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5-0750

Démarche diagnostique devant


Encyclopédie Pratique de Médecine

une crise comitiale


D Taussig, A Biraben

L e diagnostic positif de crise d’épilepsie repose sur des arguments indirects, puisqu’en général le médecin
n’assiste pas à la crise : récit du patient et des témoins, état postcritique, contexte, électroencéphalogramme à
distance. Une crise généralisée tonicoclonique est facile à diagnostiquer si elle est bien décrite, mais, sans témoin, le
diagnostic différentiel se pose avec les syncopes et les crises névropathiques. Le diagnostic de crise partielle doit être
évoqué devant des épisodes neurologiques brefs de présentations très diverses. Bien souvent, ce diagnostic n’est
posé qu’après la répétition des épisodes ou une généralisation secondaire. L’enquête étiologique doit être guidée par
le contexte clinique, et doit permettre de poser le diagnostic de crise occasionnelle témoignant d’une agression
cérébrale aiguë ou de crise s’intégrant à une épilepsie chronique.
© Elsevier, Paris.


Définition Tableau I. – Classification internationale des crises épileptiques (Ligue internationale contre l’épi-
lepsie, 1981).

Absences
Une crise d’épilepsie est l’ensemble des • absences
manifestations cliniques transitoires qui résultent d’une • absences atypiques
activité anormale excessive et synchrone d’un groupe Crises myocloniques
Crises généralisées
ou de l’ensemble des neurones du cortex cérébral. Crises cloniques
Crises toniques
Crises tonicocloniques


Crises atoniques
Diagnostic positif Crises partielles simples
• avec signes moteurs
• avec signes somatosensitifs ou sensoriels
Le diagnostic positif doit être établi, en général à • avec signes végétatifs
distance de la crise, grâce à l’interrogatoire du patient • avec signes psychiques
Crises partielles complexes
et des témoins et à électroencéphalogramme (EEG),
Crises partielles • début partiel simple suivi d’un trouble de la conscience et/ou d’automatismes
dont la sensibilité dépend du délai le séparant de la fin (focales) avec trouble de la conscience dès le début de la crise, accompagné ou non
de la crise et globalement n’excède pas 40 %. Les d’automatismes
éléments caractéristiques sont le caractère Crises partielles secondairement généralisées
paroxystique et bref, la présentation stéréotypée des • crises partielles simples secondairement généralisées
crises d’un patient donné lorsqu’elles se répètent, le • crises partielles complexes secondairement généralisées
contexte étiologique éventuellement favorisant. Le • crises partielles simples évoluant vers une crise partielle complexe puis vers
recours à des explorations EEG plus approfondies sera une généralisation secondaire
discuté dans le chapitre « Indications de l’EEG ».
Crises non classées


Classification des crises
(tableau I) [2]
partielles simples, où la conscience reste intacte, des
crises partielles complexes comportant une altération de
la conscience qui peut survenir d’emblée ou après un
début partiel simple. Les anomalies EEG sont focales, au
surtout si le patient conserve une activité automatique
adaptée. Une amnésie postcritique peut être prise pour
une perte de conscience. Enfin, la profondeur d’une
rupture de contact est très difficile à apprécier. Cette
La crise est dite généralisée d’emblée quand les classification a parfois mené à une confusion entre crise
moins au tout début de la crise. La décharge critique
symptômes cliniques ne permettent pas d’évoquer la partielle complexe et crise temporale. Il est maintenant
peut rester localisée ou s’étendre à l’hémisphère, voire
mise en jeu d’un système anatomique ou fonctionnel démontré que quelle que soit son origine anatomique,
aux deux hémisphères, aboutissant à une généralisation
localisé. La décharge paroxystique intéresse presque toute crise partielle peut comporter une perte de
secondaire de la crise.
simultanément la totalité du cortex cérébral sous conscience. Ainsi la perte de conscience n’a aucune
forme d’une décharge de pointes, de pointes-ondes ou
‚ Difficultés d’utilisation valeur localisatrice ni pronostique.
de polypointes-ondes synchrones symétriques sur les
de la classification
deux hémisphères.


