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revue

Neuropsychiatrie de l’épilepsie,
des accidents vasculaires cérébraux,
de la maladie de Parkinson
et de la sclérose en plaques

L’étude du comportement au sens large fait partie intégrante


de l’examen neurologique classique. Cet article présente une
revue des manifestations comportementales et thymiques dans
l’épilepsie, l’accident vasculaire cérébral, la maladie de Par-
kinson et la sclérose en plaques.

Rev Med Suisse 2008 ; 4 : 1136-44


INTRODUCTION GÉNÉRALE
A. Gronchi-Perrin L’intérêt scientifique pour les troubles du comportement et
de l’humeur en association avec divers syndromes neurolo-
J.-M. Annoni giques a pris son essor lors de la dernière décennie, bien que
A. Berney l’étude du comportement ait toujours fait partie intégrante de
l’examen neurologique et neuropsychologique. La recherche
S. Simioni scientifique et le développement des technologies médica-
F. J. G.Vingerhoets les modernes ont permis de cerner avec plus de précisions la
prévalence et les mécanismes sous-jacents aux troubles psy-
chiatriques et cognitifs pouvant se manifester lors de souf-
frances cérébrales focales ou progressives. Cette brève revue
ne peut évidemment prétendre à être exhaustive, notre but
Neuropsychiatry of epilepsy, stroke est plutôt de présenter quelques manifestations de ces perturbations neuro-
Parkinson’s disease and multiple sclerosis
psychiatriques, en se focalisant sur quatre atteintes du système nerveux fré-
The assessement of behavior is common part
of the neurological examination. This article
quentes dans la pratique neurologique : les accidents vasculaires cérébraux,
reviews the behavioral and mood manifesta- l’épilepsie, la maladie de Parkinson et la sclérose en plaques.
tions in four classical syndroms : Epilepsy,
stroke, Parkinson’s disease and multiple scle-
rosis. ACCIDENT VASCULAIRE CÉRÉBRAL
L’accident vasculaire cérébral (AVC) est une des pathologies les plus fréquen-
tes. Il se manifeste par des signes focaux ou globaux touchant la sphère cogniti-
ve, comportementale et/ou émotionnelle. Il survient de façon abrupte, avec une
durée de plus de 24 heures et peut être fatal. Les déficits cognitifs se manifes-
tent dans la phase aiguë et peuvent perdurer en phase chronique, ils sont géné-
ralement bien discriminés grâce aux aspects cliniques et anatomiques connus.
Par contre, les modifications neuropsychiatriques secondaires à un AVC, bien
que fréquentes, sont moins évidentes à classifier en fonction du lien causal avec
la localisation vasculaire et sont parfois sous diagnostiquées. La prévalence de
ces troubles peut varier de 20 à 60% selon leur symptomatologie.1 A terme, l’en-
semble de ces troubles acquis affecte de manière irréversible la qualité de vie
des patients cérébro-lésés, avec une répercussion non négligeable des aspects
neuropsychiatriques notamment sur la relation avec les proches.

Les troubles neuropsychiatriques


Dépression
La prévalence de la dépression post-AVC est très importante, les chiffres re-
portés dans la littérature varient de 6-41% dans les deux premières semaines, avec
un pic à 47-53% entre trois et quatre mois, puis une variation entre 9-40% jusqu’à
environ cinq ans post-AVC.2 Toutefois, en dépit de sa fréquence et de l’influence
négative qu’elle peut avoir sur la récupération fonctionnelle du patient, la dé-
pression est sous-diagnostiquée par les médecins non psychiatres dans 50-80%

