grand chêne et les fît asseoir
devant lui. Après avoir écouté le discours qu’ils lui
584 LES S A IN T S M IL IT A IR E S

adressèrent en même temps qu’à l’assemblée, il leur


fit une réponse très loyale et très sincère. « Voilà de
belles paroles et de belles promesses : mais tout cela
est nouveau et incertain pour moi. Je ne puis tout
d’un coup y ajouter foi, en abandonnant tout ce que
j ’observe depuis si longtemps avec toute ma nation.
Mais puisque vous ôtes venus de si loin pour nous
communiquer ce que vous-mêmes, à ce que je voi°,
croyez être la vérité et le bien suprême, nous ne vous
ferons aucun mal; au contraire, nous vous donnerons
l’hospitalité; et nous aurons soin de vous fournir de
quoi vivre; nous ne vous empêcherons pas de prêcher
votre religion, et vous convertirez qui vous pourrez. »
Fidèle à cet engagement, Ethelbert permit aux mis­
sionnaires de le suivre à Gantorbéry, où il leur assigna
une demeure qui s’appelle encore Stable Gote> la
porte de l’hôtellerie. Ce fut dans la petite église où la
reine Berthe allait prier et pratiquer son culte, qu’Au-
guslin et ses compagnons allèrent, eux aussi, chanter
leur office monastique, célébrer la messe, prêcher et
baptiser. En effet, l’innocente simplicité de leur vie, la
douceur céleste de leur doctrine avaient bientôt paru
aux Saxons des arguments d’une invincible éloquence;
et chaque jour voyait croître le nombre de ceux qui
demandaient le baptême.
Le bon et loyal Ethelbert ne les avait pas perdus de
vue, car charmé lui-même comme tant d’autres par la
pureté de leur vie et séduit par les promesses dont
plus d’un miracle attestait la vérité, il ne tarda pas à
24 FÉ V R IE R 585

renoncer publiquement au culte des idoles et reçut le


baptême des mains d’Augustin. Ce fut le jour de la
Pentecôte de l’an de grâce 597 que ce roi Anglo-Saxon
entra ainsi dans l’unité de la sainte Église du Christ.
Depuis le baptême de Constantin, et si l’on en excepte
celui de Clovis, il n’y avait point eu d’événement plus
considérable dans les annales de la chrétienté. Une
foule de Saxons suivirent l’exemple de leur roi, et les
missionnaires monastiques sortirent de leur premier
asile pour prêcher de tous les côtés en construisant
çà et là des églises. Le roi, fidèle jusqu’au bout à ce
noble respect de la conscience d’autrui dont il avait
donné l’exemple avant même d’êlre chrétien, ne voulut
contraindre personne à changer de religion. Il se bor­
nait à aimer davantage ceux qui, baptisés comme lui,
devenaient ses concitoyens dans la patrie céleste.
Sur ces entrefaites, Augustin, se voyant désormais
à la tête d’une chrétienté importante et conformément
aux instructions données par le Pape, retourna en
France pour s’y faire sacrer archevêque des Anglais
par Virgile, le célèbre métropolitain d’Arles. Revenu à
Gantorbéry, il trouva que l’exemple du roi et les tra­
vaux de ses compagnons avaient fructifié au delà de
toute attente, à tel point que la solennité de Noël de
la même année 597, plus de dix mille Anglo-Saxons se
présentèrent pour recevoir le baptême.
Le premier des néophytes fut aussi le premier'des
bienfaiteurs de la naissante Église. Ethelbert, de plus
en plus pénétré de respect et de dévouement pour la
SAINTS M ILITAIRES. — T. I. 33.
586 LES S A IN T S M IL IT A IR E S

foi qu’il venait d’embrasser, voulut donner un gage


éclatant de sa pieuse humilité en abandonnant au
nouvel archevêque son propre palais dans la ville de
Cantorbéry et en établissant désormais sa résidence
royale à Reculver, ancienne forteresse romaine sur la
rive voisine de l’île où avait débarqué Augustin. A
côté de la demeure du roi transformée en monastère
pour l’archevêque et ses religieux, et sur le site d’une
vieille église du temps des Romains, on commença à
construire une basilique destinée à devenir, sous le nom
d’église du Sauveur ou du Christ (Christ Church),
la métropole de l’Angleterre. Augustin, toujours à la
recherche des vestiges que l’ancienne foi avait laissés
dans la Grande-Bretagne, ayant su découvrir l’empla­
cement d’une église chrétienne, transformée en temple
païen et entourée d’un bois sacré, Ethelbert lui aban­
donna ce temple avec tout le terrain environnant.
L’archevêque en refit aussitôt une église qu’il dédia à
saint Pancrace, jeune martyr de Rome, et autour de
ce nouveau sanctuaire, il éleva un autre monastère
sous l’invocation des apôtres de Rome, Pierre et Paul.
Il eut la satisfaction de faire sanctionner la nouvelle
fondation par la ratification solennelle du roi et des
chefs de la nation qu’il avait convertie.
La charte de donation a été remise en lumière de
nos jours comme le plus ancien monument authen­
tique de l’histoire religieuse de l’Angleterre. Le roi
Anglo-Saxon y parle ainsi : « ... Moi, Ethelbert, roi de
Kent, avec le consentement du vénérable archevêque
24 FÉVRIER 587

