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Affectivité, imaginaire, création sociale - Néocapitalisme, frustrations et imaginaires - Presses de lʼUniversité Saint-Louis 26/12/19 19'06

Presses
de
l’Université
Saint-
Louis
Affectivité, imaginaire, création sociale | Raphaël Gély,
Laurent Van Eynde

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Néocapitalisme,
frustrations et
imaginaires
D’une sociologie critique à une philosophie
politique altermondialiste

Philippe Corcuff
p. 233-254

Texte intégral
1 Dans ce texte, des passages entre trois grands registres
intellectuels seront tentés : nouvelle théorie critique en
sciences sociales, enquête empirique de sociologie et
philosophie politique engagée dans la galaxie
altermondialiste. Ces passages nous amèneront à mettre en
rapport trois dimensions : critique du néocapitalisme,
intimités contemporaines et politisation altermondialiste.
Dans le cours de ces cheminements, nous rencontrerons la
question de l’imaginaire, essentielle pour ce volume. Ce qui
importera ici, c’est le parcours à travers diverses régions
intellectuelles, plus que les étapes qui ont pu faire l’objet
ailleurs de textes plus détaillés.
2 Ces passages transfrontaliers entre registres intellectuels
s’inscrivent dans une épistémologie du dialogue entre
disciplines et/ou registres, supposant : 1 ° une autonomie de
chacune des disciplines et registres, dotés d’un langage,
d’instruments, de débats et d’une histoire pour une part

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spécifiques, outillant une rigueur propre, et 2 ° une


productivité cognitive des emprunts et des traductions
réciproques1. Le transfert d’une notion d’un « jeu de
langage » intellectuel à un autre – pour emprunter une
notion à la seconde philosophie de Ludwig Wittgenstein –
appellerait alors nécessairement un déplacement d’usage,
dans le cadre d’une forme « d’activité » distincte, et donc de
signification, si l’on suit encore l’inspiration
wittgensteinienne2. L’ensemble cette contribution se
déploiera en trois temps : 1. quelques jalons théoriques pour
une sociologie critique du néocapitalisme ; 2. des éléments
d’une enquête sur la réception d’une série télévisée ; et 3. des
pistes quant à une politisation de l’intime et à une
philosophie politique alternative susceptible de lui servir de
ressource.

I. Contradiction capital/individualité,
frustrations et imaginaires utopiques :
pistes théoriques
3 Cette première partie Haura quatre moments qui tourneront
autour d’un concept d’inspiration marxienne : le concept de
contradiction capital/individualité3.

A. Marx et la contradiction capital/individualité


4 Une lecture « collectiviste » de Marx s’est routinisée dans les
secteurs dominants de la galaxie « marxiste » jusqu’à la fin
des années 1970, en privilégiant la contradiction
capital/travail. Sans mettre en cause l’importance, toujours
actuelle, de cette contradiction capital/travail dans la
structuration de la question sociale, à l’échelle nationale et
internationale, nous nous intéresserons aussi chez Marx à un
autre fil, individualiste, souvent méconnu. La lecture
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hétérodoxe de Marx avancée en 1976 par Michel Henry, en y


réévaluant radicalement la place de l’individu, a été un
stimulant dans cette direction4.
5 Par exemple, dans un texte de jeunesse comme les
Manuscrits de 1844, Marx appuie explicitement sa mise en
cause du capitalisme sur « chacun de ses rapports humains
avec le monde, voir, entendre, sentir, goûter, toucher, penser,
contempler, vouloir, agir, aimer, bref tous les actes de son
individualité5 ». Et d’ajouter : « A la place de tous les sens
physiques et intellectuels est apparue l’aliénation pure et
simple des sens, le sens de l’avoir6 », c’est-à-dire
l’accumulation d’argent associée à la propriété privée. Marx,
ici philosophe sensualiste, s’attache à la réduction
unidimensionnelle de la diversité des sens humains dans
l’hégémonie de la valeur marchande.
6 On trouve également dans un texte tardif comme le livre 1 du
Capital (1867) des inflexions individualistes telles que :
« Dans la manufacture, l’enrichissement du travailleur
collectif, et par la suite du capital, en forces productives
sociales a pour condition l’appauvrissement du travailleur en
forces productives individuelles7 ». La division du travail dans
l’usine capitaliste développerait la production collective
(inégalement appropriée) au détriment de la créativité
individuelle.
7 Marx n’aurait donc pas abordé le capitalisme seulement à
travers la contradiction capital/travail, mais aurait aussi
dessiné en pointillés ce qui est appelé ici la contradiction
capital/individualité, contribuant à définir la question
individualiste. Le capitalisme contribuerait ainsi (en
interaction avec d’autres facteurs individualisants non
strictement capitalistes : individualisme démocratique,
valorisation des intimités, déclin de la famille patriarcale,

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etc.) à nourrir l’individualisme contemporain. Stimulant d’un


côté les désirs d’épanouissement personnel, la logique
capitaliste limiterait et tronquerait cependant au final
l’individualité par la marchandisation. Elle ferait naître des
désirs de réalisation individuelle qu’elle ne pourrait pas
vraiment satisfaire dans le cadre de sa dynamique
d’accumulation du capital. Les désirs individuels frustrés et
les individualités blessées seraient alors des « fossoyeurs »
potentiels du capitalisme (comme les salariés dans la
contradiction capital/travail selon la formule de Marx et
Engels dans Le Manifeste communiste8) appelant une
politisation. De telles potentialités (inscrites dans la
contradiction capital/travail ou dans la contradiction
capital/individualité) pourraient ou non être actualisées à
travers une politisation dans différentes configurations socio-
historiques. Il n’y aurait pas de nécessité de cette politisation,
mais seulement des possibilités. Nous nous inscrivons ici à
l’intérieur d’un schéma puissance/acte emprunté à Aristote.