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des cas, malgré la présence d’outils de screening. Globa- lence de 20-25% des patients ayant été victimes d’un AVC
lement, la prévalence des dépressions post-AVC se situe qui en souffriraient. Des lésions cérébrovasculaires impli-
entre 12% et 64%. Ces variations sont certainement liées à quant les voies descendantes, plus vraisemblablement au
l’hétérogénéité méthodologique des études (critère de dé- niveau de la capsule interne, des pédoncules cérébraux, des
pression, période d’évaluation, caractéristique de la popu- lésions des ganglions de la base ou du pont ont été incri-
lation) et à certaines atypies de la dépression post-AVC minées dans le développement de ces manifestations.9-11
(par exemple, moins de signes d’autodévalorisation). Si cer- Le fou rire prodromique est une manifestation paroxys-
tains auteurs ont démontré que ce sont le plus fréquem- male de rires incontrôlés et inappropriés à la situation ou à
ment les patients victimes d’une lésion frontale antérieu- l’état émotionnel actuel du sujet, qui peut survenir lors d’un
re gauche qui souffrent de dépression,3 d’autres4,5 rappor- AVC de la région pontine et thalamo-lenticulo-capsulaire.12
tent au contraire l’importance des lésions droites dans la
production de ces même symptômes. D’autres encore 6,7 Psychose
n’ont pu mettre en évidence une telle dissociation. Ainsi Une symptomatologie d’allure psychotique est souvent
l’effet de la latéralisation hémisphérique reste controver- rapportée dans la phase aiguë d’un AVC, le plus souvent
sée, différentes études mettent en évidence dans les pre- en association avec une atteinte hémisphérique droite. En
mières semaines suivant un AVC un dysfonctionnement des phase post-AVC, nous retenons les syndromes de missiden-
circuits fronto-sous-corticaux dans l’étiologie de la dépres- tification, qui sont de deux types selon qu’ils soient centrés
sion. Etiologie probablement multifactorielle, avec notam- ou non sur le corps propre. Lors de perturbation en référen-
ment un aspect réactionnel face à un événement trauma- ce à soi, nous connaissons l’anosognosie de l’hémiplégie
tisant et souvent invalidant. Les capacités d’adaptation ainsi où la personne nie sa paralysie, décrite la première fois par
que la personnalité prémorbide vont influencer alors les J. Babinski en 1914. Dans une forme extrême, le patient va
capacités à faire face à cet événement. Relevons en outre, jusqu’à nier l’existence même du membre atteint (asoma-
une corrélation positive entre la sévérité de l’atteinte ini- tognosie). D’autres patients vont développer une haine
tiale et le développement de signes de la lignée dépres- (misoplégie) ou une personnification du membre paralysé,
sive. En outre, l’aphasie non fluente est aussi un facteur de allant jusqu’à la maltraitance du membre concerné. Parfois
risque important pouvant entraîner aussi en phase aiguë le membre est perçu mais attribué à autrui (somatopara-
des réactions de catastrophe. phrénie), ou démultiplié. Lors de perturbation non centrée
sur soi, nous retenons les phénomènes d’héminégligence
Anxiété généralement gauche. Cela peut aussi concerner des trou-
L’anxiété généralisée est un état émotionnel caractérisé bles dans l’identification des lieux ou des personnes. Dans
par une préoccupation excessive et persistante qui s’asso- le premier cas, nous parlons alors de paramnésie rédupli-
cie à une fatigue, une irritabilité, une perturbation du som- cative, qui concerne la conviction d’être dans un lieu diffé-
meil et des répercussions négatives sur les activités de la rent que celui réel. Quand il s’agit de personnes (mais cela
vie quotidienne ou les interactions sociales. Sa fréquence peut aussi concerner des animaux), nous parlons du syndro-
est élevée post-AVC, avec une prévalence de 25-50% dans me de Capgras ou délire des sosies, la personne étant con-
les premières semaines suivant l’AVC. Une comorbidité vaincue qu’un de ses proches a été substitué par un impos-
fréquente existe entre la présence d’anxiété et de dépres- teur ou encore du syndrome de Fregoli, la personne pense
sion post-AVC. En effet, rares sont les patients qui présen- que des inconnus sont en fait des personnalités connues
tent un état d’anxiété généralisée en l’absence de dépres- qui la persécutent ou cherchent à la séduire.13 Le mélange
sion majeure. De plus, la présence d’un trouble anxieux entre la réalité et les éléments délirants peut prendre dif-
interagit avec la dépression et en influence sa sévérité et férentes formes oscillant entre le souci de cacher ses convic-
son évolution. tions de peur d’être pris pour un fou et le passage à l’acte,
L’anxiété généralisée post-AVC ressemble par plusieurs en fonction du délire, pouvant aller jusqu’à se mettre ou
aspects au syndrome de stress post-traumatique (SPT), dont mettre les autres en danger. Aucun traitement psychotrope
le point commun le plus évident est sa survenue suite à ne semble avoir de l’influence sur les psychoses post-AVC.
un événement possiblement fatal et imprévisible. Le SPT
a une prévalence de 10% chez les personnes victimes d’un Manie
AVC et des manifestations SPT significatives peuvent se voir La manie, définie comme une augmentation exagérée de
chez 30% des patients, même après un AVC mineur.8 Com- l’estime de soi, associée à une diminution des heures de
me dans la dépression, le développement d’anxiété post- sommeil, à une logorrhée, à une fuite des idées, à de la
AVC dépend de différents facteurs psychologiques. Les mé- distraction, à une hyperactivité et à une impulsivité accrue
canismes neurobiologiques sous-jacents sont encore mal est rarement induite par un AVC et concernerait 1% des
compris. Comme pour la dépression, il semble qu’un dys- patients dont la plupart seraient en relation avec une lésion
fonctionnement fronto-sous-cortical, en particulier des aires hémisphérique droite.14
limbiques, soit associé à la survenue de signes anxieux.
Agressivité
Labilité émotionnelle Angelelli et coll. rapportent l’irritabilité durant les pre-
La labilité émotionnelle est caractérisée par de fréquents mières années post-AVC comme le symptôme comporte-
épisodes de rires et/ou de pleurs inappropriés ou excessifs mental le plus fréquent. 32% des patients auraient alors
à la situation présente, ou incontrôlables, avec une préva- des difficultés à inhiber leur colère.