Augustin et de mes nobles, je donne et concède à


Dieu, en l’honneur de saint Pierre, quelque portion de
la terre qui est de mon droit et qui gît à l’est de la
ville de Cantorbéry, afin qu’un monastère y soit cons­
truit, et que les propriétés ci-après dénommées soient
en la possession de celui qui en sera ordonné abbé.
C’est pourquoi j’adjure et j ’ordonne, au nom du Dieu
tout puissant, qui est le juste et souverain juge, que
cette terre ainsi donnée le soit à jamais, qu’il ne soit
loisible ni à moi, ni à mes successeurs, d’en ôter une
part quelconque à ses possesseurs ; et si quelqu’un
tente d’amoindrir ou d’annuler notre donation, qu’il
soit, dans cette vie, privé de la sainte communion du
corps et du sang de Jésus-Christ, et, au jour du juge­
ment, séparé de la compagnie des saints..... f, Moi
Ethelbert, roi des Anglais, j ’ai confirmé cette donation
de ma propre main avec le signe de la sainte croix.
t Moi, Augustin, etc., etc. »
Cependant Ethelbert ne tarissait pas en sollicitude
et en générosité à l’égard de l’Église dont il était
devenu le fervent néophyte. Non content des bienfaits
qu’il avait attribués aux deux grands monastères de
Cantorbéry, à celui qui entourait l’église métropoli­
taine et à l’abbaye des Saints Pierre-et-Paul hors des
murs, il seconda de tout son pouvoir l’introduction
du christianisme dans un royaume voisin du sien et
placé sous sa dépendance, celui des Saxons de l’Est
ou d’Essex, dont le roi était fils de sa sœur, et qui
n ’était séparé de Kent que par la Tamise. Augustin y
588 LES S A IN T S M IL IT A IR E S

ayant envoyé pour évêque le moine Mellilus, Ethel-


bert fit construire à Londres, que les Saxons de l’Est
avaient pour capitale, une église dédiée à saint Paul,
pour en être la cathédrale, comme elle l’est encore.
Dans son propre royaume de Kent, il autorisa l’érec­
tion d’un second évêché, situé à Rochesler, cité ro­
maine, à 20 milles à l’ouest de Cantorbéry, et il y fit
construire une cathédrale qu’il appela du nom de
Saint-André, en mémoire du monastère romain d’où
le pape Grégoire avait tiré tous les apôtres de la race
Anglo-Saxonne.
Toutes ces fondations, destinées à durer jusqu’à
nos jours, malgré tant de singulières et douloureuses
transformations, lui constituèrent des titres impéris­
sables à la reconnaissance de la postérité chrétienne;
et longtemps après, lorsque la féodalité normande eut
à son tour envahi et transformé l’Église d’Angleterre,
le roi Ethelbert lui apparut comme celui qui avait le
premier muni de forteresses seigneuriales, sous forme
d’évêchés et de monastères, le royaume qu’il voulait
tenir en fief du seigneur Dieu.
Il fit plus encore en imprimant à la propriété et à
la liberté de l’Église dans son pays ce qu’on peut
appeler, en termes encore plus exacts que modernes,
une sanction légale et parlementaire. Dans une de ces
assemblées périodiques des sages et des grands du
peuple Saxon, qui portaient le nom de Witenagemot,
il fit rédiger et publier en langue Anglo-Saxonne des
lois dont le texte nous a été conservé. Elles consa­
24 FÉVRIER 589