Lors des crises partielles ou focales, la décharge Il n’est pas facile de distinguer crise partielle
paroxystique touche initialement un secteur limité des secondairement généralisée et crise généralisée
Description des crises [1, 2, 3]
© Elsevier, Paris

structures corticales. Les symptômes de la crise d’emblée : les témoins ne retiennent souvent que la
dépendent donc du site et de la fonction de l’aire généralisation secondaire, plus spectaculaire.
corticale intéressée ; il peut s’agir de signes positifs Une crise partielle simple peut être difficile à
(clonies, hallucinations...) ou négatifs (déficit moteur, différencier d’une crise partielle complexe. Une perte de Nous nous limiterons à quelques crises très
hémianopsie...). La classification distingue les crises conscience peut passer inaperçue si elle est très brève, fréquentes.

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5-0750 - Démarche diagnostique devant une crise comitiale

‚ Sémiologie des crises généralisées


Tableau II. – Principaux diagnostics différentiels d’une crise comitiale.
Crise généralisée tonicoclonique
Type de crise Diagnostic différentiel Signes
Elle débute par une perte de conscience et une
hypertonie de l’ensemble de la musculature Crise généralisée Lipothymie Circonstances. Prodromes avec malaise, nausées,
tonicoclonique sueurs, paresthésies, phosphènes, acouphènes ; obnubi-
squelettique qui dure de 10 à 20 secondes (phase lation très brève (2 à 5 s) avec pâleur ; retour rapide à
tonique). une conscience normale
La phase clonique est liée au relâchement Syncope Perte de connaissance complète, à début et fin brutales,
intermittent de la contracture musculaire qui entraîne avec abolition du tonus et chute
des secousses bilatérales, brusques, intenses Spasme du sanglot Syncope provoquée par la colère et les pleurs chez l’en-
s’espaçant progressivement pour s’interrompre fant
Hypoglycémie Pâleur, douleur épigastrique, sensation de faim, suda-
brutalement au bout de 30 secondes environ. Les
tion abondante, disparition des signes après administra-
signes végétatifs sont souvent importants : apnée, tion de glucose ou injection de glucagon. Survenue chez
cyanose, tachycardie, salivation. Une morsure de un diabétique sous insuline ou sulfamides oraux
langue est possible en début ou en fin de crise. Crise névropathique Circonstances
La phase postcritique suit la phase clonique. Le Simulation Circonstances
coma s’associe à une résolution musculaire complète, Crise partielle simple Accident ischémique Terrain. Toujours déficitaire. Durée souvent plus longue
fréquemment à une perte d’urines et à une respiration transitoire Non stéréotypé si répété
ample, bruyante, gênée par l’hypersécrétion Migraine accompa- Terrain. Durée. « Marche » migraineuse. Caractères de
bronchique et salivaire. L’éveil s’accompagne ensuite gnée la céphalée
d’une confusion mentale d’intensité et de durée Crise partielle com- Ictus amnésique Trouble mnésique isolé ; perplexité ; durée de quelques
variables, pouvant atteindre quelques heures, souvent plexe heures ; épisode unique
de céphalées et de courbatures. Crise névropathique Circonstances. Symptômes peu stéréotypés et n’évoquant
En règle, la description d’un témoin précis suffit à pas une localisation
établir le diagnostic ; en son absence les éléments
évocateurs seront la présence de lésions traumatiques,
les courbatures et l’élévation des enzymes musculaires
(créatine kinase), la morsure de langue, la confusion