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Apathie XXe siècle, émerge le concept de personnalité épileptique,


L’apathie, contrairement à la dépression, ne s’accompa- évoqué en premier par Kraepelin.16 Dans les années 50,
gne pas de sentiments de détresse ou de dépréciation de Gastaut17 décrit certaines caractéristiques qui seraient com-
soi mais est généralement associée à d’autres atteintes munes aux épileptiques : l’approfondissement des émo-
cognitives en particulier exécutives et parfois à un émous- tions, la viscosité mentale (tendance à l’obsession et à la
sement affectif. Les états les plus sévères étant l’aboulie persévération) et l’hyposexualité. Caractéristiques groupées
et le mutisme akinétique. L’apathie est très fréquente, en en syndrome qui va s’étoffer et se préciser en 1975, lors-
particulier, en phase aiguë post-AVC lors des atteintes hé- que Geschwind et Waxman18 décrivent des traits typiques
misphériques droites. Nous retenons, là encore, un dysfonc- qui sont les idées philosophiques ou cosmiques, l’hyper-
tionnement fronto-sous-cortical à l’origine de l’apathie, en graphie, l’agressivité, l’irritabilité ainsi que l’hyposexualité
particulier de la boucle frontale dorsolatérale. et la viscosité mentale déjà décrites par leurs prédéces-
seurs. En 1986, Fedio et coll.19 étendent ce syndrome à dix-
Conclusion huit traits qu’ils groupent en trois catégories de troubles :
Les AVC peuvent induire comme nous l’avons vu de nom- • troubles de la pensée (par exemple, préoccupation reli-
breux déficits cognitifs, comportementaux et émotionnels. gieuse, philosophique, cosmologie, moralité, dépendance,
En effet, outre des difficultés phasiques, gnosiques, visuo- paranoïa…) ;
spatiales, praxiques, exécutives et/ou attentionnelles selon • troubles émotionnels (par exemple, hyperaffectivité, dé-
la localisation et l’ampleur de la lésion, les patients cérébro- pression, état maniaque, mégalomanie…) ;
lésés peuvent souffrir de troubles neuropsychiatriques rare- • troubles du comportement sexuel (par exemple, hypo-
ment purs. Parmi ces derniers troubles, la dépression et les ou hypersexualité, exhibitionisme, agressivité, colère, vio-
troubles anxieux sont les plus fréquents. Les perturbations lence).
neuropsychiatriques sont le plus souvent associées à une En outre, ils considèrent que la sévérité des troubles,
perturbation du fonctionnement fronto-sous-cortical. Tous leur pattern et la conscience que le patient en a sont in-
ces troubles influencent négativement les possibilités de fluencés par la latéralité et la localisation anatomiques du
récupération du patient ainsi que sa qualité de vie. foyer. La sévérité du trouble dominerait lors de foyers
latéralisés à droite et entraînerait des modifications dans
les conduites affectives, les comportements obsession-
ÉPILEPSIE nels, la viscosité et l’attraction sexuelle. Les foyers latéra-
Les relations entre troubles psychiques et épilepsie ne lisés à gauche seraient plus en lien avec une tendance à la
sont pas unilatérales. Une pathologie neuropsychiatrique contemplation intellectuelle plus marquée, ainsi qu’une
aiguë peut être soit associée à la sémiologie des crises soit plus grande préservation de la nosognosie. Un foyer pré-
les résumer. Les crises prennent alors l’aspect d’émotions frontal engendrerait une recrudescence des risques de
intenses, en particulier de peur, d’angoisse, de joie ou de passage à l’acte notamment pour des comportements vio-
bien-être, généralement secondaires à un foyer épileptique lents en concomitance avec une réduction des sentiments
temporal interne. Le lieu de focalisation, la durée, le contrô- de remords.
le mais aussi les pathologies sous-jacentes sont autant de Actuellement, l’existence même d’une personnalité épi-
causes potentielles à des modifications comportementales leptique du lobe temporal reste de nos jours controversée,
ou thymiques, transitoires ou plus définitives. Les modifica- de nombreux chercheurs n’ayant pu répliquer les études
tions neuropsychiatriques à long terme sont d’origine multi- des auteurs cités ci-dessus.20 Il semblerait que la palette
factorielle, neurobiologique, psychosociale et iatrogène. des modifications varie plutôt en fonction du sexe, de l’âge,
Ces modifications peuvent également se révéler suite à du niveau socio-économique et d’autres variables biolo-
une intervention neurochirurgicale à visée anticomissiale. giques, médicamenteuses et psychosociales. Actuellement,
Finalement, l’épilepsie reste une maladie avec des les manifestations neuropsychiatriques secondaires à l’épi-
implications psychosociales sévères, de par l’angoisse de lepsie se définissent finalement plus par une diversité de
la survenue des crises, leur caractère imprévisible, leur modifications, aucun syndrome faisant l’unanimité. Néan-
origine dans un organe empreint de mystères, la nécessi- moins, les auteurs s’accordent sur le fait que l’épilepsie
té d’un traitement prolongé source d’effets secondaires, tendrait à un éloignement des comportements vers les ex-
l’amnésie circonstancielle annihilant le vécu direct et trêmes par rapport à la norme, accentuant de façon exagérée
objectif de la maladie, les difficultés attentionnelles dont et même pathologique des comportements.
peut souffrir le patient. Mais aussi en lien avec la discrimi- Sur le plan anatomique, une hyperconnexion des régions
nation, la stigmatisation et la marginalisation sociale enco- sensorilimbiques a été invoquée par différents auteurs.
re associées à cette maladie. Les décharges épileptiques embrasant les structures lim-
Il est ainsi difficile de désimbriquer les différentes étio- biques, qui enveloppent alors les stimulations environne-
logies potentielles expliquant, en partie, la persistance de mentales d’une composante émotionnelle exagérée.
controverses encore très présentes dans la littérature.
Dépression
Les troubles neuropsychiatriques Une importante prévalence de la dépression a été rap-
La personnalité épileptique portée chez des patients souffrant d’épilepsie, variant de
Vers la fin du XIXe siècle, Freud et Szondi15 insistaient 7,5 à 25% et ne semble pas corréler avec une réaction psy-
déjà sur l’hypereligiosité des épileptiques. Puis, lors du chologique face à une maladie chronique et invalidante.21