B. Néocapitalisme et contradiction
capital/individualité
8 Nous partirons de l’hypothèse de l’émergence d’un
néocapitalisme connexionniste et individualisateur à partir
des années 1980. Deux livres apparaissent notamment utiles
quant à l’approche de ce néocapitalisme : Le nouvel esprit du
capitalisme de Luc Boltanski et Ève Chiapello9 et Empire de
Michael Hardt et Antonio Negri10. Tous les deux – dans le
registre de la sociologie pour le premier et de la théorie
politique pour le second – nous intéressent au moins à deux
titres.
9 Ils proposent, premièrement, une caractérisation globale des
déplacements actuels du capitalisme, en des termes pour une

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part convergents (en insistant sur le recours aux réseaux, à la


mobilité, à la flexibilité, à la déterritorialisation, dans un
néocapitalisme de plus en plus globalisé et mondialisé). Ils
pointent, en second lieu, la promotion de l’autonomie
individuelle dans la réorganisation en cours des dispositifs de
production, à l’intérieur de l’entreprise comme à l’extérieur,
la frontière « intérieur »/« extérieur » devenant d’ailleurs
plus floue. Rappelons ainsi les thèmes de « l’implication
personnelle », de la valorisation de « la personnalité » et des
« compétences » de chacun autour de « projets », la place
nouvelle du « manager » en tant qu’« animateur » se
substituant aux anciens « cadres » à la logique plus
hiérarchique, l’enchantement de « la mobilité », voire du
« nomadisme ». Boltanski et Chiapello ajouteraient des
précisions sur les formes d’individualisation à l’œuvre dans
les nouveaux dispositifs de consommation de masse, avec une
plus grande différenciation des produits et des clientèles,
alimentant le paradoxe de la standardisation des différences.
Ces transformations des univers productifs et de
consommation se présenteraient, selon Boltanski et
Chiapello, comme une façon pour le néocapitalisme
d’intégrer « la critique artiste » soixante-huitarde dans la
perspective d’une relance de l’accumulation du capital. Le
néocapitalisme accentuerait donc la dynamique
individualisatrice en Occident, en contribuant à l’étendre au-
delà dans une logique de globalisation.
10 Dans ce cadre néocapitaliste, la contradiction
capital/individualité se trouverait exacerbée. Le cours
néolibéral du capitalisme, en valorisant encore davantage la
figure de l’individu, en excitant, tant dans les nouveaux
dispositifs productifs que de consommation de masse, les
désirs d’individualité, accroîtrait les frustrations et les

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pathologies des individus contemporains. La contradiction


capital/individualité identifierait un ensemble de contraintes
associées à la logique capitaliste, mais aussi de possibilités
d’émancipation qu’il laisse ouvertes en fonction d ‘ une
politisation aléatoire.
11 La politisation éventuelle de ces possibilités dépend
largement des institutions de mobilisation, qui ont une
histoire propre, avec des enjeux spécifiques, dont traite la
sociologie politique contemporaine. On renverra ici, entre
autres, aux travaux de Pierre Bourdieu11 sur ce qu’il appelle
« le champ politique » et à ceux de Lilian Mathieu sur ce qu’il
nomme « l’espace des mouvements sociaux12 ». Or, dans le
cas d’une politisation de la question individualiste telle
qu’elle est balisée par le néocapitalisme, on doit noter une
inertie historique du côté des institutions de mobilisation, en
France et dans d’autres pays occidentaux. Ainsi les partis, les
syndicats et les associations de gauche ont surtout appris à
politiser la contradiction capital/travail dans un sens
« collectiviste », mais peu à traiter de l’individualité (à
l’exception de courants anarchistes et libertaires, plus
souvent marginaux au sein du mouvement ouvrier). Les pôles
dominants de la galaxie altermondialiste ont hérité de cette
histoire, de ces schémas mentaux, des dispositifs d’action qui
leur sont associés, et donc d’une certaine inertie sur le plan de
la prise en charge de la contradiction capital/individualité,
même si des déplacements se font jour du côté de nouvelles
formes d’engagement plus soucieuses de l’individualité13.

C. Frustrations relatives et imaginaires utopiques


12 Nous envisagerons la notion de « contradiction du
capitalisme » comme dessinant un cadre global d’analyse,
pointant au niveau structurel tout à la fois des contraintes et

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des possibilités émancipatrices. Nous concevrons cette notion


sous l’angle de ce qu’Anthony Giddens a appelé « la dualité
du structurel » : « Le structurel est toujours à la fois
contraignant et habilitant », avance-t-il dans sa théorie de la
structuration14. Mais ces contraintes et ces possibilités
émancipatrices sont activées ou neutralisées en fonction des
conjonctures historiques spécifiques, de l’histoire des conflits
socio-politiques (et des institutions qui y prennent part) ou
encore des trajets singuliers des personnes. Prenons donc
chacune des contradictions principales du capitalisme comme
un cadre global définissant un espace du probable ; espace du
probable qui, dans la perspective de la construction socio-
historique de la réalité sociale, est le produit d’une histoire et
est affecté par les logiques individuelles et collectives
d’action. C’est en rapport avec ce cadre global que nous allons
entrevoir ce qui se passe du côté des subjectivités
individuelles comme des luttes politiques.
13 On peut aborder les effets du/les réactions au cadre
néocapitaliste, et donc les formes prises par la contradiction
capital/individualité, à travers deux versants associés : un
versant négatif (des frustrations relatives) et un versant
positif (des imaginaires utopiques).

1. Frustrations relatives
14 L’angle classique d’analyse en sociologie dit des frustrations
relatives15, de James C. Davies16 à Raymond Boudon17 et
Pierre Bourdieu18, nous sera utile pour appréhender certains
effets sociaux de la contradiction de l’individualité.
15 On trouve d’ailleurs chez Marx une des origines
intellectuelles de ce type d’approche. Il indique ainsi dans la
brochure Travail salarié et capital : « Nos besoins et nos
jouissances ont leur source dans la société ; la mesure s’en

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trouve donc dans la société, et non dans les objets de leur


satisfaction. Étant d’origine sociale, nos besoins sont relatifs
par nature19. » Plus précisément, la notion de frustration
relative vise un état de tension propre à une satisfaction
attendu mais refusé ; d’où une insatisfaction, constituant,
pour certains sociologues de la mobilisation, un potentiel de
mécontentement et d’action collective. La frustration apparaît
relative aux attentes telles qu’elles sont constituées dans un
cadre socio-historique donné.
16 Une série d’observations sociologiques ont alimenté, ces
dernières années, l’analyse des frustrations relatives de
l’individualité dans nos sociétés contemporaines20. Le
nouveau management fait de la reconnaissance des capacités
de chaque individu, à la différence de la logique taylorienne,
un de ses axes. Toutefois, seuls les aspects commercialisables
de l’individualité sont valorisés. Pire, la part
incommensurable de chaque singularité tend à être aplatie
par le langage utilitariste de « l’intérêt » et écrasée sous la
mesure unique de « ce qu’elle pèse » (en dollars, en euros,
etc.). Les pathologies propres au sentiment de ne pas être
reconnu dans ses spécificités individuelles s’accroissent.
17 L’aspiration à « l’authenticité » est en même temps stimulée
et battue en brèche. La séparation bourgeoise classique entre
vie privée et vie professionnelle limitait l’expression de son
authenticité sur le lieu de travail. Le management
néocapitaliste prétend y remédier par un certain effacement
de cette séparation (toute « la personnalité » du salarié est
requise au service du « projet d’entreprise », les collègues
sont invités à passer leurs week-ends et leurs vacances
ensemble, etc.). Mais il suscite, en retour, une inquiétude
nouvelle quant à « l’authenticité » des relations ainsi
générées (est-ce que cela relève de l’amical ou de