craient à la fois les vieux droits de son peuple et les


nouveaux droits accordés à la nouvelle Église. Le
premier des quatre-vingt-dix articles de cet acte légis­
latif édicte contre ceux qui déroberaient les biens de
l’Église, des évêques ou des autres ordres du clergé,
des amendes onze et douze fois plus considérables
que la valeur du corps du délit; toutefois, d’après les
instructions données par le Pape Grégoire à Augustin,
cette plus-value de l’amende ne profitait pas à l’Église,
qui devait se contenter de la simple restitution.
Le même article de cet acte sanctionnait implicite-
.ment ce que les Anglais ont depuis appelé le Droit du
sanctuaire, c’est-à-dire le droit d’asile et de protection
reconnu à l’enceinte des églises et des monastères,
en frappant la violation de cette paix de l’Église d’une
pénalité double de celle encourue par les délinquants
contre la paix publique ou ordinaire. La nation tout
entière sanctionnait et ratitiait ainsi l’œuvre de son
roi, en plaçant sous la sauvegarde des lois pénales la
propriété et la sécurité des ministres du culte qu’elle
venait d’adopter.
En l’an 600, saint Grégoire le Grand avait envoyé au
roi de Kent plusieurs présents avec une lettre dans
laquelle il le félicitait de son zèle pour la religion; il
lui donnait aussi d’excellents avis par rapport à son
salut. Ce fut en les suivant fidèlement que le généreux
Ethelbert sortit toujours victorieux des rudes combats
qu’il eut à soutenir, et contre ses passions, et contre le
monde, et contre l’esprit des ténèbres. Les armes qu’il
590 L E S S A IN T S M IL IT A IR E S

employait étaient la prière, la vigilance, l’humilité et


la mortification. La bienfaisance était encore une de
ses principales vertus, et ses sujets, surtout ceux qui
étaient dans le besoin ou le malheur, en ressentaient
lés heureux effets. Il gouvernait son peuple en père
plutôt qu’en maître, et faisait régner dans ses États la
paix, la justice et la piété. Il y avait cinquante-six ans
que le noble et vaillant Ethelbert gouvernait le royaume
de Kent, lorsque Dieu l’appela à la récompense éter­
nelle (616). Il fut inhumé dans l’église du monastère de
Saint-Pierre et de Saint-Paul; on leva ensuite son
corps de terre pour le mettre sous le grand autel.
Polydore Virgile rapporte qu’on entretenait autrefois
une lampe perpétuelle devant son tombeau et qu’il s’y
est opéré des miracles jusqu’au règne de Henri VIII.

S ources L e M a r ty r o lo g e R o m a i n . — L e s B o lla n d is te s , au
24 février. — L e s M o in e s iV O c c id e n t, livre XII.
X X V e JOUR DE FÉVRIER

SAINT PIERRE DE PHOENICE


GARDE DE PRISON
ET 7 BIENHEUREUX SOLDATS, MARTYRS

Vers 304.

Durant la persécution de Dioclétien, le prêtre Ana-


nias ayant été arrêté, confessa la foi au milieu des
tourments avec un courage vraiment héroïque. C’était
dans une ville nommée Phœnice. Il y avait déjà sept
jours que le martyr avait été ramené en prison, où il
était privé de toute nourriture, lorsque, pendant la
nuit, Notre-Seigneur lui apparut et lui dit « Ananias,
je suis Celui pour qui tu souffres; ne crains rien, parce
que je suis toujours auprès de toi et que je ne t ’aban­
donnerai point. » Aussitôt Ananias se prosterna le
visage contre terre et dit « Daignez, Seigneur, me
bénir encore davantage. » Le Seigneur lui répondit :
« Je t’ai déjà béni, Ananias, et tu auras la vie éter­
nelle pour héritage. Quant aux aliments qu’on te pré­
senterait, refuse-les, car c’est moi qui veux te nourrir. »
Après avoir ainsi parlé, le Seigneur disparut, laissant
la prison encore remplie d’une vive lumière. Cinq jours
après, c’était l’Esprit consolateur qui s’approchait,
592 L E S S A IN T S M IL IT A IR E S