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Les origines étant comme nous l’avons vu précédemment ment plus fréquents que l’hétéro-agression. Qui n’a pas en
multifactorielles. Bien que reconnue dans la littérature, il mémoire l’acte désespéré de Vincent Van Gogh qui se
semble que la dépression reste sous-traitée et est sous- coupa une partie de l’oreille gauche, deux jours avant que
diagnostiquée dans la clinique. Il a été rapporté19 que sur le diagnostic d’épilepsie soit posé ?
68% des patients épileptiques avec des signes positifs de Sur le plan anatomique, là encore, les circuits fronto-
dépression, 43% n’avaient pas de traitement adéquat. De sous-corticaux sont incriminés. Déjà en 1892, le Dr Golz a
plus, 38% des patients épileptiques avec des épisodes dé- démontré que l’ablation de la partie frontale du cerveau
pressifs récurrents ne reçoivent pas de traitement spéci- d’un chien avait transformé cet animal doux et paisible en
fique à cette problématique. Ceci est d’autant plus domma- une bête féroce capable d’attaques subites, vicieuses et
geable que le risque de suicide dans cette population est violentes, sans provocation apparente. Les régions les
loin d’être négligeable, avec un taux de suicide de quatre plus incriminées dans le déclenchement des déferlements
à cinq fois plus élevé que dans la population générale. de violence sont les aires frontales et préfontales, dans
Sur le plan anatomique, une quelconque influence de l’amygdale, l’hippocampe et dans l’hypothalamus qui sont
la latéralité sur la sévérité du désordre émotionnel reste tous des composants du système limbique.
controversée. Nonobstant, un foyer épileptique temporal
gauche, associé à une perturbation du lobe frontal (identi- Conclusion
fiée par SPECT ou par un examen neuropsycholgique), est Au cours du XXe siècle, les manifestations neuropsy-
identifié comme un facteur de risque pour développer une chiatriques associées à l’épilepsie ont évolué du concept
dépression. Association en faveur de l’hypothèse d’un subs- de personnalité épileptique, évoluant d’une détérioration
trat neurobiologique à la dépression dans l’épilepsie.22 typique de la personnalité, à un point de vue plus nuancé
où l’épilepsie entraînerait plutôt une déviation des com-
Psychose portements par rapport à la norme.
La prévalence des psychoses liées à l’épilepsie reste à La notion d’une prévalence de troubles neuropsychia-
ce jour encore imprécise. Ces psychoses peuvent être liées triques plus marquée dans l’épilepsie que dans une autre
soit positivement soit négativement avec les crises. Dans maladie chronique reste controversée.
le premier cas, elles se manifestent par des épisodes brefs
associant des éléments affectifs, dysphoriques et para-
noïdes, succédant à une recrudescence des crises partiel- PARKINSON : HUMEUR ET COMPORTEMENT
les. Dans le deuxième cas, elles apparaissent lors de chan- La maladie de Parkinson (MP), associant une akinésie,
gements dans la prise en charge thérapeutique, ou suite à une rigidité, un tremblement et une instabilité posturale,
des interventions médicales concomitantes, généralement se déclare généralement dans la deuxième moitié de la
une intervention chirurgicale, et elles se manifestent alors vie avec une légère prédilection masculine. La cause reste
par des bouffées dissociatives aiguës. à ce jour inconnue, mais on distingue les syndromes par-
Finalement, rappelons un lien fascinant de l’épilepsie kinsoniens pouvant être d’origines diverses (dégénérative,
et de la psychose, décrit en 1953 par Landolt,23 sous le infectieuse, toxique, et génétique notamment).
nom de «normalisation forcée». Concept se référant à une La MP est caractérisée essentiellement, sur le plan ana-
minorité de patients épileptiques qui présentent des psy- tomique, par une déperdition des neurones dopaminer-
choses affectives, des états de dépersonnalisation et des giques pigmentés de la pars compacta de la substance
états crépusculaires à mesure que l’électroencéphalogram- noire et par la présence de corps de Lewy. Sur le plan bio-
me se normalise sous l’effet de la médication anticonvul- chimique, il s’agit d’un effondrement du système dopami-
sivante. Retenons, néanmoins, la critique principale faite à nergique nigro-strié, avec un seuil clinique à plus de 80%
ce concept qui réside dans le fait que l’électroencéphalo- de perte potentielle du système, déséquilibrant de nom-
gramme normal enregistré à la surface ne reflète pas for- breux circuits neuronaux. D’autres neurotransmetteurs sont
cément l’activité paroxystique des structures temporales perturbés dans la MP. Ainsi la déficience des circuits cho-
profondes. linergiques rend partiellement compte de l’atteinte mné-
sique (noyau basal de Meynert), celle des systèmes séro-
Agressivité toninergiques et noradrénergiques (locus coeruleus) pourrait
Souvent employé de manière métaphorique, le terme contribuer à l’akinésie et au freezing mais joue principale-
«agressivité» désigne une violence physique ou verbale ment un rôle dans l’apparition du syndrome dépressif pré-
manifestée avec une intention hostile. Comme nous l’avons sent chez 20 à 40% des patients.
déjà mentionné précédemment, des actes de violence ont
été décrits dans certaines formes de l’épilepsie, qui peu- Les troubles neuropsychiatriques
vent prendre différents aspects d’agressivité. Dépression
L’agressivité ictale non dirigée se manifestant générale- La dépression se déclare chez un tiers à deux tiers des
ment en association avec un état confusionnel, et l’agres- patients souffrant de MP et peut être, dans 5 à 10% des cas,
sivité interictale qui revêt plus souvent un aspect planifié, les prémisses à l’atteinte motrice. Dans la littérature, une
le sujet s’en prenant à quelqu’un ou à quelque chose de prévalence d’environ 40% est rapportée, divisée en part
précis. égale de patients présentant les critères pour une dépres-
Relevons, une prévalence nettement supérieure de sion majeure et ceux uniquement pour des signes de la
l’autoagression et du suicide qui sont des risques infini- lignée dépressive. Il n’y a pas de corrélation claire entre la