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l’instrumental ?).
18 Des sociologues ont également repéré des tensions entre les
aspects libérateurs et les aspects aliénants de l’individualisme
contemporain. D’une part, l’individualisation émancipe les
individus vis-à-vis des tyrannies du nous (morales
traditionnelles, famille patriarcale, institutions
bureaucratiques, etc.), comme le montrent le Britannique
Anthony Giddens ou le Français François de Singly. Mais,
d’autre part, émergent de nouvelles tyrannies du je. Dans la
focalisation narcissique sur sa propre image, l’individu peut
se noyer en lui-même, nous disent les Américains Richard
Sennett et Christopher Lasch. Par ailleurs, chacun tend à être
renvoyé à sa seule responsabilité personnelle dans ses échecs
scolaires, sur le marché du travail, en amitié ou en amour. Le
poids est souvent trop lourd à porter – ce que le Français
Alain Ehrenberg appelle « la fatigue d’être soi » – et la
mésestime de soi grandit. La consommation des
antidépresseurs augmente parallèlement. Des inégalités
symboliques, dans la production d’une image positive de soi,
se développent alors en interaction avec les inégalités sociales
plus classiques, note le Français Jean-Claude Kaufmann.

2. Imaginaires utopiques
19 Mais la frustration relative à un versant positif du côté des
attentes, servant d’étalon, souvent de manière implicite et
floue, au ressenti des frustrations. Ici le concept
d’imaginaires utopiques apparaît heuristique. La notion
d’imaginaire a été particulièrement explorée, au carrefour de
la philosophie, des sciences sociales et de la psychanalyse, par
Cornélius Castoriadis. A un premier niveau des significations
les plus courantes du mot, nous dit Castoriadis, l’imaginaire
renvoie à « quelque chose d’"inventé" – qu’il s’agisse d’une

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invention "absolue" ("une histoire imaginée de toutes


pièces"), ou d’un glissement, d’un déplacement de sens, où
des symboles déjà disponibles sont investis d’autres
significations que leurs significations "normales" ou
"canoniques" ("qu’est-ce que tu vas imaginer là" dit la femme
à l’homme qui récrimine sur un sourire échangé par elle avec
un tiers21) ». L’imaginaire serait alors doté, pour Castoriadis,
d’un pouvoir créateur, et non pas seulement d’une fonction
reproductrice.
20 Nous laisserons de côté, en tant que sociologue, la prise de
position proprement ontologique de Castoriadis –
l’imaginaire conçu comme une des strates les plus
« profondes » des psychismes individuels et des institutions
collectives – pour ne garder, dans une logique strictement
sociologique, que l’idée d’une créativité manifestant une
certaine autonomie symbolique, mais sans pour autant
qu’elle soit à l’abri d’effets de domination.
21 De ce point de vue, la distinction introduite par Castoriadis
entre un « imaginaire instituant », créateur et bousculant les
formes existantes, et un « imaginaire institué », cristallisé
dans des institutions dont le langage, est intéressante.
D’autant plus que Castoriadis appréhende ce couple, dans
une tension liée, « l’union et la tension de la société
instituante et de la société instituée, de l’histoire faite et de
l’histoire se faisant22 ».
22 Mais pourquoi recourir au concept plus précis d’« imaginaire
utopique » ? De l’utopique, nous retiendrons les racines
étymologiques de « non-lieu » ou « en aucun lieu ». C’est
l’aspiration d’un « ailleurs » et d’un « autrement » par
rapport aux situations existantes. Miguel Abensour
caractérise alors la pensée de l’utopie comme « une pensée de
la différence par rapport à ce qui existe23 ». Paul Ricœur

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ajoute : « Imaginer le non-lieu, c’est maintenir ouvert le


champ des possibles24 ». Le sens de l’ailleurs, cultivé dans un
imaginaire personnel, travaillé lui-même par l’imaginaire
institué (notamment dans les stéréotypes propres à une
société donnée), avec des décalages et des bricolages, servirait
alors d’étalon plus ou moins implicite aux déceptions
ressenties.

D. Retour sur les caractéristiques du concept de


contradiction capital/individualité
23 Revenons sur certaines caractéristiques du concept de
contradiction capital/individualité. Tout d’abord, il prend
appui sur un pluralisme anthropologique (au sens
philosophique) : une ambivalence des désirs humains
potentiellement caractérisés par une dynamique créatrice et
par la frustration. Puis, il essaie d’associer des dimensions
critiques quant à l’individualisme contemporain (l’intégration
des difficultés, voire des pathologies, qu’il tend à générer) et
des dimensions compréhensives (la prise au sérieux de la
composante émancipatrice des désirs de réalisation de soi).
24 Ce concept de contradiction capital/individualité intègre
aussi les capacités des personnes à générer des « imaginaires
utopiques », c’est-à-dire activant la possibilité d’un ailleurs
par rapport aux logiques sociales existantes. C’est une façon
de ne pas réduire, de façon misérabiliste – au sens des
analyses sociologiques de Claude Grignon et Jean-Claude
Passeron25 –, les acteurs à la frustration et à la souffrance. Il
participe alors des efforts en cours pour reconstituer de
nouvelles sociologies critiques26, dans le sillage notamment
de Marx et de Bourdieu mais en intégrant des déplacements,
appelés par la prise en compte des apports d’une sociologie
pragmatique recourant à des ressources phénoménologiques,

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dotant les acteurs de compétences dans des cours situés


d’action caractérisés par une incertitude relative27.
25 C’est un concept critique qui a aussi des dimensions
politiques : 1 ° il est adossé à un horizon émancipateur, non
capitaliste ; et 2 ° il ouvre sur la possibilité d’un politisation.
Mais cela demeure un concept principalement analytique, un
outil d’analyse de la réalité, qui ne réduit pas cette analyse à
une téléologie politique. Il s’efforce donc, tout en assumant
ses composantes anthropologiques, éthiques et politiques, de
préserver une autonomie scientifique.

II. Une enquête de réception sur une série


télévisée : Ally McBeal
26 Entre octobre 2001 et octobre 2003 ont été recueillis, en
partie en collaboration avec des étudiants de Sciences Po
Lyon, 110 entretiens semi-directifs : 17 entretiens collectifs
après diffusion d’un épisode et 93 entretiens individuels (73
entretiens avec les personnes concernées par les entretiens
collectifs et 20 entretiens avec d’autres personnes ; au total 97
personnes ont été touchées). Cela concernait la réception
d’une série télévisée américaine mettant en scène une avocate
bostonienne d’environ 30 ans, à la recherche du « Prince
charmant » mais constamment confrontée à l’échec
amoureux : Ally McBeal28.