sous la forme d’une colombe, pour encourager, par de


douces et fortifiantes paroles, le martyr au combat.
Cependant Pierre, le garde de la prison, qui avait
vu la lumière, qui avait entendu les voix, et enfin qui
ne pouvait comprendre comment Ananias pouvait
vivre sans manger, fut tellement touché de ces mer­
veilles que, s’étant jeté aux pieds du martyr, il lui
déclara que, lui aussi, il était chrétien et qu’il voulait
partager ses souffrances. Alors le saint prêtre rendit
grâces à Dieu, et lorsqu’il eut instruit Pierre des vé­
rités de la religion, il lui conféra le baptême.
Le bruit de cette conversion ne tarda pas à parvenir
aux oreilles du gouverneur Maxime, qui fit compa­
raître les deux chrétiens devant son tribunal. Ananias
ayant refusé avec plus d’énergie que jamais de sacri­
fier aux dieux, il le fit placer sur un gril ardent; mais*
le martyr ne parut pas en souffrir beaucoup, car il
louait et bénissait le Seigneur avec un visage tout
rayonnant de joie; ce .qui irrita tellement Maxime,
qu’il le fit enlever de l’instrument de supplice. Le
gouverneur s’étant ensuite tourné vers Pierre, le me­
naça de toute sa colère, si à l’instant il n’offrait de
l’encens aux idoles, mais celui-ci n’en voulut rien
faire et dit hardiment : « Cette foi que le prêtre
Ananias, mon seigneur et mon maître, vient de me
conférer si généreusement, moi aussi, je*la confesse;
comme lui, je suis chrétien, et comme lui encore,
je ne puis désormais faire qu’une chose, c’est de
m’attacher aux pas du Christ, de qui j ’attends vie,
25 FÉVRIER 593

bonheur el gloire. » Alors Maxime dit : « Mais si ton


maître consentait enfin à sacrifier, toi, que ferais-tu? »
Pierre répondit : « Il faut être un serviteur du démon
pour imaginer que cela puisse arriver, car plutôt
verrait-on la mer franchir les montagnes, que mon
maître s’écarter du droit chemin de la vérité; ainsi
il en sera de moi, qui suis son disciple, puisque c’est
lui qui m’a fait passer des ténèbres de l’erreur aux
clartés de la véritable lumière. »
S’adressant de nouveau à Ananias, Maxime lui dit :
« Vois dans quel misérable état tu es! et comme
toutes tes chairs sont brûlées! N’auras-tu pas enfin
pitié de toi-même, et vas-tu me forcer à recourir à
de nouveaux supplices? » Ananias ayant répondu que
les tortures auxquelles on l’avait soumis ne lui avaient
causé aucune douleur, et que, si l’on voulait lui en
infliger d’autres, elles ne feraient que rendre plus
manifeste'la puissance de Jésus-Christ, Maxime com­
manda aux bourreaux de lui frotter tout le corps avec
du sel et du vinaigre, et en même temps il fit étendre
Pierre sur des charbons ardents; mais les deux mar­
tyrs supportèrent leurs souffrances avec tant de cou­
rage, que Maxime ne sachant plus que faire, les con­
damna à être jetés dans les fourneaux qui servaient
à chauffer les bains publics.
Trois joute après, le gouverneur envoyait là sept
soldats pour savoir de quelle manière ses ordres
avaient été exécutés. Mais la surprise de ces hommes
fut extrême, lorsque la porte de la fournaise ayant été
594 L E S S A IN T S M IL IT A IR E S

ouverte, ils aperçurent les deux martyrs aussi pleins


de vie et de santé, au milieu des flammes, que s’ils se
fussent trouvés dans un lieu agréable et frais. Ce
spectacle les convertit sur-le-champ à Jésus-Christ, et
s’étant empressés de retourner avec Ananias et Pierre
devant le gouverneur, ils lui déclarèrent qu’eux aussi,
ils étaient chrétiens. Le gouverneur les fit d’abord
fouetter cruellement et puis jeter dans un grand bra­
sier, mais une pluie très abondante qui survint à
l’instant même éteignit le feu. Voyant cela, Maxime
voulut les faire tous périr sous la dent des bêtes de
l’amphithéâtre, mais ce fut en vain qu’on les excita
contre eux, car, loin de se précipiter sur les saints
pour les dévorer, elles s’approchèrent doucement d’eux
et se contentèrent de leur lécher les pieds.
Maxime se sentait vaincu et humilié, et voulant en
finir avec ces chrétiens invincibles, il les fit conduire
en pleine mer pour y être noyés. Mais, dociles aux
conseils divins, les flots ramenèrent leurs dépouilles
sacrées jusque sur le rivage où les chrétiens les recueil­
lirent pour les ensevelir avec honneur.

S ources : L es au 25 février. —
B o lla n d is te s , M e n o lo g iu m
G r æ c o - B a s ili a m i m , XVII Januarii.
25 F É V R IE R 595

SAINT TARAISE
CONSUL ET SECRÉTAIRE D’ÉTAT, PUIS PATRIARCHE
DE CONSTANTINOPLE, CONFESSEUR, PONTIFE

8 06 .