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sévérité de la MP et celle de la dépression, néanmoins elle la lévodopa, en particulier lors des phases off, et s’accom-
semble prédominer aux stades initiaux (Hoehn et Yahr I) pagner d’une importante tristesse et d’une irritabilité. Les
et avancés (III et IV) de la maladie. La prévalence de la patients présentant une dépression et des troubles anxieux
dépression chez les parkinsoniens est supérieure à celle semblent plus à risque de présenter une évolution cogni-
d’autres patients avec des handicaps équivalents (par tive plus rapidement défavorable que ceux n’en ayant
exemple, les patients paraplégiques), ce qui écarte l’hypo- point.
thèse d’une dépression purement réactionnelle. En outre,
la bonne réponse du syndrome dépressif aux antidépres- Labilité émotionnelle
seurs tricycliques ainsi qu’aux inhibiteurs de la recapture de Elle se définit, comme nous l’avons vu précédemment,
la sérotonine et sa mauvaise réponse à la lévodopa, per- par un changement rapide et important de l’humeur et pou-
mettent d’incriminer une perturbation biochimique sous-ja- vant être suscitée facilement et disparaître rapidement.
cente. Notamment, une déficience noradrénergique dans le Généralement en lien avec un affaiblissement des méca-
locus coeruleus a été mise en évidence.24 Dans la dépression, nismes frontaux cortico-sous-corticaux sous-jacents au
les trois systèmes sérotonine-noradrénaline-dopamine contrôle volontaire des réactions émotionnelles. Dans la
évoluent ensemble. La plupart des molécules antidépres- MP, la labilité émotionnelle peut prendre la forme d’une
sives utilisées de nos jours agissent sur la neurotransmis- variation rapide et bipolaire (mood swings) en phase avec
sion de l’une ou plusieurs de ces substances. Concernant les fluctuations motrices de type on-off. Les patients pou-
la dopamine, les résultats sont controversés et dépendent vant un même jour se sentir euphoriques, ou prêts à se
non seulement de la neurotransmission dopaminergique, donner la mort ; ou une forme plus discrète, décrite comme
mais aussi du circuit neuronal touché par la dysrégulation. une plus grande sensibilité, voire «sensiblerie», les per-
Très schématiquement, une hypo-activité dopaminergique sonnes notant une tendance à avoir la larme à l’œil pour
existe dans la dépression. Comme dans la MP, elle affecte un oui ou un non.
les noyaux de la base et le cortex frontal. Ce sont ces simi-
litudes dans les circuits neurologiques touchés qui expli- Emoussement affectif et anhédonie
quent que les signes dépressifs puissent accompagner, L’anhédonie se traduit par une perte du plaisir lors
voire précéder les signes moteurs dans la maladie. Sou- d’activités gratifiantes ; elle est généralement secondaire à
vent sous-évalués, en raison notamment d’un certain che- des lésions bilatérales des noyaux gris. L’émoussement af-
vauchement entre la symptomatologie parkinsonienne et fectif témoigne d’un dysfonctionnement des zones cingu-
celle dépressive (hypopmimie, apathie…), le diagnostic laires antérieures, du noyau accumbens, de la substance
et la prise en charge de la dépression sont pourtant pri- noire et tegmentale ventrale ainsi que du télencéphale
mordiaux. Des auteurs ont cherché a établir les signes pa- basal, souvent bilatéralement.
thognomoniques pour établir le diagnostic de dépression,
associés à la MP : c’est bien l’humeur «triste/dépressive» Troubles du contrôle des impulsions
qui reste le critère le plus pertinent pour diagnostiquer la Des traits obsessivo-compulsifs ont été décrits dans la
dépression dans ce cadre-là. Les signes physiques étant MP, comme le maniérisme, la rigidité morale et les rituels
plus généralement secondaires à la MP plutôt qu’à la dé- organisés.28 Ces traits obsessivo-compulsifs pourraient mê-
pression. me représenter une personnalité prémorbide, précédant
Sur le plan anatomique, la dépression semble être cinq de plusieurs années l’apparition de signes moteurs et per-
fois plus courante chez les patients présentant un parkin- mettant le diagnostic de la MP. Plus tard, ils s’associent
sonisme latéralisé sur l’hémicorps gauche. En outre, les parfois aux fluctuations motrices induites par la lévodo-
patients avec un syndrome parkinsonien atypique déve- pa29 ainsi qu’au syndrome de «dysrégulation dopaminer-
lopperaient plus souvent un état dépressif que les patients gique». Ce dernier est une perturbation du comportement
avec un syndrome parkinsonien typique.25 Rappelons, en lien avec le traitement substitutif dopaminergique pou-
finalement, que certains symptômes dépressifs comme le vant entraîner, lors d’abus ou de moindre tolérance, un
ralentissement ou le manque de flexibilité mentale se sur- trouble du contrôle des impulsions (TCI) incluant une perte
ajoutent à la symptomatologie dysexécutive, généralement du sens critique, des compétences sociales, une indiffé-
associée à la MP, et contribuent ainsi au déclin cognitif rence face aux conséquences de ses actes, une excitation
pouvant être associé à la MP. durant les actes compulsifs, suivies d’une perte du respect
de soi-même, la culpabilité, la honte, un repli social, des
Troubles anxieux signes dépressifs et des traits paranoïdes. Les TCI prennent
Les troubles anxieux sont fréquents, avec une préva- le plus souvent la forme d’un jeu pathologique, d’achats
lence d’environ 38%.26,27 Ils sont caractérisés par un malaise, compulsifs ou d’une hypersexualité.
une crainte inappropriée ou disproportionnée et par un
sentiment qu’une chose horrible va arriver. Ils sont géné- Troubles de la communication émotionnelle
ralement associés à des troubles végétatifs comme des La perturbation de l’expression émotionnelle spontanée
palpitations, une sudation excessive, des tremblements, du visage ou amimie fait partie intégrante de la sympto-
une sensation de constriction thoracique ou de la gorge, matologie parkinsonienne.30 Des perturbations similaires
un souffle court, une bouche sèche, des douleurs abdomi- ont été décrites dans la communication émotionnelle ver-
nales. Ces paroxysmes d’anxiété peuvent apparaître lors bale, avec au premier plan une perte de la prosodie,31
des fluctuations motrices associées avec des traitements à ainsi que dans la communication gestuelle, avec une aki-