Une zone épileptogène située à distance des aires
postcritique, la perte d’urines, l’existence d’anomalies
sur l’EEG si cet examen est réalisé précocement. Aucun
corticales primaires sera à l’origine de manifestations Diagnostic différentiel
cliniques plus complexes et moins spécifiques. C’est le
de ces éléments n’est toutefois spécifique.
cortège des signes qui orientera vers une localisation Il doit toujours être envisagé, y compris chez un
Les absences typiques cérébrale. Ainsi, des sensations végétatives (sensation patient épileptique connu (tableau II). Devant une
épigastrique, tachycardie...) ou psychiques (état de perte de connaissance ou une chute inexpliquées, on
Elles durent de quelques secondes à deux minutes rêve, phénomènes mnésiques), associées ou non, font doit discuter le diagnostic de crise généralisée
et sont caractérisées par une altération de la évoquer l’implication initiale des régions temporales tonicoclonique. De même, devant tout épisode
conscience, à début et fin brutales. La perte de internes, d’autant qu’elles sont suivies d’une rupture de neurologique transitoire, une crise partielle ou une
conscience peut être isolée (absence simple) ou contact plus ou moins profonde, d’un écarquillement absence doit être évoquée. Le diagnostic différentiel
associée à des éléments cloniques, atoniques, des yeux, de manifestations oroalimentaires, et principal des crises généralisées tonicocloniques est
toniques, automatiques ou végétatifs. Les absences d’automatismes gestuels simples. Même si le patient celui des syncopes. L’existence de mouvements
sont en règle si nombreuses qu’un EEG de routine en qualifie d’« absences » ce type de crise, il ne faut pas cloniques associés à la perte de connaissance ne
fait le diagnostic, montrant des décharges utiliser ce terme qui a une signification électroclinique permet pas d’affirmer qu’il s’agit d’une crise
caractéristiques de pointes-ondes généralisées à 3 Hz, précise. tonicoclonique généralisée : ils peuvent être liés à
de début et fin brutaux. La crise peut être suivie d’un déficit postcritique l’anoxie cérébrale qui provoque des myoclonies des
transitoire (moteur, sensoriel, phasique, mnésique...) muscles proximaux et distaux, asymétriques ou
‚ Sémiologie des crises partielles signant l’implication des régions corticales généralisées. Le diagnostic de crise névropathique est
L’apparition des signes et leur succession peuvent correspondantes lors de l’accès. difficile ; 20 % des patients considérés comme atteints
permettre de reconstituer l’origine anatomique et la
propagation de la crise ; aucun signe n’est
pathognomonique isolément. Les crises partielles
Interrogatoire du patient et des témoins
durent de quelques secondes à quelques minutes. Examen clinique (neurologique et général)
L’EEG peut être normal dès la première minute qui suit
la crise.
Dans les régions de cortex dit primaire (cortex première crise ou crise inhabituelle épileptique connu ; crise habituelle
moteur, sensitif, visuel, auditif), la symptomatologie est
facilement imputable à la région d’origine. Par
exemple, les crises bravais-jacksoniennes (crises
EEG Imagerie Biologie/ cf. chapitre « Rôle du médecin généraliste dans
partielles simples avec signes moteurs) débutent en cérébrale ponction le suivi thérapeutique d'une épilepsie »
une portion limitée d’un membre (pouce, gros orteil) lombaire
ou d’une hémiface. La contraction tonique, suivie de
secousses cloniques, s’étend progressivement,
toujours, surtout si : si contexte
éventuellement à tout l’hémicorps, en pleine
le plus - crise partielle évoquant :
conscience. La décharge épileptique est localisée au - déficit - trouble
précocement
cortex moteur rolandique. Une symptomatologie après la crise neurologique métabolique
sensitive élémentaire qui suit un même trajet corporel - anomalies - infection
a une origine au niveau de la pariétale ascendante. focales à - intoxication
Une crise commençant par des signes visuels anomalies l'EEG
(hallucinations élémentaires localisées à un focales ou
hémichamp visuel ou hémianopsie latérale généralisées
homonyme) a une origine occipitale controlatérale,
1 Diagnostic étiologique d’une crise comitiale.
autour de la scissure calcarine.