Taraise naquit à Constantinople, vers le milieu du


huitième siècle. Son père se nommait Georges, et sa
mère Eucratie ils étaient tous deux de race patri­
cienne. Georges exerçait une des premières charges de
la magistrature, et jouissait de la plus haute considé­
ration, à cause de son attachement inviolable aux
règles de la justice. Eucratie, encore plus distinguée
par sa vertu que par sa naissance, n’était pas moins
universellement estimée. Elle voulut former elle-même
son fils à la pratique de la religion, et elle y réussit
merveilleusement. Entre autres leçons qu’elle lui don­
nait, elle insistait particulièrement sur la fuite des
mauvaises compagnies. Le jeune Taraise répondait
parfaitement aux soins de sa pieuse mère, et laissait
déjà entrevoir ce qu’il serait un jour.
Il ne fut pas plus tôt entré dans le monde, qu’il se
fît admirer par ses talents et par ses vertus. Il mérita
d’être élevé à la dignité de consul, puis à celle de
premier secrétaire d’État sous Constantin VI et l’im­
pératrice Irène, sa mère. La connaissance qu’il avait
des choses humaines, l’empêcha de se laisser éblouir
par le faux éclat des honneurs. Le séjour de la
596 LES S A IN T S M I L I T A I R E S

cour, ordinairement si préjudiciable à l'innocence,


parce que tout y flatte les passions, n’alléra pas les
sentiments de piété gravés dans son cœur; il y vécut
toujours en chrétien, ou plutôt en religieux. C'est
ainsi que Dieu le préparait à la place éminente qu'il
lui destinait dans son Église.
En effet, après la mort du patriarche Paul, Taraise
fut appelé par la voix unanime des suffrages à lui
succéder; il n’y consentit qu'à regret et à la condition
qu’il lui serait permis de faire assembler un concile
général pour terminer les disputes et les troubles que
l'hérésie des iconoclastes avait soulevés en Orient. Il
fut sacré le jour deNoël de l'année 784.
Aussitôt qu’il fut monté sur le siège patriarcal,
Taraise en donna avis au Pape Adrien, en le priant de
vouloir bien envoyer ses légats pour le concile. Ce fut
seulement le 1er août 786, lorsque les légats du Saint-
Siège furent arrivés, qu’on en fit l’ouverture dans
l’église des Saints-Apôtres de Constantinople; mais les
violences des iconoclastes ne permirent pas de le
continuer. L’année suivante, les évêques, au nombre
de trois cent cinquante, se réunirent à Nicée, en Bi-
thynie. Taraise fut l’âme de cette nouvelle assemblée
qui porta un coup mortel à l’hérésie.
Conformément aux décisions des Pères, le patriarche
fit rétablir les images des saints dans toute l’étendue
de son diocèse, et il s’appliqua avec le plus grand zèle
à extirper les abus. Le clergé et le peuple trouvèrent
en lui un modèle accompli de toutes les vertus. Il
25 F É V R IE R 597

bannit de sa table tout ce qui sentait la somptuosité,


et ne voulut point souffrir dans son palais de meubles
magnitiques. Saintement avare de son temps, il en
donnait très peu au sommeil; il était toujours le der­
nier couché et le premier levé .de sa maison. La prière
et la lecture emportaient tout ce qu’il avait d’heures
de loisir. Fidèle imitateur de Jésus-Christ, qui aima
mieux servir que d’être servi, il avait rarement recours
à ses domestiques. Mais la vertu dominante du saint
patriarche, c’était son immense charité pour les pau­
vres. On le vit souvent leur distribuer de ses propres
mains ce qu’on avait servi sur sa table. 11 assigna des
revenus fixes pour fournir à leurs besoins, il allait
lui-même dans les maisons et les hôpitaux de Cons­
tantinople, tant il craignait que quelque malheureux
ne restât sans secours.
Tant de vertus ne mirent pas Taraise à l’abri des
persécutions. Il était sans doute plein de douceur et
de prudence, mais rien n’aurait pu le faire fléchir
lorsqu’il s’agissait des règles de la discipline ecclésias­
tique. L’empereur Constantin en fit l’expérience. Ce
prince avait conçu une violente passion pour Théodote,
dame d’honneur de l’impératrice qu’il n’avait jamais
aimée oubliant que les liens du mariage sont indis­
solubles, il résolut de les rompre pour en former de
nouveaux. Il eût bien voulu que le patriarche approuvât
son dessein; mais, quand il vit que celui-ci, bien au
contraire, le condamnait ouvertement, il ne garda plus
aucune mesure à son égard. Il lui ôta la liberté de
598 LES S A IN T S M I L I T A I R E S