A. De l’utopie amoureuse dans deux entretiens de


« fans » d’Ally McBeal
27 Nous ne nous arrêterons ici que sur des extraits de deux
entretiens. Les deux femmes retenues ont répondu à une
petite annonce parue dans le magazine populaire féminin
français Femme actuelle. Elles ont toutes les deux autour de
quarante ans (43 ans pour Hélène et 39 ans pour Dominique)
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au moment de l’entretien. Elles sont toutes les deux


célibataires, mais Hélène n’a pas d’enfant, alors que
Dominique en a quatre de pères différents. Elles ont, par
ailleurs, des profils sociaux et politiques assez distincts :
Hélène est cadre dans la publicité et vote à droite, Dominique
est femme de ménage et vote à gauche.
28 Hélène (entretien du 13 mai 2003) s’identifie fortement au
personnage d’Ally McBeal sous le double plan de l’autonomie
professionnelle et d’une vie sentimentale insatisfaisante.
Comme certains des personnages de la série, elle considère
que l’imaginaire est important dans la vie : « Pour moi c’est
primordial c’est ça occupe au moins 70 % de ma vie ».
L’imaginaire revêt pour elle une coloration surtout affective et
puise dans l’enfance : « L’imaginaire c’est c’est tout ce dont
on vit depuis qu’on est enfant, tout tout ce qui a trait à
l’affectif, tout tout ce qu’on a pu emmagasiner au cinéma,
dans les livres, dans les contes, dans la religion aussi ». La
figure du « Prince charmant » occupe le centre de cet
imaginaire : « On est quand même éduqué avec "un jour mon
Prince viendra", Cendrillon. C’est c’est c’est c’est c’est très
beau, mais c’est très fort dans dans l’imaginaire ». Enfance et
« Prince charmant » renverraient alors à une quête : « Et c’est
le rapport à l’enfance aussi parce que on quand on est enfant
on est obligé de toujours évoluer, et bon, je pense qu’Ally
McBeal elle est pas, elle est pas réellement adulte. Mais ça je
le dis pour moi aussi. Donc y’a toujours une quête de quelque
chose, on veut toujours aller plus loin. »
29 La pente de cet imaginaire aurait alors poussé Hélène à ne
pas inscrire dans la durée ses histoires d’amour, en se disant
que « celui là y’a quand même des choses qu’il ne remplit pas
dans mon imaginaire ». Aujourd’hui, vivant seule et voyant
son horizon sentimental se boucher, elle semble un peu le

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regretter, car « comme Ally McBeal et John Cage29, c’est le


fait d’à cause d’imaginaire de de grands projets et de choses,
je suis certainement passé à côté de gens qui auraient été très
bien pour moi ». Et pourtant, elle ne se voit pas vraiment
changer : « Là, je me dis que <en souriant> y’a peu de
chances que je change, ah ! non, non, là, là, je me dis que c’est
parti comme ça, hein ».
30 On observe tout d’abord, dans le cas d’Hélène, que la figure
du « Prince Charmant » n’apparaît pas seulement comme un
stéréotype traditionnel qui tire la femme du côté de la société
patriarcale, mais qu’elle accompagne aussi le mouvement de
son autonomisation professionnelle et affective. Dans cette
expérience particulière, elle « soutient la dynamique
d’autonomie de la femme en solo », pour reprendre une
tendance plus générale repérée par Jean-Claude Kaufmann30.
Mais Hélène filtre le personnage d’Ally McBeal à travers son
propre vécu. Elle a dix ans de plus que l’héroïne et ces années
l’ont rendue plus pessimiste. La désillusion s’est accusée par
rapport à la figure fictionnelle dans laquelle elle se reconnaît
sur l’écran. Il y a dans ce sentiment de désillusion qui
maintient l’imaginaire, mais dans une distance critique et une
forme d’auto-ironie, quelque chose comme de l’espoir refroidi
(elle dit viser aujourd’hui « la sérénité »), qui continue
pourtant à couver sous les cendres de l’expérience. Comme le
note encore Kaufmann, le « Prince charmant » devient de
plus en plus « la figure qui console des autres vies que l’on n’a
pas eues, qui évade de l’ennui d’une identité trop
stabilisée »31. Sans toutefois que l’espérance d’un ailleurs ne
soit complètement éteinte.
31 Dominique (entretien du 31 mai 2003) a eu beaucoup de
problèmes dans la vie. Elle a été en premier lieu marquée par
une situation sociale difficile dans l’enfance au sein d’une

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famille nombreuse proche de la pauvreté. Adulte, elle a elle-


même surtout vécu d’aides sociales, et travaille depuis peu de
temps de manière stabilisée. Elle a connu un compagnon
alcoolique et violent, qu’elle a quitté. Elle a aussi été quittée.
Et, au bout du compte, elle a dû élever quatre enfants presque
seule. Sa fille aînée est la première de la lignée familiale,
depuis plusieurs générations, à avoir eu le bac. Elle a connu
aussi, quelques années auparavant, une courte relation
passionnelle de deux ou trois mois qui a débouché sur le
désenchantement et sur une « déprime » d’une durée de deux
ans.
32 Elle aussi s’est identifiée au personnage d’Ally McBeal :
« Peut-être y’a un cheminement qui a fait que je me suis
sentie peut-être proche d’elle, dans le sens quand on
recherche quelque chose dans la vie, on le cherche jusqu’à ce
qu’on le trouve ». Et elle précise : « Le côté un peu, heu,
utopique de l’amour. Parce qu’elle recherche un peu l’amour
aussi, l’homme de sa vie ou, elle fait des essais comme ça ».
Se sentant démunie culturellement, à la différence d’Hélène,
le feuilleton l’aide alors à verbaliser et à intellectualiser ses
propres émotions : « Ça traduit un peu mes sentiments, mais
eux ils ont les mots que moi je n’ai pas en fait ».
33 Elle aussi, comme Hélène, a été confrontée aux désillusions,
mais elle en tire une humeur moins pessimiste. La quête
mcbealienne lui semble davantage possible. Elle dit ainsi :
« L’idéal je pense que ça aide à avancer, dans un sens, enfin
d’avoir un but ; c’est plutôt, enfin je pense que ça sert d’avoir
un but, de pas baisser les bras. Et tant qu’on a cet idéal-là, on
avance. On avance peut-être pas toujours sur le bon chemin,
mais on avance. Mais, par contre, le jour où on perd ses
illusions – enfin je l’ai vécu personnellement – le jour où on
perd ses illusions, c’est tout tout s’écroule en fait.