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nésie des gestes et des postures. En outre, sont décrites multifactorielle, combinant des facteurs génétiques, immu-
d’une façon encore fragmentaire, une perturbation de la nitaires et infectieux. La clinique de la SEP varie selon la
communication (compréhension, sémantique, syntactique, localisation et la gravité de l’atteinte : troubles de la motri-
alexithymie), de la mémoire32 et de l’imagerie mentale cité, de la sensibilité, de la vision, de l’élocution et de la
émotionnelle ainsi que de la compréhension même des déglutition, de l’équilibre, et, comme on va le voir, du com-
émotions émises par autrui tant sur le plan verbal que non portement. En ajoutant à cette variabilité sémiologique le
verbal. fait que l’évolution de la maladie est extrêmement fluc-
tuante – caractérisée par des phases d’exacerbation des
Psychose symptômes (dites «poussées») et des phases de rémis-
Des troubles psychiatriques, essentiellement induits par sion (pouvant aller dans les premiers temps jusqu’à une
la médication, ont été fréquemment relevés dans la MP, pour normalisation complète du tableau) ou, au contraire, pro-
la plupart suite à une prise de dopaminergiques ou d’an- gressive d’emblée – on comprend qu’il est illusoire de vou-
ticholinergiques. Des traits psychotiques ont été décrits,33 loir proposer un tableau neuropsychologique «typique».
d’abord avec la présence d’hallucinoses, puis avec halluci- En fait, le profil de dysfonction neurocomportementale
nations, illusions, paranoïa, syndrome de Capgras, délires, dans la SEP est non seulement unique, mais également
mais aussi des troubles de la sexualité, dépression, anxiété, fluctuant pour chaque patient.34
manie, troubles obsessivo-compulsifs et perturbations du L’observation de troubles particuliers des fonctions in-
sommeil (insomnies et cauchemars, perte de l’atonie mus- tellectuelle et émotionnelle est présente dès les premières
culaire durant le sommeil). Les illusions dans la périphé- descriptions de la maladie au début du XIXe siècle35 et se
rie du champ visuel ainsi que de discrets épisodes de poursuit jusqu’à aujourd’hui, offrant une compréhension
confusion sont des troubles dont la détection précoce, en de plus en plus précise des mécanismes impliqués et de
phase bénigne, est indispensable afin d’ajuster la médi- leurs soubassements organiques.36 La vulnérabilité des
cation et prévenir ainsi une aggravation qui peut parfois patients atteints de SEP aux maladies psychiatriques est
amener à des hospitalisations en milieu protégé. Les symp- en effet beaucoup plus élevée que dans la population gé-
tômes de la lignée psychotique répondent généralement nérale ou que chez des patients également handicapés
bien aux antipsychotiques atypiques notamment à la clo- sans atteinte cérébrale.37 En fait, près de 50% des patients
zapine ou la quiétapine. présentent des signes psychiatriques pouvant inclure des
La perturbation neuropsychiatrique s’inscrit, comme l’at- manifestations psychotiques (délires et hallucinations) et/ou
teinte cognitive, dans un tableau secondaire à une pertur- thymiques (dépression et troubles bipolaires).38
bation des circuits fronto-sous-corticaux et se caractérise
par un ralentissement cognitif et moteur, un dysfonction- Les troubles neuropsychiatriques
nement exécutif et une altération du rappel mnésique. Dépression
Une association entre SEP et troubles de l’humeur est
Conclusion rapportée depuis longtemps.39 Dans le cadre d’une mala-
Les bases neurobiologiques au développement des die aussi invalidante, incurable et dont la progression est
troubles neuropsychiatriques dans la MP sont de mieux en imprévisible, la dépression est considérée comme une réac-
mieux comprises. Néanmoins, n’oublions pas les dimen- tion psychologique adéquate à la situation. Cependant,
sions psychosociales et personnelles. En effet, la MP en- des travaux plus récents tendent à incriminer des facteurs
traîne un remaniement complet du rapport à son corps. organiques, directement liés au processus de démyélini-
Indépendamment de sa volonté, le malade va devoir com- sation du système nerveux central.
poser avec des rythmes qui lui sont imposés, notamment La prévalence de dépression clinique chez les patients
par les fluctuations dopaminergiques on-off, dépendant atteints de SEP est extrêmement haute, jusqu’à 50%, ainsi
largement de l’administration adéquate d’une combinai- que le taux de suicide, qui est de sept fois supérieur à
son subtile de médications. La journée devant être plani- celui rencontré dans la population générale. Cette préva-
fiée méticuleusement en fonction des plages où l’on se sait lence semble spécifique à la SEP, en effet, d’autres mala-
le plus fonctionnel, et ce malgré une insécurité constante dies sévèrement handicapantes ont des taux de dépression
quant à la bonne prédiction. S’ajoutent à cela, comme nous et de suicide largement inférieurs, y compris les atteintes
l’avons vu, les oscillations de comportements, d’humeurs graves de la moelle épinière.39 Un élément supplémen-
et de la symptomatologie purement motrice, épuisant à la taire suggérant que les perturbations émotionnelles de la
longue les ressources adaptatives des patients. SEP ne sont pas simplement réactionnelles au handicap
sensori-moteur est le fait qu’il n’existe aucun lien signifi-
catif entre la dépression et la durée et la gravité de la ma-
SCLÉROSE EN PLAQUES ET COMPORTEMENT ladie, ni avec le degré d’atteinte cognitive.40,36,37 Relevons
La sclérose en plaques (SEP) est une maladie inflam- que les tentatives de corréler la présence de dépression
matoire du système nerveux central qui touche principa- dans la SEP avec des lésions cérébrales se sont révélées
lement le jeune adulte, les premiers symptômes appa- inconsistantes. Toutefois certaines études montrent une
raissant fréquemment entre 20 et 30 ans, deux patients sur telle corrélation, par exemple, avec le nombre de lésions
trois sont des femmes, avec une nette prédominance pour du faisceau arqué à gauche,41 avec une diminution du
les individus de race blanche. L’étiologie de la maladie débit sanguin cérébral à droite42 ou avec une diminution
reste, de nos jours, inconnue, mais le syndrome est d’origine du volume cérébral dans les zones temporales et frontales