sortir de sa demeure, et le fît garder par des espions


qui l’observaient de si près qu’on ne pouvait ni l’ap­
procher ni lui parler qu’en leur présence. Taraise eut
encore la douleur de voir ses amis bannis ou maltraités
à cause de lui, et toutefois on n’entendit jamais sortir
de sa bouche une plainte ni une parole qui marquât la
moindre faiblesse.
Cependant, par une de ces révolutions si fréquentes
à cette triste époque, Constantin et sa mère Irène,
étant morts misérablement, Nicéphore leur succéda
sur le trône. Rendu à la liberté par ordre du nouvel
empereur, Taraise s’occupa aussitôt de remettre
toutes choses dans un meilleur état et surtout d’abolir
les abus scandaleux qui s’étaient établis pendant son
absence. Il vécut encore quelques années, uniquement
occupé des pratiques de la pénitence et des fonctions
du saint ministère. Mais sa santé s’épuisant de jour
en jour, il fut attaqué de la maladie dont il mourut
paisiblement le 25 février 806.
Cette mort laissa l’Église de Constantinople dans le
deuil et tous les gens de bien dans une profonde afflic­
tion. Saint Taraise fui enterré avec grande pompe
dans l’église des Saints-Martyrs qu’il avait fait bâtir
sur le Bosphore, et Dieu honora son tombeau de plu­
sieurs miracles.
Saint Taraise était animé d’une tendre dévotion
envers la Yierge Marie, et voici avec quel doux enthou­
siasme il la saluait un jour dans un discours à son
peuple pour la fête de la Présentation .
25 F É V R IE R 599

Nous donc, peuple de Dieu, nation sainte,


assemblée* agréable au Seigneur, fils de la colombe,
enfants de la grâce, en cette fête de la Vierge, avec un
cœur pur, avec des lèvres sanctifiées, que nos langues
lui chantent des hymnes d’une suave harmonie. Pour
célébrer cette fête magnifique entre toutes, joyeuse
pour les anges et digne des louanges des hommes,
répétons avec un respect mêlé d’une sainte joie YAve
de Gabriel.
« Je vous salue, délices du Père, vous par qui la
connaissance du vrai Dieu a atteint les extrémités de
la terre; je vous salue, demeure du Fils, d’où ce
Sauveur est sorti revêtu de notre chair; je vous salue,
tabernacle ineffable de l’Esprit-Saint. Je vous salue, ô
plus sainte que les chérubins; je vous salue, ô plus
glorieuse que les séraphins; je vous salue, ô plus vaste
que le ciel, plus splendide que le soleil, plus brillante
que la lune; je vous salue, éclat multiple des astres; je
vous salue, nuée légère qui nous apportez la pluie cé­
leste; je vous salue, brise sainte, qui avez chassé de la
terre les esprits de malice; je vous salue, noble accent
des prophètes; je vous salue, voix des apôtres, entendue
jusqu’aux extrémités du monde; je vous salue, témoi­
gnage très excellent des martyrs ; je vous salue, parole
très digne de louange des patriarches ; je vous salue,
souverain ornement des saints; je vous salue, cause
du salut des mortels; je vous salue, reine par qui
nous est venue la paix; je vous salue, splendeur imma­
culée des mères; je vous salue, médiatrice de tous
6C0 LES S A IN T S M IL IT A IR E S

ceux qui sont sous le ciel; je vous salue, réparation de


la nature entière; je vous salue, pleine de grâce, le
Seigneur est avec vous, qui existait avant vous, qui
est né de vous et qui est avec nous. A lui soit la
louange, avec le Père et l’Esprit très saint et vivifiant,
maintenant et toujours et dans les inûnis des siècles.
Ainsi soit-il. »

S ources L e M a r ty r o lo g e R o m a in . — Les B o lla n d is te s , au


25 février. Godescard; V ie s des —
S a in t s . V ie s des S a i n t s ,
par les PP. de l’Assomption.
X X V I I e JOUR DE FÉV R IE R

SAINT BESAS, SOLDAT, MARTYR


250.

Dans la lettre que saint Denys, évêque d’Alexandrie,


écrit à Fabius, évêque d’Antioche, pour lui dire ce qui
arriva à Alexandrie durant la persécution de Dèce,
nous trouvons ce qui suit :
« Parmi les chrétiens qui avaient tâché de s’enfuir
et qui furent pris, il y en eut qui, après être demeurés
plusieurs jours dans la prison, renoncèrent à la foi,
avant que d’être menés devant les juges. D’autres,
après avoir supporté les tourments avec quelque
sorte de constance, furent ébranlés par les menaces
de ceux qu’on leur préparait. Les bienheureuses co­
lonnes du Seigneur, qu’il avait appuyées sur le fonde­
ment immobile de la foi, demeurèrent fermes et iné­
branlables, et furent d’intrépides témoins de la vérité
de son royaume. Julien fut le premier. C’était un
homme malade de la goutte, qui ne pouvait ni mar­
cher ni se tenir debout. Il fut traduit avec deux autres
qui le portaient. L’un de ceux-là renonça d’abord à la
foi. L’autre, nommé Cronion et surnommé Euné, ayant
confessé Jésus-Christ avec Julien, ils furent mis sur
SAISIS MILITAIRES. — T. I. 34
602 L E S S A IN T S M IL IT A IR E S

