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Ce désir d’être important n’existe pas chez les animaux.

C’est
même une des principales différences qui existent entre eux et
l’homme.
Ainsi, mon père avait une ferme dans le Missouri où il élevait de
magnifiques porcs et des bêtes à cornes. Il les amenait à toutes
les foires et concours agricoles et remportait toujours des prix. A
la mai son, il épinglait sur un grand carré de mousseline blanche
tous les rubans bleus de ses triomphes. Et, quand des visiteurs
venaient, il déroulait sa précieuse mousseline et m’en faisait tenir
une extrémité pendant qu’il tenait l’autre pour permettre à l’assis
tance d’admirer ses trophées.
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Les cochons se montraient parfaitement indifférents à ces
récompenses, mais mon père en était ravi : elles fortifiaient en lui
le sentiment de son importance.
Si nos ancêtres n’avaient pas eu en eux ce désir d’être reconnus,
la civilisation n’aurait pas existé car, sans lui, nous serions
demeurés semblables à des bêtes.
C’est ce besoin d’importance qui conduisit un pauvre petit commis
sans instruction à étudier des livres de droit qu’il avait découverts
au fond d’une caisse de bric-à-brac achetée dans une vente pour
cinquante cents. Ce petit commis s’appelait Lincoln.
C’est le désir d’être grand qui inspira à Dickens l’idée d’écrire ses
livres immortels.., qui poussa Rockefeller à amasser des millions..,
et c’est aussi ce même sentiment qui incite l’homme le plus riche
de votre ville à se faire bâtir une maison bien trop vaste pour ses
besoins personnels.
C’est inconsciemment pour affirmer notre importance que nous
achetons le dernier modèle de voiture, que nous tenons à avoir vu
tel film ou lu tel livre, ou que nous parlons avec complaisance des
succès scolaires de nos enfants.
On voit parfois des garçons devenir délinquants pour se mettre en
vedette. Mulrooney, chef de la police de New York, me confiait:
«Le jeune criminel d’aujourd’hui est débordant de vanité. La
première chose qu’il demande, après son arrestation, c’est la
permission de lire ces feuilles ignobles qui le représentent comme
un héros. La perspective de la cuisante séance qui l’attend sur la
chaise électrique demeure lointaine pour lui, tant qu’il peut se
délecter à contempler son image s’étalant aux côtés de vedettes
du sport, du cinéma, de la télévision et de la politique. »
Dites-moi comment vous comblez votre besoin d’importance, je
vous dirai qui vous êtes. Cela détermine votre personnalité. C’est
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ce qui vous caractérise le mieux. Par exemple, pour satisfaire son
besoin d’importance, John D. Rockefeller fit construire en Chine, à
Pékin, un hôpital moderne pour soigner des millions de
malheureux qu’il n’avait jamais vus.
A l’opposé, Dillinger manifesta son importance en devenant
assassin et voleur de banques. Poursuivi un jour par les agents du
F.B.T. qui lui faisaient la chasse dans le Minnesota, il se précipita
dans une ferme en criant : « C’est moi, Dillinger » Il était fier
d’être l’ennemi public numéro un. «Je ne vous ferai pas de mal,
dit-il, mais je suis Dillinger »
La différence la plus caractéristique entre Dillinger et Rockefeller
n’était-elle pas dans la manière dont ils affirmèrent leur
importance?
L’histoire est pleine d’exemples amusants où l’on voit des
personnages célèbres s’efforcer de montrer leur importance.
George Washington, lui-même, exigeait qu’on l’appelât : « Sa
Grandeur le Président des Etats-Unis. » Christophe Colomb
réclamait le titre d’« Amiral de l’Océan et Vice-roi des Indes ».
Catherine de Russie refusait d’ouvrir les lettres qui n’étaient pas
adressées à «Sa Majesté Impériale ». Et, dans la Maison-Blanche,
Mme Lincoln se tourna un jour comme une tigresse vers Mme
Grant, criant:
«Comment avez-vous l’audace de vous asseoir en ma présence
avant que je ne vous y invite? »
Nos milliardaires ont contribué à financer l’expédition de l’amiral
Byrd au pôle Sud en échange de la simple promesse que les
chaînes de montagnes glacées de l’Antarctique porteraient leur
nom. Victor Hugo ne désirait rien moins que donner le sien à la
ville de Paris. Et Shakespeare, pourtant grand parmi les grands,
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voulut augmenter encore l’éclat de sa gloire en procurant à sa
famille des titres de noblesse.
On voit même des gens tomber malades pour capter l’attention et
la sympathie de leur entourage, pour se donner une preuve de
leur importance. Prenez, par exemple, Mme McKinley, épouse de
l’ancien président des Etats-Unis. Elle forçait son mari à négliger
d’importantes affaires d’Etat pour qu’il demeure près de son lit
pendant des heures, lui parlant, l’apaisant, la soutenant de son
bras jusqu’à ce qu’elle fût endormie. Pour montrer la place qu’elle
tenait dans la vie du Président, elle exigeait aussi qu’il fût présent
à toutes ses séances chez le dentiste et, une fois, elle fit une scène
orageuse parce que McKinley dut l’abandonner pour aller à un
important rendez-vous.