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droites.43 Ces résultats sont autant d’indices suggérant lement de savoir ce qui prédispose à un déclin cognitif. La
que la dépression dans la SEP pourrait être mise en rela- forme et la durée de la maladie, la gravité de l’atteinte
tion avec des disconnections cortico-sous-corticales des cognitive et les données démographiques ne semblent
projections vers le système limbique. pas être de bons prédicteurs.48 On a même pu décrire des
cas de démentification en l’absence de handicap neurolo-
Modifications comportementales et émotionnelles gique majeur.49 Il n’y a donc pas forcément de lien entre
Des changements comportementaux mineurs peuvent l’évolution des capacités cognitives et l’évolution des au-
apparaître relativement tôt dans le décours de la SEP et se tres symptômes de la maladie, ni avec les stades de pous-
manifester par une vulnérabilité au stress, de l’anxiété ou sée et de rémission.
une irritabilité nouvelle. Ces changements précoces sont En revanche, il apparaît que le degré d’atteinte cognitive
comparables dans leur nature et leur fréquence à ceux ob- est le meilleur prédicteur de handicap dans la vie quoti-
servés chez des patients souffrant d’autres maladies chro- dienne.50 Comparés aux patients SEP sans troubles cogni-
niques d’origine non neurologique et ils seraient plutôt à tifs, ceux qui présentent des déficits neuropsychologiques
mettre sur le compte d’un processus réactionnel face au ont plus de difficultés dans les sphères professionnelles,
fait de devoir vivre avec une maladie chronique.44 sociales, conjugales et ménagères. En outre, ils sont da-
Dans la lignée de l’intérêt croissant porté aux compor- vantage susceptibles de présenter des troubles psychia-
tements de prise de décision chez les patients souffrant triques et d’être perçus par leur entourage comme confus
de pathologies neurologiques, on a également observé et émotionnellement instables. Ils ont souvent besoin d’une
des difficultés de prise de décision et une plus grande plus grande assistance personnelle. De manière intéres-
prévalence de comportements risqués chez les patients sante, ce tableau d’une atteinte cognitive n’est pas forcé-
SEP, par rapport à un groupe de sujets contrôles sains, ment lié à un état dépressif.48 La fatigue, symptôme carac-
dans un jeu d’argent comparable à un jeu de casino.45,46 téristique et fortement invalidant de la SEP, contribue en
Ces difficultés ont été principalement mises en relation revanche fréquemment aux troubles cognitifs.51
avec une altération du contrôle émotionnel, reflétée par Les troubles cognitifs en question concernent typique-
une diminution de la réponse électrodermale au stress. ment la mémoire, le raisonnement abstrait, l’attention, la
En outre, la SEP est parfois associée à des manifesta- vitesse de traitement de l’information, les fonctions exé-
tions émotionnelles qui sont tout le contraire de la dé- cutives et les fonctions visuo-spatiales.52
pression clinique. L’historien des neurosciences, S. Finger,35
raconte comment l’étude de la SEP est depuis les débuts
marquée par des descriptions de patients euphoriques, CONCLUSION GÉNÉRALE
optimistes, insouciants, poussant parfois le déni jusqu’à la Bien qu’encore négligés dans la pratique clinique, les
négation de leurs difficultés quotidiennes, pourtant fla- troubles neuropsychiatriques secondaires à une souffrance
grantes. La labilité émotionnelle, caractérisée par des rires cérébrale, en particulier lorsque les déficits moteurs sem-