des chameaux, et fustigés le long de toute la ville qui,


comme vous le savez, est fort grande, et enfin brûlés
dans un bûcher ardent que le peuple avait allumé. Un
soldat nommé Besas, qui avait servi à les conduire au
supplice, et qui avait repoussé ceux qui les insultaient
avec outrage, fut mené devant le juge, aux cris confus
de la multitude, qui s’élevait contre lui. Ayant com­
battu comme un généreux athlète, pour la défense de
la cause du Seigneur, il eut la tête tranchée. »

S ources : L e M a r ty r o lo g e R o m a i n . — L e s B o U a n d is lc s , au
27 février. — Eusèbe, H is to ir e d e l'É g l is e , liv. VIe, ch ap . x l i c.

SAINT ÉTIENNE DE CONSTANTINOPLE


OFFICIER DE LA COUR DE L’EMPEREUR MAURICE
CONFESSEUR

Vers 61û.

Il y avait dans le palais des empereurs romains une


classe d’officiers que les Grecs appelaient Paraca-
mènes, et les Latins Accubiteurs, parce que leur
fonction principale était de veiller sur la personne
du souverain, pendant qu’il prenait son repos. C'est
en cette qualité que le bienheureux Étienne se trou­
vait à la cour de l’empereur Maurice, où il édifiait
tout le monde par ses vertus chrétiennes et mili­
27 F É V R IE R 603

taires : on admirait surtout son ardente charité pour


les pauvres. Maurice étant mort, Étienne quitta la
cour pour ne plus s’occuper désormais que du soin
des malheureux; il les assistait en toutes manières
avec un dévouement admirable. Il fit môme bâtir à
Constantinople un vaste hôpital pour y recevoir les
pauvres vieillards. Il allait souvent les visiter, les
servait de ses propres mains et n’épargnait aucune
dépense pour les soulager : Il y avait déjà plusieurs
années que le généreux Étienne se sanctifiait de plus
en plus par la pratique des bonnes œuvres et les
pieux exercices de la vie chrétienne, lorsque Dieu
l’appela à la récompense éternelle, vers l’an de notre
salut 614.

S ource L e s B o lla n d is te s , au T février.


TABLE DU MOIS DE FÉVRIER

Jours. Page?.
2. S. Adalbaud. 431
2. S. Adahvin. 438
7. S. Adauque. 459
2. s. Addaste. 438
2. s. Adéram. 438
2. s. Aida. 438
2. s. Aida (un autre). 438
2. s. Alfuin. . 438
10. s. Aman ti us. 489
9. s. Ansbert. 481
2. s. Apronien. 428
14. s. Auxence d e B i t l i y n i e . 533
2. s. Avan. 438
10. s. Bapt. 488
2. s. Bardon. 438
2. s. Bardon (un autre). 438
2. s. Bardon (un troisième). 438
11. s. Benoît d 'A n i a n e . 498
27. s. Besas. . . 601
2. s. Bodon d 'E b s to r p . 438
O s. Brunon. 438
17. s. Ghrysanthe. 541
18. s. Claude d 'O s tie . 543
19. s. Conrad. 554
12. s. Constaucc. 512
606 LES S A IN TS M I L I T A I R E S

Jours. Pages.
17. S. Gordius. 541
2. S. Corneille. . . 425
12. S. Damien d 'A fr iq u e * < 508
5. S. Domitien d e C a r in th ie . 456
17. S. Donat. 541
2. S. Dudon. . 438
20. S. Eginhard. 564
1. S. Émile................... 423
24. S. Ethelbert de K e n t . . 582
27. S. Étienne d e C o n s ta n tin o p le . 602
22. S. Eutère. 581
17. S. Eutychius. 541
2. S. Folcuart. 438
22. S. Galle. 580
2. S. Gerric. 438
10. S. Guillaume d e M a lc v a l. 494
2. S. Halife. . . . 438
18. B. Helladc de T o lè d e . 552
2. S. Hilwart. 438
2. S. Hunilduin. 438
10. S. Hyacinthe d e R o m e . 489
3. S. Ignace d 'A f r i q u e . 443
10. S. Irénée. 489
5. S. Isidore. . . . 450
12. S. Julien l'H o s p ita lie r . 508
17. S. Justus. 541
3. S. Laurentin. 443
13. S. Lézin. 522
2. S. Liutaire. 438
2. S. Liutolf. 438
15. S. Major. 538
21. S. Maurice d 'A p â m é e . 569
18. S. Maxime le C o m te . 543
8. S. Mengold, 472
TABLE DU MOIS DE FÉVRIER 601