La romancière Mary Roberts Rinehart me conta, un jour, l’histoire
d’une jeune femme éveillée et vigoureuse qui devint invalide pour
retenir l’attention et les soins de sa famille et ainsi affirmer son
importance. Elle venait de comprendre qu’avec l’âge ses chances
de mariage s’étaient réduites à néant... Les années mornes
s’étendaient devant elle et elle n’avait que bien peu à espérer de la
vie...
« Elle se mit au lit, me dit la romancière, et, dix années durant,
sa vieille mère la soigna, montant et descendant l’escalier, portant
les plateaux... Enfin, épuisée, la mère mourut. Pendant quelques
semaines l’invalide languit. Puis elle se leva, s’habilla, et reprit son
existence comme auparavant. »
Certains psychiatres assurent que des gens deviennent fous pour
trouver dans le monde imaginaire de la démence le sentiment
d’importance que la réalité leur a refusé. Dans les hôpitaux
d’Amérique, on a observé que les affections mentales sont plus
nombreuses que toutes les autres maladies réunies.
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Quelles sont les causes de la folie ?
Personne ne peut répondre à une question aussi vaste et aussi
complexe. Mais nous savons tous que certaines maladies — la
syphilis, entre autres — détruisent les cellules du cerveau et
amènent le déséquilibre mental. En fait, on peut imputer la moitié
des psychoses à des agents physiques tels que les tumeurs au
cerveau, l’alcoolisme, les stupéfiants et les traumatismes.
Mais l’autre moitié des cas ? Eh bien ! C’est là le côté
impressionnant de la chose; l’autre moitié des cas se produit chez
des êtres normaux. A l’autopsie, leur cerveau, examiné sous les
plus puissants microscopes, apparaît aussi sain que le vôtre et le
mien.
Pourquoi ces gens perdent-ils la raison?
J’ai posé la question au médecin-chef d’un de nos plus grands
asiles d’aliénés. Ce savant, qui avait reçu pour ses travaux sur la
folie les plus rares distinctions honorifiques, m’avoua franchement
qu’il ne savait pas pourquoi les hommes perdaient la raison, et que
nul ne le savait vraiment... Cependant, il reconnut avoir observé
un grand nombre de malades qui avaient désespérément cherché
dans la démence les satisfactions d’amour-propre qu’ils n’avaient
pas pu se procurer dans la vie normale. Il me conta alors ceci:
«J’ai ici une malade dont le mariage fut tragique. Elle désirait la
tendresse et la sensualité, des enfants, une position sociale. Mais
la vie ruina ses espérances. Son mari ne pouvait la supporter. Il
refusait même de prendre ses repas avec elle et l’obligeait à le
servir dans sa chambre au premier étage. Délaissée, méprisée,
sans enfant, sans relations, elle devint folle. Et, dans son
imagination, elle était divorcée et avait repris son nom de jeune
fille. Maintenant, elle se croit l’épouse d’un lord anglais et insiste
pour qu’on l’appelle Lady Smith.
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«En outre, elle croit que, chaque nuit, elle met au monde un
enfant. Quand elle me voit, elle me dit:
“Docteur, j’ai eu un bébé cette nuit.” »
Sur les brisants de sa réalité, la vie avait fracassé le vaisseau de
ses rêves. Mais, dans les îles ensoleillées et féeriques de sa folie,
toutes les barques par viennent heureusement au port, voiles
claquantes et le vent chantant dans la mâture!
C’est pathétique ! Oh ! Je ne sais pas. Le psychiatre m’avouait: «
Si je n’avais qu’à étendre la main pour la rendre à la raison, je ne
le ferais pas. Elle est beau coup plus heureuse dans la condition
qu’elle s’est créée. »
Eh bien ! Si des êtres sont capables de devenir fous pour combler
une telle aspiration, songez aux résultats miraculeux que nous
pourrions obtenir en rendant justice aux mérites de ceux qui nous
entourent!
Un des premiers aux Etats-Unis à toucher un salaire annuel d’un
million de dollars fut Charles Schwab. Il n’avait que trente-huit ans
lorsque Andrew Carnegie le choisit pour devenir le premier
président de la United States Steel Company, qu’il venait de créer
en 1921. (Plus tard, Schwab quitta cette société pour reprendre la
Bethlehem Steel qui était en difficulté. Il réussit à faire de celle-ci
l’une des entreprises les plus prospères des Etats-Unis.) Le Roi de
l’acier le payait un million de dollars par an. Pourquoi? Parce que
Schwab était un génie ? Non. Parce qu’il connaissait mieux la
métallurgie que tous les autres ingénieurs? Jamais de la vie.
Charles Schwab me confia lui-même qu’il avait un grand nombre
de collaborateurs beaucoup plus compétents que lui au point de
vue technique.
Seulement, Schwab avait un talent particulier une faculté rare; il
savait influencer les hommes.

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