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SÉANCE D'ACTUALITÉS EN DROIT DU MARCHÉ DE L'ART

Institut Art & Droit - 6 février 2020

Le 6 février dernier, la promotion du M2 Droit du marché et du patrimoine artistiques


(Université Paris 2 Panthéon-Assas) assistait au premier séminaire d’actualités juridiques
organisé à l’Institut national d’histoire de l’art par l’Institut Art & Droit, qui regroupe les
principaux professionnels et enseignants du droit du marché de l’art et du patrimoine
culturel. Des étudiants volontaires se proposent pour vous de revenir sur une sélection des
interventions qui les ont marqués lors de cette journée, et d’en livrer une synthèse.

La diffusion de ces comptes-rendus est libre sous réserve d’en mentionner l’auteur
et de n’y apporter aucune modification.

Du nouveau pour la spoliation : QPC et affaire Pissarro – Cyrielle Gauvin


Par Mathilde Garcia-Rivière

Me Gauvin nous livre ici une analyse de l’arrêt de la Cour de cassation, 1ère ch. civile, 11 septembre
2019,18-25.695. Il s’agit d’une affaire concernant l’œuvre de Camille Pissarro La Cueillette des pois,
datant de 1887 (cf. illustration), et sa restitution à Monsieur Jean-Jacques Bauer, petit-fils de M. Simon
Bauer.

A l’occasion de l’exposition sur Pissarro au Musée Marmottan Monet de 2017, le tableau a été saisi.
C’est le Tribunal de Grande Instance de Paris qui a autorisé cette saisie conservatoire du tableau à la
demande de Monsieur Bauer. L’oeuvre avait été spoliée durant l’Occupation et le Commissariat aux
question juives, émanation du Gouvernement de Vichy en avait ordonné la vente par un marchand d’art.
Jean-Jacques Bauer rappelle qu’ « en 1943, un administrateur du gouvernement de Vichy a fait irruption
dans l'appartement de mon grand-père. Il a embarqué tout ce qui avait de la valeur ».

Simon Bauer après avoir été dépossédé de ses biens a été déporté. Il a malgré tout réussi à survivre
aux camps et n’a eu de cesse de se battre pour récupérer ce qui lui appartenait jusqu’à son décès en
1947. Son petit-fils a ensuite repris le flambeau afin de reconstituer la collection de son grand-père.

Ce tableau a été acquis chez Christie’s par les époux Toll pour la somme de 800 000 dollars. Ce sont
ces propriétaires américains qui à l’occasion de l’exposition ont accepté de prêter leur œuvre au musée
français, ce qui avec son arrivée en France a permis à Monsieur Bauer d’engager une procédure de
saisie conservatoire et d’en obtenir la confiscation.

Après un passage en première instance la cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 2 octobre 2018 a
statué en faveur de la restitution du tableau à la famille Bauer sur le fondement de l’ordonnance n° 45-
770 du 21 avril 1945 signée par le général de Gaulle. Cette législation exceptionnelle a pour objectif de
rétablir dans leurs droits les personnes dépossédées sous l’effet des mesures de spoliation prises par
le gouvernement de Vichy.

Les époux Toll ont décidé de former un pourvoi en cassation et ont formulé deux questions prioritaires
de constitutionnalité (QPC) au sujet de cette ordonnance de 1945 :

- « La combinaison des articles 2 et 4 de l’ordonnance n° 45-770 du 21 avril 1945 porte-t-elle atteinte


au respect du droit de propriété au sens des articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l’homme à
raison du caractère irréfragable de la présomption de mauvaise foi qu’elle instituerait sans condition de
délai à des fins confiscatoires au préjudice du tiers acquéreur qui serait lui-même de bonne foi ? »

- « L’article 4 de l’ordonnance n° 45-770 du 21 avril 1945 porte-t-il atteinte aux droits de la défense et à
une procédure juste et équitable en ce qu’il interdit aux sous-acquéreurs objet d’une revendication de
rapporter utilement la preuve de sa bonne foi en violation de l’article 16 de la Déclaration des droits de
l’homme et du citoyen ? »

La Cour de cassation, dans sa décision rendue le 11 septembre 2019, n° 18-25.695 a décidé de ne pas
transmettre ces questions au Conseil constitutionnel malgré le fait que l’ordonnance de 1945 n’a jamais
fait l’objet d’une décision de ce dernier qui affirmerait définitivement sa constitutionnalité. Ceci, tout
d’abord en arguant « que, ne portant pas sur l’interprétation d’une disposition constitutionnelle dont le
Conseil constitutionnel n’aurait pas encore eu l’occasion de faire application, les questions ne sont pas
nouvelles. »

Et dans un second temps, la Cour de cassation ajoute que ces questions ne présentent pas un caractère
sérieux en ce que « les dispositions contestées assurent la protection du droit de propriété des
personnes victimes de spoliation ; que, dans le cas où une spoliation est intervenue et où la nullité de la
confiscation a été irrévocablement constatée et la restitution d’un bien confisqué ordonnée, les
acquéreurs ultérieurs de ce bien, même de bonne foi, ne peuvent prétendre en être devenus légalement
propriétaires ; qu’ils disposent de recours contre leur auteur, de sorte que les dispositions contestées,
instaurées pour protéger le droit de propriété des propriétaires légitimes, ne portent pas atteinte au droit
des sous-acquéreurs à une procédure juste et équitable. »

La Cour de cassation prend ainsi une position très claire en faveur de l’application à la lettre de
l’ordonnance de 1945, et donc en faveur de la restitution la plus aisée des biens spoliés, en refusant de
transmettre ces QPC.
Il s’agit également d’une position politique pour la Cour de cassation dans un contexte où le
gouvernement se montre favorable à un mouvement de restitution avec la création en avril 2019 de la
Mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945 rattachée au
Ministère de la Culture, chargée de passer en revue les œuvres « MNR » (Musées nationaux
récupération) ainsi que toutes les acquisitions faites par les musées français entre 1933 et 1945.

Si la volonté de favoriser les restitutions des biens spoliés qui ont depuis circulé entre les mains de
divers propriétaires privés est louable, on peut cependant s’interroger sur l’avenir des expositions mais
encore des ventes aux enchères en France, s’il est possible comme en l’espèce de saisir des œuvres
prêtées à un musée français ou confiées pour une vente par des résidents étrangers.

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