Jours; Pages.
13. S. Ncarque. 514
17. S. Néomède. 541
4. S. Obice. 447
21. B. Pépia d e L a n d e n . 575
2!. S. Philippe d A p a m é e . 569
4. S.. Philorôme. 445
21. S. Photin. 569
25. S. Pierre d e P h œ n ic e . 591
17. S. Polycrates. 541
13. S. Polyeucte. 514
10. S. Porphyre. 488
7. S. Richard. 467
17. S. Roniulus. . 541
17. S. Secondien d e C o n c o r d ia . 541
16. S. Séleucus. 539
1. S. Sévère d e M o n t e f a k o . 415
1. S. Sigebert d e F r a n c e . 419
17. S. Siivanus. 541
17. S. Solone. 541
25. S. Taraise. 595
21. S. Théodore d A p a m é e . 569
7. S. Théodore d U é r a c lé c . 461
2. S. Thiotéric. 438
2. S. Thiotrich. 438
2. S. Thiotrich (un autre). 438
14. S. Valeatiu d 'A f r i q u e . 530
14. S. Valère d e C o lo g n e . 531
2. S. Wal. 438
2. S. Wérinhart. 438
2. S. Wigman. 438
10. S. Zénon d A n t i o c h e . 490
10. S. Zotique d e R o m e . 489
608 LES SAINTS MILITAIRES

L ES S AINTS MILITAIRES A N O N Y ME S
Jours. Pages.
2. Les Bienheureux soldats martyrs, compagnons
de saint Brunon. 438
7. Les Bienheureux soldats martyrs, compagnons
de saint Adauque le préfet militaire et le
préfet du Trésor d’Antandros, martyrs. 459
10. Les 10 Bienheureux soldats, martyrs à Rome,
sur la voie Lavicane. 489
14. Les 44 Bienheureux soldats, martyrs à Spo-
lète, en Ombrie. . 530
14. Les 24 Bienheureux soldats martyrs, compa­
gnons de saint Valentin d ' A f r i q u e . 530
21. Les 67 Bienheureux soldats martyrs, compa­
gnons de saint Maurice d 'A p a m é e . 569
25. Les 7 Bienheureux soldats martyrs, compa­
gnons de saint Pierre d e P h œ n ic e . 591

FABIS. — E. DE SOYE ET FILS, IMTR., 18, F. DES FOSSKS-S.-JACQUES.


A LA MÊME LIBRAIRIE

OUVRAGES DE DAURIGNAC (J.-M .-8 )


HISTOIRE DE SAINT FRANÇOIS D’ASSISE. 1 vol. in-18
jésus................................ ................................ 3 »
HISTOIRE DE SAINT FRANÇOIS RÈQIS, apôtre du
Velay et du Vlvarais. 1 vol. in-18 jésus............ 3 50
HISTOIRE DE SAINT FRANÇOIS-XAVIER, de la Com­
pagnie de Jésus, apôtre de la Compagnie de Jésus,
apôtre des Indes et du Japon et protecteur de l’Orient:
suivie de nouveaux documents et d’un rapport du
R. P. Artola, S. J., sur l’état actuel du château de
Xavier et du crucifix miraculeux de sa chapelle. 2 voj.
in-18 jésus.......................................................... 6 »
Abrégé du même ouvrage. 1 vol. in-18 jésus.. . . . 2 50
HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA, fondateur
de la Compagnie de Jésus. 2 vol. in-18 jésus... 6 »
Abrégé du même ouvrage. 1 vol. in-18 jésus...... 2 50
HISTOIRE DE SAINT LOUIS DE GONZAGUE, prince du
Saint-Empire, religieux de la Compagnie de Jésus.
1 vol. in-8.......................................................... 5 »
Le même ouvrage. 1 vol. in-18 jésus................... 3 50

SAINTE JEANNE-FRANÇOISE DE CHANTAL, modèle


de la jeune fille et de la jeune femme dans le monde,
et fondatrice de l’ordre de la Visitation Sainte-Marie.
1 vol. in-18 jésus.............................................. 3 »

Vous aimerez peut-être aussi