et des pleurs incontrôlés, est également une observation blent au premier plan, sont maintenant reconnus comme
classique.47 Ces signes ne sont aujourd’hui plus considé- faisant partie intégrante de la constellation clinique. Leur
rés comme fortement représentatifs du comportement des importance en temps que prédicteurs de la qualité de vie
patients atteints de SEP, mais ils se rencontrent néanmoins et leur rôle dans le risque de marginalisation sociale sont
dans 10% des cas37 principalement dans les formes de SEP à présent avérés. Ainsi la bonne compréhension de ces
avancées et/ou progressives. troubles et leur gestion sont nécessaires dans un proces-
Plus rares sont les troubles bipolaires et les épisodes sus de rééducation fonctionnelle dont le souci principal
psychotiques dans la SEP, ces patients sont d’ailleurs le est de fournir la meilleure qualité de vie possible aux per-
plus souvent hospitalisés en psychiatrie avant que le diag- sonnes concernées et à leurs proches.
nostic neurologique soit clairement établi. L’interdépendance de la cognition et des émotions est
Si la dépression et l’anxiété se révèlent faiblement as- à présent reconnue et ne permet plus une approche cli-
sociées à des localisations lésionnelles spécifiques, les nique dichotomique.53 Cette tendance devrait se confirmer
symptômes d’allure psychotique, l’euphorie et la labilité et s’affiner encore compte tenu de l’intérêt que lui porte la
émotionnelle semblent quant à eux mieux localisables. Les recherche actuelle en neurosciences, permettant ainsi une
états maniaques et l’indifférence impliqueraient la subs- approche globale de plus en plus écologique, grâce aux
tance blanche dans les régions frontales,36,37 les troubles perfectionnements conjoints des paradigmes expérimen-
de nature psychotique, notamment les délires et les trou- taux dans la recherche et ceux des technologies à disposi-
bles de la pensée seraient associés à un processus dé- tion.
myélinisant dans les régions temporo-pariétales. D’autres A un autre niveau, l’étude du comportement et des émo-
aires ont également été impliquées : les régions frontales, tions permet d’éclairer une autre facette des maladies neu-
périventriculaires, les noyaux gris de la base et le système rologiques et ainsi ouvrir de nouvelles pistes dans la com-
limbique.38 préhension de la nature et des mécanismes neurocognitifs
Selon les études, 40 à 60% des patients atteints de SEP sous-jacents aux syndromes d’origine neurologique.
présentent des troubles cognitifs.48 Les déficiences peu-
vent s’observer aussi bien dans les stades tardifs de la
maladie que dans les stades initiaux, avant même l’appa-
rition d’autres atteintes neurologiques. Il est difficile actuel-

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Implications pratiques Adresses


Aline Gronchi Perrin et Samanta Simioni
> Les troubles comportementaux et thymiques lors d’atteintes Prs Francois J. G. Vingerhoets et Jean-Marie Annoni
neurologiques font partie intégrante du tableau clinique Service de neurologie
Dr Alexandre Berney
Département de psychiatrie
> La détection et le traitement de ces manifestations sont pri- CHUV, 1011 Lausanne
mordiaux pour une prise en charge clinique fonctionnelle
Pr Jean-Marie Annoni
Service de neurologie
> Ces manifestations sont des facteurs influençant négative- HUG, 1211 Genève 14
ment la qualité de vie ainsi qu’un risque de marginalisation
accru

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