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34 — Hum hum.
35 — Tout s’écroule, mais c’est une mort pour une une autre vie
en fait. C’est, c’est comme une naissance, hein. »
36 On se rapproche du maintien d’un horizon utopique, malgré
les échecs, propre au personnage même d’Ally McBeal, et cela
malgré des chocs plus forts que ceux encaissés par l’héroïne
télévisée et dans des conditions sociales beaucoup plus
contraignantes. L’utopie amoureuse, malgré les échecs, à
cause des échecs peut-être, apparaît comme une ressource
disponible pour, ainsi qu’on le dit, « se reconstruire ». Elle
fait partie de l’étayage d’une autonomie et d’une intériorité
personnelles. Et puis, contre « la déprime », qui enferme
dans le rapport au passé, elle aide à se réinsérer dans une
dynamique temporelle où la notion d’avenir a encore un sens.

B. L’intime et le politisable
37 Nous avons pu observer chez des réceptrices d’Ally McBeal,
des réserves utopiques et critiques. Mais ces réserves
semblent s’être réfugiées dans le domaine sentimental, ce qui
n’a pas toujours été le cas. Se sont sans doute croisées ici une
tendance conjoncturelle – les désenchantements successifs à
l’égard des utopies politiques, tout particulièrement portées
par la gauche – et une tendance structurelle – le mouvement
pluriel et composite d’individualisation de nos sociétés et de
valorisation corrélative de l’intimité par rapport aux formes
collectives. L’utopique relèverait alors principalement dans
nos sociétés de la sphère de l’intime.
38 Cette aspiration à un ailleurs prend une composante critique
par rapport à des valeurs dominantes de la société
néocapitaliste, car elle vise idéalement un amour désintéressé
et « authentique », débarrassé du prisme marchand. Ce non-
politique pourrait alors être considéré comme un « pré-

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politique » politisable, puisqu’il a jadis été politisé (par


exemple, encore récemment autour de mai 1968)32. Le
rapport aux formes culturelles les plus ordinaires (comme les
séries télévisées) constitueraient donc des lieux de
fertilisation de germes utopiques.
39 Ce « pré-politique » politisable aurait donc une charge
critique plus acérée vis-à-vis des ordres sociaux dominants
que nombre des discours politiques routinisés,
institutionnalisés et professionnalisés les plus visibles dans le
champ politique. On peut même faire l’hypothèse que les
imaginaires utopiques-critiques de nos contemporains,
activés notamment mais non exclusivement autour d’idéaux
amoureux, sont en rapport avec cette contradiction
importante, mais souvent mal perçue du capitalisme : la
contradiction capital/individualité, en ce qu’ils pointeraient
un ailleurs non-marchand.
40 Mais l’utopie amoureuse, la quête du « Prince charmant », ne
participe-t-elle pas aussi des stéréotypes générés par la
domination masculine, enfermant les femmes dans « le
privé », à l’écart du « public » dominé par les hommes ? Ne
participe-t-elle pas des lieux communs sexistes, inscrivant les
femmes dans une relation de dépendance vis-à-vis d’une
figure enchantée de « l’homme » ? Ici il nous faut prendre en
compte la pluralité des ordres de domination et leurs
contradictions. Il en va ainsi des écarts, et même des
oppositions, entre les stéréotypes de l’ordre marchand
(organisés autour de l’accumulation d’argent) et la quête du
« Prince charmant », qui a certaines attaches du côté de
l’ordre patriarcal, mais qui est susceptible justement de
nourrir une critique de « l’inauthenticité » des relations
marchandes. Le « bricolage » ordinaire cher à l’historien
Michel de Certeau33, ici dans le registre de l’imaginaire,

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n’éliminerait pas « l’imaginaire institué », mais prendrait des


libertés avec lui. En quelque sorte, on ferait « à sa main » les
stéréotypes dominants, on décomposerait-recomposerait
différentes strates de signification, dans des résonances avec
les expériences personnelles. Cela rejoint les « glissements de
sens » dont parlait Castoriadis dans la citation ci-dessus. Les
enquêtes de réception des produits télévisés mettent
fréquemment en évidence de tels filtres déformants du côté
des récepteurs34, ne correspondant pas aux discours trop
homogénéisateurs et misérabilistes présupposant une
« aliénation » généralisée des consommateurs des
« industries culturelles » (dans le sillage de la théorie critique
de Theodor Adorno et Max Horkheimer) ou une efficacité
totale de « la propagande » médiatique (dans la perspective
des écrits politiques de Noam Chomsky).
41 Quand le philosophe Mathieu Potte-Bonneville aborde le
traitement de la subjectivation – de l’émergence fragile d’une
subjectivité – chez le dernier Foucault, il indique qu’elle revêt
un « caractère à la fois libre et lié35 ». C’est-à-dire que
Foucault n’aurait pas oublié la critique des normes
oppressives de ses premiers travaux, mais qu’il aurait
esquissé une articulation entre les deux. Ainsi, quand Michel
Foucault, analyse l’accentuation de « la culture de soi » au
cours des deux premiers siècles de notre ère en lien avec une
série de modifications des normes sociales, il écrit : « Elle
constituerait par rapport à elles une réponse originale sous la
forme d’une nouvelle stylistique de l’existence »36. « La
réponse à » apparaît plus complexe que « le dominé par » ou
« le déterminé par » (au sens causal) d’une sociologie critique
du type de celle développée par Pierre Bourdieu37, sans abolir
pour autant la contrainte sociale. Ainsi un outillage
symbolique et narratif comme celui tournant autour de la

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quête du « Prince charmant » apparaîtrait, selon la formule


déjà citée de Giddens, « à la fois contraignant et habilitant ».
On peut ainsi concevoir des contraintes sociales auxquelles
peut « répondre » une autonomisation subjective à travers
notamment un imaginaire personnel. Ce que Jean-Claude
Kaufmann appelle « le petit cinéma » des personnes
ordinaires, qu’il saisit à partir de leurs rêveries quotidiennes
dans le cours des tâches ménagères38.

III. Politisation de l’intime et philosophie


politique altermondialiste
42 Il reviendrait aux forces anticapitalistes, et plus
particulièrement aujourd’hui aux forces altermondialistes,
d’inventer un langage politique renouvelé, des dispositifs et
des médiations afin de politiser les désirs de réalisation de soi
stimulés/déçus par le néocapitalisme. Cela supposerait de
prendre appui sur les capacités imaginaires des personnes, en
n’en restant pas de manière misérabiliste au niveau, certes
important, de la frustration et de la souffrance. Cela incite à
un élargissement de l’anticapitalisme, pour traiter tout à la
fois la question sociale (fortement structurée par la
contradiction capital/travail) et la question individualiste
(travaillée par la contradiction capital/individualité). Cette
politisation anticapitaliste de l’intime pourrait avoir besoin,
entre autres, du versant positif d’une philosophie politique
alternative. Cette philosophie politique aurait notamment à
prendre en charge les relations entre une logique de justice
sociale (comme réponse à la contradiction capital/travail) et
une logique d’épanouissement des individualités singulières
(comme réponse à la contradiction capital/individualité).
Nous lui donnerons le nom provisoire et paradoxal de social-
démocratie libertaire.