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Démarche diagnostique devant une crise comitiale - 5-0750

Tableau III. – Causes des crises épileptiques occasionnelles. Tableau IV. – Indications du scanner cérébral
en urgence en cas de première crise comitiale
Agression cérébrale — Traumatisme crânien / neurochirurgie ou de crise inhabituelle.
localisée — Accident vasculaire cérébral
— Abcès cérébral / encéphalite — Déficit neurologique focal récent
— Tumeur cérébrale primitive ou secondaire — Altérations persistantes de la conscience
— Fièvre
Agression cérébrale — Septicémie
— Traumatisme crânien récent
généralisée — Médicaments : théophylline et ses dérivés, anesthésiques locaux et généraux,
— Céphalées persistantes
certains antibiotiques (pénicilline, isoniazide), psychotropes (antidépresseurs
tricycliques, neuroleptiques, sevrage en benzodiazépines) — Traitement anticoagulant
— Toxiques (cocaïne et crack, LSD, ivresse aiguë ou sevrage en alcool) — Antécédent de cancer
— Intoxications professionnelles (plomb, manganèse, organophophosphorés) — Suspicion de sida
— Perturbations aiguës du métabolisme glucidique ou de l’équilibre hydroélec-
trolytique
— Porphyries cérébrale n’a théoriquement pas d’indication ;
toutefois, il n’est pas toujours possible de poser ce
diagnostic d’emblée.
d’épilepsies pharmacorésistantes n’auraient en fait crise s’il s’agit d’une crise symptomatique d’une étiologie
que des « fausses crises ». Celles-ci ne sont pas rares aiguë (crise occasionnelle) ou si elle entre dans le cadre
chez des patients authentiquement épileptiques. d’un syndrome épileptique. Le tableau III énumère les
causes des crises occasionnelles ; les syndromes
épileptiques seront décrits dans le chapitre « Épilepsies ». ■
Conclusion


Diagnostic étiologique
L’interrogatoire doit chercher les antécédents personnels
de pathologie périnatale, de convulsions fébriles, de
traumatisme crânien, de méningite, les antécédents
familiaux d’épilepsie, fréquents en cas de maladie
Le diagnostic de crise comitiale doit être posé sur
des arguments recueillis avec circonspection malgré le
contexte d’urgence et d’angoisse dans lequel le patient
Le diagnostic étiologique s’appuie sur les épileptique. Enfin, parfois aucune orientation n’est et son entourage consultent. Ce diagnostic peut
explorations EEG, d’imagerie et biologiques. C’est la possible ; il peut s’agir d’une crise isolée. conduire à chercher une souffrance cérébrale aiguë,
sémiologie de la crise recueillie par l’interrogatoire et Le tableau IV mentionne les principales indications spécifique ou non. Par ailleurs, méconnaître une
l’existence d’un contexte particulier, d’un déficit du scanner cérébral en urgence ; dans les autres cas, syncope fait courir un risque vital ; considérer à tort des
neurologique permanent qui guideront le choix des l’imagerie de choix sera l’IRM cérébrale si elle est crises névropathiques comme comitiales peut avoir
explorations complémentaires (fig 1). Le contexte possible. Dans les syndromes épileptiques des conséquences médicales, sociales et psychologi-
permet souvent de déterminer devant une première idiopathiques (cf chapitre « Épilepsies »), l’imagerie ques graves.

Delphine Taussig : Chef de clinique-assistant des Hôpitaux,


service de neurologie, centre Raymond-Garcin, hôpital Sainte-Anne, 1, rue Cabanis, 75014 Paris, France.
Arnaud Biraben : Praticien hospitalier,
service de neurologie, centre hospitalier régional de Pontchaillou, 35000 Rennes, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : D Taussig et A Biraben. Démarche diagnostique devant une crise comitiale.
Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), Encyclopédie Pratique de Médecine, 5-0750, 1998, 3 p

Références

[1] Arzimanoglou A, Aicardi J, Laplane D. Sémiologie des crises épileptiques. [3] Loiseau P, Jallon P. Dictionnaire analytique d’épileptologie clinique. Paris :
Encycl Med Chir (Elsevier, Paris), Neurologie, 17-044-K-10, 1993 : 1-15 John Libbey Eurotext, 1990

[2] Commission on classification and terminology of the international league [4] Thomas P, Genton P. Épilepsies. Paris : Masson, 1994
against epilepsy. Proposal for revised clinical and electroencephalographic classi-
fication of epileptic seizures. Epilepsia 1981 ; 22 : 489-501

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