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43 Une conception de la justice sociale suppose en général une


mesure commune. Dans la perspective d’une répartition
équitable des ressources, il faut ainsi rendre des activités et
des personnes commensurables, appréhendables à partir de
critères communs au sein d’un même espace. C’est une vision
de la justice que nous avons héritée de Platon et d’Aristote et
que l’on retrouve chez les théoriciens contemporains de la
justice comme John Rawls. C’est ce que nous appellerons le
versant social-démocrate du problème.
44 Mais on oublie, si on en reste là, ce qui tend à échapper à la
mesure commune, c’est-à-dire l’incommensurable,
l’individualité singulière. Or, les théoriciens anarchistes
(Stirner, Proudhon, Bakounine, etc.) ont fréquemment insisté
sur les risques d’écrasement de la singularité individuelle par
les cadres collectifs de mesure. Cela renverrait à la
composante libertaire du problème.
45 Au croisement de la tradition juive et de la phénoménologie,
Emmanuel Lévinas est justement un philosophe de la
singularité du visage d’autrui. Il a ainsi insisté sur le fait
qu’on ne peut jamais complètement comprendre autrui, au
double sens du mot : le connaître totalement et l’englober.
Car il y a quelque chose dans autrui qui échappe à nos prises
totalisatrices : justement l’unicité irréductible de son visage.
La singularité du visage d’autrui, c’est un peu comme un trou
dans la baignoire de « l’être », qui nous empêche de
l’emprisonner dans nos catégories à prétention totalisatrice.
Mais Lévinas, amorçant quelque chose comme une
philosophie politique39, a aussi suggéré une piste quant à la
mise en rapport des deux dimensions (la part libertaire de
l’incommensurable/la part sociale-démocrate du
commensurable). Il écrit ainsi dans un livre d’entretiens,
Éthique et infini : « Comment se fait-il qu’il y ait justice ? Je

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réponds que c’est le fait de la multiplicité des hommes, la


présence du tiers à côté d’autrui, qui conditionnent les lois et
instaurent la justice. Si je suis seul avec l’autre, je lui dois
tout, mais il y a le tiers [...]. Il faut par conséquent peser,
penser, juger, en comparant l’incomparable40. » Lévinas a
donc commencé à pointer la nécessaire et irréconciliable
tension entre le caractère incommensurable de la singularité
d’autrui, d’une part, et l’espace commun de mesure et de
justice outillé d’institutions, d’autre part. C’est ce qu’il appelle
« comparer l’incomparable ».
46 Une telle perspective ne caractérise pas la société émancipée
comme un cadre « harmonieux » (selon une expression
d’inspiration religieuse) ou comme un « dépassement » des
contradictions sociales (selon une certaine vision du
« communisme » inspirée de la philosophie dialectique de
Hegel). Mais la formule « comparer l’incomparable » assume
et affronte une dynamique infinie de contradictions entre la
logique de l’individualité et la logique de la justice sociale.
C’est ce que le socialiste libertaire Pierre-Joseph Proudhon
appelait une « équilibration des contraires41 » contre le
vocabulaire de « la synthèse » hérité par les progressistes de
Hegel.

En guise de conclusion et d’ouverture


47 Les mobilisations altermondialistes dessinent, depuis la fin
des années 199042, de nouvelles possibilités pour les
solidarités internationales, au nom d’une justice sociale
mondiale, se situant au même niveau que la globalisation
néocapitaliste. Dans le même temps, elles apparaissent
davantage respectueuses des expressions personnelles et de
leur diversité, et cela dans le refus de la tendance à
l’uniformisation marchande. La double coordonnée de la

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galaxie altermondialiste « Le monde n’est pas une


marchandise » et « D’autres mondes sont possibles » –
pourrait alors déboucher sur une question existentielle,
dotant la critique émancipatrice d’une composante
spirituelle, c’est-à-dire posant la question du sens de
l’existence humaine dans des tonalités non nécessairement
religieuses.
48 C’est ce à quoi nous invitent les travaux, en philosophie de
l’économie, du Belge Christian Arnsperger43, en mettant en
évidence combien le capitalisme est à la fois pourvoyeur
d’inégalités sociales et brouilleur de sens pour les individus.
Selon Arnsperger, au cœur des dégâts causés par le
capitalisme sur nos individualités, il y aurait la négation de la
finitude humaine, c’est-à-dire des limites corporelles et
mortelles de chaque être humain. La course sans fin à la
consommation entretiendrait nos angoisses en s’efforçant
vainement de colmater nos brèches existentielles. Et le
capitalisme nous rendrait inégaux dans ce marathon au final
frustrant : les privilégiés chercheraient à nier imaginairement
leur finitude aux dépens des autres, dans l’exploitation des
autres. Un autre monde possible, ce serait aussi alors, dans
une dimension spirituelle, un monde non-capitaliste qui
offrirait des possibilités davantage partagées permettant à
tous ses membres d’assumer leur finitude, d’alléger le poids
de leur finitude respective, afin que chacun puisse s’assumer
comme mortel.
49 Le travers des analyses stimulantes d’Arnsperger concerne
leurs bases anthropologiques (au sens philosophique) trop
unilatérales. Sa critique du capitalisme se déploie sur fond
d’angoisse humaine, qui apparaît première dans son
« anthropologie existentielle », en ce qu’elle postule « des
racines profondes de l’être-au-monde humain en lien avec le

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déni de la mort44 » et, partant, une « angoisse existentielle


partagée45 ». Il y a un danger à appuyer nos investigations sur
des pré-caractérisations exclusives de la condition humaine,
qu’elles soient d’ailleurs pessimistes ou optimistes. S’il est
difficile d’envisager une critique sociologique du monde tel
qu’il va ou une philosophie politique du monde tel qu’il
pourrait être sans présupposés anthropologiques, la prudence
incite au pluralisme et à « l’équilibration des contraires »,
pour reprendre la formule de Proudhon. Il faudrait pouvoir
ainsi mettre en tension deux pôles dans les présupposés
anthropologiques engagés tant par nos critiques de l’ordre
capitaliste que par la philosophie politique d’un monde non-
capitaliste qu’il reste à inventer après les impasses
autoritaires et totalitaires du XXe siècle : le pôle de
l’anthropologie pessimiste des désirs humains frustrants
active chez Émile Durkheim – plus proche de celle
d’Arnsperger – et celui de l’anthropologie optimiste du
déploiement des désirs humains créateurs présente chez
Marx46.
50 Dans un autre registre, proprement artistique cette fois, la
rappeuse altermondialiste Keny Arkana apparaît également
interpellée par la dimension existentielle/spirituelle, sans
d’ailleurs accorder de privilège anthropologique à l’angoisse
par rapport à la créativité. Dans sa chanson « Les chemins du
retour47 », elle part d’un constat pessimiste : « On s’est
construit nos propres prisons/Enfermés dans les forteresses
de nos ego ». Mais elle lance également : « La révolution
totale n’est pas qu’un but, c’est un chemin et une quête. » Et
d’ajouter : « La vraie révolution sera le changement de nos
êtres. »

Notes

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1. Cf. CORCUFF (P.), « Pour une épistémologie de la fragilité. Plaidoyer en


vue de la reconnaissance scientifique de pratiques transfrontalières », in
Revue européenne des sciences sociales, no 127, 2003, p. 233-244.
2. « L’expression "jeu de langage" doit ici faire ressortir que parler un
langage fait partie d’une activité ou d’une forme de vie. » (WITTGENSTEIN
(L.), Recherches philosophiques, trad. fr. de F. Dastur et al., Paris,
Gallimard, 2004, partie 1, § 23, p. 39) ; « Quand les philosophes
emploient un mot – "savoir", "être", "objet", "je", "proposition", "nom" –
et s’efforcent de saisir l’essence de la chose en question, il faut toujours se
demander : ce mot est-il effectivement employé ainsi dans le langage où
il a son lieu d’origine ? Nous reconduisons les mots de leur usage
métaphysique à leur usage quotidien » (ibid., partie 1, § 116, p. 85).
3. Pour une première exploration de cette notion, cf. CORCUFF (P.),
« Individualité et contradictions du néocapitalisme », in SociologieS
(revue scientifique internationale en ligne, éditée par l’Association
internationale des sociologues de langue française), 2006,
http://sociologies.revues.org/document462.html, et « Individus contre
Capital : pistes entre sociologie et philosophie politique », in CALAME (Cl.)
dir., Identités de l’individu contemporain, Paris, Textuel, 2008, p. 99-
113.
4. Cf. HENRY (M.), Marx, 2 tomes : Une philosophie de la réalité (tome 1)
et Une philosophie de l’économie (tome 2), Paris, Gallimard, 1976 ; cf.
aussi « Un Marx méconnu : la subjectivité individuelle au cœur de la
critique de l’économie politique » (entretien inédit de M. Henry avec P.
Corcuff et N. Depraz de juin 1996), in ContreTemps, no 16, 2006, p. 159-
170 (repris dans Politiquement incorrects. Entretiens du XXIe siècle, sous
la direction de D. Bensaïd, Paris, Textuel, 2008, p. 189-204).
5. MARX (K.), Manuscrits de 1844, in Œuvres II, éd. établie par M. Rubel,
Paris, Gallimard (« Bibliothèque de la Pléiade »), 1968, p. 82-83.
6. Ibidem, p. 83.
7. MARX (K.), Le Capital, Livre I, in Œuvres I, éd. établie par M. Rubel,
Paris, Gallimard (« Bibliothèque de la Pléiade »), 1965, section 4, chap.
14, p. 905.
8. Cf. MARX (K.), ENGELS (Fr.), Le Manifeste communiste, in Œuvres I, op.
cit., p. 173.
9. Cf. BOLTANSKI (L.), CHIAPELLO (È.), Le nouvel esprit du capitalisme,

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Paris, Gallimard, 1999.


10. Cf. HARDT (M.), NEGRI (A.), Empire, Paris, Exils, 2000.
11. Cf. BOURDIEU (P.), « La représentation politique », in Langage et
pouvoir symbolique, Paris, Seuil (« Points Essais »), 2001, p. 213-258.
12. MATHIEU (L.), « L’espace des mouvements sociaux », Politix, no 77,
2007, p. 131-151.
13. Cf. les travaux sociologiques initiés par Jacques Ion, et notamment
ION (J.), FRANGUIADAKIS (S.), VIOT (P.), Militer aujourd’hui, Paris,
Autrement, 2005.
14. GIDDENS (A.), La constitution de la société. Éléments de la théorie de
la structuration, trad. fr. de M. Audet, Paris, PUF, 1987, p. 226.
15. Pour un panorama général, cf. CORCUFF (P.), « Frustrations relatives »,
in FILLEULLE (O.), MATHIEU (L.), PÉCHU (C.) dir., Dictionnaire des
mouvements sociaux, Paris, Presses de Sciences-po, 2009, p. 242-248.
16. Cf. DAVIES (J. C.), « Vers une théorie de la Révolution », in BIRNBAUM
(P.), CHAZEL (F.), Sociologie politique. Textes, Paris, Armand Colin, 1978,
p. 242-248.
17. Cf. BOUDON (R.), Effets pervers et ordre social, Paris, PUF
(« Quadrige »), 1989.
18. Cf. BOURDIEU (P.), La distinction, Paris, Minuit, 1979, notamment
p. 157-176.
19. MARX (K.), Travail salarié et capital, in Œuvres I, op. cit., p. 217.
20. Cf. des éléments synthétiques et des références bibliographiques
précises in CORCUFF (P.), La société de verre. Pour une éthique de la
fragilité, Paris, Armand Colin, 2002, et CORCUFF (P.), ION (J.), DE SINGLY
(F.), Politiques de l’individualisme. Entre sociologie et philosophie, Paris,
Textuel, 2005.
21. CASTORIADIS (C.), L’institution imaginaire de la société, Paris, Seuil
(« Points/Essais »), 1975, p. 190.
22. CASTORIADIS (C.), L’institution imaginaire de la société, op. cit., p. 161.
23. ABENSOUR (M.), L'utopie de Thomas More à Walter Benjamin, Paris,
Sens et Tonka, 2000, p. 98.
24. RICŒUR (P.), « L'idéologie et l'utopie : deux expressions de

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l'imaginaire social », in Du texte à l'action. Essais d'herméneutique II,


Paris, Seuil, 1986, p. 390.
25. Cf. GRIGNON (C.), PASSERON (J.-C.), Le savant et le populaire.
Misérabilisme et populisme en sociologie et en littérature, Paris,
Gallimard/Seuil, 1989.
26. Pour des pistes vers de nouvelles approches critiques en sciences
sociales, cf. CORCUFF (P.), « Pour une nouvelle sociologie critique :
éthique, critique herméneutique et utopie critique », in LOJKINE (J.) dir.,
Les sociologies critiques du capitalisme, Paris, PUF, 2002, p. 147-160 ;
BOLTANSKI (L.), « Sociologie et critique sociale. Les conditions de
possibilité d’une sociologie de la domination », document de travail,
Paris, Groupe de sociologie politique et morale, EHESS, mars 2008, 127 p.
27. Sur la sociologie pragmatique initiée par Luc Boltanski et Laurent
Thévenot au cours des années 1980 en France et ses ressources
phénoménologiques, cf. CORCUFF (P.), « Usage sociologique de ressources
phénoménologiques : un programme de recherche au carrefour de la
sociologie et de la philosophie », in BENOIST (J.), KARSENTI (B.) dir.,
Phénoménologie et sociologie, Paris, PUF, 2001, p. 105-126, et id., « Le
fil Merleau-Ponty : l’ordinaire, de la phénoménologie à la sociologie de
l’action », in MARIE (J.-L.), DUJARDIN (P.), BALME (R.) dir., L’ordinaire.
Modes d’accès et pertinence pour les sciences sociales et humaines,
Paris, L’Harmattan, 2002, p. 119-136.
28. Pour une première analyse du matériau recueilli au cours de
l’enquête, cf. CORCUFF (P.), « De l’imaginaire utopique dans les cultures
ordinaires. Pistes à partir d’une enquête sur la série télévisée Ally
McBeal », in GAUTIER (C.), LAUGIER (S.) dir., L’ordinaire et le politique,
Paris, PUF, 2006, p. 71-84.
29. Autre personnage un peu fantasque de la série.
30. Cf. KAUFMANN (J.-C.), La femme seule et le Prince charmant. Enquête
sur la vie en solo, Paris, Nathan, 1999, p. 169.
31. Cf. KAUFMANN (J. -C.), La femme seule et le Prince charmant. Enquête
sur la vie en solo, op. cit., p. 169.
32. Cf. CORCUFF (P.), « Mélancolies de Mai 68 », in Projet, no 304, 2008,
p. 28-35 (repris sur : www.mediapart.fr/club/blog/philippe-
corcuff/010708/melancolies-de-mai-68).

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33. Cf. DE CERTEAU (M.), L’invention du quotidien. 1. Arts de faire, Paris,


Gallimard (« Folio/Essais »), 1990.
34. Pour un panorama synthétique de ces études de réception, cf. LE
GRIGNOU (B.), Du côté du public. Usages et réceptions de la télévision,
Paris, Economica, 2003.
35. POTTE-BONNEVILLE (M.), Michel Foucault. L’inquiétude de l’histoire,
Paris, PUF, 2004, p. 228.
36. FOUCAULT (M.), Le souci de soi. Histoire de la sexualité III, Paris,
Gallimard (« Tel »), 1984, p. 97.
37. Cf. CORCUFF (P.), Bourdieu autrement, Paris, Textuel, 2002.
38. Cf. KAUFMANN (J.-C.), Le cœur à l’ouvrage. Théorie de l’action
ménagère, Paris, Nathan, 1997, p. 98-100 et 199-200.
39. Sur la philosophie politique en germe chez Lévinas, cf. CORCUFF (P.),
« Lévinas Emmanuel, 1906-1995 : Totalité et Infini. Essai sur
l'extériorité, 1961, et Autrement qu'être ou au-delà de l'essence, 1974 »,
in CHÂTELET (F.), DUHAMEL (O.), PISIER (É.) dir., Dictionnaire des œuvres
politiques, Paris, PUF (« Quadrige »), quatrième éd. revue et augmentée,
2001, p. 626-629.
40. LÉVINAS (E.), Éthique et infini, Paris, LGF/Le Livre de Poche, 1990,
p. 84.
41. PROUDHON (P.-J.), Théorie de la propriété, Paris, L’Harmattan, 1997,
p. 206.
42. Quelques rappels chronologiques : campagne internationale contre
l’Accord multilatéral sur les investissements (AMI) en avril-octobre 1998,
création d’Attac France en juin 1998, manifestations de Seattle contre la
conférence de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en
décembre 1999, premier Forum social mondial à Porto Alegre en janvier
2001...
43. Cf. ARNSPERGER (C.), Critique de l’existence capitaliste. Pour une
éthique existentielle de l’économie, Paris, Cerf, 2005.
44. Cf. ARNSPERGER (C.), Critique de l’existence capitaliste. Pour une
éthique existentielle de l’économie, op. cit., p. 96.
45. Ibidem, note 2, p. 100.
46. Sur la comparaison Marx/Durkheim sous l’angle de leurs

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anthropologies philosophiques respectives, cf. CORCUFF (P.), « Stirner,


Marx, Durkheim et Simmel face à la question individualiste : entre
sociologie et anthropologies philosophiques », in AMRI (L.) dir., Les
changements sociaux en Tunisie, 1950-2000, Paris, L’Harmattan, 2007,
p. 291-311.
47. Tirée de l’album Désobéissance, 2008, distribué par Because, Paris.

Auteur

Philippe Corcuff

CERLIS – Université Paris


Descartes/CNRS
Du même auteur

L'individu aujourd'hui, Presses


universitaires de Rennes, 2010
Introduction in L'individu
aujourd'hui, Presses
universitaires de Rennes, 2010
En guise de conclusion :
quelques pistes et problèmes
pour une sociologie de
l’individualisme in L'individu
aujourd'hui, Presses

https://books.openedition.org/pusl/1244 Página 29 de 30
Affectivité, imaginaire, création sociale - Néocapitalisme, frustrations et imaginaires - Presses de lʼUniversité Saint-Louis 26/12/19 19'06

universitaires de Rennes, 2010


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Référence électronique du chapitre


CORCUFF, Philippe. Néocapitalisme, frustrations et imaginaires :
D’une sociologie critique à une philosophie politique altermondialiste
In : Affectivité, imaginaire, création sociale [en ligne]. Bruxelles :
Presses de l’Université Saint-Louis, 2010 (généré le 26 décembre 2019).
Disponible sur Internet : <http://books.openedition.org/pusl/1244>.
ISBN : 9782802804710. DOI : 10.4000/books.pusl.1244.

Référence électronique du livre


GÉLY, Raphaël (dir.) ; VAN EYNDE, Laurent (dir.). Affectivité,
imaginaire, création sociale. Nouvelle édition [en ligne]. Bruxelles :
Presses de l’Université Saint-Louis, 2010 (généré le 26 décembre 2019).
Disponible sur Internet : <http://books.openedition.org/pusl/1172>.
ISBN : 9782802804710. DOI : 10.4000/books.pusl.1172.
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